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UNIVERSITÉ MONTESQUIEU - BORDEAUX IV ÉCOLE DOCTORALE DE DROIT (E.D. 41) DOCTORAT en DROIT Eric LESTRADE LES PRINCIPES DIRECTEURS DU PROCÈS DANS LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL Thèse dirigée par Monsieur le Professeur Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN Soutenue le 21 novembre 2013 JURY : Monsieur Julien BONNET Professeur à l’Université d’Évry-Val-d’Essonne, rapporteur Monsieur Guillaume DRAGO Professeur à l'Université Panthéon-Assas, Paris II, rapporteur Monsieur Jean GICQUEL Professeur émérite à l'Université Panthéon-Sorbonne, Paris I Monsieur Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV, directeur de recherche Monsieur Jean-Christophe SAINT-PAU Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Les principes directeurs du procès dans la jurisprudence du Conseil

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  • UUNNIIVVEERRSSIITT MMOONNTTEESSQQUUIIEEUU -- BBOORRDDEEAAUUXX IIVV

    COLE DOCTORALE DE DROIT (E.D. 41)

    DOCTORAT en DROIT

    EErriicc LLEESSTTRRAADDEE

    LLEESS PPRRIINNCCIIPPEESS DDIIRREECCTTEEUURRSS DDUU PPRROOCCSS

    DDAANNSS LLAA JJUURRIISSPPRRUUDDEENNCCEE DDUU CCOONNSSEEIILL CCOONNSSTTIITTUUTTIIOONNNNEELL

    Thse dirige par Monsieur le Professeur Ferdinand MLIN-SOUCRAMANIEN

    Soutenue le 21 novembre 2013

    JJUURRYY :

    Monsieur Julien BONNET

    Professeur lUniversit dvry-Val-dEssonne, rapporteur

    Monsieur Guillaume DRAGO

    Professeur l'Universit Panthon-Assas, Paris II, rapporteur

    Monsieur Jean GICQUEL

    Professeur mrite l'Universit Panthon-Sorbonne, Paris I

    Monsieur Ferdinand MLIN-SOUCRAMANIEN

    Professeur l'Universit Montesquieu - Bordeaux IV, directeur de recherche

    Monsieur Jean-Christophe SAINT-PAU

    Professeur l'Universit Montesquieu - Bordeaux IV

  • UUNNIIVVEERRSSIITT MMOONNTTEESSQQUUIIEEUU -- BBOORRDDEEAAUUXX IIVV

    COLE DOCTORALE DE DROIT (E.D. 41)

    DOCTORAT en DROIT

    EErriicc LLEESSTTRRAADDEE

    LLEESS PPRRIINNCCIIPPEESS DDIIRREECCTTEEUURRSS DDUU PPRROOCCSS

    DDAANNSS LLAA JJUURRIISSPPRRUUDDEENNCCEE DDUU CCOONNSSEEIILL CCOONNSSTTIITTUUTTIIOONNNNEELL

    Thse dirige par Monsieur le Professeur Ferdinand MLIN-SOUCRAMANIEN

    Soutenue le 21 novembre 2013

    JJUURRYY :

    Monsieur Julien BONNET

    Professeur lUniversit dvry-Val-dEssonne, rapporteur

    Monsieur Guillaume DRAGO

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    Monsieur Jean GICQUEL

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    Professeur l'Universit Montesquieu - Bordeaux IV, directeur de recherche

    Monsieur Jean-Christophe SAINT-PAU

    Professeur l'Universit Montesquieu - Bordeaux IV

  • Muriel

    ma mre

    la mmoire de mon pre

  • RREEMMEERRCCIIEEMMEENNTTSS

    Je tiens exprimer ici ma profonde gratitude lgard de M. le Professeur Ferdinand

    MLIN-SOUCRAMANIEN pour sa grande disponibilit, son coute attentive et ses

    conseils toujours prcieux.

    Je souhaiterais aussi lui manifester mes plus sincres remerciements pour la grande

    latitude qu'il m'a accorde, sans toutefois me laisser m'garer dans les mandres du

    contentieux constitutionnel.

    Merci aussi Stphanie et Nicolas, pour mavoir spontanment prt leur prcieux

    concours, ainsi qu Denis pour son inestimable soutien logistique.

    Enfin, je remercie aussi Muriel, ainsi que ma mre, pour leur patience et leur soutien

    moral...et linguistique. Un grand merci toutes les deux, pour avoir eu la gentillesse

    de rpondre mes questions...prioritaires.

  • LLIISSTTEE DDEESS PPRRIINNCCIIPPAALLEESS AABBRRVVIIAATTIIOONNSS

    A.F.D.I. Annuaire Franais de Droit International

    A.F.H.J. Association Franaise pour l'Histoire de la Justice

    A.I.J.C. Annuaire International de Justice Constitutionnelle

    A.J.D.A. Actualit Juridique de Droit Administratif

    A.J. Pnal Actualit Juridique Pnal

    B.I.C.C. Bulletin dInformation de la Cour de cassation

    Bull. civ. Bulletin des arrts des Chambres civiles de la Cour de cassation

    Bull. crim. Bulletin des arrts de la Chambre criminelle de la Cour de

    cassation

    Cah. dr. eur. Cahiers de Droit Europen

    Cass. Cour de cassation

    Cass. 1re civ. Premire chambre civile de la Cour de cassation

    Cass. 2me civ. Deuxime chambre civile de la Cour de cassation

    Cass. 3me civ. Troisime chambre civile de la Cour de cassation

    Cass. Ass. pln. Assemble Plnire de la Cour de cassation

    Cass. com. Chambre commerciale de la Cour de cassation

    Cass. crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation

    Cass. soc. Chambre sociale de la Cour de cassation

    C.E. Conseil d'tat

    C.E., Ass. Assemble du contentieux du Conseil d'tat

    C.E.D.H. Cour Europenne des Droits de l'Homme

    Chron. Chronique

    Coll. Collection

    Commiss. E.D.H. Commission Europenne des Droits de l'Homme

    Cons. const. Conseil constitutionnel

    Conv. E.D.H. Convention Europenne de sauvegarde des Droits de l'Homme

    et des liberts fondamentale

    C.R.P.C. Comparution sur Reconnaissance Pralable de Culpabilit

    C.R.F.P.A. Centre Rgional de Formation Professionnelle des Avocats

    C.S.M. Conseil Suprieur de la Magistrature

    D Dalloz (Recueil)

    DC Dcision de Conformit

    D.D.H.C. Dclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen

    Dr. Adm. Droit Administratif

    Dr. soc. Revue Droit Social

    G.A.J.A. Grands Arrts de la Jurisprudence Administrative

    Gaz. Pal. Gazette du Palais

  • Ibid. Ibidem

    Id. Idem

    J.-Cl. adm. Juris-Classeur Administratif

    J.C.P. Semaine Juridique (Juris-Classeur Priodique)

    J.D.I. Journal du Droit International

    JO Journal Officiel

    L.G.D.J. Librairie Gnrale de Droit et de Jurisprudence

    L.P.A. Les Petites Affiches

    N.C.P.C. Nouveau Code de Procdure Civile

    Obs. Observation

    Op. cit. Opus citatum

    P.U.A.M. Presses Universitaires dAix-Marseille

    P.U.F. Presses Universitaires de France

    QPC Question prioritaire de constitutionnalit

    R.D.P. Revue du Droit Public

    R.D.S.S. Revue de Droit Sanitaire et Social

    Rec. Recueil Lebon

    R.F.D.A. Revue Franaise de Droit Administratif

    Rev. Dr. Pn. Revue Droit pnal

    Rev. Rech. Jur. Revue de Recherche Juridique

    R.F.A.P. Revue Franaise d'Administration Publique

    R.F.D.C. Revue Franaise de Droit Constitutionnel

    R.F.F.P. Revue Franaise de Finances Publiques

    R.G.D.I.P. Revue Gnrale de Droit International Public

    R.I.D.C. Revue International de Droit Compar

    R.P.D.P. Revue de droit Pnitentiaire et de Droit Pnal

    R.S.C. Revue de Sciences Criminelles

    R.T.D. civ. Revue Trimestrielle de Droit Civil

    R.T.D. com. Revue Trimestrielle de Droit Commercial

    R.T.D.H. Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme

    R.U.D.H. Revue Universelle des Droits de l'Homme

    T.C. Tribunal des conflits

  • SOMMAIRE

    Liste des principales abrviations ............................................................................................................. 7

    INTRODUCTION ................................................................................................................................ 13

    PREMIERE PARTIE

    LEXISTENCE DU PROCES

    Titre Premier - Le droit au juge ....................................................................................................... 43

    Chapitre I - Le droit constitutionnel au recours juridictionnel effectif .................................. 45

    Chapitre II - Le droit constitutionnel aux recours juridictionnels successifs ...................... 111

    Titre Second - Le droit un juge de qualit .................................................................................. 163

    Chapitre I - Le droit constitutionnel un juge indpendant ................................................. 165

    Chapitre II - Le droit constitutionnel un juge impartial ..................................................... 267

    SECONDE PARTIE

    LA QUALITE DU PROCES

    Titre Premier - Les droits des parties au procs ........................................................................... 339

    Chapitre I - Le droit constitutionnel la prsomption dinnocence..................................... 341

    Chapitre II - Les droits constitutionnels de la dfense ........................................................... 419

    Titre Second - Le droit une dcision de justice de qualit ....................................................... 475

    Chapitre I - Le droit constitutionnel la collgialit des juridictions ............................ 477

    Chapitre II - Le droit constitutionnel la motivation des dcisions de justice ............. 531

    CONCLUSION GNRALE ........................................................................................................... 575

    Bibliographie ........................................................................................................................................ 585

    Index chronologique des dcisions du Conseil constitutionnel ............................................................ 633

    Index chronologique des arrts du Conseil dtat ................................................................................ 649

    Index chronologique des arrts de la Cour de cassation ....................................................................... 655

    Index chronologique des arrts de la Cour europenne des droits de lhomme .................................... 661

    Index alphabtique des matires ........................................................................................................... 669

    Index alphabtique des auteurs ............................................................................................................ 681

    Statistiques ........................................................................................................................................... 683

    Table des matires................................................................................................................................. 705

  • Appuyons-nous sur les principes, ils finiront bien par cder

    (de) TALLEYRAND-PRIGORD (C.-M.)

  • Introduction 13

    IINNTTRROODDUUCCTTIIOONN

    1. La majorit des courants philosophiques considre quil ne peut y avoir de socit

    vertueuse sans justice, puisque cette dernire est la condition de lharmonie entre les

    hommes. Ainsi, ARISTOTE, qui distingue la justice corrective1, reposant sur lgalit

    (chacun doit percevoir lquivalent de ce quil a donn), de la justice distributive2,

    fonde sur la proportionnalit (chacun doit recevoir selon son mrite), considrait-t-il

    qu elle est une vertu complte au plus haut point, parce quelle est usage de la vertu

    complte et elle est complte parce que lhomme en possession de cette vertu est capable den

    user aussi lgard des autres et non seulement pour lui-mme3 . Pour ARISTOTE,

    comme pour PLATON4, la justice est donc une vertu morale, qui participe de la

    ncessaire recherche dun quilibre entre les membres dune communaut politique.

    2. En consquence, il ntonnera gure que la justice ait vocation intervenir, de

    manire dcisive, dans toutes les activits humaines, puisque cest elle qui confre

    une porte effective5 aux dispositions lgislatives qui les gouvernent, dans un

    processus de codtermination du sens ultime de la norme. En ce sens, il y a une

    dizaine dannes, le professeur Thierry RENOUX avait mis lide que, si le XIXe

    sicle avait t celui du pouvoir lgislatif et le XXe sicle celui de lexcutif, le XXIe

    sicle serait celui de la justice6. La prvision du constitutionnaliste aixois se fondait,

    1 ARISTOTE, thique Nicomaque, Livre V, Chapitre 7. 2 Idem, Livre V, Chapitre 6. 3 Id., Livre V, Chapitre 3. 4 PLATON, La Rpublique, Livre III. 5 Dcision n 2010-39 QPC du 6 octobre 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B. [Adoption au sein d'un

    couple non mari], JO, 7 octobre 2010, p. 18154, Cons. 2 ; Dcision n 2010-52 QPC du 14 octobre

    2010, Compagnie agricole de la Crau [Imposition due par une socit agricole], JO, 15 octobre 2010,

    p. 18540, Cons. 4 ; Dcision n 2010-96 QPC du 4 fvrier 2011, M. Jean-Louis L. [Zone des 50 pas

    gomtriques], JO, 5 fvrier 2011, p. 2354, Cons. 4. 6 RENOUX T., Le pari de la justice , Pouvoirs, n 99, 2001, p. 87.

  • 14 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    la fois sur le constat de la monte en puissance de la justice dans la socit franaise7 , au

    point de devenir un objet de consommation courante8 , mais aussi sur le rle jou par

    le Conseil constitutionnel, dans lmergence dun vritable pouvoir juridictionnel9,

    alors mme que la judiciarisation constante de lactivit sociale contrastait

    singulirement avec le statut constitutionnel crit de la justice, dans le texte

    fondateur de la Ve Rpublique10.

    3. En effet, il est difficile de nier lapport de la jurisprudence constitutionnelle, dans

    laffirmation de la place centrale de la justice au sein de la Constitution, ralise grce

    la redcouverte du principe de la sparation des pouvoirs11. Il en rsulte un droit

    constitutionnel processuel en plein essor12, se manifestant principalement dans

    ltablissement dun corpus de principes directeurs du procs, expression d'une

    conception de la justice dont ce dernier est le vecteur. Afin de mettre en lumire

    lintrt de leur tude, il conviendra alors den prciser le champ ( 1.), lobjet ( 2.) et

    enfin, la problmatique gnrale ( 3.).

    7 Idem, p. 89. 8 GUINCHARD S., La justice, bien de consommation courante , tudes de droit de la consommation :

    liber amicorum Jean Calais-Auloy, Dalloz, Paris, 2003, p. 461. 9 HOURQUEBIE F., Sur l'mergence du contre-pouvoir juridictionnel sous la Vme Rpublique, Bruylant,

    Bruxelles, 2004. 10 RENOUX T., La Constitution et le pouvoir juridictionnel : De l'article 64 de la Constitution et

    l'indpendance de l'autorit judiciaire l'article 16 de la Dclaration des Droits et l'indpendance

    de la Justice , Cinquantime anniversaire de la Constitution franaise : 1958-2008, Dalloz, Paris, 2008,

    p. 293. 11 RENOUX T., L'apport du Conseil constitutionnel l'application de la thorie de la sparation des

    pouvoirs en France , D, 1991, p. 171. 12 TUSSEAU G., Plaidoyer pour le droit processuel constitutionnel , Constitutions, 2012, p. 585.

  • Introduction 15

    1. Champ de ltude

    4. Ltude sinscrit dans le cadre du procs qui, tymologiquement, vient du latin

    procedere, ce qui signifie aller de lavant . Exceptionnellement, lorigine smantique

    napporte ici que peu dlments susceptibles de cerner la notion, si ce nest lide

    dun processus en progression continue, vers une rponse apporte un problme

    donn. Toutefois, la combinaison dune dfinition formelle du procs (A) et dune

    approche fonctionnelle (B) permet de mieux circonscrire la notion dans toutes ses

    dimensions.

    A) La dfinition formelle du procs

    5. La dfinition formelle du procs met en vidence deux catgories distinctes de

    composantes, qui entretiennent entre elles un rapport dinterdpendance. Il est ainsi

    possible de distinguer, dun ct, les lments constitutifs principaux du procs (1) et

    de lautre, les lments complmentaires (2).

    1) Les lments constitutifs principaux du procs

    6. Le Vocabulaire juridique du doyen Cornu dfinit le procs comme un litige soumis

    un tribunal, une contestation pendante devant une juridiction13 . Il y aurait alors deux

    composantes irrductibles pour dcrire le procs, lune matrielle, le litige et lautre

    formelle, la procdure, insparable du fonctionnement de toute juridiction.

    13 CORNU G., Vocabulaire juridique, 8e d., P.U.F., Coll. Quadrige, Paris, 2007, p. 725.

  • 16 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    7. Le litige constitue la substance du procs, il est le diffrend port devant un tribunal

    et devenu matire du procs, une fois saisie la justice14 . Il forme llment daltrit

    identifi par le professeur Serge GUINCHARD, dans sa dfinition du procs15. Au-

    del, il est la condition fondamentale de son existence, sa quintessence en quelque

    sorte, puisquen son absence, linstance est teinte et le procs nexiste plus. Larticle

    384 du Code de procdure civile prvoit ainsi les diffrentes hypothses d'extinction

    de l'instance pour cause de disparition du litige16.

    8. La procdure est certainement la composante du procs qui illustre le mieux la

    racine tymologique du mot, puisquelle est, selon le Dictionnaire Littr de la langue

    franaise, la manire de procder en justice , cest dire lensemble des formalits qui

    doivent tre accomplies pour progresser vers la solution d'une affaire judiciaire. Elle

    est aussi un moyen de classification des procs, selon le poids respectif du juge et des

    parties dans la conduite des actes judiciaires. Mme si la doctrine processualiste

    admet, trs largement aujourdhui, que la plupart des procs revtent une nature

    mixte, la traditionnelle dichotomie, procdure inquisitoriale, dun ct, procdure

    accusatoire, de lautre, constitue toujours un moyen pdagogique de cerner la

    pondration des rles du juge et des parties dans le droulement du procs17.

    Nanmoins, quelle que soit la famille laquelle elle emprunte ses traits dominants, la

    procdure se subdivise en deux parties distinctes, laction en justice et linstance.

    9. En vertu de larticle 30 du Code de procdure civile, laction est le droit, pour

    l'auteur d'une prtention, d'tre entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou

    14 Idem, p. 498. 15 GUINCHARD S., CHAINAIS C., DELICOSTOPOULOS C.-S., DELICOSTOPOULOS I.-S., Droit

    processuel. Droit commun et droit compar du procs quitable, 5e d., Dalloz, Coll. Prcis droit priv,

    Paris, 2009. 16 En dehors des cas o cet effet rsulte du jugement, l'instance s'teint accessoirement l'action par l'effet

    de la transaction, de l'acquiescement, du dsistement d'action ou, dans les actions non transmissibles, par le

    dcs d'une partie [...] . 17 Sur la distinction, Cf AMBROISE-CASTEROT C., Procdure accusatoire/ Procdure

    inquisitoire , CADIET L. (dir.), Dictionnaire de la Justice, P.U.F., Paris, 2004, p. 1058.

  • Introduction 17

    mal fonde . Cette dfinition consacre la conception de laction en justice de

    MOTULSKY, qui la considrait comme un droit subjectif processuel, destin

    protger le droit substantiel, objet du litige18. MOTULSKY a contribu autonomiser

    la notion daction en justice, qui nest dsormais plus assimile, comme dans la

    conception romaine classique, au droit subjectif matriel dont le justiciable cherche

    obtenir la reconnaissance.

    10. Linstance est, quant elle, une notion ambivalente. Sur un plan fonctionnel, elle

    est dabord un rapport particulier qui se cre entre les acteurs du procs (les parties

    et le juge) : le lien juridique dinstance. Sur un plan matriel, elle correspond la

    succession des actes procduraux qui jalonnent le procs, depuis la demande en

    justice jusqu la solution du litige. Linstance est souvent confondue avec le procs

    lui-mme, alors quelle nest, en toute rigueur, quune phase de celui-ci, comme en

    atteste la dfinition du Vocabulaire juridique du doyen CORNU19. Pourtant,

    lassimilation est largement admise entre les deux notions, notamment par la

    doctrine. Ainsi, le Dictionnaire de la Justice du professeur Loc CADIET na pas cru

    ncessaire dincorporer une entre spcifique pour dfinir linstance, estimant

    suffisant de renvoyer dans lindex la notion de procs20 . Au regard de ces

    considrations, les deux termes seront donc indiffremment employs dans la suite

    de ltude.

    18 MOTULSKY H., Le Droit subjectif et l'action en justice , Le Droit subjectif en question - publi avec

    le concours du C.N.R.S, Ed. Topos Verlag, Vaduz, 1981, p. 215. 19 Procdure engage devant une juridiction, phase du procs , CORNU G., Vocabulaire juridique, 8e

    d., P.U.F., Coll. Quadrige, Paris, 2007, p. 555. 20 CADIET L. (dir.), Dictionnaire de la Justice, P.U.F., Paris, 2004, p. 1348.

  • 18 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    2) Les lments constitutifs complmentaires du procs

    11. ce stade, le procs pourrait donc se dfinir comme une procdure, visant

    rsoudre un diffrend qui oppose deux ou plusieurs parties. Cest videmment

    insuffisant, tant chacune des deux composantes principales doit tre complte, afin

    de correspondre aux exigences de vertu poses par ARISTOTE.

    12. En premier lieu, la procdure est tenue de satisfaire certaines exigences,

    notamment le respect des droits fondamentaux judiciaires. Le procs ne doit pas

    seulement tre organis autour de lenchanement logique dtapes procdurales,

    techniquement irrprochables, pour cristalliser les qualits attendues de la justice, en

    tant que facteur dharmonie entre les hommes21. ce titre, le procs est un rouage

    essentiel de ltat de droit. Il suffit seulement de songer quelques exemples

    historiques de simulacres de justice22, pour cerner intuitivement ce qu'il ne doit pas

    tre : le lieu et le moment d'un jugement acquis d'avance, peine dissimul derrire

    les apparences de la contradiction. En ce sens, le standard du procs quitable, dfini

    par les stipulations de larticle 6, paragraphe 1 de la Convention europenne des

    droits de l'homme, a valeur de droit fondamental23, en offrant au justiciable une

    protection juridictionnelle idoine24.

    13. En second lieu, le litige doit tre soumis lapprciation dun tiers, bnficiant

    dune certaine lgitimit aux yeux des parties. Celle-ci dcoule essentiellement de sa

    qualit, laquelle est garantie par son mode de dsignation. En effet, que le juge soit

    un magistrat appartenant un corps de ltat, recrut selon des critres de

    21 AMRANI-MEKKI S., Procs , CADIET L. (dir.), Dictionnaire de la Justice, P.U.F., Paris, 2004,

    p. 1083. 22 A titre dexemple, le procs de SOCRATE ou encore, les procs de Moscou organiss par STALINE

    entre 1936 et 1938. 23 GUINCHARD S., Le procs quitable, droit fondamental ? , A.J.D.A., n spcial juillet-aot 1998,

    p. 191. 24 Le procs quitable et la protection juridictionnelle du citoyen, colloque de Bordeaux, 29-30 septembre 2000,

    Bruylant, Coll. Union des avocats europens, Bruxelles, 2001.

  • Introduction 19

    comptences, ou quil soit directement choisi par les parties elles-mmes pour

    arbitrer leur diffrend, il doit bnficier des garanties dindpendance25 et

    dimpartialit26 ncessaires lexercice de sa fonction. Dans les deux hypothses, le

    tiers intervenant est considr comme lgitime : au regard de ses garanties

    statutaires, dans le premier cas et en raison du consensualisme qui a prsid sa

    dsignation, dans le second. Il constitue llment dautorit ncessaire la dfinition

    du procs27.

    B) La dfinition fonctionnelle du procs

    14. La dfinition formelle du procs a permis de mettre en vidence quatre

    composantes constitutives essentielles, combines deux deux : un litige, opposant

    deux ou plusieurs parties, soumis lvaluation dun tiers lgitime, lequel devra se

    conformer une procdure respectueuse des droits fondamentaux judiciaires.

    Cependant, la dfinition de tout objet doit comporter, non seulement les lments

    ncessaires lapprhension de sa nature, mais aussi les prcisions concernant sa

    fonction. Cest ainsi que pour ARISTOTE, la dfinition constitue lnonc de

    lessence28 de toute chose. De ce point de vue, le procs a une finalit bien

    dtermine au sein dune communaut politique : il est un facteur dapaisement des

    relations sociales, en mettant un terme aux diffrends entre les hommes, par

    lapplication de la rgle de droit29, dmocratiquement pense et adopte. La solution

    juridictionnelle est ainsi doublement admise par ses destinataires. Lautorit attache

    25 Cf infra n 248 et s. 26 Cf infra n 436 et s. 27 GUINCHARD S., .CHAINAIS C., DELICOSTOPOULOS C.-S., DELICOSTOPOULOS I.-S., Droit

    processuel. Droit commun et droit compar du procs quitable, op. cit. 28 ARISTOTE, Catgories, I, 1 a 1-4. 29 AMRANI-MEKKI S., Procs , CADIET L. (dir.), Dictionnaire de la Justice, P.U.F., Paris, 2004,

    p. 1088.

  • 20 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    la chose juge dcoule, la fois, de lacceptation du tribunal30 lorigine de la

    dcision juridictionnelle, mais aussi, de la lgitimit dmocratique de la norme

    applicable au litige. De surcrot, en France, les dcisions de justice sont rendues au

    nom du peuple franais31 , ce qui constitue un lment de souverainet, qui renforce

    la fois le jugement lui-mme et la lgitimit de lautorit juridictionnelle qui la

    dict32.

    15. Lassociation des lments formels et fonctionnels permet alors daboutir une

    dfinition satisfaisante du procs, parce quelle permet den rendre compte dans sa

    double dimension. Le procs, champ principal de ltude, sera donc envisag comme

    un instrument dapaisement des rapports sociaux, grce au concours dun tiers lgitime, qui

    apporte une solution un litige opposant deux ou plusieurs parties, au moyen dune

    procdure respectueuse des droits fondamentaux processuels.

    2. Objet de ltude

    16. Ltude, consacre aux principes directeurs du procs dans la jurisprudence du

    Conseil constitutionnel, conduit ncessairement prciser les notions de principe

    (A), de principe directeur du procs (B) et enfin, de principe constitutionnel (ainsi

    que de constitutionnalisation du droit) (C), qui contribuent en construire le champ

    smantique.

    30 Au sens de la jurisprudence Sramek de la Cour europenne des droits de lhomme, C.E.D.H., 22

    octobre 1984, Sramek c/ Autriche, requte n 8790/79, srie A, n 84, 36 : un tribunal se caractrise

    par sa fonction matriellement juridictionnelle, quand il lui appartient de trancher, sur la base de

    normes de droit et lissue dune procdure organise, toute question relevant de sa comptence , propos

    de l'Autorit rgionale des transactions immobilires du Tyrol. 31 Article 454 du Code de procdure civile. 32 ESPARBS V., AU NOM DU PEUPLE FRANAIS Rflexions sur lentte des dcisions de justice,

    Mmoire de D.E.A. dactyl., Paris II, 2008.

  • Introduction 21

    A) La notion de principe

    17. Les principes occupent une place centrale dans le fonctionnement des socits

    humaines et jouent un rle essentiel, dans le processus de fabrication du droit qui les

    gouverne. Le plus souvent, les juristes considrent la notion comme un postulat de

    dpart, assimil par le plus grand nombre, quil est donc inutile dexpliciter33. Les

    principes juridiques ont donn lieu de nombreux et stimulants changes

    doctrinaux34, partir desquels il est difficilement contestable quils peuvent tre

    source de perplexit thorique35. De tous les juristes stre penchs sur la question36,

    Ronald DWORKIN est sans doute celui qui a construit la thorie la plus aboutie37.

    Celle-ci vise contester les thses fondamentales du positivisme juridique, qui

    soutiennent lide de la sparation conceptuelle entre le droit et la morale38, en

    dmontrant lexistence autonome des principes en droit et leur distinction des rgles

    juridiques.

    18. Pour y parvenir, DWORKIN va adopter une dmarche intellectuelle oriente dans

    deux directions. En premier lieu, dun point de vue statique, il va dmontrer que le

    concept mme de principe possde, intrinsquement, des lments didentification

    spcifiques, qui ne peuvent tre confondus avec ceux propres aux autres normes

    juridiques (1). En second lieu, dans une approche dynamique, DWORKIN va mettre

    en exergue le rle prcis jou par les principes dans le raisonnement juridique (2).

    33 RIPERT G., Les forces cratrices du droit, L.G.D.J., Paris, 1955, 132. 34 CAUDAL S. (dir.), Les principes en droit, Economica, Coll. tudes juridiques, Paris, 2008. 35 GUASTINI R., Les principes de droit en tant que source de perplexit thorique , CAUDAL S.

    (dir.), Les principes en droit, Economica, Coll. tudes juridiques, Paris, 2008, p. 113. 36 Cf BOULANGER J., Principes gnraux du droit et droit positif , Le droit priv franais au milieu

    du XXe sicle, Etudes offertes Georges Ripert, L.G.D.J., Paris, 1950, p. 51 et s. 37 En 1967, DWORKIN publie un essai The Model of Rules , qui deviendra deux chapitres ( Le

    modle des rgles I et Le modle des rgles II ) de louvrage Prendre les droits au srieux, P.U.F,

    Coll. Lviathan, Paris, 1995. 38 Lide de DWORKIN tend dmontrer que les principes non crits appliqus par les juges sont

    des principes moraux et simultanment, des principes juridiques, prcisment parce quils font

    lobjet dune pratique judiciaire.

  • 22 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    1) Les critres intrinsques didentification des principes

    19. DWORKIN a mis en vidence deux critres principaux didentification des

    principes, qui permettent de les distinguer des autres catgories normatives. Le

    premier a trait leur nature : les principes sont des normes fondamentales, en ce sens

    quils fournissent un fondement axiologique dautres normes qui appartiennent au

    mme systme juridique. Tel est le cas, quand une juridiction se rfre un principe

    pour dicter une rgle nouvelle39. Inversement, les principes, parce quils sont eux-

    mmes des axiomes indispensables lidentification du profil axiologique dun

    systme, ne ncessitent aucun fondement en amont de leur discernement40.

    20. Il rsulte de cette fondamentalit une consquence inluctable : leur nature est

    inadapte au test du pedigree, utilis par les positivistes pour distinguer les rgles de

    droit valides, de celles qui ne le sont pas, ou des rgles morales41, selon la manire

    dont elles ont t dictes. DWORKIN propose alors une autre procdure

    didentification des principes, ds lors quils sinscrivent dans la thorie du droit et

    quils fournissent aux rgles substantielles ou formelles une assise incontestable42. Il

    sagit alors de trouver dans le principe, une justification issue de la tradition morale

    ou politique et qui taye la ou les rgle(s) de droit correspondante (s)43.

    21. Le second critre, qui permet de cerner le concept de principe et de le diffrencier

    des rgles de droit, est relatif leur contenu. Structurellement indtermins, les

    principes se distinguent des rgles par deux qualits principales : limprcision et la

    39 DWORKIN R., Prendre les droits au srieux, op. cit., p. 87. 40 GUASTINI R., Les principes de droit en tant que source de perplexit thorique , CAUDAL S.

    (dir.), Les principes en droit, op. cit., p. 114-115. 41 DWORKIN R., Prendre les droits au srieux, op. cit., p. 73. 42 Idem, p. 134-137. 43 TUSSEAU G., Mtathorie de la notion de principe dans la thorie du droit contemporaine - Sur

    quelques coles de dfinition des principes , CAUDAL S. (dir.), Les principes en droit, Economica,

    Coll. tudes juridiques, Paris, 2008, p. 80.

  • Introduction 23

    dfectibilit44 . Si leur caractre gnral ne semble gure efficient pour distinguer

    les principes des rgles, en revanche, il en va autrement de leur nature imprcise45.

    En effet, celle-ci les rend inaptes pouvoir tre immdiatement et isolment

    applicables, comme proposition majeure dun syllogisme juridique, sans le relais de

    normes dexcution, qui prcisent concrtement leur mise en uvre dans la

    rsolution du litige46.

    2) Lutilisation des principes dans le raisonnement juridique

    22. Le second particularisme des principes, parmi les normes juridiques, tient la

    manire dont ils agissent au sein des rouages du droit. Leur dfectibilit , signale

    prcdemment, induit une incapacit structurelle fournir une solution univoque

    aux cas concrets, auxquels ils seraient susceptibles de sappliquer. En illustrant son

    propos avec une affaire new-yorkaise, dans laquelle une juridiction devait dcider si

    un hritier testamentaire, lorigine du dcs intentionnel du testateur, pouvait tout

    de mme bnficier de lhritage47, DWORKIN met en exergue une diffrence

    majeure entre les principes juridiques et les rgles de droit48. Le principe selon lequel

    nul ne doit pouvoir tirer avantage de sa propre turpitude , utilis par la Cour pour

    dshriter le lgataire parricide, permet seulement dorienter la dcision, mais ne

    dtermine pas les conditions directes dapplication de la consquence juridique

    correspondante, ni les exceptions quelle est mme de recevoir49. Entre les rgles et

    les principes, il y a une diffrence dautomaticit, dans les consquences qui

    dcoulent de leur mise en uvre.

    44 GUASTINI R., Les principes de droit en tant que source de perplexit thorique , CAUDAL S.

    (dir.), Les principes en droit, op. cit., p. 115. 45 CAUDAL S., Rapport introductif , CAUDAL S. (dir.), Les principes en droit, op. cit., p. 7. 46 Idem, p. 116. 47 Riggs v. Palmer 115 New York 506, 22 New England 188 (1889). 48 DWORKIN R., Prendre les droits au srieux, op. cit., p. 80. 49 Idem, p. 83-84.

  • 24 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    23. La seconde diffrence majeure de fonctionnement dans le raisonnement juridique,

    entre les rgles de droit et les principes, rside dans le mode de rsolution des

    conflits pouvant survenir entre normes juridiques. DWORKIN dmontre que les

    principes sont dots dun caractre que les rgles ignorent : la valeur, synonyme de

    poids ou dimportance50. Quand, dans le cadre du dnouement dune situation

    litigieuse, deux principes antagonistes semblent indiquer des directions opposes,

    lautorit tenue de trancher le diffrend doit procder leur pondration. Il sagit

    dune technique consistant tablir, entre les deux principes en conflit, une

    hirarchie axiologique mobile51, cest dire que le juge doit attribuer un poids

    chacun des deux, ce qui lui permettra de dterminer in fine, le principe appliquer

    dans la situation prsente52. Lopration de pondration des deux mmes principes

    pourrait, par ailleurs, dboucher sur une solution inverse, dans un cas concret

    diffrent, les principes nayant pas de valeur axiologique absolue.

    24. la diffrence des principes, les rgles de droit ne peuvent tre pondres de la

    sorte, puisquelles sont dpourvues de cette importance relative, qui sert dunit de

    mesure lvaluation comparative. En consquence, quand elles entrent en conflit,

    une seule des deux est ncessairement valide, alors que lautre ne lest pas. Le

    systme juridique rsout alors de telles difficults, grce des rgles de dnouement

    des conflits normatifs, telles que Lex specialia generalibus derogant53 , Lex posterior

    derogat priori54 ou encore, au moyen de la hirarchie des normes.

    50 Id., p 84-85. 51 GUASTINI R., Les principes de droit en tant que source de perplexit thorique , CAUDAL S.

    (dir.), Les principes en droit, op. cit., p. 118. 52 DWORKIN R., Prendre les droits au srieux, op. cit., p. 80. 53 La loi spciale droge la loi gnrale . 54 La loi la plus rcente droge la loi postrieure .

  • Introduction 25

    B) La notion de principe directeur du procs

    25. Le systme juridictionnel franais se subdivise principalement en trois grands

    types de procdures : la procdure civile, la procdure pnale et la procdure

    administrative contentieuse. Chacune delles est gouverne par des principes

    directeurs codifis, qui en dterminent les grandes orientations, les conceptions dont

    elle sinspire, lthique quelle veut incarner55 . Chacune aussi possde des traits qui lui

    sont propres et qui dpendent essentiellement de trois paramtres : la nature des

    litiges dont elle a connatre, la personnalit des acteurs qui participent au procs et

    la nature de la juridiction lorigine des dcisions56. Il en rsulte une grande

    diversit, en fonction des objectifs spcifiques poursuivis par chaque procdure57,

    mme si certaines similitudes peuvent apparatre entre procs civil et procs pnal58,

    en raison dune certaine forme dattraction exerce par les principes directeurs du

    procs civil sur la matire pnale59.

    26. En premier lieu, la procdure civile comprend un droit commun processuel,

    form par les vingt-quatre premiers articles du Code, regroups au sein du Chapitre

    1er, du Titre 1er, du Livre 1er, intitul Les principes directeurs du procs . Ces derniers

    constituent un cur de rgles primordiales, qui reclent la quintessence du procs civil60 .

    Il est possible de les classer dans deux catgories distinctes. Dun ct, les treize

    premiers articles visent essentiellement rpartir les rles entre le juge et les parties,

    tandis que de lautre, les onze dispositions suivantes sattachent surtout fournir des

    55 NORMAND J., Principes directeurs du procs , CADIET L. (dir.), Dictionnaire de la Justice,

    P.U.F., Paris, 2004, p. 1038. 56 Idem, p. 1039. 57 CADIET L., Et les principes directeurs des autres procs ? Jalons pour une thorie des principes

    directeurs du procs , Justice et droits fondamentaux : tudes offertes Jacques Normand, Litec, Paris,

    2003, p. 79. 58 VERGS E., Procs civil, procs pnal : diffrents et pourtant si semblables , D, 2007, p. 1441. 59 BUSSY F., L'attraction exerce par les principes directeurs du procs civil sur la matire pnale ,

    R.S.C., 2007, p. 39. 60 CORNU G., Les principes directeurs du procs civil par eux-mmes (fragment dun tat des

    questions) , Etudes offertes Pierre Bellet, Litec, Paris, 1991, p. 83.

  • 26 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    garanties de bonne justice61. Mais lobjectif principal, poursuivi par les principes

    directeurs du procs civil, reste la clarification et le renforcement de loffice du juge,

    ce qui traduit une rupture avec la conception traditionnelle du procs civil, dans

    laquelle le juge exerait, titre premier, la fonction darbitre62. En instaurant un

    principe de coopration entre les diffrents acteurs du procs, les rles sont

    rquilibrs, ce qui rapproche, de ce point de vue, la procdure civile de la procdure

    pnale. Elle demeure globalement accusatoire, mais intgre dans son fonctionnement

    des lments correctifs issus de la procdure inquisitoire63.

    27. En deuxime lieu, le Code de procdure pnale souvre sur un article

    prliminaire64, introduit par la loi du 15 juin 200065. Celui-ci pose trois catgories de

    principes directeurs du procs rpressif, reprenant pour partie les propositions

    nonces par la Commission Justice pnale et droits de lhomme66 , qui navaient

    pas t concrtises dans la loi rformant la procdure pnale de 199367. La premire

    catgorie de principes est consacre la procdure proprement dite, la deuxime aux

    droits des victimes dinfractions pnales et la troisime, aux droits des suspects et

    personnes poursuivies. La fonction principale de ce corpus de principes directeurs

    est dintroduire en droit interne, au sein dune lgislation codifie, lessentiel des

    rgles fondamentales du procs quitable, telles quelles sont dfinies dans larticle 6

    61 NORMAND J., Principes directeurs du procs , op. cit., p. 1040. 62 Ibidem. 63 BUSSY F., L'attraction exerce par les principes directeurs du procs civil sur la matire pnale ,

    op. cit., p. 40. 64 Si loption choisie a t celle de les noncer dans un article prliminaire, la raison est simplement

    pratique, sans porte symbolique particulire. Il sagissait seulement dviter de renumroter les

    articles du Code de procdure pnale, puisque ces principes ny ont pas t introduits dans le

    cadre dune refonte globale. 65 Loi n 2000-516 du 15 juin 2000 renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits

    des victimes, JO, 8 juillet 2000, p. 10323. 66 La Commission Justice pnale et droits de lhomme , institue par arrt de M. Pierre

    ARPAILLANGE, ministre de la Justice, le 19 octobre 1988, a prsent plusieurs tudes, parmi

    lesquelles une consacre aux principes directeurs de la lgislation pnale. 67 Loi n 93-2 du 4 janvier 1993 portant rforme de la procdure pnale, JO, 5 janvier 1993, p. 215.

  • Introduction 27

    de la Convention europenne des droits de lhomme et interprtes par la Cour de

    Strasbourg.

    28. Enfin, en troisime lieu, le Code de justice administrative, promulgu le 4 mai

    200068, souvre sur un Titre prliminaire qui, en onze articles, numre ce quil

    convient de qualifier de principes directeurs du procs administratif, mme si le

    Code ne le mentionne pas explicitement69. Ces derniers dfinissent les caractres

    majeurs de la procdure administrative contentieuse, en procdant de manire

    chronologique, chacune des tapes processuelles tant vise par un article

    (instruction70, dbats71, dlibr72, jugement73). Formuls de manire apparemment

    technique et objective, ces principes nen traduisent pas moins les orientations

    principales de la procdure administrative et ses fondements axiologiques, domins

    par la justice et lquit74.

    29. Malgr toute la diversit qui vient dtre constate entre les principes directeurs

    des trois procdures, il nest pas interdit de sinterroger sur ce qui pourrait,

    lavenir, constituer une forme de noyau dur des principes mergents du procs.

    Le professeur Serge GUINCHARD, qui sest pli lexercice, identifie trois grandes

    normes processuelles qui forment, selon lui, les principes directeurs du procs : la

    loyaut procdurale, le dialogue et la clrit75. Aussi intellectuellement sduisante

    que soit la dmarche, elle nen comporte pas moins certaines faiblesses, tant la

    68 Ordonnance n 2000-387 du 4 mai 2000 relative la partie Lgislative du code de justice

    administrative, JO, 7 mai 2000, p. 6904. 69 Par ailleurs, un manuel rcent de droit administratif, GONOD P., MELLERAY F. et YOLKA P.,

    Trait de droit administratif, Dalloz, Coll. Traits Dalloz, Paris, 2011, intitule un chapitre entier de

    louvrage Les principes directeurs du procs administratif . 70 Code de justice administrative, article 5. 71 Idem, article 6. 72 Id., article 8. 73 Id., article 9. 74 GONOD P., MELLERAY F. et YOLKA P., Trait de droit administratif, t. 2, op. cit., p. 551. 75 GUINCHARD S., Quels principes directeurs pour les procs de demain ? , Mlanges Jacques Van

    Compernolle, Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 201.

  • 28 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    prsence de tel ou tel principe varie, tout de mme, considrablement dune

    procdure lautre. La clrit, pour ne citer quelle, semble ainsi plutt mal adapte,

    un procs aux enjeux aussi lourds de consquences humaines que le procs pnal.

    30. Il parat donc plus raisonnable de conclure que la codification des principes

    directeurs du procs, en dpit des rapprochements observs entre les diffrentes

    procdures, ne permet pas de dgager un socle processuel commun. Cela ne saurait

    surprendre, dans la mesure o chaque codification a t ralise de manire

    autonome, en considration des seuls objectifs propres la procdure concerne. En

    revanche, ce droit processuel commun dcoule de la jurisprudence constitutionnelle,

    facteur dunification du droit du procs, qui en a pos les fondements en droit

    interne.

    C) La notion de principe constitutionnel et de constitutionnalisation

    du droit

    31. Les principes, que le juge constitutionnel dgage et quil rige au sommet de la

    hirarchie des normes, composent un corps de normes processuelles ayant, pour la

    plupart, vocation sappliquer toutes les procdures76. Ainsi, cette

    constitutionnalisation du droit processuel77 aboutit un droit commun du procs,

    dont il faut prciser la gense, mais aussi les incertitudes qui ont prsid son

    laboration.

    32. La constitutionnalisation du droit est un phnomne se manifestant par

    linfluence de la Constitution et de la jurisprudence constitutionnelle, sur une ou

    76 GUINCHARD S., Retour sur la constitutionnalisation de la procdure civile , Le juge entre deux

    millnaires : mlanges offerts Pierre Drai, Dalloz, Paris, 2000, p. 358. 77 Lexpression est utilise pour la premire fois par Serge GUINCHARD, dans ldition 1991 du

    prcis Dalloz de procdure civile.

  • Introduction 29

    plusieurs branches du droit, qui se colorent ainsi daspects constitutionnels78. Cette

    imprgnation de l'ordre juridique par la jurisprudence constitutionnelle a d'abord t

    observe par le professeur Michel FROMONT79 (au sujet de lAllemagne Fdrale)

    travers le prisme de la thorie des droits fondamentaux, avant d'tre analyse et

    systmatise par le Doyen FAVOREU concernant le cas franais, qui a d au dpart

    dfendre jusqu' l'existence du phnomne, que nul, ou presque, ne songerait

    raisonnablement contester aujourd'hui80.

    33. Louis FAVOREU dcrivait le processus de constitutionnalisation du droit comme

    se droulant en deux temps81. La premire tape consiste en une accumulation de

    normes constitutionnelles, favorise par lextension des sources de la Constitution,

    suite la dcision du 16 juillet 1971, Loi compltant les dispositions des articles 5 et 7 de la

    loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association82 et par llargissement de la saisine

    du Conseil constitutionnel en 197483. La seconde tape repose ensuite sur la diffusion

    de ces normes dans lordre juridique, par le canal de larticle 62 de la Constitution84.

    Grce la technique des rserves dinterprtation, cest non seulement la chose juge,

    mais aussi la chose interprte, qui simposent aux pouvoirs publics et toutes les

    78 MOLFESSIS N., L'irrigation du droit par les dcisions du Conseil constitutionnel , Pouvoirs,

    n 105, 2003, p. 89. 79 FROMONT M., Les droits fondamentaux dans l'ordre juridique de la Rpublique Fdrale

    d'Allemagne , Recueil d'tudes en hommage Charles Eisenmann, Editions Cujas, Paris, 1975, p. 49. 80 FAVOREU L., Lapport du Conseil constitutionnel au droit public , Pouvoirs, 1980, n 13, p. 17 ;

    L'influence de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les diverses branches du droit ,

    Itinraires : tudes en l'honneur de Lo Hamon, Economica, Paris, 1982, p. 235 ; La

    constitutionnalisation du droit , L'unit du droit : mlanges en hommage Roland Drago, Economica,

    Paris, 1996, p. 25. 81 FAVOREU L., La constitutionnalisation du droit , op. cit., p. 28 et s. 82 Dcision n 71-44 DC du 16 juillet 1971, Loi compltant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi

    du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, JO, 18 juillet 1971, p. 7114. 83 Loi n 74-904 du 29 octobre 1974 portant rvision de l'article 61 de la Constitution, JO, 30 octobre

    1974, p. 11035. 84 DRAGO G., L'excution des dcisions du Conseil constitutionnel : l'effectivit du contrle de

    constitutionnalit des lois, Economica/P.U.A.M., Coll. Droit public positif, Paris, Aix-en-Provence,

    1991, p. 26.

  • 30 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    autorits administratives et juridictionnelles85, dautant que l'autorit des dcisions

    vises par cette disposition s'attache non seulement leur dispositif mais aussi aux motifs qui

    en sont le soutien ncessaire et en constituent le fondement mme86 . Si certains auteurs

    ont pu mettre des doutes sur lautorit des dcisions du Conseil constitutionnel,

    strictement limite au texte lgislatif examin87, il nen demeure pas moins que le

    Conseil dtat88, comme la Cour de cassation89 ont expressment reconnu tre lis par

    la jurisprudence constitutionnelle et ont considr devoir faire une application de la

    loi, conforme linterprtation donne par le juge constitutionnel. Louis FAVOREU a

    dailleurs fait la dmonstration, que labsence de mcanisme, permettant dassurer le

    respect des dcisions du Conseil constitutionnel, ne fait pas obstacle la rception de

    sa jurisprudence par les juridictions ordinaires90.

    34. Cette irrigation par la Constitution a atteint progressivement toutes les branches

    du droit. Le droit processuel ne pouvait donc chapper au phnomne et ce dautant,

    que la procdure est bien souvent la condition de la mise en uvre d'autres droits, le

    procs, le lieu et le moment le plus propice leur reconnaissance ou leur

    rtablissement. Les rgles rgissant la procdure pnale, la procdure civile et la

    procdure administrative contentieuse ont ainsi progressivement pris racine dans le

    texte mme de la Constitution et ont acquis un statut constitutionnel, grce au

    dveloppement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ce dernier a alors fait

    85 Sur lensemble de la question : DI MANNO T., Le juge constitutionnel et la technique des dcisions

    interprtatives en France et en Italie, Economica, Coll. Droit public positif, Paris, 1997 ; DISANT M.,

    L'autorit de la chose interprte par le Conseil constitutionnel, L.G.D.J., Coll. Bibliothque

    constitutionnelle et de science politique, Paris, 2010 ; VIALA A., Les rserves d'interprtation dans la

    jurisprudence du Conseil constitutionnel, L.G.D.J., Coll. Bibliothque constitutionnelle et de science

    politique, Paris, 1999. 86 Dcision n 62-18 L du 16 janvier 1962, Nature juridique des dispositions de l'article 31 (alina 2)

    de la loi n 60-808 du 5 aot 1960 d'orientation agricole, JO, 25 fvrier 1962, p. 1915, Cons. 1. 87 MOLFESSIS N., L'irrigation du droit par les dcisions du Conseil constitutionnel , op. cit., p. 98. 88 C.E., Ass., 20 dcembre 1985, S.A. Etablissements Outters, n 31927, Rec. p. 382 ; D, 1986, p. 283, note

    FAVOREU L. ; C.E., Ass., 11 mars 1994, S.A. La cinq, n 115052, Rec. p. 118. 89 Cass., Ass. pln., 10 octobre 2001, Breisacher, pourvoi n 01-84922, Bull. crim., 2001, n 206, p. 660 ;

    D, 2001, p. 3365, note FAVOREU L. 90 FAVOREU L., La constitutionnalisation du droit , op. cit., p. 32.

  • Introduction 31

    merger, non sans un certain mrite, tant le texte constitutionnel est pauvre en

    matire de dispositions processuelles, des principes judiciaires fondamentaux,

    formant un vritable droit constitutionnel processuel91, qui coexiste dans l'ordre

    juridique interne avec le droit au procs quitable, dvelopp par la Cour

    europenne des droits de lhomme92.

    35. Le professeur Serge GUINCHARD est le premier avoir relay les thses de

    Louis FAVOREU, dans le domaine du droit processuel, en mettant en vidence

    lemprise des droits fondamentaux sur cette matire, ce que le Doyen aixois nommait

    la constitutionnalisation-transformation93 , pour dcrire les effets de limprgnation

    de lordre juridique, par les droits et liberts constitutionnels94. Serge GUINCHARD a

    ainsi dmontr lmergence dun vritable droit processuel constitutionnel,

    englobant tant la matire pnale que civile, mme si cest dans ce domaine que la

    constitutionnalisation suscite les rticences les plus vives. Le professeur Bernard

    BEIGNIER, par exemple, va mme jusqu qualifier de mythe , le phnomne

    dimprgnation de la procdure civile par le droit constitutionnel95.

    36. Largument majeur, utilis par les dtracteurs du phnomne de

    constitutionnalisation de la procdure civile, rside dans la nature essentiellement

    rglementaire des normes qui rgissent cette matire, laquelle fait obstacle au

    91 SCHMITTER G., La constitutionnalisation du droit processuel, Thse dactyl., Aix-Marseille III, 1994. 92 Aussi souvent que ncessaire, des valuations comparatives, entre les deux jurisprudences, seront

    effectues au cours de ltude. Elles dmontreront, de manire assez manifeste, que les similitudes

    lemportent sur les divergences, ce qui ne saurait surprendre, tant la conception des liberts, par

    chacune des deux juridictions, nest gure loigne, Cf ANDRIANTSIMBAZOVINA J., La

    conception des liberts par le Conseil constitutionnel et par la Cour europenne des droits de

    lhomme , Cahiers du Conseil constitutionnel, 2011, n 32, p. 19. 93 FAVOREU L., La constitutionnalisation du droit , L'unit du droit : mlanges en hommage Roland

    Drago, op. cit., p. 37. 94 GUINCHARD. S., La constitutionnalisation du droit processuel , Cinquantime anniversaire de la

    Constitution franaise : 1958-2008, Dalloz, Paris, 2008, p. 459. 95 BEIGNIER B., Procdure civile et droit constitutionnel , FRANCOIS B. et MOLFESSIS N. (dir.),

    La lgitimit de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, colloque de Rennes, 20 et 21 septembre 1996,

    Economica, Coll. Etudes juridiques, Paris, 1999, p. 157.

  • 32 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    contrle de constitutionnalit dvelopp par le Conseil constitutionnel96. Nanmoins,

    le professeur GUINCHARD dmontre quil est rducteur de construire la base de son

    argumentation autour de la seule rpartition des comptences, entre les articles 34 et

    37 de la Constitution97, dautant que lempitement du lgislateur sur le domaine

    rglementaire est potentiellement illimit98. Il en conclut que labsence de contrle

    nentrane pas mcaniquement linexistence de la constitutionnalisation, puisque le

    Conseil constitutionnel dgage des principes qui ont vocation sappliquer

    lensemble des contentieux99.

    37. travers ces considrations juridiques, ce quune certaine doctrine privatiste

    dnonce, cest en ralit ce quelle peroit comme une tentative dhgmonie du droit

    constitutionnel sur lensemble des branches du droit. Les professeurs Dominique

    ROUSSEAU et Jrme ROUX avancent quelques arguments, pour tenter dexpliquer

    ces ractions, qui proviennent manifestement dun malentendu100. Il nest nullement

    contestable que les diffrentes branches du droit ont dvelopp leurs propres

    concepts, avant que le droit constitutionnel, dapparition plus rcente, ne prenne

    lessor quon lui connat aujourdhui. Il nest pas davantage douteux quil existe des

    principes fondamentaux de procdure civile101, qui peuvent mme inspirer le Conseil

    constitutionnel, afin de les riger en principes communs pour lensemble des

    contentieux102. Il nen demeure pas moins que la hirarchie des normes incline plutt

    96 BEIGNIER B., Procdure civile et droit constitutionnel , op. cit., p. 158 ; MOLFESSIS N., La

    procdure civile et le droit constitutionnel , Le nouveau Code de procdure civile : vingt ans aprs,

    Actes du colloque des 11 et 12 dc. 1997, La documentation franaise, Paris, 1998, p. 249. 97 GUINCHARD S., Retour sur la constitutionnalisation de la procdure civile , op. cit., p. 358. 98 Dcision n 82-143 DC du 30 juillet 1982, Loi sur les prix et les revenus, notamment ses articles 1, 3

    et 4, JO, 31 juillet 1982, p. 2470. 99 GUINCHARD S., Retour sur la constitutionnalisation de la procdure civile , op. cit., p. 358. 100 ROUSSEAU D. et ROUX J., Droit constitutionnel processuel , J.-Cl. adm., fasc. 1455, 1999, p. 3. 101 BEIGNIER B., Hirarchie des normes et hirarchie des valeurs - Les principes gnraux du droit

    et la procdure civile , Le droit priv franais la fin du XXe sicle, Etudes offertes Pierre Catala, Litec,

    Paris, 2001, p. 156. 102 BEIGNIER B., Procdure civile et droit constitutionnel , op. cit., p. 164.

  • Introduction 33

    penser quil existe bien des bases constitutionnelles du droit processuel, sans

    quune telle proposition porte en elle sa propre contradiction103 .

    3. Dlimitation et problmatique gnrale de ltude

    38. La dfinition retenue du procs, en tant quinstrument dapaisement des rapports

    sociaux, grce au concours dun tiers lgitime, qui apporte une solution un litige opposant

    deux ou plusieurs parties, au moyen dune procdure respectueuse des droits fondamentaux

    processuels104, permet dinclure dans le domaine de ltude, trois formes particulires

    de procdures contentieuses. Larbitrage, dabord, qui rpond chacun de ces

    critres, dans la mesure o larbitre tire sa lgitimit de sa dsignation, rsultant dun

    choix commun des parties et quil est tenu, par ailleurs, de respecter les principes

    directeurs du procs civil105. Pour le reste, ses prrogatives ne diffrent gure de

    celles dun tribunal tatique106.

    39. Deux autres procdures feront lobjet dune attention particulire, car susceptibles

    de dboucher sur une dcision faisant grief son destinataire107 et pouvant heurter

    les principes dindpendance et dimpartialit de la justice108. Il sagit des procdures

    disciplinaires, ainsi que celles se droulant devant les autorits administratives

    indpendantes. Elles peuvent recevoir toutes deux la qualification de procs,

    puisquelles permettent dapporter une solution un litige, lissue dune procdure

    respectueuse des garanties processuelles. Il ny a donc aucune raison de les exclure

    103 BEIGNIER B., Hirarchie des normes et hirarchie des valeurs - Les principes gnraux du droit

    et la procdure civile , op. cit., p. 170. 104 Cf supra n 15. 105 Code de procdure civile, article 1464. 106 Code de procdure civile, articles 1442 1503. 107 GENEVOIS B., Le Conseil constitutionnel et la dfinition des pouvoirs du Conseil suprieur de

    laudiovisuel , note, Dcis. Cons. const. n 88-248 DC du 17 janvier 1989, R.F.D.A., 1989, p. 215. 108 Cf infra n 462 et s. et n 504 et s. pour les procdures disciplinaires, n 471 et s. pour les procdures

    applicables aux autorits administratives indpendantes.

  • 34 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    du domaine de ltude, dautant quelles ont permis au droit constitutionnel

    processuel de prciser et mme de renforcer, certaines exigences procdurales109.

    40. En revanche, mme sil ne sera pas totalement cart du cadre de ltude,

    puisquil est parfois susceptible de fournir des lments de rflexion utiles la

    dmonstration110, le procs constitutionnel ny sera trait que de manire subsidiaire.

    Si la pertinence juridique de la dnomination de procs , applique au contrle a

    priori de constitutionnalit des lois, peut tre discute111, nul doute que la procdure

    de question prioritaire de constitutionnalit rpond la dfinition du procs que

    nous avons retenue. Mme si la question prioritaire transmise au Conseil

    constitutionnel revt un caractre objectif112, celui-ci a rcemment eu loccasion de

    prciser quelle ntait pas un procs gnral fait une loi, lencontre de laquelle,

    nimporte quel justiciable pourrait invoquer un ventail indtermin de griefs

    dinconstitutionnalit113. Il sagit au contraire dune contestation, portant sur une ou

    plusieurs dispositions lgislatives, ncessaires la rsolution dun litige opposant

    une ou plusieurs parties114. Le professeur Dominique ROUSSEAU a ainsi dmontr

    que tous les lments constitutifs du procs taient bien runis, lors du contrle a

    posteriori de constitutionnalit des lois devant le Conseil constitutionnel115.

    109 Cf notamment leffet suspensif de lappel, n 231 et s. et lexigence de motivation des dcisions

    manant dautorits non juridictionnelles, n 960 et s. 110 Ce sera, par exemple, le cas quand il sera trait de la dlicate question de limpartialit

    fonctionnelle des membres du Conseil constitutionnel. 111 Le professeur Guillaume DRAGO, par exemple, estime quil sagit dun procs qui nen est pas

    vraiment un et quil ny a pas de vritable procs, sinon un procs fait un acte lgislatif , Quels

    principes directeurs pour le procs constitutionnel ? , Justices et droit du procs : du lgalisme

    procdural l'humanisme processuel : mlanges en l'honneur de Serge Guinchard, Dalloz, Paris, 2010,

    p. 443. 112 Idem, p. 448. 113 Dcision n 2013-334/335 QPC du 26 juillet 2013, Socit SOMAF et autre [Loi relative l'octroi de

    mer], JO, 28 juillet 2013, p. 12664. 114 Idem, Cons. 5. 115 ROUSSEAU D., Le procs constitutionnel , Pouvoirs, 2011, n 137, p. 47.

  • Introduction 35

    41. De plus, lobjet mme de ltude porte sur le droit constitutionnel processuel et

    non sur le droit processuel constitutionnel, cest dire sur lensemble des normes

    constitutionnelles qui intressent le droulement du procs116 et non sur le droit qui rgit

    les instances conduites devant et par la juridiction constitutionnelle117 . Ceci nous amnera

    donc tudier, non pas les principes directeurs du procs constitutionnel118, mais les

    principes constitutionnels directeurs du procs. La nuance nest pas que smantique

    et ne tient pas seulement au positionnement de ladjectif constitutionnel dans la

    locution nominale. Le professeur Guillaume DRAGO a identifi les principes

    directeurs du contrle de constitutionnalit119, autrement dit du procs

    constitutionnel et ceux-ci ne concident pas exactement avec les principes

    constitutionnels directeurs du procs, tels que le Conseil constitutionnel les a

    dgags120.

    42. Une fois prcis le cadre de ltude, il nous faut tablir une classification logique

    des principes constitutionnels directeurs du procs, qui soit le reflet fidle de la

    jurisprudence constitutionnelle et qui facilite sa comprhension, afin den amliorer

    la prvisibilit121. Le professeur Michel TROPER122, dans le prolongement de Charles

    116 ROUSSEAU D. et ROUX J., Droit constitutionnel processuel , op. cit., p. 3. 117 Ibidem. 118 DRAGO G., Quels principes directeurs pour le procs constitutionnel ? , Justices et droit du procs

    : du lgalisme procdural l'humanisme processuel : mlanges en l'honneur de Serge Guinchard, op. cit.,

    p. 439. 119 Ibidem. 120 La clrit de la justice et la publicit des dbats, identifies par le professeur DRAGO comme des

    principes directeurs du contrle de constitutionnalit, tant abstrait que concret, ne semblent pas

    pouvoir tre rangs dans la catgorie des principes constitutionnels directeurs du procs. Ainsi,

    dans la jurisprudence constitutionnelle, la clrit de la justice na jamais t expressment vise

    (seul le dlai raisonnable est parfois voqu, Cf infra n 169 et 170) et la publicit des dbats na

    fond quune seule dclaration dinconstitutionnalit ce jour, mme si celle-ci, concernant la

    comparution sur reconnaissance pralable de culpabilit, nest pas passe inaperue, Dcision n

    2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux volutions de la criminalit, JO, 10

    mars 2004, p. 4637, Cons. 117. 121 Pour Jean RIVERO, la systmatisation de la jurisprudence, cest dire coordonner les solutions

    particulires en un tout organis afin de les transformer en une matire intelligible , rpond une

    ncessit, Apologie pour les "faiseurs de systmes" , D, 1951, p. 99. 122 TROPER M., Les classifications en droit constitutionnel , R.D.P., 1989, p. 945 ; TROPER M. et

    HAMON F., Droit constitutionnel, 33e d., L.G.D.J., Coll. Manuels, Paris, 2012, p. 121-125.

  • 36 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    EISENMANN123, a mis en exergue les qualits attendues dune classification,

    opration intellectuelle quil distingue, en propos liminaires, du classement124. La

    classification doit permettre de distribuer, dans les diffrentes catgories, tous les

    objets du genre tudi, lesquels ne doivent pas, non plus, pouvoir tre rangs

    simultanment dans deux classes distinctes125. Afin dviter ce double cueil, le

    critre de classement ne doit pas tre trop vague126 et doit permettre une

    reprsentation binaire du phnomne tudi127. Il en rsulte que pour Michel

    TROPER, la valeur logique dune classification est suffisante, ds lors que le critre

    de distribution repose sur une proprit, lune des classes tant dfinie par cette

    proprit et lautre par la proprit contraire, cest dire par son absence128 . Les catgories

    sopposeront ainsi trait pour trait, rpondant au principe de non-contradiction129.

    43. Dans le cas prsent, il apparat dlicat de suivre les prconisations logiques du

    professeur Michel TROPER. En effet, lapplication du principe de non-contradiction

    conduit ncessairement une systmatisation dichotomique de la situation

    examine. Or, il semble difficile de classer tous les principes constitutionnels

    directeurs du procs, laide de deux critres exclusifs lun de lautre et, mme de les

    distribuer dans plusieurs catgories parfaitement disjointes. En effet, il existe entre

    les normes directrices du procs, une relation dinterdpendance qui rend cette

    forme de catgorisation malaise.

    123 EISENMANN C., Quelques problmes de mthodologie des dfinitions et des classifications en

    science juridique , Archives de philosophie du droit, 1966, n 11, p. 25. 124 La classification consiste dterminer abstraitement des catgories ou classes en indiquant une

    caractristique ou qualit que prsenteront tous les objets rangs dans cette classe alors que le

    classement est seulement laffectation dun objet une classe , TROPER M. et HAMON F., Droit

    constitutionnel, op. cit., p. 121. Pour EISENMANN, la classification est la subdivision dun genre en

    espces , Quelques problmes de mthodologie des dfinitions et des classifications en science

    juridique , op. cit., p. 31. 125 TROPER M. et HAMON F., Droit constitutionnel, op. cit., p. 122. 126 Idem, p. 123. 127 Id., p. 122. 128 TROPER M., Les classifications en droit constitutionnel , R.D.P., 1989, p. 947. 129 Ibidem.

  • Introduction 37

    44. En outre, pour Michel TROPER, une classification russie doit aussi apporter

    une indication scientifique intressante130 , cest dire, faire progresser la connaissance

    en permettant de rvler quelque phnomne cach131 ou permettre de raliser une

    conomie intellectuelle132 . Pour le dire simplement, la classification ne doit pas tre

    gratuite133. ce propos, le professeur Fabrice MELLERAY signale deux qualits qui

    lui semblent essentielles : une valeur descriptive satisfaisante et une valeur

    explicative substantielle134. Au regard de ce double objectif, le critre de

    catgorisation le plus pertinent des principes directeurs du procs, dgags par le

    juge constitutionnel, est apparu comme tant celui de lacteur du procs

    principalement concern. Il y aurait ainsi, dun ct, les principes constitutionnels

    directeurs du procs dirigs essentiellement vers le juge et de lautre, ceux orients

    principalement vers les parties. cette distinction principale, il convient alors de

    rajouter une catgorie annexe, celle des garanties procdurales qui agissent lgard

    des deux acteurs majeurs du procs, en favorisant les qualits du juge et en

    protgeant les droits des parties.

    45. Ainsi complte, la classification des principes constitutionnels directeurs du

    procs prsente alors un intrt scientifique, en rvlant une forme de gradation des

    exigences du Conseil constitutionnel, en fonction de la classe de principes envisage.

    On peut alors se demander, si la distinction mise ainsi en vidence ne pourrait pas

    concider avec la dichotomie dcouverte par DWORKIN, entre les principes et les

    130 TROPER M. et HAMON F., Droit constitutionnel, op. cit., p. 123. 131 Ibidem. 132 TROPER M., Les classifications en droit constitutionnel , op. cit., p. 950. Michel TROPER cite

    lexemple des pathologies, classes par ensemble de symptmes, afin de prescrire le traitement

    mdical correspondant la cause associe aux symptmes. 133 Michel TROPER cite ici lexemple dune classification des constitutions crites, qui serait effectue

    selon que le nombre darticles soit pair ou impair. Bien que logique, elle napporterait aucun

    lment scientifique intressant, Ibidem. 134 MELLERAY F., Essai sur la structure du contentieux administratif franais : pour un renouvellement de la

    classification des principales voies de droit ouvertes devant les juridictions comptence gnrale, L.G.D.J.,

    Coll. Bibliothque de droit public, Paris, 2001, p. 18.

  • 38 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    rgles135. De prime abord, le Conseil constitutionnel semble confondre les deux

    catgories normatives. En effet, alors quil aurait pu retenir lide dune intervention

    module du lgislateur, selon que la loi fixe les rgles ou dtermine les principes

    fondamentaux136, le juge constitutionnel a considr quil ny avait pas lieu de

    distinguer entre les deux137. Pourtant, le Conseil se rfre frquemment aux

    principes et rgles de valeur constitutionnelle138 , ce qui induit une diffrenciation

    axiologique entre les principes dun ct et les rgles de lautre. Au-del des

    apparences smantiques, il convient alors dutiliser la grille de lecture de DWORKIN,

    afin de vrifier si les normes processuelles, rvles par le Conseil constitutionnel,

    sont bien toutes le sige de principes directeurs du procs, ou si certaines nabritent

    pas plutt de simples rgles procdurales.

    46. La confrontation des deux critres principaux didentification des principes mis

    en exergue par DWORKIN, la fondamentalit et limprcision, avec les normes

    processuelles issues de la jurisprudence constitutionnelle, fait alors apparatre deux

    catgories de normes directrices du procs. La premire comprend des principes qui

    expriment lquit du procs et qui forment en droit constitutionnel positif, ce que

    Jean CARBONNIER dsignait comme tant un peu le droit naturel de la procdure139

    ou Henri MOTULSKY, les principes gnraux philosophiques140 . Exprimant lessence

    135 Cf supra n 19 et s. 136 Article 34 de la Constitution. 137 Dcision n 59-1 L du 27 novembre 1959, Nature juridique de l'article 2, alina 3 de l'ordonnance n 59-

    151 du 7 janvier 1959 relative l'organisation des transports de voyageurs dans la rgion parisienne, JO, 14

    janvier 1960, p. 442. 138 Parmi de nombreuses dcisions qui y font rfrence, Dcision n 86-207 DC du 26 juin 1986, Loi

    autorisant le Gouvernement prendre diverses mesures d'ordre conomique et social, JO, 27 juin 1986,

    p. 7978, Cons. 23 ; Dcision n 2000-439 DC du 16 janvier 2001, Loi relative l'archologie prventive,

    JO, 18 janvier 2001, p. 931, Cons. 10 ; Dcision n 2004-504 DC du 12 aot 2004, Loi relative

    l'assurance maladie, JO, 17 aot 2004, p. 14657, Cons. 45. 139 CARBONNIER J., Droit Civil, Introduction, 25e d., P.U.F., Paris, 1997, n 188. 140 MOTULSKY H., Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des droits de la

    dfense en procdure civile , Mlanges en l'honneur de Paul Roubier, t. 2 : Droit priv, proprit

    industrielle, littraire et artistique, Dalloz, Paris, 1961, p. 178.

  • Introduction 39

    mme du procs, ce sont des principes communs lensemble des procdures,

    auxquels il nest possible de droger que sous de strictes conditions141.

    47. La seconde catgorie regroupe des rgles essentiellement techniques142,

    contingentes143 , qui peuvent donc tre plus facilement cartes et sont susceptibles

    de variations selon les contentieux144. Le droit au recours juridictionnel,

    lindpendance et limpartialit de la justice, les droits de la dfense et la

    prsomption dinnocence (mme si cette dernire est rserve la matire

    rpressive145) appartiennent la premire famille, tandis que la publicit des dbats,

    la clrit de la justice146, la collgialit des juridictions et la motivation des dcisions

    composent lessentiel de la seconde.

    48. En rsum, le genre (les normes directrices du procs) se subdivise en deux-sous

    genres : les vritables principes directeurs du procs (qui comprennent les

    principes tourns vers le juge et ceux dirigs vers les parties) et les simples rgles

    procdurales directrices du procs. Une telle classification permet de prsenter

    fidlement le droit constitutionnel positif, de faciliter son apprhension et daccrotre

    la prvisibilit de la jurisprudence constitutionnelle. Lide dune diffrence de

    densit entre les normes directrices du procs, tablie selon ltendue des

    exigences et la rigueur du contrle effectu par le juge constitutionnel, ne semble

    donc pas dpourvue de toute pertinence. Malgr labsence de contrle de certaines

    141 CADIET L., Et les principes directeurs des autres procs ? Jalons pour une thorie des principes

    directeurs du procs , op. cit., p. 86. 142 MOTULSKY H., Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des droits de la

    dfense en procdure civile , op. cit., p. 178. 143 CARBONNIER J., Droit Civil, Introduction, op. cit., n 189. 144 CADIET L., Et les principes directeurs des autres procs ? Jalons pour une thorie des principes

    directeurs du procs , op. cit., p. 87. 145 Cf infra n 593 et s. 146 Mme si elles apparaissent diffrents endroits de ltude, le choix a t fait de ne pas consacrer de

    longs dveloppements individualiss, ni la publicit des dbats, ni la clrit de la justice. La

    raison en est simple : la jurisprudence constitutionnelle, sans tre totalement muette sur la

    question, est encore insuffisamment tablie sur ces deux rgles procdurales, pour pouvoir en tirer

    des enseignements dune fiabilit suffisante.

  • 40 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    dispositions, en raison de leur valeur rglementaire et le dfaut de fondements

    directs dans le bloc de constitutionnalit, le Conseil constitutionnel a russi faire

    merger un droit constitutionnel processuel cohrent. De cette initiative prtorienne,

    dcoule un corps de normes processuelles, de valeur juridique et axiologique

    variables, garantissant la fois lexistence (1re Partie) et la qualit (2nde Partie) du

    procs.

  • Lexistence du procs 41

    PPRREEMMIIRREE PPAARRTTIIEE :: LLEEXXIISSTTEENNCCEE DDUU PPRROOCCSS

    49. Dans un tat de droit, le principe cardinal consiste veiller au respect de la rgle

    de droit, travers l'intervention du juge, le mieux mme de garantir leffectivit de

    celle-ci. Cest la fonction sociale assigne au droit d'agir en justice. Le droit d'accs

    un tribunal est la proccupation prioritaire du Conseil constitutionnel, en matire de

    droit processuel, car il conditionne lexistence mme du procs. Il se subdivise en

    deux exigences complmentaires.

    50. En premier lieu, parce que le droit au juge constitue le pralable ncessaire la

    mise en uvre des autres garanties inhrentes lorganisation dun procs quitable,

    il bnficie, en droit constitutionnel franais, dune protection de mieux en mieux

    assure. Le droit dagir en justice est ainsi le rouage essentiel du procs, tel que le

    Conseil constitutionnel lenvisage et lorganise (Titre 1).

    51. En second lieu, le Conseil constitutionnel a jou un rle primordial dans le

    renforcement du droit un juge de qualit. cette fin, il a dvelopp, grce une

    relecture de la thorie de la sparation des pouvoirs147, une jurisprudence exigeante,

    oriente vers le renforcement des deux caractres essentiels du juge, consubstantiels

    lide mme de bonne justice : son indpendance et son impartialit (Titre 2).

    147 RENOUX T., L'apport du Conseil constitutionnel l'application de la thorie de la sparation des

    pouvoirs en France , op. cit., p. 169.

  • Lexistence du procs 43

    TTIITTRREE 11 :: LLEE DDRROOIITT AAUU JJUUGGEE

    52. Le droit au juge, indiffremment dsign comme le droit un recours

    juridictionnel ou le droit d'agir en justice, est le droit pour toute personne, physique

    ou morale, franaise ou trangre, d'accder la justice pour y faire valoir ses

    droits148. Le Conseil constitutionnel veille ce que loffice du juge ne soit

    exagrment entrav, ce qui conduirait inexorablement une forme de dni de

    justice149. Il admet ainsi que le lgislateur y apporte des limites, afin datteindre un

    objectif d'intrt gnral, mais la condition, apprcie strictement, qu'aucune

    atteinte substantielle ne soit porte ce droit fondamental (Chapitre 1).

    53. Si le droit au recours juridictionnel effectif bnficie dune attention particulire

    de la part du Conseil constitutionnel, il en va sensiblement autrement de son

    prolongement naturel : le droit des recours juridictionnels successifs, qui peuvent

    prendre la forme de lappel ou de la cassation. Mme si le juge constitutionnel nest

    pas indiffrent aux amnagements dont ces voies de recours font lobjet, la protection

    quil leur apporte ne prsente pas toujours toutes les garanties de bonne justice

    attendues (Chapitre 2).

    148 FAVOREU L. et RENOUX T., Le contentieux constitutionnel des actes administratifs, Sirey, Paris, 1992,

    p. 90 et s. 149 FAVOREU L., Du dni de justice en droit public franais, L.G.D.J., Coll. Bibliothque de droit public,

    Paris, 1964.

  • Lexistence du procs 45

    CCHHAAPPIITTRREE 11 :: LLEE DDRROOIITT CCOONNSSTTIITTUUTTIIOONNNNEELL AAUU RREECCOOUURRSS JJUURRIIDDIICCTTIIOONNNNEELL

    EEFFFFEECCTTIIFF

    Introduction La dcouverte progressive du fondement constitutionnel du droit

    constitutionnel au recours juridictionnel effectif

    54. Le droit au recours juridictionnel effectif, cest dire la facult relle dagir en

    justice, afin de demander un juge de statuer sur le fond dun contentieux, est une

    composante essentielle dun tat de droit. Que ce soit dans son acception formelle,

    consistant garantir le respect de la hirarchie des normes, ou dans sa conception

    substantielle, permettant la protection des droits et liberts, le rle du juge est central.

    ce titre, comme la dmontr le doyen FAVOREU, dans sa dfinition du dni de

    justice150, ltat est dbiteur dun devoir de protection juridictionnelle lgard des

    citoyens, dont le fondement rside dans le droit au juge151.

    55. Pourtant, le texte constitutionnel du 4 octobre 1958 est trangement silencieux sur

    ce point. Sans doute faut-il y voir la mfiance culturelle et sociologique des autorits

    publiques lgard des juges (mme si le pouvoir juridictionnel nest pas totalement

    absent de la lettre de la Constitution), tout autant que les considrations

    conjoncturelles ayant prsid llaboration de lacte fondateur de la Ve Rpublique.

    En effet, ces dernires amenrent le constituant prioriser ses travaux en direction

    des autorits excutives de ltat, comme en tmoigne lordre dapparition des

    pouvoirs publics dans le texte final. Cette discrtion contraste dailleurs

    ostensiblement avec les nombreuses conscrations expresses, qui jalonnent les lois

    150 FAVOREU L., Du dni de justice en droit public franais, op. cit. 151 FAVOREU L., Rsurgence de la notion de dni de justice et droit au juge , Gouverner,

    administrer, juger, Liber amicorum Jean Waline, Dalloz, 2002, p. 513.

  • 46 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    fondamentales des dmocraties europennes152. La disposition la plus protectrice,

    celle qui semble le mieux encadrer les restrictions lgislatives daccs au prtoire est,

    sans doute, larticle 24-1 de la Constitution espagnole, qui affirme que toute personne

    a le droit d'obtenir la protection effective des juges et des tribunaux pour exercer ses droits et

    ses intrts lgitimes sans, quen aucun cas, cette protection puisse lui tre refuse .

    linverse, celle dont le champ dapplication parat le moins tendu, est larticle 19-4

    de la Loi fondamentale allemande, qui nonce que quiconque est ls dans ses droits

    par la puissance publique dispose dun recours juridictionnel .

    56. Nonobstant cette prcision, lie lorigine de la violation des droits, dont on

    comprend aisment la raison historique, la plupart des dmocraties occidentales ont

    jug ncessaire de graver, au sommet de la pyramide normative, le droit de saisir une

    juridiction pour y faire valoir ses droits. Il en est de mme des principaux

    instruments internationaux de protection des liberts fondamentales, quil sagisse de

    l'article 8 de la Dclaration universelle des droits de l'homme du 10 dcembre 1948153,

    de l'article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et

    politiques du 19 dcembre 1966154 et bien entendu, de la Convention europenne des

    droits de l'homme, la plus riche en la matire puisquelle y proclame, trois reprises,

    aux articles 5, paragraphe 4155, 6 paragraphe 1156 et 13157, le droit au recours

    152 Larticle 24 de la Constitution italienne dispose qu il est reconnu chacun le droit d'ester en justice

    pour la protection de ses droits et de ses intrts lgitimes , alors que larticle 20-1 de la Constitution

    portugaise affirme, quant lui, que laccs au droit et le pourvoi devant les diffrentes juridictions sont

    facults toute personne pour la dfense de ses droits et de ses intrts lgalement protgs, indpendamment

    de ses ressources . 153 Toute personne a droit un recours effectif devant les juridictions nationales comptentes contre les actes

    violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la Constitution ou par la loi . 154 Toute personne a droit ce que sa cause soit entendue par un tribunal . 155 Toute personne prive de sa libert par arrestation ou dtention a le droit d'introduire un recours devant

    un tribunal, afin qu'il statue bref dlai sur la lgalit de sa dtention et ordonne sa libration si la dtention

    est illgale . 156 Toute personne a droit ce que sa cause soit entendue quitablement, publiquement et dans un dlai

    raisonnable, par un tribunal indpendant et impartial, tabli par la loi, qui dcidera, soit des contestations

    sur ses droits et obligations de caractre civil, soit du bien-fond de toute accusation en matire pnale

    dirige contre elle .

  • Lexistence du procs 47

    juridictionnel158. Nanmoins, dans aucune des trois hypothses vises par le texte

    humanitaire europen, la conscration du droit de saisir la justice ne revt une porte

    gnrale, puisque dans le premier cas, seules les privations arbitraires de libert sont

    protges, alors que dans le troisime, le recours effectif vise uniquement les droits et

    liberts reconnus dans la Convention. Mme le droit conventionnel au procs

    quitable (et les garanties laccompagnant), qui induit ncessairement laccs au juge

    afin de pouvoir en bnficier159, ne trouve matire sappliquer quen cas de

    contestations sur ses droits et obligations de caractre civil ou daccusation en matire

    pnale160 .

    57. Lhistoire constitutionnelle franaise, de son ct, laisse apparatre une seule

    vritable incursion, brve et provisoire (voire seulement virtuelle), du droit dagir en

    justice. Il sagit de larticle 11 du projet de Constitution du 19 avril 1946161, rejet par

    rfrendum le 5 mai 1946, ce qui priva dune part, le droit au recours juridictionnel

    dacqurir valeur de droit positif et, dautre part, la nouvelle Dclaration des droits de

    l'homme de 1946, de constituer un lment potentiel du futur bloc de

    constitutionnalit. Le droit franais na pourtant jamais vraiment occult cette notion,

    puisquil consacre lexistence dun recours juridictionnel appropri, comme lun des

    lments fondateurs de lordre juridique nouveau, tel quissu de la rvolution,

    157 Toute personne dont les droits et liberts reconnus dans la prsente Convention ont t viols, a droit

    l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors mme que la violation aurait t commise

    par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles . 158 COSTA J.-P., Le droit un tribunal et ses limites, selon la jurisprudence de la Cour E.D.H. ,

    Mlanges en l'honneur de Jean Buffet : la procdure en tous ses tats, Petites affiches d., 2004, p. 159 ;

    LAMBERT P., Le droit daccs un tribunal dans la Convention europenne des droits de

    lhomme , Le procs quitable et la protection juridictionnelle du citoyen, colloque de Bordeaux, 29-30

    septembre 2000, op. cit., p. 57. 159 C.E.D.H., 21 fvrier 1975, Golder c/ Royaume-Uni, requte n 4451/70, srie A, n 18, A.F.D.I., 1975,

    p. 330, note PELLOUX R., 35. 160 Conv. E.D.H., article 6, 1. Sur le champ dapplication du droit de la Convention europenne, Cf

    SUDRE F., Les grands arrts de la Cour europenne des Droits de l'Homme, 5e d., P.U.F, Coll. Thmis,

    Paris, 2009, p. 218. 161 La loi assure tous les hommes le droit de se faire rendre justice et l'insuffisance des ressources ne saurait

    y faire obstacle .

  • 48 Les principes directeurs du procs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    comme en tmoigne le prambule de la Dclaration de 1789162. Faute denracinement

    constitutionnel direct dans le texte de 1958, le Conseil constitutionnel dut chercher

    un fondement autonome, soit parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois

    de la Rpublique163, soit parmi les dispositions crites de la Dclaration des droits de

    l'homme et du citoyen164, comme ly incitait avec constance la doctrine, tant

    processualiste que constitutionnaliste165.

    58. Dans la premire catgorie, deux dispositions lgislatives majeures peuvent servir

    dcrin la reconnaissance dun principe fondamental reconnu par les lois de la

    Rpublique, mme si une certaine rticence historique simpose concernant la

    seconde. Dabord, larticle 4 du Code civil, qui proscrit toute forme dabstention du

    juge, dans son devoir de trancher les litiges ports devant son office et qui, par l-

    mme,