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L’Imitation de la Sainte Vierge, Dans un abrégé de sa Vie, de ses
Vertus, et des Mystères que l’Église célèbre en son honneur
Père Francisco Arias (1533-1605) S. J., trad. P. Joseph de Courbeville
(1668-1715) – Ed. 1767
L’IMITATION DE L A SAINTE VIERGE
CHAPITRE PREMIER. De l’Humilité de la Sainte Vierge
L’HUMILITE est si nécessaire dans la vie Chrétienne, que par elle il ne
peut y avoir nulle vraie vertu. D'ailleurs il est difficile d'acquérir
l'humilité, que l'on ne parvient à être sincèrement humble, dit Saint
Grégoire, qu’après avoir dompté le plus opiniâtre ennemi de notre
salut, qui est l'orgueil. Pour arriver donc à cette vertu dont Jésus-
Christ qui en est le souverain modèle, nous a si souvent fait voir la
nécessité, aidons nous des exemples que sa sainte Mère nous en a
laissé ; méditons-les ces exemples, et essayons de les suivre autant
qu'il est en nous avec la grâce de son Fils. L'esprit d’humilité, dit Ste
Dorothée c'est de ne faire nul cas de soi, et de se regarder comme
une chose vile et méprisable. Car l'homme humble, juge de soi par
deux endroits ; par ce qu'il est de lui-même, c’est-à-dire, le néant où
il serait encore, si Dieu ne l'en avait tiré ; parce qu’il est capable de
faire ; c’est-à-dire, des péchés innombrables, si Dieu l'abandonne à sa
faiblesse. L’humble de cœur, dit Saint Bernard, et après lui Albert le
Grand, se méprise lui-même, et désire d'être méprisé de tous : il se
méprise, non seulement par rapport à son état présent, mais par
rapport aussi à ce qu'il deviendrait, si la main puissante de Dieu
cessait ; ou de le protéger dans les périls continuels qui le menacent,
ou de les écarter de lui : vias iniquitatis amove a me. Ce même esprit
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d'humilité, la sainte Vierge l’eut à un degré parfait. Ce n'est pas à
dire néanmoins qu'elle ne connût en elle les dons célestes ; car une
âme humble, bien loin de s'interdire les réflexions sur les faveurs
qu'elle a reçues du Seigneur, lui en rend sans cesse des actions de
grâces. Ce n'est pas à dire non plus que Marie s’humilia, se méprisa
ainsi que l'on fait plusieurs grandes Saintes, qui se regardaient
comme les plus grandes pécheresses ; elle savait que seule privilégiée
entre tous les enfants d'Adam, elle ne reçut ni la flétrissure de leur
origine, ni n’en contracta les suites. Elle se méprisait donc et
s'anéantissait devant Dieu à ces réflexions qui ne la quittaient point ;
à savoir que de toute éternité elle n'était rien ; que le Tout-puissant
l'avait tirée du néant préférablement à tant d’autres qui y resteront à
jamais, qu'il l'avait prévenue de ses bénédictions les plus singulières,
sans qu'elle les eût méritées , qu'elle n'était qu'une chétive créature,
issue d'un père criminel de lèse-majesté divine, que tout bien lui
venait de la bonté du Très-haut , et qu'elle était susceptible de tout
mal, s'il ne l'en avait préservée. Qu'un scélérat converti à Dieu, dit St
Bernard, et arrivé enfin par un enchaînement de grâces puissantes au
comble de la sainteté, ne présume jamais de soi, renvoie au Seigneur
toute la gloire des biens spirituels qu'il possède, et s'humilie en tout
généralement ; c'est une vertu très rare : mais que Marie aussi pure
que l'astre du jour, élevée au-dessus des Anges mêmes, ne pense à sa
haute dignité que pour s’abaisser davantage, c'est un prodige
d'humilité. Ces bas sentiments qu'elle avait d'elle se manifestèrent
lorsque l'Ange Gabriel lui apparut dans sa retraite : l'Envoyé du Ciel
lui annonce qu'elle est choisie pour être la Mère du Fils de Dieu,
qu'elle serait désormais l’Epouse du Saint Esprit et qu'elle et le Père
Eternel, auront le même Fils. A ces titres sublimes, que répond
Marie ? Elle se ravale jusqu'à l'état le plus méprisé dans le monde,
jusqu'à la condition de simple servante : Ecce ancilla. Étonnante
humilité s'écrie Saint Ambroise ! Humilité inouïe, digne de toute
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admiration : Marie distinguée par une prérogative si inespérée, si
inattendue, et qui la met si hors de pair avec toutes les autres
créatures, ne se regarde que comme une servante, laquelle est
obligée d'obéir aux ordres de son maître : Ecce ancilla. C'est dans les
mêmes sentiments qu'elle dit en son Cantique : Mon âme glorifie le
Seigneur, elle est transportée d'une sainte joie, en pensant à la bonté
de Dieu mon Sauveur. Car il a bien voulu arrêter les yeux sur la
bassesse de sa servante : c’est pour cela que dans tous les siècles à
venir on exaltera mon bonheur. Marie ne voit ici en elle que sa propre
bassesse sans aucun mérite : et en Dieu elle reconnaît que tout est
miséricorde, grâce, faveur, libéralité pour elle : Fecit mihi magna, qui
potens est.
II. Se refuser intérieurement aux louanges, c'est un effet de l'humilité
; comme au contraire les ambitionner est un effet de l'orgueil, dit
Saint Augustin. Les bons, ajoute St Grégoire, s'attristent de la gloire
qui leur vient des hommes ; et les méchants s'en applaudissent. La
Sainte Vierge fut un modèle accompli du caractère des premiers. Un
Ange la salue avec un respect profond, la nomme pleine de grâce,
remplie du Seigneur, bénite entre toutes les femmes ; et elle surprise
de ces éloges dont elle se juge tout à fait indigne, se trouble, rentre
en elle même, et ne s'occupe que de la pensée d'où lui peut venir
une ambassade qui ne saurait lui convenir. C'est une chose
remarquable que ce trouble qui ne diminue point sa présence
d'esprit, ni n'altère en aucune façon la paix de son cœur, qui n'a
d'autre fruit qu'un humble recueillement, durant lequel elle s’adresse
au Seigneur, pour connaître et exécuter les volontés sur elle :
humilité profondément enracinée, qui dans une occasion critique, de
quelque côté qu'elle la considère, pense d'abord à réclamer le
secours du Ciel.
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Un autre exercice intérieur de la vertu de l’humilité, et qui est le
principal de tous, c'est d'attribuer à Dieu tout bien ; de souhaiter et
de faire en sorte que la gloire lui en revienne aussi totalement qu'elle
lui est due. La Sainte Vierge exerça cet acte d'humilité avec une
grande pureté et avec une grande perfection. De tous les avantages,
soit de la nature, soit de la grâce dont elle était enrichie elle en faisait
une espèce de restitution à Dieu, à qui elle croyait avec sincérité en
être pleinement redevable : son cœur brûlait du désir et quiconque la
voyait, quiconque la connaissait, louât sans attention à elle, le
Seigneur qui l'avait remplie de ses dons. Et en effet, inspirée de
l'Esprit Saint, Elisabeth félicite Marie sa cousine, sur sa dignité de
Mère de Dieu : elle exalte l’efficace merveilleuse de sa parole, qui
s'est à peine fait entendre à elle de l'Enfant qu'elle porte dans son
sein en tressaille de joie ; elle admire la grandeur de sa foi, source de
son bonheur : Beata quæ credidisti, c’est-à-dire l’élève au-dessus de
toutes les autres femmes, parce que l’enfant qu’elle doit mettre au
monde sera le salut du genre humain, perdu par le péché du premier
homme. Eloges aussi vrais qu'ils sont magnifiques, auxquels Marie
réplique par un cantique de louange au Seigneur - magnificat anima
mea Dominum. C’est comme si elle disait : Vous m’exaltez, Elisabeth,
par les titres les plus augustes ; et moi j’adore le Seigneur à qui toute
la gloire appartient : vous êtes surprise que je vienne chez vous ; et
moi je suis étonnée que le Tout-puissant daigne opérer en moi des
merveilles incompréhensibles : Vous me félicitez, parce qu'au seul
son de ma voix, votre enfant tressaille d'allégresse ; et moi, je suis
ravie de joie dans la considération des miséricordes de Dieu mon
Sauveur : Vous me louez d'avoir crû, et vous me dites que pour cela
les divines promesses qui m'ont été faites s'accompliront en moi, et
moi je suis convaincue que toutes les générations m'appelleront
bienheureuse, parce que le Seigneur a jeté un regard de bonté sur la
moindre de ses servantes. On comble de louanges la Sainte Vierge,
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dit St Bernard ; mais ces mêmes louanges, elle les convertit en celles
du Seigneur de qui elle a tout reçu. Aussi l'humilité fut-elle la
première vertu à laquelle Marie s’appliqua : dès son enfance, dit
sainte Mechtilde l'une de ses plus parfaites imitatrices, elle avait de
si bas sentiments d'elle-même que sans qu'elle y réfléchit, ils
paraissaient dans toutes ses actions, dans toutes ses paroles, dans
toute sa personne. Mais cette vertu monta à son plus haut degré,
après qu'elle eut conçu et a mis au monde le Fils de Dieu : elle se
rappelait continuellement à l'esprit que l'Eternel qu'elle avait porté
neuf mois en son sein, était là dans le dernier état : l'humiliation ; elle
se rappelait tous les anéantissements de ce Dieu Sauveur, tous les
traitements ignominieux, qu'il avait soufferts, et dont elle avait été
témoin pendant trente trois ans ; l'exemple d'un tel Fils perfectionna
l'humilité de la Mère, au point qu'elle mérita d'être exaltée au-dessus
des chœurs des Anges, conformément à ces paroles de l'Evangile :
Qui se humiliat, exaltabítur.
III - Les actes extérieurs d’humilité naissent des intérieurs, comme
les effets de leurs causes, dans les personnes qui marchent en vérité
devant Dieu. Considérons donc attentivement ces mêmes actes
extérieurs, afin de connaître de plus en plus l'humilité de la Sainte
Vierge, et d'en imiter autant que cela se peut, la pratique. C’est le
caractère des hommes humbles, dit Albert le Grand, d'exercer
volontiers les plus abjectes fonctions de la vie, de les aimer, de les
rechercher ; de fuir le faste et la vanité, d'être simple, modeste et
pauvre, même en tout généralement. La Sainte Vierge, dès l'âge de
trois ans présentée au Temple où elle demeura jusqu'à treize ans,
employait à des ouvrages des mains, à filer du lin, de la laine, de la
soie pour l'ornement de l'Autel, et pour l'usage des Prêtre, employait,
dis-je, à ces œuvres manuelles tous les moments que ses longs
entretiens avec Dieu lui laissaient libres. Ensuite ayant épousé Saint
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Joseph, elle lui tenait lieu d'une simple domestique qui le servait
comme à gages, qui avait soin de la propreté de la maison, et de leur
nourriture la plus commune et la plus frugale. Il fallait encore que son
assiduité au travail propre de son sexe, égalât celle de son cher
époux, dont le métier ne suffisait pas pour les faire subsister l'un et
l'autre : car St Joseph pauvre par choix, était l'artisan le moins
intéressé pour le salaire de ses peines. Mais ce travail humiliant
augmenta beaucoup durant les sept années qu'ils demeurèrent
bannis en Egypte, où ils s'enfuirent dépourvus de tout : il leur en
coûta bien des sueurs pour s'établir là, sur le pied même qu'ils
étaient en leur propre pays. Saint Basile dans ses constitutions
monastiques parle de ce surcroit de misère que la Sainte Vierge et
Saint Joseph eurent à Souffrir, ainsi qu'il arrive à des pauvres qui sont
étrangers, et qui ne vivent que du travail de leurs mains. Et il ne faut
pas douter, ajoute ce même Père, que Jésus ne secondât alors ses
parents, autant que son âge tendre et faible le comportait. A l’égard
du vêtement, c’est tout dire, que la Sainte Vierge était vêtue d'une
manière conforme à son état de pauvreté extrême. Saint Epiphane
très ancien et très exact Ecrivain, en parle en ces termes : les habits
de la très Sacrée Vierge étaient sans aucun ornement, sans aucune
couleur étrangère, mais de la couleur naturelle de la laine ou de lin ;
et ceci cet Auteur le confirme par la simplicité du voile qu'elle portait
sur sa tête, et que de son temps l'on conservait comme une chose
très précieuse. D'ailleurs les vrais humbles, lorsqu'ils rendent service
au prochain, ce qu'ils font bien volontiers, n'ont point égard à la
personne : ils n’examinent point si c’est un homme de condition, ou
si c'est un homme de rien car ils se croient au-dessous de tous les
autres, comme l'exprime St Paul (Phil. 2, 4). En effet, la véritable
humilité qui règle l’homme par rapport à lui-même, lui apprend à se
regarder selon ce qu'il est en soi, et par cet endroit il se juge très
méprisable ; d'autre part la charité qui règle l'homme à l'égard du
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prochain, lui apprend à regarder dans le prochain ce qu'il tient de
Dieu ; et il l'estime en son cœur par cet endroit, comme étant fort au-
dessus de lui, quel qu'il soit. Car de même que Dieu ne demande pas
nous nous méprisions, par ce que nous avons reçu de lui, mais parce
que nous avons de nous ; de même il ne nous demande pas d’'aimer
nos frères d'un amour de charité, par ce qu'ils ont reçu d'eux mêmes,
mais par ce qu'ils ont reçu de lui. Quelque saint donc que soit
l'homme humble, il se méprise dans la vue du péché qui est de lui, et
dans la vue du néant dont il a passé à l’être qui est de Dieu. Ainsi l’on
estime et l’on aime le prochain pour la perfection de son Etre, pour
l'excellence de son âme créée à l'image de Dieu, quelque misérable,
quelque scélérat qu’il puisse être d'ailleurs.
Cette humilité dans le service du prochain, la Sainte Vierge la
pratiqua envers des personnes qui lui étaient fort inférieures. Sitôt
qu'elle eut appris de l'Ange Gabriel, qu'Elisabeth avait conçu, qu’elle
était dans son sixième mois, elle partit à pied de Nazareth, à travers
les montagnes de la Judée, fit en peu de jours quarante lieues de
chemin, et se rendit à la maison de Zacharie. Elle demeura longtemps
chez sa cousine, dit St Bernard, non point pour se délasser ni pour sa
propre satisfaction, mais pour avoir soin et du ménage et de la
personne d’Elisabeth : la charité, ajoute ce saint Docteur, brûlait dans
le cœur de Marie, et son humilité parfaite l'abaissait à servir ceux qui
étaient bien au-dessous d'elle. Humilité qui n'est pas concevable.
Quoique Mère du Fils de Dieu, et distinguée par son nouveau rang,
du reste des créatures, bien loin d’exiger, bien loin d’attendre
qu'Elisabeth la vienne voir la première, elle prévient sa cousine, elle
ne saurait être rendue chez elle assez tôt : et pourquoi cette sorte de
précipitation ? Ce n'est point uniquement pour honorer Elisabeth
d'une visite, qui opérera dans elle un miracle ; C’est encore pour la
servir dans sa grossesse déjà avancée, pour veiller à ses besoins, et
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pour lui procurer tous les secours nécessaires pendant l'espace de
trois mois. Aussi Elisabeth demeure d'abord comme interdite à
l'humble démarche de Marie ; après quoi son étonnement s'exprime
en ces termes : Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et béni est
le fruit de votre ventre : d'où me vient ce bonheur que la Mère de
mon Seigneur vienne chez moi.
Vous, Vierge la gloire incomparable de tout notre sexe, vous qui avez
reçu seule plus de grâces et de bénédictions que toutes les autres
femmes ensemble, vous que toutes les nations et toutes les
générations doivent révérer comme leur Reine, vous qui avez conçu
et qui mettrez au jour le Fils du Très-haut, le Sauveur et le
Rédempteur d'Israël, vous venez vers moi, pauvre misérable
pécheresse : Ah ! C’était à moi d'aller avec empressement rendre
hommage en mon propre nom et au nom de tout Israël, à la Mère du
Créateur du Ciel et de la Terre : comment vous recevrai-je ?
Comment vous traiterai-je,-moi la Servante,-vous la Maîtresse ? Ainsi
Elisabeth témoignait son étonnement sur l'humilité de la Sainte
Vierge, qui l'avait prévenue, par une visite dont elle se jugeait très
indigne. En quels termes donc marqua-t-elle sa surprise de voir la
Mère de son Seigneur s'humilier jusqu'à la servir, dit Saint Bernard ?
Ô qu’elle eut bien plus lieu de s'étonner, qu'à l'exemple du Fils, la
Mère fut venue chez elle, non point pour être servie, mais pour servir.
C'est encore le propre des personnes humbles de s'entretenir, et de
traiter volontiers avec des pauvres, avec des gens d'une basse
condition, ou avec d'autres, quelques mépris même qu'ils soient,
surtout si la charité le demande, dit Albert le Grand. L'Epoux et
l'Epouse de Cana en Galilée étaient des gens de peu de chose et mal
à leur aise, puisque le vin leur manqua dès le milieu du repas. La
Sainte Vierge néanmoins invitée à leur noce y alla, s'entretint avec
eux des choses de Dieu, les consola, les édifia par ses manières
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pleines de douceur et affabilité. Madeleine la pécheresse, quoique
tout à fait convertie par le Sauveur, portait encore dans l'esprit de
biens des gens, comme il arrive quelque flétrissure de son premier
état. Cependant la Mère de Jésus, Marie la pureté même ne dédaigna
pas la compagnie de Madeleine pénitente : elle se trouva même près
d'elle sur le Calvaire au pied de la Croix. Exemple qui condamnait
hautement l'orgueil Pharisaïque.
Un autre effet de l'humilité, c’est que dans les assemblées où l'on se
trouve, on laisse aux autres le premier rang, et l'on se met au dernier,
autant que cela est convenable, selon les paroles de Jésus-Christ :
lorsque vous serez invité à des noces, mettez-vous à la dernière
place. L'humble Marie observa cette règle, ainsi que nous
l’apprenons de l'Historien sacré, lequel rapporte l'ordre exact des
personnes qui composaient l'assemblée dans le Cénacle. 1°. Les
Apôtres. 2°. Les Saintes Femmes. 3°. La Mère de Jésus. Cette
circonstance ne fut ni du côté de la Vierge un hasard, ni un oubli du
côté des Apôtres et des saintes Femmes, dont elle était respectée et
révérée : ce fut un choix de la part de Marie, dit St Bernard : Etant la
première de toutes les femmes, par un souverain mépris d’elle-
même, elle se mettait à la dernière place : aussi ce n'est pas sans
raison que celle qui s'était abaissée au-dessous de toutes les femmes
veuves et pénitentes, a été élevée au-dessus des Anges mêmes.
L’humilité de la sainte Vierge parut encore dans le mystère de la
Purification ; elle assista pêle-mêle avec les femmes du commun, à
cette humiliante cérémonie, quoique les termes de la Loi l'en
dispensassent positivement ; mais voici, je crois, où l’héroïne de cette
vertu se montra davantage en Marie ; ce fut à entendre, sans
s’émouvoir, les injures énormes faites à Jésus dont on la nommait en
même temps la Mère : Ce Samaritain, cet homme possédé du démon,
cet artisan, ce fils de Marie, femme d'un Charpentier, etc.
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IV. De l’humilité de la Sainte Vierge, attentive à cacher aux yeux des
hommes les grâces et les dons de Dieu, dont elle était remplie.
De même que c'est un acte d'humilité que de recevoir avec joie les
mépris et les injures ; c'en est un aussi, de dérober à la connaissance
des hommes les choses qui nous attirent leur estime et leurs
louanges ; comme sont les faveurs célestes, les illustrations divines,
certaines grâces spéciales, certains dons singuliers. Cependant ces
richesses spirituelles, il faut les déclarer ainsi que nos misères, à un
Directeur, à un Confesseur ; parce que la connaissance de toute notre
âme lui est nécessaire, et nous est utile ; d'ailleurs il est des
rencontres où l'instruction de nos frères, et l'édification demandent
que la vertu se montre au dehors à la plus grande gloire de Dieu.
Mais en toute autre circonstance, un homme vraiment humble, doit
taire et cacher les dons de Dieu. Vos saintes pratiques, les vertus que
vous exercez en particulier, dit sainte Dorothée, il faut que tout le
monde les ignore, excepté celui en qui la direction de votre amour
est confiée. La sainte Vierge observa ces règles d'humilité avec un
soin extrême, et avec une grande prudence. Elle apprend par un
Ange envoyé de la part du Seigneur, les plus sublimes mystères, et
elle reçoit de lui des éloges qui ne furent jamais donnés à aucune
créature, ces faveurs ineffables demeurent inconnues, et comme
ensevelies en elle ; Marie n'en parle à qui que ce soit, ni à Zacharie
Prêtre et son parent, ni à Elisabeth sa cousine avec laquelle elle
s'entretenait si familièrement : quoi qu'Elisabeth par une révélation
particulière eût su le Mystère du Verbe incarné, et qu'elle en félicitât
Marie, circonstance capable de l’engager à s'expliquer avec sa
cousine sur les autres merveilles ; néanmoins elle les passa sous
silence, elle se contenta de célébrer en général les louanges du
Seigneur, et la grandeur de ses miséricordes envers elle. Marie ne
déclara pas à St Joseph même le Mystère de l’Incarnation dans une
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conjoncture très délicate ; c'est lorsque ce chaste Epoux la voyant
enceinte, fût sur le point de l'abandonner ; parce qu’il ignorait le
Mystère étonnant dont Dieu n'avait pas jugé à propos de lui donner
encore la connaissance. En un mot toutes les lumières que le Très
haut lui avait confiées, elle les garda dans son cœur jusqu’'à la venue
du St Esprit, qui était le temps que Dieu avait marqué pour la
conversion de l'Univers.
La sainte Vierge cachait avec la même attention le pouvoir et le crédit
qu'elle avait auprès de son Fils, évitant d'en faire montre dans les
occasions de s'employer pour le prochain. Aux noces de Cana où le
vin manqua tout à coup, elle ne dit point à son Fils d'un ton de Mère,
que c'était à lui de suppléer à ce défaut, puisqu’'il le pouvait : elle ne
fit que se présenter à lui avec ces paroles modestes dans la bouche :
Ils n'ont point de vin. Elle se trouva très souvent en des lieux où son
Fils prêchait, opérait des miracles, recevait mille bénédictions des
peuples sur sa doctrine, sur ses œuvres, sur ses merveilles, qui
surpassaient celles des plus grands Prophètes : en ces occurrences
flatteuses, où les mères s'applaudissent même ouvertement du
mérite de leur fils, la sainte Vierge ne donna pas le moindre indice
qu'elle fût la Mère de Jésus, ou qu'elle eût sur lui quelque pouvoir ;
mais dans un humble silence, elle en écoutait les oracles, comme une
personne qui ne lui était rien. Un jour le Sauveur environné d'un
grand monde, prêchait dans la maison d'un particulier, ainsi que le
rapporte St Marc. La sainte Vierge et quelques-uns de ses parents se
rendirent à cet endroit, où Marie ayant vu une prodigieuse foule
d'Auditeurs, elle se tint dehors, sans rien dire, quelque envie qu'elle
en eût d'entendre son Fils. Et St Bernard fait à ce propos ces
réflexions sur l'humilité de la sainte Vierge : « Elle attendait dehors,
dit-il, et elle se garda bien de se déclarer la Mère de Jésus, pour qu'on
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la fit entrer dans le lieu où prêchait son Fils, et qu'on l’y plaçât avec
distinction ».
Par le même principe d'humilité, Marie ne parlait jamais de ses dons
de sagesse, d'intelligence, de conseil, qui lui avaient été départis sans
mesure. Elle savait parfaitement les saintes Ecritures et les choses
divines, tant par la voie de la révélation, que par les fréquents
entretiens avec son Fils. Mais ces lumières, elle les conservait en son
cœur, ainsi que s'exprime sur cela l'Evangile : Conservabat omnia hæc
in corde suo. Cependant après l'Ascension de son Fils au Ciel, et la
venue du Saint Esprit, Marie, dit l'Abbé Ruppert, rompit le silence sur
ces Mystères, les dévoila, les communiqua aux Apôtres, et aux
Disciples de notre Seigneur ; parce que le temps était venu pour elle
de leur en faire part.
V. Comment nous devons imiter les exemples de l'humilité de la
sainte Vierge.
Nous nous sommes assez étendus sur l'humilité, parce que cette
vertu est la racine, le fondement et la garde de toutes les autres,
dont la sainte Vierge nous a donné tant d’exemples dans l'Evangile. Il
s’agit maintenant de les imiter ces exemples, afin d'imiter par-là
Jésus-Christ même, qui nous dit : Apprenez de moi que je suis doux et
humble de cœur. Le premier moyen que nous devons employer pour
parvenir à cette vertu, c'est de la demander instamment à notre
Seigneur ; vu qu'elle est un don de lui tout gratuit. Cependant, voici
quelques considérations dont il faut nous servir, afin de nous inspirer
le mépris intérieur de nous-mêmes, le quel est comme le premier pas
pour arriver à l'humilité. Nous ne sommes de notre fonds que néant
et que péché. Notre misère est de ne pouvoir rien faire de bien sans
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l'aide de Dieu, et de tomber dans une infinité de fautes, lors même
que nous en sommes secourus...
Que devient notre corps qui fait notre principale occupation? Que
deviennent les honneurs de ce monde à la mort ? Quel jugement
Dieu porte t-il de nous alors, comparé à sa Majesté, à sa grandeur, à
sa sainteté, à sa toute puissance ? C'est par ces considérations et par
quelques autres semblables, profondément et souvent méditées, que
l'on apprend à se mépriser en soi-même, et à estimer sincèrement
tout ce que le monde méprise. De ce mépris de notre propre
personne, et de cette estime pour les choses méprisables aux yeux
des mondains, il faut passer à des actes extérieurs : afin d'imiter
l'exemple de la sainte Vierge : comme elle, chacun peut vaquer à
certaines œuvres serviles chez soi et en son particulier, faisant par
choix ce que des nécessiteux et ce que des domestiques font par
état. C'est là un très bon moyen, dit St Basile, (In Reg. Brev.) pour
acquérir l'humilité et pour s'y perfectionner. Un autre moyen dont
nous avons l'exemple en Marie, c'est le service du prochain, le service
des pauvres, le service des malades. On s’abaisse au reste à ces
fonctions, non point par un esprit de dépendance, comme un
serviteur à l'égard de son maître, mais par un esprit de charité et de
miséricorde, mais par un ardent désir de devenir parfaitement
humble. Et pour vous encourager à ces actes humiliants, représentez-
vous dans le prochain, quel qu'il soit, la personne de notre Seigneur,
dit St Basile ; (Serm. de Abdic.) votre service relevé par ce motif lui
plaira infiniment, et sera récompensé à proportions.
Un troisième moyen de devenir ou de se maintenir humble par
l'imitation de la sainte Vierge, c'est la simplicité dans les habits,
autant qu'elle peut s'accommoder avec votre condition. Ste Dorothée
demande comment cette simplicité, laquelle est une chose extérieure
à l'homme, peut le porter à l'humilité de cœur ? Et il répond ainsi lui-
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même à sa demande : c'est que la disposition du corps influe sur
l'âme, de façon que l'âme se sent ou forte ou faible, ou courageuse
ou lâche, à mesure de la situation présente du corps : Un homme
assis sur le trône, ajoute t-il, ou monté sur un fier coursier, a de plus
hauts sentiments que lorsqu'il est à pied, ou monté sur un mauvais
cheval ; de même un homme superbement vêtu, pense autrement
que celui qui n'a que des haillons. Il est donc vrai, conclut-il, qu'en
humiliant le corps, ou par de vils vêtements, ou par des fonctions
basses, l'âme s'humilie ou du moins est penchée à le faire.
Un dernier moyen d'acquérir l'humilité, c'est l'obéissance à nos
supérieurs, selon l'état où l'ordre du Seigneur nous a placés : la sainte
Vierge nous a laissé des exemples de cette vertu dont nous parlerons
dans la suite. Quand des enfants obéissent à leur père et à leur mère,
des domestiques à leur maîtresse, une femme à son mari, des
inférieurs à leur supérieur dans une Communauté Religieuse, ils
obtiennent aisément de Dieu la vertu de l'humilité, si leur obéissance
part du cœur ; car le trône de l'orgueil, pour le dire ainsi, c'est la
volonté propre qui prétend se conduire en tout à sa guise, et ne faire
que ce qui lui plaît. Or c'est de cette volonté propre que l’homme
obéissant triomphe : Vir obediens loquetur victorias ; et cette victoire
si agréable au Seigneur est couronnée par le don insigne de
l'humilité. Trois choses établissent en notre cœur l'humilité, dit St
Basile, si elles y sont bien enracinées ; savoir la persuasion intime de
notre néant, la réflexion continuelle sur la conduite des gens de bien,
et qui sont plus parfaits que nous, et l'obéissance persévérante à
ceux auxquels nous devons être soumis.
Chapitre II. De la foi de la Sainte Vierge
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L'Humilité est appelée le fondement de la perfection chrétienne,
parce que substituée à la place de l'orgueil qui en est le grand
obstacle, elle devient comme la première pierre sur laquelle porte
tout notre édifice spirituel. Il est certain qu'il ne peu y avoir
d'humilité véritable sans la foi ; mais il n'est pas moins certain, que
l'on ne peut croire, si l'on ne commence d'abord par s’humilier, en
soumettant sa raison à des vérités qui sont au-dessus de toutes ses
lumières. L'ordre donc demandait que nous parlassions en premier
lieu de l'humilité : après quoi nous traitons ici de la foi de la sainte
Vierge.
Croire une chose, comme parole de Dieu, comme loi de Dieu ou
comme une révélation de Dieu sans une juste raison, sans un motif
suffisant ; bien loin que ce soit une vertu, c'est une énorme iniquité
dans laquelle sont tombés tous les infidèles qui ont reçu de fausses
voix, et dans laquelle tombent tous ceux qui trompés par le démon
ajoutent foi à des révélations et à des apparitions mensongères. Mais
croire une chose comme loi de Dieu, ou comme révélation de Dieu
avec juste raison, et avec un motif suffisant ; c'est une vertu et une
grande vertu. Et plus les choses que nous croyons sont au-dessus (1
Cor. 10) de l'intelligence humaine, plus la vertu de la foi et notre
mérite croissent. Car l'homme alors humilie davantage sa raison, la
subjugue, la captive sous l'autorité de la parole de Dieu : don
admirable de la foi, s'écrie St Léon, que l'Esprit Saint nous
communique, qui nous éclaire l'esprit, et qui nous échauffe le cœur
pour croire et pour aimer des vérités à nous incompréhensibles.
Au reste, voici les raisons pourquoi il a été nécessaire dans l'ouvrage
du salut de l’homme, (Th. Contre gent. 10) qu'il crût des choses
surnaturelles. 1°. Pour la gloire de Dieu. Car Dieu étant une Majesté
infinie, il convient que la connaissance qu'en a l'homme soit digne
d'une telle majesté : pour cela il faut qu'il connaisse avec une
16
certitude inébranlable les choses divines, qui surpassent tout ce que
l'homme éclairé de la seule lumière naturelle, peut penser du
souverain Être, de sa grandeur, de sa puissance, de sa sagesse, de sa
sainteté, de sa bonté. Et c'est une grande gloire que l'homme rend à
Dieu, que de croire fermement, et d'adorer humblement des
attributs infinis, des attributs au-dessus de tout entendement créé.
2°. Il convient à la nature et à l'avantage de l'homme d'être conduit
par la lumière de la foi. Car l'homme (Th. ibid) étant doué d'un
amendement, et d'une volonté, qui sont les deux principales facultés
de son âme, de même qu'il doit servir Dieu et lu obéir par sa volonté,
il doit de même le servir et lui obéir par son entendement : le service
et l'obéissance de la volonté, c'est de renoncer à ses penchants pour
faire la volonté de Dieu ; le service et l'obéissance de l’entendement,
c'est de renoncer à ses lumières pour se soumettre à la suprême
intelligence de Dieu. Croire donc avec une foi vive ; quel avantage,
quel mérite (D. Th.2.2. q. 2.n 5) n'est-ce point pour l'homme !
3°. Il était encore nécessaire de croire des choses surnaturelles, parce
que l’homme a été crée pour une fin surnaturelle, qui est la claire
vision de Dieu ; et que le moyen que Dieu a choisi pour sauver
l’homme après son péché, est aussi surnaturel : ce moyen, c'est la
rédemption du genre humain opérée par le Fils de Dieu égal en tout à
son Père. Or l'homme ne pouvait croire avec certitude une fin
surnaturelle, et des moyens surnaturels que par la foi des choses
révélées de Dieu, lesquelles sont au-dessus de toute intelligence
créée.
Telles sont les raisons pour lesquelles il était si convenable, il était
nécessaire que Dieu nous commandât des choses incompréhensibles
à nos esprits. Et nous sommes obligés de croire fermement ces
mêmes choses comme des vérités révélées par la première vérité qui
est Dieu ; si nous les croyons de la sorte, une gloire éternelle devient
17
notre récompense, si nous refusons de les croire, une peine éternelle
devient notre châtiment. Celui qui croira (d'une foi animée par les
œuvres) sera sauvé et celui qui ne croira pas sera damné.
II. La sainte Vierge (Marc. uIt.) nous a donné des exemples de foi, qui
sont pleins d'instruction et de consolation pour tous. Elle crut le
Mystère ineffable de la très-sainte Trinité si caché dans la loi de
nature et si peu connu dans la loi écrite : les paroles de l'Ange le lui
annoncèrent ; elles lui désignèrent la personne du Père, dont il était
envoyé auprès d'elle ; la personne du Fils, en lui disant que celui
qu'elle concevrait en son sein était le Fils du Très-haut; la personne
du Saint-Esprit , en lui ajoutant que ce serait par son opération
miraculeuse qu'elle concevrait et qu'elle enfanterait : elle crut le
Mystère de l'Incarnation, qui jusqu’alors avait été caché sous des
figures et sous des ombres de la loi , et n'avait point encore été
annoncé au monde. Elle crut que le Verbe éternel, Fils de Dieu le
Père, et même Dieu, avec le Père et le Saint Esprit, devait prendre
une forme humaine en se faisant homme, semblable à nous. Elle crut
qu'elle-même était la Vierge choisie de Dieu en qui devait s'opérer ce
Mystère, ce miracle étonnant d'être Mère et de demeurer Vierge.
Lorsque dans une étable pauvre, déserte, abandonnée, il naquit
d'elle un enfant passible mortel, sujet aux misères de cette vie, elle
crut que ce même enfant était le Dieu éternel, le Créateur et le
Seigneur de toutes choses, le Rédempteur des hommes condamnés à
une mort éternelle pour le péché de leur Père, que cet enfant était le
Dieu , qui par sa beauté infinie, charme, ravit, transporte les esprits
célestes : Marie crut tout cela, avant que l'Evangile eût été annoncé
au monde, avant que d'avoir vu son Fils faire des miracles ; elle le
crut sans demander aucun signe comme Zacharie ou comme Gédéon
; elle le crut avec une certitude et avec une fermeté qui n'ont jamais
été semblables qu'à elle-même. Isaïe lui donne le nom de
18
Prophétesse, (Is. 1, 8) à cause de la profonde connaissance et de la
foi qu’elle avait des choses surnaturelles et divines. « La Prophétesse
dont parle Isaïe, dit l'Abbé Rupert (Rup. In Isa), c'est la très-sainte
Vierge : ce fut en son chaste sein que s’accomplirent toutes les
prédictions des Prophètes ; et elle eut une parfaite intelligence de ces
merveilles parce qu’il était juste que son âme connût celui qu'elle
avait conçu en sa chair ».
De cette foi si parfaite, Marie en donne elle-même un témoignage
éclatant dans son Cantique : le Tout-puissant a fait en moi de grandes
choses. Et quelles sont ces grandes choses, si ce n'est que le Fils de
Dieu s'est fait Homme dans son sein virginal ? Si ce n'est que pour en
être la Mère, elle a été préférée à toutes les autres personnes de son
sexe ? Si ce n'est qu'elle a reçu de lui des grâces suréminentes, et
proportionnées à la maternité d'un tel Fils ? C'est pour cela que
toutes les générations la nommeront bienheureuse : Oracle qui s'est
accompli et qui se perpétue sans interruption. Elisabeth releva aussi
par son propre témoignage la grandeur de la foi de Marie sa cousine :
Beata quæ credidisti, etc.
Sur quoi St Augustin fait ce raisonnement qui parait hardi : « la Sainte
Vierge, dit-il, fut plus heureuse d'avoir conçu le Fils de Dieu dans son
âme par une foi la plus parfaite, que de l'avoir conçu corporellement
en son sein : car bien que la maternité divine soit la plus haute
dignité qui se puisse communiquer à une pure créature, et qu'elle
soit la racine et le fondement des grâces et des vertus qui lui furent
pour cela départies ; cependant cette dignité toute seule ne la faisait
pas sainte ni digne de la gloire ; c'était la grande foi animée de la plus
ardente charité qui la fit sainte, et la rendit digne d'être élevée dans
le Ciel au-dessus de tous les chœurs des Anges ». Quoi qu'il en soit,
c'est à cette vertu de la foi qu’appartient la profession, la confession
de cette même foi. Les Apôtres eurent la foi en Jésus-Christ, et le
19
reconnurent pour le sauveur et pour le Fils du Dieu vivant ; mais dans
la fuite, au temps de la tribulation, et de l’épreuve, au temps de
l’emprisonnement, de la Passion, et de la mort de Jésus-Christ,
infidèles à la confession de leur foi, ils la dissimulèrent, ils
disparurent, ils abandonnèrent leur Maître. Il n'en fut pas ainsi de la
sainte Vierge ; comme elle fut très-parfaite dans la foi, elle demeura
aussi très confiante dans la confession de cette même foi : quoique
son cœur fût devenu comme une mer de douleur, pleine de courage
elle ne quitte point le Sauveur durant sa passion, elle le suivit
jusqu’au Calvaire, lieu de son supplice : là debout au pied de la Croix,
instrument de la mort de son Fils, elle le reconnut hautement pour
son Rédempteur, dans l'attente certaine de la Résurrection, et de
l’accomplissement entier de tout ce qu'il avait dit.
III. Cette foi ferme dans ses principes, et soutenue dans toutes ses
épreuves, doit être le modèle de la nôtre, si faible pour l’ordinaire, et
si chancelante. La foi est en butte à des tentations que nous suscite
l'ennemi perpétuel de notre salut, pour nous troubler dans nos
exercices de Chrétiens, et pour nous faire douter des vérités révélées
qui sont les règles de notre conduite. Comme la foi nous a été
conférée dans le baptême sans que nous y contribuassions en rien de
notre part, sans qu'il nous en coûtât la moindre peine ; il est juste
que pour conserver cette vertu et pour nous y perfectionner, Dieu
permette que nous y ayons quelquefois des perplexités à combattre,
des difficultés à surmonter : mais forts dans la foi , fortes in fide,
résistons avec courage à ces obstacles dangereux, et le père du
mensonge, lequel en est ordinairement l'auteur, fuira loin de nous :
Resisiite diabolo, et fugiet à vobis : ou plutôt, sans daigner examiner
trop ces suggestions du démon, tenons-nous à cette réponse
générale et décisive : je crois, comme vérités infaillibles, tout ce que
la foi m'enseigne, tout ce que l'Eglise Catholique, Apostolique et
20
Romaine ne propose : je crois tout cela , parce que Dieu l'a révélé à
son Eglise, qu'il l'a confirmé par des témoignages les plus certains,
par la lumière surnaturelle qu'il répand en nos âmes pour le croire.
Que si la violence de la tentation (D. Th. 2. 2. q. 4. a. 8) nous fait
quelquefois soupçonner que contre notre volonté, notre
amendement hésite sur un article de foi, ne nous troublons point
pour cela : car de même que la foi ne saurait être parfaire en ceux qui
ont l'usage de raison, sans que la volonté soit de concert avec
l’entendement pour croire ; de même on ne peut perdre la foi reçue,
sans vouloir douter, en consentant par la volonté, au doute
l’hésitation de l'entendement. En ces circonstances, protestons au
Seigneur, témoin de notre embarras , que moyennant sa sainte grâce
qui ne nous manque jamais au besoin, nous voulons croire
fermement et sans exception tous les articles de notre créance :
désavouions en sa présence tout doute qui nous est venu dans
l'imagination, ou que le malin esprit y avait jeté, pour nous inquiéter
dans nos exercices de religion : par ce désaveu généreux et sincère, la
foi s'augmentera en nous, s'y fortifiera, et y deviendra désormais
comme un bouclier à l'épreuve de ces fortes attaques. Mais la foi de
la sainte Vierge nous donne encore une autre leçon, et c'est de faire
à son exemple une profession ouverte de la notre ; c’est-à-dire, qu'il
faut au péril de nos biens, de notre fortune, de notre honneur, de
notre vie même, persister hautement dans la foi de nos pères que
nous avons reçue au Baptême. Ce n'est qu'à ce prix que notre foi
méritera d'être couronnée : Qui confessus fuerit, etc.
CHAPITRE III. De l'espérance de la Sainte Vierge
21
L'Espérance est une vertu divine que Dieu répand en l'âme de
l'homme chrétien, par laquelle comptant sur le secours du Tout-
puissant, il espère moyennant les bonnes œuvres, acquérir la
béatitude éternelle. L'espérance ainsi définie est une vertu
Théologale, comme le sont la Foi et la charité, qui se terminent à
Dieu immédiatement. Car de même que par la foi l'âme s'unit à Dieu
comme au principe d'où lui vient la connaissance infaillible de la
suprême vérité, et que par la charité elle s'unit à Dieu, en l'aimant
pour ce qu'il est ; aussi par l'espérance elle s'unit à Dieu comme au
principe de son bonheur éternel, qui est la possession et la claire
vision de ce souverain Etre.
Au reste, il faut que l'espérance (D. Th. a. 2. 2. q- 5) pour être une
vertu telle que nous disons, soit ferme et inébranlable : il faut que
sans balancer nous espérions de la puissance et de la miséricorde de
Dieu, tous les secours qui nous sont nécessaires pour arriver au
bonheur éternel que sa bonté nous promet. Néanmoins cette
espérance n'exclut ni la crainte, ni l'incertitude sur notre salut : car
afin que le secours divin sur lequel est appuyé l'espérance chrétienne
ait son effet, il faut que l’homme veuille s'en servir et concourir de
son côté à opérer avec la grâce son salut éternel. Et comme pour
acquérir la béatitude, il faut que l'homme avec le secours de Dieu se
dispose à recevoir la grâce divine ; et qu'a près l'avoir reçue (D. Th.
Aug. Amb. Greg.) il en use bien, et y persévère avec l'exercice des
bonnes œuvres, il peut douter si de son côté il ne manquera à aucune
de ces choses nécessaires. Mais il est certain que plus l’espérance est
grande et parfaite, et plus le doute et la crainte diminuent : de ça nait
en nous une grande certitude morale que Dieu nous donnera tout
sans réserve, qu'il nous donnera d'user bien de sa grâce, et de
persévérer jusqu'à la fin dans son amour avec l'exercice des bonnes
œuvres. Cette assurance par un don de Dieu particulier, par une
22
faveur singulière, peut aller quelquefois jusqu'à bannir toute crainte
servile, toute crainte de la damnation éternelle, et à causer dans
l'âme une paix au-dessus de toute expression : Quæ exuperal
Omnem sensum. C'est cette certitude tranquille dit Saint Thomas, qui
est propre de la vertu de l'espérance : elle diffère de celle de la foi,
ajoute-t-il, en ce que celle-ci-ne saurait manquer, étant fondée sur la
vérité de DIEU ; au lieu que l'autre peut manquer, parce que
l'homme peut toujours en cette vie mettre obstacle à son bonheur
éternel.
Dans ceux qui vivent mal, l'espérance de leur salut est une vaine
présomption et une sécurité criminelle : mais dans les serviteurs de
Dieu, elle est une vertu solide, appuyée sur le témoignage de leur
conscience, de leurs bonnes œuvres, de leur pureté de mœurs
appuyée sur le sentiment intérieur de la bonté paternelle de Dieu,
qu'ils puisent dans la méditation de ses bienfaits, dans la lecture des
saintes Lettres, et dans les Livres de piété : cependant cette
espérance certaine nait surtout des lumières des inspirations que
Dieu donne à notre âme, des secours particuliers dont il la favorise,
de la protection marquée et en quelque sorte sensible ; ainsi que
l'expérience nous l'apprend, par l'exemple de tant de serviteurs de
Dieu, qui vivent et meurent contents dans la ferme espérance de leur
salut. Telle est la confiance qui nous est si recommandée dans
l'Ecriture, qui n'est point, (D. 2. 2. q.128.) dit l'Ange de l'école, une
vertu distincte de l'espérance ; mais qui y ajoute seulement une sorte
de fermeté, laquelle calme ou diminue les craintes et les doutes de la
faiblesse humaine. Car en même temps que l'on compte alors sur la
miséricorde et sur le secours de Dieu, la vie est accompagnée de
bonnes œuvres, de mérites, de grâces qui affermissent l'espérance.
Mais puisque c'est par la vivacité de la foi, par la pureté des mœurs,
par la pratique des bonnes œuvres, par la méditation des bienfaits de
23
Dieu et des Mystères de la Religion, et par les lumières célestes que
l'espérance croit jusqu’à la confiance ; quelle espérance, quelle
confiance ne dut point être celle de la sainte Vierge, dans la Fille du
Très-haut, la Mère de notre Sauveur, l'Épouse du St Esprit, pour
obtenir tout ce qu'elle demandait en son nom, ou en faveur des
hommes ?
Il. De quelques endroits de l'Evangile où reluit la confiance de la
Sainte Vierge.
La pureté de l'âme et du corps fut toujours une vertu infiniment
chère à la sainte Vierge, ainsi que nous l'avons dit. Par une inspiration
divine, elle fit vœu de rester Vierge toute sa vie ; et néanmoins par la
même inspiration toute jeune elle épousa St Joseph, demeura avec
lui dans la même maison, et l’accompagna dans ses voyages, sans
autre témoin que l'œil de Dieu. Pour cela il fallait qu'elle eût une
confiance héroïque en la protection du Seigneur qui ne devait jamais
l'abandonner dans un état de vie si extraordinaire. Cette confiance
nous apprend à compter sur la bonté de Dieu, qui nous soutiendra,
qui nous fortifiera dans les occasions les plus critiques ; s'il nous
inspire certaines résolutions, certains désirs de vertu parfaite,
quelque état que nous embrassions, ou que nous ayons déjà
embrassé.
La sainte Vierge vit Saint Joseph dans l'inquiétude et dans le dessein
de la quitter, lorsque ne sachant point le Mystère qui s'opérait en elle
par la vertu du Très haut, il s'aperçut de la grossesse. Marie alors
remplie de confiance au Seigneur, remit tout entre ses mains, sûre
que sa bonté infinie empêcherait tout soupçon injurieux à sa vertu,
délivrerait Saint Joseph de son embarras, ne permettrait point un
divorce dans un mariage dont il était l'Auteur, et que tout tournerait
à la plus grande gloire de sa divine Majesté, et à l'avantage de Saint
24
Joseph. Ce fut cette confiance généreuse et soumise à l'ordre d'en
haut, qui la fit se taire et se tranquilliser, sans dire à son chaste Epoux
un seul mot, attendant dans un silence profond le secours du Tout-
puissant, qui disposa des choses de la façon qu'elle l'avait fermement
espéré. Nous sommes avertis par cet exemple, quelque tribulation
qu'il nous arrive, qu'en quelque danger que nous nous trouvions, soit
pour nos biens, soit pour notre réputation, soit pour notre vie ; nous
devons espérer que le Seigneur nous sauvera de ces peines, ou les
convertira en des avantages éternels pour nous. Ainsi le disait et le
pensait le Prophète Roi. « Le salut des Justes (aussi bien du corps que
de l'âme) leur vient du Seigneur il est leur défenseur dans le temps
de la tribulation : il les soutiendra de peur qu'ils ne tombent : il les
tirera des dangers, et les arrachera des mains des pécheurs, enfin il
les sauvera ». Et pourquoi Dieu fera-t-il aux Justes de grandes
faveurs ? C'est, répond le Psalmiste, qu'ils ont espéré en lui et qu'ils
ont mis en lui toute leur confiance.
Marie, aux noces de Cana, touchée de la confusion qui menaçait les
nouveaux mariés par un subit manquement de vin, alla avec
confiance représenter leur besoin au Sauveur. Jésus n'avait point
encore fait de miracles qui manifestassent la puissance infinie de sa
divinité : Marie néanmoins par une inspiration céleste, n'hésite point
de recourir à son Fils ; et sans le presser, sans l'importuner par de
longs discours, elle lui expose simplement le fait. C'est le propre des
cœurs pleins de confiance en Dieu, que sans rien négliger de leur
part, ils remettent l'événement à la divine volonté, certains que Dieu
fera ce qui leur convient davantage et à sa propre gloire, qui est le
but de leur demande.
III. Bien que l'espérance et la confiance en Dieu soit nécessaire dans
tous les exercices de la vertu, pour nous y donner du courage et de la
force ; elle nous est surtout recommandée par les saintes Lettres
25
dans les exercices de la Prière et de l'Oraison, et tout ce que nous
demandons à Dieu comme il faut, sa bonté nous l'accordera. (cf. Jac.
1, 56). C'est ce qui fait dire à l'Apôtre S. Jacques : « S'il manque de la
sagesse à quelqu'un de vous, qu'il en demande à Dieu, qui sans faire
de reproche en donne à tous abondamment, et il lui en sera donné.
Mais qu'il demande avec foi (c'est-à-dire avec confiance) ne
chancelant point. Car celui qui se défie est semblable au flot de la
mer, qui est agité çà et là, par la violence du vent. Il ne faut donc pas
qu'il s’imagine qu'il obtiendra quelque chose du Seigneur ».
Par rapport à cette confiance avec laquelle il faut demander ; une
difficulté, un doute s'offre ici, qu'il est à propos d'expliquer ; c'est à
savoir, si pour demander avec la confiance requise, nous devons
croire et espérer avec une certitude particulière, que Dieu nous
octroiera notre demande. Cette certitude semble nécessaire : vu qu'il
est dit dans St. Mathieu et dans S. Marc : Ayez de la Foi, et croyez en
Dieu sans hésiter ; ces paroles sont suivies d'une proposition générale
qui n'excepte rien : je vous le dis en vérité, quoi que ce soit que vous
demandiez avec foi dans la prière, vous l'obtiendrez. De ce passage et
de plusieurs autres de l’Evangile, il paraît nécessaire de demander
avec cette l'assurance dont nous parlons. D'un autre côté, si cette
même assurance était nécessaire, peu de prières seraient exaucées ;
car peu de Chrétiens demandent ainsi, quelque nécessaires et
quelques utiles que soient pour le bien de leur âme les demandent
qu'ils font. Ordinairement même nous demandons avec quelque
doute, si Dieu ne nous refusera pas ; ou parce que nous ne sommes
point tels que nous devrions être, ou parce que nous ne demandons
point comme nous devrions le faire. La réponse à cette difficulté, à ce
doute, nous la trouvons dans les Livres sacrés et dans la Doctrine des
Saints. On demande à Dieu des choses extraordinaires, des miracles,
de guérir des maladies, de chasser les démons par la force de la
26
parole divine (ce qui était nécessaire et arrivait souvent dans la
primitive Eglise, afin d'établir et d'étendre la foi) : alors et aujourd'hui
encore, pour obtenir de Dieu ces merveilles, il faut dans le cours
ordinaire les demander avec une confiance certaine qu'elles seront
accordées : aussi en pareil cas, Dieu a coutume de prévenir l'homme
par une inspiration divine qui lui persuade certainement que Dieu ne
manquera pas de lui accorder le don d'opérer la grande chose qu'il
demande : et voilà ce que l'on nomme la foi pour faire des miracles.
C’est de cette foi, c'est de ce don que Jésus-Christ dit- : Si vous avez
un grain de foi, dites à cette montagne qu'elle s'ôte de sa place, et
elle s'en ôtera : Onmia possibili sunt credenti. Il est clair qu'il ne s'agit
pas ici d'une foi et d'une confiance qui soit une vertu commune à
tous les fidèles, mais d'une foi et d'une confiance qui sont un don
spécial de Dieu pour opérer des miracles. Mais cette foi et cette
confiance certaine n'est pas requise pour obtenir de Dieu dans la
prière les choses nécessaires et utiles à notre salut ; savoir, les vertus
de notre état, la victoire de nos passions, la persévérance dans la
pratique des bonnes œuvres, etc. C'est assez pour cela de croire en
général que Notre Seigneur peut nous octroyer ce que nous lui
demandons, et qu'il veut de son côté nous donner tout ce qui nous
convient ; c'est assez d'espérer que par sa bonté aucun secours
nécessaire à notre salut ne nous manquera. De cette sorte nous
espérons en la bonté de Dieu et en ses promesses, bien que d'un
autre côté nous doutions si nous serons exaucés, ou à cause de nos
fautes, à cause que nous prions mal, ou à cause que nous avons peut-
être en nous quelqu'autre obstacle qui déplaît à la bonté du
Seigneur. (D. Th. 2. 2. q. 2. 87). Ce doute au reste, qui n'a sa source
qu'en nous-mêmes, n'empêchera pas que Dieu n'écoute nos prières,
et ne suffit pas pour qu'il ne veuille point les écouter. En effet,
pourvu que concourent à notre prière ces conditions ; d'être dans la
grâce de Dieu, de demander des choses nécessaires à notre propre
27
salut, de les demander avec persévérance, et d'user de notre part des
moyens convenables, tout ce que nous demanderons nous sera
donné, conformément aux promesses du Seigneur, d'écouter la
prière des Justes : Voluntatem timentirtm se faciet, dit le Psalmiste ;
et après lui l'Apôtre St Jean : Si vous persévérez dans l'observation de
ma loi, je vous accorderai tout ce que vous me demanderez.
A l'égard du pécheur : Encore que sa prière n'ait pas toutes les
conditions de celle du juste ; néanmoins (D. Th. 2. 2. q. 83. a. 10) si
elle est accompagnée du désir de sortir de son péché, et du repentir
de l'avoir commis, il obtiendra de Dieu les choses nécessaires à son
salut : ce ne sera point par voie de justice, il est vrai, parce que rien
n’est dû au pécheur ; mais ce sera par miséricorde et par libéralité.
Ainsi le succès de sa prière ne sera ni aussi certain, ni aussi ordinaire
que celui de la prière du juste, lequel ne manque point de la manière
que nous l'avons expliqué. Ce que les saintes Lettres disent donc des
pécheurs que Dieu n'écoute point leur prière, doit s'entendre des
pécheurs qui ne veulent pas quitter leur péché, (D. Th. 2. 2. q. 83. 26.
ad 2) parce qu'ils ne demandent pas avec une condition essentielle,
qui est le désir d'en sortir ; la douleur de s'y voir livrés, et le propos
de n'y plus retomber moyennant le secours du Ciel. De ce que nous
venons de dire à l'égard de la prière, soit du juste, ou soit du pécheur
qui veut sincèrement quitter son péché, il s'ensuit que Dieu les
exaucera ; bien que la certitude d'en être exaucés leur manque. Car,
quoique Dieu ait promis d'exaucer nos prières, qu'il ait la volonté de
nous faire du bien, et que sa miséricorde soit pour cela infinie ;
néanmoins afin que l'homme soit sur ce point sans aucun doute, il
faut des conditions qu'il ne saurait s'assurer d'avoir mises de sa part.
Il peut donc sans faire une faute, douter si Dieu l'exaucera ; et pour
une chose qui n'est pas dans l'homme une faute, Dieu de son côté ne
lui refusera pas ce qu'il lui demande. Ceci soit dit pour la consolation
28
et pour le repos de tant d'âmes chrétiennes, qui, lorsqu'elles prient,
n'éprouvent point en elle cette sorte de foi et de confiance qu’elles
obtiendront infailliblement à leurs demandes.
Au reste, le don de la confiance est d'un si grand prix et d'une si
grande efficace, qu'avec cette confiance, l'homme obtient de Dieu
tout sans exception. En effet, cette confiance étant une inspiration de
Dieu, chaque fois qu'il la donne, c’est un signe assuré, qu'il accordera
ce qui lui est demandé conséquemment à son inspiration. Mais il faut
ici de la prudence et du discernement, pour ne pas confondre ce qui
est un don de Dieu avec la présomption et l'illusion du pécheur, qui
sans renoncer au péché, s’imagine obtenir de Dieu son salut.
Travaillons donc à obtenir ce don admirable, à l'obtenir par tous les
moyens possibles, par de fréquentes prières, par des aumônes, par
des œuvres de pénitence ; par une grande pureté de mœurs. Dans la
considération de la bonté infinie de Dieu, de la miséricorde infinie
des bienfaits sans nombre que nous avons reçus de lui ; efforçons-
nous de prier avec la certitude et l'assurance que nous obtiendrons
tout de lui. Le Seigneur touché des efforts, quoique toujours faibles,
d'une âme, qui le cherche après tout avec sincérité, ne différera pas
longtemps à en exaucer les vœux.
IV. Qu'il faut, à l'exemple de la sainte Vierge, persévérer à espérer
dans les choses mêmes, qui semblent le plus contraire à l’espérance.
Toutes les vertus ont leurs épreuves ; l'espérance et la confiance en
Dieu a les siennes. C'est ce que l'on expérimente, lorsqu'il arrive des
circonstances qui semblent contraires aux choses que l'on espérait,
ou bien de grands obstacles à l'accomplissement de celles que l'on
avait demandées à Dieu. Abraham, selon la divine promesse, espérait
que de son fils lsaac naîtrait toutes les nations choisies, et que ses
descendants égaleraient le nombre des étoiles du Ciel. Dans cette
attente, Abraham reçoit de Dieu un ordre de sacrifier son fils Isaac.
29
Que pouvait-il arriver apparemment de plus contraire à la promesse
faite au saint Patriarche, que cet ordre du Seigneur ? Néanmoins
Abraham persévère dans son espérance, et croit fermement que par
des moyens à lui inconnus, Dieu effectuera sa parole. Voilà
l'espérance confiante que Dieu demande de nous, et à laquelle nous
invite et nous encourage l'exemple de la sainte Vierge. Elle espéra
toujours que son Fils sauverait le monde perdu, qu'il resterait le
vainqueur de tous ses ennemis, et qu'il régnerait sur la terre et dans
le Ciel. Elle voit ce Fils livré au pouvoir de ses persécuteurs
implacables, trainé en prison comme un criminel, garrotté avec des
cordes comme le dernier des misérables ; elle le voit abandonné de
tous ses Disciples, condamné à la mort par tout le peuple d'Israël ;
elle le voit attaché à la Croix, y expirer, méprisé, insulté, bafoué.
Quels événements, à juger selon toutes les apparences, pouvaient
être plus contraires aux merveilles que l'on attendait du Messie ?
Aussi firent-ils perdre, ou du moins affaiblirent-ils extrêmement
l'espérance qu’avaient en lui ses propres Disciples. Mais au milieu de
leurs craintes et de leurs alarmes, Marie sans éprouver le moindre
trouble, persévère à croire et à espérer fermement que Jésus qu'elle
voit mourir dans l’opprobre, ressuscitera, comme il l'a dit, couvert de
gloire, et soumettra le monde entier à son Evangile et à son Empire.
C'est pourquoi, après le crucifiement de son Fils dont elle avait été
spectatrice, elle n'alla point au sépulcre avec les saintes Femmes, et
se retira tranquille sur l'article de la résurrection de son Fils : Elle était
bien convaincue que le corps de Jésus n'avait pas besoin d'être
embaumé, que les saintes Femmes ne le trouveraient pas dans le
sépulcre mort, mais vivant, ressuscité et glorieux.
Cette espérance persévérante et généreuse est la règle que nous
devons nous proposer, quoique nous ne puissions jamais en
atteindre la perfection. Les choses nécessaires et utiles à notre salut,'
30
espérons les de Dieu à qui nous les demandons, et espérons-les
malgré tous les obstacles, malgré toutes les difficultés, malgré tous
les dangers qui s’offrent en foule à notre esprit alarmé, à notre
imagination effrayée : Comptons sans balancer que la bonté de Dieu
nous soutiendra au milieu de tout cela, nous en délivrera et le
tournera même en avantage pour nous. Mais nous ne méritons point
ces faveurs, parce que nous sommes des pêcheurs, des ingrats ;
parce que nous ne faisons point de notre côté, tout ce que nous
devrions, et tout ce que nous pourrions faire ? Notre réponse à cela,
c'est l'humble aveu de notre indignité ; ce n'est point la justice du
Seigneur que nous réclamons, parce que nos péchés nous rendent
indignes de toute grâce, nous implorons sa miséricorde infinie qui fait
du bien aux plus grands pécheurs, qui les convertit, qui en fait des
Saints : Notre état est bien différent de celui des vrais Justes, lesquels
étant dans la grâce méritent plus d'être exaucés ; pour nous, notre
unique ressource, et notre unique espérance, ce sont les seuls
mérites de Jésus-Christ Notre Seigneur, lesquels sont d'un prix infini :
Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon Nom, je le ferai.
Que si après avoir commencé de servir Dieu avec dévotion, après
avoir gouté la douceur de son amour et de son entretien, l'on vient à
perdre ces sentiments de piété, à tomber dans la sécheresse, dans
l'amertume, dans la désolation à soupçonner que l'on cherche Dieu
sans le trouver, qu'on lui parle sans en être écouté, qu'il s'éloigne à
mesure que l'on veut se rapprocher de lui ; en ces temps d'orage, que
l'âme loin de plier et de se laisser abattre, se soutienne par
l'espérance, dont le fondement, qui est la bonté divine, subsiste
toujours pour elle ; qu'elle persévère dans la pratique des bonnes
œuvres, de la prière, de la pénitence, (ce n’est point une dévotion
tendre, c’est une vertu éprouvée qui gagne le cœur de Notre
Seigneur). Que l’on se résigne sans réserve à la volonté divine, sans
31
se plaindre des aridités, des dégoûts, des détresses inséparables de
l’humanité, sans douter que la miséricorde du Seigneur nous tirera
de ces angoisses, ou nous y protégera jusqu'à la fin pour la plus
grande gloire et pour le plus grand profit de notre âme. Ah ! quand
toutes les puissances de l'enfer, toutes les tempêtes intérieures et
extérieures, toutes les révoltes de la chair, tous les efforts du démon,
toutes les persécutions du monde se réuniraient, se ligueraient
contre moi, j’espérerai toujours dans le Seigneur : In hoc ergo
sperabo. Oui, quoique mille fantômes, mille imaginations me
représentent sans cesse à moi-même comme un objet d’abomination
aux yeux de Dieu, abandonné, livré à une réprobation éternelle, j'en
reviendrai toujours à la bonté de mon Créateur : j'espérerai toujours
en lui : In hoc ergo sperabo.
Dieu permet que l'on se trouve en ces terribles extrémités, pour faire
mieux connaître ce que peut une ferme confiance en lui, et pour
signaler l'amour paternel dont il aime ceux auxquels il a destiné un
haut rang dans le séjour de la gloire. Heureux dit le Sage ; celui qui ne
succombe point sous le poids de la tribulation ; parce que l'espérance
en Dieu est son appui. C'est cette espérance persévérante qui est la
ressource et qui devient le remède à tous nos maux. David après
avoir espéré en Dieu, et avoir invoqué son saint Nom, triomphe de
Goliath et de Saül. Manassés tout grand pécheur qu'il était, est
délivré d'une dure prison, et sort de l'abîme de ses iniquités, pour
avoir espéré en Dieu, et avoir invoqué son Nom : Parce que Susanne
au milieu des plus cruelles angoisses, et des plus fâcheux dangers,
élève son cœur à Dieu, et en réclame le secours, elle est attachée à
l'infamie et à la mort. Dieu en use de cette sorte à l'égard de tous
ceux qui mettent en lui leur confiance, et il fait qu'ils se convertissent
et se donnent à lui tout de bon. (Eccl. 2, 11). Le Sage appelle en
témoignage de cette vérité, le monde entier. Mes enfants, dit-il,
32
interrogez tous les hommes de l'Univers, demandez-leur à tous leur
sentiment, ils vous diront que jamais qui que ce soit n'a espéré à sa
confusion, dans le Seigneur : c’est-à-dire, l'espérance en Dieu n'a
jamais été vaine, et sans être suivie de son effet.
CHAPITRE IV. De la Charité de la Sainte Vierge ; quant au principal
acte de cette vertu, qui est l'amour de Dieu.
Quoique toutes les affections du cœur de Marie soient
inexprimables, et que celle de son amour pour Dieu le soit encore
plus qu'aucune autre ; essayons néanmoins de dire quel que chose
de ce même amour.
C'est selon la mesure de la grâce que se communique à l'âme la
charité infuse, vertu surnaturelle, par laquelle on aime Dieu. La sainte
Vierge dès sa Conception fut pleine de grâce : Elle fut donc remplie
de cette charité laquelle fait qu'on aime Dieu très-parfaitement. Et en
effet, la grâce que d’abord on lui prodigua croissait en elle à tous les
moments de sa vie ; sitôt qu'elle fut parvenue à l’âge d'user de sa
raison : Comme elle ne commit jamais de péché, et que toutes ses
actions étaient très saintes, chacune d'elles méritaient un nouvel
accroissement de grâce, et conséquemment Marie sans cesse
augmentait d'amour pour Dieu. Un ruisseau quelque petit qu'il soit
en sa source, devient comme une mer si plusieurs vastes torrents
joignent continuellement leurs eaux aux siennes dans son cours. Ô
quel fut l'amour divin dans le cœur de Marie parvenue à l'âge de
concevoir le fils de Dieu : Déjà si parfait, il croissait encore sans cesse
par des actes non interrompus, par de fréquentes visites d'en haut,
par une surabondance des dons célestes, auxquels elle répondalt
avec une ferveur plus ardente que celle de tous les Saints réunis.
Ajoutons à ces accroissements de sa charité, ceux qui se firent depuis
33
la naissance de Jésus jusqu’à sa mort, et depuis l'Ascension du Fils
jusqu'à l'Assomption de la Mère qui vécut environ soixante et dix ans.
Pénétrons encore, s'il se peut, dans le Sanctuaire de la charité de
Marie. Plus une âme connait Dieu, sa bonté, son amour, et plus elle
l’aime si elle est fidèle et loyale ; Plus une âme reçoit de bienfaits de
la main de Dieu et plus elle l'aime, si elle est reconnaissante. Or
personne sur la terre n'eut une plus plus parfaite connaissance de
Dieu que la Sainte Vierge ; personne ne reçut de Dieu plus de faveurs,
et personne n'eut plus de fidélité et de reconnaissance qu'elle envers
le Seigneur.
Quelle fut donc la mesure de son amour pour lui ? Ce fut de l'aimer
sans mesure. D'ailleurs plus une âme aime Dieu, et plus elle aime les
choses de Dieu ; c'est ce qu'opérait en Marie la charité surnaturelle :
non seulement elle aimait sans bornes son fils en tant que Dieu, mais
elle l’aimait encore en tant qu’homme, d'un amour surnaturel et
divin incomparablement plus qu'elle ne l'aimait d'un amour naturel
en tant que son Fils. Ô de quelle ardente charité l'esprit et le cœur
très pur de Marie étaient pénétrés ! Combien de lumières du divin
amour éclairaient l'un, et combien de flammes du même amour
embrasaient l'autre : Tous ses sens intérieurs étaient comme inondés
d'un torrent de déſices : Quelles aspirations tendres ! Quels
ravissements, quels transports, quelles extases, en pensant au seul
objet digne de son amour ? Et quand n'y pensait-elle pas ? Sans cesse
elle avait dans la bouche et dans le cœur ces paroles et ces
sentiments de l'Epouse (cant. 2) : Mon bien aimé est à moi, et je suis
à lui.
La Sainte Vierge fit paraître cet amour dans sa réponse à l’Ange
Gabriel : Voici la Servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre
parole. Comme elle montra son humilité en se nommant la Servante
34
du Seigneur, elle montra aussi sa charité parfaite par une obéissance
aveugle à la volonté, au bon plaisir de Dieu. Elle signala cet ardent
amour dans son divin Cantique : Mon âme glorifie le Seigneur, et elle
est transportée d’une sainte joie. Car ce que l'on aime, on l'estime,
on l'exalte, on se plaît à en faire des éloges, « Parce que Marie aima
Dieu souverainement, dit S. Bonaventurre, elle le glorifie et elle se
réjouit en lui : Exultavit spiritus meus ». De cet amour naissait la plus
ponctuelle observation, non seulement des préceptes, mais encore
des moindres conseils ; en sorte qu'elle ne commit jamais la plus
légère faute ; aussi plus l'amour est parfait, plus l'obéissance à la loi
de Dieu est parfaite, suivant l'oracle de Jésus-Christ : Qui diligit me
sermonem meum servabit. De cet amour naissait la perfection de
toutes les actions de la sainte Vierge : car ce qui donne la perfection
aux bonnes œuvres, c'est l'amour avec lequel elles se ſont ; c'est
l'amour qui fait que l'on a une intention pure de plaire à Dieu seul,
c'est l'amour qui fait que la volonté se porte toujours au bien avec
promptitude et avec ferveur. Qui pourrait exprimer à quel degré
d'excellence ces qualités se ressemblaient en Marie ? De cet amour
naissait la patience la plus confiante dans tous les genres d'épreuves
qu'elle eut à souffrir durant le cours de sa vie. Quand on aime, on
souffre volontiers pour l'objet de son amour : Marie qui aimait Dieu
sans borne, aimait à souffrir sans bornes pour lui : Les peines qui lui
venaient de sa part, elle les chérissait comme autant de bienfaits
qu'elle recevait. Enfin son âme était comme une foumaise, où le feu
par de continuels aliments, acquiert toujours de nouveaux degrés de
chaleur.
II. La principale chose que nous devons imiter dans la vie de la sainte
Vierge, c'est son amour pour Dieu. L’amour pratique de Dieu est le
plus noble exercice de toutes les vertus ; il en est la fin, il en est la
perfection. Tâchons donc de donner à Dieu tout notre cœur, sans
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rien rechercher, et sans rien désirer que lui, ou que ce qui nous
conduit à lui : mettons toute notre volonté dans la sienne, de sorte
qu'elle s'accomplisse toujours en nous, et que nous ne fassions
jamais la nôtre. Pour que cet amour devienne le principe et le motif
dominant de notre conduite, demandons-le continuellement au
Seigneur ; représentons-nous souvent par les yeux de la foi, sa
majesté, sa beauté, sa bonté infinie, son amour éternel et immense
pour nous. In charitate perpetua dilexite. Rappellons-nous les
bienfaits innombrables dont il nous a personnellement comblés : à
ces souvenirs, entreprenons une bonne fois de mortifier en tout
notre amour propre, cet amour déréglé de nous-mêmes, lequel est le
grand obstacle à l'amour de Dieu, et son ennemi capital, aussi bien
que le nôtre. Exerçons-nous à cet amour par l'observation des divines
ordonnances, et d'abord par l'horreur et la fuite de toute offense
griève, dont une seule nous fait perdre la grâce, et avec elle la
charité. En second lieu interdisons-nous, autant qu'il se peut, les
fautes mêmes venielles, qui ne détruisent pas, il est vrai, la charité,
mais qui la diminuent indirectement et qui en occasionnent
insensiblement la perte. « Celui, dit St Grégoire, qui néglige de fuir et
de pleurer les fautes légères, il décheoira de l'état de grâce : il n'en
décheoira pas tout-à-coup, mais peu à peu. (D. Th. 2. 2. q. 14. art).
« L'Ange de l'Ecole apporte la raison de cette chute : C'est, dit-il, que
la négligence affectée et habituelle des petites ſautes, affaiblit l'âme
tellement que s'il survient quelque forte tentation, elle est dans un
péril comme évident de succomber, selon le cours ordinaire ».
Une autre preuve de cette vérité ; c'est que pour conserver la grâce
nous avons tous besoin de secours surnaturels. Or quand on commet
sans scrupule un grand nombre de péchés véniels, dont après cela
l'on ne songe guère à se repentir, on tombe assez aisément dans
quelque péché mortel et par-là se perd la charité. O quelle perte,
36
quel malheur ! Il est hors de doute que le principal motif pourquoi
nous devons éviter les péchés véniels, autant que notre fragilité le
peut c'est que se sont des offenses de Dieu. Cependant cette
considération qu'ils nous frayent le chemin au péché mortel et à la
perte de l'amitié de Dieu, nous doit fortement exciter à les fuir avec
grand soin, et à nous en corriger sans délai.
Exerçons-nous encore à la charité en dirigeant toutes nos œuvres à la
pure intention de plaire à Dieu et de le contenter uniquement :
Faisons-les avec soin, avec exactitude, avec une affection pieuse et
humble de notre volonté : Car c'est là surtout ce que Dieu estime
dans nos œuvres, à savoir que l'affection du cœur les ordonne, les
accompagne et les termine. A chaque action nous devons apporter
autant de soin pour la bien faire que si tout notre bien spirituel en
dépendait : (D. Th. de Mort. divinis) « Nous devons nous y
affectionner comme si notre salut éternel y était attaché ; comme s’il
agissait de toute la gloire de Dieu, et de tout l'honneur de l'Eglise de
Jésus-Christ : comme si c'était la dernière de notre vie. Car si vaquant
à une bonne action, nous y mêlons la pensée et le soin d'une autre qui
la suivra, dès là nous nous attiédissons pour la première. Par exemple,
étant à l'oraison, si nous nous attachons à la pensée qu'après cela
nous avons à travailler, aussitôt l'affection pour la prière, se réfroidit,
languit, se perd. Je dis la même chose de toute autre bonne action
mêlée de quelque objet qui lui est étranger ». Certainement, c'est
avec beaucoup de raison que St Thomas d'Aquin, ce Docteur de
l'Eglise également pieux et éclairé parle de la sorte. Car une seule
bonne action bien faite est d'un plus grand prix et d'un plus grand
mérite sans comparaison que plusieurs autres dans la même espèce,
faites avec quelque négligence réfléchie. D'ailleurs, c'est un respect
dû au Souverain Etre, c'est un devoir du Chrétien que quand il lui
parle il oublie toute autre chose, et que son unique attention soit de
37
plaire à son Seigneur, et de le glorifier. Alors si la pensée ou plûtôt la
tentation nous vient, que nous oublions de faire un bien qui se
présente à notre esprit, sans nous distraire de l'action sainte qui nous
occupe actuellement, espérons de Dieu qu'il nous rappellera le
souvenir de ce même bien, s'il est pour sa gloire, et pour notre
avantage propre.
CHAPITRE V. De la piété de la Sainte Vierge
De la charité, naît comme de sa source, la piété, la dévotion ; c'est-à-
dire, la volonté prompte et fervente pour tout ce qui regarde le culte
et le service de Dieu ; pour tout ce qui appartient à l'excellente vertu
de la Religion.
D'abord, les parents de Marie, avant qu'elle fut conçue la vouérent
au Seigneur, lui promettant que il leur donnait un fruit de
bénédiction, ils le consacreraient à son service dans le temple. Dès
l’instant de sa Conception, Dieu répandit en son âme une grâce
surabondante par laquelle il se la réserva toute pour lui, et la pencha
à toutes les œuvres saintes. A l'âge de trois ans, Joachim son père et
Anne sa mère, la menérent avec joie au temple pour accomplir leur
promesse, l'offrirent au Seigneur dans la personne du Prêtre ; afin
qu'elle fut toute au service de l'Eternel, et aux choses de la religion.
Dans le temple était un lieu retiré, et fermé en forme de cloître, où
un grand mombre de Vierges s’occupaient à des ouvrages propres de
leur sexe, et à des pratiques de piété : tant que durait l'Office Divin,
elles de leur côté vaquaient dans une espèce de Chapelle, à la prière
et à l'oraison ; après quoi chacun se retirait, pour s’acquitter de la
fonction qui lui avait été assignée. Elles étaient entretenues de tout,
jusqu'à ce que le temps de les établir fût venu. Car alors le conseil de
virginité perpétuel n'avait point encore été déclaré ; Dieu l'avait
38
caché aux siécles précédents, afin que sa bienheureuse mère en fût
l'exemple et le modèle. Tout ceci nous le tenons d'Auteurs très
graves, de St Grégoire, de St Ambroise, de St Bonaventure, etc.
La Sainte Vierge demeura jusqu'à l'âge de douze ans ou environ dans
le temple suivant la commune opinion. Les exercices de son tendre
âge furent ceux-ci : Elle passait la plus grande partie de la nuit dans la
contemplation des choses divines, et une très petite partie elle
l'accordait au repos absolument nécessaire à la vie du corps. A l'aube
du jour la prière recommençait en particulier jusqu'à Tierce, qu'elle
assistait au Service divin, lequel se ſaisait dans le Temple : ensuite elle
travaillait pour l'usage du Temple à des ouvrages de lin, de laine et de
soie. Le soir elle vaquait à la lecture de la divine Loi, et des saintes
Lettres, et restait seule dans l'endroit séparé, où elle et les autres
Vierges avaient assisté à l'Office. Là elle adorait le Seigneur en esprit,
et en vérité, elle le louait et le glorifiait avec les sentiments de
respect les plus humbles ; elle contemplait en paix les perfections
infinies, elle témoignait en liberté l'amour dont son cœur brûlait pour
son unique et souverain bien (D. Ambr. 1 de Virg.). Ce n'etait pas
assez, le travail des mains n'interrompait point ses entretiens avec
Dieu, dont elle ne perdait jamais la présence : durant son sommeil
même, lequel était très court, elle se rappellait à l'esprit les choses de
Dieu qu'elle avait lues, elle s'en entretenait par de doux colloques
avec son Bien aimé.
C'était à ces exercices de piété que Marie employa les années qu'elle
demeura dans le Temple, où elle eut de fréquentes visites de Dieu,
des révélations, des consolations ínexprimables : aussi chaque jour,
chaque heure, chaque moment l'esprit de dévotion croissait en elle.
Toutes les occasions de parler, de converser avec ses compagnes
mêmes, elle les fuyait autant qu'il était en elle ; afin d'être toute à
Dieu, et de ne s'entretenir qu'avec lui ; et cela surtout depuis qu'une
39
lumière d'en haut lui eut découvert dans les saintes écritures, le
mystère de l’lncarnation du Verbe. Alors elle repassait
continuellement en elle-même, comment Dieu, Majesté infinie
qu'elle aimait souverainement, devait un jour s'abaisser au point de
se faire homme pour racheter le genre humain perdu par le péché : à
mesure qu'elle contemplait ce bienfait ineffable, et la charité
excessive dont il partait, elle augmentait d'amour et de piété pour
son bienfaiteur ; elle désirait de toute l'étendue de son cœur de voir
accomplir cette promesse, et de pouvoir être la Servante de cette
Vierge bienheureuse par dessus toutes les autres, laquelle devait
concevoir et mettre au monde le Sauveur.
II. Depuis l'lncarnation du Fils de Dieu, la piété de Marie acquit
encore de plus hauts degrés de perfection ; son recueillement devint
plus profond ; sa promptitude à exécuter la volonté de Dieu plus vive
; son oraison plus élevée ; les illuſtrations et les consolations célestes
furent plus sublimes. Aussi avait-elle pour lors la présence continuelle
de son Dieu qui était son Fils, du Verbe incarné dont elle admirait la
charité infinie qui le manifestait d'une manière si sensible : Elle était
extasiée de voir l'Etre : infini enfant, le Verbe éternel, qui ne parlait
point ; le Tout-puissant, faible ; l’Immortel sujet aux larmes, à la
douleur et destiné à la mort ; le Créateur de toutes choses, manquant
de tout, réduit à de pauvres langes pour vêtement, à une crêche avec
un peu de paille pour lit, et à une étable déserte pour palais : Quel
était son étonnement de se voir elle-même Vierge et Mère , allaiter
son Dieu, lui commander ! A ces réflexions Marie avait le cœur
pénétré de la dévotion la plus tendre et la plus vive, d'une estime
comme infini pour son Dieu, d'un désir le plus ardent de faire sans
réserve sa divine volonté. Que d'actions de grâces, que de sentiments
de reconnaissance transportaient comme hors d'elle-même cette
âme très pure, et la perdaient toute en Dieu !
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Non seulement elle contemplait les mystères contenus aujourd'hui
dans l'Evangile ; mais elle en pesait chaque circonstance, chaque
événement, tout ce qu’elle en voyait de ses yeux, tout ce qu'elle
entendait dire, afin de nourrir de plus en plus sa piété et de
l'accroître. Souvent encore par le même esprit, elle demandait à son
fils avec une confiance respectueuse de l'instuire de sa propre
bouche sur des vérités qui la sanctifiaient : Et quelles instructions
n'en recevait-elle point ? Quels fonds de piété ne produisaient point
en elle ces instructions. (D. Ansel. in Medit. S. Bríg). Dieu a bien
daigné se révéler de la sorte à plusieurs saintes âmes ; et cette faveur
qu'il leur a faite, il ne l'a pas refusée à la personne du monde qu'il
aima le plus et qui mérita le plus d'être aimée.
III. Après l'Ascension de Jésus-Christ au Ciel, et la venue du Saint-
Esprit sur la terre, la dévotion de la Sainte Vierge déja si parfaite,
augmente extrêmement, par des surcrois de grâces, et par les dons
du Saint-Esprit qui lui furent plus prodigués qu'aux Apôtres mêmes ;
parce qu'elle y était plus disposée qu'eux tous ensemble. Alors Saint
Joseph étant déja mort, et Notre Seigneur étant dans le séjour de la
gloire, Marie épouse de l'un et Mère de l'autre, quoique toujours
Vierge, se trouva veuve pour servir d'exemples aux deux états ; c’est-
à-dire, pour apprendre aux Vierges combien elles doivent chérir la
virginité, et avec quels soins ils doivent conserver un trésor si
précieux ; aux femmes mariées, pour leur apprendre l'obéissance et
le respect qu'elles doivent à leur époux. Marie dans son état de
viduité était également un exemple et une leçon vivante pour toutes
les veuves. L’Evangile nous dit qu'Anne, fille de Phanuel, étant veuve,
ne sortait point du Temple, et y servait Dieu nuit et jour dans le jeûne
et dans la prière. Que dirons-nous de Marie veuve, ce Temple de Dieu
vivant, et animé ? Jamais son esprit ne pensa un moment à autre
chose qu'à Dieu, jamais son cœur n'aima un moment autre chose que
41
Dieu : sa vie fut une Oraison continuelle, une contemplation sans
distraction, les Mystères de la Vie et de la Passion du Sauveur son
Fils, demeuraient tellement gravés dans toutes les Facultés de son
âme, qu'elle en était occupée le jour et la nuit, qu'elle était toujours
pénétrée des plus vifs sentiments de compassion, de douleur et de
reconnaissance. Et afin que son corps eût aussi part à ses exercices
de piété, elle visitait souvent les saints lieux à Jérusalem, où son Fils
avait opéré les Mystères de notre Rédemption : elle visitait l'étable
de Bethléem, où elle avait mis au monde le Verbe incarné, où elle
l'avait emmailloté et alaité, où il avait été adoré par des Pasteurs et
par des Mages ; la vue de ces lieux, témoins de tant de Mystères
étonnants, la remplissait de dévotion et d'allégresse : elle allait à
Nazareth où elle avait élevé le Fils de Dieu et le sien avec tant de
satisfaction, et où l'Ange Gabriel lui avait annoncé la maternité divine
dont elle se jugeait si indigne : elle visitait les bords du Jourdain où le
Sauveur avait reçû de Jean-Baptiste le Baptême, et où le Père Eternel
l'avait déclaré son Fils bien-aimé, en qui il avait mis sa complaisance :
elle allait au Mont-Calvaire, consacré par la Croix et arrosé du sang de
son Fils, au Mont des Oliviers d'où il était monté au Ciel ; et où elle
Baisait avec la dévotion la plus affectueuse les vestiges marqués de
ses pieds.
Plusieurs graves Auteurs font mention de ces fréquentes visites de
Marie : c'était alors, ajoutent-ils, qu'elle s'attendrissait de
compassion, et qu'une abondance de larmes saintes coulaient de ses
yeux : c'était alors que son cœur était enflammé du plus vif amour
pour Dieu, et qu'elle multipliait ses jeûnes, déja si fréquents et si
austères : quoiqu'elle n'eût point de peché à expier, point de
mouvements de la chair qui se révolItassent contre l'esprit, point de
penchants pour le mal, et point d'obstacles au bien, comme en ont
tous les autres enfants d'Adam. Mais son désir insatiable de souffrir,
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de s’immoler toute au Très haut, d'imiter son Fils crucifié, de croître
dans le divin amour par tous les moyens imaginables, la portait à se
mortifier sans relâche, selon que le Saint Eſprit l'inspirait pour la plus
grande gloire le Dieu. Ces circonstances, Marie les révéla, dit S.
Bonaventure, une sainte âme qui avait pour la Mère de Dieu une
grande dévotion. (Vita Chr.) « Ne pensez pas ma fille, que toutes les
grâces que vous reconnaissez en moi, je les ai reçues, sans qu'il m'en
ait jamais rien coûté : sachez qu’excepter la grâce qui me sanctifia
dans le sein de ma Mère, toutes les autres ne m'ont point été
données sans le moyen de la mortification, d'une oraison continuelle,
d'une effusion abondante de larmes, sans une extrême vivacité de
desirs pour la plus grande gloire de mon Dieu et de mon Bienfaiteur.
Tenez pour certain que nulle grace ne vient du Ciel dans l'âme des
serviteurs de Dieu que par la voie de la prière et de la mortification ».
La Sainte Vierge n'en dira pas davantage parce que tous les autres
moyens, l'intercession des Saints, la fréquentation des Sacrements,
se rapportant à ceux-là, c'était en ceux-là qu'elle mettait sa dévotion,
c’était par ceux-là qu’elle devenait à chaque instant plus agréable aux
yeux du Seigneur.
IV. Il faut imiter la dévotion, la piété de Ia Sainte Vierge dès sa
jeunesse, et dès le tendre âge.
Il est d'abord à remarquer que le fonds de la dévotion ne consiste
point à sentir dans l'âme certain contentement, certaine consolation,
ou certain goût, par rapport aux choses de Dieu : la dévotion
essentielle consiste dans une volonté déterminée au bien prompte à
faire les choses qu’appartiennent au service du Seigneur, fidéle à
pratiquer les vertus qui lui plaisent davantage, et dont nous avons
plus de besoin. C'est cette volonté qu'il faut essayer d'acquérir, et de
conserver toujours : tandis que nous l'aurons, nous avons la vraie
dévotion. Au reste, le principal moyen pour y parvenir, et ensuite
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pour y persévérer ; c'est la méditation des choses de Dieu, l’attention
à les bien concevoir, afin d'y affectionner la volonté. Ne nous
relâchons point dans cet exercice ; autrement notre dévotion
diminuera peu à peu, se perdra même tout-à-fait, et peut être, hélas l
sans retour. Il faut, outre cela, lire certains Livres spirituels qui
portent à une piété solide, assister au saint Sacrifice de la Messe,
réciter l'Office divin, et d'autres prières propres à nous toucher
personnellement : mais le respect extérieur du corps, et le
recueillement intérieur de l'âme doivent toujours accompagner ces
pratiques ; car elles sont des actes de religion, elles sont des
communications de l'âme avec Dieu à qui nous parlons, et dont nous
écoutons au fond du cœur les réponses, pour nous conduire selon ses
vues dans le chemin du salut. Evitons aussi tout ce qui peut faire
obstacle à la dévotion, c’est à savoir les amusements mêmes qui sont
absolument inutiles, les attentions non nécessaires aux choses
terrestres, les délicatesses dans le boire et dans le manger, à plus
forte raison, les repas somptueux, les assemblées de jeu , les lectures
vaines, etc. Tout cela ne sert qu'à flatter et à corrompre les sens ;
lorsque l'on goûte les choses de la terre, dit S. Grégoire, (In Traitct. 6)
on se dégoûte de celles du Ciel ; et ce dégoût dispose l'âme à perdre
la charité. Un troisième moyen pour acquérir l'esprit de dévotion et
pour s'y perfectionner, c'est de joindre comme faisait la Sainte Vierge
la mortification à la prière. Il n'est point d'état dans le monde, où
quelque genre de mortification ne soit praticable ; tantôt on peut
refuser à ses yeux le regard d'une chose permise, mais curieuse ;
tantôt on peut refuser à son goût quelque mets qui le fatte
davantage, mais dont il est facile de se passer ; tantôt on peut
retrancher quelque chose de la quantité même des viandes, mais
sans préjudice de sa santé : car la bonté de Dieu agrée les moindres
sacrifices, lorsqu'ils partent du cœur, et que l'on ne saurait lui en
faire de plus considérables.
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La dévotion de Marie doit être imitée, surtout en ce point qu'elle s'y
donna dès son tendre âge. Ô combien de personnes se sont perdues
pour n'avoir pas suivi cet exemple ! Combien en gémissent durant
tout le cours de leur vie ! mais quels avantages au contraire pour
ceux qui le suivront ce même exemple ? Quel contentement ne
causeront-ils point au Père céleste, dont ils seront par là les vrais
enſants, les enſants chéris ! Quelle assurance n’acquerront-ils point
avec les années pour le succès de leur salut ! Quelles augmentations
de grâces pour cette vie, et de gloire pour l'autre ne recevront-ils
point du Dieu de la pureté et de la sainteté ! Un Prince de la terre qui
aurait planté un arbrisseau avec complaisance, enchérirait par dessus
tous les premiers fruits ; et l'on ne pourrait les lui enlever sans lui
déplaire infinimen. L'âme est une plante que Dieu s'est plû à former
de ses mains, c'est son ouvrage qui lui a couté des peines, des sueurs,
son propre sang : n'est-il pas juste que les fruits lui en reviennent, et
d'abord ceux des premières années qui lui sont plus chers que tous
les autres ? Offrons-les lui donc ces fruits ; il en paye l'offrande
précieuse à ses yeux, par une infinité de bienfaits ; il nous fait goûter
la douceur, et nous procure la facilité d'une bonne vie ; il nous sauve
de mille dangers à nous inconnus, il nous délivre de mille retours
fâcheux, de mille remords qui sont les suites des pécchés passés : il
met en nous une force particuliere pour nous soutenir et pour
persévérer dans le bien, il y établit une vive espérance de la vie
éternelle, et de son secours spécial pour nous rassurer et nous
calmer à l'heure de notre mort.
Mais comme la piété de l'âge tendre dépend beaucoup des parents,
leur vigilance et leurs soins sur cet article sont des devoirs, des
obligations indispensables pour eux. Ils doivent employer à cette
première éducation tous les moyens possibles, instructions, avis,
châtiments ; offrir à Dieu des prières, multiplier les aumônes, faire
45
dire souvent des Messes, ne rien omettre ; en un mot, ne rien
épargner pour le succès d'une chose à laquelle le bonheur ou le
malheur éternel des enfants est si ordinairement attaché. Ces soins
des Pères et des Mères sont encore d’une plus étroite obligation
pour leurs filles, que l'lmitation de la Sainte Vierge regarde davantage
par rapport à leur sexe. St Jerôme écrivait ainsi à une mère sur
l'éducation de sa fille (Ad. gaud. de Instit. Infantulæ). « Ayez soin
qu'elle n’entende ni ne dise que des choses qui la conservent dans la
crainte de Dieu, qu’on ne lui apprenne point des chansons trop
mondaines, que l'on ne joue point devant elle des air de musique
capables d'amolir le cœur ; qu'elle ne converse point avec de jeunes
gens légers, badins, familiers, qu’elle n'aille point aux spectacles, aux
bals, à ces assemblées où règnent la dissipation et les rires ; qu'elle
n'ait point de ces habits magnifiques propres à lui attirer des regards
; qu'elle ne se montre point comme Dina, pour être vue et pour
passer le temps dont les moments sont si précieux ; qu’elle vaque à la
prière, à la lecture des livres de piété, au travail des mains, comme
faisait la femme forte qui filait, et qui cousait, et que les saintes
Lettres ont si louée pour cela même ». Ainsi pensait S. Jérôme, ce
Docteur de l'Eglise, si éclairé. Une mère est donc très étroitement
obligée d'éloigner sa fille de toutes les occasions, et de tous les
dangers de pécher ; de la porter et de l'exhorter à des oeuvres de
piété, telles que sont la prière, la lecture spirituelle, entendre la
parole de Dieu, approcher des Sacrements, afin de se maintenir dans
la crainte du Seigneur , et de conserver l'esprit de dévotion, sans quoi
l'innocence des mœurs ne dure pas longtemps. Au reste, ces
attentions des parents sont très méritoires aux yeux du Seigneur, qui
les en récompense par de puissants secours pour opérer leur propre
salut ; et si leurs enfants meurent avant eux en état de grâce, quelles
instances ne font-ils point auprès de Jésus-Christ pour la
sanctification de ceux qui les ont élevés dans la piété ? Ce sont ici des
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motifs pressants pour les pères et les mères, d'apporter tous leurs
soins à l'éducation de leur famille.
CHAPITRE VI : De la charité de la Sainte Vierge pour tous les
hommes
A mesure que l’on a de l’amour pour Dieu, on en a pour le prochain.
1. L’habitude de la charité que Dieu met en nos âmes, afin que nous
l'aimions, est la même que celle qui fait que nous aimons le prochain
: de façon qu'autant que le premier amour est grand par rapport à
Dieu, autant est grand le second amour, par rapport au prochain. 2.
Le vrai amour du prochain, c'est quand on l'aime pour Dieu comme
sa créature formée à son image qu'il nous ordonne d'aimer. Plus
donc on aime Dieu, plus l'on désire de lui plaire, et de suivre sa sainte
volonté, plus aussi on aime le prochain ; on souhaite de lui faire du
bien, et on lui en fait. Saint Paul dit (Rom. 13, 11), que celui qui aime
le prochain garde toute la Loi, et que l'amour du prochain est la
perfection de la Loi : Comment cela ? C'est qu'en aimant le prochain
pour Dieu, l'on aime Dieu, et qu'en aimant Dieu, on accomplit toute
la Loi. Cette vérité devient sensible par l'exemple des grands Saints
dont l’amour extrême pour Dieu fut toujours accompagné d'un
amour extrême pour le prochain : Ce second amour, combien d'entre
eux le signalèrent au prix de leur repos, de leurs biens, de leur vie ? Et
combien n'ont-ils point eu après eux d’imitateurs, de successeurs de
leur charité généreuse ? En effet, quoique les hommes d'une haute
sainteté donnent des marques de leur amour pour Dieu, telles que
sont la prière continuelle, les mortifications de la chair, les
abstinences, les jeûnes, la haine d'eux-mêmes ; néanmoins la solide
preuve, et la seule vraie de leur amour pour Dieu, c'est leur amour
47
constant et général pour le prochain ; ce dernier amour naît de la
même racine que le premier, et il en est absolument inséparable.
Aussi l’Apôtre St Jean dit : Que celui qui aime Dieu, aime le prochain,
c'est comme s'il disait, que celui qui aime Dieu, donne le témoignage
de cet amour qu'il l'aime en aimant le prochain.
De ce principe incontestable, on peut conclure quelle fut la charité de
la Sainte Vierge pour tous les hommes ; elle n'eut point de bornes,
puisque son amour pour Dieu n'en connut point. Cependant
aujourd'hui qu’uelle jouit de la claire vision de son bien-aimé, quels
accroissemens n'a point reçu son amour pour lui, et conséquement
sa charité pour nous ? Elle l’exerça cette charité, tant qu'elle vécut
ici-bas, et elle en commença l'exercice, dès qu'elle eut l'âge de raison.
Comme elle sut qu'un Dieu Sauveur devait descendre sur la terre
pour racheter le genre humain, elle joignait ses humbles vœux et ses
désirs ardents, à ceux des saints Patriarches qui ne cessaient
d'implorer le Ciel, afin d'obtenir la vue de leur libérateur. Rorate Cæli
desuper et nube pluant justum (In S. D. q. 1. 2. Oper. Spir). Sur quoi
Saint Bonaventure, l'Abbé Rupert et plusieurs autres grands Auteurs
font cette réflexion : S'il est très probable que Dieu eut égard aux
instantes prières des Patriarches pour avancer la venue d'un Dieu
Redempteur, on ne peut pas douter que Marie n'ait plus contribué
qu’eux tous ensemble, à cet effet vu qu'elle les surpassait en charité,
qu'elle priait avec plus de mérite qu'eux tous réunis. Elle montra
aussi sa charité universelle en consentant à être la Mère du Sauveur :
elle participa ainsi, autant qu’il était en elle, au rachat de tous les
hommes : Ecce ancilla Domini.
Entre les vertus que pratiqua la sainte Vierge tout le temps qu'elle fut
dans le Temple, sa charité envers ses compagnes fut admirable, dit
Saint Bonaventure (De vita Christi). Ces jeunes vierges n'étaient pas
sans quelques petits défauts de leur âge : Marie par un zéle sage et
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éclairé pour la gloire de Dieu et pour la perfection de ses Servantes
les avertissait avec une circonspection, et avec une douceur qui les
corrigeait sans les fâcher ; mais son exemple qui les charmait donnait
une grande efficace à ses paroles, et ses ferventes prières pour elles
achevaient ce que ses conseils ni son exemple n'avaient pas fait.
Dans la visite que Marie rendit à sa cousine Elisabeth, elle fit encore
voir sa charité, aussi bien que son humilité ; celle-ci en prevenant son
inférieure, et celle-là en lui rendant tous les services. Non seulement
elle aidait et servait Elisabeth dans les incommodités de sa grossesse
; mais elle lui porta dans son sein le Sauveur qui devait sanctifier
l'enfant et remplir la mère du Saint Esprit. La charité de la Sainte
Vierge lui fit pour lors quitter sa retraite chérie et entreprendre un
voyage pénible en l'état où elle-même se trouvait lui facilita un
chemin très rude lui applanit, pour le dire ainsi les montagnes ;
l’arrêta trois mois entiers dans la maison d'autrui comme une
servante pour les plus bas ministéres : l'occupa plus que jamais à la
prière et à la mortification, pour obtenir les dons céIestes à Elisabeth
et à Jean-Baptiste. Ah! si la première vue de Marie causa la
sanctification de Jean Baptiste, s'écrie St Ambroise, quels Fruits
salutaires n’opéra pas en lui, un séjour de trois mois.
II. quelques uns se flattent d'avoir la vertu de la charité pour le
prochain, dès-là que loin de lui vouloir du mal, ils ne lui souhaitent
que du bien. L'exemple de la Vierge leur apprend que la charité
demande des marques extérieures ; tantôt des paroles, tantôt des
effets selon les diverses occurrences ; paroles de consolation pour les
affligés, ou de conjouissance pour les heureux, secours nécessaires,
bons offices pour ceux qui sont dans le besoin. D'autres donnent des
marques de charité, mais c’est quand il n'en est plus temps et que
l'occasion pressante en est passée, ou bien c'est de mauvaise grâce,
c'est comme par manière d’acquit, c'est qu'il ne leur en coûte guère,
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ou rien du tout. La charité de la Vierge n'eut aucun de ces défauts, et
eut toutes les perfections contraires. A peine elle apprend de l'Ange
la grossesse d'Elisabeth, qu'elle part de chez elle, et qu'elle traverse
avec hâte les montagnes de la Judée. Et pourquoi tant de hâte,
demande Saint Bonaventure ; c'est, répond ce saint Docteur, que la
charité extrême de Marie ignorait les moindres délais. Malheur,
ajoûte-t-il, à ceux qui sont lents aux œuvres de charité pour le
prochain, ou qui n'y sont prompts que lorsqu'elles sont aisées, et qui
les abandonnent lorsqu'elles sont difficiles. A ces derniers, Marie leur
apprend qu'ils doivent exercer la charité envers le prochain au prix de
ce qui leur est le plus cher, au prix de leur honneur même. Que
pouvait-il y avoir de plus humiliant pour la sainte Vierge, comme
nous l'avons déja remarqué, que la cérémonie de la Purification ?
Cependant pour ne point offenser les femmes immondes et
pécheresses, la charité généreuse sacrifie un privilège d'honneur à
elle seule réservé. Cette même vertu parut encore d'une manière
spéciale aux nôces de Cana, où elle sauva un grand afſront aux
nouveaux mariés à qui le vin avait tout-à-coup manqué au milieu du
repas : elle représente à son Fils cet accident, et Jésus touché de la
charité compatissante de sa Mère, fait un miracle par lequel il cache
aux convives l'indigence de leur hôte. Ceci nous est une leçon pour
avoir égard aux besoins du prochain comme aux notres propres ;
pour ne nous en pas tenir à une compassion stérile, si nous ne
pouvons par nous mêmes subvenir à ses besoins, mais pour les
procurer par nos soins auprès de ceux qui sont en état de le faire :
ceci nous est une leçon pour recourir à notre Seigneur par la prière -
lui demandant le remède aux maux du prochain, qu'il n'est pas en
notre pouvoir de soulager.
III. De la charité de la Sainte Vierge pour ses ennemis
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La grande preuve de la charité, c'est de faire du bien à ceux qui nous
haïssent et nous veulent du mal (Hom. 2 in Matth.). C'est pour cela
que St Chrysostome dit que rien ne nous rend plus semblables à Dieu
que d'aimer ceux qui nous ont fait du mal, et que de pardonner à
ceux qui nous en veulent (In parad. anim.). Ce degré de charité est
quelque chose de si sublime, ajoute Albert le Grand, que quiconque y
est parvenu, il est parvenu à la souveraine perfection du Chrétien.
Marie nous a donné l'exemple de cette charité héroïque. Il ne peut y
avoir de plus grands ennemis pour une mère que ceux qui ont fait
mourir son fils unique qu'elle aimait sans comparaison plus que sa
vie. La multitude de ses ennemis était innombrable, tous les pêcheurs
en général en étaient, et plus en particuler le peuple de Jerusalem, et
les troupes des Gentils qui étaient dans la ville avec le Président de la
Judée. Tous exécutèrent la Sentence inique de la mort ignomineuse
de la croix contre Jésus Fils de Marie ; les uns par le glaive de la
langue ; Gladio linguæ ; les autres, par leurs conseils sacrilèges, les
autres en trempant leurs mains dans son sang. Or ces ennemis cruels,
Marie se conformant aux dispositions au Sauveur du monde, les
aimait au point qu'elle eût aussi donné pour eux sa vie, si le sacrifice
en eût été nécessaire à leur rédemption : Témoin de leurs calomnies
les plus noires, de leurs insultes les plus outrageantes, de leurs
mépris les plus insolents, de tous les coups terribles, et de toutes les
plaies énormes des instruments du supplice de Jésus , elle avait
compassion et de ses juges furieux, et de ses bourreaux impitoyables
; elle priait pour eux le Père Eternel, et elle le priait avec les désirs les
plus sincères et les plus ardent d'en obtenir leur pardon : Son cœur
était uni de sentiment avec celui de son Fils lequel aimait ses
ennemis jusqu'à s'être lui-même offert pour leur salut : Oblatus est
quia ipse voluit : elle entendit les premières paroles de Jésus attaché
à la croix, lesquelles furent une prière touchante adressée à son Père
en faveur de ses bourreaux moins indignes de pardon parce qu’ils ne
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savaient ce qu'ils faisaient : Ignosce illis, nesciunt quia faciunt :
Pénétrée de la plus vive douleur au spectacle de son Fils déchiré,
percé de coups, épuisé de sang qui ruisselait de tout son corps, loin
de se laisser abattre le courage, elle demeura ferme inébranlable au
pied de la croix même, toujours soutenue par sa charité envers les
ennemis de son Fils, et ses siens ; charité plus forte que la mort, et
dont le poids l'emporta sur le poids de ses peines propres : Amor
meus, pondus meum.
Hélas ! Nous avons tant de répugnance à pardonner la plus légère
offense qui nous a été faite, et souvent n'est qu'un vain soupçon,
n'est que l'effet de notre imagination : nous portons partout le
souvenir de cette chimère, ou de cette bagatelle, il faut presque
toujours que ce soit le temps seul qui l'efface, et que l'oubli nous
tienne lieu de charité. Vierge incomparable, que n'ai-je une étincelle
de votre amour pour Dieu : j'en aurais à proportion pour mon
prochain, et j'en userais à son égard comme vous fites à l'égard de
vos plus implacables ennemis.
Mais la charité de Marie s'accrut encore par le mystère admirable qui
s'opéra dans le temps qu'elle était au pied de la Croix, où elle joígnait
aux prières de son fils les siennes aussi pour le pardon de tous les
pêcheurs, leurs communs ennemis. Alors Jésus-Christ l’établit la
Mère des Croyants, et les lui recommanda tous d'une manière
autentique dans la personne du Disciple bien-aimé, qui la regarda
désormais comme sa Mère : Et ex illa hora accepit ille in fua. Ô que
cette adoption doit affectionner tous les Chrétiens au service de
Marie ; les Justes qui sont amis de Dieu, afin que sa protection les
conserve dans la grâce, les pécheurs qui sont ennemis de Dieu, afin
que son intercession leur obtienne les moyens efficaces pour en
regagner l'amitié. Marie contracta au pied de la Croix une obligation
étroite de s’intéresser à notre salut, ainsi qu'une mère s'intéresse aux
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biens de ses enfants ; elle y pria pour les ennemis, pour les bourreaux
de son Fils, elle ne refusera pas aujourd'hui ses prières à ceux qui
implorent son secours pour redevenir ses enfants adoptifs et les
frères de Jésus son Fils.
CHAPITRE VII. De l’obéissance de la Sainte Vierge
Lorsque nous avons parlé de l’amour de Dieu dans le cœur de Marie
était embrasé et d'où naissait sa conformité parfaite à la volonté
divine, nous avons fait entendre en même temps à quel degré de
perfection elle portait l'obéissance dûe à son Créateur. Néanmoins,
comme l'obéissance ne se fait pas seulement connaître en obéissant
à Dieu immédiatement, mais en obéissant encore aux hommes pour
l’amour de lui ; il faut traiter ici de ce second genre d'obéissance que
la Sainte Vierge pratiqua toute sa vie, et que nous devons pratiquer à
son exemple.
Quand l'âme chrétienne obéit à Dieu immédiatement, elle le fait
d'ordinaire sans beaucoup de peine, mais s'agit-il d'obéir à l'homme
pour Dieu, ce n'est plus tout-à-fait cela : la volonté propre se trouve
humiliée, répugne à l'ordre, chicane, se défend. Aussi cette
obéissance, quand elle est prompte et sans réserve, est la preuve la
moins équivoque d'un cœur totalement soumis à la volonté divine.
Venons au plus parfait modèle cette vertu, après Jésus-Christ. La
Sainte Vierge dès sa plus tendre enfance se montrait obéissante à
toutes les volontés de Saint Joachim son père et de Sainte Anne sa
mère. (Livre 7 de Arca.). ll fut révelé à Sainte Mechtilde l'une de ses
plus grandes imitatrices en cette vertu ; qu'il ne lui échappa jamais la
moindre chose qui fût contre le gré de ses parents, et qu'elle était
sans cesse attentive à leurs paroles, à leurs regards pour y obéir
ponctuellement. Retirée dans le Temple, elle observait avec la
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derniere exactitude tout ce qui lui était ordonné par le Grand Prêtre
qui en avait la direction. (De vita Christi). Aussi Saint Bonaventure dit,
qu’entre les choses qu'elle demandait à Dieu chaque jour, c'était de
lui donner l'esprit d’obéissance aux ordres du Grand Pontife. Depuis
son mariage avec Saint Joseph, encore que sa dignité la mît fort au-
dessus de ce saint Patriarche, elle lui était entièrement soumise
parce qu'elle savait que c'était l'ordre établi de Dieu, que la femme
obéit au mari. La Reine du Ciel et la Mère de Dieu se rendit
obéissante à un simple artisan, et cela non point durant quelques
jours, mais pendant l'espace de trente années. Il est dit de la
vertueuse Sara, que soumise en tout à Abraham son mari, elle
l’accompagnait dans ses voyages, et partageait ses travaux ; qu'elle
lui parlait toujours avec un profond respect, et l'appellait son
Seigneur. Marie en usait d'une manière encore plus parfaite à l’égard
de Saint Joseph dans ces circonstances, le suivant à Nazareth où elle
resta avec lui, l’accompagnant à Bethléem pour y payer le tribut à
César, allant avec lui en Egypte, quoique ce voyage fût long, quoique
ce fut dans un pays étranger, quoique ce fût durant la nuit : Là elle fut
sept ans sous son obéissance, (In Math.) dit St Anselme ; et bien
qu'elle souffrit dans cette terre idolâtre de grandes incommodités,
ainsi que nous l'avons dit, jamais elle ne s'en plaignit à Joseph, jamais
ne lui parla des choses nécessaires qui presque toutes lui manquaient
: Elle se conformait en tout à la volonté de son chaste Epoux, bien
convaincue que lui obéir, c'était obéir à Dieu qui le lui avait donné,
pour être le gardien de l'Enfant Jésus et de sa virginité.
II. Sans doute que c'est une vertu que d’obéir à des Supérieurs qui
sont des hommes de mérite, des hommes sages, modérés, ver'tueux ,
et qui commandent avec douceur. Mais c'est un bien plus haut degré
d'obéissance, dit S. Bonaventure (L. de Grad. Vit.), d'obéir à des
Supérieurs impérieux, bizarres, durs, qui sans aucune raison
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commandent des choses très pénibles. C'est de cette obéissance que
parle l'Apôtre Saint Pierre (I. Ep. C. 2.) : Serviteurs soyez soumis à vos
maîtres avec toute sorte de révérence, non seulement à ceux qui sont
bons et doux, mais à ceux qui sont rudes et fâcheux. Comme il faut
alors beaucoup de vertu et beaucoup d'amour de Dieu pour se
soumettre de cœur, aussi acquiert-on beaucoup de mérite en le
faisant. La Sainte Vierge obéit de cette sorte à l'Edit d'Auguste,
Empereur et Tyran qui succéda à Jules César, lequel avait usurpé
l'Empire : elle lui obéit en une chose injuste à l'égard du peuple de
Dieu, dont il exigeait un tribut à son ambition, et qu'il forçait à un
voyage pénible pour s'aller faire inscrire sur le régistre. Ainsi Marie
quitta sa demeure de Nazareth, et sur le point d'accoucher, se rendit
avec beaucoup de fatigue à Béthléem. Exemple de l’obéissance dûe
aux Souverains, quels qu’ils soient, de respect et de soumission à
leurs ordres.
III. Ce n'est pas sans mérite qu'un inférieur obéit à un Supérieur dans
les choses qui sont d'obligation ; mais lui obéir dans celles qui ne le
sont pas, c'est une action d'un très grand prix aux yeux de Dieu. Car
alors l’inférieur a de justes raisons qui excuseraient sa répugnance ;
néanmoins par esprit d’obéissance, il veut bien s’asservir à quoi il
n'est pas obligé. C'est à ce sujet que Saint Bernard dit : (Dif. De
pracept.) « La parfaite obéissance ne se borne point à ce que la Loi
commande ; elle s'étend à tout ce que demande la charité, c'est-à-
dire, à tout ce qui plaît davantage à Dieu, et qui édiſie plus le
prochain ; tout cela elle le fait avec courage, avec joie, sans
exception, sans reſtriction ». Le mystère de la Purification de la Vierge
nous offre un exemple de cette obéissance, aussi bien que son
humilité, comme nous l'avons vu, Les termes même de la Loi
exceptaient Marie de l'obligation commune à toutes les femmes de
venir au Temple pour y être purifiées : mais ce privilège elle le
55
convertit en un devoir d'édification pour nous apprendre à respecter
les usages, les coutumes, les cérémonies de l'Eglise. Cet exemple
nous apprend encore à obéir aux Ministres du Seigneur pour la
purification spirituelle de nos âmes, à suivre leurs conseils dans les
choses même de surérogation, afin de nous sanctifier de plus en plus.
Purifiez vos âmes, (1 Petr.) dit l’Apôtre Saint Pierre, par l'obéissance
qui naît, non point de la seule nécessité, mais de la volonté et du
désir de ſaire une chose agréable à Dieu.
Mais comme la Vie de la Sainte Vierge fut une obéissance continuelle
aux ordres du Ciel, et que notre dessein n'est pas de le suivre dans
toutes ses circonstances ; nous passons à l'Acte le plus héroïque de
cette vertu qu'elle exerça au sujet de la Passion et de la Mort de son
Fils. Aucune langue ne peut exprimer combien l'une et l'autre
répugnaient à l'inclination naturelle de Marie mère de Jésus : on peut
encore moins exprimer la douleur qu'elle en ressentit ! Comme son
amour pour un tel Fils fut sans bornes, sa douleur le fut aussi.
Cependant ne doutant point que c'était la volonté du Père éternel
que leur commun Fils souffrît et mourût pour le salut du monde
perdu, elle obéit, et elle mit toute sa volonté dans celle du Très-haut,
imitant en cela le Sauveur : (L. I. de Sens.) Non mea valuntas fiat, sed
tua. Saint Bonaventure dit qu'elle fut si touchée de la Passion et de la
Mort de Notre Seigneur, qne pour lui épargner l'une et l'autre, elle
eût voulu être victime à sa place, si la chose avait été possible. Mais
elle mérita plus alors par sa résignation que par sa disposition à tout
endurer, ajoute ce saint Docteur.
IV. Comment nous devons imiter l’obéissance de la Sainte Vierge
56
Les enfants doivent obéir à leur père et à leur mère, l'épouse à son
mari, le serviteur à son maître, le sujet à son Prince, chaque
particulier à celui qu'il a pris pour guide dans la joie de son salut, le
Religieux à son Supérieur auquel il s’est lié par vœu. De même que
l'on ne peut aimer Dieu sans aimer pour lui le prochain, comme nous
l'avons expliqué, de même on ne peut pratiquer l'obéissance dûe à
Dieu sans obéir à ses Supérieurs, car cette obéïssance est au nombre
des préceptes dont le Seigneur nous a ordonné l'observation. (D. Th.
2. 2. Q. 104). Ces deux obligations, dit S. Thomas, sont tellement
unies l'une à l'autre, que la même habitude qui nous fait obéir à Dieu,
doit aussi nous faire obéir pour Dieu à nos Supérieurs. S. Paul, après
nous avoir avertis d'obéír à nos Supérieurs, nous apporte la raison de
cette obéïssance ; c'est que le pouvoir qu'ils ont de nous commander,
ils le tiennent de Dieu dont ils occupent la place : et par conséquent
leur obéir, c’est obéir à Dieu même. Ensuite l'Apôtre nomme dans le
détail ceux que regarde le précepte de l'obéissance ; les enfants à
l'égard de leur père, les serviteurs à l'égard de leur maître ; la femme
à l'égard du mari : car le mari est le chef de la femme, comme Jésus-
Christ est le chef de l'Eglise ; et de même que l'Eglise est soumise à
Jésus-Christ, aussi la femme doit être soumise au mari en tout ce qui
est licite. S. Paul conclut que désobéir aux Supérieurs, c'est résister à
l’ordre de Dieu, et s'attirer la damnation éternelle.
Au reste tout le bien de l'homme chrétien consiste à connaître la
volonté de Dieu et à l'accomplir. Et il est certain que tout ce
qu'ordonne un Supérieur, quand ce serait le plus méchant des
hommes, et qu'il aurait la plus mauvaise intention du monde, c'et
faire la volonté de Dieu que de lui obéir, dès que la chose qu'il
ordonne n'est point illicite. Or quel plus grand bien pour notre salut
éternel pouvons-nous désirer que celui-là ? Incertains en mille
circonstances, si c'est la volonté divine ou la notre, que nous faisons,
57
nous sommes fixés par la volonté d'un Supérieur, laquelle nous
marque celle de Dieu et assure le mérite de notre action. Quelle
consolation pour nous ! C’est là être conduits, être gouvernés selon
les vues que le Dieu des miséricordes a sur nous, puisque c'est être
conduits et gouvernés par ceux qui tiennent ici -bas sa place. Jésus-
Christ parlant aux Maîtres de la Loi, leur dit (Luc 8) : Celui qui vous
écoute, il m’écoute ; de sorte que ceux au contraire qui refusent
d'obéir aux ordres de leurs Supérieurs, refusent d'obéir à Jésus-
Christ. Lorsque le peuple d'Israël ne voulut pas se laisser gouverner
par Samuël, le Seigneur dit à ce Prophète (I R. 8) : ce n'est pas à vous,
c'est à moi-même qu'ils ne veulent pas obéir.
V. L’obéissance a encore d'autres avantages que de garantir des
illusions de l'amour propre, des erreurs dont l'esprit humain est
toujours capable, et des pièges que le démon ne cesse point de
tendre à la piété. Un homme qui obéit mérite beaucoup en faisant
peu, et plus que s'il faisait beaucoup. On souhaite avec ardeur de
pratiquer de grands actes de vertu par exemple, de servir les malades
les plus dégoûtants dans les Hôpitaux, d'aller à pied en plein hiver, de
parcourir les chaumines de la campagne pour consoler les pauvres
qui les habitent, de mater son corps par les plus rudes macérations :
ces désirs sincères, on les communique à un Supérieur, à un
Confesseur, à un Père spirituel qui ne jugent pas à propos qu'on les
mette en exécution. Alors l'inférieur ou le pénitent soumis méritent
plus par leur obéissance que par toutes les fatigues et toutes les
austérités qui seraient de leur choix : pourquoi cela ? — Parce que
leur obéissance part d'une abnégation parfaite d'eux-mêmes, et est
l’holocauste le plus agréable à Dieu, vu qu'il est celui de la volonré
propre. C'est ainsi qu'en faisant peu, ou même en ne faisant rien
selon les apparences, l'homme obéissant remporte une victoire
complète sur lui-même. Vir obediens loquitur victoriam. Le savant
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Gerson s'exprime en ces termes, sur ce point si délicat et si essentiel :
Que le Religieux, dit-il, fasse bien attention que Dieu n'a pas besoin
de nos biens, bonorum meorum non egest, et par conséquent, qu'il se
propose cette règle générale de conduite ; c'est à savoir que l'action
ou l'occupation pour lui la meilleure, la plus relevée, la plus utile est
celle qui lui est déterminée par l'obéissance, quelle qu'elle soit
d'ailleurs, pourvu qu'elle ne soit pas un péché. Ce que Gerson dit de
l'état Religieux, doit s'entendre aussi de toute condition, de tout état
dans le monde où l'on a un Supérieur, parce que tout Supérieur
représente la personne de Jésus-Christ. Cette vérité si certaine dans
les règles de la Théologie, fut connue par rêvélation à sainte Brigitte :
elle se livrait à toutes les rigueurs de la pénitence, ainsi qu'à toutes
les autres pratiques de piété. Son Directeur lui défendit pendant un
certain temps une partie de ses pénitences, parce qu’il jugea ce
retranchement nécessaire pour sa santé : la Sainte eu beaucoup de
répugnance à obéir craignant que la santé de son âme n'en souffrit.
Dans cette perplexité la Vierge lui apparut, et lui dit : Si deux
personnes veulent jeûner par dévotion, et que l'une qui ne dépend
que d’elle-même jeûne en effet, elle mérite à proportion de son
jeûne ; et si l'autre, qui est sous l'obéissance, ne jeûne point, parce
que son Supérieur le veut ainsi, elle reçoit une double récompense ;
l'une, parce qu'elle a sincèrement désiré de jeûner, l'autre, parce
qu'elle a renoncé à sa volonté pour obéir. Ce double mérite vient de
ce qu'en obéissant, on fait la volonté de Dieu, et le sacrifice de la
sienne propre.
VI. De l'obéissance parfaite naissent la paix et la tranquillité de l’âme
; la volonté propre étant la source de tout trouble et de toute
inquiétude (D. Ber. 3. De Resur.). Au reste lorsque l'on aime à faire les
choses que l'on sait que Dieu veut, parce qu'elles servent à sa gloire,
et au bien du prochain, et que l'on s'y affectionne par ces motifs, on
59
n'est pas censé faire sa volonté propre, mais celle de Dieu : car alors
la volonté de l’homme n'est qu'une avec celle de Dieu. Mais quand
on fait les choses que l’on doit faire parce qu'elles plaisent et que l'on
y trouve sa satisfaction, on est censé faire sa volonté ; parce que la
volonté de l'homme n'est plus une avec celle de Dieu. C'est cette
volonté propre, continue saint Bernard, qui est la cause de tous nos
troubles et de toutes nos guerres intestines : Qu'il n'y ait point de
volonté propre, ajoute-t-il, et il n'y aura point d'enfer. Or c'est
l’obéissance qui remédie à ce mal si universel de la volonté propre,
qui la mortifie, qui la dompte, qui l’asservit à la volonté d'un
Supérieur, d'un Confesseur, d'un Directeur, et par conséquent à celle
de Dieu. Et l'obéissance est aux yeux de Dieu d'un si grand mérite,
qu'il égale en quelque façon le mérite des Martyrs, selon la pensée
de Thomas à Kempis. Quiconque, dit-il (Kemp. de fid. Disp. Lib. 3. C.
2.), obéit volontiers pour Dieu, à ses Supérieurs, il fait l'action
héroïque d'un brave Soldat de Jésus-Christ : car en obéissant, il
combat contre soi-même ; et avec le glaive de la crainte du Seigneur,
il s'oppose à tous les efforts de la volonté propre, notre plus opiniâtre
ennemie ; il les repousse ; il les surmonte. Il recevra donc avec les
Martyrs de Jésus-Christ la palme d'une gloire immortelle. Mais, outre
cette couronne si glorieuse que l'homme obéissant acquiert pour le
Ciel, la paix du coeur, ce trésor si précieux, est ici-bas son partage,
ainsi que nous en assure le Saint-Esprit (Prov. 1. 30).
Cassien, parlant de ces anciens Moines, dont la haute sainteté,
donnait un si grand lustre à l'Eglise, dit : ”Ils préféraient l’obéissance
à l'Oraison même, à la retraite, au repos de leur cellule, à toutes les
vertus qui n'étaient point de précepte, ni naturel, ni divin, ni de
l'Eglise ; en tout autre chose, ils se soumettaient à quelque perte que
ce fût ; pour ne pécher en quoi que ce soit contre l'obéissance, et
pour que l'avantage leur en restât en son entier. Ainsi, dès que le
60
signal de l'obéissance se faisait entendre à eux, soit pour l'oraison,
soit pour le travail des mains, ou pour quelqu’autre exercice, ils
sortaient de leurs cellules à l'instant, se rendaient à l’endroit où
l'obéissance les appellait ; et cela si ponctuellement, que le premier
son de la cloche leur faisait laisser imparfaite la lettre qu'ils avaient
commencé. Mais encore que ceci regarde particulièrement les
Religieux, il convient aussi aux séculiers qui sont sous l'obéissance
d'autrui, selon leur état, comme nous l'avons expliqué. Car en
obéissant pour Dieu à quelque Supérieur que ce soit, tous les
avantages attachés à l'obéissance, le séculier les a aussi bien que les
Religieux.
CHAPITRE VIII. De la pureté de la Sainte Vierge
Qu'est-ce qui porta Marie à faire vœu de virginité dans des temps
grossiers et charnels,l où cette vertu était inconnue ? Ce fut le désir
de faire en tout ce qui pouvait plaire davantage au Seigneur. Ce désir
généreux fut l'ouvrage de l'inspiration céleste à quoi elle demeura
fidèle, afin que Dieu seul eût toujours la possession de son cœur.
Marie, dit St Anselme (De Excell. B. V. M.), issue de la race illustre de
David, tourna ses pensées dès son bas âge, et ses sentiments à
consacrer au Seigneur son corps et son âme par une virginité
perpétuelle. Pourquoi cela ? Parce qu'elle comprenait que plus cette
vertu serait parfaite en elle, plus elle ressemblerait à son Dieu, qui est
la pureté par exellence. Un surcroît d'étonnement dans le vœu de
Marie, c’est l'estime qu'elle fit de la virginité, malgré les
circonstances où elle se trouvait. Alors les femmes mariées, sans
enfants, et stériles, étaient regardées du peuple avec le dernier
mépris, parce que la stérilité passait pour une malédiction de Dieu ;
et Marie comptait pour rien l’opprobre attaché à l'état dont elle
61
faisait choix. Aussi lorsque l'Ange lui annonça qu’elle serait la Mère
du Très-Haut, elle n'accepta point cette dignité suprême, qu'on ne
l'eût auparant assurée que la maternité divine ne donnerait aucune
atteinte à son vœu. Quelle constance dans le sacrifice qu'elle avait
offert au Seigneur ! Aimer mieux n'être point Reine du Ciel,
Souveraine du monde, Mère de l'Eternel, que d'être infidèle à la
promesse qu'elle lui a jurée, pour lui plaire par le sujet même qui lui
attire le mépris de son siècle! Ô cœur magnanime, s'écrie Saint
Bernard étonné (Serm. 3 De B. V.), cœur plus fiable que la terre, plus
élevé que le Ciel ; C'est un prodige que la constance de la Vierge à
suivre l'inspiration divine pour son vœu de virginité, et à y persister,
malgré l'opprobre qu'elle se prépare aux yeux de sa nation ; pourvu
qu'elle soit agréable à ceux de son Dieu. Mais afin que tous les siècles
sachent combien Dieu est fidèle à récompenser ceux qui le servent,
et qui recherchent sa plus grande gloire, il disposera tellement les
choses, que l'ignominie réservée à Marie à cause de son état de
Vierge, se changera en un honneur infini pour elle. Marie sera Vierge
et féconde tout ensemble ; la malédiction des hommes charnels
qu'elle a genéreusement méprisé, se convertira pour elle en
bénédiction : Elle sera bénie entre les femmes et béni sera à jamais le
fruit de son chaste sein.
II. Dieu se proposa deux choses, en inspirant à Marie de faire un vœu
extraordinaire et inouï dans les temps d'ignorance, de chair, et de
sang où elle vivait. 1. Il voulut que la Vierge le servît avec toute la
perfection possible à une créature qu’il choisissait pour la plus haute
dignité qui fût, et qui sera jamais. 2. Dieu voulut que sa Mère fut un
jour à toute son Eglise un modèle le plus accompli de la pureté, de la
virginité. Dieu régla, disent les saints Docteurs, que Marie serait la
première qui préférerait à tout état celui de la virginité ; afin qu'après
la publication du conseil évangélique dela continence, les Fidéles
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l'embrassassent à son exemple, et se consacrassent tout à lui, les uns
par le vœu de chasteté, les autres par le vœu de virginité perpétuelle.
La chose est ainsi arrivée : l'Eglise de Jésus-Christ, répandue par tout
le monde, se vit bientôt parée des vertus de la continence et de la
virginité. Tous les saints Docteurs font foi de cette vérité, qu'ils ont
transmis aux siècles futurs.
Saint Athanase, parlant des effets surnaturels que produisit bientôt la
prédication de l'Evangile, dit (L. de Humil. Verb) : « Quel homme au
monde persuada jamais à un autre la vertu de la Virginité ? Au
contraire, tous étaient persuadés qu'il était impossible d'être vierge,
et de corps et d'esprit. Mais c'est notre Sauveur qui a apporté cette
vertu aux hommes, et qui leur en a facilité la pratique : ces hommes,
tels que nous sommes aujourd'hui l'ont observée en toute rigueur
dès leur plus vive jeunesse ; ils en ont fait une profession ouverte ; ils
ont persévéré dans cette vertu, toujours vainqueurs, des révoltes de
la chair, des efforts, du malin esprit, toujours endurant, avec courage
toute sorte de travaux et de peines pour conserver leur première
innocence ». Saint Chrysostome, Saint Ambroise, St Augustin etc.
nous font des peintures charmantes de toutes les parties du monde
où régnait la chasteté et la virginité. En Asie, en Afrique, en Europe,
les villes et les deserts étaient remplis de Fidéles, qui se présentaient
sur la terre, par une pureté sans tâche, la vie des Bienheureux dans le
Ciel. Aussi parmi les autres témoignages innombrables de la vérité de
notre Religion, c'en est un merveilleux, que l'Eglise seule de Jésus-
Christ ait toujours eû tant de personnes de deux sexes, et de tout
âge, qui ont vêcu dans unegrande pureté de corps et d’esprit, et dans
l'état de virginité perpétuelle. Car il est certain qu’il n'y eut qu’il n’y
aura jamais sans la grâce, sans ce secours surnaturel de Dieu, aucune
vertu parfaite, et bien moins encore que toute autre, celle d'une
parfaite pureté jugée même impossible dans tous les siècles qui ont
63
précédé la prédication de l'Evangile. Que si avant nos heureux temps,
quelques uns ont pratiqué en partie cette vertu, le nombre en fut
très petit et le secours pour cela nécessaire, ils le reçurent par la foi
en Jésus-Christ, qu’ils croyaient fermement devoir venir un jour
convertir et sauver les hommes, au prix de son propre sang et de sa
vie. « Entre les dons singuliers dont Jésus-Christ favorisa son Eglise,
dit Saint Athanase (In Apol. ad Imperat.) écrivant à l'Empereur
Constance, l'un fut celui de la virginité, laquelle est une image vivante
de la pureté des esprits célestes ; et les personnes qui vivent dans cet
état, sont appellées les épouses de Jésus-Christ. Les Gentils sont
frappés d'étonnement lorsqu'ils voyent reluire parmi nous cette
vertu ; parce que ce conseil évangélique ne s'est jamais observé par
aucune nation de l'univers, ni sous aucune autre Loi que celle de
l'Evangile. Grande preuve qu'où se trouve la pureté de cœur, là se
trouve la vraie Religion ». Saint Chrysostome dit à peu près les
mêmes choses (In Paul ad Rom.) : « Il s'est trouvé des hommes, mais
en plus petit nombre que l'on ne dit, qu'un esprit de philosophie a
élevé jusqu'au mépris des richesses : mais nul n'est parvenu à la vertu
de la virginité. C’est par cette vertu que le Chrétien paraît une
merveille, un prodige aux yeux des Gentils ». Or de cette merveille,
de ce prodige, après Dieu, nous en sommes redevables à Marie, qui
la première des créatures donna l'exemple au monde, d'une virginité
perpétuelle, d'une vertu qui fait la gloire et l'ornement de l'Eglise de
Jésus-Christ, qui équivaut au martyre, qui est une sorte de martyre
elle-même.
III. Dieu nous dit d'être saints comme il est saint : nous devons donc
travailler à nous faire des saints, quoique toute la sainteté que nous
pouvons acquérir avec la grâce, ne soit rien comparée à celle de Dieu,
laquelle est infinie. De même à proportion, quoique la pureté de
Marie soit si parfaite et si ineffable, il ſaut que fidèles et enfants dans
64
la nouvelle alliance, nous essayions de l'imiter selon la mesure de la
grâce qui nous est préparée à chacun dans notre état. On l’imitera
par une attention extrême à se défendre de tout ce qui peut au
dehors blesser cette vertu par une résistance et prompte et
généreuse à toute pensée, à tout désir qui lui est contraire, par une
grande estime et par un grand amour pour une vertu qui nous rend si
semblables à Dieu, et à sa sainte Mère.
Dans l'âge ou dans la situation libre de choisir un état de vie, si Dieu
vous inspire le dessein d'observer, soit dans le cloître, soit dans le
monde, une chasteté perpétuelle, ne rejettez point cette inspiration ;
et ne vous hâtez pas non plus de faire un vœu sur le champ. D’abord
remerciez Dieu de la bonne pensée qu'il vous donne ; priez-le chaque
jour de vous déclarer davantage, sa très sainte volonté, et de vous
mettre dans la voie où vous le pouvez mieux servir. Mais encore que
vous consultiez le Seigneur, prenez aussi conseil d'un Confesseur,
d'un Directeur habile, sage, homme de bien, désintéressé. Si l’effet
de l'inspiration subsiste, et que le conseil du Directeur s'y trouve
conforme, alors on peut embrasser sans crainte l'état dont le choix
paraît inspiré, et faire vœu de chasteté. Cependant on doit ici
mûrement examiner, peser de sens toutes choses ; de peur que l'on
ne prenne et que l'on ne donne à un Directeur pour inspiration, ce
qui ne l'est pas et de peur que l'on ne s'engage dans un état de
perfection sans y être appellé, et qu'après avoir mis la main à la
charrue, on ne regarde derrière soi, et l'on n’abandonne tout à fait
l'ouvrage commencé.
Ceux qui suivant l'attrait de la grâce vivent dans l'état de chasteté
perpétuelle, doivent spécialement imiter l'exemple de la sainte
Vierge. Il faut qu'ils évitent comme un monstre affreux tout ce qui
peut en quelque sorte souiller leur âme, toute occasion de pensée,
de désir, de sentiment contre l'honnêteté : il faut qu'ils
65
s'entretiennent dans l'exercice de la prière, de la méditation, de la
mortification des sens. Mais comme c'est une obligation générale
d'être chaste selon tout état de vie, que l'on s'applique à comprendre
combien il est indigne d'un Chrétien, et quelle injure on fait à la
Majesté divine de transgresser la Loi qu'elle nous a imposée à cet
égard ; alors au mépris de tous les attributs de Dieu, et surtout de
celui d'être un pur esprit, on lui préfére l'appétit brutal d'une masse
de corruption, qui est le corps, pâture destinée aux vers ; on la
contente, cette chair, à la honte de l'âme immortelle qu'en rehausse
la bassesse, au préjudice d'une éternité bienheureuse de l'une et de
l'autre : on foule aux pied l'ordre de Dieu pour obéir à son ennemi
capital et le nôtre, qui est le démon qui ne cherche qu'à nous voir
dans des flammes dévorantes sous sa tyrannie : et d'une autre part,
Dieu, bonté infinie qui nous a aimés d'un amour éternel, qui nous
prépare une gloire immortelle, nous avertit de résister avec son
secours au tyran de nos âmes, lequel nous hait, ne pense et ne veille
qu'à notre damnation. Ah ! Nous savons que notre consentement
donné au péché bannit aussitôt Dieu de notre âme, et y introduit à sa
place le démon : que la grâce est la vie de notre âme, et le péché la
mort ; que l'héritage céleste nous est ravi, et que l'enfer devient
notre partage.
Mais l'énormité de ce même péché croît à l'infini, depuis que le Fils
de Dieu s'est fait homme et est né d'une Vierge ; que par là il a
honoré la nature humaine, qu'il l'a élevée au-dessus de toutes les
choses créées, et nous a communiqué la dignité ineffable d'être ses
frères ; qu'il est comme notre chef, et que nous sommes comme ses
membres ; de cette dignité, de ce haut rang nous tombons, ainfi que
s'exprime Saint Paul, dans la bassesse la plus ignominieuse, d'être les
membres d'une prqſlituée. Ô quelle iniquité quelle horreur ! Quelle
abomina tion! Quelle désolation ! Fuyez-la conclut l'Apôtre, détestez-
66
la ; que son nom même ne soit pas prononcé parmi vous : Nec
nominetu in vubis.
Quoi ! Mon corps, cet amas de corruption est ennobli jusqu'à ce
point, que Dieu dans le sein d'une Vierge se soit fait homme comme
moi ? se soit fait homme pour moi ? Il m'a uni à lui par la foi, par la
grâce, par la charité ; il veut que mon âme soit son temple, sa
demeure où il habite avec complaisance ; c’est pour cela qu'il a traité
si durement son sacré Corps, qu'il l'a livré aux plus grands travaux,
aux plus cruels suplices, à la mort la plus ignominieuse. Ah ! Loin de
moi tous les bas et honteux plaisirs de la chair, toutes les vaines joies
du siécle : que mon corps se conserve sans tâche, et mon âme se
conserve pure. Que mon cœur devienne un sanctuaire de votre saint
amour, ô mon Dieu ! Voilà mon unique désir ; voilà ce que je vous
demanderai sons cesse sous la protection de votre sainte Mère, que
vous nous permettez d'appeler aussi la nôtre : Cor mundum crea in
me, Deus ; créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu.
CHAPITRE IX. De l'amour de la Sainte Vierge pour la retraite.
Que nous servirait d'estimer la chasteté, si nous n'étions pas en
même temps résolus d'user de tous les moyens nécessaires pour
l'acquérir et pour la conserver ? Bien qu'une grâce surabondante et
une assistance singulière de Dieu missent la Sainte Vierge à l'abri de
tous les écueils de cette vertu, elle menait néanmoins une vie très
retirée, et ne paraissait en public que dans une nécessité absolue ;
que pour la plus grande gloire de Dieu, que pour le service du
prochain : ensuite, fuyant le commerce contagieux du monde, elle se
rendait à sa solitude qui lui était toujours chère. C’est ce que signifie
le Prophète Isaïe, lorsqu'il dit : Une Vierge concevra ; il s'exprime ici
par un terme hébraïque, lequel, selon Saint Jerôme (In Is.), ne
67
marque pas simplement une Vierge, mais une Vierge retirée, une
Vierge qui aime la retraite. Aussi lorsque l'Ange salue Marie, il la
trouve seule, dans un réduit écarté, et en oraison. Saint Luc dit, que
lorsque Marie alla visiter sa cousine Elisabeth, elle y alla en grande
hâte. Quoique cette diligence fût une marque de sa charité vive pour
le prochain, ainsi que nous l'avons dit, elle fut la marque aussi du
désir de regagner promptement sa solitude, que la nécessité seule lui
faisait quitter. C'est la réfléxion de Saint Ambroise sur ces paroles :
Abiit cum festinatione. L’Evangeliste Saint Luc nous indique assez le
vrai amour de Marie pour la retraite et son éloignement du monde.
La Vierge, dit-il, alla visiter sa cousine Elisabeth, grosse de dix mois ;
et environ trois mois après, Elisabeth étant prête d'accoucher, Marie
s'en retourna à Nazareth. C'est là nous faire entendre pourquoi elle
n’attendit pas le temps de l'accouchement de sa cousine. La raison en
effet de son départ anticipé, ce fut que les voisins et les parents
d’Elisabeth devaient se trouver en grand nombre à la naissance de
Jean-Baptiste, cet enfant de miracle. Afin d'éviter ce concours
tumultueux, elle précipita ſon retour, suivant son attrait pour la
retraite : Abiit cum festinatione.
Tout le temps que la Vierge passa dans le Temple, dit sainte Brigitte
dans ses Révélations, elle se refusa à tout objet terrestre, quelque
permis qu'il fût, à tout entretien avec les personnes de sa
connaissance, avec son père et avec sa mère, autant que les lois de la
bienséance pouvaient autoriser cette retenue austère. Après avoir
épousé Saint Joseph, elle garda la même conduite, selon les régles du
nouvel état où elle se trouvait. Cette fuite du monde fut une des
raisons pourquoi elle se troubla à la vue de l'Ange Gabriel, avant
qu'elle sût que c'était un envoyé du Ciel. Car bien que les Anges lui
rendissent de fréquentes visites, ils ne lui apparaissaient pas sous une
figure humaine, et ils ne lui avaient pas tenu de pareils discours.
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Craignant donc que l’Envoyé visible du Seigneur ne fût un homme
ordinaire, objet étranger à ses yeux et dans sa solitude, elle éprouva
une surprise qui naissait d'une pureté plus qu’angélique. Saint
Jerôme écrivant à la Vierge Eustochium, dit : Représentez-vous Marie
lorsque l'Ange Gabrel lui apparut sous la figure d'un homme ; elle
s'étonna, elle se troubla ; pourquoi ? Parce que jamais homme ne
l'avoir saluée. St Bernard dit de ce même trouble de Marie (Homil. 3
in B. Virg) : C'est la coutume des Vierges qui sont véritablement
Vierges, de sentir en ces rencontres une sainte alarme, et de ne se
pas calmer si aisément ; elles craignent même où il n'y a rien à
craindre ; ainsi, lorsqu'il arrive quelque chose de nouveau, quelque
chose d'inopiné , elles y appréhendent quelque illusion contraire à la
pudeur : de cette sorte , Marie ressentit une impression de crainte ;
mais d'un crainte accompagnée d'une force d'une confiance
inébranlable dans son devoir.
II. L'esprit de retraite que nous devons admirer dans Marie, est
nécessaire à tout Chrétien selon son état, pour conserver le précieux
trésor de la chasteté. Mais il convient spécialement aux personnes du
sexe, et plus encore aux Vierges de ne point paraître dans le monde,
sans une nécessité réelle, sans quelque fin honnête. Les saintes
Lettres autorisent un aussi sage avis lorsqu’elles rapportent le grand
mal qui s'ensuivit de la curiosité de Dina, fille de Jacob, laquelle sortit
le sa maison pour voir les femmes de la Ville de Sichem. Cette sortie
fut l'occasion de son deshonneur, du crime de ses frères, et des
habitans de Sichem. Mais l’avertissement que nous donnons ici aux
personnes du sexe, ne leur est pas tellement propre, qu'il ne regarcle
point aussi les hommes : ils ne doivent pas se répandre tant au
dehors, et encore moins se livrer à des amusemens frivoles, à de
vaines curiosités. Sans doute que l'on ne peut se dispenser d’un
commerce fréquent avec les hommes, pour des raisons légitimes,
69
nécessaires même ; mais en ces circonstances, bien que le corps soit
en quelque façon dissipé, il ſaut que l'esprit soit recueilli, qu'il veille à
la garde des sens, surtout à celle des yeux, par où la mort entre dans
l'âme, lorsqu'on leur laisse la liberté des regards sur les objets qui se
présentent ? De là les mauvaises pensées, les désirs défendus, et
enfin la perte de la-vertu, qui fait la gloire de la loi nouvelle. Cette
vigilance continnuelle, les saintes Lettres nous la recommandent en
mille endroits. Prétendez-vous qu'il n'y a point pour vous de danger à
craindre en cette matière ? Ce serait prétendre être formé d'un autre
limon que le reste des hommes ; ce serait prétendre en savoir plus
quela Sagesse éternelle, qui menace d'une chûte certaine, quiconque
ne fuit pas le péril. Pour confondre ici notre présomption ou notre
imprudence, l’Ecriture nous fournit deux exemples des plus grands
Saints de leur temps ; l'un est celui de David, qu'un seul regard
précipite dans un double crime d’adultère et d’homicide ; l'autre
exemple est celui du saint homme Job, lequel avait fait un pacte
inviolable avec ses yeux, pour ne regarder jamais une personne du
sexe : Pepigi fœdus cum ocudis meis etc. il en usait de la sorte, dit
saint Chrysostome sur ce passage ; parce qu'il savait que celui qui par
curiosité regarde une personne du sexe, il est rare, et peut-être
impossible, que son cœur n'en reçoive aucune atteinte. Ensuite ce St
Docteur pour rendre sa proposition plus sensible, fait cette
comparaison : s’il vient à un malade une envie de manger quelque
chose de nuisible, et qu'il surmonte cette envie, il empêche le mal
que lui eût causé cette viande préjudiciable, et guérit plûtôt sa
maladie : mais si pour un peu de plaisir, il mange d'une chose
nuisible, sa maladie augmente, il en meurt peut-être, ou bien il met
un grand obstacle au retour de sa santé ; au lieu qu'il en aurait été
quitte au prix d'une légère peine qu'il lui en eût coûté à réprimer son
envie de manger : de même s'il vient quelque envie de regarder une
personne, et que l'on réprime d’abord cette envie, on se délivre de la
70
peine de la tentation que ce regard aurait causée, et du grand mal
qui pourrait en arriver : au contraire, en se permettant ce regard, il
en coûte pour cette légère satisfaction, une violence extrême à
surmonter l'effort de l'attrait , s'il n'en coûte pas la vie de l'âme.
Saint Chrysostome conclut, qu'étant bien plus facile et plus sûr de
s’interdire d'abord un regard, nous devons user d'un remède si
important, et que Dieu nous a enseigné. Mais comme célèbre
Orateur chrétien prêchait cette morale à une grande affluence de
peuple, il se fait une objection, à laquelle il répond : Quelques-uns
me diront, qu'ils n’éprouvent point de danger à regarder des
personnes du sexe ; je prétens, moi, que cela n'est pas croyable. Saint
Paul, après avoir été ravi au troisième Ciel, sentait la guerre intestine
de la chair, et châtiait son corps pour le soumettre à l'esprit ; tous les
autres Saints éclairés de Dieu ont fait la même chose pour n’être pas
vaincus par les sollicitations de la cupidité ; ils passaient les nuits en
oraison, ils macéraient leurs corps par des jeûnes, par le cilice, par
toutes sortes de rigueurs ; et avec tout cela ils triomphent encore à
peine des assauts de la cupidité. Comment donc serait-il posible
qu'un homme qui se nourrit délicatement, qui a toutes ses aises, qui
mêne une vie oisive, qui ne pense qu'à goûter les divers amusements
du siécle, qui voit sans cesse les personnes du sexe, qui joue, qui
raille, qui plaisante avec elles, à qui l’oraison et la mortification sont
des noms barbares, des termes de cloître ; un homme ainsi désarmé,
comment se défendrait-il contre les désirs déréglés de la chair ? ll est
accoûtumé à s'y abandonner sans retour sur soi, et par conséquent
sans effort : il ne sent plus la guerre intestine de l'homme charnel
entre l’homme spirituel. Telle est la peinture que St Chrysostome fait
de tant de coupables mondains, qui ne reconnaissent point de
regards dangereux, et qui se vantent de n'en recevoir aucune
atteinte. Insensés à qui l'habitude au crime, le fait trouver innocent.
Les personnes du sexe sont en core plus obligées à la garde des yeux
71
parrapport aux hommes, vu que l'honnêteté et la pudeur sont
comme leur appanage. Veillez sur vos yeux leur dit Saint Augustin, et
prenez garde de ne les fixer jamais de propos délibéré sur aucun
homme : ce n’est pas assez d’avoir le cœur pur, il faut aussi que les
yeux soient chastes ; c'est un signe que le cœur ne l'est guère,
lorsqu'on leur laisse trop de liberté. Mais d'ailleurs, c'est un grand
acte de vertu que de retenir ses yeux, lors même qu'il n'y aurait nul
péril : l’inclination naturelle nous porte à la liberté de voir les objets
qui se présentent à nous ; et alors leur refuser nos regards pour
plaire à Dieu, c'est un sacrifice qui lui est bien agréable et d'un grand
mérite pour nous ; c'est une victoire qui sert infiniment à la
conservation et à l'accroissement de la vertu, et qui nous fortifie dans
les occasions imprévues dont nous sommes à tout moment menacés.
III. C'est encore dans ce que l'on nomme le commerce du monde, que
l'amour de Marie pour la retraite, nous est une importante leçon.
Ceux qui aiment une pureté sans tâche, comprendront bien la
conséquence des avertissements que nous leur proposons, et la
conformité qu'ils ont avec les sentimens de leur propre cœur ; les
autres qui n’aspirent pas à la souveraine perfection de cette vertu,
seront peut-être touchés du désir de profiter avec la grâce, de ces
mêmes avertissements.
Il convient également à l'un et à l’autre sexe, de s'interdire avec
courage, toutes conversations, tous commerces, tous usages vains,
inutiles, frivoles et que le monde appelle amusements, sociétés,
compagnies, rendez-vous. Alors le danger est bien plus prochain de
perdre la pureté du cœur, dit St Cyprien (Lib. I Ep.) ; car à la vue des
objets qui en peuvent occasionner la perte, on ajoute une familiarité
à laquelle on prête le nom de politesse, et l'on ôte celui de cajolerie
pour ne point effaroucher. Le risque est ici semblable, continue ce
Père de l'Eglise, à celui d'un vaisseau battu par les vents contraires, et
72
environné d'écueils : le vaisseau se brise ou est submergé, s'il
demeure exposé à l'orage. De même, le salut del'âme est très
hasardé par des atteintes que des discours et des usages tout
mondains lui portent de toutes parts. Dans les occasions, dans les
affaires attachées à l'état ou à l'emploi, disent les Saints, en se
comportant avec précaution, et en demandant à Dieu son secours qui
nous soutient, nous sommes forts contre le péril ; Dieu affaiblit notre
adversaire, et si nous sommes attaqués, nous sortons vainqueurs du
combat. Mais au contraire, si nous hantons les cercles et les
compagnies sans aucune juste raison, ou à pure perte de temps, Dieu
a coutume de retirer pour lors son secours extraordinaire ; nous en
devenons indignes en nous exposant ainsi au danger. C'est ce que
nous fait entendre St Jerôme, écrivant à Nepotien : Ne souffrez point
que les femmes vous rendent chez vous des visites, et ne restez
jamais dans la même maison avec elles ; ne vous rassurez point à cet
égard sur votre vertu acquise : vous n'êtes ni plus saint que David, ni
plus sage que Salomon qui succombèrent. Les saintes Lettres nous
enseignent la même vérité en plusieurs endroits et menacent dela
mort presque toujours certaines de leur âme, les personnes des deux
sexes qui n’évitent pas avec soin selon leur état, tout de tomber dans
le péché, ou par pensée, ou par désir ou par action même.
À la raison du danger, nous en ajoutons une autre ; c’est obligation
de donner bon exemple à notre prochain et de lui ôter autant qu’il
est en nous tout sujet de scandale. Non ce n’est pas assez à des
Chrétiens d‘être chastes dans le cœur, dont l'œil de Dieu est témoin,
ils doivent aussi le paraître en ne se permettant quoi que ce soit qui
puisse faire juger ou soupçonner qu’ils ne le sont pas. Or des
personnes de différent sexe qui se voient tous les jours, et qui ne se
voient que pour des parties de divertissements, de jeu, de
promenades, n’occasionnent-elles pas le soupçon que leur liaison ne
73
pourrait n’être pas dans les règles ? Surtout lorsque leurs manières et
leurs discours ont un certain air de légèreté, qui n'est point celui
d'une exacte bienséance. Ces indices suffient pour fonder une vraie
obligation d'en ôter la cause. Mais cette obligation redouble à l'égard
de ceux qui sont dans l'état de continence, et à l'égard du sexe qui
fait profession d’une pudeur plus austère, parce que le monde malin
les soupçonne plus aisément, parce que leur exemple est plus
préjudiciable, parce que le démon leur livre de plus rudes attaques
pour les faire tomber, pour décrier la vertu et pour autoriserle vice.
Un saint Auteur fait à ce sujet ces réfléxions : Le démon ennemi
irréconciliable de la vertu, dit-il, suggère aux femmes qui vivent dans
le bien, de prier les serviteurs de Dieu de leur rendre souvent des
visites pour les consoler, et pour les diriger dans les voies spirituelles
; et sous ce prétexte honnête, l'esprit de ténèbres cache une illusion
qui ſait quelquefois tomber l'âme dans une infirmité dont elle ne
réléve jamais (Ant. Hom. 18). Cependant, cet avis, continue le même
Auteur, ne condamne pas les visites que dictent la charité, la piété,
les besoins du prochain, ou quelques autres motifs honnêtes. Mais en
ces rencontres, pour être utile aux personnes qui demandent nos
conseils ou notre direction, et pour ôter au monde tout sujet de
scandale ou de soupçon, on doit être fidèle à user des moyens que
voici : Une grande défiance de soi même, une grande sagesse dans
ses paroles, une grande retenue dans tous ses sens, une grande
applica tion à la prière, une mortication continuelle de ses passions,
et un châtiment de son corps semblable à celui de l’Apôtre : Cafligo
corpus meum, et iri servitutem redigo.
CHAPITRE X. De Ia modestie de la Sainte Vierge
74
I. La modestie est une pudeur de l'âme, une retenue qui sert et tend
à régler les sens extérieurs de l'homme. Par exemple, dans l'usage
des yeux, la modestie demande que le regard ne soit point fixe ; si
l'on parle, que ce ne soit point avec des gestes vagues et fréquents,
avec des remuements continuels de tête ; si l'on rit, que ce ne soit ni
avec des éclats qui s'entendent au loin, ni avec des contorsions de
tout le corps ; si l'on marche, que ce soit d'un pas conforme à son
caractère, ou à la qualité de la chose ; si l'on est assis, que ce soit
dans une posture décente. Cette modestie extérieure marque la
disposition de l'âme modérée et retenue. L’habillement, le rire et la
démarche, dit l’Ecclésiaste (Eccl. 19, 27) manifestent le fond de
l'homme : A son aspect, on voit s'il est sage, s'il a du bon sens (Ibid).
Comme les dehors sont la montre du dedans, s’ils sont réglés, c’est
une preuve que sont soumis les passions, et que l'intérieur est dans la
régle. La sainte Vierge fut un modéle achevé de la modestie ; ses sens
extérieurs étaient gouvernés en soi par la raison et par la volonté de
Dieu : toute la représentation de sa personne était honnête, grave et
composée. Dès son bas âge, dit Saint Jean Damascène (De nativ.
Virgin.), sa démarche était tranquille et posée, et annonçait une
prudence consommée dans un corps d'enfant ; avec un certain air de
vertu, elle avait toujours les yeux baissés, à moins que la nécessité ne
les ouvrit, ou qu'elle ne les élevât au Ciel durant la méditation et la
prière. Le saint Prêtre Epiphane, au rapport de Nicephore, dit (Lib. 2)
: La Sainte Vierge était généralement en tout très modeste et très
grave, sans rire jamais, sans jamais se déconcerter, ni se troubler,
sans jeter jamais un regard fixe sur qui que ce soit. Enfin, la modestie
de la Vierge, encore enfant, paraissait à tous les hommes judicieux un
prodige, qui faisait dire que l'on n'avait encore rien vu de pareil : tout
semblait surhumain et céleste en elle : il semblait que le Créateur du
Ciel et de la Terre s'était plû à former une Créature la plus accomplie
de toutes.
75
II. Qui pourrait exprimer la bienséance que la sainte Vierge observa
dans ses discours, et en chaque parole qu'elle dit durant tout le cours
de sa vie ? Il ſallait certes que toutes les vertus concourussent
ensemble en elle, pour avoir cet empire si absolu et si édifiant sur sa
langue. La modestie veut que la voix soit tellement mesurée, que
quand on parle à une personne proche de soi, on le fasse d'un ton
plus bas, avec un air tranquille et serein. La sagesse veut que l'on
attende le temps auquel on doit parler, et que tandis qu'un autre
parle, on ne lui coupe point la parole, on ne l'interrompe point (Eccl.
20). Le sage se tait jusqu’à ce que son temps de parler soit venu : au
lieu que l'homme inconsidéré n'a nul égard au temps. La prudence
avertit qu'il ne faut point être diffus en paroles ; que ce que l'on peut
dire en un mot, ne doit point se dire en plusieurs, et que l'on examine
ce que l'on doit dire avant que de parler. Celui qui parle
inconsidérément, dit le Livre des Proverbes (Ch. 13), tombera dans
plusieurs fautes. La justice apprend à ne rien dire contre le prochain ;
la charité fraternelle à n'être ni fâcheux, ni déplaisant, mais doux et
courtois : l'amour de Dieu demande que tout ce que l'on dit retourne
à sa gloire, et exciter les autres à l’aimer et à le louer. Qu'il ne sorte
pas de votre bouche une parole, dit l'Apôtre aux Ephésiens (4, 29),
qui ne serve à édifier et à aider ceux qui vous écoutent.
(De Instit. Monach.) Saint Basile donne sur cette même matière
quelques avis que voici : Que les paroles vaines et inutiles, qui ne
servent qu'à distraire l’esprit soient bannies de vos conversations ; ne
traitez que de choses qui soient bonnes, propre à édifier et à instruire
; alors même, tenez-vous dans les bornes de la plus exacte
modération, supprimant toutes paroles aigres bien que votre
intention soit de redresser vos frères et de les corriger avec efficace.
Lorsque l'on est plusieurs ensemble, que l'on ne parle point par
signes ; ces manières sont des sources d'ombrages et de soupçons.
76
De toutes ces sages régles de la conversation, la sainte Vierge nous
en a donné d'excellents exemples : Elle aima extrêmement le silence,
mais elle ne manqua jamais à dire ce qui était nécessaire sur ce que
la gloire de Dieu et l'utilité du prochain demandaient. Cependant son
amour d'ailleurs pour le silence faisait qu'elle parlait rarement : nous
ne lisons point dans l'Evangile qu'elle ait parlé plus de sept fois, bien
qu'elle ait parlé davantage, parce que la charité l'y obligeait ; mais
c’est toujours une grande marque qu’elle parlait peu et c'est ce que
les Saints considèrent et imitent en elle. Dès son enfance, dit sainte
Brigitte (Rév. Ch. 10 etc.), elle aima le silence et la retraite afin de
s'entretenir seule avec Dieu le jour et la nuit : elle était très attentive
à s'interdire toute parole hors de propos ; et aussi ne lui en échappa-
t-il pas une seule. Mais après tout, ce silence qui lui était si cher, elle
l'interrompait sitôt que l'occasion de gloriſier Dieu ou de servir le
prochain venait s'offrir à elle. Saint Jean Damascène dans son éloge
de la sainte Vierge, dit (Orat. De Nativ. Virg.) que toutes les paroles
qui sortaient de sa bouche imprimaient la douceur dont son âme
était remplie. Epiphane, cité par Nicephore, dit qu'elle était
l'affabilité même, qu'elle parlait très peu, mais toujours avec sagesse,
et à l'édification de ceux qui l’entendaient. Lorsque l'envoyé du Père
Eternel la salua, la loua, la nomma pleine de grâce, temple du
Seigneur, bénie entre les femmes, bien loin de se flatter de ces
louanges, dans un profond silence elle éleve son cœur à Dieu, pour
savoir de lui ce qu'elle doit dire et ce qu'elle doit faire ; jusqu'à ce que
l'Ange voyant qu'elle se taisait, lui déclare le mystère dont il
s'agissait. Mais écoutons sur ceci le saint Cardinal Damien : La Vierge,
dit-il (Serm. 3 de B.V.), ayant entendu l’Envoyé céleste, observa la
rigueur de son silence accoutumé, et en se taisant elle mérita
d’entendre ce qu'elle ne voulait pas demander : Après que l'Ange lui
eût expliqué le haut mystère de l’lncarnation du Verbe, elle ne dit
que quelques paroles absolument nécessaires, les unes pour marquer
77
le vœu de virginité qu'elle avait fait, les autres pour marquer son
obéissance à la volonté du Seigneur. Aux noces de Cana, dans une
occasion où il semblait qu'elle dût motiver la demande qu'elle fit à
son Fils, elle ne dit que ces paroles : Vinum non habent. Peut-on
représenter en moins de mots la fâcheuse situation où se trouvaient
ceux qui les avaient conviés, et qui allaient recevoir un grand affront
si leur disette eût été brusquement apperçue ? Aussi le docte Abbé
Rubert remarque que le temps du silence pour Marie, fut celui que
son Fils, le Sauveur des hommes, demeura en ce monde. Mais après
que Jésus-Christ fut couronné dans le Ciel d'une gloire immortelle, la
Vierge parla dans les formes, et apprit aux Apôtres les secrets qu'elle
tenait de son Fils et de leur commun Maître : Il était question alors de
la gloire de Dieu, de l'édification de leurs âmes, de leur instruction,
de leur consolation, de les enflammer de l'amour divin.
III. Proposons-nous d’imiter selon notre état l’exemple de la Vierge
dans nos paroles et dans nos actions. La modestie qui règle tout
l'extérieur de l'homme est si expressément recommandée aux fidéles
par l'Apôtre des Gentils : Modestia vestra nota sit omnibus
hominibus, etc. Elle leur est recommandée, et pour l'édification des
autres et pour leur propre salut. En effet, comme l'on ne voit pas
l'interieur, on ne saurait en juger que par l'extérieur ; et si les dehors
sont réglés, on présume aisément que le dedans l'est à proportion.
On loue Dieu d'avoir des serviteurs dignes de lui, des enfants qui
ressemblent, autant que cela se peut, à leur Père céleste. Combien
de Chrétiens par leur seule modestie, sans dire une parole, ont
prêché, persuadé la pénitence à de grands pécheurs. Combien de
Martyrs ont converti par le même attrait, des païens opiniârres ?
C'est ce que rapportent Metaphraste et Surius, entre autres de St
Lucien le Martyr, dont l'extérieur modeste avait fait embrasser à
plusieurs infidéles la foi en Jésus-Christ, qui avait de tels serviteurs. ll
78
faut particulièrement nous appliquer à acquérir la tempérance de la
langue, que la sainte Vierge avait à un degré parfait. Pour cela nous
éviterons de parler beaucoup ; nous éviterons toutes les personnes
qui le font, et toutes les occasions de le faire nous-mêmes. Combien
de péchés se commettent dans le discours ? Combien de mensonges,
de paroles inutiles, oiseuses, vaines, injurieuses, offensantes ?
Combien de médisances, de calomnies, de murmures, de rapports,
d’exagérations, de railleries, de satyres ? De ces péchés et de tant
d'autres de la langue, les uns sont véniels, et les autres sont mortels.
Or, dans cette multitude et dans cette diversité de péchés, n'est-il
pas moralement impossible que l'on ne se rende point coupable de
plusieurs, ou griefs, ou du moins légers ? In multiloquio non deerit
peccatum. C'eſt un oracle du Saint Esprit, qu'en parlant beaucoup, on
ne manque point de pêcher. Ô qu'il importe de travailler à s'acquérir
un empire absolu sur sa langue, pour qu'il n'échape jamais rien qui
puisse blesser le prochain ! Bienheureux, dit l'Ecclésiaste, sont ceux
qui n'ont failli en aucune parole qui soit sortie de leur bouche. C’est
là imiter la Mère du Verbe incarné dans une vertu qui lui ſut
infiniment chère, et le moyen d'attirer sur nous la protection de son
Fils.
IV. Ce n'est pas assez de parler peu, pour imiter l'exemple de la sainte
Vierge et pour éviter les péchés de la langue et parce qu'en parlant
peu, l'on peut encore tomber dans des fautes aussi grièves, et plus
quelquefois que ceux qui parlent beaucoup. Il faut donc être attentif
à ne dire que de bonnes choses, que des choses utiles au prochain, et
qui puissent toutes se rapporter à Dieu, comme à leur unique fin. Il y
a bien des choses purement humaines qu'une forte de nécessité nous
oblige souvent de dire : alors parler avec un bon motif, avec une
intention honnête ; c’est vertu, c’est mérite. Mais à l’égard de mille
autres discours que l'on tient sans aucune nécessité, il faut gagner
79
sur soi de les supprimer, et se faire une habitude d'y substituer des
entretiens dignes de notre état de fidèles, de chrétiens, d'hommes
étrangers sur la terre, de citoyens de la céleste patrie, ainsi que
s'exprime l'Apôtre, non point à des Solitaires, à des Moines, à des
Religieux, mais à des gens du monde. Et au lieu de cent bagatelles,
dont les redites devraient ennuyer tout esprit raisonnable, combien
de matières diverses ne fourniraient point à des entretiens toujours
édifiants ? Les œuvres admirables de Dieu, les faits en tout genre
héroïques de ses Saints, ses bienfaits, ses miséricordes ; les mystères
ineffablesde notre Religion, les exemples des gens de bien dans
toutes les conditions, leurs vertus aussi sévères dans le siécle que
dans le cloître ; les maximes chrétiennes que nous avons lues ou
entendues, enfin nous avons tant de sujets variés et inépuisables
pour ressembler à nos pères les premiers chrétiens et pouvoir dire
comme eux : Nostra conversatio in cælis est.
Nous avons reçu de Dieu l'usage de la langue pour célébrer sa gloire
et les ouvrages de ses mains ; les Cieux et le Firmament nous
apprennent sur cela notre devoir : Cæli enarrant gloriam Dei, et
opera manuum ejus annuntiat firmamentum (Ps. 53). C'est encore
pour faire part aux autres des bonnes pensées et des saints désirs
que le Seigneur Dieu met en nos esprits et en nos cœurs dit
l’Ecclésiastique (Ch. 59) : Dieu m’a donné en récompense de mon
travail, une langue pour le glorifier et pour faire qu'on le glorifie. Dieu
m'a donné une langue, dit Isaïe afin que par mes paroles je soutienne
le faible, et je rélève celui qui est tombé. Puis donc que c'est pour ces
fonctions que le talent de la parole nous a été départi ; n'est-il pas de
la justice, n'est-ce pas une obligation étroite, que nous en disions
conformément à l’intention de notre Créateur ? Comme ce serait un
crime de faire servir à des sages profanes un Temple consacré par un
Evêque, au Culte divin ; aussi la même langue que Dieu a destinée à
80
le louer et à édifier le prochain, nous ne pouvons l’employer à
l'ofſenser, et à faire tort à nos freres, sans nous rendre doublement
criminels au Tribunal de divine Majesté. D'ailleurs, depuis que le
Verbe incarné s'est fait de notre langue comme un passage en nos
âmes dans la participation de son sacré Corps ; cet honneur infini ne
nous oblige-t-il pas assez à conserver notre langue pure de toute
parole indécente, et à n'en faire usage que pour la gloire de notre
bienfaiteur ? Saint Bernard prise ce bienfait et cet honneur à un
point, que ce que l'on nomme bagatelle dans la bouche d'un Séculier,
il le qualifie de blasphème dans la bouche d'un Prêtre ; exagération, il
est vrai, mais exagération qui n'est pas sans quelque fondement, et
que mérite bien la faute sur laquelle elle tombe.
Mais l'amour que nous devons à Dieu est pour nous le motif le plus
pressant de parler des choses qui le regardent : quand on l’aime bien,
on pense volontiers à lui, on s'entretient volontiers avec lui, on parle
volontiers de lui ; la langue suit le cœur, et les paroles suivent les
sentiments, sans que l'on y fasse presque attention. Oui si nous
aimons Dieu comme nous le devons, nous en parlerons sans peine,
nous en parlerons même avec goût, et avec plaisir : en user
autrement, c'est un indice de notre peu d'amour, ou que nous n'en
avons point du tout pour lui. Aussi le Disciple bien-aimé, parlant de
lceux qui enſeignent le mal, dit : lls sont du monde, et pour cela ils
parlent du monde, c'eſt-à-dire, qu'ils sont du monde, et qu'ainsi s’ils
parlent des choses du monde, que les mondains comme eux
écoutent très volontiers. Mais, nous amis de Dieu et ses enfants,
nous parlons de lui, et nous sommes écoutés de ceux qui sont
comme nous.
(In memor. S.S.) Il est rapporté de sainte Colombe, Vierge et Martyre,
qu'elle avait un si grand amour pour Dieu, qu'elle s'en sentait le cœur
transpercé comme d'une flèche, dont la blessure ne se guérirait que
81
lorsqu'elle verrait dans le Ciel celui qu'elle aimait uniquement : et
une preuve entre les autres, de cet amour, dit saint Euloge, c'est
qu'elle évitait avec soin toute parole oiseuse, et ne se plaisait qu'à
parler de Dieu. Tant qu'elle vêcut dans son Monastère, elle rechercha
toujours les religieuses les plus mortifiées et les plus intérieures ; afin
de s'entretenir de Dieu plus librement avec celles dont il était aimé
davantage : certainement c'est l'effet de l’amour de se plaire à parler
de ce que l'on aime. Un laboureur attaché à son état où il s'enrichit,
ne parle que de moisson et de récolte. Un homme uni étroitement à
Dieu, ne parle que des bienfaits dont il nous a comblés, que de la
beauté et du prix de la vertu ; parce que son cœur est où est son
trésor. Ce n'est pas néanmoins que l'on néglige ou que l'on oublie les
choses temporelles qui sont nécessaires ; mais à peine y a t-il apporté
les soins raisonnables qu'elles demandent, que l'on retombe dans le
centre de son cœur, qui est Dieu, et que l'on parle de lui d'une
manière bien plus affectueuse que de toute autre chose. Une âme
qui aime Dieu, dit saint Augustin (In Men.), ne peut penser qu'à lui, et
aux objets qui l'y conduisent ; elle ne sait parler que de lui, tout le
reste lui répugne et la dégoûte ; tout ce qu’elle fait, tout ce qu'elle
dit, se ressent de l'amour divin, et en répand au dehors la douce
odeur. Et en effet, un homme bien affectionné à Dieu n'a pas besoin
pour amusement dans ses peines, ni pour soulagement dans ses
maladies, qu'on lui tienne des discours plaisants ; ils ne servent qu'à
augmenter sa douleur, pourquoi cela ? Parce qu'il ne le aime pas ;
entretenez-le de ce qu'il aime, de ce qu'il désire, de ce qu’il espère,
de l'objet unique de son amour, de Dieu, souverain bien après lequel
il soupire. L'Auteur de la Vie de Ste Catherine de Sienne dit que ses
conversations étaient toutes de Dieu ; et il assure que sans se lasser,
elle eût passée les jours et les nuits à en parler, si elle avait eu des
témoins pour en profiter, et que ces discours, loin de la fatiguer,
étaient un remède qui la fortifiait. On conçoit cela quand on aime
82
bien Dieu, et que ce n'est point une gêne, mais une douceur, mais un
plaisir que d'en parler, surtout lorsqu'il ne s'agit point de choses si
sublimes, mais de choses faciles et communes qui ne demandent
point de contention d'esprit. Cependant, quoique parler de Dieu ce
soit le langage des Saints ; il ne ſaut pas blâmer ceux qui par
délassement et par récréation s'entretiennent de quelques autres
matières, pourvu que ce soient de bonnes choses, et qui puissent
être rapportées à Dieu ; autrement ce deront au moins des paroles
oiseuses dont on rendra compte à Jésus-Christ, suivant l’oracle qu'il a
lui-même sur cela prononcé. St Bernard écrivant au Pape Eugène, (De
confid. l. 2) : Lorsque dans la conversation quelqu'un tient des
discours inutiles, on peut quelquefois s'y prêter ; il est néanmoins à
propos de les interrompre, en y substituant des choses solides et
profitables qui mettent fin aux inutilités. Et ailleurs, parlant à ses
Religieux : Mes Frères, dit-il, je sens dans l’âme une vraie douleur,
quand j'en vois quelques uns parmi vous si enclins à rire, à parler de
choses vaines et à plaisanter : je crains que ce ne soient des ingrats
envers les bienfaits et les miséricordes du Seigneur ; que cette
conduite ne leur attire enfin la soustraction de sa divine grâce : pour
ce qui est des autres qui se laissent aller à des plaintes, à des
murmures, à des impatiences ils ne sont pas seulement des ingrats
envers la bonté du Seigneur, mais ils l’offensent ; mais ils l'outragent.
Tout ceci est de saint Bernard : Quant à ce qu'il dit, qu'il faut couper
le fil aux vains propos pour leur en substituer d'autres qui soient
utiles : il est à remarquer que cela se doit faire avec le sel de la
discrétion, et à l'égard des personnes d'un caractère à ne pas trouver
fort mauvais qu'on leur ôte ainsi la parole. Car s'il y a de grands
inconvénients à les interrompre précisément pour les inutilités qu'ils
disent, il vaut mieux alors se taire, élever son cœur à Dieu, compatir à
la faiblesse humaine en secret, demander au Père céleste qu'il nous
délivre de toutes nos misères. C'est ce que faisait un saint homme en
83
pareilles circonstances : Ô mon Jésus, disait-il avec saint Augustin,
quand est-ce que tous nos procédés seront conformes à votre sainte
volonté ? Pour en venir là, il ne faut qu’imiter, autant que nous
pouvons, la sainte Vierge, notre modèle après Jésus-Christ : alors tout
notre extérieur reglé par des principes intérieurs, tournera à la gloire
de Dieu, à l’utilité du prochain, et à notre propre bien.
CHAPITRE XI. De la pauvreté volontaire de la sainte Vierge.
I. Celui-là est véritablement pauvre qui manque du nécessaire pour
vivre et pour se vêtir : mais si bien loin d'aimer la pauvreté où il se
trouve, il désire d'avoir tout ce qui lui manque, sa pauvreté est
appelée une nécessité et non point une vertu. Que si pour subvenir à
sa misère, il ne fait rien qui ne soit dans l'ordre, son état peut servir à
son salut et se nommer une vertu de pauvreté nécessaire, mais non
point une pauvreté volontaire ; enfin, si le même homme, sans
désirer de biens qu'il n'a pas, aime son état et content de sa
pauvreté, se borne précisément au nécessaire, s'en retranche même
quelque chose sans péril de sa vie, ou sans un détriment notable de
santé, sa pauvreté alors est une vertu, elle est une pauvreté
volontaire. La vraie et parſaite pauvreté, dit Albert le grand (In Parad.
anim. c. 5), c'est de renoncer volontairement pour Dieu à toutes les
choses temporelles, c'est de n'avoir que le pur nécessaire, et de s'en
retrancher quequefois pour Dieu ; car, où le nécessaire se trouve en
entier, là ne se trouve point la pauvreté ; et qui ne veut pas souffrir
que rien lui manque, ne saurait être apelé amateur de la pauvreté.
Voilà le caractère de la pauvreté évangélique que Jésus-Christ
conseilla à un jeune homme riche. Allez, vendez tout ce que vous
avez, donnez-le aux pauvres, et me suivez. Telle est la pauvreté
d'esprit, dit Saint Basile : car les vrais pauvres d'esprit sont ceux qui
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par choix, et de leur plein gré, se font pauvres. Cette vertu de la
pauvreté a plusieurs degrés, ainsi qu'en ont toutes les autres vertus
chrétiennes ; et plus on se refuse du nécessaire, autant qui est
permis, par amour pour la pauvreté, plus on est parfaitement pauvre.
Lorsque par choix, comme font tous les Religieux, on a embrassé
l'état de pauvreté et que l'on veut après cela que rien ne manque ;
on n'a pas la vertu de la pauvreté volontaire, laquelle est la vraie
pauvreté d'esprit ; on n'a que l'habit et la profession de pauvre. Au
reste, la fin pour laquelle le Sauveur a conseillé la pauvreté d'esprit,
et que doivent se proposer tous ceux qui l'exercent, la voici : c'est
que privés des biens temporels, ils n'y aient plus d'affection ; c'est
qu'ils puissent plus aisément vaquer aux choses du Ciel ; c'est qu'ils
soient plus propres à la vertu, à recevoir les dons célestes, à aimer
purement Dieu, dont l'amour croît en l'âme à mesure qu'elle est plus
vide de tout amour terrestre. Une autre raison, ou une autre fin, pour
laquelle les serviteurs de Dieu doivent chérir la pauvreté, c'est qu'elle
nous rend conformes à Jésus-Christ notre Chef, et à sa sainte Mère,
pauvres par choix.
Marie en effet, nous offre dans toute sa vie des marques de son
amour pour la pauvreté la plus parfaite. Lorsque, suivant les desseins
de l'Eternel, il fut convenable qu’elle se mariat, elle épousa un
homme juste, qui descendait à la vérité du Sang royal de David mais
qui était lui-même un artisan lequel vivait du travail de ses mains et
un artisan si pauvre qu'il eut besoin du secours continuel de sa chaste
épouse, pour fournir désormais à leur commune subsistance. En
acceptant un époux si pauvre, dit Basile (In Const. Manach), Marie fit
un acte héroïque d’amour pour la pauvreté la plus rigide. A quel
degré en effet ne pratiqua t-elle pas cette vertu dans le mystère et
dans toutes les circonstances de son glorieux enfantement ? Elle sort
de Nazareth avec St Joseph pour obéir à l'ordre d'Auguste : de quoi
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vit-elle durant le chemin, elle qui peut à peine gagner avec son époux
de quoi subsister dans leur petit domestique ? Arrivée à Bethléem,
où loge t-elle au fond de l'hiver ? Point d'hôtellerie pour elle, pour
une personne en si mauvais état ; tout est occupé ou retenu par des
riches orgueilleux : Marie et Joseph sont des pauvres et le
paraissent ; ils sont revoqués avec mépris. Ainsi contraints de partir
de la ville, ils cherchent le couvert où ils peuvent : une étable
exposée à toutes les injures de l'air, s'offre à leurs regards ; ils s'y
réfugient, incertains de trouver mieux. C'est en ce lieu, retraite
abandonnée à des Pâtres errants dans la campagne, que la Reine des
Anges doit mettre au monde le Fils du Très-Haut ; c'est là qu'elle
l'enveloppe de quelques pauvres langes, et que deux animaux
prêtent leur haleine au nouveau né pour toute ressource contre la
rigueur de la saison ; c'est là qu'elle demeure l'espace de quarante
jours, suivant l'opinion de saint Chrysostome et de plusieurs autres
saints Docteurs.
Mais cette pauvreté extrême ne fut point une pauvreté forcée ; ce
n'eût plus été une vertu ; elle fut une pauvreté volontaire, aimée,
désirée, plus estimée que l’opulence et la magnificence de tous les
Rois de la terre. Le Père Eternel l’avait ainsi ordonné, parce que cela
convenait à son Fils unique pour enseigner aux hommes par son
exemple, le mépris des richesses ; et la Mère d'un tel Fils devait elle-
même observer la plus étroite pauvreté, afin de seconder de sa part
les desseins de l’Eternel sur cet article.
II. Voici de nouveaux traits de la pauvreté évangélique de la Sainte
Vierge. L’offrande qu'elle présenta au Temple quarante jours après la
naissance de Jésus, fut une Colombe ou une Tourtetelle : c'était
l’offrande des pauvres que la Loi dispensait d'une autre plus
considérable et propre des riches, des gens à leur aise. Certainement,
si Marie eût le moyen d'acheter un agneau, elle n'aurait pas usé
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d'une dispense, laquelle devenait en cette occasion une indigence
simulée ; et ailleurs dans tout le reste elle observa toujours la Loi
avec la dernière ponctualité. Ainsi cette action de la Sainte Vierge ſut
l'effet d'une pauvreté volontaire ; lors qu'elle avait reçu des Rois
Mages pouvant plus que suffire à l’offrande convenable aux riches :
mais ce présent, dit Saint Bonaventure (In vita Christi), passait
bientôt de ses mains dans celles de Saint Joseph, afin d'être distribué
aux pauvres : en sorte que se retrouvant dans la première indigence,
l'offrande se réduisit par nécessité à deux tourterelles, l'une pour
l'enfant et l'autre pour la Mère. Car c'est le caractère des vrais
pauvres d'esprit de se priver, autant qu'il est permis et possible de
tout ce qu'ils ont et de le donner aux pauvres suivant le conseil de
Jésus-Christ : Da pauperibus.
Après la solennité de la Purification, un Ange apparut la nuit à Saint
Joseph, et lui dit : Prenez l'Enfant et avec la Mère fuyez en Egypte
(Matth. 2, 2). Dans ce départ brusque, remarque Cajetan, Marie
n'exerça pas seulement la vertu de l'obéissance, elle exerça aussi
celle de la pauvreté. En effet, la prompte exécution d'un ordre si
précis pour des personnes très mal aisées, et leur marche de près de
deux mois font assez connaître qu'ils eurent à soutenir les plus rudes
épreuves de la pauvreté ; or, cette extrême pauvreté ne les
abandonna pas au terme, ni durant les sept années qu'ils y restèrent.
Là, comme des étrangers, ils trouvaient encore moins que jamais à
travailler pour avoir de quoi subsister, ils manquaient de tant de
choses nécessaires, que leur indigence présente était une fidèle
peinture de celle qu’ils avaient souffert dans l'étable de Bethléem.
Dieu sans doute pouvait suppléer par tout à leurs besoins extrêmes,
mais il avait réglé qu'il en arrivât autrement, il envoyait au monde
perdu son Fils Bien-aimé afin qu'il le rachetât, et qu'il le rachetât
d’une manière surabondante par tous les genres de souffrances. Dieu
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voulait aussi ménager à la Vierge ce bienfait parmi tous les autres ;
savoir qu'elle eût occasion de pratiquer la vertu de la pauvreté qui lui
était si chère et par là de croître en mérites à ses yeux.
Lorsque notre Seigneur eût quitté la terre pour monter au Ciel, Marie
continua de vivre dans une aussi grande pauvreté qu'auparavant.
Jésus son Fils l'avait recommandé au Disciple bien-aimé, lequel était
très pauvre, ayant tout quitté comme les autres Apôtres, pour suivre
le chemin de la Croix, ce n'est pas que le Sauveur ne pût
recommander sa Mère à quelqu'un de ses Disciples, comme par
exemple à Joseph d’Arimathie, qui était en état de lui fournir de quoi
vivre commodément, se vêtir et se loger à proportion. Mais il choisit
Saint Jean pour entrer dans les vues de Marie, laquelle aimait la
pauvreté et voulait la pratiquer, ainsi que son Fils, jusqu’à la fin de
ses jours. Aussi ne vivait-elle que des aumônes que recueillait Saint
Jean qui ne possédait rien en propre. C'est la remarque de saint
Augustin sur l'Evangile, où il est dit : Accepit eam discipulus in sua. Il
la reçut, dit ce Père, non pour partager avec elle, ses biens, il n'en
avait point ; mais il la reçut pour la servir et pour lui procurer les
choses nécessaires par le moyen de la charité des fidèles. Le Cénacle
était sa demeure ordinaire ; sa nourriture était très peu de choses,
conformément au besoin très médiocre qu'en pouvait avoir un corps
qui participait à l'abondance des dons et des consolations célestes
dont son âme était remplie. Dès son enfance, dit saint Ambroise, sa
vie était un jeûne perpétuel. De quoi vivait-elle donc quand elle eût
conçû l'Auteur même de la grâce dans ses chastes flancs ? Après la
venue du Saint-Esprit, et au commencement de la prédication de
l'Evangile dans Jérusalem, les fidèles vendaient tout ce qu'ils
possédaient et en apportaient l'argent aux pieds des Apôtres qui le
distribuaient aux pauvres, surtout aux pauvres veuves. Or, c’était de
ces aumônes qu'il revenait le pur nécessaire à la sainte Vierge, par les
88
soins de saint Jean, disent le vénérable Bède et le docte Abbé Ruper
et plusieurs autres. Enfin, il est certain que tout le temps que vécut la
sainte Vierge depuis l'Ascension, elle fut aux Apôtres et à tous les
Fidéles un exemple de toutes les vertus le plus parfaites ; un modéle
de la pauvreté évangelique, jusqu'où elle peut être pratiquée lorsque
l'on vit encore ici bas dans un corps mortel.
III. Il faut que chacun de nous imite selon son état la pauvreté de la
sainte Vierge. Ceux qui possédent des biens temporels doivent
l'imiter en méprisant ces mêmes biens, en ne les aimant point
désordonnément, en les regardant tels qu'ils sont, comme des choses
viles, puisqu'ils durent peu, puisqu'ils ne font point que l'homme en
soit plus grand aux yeux de Dieu, puisque Dieu donne l'abondance de
ces biens aux pécheurs et aux infidèles pour qui l'enfer est préparé.
Le mépris des richesses se connait à ces marques : si pour les
acquérir ou bien pour les conserver, on n'use jamais d'aucun moyen
qui soit illicite, on les emploie libéralement, non point en vanités, en
superfluités mondaines mais en aumônes pour subvenir aux
nécessités du prochain ; si la perte de ces richesses par quelque voie
qu'elle arrive ne trouble point la paix de l'âme, et si l'on se résigne
alors avec douceur à la volonté divine. Posséder ainsi les biens de la
terre sans attache, c'est comme les mépriser, c'est participer en
quelque sorte à la pauvreté volontaire suivant ces paroles du
Prophète Royal (Ps. 6) : Si vous êtes dans l'abondance des richesses,
n'y attachez point votre cœur.
Les pauvres par nécessité, soit qu'ils soient nés tels, soit que leurs
biens se soient dissipés ou leur aient été enlevés, peuvent sans
offenser le Seigneur, travailler à se faire par des voies légitimes, une
condition plus avantageuse. Néanmoins, s'ils ont le courage d'aspirer
au mérite de la pauvreté volontaire, ils doivent d'abord se proposer
celle de la sainte Vierge, par une acceptation libre de leur état et s'en
89
contenter. Bornons-nous au nécessaire pour la vie et pour le
vêtement et ne souhaitons rien davantage, dit l'Apôtre saint Paul :
Ceux qui prétendent devenir riches, tombent dans la tentation, dans
les pièges du démon, dans plusieurs désirs nuisibles qui les
conduisent à la mort et à la damnation éternelle. L'homme chrétien
au contraire, qui embrasse de bon cœur la pauvreté, la mendicité
même, et qui se soumet ainsi que le Lazare, à la volonté de Dieu ; ce
pauvre, dis-je, ce mendiant est compris dans le nombre des pauvres
d'esprit et participe à la béatitude dont l'Evangile parle ; Beati
pauperes spiritu, etc.
Ceux qui ayant des biens dans le siècle, ou qui peuvent en avoir, sont
apellés de Dieu à laisser tout, à se faire pauvres pour Jésus-Christ, à
vivre et à mourir dans le Cloître ; qu'ils ne négligent pas de suivre leur
vocation, après l’avoir mûrement examiné si elle vient du Ciel. Car
quoique ce soit une vertu de mépriser les richesses dont on a la
possession, et d'en faire un bon usage ; il est certain, après tout, que
celui qui possédant ou pouvant posséder ces mêmes richesses, y
renonce effectivement, il fait encore beaucoup mieux ; et cet
abandon réel est un moyen très efficace pour exceller en tout genre
de vertu, et pour arriver à la perfection de l'amour de Dieu. Aussi
cette pauvreté, Jésus-Christ ne l'a prêchée dans son Evangile que
comme un conseil, à cause de son excellence. Le mépris des richesses
et l'amour de la pauvreté sont sans doute beaucoup plus parfaits
dans la séparation vérirable des unes, et dans la profession publique
de l'autre. Au reste, celui qui laisse tout pour Jésus-Christ ne perd
rien du mérite de l’aumône que le Chrétien qui la fait, acquiert : le
premier gagne même davantage par le désir sincère qu'il conserve de
soulager le prochain, si les moyens lui en étaient restés. Personne ne
fait une meilleure aumône ni plus méritoire, que celui qui ne réserve
rien pour soi, dit saint Jérôme (In Vita Hilar.). C'est le degré d'amour
90
pour Dieu qui donne le prix aux choses et l'on a tout abandonné pour
son amour. Que ceux donc qui se sont mis dans un état de pauvreté
pour suivre le conseil de Jésus-Christ, essayent d'imiter l'exemple de
la Sainte Vierge : qu'ils l'aiment cette pauvreté, et qu'ils se plaisent à
en ressentir des effets ; qui'ls se refusent toutes les petites
commodités, quelque chose même du nécessaire, autant que les
forces corporelles le comportent, soit pour le boire, soit pour le
manger, qu'ils choisissent toujours le pire, autant qu'il est en eux,
pour le vêtement, pour l'habitation, pour tout. Si l'obéissance à
laquelle ils sont soumis ne leur permet pas de se retrancher de leurs
besoins, qu'ils se souviennent que l'obéissance vaut mieux que les
sacrifices et qu'alors leurs saints désirs leur tiennent lieu des actes les
plus héroïques de pauvreté, d'abstinences et de jeûnes.
Les promesses que Dieu fait dans l'Ecriture à ceux qui aiment et qui
pratiquent la pauvreté volontaire sont admirahles (Ps. 9). ll a promis
au pauvre qu'il écoutera volontiers sa prière et ses désirs ; (Ps. 65)
qu'il l'admettra à sa table et qu'il lui prodiguera les mets les plus
délicieux, jusqu'à se donner lui-même pour nourriture ; (Is. 25) qu'il le
gardera sous les ailes de sa protection, le défendra contre ses
ennemis et l'en fera triompher ; (Ps. 77) qu'il lui pardonnera ses
péchés et le sauvera. C'est aux pauvres qu'il dit qu'il les a choisis pour
ses amis intimes, pour ses favoris qu'il comble de ses grâces, pour ses
chers enſants, auxquels il communique ses dons les plus singuliers,
qu'il rend riches dans la foi, qu'il fait héritiers du Royaume des Cieux.
O quels avantages n'acquiert point un serviteur de Dieu par l'exercice
d'une pauvreté sainte et volontaire ? Cet exercice guérit l'âme des
grands vices et des moindres péchés, réprime les mauvais penchants
et amortit les passions d'où naissent tous nos désordres… ; Car la
matière et l'aliment des vices, ce sont les commodités de la vie, les
délices, les honneurs du siècle : circonstances attachées aux richesses
91
temporelles. L'or et l'argent dit l’Ecclésiastique (ch. 8), ont été pour
plusieurs l'occasion de leur perte. Au lieu que la pauvreté volontaire
nous ôte toutes les amorces de la volupté et nous dépouille de tous
les titres de l'orgueil (Athan. in vita St Anton.). Ce qui faisait dire à
Saint Antoine, que les démons frémissaient de rage en voyant un
serviteur de Dieu, dans les exercices de la pauvreté volontaire. Oui,
cette pauvreté rend l'homme maître de tous les biens de la terre, de
tous les biens de la grâce, de tous les biens de la gloire ; il devient
maître de tous les biens de la terre, parce qu'en y renonçant de
cœur, il en reçoit de Dieu l'échange en biens spirituels, comme s'il les
possédait tous effectivement. Mon Dieu, dit- il, de toute l'affection
de son cœur, quand toutes les richesses et toutes les grandeurs de
l'Univers seraient à mon choix, je les refuserais pour votre amour qui
mérite seul mon estime ; je viendrais les mettre à vos pieds, ô mon
Sauveur, pour me rendre plus semblable à vous qui nâquites pauvre,
qui vêcûtes et mourûtes pauvre. C'est de cette sorte que les pauvres
d'esprit possédent tous les biens par le sacrifice sincère qu'ils en
offrent à Dieu, par le détachement total, et par leur mépris réel de
ces mêmes biens qu'ils sacrifieraient sans balancer s'ils les avaient. La
pauvreté volontaire que nous enseigne Jésus-Christ est plus riche, dit
Saint Bernard, que ne serait la possession de tous les trésors du
monde, puisque par cette pauvreté l'on acquiert la grâce divine et
l'on achète le Royaume du Ciel.
CHAPITRE XII. De la patience de la Sainte Vierge
I. La patience, dit Saint Augustin (De patient.), est une vertu qui fait
supporter avec tranquillité les maux de la vie quels qu'ils soient ; les
92
persécutions, les injures, l'enlèvement de nos biens, les infirmités, les
maladies, la mort même. Lorsqu'il arrive des choses contraires à
notre volonté, il s'élève en nous des sentiments de tristesse, de
colère, de haine : c'est à la charité d'étouffer cette haine et à la
douceur de réprimer cette colère, et à la patience de régler et de
modérer cette tristesse, de crainte qu'elle ne jette le trouble dans
l'âme et ne la porte à quelque extrémité fâcheuse.
La patience a plusieurs degrés plus parfaits les uns que les autres et
qui se peuvent réduire à trois principaux : Le premier est lorsque l'on
ne désire ni que l'on n'aime et que l'on redoute au contraire les
choses qui font de la peine, mais que l'on supporte néanmoins, plutôt
que de commettre une faute pour s'y soustraire. Ce degré de
patience le plus imparfait de tous est de précepte. Quoi que l'on soit
donc sensible à la peine, à la douleur, à la tristesse, quoique l'on
gémisse quand on est malade et qu'on se plaigne de la violence et de
la durée du mal ; quoique l'on regrette la mort de ses parents, la
perte de quelque bien temporel, et que l'on en poursuive le
recouvrement par tous les moyens imaginables, mais licites ; tout
cela n'empêche point que la vertu de la patience ne subsiste.
Pourquoi ? Je viens d'en dire la raison. C'est que ce n'est point par
des voies non permises, ce n'est point aux dépens de la conscience
que l'on essaye de remédier à ses maux et à ses pertes. Voilà en quoi
consiste le mérite du premier degré de la patience. On nomme
patient, dit Saint Augustin (De patient. c. 1), ceux qui souffrent leurs
maux plutôt que de commettre un péché pour s'en délivrer à ce prix.
Le second degré de la patience, plus parfait que le premier, c’est
d’accepter volontiers ses maux, parce que l'on voit qu'ils viennent de
la main de Dieu, de sa bonté, de sa miséricorde, vu qu'il ne souhaite
jamais que notre bien. Cependant, il faut pour lors user des moyens
propres à la guérison des maux, ou à la réparation des pertes ; s’il y a
93
d’ailleurs obligation de recourir à ces justes ressources, soit pour la
santé, soit pour les biens de fortune. Car en ces circonstances, c’est la
volonté de Dieu que l’on agisse de la sorte.
Le troisième degré de la patience et le plus élevé, c'est que l'homme
chrétien par un grand amour de Dieu, et pour se conformer à Jésus-
Christ crucifié, désire ardernment de souffrir : de-là son
consentement et sa joie, lorsque le temps de la souffrance est arrivé ;
car ce que l'on aime et que l'on souhaite, réjouit lorsqu'on l'obtient.
Saint Paul appelle cette patience, l'un des dons du Saint-Esprit à
savoir, de trouver de la satisfaction et du plaisir dans les peines : Tous
les Apôtres souffraient ainsi : Ibant Apostoli gaudentes à conspectu
conrcilii ; quoniam digni habiti sunt, pro nomine Jesus contumeliam
pati. Les marques qu’un homme est patient, disent Saint
Bonaventure (In Grav. c. 3) et Albert le Grand (In Parad. anim) c'est
de ne se plaindre ni de qui que ce soit, ni de quoi que ce soit ; il ne se
plaint point des hommes qu'il ne regarde que comme les instruments
dont Dieu se sert pour l’éprouver ; il s’excuse encore moins sur son
innocence, et sur l'injustice du tort qu’on lui fait ; à moins que la
charité ou l’équité ne soient intéréssées à sa défense : d’ailleurs, quel
que mal qui lui survienne, il croit se l'être attiré par ses infidélités, et
comme il se remet tout à la honte du Seigneur, il compte que tout
tournera au bien de son âme et de son salut éternel. Une autre
marque d'un homme patient, c'est de taire ses maux et ses peines,
de les couvrir même, comptant que Dieu, à qui seul il veut plaire, les
connaisse : ce n'est pas néanmoins qu'il puisse les cacher à son
Directeur, à son Père spirituel, qui lui doit donner conseil, et pour qui
l'on ne doit avoir rien de caché, par le désir de souffrir sans aucun
secours. Il faut aussi sans doute déclarer ses maladies, ses infirmités
corporelles au médecin du corps, lorsque la nécessité le demande ;
mais on n'en doit point faire part à des amis pour mieux toucher leur
94
compassion par le récit de nos peines. Un homme patient ne
reconnait point d'autre consolateur que Dieu, témoin de ce qu'il
souffre pour son amour.
II. Des peines et des douleurs que souffrit la Sainte Vierge jusqu’au
temps de la Passion de son Fils.
C'est encore de cette vertu d'une patience parfaite que la Ste Vierge
nous donne l'exemple, et pour nous en former quelque idée, voyons
d'abord ce que l'Evangile nous apprend des peines et des douleurs
extrêmes qu'elle endura pendant le cours entier de sa vie. Encore
que l'on ne sache point ses peines depuis son bas âge jusqu'au temps
de l'lncarnation du Sauveur, il n'est pas douteux néanmoins qu'elle
en eut de très grandes. Les souffrances furent toujours comme
l'appanage des âmes chéries de Dieu et qu'il veut enrichir de ses
faveurs les plus singulières. ll est donc plus que vraisemblable, que
son amour pour Marie ne lui épargna pas les épreuves, sitôt que sa
raison fut assez développée pour souffrir avec mérite. N'eût-elle alors
d'autres peines que de voir dans l'affliction son prochain qu'elle
aimait comme elle-même, que de voir les offenses faites à Dieu
qu'elle aimait par dessus toutes choses ? Ces objets étaient bien plus
que suffisants pour lui causer une extrême douleur. Mais venons à ce
que nous fournit sur ce point l'Evangile, après que Marie eut conçu le
Fils de Dieu. Quelle douleur fut la sienne, lorsque Saint Joseph étonné
de sa grossesse, voulut l’abandonner et l’exiler de sa propre Patrie ?
Ce chaste Époux ne soupçonna rien contre la pureté virginale de
Marie et la crut toujours sans tache, quoiqu'il la vît en grossesse.
Mais ne sachant point le mystère qui s'était opéré en elle par la vertu
du Saint-Esprit, il fut saisi néanmoins d'une telle inquiétude, qu'il ne
trouva point d'autre parti à prendre que la retraite. La Vierge ne put
voir l'embarras qui paraissait dans toute la personne du Gardien
fidèle et sage de sa Virginité, sans en ressentir une peine très vive,
95
jusqu'à ce que le mystère céleste eût été par l'Ange à Saint Joseph.
Quelle douleur fut encore celle de la Vierge, de voir le Fils de Dieu,
Jésus naissant manquer de tout, dans une étable au fort de l'hiver,
dans une crèche ? Marie souffrait avec joie ses propres maux ; mais
ce qui regardait son nouveau né digne de tous les hommages, et
abandonné de tout le monde, abandonné de tout secours, causait à
son cœur maternel une douleur qu'elle seule pouvait exprimer.
Quelle fut sa sensibilité lorsque le couteau de la Circoncision fit
couler le sang de son Fils : Cérémonie qui lui représentait vivement
que Jésus devait un jour le verser sur la Croix jusqu'à la dernière
goutte. Quelles fatigues, quelles répugnances ne surmonta point
Marie, lorsque contrainte de se bannir de sa Patrie, elle alla chercher
un asile en Egypte, où elle demeura sept ans parmi des Peuples
inhumains, barbares, idolâtres, livrés à tous les désordres où le
démon était adoré et la Majesté divine foulée aux pieds en tant de
manières ? Quelle peine ne se sentit point Marie, lorsqu'elle sut la
cruauté d'Hérode envers tous les enfans de l'âge à peu près de Jésus,
victimes innocentes des jalouses alarmes de ce Tyran : les
gémissements, les larmes, les cris, la fureur, le désespoir, la rage de
tant de mères, les unes désolées, les autres expirantes, les autres
massacrées avec leurs enfants, se présentaient à son esprit toutes les
images les plus funestes et les plus accablantes. La patience de la
Sainte Vierge fut extraordinaire à ces objets horribles qui s'offraient à
elle avec autant de vivacité que si elle les eût vu de ses yeux. Car elle
n'ignorait pas que c'était son Fils que l'on cherchait dans chacun des
enfants de la domination d'Hérode ; et le massacre de chacun de ces
innocents, elle le regardait comme celui de son propre Fils, à qui seul
on en voulait.
L'absence de Jésus à l'âge de douze ans jeta Marie dans une autre
sorte de peine. Où le chercher ? Où le trouver ? Qu'est-il devenu cet
96
unique objet de son amour ? Quel raison peut lui avoir fait quitter la
maison paternelle ? Déjà trois jours se sont écoulés sans qu'il soit de
retour. Quand le reverrai-je ? Cependant Marie ayant retrouvé son
Fils qui était dans le Temple, elle ne lui marqua sa juste inquiétude
que par ces douces paroles : Mon Fils, votre père et moi, étant en
peine de vous, nous vous cherchions. La Sainte Vierge fut aussi très
touchée de l'emprisonnement et de la mort de Jean-Baptiste ; c'était
le fils de sa cousine Elisabeth ; et lui avait rendu visite lorsqu'il n'était
encore que dans le sein de sa mère, et il y avait été sanctifié par la
médiation de Jésus que Marie portait dans ses chastes flancs. Elle
savait que c'était l’homme le plus parfait et le plus saint qui
jusqu'alors eût paru sur la terre, qu'il était le Précurseur de son Fils,
destiné par le Père Eternel, pour en rendre un témoignage
autentique au monde. La Vierge pouvait-elle, devait-elle refuser des
regrets à un si grand personnage en sainteté, si distingué par son
ministère, si chéri de Dieu et mis à mort pour contenter la fureur
adultère d'une Hérodiade, pour salaire de la danse de la fille sans
pudeur d'une telle mère ? D'une part, la mort du paranymphe du
Sauveur, et de l'autre côté l'injure atroce qui était faite en sa
personne, à la Majesté divine, affligèrent à juste titre la Sainte Vierge
et lui donnèrent lieu d'exercer sa patience.
Durant l'espace de trois ans que le Sauveur prêcha, opérant partout
des miracles, Marie eut ses peines propres, ses fatigues à essuyer.
Elle le suivait dans ses voyages, non point avec l'autorité d'une Mère,
afin qu'on la distinguat, mais avec une humilité plus attentive à la
divine parole pour en profiter. En le suivant accompagnée de
plusieurs saintes femmes, elle entendait sans se plaindre les
blasphèmes que vomissaient contre lui les Scribes et les Pharisiens :
les uns le nommaient Samaritain, les autres le disaient possédé du
démon ; ceux-ci le traitaient d'enchanteur, ceux-là de transgresseur
97
de la Loi , elle entendait les complots qu’ils tramaient pour le perdre :
tantôt ils voulaient le lapider, tantôt ils voulaient le précipiter, tantôt
ils voulaient le livrer aux mains des officiers de César. Un simple
chrétien qui entendrait blasphémer contre Dieu, serait affligé sans
doute de voir ainsi la Majesté divine foulée aux pieds par une vile
créature : Quelle dut donc être l’affliction de Marie, pleine de
religion, de piété, d'amour pour son Dieu et son Fils, lorsqu'elle fut
témoin de tant de blasphèmes contre lui, qu'elle fut témoin de la
cabale des pharisiens qui détournaient tant d'âmes de la voie du salut
qu'il leur enseignait ?
III. Des peines que souffrit la sainte Vierge dans le temps de la
passion de son Fils.
La Passion fit de Jésus-Christ un homme de douleurs, elle fit du cœur
de la sainte Vierge une mer d’afflictions. Ces derniers termes, dont
use un Prophète, n'exagèrent point l'état douloureux de Marie,
lorsqu'elle apprit que son Fils, le Roi de gloire, était livré à la
puissance des ténèbres, lorsqu'elle le vit entouré de gens armés,
garotté, baffoué de la canaille de tout Jérusalem, frappé par une
soldatesque insolente, poursuivi par les clameurs et par les huées
d'une populace en furie, traité de fourbe et de malfaiteur, traîné de
tribunal en tribunal, outragé chez Anne par un cruel soufflet qu'il
reçoit d'un misérable esclave, couvert de crachats au visage dans la
maison de Caiphe, méprisé comme un imbécile chez Hérode qui le
fait revêtir d'une robe blanche, flagellé cruellement et couronné
d'épines chez Pilate, persécuté par un peuple ingrat qui crie à
diverses fois qu'on le crucifie, qu'il soit crucifié et postposé à Barabas,
ce fameux brigand. La sentence d'un juge le plus inique condamne à
la mort ignominieuse de la croix, Jésus de Nazareth appelé Christ, et
un héraut la publie à haute voix cette Sentence : Jésus sort du
prétoire de Pilate, épuisé des tourments qu'il a souffert la nuit
98
entière jusqu'au matin, son visage adorable est couvert de crachats,
son sacré corps est tout déchiré de coups, en cet état il est chargé
d'une si pesante croix qu'il succombe sous le poids, et que de
faiblesse, il tombe le visage contre terre. A tout ce spectacle, dont
Marie est témoin, est-ce exagérer que de dire que son cœur était
comme une mer de tristesse ? Magna est sicut mare contritio tua.
Cependant un redoublement d’affliction lui est encore préparé sur le
Calvaire ; là elle entend les horribles coups de marteau avec lesquels
on enfonce de gros clous dans les mains et dans les pieds adorables
de son Fils : elle le voit ensuite élever en haut avec effort sur la croix,
où il vient d'être attaché, dépouillé de ses vêtemens, tout ruisselant
de sang, placé au milieu de deux insignes scélérats, insulté par les
Pharisiens hypocrites, par les passants, par un des misérables qui
sont à ses côtés. Alors Jésus adresse à son Père ces paroles
touchantes : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé ? Le
Père Eternel l'avait ainsi réglé, afin que son Fils souffrit tout pour le
salut de l'homme.
Nouveau surcroît de douleur ! La Mère jettant les yeux sur son Fils
réduit aux dernières angoisses, elle vit qu'il la regardait et alors il lui
dit, en lui indiquant Saint Jean : Femme, voilà votre Fils. Et il dit à
Saint Jean : Voilà votre Mère. En ce moment les entrailles de Marie
furent émues de compassion, voyant que son Fils dans les transes les
plus violentes de mort semble oublier sa propre peine, pour la
recommander aux soins du Disciple bien aimé, et que pour ne la
point attendrir davantage, il ne lui donne pas le nom de Mère :
Femme, voilà votre fils. D'un autre côté, la substitution du Disciple à
la place du Maître, du serviteur à la place du Seigneur, du fils de
Zébédée à la place du Fils de Dieu ne cause pas une médiocre
affliction à la sainte Vierge. « Ô amour, s'écrit saint Bernard à ce sujet
(Ser. in Stab.), amour réciproque et extrême. On ne peut exprimer, ni
99
celui du Fils pour sa Mère, ni celui de la Mère pour son Fils ; le Fils
souffre les peines de la Mère et la mère souffre autant qu'il est en
elle les peines de son Fils ». De quel attendrissement ne fut point
saisi le cœur de Marie, lorsque son Fils épuisé de forces, dit ces
paroles : J’ai soif, et qu'au lieu de rafraîchissement, on lui présenta du
vinaigre mêlé de fiel, et qu'ensuite baissant la tête, il dit : Mon Père,
je remets mon esprit entre vos mains, et il expira. Mais le coup de
lance dont son côté fut aussitôt percé par un soldat barbare, perça en
même temps de la douleur la plus vive, l'âme de Marie, témoin de
cette cruauté inouie. Enfin, le corps de Jésus ayant été, oté de la
croix, la Sainte Vierge, en contempla toutes les plaies. Quelle fut alors
sa douleur ! Mais pour surcroît d'affliction, ce précieux dépôt lui fut
bientôt enlevé pour être mis dans un sépulcre, qui la priva de la
consolation de le voir davantage. Au reste, afin de comprendre toute
la douleur dont Marie fut pénétrée au spectacle des tourments de
Jésus, il faudrait comprendre tout l'amour qu'elle eut pour ce Fils. La
douleur croît à mesure de l'amour que l'on porte à la personne qu'on
voit dans la souffrance ; or, la souffrance du Sauveur étant extrême,
la douleur de la sainte Vierge le fut donc aussi. Elle aimait Jésus-
Christ comme son Dieu ; et à cet égard son amour surnaturel excédait
celui de tous les Saints embrasés de la plus ardente charité. Elle
aimait le Sauveur comme son Fils et sous ce rapport son amour
naturel était sans bornes, ainsi qu'un tel Fils méritait : par conséquent
ses peines furent sans bornes ; elles furent plus grandes que celles de
tous les Martyrs, dit St Anselme. « Quelles que cruelles que fussent
les tortures des Martyrs, elles furent en quelque façon légères et
douces, comparées à ce que vous souffrites, Vierge très sainte ». Ce
sont les paroles de ce saint Docteur (De Excel. Virg.). Ces souffrances
lui furent annoncées dans l'Evangile par le Saint vieillard Siméon,
sous la figure d'un glaive dont son âme serait un jour transpercée.
Son Fils sera pour le salut de plusieurs et pour la perte des autres ; il
100
sera en butte aux contradictions, aux injustices des hommes : source
de ses peines, source de sa passion ; par conséquent source de
douleurs pour sa Mère : Gladius pertransit aninam. Aussi les peines
de Marie quelles qu'elles fussent, la touchèrent, mais sans la
surprendre, mais sans l'abbattre ; elle s'y attendait ; elle les souffrit
toutes d'avance jusqu'aux derniers soupirs qu'elle reçut de son Fils
sur le Calvaire.
IV. La Sainte Vierge endura toutes ses peines avec une patience
merveilleuse, parce qu'elle les aimait ; et les aimait, parce qu'elles
venaient de la main de Dieu, parce que c'était sa volonté qu'elle
souffrit ; elle en louait, elle en bénissait le Seigneur ; elle lui en
rendait des actions de grâces, comme d'autant de bienfaits signalés.
Nous avons sur ceci le témoignage de Saint Ignace le Martyr. « La
Sainte Vierge, dit-il (In Ep. ad Joan.) demeurait tranquille et constante
au milieu des persécutions et des afflictions qu'elle eut à souffrir en
cette vie. Bien plus, quelles que fussent ses peines, elle en désira
toujours de plus grandes : c'est en cela qu’elle surpassa les Martyrs
les plus patients et les plus tourmentés. Car la principale chose que
Dieu considère dans ceux qui souffrent, c'est la volonté et le désir ; et
cette volonté et ce désir excédèrent sans comparaison la volonté et
le désir de tous les Martyrs, ainsi que son amour envers Dieu, d'où
naît le désir des souffrances pour sa gloire, excéda le leur, sans
comparaison ». « Tant que la Sainte Vierge vit Notre Seigneur
souffrir, dit St Ildefonse (Serm. de Assumpt.), elle fut plus que
Martyre parce que son cœur ne fut pas moins transpercé d'un glaive
de douleur et l'amour soutint sa douleur avec une patience
invincible ». Dans la circonstance de la mort injuste et violente d'un
Fils, il n'est point de Mère, quelque Sainte qu'elle soit, qui ne montre
au dehors quelques indices de la peine qui la presse intérieurement.
Mais la Sainte Vierge, plongée comme dans une mer de tristesse qui
101
s’environne de tous côtés, ne dit et ne fait rien qui ne montre une
constance à l'épreuve : nulle plainte, nul soupir ne lui échappe : loin
de tomber en défaillance, comme il arrive sous le poids d'une douleur
extrême, la sienne fut plus excessive que celle de toutes les Mères
ensemble dans la dernière désolation, elle la réprime ; elle la retient
par la résignation la plus généreuse à la volonté divine ; elle reste
ferme et inébranlable au pied de la Croix où son Fils couvert de plaies
et d’opprobres est attaché. Cette constance héroïque nous est
exprimée par ces paroles de l'Evangéliste : Stabat juxta crucem.
Marie était là dans la contemplation de la miséricorde infinie du
Seigneur, qui pour donner la vie à de coupables esclaves, souscrivait
à la mort de son Fils unique : Stabat. Elle était là dans l'étonnement
de la justice rigoureuse du Père Eternel, qui pour pardonner à des
pécheurs, n’épargnait pas son propre Fils, la sainteté et l'innocence
même : Stabat. Elle était là sans craindre ni la fureur des Scribes et
des pharisiens, ni l'insolence des soldats, ni les caprices d'une
populace insensée laissant à tous les siècles l’exemple d'une
constance et d'une patience supérieure à toutes les épreuves de
cette vie mortelle : Stabat juxta crucem (De Inflit. Virg.) ». « La Mère
du Seigneur, dit St Ambroise, était debout devant la Croix et
demeurait là intrépide, et tandis que son Fils était attaché à la Croix,
elle se présentait sans crainte à ses persécuteurs ».
Passons à d'autres objets de la patience de Marie. Depuis l'Ascension
de Jésus-Christ au Ciel, depuis la venue du Saint-Esprit sur la terre,
depuis le commencement de la prédication de l'Evangile par les
Apôtres, la Sainte Vierge jusqu'au moment de sa mort souffrit avec
une patience inaltérable des peines continuelles. Le sang répandu de
son Fils, encore tout fumant pour la Rédemption du monde,
n’empêcha pas que la plus grande partie du peuple d'Israël ne rentrât
dans l'infidélité. Triste changement, source de pensées affligeantes
102
pour la Mère du Rédempteur. Ce peuple d'lsraël, nommé par
distinction le peuple de Dieu, son peuple choisi entre toutes les
nations du monde ; ce peuple qui avait pour chefs les patriarches et
pour docteurs les prophètes ; ce peuple qui avait reçu la Loi de Dieu
même, à qui les promesses avaient été faites, de qui Marie
descendait, parmi lequel elle avait été nourrie, élevée, de qui le
Rédempteur même avait pris une forme humaine ; ce peuple presque
entier qui demeura dans les ténèbres, dans l’iniquité, dans l'erreur,
opprimé de calamités, éloigné de son Dieu, condamné des flammes
éternelles. Retour facheux pour le cœur de Marie ! Objets
douloureux, qui lui représentent sans cesse à l'esprit l’inutilité du
sang de son Fils, répandu pour tant de millions de misérables
endurcis dans leur infidélité !
Une nouvelle matière de patience pour la Sainte Vierge, ce fut le long
séjour qu'il lui resta à faire en ce monde ; privée de la céleste patrie,
elle soupirait sans inquiétude, il est vrai, mais néanmoins avec une
vive ardeur d'aller jouir dans le Ciel de la présence et de la compagnie
de son Fils, de contempler face à face la beauté infinie de la Divinité,
de n'avoir plus des yeux que pour voir et admirer la gloire et la
splendeur de son Humanité sacrée : rien ne l'intéressait, ne
l'affectionnait ici-bas, où elle n'usait d'aucune nourriture, qu’autant
qu'il était nécessaire pour se conserver la vie. Mon âme, disait le
Prophète Roi, rejette toute consolation dans les créatures ; je ne me
souviens que de mon Dieu, et je ne me réjouis qu'en lui. Mais avec
combien plus de fondement le disait Marie, qui aimait son Dieu d'un
amour si éclairé, si pur, si parfait ? Les consolations divines qui
naissaient en elle de sa foi, de sa charité, de son espérance, des
fréquentes visites de son Fils et de ses Anges, bien loin de contenter
le désir qu'elle avait de voir clairement la Divinité, enflammaient
davantage ce désir parce que son amour croissait par là d'autant plus
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: (Prov.13) Et comme l'espérance différée contriste l'âme, Marie
souffrait de ces délais un martyre spirituel, qui lui tirait du cœur de
profonds soupirs et des yeux d'abondantes larmes : Elle persistait
sans doute dans une résignation totale à la divine volonté qu'elle
aimait plus que la sienne propre ; mais cette conformité sans réserve
ne la rendait pas insensible à son martyre ; elle lui faisait seulement
aimer par le motif que c'était le bon plaisir de Dieu qu'elle le souſfrit :
en ceci consiste la vertu de la patience, à aimer ses peines et non pas
à ne les point ressentir. Ce genre de martyre secret, (In Serm. de
Assumpt.) Sephronime le connaissait ; et il invite à faire une attention
singulière. Considérez, dit-il, et pesez mûrement de combien de
peines le cœur de Marie fut tourmenté, depuis l'Ascension de Jésus-
Christ au Ciel et de quels désirs il brûlait avec une patience constante,
de jouir de la présence éternelle de son Fils et de son Dieu. Non, les
désirs de tous les cœurs des hommes, ni leur amour joints à la
conformité entière à la volonté divine, n’égalèrent jamais les
dispositions du cœur héroïque de Marie.
V. Comment il faut imiter la patience de la Sainte Vierge.
Les exemples de la patience invincible de Marie, nous invitent et
nous encouragent à l’imiter selon nos forces, et selon le degré de
grâce qui nous est accordé pour cela. Nous suivrons, quoique de loin,
ce modèle parfait, en supportant toutes les peines qui nous
surviennent, soit par rapport à la perte des biens de fortune, de
l'honneur, de la santé ; soit par rapport aux injures, aux calomnies,
aux persécutions, aux contradictions des hommes, de nos ennemis,
de nos amis, de nos proches, sans rien faire, sans dire rien qui leur
déplaise ; sans permettre à notre cœur aucun état d'indisposition
contre qui que ce soit, surtout dans les injures qui nous sont faites,
soit par des paroles, ou soit par des actions. Gagnons sur nous de
nous taire, si nous nous sentons le cœur ému : le silence alors
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importe extrémement ; car le cœur n’étant pas dans son assiette, il
est assez difficile qu'il n'échappe pas au plus sage d'ailleurs, quelque
terme qui rnarque de la passion, qui blesse l'âme de celui qui le dit,
de celui à qui il le dit ; et c'est là un double mal qu’évite l'homme qui
se tait ; sans compter que sa patience qui retient sa langue, lui
acquiert double mérite devant Dieu. Lorsque le pécheur, dit le Sage,
(Prov. 38) s‘élevait contre moi pour me calomnier et pour me
maudire, je me taisais sans dire aucune parole, même obligeante ;
afin de me sauver de toute contestation. Les saints louent et gardent
cette conduite, comme un article fort important pour se conserver
dans la patience. Le saint Abbé Isaïe dit à ce propos (In Bibl. Sac.) :
Soyez attentifs à vous, et observez ceci avec soin : Quand on vous dit
quelque chose d’offensant, et que vous vous sentez de l’émotion
dans le cœur, ne dites rien, taisez-vous juqu'à ce que le calme y soit
revenu : alors s'il vous parait convenable de parler, vous le ferez,
mais avec douceur : Quand même il sera nécessaire de reprendre
quelqu'un, gardez-vous bien de le faire si vous êtes fâché, de peur
que l'agitation où vous êtes n'augmente ; attendez que vous soyez
tranquille et puis vous donnerez votre avis, ou votre conseil : dans
ces moments de trouble rentrez en vous-même, et vous recueillez en
Dieu, lui demandant la grâce de vous tranquilliser, et de vous donner
après cela des paroles qui ne ressentent en aucune façon ni l’aigreur,
ni la vengeance. D'ailleurs, pour croître même dans la patience,
appliquons-nous à accepter toutes les choses, les moindres comme
les plus grandes, qui nous répugnent ; demandons à Dieu l'amour et
le désir de ces contrariétés, dont la souffrance lui est si agréable, et à
nous si méritoíre devant lui : pour nous exciter encore à la pratique
de la patience, considérons souvent combien elle nous est
nécessaire. Autant qu'il est essentiel à un soldat exposé aux coups
d'avoir des armes pour se défendre et pour vaincre ; autant est-il à
un Chrétien, dont la vie est une guerre continuelle, d'être armé du
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bouclier de la patience, pour conserver la vie de la grâce, pour
triompher des ennemis qui l'environnent de toutes parts et pour
mériter la couronne promise à celui qui vaincra. Vous avez besoin de
patience, disait l'Apôtre aux Hébreux, afin que faisant la volonté de
Dieu, vous obteniez la récompense céleste qui vous a été promise.
Tout homme qui traite avec d'autres hommes a besoin de patience,
pour essuyer les contradictions, les reproches, les dégoûts, les ennuis
et s'accommoder à l'humeur de chacun dans les choses licites : sans
cette vertu, il est impossible que l'union et la paix qui doivent régner
entre nous se maintiennent. Je vous prie, moi captif pour Jésus-
Christ, disait l'Apôtre aux Ephésiens, de vivre d'une manière digne de
votre vocation de Chrétiens, avec humilité et avec douceur, vous
supportant les uns les autres avec patience et avec charité : Soyez
attentifs à conserver entre vous l'union spirituelle par le lien de la
vraie paix (Eph. 4). Les Maîtres, les Pères de famille, les Supérieurs
ont besoin de patience pour supporter, sans blesser leur âme, mille
choses que les serviteurs, les enſants, les sujets font contre leur
volonté et contre leur ordre ; la patience leur est nécessaire pour
suspendre le châtiment ou la repréhension, lorsque l'inférieur est
incapable d'en profiter, ou que le supérieur est en colère. Cette vertu
est surtout nécessaire au moment précis de châtier ou de reprendre,
afin que le châtiment ou la repréhension n'excédent pas la faute, que
l'on n'ajoute pas à la peine des paroles quelquefois pires, et que l'on
ne perde point, par trop de chaleur, le fruit de la correction. Il est
d'un très mauvais exemple de reprendre autrui d'une faute, tandis
que l'on en commet une soi-même.
Accusez, continue Saint Paul, et reprenez en toute patience : il veut
que l'homme même qui mérite le plus d'être confondu, tel que serait
un hérétique opiniâtre, on le ramène, quoique efficacement, par une
patience persévérante. Il faut, dit-il, qu'un serviteur de Dieu soit doux
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et patient à l'égard de tout le monde et qu'il traite sans hauteur avec
ceux qui résistent à la vérité : car alors, Dieu peut-être leur ouvrira les
yeux sur leur erreur et leur fera embrasser le parti de la vérité.
VI. Du mérite de la patience et des fruits que l'on en retire.
Par la patience, on se vainc soi-même : victoire la plus glorieuse et la
plus excellente : oui, c'est plus que de vaincre de puissantes armées,
plus que de conquérir de grands Royaumes, plus que de submerger
tout l'univers. Car le plus fort ennemi, l'ennemi de l’homme le plus
indomptable et le plus à craindre, c'est lui-même, c'est sa volonté
propre que naturellement il cherche à satisfaire en tout, c'est son
inclination continuelle et violente vers le mal. Or, il se soumet tout
cela par sa seule patience : son penchant lui dit de se venger d'une
injure, l'en presse, l'en sollicite ; sa patience tient ferme contre ce
penchant, y résiste, l'arrête : ce n'est pas assez ; loin de faire du mal à
qui l'offense, ou d'en dire, il lui fait du bien et en dit de lui en se
vainquant ainsi soi-même, il remporte une victoire d'autant plus
glorieuse, qu'elle est la plus rare et la plus difficile, il devient
infiniment agréable aux yeux du Seigneur seul juge du vrai mérite, il
se rend digne, non point d'une vaine couronne qui s'accordait aux
Romains conquérants, mais d'une couronne immortelle qui le fait
entrer triomphant dans le Royaume du Ciel. Aussi le Saint-Esprit dit :
(Prov. 16) Melior est vir patiens viro forti. Celui qui en résistant au
mal, en le souffrant, possède son cœur dans sa patience, celui-là est
plus estimable que le vainqueur des villes, des Provinces et des
Royaumes. La patience élève encore l’homme chrétien au-dessus de
toutes les puissances de l'enfer. Il est hors de doute qu'un seul
démon peut plus sur la terre que tout le genre humain réuni
ensemble pour un même dessein : or l'homme patient à qui le
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secours de Dieu ne manque point, triomphe seul de tous les démons
acharnés à sa perte. Le démon peut nous enlever nos biens, nous
envoyer des maladies, si Dieu ne l'en empêche pas, mais ce n'est pas
à cela précisément qu'il vise, son but est de nous porter à
l’impatience, à nous échappez en plaintes contre Dieu, en paroles
amères contre le prochain, à révoquer en doute une divine
providence, à revendiquer par de mauvais moyens, les torts qui nous
om été faits par son instigation. Mais le vrai chrérien, avec les armes
de la patience, soutenu du secours de Dieu, sa force et son appui,
demeure vainqueur dans ces tentations, dans ces assauts de l'esprit
de mensonge. A titre de justice acquis et scellé par le sang de Jésus-
Christ, lequel donne aux saintes oeuvres leur prix, il entre couvert de
gloire dans le Ciel, pour remplir l'une des places qu'y ont perdu les
mauvais Anges. Bienheureux, dit l'Apôtre saint Jacques, celui qui
supporte la tentation, et ne se laisse pas vaincre ; car après avoir été
éprouvé et reconnu fidèle, il recevra de la main de Dieu la couronne
de la vie éternelle, promise à ceux qui l'aiment.
Un autre effet admirable de patience, c'esl d'être comme la garde et
le soutien de toutes les vertus. Car toutes les vertus ont leurs
ennemis, ont leurs contraires : ces ennemis, ce sont les passions
déréglées qui se soulèvent en notre âme, et surtout celles qui se
révoltent et nous agitent dans les adversités, et généralement dans
toutes les choses fâcheuses. La première de ces passions, c'est le
chagrin d'un mal présent, quel qu'il soit ; de cette passion il en naît
d’autres : savoir la colère, le dépit, la haine, le ressentiment, qui
tirannisent l'âme. Mais avec la patience, l'homme chrétien se met au-
dessus du chagrin, l’adoucit, le ramène à la raison, et empêche que
les autres passions ne s’arment contre les vertus opposées, et ne les
attaquent avec succès. De cette sorte, l’homme patient se conserve
dans la possession paisible des vertus, en réprimant d'abord la
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passion qui mettrait en mouvement toutes les autres. C'est en ce
sens que Saint Gregoire dit, (Homil. In Ev. Luc) que la patience est la
garde de toutes les vertus parce qu'elle en écarte et enlève tous les
obstacles. Pour la même raison, le Sauveur après avoir annoncé à ses
Disciples, les diverses persécutions que le monde leur préparait,
ajoute : Vous posséderez vos âmes dans votre patience. C'était leur
faire entendre, qu'au milieu des contradictions ils conserveraient à
l'aide de leur patience, la vie spirituelle de leurs âmes, toutes les
grâces, toutes les faveurs et tous les dons qu'ils avaient reçus. Il
s'ensuit de là que la patience donne à toutes les vertus, non
seulement leur conservation et leur persévérance, mais encore leur
accroissement et leur perfection. En effet, ce qui nous ôte le courage
dans la pratique de la vertu et qui nous y fait enfin renoncer, ce sont
les tentations, les difficultés qui nous y traversent. Or la patience
nous les rend supportables, nous les diminue peu à peu, nous les fait
meme aimer ces peines, parce qu'elles sont des moyens sûrs pour
vivre dans le bien, pour y avancer et pour y mourir. Faites en sorte,
dit l'Apôtre Saint Jacques, que la patience ait en vous son œuvre
parfaite, c’est-à-dire, faites par votre patience, que rien ne soit
capable de vous détourner de la voie de la perfection chrétienne que
Dieu attend de vous selon votre état.
VII. Le Juste dans toutes les bonnes œuvres qu'il fait plaît à son Dieu
et mérite auprès de lui. Mais entre toutes ses bonnes œuvres, nulle
n'agrée davantage à Notre Seigneur, que de souffrir pour son amour
dans une parfaite patience. La raison est, que pour faire d'autres
bonnes œuvres, la nature peut y aider l'homme qui a quelque
penchant au bien ; il n'en est pas ainsi pour la souffrance, la nature y
répugne absolument : il faut donc un plus grand amour de Dieu pour
endurer le mal que pour faire simplement le bien. Davantage, souffrir
109
le mal en patience, c’est se rendre comme semblable à Dieu,
souveraine bonté effectivement, quoique Dieu ait manifesté sa bonté
infinie en créant les Cieux et la Terre pour l'usage de l’homme et en
le comblant de mille autres biens, il a manifesté cette même bonté
encore bien davantage, en ce que l'homme ètant ingrat envers lui, il a
supporté son ingratitude avec patience et l’a aimé jusqu'à se faire
homme et à mourir ensuite pour lui sur une Croix. Ainsi l'homme, qui
par amour pour Dieu et pour le bien du prochain, souffre des peines
en patience devient par là plus semblable à Dieu même que par
aucun autre exercice de vertu. Cette vérité, Saint Chrysostome nous
l’a met au jour dans ces termes : (De Hom.) Il n'y a rien de plus noble
ni de plus glorieux que de souffrir pour Jésus-Christ ; c'est plus que
d'être le maître de l'Univers, c'est une plus grande gloire que d'être
Apôtre, que de faire des miracles, que de ressusciter des morts, que
d'avoir la sagesse des Anges. Non, il n'est rien qui puisse arriver de
plus avantageux à l'homme chrétien que la tribulation, soit extérieure
soit intérieure ; et toute peine soufferte pour Dieu avec patience,
vaut mieux sans comparaison que la pratique de toute autre bonne
œuvre. Blosius apporte la raison de ceci : (In Farag.) C'est que
l'homme en souffrant imite plus la Passion de Jésus-Christ. Il participe
plus au mérite de cette même Passion. Soufſrir ici bas pour l'amour
de Dieu, ajoute le même auteur, c'est la plus grande gloire de
l'homme ; si c'est un si haut point d'honneur, que l'homme devrait
s'en juger indigne et remercier le Seigneur qui le distingue, il l’honore
et le traite comme il fait ses favoris. Les Apôtres s'en retournaient
remplis de joie parce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir des
outrages pour le nom de Jésus. A ceux que Dieu aime, il leur envoie
des tribulations, des tentations, des épreuves de la part des hommes,
des déplaisirs, des ingratitudes, des pertes de biens, des infirmités,
pour leur servir sans cesse une matière de mérite et de gloire.
Sachez, dit-il par son Prophète Jérémie, que les illes où je suis le plus
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honoré et où mon nom est invoqué, sont celles que je commencerai
d’affliger : Gardez-vous bien, dit l’Apôtre aux Hébreux (C. 25), de faire
peu de cas de la tribulation ; c'est Dieu qui nous visite alors, parce
que celui qu'il aime, il le châtie ; sur ce même principe, combien de
vrais serviteurs de Dieu, combien de Saints, après s'être longtemps
exercés dans les plus hautes vertus, se trouvent tout-à-coup, ou
calomniés ou accablés de maladie par la permission divine, afin que
leur patience dans ces maux, épure de plus en plus leur sainteté ?
Heureuses les âmes que Dieu met à ces épreuves, marques de son
amour pour elles et de leur prédestination (Tobie c. 12). Quia
acceptus eras Domino, necesse fuit ut tentatio probaret te. Tobie
était agréable à Dieu par rapport à son état présent, puisqu'il
marchait dans le chemin de la vertu ; il était agréable à Dieu par
rapport à l'élection éternelle, puisqu'il recevait de sa main
bienfaisante les afflictions, qui sont les moyens suivant l'ordre de la
sagesse Divine pour arriver à la gloire du Ciel. Quelle marque plus
certaine de l'amour de Dieu pour les Martyrs et de leur
prédestination à la gloire que leur martyre même ? L'Eglise n'en
demande point d'autres pour les honorer et pour les invoquer
comme des Saints, comme des habitants de la Jérusalem céleste, sur
quoi Saint Didaque dit : (c. 94) Comme les persécutions des tyrans
ont cessé dans l'Eglise, Dieu en échange, ménage à ses Serviteurs
d'autres espèces de persécutions pour l'âme et pour le corps ; pour
l'âme, des tentations d’orgueil, mille pensées importunes, des
injures, des affronts, des médisances, des calomnies qui la contristent
; pour le corps, des infirmités, des maladies, qui se succèdent les unes
aux autres ; et si l'on souffre avec patience ces diverses épreuves,
elles peuvent tenir lieu d'un martyre, et d'un martyre d'autant plus
méritoire, qu'il est plus lent. Pourquoi, demande Saint Grégoire (Lib.
3, Moral.), Dieu éprouve t-il quelques Justes en ce monde par tant de
peines ? C'est, répond ce saint Docteur, qu'il veut pour ces peines
111
temporelles les élever dans le Ciel au plus haut point de bonheur et
de gloire. Voilà comme le sceau de son amour pour eux et de leur
prédestination. Il leur ôte des choses de vil prix, afin que par leur
patience ils acquièrent ce qui est d'un prix infini, il fait qu'ils soient
méprisés de quelques hommes profanes afin qu'ils soient un jour
exaltés à la face de l’univers entier. C’est pour cela que les Saints
fuient l'estime du monde et redoutent la prospérité, qu'ils cherchent
à être inconnus et oubliés : ils aiment cet état, parce que souffert
avec patience, il leur est un gage de salut qui les encourage, qui
nourrit en eux l'espérance ferme d'une couronne immortelle.
ll n'est pas douteux que la Sainte Vierge, fille du Très-Haut, en fût
seule plus chérie que toutes les créatures ensemble : il n'est pas
douteux non plus, que le Très-Haut était Maître de tous les moyens
propres à la garantir de toute tribulation, soit pour l'âme, soit pour le
corps. Cependant à quelles peines durant toute sa vie, à quelles
angoisses ne fût-elle point en proie ? Nous avons touché quelques
traits de ces peines et de ces angoisses, infiniment au-dessus de
lcelles que nous pouvons endurer. Parce que Dieu l'aimait plus
qu'aucun Saint, elle devait souffrir plus qu'aucun Saint ; parce qu'elle
était choisie de Dieu pour être plus élevée dans le Ciel qu'aucun
Saint, il fallait qu'elle souffrit avec plus d'amour, avec plus d'humilité,
avec plus de douceur, avec plus de patience qu'aucun Saint.
Quelques mérites qu'elle acquît par la sublimité de tant de vertus
qu'elle possédait à un souverain degré, elle en acquit encore plus par
son héroique longanimité dans ses souffrances continuelles ; ce qui
fait dire à Saint Bonaventure : (In 3 Sent.) La bienheureuse Vierge
Marie mérita principalement dans la Passion de son Fils, pour lequel
elle sentit une compassion aussi grande qu'elle la pouvait supporter.
Ô qu'il est donc juste que nous acceptions de la main de Dieu
quelque peine qu'il lui plaise de nous affliger que nous estimions
112
cette peine, que nous la regardions comme un bienfait de sa part,
puisqu'il est si glorieux et si avantageux de souffrir pour son amour.
C'est une vertu propre de l'état de Chrétien, dit Saint Jérôme (In
Epist. ad Eph.), de considérer les maux de la vie comme des dons de
Dieu et de l'en remercier. Car pour ce qui est des avantages
temporels, les infidèles mêmes les envisagent comme des bienfaits,
dont on est obligé d'en remercier le Créateur. Ah! puisque les fruits
de la patience chrétienne sont si admirables, qu'il est donc nécessaire
de travailler à acquérir cette vertu, quoi qu'il en puisse coûter pour y
parvenir.
VIII. Des moyens d'acquérir la patience
Le premier de ces moyens est de graver bien avant en notre cœur
une vérité qui est de la foi et de nous la rappeller vivement dans
l'occasion ; c'est à savoir, que tous les sujets de souffrances qui nous
arrivent en ce monde viennent de la main de Dieu comme de leur
cause première et principale. Les biens et les maux, la vie et la mort,
la pauvreté et les richesses, sont de Dieu dit l'Ecclesiastique (c. 11,
14). Il n'est point de mal dans la ville que le Seigneur n'ait fait, dit le
Prophète Amos. Mais ceci demande une explication. A l'égard des
maux qui ont des causes naturelles, comme les maladies causées par
la corruption de l'air, la perte des biens par un naufrage ou par
d'autres semblable effets, il n'est pas difficile de concevoir comment
ces mêmes maux viennent de la main de Dieu. Mais à l'égard des
maux qui ont leur source dans la malice des hommes, ou du démon
comme sont les vols, les meurtres, les calomnies, ou comme sont les
tentations, les mauvaises suggestions, il n'est pas si ordinaire de
comprendre comment et en quel sens ils viennent de la main de
Dieu. Car Dieu n'est, ni ne saurait être l'auteur du péché : Deus nolens
113
iniquitatem tu es. Dieu l'a en horreur le péché, ll le défend comme un
mal contraire à tous ses attributs infinis. Il faut donc observer deux
choses dans le tort, dans le mal qu'un homme fait à un autre, savoir,
la peine et la coulpe : la peine, par exemple une blessure est une
chose physique et naturelle à laquelle Dieu concourt ; parce que dans
ce genre rien sans son secours ne peut s’opérer quant à la coulpe en
quoi consiste le péché qui est un être moral, qui est un désordre de la
volonté de l'homme, Dieu n’y concourt point, bien qu'il le permette ;
puisque pouvant l’empêcher par un juste jugement iI ne le fait pas.
C’est en ce sens que l'on doit entendre cette vérité incontestable et
révélée, qu'il n'arrive aucun malheur, soit particulier, soit général, qui
ne vienne de la droite du Très-Haut ; soit pour châtier les pêcheurs,
ou bien pour éprouver les justes. Les saintes Lettres sont remplies de
ces exemples. Tantôt c'est un impie, Sennacherib, qui périt par des
ministres de la colère divine ; tantôt c’est le saint homme Job, dont
Dieu veut purifier la vertu, en laissant à Satan la permission de tenter
sa patience par toutes les voies imaginables, et ce ne sont pas
seulement les grands maux, ce sont aussi les plus légers qui nous
viennent de la main de Dieu : un geste méprisant, un silence froid,
une parole peu mesurée, c’est le Seigneur qui nous envoie ces petites
mortifications afin qu'en les souffrant avec patience nous croîssions
sans cesse en mérite à ses yeux. Ce dessein de Dieu que toutes nos
peines se convertissent pour nous en avantages, tous les saints, tous
les vrais gens de bien ont toujours regardé comme un moyen très
capable de soutenir notre patience dans les conjonctures les plus
fâcheuses. Les Maîtres de la vie spirituelle, dit Sainte Dorothée (Serm.
7), ont toujours suivi la maxime de rapporter à Dieu comme à la
première cause leurs moindres peines : cette pensée les conservait
dans une paix qui rendait leur vie semblable à celle des Bienheureux
dans le Paradis. Ainsi la vertueuse Judith soutenait les habitants de
Bethulie dans leurs calamités : Songeons que les maux que nous
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endurons, sont fort inférieurs à nos péchés et soyons persuadés que
Dieu nous les envoie, non point pour notre perte mais pour notre
bien, pour nous corriger, pour nous faire rentrer dans notre devoir.
Voilà comme nous devons penser dans nos maux sans égard à
l'injustice, à la mauvaise volonté des hommes, croyons que la bonté
infinie du Seigneur n'y veut et n'y cherche que notre amendement si
nous sommes pêcheurs ; notre perfection si nous sommes justes et le
moyen d'assurer notre salut éternel. Car, de quel mérite n'est point
alors notre patience d‘adorer la main du Seigneur qui nous frappe ;
d’aimer le prochain, instrument dont il se sert pour cela ; de le
remercier de sa miséricorde qui nous marque la voie sûre pour
gagner le Ciel ? Tel est le prix de la patience chrétienne, une
couronne éternelle de gloire ; tel est l'amour que Dieu nous porte, en
permettant que l'on nous afflige, que l'on nous persécute, que l'on
nous enlève nos biens, quel l’on perde notre honneur. Quiconque est
résolu de servir Dieu, dit Sainte Dorothée (Ibid.), doit préparer son
âme aux tentations, aux tribulations, persuadé que rien de tout cela
n'arrive sans un ordre ou sans une permission de la divine
Providence, et que tout ce que Dieu fait par rapport à nous , il le fait
pour notre bien, il le fait par amour pour nous, par bonté, par
miséricorde. Il est hors de doute que le Seigneur se conduit de la
sorte, non seulement envers ceux qui ont toujours été bons, mais
envers ceux aussi qui, de grands pécheurs devenus pénitents,
marchent désormais avec courage dans le chemin du salut. Pour ce
qui est de ceux qui persistent opiniâtrement dans leurs désordres, si
Dieu les châtie encore et qu'ils se soulèvent contre ses coups, leur
impatience rebelle est le commencement de leur éternelle
damnation : ils ont les mêmes moyens que les autres pour se
convertir, mais le bon usage qu'en ont fait ceux-là met entre eux la
différence du Ciel à l'enfer. Quel motif plus solide et plus pressant
115
pour accepter dans la patience tous les maux de la vie, lesquels sont
tous de la main de Dieu. Le saint homme Job convaincu de cette
vérité, demeurait inébranlable au milieu de toutes les plus terribles
épreuves. Quoique les Sabéens et les Caldéens lui eussent enlevé ses
troupeaux, quoique Satan eût procuré la mort à ses enfants, il ne
prononça jamais le nom même des auteurs de ses maux, n'y
considérant que Dieu de qui ils venaient pour son bien : Dieu me
l'avait donné, Dieu me l'a oté, que sa volonté soit faite, que son nom
soit béni. Lorsque Seméi, l'un des sujets de David eut l'insolence de le
maudire, de l'outrager, de lui jeter même de la poudre au visage, le
Monarque n'envisage point dans Seméi un sujet qui l'insultait d'une
manière si atroce ; il n'y considéra que Dieu, qui se servait d'un si vil
instrument pour l'humilier : laissez-le faire, dit-il à ses gens étonnés
de sa douceur et de sa patience, Dieu le lui a ordonné.
Si nous gardions cette conduite observée depuis par tant de Saints de
la nouvelle alliance, quelle gloire n'en reviendrait point à notre Dieu,
qui daigne bien être jaloux de nos hommages, que seul il mérite !
Quels avantages de notre côté n'en retirerions-nous point. Nous nous
conserverions dans la charité pour tous ceux qui nous veulent, ou qui
nous font du mal, nous les regarderions comme des instruments que
le Seigneur emploie, ou pour nous rappeler, ou pour nous retenir, ou
pour nous attacher plus étroitement à son service. Quelle
tranquillité, quelle paix régnerait en nous par une résignation sans
réserve à la volonté d'un Dieu qui n'a rien de plus cher après sa
propre gloire, que notre salut et notre bonheur semblable au sien.
IX. De quelques autres moyens d'acquérir la vertu de patience
La persuasion vive que rien n'arrive en ce monde qui ne vienne de la
main du Seigneur et la résignation à sa divine volonté sont des
116
moyens sans doute suffisant pour se former à la vertu de la patience,
et pour imiter celle de la Sainte Vierge, toujours soumise aux ordres
du Ciel les plus rigoureux. Mais passons à quelques moyens qui nous
sont personnels en qualité de pécheurs, et que n'avait point Marie,
nette de toute tâche du péché. Premièrement donc, en toute
occasion de souffrir ou quelque infirmité du corps, ou quelque
affront, ou quelque dommage, rentrons sur le champ en nous-
mêmes : considérons de sang froid que nos péchés méritent
l'épreuve fâcheuse qui nous attriste actuellement et quelque autre
peine que ce puisse être, acceptons-la de bon cœur cette épreuve
présente et jugeons nous, condamnons-nous nous mêmes : dans
cette acceptation libre et sincère, ayons en vue de satisfaire à la
Justice divine à qui nous sommes comptables de tant de dettes
contractées par nos offenses. Si par la miséricorde du Seigneur nous
n'avons fait que des fautes appellées vénielles, cependant nous
méritons pour ces fautes mêmes, de plus grandes peines que toutes
celles que l'on peut souffrir en ce monde, puisque nous méritons le
Feu du Purgatoire, dit Saint Augustin : Gravie erit ille ignis quàm
quídquid homnati potest in hac vita. Que sera-ce donc si nous avons
commis beaucoup de péchés griefs, pour lesquels Dieu avec justice
nous eût éternellement punis sans que sa bonté eut retenu son
courroux, afin que nous fissions pénitence ? De cette sorte, en
quelque état qu'on soit aux yeux de Dieu, loin de se plaindre que l'on
souffre, loin d'en gémir dans son cœur il ſaut se reconnaître
coupable, confesser que l'on mérite sa peine qu’elle qu'elle soit,
adorer la main qui ne frappe aujourd'hui que pour pardonner au jour
des vengeanges. ll faut dire, comme le Prophète : (Mich. c. 7) Je veux
souffrir ce châtiment parce que j’ai péché. Ce que cette disposition
est avantageuse à l'homme chrétien ! Que la souffrance lui devient
légère par la comparaison qu'il en fait avec l'éternité de l'enfer, dont
ses péchés l'ont rendu digne ! Cependant essayons de recourir à un
117
moyen plus noble que celui-ci : souffrir par reconnaissance envers la
miséricorde de Dieu, qui nous châtie en ce monde pour nous
épargner dans l’autre vie, c’est un amour intéressé ; souffrons par
zèle pour la justice de Dieu qui doit être vengée des injures qu'elle a
reçues de nous, viles créatures, insectes, vers de terre, néants. Dieu
est si touché de la noblesse de ce motif, que le Juste souffrant de la
sorte, il le comble de ses plus insignes faveurs. A l’égard du pécheur,
dit Saint Grégoire (Lib. 2. Mont.), dès qu’il reçoit de la main de Dieu
les châtiments que sa Justice lui envoie pour ses péchés et que dans
cette vue il s'y soumet avec une résignation parfaite, il commence à
être juste ; c’est-à-dire que la bonté divine infiniment plus étendue
que l'indignité du pécheur, répand sur lui des grâces qui le disposent
à rentrer dans l'amitié de son Seigneur qu’il avait perdue.
Mais cette disposition habituelle de nous juger dignes de tous les
maux qui nous arrivent, de les accepter avec une parfaire soumission,
de bénir même la main qui nous frappe, n'est pas seulement un
moyen pour acquérir la patience, elle est aussi un moyen pour
acquérir toutes les vertus chrétiennes et dans toute leur perfection,
ainsi que nous l'avons déja insinué. C'est en ce sens que le saint Abbé
Pasteur disait : « Toutes les vertus se sont retirées chez une seule,
sans laquelle on se fatigue vainement pour les trouver ». Et lorsqu'on
lui demandait quelle était donc cette vertu si précieuse, il répondait :
C'est de s'accuser soi-même etl de se condamner avec sincérité dans
toutes les choses fâcheuses que nous éprouvons ; ce qui est le
comble de la patience. Aussi ce jugement, cette condamnation que
nous portons contre nous, les saintes Lettres nous les recommandent
en plusieurs endroits. Je vous enseignerai, ô homme, dit le Seigneur
par le Prophète Michée (c. 6), ce qui est bien et ce que Dieu veut de
vous : c'est que vous usiez de miséricorde envers le prochain et que
vous soyez à votre égard un Juge sévère. La nature corrompue de
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l’homme le penche à la sévérité pour autrui et à l'indulgence pour
soi-même ; le saint exercice dont nous parlons corrige cet inique
penchant et fait que nous nous réputons coupables de tous les maux
de cette vie, puisque le péché qui les mérite est notre propre
ouvrage. Reçoit-on du prochain une injure, c’est avoué dans son
cœur qu'on mérite, demande t-on une chose sans l'obtenir, poursuit-
on une affaire sans réussir, c'est avec injustice, dit-on, que j'ai essuyé
ce refus, que cette affaire a mal tourné pour moi ; je ne mérite ni des
succès, ni des grâces. Des paroles piquantes causent-elles d’abord
quelque mouvement de colère, par un prompt retour sur soi-même
on s'accuse, et l'on se dit : Si j'avais eu l'humilité qui me convient plus
qu'à qui que ce soit, je ne me serais pas piqué pour si peu de chose.
Ainsi l’homme patient recueille du fruit de la tribulation, du mérite,
une grande augmentation de vertu, un pardon entier de ses fautes,
en s'attribuant à soi-même la cause de toutes ses peines et en
consentant volontiers que Dieu le châtie en ce monde pour tous ses
manquements. L'homme chrétien qui se comporte de cette manière,
dit Sainte Dorothée, jouira d'une paix parfaite et fera en peu de
temps de grands progrès dans la vertu : voilà le droit chemin du Ciel
que les Saints nous ont enseigné, ajoute t-elle ; si nous ne le suivons
pas, toute autre voie, quelles bonnes œuvres que nous nous
prescrivions d'ailleurs, et que nous pratiquions, ne nous menera
jamais au repos de nos âmes.
Un moyen encore très important pour acquérir la vertu de la
patience, c'est de nous attendre chaque jour à quelque épreuve
extraordinaire et de nous préparer par la prière à la soutenir avec
courage. Quelle légère même que soit une attaque, si elle est faite à
qui n'est pas sur ses gardes, elle peut devenir très dangereuse et très
préjudiciable ; De même, toute tentation qui surprend l'homme
chrétien sans armes et sans qu'il y pense, peut le jeter dans un péril
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certain de se perdre. Dès le matin donc en nous levant, il faut songer
que dans le cours de la journée il pourrait bien nous arriver des
choses fâcheuses et nous disposer à les supporter généreusement
pour l'amour de notre Seigneur ; il faut de temps à autre renouveller
cette résolution ; eût-on à traiter d'affaires avec l’homme le plus
raisonnable, et les affaires fussent-elles les plus justes, les plus aisées.
Enfin, il faut se mettre dans l'esprit que la journée ne se passera pas
sans qu’il surrvienne quelque chose de désagréable, qui peut exciter
en nous quelqne sentiment de colère, de tristesse, et nous faire dire
quelque parole dure ; au lieu de nous taire et de sacrifier tout à Dieu.
C’est ici le conseil du saint Abbé Saye : Pensez, dit-il dans l'une de ses
conférences, que chaque heure du jour peut amener quelque
évènement contraire à vos inclinations : ainsi préparez-vous-y,
quelqu'il soit, persuadé que les contradictions prévues perdent
presque toute leur amertume et se souffrent avec tranquillité.
Nous relèverons ce dernier rnoyen par la considération fréquente de
la Passion de Jésus-Christ, et de la patience admirable qui éclate dans
toutes les circonstances de ce grand Mystère de notre Rédemption. ll
faut le considérer ce Dieu souffrant avec un vrai désir de l'imiter
autant qu'il est en nous, moyennant sa sainte grâce, trop heureux de
parvenir à porter quelque trait de ressemblance avec notre divin
modèle. A cette considération, nous joindrons aussi celle de la
patience de la Sainte Vierge dans les douleurs les plus continuelles et
les plus grandes après celles de notre Seigneur. Nous nous
rappellerons ces deux exemples dans toutes nos peines, pour nous y
soumettre avec courage et pour en tirer le fruit que Dieu s'y propose,
lequel est de nous faire mériter le Ciel. Nous demanderons souvent
au Fils et à la Mère, à Jésus et à Marie, une vertu sans laquelle nous
ne serons jamais de vrais Chrétiens ; et nous la leur demanderons par
les plus ferventes prières, par la pratique des œuvres de miséricorde
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envers le prochain, par l'exercice de la mortification dans nos
appétits déréglés et dans nos goûts sensuels. Car après tout la
patience chétienne est un don de Dieu, et l'un de ses plus grands
dons, qu'il n'accorde guère qu’aux conditions dont nous parlons. En
effet, par-là, combien d'hommes d'un caractère violent, emporté,
sont devenus doux, traitables, patients ? La grâce, il est vrai, ne
détruit pas la nature, mais elle la corrige, mais elle la guérit. Ainsi
lorsque l'on ressent en soi de vifs mouvements de colère, et que l'on
s’échappe en des promptitudes et en des impatiences, au lieu de
s'excuser sur ce que telle est la condition, telle est la faiblesse
humaine, on ne doit accuser que soi-même, on ne doit attribuer ses
fautes qu'à soi-même, qu’à sa négligence à user des moyens propres
pour devenir un homme patient. En nous humiliant devant le
Seigneur, par cette confession que nous lui faisons de notre lâcheté,
et en le priant en même temps d'en avoir pitié, nous obtenons enfin
de lui le don de la patience, pour acquérir avec elle toutes les autres
vertus chrétiennes et pour persévérer dans le bien jusqu’à la mort.
FIN