Direction : Guillaume ArnaudDirection éditoriale : Sophie Cluzel
Édition : Anne-Sophie Rahm, assistée d’Alexandra PradaCorrection : Anne Mars
Direction artistique : Armelle RivaIllustrations : Anne-Lise Nalin
Direction de fabrication : Thierry DubusFabrication : Axelle HostenMise en page : Pixellence
© Mame, Paris, 2018.www.mameeditions.com
ISBN : 978-2-7289-2488-2MDS : 531 734
Tous droits réservés pour tous pays.« Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. »
m a m e
m a m e
Edith Jast
Le pacte
À tous les adolescents que je côtoie au quotidienet qui ont grandement inspiré ce roman.
Édith Jast
Je m’appelle Victor mais, à cause de mes questions métaphysiques, de mes vestes en velours et de mes « cheveux fous », mes grands frères me surnomment « Arthur » en référence au philosophe Arthur Schopenhauer, je précise. Calme et posé de nature, je rentre en 4e.
Hello ! Moi, Marc, je rentre en 5e. Il s’est passé un truc de ouf dans ma vie cet été, et j’ai trop hâte de le raconter ! À part ça, j’aime les maths, le sport, le vélo, la vie au grand air. Mon rêve ? Devenir scout, comme mon cousin Amaury. Et surtout, donner ma vie pour mes amis !
Moi, c’est Élodie. Rien que de penser à la rentrée, j’ai une boule au ventre à cause de tout ce qu’on a pu dire sur moi en 6e et en 5e. Mais bon, la 4e, ça pourra pas être pire ! Enfin, j’espère… Au fond de moi, je rêve d’une vie nouvelle, enfin heureuse et épanouie.
Je suis Anmar. Avec mes parents et ma sœur, nous venons d’emménager dans une ferme. La campagne, les vaches, ça nous change carrément des tours où nous habitions avant ! Même si je suis content, ça me stresse un peu d’arriver dans ce nouveau collège. Je rentre en 5e.
CHAPITRE 1
Bientôt la rentrée
Vendredi 31 août
J – 3. H – 72. Huit heures du matin. Dans
trois jours, dans soixantedouze heures,
c’est la rentrée. Vivement que les comp
teurs affichent zéro, parce qu’à force de
me répéter sans arrêt tous ces codes dans ma tête depuis
quinze jours, je crois que je vais devenir fou !
Allez, j’enfourche mon vélo, j’attache mon casque et je
m’élance. Il fait encore frais mais quel soleil de malade ! Au
bout de l’allée, je jette à peine un coup d’œil autour de
moi pour voir si des voitures arrivent, je donne un coup
de guidon pour prendre le chemin des Colibris et pédale
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de plus belle. J’ai le vent dans les cheveux, mon short et
mon polo collés au corps. J’en peux plus d’attendre !
J’ai jamais été pressé comme ça de reprendre l’école.
Jusqu’à maintenant, ça me faisait ni chaud ni froid.
Même pour ma rentrée en sixième l’année dernière, j’ai
pas spécialement angoissé. Incroyable, parce que tout le
monde était décidé à me donner des conseils : ma mère
– carrément plus inquiète que moi – arrêtait pas de me
répéter que j’allais avoir besoin d’« un temps d’adap
tation » et que c’était normal. Je crois qu’elle essayait
surtout de se convaincre ellemême, parce que moi,
perso, je me sentais très bien ! Mes copains de l’école
primaire que je rencontrais dans la rue étaient super exci
tés d’entrer enfin au collège.
Ah, j’arrive au carrefour des Ormes : je gère niveau
temps ! Et quand je repense à mon entrée en sixième, d’ail
leurs, je me souviens que même Papi Eugène, pourtant
pas très bavard, avait tenu à me parler seul à seul pour me
prévenir des différentes « menaces » qui me guettaient.
Drogue, racket, harcèlement, et j’en passe. À l’entendre,
Le pacte
12
le collège était le lieu de tous les dangers. Genre, j’étais le
seul à être relax. Take it easy !
J’aperçois au loin le clocher de l’église… J’accélère. Je
pédale à toute vitesse. C’est bizarre, j’ai en même temps
froid et chaud à cause de l’effort. J’adore ça ! Mon objectif,
c’est d’arriver à 8 h 15 à l’église. Après, pause de cinq
minutes et hop, je repars !
Je suis à fond, pour tout, tout le temps ! Et contrairement
à la principale théorie de mes parents – le moins qu’on
puisse dire, c’est qu’ils sont pas très discrets quand ils s’enfer
ment dans la cuisine pour discuter de cequiabienpu
arriver àMarc –, c’est pas à cause d’une fille que j’ai changé
comme ça. L’autre jour, ma mère est venue me voir dans ma
chambre, soidisant pour ranger du linge : « Marc, tu ne
crois pas qu’il te faudrait de nouveaux teeshirts ? » Du style,
Maman, j’ai PAS DU TOUT remarqué que tu plies trois
fois la même chemise juste pour loucher sur mon bureau à
la recherche d’indices. Mais non, j’ai pas de petite copine.
Ça y est, j’y suis ! Je mets un pied à terre sur le parvis de
l’église SaintFrançoisdeSales. Complètement essoufflé,
CHAPITRE 1 – BIEnTôT lA REnTRéE
13
je regarde ma montre et souris : 8 h 14. Yes, je l’ai fait ! J’at
trape ma gourde et bois de longues gorgées d’eau fraîche.
I feel good, so good !
Je peux pas dire le contraire, j’ai changé. Ça fait quinze
jours que je suis comme ça. Super heureux. Si je résume,
c’est grâce à mon cousin Amaury, une tente et un bâti
ment qu’on apercevait en bas de la vallée que ma vie a
basculé. En me remettant en selle, direction la boulange
rie, je reprends mon décompte : trois jours. Dans trois
jours, je pourrai enfin parler de tout ça avec mes potes au
collège. Je pédale aussi vite que je peux. Comme si ça
pouvait faire arriver la rentrée plus vite !
Bon, alors, j’ai mes trois classeurs de l’an
née dernière, deux grands cahiers neufs…
deux cents feuilles simples aussi, et autant
de copies doubles. Mince, où est ma
Le pacte
14
trousse ? Ah là, sur mon bureau, ouf ! Je fais glisser la ferme
ture sans l’ouvrir jusqu’au bout – les dernières dents sont
cassées, et si je tire trop, ça va bloquer. Dedans, un stylo
quatre couleurs, deux crayons à papier un peu mâchouillés
et mon styloplume que j’adore. Je l’ai depuis le CM1 au
moins, et j’aime sentir la façon dont la plume glisse sur le
papier. Quand j’écris avec lui, c’est comme si les mots
sortaient tout seuls de la plume un peu écrasée au bout…
Je lève les yeux, regarde par la fenêtre. Les feuilles des
arbres sont immobiles, alors que mon cœur bat fort, fort !
Faut que je me calme… J’ouvre l’agenda que Maman m’a
laissé choisir au supermarché. Je l’approche de mon visage
et respire sa bonne odeur d’encre et de colle. Je caresse le
papier neuf du bout des doigts, feuillette toutes ces pages
vides et propres. L’espace d’un instant, j’ai l’impression
que tout pourrait recommencer. Une vie toute neuve, que
je pourrais remplir comme je voudrais…
Bon, j’ai au moins l’essentiel pour faire la rentrée. Pour
les autres fournitures, ça pourra attendre… En fait, ça
devra attendre, même ! Maman me l’a encore rappelé ce
CHAPITRE 1 – BIEnTôT lA REnTRéE
15
matin. Comme tous les ans, j’expliquerai à mes profs
que « pour des raisons financières » – toujours la même
formule ! – je dois utiliser un cahier pour deux matières.
Si je dis ça tout de suite, je sais que je suis tranquille ! J’ai
droit à un petit sourire gêné, ils tournent la tête, ils font
comme s’ils n’avaient pas entendue, et c’est réglé.
Dehors, il fait très beau. Le soleil cogne, il n’y a pas un
nuage, j’entends des rires au bas de l’immeuble. L’été est
encore là, alors c’est encore un peu les vacances, mais avec
un petit goût de rentrée… Certains élèves aiment bien ce
moment : on va retrouver ses amis, leur raconter ses
vacances… Moi, j’aime pas cette période. Déjà, parce que
je n’ai rien à dire : je suis restée chez moi… Et puis, de
toute façon, je n’ai personne à qui les raconter.
Mais bon, la sixième et la cinquième sont derrière moi,
ça sera pas pire cette année ! Pas pire que la fois où on m’a
surnommée « Walking dead » à cause de ma peau blanche
et de mes longs cheveux noirs… Ou quand on a écrit
« KASSOS » sur mon casier au marqueur parce que je n’ai
pas de baskets de marque, pas d’iPhone, et que j’ai
Le pacte
16
prétendu être malade pour ne pas faire la sortie de fin
d’année – payante – au bowling…
En fait, quand j’y pense, tout est prêt pour la rentrée,
sauf moi !
Je me lève et commence à ranger mes fournitures
dans mon sac à dos. C’est pas vrai… il y a déjà une
couture qui est en train de se défaire ! À tous les coups,
elle va lâcher bientôt… C’est ça, d’acheter un sac à dix
euros au marché… Bon, tant pis, je continue à glisser
mes affaires dans mon sac. Ah, mon trieur de l’an
dernier, j’ai oublié de le vider ! Je l’ouvre, et tombe sur
mon emploi du temps de cinquième. Un nom me saute
aux yeux : « MME DONI ». Il est imprimé trois fois, en
capitales. Trois heures chaque semaine. Pourvu que ce
nom apparaisse aussi trois fois dans mon emploi du
temps de cette année !
« Doni » rime avec « joli », « gentil », « sympathie »,
« envie »… Pas un hasard. Il me fait aussi penser à « don
ner », « pardonner », « fredonner ».
CHAPITRE 1 – BIEnTôT lA REnTRéE
17
Alors que j’attrape les clés et le portefeuille sur l’étagère
dans l’entrée – Maman rentrera tard ce soir, c’est donc à
moi de faire les courses –, je me surprends à sourire dans le
miroir. Je décide de prendre les escaliers, que je dévale avec
une bonne humeur inattendue. Ce n’est qu’une fois dans
la rue que je me rends compte que « Doni » rime aussi avec
« Élodie ».
Dimanche 2 septembre
– Anmar, à table !
Je ferme rapidement mon livre et sors de
ma chambre. De toute façon, ça fait trois
fois que je lis la première page et je sais
toujours pas de quoi ça parle. Ça sent la chakhchoukha
dans toute la maison. J’ai toujours aimé cette spécialité de
ma mère : c’est un plat long à cuisiner, les oignons, les
légumes et la viande de mouton mijotent pendant des
heures. C’est l’odeur des dîners tous ensemble, de la famille
Le pacte
18
réunie autour de la table. Pile ce qu’il me faut pour me
changer les idées ! Quand j’arrive dans la cuisine, ma
grande sœur Assia est en train de mettre la table. Comme
les assiettes sont déjà sorties, j’ouvre le tiroir des couverts…
où je ne trouve que du scotch et des ciseaux ! Ma sœur se
moque :
– Eh, t’es sûr qu’on aura besoin de ça ce soir ?
Zut, je me suis encore trompé de tiroir. Je hausse les
épaules.
– Ça va, Anmar ?
Cette fois, c’est ma mère.
– Oui, oui, tout va bien.
Je commence à installer les couteaux, les fourchettes et
les cuillères. Je ne sais pas quoi dire : je n’ai pas envie qu’As
sia et ma mère s’inquiètent pour moi, mais je crois que je
ne suis pas très doué pour cacher ma peur. Je cherche un
nouveau sujet de discussion mais, comme à chaque fois
que je suis stressé, j’ai l’impression que ma tête est vide et
mon cerveau, aussi blanc que le lait de nos vaches.
CHAPITRE 1 – BIEnTôT lA REnTRéE
19
Heureusement, le fromage que j’aperçois au bout de la
table me sauve. Il attend sur une belle assiette.
– Oh, Maman, ça y est ? Tu as fait ta première série de
fromages ?
– Eh oui, mon grand. Et j’ai trouvé ça plus facile que ce
que je pensais. Du coup, ce soir, vous allez être mes
cobayes : on va y goûter !
– Génial !
Maman m’adresse un grand sourire réconfortant. Au
même moment, Papa arrive. Il vient de sortir de la douche
et nous nous rassemblons autour de la table. Il récite la
prière de bénédiction du repas que je connais par cœur :
« Au nom de Dieu et par sa miséricorde, nous prenons ce
repas. »
Même à plusieurs centaines de kilomètres de notre
ancienne maison, la chakhchoukha de ma mère est
toujours aussi bonne. Devant mon assiette remplie de
légumes bien chauds au ras elhanout et au paprika, je me
sens déjà mieux qu’avant le dîner. Malgré tout, je suis
toujours un peu stressé, si bien que j’ai du mal à me
Le pacte
20
concentrer sur ce que disent mes parents : ils discutent de
la ferme, des derniers appels aux coopératives, du nombre
de bêtes à acquérir en plus… Assia parle avec eux. Mais à
un moment, elle me fait un petit clin d’œil, genre : « T’in
quiète pas, Anmar. Tu vas gérer. » Je réponds par un sourire.
Mais au fond de moi, je peux pas m’empêcher d’essayer
d’imaginer comment seront le collège, les autres élèves, les
professeurs… La voix de mon père me rappelle à la réalité :
il vient d’attraper l’assiette où trône le fromage.
– Maintenant, on goûte le fromage de votre mère !
CHAPITRE 1 – BIEnTôT lA REnTRéE
CHAPITRE 2
Ça sonne !
Lundi 3 septembre
– Bonjour Victor ! Comment se sont
passées tes vacances ?
– Très bien, merci. Et les vôtres ?
François hausse un sourcil et me donne
une petite tape sur l’épaule :
– Je vois que tu n’es toujours pas décidé à me tutoyer !
Très bonnes vacances aussi, merci. J’en ai profité pour
avancer dans mes révisions. Je passe des examens la semaine
prochaine !
François est sympa, comme surveillant. En plus de
travailler ici, au collège des Chênes, il fait des études de
philo à la fac. L’année dernière, j’aimais bien discuter avec
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lui de tout un tas de choses et je suis ravi qu’il soit encore
là cette année. Je lui fais un grand sourire en franchissant
la grille :
– Bon courage, alors !
– Merci, à toi aussi, Victor.
J’aperçois au loin les autres élèves de quatrième regrou
pés devant les tableaux d’affichage. Diego et Raphaël me
font signe de la main. Chacun est pressé de voir dans
quelle classe il est. Je les rejoins sans trop me presser, j’aurai
tout le temps de voir si je connais du monde dans ma
nouvelle classe. Des cris et des rires, à l’autre bout de la
cour, me font tourner la tête : c’est Rose Amelin, bien sûr,
qui est en train de vitupérer contre une surveillante. Je ne
comprends pas tout ce qui se passe mais j’ai l’impression
qu’elle s’est déjà fait confisquer son portable et que ça ne
lui plaît pas. Elle tient tête à la surveillante – qui doit être
nouvelle, je ne la connais pas –, au son des ricanements de
ses copines. Rose n’a pas perdu de temps pour se faire
remarquer : comme c’est curieux !
Le pacte
24
Je consulte le tableau : je suis en quatrième B. En parcou
rant les noms des yeux, je m’aperçois que je connais
quelques personnes mais n’ai pas vraiment d’amis proches
avec moi. Diego et Raphaël sont en quatrième E : déjà
rangés avec le reste de leur classe, au niveau de l’emplace
ment de la salle 106, ils me regardent en haussant les
épaules avec un sourire un peu gêné. Tant pis, on verra
bien. Tandis que Rose crie qu’elle ne fera pas l’heure de
colle, je vais me ranger avec les autres élèves de ma classe
pour monter en salle 103. Tout le monde s’inquiète de
savoir qui sera notre prof principal cette année. J’entends
des conversations derrière moi :
– Tout le monde sauf monsieur Lesbaux !
– Lui, encore, il peut être sympa, celle que je veux vrai
ment pas, c’est madame Edemert ! Elle est trop méchante !
Une silhouette énergique est en train de se diriger vers
nous. J’ai du mal à y croire : madame Doni, la star du
collège, serait notre prof principal cette année ? On dirait
bien que oui : elle vient dans notre direction en souriant.
Alors là, c’est la grande classe. Avoir madame Doni en
CHAPITRE 2 – ÇA sonnE !
25
histoiregéo, c’est déjà bien, mais en prof principal, c’est
carrément cool. À en croire les réactions des autres, ils ont
compris la même chose que moi. Signe de son autorité
légendaire, tout le monde est bien rangé quand elle arrive.
Elle ne perd pas de temps :
– Les quatrième B, suivezmoi, on monte !
Le reste de la matinée se passe comme tous les matins de
rentrée : madame Doni nous distribue plein de papiers à
faire signer par nos parents, nos nouveaux carnets de
correspondance, notre emploi du temps… Je suis assis à
côté d’une fille que je ne connais que de vue. Quand elle
remplit son carnet, je jette un œil : c’est ça, elle s’appelle
Élodie Hervé. Elle est très discrète au collège et je crois
qu’elle n’a pas beaucoup d’amis. En tout cas, elle semble
beaucoup admirer madame Doni : elle la regarde avec des
yeux écarquillés et ne perd aucune de ses paroles. Du coup,
alors que nous quittons la salle pour aller chercher nos
manuels au CDI, j’entame la conversation dans le couloir
en chuchotant :
– Tu avais déjà madame Doni l’année dernière ?
Le pacte
26
– Oui, et en sixième aussi.
– Y en a qu’ont de la chance.
Elle rougit, un petit sourire en coin.
Dijon, le 8 septembre
Cher Amaury,
Tu as horreur des SMS, des messages
WhatsApp, tout ça, et comme en plus tu
m’as appris à écrire des lettres comme il faut,
alors voilà des nouvelles ! Profites-en, cousin, parce que je suis
pas sûr de vouloir écrire comme ça à la main trop souvent !
Là je suis à Dijon parce que les parents ont décidé d’y passer
la journée. Comme j’avais pas très envie de les accompagner
faire des courses (le shopping, c’est pas trop mon truc) ils ont
bien voulu me laisser dans un café avec un Sprite et un pain
au choc’. Le deal, c’est que je commence mes devoirs, mais en
fait non !
CHAPITRE 2 – ÇA sonnE !
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J’ai fait ma rentrée cette semaine. Rien de spécial. Mon
emploi du temps est pas mal, les profs ont l’air globalement
cool. Ah si, un truc quand même : un nouveau au collège qui
est justement dans ma classe (5e D). Il s’appelle Anmar Ben
Moussa, ses parents viennent de racheter la ferme qui était à
vendre à environ 20 kilomètres, à côté de l’ancien moulin, tu
vois ? Tout le monde le sait déjà, personne pensait que
quelqu’un allait racheter la ferme un jour ! Anmar a l’air
timide, mais il est sympa. En tout cas, il a vite été repéré dans
le bahut, et d’après ce qu’on m’a dit, Rose Amelin (celle dont
je t’ai parlé cet été, tu sais ?) a déjà essayé de faire croire à tout
le monde qu’il parlait pas français et mangeait que du cous-
cous, et en plus avec ses doigts. Comme tu vois, toujours aussi
sympa, celle-là !
Enfin, on s’en fiche. Moi, je suis encore à fond après ces
vacances. Le camp scout, j’ai adoré ! Tu as eu raison d’insister :
les longues marches dans la forêt, les installations du camp, les
veillées autour du feu, les nuits à la belle étoile… c’était telle-
ment génial. Merci, cousin. Je veux absolument qu’on reparle
de la dernière nuit, mais pour ça, il faudra toute une lettre !
Le pacte
28
J’arrête d’écrire, je vois Papa et Maman qui arrivent au
bout de la rue.
À bientôt ! Bon courage pour tes études !
« Sois prêt ! »
Marc
Dimanche 9 septembre
– Élodie, je peux entrer ?
– Oui, Maman.
J’attrape sur mon bureau la liasse de
feuilles qu’il faut qu’elle signe pour le
collège. Comme ça fait trois soirs qu’elle travaille de nuit,
je commence à avoir un beau tas de papiers !
– Tiens, tout est là. Au fait, pour la cantine, ils m’ont
dit que si tu fais un mot, ils pourront tirer le chèque plus
tard.
Maman ne prend pas tout de suite les papiers que je lui
tends. Je lui trouve les traits tirés, comme toujours, mais
CHAPITRE 2 – ÇA sonnE !
29
il y a autre chose aussi, de plus inhabituel. Ses yeux bruns
qui pétillent lui donnent un air presque espiègle. Elle
prend les documents sans y jeter un coup d’œil.
– D’accord, je regarderai tout ça, merci. Mais en fait,
Élodie, je suis venue te voir pour autre chose…
En disant ces mots, elle me tend un paquet. On dirait
un livre, enveloppé dans du papier cadeau. Je n’y crois
pas… On ne se fait jamais de cadeaux en dehors de Noël
ou des anniversaires. Qu’estce qui lui prend ? Ma mère
s’assoit sur mon lit, joint ses deux mains, les glisse entre ses
jambes. Elle semble heureuse et gênée en même temps,
comme si elle non plus, elle ne savait pas très bien ce qui
se passe…
– Élodie, je sais que ce n’est pas facile pour toi au
collège. Je sais aussi que c’est un peu ma faute. Bon, pas
vraiment ma faute, mais… Enfin, c’est pour toi, je me suis
dit que ça te ferait plaisir.
Je ne sais pas quoi dire. Maman… Ce n’est pas sa
faute. À qui la faute, d’ailleurs ? Et la faute de quoi, vrai
ment ? Je me pose souvent toutes ces questions. Alors
Le pacte
30
qu’elles se bousculent une fois encore dans ma tête,
j’ouvre le paquet avec des mains qui tremblent un peu.
Non, ce n’est pas un livre, c’est un calendrier pour l’an
née scolaire. Un de ces blocs, avec une page par jour.
Je lis à voix basse ce qui est écrit sur la couverture :
« 365 citations pour 365 jours de bonheur ». Maman pose
une main sur mon bras. On n’est pas très tactiles, elle et
moi, mais je suis contente qu’elle fasse ce geste. Un
instant, j’ai envie de la serrer dans mes bras, comme je
faisais quand j’étais petite. Et puis non. Comme je ne
réagis pas, elle m’explique :
– Voilà, j’ai vu ça dans la vitrine de la librairie. C’est
un calendrier à poser sur ton bureau. Tu as une page
par jour de l’année, avec sur chaque page une belle
phrase…
Maman installe le calendrier sur mon bureau et l’ouvre
à la page d’aujourd’hui. On y voit un papillon sur une
fleur avec une phrase qui dit : « Tu dois vivre dans le présent,
te lancer au-devant de chaque vague, trouver ton éternité à
chaque instant. » C’est quoi le nom audessous ? Thoreau.
CHAPITRE 2 – ÇA sonnE !
31
Ça ne me dit rien, mais j’aime la phrase. Je ne comprends
pas tout, mais ça sonne bien.
Et que Maman ait eu cette attention pour moi… Je dois
avouer que ça me touche. Je sens qu’il faut que je dise
quelque chose, mais exprimer mes sentiments n’est pas
mon fort. Je me lève et tourne quelques pages du calen
drier.
– Merci, Maman ; ça me fait plaisir.
Elle sourit.
– De rien, de rien.
Elle non plus n’est pas très expansive. Elle semble cher
cher un peu ses mots, s’assied sur mon lit et se relève aussi
tôt. Elle se dirige vers la porte. Ce n’est qu’une fois qu’elle
a déjà la main sur la poignée qu’elle se tourne vers moi et
demande, presque timidement :
– Et sinon… ça a été la rentrée ? Ces premiers jours ?
Désolée, j’ai pas été très présente pour en parler.
– Oui, très bien.
Elle hausse un sourcil.
– Très bien ? C’est rare que tu dises ça.
Le pacte
32
Bien sûr, elle doit penser que je dis ça pour la rassurer.
Je regarde Maman, qui porte son éternel pull gris à col
roulé et son pantalon noir, le même que tout le temps.
Elle dit que c’est parce qu’elle se sent bien dedans, mais
depuis quand ne s’estelle pas offert de vêtements neufs ?
Pfff, si j’y réfléchis, je ne suis même pas sûre de l’avoir
jamais vue s’acheter de fringues. Les rares fois où on fait
les magasins, c’est toujours pour moi. Cette pensée me
serre le cœur.
– Je sais, mais c’est vrai. J’ai… j’ai encore madame
Doni cette année.
– Qui ?
Je lui en ai souvent parlé l’année dernière, mais Maman
a tellement de soucis que souvent, elle ne semble pas faire
attention aux choses que je lui raconte. Et donc, elle a
complètement oublié madame Doni. J’insiste :
– Madame Doni, tu sais, la prof d’histoiregéo ?
Mais ce n’est pas ça qui la préoccupe. Elle reprend :
– Ah oui, bon, tant mieux. Et tu as des copains dans ta
classe ?
CHAPITRE 2 – ÇA sonnE !
33
Nous y voilà… Comme tous les ans, c’est ça qui l’in
quiète. Je hausse les épaules. Si les autres l’entendaient, sûr
qu’ils se moqueraient encore plus de moi !
Dans mon lit, un peu plus tard, je ne trouve pas le
sommeil. Des copains, estce que j’en ai ? Je pense à
Victor, ce garçon qui s’est mis à côté de moi à tous les
cours depuis le jour de la rentrée. Victor Florin. C’est un
garçon un peu zarbi, que j’avais déjà repéré l’année
dernière, mais nous n’étions pas dans la même classe et je
ne lui avais jamais parlé. Vendredi dernier, il portait un
drôle de gilet orange et vert, et une sorte de petit bonnet
assorti qu’on aurait dit tricoté à la main. Avec ses cheveux
châtains bouclés, ça n’allait pas si mal. En tout cas, il a
l’air de se ficher complètement de ce que les autres
pensent de lui et de sa façon de s’habiller. Et ça, ça me
plaît chez lui. Il n’hésite pas non plus à se mettre au
premier rang et à lever le doigt, et pourtant ce n’est pas
du tout un lèchebottes ou un premier de la classe. Pas le
genre de mec à poser des questions pour se faire bien voir
des profs ou se faire remarquer des autres élèves. Non,
Le pacte
34
lui, quand il pose des questions, c’est qu’il veut vraiment
connaître la réponse.
Madame Doni, Victor Florin…
Ce dimanche soir, je m’endors sans ressentir la boule
dans le ventre que j’avais toujours, en sixième et en
cinquième, à l’approche du lundi matin.
CHAPITRE 2 – ÇA sonnE !
TABlE
Chapitre 1. Bientôt la rentrée ...................................... 11
Chapitre 2. Ça sonne ! ................................................. 23
Chapitre 3. Why ? ........................................................ 37
Chapitre 4. Le choix des mots ..................................... 53
Chapitre 5. Un dimanche loin du collège ................... 69
Chapitre 6. Y croire ou pas .......................................... 81
Chapitre 7. La sanction ............................................... 93
Chapitre 8. Drôles de lettres ......................................105
Chapitre 9. La promesse ............................................113
Chapitre 10. Le bracelet ............................................125
Chapitre 11. Les vacances .........................................133
Chapitre 12. Tous des saints ? ....................................147
Chapitre 13. De retour au collège .............................163
Chapitre 14. Tout s’organise ......................................179
Chapitre 15. Plus d’amour ........................................189
Chapitre 16. Un groupe moins secret .......................199
Chapitre 17. Père Julien entre en scène .....................211
Chapitre 18. Nouvel incident au collège ...................225
Chapitre 19. Et Dieu dans tout ça ?...........................235
Chapitre 20. Tout reprendre .....................................247
Chapitre 21. Ultimes préparatifs ...............................259
Épilogue ....................................................................269