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mame - fnac-static.com · – Anmar, à table ! Je ferme rapidement mon livre et sors de ma chambre. De toute façon, ça fait trois fois que je lis la première page et je sais toujours

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  • Direction : Guillaume ArnaudDirection éditoriale : Sophie Cluzel

    Édition : Anne-Sophie Rahm, assistée d’Alexandra PradaCorrection : Anne Mars

    Direction artistique : Armelle RivaIllustrations : Anne-Lise Nalin

    Direction de fabrication : Thierry DubusFabrication : Axelle HostenMise en page : Pixellence

    © Mame, Paris, 2018.www.mameeditions.com

    ISBN : 978-2-7289-2488-2MDS : 531 734

    Tous droits réservés pour tous pays.« Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. »

    m a m e

  • m a m e

    Edith Jast

    Le pacte

  • À tous les adolescents que je côtoie au quotidienet qui ont grandement inspiré ce roman.

    Édith Jast

  • Je m’appelle Victor mais, à cause de mes questions métaphysiques, de mes vestes en velours et de mes « cheveux fous », mes grands frères me surnomment « Arthur » en référence au philosophe Arthur Schopenhauer, je précise. Calme et posé de nature, je rentre en 4e.

    Hello ! Moi, Marc, je rentre en 5e. Il s’est passé un truc de ouf dans ma vie cet été, et j’ai trop hâte de le raconter ! À part ça, j’aime les maths, le sport, le vélo, la vie au grand air. Mon rêve ? Devenir scout, comme mon cousin Amaury. Et surtout, donner ma vie pour mes amis !

    Moi, c’est Élodie. Rien que de penser à la rentrée, j’ai une boule au ventre à cause de tout ce qu’on a pu dire sur moi en 6e et en 5e. Mais bon, la 4e, ça pourra pas être pire ! Enfin, j’espère… Au fond de moi, je rêve d’une vie nouvelle, enfin heureuse et épanouie.

    Je suis Anmar. Avec mes parents et ma sœur, nous venons d’emménager dans une ferme. La campagne, les vaches, ça nous change carrément des tours où nous habitions avant ! Même si je suis content, ça me stresse un peu d’arriver dans ce nouveau collège. Je rentre en 5e.

  • CHAPITRE 1

    Bientôt la rentrée

    Vendredi 31 août

    J – 3. H – 72. Huit heures du matin. Dans

    trois jours, dans soixantedouze heures,

    c’est la rentrée. Vivement que les comp

    teurs affichent zéro, parce qu’à force de

    me répéter sans arrêt tous ces codes dans ma tête depuis

    quinze jours, je crois que je vais devenir fou !

    Allez, j’enfourche mon vélo, j’attache mon casque et je

    m’élance. Il fait encore frais mais quel soleil de malade ! Au

    bout de l’allée, je jette à peine un coup d’œil autour de

    moi pour voir si des voitures arrivent, je donne un coup

    de guidon pour prendre le chemin des Colibris et pédale

    11

  • de plus belle. J’ai le vent dans les cheveux, mon short et

    mon polo collés au corps. J’en peux plus d’attendre !

    J’ai jamais été pressé comme ça de reprendre l’école.

    Jusqu’à maintenant, ça me faisait ni chaud ni froid.

    Même pour ma rentrée en sixième l’année dernière, j’ai

    pas spécialement angoissé. Incroyable, parce que tout le

    monde était décidé à me donner des conseils : ma mère

    – carrément plus inquiète que moi – arrêtait pas de me

    répéter que j’allais avoir besoin d’« un temps d’adap

    tation » et que c’était normal. Je crois qu’elle essayait

    surtout de se convaincre ellemême, parce que moi,

    perso, je me sentais très bien ! Mes copains de l’école

    primaire que je rencontrais dans la rue étaient super exci

    tés d’entrer enfin au collège.

    Ah, j’arrive au carrefour des Ormes : je gère niveau

    temps ! Et quand je repense à mon entrée en sixième, d’ail

    leurs, je me souviens que même Papi Eugène, pourtant

    pas très bavard, avait tenu à me parler seul à seul pour me

    prévenir des différentes « menaces » qui me guettaient.

    Drogue, racket, harcèlement, et j’en passe. À l’entendre,

    Le pacte

    12

  • le collège était le lieu de tous les dangers. Genre, j’étais le

    seul à être relax. Take it easy !

    J’aperçois au loin le clocher de l’église… J’accélère. Je

    pédale à toute vitesse. C’est bizarre, j’ai en même temps

    froid et chaud à cause de l’effort. J’adore ça ! Mon objectif,

    c’est d’arriver à 8 h 15 à l’église. Après, pause de cinq

    minutes et hop, je repars !

    Je suis à fond, pour tout, tout le temps ! Et contrairement

    à la principale théorie de mes parents – le moins qu’on

    puisse dire, c’est qu’ils sont pas très discrets quand ils s’enfer

    ment dans la cuisine pour discuter de cequiabienpu

    arriver àMarc –, c’est pas à cause d’une fille que j’ai changé

    comme ça. L’autre jour, ma mère est venue me voir dans ma

    chambre, soidisant pour ranger du linge : « Marc, tu ne

    crois pas qu’il te faudrait de nouveaux teeshirts ? » Du style,

    Maman, j’ai PAS DU TOUT remarqué que tu plies trois

    fois la même chemise juste pour loucher sur mon bureau à

    la recherche d’indices. Mais non, j’ai pas de petite copine.

    Ça y est, j’y suis ! Je mets un pied à terre sur le parvis de

    l’église SaintFrançoisdeSales. Complètement essoufflé,

    CHAPITRE 1 – BIEnTôT lA REnTRéE

    13

  • je regarde ma montre et souris : 8 h 14. Yes, je l’ai fait ! J’at

    trape ma gourde et bois de longues gorgées d’eau fraîche.

    I feel good, so good !

    Je peux pas dire le contraire, j’ai changé. Ça fait quinze

    jours que je suis comme ça. Super heureux. Si je résume,

    c’est grâce à mon cousin Amaury, une tente et un bâti

    ment qu’on apercevait en bas de la vallée que ma vie a

    basculé. En me remettant en selle, direction la boulange

    rie, je reprends mon décompte : trois jours. Dans trois

    jours, je pourrai enfin parler de tout ça avec mes potes au

    collège. Je pédale aussi vite que je peux. Comme si ça

    pouvait faire arriver la rentrée plus vite !

    Bon, alors, j’ai mes trois classeurs de l’an

    née dernière, deux grands cahiers neufs…

    deux cents feuilles simples aussi, et autant

    de copies doubles. Mince, où est ma

    Le pacte

    14

  • trousse ? Ah là, sur mon bureau, ouf ! Je fais glisser la ferme

    ture sans l’ouvrir jusqu’au bout – les dernières dents sont

    cassées, et si je tire trop, ça va bloquer. Dedans, un stylo

    quatre couleurs, deux crayons à papier un peu mâchouillés

    et mon styloplume que j’adore. Je l’ai depuis le CM1 au

    moins, et j’aime sentir la façon dont la plume glisse sur le

    papier. Quand j’écris avec lui, c’est comme si les mots

    sortaient tout seuls de la plume un peu écrasée au bout…

    Je lève les yeux, regarde par la fenêtre. Les feuilles des

    arbres sont immobiles, alors que mon cœur bat fort, fort !

    Faut que je me calme… J’ouvre l’agenda que Maman m’a

    laissé choisir au supermarché. Je l’approche de mon visage

    et respire sa bonne odeur d’encre et de colle. Je caresse le

    papier neuf du bout des doigts, feuillette toutes ces pages

    vides et propres. L’espace d’un instant, j’ai l’impression

    que tout pourrait recommencer. Une vie toute neuve, que

    je pourrais remplir comme je voudrais…

    Bon, j’ai au moins l’essentiel pour faire la rentrée. Pour

    les autres fournitures, ça pourra attendre… En fait, ça

    devra attendre, même ! Maman me l’a encore rappelé ce

    CHAPITRE 1 – BIEnTôT lA REnTRéE

    15

  • matin. Comme tous les ans, j’expliquerai à mes profs

    que « pour des raisons financières » – toujours la même

    formule ! – je dois utiliser un cahier pour deux matières.

    Si je dis ça tout de suite, je sais que je suis tranquille ! J’ai

    droit à un petit sourire gêné, ils tournent la tête, ils font

    comme s’ils n’avaient pas entendue, et c’est réglé.

    Dehors, il fait très beau. Le soleil cogne, il n’y a pas un

    nuage, j’entends des rires au bas de l’immeuble. L’été est

    encore là, alors c’est encore un peu les vacances, mais avec

    un petit goût de rentrée… Certains élèves aiment bien ce

    moment : on va retrouver ses amis, leur raconter ses

    vacances… Moi, j’aime pas cette période. Déjà, parce que

    je n’ai rien à dire : je suis restée chez moi… Et puis, de

    toute façon, je n’ai personne à qui les raconter.

    Mais bon, la sixième et la cinquième sont derrière moi,

    ça sera pas pire cette année ! Pas pire que la fois où on m’a

    surnommée « Walking dead » à cause de ma peau blanche

    et de mes longs cheveux noirs… Ou quand on a écrit

    « KASSOS » sur mon casier au marqueur parce que je n’ai

    pas de baskets de marque, pas d’iPhone, et que j’ai

    Le pacte

    16

  • prétendu être malade pour ne pas faire la sortie de fin

    d’année – payante – au bowling…

    En fait, quand j’y pense, tout est prêt pour la rentrée,

    sauf moi !

    Je me lève et commence à ranger mes fournitures

    dans mon sac à dos. C’est pas vrai… il y a déjà une

    couture qui est en train de se défaire ! À tous les coups,

    elle va lâcher bientôt… C’est ça, d’acheter un sac à dix

    euros au marché… Bon, tant pis, je continue à glisser

    mes affaires dans mon sac. Ah, mon trieur de l’an

    dernier, j’ai oublié de le vider ! Je l’ouvre, et tombe sur

    mon emploi du temps de cinquième. Un nom me saute

    aux yeux : « MME DONI ». Il est imprimé trois fois, en

    capitales. Trois heures chaque semaine. Pourvu que ce

    nom apparaisse aussi trois fois dans mon emploi du

    temps de cette année !

    « Doni » rime avec « joli », « gentil », « sympathie »,

    « envie »… Pas un hasard. Il me fait aussi penser à « don

    ner », « pardonner », « fredonner ».

    CHAPITRE 1 – BIEnTôT lA REnTRéE

    17

  • Alors que j’attrape les clés et le portefeuille sur l’étagère

    dans l’entrée – Maman rentrera tard ce soir, c’est donc à

    moi de faire les courses –, je me surprends à sourire dans le

    miroir. Je décide de prendre les escaliers, que je dévale avec

    une bonne humeur inattendue. Ce n’est qu’une fois dans

    la rue que je me rends compte que « Doni » rime aussi avec

    « Élodie ».

    Dimanche 2 septembre

    – Anmar, à table !

    Je ferme rapidement mon livre et sors de

    ma chambre. De toute façon, ça fait trois

    fois que je lis la première page et je sais

    toujours pas de quoi ça parle. Ça sent la chakhchoukha

    dans toute la maison. J’ai toujours aimé cette spécialité de

    ma mère : c’est un plat long à cuisiner, les oignons, les

    légumes et la viande de mouton mijotent pendant des

    heures. C’est l’odeur des dîners tous ensemble, de la famille

    Le pacte

    18

  • réunie autour de la table. Pile ce qu’il me faut pour me

    changer les idées ! Quand j’arrive dans la cuisine, ma

    grande sœur Assia est en train de mettre la table. Comme

    les assiettes sont déjà sorties, j’ouvre le tiroir des couverts…

    où je ne trouve que du scotch et des ciseaux ! Ma sœur se

    moque :

    – Eh, t’es sûr qu’on aura besoin de ça ce soir ?

    Zut, je me suis encore trompé de tiroir. Je hausse les

    épaules.

    – Ça va, Anmar ?

    Cette fois, c’est ma mère.

    – Oui, oui, tout va bien.

    Je commence à installer les couteaux, les fourchettes et

    les cuillères. Je ne sais pas quoi dire : je n’ai pas envie qu’As

    sia et ma mère s’inquiètent pour moi, mais je crois que je

    ne suis pas très doué pour cacher ma peur. Je cherche un

    nouveau sujet de discussion mais, comme à chaque fois

    que je suis stressé, j’ai l’impression que ma tête est vide et

    mon cerveau, aussi blanc que le lait de nos vaches.

    CHAPITRE 1 – BIEnTôT lA REnTRéE

    19

  • Heureusement, le fromage que j’aperçois au bout de la

    table me sauve. Il attend sur une belle assiette.

    – Oh, Maman, ça y est ? Tu as fait ta première série de

    fromages ?

    – Eh oui, mon grand. Et j’ai trouvé ça plus facile que ce

    que je pensais. Du coup, ce soir, vous allez être mes

    cobayes : on va y goûter !

    – Génial !

    Maman m’adresse un grand sourire réconfortant. Au

    même moment, Papa arrive. Il vient de sortir de la douche

    et nous nous rassemblons autour de la table. Il récite la

    prière de bénédiction du repas que je connais par cœur :

    « Au nom de Dieu et par sa miséricorde, nous prenons ce

    repas. »

    Même à plusieurs centaines de kilomètres de notre

    ancienne maison, la chakhchoukha de ma mère est

    toujours aussi bonne. Devant mon assiette remplie de

    légumes bien chauds au ras elhanout et au paprika, je me

    sens déjà mieux qu’avant le dîner. Malgré tout, je suis

    toujours un peu stressé, si bien que j’ai du mal à me

    Le pacte

    20

  • concentrer sur ce que disent mes parents : ils discutent de

    la ferme, des derniers appels aux coopératives, du nombre

    de bêtes à acquérir en plus… Assia parle avec eux. Mais à

    un moment, elle me fait un petit clin d’œil, genre : « T’in

    quiète pas, Anmar. Tu vas gérer. » Je réponds par un sourire.

    Mais au fond de moi, je peux pas m’empêcher d’essayer

    d’imaginer comment seront le collège, les autres élèves, les

    professeurs… La voix de mon père me rappelle à la réalité :

    il vient d’attraper l’assiette où trône le fromage.

    – Maintenant, on goûte le fromage de votre mère !

    CHAPITRE 1 – BIEnTôT lA REnTRéE

  • CHAPITRE 2

    Ça sonne !

    Lundi 3 septembre

    – Bonjour Victor ! Comment se sont

    passées tes vacances ?

    – Très bien, merci. Et les vôtres ?

    François hausse un sourcil et me donne

    une petite tape sur l’épaule :

    – Je vois que tu n’es toujours pas décidé à me tutoyer !

    Très bonnes vacances aussi, merci. J’en ai profité pour

    avancer dans mes révisions. Je passe des examens la semaine

    prochaine !

    François est sympa, comme surveillant. En plus de

    travailler ici, au collège des Chênes, il fait des études de

    philo à la fac. L’année dernière, j’aimais bien discuter avec

    23

  • lui de tout un tas de choses et je suis ravi qu’il soit encore

    là cette année. Je lui fais un grand sourire en franchissant

    la grille :

    – Bon courage, alors !

    – Merci, à toi aussi, Victor.

    J’aperçois au loin les autres élèves de quatrième regrou

    pés devant les tableaux d’affichage. Diego et Raphaël me

    font signe de la main. Chacun est pressé de voir dans

    quelle classe il est. Je les rejoins sans trop me presser, j’aurai

    tout le temps de voir si je connais du monde dans ma

    nouvelle classe. Des cris et des rires, à l’autre bout de la

    cour, me font tourner la tête : c’est Rose Amelin, bien sûr,

    qui est en train de vitupérer contre une surveillante. Je ne

    comprends pas tout ce qui se passe mais j’ai l’impression

    qu’elle s’est déjà fait confisquer son portable et que ça ne

    lui plaît pas. Elle tient tête à la surveillante – qui doit être

    nouvelle, je ne la connais pas –, au son des ricanements de

    ses copines. Rose n’a pas perdu de temps pour se faire

    remarquer : comme c’est curieux !

    Le pacte

    24

  • Je consulte le tableau : je suis en quatrième B. En parcou

    rant les noms des yeux, je m’aperçois que je connais

    quelques personnes mais n’ai pas vraiment d’amis proches

    avec moi. Diego et Raphaël sont en quatrième E : déjà

    rangés avec le reste de leur classe, au niveau de l’emplace

    ment de la salle 106, ils me regardent en haussant les

    épaules avec un sourire un peu gêné. Tant pis, on verra

    bien. Tandis que Rose crie qu’elle ne fera pas l’heure de

    colle, je vais me ranger avec les autres élèves de ma classe

    pour monter en salle 103. Tout le monde s’inquiète de

    savoir qui sera notre prof principal cette année. J’entends

    des conversations derrière moi :

    – Tout le monde sauf monsieur Lesbaux !

    – Lui, encore, il peut être sympa, celle que je veux vrai

    ment pas, c’est madame Edemert ! Elle est trop méchante !

    Une silhouette énergique est en train de se diriger vers

    nous. J’ai du mal à y croire : madame Doni, la star du

    collège, serait notre prof principal cette année ? On dirait

    bien que oui : elle vient dans notre direction en souriant.

    Alors là, c’est la grande classe. Avoir madame Doni en

    CHAPITRE 2 – ÇA sonnE !

    25

  • histoiregéo, c’est déjà bien, mais en prof principal, c’est

    carrément cool. À en croire les réactions des autres, ils ont

    compris la même chose que moi. Signe de son autorité

    légendaire, tout le monde est bien rangé quand elle arrive.

    Elle ne perd pas de temps :

    – Les quatrième B, suivezmoi, on monte !

    Le reste de la matinée se passe comme tous les matins de

    rentrée : madame Doni nous distribue plein de papiers à

    faire signer par nos parents, nos nouveaux carnets de

    correspondance, notre emploi du temps… Je suis assis à

    côté d’une fille que je ne connais que de vue. Quand elle

    remplit son carnet, je jette un œil : c’est ça, elle s’appelle

    Élodie Hervé. Elle est très discrète au collège et je crois

    qu’elle n’a pas beaucoup d’amis. En tout cas, elle semble

    beaucoup admirer madame Doni : elle la regarde avec des

    yeux écarquillés et ne perd aucune de ses paroles. Du coup,

    alors que nous quittons la salle pour aller chercher nos

    manuels au CDI, j’entame la conversation dans le couloir

    en chuchotant :

    – Tu avais déjà madame Doni l’année dernière ?

    Le pacte

    26

  • – Oui, et en sixième aussi.

    – Y en a qu’ont de la chance.

    Elle rougit, un petit sourire en coin.

    Dijon, le 8 septembre

    Cher Amaury,

    Tu as horreur des SMS, des messages

    WhatsApp, tout ça, et comme en plus tu

    m’as appris à écrire des lettres comme il faut,

    alors voilà des nouvelles ! Profites-en, cousin, parce que je suis

    pas sûr de vouloir écrire comme ça à la main trop souvent !

    Là je suis à Dijon parce que les parents ont décidé d’y passer

    la journée. Comme j’avais pas très envie de les accompagner

    faire des courses (le shopping, c’est pas trop mon truc) ils ont

    bien voulu me laisser dans un café avec un Sprite et un pain

    au choc’. Le deal, c’est que je commence mes devoirs, mais en

    fait non !

    CHAPITRE 2 – ÇA sonnE !

    27

  • J’ai fait ma rentrée cette semaine. Rien de spécial. Mon

    emploi du temps est pas mal, les profs ont l’air globalement

    cool. Ah si, un truc quand même : un nouveau au collège qui

    est justement dans ma classe (5e D). Il s’appelle Anmar Ben

    Moussa, ses parents viennent de racheter la ferme qui était à

    vendre à environ 20 kilomètres, à côté de l’ancien moulin, tu

    vois ? Tout le monde le sait déjà, personne pensait que

    quelqu’un allait racheter la ferme un jour ! Anmar a l’air

    timide, mais il est sympa. En tout cas, il a vite été repéré dans

    le bahut, et d’après ce qu’on m’a dit, Rose Amelin (celle dont

    je t’ai parlé cet été, tu sais ?) a déjà essayé de faire croire à tout

    le monde qu’il parlait pas français et mangeait que du cous-

    cous, et en plus avec ses doigts. Comme tu vois, toujours aussi

    sympa, celle-là !

    Enfin, on s’en fiche. Moi, je suis encore à fond après ces

    vacances. Le camp scout, j’ai adoré ! Tu as eu raison d’insister :

    les longues marches dans la forêt, les installations du camp, les

    veillées autour du feu, les nuits à la belle étoile… c’était telle-

    ment génial. Merci, cousin. Je veux absolument qu’on reparle

    de la dernière nuit, mais pour ça, il faudra toute une lettre !

    Le pacte

    28

  • J’arrête d’écrire, je vois Papa et Maman qui arrivent au

    bout de la rue.

    À bientôt ! Bon courage pour tes études !

    « Sois prêt ! »

    Marc

    Dimanche 9 septembre

    – Élodie, je peux entrer ?

    – Oui, Maman.

    J’attrape sur mon bureau la liasse de

    feuilles qu’il faut qu’elle signe pour le

    collège. Comme ça fait trois soirs qu’elle travaille de nuit,

    je commence à avoir un beau tas de papiers !

    – Tiens, tout est là. Au fait, pour la cantine, ils m’ont

    dit que si tu fais un mot, ils pourront tirer le chèque plus

    tard.

    Maman ne prend pas tout de suite les papiers que je lui

    tends. Je lui trouve les traits tirés, comme toujours, mais

    CHAPITRE 2 – ÇA sonnE !

    29

  • il y a autre chose aussi, de plus inhabituel. Ses yeux bruns

    qui pétillent lui donnent un air presque espiègle. Elle

    prend les documents sans y jeter un coup d’œil.

    – D’accord, je regarderai tout ça, merci. Mais en fait,

    Élodie, je suis venue te voir pour autre chose…

    En disant ces mots, elle me tend un paquet. On dirait

    un livre, enveloppé dans du papier cadeau. Je n’y crois

    pas… On ne se fait jamais de cadeaux en dehors de Noël

    ou des anniversaires. Qu’estce qui lui prend ? Ma mère

    s’assoit sur mon lit, joint ses deux mains, les glisse entre ses

    jambes. Elle semble heureuse et gênée en même temps,

    comme si elle non plus, elle ne savait pas très bien ce qui

    se passe…

    – Élodie, je sais que ce n’est pas facile pour toi au

    collège. Je sais aussi que c’est un peu ma faute. Bon, pas

    vraiment ma faute, mais… Enfin, c’est pour toi, je me suis

    dit que ça te ferait plaisir.

    Je ne sais pas quoi dire. Maman… Ce n’est pas sa

    faute. À qui la faute, d’ailleurs ? Et la faute de quoi, vrai

    ment ? Je me pose souvent toutes ces questions. Alors

    Le pacte

    30

  • qu’elles se bousculent une fois encore dans ma tête,

    j’ouvre le paquet avec des mains qui tremblent un peu.

    Non, ce n’est pas un livre, c’est un calendrier pour l’an

    née scolaire. Un de ces blocs, avec une page par jour.

    Je lis à voix basse ce qui est écrit sur la couverture :

    « 365 citations pour 365 jours de bonheur ». Maman pose

    une main sur mon bras. On n’est pas très tactiles, elle et

    moi, mais je suis contente qu’elle fasse ce geste. Un

    instant, j’ai envie de la serrer dans mes bras, comme je

    faisais quand j’étais petite. Et puis non. Comme je ne

    réagis pas, elle m’explique :

    – Voilà, j’ai vu ça dans la vitrine de la librairie. C’est

    un calendrier à poser sur ton bureau. Tu as une page

    par jour de l’année, avec sur chaque page une belle

    phrase…

    Maman installe le calendrier sur mon bureau et l’ouvre

    à la page d’aujourd’hui. On y voit un papillon sur une

    fleur avec une phrase qui dit : « Tu dois vivre dans le présent,

    te lancer au-devant de chaque vague, trouver ton éternité à

    chaque instant. » C’est quoi le nom audessous ? Thoreau.

    CHAPITRE 2 – ÇA sonnE !

    31

  • Ça ne me dit rien, mais j’aime la phrase. Je ne comprends

    pas tout, mais ça sonne bien.

    Et que Maman ait eu cette attention pour moi… Je dois

    avouer que ça me touche. Je sens qu’il faut que je dise

    quelque chose, mais exprimer mes sentiments n’est pas

    mon fort. Je me lève et tourne quelques pages du calen

    drier.

    – Merci, Maman ; ça me fait plaisir.

    Elle sourit.

    – De rien, de rien.

    Elle non plus n’est pas très expansive. Elle semble cher

    cher un peu ses mots, s’assied sur mon lit et se relève aussi

    tôt. Elle se dirige vers la porte. Ce n’est qu’une fois qu’elle

    a déjà la main sur la poignée qu’elle se tourne vers moi et

    demande, presque timidement :

    – Et sinon… ça a été la rentrée ? Ces premiers jours ?

    Désolée, j’ai pas été très présente pour en parler.

    – Oui, très bien.

    Elle hausse un sourcil.

    – Très bien ? C’est rare que tu dises ça.

    Le pacte

    32

  • Bien sûr, elle doit penser que je dis ça pour la rassurer.

    Je regarde Maman, qui porte son éternel pull gris à col

    roulé et son pantalon noir, le même que tout le temps.

    Elle dit que c’est parce qu’elle se sent bien dedans, mais

    depuis quand ne s’estelle pas offert de vêtements neufs ?

    Pfff, si j’y réfléchis, je ne suis même pas sûre de l’avoir

    jamais vue s’acheter de fringues. Les rares fois où on fait

    les magasins, c’est toujours pour moi. Cette pensée me

    serre le cœur.

    – Je sais, mais c’est vrai. J’ai… j’ai encore madame

    Doni cette année.

    – Qui ?

    Je lui en ai souvent parlé l’année dernière, mais Maman

    a tellement de soucis que souvent, elle ne semble pas faire

    attention aux choses que je lui raconte. Et donc, elle a

    complètement oublié madame Doni. J’insiste :

    – Madame Doni, tu sais, la prof d’histoiregéo ?

    Mais ce n’est pas ça qui la préoccupe. Elle reprend :

    – Ah oui, bon, tant mieux. Et tu as des copains dans ta

    classe ?

    CHAPITRE 2 – ÇA sonnE !

    33

  • Nous y voilà… Comme tous les ans, c’est ça qui l’in

    quiète. Je hausse les épaules. Si les autres l’entendaient, sûr

    qu’ils se moqueraient encore plus de moi !

    Dans mon lit, un peu plus tard, je ne trouve pas le

    sommeil. Des copains, estce que j’en ai ? Je pense à

    Victor, ce garçon qui s’est mis à côté de moi à tous les

    cours depuis le jour de la rentrée. Victor Florin. C’est un

    garçon un peu zarbi, que j’avais déjà repéré l’année

    dernière, mais nous n’étions pas dans la même classe et je

    ne lui avais jamais parlé. Vendredi dernier, il portait un

    drôle de gilet orange et vert, et une sorte de petit bonnet

    assorti qu’on aurait dit tricoté à la main. Avec ses cheveux

    châtains bouclés, ça n’allait pas si mal. En tout cas, il a

    l’air de se ficher complètement de ce que les autres

    pensent de lui et de sa façon de s’habiller. Et ça, ça me

    plaît chez lui. Il n’hésite pas non plus à se mettre au

    premier rang et à lever le doigt, et pourtant ce n’est pas

    du tout un lèchebottes ou un premier de la classe. Pas le

    genre de mec à poser des questions pour se faire bien voir

    des profs ou se faire remarquer des autres élèves. Non,

    Le pacte

    34

  • lui, quand il pose des questions, c’est qu’il veut vraiment

    connaître la réponse.

    Madame Doni, Victor Florin…

    Ce dimanche soir, je m’endors sans ressentir la boule

    dans le ventre que j’avais toujours, en sixième et en

    cinquième, à l’approche du lundi matin.

    CHAPITRE 2 – ÇA sonnE !

  • TABlE

    Chapitre 1. Bientôt la rentrée ...................................... 11

    Chapitre 2. Ça sonne ! ................................................. 23

    Chapitre 3. Why ? ........................................................ 37

    Chapitre 4. Le choix des mots ..................................... 53

    Chapitre 5. Un dimanche loin du collège ................... 69

    Chapitre 6. Y croire ou pas .......................................... 81

    Chapitre 7. La sanction ............................................... 93

    Chapitre 8. Drôles de lettres ......................................105

    Chapitre 9. La promesse ............................................113

    Chapitre 10. Le bracelet ............................................125

    Chapitre 11. Les vacances .........................................133

    Chapitre 12. Tous des saints ? ....................................147

    Chapitre 13. De retour au collège .............................163

    Chapitre 14. Tout s’organise ......................................179

    Chapitre 15. Plus d’amour ........................................189

  • Chapitre 16. Un groupe moins secret .......................199

    Chapitre 17. Père Julien entre en scène .....................211

    Chapitre 18. Nouvel incident au collège ...................225

    Chapitre 19. Et Dieu dans tout ça ?...........................235

    Chapitre 20. Tout reprendre .....................................247

    Chapitre 21. Ultimes préparatifs ...............................259

    Épilogue ....................................................................269