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SALAHEDDINE LEMAIZI ENVOYÉ SPÉCIAL À TALIOUINE

Taliouine est une fine fleur! Sespétales sont violettes, son filet estjaune et ses stigmates sont rou-ges, un rouge safran. Cet or rouge,

on le retrouve en terres persanes età…Taliouine. Cette commune rurale de6000 habitants se trouve ainsi au car-refour du commerce international. Aucœr d’un modèle économique qui neprofite pas toujours aux agriculteurs.

Taliouine face à Téhéran Cernée par les massifs du Haut-Atlas etde l’Anti-Atlas, Taliouine se trouve surla terre rocailleuse du Siroua, une terre

généreuse depuis 8 siècles. L’or rougeest cultivé sur 556 hectares à Taliouineet 80 ha à Taznakht (province d’Ouarza-zate) et la production avoisine les 5 ton-

À Taliouine, dans la province de Taroudant, dans le sud-est marocain, le safran suscite l’espoird’un développement économique solidaire. Voyage dans le pays de l’or rouge.

nes/an. À Taliouine, le safran est répartisur 7 communes et 18 villages. Les sur-faces sont petites, de 1500 et 2000mètres, et répartie en de petites parcel-les de 100 m2. Chaque famille détiententre 8 et 15 parcelles. Une agriculturefine qui fait de Taliouine la capitale del’or rouge au Maroc et de l’Afrique. Saufque le Maroc ne pèse pas lourd devantl’Iran, géant mondial du safran, quimonopolise 90% de la production.Taliouine produit 1,5% de la produc-tion mondiale et place le Maroc en 4eposition derrière l’Espagne, l’Inde et la

Grèce.Quelque 1400 familles vivent de cetteagriculture, soit environ 8000 person-nes. Une activité pénible dans un envi-ronnement rustique et une région pau-vre. Si le taux de croissance de l’économiemarocaine avoisine les 4% durant ladernière décennie, il est égal ou infé-

rieur à 1% à Taliouine. Ce qui se res-sent sur la pauvreté qui se situe à 34%,soit 3 fois supérieure à la moyennenationale qui est de 14%. Le choix defaire du safran son gagne-pain est unpari difficile.

Le safran fait revivre Tassousfi…Mohammed en sait quelque chose, ilest agriculteur de safran depuis tou-jours. Le jour de notre visite, on letrouve inquiet, «la pluie de l’autonomequi bonifie la fleur tarde à venir», se

plaint-il. Son douar, Ait Issa, dans lacommune de Tassousfi, est perché à1400 m d’altitude. Entre Taznakht etTaliouine, Mohamed est seul au mondesur un immense territoire. Surtout quedurant des décennies l’ensemble de larégion a connu un exode rural massif.Certains villages de la région étaienthabités à 90% par des femmes.

Le travail de désenclavement lancé parl’association franco-marocaine Migra-tion & développement (M&D) permitde renverser la vapeur et retenir les jeu-nes de la région et même donner lieu àune migration des villes à Taliouine. L’accès à l’eau potable et au réseau élec-trique devient une réalité. Le travailsolidaire de M&D et de l’association duvillage a permis de raccorder Ait Issa àces infrastructures de base. Dès 2004, ils travaillent à redonner vieà une terre dont les habitants ont fui,faute de moyens de subsistance. Grâceà un financement de la FAO en 2006,M&D lance le Projet d’appui à la filièredu safran à Taliouine. Cinq après,Mohamed et les autres agriculteurs ontpu remettre en selle une filière qui semourrait.

…mais n’ouvre pas les portes de l’école Une source d’eau est désormais dispo-nible. Les agriculteurs se relaient pourl’utiliser pour un tarif de 25 DH/l’heure.«C’est un prix abordable, surtout quele safran ne demande pas autant d’eauque les autres plantations», expliquenotre agriculteur.La relance de la filière du safran n’a pasrésolu l’épineux problème du décro-chage scolaire des jeunes filles. Bien aucontraire, la rareté de la main d’œuvredans la région pousse les agriculteurs,

70% du travail de production du safran sont assurés par des femmes.

Cher SafranPauvre Taliouine

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Mohamed dans sa parcelle de terre à Ait Issa.

Taliouine produit 1,5% de la productionmondiale et place le Maroc en 4e

position derrière l’Espagne, l’Inde et laGrèce.

Seuls 3% du safran produit à Taliouinepassent par le circuit des coopératives.

Depuis les 5 dernières années, cettesituation est en passe de changer…

quelque peu.

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Les coopératives dans la filière du safran sontpassées de 4 en 2009 à plus de 20 en 2011.

La Maison du safran inaugurée en 2011. Le safran de Taliouine est une marquedéposée depuis 2010.

Les producteurs comptent sur le tourismerural pour doper leurs ventes.

comme c’est le cas des deux filles deMohammed, à sortir leurs enfants del’école. Embarrassé, il tente de se justi-fier : «pour travailler ma petite exploi-tation de 440 m2-, je dois avoir une équipe de 8 personnesqui travaillent de 4 heures du matin à18h pendant un mois. Dans tous lesdouars, impossible de trouver des jeu-nes car ils partent tous en ville». Ce quene dit pas Mohamed, c’est que les fem-mes contribuent à hauteur de 70% à cerude travail. La cueillette, le séchage etle stockage se déroulent du 15 octobreau 15 novembre. Faute de pluie, la cueil-lette tarde à commencer cette saison.Après 30 jours d’un dur labeur, la récoltede Mohammed ne dépasse pas 750grammes. Au prix de la coopérativeactuellement (35 dh/gr) cela lui rapporte26.250 DH, soit le triple du prix de ventequatre ans auparavant. Une évolutionqui n’a pas encore cassé le monopole desintermédiaires sur cette filière. L’entréeen jeu des coopératives tente de renver-ser ce rapport de force.

Les intermédiaires ont la peau dureEn 2009, dans la zone de production dusafran il n’existait que 4 coopérativesagricoles (Tassoussfi, Tagmoute, Souk-tana et Tamounte) qui commercialisentce produit. Deux ans après, elles sontplus de 20 structures «solidaires» à com-mercialiser le safran parmi les produitsdu terroir. Si le premier effet immédiat était lahausse de prix de vente, d’autres retom-bées positives sont attendues, commel’amélioration de la qualité et de la pro-ductivité qui est actuellement de 8kg/haet qui peut atteindre jusqu’à 16kg/ha.Mais avant d’y arriver le prix de ventecontinue de susciter un vif débat. Pour une responsable de la coopérativeSouktana, qui rassemble plus de 300producteurs, «le prix de vente actuelcorrespond à la réalité du marché».Pour sa part Omar, un agriculteur dudouar d’Ait Issa, estime que «malgrél’évolution qu’a connue le prix, l’agri-culteur est toujours lésé». Selon lui, lesintermédiaires et leurs connexions avec

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les grossistes dans des villes commeCasablanca continuent à dicter leur loi.Le prix au marché hebdomadaire deTaliouine est encore à 12 dh/gr. Le dénuement de plusieurs agriculteursde la région les pousse à brader à basprix leur produit. «Le safran, c’est notrecarte bancaire. À l’approche de la ren-trée scolaire ou du ramadan, l’agricul-teur utilise cette ressource pour faireses achats. En ces occasions, les inter-médiaires font preuve de voracité»,constate avec impuissance un autreagriculteur. Cette captation de la plusvalue s’explique aussi par le faible tauxd’encadrement des coopératives. Seuls3% du safran produit à Taliouine pas-sent par le circuit des coopératives.Depuis les 5 dernières années, cettesituation est en passe de changer… quel-que peu.

Le Plan Maroc Safran En 2007, le safran se dote d’une vitrinede choix. Il s’agit du Festival du Safran.Cette année là, le festival est à sa 5e édi-tion et marque un tournant de l’histoirede la filière. Déjà en 2010, le safran de larégion a acquis son Appellation d’originecontrôlée pour mieux lutter contre lacontrefaçon qui existe dans la filière. Dans le cadre du Plan Maroc Vert (PMV),le ministère de l’Agriculture lance unprogramme important pour généraliserle goute-à-goute sur 540 hectares à tousles producteurs de la région et un sou-tien à la filière en distribuant gratuite-ment les bulbes (graines de safran) pourmontant de 2 millions de DH. Objectif :doubler la surface cultivée. «Ce pro-gramme est un modèle national car lesuccès a été au rendez-vous», se féliciteAbrou Herou, directeur de l’Office régio-

nal de mise en valeur agricole (ORMVA)à Ouarzazate. Pourtant plusieurs agricul-teurs interrogés affirment que ce pro-gramme «n’a pas profité à tout le monde.Il y a beaucoup de clientélisme pouravoir accès au goute-à-goute», accuse unagriculteur. Un autre pointe du doigtl’ORMVA et l’Association des produc-teurs du safran (APS) suspectés «de favo-riser les riches et ceux proches de l’auto-rité locale ou du président de lamunicipalité». Le président de l’APS, organisateur duFestivaldu safran,balaie durevers dela mainces accu-sations etavanceque «lagénéralisation de ce projet est prévued’avance et qu’aucun agriculteur ayantdéposé son dossier ne sera exclu. Il fautjuste s’armer de patience». L’intérêt porté par les responsableslocaux à la filière s’explique aussi par l’ef-fet de levier créé suite à la visite royaledu 12 janvier 2011. Ce jour-là, le souve-rain inaugure La maison du safran. Cettestructure joue désormais le rôle debourse et est également un espace d’ex-position ouvert à toutes les coopérativesde la région. Son démarrage est difficile.Lahoussain Jamal, directeur de M&D etcheville ouvrière de la région, n’y va paspar quatre chemins : «d’abord le projetétait de créer un institut, après le gouver-neur de Taroudant a décidé d’en faire unesalle d’exposition. Au final, le seul souciétait de construire la Maison rapidementsans trop penser à son réel rôle dans la

filière». Commerce équitable et répartitionAprès cette première phase de soutienaux agriculteurs, les producteurs se tour-nent vers la prochaine phase qui est lacommercialisation. «Nous intervenonspour trouver des débouchés commer-ciaux, en particulier via le commerceéquitable, pour le safran. En 2007, 40 kgont été écoulés sur le marché internatio-nal via des réseaux», se réjouit TarikOutrahe, délégué Maroc de M&D.Mohamed, l’agriculteur d’Ait Issa, fait

partie de ceux qui traitent à travers lacoopérative avec un acheteur étranger.Il s’agit de l’antenne italienne de Slowfood. L’autre piste que développe M&Dest le tourisme solidaire qui permet dedoper les ventes des coopératives. Selon L. Jamal de M&D, «la demandeétrangères existe. Par exemple, desacheteurs américains veulent unetonne, ce qui dans la situation actuellede la filière est impossible». Pour cedernier, l’extension des surfaces culti-vées n’est pas non plus la meilleuresolution pour le safran : «si de grandsagriculteurs débarquent dans larégion, c’est tout une dynamique derépartition de la richesse qui s’évapo-rera. Le safran demeure un outil effi-cace de lutte contre la pauvreté et ilfaut qu’il reste entre les mains de lapopulation locale».

Parti du pari fou de migrantsmarocains, installés dans larégion française de l’Argentière,pour mener des actions de déve-loppement dans les villages del’Atlas et l’Anti Atlas marocains, cedéfi est en phase devenir unmodèle dans la coopération Nord-Sud. Depuis 1986, cette associa-tion a réussi ce que l’Etat ne fai-sait pas ou peu à l’époque, soitl’électrification, la constructiond’écoles et de dispensaires, l’ad-duction d’eau potable. En 2000,M&D entame sa mue et vient en

aideauxagricul-teurs(pro-duc-teursde safran, d’huile d’olive, d’argan)et développe un programme detourisme rural solidaire, basé surl’investissement de migrantsdans des auberges rurales. Poursoutenir ce projet préparez votrevoyage solidaire à partir du sitetourisme-atlas.com.

MIGRATIONS & DÉVELOPPEMENT

L’Atlas mon pays

Si de grands agriculteursdébarquent dans la région, c’est

tout une dynamique de répartition dela richesse qui s’évaporera.

LAHOUSSAIN JAMAL, DIRECTEUR DE MIGRATION & DÉVELOPPEMENT.

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1400 familles vivent de cetteagriculture, soit environ 8000

personnes. Une activité pénibledans un environnement rustique.


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