École Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
Mémoire de validation professionnelleFormation statutaire des éducateurs
Promotion FSE 2016-2018
Redouane BAHRI
J'peux changer d'éduc ??
La création de lien dans l'accompagnement éducatif en milieu ouvert
En quoi la création de lien, à l'épreuve de la contrainte, participe t-elle durelèvement éducatif du jeune ?
3 mai 2018
Sous la guidance de BALZANI Bernard, Maître de conférence, Sociologie
REMERCIEMENTS
J’adresse mes remerciements aux personnes qui m’ont aidé à la réalisationde ce mémoire
En premier lieu, je remercie Madame LAROQUE Marie, éducatrice. Enqualité de tutrice, elle a fait preuve de bienveillance à mon égard et a été d’unsoutien précieux tout au long de mon stage
Je remercie aussi Monsieur BALZANI Bernard, en qualité de directeur demémoire, qui a su me guider dans mon travail de recherche et me recentrersur l’essentiel dans les périodes de doutes
Je remercie également Farida, pour son aide à la relecture et à la correctionde mon mémoire
Je salue l’ensemble de mes proches et les remercie de leur patience, leurprésence et leur soutien indéfectible
Je salue enfin l’ensemble de mes collègues de travail et les remercie pourleur bonne humeur communicative et pour la sincérité dont ils ont fait preuveà mon égard
Je tiens à dédier ce travail de recherche à la mémoire de mon grand-père,qui a été et qui sera pour moi une éternelle source d’inspiration
«« Au départ de tout projet, il y a la mise en évidence d'une situation surAu départ de tout projet, il y a la mise en évidence d'une situation surlaquelle on veut agir. Soit un dysfonctionnement, soit une nécessitélaquelle on veut agir. Soit un dysfonctionnement, soit une nécessiténouvelle.nouvelle. »»
Joseph ROUZEL,Le travail d'éducateur spécialisé 3e édition, 2014
SOMMAIRE
INTRODUCTION………………………………………………………………………………...…1PARTIE MÉTHODOLOGIQUE ……………………………………………………………..……8
PARTIE 1 : LES ENJEUX DU LIEN DANS LA RELATION ÉDUCATIVE…………………12
Chapitre 1 : L'intervention éducative ……………………………………………..…….12
Section 1 : La relation éducative : un espace et un temps propice à l'établissement d'un lien……………………………………………………………………………………………….....13 I°) Une relation éducative s’éprouve………………………………………………………...…13 II°) Un temps et un espace de qualité : l'éducateur assure une présence…………….......14
Section 2 : l'engagement émotionnel de l'éducateur : la clé de l'authenticité ?…………....16I°) L'éducateur apportant sa sensibilité : Vers une nouvelle forme de pédagogie ?..…......17II°) La recherche de la congruence : un moyen de faire passer le message…………...….19
Chapitre 2 : Le relèvement du jeune par lui-même : les objectifs poursuivis à travers la création du lien……………………………………………………………………...….21
Section 1 : Restaurer la confiance du jeune en lui-même et dans la société……...………21I°) L'inclusion sociale comme vecteur de réconciliation entre le jeune et la société….......22II°) Le traitement de l'estime de soi à travers la valorisation du jeune……………………...22
Section 2 : Le relèvement éducatif comme permettant l'accès à son autonomisation……24I°) Origine et connotation du relèvement éducatif : une survivance d'un terme ancien àconnotation religieuse…………………………………………………………………………....25II°) Le terme à la Protection Judiciaire de la Jeunesse……………………………………....25III°) la mise en mouvement induite par ce terme : la pédagogie de la réussite et l'accès àl'autonomie………………………………………………………………………………………...27
PARTIE 2 : LES OUTILS PERMETTANT DE TISSER DU LIEN ………………………...…30
Chapitre 1 : La création de lien dans la difficulté Les leviers de la prise en charge ……….30
Section 1 : La contrainte dans la relation éducative…………………………………………..31I°) Surmonter la contrainte liée à la personne de l'éducateur : les stratégiesd'interventions……………………………………………………………………………………..31II°) La contrainte dans la relation éducative lié à la prise en charge………………………..32
Section 2 : Repenser sa posture éducative… De la conviction naît l'engagement……….34I°) L'influence du style dans la relation éducative : venez comme vous êtes ?……………34II°) La reconnaissance de l'autre : une éthique de l'accompagnement et un art de faire...36
Chapitre 2 : Projet d'expérimentation autour du Jeu d'échec : Un véritable média éducatif …..38
Section 1 : Le Nous à travers le JEu : les échecs, un outil d'entrée en relation et de valorisation………………………………………………………………………………………...39I°) Et si on jouait ? L'entrée en relation par le jeu……………………………………………..39II°) Un outil de valorisation que s'approprie la DPJJ………………………………………….40
Section 2 : La co-organisation d'un tournoi d'échec : le faire-avec par excellence………..42I°) De l'hypothèse de départ à la naissance du tournoi d'échec……………………………..42II°) La naissance d'un engouement : le jeu d'échec perçu comme moyen de se relever…45III°) Évaluation de l’implication du jeune Anouar dans le projet de tournoi…………………46
CONCLUSION…………………………………………………………………………………….50
BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………………52
TABLE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS……………………………………………………54
TABLE DES ANNEXES………………………………………………………………………….55
ANNEXES…………………………………………………………………………………………56
0
INTRODUCTION
« Rien n'est permanent sauf le changement »1, Héraclite
Cette citation du philosophe grec Héraclite d’Éphèse permet à chaque personne de
pouvoir s'identifier à son propre vécu.
Certains jeunes bénéficiant d'un accompagnement éducatif subissent en effet de forts
remaniements dans leurs quotidiens. Ce fut pour moi le point de départ d'un intérêt pour le
métier d'éducateur à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ).
Je me suis ainsi engagé dans cette mission éducative lors de ma réussite au concours.
Une première année de formation à l’École Nationale de la Protection Judiciaire de la
Jeunesse à Roubaix m'a permis d'avoir une première expérience de découverte du
territoire Alsacien. J'ai ainsi pu effectuer des stages dans les différents services et unités
du Haut-Rhin comprenant l'Unité Éducative d'Hébergement Diversifié Renforcé (UEHDR)
de Mulhouse, l'Unité Éducative d'Hébergement Collective (UEHC) de Colmar, L'Unité
Éducative de Milieu Ouvert (UEMO) de Mulhouse à partir de laquelle j'ai pu me rendre au
Quartier Mineur de la Maison d'arrêt de Mulhouse et enfin l'Unité Éducative d'Activités de
Jour (UEAJ) de Mulhouse.
Je suis actuellement en deuxième année d'immersion professionnelle affecté à l'UEMO 1
de Mulhouse qui avec la deuxième unité de Mulhouse et la troisième unité de Colmar
forment le Service Territorial Éducatif de Milieu Ouvert (STEMO) du Haut-Rhin. Cette
deuxième année est l'occasion pour moi d'appréhender la réalité de l'accompagnement
éducatif au quotidien et ainsi être constamment au contact du public.
Plusieurs questionnements avaient déjà émergé lors de ma première année sur le thème
de la relation éducative et la création de lien. Il s'agissait désormais pour moi de faire le
lien entre les observations que j'avais pu faire sur le terrain et la thématique. Je
développerai ici trois situations me permettant de délimiter le sujet et d'amener des
éléments pour la construction de ma problématique.
1 Héraclite d’Éphèse est un philosophe Grec du 6è siècle avant Jésus Christ, natif de la cité d’Éphèse
1
Première situation : J'peux changer d'éduc ? (Mercredi 20 septembre 2017)
Cette situation vécue à l'occasion d'un stage de sensibilisation aux dangers des produits
stupéfiants a servi de base à mes premiers questionnements sur notre mission en tant
qu'éducateur.
Je me trouvais à la Maison de la Justice et du Droit de Mulhouse pendant ce stage de
sensibilisation. Au cours d'une pause, je me laissais aller à la rencontre des jeunes de
manière informelle. C'est alors qu'un jeune m’interpellât très sérieusement sur la
possibilité de changer d'éducateur pour son suivi. S'ensuivait alors une discussion dans
laquelle j'essayais de comprendre les raisons qui le poussait à formuler une telle
demande.
Je compris finalement que sa nouvelle éducatrice exigeait beaucoup (trop?) de lui et
qu'ainsi il préférait son ancien éducateur qui était « plus tranquille » surtout au niveau de
la fréquence des convocations au service.
Ce n'était d'ailleurs pas la première fois qu'on me posait la question sur cette possibilité2 et
je m'interrogeais de savoir à quel point la posture du professionnel avait un impact sur la
relation éducative. Les relations inter-personnelles sont, en effet très prégnantes dans ce
métier.
D'autres expériences vécues en début de stage m'ont confirmé dans ce choix de sujet
passionnant et intemporel dans le milieu du travail social.
Deuxième situation : l'impact du lien, la rencontre avec Mathieu 3
Le vendredi 15 septembre 2017, la mission locale de Mulhouse organisait une
rencontre/bilan de la plate-forme d'accroche des perdus de vue4 au cours de laquelle
plusieurs associations, partenaires, ainsi que le STEMO de Mulhouse étaient conviés.
2 En efet, un autre jeune formulait directement une telle demande lors d'une actiité de chanter d'inserton (le 15noiembre 2017) à laquelle il aiait été inscrit par son éducatrice. Il trouiait cete dernière trop dure aiec lui et nele ménageant pas sur les actiités collecties. Je compris qu'une présence trop « forte » de l'éducateur dans lesuiii impliquait un désiniestssement du jeune même si ce n'était pas fort heureusement pas l'unique raisoninioquée par le mineur
3 Dans un souci d'anonymat, les prénoms ont été modifés4 La plate-forme d'accroche est une émanaton de la mission locale qui permet à des jeunes de 16 à 25 ans,
déscolarisés et non accompagnés de réaliser des actiités pour faioriser leur inserton sociale et professionnelle
2
A cette occasion, des jeunes venant de structures différentes faisaient connaissance
autours d'activités culinaires, sportives et culturelles.
Je remarquais ce jour le jeune Mathieu qui se plaçait volontairement à l'écart du groupe et
peu enclin à se lancer dans une conversation. Je fis un premier mouvement dans sa
direction en lui demandant s'il s'était servi quelque chose au buffet. Toutes les questions
que je pouvais poser recevaient une réponse négative…
Je laissais donc passer un moment puis revenait vers lui en essayant cette fois de faire
connaissance. Adoptant une posture souriante et bienveillante je lui demandais
simplement s'il faisait du sport. J'utilisais la moquerie sur son niveau supposé au football
pour tenter d'obtenir un sourire, élément que j'estimais sur le coup indispensable pour
poursuivre la relation. Ce fut une réussite puisque pour la première fois le jeune qui
esquissait un sourire me demandait si moi-même je me « débrouillais au foot ». S'ensuivit
alors un échange sur ma récente blessure au niveau ligamentaire et je parvenais à capter
son attention lorsque je m'exprimais sur mes difficultés de la vie courante depuis la
blessure. Nous parvenions dès lors à échanger plus librement sur sa situation.
En début d'après-midi, une activité d'initiation au kendo (art martial japonais) me permit de
vivre un moment fort et éminemment questionnant. En effet, l'animateur enjoignait Mathieu
de retirer sa main de sa poche lors des exercices alors que ce dernier refusait
constamment. Je lui fis une fois la remarque en associant à la parole une tape sur l'épaule
et Mathieu s’exécutait immédiatement.
Après réflexion, de cette journée j'essayais de comprendre pourquoi ce jeune pouvait
répondre à une injonction quand elle était posée par une personne plutôt qu'une autre.
Qu'est ce que dans la posture de l'un ou de l'autre faisait que Mathieu allait écouter plutôt
une personne au détriment de l'autre ?
Selon moi, le partage d'informations personnelles des deux côtés avait été essentiel.
J'explique aujourd'hui son comportement par le fait qu'il existait suffisamment de lien entre
nous pour qu'il soit plus facile pour Mathieu de répondre à mon injonction.
3
Troisième situation : l'importance du sourire dans le travail social
J’étais marqué ce même jour par Marie, une jeune fille présente lors de l'atelier cuisine et
qui me dévisageait du regard dans un premier temps pour finalement m'interpeller en me
signifiant que je n'étais pas un éducateur, ni un jeune et qu'elle ne comprenait donc pas
l'objet de ma présence.
Je fus surpris par le temps qu'elle passait à me dévisager et après une discussion franche,
elle m'expliquait ne pas avoir l'habitude d'un visage accueillant chez les professionnels
qu'elle avait pu côtoyer. Je lui expliquais que j'étais simplement heureux d'être présent
aujourd'hui mais elle insistait sur le fait qu'un éducateur se devait d'être strict pour être
respecter et qu'elle ne pouvait m'identifier comme tel puisque je ne répondais pas à ses
représentations.
Cet échange était vraiment riche. Je me suis en effet interrogé sur la question de
l'ouverture à l'autre dans la relation éducative. Je pense véritablement que la relation ne
se décrète pas, mais se construit dans le temps. Dans ce cas, comment établir ce lien qui
plus est dans une relation contrainte5 tout en espérant que ce dernier soit sincère ? Je
demeure persuadé que cela se construit dans la confiance réciproque et que pour cela il
est nécessaire d'apprendre « à se connaître ». Le sourire et la bienveillance sont ainsi des
facteurs déterminants dans l'entrée en relation.
Toutefois, il ne faut pas faire preuve de naïveté dans ce métier. Les phases de recadrage
demeurent fréquentes et l'éducateur ne doit surtout pas s'interdire de dire les choses avec
fermeté quand cela s'impose. La fermeté doit, au même titre que le sourire, être considéré
comme un élément de la posture de l'éducateur.
Ainsi, toutes ces rencontres et ces discussions riches avec les jeunes et professionnels
m'ont donné l'envie d'aborder les éléments propres à l'établissement de la relation, en
partant de l'entrée en relation jusqu'au maintien de la qualité du lien.
Je précise concernant le type de prise en charge qu'il importe peu que l'on soit dans un
accompagnement en milieu ouvert ou en hébergement. En effet, il est bien question d'une
rencontre entre un professionnel et un jeune dans le cadre d'un mandat judiciaire. La
5 La relation éducative est forcément contrainte du fait du mandat judiciaire confiant le suivi d'une mesureéducative à un service puis à un éducateur
4
dimension du lien est forcément présente et j'ai choisie pour ma part d'approfondir cette
question dans le cadre d'un accompagnement en milieu ouvert.
Mes représentations sur le sujet
J'avais moi-même des représentations sur cette thématique. Je pensais en effet que le
métier d'éducateur était fortement animé par sa dimension créatrice de lien avec le jeune.
Tisser des liens devait pour moi être la première étape de la rencontre avec le jeune avant
même de parler des actes posés par celui-ci.
Cette hypothèse était confirmée par le fait qu'en milieu ouvert, une mesure attribuée à un
service est ensuite confiée à un éducateur qui aura la charge du suivi de cette mesure à
priori6, jusqu’à son échéance.
Dès lors, que devons-nous garder à l'esprit sur notre positionnement afin de mener au
mieux un travail éducatif ?
Le thème commençait à se délimiter et, très rapidement je me suis dirigé vers la relation
de confiance entre l'éducateur et le jeune. Je suis convaincu que l'accompagnement
éducatif nécessite la création d'un lien de qualité entre l'éducateur et le jeune. Pour cela,
la question de la confiance dans le rapport à l'autre est fondamentale.
Une fois ce postulat établi, d'autres questionnements me venaient à l'esprit concernant les
pratiques professionnelles.
En effet comment tisser du lien ? Comment faire pour qu'une relation éducative de qualité
perdure ? Et surtout que faire de cette relation de confiance ?
Le traitement d'un tel sujet m'impose de mettre en avant ce que je souhaite comprendre.
Au gré des rencontres j'en suis venu à m'interroger sur le fait de savoir :
En quoi la posture de l'éducateur de milieu ouvert détermine t-elle la qualité
du lien jeune/éducateur ?
6 Il se peut dans des cas exceptonnels que le suiii d'une mesure soit confé à un autre éducateur à l'occasion parexemple de iiolences rendant intenable la poursuite de la relaton éducatie aiec le jeune. Des situatons plusfréquentes subsistent notamment lorsqu'un éducateur se trouie en arrêt longue durée. Le transfert du suiii peutdonc être temporaire ou défnitf selon les situatons
5
Il s'agit de ma question de départ et je demeure convaincu que la posture du professionnel
joue un rôle essentiel. En ce sens, l'attitude spécifique d'un éducateur peut permettre de
créer une relation de qualité suffisamment importante pour faire passer des messages au
jeune. C'est la toute la mission éducative de transmission en vue de permettre un
relèvement éducatif qui va être facilité.
L'objectif de ce travail de recherche est de pouvoir fournir modestement -au regard de
mes observations et de mes lectures- des éléments permettant de comprendre
l'importance de la posture éducative dans notre pratique et d'autres éléments plus
concrets sur les moyens dont nous disposons pour faciliter cette création de lien.
Je m'attacherai donc aussi dans ce mémoire à faire référence aux médias éducatifs
comme support et levier de la relation.
La question de la posture étant posée, il semble indispensable d'en revenir au cadre
même de notre action. Intervenant sur mandat judiciaire, l'éducateur est de fait dans une
relation contrainte. Encore plus fort, l'éducateur se trouve en plus dans une relation
asymétrique avec celui qu'il accompagne. En effet, il est le sachant aux yeux du jeune et
de sa famille, et il doit surtout rendre compte de l'investissement ou non de ce dernier au
magistrat prescripteur de la mesure.
Ces éléments doivent être pris en compte par le professionnel dans sa façon d'exercer
son travail. Comment est-il possible de forcer une relation dont le jeune pourrait ne pas
vouloir ?
En prenant de la hauteur sur la question de départ, il est possible de s'interroger sur
l'objectif dans la recherche d'une relation de qualité. Pourquoi souhaite-on créer du lien
avec le mineur ? En quoi cela aurait il une influence sur notre travail ?
Tout d'abord, quel est l'objectif véritable du suivi d'un jeune à la Protection Judiciaire de la
Jeunesse ?
Cette question, le Conseil Constitutionnel y apporte une réponse dans sa décision du 29
août 20027 en reconnaissant comme principe à valeur constitutionnelle le fait de
rechercher le relèvement éducatif et moral d'un mineur.
7 Décision n° 2002-461 du Conseil Constitutionnel en date du 29 août 2002
6
La notion de relèvement éducatif utilisé par le conseil constitutionnel n'est pas anodine.
Elle fait référence à l'action de relever et implique ainsi une intervention extérieure. La
définition du Larousse est somme toute très intéressante puisque le relèvement est défini
comme « l'action de relever quelque chose, de le mettre debout ou dans une position
normale » 8.
Trois éléments retiennent donc mon attention. Le métier que je vais exercer, comporte une
dimension créatrice de lien à laquelle je dois être attentive d'autant plus que la relation
que je vais avoir avec un jeune peut ne pas être authentique en raison du caractère
obligatoire d’une mesure, on se trouve bien dans une contrainte. Cette relation, ce lien
doit cependant poursuivre un objectif clair qui est le relèvement éducatif et moral du jeune.
Je dois donc mettre à profit ce lien, dans une relation contrainte, pour permettre au jeune
de se relever. Il s'agit également de ma démarche méthodologique dans ce travail de
recherche. Ma problématique part donc de la question de départ sur la posture éducative
pour aller plus loin dans les objectifs de la mission éducative en tenant compte de la
relation contrainte.
En quoi la création de lien, à l'épreuve de la contrainte, participe t-elle au
relèvement éducatif du jeune ?
Voulant démontrer l'importance du lien éducatif dans l'accompagnement, je présenterai
dans une première partie les enjeux du lien dans la relation éducative avant de
m'intéresser dans une seconde partie aux outils permettant de tisser du lien.
8 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/rel%C3%A8vement/67884
7
PARTIE MÉTHODOLOGIQUE
Dans un souci de lisibilité, il n’y a pas lieu de répercuter ici la démarche
méthodologique relative au processus d’élaboration de la problématique ainsi que
l’élaboration d’hypothèses de recherches. Ces points ayant en effet été développés
dans l’introduction
- Méthode de recueil et d’analyse des données
Durant mon stage, j’ai été nourri de situations vécues et observées dans lesquelles j’ai pu
agir concrètement. Ces situations que j’analysais dans un second temps m’ont servi dans
le sens où elles m’ont guidés vers de nouvelles références théoriques. Pour exemple, je
compris que la situation avec Jérôme, qui me confiait son mal-être, et la relation que nous
avions construit tout au long de la mesure, m’appelait à traiter du mécanisme de relation
d’aide théorisé par Carl Rogers.
Au-delà de ces situations, j’ai voulu interroger les professionnels afin de recueillir une
multitude et une diversité d’avis sur la question. J’ai, en ce sens, élaboré une grille
d’entretien et fait le choix de n’interroger que des professionnels éducateurs. Je justifie
aujourd’hui ce choix, par le fait que cette démarche d’entretien, me prenait énormément de
temps notamment pour la retranscription complète de ceux-ci. Je n’ai donc pas pu
interroger, le responsable d’unité de ma structure, ni le psychologue du service. En
revanche, je demeure satisfait de la qualité des données et la pertinence des personnes
ayant accepté de répondre à mes questions. Je retranscris ici ma grille d’entretien
consistant en l’évocation de 5 questions.
Grille d’entretien à destination des professionnels :
1°) Lors d'un premier entretien avec un jeune, créer du lien fait-il parti de tes objectifs ? Si
oui quelle importance lui donne-tu ?
2°) Que pense tu de l'engagement émotionnel de l'éducateur dans la relation éducative ?
8
3°) Une posture stricte d'un éducateur est-elle un frein à l'établissement d'un lien éducatif ?
4°) Quel est ton avis sur la question de la confiance dans la relation éducative ?
5°) Selon toi, est ce qu'une présence renforcée de l'éducateur peut contribuer à
l'amélioration du lien éducatif ? Plus généralement le temps est-il un facteur important
dans l'établissement d'un lien ?
6°) Est ce que l'usage d'un média éducatif facilite la création de lien ? Pourquoi ? Si oui
quel type d'outil utilise tu personnellement dans tes suivis.
Concernant la formulation des questions, je veillais à ne pas orienter au maximum les
réponses pour conserver la spontanéité des acteurs. De même, il s’agissait d’entretiens
semi-directifs, dès lors, j’avais tout loisirs de pouvoir interrompre l’intervenant ou encore le
relancer sur une autre question pour prolonger la réflexion initiale ce que je ne manquais
pas de faire pour certains entretiens.
Les entretiens étaient enregistrés puis retranscrits pour l’analyse de données que
j’exploitais directement dans le corps du mémoire pour appuyer un argument ou encore
confirmer une hypothèse ou la position d’un auteur sur une question précise. La durée des
entretiens se situait entre 15 et 20 minutes chacun. J’ai pris donc la décision pour mon
recueil de données de ne procéder qu’à trois entretiens.
Je fus en partie frustré par ce travail d’autant que j’avais élaboré également une grille
d’entretien à destination des jeunes suivis au Stemo. Je n’ai malheureusement pas pu
l’exploiter compte-tenu des différents impératifs relatifs à mon stage mais également de la
mise en place de mon expérimentation. Voici la grille à destination des jeunes que j’aurais
aimé exploiter.
Grille d’entretien à destination des jeunes suivis :
- Lors d'un premier entretien avec un éducateur, qu'attends tu de lui sur le plan humain ?
- Peut-on faire confiance à son éducateur ? Qu'est ce que cela t'inspire ?
- Qu'est-ce que l'éducateur doit faire pour que le message qu'il veut envoyer passe plus
facilement ?
9
- Qu'est ce qu'un bon éducateur selon toi ? Est ce qu'il doit simplement être cool ?
- A ton avis, la posture d'un éducateur a t-elle une influence dans le suivi d'une
mesure ?
- L’élaboration des hypothèses d’action
Dans la continuité de l’hypothèse de recherche dans laquelle je cherchais à démontrer
l’impact du lien éducatif dans le relèvement du mineur, je comprenais au regard tant de
l’analyse des données, que des observations et des différentes lectures, que l’idée de
relèvement éducatif comprend une dimension de mise en mouvement du jeune suivi.
Cette mise en mouvement, devant être encouragée par l’intervenant judiciaire trouvait tout
son sens dans le faire-avec à travers l’utilisation d’un média éducatif.
Étant amateur du jeu d’échec et ayant vite vu les potentialités de l’exploitation d’un tel jeu
dans notre travail éducatif, j’étais amené à utiliser très rapidement cet outil lors de mes
entretiens éducatifs.
Mon hypothèse d’action était donc de pouvoir mobiliser un jeune dans une action
éducative tout en cultivant un lien de premier ordre. L’idée étant concrètement de
l’associer dans l’organisation d’un projet de tournoi en qualité de co-organisateur avec des
tâches précises et répondant à ses obligations d’insertion dans le cade de sa mesure.
Nous avons ainsi décidé, avec son éducateur référent, de faire participer Anouar, un jeune
suivi dans le cadre du milieu ouvert renforcé, à la co-organisation d’un tournoi d’échec
mettant en confrontation des jeunes joueurs confirmés d’un club d’échec et des amateurs
provenant d’une association de prévention locale.
Par l’aspect organisationnel, il est question de montrer ce que le jeune est capable
de faire. Il s’agissait aussi de pouvoir créer les conditions nécessaires à l’arrêt de
sa trajectoire de déviance pour un jeune multi-réitérant au sortir d’un placement en
Centre Éducatif Fermé.
10
- Description de la phase d’expérimentation et évaluation
La phase d’expérimentation comprenait tout d’abord la constitution d’une fiche
projet. La date du tournoi était rapidement fixée au Samedi 19 mai 2018 et je
compris dès lors qu’il n’était pas possible pour moi de répercuter les résultats du
tournoi et de faire le bilan de celui-ci en terme de présence et d’animation,
notamment concernant l’évaluation du jeune Anouar qui s’était impliqué durant
toute la phase d’organisation en amont.
- Point forts et limites de la démarche
Aujourd’hui, je suis persuadé que le fait de mettre un jeune en responsabilité peut
l’amener à se mobiliser. Anouar ressentait le portage du projet comme un défi d’autant
plus qu’il était identifié par les partenaires comme co-organisateur, il s’agissait donc pour
lui de ne pas les décevoir. Le point fort dans la conduite de ce projet a été de créer une
relation d’un autre ordre avec ce jeune. Certes, la posture était la même, je demeurai un
éducateur à ses yeux, mais le fait de l’associer, quasi d’égal à égal le rendait fier et j’ai pu
mesurer la joie avec laquelle il se présentait comme porteur.
Je fus également surpris par la tournure qu’a pris l’organisation d’un tel tournoi. En effet,
nous étions confrontés à un véritable engouement qui nous ont amené à modifier dans un
premier temps le nombre de participants et dans un second de refréner les participants
voulant toujours plus de possibilités d’inscriptions.
Je compte à l’avenir et en me servant de ce qui a été positif, rééditer ce genre de
compétitions chaque année en veillant à associer plusieurs jeunes.
Les limites du portage d’un projet impliquant une multiplicité d’acteurs étaient de ne pas
avoir une marge de manœuvre totale et ainsi être dépendant au moins en partie aux
désidératas des uns et des autres. Il fallait notamment concilier tous les calendriers et je
du me résoudre à fixer une date postérieure au rendu de mon travail de recherche.
Néanmoins, la conduite de ce projet a été pour moi une réelle réussite et je tenais encore
une fois à remercier toutes les personnes ayant contribué à l’organisation de cet
événement.
11
PARTIE 1 : LES ENJEUX DU LIEN DANS LA RELATION ÉDUCATIVE
« Ce n'est pas en regardant la lumière qu'on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité.
Mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire»
Carl Gustav JUNG,
Dans cette relation, il est un des aspects qu'on ne peut négliger à savoir qu'une tierce
personne (l'éducateur) est missionnée pour intervenir sur une situation d'une autre
personne (le jeune). Cette intervention entre deux êtres doués de sentiments s'effectue
dans un contexte peu banal où les émotions peuvent être exacerbées par l'un ou l'autre
des acteurs. Le relèvement éducatif et moral -tel que voulu par les rédacteurs de
l'ordonnance de 1945- va ainsi être le fruit d'une rencontre entre deux êtres pour faciliter
chez le jeune le passage du vivre à l'exister, c'est à dire de restaurer la confiance du jeune
en la société et surtout en lui-même. Le professionnel doit donc avoir conscience que son
intervention s'effectuera avec des objectifs bien précis, qu'il mobilisera pour ce faire toutes
ses compétences en vue de favoriser un processus de (re)-construction.
Chapitre 1 : L'intervention éducative
Au cours de ma formation, j'ai été amené à vivre de nombreuses situations qui m'ont
permis de faire le constat suivant : une relation éducative s'éprouve par le temps et les
humeurs de chacun des protagonistes. Philipe GABERAN donne une très juste définition
de la relation éducative en expliquant « qu'elle n'est pas un processus de réparation ou de
normalisation de l'individu mais qu'elle est un temps et un espace, à la fois instables et sécurisés,
au sein desquels une personne requise pour ses compétences en aide une autre à passer du
vivre à l'exister »9.
Il sera donc l'occasion de voir dans une première section que la relation éducative peut en
effet se concevoir de manière spatiale et temporelle avant de s'intéresser dans une
seconde section à l'intervention de l'éducateur et la mise à profit d'un engagement
émotionnel au servir de sa pratique.
9 La relation éducative, un outil professionnel pour un projet humaniste, p.14, Philippe GABERAN, ed érès, 19 avril 2003
12
Section 1: La relation éducative: un espace et un temps propice à l'établissement d'un lien
L’intervention de l’éducateur s’effectue dans ce que l’on nomme l’aide sous contrainte. Les
parcours de vie auxquels les éducateurs sont confrontés au quotidien font de la mission
éducative un enjeu majeur. La relation éducative naissante s’éprouve pour le
professionnel qui se doit d’assurer une présence en un temps et un espace précis.
I°) Une relation éducative s'éprouve
Le 13 décembre 2017 à 20h30, Jean10, un jeune garçon de 16 ans que je suivais dans le
cadre d'une mesure de réparation, m'interpellait lors d'une action collective. Un ciné-débat
au cours duquel il me demandait de m'isoler avec lui pour me livrer une confidence, à
savoir, son mal-être et son envie de replonger dans la consommation de stupéfiants et
d'alcool…
Je pris la mesure du moment en rassurant le jeune garçon en proie à un stress évident et,
ensemble, nous nous sommes mis à la recherche de la véritable source de son mal-être.
Ce fut un moment riche d'expérience pour ma part, puisque j'ai pu faire le constat qu'en
dépit du temps contraint d'une mesure, un lien avait pu se tisser entre ce jeune et moi. Un
lien de confiance suffisamment fort pour qu'il puisse me livrer ses tourments et appeler à
l'aide son éducateur. Cette situation que j'ai analysé à posteriori11, m'a permis de
comprendre que le lien entre un éducateur et un jeune ne se décrète pas mais se construit
à travers le temps et l'espace.
En effet, ce jeune s'en est allé à une confidence lors d'une action collective, il ne l'a pas
fait au service. De plus, la mesure le concernant disposait d'un temps d’exécution très
court, l'on pouvait donc se demander si ce temps était suffisant pour construire une
relation ?
L'aspect temporel à mon sens ne doit pas être vu sur le plan quantitatif mais qualitatif. En
effet, malgré le peu de rencontre que nous avons eu entre Jean et moi, nous vivions
constamment des moments forts, que ce soit au service ou en extérieur, c'est en cela que
le lien avait pu se créer entre nous deux.
10 Le prénom a été modifié par souci d'anonymat11 Cette situation fait l'objet de développement plus conséquent dans un Rapport d'Analyse de Pratique
Éducative se trouvant en annexe 2 du présent
13
II°) Un temps et un espace de qualité : l'éducateur assure une présence
Dans ma démarche de recherche, j'ai pu conduire des entretiens de recueil de données
en interrogeant certains professionnels du service sur la thématique de la création de lien.
Ainsi, à la question de savoir si une présence renforcée de l'éducateur contribue à
l'amélioration du lien éducatif, une éducatrice me répondait en ces termes12 :
R.B Selon toi est ce qu'une présence renforcée de
l'éducateur peut contribuer à l'amélioration du lien
éducatif ? Plus généralement le temps est-il un facteur
important dans l'établissement de ce lien ?
V.L Ouai le temps est un facteur important maintenant
je pense pas que le temps ça se mesure en nombre
d'heure auprès du jeune.
R.B Ça se mesure à la qualité de ce temps ? Et pas que
la quantité ?
V.L Ouai et même pas que à la qualité c'est à dire que tu
dois avoir suffisamment.. Tu vois des fois avec des
jeunes t'as juste des contacts téléphoniques mais faut
être la au moment clé, avoir l'impression qu'il y a
toujours quelqu'un derrière. Moi j'ai l'impression que ça
quand même c'est primordiale, c'est à dire que faire
venir un jeune et de passer toute une journée avec lui le
lundi c'est super parce qu'effectivement tu vas vivre des
choses, tu vas vivre des émotions avec lui, t'apprend à
le connaître etc.. mais si après t'as plus rien qui se passe
durant toute la semaine et que la semaine d'après tu le
vois.. tu vois
R.B Oui on repart de zéro…
V.L Mais c'est pas tellement repartir à zéro tu vois, des
fois, ya des jeunes ou par exemple tu vas le voir le
lundi, puis tu vas le croiser le mardi puis le mercredi tu
lui envoie un message genre tac tac l'essentiel qu'il ai
tout le temps l'impression que..(réfléchi) a des moments
clés ou par exemple tu sais que (réfléchi)… en fait moi
ce que je voulais expliquer c'est que le temps le plus
important c'est d'être la à des moments clés plus que de
passer... ça se mesure pas en terme d'heure que tu passe
auprès d'un jeune car ya des jeunes avec qui tu peux
passer 15 heures avec eux dans une semaine et ça aura
peut être pas plus d'impact auprès d'un jeune avec qui tu
passe qu'une heure mais lors d'un moment clé tu vois.
Moi je crois que c'est ce qu'il faut identifier dans un
suivi. Je sais pas il passe par exemple un diplôme
important, passer un coup de fil à ce moment la tu vois
c'est un moment clé ou t'apprend que le jeune est en
train de décrocher des cours et d'intervenir tout de suite
au moment du décrochage tu vois.
R.B On en revient au fait de bien cerner le jeune,
l'individualisation. donc les premiers temps sont super
importants pour savoir ensuite quand est ce qu'on peut,
quand est ce qu'on doit être la...
V.L ..Voilà.. et de réussir à créer du lien ! Parce que
concrètement si tu crée pas du lien avec le jeune il va
pas te répondre.. Si tu ne réagis qu'en terme de
convocation genre je te convoque « viens tel jour tel
heure » je fais le point et après je repars ben si t'as créée
aucun lien tu vas essayer de l'appeler pour lui donner
une info, faire un point, ben il va pas décrocher tu vas
tomber sur son répondeur. C'est la où il faut pouvoir
créer un lien de confiance qui t'identifie comme certes
appartenant au milieu de la justice mais avant tout
12 L'intégralité de l'entretien se trouve en annexe 4 du présent
14
comme éducateur et la pour accompagner et épauler à
travers cette mesure moi je pense que c'est ça qui est
important par exemple ça m'est déjà arrivé d'appeler un
jeune le 31 décembre, moment clé ou tu sais que ça va
déraper, pour lui rappeler un petit peu « déraille pas ce
soir, tu vas sortir tu vas faire nimp donc fais attention ».
Un jeune qui commence à décrocher par exemple qui va
pas à l'école, il faut essayer de le voir pour comprendre
ce qu'il ne va pas, qu'il comprenne aussi que t'es la pour
faire de l'accompagnement. Sinon si tu laisse aller,
laisse courir la mesure et après ya conseil de discipline
et tu te pointe au conseil de discipline, mais ya plus rien
à y faire ya plus rien à sauver quoi, il faut intervenir en
amont, à des moments clés et ça c'est important.
L'éducatrice fait état d'une démarche auto-centrée en direction du jeune. Elle ne conçoit
donc pas la temporalité d'un point de vue quantitatif mais va utiliser le plus justement
possible le temps dont elle dispose pour établir un lien de confiance. Elle ne nie d'ailleurs
pas cette temporalité dans la relation, puisqu'elle estime qu'il s'agit d'un facteur important
à prendre en compte pour l'éducateur.
Enfin, au travers des exemples qu'elle met en avant, on peut remarquer qu'elle cultive les
espaces en les exploitant au maximum. Elle dit ainsi, qu'il est possible d'être présente
pour le jeune par téléphone. Elle met donc bien en évidence le fait que pour créer du lien,
il faut être présent pour le jeune, cette présence pouvant se faire de manières multiples.
On remarque donc bien que si la relation éducative est un temps et un espace propice à
l'établissement d'un lien éducatif, ce temps ne doit pas être compris uniquement d'un point
de vue quantitatif. Les délais d’exécution parfois très court de certaines mesures ne
doivent pas empêcher le professionnel d'être présent et de concevoir le déroulement de la
mesure en conservant à l'esprit les objectifs dans la rencontre à l'autre.
Dans le même temps, l'espace ne doit pas être vu comme un seul lieu de rencontre
physique entre un éducateur et un jeune pour que l'on puisse aboutir à l’établissement
d'un lien. Ce lien se construit et se cultive par la présence de l'éducateur. Mais alors, qu'en
est-il de cette présence évoquée à plusieurs reprises par l'éducatrice ? A partir de quel
moment peut-on considérer cette présence, cette intervention éducative comme
authentique ?
Tout ceci n'est-il qu'une question de posture du professionnel ou celui-ci doit-il s'engager
dans la relation pour lui conférer un certain degré d'authenticité ?
Il est à noter enfin que la rencontre d'un éducateur pour un jeune est une expérience qui
peut avoir une influence sur son parcours. A ce propos, il est mis en avant dans le numéro
15
77 de la revue Agora Débat/Jeunesse que précisément, les rencontres au sein de
l'institution judiciaire ont un effet sur les processus de désistance13 chez le jeune. Le travail
de recueil de paroles d'anciens mineurs -condamnés et suivis à la PJJ durant leur
jeunesse- a permis de mettre en évidence « que les trajectoires sont finalement plus
marquées par les rencontres au sein des institutions que par l'institution elle-même et que le type
de prise en charge»14
Section 2 : l'engagement émotionnel de l'éducateur : la clé de l'authenticité ?
Si l'on s'intéresse à l'influence que peut avoir un éducateur sur un jeune, il faut d'abord
rappeler que l'on est en présence de deux personnes toutes deux douées de sentiments.
Toujours en reprenant le dossier « expériences socio-judiciaires et sorties de
délinquance » de la revue AGORA, il est notamment décrit qu'il « ne s'agit pas de n'importe
quel professionnel de la PJJ mais de personnes qui représentaient, à ce moment-là, ce que les
anciens mineurs condamnés recherchaient dans les relations avec les adultes, soit un rapport
d'autorité, soit des centres d'intérêts partagés»15.
Ce que l'auteur cherche à démontrer principalement, c'est que l'on se trouve -malgré un
contexte institutionnel- dans des rapports désinstitutionnalisés entre deux êtres dont un va
utiliser ses compétences pour aider un autre individu. On en revient à la définition de
Philipe GABERAN sur la relation éducative.
Ayant compris en quoi l'authenticité d'une relation peut contribuer à l’efficacité d'une prise
en charge, je me suis interrogé quant à l'interdépendance entre engagement émotionnel
et authenticité… En quoi s'engager émotionnellement contribue à une relation plus
authentique ?
La lecture et la compréhension de la pensée de Carl Gustav JUNG me permis d'apporter
un élément de réponse.
13 La notion de désistance peut être comprise à l'inverse de la récidive comme le processus de sortie de la délinquance d'un individu. Un observatoire de la récidive et de la désistance a d'ailleurs été créé par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009
14 Dossier Expériences juvéniles de la pénalité, Revue AGORA Débats/Jeunesses n°77/ 2017, p.12915 Ibid. p.130
16
I°) L'éducateur apportant sa sensibilité : Vers une nouvelle forme de
pédagogie ?
En effet, dans l'article intitulé « la révolution copernicienne de la pédagogie 16», David
LUCAS17 nous expose la pensée de Carl Gustav JUNG, célèbre psychiatre du 19e siècle
considéré comme l'inventeur de la psychologie analytique.
Carl Gustav JUNG considère que la relation pédagogique n'est pas une simple méthode
de transmission mais va dégager une deuxième conception de la pédagogie distincte
d'une méthode classique dite mécanique.
Il propose en effet de s'intéresser à la personne du pédagogue et conçoit que « l'influence
éducative peut effectivement être comprise à la lumière des enjeux de l'énergétique psychique »18,
on parle de modèle énergétiste.
Le psychiatre définit ainsi le modèle mécanique comme «des prescriptions verbales qui
impliqueraient des réponses du même ordre indépendamment de tout autre espèce de
détermination »19.
Or, le modèle énergétiste qu'il propose « porte à concevoir que l'influence pédagogique peut
aussi s'exercer de manière beaucoup plus subtile et moins mécanique que par le fait d'un simple
traitement de l'information »20.
Dans un raisonnement par analogie, on pourrait évoquer les besoins de l'enfant en
développement. Il a en effet été démontrer que les besoins affectifs de l'enfant devaient
être satisfaits au même titre que certains autres besoins primaires comme le fait de le
nourrir. L'hospitalisme par exemple désigne un syndrome de régression mentale chez
l'enfant pour qui ses besoins sur le plan de l'attachement n'ont pas été satisfaits.21
Dans ce raisonnement par analogie, on pourrait associer le modèle pédagogique
classique dit mécanique dans la satisfaction des besoins de base (se nourrir, boire,
dormir) et voir donc dans le modèle énergétiste, la satisfaction des besoins affectifs chez
16 David Lucas, « Carl Gustav Jung et la révolution copernicienne de la pédagogie », Le Portique [En ligne], 18 | 2006, mis en ligne le 15 juin 2009, consulté le 17 mars 2018. URL : http://journals.openedition.org/leportique/835
17 David LUCAS est docteur en philosophie et attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'université d'Orléans
18 Ibid.19 Ibid.20 Ibid.21 René SPITZ a pu observer une évolution vers un état de marasme psychique et physique qu'il désigne
comme l'hospitalisme, pour les enfants ayant souffert de carence affective totale. https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2011-1-page-127.htm
17
l'enfant. Ainsi l'élève se nourrit de l'information brut de son professeur mais également de
la sensibilité avec laquelle il va la transmettre. C'est la toute la pensée de Carl Gustav
JUNG (C-G.JUNG) dans la proposition de ce modèle énergétiste. Il dira d'ailleurs que « on
se souvient certes avec reconnaissance de ses excellents maîtres, mais on éprouve de la
gratitude pour ceux qui ont sut s'adresser à l'homme en nous. La discipline à étudier est
évidemment un matériau dont on ne peut se passer, mais la chaleur est l’élément vital nécessaire
à la plante comme à l'âme de l'enfant 22».
On comprend donc, comme le soutient David LUCAS, que l'énergétique psychique (la
sensibilité du pédagogue) est susceptible de troubler la clarté d'un contenu
dialectiquement construit. Il ajoute que « ce que l'on dit s'efface au profit de ce que l'on est et
l'on ne transmet alors plus tant ce que l'on sait que ce que l'on éprouve ». Le psychiatre affirme
que « la plus belle vérité ne sert à rien tant qu'elle n'est pas devenue l’expérience première,
profonde de l'individu. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de “savoir” la vérité, mais de
l’apprendre. Non pas d’avoir une conception intellectuelle, mais de trouver le chemin qui conduit à
l’expérience intérieure irrationnelle et peut-être inexprimable en mots 23».
On peut parler ici de congruence24. L'idée dans la conception de notre travail éducatif avec
le jeune n'est pas -selon moi- de le convaincre de mettre un terme à son parcours de
délinquance mais de prouver, dès le début de prise en charge, un intérêt réel et personnel
pour sa situation. Cette préoccupation envers cet autre individu pourra être d'autant plus
authentique qu'elle a mis en mouvement nos propres émotions. Nous puisons dans notre
fonction ce qui nous permet d'entrer en relation avec l'autre, mais cette fois, avec ce qui
nous anime personnellement. Nous mettons forcément du subjectif dans cette relation, et
il est dès lors beaucoup plus difficile de tenir un discours cohérent à un jeune si nous ne
sommes pas convaincus nous-mêmes de ce que l'on transmet.
David LUCAS l'illustre très bien en évoquant la psychologie des profondeurs. Selon lui,
« elle met la relation pédagogique en demeure d’une plus grande authenticité, puisqu’il est finalement bien plus
difficile de tricher dans l’ordre de la sensibilité que dans celui de l’argumentation discursive. L’énergétique
psychique met effectivement en jeu l’être même de l’éducateur, et place l’influence pédagogique dans l’étroite
dépendance de ce que l’adulte éprouve et nourrit réellement en son for intérieur. La prise en compte d’une
quotité énergétique de la transmission éducative induit par conséquent une véritable révolution copernicienne,
puisque l’être même de celui qui éduque détermine aussi l’influence qu’il pourra exercer sur l’enfant. »25.
22 Psychologie et éducation, trad. Yves Le Lay, Paris, Buchet/Chastel, 1963, p. 257 23 L’Âme et la Vie, op. cit., p. 389 24 La congruence se définit comme « le fait de coïncider, de s'ajuster parfaitement », Dictionnaire Larousse25 Op.cit
18
II°) La recherche de la congruence : un moyen de faire passer le message
On perçoit donc le lien entre engagement émotionnel vu comme l'expression d'une
sensibilité propre et l'authenticité dans la relation avec le jeune. Tout ceci se résume dans
la cohérence de l'éducateur au travers de son discours et de ce qu'il est. Il ne peut tricher
avec lui-même et exprime ainsi ce qu'il ressent dans son for intérieur, ce qui l'anime. Cela
permet de comprendre aussi pourquoi il existe autant de façon de faire dans les attitudes
des différents éducateurs. En effet, chacun va concevoir son travail éducatif en fonction de
sa propre personnalité. Nous mettons donc ce que nous sommes au service de notre
posture professionnelle : on parle ici traditionnellement de l'identité professionnelle.
Lors de mes entretiens exploratoires, une éducatrice me tenait le même discours. Elle
m'explique qu'elle va même amener dans sa pratique professionnelle, des éléments de sa
vie personnelle. Je retranscrits ici une partie des échanges sur ce point.
R.B Ok parfait, donc cela fait une transition, que pense-
tu de l’engagement émotionnel de l'éducateur dans cette
relation éducative ?
M.L Pour moi, il est nécessaire aussi. Chaque
professionnel a sa propre personnalité et va
s'adapter aussi en fonction de sa façon d'être.
Même si certains au service ont des formations de
base différentes, par exemple pour moi je viens de
l'éducation spécialisée puis je suis devenu
éducatrice PJJ. Ce que j'ai appris dans ma
formation initiale, c'est vraiment dans « le faire
avec » dans la construction alors que l'approche
dans la formation PJJ est légèrement différente et
tient compte forcément du mandat judiciaire. Pour
autant cela fait partie de mon identité
professionnelle que j'utilise aujourd'hui en tant
qu'éducatrice PJJ. Je suis toujours dans le faire
avec et dans certaines situations avec des jeunes,
je ne suis pas mal à l'aise à l'idée qu'un jeune
sache que j'ai un enfant.. C'est aussi un peu de
moi pour permettre d'accéder à eux. Après, le
partage je vais le maîtriser aussi et je vais pas
aller trop loin, même si eux même ne vont jamais
très loin sur ce plan-là. Je veux réussir -en parlant
de petites choses comme ça- d'atteindre un
objectif sur sa situation à lui..
R.B Ok, alors quels limites dans ce cas. Si on
montre de l'émotion jusqu’où on va aller et dans
ce cas est ce qu'on peut se mettre à pleurer avec
un jeune ?
M.L Non c'est vrai, d'ailleurs ça me fait penser à
Léonardo, un jeune que je connais bien, que tu
connais aussi, que je suis depuis un long moment.
Je pense que cet affect a fait qu'il y a eu une
accroche dans la situation et que lorsqu'il va trop
loin, il va l'entendre à ma voix et va le savoir
immédiatement. Ma façon de parler avec l'émotion
que je vais apporter va lui faire dire qu'il est allé
trop loin et qu'il ne veut pas ruiner la confiance
que j'ai en lui.
19
On retrouve l'approche centrée sur le jeune ainsi qu'une maîtrise du contenu dans le
discours. On remarque toutefois que cette éducatrice n'hésite pas à apporter sa sensibilité
et construit d'ailleurs sa relation avec de l'affect. L'authenticité de la professionnelle va
ainsi permettre de faire comprendre au jeune, par un regard, par le ton de la voix, qu'il est
allé trop loin.
Carl ROGERS26 met d'ailleurs clairement en lien cette notion de congruence et
d'authenticité quand il décrit les qualités attendues d'un thérapeute. Il définira notamment
la notion de congruence ainsi : « J'entends par ce mot que mon attitude ou le sentiment que
j'éprouve, quels qu'ils soient, seraient en accord avec la conscience que j'en ai. Quant tel est le
cas je deviens intégré et unifié, et c'est que je puis être, ce que je suis au plus profond de moi-
même 27».
Lao TSEU dira sensiblement la même chose : lorsque je me laisse aller à être ce que je
suis, je deviens celui que je pourrais être...
Le lien semble indissociable de la relation éducative. Celle-ci demeure marquée par une
rencontre entre deux êtres doués de sentiments. De facto, les émotions engagées par l’un
ou l’autre des acteurs peuvent permettre de tisser un lien authentique facilitant la
transmission d’un message. Il est important dans ce cas, d’avoir à l’esprit l’objectif premier
et central dans l’accompagnement éducatif, en l’occurrence l’intérêt du jeune.
Le changement, l’évolution de ce dernier dépendra surtout de lui et, ne pas le reconnaître,
serait prendre une posture nihiliste de l’individu lui-même. Face aux dangers de la
dépersonnalisation du mineur, il faut être conscient que l’essentiel du travail à fournir doit
être entrepris par le jeune. La création du lien dans cette relation peut, à ce titre, faciliter
l’émergence des ressources propres du jeune et le rendre ainsi acteur de son propre
relèvement.
26 Carl RODGERS, psychologue américain né en 1902, a théorisé «l'approche centrée sur la personne». Il
met en avant dans ces nombreux ouvrages sa conviction que l'homme possède un fort potentiel d'évolution
et d'épanouissement inné. Il initie donc une nouvelle méthode de prise en charge basée sur la recherche de
l'autonomie du « patient ». Pour cela, il met en avant des caractéristiques propres au thérapeute permettant
d'aboutir à cette autonomie.
27 Le développement de la personne, Carl Rogers, 1968, éditions Bordas, Paris, Dunod. Ce livre a été
traduit du précédent ouvrage en anglais « On becoming a Person » publié en 1961.
20
Chapitre 2 : Le relèvement du jeune par lui-même : les objectifs poursuivis à travers
la création du lien
« Les personnes ont en elles de vastes ressources pour se comprendre et changer de manière
constructive leur façon d’être et de se comporter. Ces ressources deviennent disponibles et se
réalisent au mieux dans une relation définissable par certaines qualités »
Carl ROGERS28,
Le célèbre psychologue américain à qui l'on attribue «l'approche centrée sur la personne»
considère que la relation entre un individu et son thérapeute vise à permettre l'émergence
ou la conscience des ressources dont dispose l'individu lui-même. Il s'intéresse ainsi aux
qualités du thérapeute qui vont permettre cette prise de conscience. On parle de «relation
d'aide29» que l'on transpose d'ailleurs dans notre pratique professionnelle.
Ainsi, les éducateurs PJJ vont -dans leur prise en charge- aider un jeune ayant commis30
un ou plusieurs actes de délinquance. L'objectif de la relation étant d'une part la
transmission de valeurs éducatives et d'autres part l'accès à l'autonomie du jeune.
Pour cela il est essentiel de restaurer la confiance du jeune en la société et en lui-même,
afin de rendre possible son propre relèvement.
Il est important de préciser que la prise en charge au sein d'un service de milieu ouvert
peut concerner un mineur auteur d'infraction mais également victime d'infraction ou plus
généralement un mineur en danger notamment dans le cas des mesures judiciaires
d'investigation éducative.
Section 1 : Restaurer la confiance du jeune en la société et en lui-même
La note du 22 octobre 2015 relative à l'action éducative en milieu ouvert31 est très claire
sur la question des objectifs d'une prise en charge. En effet, on affirme d'emblée que
28 L’approche centrée sur la personne, Carl Ransom Rogers, ed Ambre, 2001 traduit par Henri-Georges Richon
29 Concept emprunté aux sciences psychologiques, la relation d'aide théorisée par Carl RODGERS sedéfinit comme une relation thérapeutique au sein de laquelle l'aidant est essentiellement tourné versl'autre
30 A préciser qu'en vertu du principe de présomption d'innocence, on ne peut considérer l'infraction comme étant commise par le jeune qu'une fois que ce dernier ait été jugé. Certaines mesures pré-sentencielles sont courantes à la PJJ, il faut d'autant plus être vigilant lorsque l'on caractérise certains faits commis.
31 http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/JUSF1526137N.pdf
21
« l’entrée en relation et le lien éducatif qui s’instaurera par la suite avec le mineur ou jeune majeur,
sont des éléments capitaux de toute prise en charge ». Il est donc confirmé que le lien éducatif
est un élément capital et doit être recherché par les professionnels.
Aussi, il est rappelé que « la relation éducative tissée avec le jeune vise en effet, à la fois la
transmission des principes éducatifs et l’accès à l’autonomie de ce dernier ».
Enfin, « Dès l’entrée en relation, les professionnels doivent veiller à construire un lien ayant pour
objectif de restaurer la confiance du jeune dans le monde des adultes ». La formule employée
peut à priori surprendre et l'on aurait pu simplement parler de confiance en la société…
I°) L'inclusion sociale comme vecteur de réconciliation entre le jeune et la
société
Ce terme « monde des adultes » utilisé dans cette note vise à faire comprendre au jeune
que sa place est avec les autres individus, au sein d'un même corps social. Il s'agit ici de
faire référence au vivre-ensemble et au projet commun de faire société. C'est précisément
pour cela que les rédacteurs de la note ont immédiatement intégré cette idée de partage
d'expérience en proposant un moyen de faire pont entre ces deux mondes. On avance en
effet l'idée que «l’activité individuelle et collective comme media éducatif peut être un moyen
privilégié de construire le lien éducatif par le faire-avec».
Jean-Marie BARBIER32 distingue par exemple le terme d'inclusion sociale et d'intégration
en expliquant que c'est à la société de faire l'effort d'inclure l'ensemble des citoyens. Il dira
que «L'intégration, ce sont les citoyens qui s'adaptent au cadre sociétal ; Alors que l'inclusion,
c'est la société qui s'adapte à ses citoyens, tous ces citoyens»33.
Je souscris entièrement dans cette démarche de faire société et pour cela, il est essentiel
de mobiliser le jeune à aller au-delà de ce qu'il pense être capable de faire.
II°) Le traitement de l'estime de soi à travers la valorisation du jeune
Je me souviens encore de Valentin qui me disait se réfugier dans la consommation de
cannabis car il ne s'estimait pas capable de réussir son année au lycée. Ou encore de
Jean qui était en proie à un stress intense durant sa mesure de réparation car il ne savait
pas ce que ses parents allaient penser de lui…
32 Jean-Marie BARBIER, professeur émérite d'université en science de l'éducation a été Président de l'Association des paralysés de France de 2007 à 2013
33 http://drpicardie.blogs.apf.asso.fr/media/00/01/1608636289.pdf (consulté le 31 mars 2018)
22
A l'éducateur donc de savoir trouver les mots, penser ses actions qu'il va mettre en place
afin de montrer qu'un espoir, une solution est envisageable.
Je retrouvais ainsi dans les prises en charge que je menais, des jeunes qui avaient en
commun une estime très basse de leur personne. Lors des entretiens, ils m'indiquaient
qu'il était plus facile pour eux de se mettre à la marge de la société puisqu'ils se
considéraient eux-même comme «bon à rien». Jean aura des mots plus durs envers lui-
même puisqu'il dira «se détester quand il est flegme après avoir consommé du shit34».
Il s'agit dans ces situations de permettre aux jeunes d'accéder à leurs ressources propres.
Il existe plusieurs moyens d'y parvenir comme définir avec le jeune des objectifs précis35 et
atteignables, puis d'entamer les démarches nécessaires à la réalisation de ces derniers.
On pourra par exemple préparer un jeune en vue d'un entretien pour un service civique,
l'aider à effectuer un cv et une lettre de motivation, mettre en place une activité sportive
collective ou individuelle etc. L'idée étant qu'à travers ces actions, le jeune puisse élaborer
des étapes, des stratégies d'action lui permettant de sentir qu'il avance.
Ce n'est pas tant le résultat qui doit être recherché mais faire prendre conscience de ce
qu'il est capable de réaliser. Il s'agit véritablement d'être dans une démarche de
valorisation de ces compétences.
Au cours de ma formation en Pôle Territorial de Formation, nous avons eu l'occasion de
suivre des enseignements sur l'identification des compétences. Aussi, il existe des
compétences facilement transposables à tous types de référentiels professionnels.
Chaque jeune pourra objectiver des compétences acquises dans un cadre non formel
comme des activités familiales et de voisinage, lors de stages, jobs d'été, loisirs de plein
air, sport, ou encore à l'occasion d'activité en institution.
Il est donc possible de faire émerger ces compétences par le biais d'entretien
d'explicitation36. L'objectif est de pouvoir identifier chez le jeune une situation significative,
d'en décrire les actions puis questionner les savoirs mobilisés. Cette méthode est
34 Le jeune a pu s'exprimer avec recul sur sa situation lors de l'entretien bilan de la mesure le concernant. La situation de Jean a fait l'objet du rapport d'analyse annexé au présent
35 Concernant tant les objectifs de la mesure que les objectifs visant à la construction du lien. Il est également important de les rédiger et pour ce faire l'usage du Document Individuel de Prise en Charge peut faciliter ce travail
36 Méthode consistant à rendre explicite ce qui est implicite dans la réalisation d'une action, qu'elle soit mentale ou matérielle, VERMERSCH Pierre, l'entretien d'explicitation, 6e ed, ESF, 2010
23
théorisée et décrite par Gérard Malglaive37 qui parle de savoirs d'action en les subdivisant
en quatre catégories38.
L'identification de compétences objectivables chez un jeune contribue à son propre
relèvement dans le sens où il va se rendre compte qu'il dispose de ressources internes et
psychiques suffisantes pour affronter les difficultés qu'il jugeait insurmontables.
Section 2 : Le relèvement éducatif comme permettant l'accès à l'autonomisation
A l'origine de mes recherches sur le sujet de mémoire, je fus surpris de l'utilisation d'un
terme pour définir les objectifs attendus des mesures, sanctions éducatives et des peines.
Je constatais sur le site du ministère de la justice39 que les mesures, sanctions éducatives
et peines « doivent rechercher le relèvement éducatif et moral du mineur ». J'ai donc décidé de
m’interroger sur l'utilisation de ce vocable de relèvement en voulant comprendre le sens
que l'on peut y associer.
On comprend déjà qu'il existe un rapprochement entre ce terme et le principe de primauté
de l'éducatif sur le répressif que l'on retrouve dans l'ordonnance du 2 février 1945 relative
à l'enfance délinquante. En effet, l'objectif de l'ordonnance de faire primer l'éducatif se
retrouve dans les mesures et sanctions spécifiques à la justice des mineurs.
Toutefois ce terme a étonné certains professionnels de ma structure qui voulaient en
comprendre le sens, ne l'ayant eux-mêmes que très peu lu dans les différentes notes
d'orientation.
Pourtant, ce vocable donne -selon moi- un sens profond à notre action éducative puisqu'il
évoque la démarche de mobilisation du jeune, acteur de sa propre situation. Il fait en effet
référence à l'action de se relever pouvant être comprise comme le processus de
désistence mais il fait également référence à la mise en mouvement d'un jeune comme un
moyen de parvenir à cette sortie de la délinquance.
Je m’intéresserai donc tout d'abord à l'origine et la signification de ce terme ancien pour
tenter de démontrer en quoi ce vocable peut être actualisé. Je ferai ainsi référence à ma
propre pratique professionnelle pour montrer tout l'intérêt que je porte à ce terme.
37 Docteur en science de l'éducation et directeur du Centre de formation de formateurs du Conservatoire national des Arts et métiers38 Il s'agit des savoirs théoriques, d'expériences, procéduraux et pratiques39 http://www.justice.gouv.fr/justice-des-mineurs-10042/presentation-10043/les-mesures-les-sanctions-
educatives-et-les-peines-21653.html
24
I°) Origine et connotation du relèvement éducatif : une survivance d'un terme
ancien à connotation religieuse
Sur le plan historique, on retrouve cette idée de relèvement très ancré dans le discours
religieux du 19e siècle. La ligue pour le relèvement de la moralité publique née en 1983
regroupait « des militants protestants engagés dans le combat contre la réglementation de la
prostitution 40».
De même, en 1901, est créée l'Union alémanique des sociétés féminines pour le
relèvement de la moralité qui devient en 1912 la plus grande organisation féminine de
Suisse41.
Pour faire le lien avec l'éducation, il faut s’intéresser à la création de «L’œuvre du refuge »
en 1837. Ainsi, les Sœurs de Saint-Joseph42 se consacrent alors au «relèvement morale
des filles perdues». Leur sort est décrit comme suit: «enfermées au Refuge, celles-ci
échappent aux mauvaises influences. Elles peuvent dès lors, s'amender et rentrer dans le droit
chemin»43.
L'idée de relèvement dans ce contexte fait état d'une volonté de corriger voire redresser
les trajectoires de jeunes filles dites errantes en les excluant simplement du corps social le
temps qu'elles puissent « rentrer dans le droit chemin ». Il s'agirait aujourd'hui à l'inverse de
donner un espace aux jeunes en les incluant dans la société via des activités d'insertion
par exemple.
II°) Le terme à la Protection Judiciaire de la Jeunesse
Jean-Jacques YVOREL, historien-chercheur et anciennement chargé d'enseignement à
l’École Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse dira concernant ce terme
« qu'il n'a guère été utilisé dans le monde éducatif où on utilise bien d'autre terme ou locution
comme amendement, rééducation, sortie de la délinquance etc... ».44
Il admet pourtant que ce vocable n'est pas sans lien avec la PJJ puisqu'il souligne que « le
terme relèvement apparaît 4 fois dans l'exposé des motifs de l'ordonnance de 1945 mais aussi
dans la version initiale de l'article 8 de cette même ordonnance». En revanche, il ne l'a à titre
personnel « jamais rencontré dans un rapport éducatif ».
40 Un mouvement antipornographique : la Ligue pour le relèvement de la moralité publique (1983-1946), Jean-Yves Le NAOUR, HES, 2003
41 http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F16444.php42 Congrégation religieuse fondée féminine fondée le 15 octobre 1650 43 Études d'histoire, Quatrième série, Volume 4, p.110, Arthur CHUQUET, Université de Saint-Etienne44 Transcription d'un échange électronique avec M. YVOREL concernant cette notion de relèvement. Mail
reçu le 28 mars 2018
25
Cela correspond effectivement avec l'attitude des professionnels de ma structure qui
s'étonnent de voir ce terme apparaître dans l'ordonnance de 1945.
Ce vocable trouve pourtant son origine dans l'exposé des motifs de la loi du 22 juillet 1912
relative aux tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée45. L'exposé
des motifs présente la liberté surveillée comme une « mesure qui a l'avantage d'intéresser le
jeune délinquant à son propre relèvement et qui paraît constituer un des plus efficaces moyen
d'éducation ». Plus loin, il y est même fait mention « d'un moyen de relèvement spécial » à
travers la liberté surveillée. Enfin, on assimile dans ce même texte un autre terme
synonyme puisque l'on qualifie la mesure de liberté surveillée comme « véritable instrument
de redressement moral ».
Il est fait également mention du terme de relèvement dans l'exposé des motifs de
l'ordonnance du 2 février 194546. Il est intéressant de constater par exemple qu'à la
quatrième occurrence du terme, on associe la réforme sur le casier judiciaire comme
contribuant « aux chances de relèvement ultérieur » du mineur. Dans les faits, l'ordonnance à
permis d'introduire la possibilité de demander « sur requête l'effacement pur et simple de la
mesure prononcée ». L'exposé des motifs de l'ordonnance présente cette faculté comme
augmentant les chances de relèvement ultérieur. Aujourd'hui l'article 8 de l'ordonnance
prévoit de dispenser le mineur coupable « de toute autre mesure s'il apparaît que son
reclassement est acquis, (…) et en prescrivant, le cas échéant, que cette décision ne sera pas
mentionnée au casier judiciaire »47.
On constate finalement que la notion de relèvement -présente pourtant dans la rédaction
initiale de l'article 848- n'y figure plus aujourd'hui et a été remplacée par le terme de
reclassement. On peut y voir à travers ce changement, la volonté du législateur de
prescrire un terme synonyme moins connoté...
Toutefois, le conseil constitutionnel y fait directement référence dans une décision du 3
mars 200749 en consacrant le principe de relèvement éducatif et moral comme Principe
Fondamental Reconnu par les Lois de la République (PFRLR)50. Cela signifie que la
45 http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/exposemotifsloi.pdf46 http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/exposemotifsordonnance.pdf47 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT00000606915848 http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/ordonnance.pdf49 Décision n° 2007-553 DC – 3 mars 2007 – Loi relative à la prévention de la délinquance50 Cf. considérant n°9 de la décision du conseil du 3 mars 2007
26
décision du conseil constitutionnel confère à ce terme une valeur constitutionnel au même
titre pour exemple que le principe d'atténuation de la responsabilité pénale du mineur en
raison de son âge.
On retrouve également plusieurs autres décisions du conseil constitutionnel qui permettent
de définir la portée de cette notion de relèvement. Ainsi, est décidé le 9 décembre 2016
concernant les mineurs que « la possibilité pour le juge des enfants et le tribunal de prononcer
l’exécution provisoire des mesures et sanctions éducatives (…) contribue ainsi à l'objectif de leur
relèvement éducatif et moral »51. Aussi, il a été conclu que la procédure de comparution à
délai rapproché d'un mineur n'est pas contraire à l'objectif de recherche du relèvement
éducatif et moral dans les cas « où des investigations suffisantes sur la personnalité du mineur
ont été effectuées »52. Enfin, la cour de cassation estime qu'un « meilleur encadrement au
sein du milieu scolaire est gage de leur relèvement »53.
III°) la mise en mouvement induite par ce terme : la pédagogie de la réussite
et l'accès à l'autonomie
La note d'orientation du 30 septembre 201454 relative à la continuité des parcours désigne
le milieu ouvert comme le socle de l'intervention éducative. Il est mis en avant la notion de
trajectoire du mineur puisque l'on retrouve le terme « parcours » à soixante-huit reprises
sur les dix-sept pages de la note. La notion d'activité y est très présente notamment dans
la deuxième annexe où la direction de la PJJ considère qu'il s'agit d'un « levier d'action
(...) essentiel pour entrer en relation éducative avec un adolescent ». Cette orientation en
faveur de la mise en mouvement du jeune trouve un écho particulier avec la notion de
relèvement. Les actions mise en place par un éducateur vont, in fine, permettre au jeune
de se socialiser à travers l'apprentissage de règles de vie en société. De plus, l'activité en
question va également avoir pour effet d'être un support à la relation éducative comme le
décrit Joseph ROUZEL qui parle d'activités de médiation éducative55.
51 Décision n°2016-601 - QPC - 9 décembre 2016 relative à l'exécution provisoire des décisions prononcées à l'encontre des mineurs
52 Décision n°2012-272 - QPC - 21 septembre 2012 relative à la procédure de comparution à délai rapproché d'un mineur
53 Chambre criminelle, Cour de cassation, n°13-80.996, 24 avril 201354 http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/JUSF1423190N.pdf55 Le travail d'éducateur spécialisé, 3e édition, Joseph ROUZEL, 2014
27
Revenant sur ma propre pratique professionnelle, je constate que je mets souvent le jeune
en action, même lors d'entretien dit « classique » au service56. Il m'arrive de surprendre
certains adolescents en leur proposant de résoudre des énigmes, de faire une partie de
jeu d'échec ou les amener à répondre à leurs propres questions. Je souhaite par ce biais
les inviter à se mettre en action quitte à se tromper, à perdre une partie, ou à donner une
mauvaise réponse. L'objectif à travers cette mise en mouvement est d'une part de
dédramatiser la peur de l’échec chez le jeune qui verra la prise de risque comme un
moyen d'avancer et d'apprendre de ses fautes plutôt qu'une angoisse de ne pas savoir
quoi faire dans telle ou telle situation. D'autre part, l'on se situe également dans une
pédagogie de la réussite, encore faudrait-il définir ce que l'on entend par réussite.
Selon Meirieu57, la réussite «c'est l'accès à l'autonomie, la capacité à assumer sa vie, à exercer
sa pensée librement et savoir qu'on ne peut pas réussir sans la solidarité et la relation à autrui »58.
Si je n'avais pas précisé vouloir définir la réussite, on aurait pu penser que je tentais de
définir la notion de relèvement. En effet, on retrouve dans cette notion l'aspect de la
relation à autrui présent dans l'intervention de l'éducateur. Mais aussi et surtout l'objectif
d'accès à l'autonomie par la mise en mouvement, la prise de risque, le droit à l'erreur, la
dédramatisation de la peur de l'échec, et surtout l’élévation de son estime de soi.
Dans cette optique, j'ai imaginé un projet d'expérimentation autour du jeu d’échec, que je
considère comme un outil d'entrée en relation, mais également d'évaluation et
d'objectivation de compétences. Ces compétences objectivables participeront à la
valorisation du jeune et ainsi à son élévation au regard de sa propre personne.
Finalement, le lien entre l’éducateur et le jeune peut être compris dans le travail éducatif
comme un moyen permettant à un jeune de se réaliser. De prendre conscience de lui-
même en ce qu’il a de bon pour lui permettre de faire ses propres choix, de se libérer et
prendre conscience qu’il dispose de ressources propres à son relèvement.
56 Entretien d'accueil, de recadrage, de fin de mesure, de préparation d'audience etc...57 Chercheur et écrivain, il est spécialiste en sciences de l'éducation et de la pédagogie58 Comment aider nos enfants à réussir… à l'école, Ed Bayard, Philippe MEIRIEU, 2015
28
Philippe GABERAN dira d’ailleurs que «c’est dans ce difficile travail, qui consiste à aider la
personne à se libérer de ce qu’elle n’est pas pour assumer pleinement ce qu’elle est, que les
équipes éducatives mettent en œuvre ce qu’elles appellent couramment, sans toujours le définir,
l’aide à l’autonomie de la personne. Ainsi faire advenir le « je » du sujet par le passage du vivre à
l’exister est l’enjeu fondamental de la relation éducative»59.
Nous l’avons compris, il s’agira -à travers la relation éducative- de faire émerger le Je du
mineur. L’objet de ce travail de recherche est aussi de démontrer que la création de lien
n’est pas le fruit d’un hasard mais bien d’une démarche personnelle réfléchie. Il sera donc
question dans cette seconde partie d’envisager les différents outils et leviers de prise en
charge contribuant à l’instauration ou au renforcement du lien dans la relation entre ces
deux êtres.
« Ton chemin est un chemin destiné à aider les autres à voir
par eux-mêmes, à les inspirer pour reconstruire »
Fun-Chang
59 La relation éducative, un outil professionnel pour un projet humaniste, p.14, Philippe GABERAN, Ed érès, 19 avril 2003
29
PARTIE 2 : LES OUTILS PERMETTANT DE TISSER DU LIEN
« La science du langage et la posture corporelle élégante sont des aides précieuses pour catalyserharmonieusement la beauté communicationnelle»60
Corinne HOFMANN
Comprendre le pourquoi du lien dans la relation éducative reste insuffisant. Il faut en effet,
pouvoir mettre en évidence les moyens et outils à la disposition de l’éducateur pour
parvenir à cet objectif. Pour cela, il faut tenir compte des difficultés en jeu dans la relation
éducative et comment l’éducateur se doit d’effectuer un retour réflexif sur sa propre
posture éducative. Aussi, il sera question de présenter les bénéfices d’un média éducatif,
objet de l’expérimentation de ce mémoire.
Chapitre 1 : la création de lien dans la difficulté: identification des leviers de prise
en charge
Nous avons, dans la première partie, développé la question de la relation éducative et plus
précisément les enjeux du lien dans l'accompagnement éducatif. Or, il s'avère que dans
chaque suivi en milieu ouvert, l'intervention d'un éducateur s'effectue dans un contexte de
contrainte. Finalement, le magistrat prescripteur d'une mesure judiciaire va initiée une
rencontre entre un professionnel et un jeune et, par le mandat judiciaire, mettre en relation
les deux protagonistes.
On pourrait dès lors penser que le jeune n'ayant pas choisi l'éducateur, ni même le
principe d'une intervention extérieure, va de fait rejeter -la plupart du temps- son
éducateur et dès lors, il sera possible de voir dans la contrainte un obstacle à la relation
éducative.
Nous verrons dans cette partie, qu'il est possible au contraire d'identifier la contrainte
comme un véritable levier de prise en charge lorsqu'elle permet notamment de faire
émerger une demande ou une attente. Nous traiterons ainsi dans un second temps de la
posture éducative en mettant en évidence la dimension contenante d'une posture
adaptée.
60 Écrivaine allemande auteure de plusieurs ouvrages dont «La massaï blanche»
30
Section 1 : la contrainte dans la relation éducative
Une double dimension peut être évoquée s'agissant de la contrainte et la relation
éducative. La contrainte dans ce cas peut effectivement se comprendre comme le fait de
mettre en lien un éducateur et un jeune dans une relation éducative alors qu'aucun des
deux n'ont eu le choix. Dans un second sens, la contrainte dans la relation peut faire
référence aux éléments contraignants d'une prise en charge61.
Il est possible d'illustrer cette double dimension en mettant d'un côté, une contrainte liée à
la personne de l'éducateur que le jeune n'a pas choisi et de l'autre côté, les contraintes
qu'induisent la mise en œuvre d'une mesure éducative dans un service de milieu ouvert.
Il sera ainsi l'objet dans une première section d'étudier les mécanismes permettant de
surmonter l'obstacle d'une relation éducative contrainte avant de s'intéresser dans une
seconde section à l'aspect contenant d'une prise en charge.
I°) Surmonter la contrainte liée à la personne de l'éducateur : les stratégies
d'interventions
L'objectif est ici bien de permettre au jeune de surmonter la contrainte première de la
relation et de présenter les bienfaits que l'accompagnement pourrait avoir pour lui. Pour
cela, Guy HARDY propose de « valoriser une aide émancipatrice »62. Il ne s'agit surtout
pas ici de nier la contrainte mais au contraire de la reconnaître, de la prendre en compte et
de donner au jeune pleinement sa place dans cette nouvelle relation. C'est en cela qu'elle
peut constituer un levier de prise en charge. Pour ce faire, Guy HARDY propose de fonder
la relation contrainte non pas sur la volonté de faire changer l'autre mais de créer une
relation permettant d'ouvrir un espace au changement. Toute la différence réside dans la
posture de l'intervenant et du projet qu'il porte pour le jeune. L'auteur illustre cette idée en
expliquant que « plus notre projet est humaniste, moins il peut se satisfaire d'une relation
autoritaire ou l'autre n'a comme alternative de se soumettre, (…) et plus le piège du
paradoxe est grand »63.
61 Comme par exemple les convocations obligatoires, les phases de recadrage, les postures strictes etc.62 S'il te plaît, ne m'aide pas ! L'aide sous injonction administrative ou judiciaire, Guy HARDY, Ed érès,
2016, p.4263 op. cit. p.43
31
Dans notre pratique, il s'agit finalement de mettre en œuvre une mesure pour l’intéressé et
avec l’intéressé. Pour cela, plusieurs outils peuvent faciliter cette démarche. J'utilise pour
ma part le Document Individuel de Prise en Charge dans chaque mesure afin d'impliquer
le jeune et sa famille. Il est important que l'avis du jeune puisse compter, de sorte qu'il
devienne pour partie, l’artisan de son changement, de son émancipation.
La relation contrainte-acceptée viderai ainsi de son sens le rapport autoritaire dans la
relation entre l'éducateur et le jeune. Cela contribuerait à gommer les obstacles et faire de
cette contrainte un véritable levier de prise en charge puisqu'elle permet au jeune, le
premier concerné, de ne pas être « téléguidé » mais bien le bénéficiaire d'une aide
émancipatrice.
II°) La contrainte dans la relation éducative liée à la prise en charge
Le suivi d'une mesure dans un service de milieu ouvert implique forcément des rencontres
entre le jeune et son éducateur. Celles-ci s'effectuent classiquement dans le cadre de
convocations au service en précisant que le magistrat mentionne fréquemment dans le
mandat judiciaire, le caractère obligatoire de répondre aux convocations du Stemo.
Aussi, la participation à telle ou telle activité organisée par le service participent souvent
du bon déroulement de la mesure.
En résumé, un jeune pour qui un suivi a été prescrit, se doit de répondre aux
convocations, de participer voire de s'impliquer dans les actions organisées par ce dernier,
tout ceci parfois sans que l'on sollicite son avis sur le sens que l'on donne à ces actions.
Comment susciter dès lors l'adhésion du jeune dans les objectifs d'une mesure lorsqu'il ne
peut saisir le sens que l'on donne aux actions mises en place ?
Les nombreuses contraintes résultantes de l’exécution même d'une mesure devraient être
prises en compte dans le sens où notre posture vis-à-vis du jeune doit s'adapter à lui. Il ne
faut en effet pas voir l'établissement du lien comme de la complaisance relationnelle. Au
contraire, un jeune peut avoir besoin de temps à autres d'être « secoué » et le
changement d'attitude de l'intervenant participe, non pas de l'établissement du lien mais
de la fortification de celui-ci.
Une éducatrice du service illustre d'ailleurs de manière très pertinente ces besoins de
recadrage du jeune. Elle met en avant l'ambivalence d'une relation tantôt portée sur la
séduction tantôt sur la manipulation.
32
R.B Dans ce cas alors nouvelle transition est ce
qu'une posture strict d'un éducateur est un frein à
l'établissement d'un lien éducatif ?
V.L Ça dépend de ce qu'on parle comme posture
stricte… C'est quoi une posture stricte d'un
éducateur déjà ? (sourire...)
R.B Un éducateur plutôt centré sur les recadrages,
laissant une marge de manœuvre très faible au
jeune, une attitude aussi… de ce qu'il va montrer,
est ce qu'il va être accueillant. De manière
générale quand il adopte une attitude strict, est ce
que cela va refroidir la relation ou au contraire est
ce que parfois un jeune aurait besoin de ça ?
V.L Oui moi je pense que ça dépend de la
situation… puisque je pense qu'il y a des parents
qui attendent peut être ça tu vois, de se retrouver
face à quelqu'un qui a un peu une attitude de
porte de prison, car justement je pense qu'il y a
des gamins, ou des jeunes ou mêmes des adultes
tu me diras, qui sont manipulateurs, dans la
séduction etc. donc je pense qu'être trop parfois
dans l'émotion ou la compassion tu peux aussi te
faire embarquer et te faire manipuler tu vois. Donc
en gardant bien le cadre et en étant très froid,
« c'est comme ça » ben parfois ça peut
certainement protéger aussi et éviter des
désagréments de certaines personnalités par
exemple les personnalités perverses. Après il faut
aussi avoir la capacité de s'adapter, d'essayer
d'analyser la situation et de voir là où tu peux
lâcher du mou et là ou il faut que tu sois plus froid,
plus ferme et plus directif. Mais c'est ça qui est
compliqué, je pense que dans l'établissement du
lien c'est certainement la chose la plus
compliquée, c'est d’essayer d'analyser la
personnalité de la personne que t'as en face de toi
et en fonction de la personnalité essayer d'adapter
ta posture professionnelle et l'émotion que tu
donnes parce qu'après… au contraire je pense
que se montrer extrêmement froid et très cadrant
et en restant « t'as un contrôle judiciaire avec telle
obligation ! » face à un gamin qui est dans un
énorme désarroi, qui fait preuve de rejet familial et
qui trouve aucune compassion je pense que tu
peux encore plus l'enterrer tu vois.
Donc selon les personnalités… c'est pour ça que
le premier lien à créer c'est aussi d’essayer
d'analyser un petit peu la personnalité que t'as en
face de toi. Et après adapter ta posture et ton
émotion. Car après tu peux en arriver à des
extrêmes inverses, des gens qui te bouffent
complètement la bille parce que t'es trop dans
l'émotion et qu'à un moment donné t'en pètes les
plombs et t'es dans un rejet et tu fais revivre à des
gamins qui sont tout le temps dans la séduction, si
tu te laisses embarquer après tu te fais bouffer
dans la relation et surtout ça lui sert pas, car un
moment donné, l'objectif c'est quand même qu'il
progresse et je veux dire, c'est bien les jeunes qui
essayent de filouter, alors tu le laisse aller une fois
en lui disant « ok ça marche cette fois-ci », mais
faut pas perdre de vue l'objectif que t'as avec lui et
une fois, ça va marcher mais c'est toi qui mènes la
danse et ça marchera pas dix fois. Faut faire un
trajet comme ça.
Au delà de l'adaptation de la posture, cette éducatrice souligne un point essentiel, il s'agit
de l'aspect contenant du cadre et de la posture. Elle indique que dans un premier temps,
la nécessité dans la création de lien, passe par l'analyse de la personnalité de chacun des
33
protagonistes64 puis, dans un second temps, elle met en avant l'adaptation de la posture et
le recentrage dans l’exécution de la mesure. Sur ce point précis, il est possible de voir
dans les différentes contraintes des leviers de prises en charge puisque comme évoqué
dans la première partie, l'adaptation de la posture aux besoins du jeune valide la
démarche d'authenticité du professionnel. On peut dans ce cas parler de posture
véritablement éducative dans le sens ou notre pratique va coller aux besoins identifiés
chez le jeune.
Section 2 : Repenser sa posture éducative : de la conviction naît l'engagement…
I°) L'influence du style dans la relation éducative : venez comme vous êtes ?
Si l'on souhaite définir ce que l'on entend par posture éducative, on pourrait identifier dans
un premier temps la posture comme «une attitude morale de quelqu'un»65 et l'éducation
comme «l'art de former une personne, (…) en développant ses qualités physiques,
intellectuelles et morales, de façon à lui permettre d'affronter sa vie personnelle et sociale
avec une personnalité suffisamment épanouie»66. Il s'agirait donc de voir dans la posture
éducative à la PJJ, une attitude spécifique d'un éducateur visant au développement
personnel et à l'épanouissement d'un jeune dont il a le suivi.
Joseph ROUZEL quant à lui préfère employer le terme de technique et de style et, voit
dans la posture, « une implication subjective dans l'acte du professionnel67 ». Il a d'ailleurs
toujours pensé « que les métiers du social,(...) ne tenaient que sur cette position subjective, sur ce
tour de main, qui implique qu'un professionnel n'est pas remplaçable (…), mais qu'il incarne une
posture marquée d'un style qui lui est propre et qu'il signe d'un tour de main »68
J'ai eu l'occasion de questionner une professionnelle sur l'implication de l'éducateur dans
sa mission, notamment sur la recherche de cohérence dans la posture professionnelle.
J’émettais effectivement comme postulat de base que l'on doit incarner nous-même ce
que l'on demande de faire ou d'être. Sa réponse a nourri ma réflexion, en voici un petit
extrait69 :
64 Surtout durant la phase de rencontre65 Définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales66 id.67 Préface du livre « La posture éducative » de Xavier BOUCHEREAU, Ed érès, 2017, p.1068 Ibid.69 Transcription intégrale de l'entretien en annexe numéro 4
34
R.B Alors excuse moi de te couper mais là ça dépend
aussi de la posture de l'éducateur. Si tu veux que le
jeune sois humble par exemple, est ce qu'il faut aussi
que l'éducateur soit humble ? Ce que je cherchais un
petit peu à démontrer dans ce mémoire c'est que la
posture, la création de lien c'est très important pour
permettre le relèvement éducatif du jeune !
C.B Mais bien sûr ! Mon ressenti professionnel c'est
que tout ne tient pas évidemment qu'à l'éducateur parce
que c'est du 50/50 mais en gros ça part de la posture
professionnelle et là, c'est toujours une question très
charnière dans les mémoires d'interroger les
professionnels, car je suis sûr que si on fait le tour des
éducateurs de comment ils perçoivent l'autre... ils vont
dire « elle, elle est autoritaire, elle lâche rien etc... ».
Même les jeunes, « ah je préfère avoir tel éduc plutôt
qu'elle car celle la, elle va rien lâcher, elle va rien laisser
passer », si les gamins demandent ça, c'est pas pour rien
car ils savent aussi qu'au fond d'eux, ça va être difficile
et qu'aussi ils ont peut être pas envie de remettre des
choses en question.
On a tous le même cadre professionnel c'est sûr, on est
assujetti à ça, mais cela se joue avec la posture
professionnelle. Pour un même jeune, il y a un éduc qui
va réussir à créer du lien, de la relation et puis d'autres
pas du tout. Et puis aussi, en fonction de l'infraction
pour moi. Certains ne sont pas à l'aise avec tous les
types d'infractions : les faits d'agressions sexuelles, les
viols etc. ou bien de dire « ça fait trois ans que je le
suis, ça s'est dégradé, j'ai essayé beaucoup de choses
mais je cois que la dans l'intérêt du gamin il faut qu'il y
ait un passage de relais avec un autre éduc ». Pour ça, il
en existe beaucoup qui ne conçoivent pas de le dire
parce que pour eux c'est comme avouer une marque de
faiblesse, comme pleurer ou avoir des émotions. Mais
moi, je dis au jeune que pleurer, c'est pas une marque de
faiblesse hein. Ça se joue à la posture professionnelle,
du moment que t'es toujours honnête, sincère avec le
jeune… (réfléchis) la moitié du travail qu'on fait, c'est
des bases, c'est des choses que tu leur inculque
personnellement.
Moi, des fois je leur dis, « écoute si déjà, tu fais des
choses pour toi personnellement, forcément tu remplis
tes conditions judiciaires, alors après, si tu préfères le
prendre en partant des contraintes judiciaires c'est sûr
que le gamin est pas 100 % lui même, il vient pour
venir et tout ça, mais à la base les contraintes
judiciaires, elles sont là pour toi donc fais les déjà pour
toi personnellement et vois ce que tu peux en tirer et
forcément tu remplis tes conditions judiciaires. Si la
scolarité c'est une protection pour l'avenir alors
forcément tu remplis ton obligation de formation…
Mais après, c'est là que tu te heurtes à l'âge, à la
maturité, au contexte familial, il y a tellement d'enjeux,
parfois tu te dis « on va mettre le gamin en suspens et
travailler avec la famille » parce que les parents ont
déjà une notion de la justice, de l'infraction du genre
« c'est pas grave, ouais ça va ils ont fait une agression
sexuelle, c'est un jeu qui se fait dans le lycée ». Je leur
dis « mais madame, toucher à l'intégrité physique et à
l'intimité d'une autre personne c'est pas un jeu ! ». Là tu
te dis si déjà la mère pense comme ça… voilà, ya tout
un ensemble de choses, ya pas que le jeune quoi...
Si l'on reprend son discours, elle avance l'idée très intéressante selon laquelle la
contrainte se lève dès lors que le jeune fait les choses pour lui, pour son épanouissement.
Autre point, elle montre bien qu'un éducateur, par sa façon d'être, son style et plus
généralement sa posture peut faire jouer des choses chez le jeune et l'amener à se
remettre en question. Selon elle, il s'agit même d'une explication à la célèbre question :
35
J'peux changer d'éduc ? que l'on rencontre fréquemment dans notre travail.
La posture influence en toute certitude la relation et de fait l'établissement du lien, encore
faut-il pour cela que l'on puisse incarner les valeurs que l'on souhaite transmettre. Je me
souviens encore de mon formateur de première année au Pôle Territorial de Formation qui
nous rappelait que « si on veut parler de bienveillance avec les jeunes, ce serait toujours bien
d'avoir un peu d'échantillon sur soi.. »70
La posture qui se différencie d'une simple technicité, voire de la mécanique pour devenir
une posture humaniste, de conviction va permettre de considérer que l'on se trouve
véritablement dans une éthique de l'accompagnement. C'est d'ailleurs dans cette façon
d'envisager la rencontre que va s'établir le lien de manière plus authentique.
On se doit donc de transmettre ce dont on est convaincu. La posture de chaque
professionnel est différente mais elle peut et devrait s'inspirer de qualités communes
propres à la reconnaissance de l'autre.
« On n'enseigne pas ce que l'on sait ou ce que l'on croit savoir : on n'enseigne et on ne peut enseigner
que ce que l'on est »71
Jean Jaurès
II°) La reconnaissance de l'autre : une éthique de l'accompagnement et un art
de faire
Carl ROGERS a identifié les qualités attendues d'un thérapeute. Il mettra en avant dans
un de ses ouvrages l'idée selon laquelle la reconnaissance d'un individu passe par la
reconnaissance de ses états émotionnels.
Il dira ainsi : qu'« Il est probable que le savoir-faire le plus difficile à acquérir dans la relation
d’aide est l’art de percevoir le sentiment qui a été exprimé et d’y répondre plutôt que d’apporter
son attention au seul contenu intellectuel de ce qui est dit. Dans notre culture, la plupart des
adultes ont été formés à être très attentifs aux idées et pas du tout attentifs aux sentiments.
Seuls les enfants ou les poètes manifestent une compréhension plus profonde, ou les auteurs
70 Propos recueillis à Nancy, le 23 juin 201771 L'esprit du socialisme, Jean Jaurès, 1964
36
dramatiques qui reconnaissent que les attitudes émotionnelles sont contemporaines de tous nos
dires. Reconnaître ces attitudes concomitantes et aider à les faire exprimer est très efficace pour
le développement de l’entretien »72.
Il s'agit d'un véritable savoir-faire que le psychanalyste présente comme une chose difficile
dans la pratique. Cette difficulté est également évoquée par une éducatrice qui confirmera
que «c'est ça qui est compliqué, je pense que dans l'établissement du lien c'est certainement la
chose la plus compliquée, c'est d’essayer d'analyser la personnalité de la personne que t'as en
face de toi et en fonction de la personnalité essayer d'adapter ta posture professionnelle et
l'émotion que tu donnes »73.
Et pourtant, cette reconnaissance est essentielle afin que l'ouverture vers le jeune soit
considérée par lui comme sincère. Paul RICOEUR rappelle qu'« il n'y a qu'un pas souvent
trop vite franchi, entre méconnaissance et mépris »74. Rappelons le contexte d'intervention des
professionnels, l'on se situe bien en présence de jeunes présentant un mal-être et souvent
une estime de soi très basse. Dès lors, il faut être particulièrement vigilent dans la
reconnaissance de ce mal-être, d'autant plus que l'on se trouve dans une relation
asymétrique75, ce qui peut encore accentuer le sentiment d'angoisse.
Je voudrais ainsi partager une lecture ayant particulièrement nourri mon questionnement
quant à la posture éthique que l'on devrait avoir dans l'accompagnement76. Cet ouvrage
appelle notamment à questionner notre pratique77 en prenant en compte le quotidien et en
redoublant de vigilance sur des aspects parfois anodins car « on s'étonne trop souvent de ce
qu'on voit rarement et pas assez de ce qu'on vois tout les jours »78.
Au final, la posture éducative humaniste au même titre que l'utilisation intelligente de la
contrainte constituent véritablement des leviers de prise en charge et, in fine, des moyens
permettant de tisser un lien authentique avec un jeune. D'autres moyens permettent de
72 La relation d'aide et la psychothérapie, Carl Rogers, ed ESF, 200873 Propos recueillis lors d'un entretien le 11 décembre 2017. La transcription intégrale de l'entretien figure
en annexe numéro ?? 74 Paul Ricoeur et la question éducative, Denis Simard et Alain Kerlan, Ed PUL, 2011, p.10875 Tenant d'une part que l'éducateur est considéré comme le sachant vis-à-vis du jeune et d'autres part qu'il
rend compte au magistrat de l'évolution du mineur76 Les tisseurs de quotidien, pour une éthique de l'accompagnement des personnes vulnérables, Arlette
Durual, Patrick Perrard, ed érès, 2016
77 Une fiche de lecture de cet ouvrage figure à l’annexe 3 du présent78 Stéphanie Félicité, comtesse de Genlis et femme de lettres française née en 1746
37
parvenir à cet objectif, notamment lors de la mise en mouvement du jeune par le biais
d'activités de médiation éducative considéré par Joseph ROUZEL comme des supports
voire des catalyseurs de la relation éducative. Il sera ainsi question dans le chapitre
suivant de mettre en avant une activité précise : le jeu d'échec.
Chapitre 2 : Projet d'expérimentation autour du Jeu d'échec : Un véritable média
éducatif
« Chaque Homme pour vivre a besoin d'un projet qui le porte en avant et donne une dimension à son
existence, sinon il en découle une absence de futur, le vide et l'inquiétude »79
Jean-Pierre BOUTINET
Au cours de ma formation, lorsque je questionnai professionnels et formateurs sur la
posture professionnelle à adopter, on me donnait constamment la même réponse : sois
toi-même, viens avec ce que tu sais faire et tu seras un apport pour la profession.
Suivant ces conseils, j'ai décidé d'interroger dans un premier temps les jeunes sur leurs
connaissances du jeu d'échec. J'étais intimement convaincu que beaucoup de ces jeunes
savaient pratiquer ce sport du moins connaître les règles, contrairement à l'opinion
majoritaire dans les différents services et établissements où j'effectuais mes stages. Il
s'avère qu'en effet, beaucoup de jeunes savent jouer au jeu d'échec et pour certains,
disposent d'un niveau élevé au point qu'ils pourraient faire de la compétition.
Je savais aussi, pour avoir pratiqué ce loisir au sein de ma famille -composée de joueurs
professionnels- que ce jeu avait une incidence certaine dans la rencontre entre deux
personnes. Je voulais ainsi utiliser cet outil que je considère comme tel aujourd'hui dans
ma propre pratique éducative. Je montrerai ainsi dans une première section que le jeu
d'échec peut être un véritable outil éducatif créateur de lien, avant de présenter dans une
seconde section les étapes de la construction d'un tournoi d'échec que j'ai décidé
d'organiser au sein du Stemo avec l'appui d'un mineur suivi.
79 Anthropologie du projet, Jean-Pierre BOUTINET, Ed PUF, 2012
38
Section 1 : Le nous à travers le JEu : les échecs, un outil d'entrée en relation et de
valorisation
Lors de ma première année de formation, j'ai pu faire des parties mémorables d'échec
contre des jeunes en Centre Éducatif Fermé, en Unité d'Hébergement Diversifié Renforcé,
ou au sein du Stemo également. Je me suis rendu compte que les jeunes avec qui je
jouais avaient par la suite une excellente relation avec moi.
Je tentais par la suite d'expliquer en quoi cet outil pouvait faciliter la création de lien et
après réflexion, je mettais rapidement en avant la question de la surprise dans la
proposition de faire une partie au service. Certains jeunes étaient étonnés « sérieux ? On
va jouer aux échecs ?? »80 d'autres très motivés à l'idée de pouvoir se confronter à un
éducateur « j'vais t'mettre une de ses raclées tu vas t'en souvenir, mat en trois coups frère ! »81.
J'ai donc décidé, d'utiliser ce jeu lors des premiers entretiens des mesures dont j'avais la
mise en œuvre, en veillant évidemment à avoir l'assentiment du jeune et son intérêt pour
le jeu d'échec.
I°) Et si on jouait ? L'entrée en relation par le jeu
Couramment, lors des premiers entretiens au service, je choisis d'emporter avec moi, mon
jeu d'échec et de le poser à mes côtés sur la table. Pour d'autres, je leur demande, par
curiosité s'ils savent jouer aux échecs et leur propose ensuite une partie s'ils se sentent
d'attaque. L'idée étant de les surprendre et je peux parfois, selon les situations, les
provoquer afin d'obtenir un rictus pour les plus réfractaires…
Je me souviens encore de Halim, un jeune qui lors de l'entretien d'accueil, n'a pas
souhaité communiquer son numéro de téléphone. Il ne voulait répondre à aucune question
et se murait dans un silence mettant sa mère très mal à l'aise. Je rassurais sa mère en
indiquant qu'il n'était pas obligé de répondre à mes questions et j'optais pour une autre
stratégie lors du second entretien. En effet, je laissais l’échiquier à mes côtés et tentais
d'échanger avec lui, une nouvelle fois sans succès sauf que le jeune semblait intrigué par
l’échiquier et finira par me demander «bon on fait une partie?». Il était surpris que j'accède à
sa requête et ce fut la première fois que je vis son sourire. Depuis, nous commencions
chaque entretien par une partie, la suite se déroulant le plus normalement du monde.
80 Je pense à Halim lors d'un deuxième entretien au service qui était admirablement surpris, lui qui pensait que notre entretien allait consister à une série de questions/réponses
81 Brahim malgré un vocabulaire particulier était très respectueux et enchanté de pouvoir se mesure à moi durant son placement à l'unité d'hébergement diversifié renforcé
39
Il faut savoir que lors d'une partie d'échec, l'on communique beaucoup à travers le jeu des
pièces. La concentration faisant que les deux joueurs peuvent se faire passer des
messages en bougeant certaines pièces. On se retrouve rapidement à se lancer dans une
conversation sans parler, pour finalement revenir à la fin de la partie sur une discussion
normale étant donné que nous avions déjà fait connaissance autour du plateau.
En proposant ce jeu, je sais que je peux surprendre certains mineurs qui ont dû imaginer
autres chose en venant dans un service du ministère de la justice pour la première fois.
L'idée première derrière la proposition est effectivement de bousculer les représentations
du jeune qu'il se fait de la mesure ou de l'éducateur qui va devenir référent.
Au-delà de la surprise, l'humour participe également à la dé-crispation du premier
entretien pour les plus nerveux. On en revient finalement à la question de la posture
adaptée développée précédemment. Joseph ROUZEL résume parfaitement les bienfaits
d'une telle activité en indiquant que « les conduites de projet dans le champ éducatif n'ont
d'intérêt que parce qu'ils permettent de mobiliser des représentations, des affects, des désirs, de
l'imagination, de la création. Le projet offre un contenant et un terrain d'aventure. Il n'est pas
d'action éducative qui ne participe peu ou prou d'une telle dimension »82.
Le jeu d'échec offre tout à fait -à mon sens- un espace à la créativité du jeune. Dans cet
espace qui est investi autant par le jeune que par l'éducateur, ce jeu va permettre
l'émergence du Je chez le jeune. D'autant plus que cet outil est un moyen de gonfler
l'estime de soi du mineur.
II°) Un outil de valorisation que s'approprie la DPJJ
Je pouvais en effet observer la fierté avec laquelle les jeunes sortaient gagnants d'une
partie83. Pour ceux dont je n'avais pas le suivi, à la fin de leur partie, ils s'en allaient
immédiatement prévenir leur éducateur en charge de la mesure en faisant état de leur
performance. Combien de sourires n'ai-je pas constater en regardant ces mineurs
rejoindre leur famille en salle d'attente. C'est ce que permet cet outil éducatif, à n'utiliser
qu'à bon escient faut-il le rappeler.
Les différents ministères se sont saisis de cet outil et ont décidé de mettre en avant cette
discipline porteuse de valeurs. Ainsi, Jean Michel Blanquer, actuel Ministre de l’Éducation
82 Le travail d'éducateur spécialisé, Joseph ROUZEL, ed Dunod, 201483 Ou perdant mais avec la sensation d'avoir lutté et surpris les éducateurs présents autour
40
Nationale s'est rendu le 21 avril 2018 aux championnats de France d'échecs des jeunes
organisé à Agen afin de promouvoir cette discipline et remercier ses participants. Il dira
notamment qu'« En tant que Ministre de l’Éducation, de la jeunesse et de la vie associative,
j’encourage le jeu d’échecs partout, y compris à l’école, car nous connaissons tous ses vertus, ce
sont les vertus que vous allez expérimenter lors de ces championnats : le sens de la stratégie, de
la concentration, le respect de l’adversaire, à la fois des compétences intellectuelles et des
valeurs »84.
La Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (DPJJ) s'est également saisie de
cet outil éducatif en organisant deux interventions les 9 et 11 octobre 2017 lors de la
semaine de la qualité de vie au travail en mettant en place à l’administration centrale deux
« ateliers échecs »85. Plusieurs réunions, les 5 décembre 2017 et 9 janvier 2018 ont
permis d'aboutir à la signature d'une convention avec la Fédération Française des Échecs
le 14 avril 2018 à l'occasion de la manifestation nationale « Les parcours du Goûts »
organisée par la Protection Judiciaire de la Jeunesse86. Cette convention prévoit
notamment la formation de professionnels PJJ aux méthodes et outils éducatifs de la
fédération des échecs mais aussi la mise en place d'ateliers lors des manifestations
nationales.
Effectivement, j'observe lors de toutes les parties que j'ai pu faire avec les mineurs, que
ceux-ci ont des capacités de concentration très élevées. Ce jeu permet de se confronter à
un adversaire dans le respect de celui-ci, de développer des stratégies et faire preuve
d'anticipation sur les coups joués. L'idée pour moi étant de pouvoir transposer ces
compétences dont le jeune a fait état, dans sa vie de tous les jours. Un jeune disposant de
ces qualités à son âge, dispose de ressources suffisantes à son épanouissement future
encore faut-il faire en sorte qu'il puisse s'en saisir. La création de lien à l'occasion d'une
posture éducative spécifique permettra au jeune de mettre en valeur ses compétences
propres nécessaires à son propre relèvement. C'est l'objectif final de la relation éducative
selon la définition qu'en fait Philipe GABERAN quand il évoque le passage du vivre à
l'exister. Je décidais donc de faire confiance à un jeune en particulier qui allait m'aider à
l'organisation d'un tournoi d’échec au sein du service.
84 Vidéo extraite du site Youtube, intitulé « Le message du Ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer auchampionnat de France d'échecs, publiée le 21 avril 2018 sur la page de la fédération française des échecs
85 http://www.echecs.asso.fr/Actu.aspx?Ref=10564 (Consulté le 12 novembre 2017)86 http://echecs.asso.fr/Actu.aspx?Ref=10975 (Consulté le 16 avril 2018)
41
Section 2 : la co-organisation d'un tournoi d'échec : le faire-avec par excellence.
I°) De l'hypothèse de départ à la naissance du tournoi d'échec
Dans ma démarche de recherche, je tentai de comprendre en quoi la posture de
l'éducateur, finalement sa façon d'être, de faire et de concevoir son métier, déterminait la
qualité du lien ? Aussi et de manière plus globale en quoi la création de lien participe t-elle
au relèvement éducatif chez le jeune ? Je voyais qu'à travers le jeu d'échec, il était
possible d'apporter des éléments de réponses aux deux questions.. Dès lors, je pris la
décision d'utiliser cet outil dans mon travail et d'en faire l'objet de l'expérimentation de mon
mémoire.
Je partais de l'hypothèse selon laquelle, adopter une posture rassurante vis-à-vis du jeune
et de ses inquiétudes, permettait de lui faire comprendre notre préoccupation pour sa
personne. Dès lors, que le jeune puisse comprendre notre désir non pas qu'il change,
mais que ce dernier soit convaincu qu'il s'agisse de la bonne marche à entreprendre. Qu'il
se rende compte finalement de ses qualités et ressources et ainsi abattre les barrières
mentales, combler le gouffre de l'incertitude mettant le jeune dans une position où il ne
s'estime pas capable de réaliser quelque chose.
Je voyais dans le jeu d'échec, un moyen de surprendre le mineur lors des premiers
entretiens et finalement lui montrer qu'il est capable de choses dont il n'a même pas
conscience. Il s'agit bien au travers de ce jeu, d'objectiver et valoriser ses compétences
afin qu'il prenne confiance en lui. Mon hypothèse d'action était donc d'organiser un tournoi
d'échec mettant en lien des jeunes suivis dans le cadre d'une mesure de milieu ouvert et
des joueurs d'échecs confirmés jouant en club ou amateurs sélectionnés pour leur niveau.
Pour ce faire, j'ai décidé d'associer un mineur du Stemo suivi dans le cadre du milieu
ouvert renforcé. Anouar avait pour particularité d'être éloigné du territoire alsacien lors d'un
placement en CEF87, en cause la réitération des faits chez un jeune disposant d'une aura
dans son quartier, auprès de ses pairs. La mauvaise influence qu'il pouvait avoir sur
d'autres plus jeunes avait dirigé son éducateur référent vers la voie d'un éloignement du
territoire. La période de placement arrivant sur la fin, un placement en milieu ouvert
87 Centre éducatif fermé
42
renforcé était proposé à la magistrate en charge du dossier. Ce jeune 88 était selon son
éducateur « à la croisée des chemins »89 à charge pour lui de mettre un terme à la spirale
d'actes délictuels à l'approche de sa majorité. Dans le cadre du milieu ouvert renforcé,
Anouar se devait de montrer qu'il était capable de se ressaisir d'autant que son souhait a
toujours été de travailler dans l'animation.
Il a donc été convenu avec lui qu'il allait participer au montage du «projet échec»90. Nous
nous rencontrions à ce titre à plusieurs reprises afin de définir plus précisément son rôle
dans l'organisation et les indicateurs d'évaluation de son implication91. Anouar devait
surtout faire preuve d'assiduité et être force de proposition. De mon côté, je présentais
officiellement Anouar comme adjoint à l'organisation lors des rencontres avec les différents
partenaires au projet.
Concrètement, nous avons pu constituer un partenariat avec un club d'échec dirigé par un
directeur d'une école élémentaire. Le tournoi permettrait à 6 équipes de 4 joueurs chacune
de s'affronter entre elles le temps d'une après-midi avant la cérémonie officielle de remise
des prix. Les parties étant chronométrés à l’aide de pendules officielles de compétition, il a
fallu prendre en compte cet aspect dans la mise en place des entraînements. D’autant que
le jeu avec la pendule ajoute un facteur de stress supplémentaire pouvant déstabiliser les
joueurs n’ayant pas l’habitude.
Plusieurs phases ont ainsi rendu possible l'organisation de cet événement et ont rendu
nécessaires de multiples rencontres avec les différents partenaires au projet. Dans un
souci de clarté, j'ai fait le choix de présenter les quelques éléments organisationnels sous
la forme d'un tableau mentionnant les différentes phases de réalisation ainsi qu’une
colonne mentionnant la participation du mineur impliqué dans le portage du projet.
88 Que j'ai pu rencontrer au CEF pendant son placement89 Propos tenus lors de l'audience en vue de la fin de placement le 29 novembre 201790 Il s'agit du qualificatif qu'Anouar utilisait pour désigner le tournoi. Il arrivait à Anouar de plaisanter sur ce
point en désignant le projet échec comme son projet de réussite. Trouvant le jeu de mot intéressant, j'ai décidé de maintenir cet intitulé lors de la présentation aux partenaires
91 La fiche projet du portage figure en annexe 5 du présent
43
Phases d'organisation Réalisation Rétroplanning Participation du jeunedans le portage
1ère Phase
Constitution d'unpartenariat
- Partenariat constituéavec le club des« cheikhs deBrossolette »
- Fixation d'une dateofficielle du tournoi :19 mai 2018
- Premières rencontresle 11 décembre 2017
- Validation dupartenariat le 14 février2018
- Absent pour caused'opération au genou etphase de rééducation
-Anouar a veillé tout demême à se tenir aucourant de l'avancéedes discussions
2ème Phase
Constitution deséquipes
6 équipes de 4 joueursdont :
- 3 équipes du clubd'échec
- Une équipe d'uneassociation deprévention locale
- 2 équipes du Stemo(comprenant uneéquipe de jeune et uneéquipe d'éducateur)
Sélection de novembre2017 à avril 2018 :
-Clôture et validationdes équipes le 2 mai2018
- Anouar a facilité lesdémarches de prises decontact avecl'association deprévention locale
- Il a donné son avis surles joueurs potentielsde l'équipe
- Il a permis lerecrutement d'un joueurcomplétant l'équipejeune du Stemo
- Il a accepté d'endosserle rôle de capitaine del'équipe de jeune duStemo
3ème Phase
Organisation desentraînements
- Deux entraînementsréalisés au sein del'association deprévention locale
- Un entraînement ausein du club d'échec surinvitation le 4 avril2018
- Un entraînement auStemo le 4 mai 2018
-Entraînementsorganisés les 24 avril et9 mai
- 4 avril 2018 enprésence des troismeilleurs jeunes duclub
- 4 mai 2018 enprésence de l'équipecomplète des jeunes duStemo
- Présent le 9 mai
- Présent et dynamique.A surpris l’entraîneurdu club par son niveau
- Anouar a assumé sonrôle de capitaine enmotivant son équipe
4ème Phase
Organisation matérielle
- Prêt du matériel par leclub d'échec
Local : Stemo deMulhouse
- Officialisation prêt dematériel le 14 février2018
- 20 mars 2018
- Présentation del'organisation dutournoi à l'associationde prévention locale le10 avril 2018
44
On remarque à la lecture du tableau que le jeune a pu prendre son rôle à cœur et se
mobiliser concrètement pour faire avancer le projet. Les différents indicateurs présents
dans la fiche projet permettent d’évaluer son implication dans le projet mais permettent
surtout de montrer que ce jeune a pu se mobiliser sérieusement pour lui-même. Il se
montrait d’ailleurs très fier lorsque le projet commençait à prendre de l’importance, lui qui
était associé dès le début alors que ce ne fut encore qu’une simple idée.
II°) La naissance d'un engouement : le jeu d'échec perçu comme moyen de
relever la tête
Au fil du temps et l'organisation du tournoi prenant forme, j'étais identifié auprès des
différents partenaires comme l'interlocuteur en matière d'organisation et de portage du
projet. Je devais donc gérer les différentes sollicitations de chacun et prendre la peine de
ne pas froisser l'interlocuteur lorsque la demande me paraissait irréalisable. Pour
exemple, un éducateur spécialisé, membre de l'association de prévention locale, me
demandait à deux semaines du tournoi s'il était possible pour lui, d'amener non pas une
équipe comme il était prévu initialement, mais trois autres équipes.
La prise en compte de sa demande impliquait le changement de local et avait une
incidence également sur le prêt de matériel. Je dus me rendre à l'évidence et informer
mon correspondant que le succès rencontré en terme de participants ne devait pas nous
entraîner à ne rechercher que le quantitatif. Nous avons donc convenu de rééditer cette
expérience chaque année, en prenant le soin d'effectuer tout d'abord un retour
d'expérience à l'issue du tournoi. Je pris toutefois -en partie- la demande en compte et
proposait à quelques éducateurs de l'association d'intégrer l'équipe d'éducateur du Stemo.
Je fus toutefois surpris du nombre de participants du côté des jeunes et la motivation avec
laquelle ils se présentaient aux entraînements. Je prenais le soin d'échanger avec Anouar
qui émettais l'hypothèse que le jeu d'échec était « vu par les autres comme un sport d'intello,
et que les jeunes du Stemo étaient donc heureux de pouvoir être dans l'équipe »92. Je
prolongeais sa réflexion et allait dans son sens quand j'émis l'avis d'une possibilité par ce
jeu d’échec de s'extraire de l'image qu'un jeune de quartier renvoie habituellement de lui.
Ce jeu n'offre t-il pas aux mineurs l'occasion de montrer qu'eux aussi sont capables
92 Propos recueillis le 5 avril 2018 lors d’une préparation au tournoi d’échec
45
d'utiliser leur cerveau, qui plus est de manière performante ?
Ce fût d'ailleurs exactement la sensation qu'ils renvoyaient auprès de l’entraîneur et des
joueurs du club d'échec qui s'étonnaient du niveau d'Anouar et Boris93.
On peut en effet voir dans le jeu d’échec, un outil propre à l’objectivation de compétences
valorisante pour chaque jeune. Le respect réciproque a été déterminant pour Boris qui se
montrait sous son meilleur jour devant l’entraîneur. Il était considéré à ce moment comme
une personne qui mérite ce respect par ce qu’il est. Sa personnalité était apprécié, ses
qualités étaient reconnus et l’on pouvait voir sa satisfaction à la sortie du premier
entraînement lorsqu’il m’intimait presque la charge d’organiser une seconde session le
plus rapidement possible.
III°) Évaluation de l’implication du jeune Anouar dans le projet de tournoi
Le tournoi intitulé « projet échec : le Nous à travers le JEu » se déroulera le 19 mai 2018
au sein du Service éducatif dans lequel j’effectue mon lieu de stage long. Il m’est donc
impossible d’évaluer les résultats de l’équipe de jeunes encadré par Anouar qui en plus
d’être co-organisateur de ce projet, aura la lourde tâche d’être capitaine de son équipe.
Il est tout de même possible d’évaluer son implication tout au long du projet. Pour cela, il
est nécessaire de retranscrire ici une partie de la fiche projet mentionnant les objectifs et
les indicateurs d’évaluations94.
Fiche Projet :
Co-construction d'un projet de tournoi d'échec
CONSTAT DE DÉPART
Jeune pris en charge dans le cadre du dispositif milieu ouvert renforcé. Il s'agit de mettre
en œuvre un ensemble d'actions éducatives contenantes pour un jeune multi-réitérant
après une période d'incarcération et de placement en Centre Éducatif Fermé.
Le jeune est actuellement de retour sur le territoire mulhousien et en attente de jugement
pour plusieurs affaires. A l'approche de sa majorité, il doit intégrer une trajectoire
d'inclusion dans laquelle la question de l'insertion est essentielle. De plus, son profil de
93 Un autre joueur faisant partie de l'équipe de jeunes du Stemo. Dans un souci de confidentialité, les prénoms ont été modifiés
94 La fiche projet dans sa version intégrale figure en annexe 5 du présent
46
leader souvent négatif, sa capacité à fédérer d'autres jeunes autour de lui sont des
atouts pris en compte pour lui permettre de valoriser son image et de produire une action
aux bénéfices d'autres jeunes.
Enfin, le support éducatif, à savoir les échecs, constitue un outil au travers duquel les
jeunes peuvent développer des capacités d'analyses, de réflexions, de concentration, de
stratégie pour faire les bons choix et tenter de remporter les parties.
OBJECTIFS
• Mettre en place un tournoi d'échec aux bénéfices des jeunes pris en charge au
STEMO
• Permettre au jeune impliqué dans l'organisation de découvrir les modalités
d'élaboration d'un projet
• Donner au jeune la possibilité de montrer une image valorisante de lui-même et lui
permettre de travailler en réseau pour le projet
• Créer les conditions nécessaires à l'arrêt de la trajectoire de déviance
• Donner au jeune un certain nombre de compétences utiles dans son parcours
d'insertion
DESCRIPTION DE L'ACTION
Tournoi d'échec composé de 6 équipes de 4 joueurs chacune
INDICATEURS D'ÉVALUATION
• Nombre de contacts
• Durée d'organisation (jours consacrés)
• Assiduité
• Réflexion – Capacité de proposition
• Nombre de participants
• Résultats
Au regard des objectifs, on peut se réjouir de l’implication d’Anouar dans son projet. Il a
clairement pu montrer une image valorisante de sa personne au point d’être encouragé
par les différents professionnels et partenaires du tournoi. Il s’est rendu compte de la
complexité de l’organisation d’un tel événement notamment au regard du nombre de
rendez-vous nécessaire à l’avancement de chaque phase. Il dira qu’il a été encore plus
difficile de « jongler entre les différentes demandes des uns et des autres » et ne pensait
pas que cela « allait être aussi difficile à organiser alors que c’est qu’un simple tournoi
47
d’échec au départ ». Lui aussi a été surpris par l’engouement en terme de participant. Il a
toutefois pu rester sérieux dans sa posture et répondre aux sollicitations diverses de ma
part mais aussi de l’association de prévention, participante au projet.
Pour ma part, j’accordais une importance particulière à mettre en place des conditions
nécessaires à l’arrêt de la trajectoire de déviance. Je voulais lui donner -à travers cette
collaboration- une source de motivation autre que le maintien des fréquentations
habituelles. Il a ainsi pu porter un projet, être acteur de sa construction et identifié comme
tel par les partenaires. Ce jeune a toujours eu pour ambition de pouvoir travailler un jour
dans le secteur de l’animation. La participation à ce projet a permis à Anouar de confirmer
son projet professionnel mais en même temps de prendre conscience de la complexité et
la rigueur nécessaire à l’aboutissement de son objectif. Même si l’on ne peut certifier
aujourd’hui que Anouar a mis un terme à son parcours de déviance, il est en tout cas
certain, qu’il a pu prendre conscience de ses qualités. Ces compétences révélés à travers
le portage du projet vont nécessairement lui être utile dans son parcours d’insertion. En
cela, j’estime que le fait d’avoir associer un jeune et en particulier Anouar dans ce projet a
été une belle réussite.
J’en tire moi-même des enseignements en terme d’organisation. Je retiens surtout, que le
rapport de confiance avec un jeune est un élément fondamental dans son processus de
relèvement. La manifestation d’une préoccupation pour lui a été l’élément déclencheur de
son adhésion au projet. Par la suite, le fait de confier de réel tâche de représentation
auprès des partenaires, et la prise en compte de ses propositions en terme d’organisation
a permis à Anouar de se révéler. Nous avons passé de bons moments, un lien évident a
été construit avec ce jeune et il est maintenant possible d’anticiper l’avenir en axant la
suite du travail en direction de son insertion.
Anouar dispose de qualités indéniables, il a fait preuve de loyauté et de respect de son
engagement. Il voulait m’assurer à travers notre collaboration que je pouvais compter sur
lui malgré tout le passif qu’il avait montré à son éducateur.
Cette expérimentation m’encourage sur cette voie d’impliquer les jeunes autant que faire
se peut afin qu’ils deviennent acteurs de leur relèvement. Le lien construit n’est finalement
qu’un moyen, pour parvenir à cet objectif d’épanouissement de cet être, qui lui-même
deviendra plus tard un passeur. Nous ne sommes au final, que des passeurs et des facilitateurs...
48
Je voudrais ainsi conclure ce travail de recherche en citant les propos d’Anouar qui
résonnent en moi aujourd’hui comme une lueur d’espoir pour son parcours futur.
« Je suis certain que tu pensais que j’allais pas venir ce soir à la réunion. Redouane, quand je t’aiJe suis certain que tu pensais que j’allais pas venir ce soir à la réunion. Redouane, quand je t’ai
dis que je m’engage dans ce projet, je le faisdis que je m’engage dans ce projet, je le fais ! Et j’serai là aux prochains entraînements t’inquiète.! Et j’serai là aux prochains entraînements t’inquiète.
C’est un bon projet, on va le faire bien, t’inquièteC’est un bon projet, on va le faire bien, t’inquiète » 95
Non je ne m’inquiète pas Anouar...
« Peu de choses aident un individu davantage que de
lui donner des responsabilités et de lui faire confiance »96
B.T. Washington
95 Propos recueillis le 5 avril 2018 à 18h1596 Booker T. Washington (1856-1915), est un orateur américain et auteur célèbre
49
Conclusion
La thématique du lien dans la relation éducative se veut transversale dans le sens ou les
éducateurs, qu’ils agissent dans le cadre du milieu ouvert ou de l’hébergement, se
retrouvent confrontés à la rencontre humaine avec le jeune.
Après avoir présenté les enjeux dans l’établissement du lien au regard de la présence et
de l’engagement émotionnel auquel l’éducateur doit faire face, il a été question dans ce
travail de recherche de mettre en avant un vocable utilisé dans les textes fondamentaux
gouvernant la justice des mineurs mais tombé en désuétude dans la pratique quotidienne.
Rappelons que l’idée de relèvement éducatif reflète aujourd’hui une autre réalité, qu’il se
distingue de l’aspect répressif qu’on lui attribut, ou encore de l’appel au redressement
moral comme il aurait pu être compris en des temps plus lointains.
Aujourd’hui, le relèvement éducatif prend en compte l’intervention de l’éducateur comme
une aide apportée à un jeune pour lui permettre de sortir de sa trajectoire de déviance. Il
s’agit d’appuyer l’idée selon laquelle chaque jeune est accessible à la sortie de la
délinquance par la mise en mouvement de sa propre personne.
La note d’orientation du 30 septembre 2014 relative à la continuité des parcours fait le pari
de l’éducabilité de tous, comme principe fondateur de la justice pénale des mineurs. La
notion de relèvement semble s’associer parfaitement à ce concept.
Dans cette étude, le choix a été fait de mettre en lumière une posture éducative humaniste
et bienveillante en prenant en compte le jeune qu’on place au centre de cette démarche,
on parle du mécanisme de la relation d’aide. Il est toutefois nécessaire de préciser qu’il
existe autant de posture qu’il y a d’éducateurs pour les incarner.
En effet, il serait plus juste de parler d’éthique dans la relation éducative. La prise en
compte des états émotionnels du jeune, de ses besoins primaires et secondaires, la
communication non violente, et les entretiens d’explicitations sont autant d’éléments et
techniques incarnant cette vision éthique de l’accompagnement éducatif.
50
En illustrant l’intervention de l’éducateur PJJ, on pourrait penser qu’il doit fournir les clés
de son avenir à un jeune, à charge pour ce dernier d’aller ouvrir les portes. Raymonde
BUJOLD97 abonde dans ce sens en expliquant qu’il est nécessaire de devenir un
« éducateur de l’intentionnalité 98» qu’elle distingue du simple conseiller. Elle explique ainsi
que « l’approche éducative (…) place nécessairement le sujet au centre de son expérience, (…)
au centre de son développement. (…). C’est une approche dans laquelle on va demander à
l’individu d’approfondir des motivations personnelles, et ce que j’appelle de façon plus générale,
(…) son intentionnalité »99. On peut y voir un rapprochement évident avec l’approche
centrée sur la personne développée par Carl Rogers.
En reprenant la métaphore des clés de l’avenir du jeune, on pourrait dire que la création
de lien vise à permettre au jeune d’accepter plus facilement de prendre les clés.
L’éducateur va adopter une posture encourageant le jeune à se mettre en mouvement
pour son propre profit.
Voulant apporter un élément de réponse à la problématique, je dirai que le relèvement
éducatif que l’on recherche dans l’accompagnement est favorisé par une posture
spécifique du professionnel. Il va, dans une démarche d’authenticité, s’engager dans la
rencontre et dans la relation, pour au final faire émerger plus efficacement les ressources
internes de l’individu. La création de lien est ainsi un élément crucial du travail éducatif
dans le sens ou ce lien ne se décrète pas, mais se construit et surtout se pense et
s’acquiert.
L’authenticité de la relation se révèle plus facilement lorsqu’est recherché
l’épanouissement du mineur et l’aide à son autonomisation. L’accompagnement éducatif
dans le cadre d’un mandat judiciaire est en effet limité dans le temps et dans notre
capacité à créer les conditions d’un changement chez le jeune.
Pour cela, il faut véritablement être convaincu de cette démarche intégrative de ce jeune
qui représente l’avenir. De cette conviction est née mon engagement. L’avenir me dira si,
entre toutes ces notions, j’ai pu réussir à faire le lien...
97 Auteure ayant théorisé une démarche d’orientation basée sur l’activation du développement vocationnel et personnel
98 Compte rendu de conférence intitulé « le conseiller en orientation : un éducateur de l’intentionnalité » paru dans l’INDECIS N°5, février 1990
99 Ibid. p.2
51
Bibliographie
✗ Ouvrages :
- BOUCHEREAU Xavier, La posture éducative, ed érès, Janvier 2017
- BOUTINET Jean-Pierre, Anthropologie du projet, ed PUF, 2012
- DURUAL Arlette ; PERRARD Patrick, Les tisseurs de quotidien : pour une éthique del'accompagnement des personnes vulnérables, ed érès, Février 2016
- GABERAN Philippe, La relation éducative, un outil professionnel pour un projethumaniste, ed érès, Avril 2007
- GABERAN Philippe, Comment aider nos enfants à réussir à l’école, dans leur vie,pour le monde, ed Bayard, Septembre 2015
- HARDY Guy, S’il te plaît, ne m’aide pas ! L’aide sous injonction administrative oujudiciaire, ed érès, Août 2016
- LE NAOUR Jean-Yves, Un mouvement antipornographique : la Ligue pour lerelèvement de la moralité publique (1883-1946), ed Histoire, économie et société, 2003,
- ROGERS Carl, Le développement de la personne, ed Bordas, Paris, Dunod, 1968
- ROGERS Carl, L’approche centrée sur la personne, traduit par Henri-Georges Richon,ed Ambre, septembre 2013
- ROGERS Carl, La relation d'aide et la psychothérapie, ed ESF, 2008
- ROUZEL Joseph, Le travail d'éducateur spécialisé, 3e édition, Dunod, 2014
- VERMERSCH Pierre, L’entretien d’explicitation, 3e ed ESF, 2010
✗ Articles, Revues :
- AGORA Débat/Jeunesses n°77, Dossier Expériences juvéniles de la pénalité, Injep, Octobre 2017
- BERTUCCI Marie-Madeleine, La notion de sujet, ed Armand Colin, 2007
- BUJOLD Raymonde, Le conseiller en orientation : un éducateur de l’intentionnalité, INDECIS N°5, février 1990
- LUCAS David, Carl Gustav JUNG et la révolution Copernicienne de la pédagogie, 2006
52
- KERLAN Alain ; SIMARD Denis., Paul RICOEUR et la question éducative, ed PUL, octobre 2011
- TREMINTIN Jacques, critique du livre intitulé, La relation à l’autre. L’implication distanciée, Le lien social n°672, Juillet 2003
-TREMINTIN Jacques, La confiance dans la relation d’aide, Le lien social n°977, Juin 2010
- WIART Elodie, Éducation non violente: témoignage, Octobre 2003, <https://educationrelationnelle.wordpress.com/2013/10/23/education-non-violente-temoignage/>
- YOUF Dominique, L'éthique et la déontologie des professionnels de la PJJ, D.YOUF,Les Cahiers Dynamiques n°49, ed érès, 2010
✗ Ressources législatives, judiciaires et réglementaires :
- Ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, Journal Officiel du 4 février 1945
- Loi du 22 juillet 1912, relative aux tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée
- Conseil Constitutionnel, décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002 relative à la loid’orientation et de programmation pour la justice
- Conseil Constitutionnel, décision n°2016-60 QPC du 9 décembre 2016 relative àl'exécution provisoire des décisions prononcées à l'encontre des mineurs
- Conseil constitutionnel, décision n°2012-272 QPC du 21 septembre 2012 relative à laprocédure de comparution à délai rapproché d'un mineur
- Ministère de la Justice, Note d'orientation du 30 septembre 2014 relative lacontinuité des parcours, Bulletin officiel du ministère de la Justice, n°2014-10 du 31octobre 2014
- Ministère de la Justice, Note du 22 octobre 2015 relative à l'action éducative enmilieu ouvert, Bulletin officiel du Ministère de la Justice, n°2015-11 du 30 novembre 2015
- Cour de Cassation, Chambre criminelle, n°13-80.996, 24 avril 2013
✗ Littérature grise
- YEKHLEF Sarah, On part CAMP ? l’utilité des séjours pour la création ou ledéveloppement de la relation éducative, Mémoire de titularisation aux fonctionsd’éducateur PJJ, Promotion 2009-2011
53
• CEF : Centre Éducatif Fermé
• DPJJ : Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
• PJJ : Protection Judiciaire de la Jeunesse
• STEMO : Service Territorial Éducatif de Milieu Ouvert
• UEAJ : Unité Éducative d’Activités de Jour
• UEHC : Unité Éducative hébergement Collectif
• UEHDR : Unité Éducative d’Hébergement Diversifié Renforcé
• UEMO : Unité Éducative de Milieu Ouvert
54
TABLES DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS
ANNEXE 1 : Encart méthodologique……………………………………………56
ANNEXE 2 : Rapport d’Analyse de Pratiques Éducatives……………………66
ANNEXE 3 : Étude Approfondie à partir de Notions d’un Ouvrage…….…....80
ANNEXE 4 : Transcription des entretiens de recueil de données……………88
ANNEXE 5 : Fiche projet Expérimentation……………………………………105
ANNEXE 6 : Règlement du tournoi d’échec – Feuille de match……………107
55
TABLE DES ANNEXES
Annexe 1 : Encart Méthodologique
DE LA QUESTION DE DÉPART A LA PROBLÉMATIQUE
Plusieurs questionnements avaient déjà émergé lors de ma première année sur le thème
de la relation éducative et la création de lien. Il s'agissait désormais pour moi de faire le
lien entre les observations que j'avais pu faire sur le terrain et la thématique. Je
développerai ici trois situations me permettant de délimiter le sujet et d'amener des
éléments pour la construction de ma problématique.
Première situation : J'peux changer d'éduc ? (Mercredi 20 septembre 2017)
Cette situation vécue à l'occasion d'un stage de sensibilisation aux dangers des produits
stupéfiants a servi de base à mes premiers questionnements sur notre mission en tant
qu'éducateur.
Je me trouvais à la Maison de la Justice et du Droit de Mulhouse pendant ce stage de
sensibilisation. Au cours d'une pause, je me laissais aller à la rencontre des jeunes de
manière informelle. C'est alors qu'un jeune m’interpellât très sérieusement sur la
possibilité de changer d'éducateur pour son suivi. S'ensuivait alors une discussion dans
laquelle j'essayais de comprendre les raisons qui le poussait à formuler une telle
demande.
Je compris finalement que sa nouvelle éducatrice exigeait beaucoup (trop?) de lui et
qu'ainsi il préférait son ancien éducateur qui était « plus tranquille » surtout au niveau de
la fréquence des convocations au service.
Ce n'était d'ailleurs pas la première fois qu'on me posait la question sur cette possibilité100
et je m'interrogeais de savoir à quel point la posture du professionnel avait un impact sur
la relation éducative. Les relations inter-personnelles sont, en effet très prégnantes dans
ce métier.
100 En efet, un autre jeune formulait directement une telle demande lors d'une actiité de chanter d'inserton (le 15noiembre 2017) à laquelle il aiait été inscrit par son éducatrice. Il trouiait cete dernière trop dure aiec lui et nele ménageant pas sur les actiités collecties. Je compris qu'une présence trop « forte » de l'éducateur dans lesuiii impliquait un désiniestssement du jeune même si ce n'était pas fort heureusement pas l'unique raisoninioquée par le mineur
56
D'autres expériences vécues en début de stage m'ont confirmé dans ce choix de sujet
passionnant et intemporel dans le milieu du travail social.
Deuxième situation : l'impact du lien, la rencontre avec Mathieu 101
Le vendredi 15 septembre 2017, la mission locale de Mulhouse organisait une
rencontre/bilan de la plate-forme d'accroche des perdus de vue102 au cours de laquelle
plusieurs associations, partenaires, ainsi que le STEMO de Mulhouse étaient conviés.
A cette occasion, des jeunes venant de structures différentes faisaient connaissance
autours d'activités culinaires, sportives et culturelles.
Je remarquais ce jour le jeune Mathieu qui se plaçait volontairement à l'écart du groupe et
peu enclin à se lancer dans une conversation. Je fis un premier mouvement dans sa
direction en lui demandant s'il s'était servi quelque chose au buffet. Toutes les questions
que je pouvais poser recevaient une réponse négative…
Je laissais donc passer un moment puis revenait vers lui en essayant cette fois de faire
connaissance. Adoptant une posture souriante et bienveillante je lui demandais
simplement s'il faisait du sport. J'utilisais la moquerie sur son niveau supposé au football
pour tenter d'obtenir un sourire, élément que j'estimais sur le coup indispensable pour
poursuivre la relation. Ce fut une réussite puisque pour la première fois le jeune qui
esquissait un sourire me demandait si moi-même je me « débrouillais au foot ». S'ensuivit
alors un échange sur ma récente blessure au niveau ligamentaire et je parvenais à capter
son attention lorsque je m'exprimais sur mes difficultés de la vie courante depuis la
blessure. Nous parvenions dès lors à échanger plus librement sur sa situation.
En début d'après-midi, une activité d'initiation au kendo (art martial japonais) me permit de
vivre un moment fort et éminemment questionnant. En effet, l'animateur enjoignait Mathieu
de retirer sa main de sa poche lors des exercices alors que ce dernier refusait
constamment. Je lui fis une fois la remarque en associant à la parole une tape sur l'épaule
et Mathieu s’exécutait immédiatement.
101 Dans un souci d'anonymat, les prénoms ont été modifés102 La plate-forme d'accroche est une émanaton de la mission locale qui permet à des jeunes de 16 à 25 ans,
déscolarisés et non accompagnés de réaliser des actiités pour faioriser leur inserton sociale et professionnelle
57
Après réflexion, de cette journée j'essayais de comprendre pourquoi ce jeune pouvait
répondre à une injonction quand elle était posée par une personne plutôt qu'une autre.
Qu'est ce que dans la posture de l'un ou de l'autre faisait que Mathieu allait écouter plutôt
une personne au détriment de l'autre ?
Selon moi, le partage d'informations personnelles des deux côtés avait été essentiel.
J'explique aujourd'hui son comportement par le fait qu'il existait suffisamment de lien entre
nous pour qu'il soit plus facile pour Mathieu de répondre à mon injonction.
Troisième situation : l'importance du sourire dans le travail social
Je fis marqué ce même jour par Marie, une jeune fille présente lors de l'atelier cuisine et
qui me dévisageait du regard dans un premier temps pour finalement m'interpeller en me
signifiant que je n'étais pas un éducateur, ni un jeune et qu'elle ne comprenait donc pas
l'objet de ma présence.
Je fus surpris par le temps qu'elle passait à me dévisager et après une discussion franche,
elle m'expliquait ne pas avoir l'habitude d'un visage accueillant chez les professionnels
qu'elle avait pu côtoyer. Je lui expliquais que j'étais simplement heureux d'être présent
aujourd'hui mais elle insistait sur le fait qu'un éducateur se devait d'être strict pour être
respecter et qu'elle ne pouvait m'identifier comme tel puisque je ne répondais pas à ses
représentations.
Cet échange était vraiment riche. Je me suis en effet interrogé sur la question de
l'ouverture à l'autre dans la relation éducative. Je pense véritablement que la relation ne
se décrète pas, mais se construit dans le temps. Dans ce cas, comment établir ce lien qui
plus est dans une relation contrainte103 tout en espérant que ce dernier soit sincère ? Je
demeure persuadé que cela se construit dans la confiance réciproque et que pour cela il
est nécessaire d'apprendre « à se connaître ». Le sourire et la bienveillance sont ainsi des
facteurs déterminants dans l'entrée en relation.
Toutefois, il ne faut pas faire preuve de naïveté dans ce métier. Les phases de recadrage
demeurent fréquentes et l'éducateur ne doit surtout pas s'interdire de dire les choses avec
103 La relaton éducatie est forcément contrainte du fait du mandat judiciaire confant le suiii d'une mesureéducatie à un seriice puis à un éducateur
58
fermeté quand cela s'impose. La fermeté doit, au même titre que le sourire, être considéré
comme un élément de la posture de l'éducateur.
Ainsi, toutes ces rencontres et ces discussions riches avec les jeunes et professionnels
m'ont donné l'envie d'aborder les éléments propres à l'établissement de la relation, en
partant de l'entrée en relation jusqu'au maintien de la qualité du lien.
Je précise concernant le type de prise en charge qu'il importe peu que l'on soit dans un
accompagnement en milieu ouvert ou en hébergement. En effet, il est bien question d'une
rencontre entre un professionnel et un jeune dans le cadre d'un mandat judiciaire. La
dimension du lien est forcément présente et j'ai choisie pour ma part d'approfondir cette
question dans le cadre d'un accompagnement en milieu ouvert.
Le traitement d'un tel sujet m'impose donc de mettre en avant ce que je souhaite
comprendre. Au gré des rencontres j'en suis venu à m'interroger sur le fait de savoir :
En quoi la posture de l'éducateur de milieu ouvert détermine t-elle la qualité
du lien jeune/éducateur ?
Il s'agit de ma question de départ et je demeure convaincu que la posture du professionnel
joue un rôle essentiel. En ce sens, l'attitude spécifique d'un éducateur peut permettre de
créer une relation de qualité suffisamment importante pour faire passer des messages au
jeune. C'est la toute la mission éducative de transmission en vue de permettre un
relèvement éducatif qui va être facilité.
L'objectif de ce travail de recherche est de pouvoir fournir modestement -au regard de
mes observations et de mes lectures- des éléments permettant de comprendre
l'importance de la posture éducative dans notre pratique et d'autres éléments plus
concrets sur les moyens dont nous disposons pour faciliter cette création de lien.
Je m'attacherai donc aussi dans ce mémoire à faire référence aux médias éducatifs
comme support et levier de la relation.
La question de la posture étant posée, il semble indispensable d'en revenir au cadre
même de notre action. Intervenant sur mandat judiciaire, l'éducateur est de fait dans une
59
relation contrainte. Encore plus fort, l'éducateur se trouve en plus dans une relation
asymétrique avec celui qu'il accompagne. En effet, il est le sachant aux yeux du jeune et
de sa famille, et il doit surtout rendre compte de l'investissement ou non de ce dernier au
magistrat prescripteur de la mesure.
Ces éléments doivent être pris en compte par le professionnel dans sa façon d'exercer
son travail. Comment est-il possible de forcer une relation dont le jeune pourrait ne pas
vouloir ?
En prenant de la hauteur sur la question de départ, il est possible de s'interroger sur
l'objectif dans la recherche d'une relation de qualité. Pourquoi souhaite-on créer du lien
avec le mineur ? En quoi cela aurait-il une influence sur notre travail ?
Tout d'abord, quel est l'objectif véritable du suivi d'un jeune à la Protection Judiciaire de la
Jeunesse ?
Cette question, le Conseil Constitutionnel y apporte une réponse dans sa décision du 29
août 2002104 en reconnaissant comme principe à valeur constitutionnelle le fait de
rechercher le relèvement éducatif et moral d'un mineur.
La notion de relèvement éducatif utilisé par le conseil constitutionnel n'est pas anodine.
Elle fait référence à l'action de relever et implique ainsi une intervention extérieure. La
définition du Larousse est somme toute très intéressante puisque le relèvement est défini
comme « l'action de relever quelque chose (ou quelqu'un?), de le mettre debout ou dans
une position normale » 105.
Trois éléments retiennent donc mon attention. Le métier que je vais exercer, comporte une
dimension créatrice de lien à laquelle je dois être attentive d'autant plus que la relation
que je vais avoir avec un jeune peut ne pas être authentique en raison du caractère
obligatoire d’une mesure, on se trouve bien dans une contrainte. Cette relation, ce lien
doit cependant poursuivre un objectif clair qui est le relèvement éducatif et moral du jeune.
Je dois donc mettre à profit ce lien, dans une relation contrainte, pour permettre au jeune
de se relever. Il s'agit également de ma démarche méthodologique dans ce travail de
recherche.
104Décision 2002-461 du 29 août 2002105http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/rel%C3%A8vement/67884
60
Ma problématique part donc de la question de départ sur la posture éducative pour aller
plus loin dans les objectifs de la mission éducative en tenant compte de la relation
contrainte.
En quoi la création de lien, à l'épreuve de la contrainte, participe t-elle au
relèvement éducatif du jeune ?
L’ÉLABORATION DES HYPOTHÈSES DE RECHERCHE
Mes représentations sur le sujet
J'avais moi-même des représentations sur cette thématique. Je pensais en effet que le
métier d'éducateur était fortement animé par sa dimension créatrice de lien avec le jeune.
Tisser des liens devait pour moi être la première étape de la rencontre avec le jeune avant
même de parler des actes posés par celui-ci.
Cette hypothèse était confirmée par le fait qu'en milieu ouvert, une mesure attribuée à un
service est ensuite confiée à un éducateur qui aura la charge du suivi de cette mesure à
priori106, jusqu’à son échéance.
Dès lors, que devons-nous garder à l'esprit sur notre positionnement afin de mener au
mieux un travail éducatif ?
Le thème commençait à se délimiter et, très rapidement je me suis dirigé vers la relation
de confiance entre l'éducateur et le jeune. Je suis convaincu que l'accompagnement
éducatif nécessite la création d'un lien de qualité entre l'éducateur et le jeune. Pour cela,
la question de la confiance dans le rapport à l'autre est fondamentale.
Une fois ce postulat établi, d'autres questionnements me venaient à l'esprit concernant les
pratiques professionnelles.
106 Il se peut dans des cas exceptonnels que le suiii d'une mesure soit confé à un autre éducateur à l'occasion parexemple de iiolences rendant intenable la poursuite de la relaton éducatie aiec le jeune. Des situatons plusfréquentes subsistent notamment lorsqu'un éducateur se trouie en arrêt longue durée. Le transfert du suiii peutdonc être temporaire ou défnitf selon les situatons
61
En effet comment tisser du lien ? Comment faire pour qu'une relation éducative de qualité
perdure ? Et surtout que faire de cette relation de confiance ?
Par ces interrogations, je cherchais surtout à comprendre comment le professionnel peut
mettre en jeu sa posture pour permettre à un jeune suivi de sortir par le haut d’une
mesure. A quoi le lien sert-il dans notre fonction ?
Finalement, j’émets l’hypothèse que le lien éducatif ne sert pas simplement à assainir une
relation mais permet d’aboutir réellement aux objectifs que l’on assigne traditionnellement
au suivi d’un mineur.
MÉTHODES DE RECUEIL ET D'ANALYSE DES DONNÉES
Durant mon stage, j’ai été nourri de situations vécues et observées dans lesquelles j’ai pu
agir concrètement. Ces situations que j’analysais dans un second temps m’ont servi dans
le sens où elles m’ont guidés vers de nouvelles références théoriques. Pour exemple, je
compris que la situation avec Jérôme, qui me confiait son mal-être, et la relation que nous
avions construit tout au long de la mesure, m’appelait à traiter du mécanisme de relation
d’aide théorisé par Carl Rogers.
Au-delà de ces situations, j’ai voulu interroger les professionnels afin de recueillir une
multitude et une diversité d’avis sur la question. J’ai, en ce sens, élaboré une grille
d’entretien et fait le choix de n’interroger que des professionnels éducateurs. Je justifie
aujourd’hui ce choix, par le fait que cette démarche d’entretien, me prenait énormément de
temps notamment pour la retranscription complète de ceux-ci. Je n’ai donc pas pu
interroger, le responsable d’unité de ma structure, ni le psychologue du service. En
revanche, je demeure satisfait de la qualité des données et la pertinence des personnes
ayant accepté de répondre à mes questions. Je retranscrit ici ma grille d’entretien
consistant en l’évocation de 5 questions.
62
Grille d’entretien à destination des professionnels :
1°) Lors d'un premier entretien avec un jeune, créer du lien fait-il parti de tes objectifs ? Si
oui quelle importance lui donne-tu ?
2°) Que pense tu de l'engagement émotionnel de l'éducateur dans la relation éducative ?
3°) Une posture stricte d'un éducateur est elle un frein à l'établissement d'un lien éducatif ?
4°) Quel est ton avis sur la question de la confiance dans la relation éducative ?
5°) Selon toi, est ce qu'une présence renforcée de l'éducateur peut contribuer à
l'amélioration du lien éducatif ? Plus généralement le temps est-il un facteur important
dans l'établissement d'un lien ?
6°) Est ce que l'usage d'un média éducatif facilite la création de lien ? Pourquoi ? Si oui
quel type d'outil utilise tu personnellement dans tes suivis.
Concernant la formulation des questions, je veillais à ne pas orienter au maximum les
réponses pour conserver la spontanéité des acteurs. De même, il s’agissait d’entretiens !
semi-directifs, dès lors, j’avais tout loisirs de pouvoir interrompre l’intervenant ou encore le
relancer sur une autre question pour prolonger la réflexion initiale ce que je ne manquais
pas de faire pour certains entretiens.
Les entretiens étaient enregistrés puis retranscrit pour l’analyse de données que
j’exploitais directement dans le corps du mémoire pour appuyer un argument ou encore
confirmer une hypothèse ou la position d’un auteur sur une question précise. La durée des
entretiens se situait entre 15 et 20 minutes chacun. J’ai pris donc la décision pour mon
recueil de données de ne procéder qu’à trois entretiens.
Je fut en partie frustré par ce travail d’autant que j’avais élaboré également une grille
d’entretien à destination des jeunes suivis au Stemo. Je n’ai malheureusement pas pu
l’exploiter compte-tenu des différents impératifs au niveau du stage mais également de
l’organisation de mon expérimentation. Voici la grille à destination des jeunes que j’aurais
aimé exploiter.
63
Grille d’entretien à destination des jeunes suivis :
- Lors d'un premier entretien avec un éducateur, qu'attends tu de lui sur le plan humain ?
- Peut-on faire confiance à son éducateur ? Qu'est ce que cela t'inspire ?
- Qu'est ce que l'éducateur doit faire pour que le message qu'il veut envoyer passe plus
facilement ?
- Qu'est ce qu'un bon éducateur selon toi ? Est ce qu'il doit simplement être cool ?
- A ton avis, la posture d'un éducateur a t-elle une influence dans le suivi d'une mesure ?
L’ÉLABORATION DES HYPOTHÈSES D'ACTION
Dans la continuité de l’hypothèse de recherche dans laquelle je cherchais à démontrer
l’impact du lien éducatif dans le relèvement du mineur, je comprenais au regard tant de
l’analyse des données, que des observations et des différentes lectures, que l’idée de
relèvement éducatif comprend une dimension de mise en mouvement du jeune suivi.
Cette mise en mouvement, devant être encouragé par l’intervenant judiciaire trouvait tout
son sens dans le faire-avec à travers l’utilisation d’un média éducatif.
Étant amateur du jeu d’échec et ayant vite vu les potentialités de l’exploitation d’un tel jeu
dans notre travail éducatif, j’étais amené à utiliser très rapidement cet outil lors de mes
entretiens éducatifs.
Mon hypothèse d’action était donc de pouvoir mobiliser un jeune dans une action
éducative tout en cultivant un lien de premier ordre. L’idée étant concrètement de
l’associer dans l’organisation d’un projet de tournoi en qualité de co-organisateur avec des
tâches précises et répondant à ses obligations d’insertion dans le cade de sa mesure.
Nous avons ainsi décidé, avec son éducateur référent, de faire participer Anouar, un jeune
suivi dans le cadre du milieu ouvert renforcé, à la co-organisation d’un tournoi d’échec
mettant en confrontation des jeunes joueurs confirmés d’un club d’échec et des amateurs
provenant d’une association de prévention locale.
Par l’aspect organisationnel, il est question de montrer ce que le jeune est capable de
faire. Il s’agissait aussi de pouvoir créer les conditions nécessaires à l’arrêt de sa
trajectoire de déviance pour un jeune multi-réitérant au sortir d’un placement en CEF.
64
DESCRIPTION DE LA PHASE D’EXPÉRIMENTATION ET ÉVALUATION
La phase d’expérimentation comprenait tout d’abord la constitution d’une fiche projet. La
date du tournoi était rapidement fixé au Samedi 19 mai 2018 et je compris dès lors qu’il
n’était pas possible pour moi de répercuter les résultats du tournoi et de faire le bilan de
celui-ci en terme de présence et d’animation, notamment concernant l’évaluation du jeune
Anouar qui s’était impliqué durant toute la phase d’organisation en amont.
POINT FORTS ET LIMITES DE LA DÉMARCHE
Aujourd’hui, je suis persuadé que le fait de mettre un jeune en responsabilité peut
l’amener à se mobiliser. Anouar ressentait le portage du projet comme un défi d’autant
plus qu’il était identifié par les partenaires comme co-organisateur, il s’agissait donc pour
lui de ne pas les décevoir. Le point fort dans la conduite de ce projet a été de créer une
relation d’un autre ordre avec ce jeune. Certes, la posture était la même, je demeurai un
éducateur à ses yeux, mais le fait de l’associer, quasi d’égal à égal le rendait fier et j’ai pu
mesurer la joie avec laquelle il se présentait comme porteur.
Je fus également surpris par la tournure qu’a pris l’organisation d’un tel tournoi. En effet,
nous étions confrontés à un véritable engouement qui nous ont amené à modifier dans un
premier temps le nombre de participants et dans un second de refréner les participants
voulant toujours plus de possibilités d’inscriptions.
Je compte à l’avenir et en me servant de ce qui a été positif, rééditer ce genre de
compétitions chaque année en veillant à associer plusieurs jeunes à l’avenir.
Les limites du portage d’un projet impliquant une multiplicité d’acteurs étaient de ne pas
avoir une marge de manœuvre totale et ainsi être dépendant au moins en partie aux
désidérata des uns et des autres. Il fallait notamment concilier tout les calendriers et je du
me résoudre à fixer une date postérieure au rendu de mon travail de recherche.
Néanmoins, la conduite de ce projet a été pour moi une réelle réussite et je tenais encore
une fois à remercier toutes les personnes ayant contribué à l’organisation de cet
événement.
65
ANNEXE 2 : RAPE
École Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
Formation statutaire des éducateursPromotion FSE 2016-2018
Redouane BAHRI
Rapport d'Analyse de Pratique Éducative
(RAPE)
Situation d'un jeune accompagné dans le cadre d'une mesure judiciaire en milieu ouvert
5 février 2018
SOMMAIRE
INTRODUCTION…………………………………………………………………………………....1
PARTIE 1 : CHOIX DE LA SITUATION ÉDUCATIVE………………………………………........2
• Présentation du contexte institutionnel : la situation de Jean………………………………..2
• Choix d'une situation : un appel à l'aide brutal et imprévisible……………………………...2
• Questionnement relatif à la création de lien ……………………………………..………….3
PARTIE 2 : PRÉSENTATION ET DESCRIPTIF DE LA SITUATION…………………………......3
• Le contexte : l'identification comme personne ressource..……………………………….…..4
• La scène : la confidence soudaine à son éducateur…………………………………………..5
PARTIE 3 : ANALYSE DE L'INTERVENTION ÉDUCATIVE………………………………….....7
• La situation de Jean : un suivi très court prenant fin rapidement …………………………....7
• Entre instinct et savoirs d'expériences …………………………………………………….....7
• Le travail sur le mal-être dans la relation d'aide……………………………………………...8
PARTIE 4 : MA DÉMARCHE PERSONNELLE………………………………………………......10
• Réflexions en lien avec la posture…………………………………………………………..10
• Réflexions globales sur les contraintes du métiers………………………………………….11
CONCLUSION……………………………………………………………………………………..12
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INTRODUCTION
La relation éducative n'est pas un processus de réparation ou de normalisation de
l'individu mais elle est un temps et un espace, à la fois instables et sécurisés, au sein
desquels une personne requise pour ses compétences en aide une autre à passer du vivre
à l'exister.
Philippe GABERAN
La relation éducative, érès, 2007
Actuellement en deuxième année de formation d'éducateur de la Protection Judiciaire de la
Jeunesse, je poursuis mes apprentissages à l'occasion d'un stage long d'immersion en Milieu Ouvert
sur le territoire alsacien.
Je me suis rendu compte pendant mes stages successifs que le lien éducatif entre un jeune et son
éducateur s'éprouve autant pour l'un que pour l'autre. Parfois ce lien permet d'instaurer un rapport de
confiance facilitant la suite du travail éducatif et parfois, il aboutit à la dégradation d'une relation
alors centrée sur le conflit et la provocation.
Je conserve toujours à l'esprit les travaux du psychanalyste Joseph ROUZEL107 qui a -tout au long
de sa carrière- considéré l'intérêt du jeune comme central dans la conception de son travail.
Fasciné par cet « art de faire » et par l'éthique que veulent introduire les auteurs tels que J.ROUZEL
ou encore Philippe GABERAN, j'ai donc décidé de traiter cette thématique de la création de lien
dans l'accompagnement éducatif en milieu ouvert comme sujet de mémoire et cela a été pour moi le
début d'un long travail de recherche et de réflexion.
Après avoir analysé les apports d'un ouvrage sur l'éthique de l’accompagnement des personnes
vulnérables108 je tiens -dans une démarche empirique- à exploiter une situation éducative marquante
et révélatrice que j'ai vécue lors de mon stage.
J'ai donc choisi de développer la situation de Jean109 et je présenterai l'origine de ce choix dans un
premier temps avant de décrire la situation concrète pour en faire une analyse à posteriori et ainsi
montrer les apports pour ma propre pratique professionnelle.
107 Joseph ROUZEL a dans son ouvrage intitulé « le travail d'éducateur spécialisé » (2e édition) mis en avant le support à la relation éducative que permet les activités dites médiatrices. Il précise que la conception de ces activités doit toujours être centrée en direction de la personne concernée par celles-ci.
108 Les tisseurs de quotidien, vers une éthique de l'accompagnement des personnes vulnérables A.DURUAL, P.PERRARD, éd érès, février 2016
109 Afin de préserver l'anonymat, le prénom du jeune a été modifié
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PARTIE 1 : Choix de la situation éducative
On ne peut pas tout prévoir mais on doit penser à tout,
Hans JONAS
Il sera question dans cette partie de présenter dans le contexte institutionnel dans un premier temps
puis de faire brièvement état de la situation éducative en évoquant enfin les questionnements relatifs
à la création de lien que cela m'a inspiré.
Présentation du contexte institutionnel : une mesure de réparation pénale banale en apparence
Jean, bientôt âgé de 16 ans, fait l'objet d'une mesure de réparation pénale en alternative aux
poursuites pour des faits en lien avec les stupéfiants. Une décision du parquet en date du 18 octobre
2017 confiait la mesure au Service Éducatif de Milieu Ouvert (STEMO) où j'effectue mon stage.
Le service prévoit dans le traitement de ces mesures, la participation du jeune à un stage de
sensibilisation durant une journée complète, puis un second temps qui permet à une association de
prévention d'intervenir en soirée lors d'un ciné-débat. Il est important de préciser que ces actions
sont organisées de manière collective et nécessite la présence des représentants légaux à chaque
temps.
La mesure devant se clôturer à la suite d'un entretien avec une psychologue de cette même
association à l'occasion duquel l'éducateur en charge de la mesure fait le bilan de celle-ci avec le
jeune et sa famille.
Je recevais donc Jean accompagné de sa mère le 24 novembre 2017 au service pour lui présenter les
objectifs de la mesure à savoir la sensibilisation aux dangers des produits stupéfiants. Je lui donnais
ainsi rendez-vous pour les prochains temps de la mesure et notamment le ciné-débat du 13
décembre 2017.
Un appel à l'aide brutal et imprévisible
Le 13 décembre 2017 à 20h30, lors du temps convivial venant mettre un terme au ciné-débat, Jean
m'interpellait directement en présence de professionnels de la prévention, d'éducateurs du service de
milieu ouvert, ainsi que des autres jeunes et leurs familles. Il souhaitait pouvoir échanger avec moi
et me demandait s'il était possible de s'isoler. Je sentais chez Jean un stress intense qu'il manifestait
par le son de sa voix tremblante, un regard inquiet tourné constamment vers son père et l'insistance
avec laquelle il tenait à ce que l'on puisse s'isoler.
Comprenant l'importance du moment j'accédais à sa requête et nous prenions le chemin de la salle
de projection du film afin de permettre à Jean d'avoir une parole plus libre.
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Cette situation m'a marqué car j'étais devenu l'espace d'un instant la personne ressource d'un jeune
en souffrance qui demandait à ce qu'on trouve une solution pour lui comme je le développerai dans
la partie descriptive de la situation. Mes questionnements suite à cette sollicitation qui a surpris
l'ensemble des professionnels présents allaient dans le sens de la notion de lien dans la relation
éducative. Ce lien que j'avais pu créer avec Jean expliquait-il à lui seul son comportement en ma
direction lors du ciné-débat ?
Questionnements relatifs à la création de lien
Dans le cadre de mes recherches et lectures sur la thématique et en y intégrant l'expérience du
milieu ouvert, je considère que la création d'un lien entre un jeune et son éducateur participe du
relèvement éducatif110 du mineur. Ce lien ne se décrète pas, il se construit en prenant en compte
l'intérêt du jeune. Pour cela, une véritable éthique de l'accompagnement permet de questionner sa
propre pratique professionnelle en adaptant posture et moyens aux besoins du jeune. On parle
véritablement d'individualisation de la prise en charge et c'est pour cela que le choix de situation est
en rapport avec la thématique du lien. Cette situation m'a énormément nourri sur le plan
professionnel mais a également contribué à nourrir mon travail de recherche. Je veillerai ainsi à
présenter cette situation le plus fidèlement et synthétiquement possible en tenant des éléments qui
ont été pour moi déterminants dans la construction de mon identité professionnelle.
Partie 2 : Présentation et descriptif de la situation
Au départ de tout projet, il y a la mise en évidence d'une situation sur laquelle on veut agir. Soit undysfonctionnement, soit une nécessité nouvelle
Joseph ROUZEL
Il sera l'occasion dans cette partie de présenter le contexte de la situation ayant amené Jean à se
diriger vers moi soudainement. Cela me permettra de décrire plus précisément la scène en apportant
les éléments de compréhension nécessaires à l'analyse.
110 Le relèvement éducatif et moral du mineur est élevé au rang de principe à valeur constitutionnelle par le Conseil Constitutionnel dans sa décision N° 2002-461 du 29 août 2002
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Le contexte : l'identification de l'éducateur comme personne ressource
La première rencontre a eu lieu au service de milieu ouvert le 24 novembre 2017. Je recevais Jean
et sa mère pour expliciter la mesure de réparation le concernant, répondre à leurs questions et signer
tous ensemble le Document Individuel de Prise en Charge (DIPC) qui mentionnait les objectifs de
la mesure. Je pris soin, comme je l'avais convenu avec le père de Jean par téléphone de lui fournir
une attestation d'absence permettant au mineur de pouvoir se rendre au stage de sensibilisation sans
craindre pour sa scolarité111. Nous démarrions donc l'entretien et la mère éprouvait le besoin de se
livrer sur la situation de son fils. Elle dénonçait le personnel enseignant de son ancien collège qui
n'avait pas su intéresser son fils qui présentait pourtant selon la mère « des capacités au dessus de
la moyenne ». Elle rendait l’Éducation Nationale responsable de la situation judiciaire et fondait en
larmes malgré les invectives de son fils qui la sommait de s'arrêter de parler.
Je pris le rebond en demandant à Jean de se taire et de laisser sa mère s'exprimer, j'allais dans le
sens de la mère en disant que je la comprenais et en regardant Jean lui signifiait qu'il avait des
efforts à faire vis-à-vis de ses parents.
J'abondais également dans le sens de la mère en signifiant que Jean présentait des capacités
indéniables tant au niveau du vocabulaire que sa manière de comprendre rapidement les choses
parfois complexes.
Nous poursuivions l'entretien sur les faits de consommation de produits stupéfiants. Jean m'assurait
en jurant qu'il n'avait pas recommencé et qu'il avait même arrêté de boire de l'alcool en raison du
choc pour lui et sa famille d'être confronté aux policiers lors de son audition.
Je pris note de son engagement en le félicitant et lui signifiait que le choc était effectivement un bon
moyen pour se relever mais que cela pourrait n'être que temporaire et qu'il fallait doubler ce choc
d'une volonté ferme et définitive d'arrêter cette consommation pour lui en raison des enjeux actuels
au niveau de la scolarité notamment et au niveau des relations avec sa famille.
Le 6 décembre 2017, je me rendais à la Maison de la Justice et du Droit afin d'y rencontrer Jean et
son père pour la journée de sensibilisation. Le père de Jean me remerciait spontanément pour
l'attestation et nous échangions alors librement sur la situation et sur le caractère agréable de son fils
en rassurant le père concernant le déroulement de la mesure. Le temps d'échange était très court
mais a tout de même pu suffire pour que je puisse me présenter convenablement au père afin qu'il
m'identifie comme le référent de la mesure.
111 Jean est scolarisé dans un lycée professionnel en apprentissage et ne souhaitait pas que son patron soit au courant de sa situation judiciaire. Je prenais donc soin dans l'attestation de ne pas stigmatiser le jeune qui était reconnaissant lors de la remise
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Le 13 décembre 2017, la rencontre pour le ciné-débat était prévue à 17h30 au sein d'une association
de prévention.
Ce temps consistait à rassembler plusieurs familles qui avaient en commun un enfant ayant une
mesure de réparation en lien avec les produits stupéfiants. L'objectif était de visionner tous
ensemble (parents-enfants) deux minis reportages donnant la parole à d'anciens jeunes
consommateurs et leurs parents qui livraient leurs expériences. Après ce temps de visionnage, les
jeunes étaient invités à se retrouver dans une autre salle afin d'échanger sur ce que cela leur a
inspiré tandis que les parents faisaient de même dans une autre salle.
Après les échanges, un retour dans la salle principale permettait aux animateurs de faire une
restitution des deux groupes et l'on pouvait clôturer la rencontre par un temps convivial.
Ce 13 décembre, à l'issue de la rencontre je vis Jean irrité, qui faisait signe à son père de son
intention de partir immédiatement sans prendre le soin de saluer les professionnels et sans détour
par le temps convivial. Il montrait d'ailleurs son agacement en disant « ça me fait chier ici, ça me
casse les couilles c'est pourri ». Je me rapprochai de lui en m'exprimait en ces termes « Ah bon
Jérôme ? Tu veux partir alors que moi ça m'aurait fait plaisir de discuter 5mn avec toi mais bon je
comprends si je te saoule alors tant pis pour moi je vais rester seul. C'est dommage parce que
j'aurais bien aimé quand même... », il souriait et changeait d'avis. J'en profitais donc pour lui servir
à boire à lui et son père qui se réjouissait de ce changement d'attitude.
La scène : la confiance soudaine envers son éducateur
Au moment de prendre congé, Jean m'interpellait et me demandait s'il pouvait me parler mais en
veillant à s'isoler du reste du groupe et de son père. J’accédais à sa requête puisqu'il paraissait
stressé et le ton de la demande me faisait penser qu'il voulait me dire quelque chose d'important. Il
était redevenu rapidement solennel et prenait le même visage qu'en voulant sortir la première fois.
Une fois complètement à l'écart du groupe il m'interpellait en ces termes «Monsieur, ça ne vas pas
du tout, je suis pas bien et je sens que je vais recommencer une connerie. Vous vous souvenez quand
je vous avais dit que j'avais arrêté de fumer et de boire de l'alcool ? Eh bien c'est vrai j'ai arrêté
pour le cannabis, mais en ce moment je recommence à fumer des cigarettes et surtout j'ai envie de
reprendre l'alcool, mais je sens que ça va pas être bon du tout pour moi mais j'arrive pas, je suis
pas bien, je suis stressé et même là, maintenant, j'ai envie de boire». Je lui disait en prenant un ton
sérieux que j'étais satisfait qu'il puisse mettre des mots sur ce qu'il ressentait et lui assurait que je
comprenais son état de détresse. Je le félicitais d'ailleurs pour avoir tenu son engagement de ne plus
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fumer de cannabis et, par un moyen détourné, j'abordais sa situation en évoquant un autre entretien
que j'ai mené dans la même journée avec un autre jeune qui était dans une situation similaire.
Je voulais lui faire comprendre comme au premier entretien que le choc de l'audition devant les
policiers lui avait probablement permis d'arrêter net sa consommation. Passé un certain délai, il
retomberait dans une routine et je tenais à lui faire prendre conscience que dans ces situations, on
peut facilement revenir à la consommation surtout si son mal-être ne trouve pas de solution.
J'interpellais alors Jean en lui disant « maintenant Jean, dis moi sérieusement quel est ton principal
problème ? ». Il avait des difficultés à mettre des mots alors je lui donnais des idées en évoquant
l'entretien du même jour avec un autre jeune qui m'expliquait que ses parents mettaient trop de
pression sur le plan scolaire, qu'il ne supportait pas et se réfugiait dans l'alcool et le cannabis pour se
sentir mieux.. ou moins mal..
Jean m'indique qu'il est dans la même situation. Il me répondait directement « c'est ma famille, mes
parents depuis les faits m'ont coupé toute relation avec l'extérieur, je ne vois plus aucun de mes
amis, mes fréquentations mauvaises je les ai arrêtés moi-même mais là je ne vois plus personne, je
ne sors plus du tout et je m'énerve constamment avec mes parents et surtout avec ma mère qui
n'accepte plus rien venant de moi ». Il dira même que « la confiance est brisé, elle croit à chaque
fois que je cherche à l'arnaquer et ça m'énerve vraiment, c'est pour ça que là j'ai vraiment envie de
boire et je voulais vous en parler ». De ce qu'il parvenait à dire, je comprenais que le plus difficile
pour lui était sa relation avec ses parents. La rupture de confiance était trop difficile pour lui à gérer
et, ne gérant pas sa frustration, il préférait noyer son mal-être dans la consommation, chose qu'il sait
parfaitement être néfaste puisqu'il m'affirme vouloir s'en éloigner112.
Je lui proposais dès lors une solution à savoir rédiger un « contrat de reconnaissance 113» avec ses
parents dans lequel il pourra prouver ses efforts et dans une logique de compromis parvenir à un
relâchement de la pression de ses parents à son égard.
Il semblait satisfait de cette discussion et disait même se sentir mieux «juste le fait d'en avoir parlé,
ça fait du bien ». Il était surtout soulagé d'avoir pu sortir son mal-être dans cet état de stress intense.
Nous rejoignons ainsi le groupe avec Jean avant de prendre véritablement congé.
112 Jean avait très à cœur de tenir sa promesse de ne plus consommer de produits stupéfiants. Il était fier de pouvoir dire qu'il n'a pas repris mais a du mal à se canaliser quand le moral retombe
113 Cette idée du contrat provenait de la projection d'un mini film où un jeune racontait comment ses parents ont ré-appris à lui faire confiance pas-à-pas au travers d'un contrat formalisé avec des objectifs et des compromis de part et d'autre
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Partie 3 : Analyse de l'intervention éducative
L'agressivité est un langage, et trop fréquemment un langage-écran. L'agressivité sert souvent à masquerce qui a été réellement blessé, ce qui a été profondément touché et qui reste trop douloureux pour être
reconnu de suite.
Papa, Maman écoutez moi vraiment, 1989, Jacques SALOMÉ
Dans un souci de clarté, j'aborderais dans un premier temps les difficultés provenant de la nature
même du suivi avant de faire appel à la notion de savoirs d'expérience pour tenter d'expliquer ma
réaction. J'aborderais enfin la question du traitement du mal-être dans la relation d'aide.
La situation de Jean : un suivi très court prenant fin rapidement
La difficulté que je pouvais rencontrer dans cette situation était liée au fait que la mesure concernant
Jean dispose d'un temps d’exécution court (4 mois) et les délais contraints sont encore plus délicats
à gérer lorsqu'il est question d'inscrire un jeune dans un stage de sensibilisation comprenant la
journée à la Maison de la Justice et du Droit et le ciné-débat. Je me trouvais ainsi dans une situation
où la mesure prenait fin lors du dernier entretien au service avec la psychologue de l'association de
prévention114. Cela m’empêchait d'effectuer un travail plus approfondi avec Jean alors que la
situation le justifiait amplement. Ma réaction lors du ciné-débat devait forcément prendre en compte
cet état de fait et la difficulté se fait d'autant ressentir que la situation était urgente avec un appel à
l'aide soudain pour lequel une réponse immédiate était attendue.
Entre instinct et savoirs-d'expériences
En prenant du recul sur la réaction que j'avais pu avoir avec Jean lors du ciné-débat, je cherchais à
comprendre pourquoi j'avais évoqué la situation similaire d'un autre jeune et surtout comment se
faisait-il que j'avais pu percevoir les soucis réels qui traversaient Jean à savoir un rapport conflictuel
aux parents depuis les faits. Je pensais en premier lieu à l'instinct et le ressenti face à un jeune
profondément angoissé dans son quotidien. Ce n'est qu'en prenant connaissance des travaux de
Gérard MALGLAIVE115 sur les savoirs d'action que j'ai pu analyser plus justement ma réaction face
à Jean en précisant que dans l'urgence de la situation, je vivais moi aussi un état de stress.
114 Encore une difficulté supplémentaire à prendre en compte en trouvant un créneau permettant aux parents, au jeune, à la psychologue, et à moi-même de nous libérer pour un temps
115 Docteur en science de l'éducation et directeur du Centre de formation de formateurs du Conservatoire national des Arts et métiers
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Gérard MALGLAIVE subdivise les savoirs d'action116 en quatre catégories comprenant les savoirs
théoriques, procéduraux, pratiques (savoir-faire) et d'expériences. Pour lui, le savoir d'expérience
« c'est la mise en œuvre d'un raisonnement personnel, non formalisé, construit entièrement dans et
aux fins de l'action. Il comble en quelque sorte les interstices laissés par les savoirs théoriques et
procéduraux dans la conduite de l'action »117.
Je comprends donc que l'instinct s'était transformé en un raisonnement personnel et informel118 qui
s'est construit au moment même où Jean m'exposait sa détresse et sa volonté de boire et fumer du
cannabis.
Je me souviens effectivement que l'état de concentration dans lequel je me trouvais m'avais permis
de faire appel aux expériences passées à savoir les nombreuses rencontres avec des jeunes dans des
situations similaires. Je me risquais donc -par analogie- à cibler une frustration qu'il vivait au sein
de sa famille.
Cela me rassure sur le plan de ma propre posture professionnelle. Dans mes actions futures, je
pourrai faire appel à mon expérience et non à l'instinct. Cela me permettra de m'enrichir chaque jour
et ainsi devenir un professionnel plus aguerri ayant fait face à de multiples situations au cours de ma
carrière.
Le travail sur le mal-être dans la relation d'aide
Il est évident que Jean présentait un mal-être qu'il vivait au quotidien et qui le poussait à la
consommation d'alcool et de produits stupéfiants.
Il s'agirait donc, dans ce type de situation, de ne pas adopter de comportement qui pourrait même
involontairement accentuer le mal-être de Jean car comme le rappelle Paul RICOEUR « il n'y a
qu'un pas, souvent trop vite franchi, entre méconnaissance et mépris 119»
Paul RICOEUR met en garde celui qui accompagne en soulignant « le caractère asymétrique de la
relation éducative, d'une part en ce qui a trait à la maturité des connaissances, et d'autre part en
raison du pouvoir qu'il détient sur lui ». Je comprends donc que face à Jean, je me trouvais dans un
rapport de pouvoir puisque je pouvais être à ses yeux le sachant d'une part, et celui qui allait rendre
compte au magistrat de la bonne exécution ou non de la mesure d'autre part. Je me devais donc de
116 Enseigner à des adultes, Paris, PUF, 1990, Gérard MALGLAIVE117 Article « Se former aux compétences » http://www.didaction.com/fichiers/Article%20Former%20aux
%20comp%C3%A9tences.pdf118 Informel dans le sens où ce savoir ne va pas faire l'objet d'un texte, d'un écrit.119 p.108, Paul RICOEUR et la question éducative, Sous la direction de Alain KERLAN et Denis SIMARD,
2011
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faire attention de ne rien renvoyer d'angoissant pour Jean au risque de voir son mal-être trouver une
nouvelle source.
Paul RICOEUR toujours explique que « témoigner de la sollicitude envers l'autre consiste à
adopter une attitude bienveillante envers lui. Et l'attitude bienveillante suppose d'abord et avant
tout l'ouverture à l'autre ».
J'estime que la meilleure façon de pouvoir recueillir la parole sincère d'un mineur et d'avancer
ensemble, est de prime abord respecter le jeune en face de nous et lui manifester de l'intérêt. Pour
cela, la relation d'aide est un moyen permettant au jeune de prendre conscience d'une altérité
bienveillante ce qui peut avoir un effet rassurant pour lui.
Dans la situation qui me concerne, je manifestais cet intérêt dans l'insistance avec laquelle je tenais
à ce que Jean puisse rester lors du temps convivial. Il se montrait d'ailleurs surpris et après un
sourire changeait d'avis pour finalement rester un certain moment. Je compris à posteriori, que Jean
avait dû voir en moi une personne suffisamment bienveillante, qui puisse accueillir sa détresse, et
dès lors, il n'y avait plus de barrière mentale l'empêchant de se confier à son éducateur. J'étais en
effet prêt à faire des concessions tout au long du suivi et Jean avait pu s'en rendre compte. Tous ces
éléments sont des facteurs expliquant que le lien avec Jean a pu se construire aussi rapidement.
Cette posture est essentielle lorsque le travail éducatif s'effectue avec des mineurs ayant une basse
estime de soi. Leur valorisation, quel que soit le moyen employé, permet de trouver un espace
suffisamment sain pour aborder leurs réels tourments.
Carl RODGERS120 illustre parfaitement cette idée quand il soutient que « Les personnes ont en elles
de vastes ressources pour se comprendre et changer de manière constructive leur façon d’être et de
se comporter. Ces ressources deviennent disponibles et se réalisent au mieux dans une relation
définissable par certaines qualités ». Le psychologue américain va même énoncer les quatre
qualités que sont : l'empathie, l'écoute active, la congruence (l'authenticité du professionnel) et le
non jugement.
120 Carl RODGERS, psychologue américain né en 1902, a théorisé « l'approche centrée sur la personne ». Il met en avant dans ces nombreux ouvrages sa conviction que l'homme possède un fort potentiel d'évolution et d'épanouissement inné. Il initie donc une nouvelle méthode de prise en charge basée sur la recherche de l'autonomie du « patient ». Pour cela, il met en avant des caractéristiques propres au thérapeute permettant d'aboutir à cette autonomie
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Partie 4 : Ma démarche personnelle
La science du langage et la posture corporelle élégante sont des aides précieuses pour catalyser
harmonieusement la beauté communicationnelle
Corinne HOFMANN
L'analyse que je fais de mon identité professionnelle est à mettre en lien avec la posture d'une part
et d'autre part, la façon de gérer ou subir les contraintes que l'on rencontre dans le métier
d'éducateur.
Réflexions en lien avec la posture
Je retire de cette situation beaucoup d'enseignements
En premier lieu, que l'on soit en situation collective ou individuelle il faut toujours parer à toute
éventualité. Je ne m'attendais clairement pas à cette sollicitation de Jean et dorénavant, je serai plus
attentif aux états de stress car souvent révélateur de troubles intenses chez les mineurs.
Aussi, je trouve qu'il est important de pouvoir prendre des temps de réflexion suite à des situations
que l'on a pu vivre comme marquante. Cette distanciation intellectuelle nous permet de mieux
comprendre la situation et d'analyser plus finement notre réaction pour s'enrichir
professionnellement et ainsi mieux réagir à l'avenir. Pour cela, un travail d'objectivation est de
rigueur ce qui n'est pas compatible avec la réaction de l'instant.
De la situation que j'ai vécu, je peux dire qu'elle m'a rassuré sur ma posture puisque j'ai pu remplir
mon objectif que je m'étais fixé sur le moment à savoir rassurer le jeune dans sa détresse. Il est tout
autant bénéfique pour moi d'avoir pris connaissance des savoirs d'action et notamment du savoir
d'expérience que je distinguerai dorénavant de l'instinct de mon travail éducatif.
Enfin, si je devais décrire ma posture professionnelle ou celle qui fait sens pour moi, je dirai qu'elle
questionne l'éthique même de l'accompagnement. Profondément centré sur la relation d'aide, je me
suis nourri durant ma formation de nombreux articles sur des notions telles que la congruence121, la
sollicitude122 ou encore la reconnaissance123.
121 La révolution copernicienne de la pédagogie, Carl Gustav JUNG, 2006 http://journals.openedition.org/leportique/835
122 Paul RICOEUR et la question éducative123 Les tisseurs de quotidien, Pour une éthique de l'accompagnement des personnes vulnérables, A.DURUAL-
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Je souhaite construire mon identité professionnelle autour de ces caractéristiques que sont
l'authenticité dans la relation, le respect et l'écoute active. Je trouve que l'humour est d'ailleurs un
bon moyen pour déplacer les conflits124, ou briser la glace notamment dans l'entrée en relation.
Réflexions globales sur les contraintes du métier
Dans la première partie, j'évoquais la notion de temps parfois subie par l'éducateur, comme une
contrainte non négligeable dans la prise en charge. Il est en effet important de préciser que notre
travail d'accompagnement, à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), s'inscrit dans un temps
bien précis du jeune dans son parcours et ce temps dépasse fort logiquement celui d'un suivi. Il est
dès lors essentiel de ne pas se tromper d'objectif, il est bien question dans notre travail d'en venir à
l'issue sur une prise en charge de droit commun à savoir la possibilité pour un mineur de poursuivre
sa scolarité125 le plus normalement possible.
Aussi, dans la situation éducative décrite, il aurait peut-être fallu un relais de droit commun pour
Jean avec l'intervention éventuelle d'une association de prévention ou encore la fréquentation par le
mineur de la Maison Des Adolescents.
Se pose donc la question des limites de notre intervention. Cette question, Guy HARDY126 y répond
dans son célèbre ouvrage au titre révélateur « S'il te plaît, ne m'aide pas, l'aide sous injonction
administrative ou judiciaire ». Il explique que « partant du fait qu'il nous est impossible de ne pas
intervenir, tout autant que d'aider une personne contrainte à changer, notre intervention est limitée
à notre capacité à nous utiliser, à agir, à nous changer, au sein du système d'intervention pour
influencer le jeu et en transformer les règles. C'est de ce changement au sein d'une interaction que
peut résulter le changement 127». La posture se doit en effet d'être adaptable et dirigée totalement
vers la personne que l'on accompagne. Ce n'est pas un exercice facile puisque l'on doit tenir compte
d’éléments que l'on pourrait croire insignifiants ce qui fait d'ailleurs dire à Stéphanie Félicité128 que
l'on « s'étonne trop de ce qu'on voit rarement et pas assez de ce qu'on voit tous les jours ». Cette
capacité d'observation est pourtant essentielle dans la construction d'une relation éducative saine et
propice au changement.
P.PERRARD, érès, février 2016124 Pour en avoir fait l'expérience, l'humour m'a permis lors d'un stage en structure d'hébergement collectif, de
mettre un terme à une situation de conflit juste avant qu'elle ne se transforme en pugilat125 Ou son insertion professionnelle le cas échéant126 Guy HARDY est assistant social, formateur certifié en programmation neurolinguistique et membre de
l'association européenne des thérapeutes familiaux127 p.54, S'il te plaît ne m'aide pas, l'aide sous injonction administrative ou judiciaire, Guy HARDY, érès, 2016128 Comtesse de Genlis, femme de Lettres française et gouvernante des enfants du Duc d'Orléans (1746-1830)
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CONCLUSION
Le 13 décembre 2017, J'ai éprouvé une situation éducative marquante et éminemment riche sur le
plan professionnel. La rencontre avec un jeune, le lien qui a pu se tisser par delà les quelques
entretiens dans un service de milieu ouvert, ont permis à ce jeune adolescent de se livrer à un
éducateur en formation pour demander soudainement de l'aide. La demande était aussi une
invitation à entrer dans son quotidien et dans le partage d'expérience commune, trouver le chemin
menant au changement.
Le 2 février 2018, à 16h45 Je revis une dernière fois Jean, au service, pour le bilan de sa mesure.
Nous avons pu nous entretenir une heure durant et ce dernier voulant revenir sur l'épisode du ciné-
débat me dit avec fierté qu'il a réussi à tenir son engagement de s'éloigner tant de l'alcool que des
stupéfiants. Je l'appelais à plus de mesure en l'invitant à poursuivre ses efforts évidents dans la
durée. Je le félicitais une nouvelle fois chaleureusement, j'étais vraiment satisfait de le voir dans un
tel état de confiance.
Durant l'entretien, nous discutions notamment de sa passion pour la moto-cross. Voulant le pousser
à aller plus loin, je lui demandais de se donner un temps où il pouvait rêver et formuler une
demande, un objectif, un souhait… et je voudrais ainsi conclure cet écrit en immortalisant son rêve.
Un jour, je passerai à la télé pour les championnats du monde de moto-cross…
(02/02/2018, 17h35)
J'attends son appel…
79
ANNEXE 3 : EANO
École Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
Formation statutaire des éducateursPromotion FSE 2016-2018
Redouane BAHRI
Étude Approfondie de Notions à partir d'un Ouvrage
(EANO)
Les tisseurs de quotidienPour une éthique de l'accompagnement de personnes vulnérables
Arlette DURUAL – Patrick PERRARD
22 janvier 2018
SOMMAIRE
● INTRODUCTION………………………………………………………………………….1
● PARTIE 1 : Présentation de l'ouvrage………………………………………………………1
● PARTIE 2 : Thème et propos de l'ouvrage…………………………………………………2-4
Le quotidien venant nourrir le travail d'accompagnement……………………………..2
Le quotidien comme outil de reconnaissance…………………………………………..3
Un appel à questionner sa posture professionnelle……………………………………..3
● PARTIE 3 : Étude de notions………………………………………………………………4-5
Processus de dépersonnalisation………………………………………………………..4
L'effet ricochet………………………………………………………………………….5
● PARTIE 4 : Conclusion…………………………………………………………………….6
Après la réussite du concours d'éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, et après
une première année de formation en site central à Roubaix, je suis actuellement en deuxième année
81
d'immersion professionnelle affecté à l'Unité Éducative de Milieu Ouvert de Mulhouse en Alsace.
Ce statut de stagiaire me permet d'être dans une position de chercheur en tout temps de présence au
service et cela présente l'avantage de pouvoir observer le travail éducatif dans toute sa plénitude.
Je me suis rendu compte pendant mes stages successifs que le lien éducatif entre un jeune et son
éducateur s'éprouve autant pour l'un que pour l'autre. Parfois ce lien permet d'instaurer un rapport de
confiance facilitant la suite du travail éducatif et parfois ce lien aboutit à la dégradation d'une
relation alors centrée sur le conflit et la provocation.
Fasciné par cet « art de faire », l'éducateur a un positionnement adapté aux besoins du jeune et
tenant compte du mandat judiciaire, il élabore des actions et projets en sa direction en visant son
inclusion dans la société. J'ai donc décidé de traiter cette thématique de la création de lien dans
l'accompagnement éducatif en milieu ouvert comme sujet de mémoire et cela a été pour moi le
début d'un travail de recherche et de réflexion.
Parmi mes lectures, je présenterai ici l'ouvrage co-écrit par Patrick PERRARD et Arlette DURUAL
intitulé « Les tisseurs de quotidien, Pour une éthique de l'accompagnement des personnes
vulnérables 129» avant de mettre en avant deux concepts détaillés par les auteurs pour finalement
faire le lien avec ma propre pratique professionnelle.
Les tisseurs de quotidien : un ouvrage co-écrit profondément tourné vers l'humain
J'ai personnellement choisi cet ouvrage comme objet d'étude pour la vision qu'ont les auteurs de
l'accompagnement éducatif.
Arlette DURUAL, assistante sociale130 et membre du laboratoire de recherche en travail social : « le
Labo Praxéo » et Patrick PERRARD, moniteur-éducateur puis éducateur spécialisé131, il est
aujourd'hui membre du collectif Reliance sur les situations de handicap.
Cet ouvrage à deux mains est le fruit de personnes ayant éprouvé le quotidien de l'accompagnement
de personnes en situation de forte vulnérabilité. Il présente de l'intérêt car aujourd'hui les auteurs
sont en réflexivité tout au long du livre en donnant la parole à des professionnels du champ du
travail social en interrogeant leurs pratiques. Cet ouvrage part du postulat de base que le quotidien
permet de rattacher des êtres ensemble, l'on s'interroge donc tout au long du livre sur la place du
vivre-ensemble dans l'accompagnement éducatif.
129 Ed Ères, Février 2016130 Et également directrice adjointe en charge des formations à l'ADEA de Bourg-en-Bresse131 Et également directeur du centre de formation ADEA à Bourg-en-Bresse http://www.adea-formation.com/
82
J'ai choisi ce livre pour mettre l'accent sur un point que j'estime important et essentiel pour ma futur
pratique professionnelle qui est de « prendre en compte le jeune ». Cela passe par prendre en
compte le jeune dans son quotidien et plus généralement dans son environnement. Je souhaite
mettre en avant l'importance du quotidien à travers ce livre afin de m'en inspirer lors des prises en
charge pour me permettre de prendre un peu de hauteur et apprendre à connaître encore mieux le
jeune dans ce qu'il traverse et ce qui LE traverse.
Dans un souci de clarté, il y a eu lieu de présenter le livre de manière thématique.
Une véritable éthique de l'accompagnement à travers l'observation et la
reconnaissance du quotidien
Les auteurs nous proposent dans cet ouvrage de plonger dans les quotidiens de personnes
souffrantes, vulnérables, en situation de handicap dans des instituts spécialisés ou non et de
constater que le quotidien ne doit pas être occulter par les professionnels. Ce quotidien est même
fondamental dans l'accompagnement puisque les auteurs diront que « c'est en découvrant ce qui fait
quotidien pour les personnes, en le reconnaissant et en permettant qu'il se joue, même dans des
environnements contraints, que nous pourrons favoriser l'existence des personnes en tant que
sujets, plutôt que de nous résoudre à en faire des objets de prise en charge»132. C'est la toute la
philosophie de l'accompagnement défendu par les auteurs.
Le quotidien venant nourrir le travail d'accompagnement
Les auteurs s'accordent à démontrer que les quotidiens des personnes sont « porteurs de sens 133».
Pour cela, il est nécessaire de comprendre que le quotidien fait référence à des espaces-temps qu'il
faut pouvoir identifier. Il peut s'agir de temps formels ou informels, des moments de routine ou
d'imprévus qui sont autant d'éléments d'information pour le professionnel si tant est que ce dernier
ait pu y être attentif..
Nombreux exemples sont cités, du petit train-train quotidien, de la douche avant le petit-déjeuner,
du fait de prendre son café devant le télévision ou non, de faire sa toilette avant de faire sa chambre
en institut spécialisé ou encore simplement fumer sa cigarette sur le bord du trottoir134… tout ces
132 p.13133 p.17134 sur ce dernier exemple que cite l'auteur, on reste attentif au fait que « ce bout de trottoir » a vu plusieurs fois des langues se délier, il est devenu un espace d'échange plus spontané comme l'explique l'auteur du fait qu'il est un entre-deux. Ni tout à fait dehors ni tout à fait dedans… p.26-27
83
exemples permettaient de comprendre qu'il y avait derrière tout ces faits banals un rapport
parfaitement individuel au quotidien, rapport qu'il fallait respecter puisqu'il concernait une personne
pour qui cela avait de l'importance. L'auteur met donc en avant le fait qu'il faille identifier ces
moments et s'y insérer afin d'en faire un outil de reconnaissance de la personne elle-même.
« C'est dans la quotidienneté que je peux repérer les difficultés des résidents et m'adapter à leur
autonomie, pour laisser la personne faire ce qu'elle sait faire et l'encourager dans ce sens 135»
Le quotidien comme outil de reconnaissance
Après avoir rendu attentif le lecteur à l'importance du quotidien comme source d'information, les
auteurs montrent par la suite comment se même quotidien lorsqu'il est intelligemment investi
participe de la reconnaissance de l'autre. Cela fonde une véritable éthique de travail que les auteurs
cherchent à démontrer.
Ils prennent pour exemple le fait que les repas pris par le personnel en institution136 sont gratuit
comme faisant partie justement de ce travail. Ces repas sont « thérapeutiques » indique l'auteur qui
inscrit ce temps commun comme ayant une fonction éducative, thérapeutique ou simplement
socialisante137.
L'auteur conclut d'ailleurs cette section sur le fait de penser tout « ces espaces-temps partagés
comme des lieux de la reconnaissance de l'autre en tant que personne singulière, et comme étant, in
fine, le terreau des pratiques d'accompagnement138 ».
Un appel à questionner sa posture professionnelle
Les auteurs lancent un appel à la fin de cet ouvrage à introduire de l'éthique dans cet «être
professionnel ». Ils promeuvent une posture professionnelle « ouverte à l'autre, capable de voir
dans la différence une occasion de s'enrichir sans craindre ce qu'il adviendra de cette
rencontre »139.
Selon eux, l'éthique porte un point d'appui solide lorsque l'on en vient à questionner sa pratique.
Ainsi, tel un inventaire, cet ouvrage se conclut sur les enjeux de l'accompagnement des personnes
vulnérables et non des moindres puisque, ce qui porte, c'est « soutenir le faible, aider l'autre à se
relever ou garder la tête haute, porter la parole de celui qui en est privé, aider cet autre à grandir,
à se développer..140 ».
135 p.16136 Institution visant en fait tout lieu de pris en charge : pensionnat, hospice, internat, foyers etc...137 p.68138 p.69139 p.131140 p.136
84
Je m'associe pleinement à ce discours et cet ouvrage a fait résonance en moi puisque le public pris
en charge à la PJJ est -à l'instar de celui mis en avant dans le livre- un public d’adolescents en
danger, très souvent en souffrance et n'ayant pour beaucoup qu'un référentiel de construction
identitaire autour du rejet de l'autre. Ainsi, prendre en charge un jeune signifie beaucoup de choses
pour moi et -j'en suis persuadé- nous nous devons de respecter ces enfants.
Ce travail de sollicitude ne va pas sans le respect du à la personne dans sa globalité. Ce « devoir de
respect » se rapprocherai ainsi de la démarche de reconnaissance qu'apportent les auteurs tout au
long du livre.
Des notions théoriques faisant appel à la vigilance de l'éducateur dans sa mission
Dans cet ouvrage, deux notions ont retenus particulièrement mon attention car liées à la mission
d'éducateur, on peut facilement y faire un lien avec notre fonction à la PJJ. Je voudrais ainsi
développer dans un premier temps la question du processus de dépersonnalisation avant de voir
dans un second temps l'effet ricochet des activités de médiations.
Processus de dépersonnalisation
« Sans en avoir conscience, certains professionnels participent, par des comportements quotidiens, à priori
insignifiants, à une non-reconnaissance de chaque usager en tant que personne singulière 141».
Les auteurs à travers la mise en avant de ce processus de dépersonnalisation lancent une alerte sur
certains comportements aliénistes -qu'ils soit conscient ou non- par des professionnels de
l'accompagnement. Ainsi, ils rappellent qu'il existe plusieurs techniques permettant de déposséder
quelqu'un de son identité parmi lesquels le changement culturel142, l'isolement, la dégradation de
l'image de soi, la perte d'autonomie etc. En prenant un recul sur notre pratique, on peut penser très
sérieusement nos procédures d'admissions comme aliéniste pour l'accompagné pour qui un
sentiment d'humiliation peut vite naître si l'on est pas suffisamment attentif à ce qu'il renvoi. Par
exemple, faire à la place du jeune ne se traduit t-il pas pour lui par un tu n'es pas capable ?
Avoir conscience de ce processus est déjà la première étape pour ne pas déposséder une personne de
ce qu'elle est.
141 p.48142 Erwing GOFFMAN, sociologue et linguiste américain, parle notamment de déculturation et de techniques de
mortifications dans l'isolement et les procédures d'admission. p.50
85
Dans un second temps, les auteurs préconisent une reconnaissance de la personne par la vivre-
ensemble et notamment via les activités de médiations. Cela nous permet de rebondir sur la notion
d'effet ricochet chère à Paul FUSTIER143
L'effet ricochet
L'auteur développe l'idée selon laquelle les activités de médiation sont les moments dans lesquels
une relation peut s'instaurer entre l'aidant et l'aidé. Il cite en exemple Paul FUSTIER et la notion
d'effet ricochet. Ainsi, ce dernier pense que « les activités de tout les jours peuvent avoir un effet de
changement, de traitement ou de thérapie ce qu'il nomme « effet ricochet.144»
La notion d'effet ricochet permet de concilier les activités dites médiatrices qu'on oppose souvent à
l'activité dite occupationnelle sans pouvoir vraiment faire la différence entre elles. En effet, combien
de fois n'a t-on pas entendu dire que les activités médiatrices n'étaient pas de l'occupation mais en
même temps faut-il pour autant nier l'intérêt de l'activité elle même parfois productrice pour la
considérer uniquement du point de vue de la relation entre deux êtres ?
Paul FUSTIER pense au contraire que « le prétexte initial n'est pas l'instauration d'une relation
mais bien la réalisation de cette activité », plus loin « cette activité réalisée pour elle-même peut
avoir des vertus thérapeutiques parce que justement elle n'a pas vocation initialement à en
avoir145 ».
L'éducateur est en effet un professionnel du quotidien, pourtant dans ces espaces de partage que
permettent les activités dites médiatrices, il cesse d'être ce professionnel aux yeux de l'aidé, ce qui
va l'amener plus facilement à la confidence parce que -encore une fois- ce ne doit pas être l'objectif
recherché au départ. Ces espaces et ces moments partagés peuvent par ricochet donner lieu à
l'établissement de ce lien, de cette relation, ce qui permettra comme dit l'auteur d'instaurer un
véritable climat de confiance, puisque « dans ces moments se joue tout ce qui fait l'authenticité de
l'être humain146 ».
143 Professeur de psychopathologie et psychologie clinique144 L'enfance inadaptée, repères pour des pratiques, Paul FUSTIER, 1983145 p.66146 p.67
86
Conclusion
On s'étonne trop souvent de ce qu'on voit rarement et pas assez de ce qu'on voit tout les jours
Stéphanie Félicité
Ce livre nous amène a considérer les personnes bénéficiant d'un accompagnement comme des êtres
à part entière, dont le caractère humain a été trop souvent nié.
Les auteurs se sont efforcés de faire le lien entre théorie et pratique tout au long du livre puisqu'ils
illustrent les notions et concepts d'exemples concrets venant de récits partagés par des
professionnels en fonction.
Pour ma part, les notions développées dans cet écrit vont m'être particulièrement utile dans mon
projet de mémoire étant donné que mes recherches vont dans le sens d'un questionnement d'une
posture professionnelle axée sur la relation d'aide, profondément tournée vers celui qu'on
accompagne. Voilà pourquoi il faut être d'autant plus attentif au quotidien des personnes prises en
charge.
Une dimension peu présente dans l'ouvrage mais éminemment intéressante fera l'objet
d'approfondissement de ma part puisque j'entends présenter dans mon travail de recherche l'idée
selon laquelle être éducateur est un métier où l'engagement émotionnel est élevé au rang de mission
éducative. Des auteurs tels que Joseph ROUZEL et Philippe GABERAN ont abordés cette
thématique et des idées d'ouvrages ont justement été proposés dans la bibliographie de ce livre.
Ce fut donc pour moi une lecture instructive sur tout les plans.
Je terminerai cet écrit par une citation de Philippe Gaberan qui tente de définir la relation éducative.
Cette citation a constitué pour moi un point de départ au traitement d'un tel sujet, je poursuivrai
ainsi mon cheminement à l'occasion de nouvelles lectures..
La relation éducative n'est pas un processus de réparation ou de normalisation de
l'individu mais elle est un temps et un espace, à la fois instables et sécurisés, au sein
desquels une personne requise pour ses compétences en aide une autre à passer du vivre
à l'exister.
Philippe GABERAN
La relation éducative, érès, 2007
87
ANNEXE 4 : Transcriptions des entretiens de recueil de données
Premier entretien : Virginie - Éducatrice
11 décembre 2017 à 18h
R.B. Lors d'un premier entretien avec un jeune,
créer du lien fait-il parti de tes objectifs ? Si oui
quelle importance lui donne-tu ?
V.L. Bah oui évidemment ! Évidemment que
créer du lien c'est important… quelle importance
on lui donne ? Le lien c'est une place un peu
primordiale quoi, pourquoi ? Parce que… alors
premier entretien euh... ben tu essaye de
découvrir la personne et forcément il faut que tu
crée un lien sinon on serait des robots et il faut
faire en sorte de toucher vraiment ce qu'il est
sinon il répond n'importe quoi concrètement à
tes questions donc du coup quand t'essaye de
toucher réellement ce qu'il est, essayer de le
comprendre ben t'es obligé de créer du lien pour
essayer de comprendre la personne et essayer de
faire passer des messages et échanger tu vois.
R.B Bien ! alors justement dans ce cas transition
toute faite, que pense tu de l'engagement
émotionnel de l'éducateur dans la relation
éducative ? Dans cette relation éducative entre
un jeune et son éducateur ?
V.L Euh qu'est ce que je pense de l'engagement
ÉMOTIONNEL ?
R.B Oui ! Est ce qu'il est préférable que
l'éducateur s'engage émotionnellement parlant,
tu parlais de robot tout à l'heure..., voilà dans la
relation éducative est ce que cela a une
importance de pouvoir montrer aussi...
V.L. ...OUI ! Il n'y a pas que l'émotion mais c'est
vrai que ça en fait partie je pense d'avoir de la
compassion face à certain parcours ou voila de
s'engager émotionnellement c'est important mais
il n'y a pas que l'émotion je pense qu'il faut
garder une posture professionnelle parce que si
t'es uniquement dans l'émotion t'as plus de
posture professionnelle, je veux dire que si t'as
quelqu'un il va venir te raconter un parcours
terrible et que tu pleure avec lui et que t'as de la
compassion ben tu vas pas l'aider comme ça quoi
donc je pense que c'est important de pas être
froid et glacial, d'avoir de la compassion pour les
gens ou de t'engager émotionnellement pour
comprendre ce qu'il vit mais pas que du point de
vue de la compassion par exemple une mère ou
des parents qui sont extrêmement remonté contre
leur fils, d'essayer de… il faut que t'es de
l'émotion pour saisir quelles sont les émotions
que la personne a en face, tu vois si on ressent
plutôt de la haine vis-à-vis de l'institution ou de
la rage vis-à-vis de l'enfant ou plutôt du désarroi
donc c'est important de pouvoir s'engager
émotionnellement sinon t'es pas réceptif à l'autre.
Mais après c'est important de garder une posture
professionnelle sinon tu n'es plus dans une
posture d'aide à la personne, d'accompagnement
88
donc il faut toujours la garder dans un contexte
et dans un cadre oui...
R.B Dans ce cas alors nouvelle transition est ce
qu'une posture strict d'un éducateur est un frein à
l'établissement d'un lien éducatif ?
V.L Ça dépend de ce qu'on parle comme posture
strict… C'est quoi une posture stricte d'un
éducateur déjà ?(sourire...)
R.B Un éducateur plutôt centré sur les
recadrages, laissant une marge de manœuvre très
faible au jeune, une attitude aussi… de ce qu'il
va montrer, est ce qu'il va être accueillant. De
manière générale quand il adopte une attitude
strict, est ce que cela va refroidir la relation ou
au contraire est ce que parfois un jeune aurait
besoin de ça ?
V.L Oui moi je pense que ça dépend de la
situation… puisque je pense qu'il y a des parents
qui attendent peut être ça tu vois, de se retrouver
face à quelqu'un qui a un peu une attitude de
porte de prison, car justement je pense qu'il y a
des gamins, ou des jeunes ou mêmes des adultes
tu me diras, qui sont manipulateurs, dans la
séduction etc. donc je pense qu'être trop parfois
dans l'émotion ou la compassion tu peux aussi te
faire embarquer et te faire manipuler tu vois.
Donc en gardant bien le cadre et en étant très
froid, « c'est comme ça » ben parfois ça peut
certainement protéger aussi et éviter des
désagréments de certaines personnalités par
exemple les personnalités perverses. Après il
faut aussi avoir la capacité de s'adapter, d'essayer
d'analyser la situation et de voir la ou tu peux
lâcher du mou et la ou il faut que tu sois plus
froid, plus ferme et plus directif. Mais c'est ça
qui est compliqué je pense que dans
l'établissement du lien c'est certainement la
chose la plus compliqué, c'est d’essayer
d'analyser la personnalité de la personne que t'as
en face de toi et en fonction de la personnalité
essayer d'adapter ta posture professionnelle et
l'émotion que tu donne parce qu'après… au
contraire je pense que se montrer extrêmement
froid et très cadrant et en restant « t'as un
contrôle judiciaire avec tel obligation ! » face à
un gamin qui est dans un énorme désarroi, qui
fait preuve de rejet familial et qui trouve aucune
compassion je pense que tu peux encore plus
l'enterrer tu vois.
Donc selon les personnalités… c'est pour ça que
le premier lien à créer c'est aussi d’essayer
d'analyser un petit peu la personnalité que t'as en
face de toi. Et après adapter ta posture et ton
émotion. Car après tu peux en arriver à des
extrêmes inverses, des gens qui te bouffent
complètement la bille parce que t'es trop dans
l'émotion et qu'à un moment donné t'en pète les
plombs et t'es dans un rejet et tu fais revivre à
des gamins qui sont tout le temps dans la
séduction, si tu te laisse embarquer après tu te
fais bouffer dans la relation et surtout ça lui sert
pas, car un moment donné l'objectif c'est quand
même qu'il progresse et je veux dire, c'est bien
les jeunes qui essayent de filouter, alors tu le
89
laisse aller une fois en lui disant « ok ça marche
cette fois-ci », mais faut pas perdre de vue
l'objectif que t'as avec lui et une fois, ça va
marcher mais c'est toi qui mène la danse et ça
marchera pas dix fois. Faut faire un trajet comme
ça.
R.B Excellent ! Alors encore trois petites
questions très rapide sur ton avis sur la question
de la confiance dans la relation éducative ?
V.L Ouai moi je l'utilise beaucoup ! Je l'utilise
beaucoup, ça marche avec certain gamins et ça
marche pas avec d'autres mais je l'utilise
beaucoup parce que bien souvent, les jeunes,
beaucoup sont très sensible à ça. Notamment
dans les milieux des jeunes qui sont bien englués
dans la délinquance, qui sont des gamins un peu
de rue comme ça eh ben ça marche beaucoup a
la confiance car on entend souvent, très souvent
des discours du style « j'suis pas une poukave,
j'balance pas » un peu un esprit communautaire
avec les autres jeunes , chacun a confiance en
l'autre et le fait de balancer, le fait de trahir une
confiance c'est quelque chose qui marque
beaucoup donc moi je l'utilise beaucoup avec les
jeunes que je vois. Souvent ils réagissent comme
avant par exemple quand Nawfel je lui dis « j'ai
confiance en toi !» et ça ça l'a fait réagir tu vois,
on va voir si on peut avoir confiance… ou alors
Berkane tu vois que je connais très peu mais
quand je lui présentais son stage je lui ai dis « on
peut avoir confiance en toi ? » et ça l'a fait réagir
tout de suite « mais bien sur qu'on peut avoir
confiance en moi ! » je lui ai dis « ben on verra »
et quand on a été chez les pompiers (pour le
stage de sensibilisation… sic) la première chose
qu'il a faite c'est de me dire « vous avez vu on
peut avoir confiance en moi » tu vois c'est un
truc qui marche bien la confiance. Après il faut
aussi réussir à être irréprochable derrière, la
confiance elle doit marcher dans les sens, c'est à
dire que si tu lui dis par exemple « vendredi
aprèm je t'appelle pour tel truc » faut pas que tu
te loupe ! Je pense que dans ce lien là il faut se
montrer irréprochable. Ce que je me suis engagé
de faire je l'ai fait vis-à-vis du gamin et toi t'en ai
ou, on peut pas te faire confiance tu vois, alors
explique moi… et je trouve que l'histoire de la
confiance ça marche assez bien, du genre moi je
m'engage, toi tu t'engage aussi, chacun peut
avoir confiance en l'autre et au bout d'un
moment je trouve que c'est aussi comme ça que
l'on construit assez bien le lien. Les jeunes
reviennent car tu fais ce que tu dis quoi, après il
faut pas non plus s'engager dans des trucs que tu
peux pas faire. Moi j'essaye de pas m'engager
dans ce cas, si un jeune me demande quelque
chose, je lui dis « je vais essayer de le faire si
c'est possible, je te promet rien » je pense que
sinon tu brise la confiance si concrètement tu le
feinte deux trois fois alors tu peux pas demander
une exigence que toi tu n'as pas vis-à-vis de lui,
c'est primordiale oui la confiance !
R.B Deux petites questions encore, selon toi est
ce qu'une présence renforcée de l'éducateur peut
contribuer à l'amélioration du lien éducatif ? Plus
90
généralement le temps est-il un facteur important
dans l'établissement de ce lien ?
V.L Ouai le temps est un facteur important
maintenant je pense pas que le temps ça se
mesure en nombre d'heure auprès du jeune.
R.B Ça se mesure à la qualité de ce temps ? Et
pas que la quantité ?
V.L Ouai et même pas que à la qualité c'est à dire
que tu dois avoir suffisamment.. Tu vois des fois
avec des jeunes t'as juste des contacts
téléphoniques mais faut être la au moment clé,
avoir l'impression qu'il y a toujours quelqu'un
derrière. Moi j'ai l'impression que ça quand
même c'est primordiale, c'est à dire que faire
venir un jeune et de passer toute une journée
avec lui le lundi c'est super parce
qu'effectivement tu vas vivre des choses, tu vas
vivre des émotions avec lui, t'apprend à le
connaître etc.. mais si après t'as plus rien qui se
passe durant toute la semaine et que la semaine
d'après tu le vois.. tu vois
R.B Oui on repart de zéro…
V.L Mais c'est pas tellement repartir à zéro tu
vois, des fois ya des jeunes ou par exemple tu
vas le voir le lundi, puis tu vas le croiser le mardi
puis le mercredi tu lui envoie un message genre
tac tac l'essentiel qu'il ai tout le temps
l'impression que..(réfléchi) a des moments clés
ou par exemple tu sais que (réfléchi)… en fait
moi ce que je voulais expliquer c'est que le
temps le plus important c'est d'être la à des
moments clés plus que de passer... ça se mesure
pas en terme d'heure que tu passe auprès d'un
jeune car ya des jeunes avec qui tu peux passer
15 heures avec eux dans une semaine et ça aura
peut être pas plus d'impact auprès d'un jeune
avec qui tu passe qu'une heure mais lors d'un
moment clé tu vois. Moi je crois que c'est ce
qu'il faut identifier dans un suivi. Je sais pas il
passe par exemple un diplôme important, passer
un coup de fil à ce moment la tu vois c'est un
moment clé ou t'apprend que le jeune est en train
de décrocher des cours et d'intervenir tout de
suite au moment du décrochage tu vois.
R.B On en revient au fait de bien cerner le jeune,
l'individualisation. donc les premiers temps sont
super importants pour savoir ensuite quand est
ce qu'on peut, quand est ce qu'on doit être la...
V.L ..Voilà.. et de réussir à créer du lien ! Parce
que concrètement si tu crée pas du lien avec le
jeune il va pas te répondre.. Si tu ne réagis qu'en
terme de convocation genre je te convoque
« viens tel jour tel heure » je fais le point et après
je repars ben si t'as créée aucun lien tu vas
essayer de l'appeler pour lui donner une info,
faire un point, ben il va pas décrocher tu vas
tomber sur son répondeur. C'est la où il faut
pouvoir créer un lien de confiance qui t'identifie
comme certes appartenant au milieu de la justice
mais avant tout comme éducateur et la pour
accompagner et épauler à travers cette mesure
91
moi je pense que c'est ça qui est important par
exemple ça m'est déjà arrivé d'appeler un jeune
le 31 décembre moment clé ou tu sais que ça va
déraper, pour lui rappeler un petit peu « déraille
pas ce soir, tu vas sortir tu vas faire nimp donc
fais attention ».
Un jeune qui commence à décrocher par
exemple qui va pas à l'école, il faut essayer de le
voir pour comprendre ce qu'il ne va pas, qu'il
comprenne aussi que t'es la pour faire de
l'accompagnement. Sinon si tu laisse aller, laisse
courir la mesure et après ya conseil de discipline
et tu te pointe au conseil de discipline, mais ya
plus rien à y faire ya plus rien à sauver quoi, il
faut intervenir en amont, à des moments clés et
ça c'est important. Et t'engager aussi par exemple
moi ça m'est arrivé pour un jeune qui était assez
loin du rythme classique ben je l'emmenais tout
les matins sur le lieu de stage ou tout les matins
à l'école. Ça me rappelle un suivi d'un jeune qui
était ré-inscrit dans une filière et je savais qu'il
allait pas réussir à se lever le matin, ça faisait
deux ou trois ans qu'il avait complètement
décroché donc tout les matins j'allais le récupérer
et je le déposais au lycée mais tu peux pas faire
ça toute l'année et j'ai fais ça pendant une
semaine et je lui disais « écoute Emin, moi la
semaine prochaine tout les matins 7h30 je viens
te chercher je te conduis au lycée faut que tu
regagne un rythme et la deuxième semaine tu
t'engage à y aller seul et même si ça capote au
moins tu aura tout essayer. Tu le responsabilise
tu lui met le pied à l'étrier. Tu peux lui dire
ensuite de se remettre en question. C'est
beaucoup plus simple je trouve quand t'as un
suivi ou un lien comme ça aussi si tu veux d'en
faire un bilan ou d'aller témoigner. Moi je vais
au tribunal, avec ce jeune la je dis franchement
« il a déconner, mais vraiment déconner à
2000 % » et il va pas broncher à coté car il sait
que t'étais la que t'étais présent et engagé du
début à la fin, les cartes sont posés sur la table
lui il ne s'est pas mobilisé, je peux lui dire « le
jour ou tu vas aller en prison tu peux t'en prendre
qu'a toi même et je ne veux pas entendre de
critique sur la justice.. » donc c'est pour ça je
trouve que c'est important de créer ce lien et
d'être la à des moments un peu clé ouai…
R.B Merci, alors dernière question, est ce que
l'usage d'un média éducatif facilite la création et
pourquoi ? Et si toi tu l'utilise, vers quel type
d'outil tu te dirigerai dans ton travail
d'accompagnement ?
V.L Je sais pas moi j'ai l'impression que ces
histoires…(réflexion) je pense que oui un média
ça peut s'utiliser.. et être bénéfique pour certains
jeunes après pas forcément tout et n'importe
comment, c'est un peu un truc à la mode c'est pas
forcément adapté pour tout les jeunes. Ya des
jeunes je pense il faut aller sur leur terrain c'est
favorable. Je pense à un jeune qui voulait faire
du rugby donc je l'ai emmené voir un match et
j'ai regardé avec lui le rugby et ça l'avait marqué
il est trop fier trop content mais de l'autre coté ya
des jeunes qui font du foot en club et toi tu vas
pas aller le voir en match avec ses amis etc. les
92
médias tu peux pas l'utiliser pour tout les jeunes.
R.B On en revient à l’effort d'individualisation
pour comprendre ce dont il a vraiment besoin…
V.L Oui voilà c'est ça et des fois un média ça
peut être simplement un lieu, tu vois rien
d'extraordinaire. Je pense à un jeune que j'ai
suivi 7 ans mais avec seulement trois entretiens
au Stemo au maximum… les entretiens se
passait dans la voiture car en dehors de la voiture
il parle pas, si tu veux en entretien duelle quand
tu dois regarder l'autre, quand tu es assis en face
de l'autre il se bloquait. Le magistrat a mis deux
ans et demi à entendre le son de sa voix, juste à
entendre un oui ou non ou dire une phrase sinon
il était prostré sur lui-même. Moi la première
fois ou je l'ai entendu parler c'est quand je
l'emmenais au CER de Metz je suis parti à l'aube
et dans la voiture une vraie pipelette quoi parce
que en fait il est pas assis dans une posture « «je
suis en face de toi » et donc du coup en voiture
ça marche assez bien quoi, t'es dans la rue, t'es à
l'extérieur tu peux te barrer ouvrir la portière,
c'est un autre contexte, c'est pas institutionnel
c'est pas un bureau tu vois... et donc ce jeune-là
pendant 7 ans tu sais comment je l'ai suivi ? Le
soir.. quasi tout les soirs quand je partais du
STEMO je prenais ma voiture et j'allais ou ils
squattaient tous c'étaient leur lieu de
regroupement et je m'arrêtais la bas pour choper
les gamins ou filer des infos et je le voyais je lui
disais « Karim faut qu'on se voit » et il montait
dans la voiture et il pouvait discuter pendant 4
heures. Mais si je le faisais venir au STEMO il
décrochait pas un mot c'était impossible c'est
pour ça je dis…
R.B ...Malgré le lien que t'avais créer avec lui ?
C'était vraiment plus fort que ça en fait ?
V.L C'est à dire que au STEMO il venait mais il
était extrêmement mal à l'aise en fait, il était la il
rasait les murs, il était vraiment pas bien quoi il
avait qu'une envie c'est de repartir d'ici parce que
c'est l'institution parce que ya des gens, ya du
monde et la bas c'est un autre contexte on était
dans la voiture, c'était souvent le soir il faisait un
peu nuit, il était pas loin de son quartier, il y
avait ses potes etc. donc des fois je dis des
médias ya pas besoin de créer des « trucs à la
con » parfois le voir au truc du coin ou parfois tu
peux utiliser des médias ou bien des films ou
bien du photo-language mais ça dépend aussi
toujours des jeunes et du but, de l'objectif que tu
t'es fixé, que ce soit bien choisi et bien
individualisé à la personne aussi parce que moi
j'y crois pas trop à ces trucs genre ciné-débat où
tu fais venir 15 gamins et tu leur montre un film
pour faire un ciné-débat.. ouai ok un groupe de
parole quoi mais si tu veux vraiment parler de
quelque chose de profond du gamin, il faut que
t'essaye de cerner quelle est sa problématique,
quel est son questionnement et tu t'appuie sur ça
pour pouvoir engager un dialogue…
R.B C'est pas quelque chose qu'on doit sortir
d'une armoire, c'est quelque chose qu'on doit
93
construire en fonction de ce qu'on a en face, avec
le jeune..
V.L Ouai c'est exactement ça ! Parce que par
exemple moi je vois le cheval c'est beaucoup
utilisé avec les jeunes...
R.B Oui l'équithérapie !
V.L L'équithérapie c'est ça. Mais je pense que ça
dépend, t'aura des jeunes qui vont venir juste
pour en faire du loisir. Pour que cela ait vraiment
un sens il faut que t'es construit un lien
privilégié, un lien avec ce gamin et que tu sais
que faire du cheval ça va lui déclencher des
émotions, de la peur de la joie ou je ne sais quoi
tu vis quelque chose pour sortir du quotidien. Je
pense que ça fonctionne comme ça sinon c'est
plaqué...
Comme par exemple le camp qu'on a organisé
avec Didier en Bretagne ou on avait emmené
quelque jeunes de La cité (quartier de Mulhouse)
que je suivais depuis longtemps. Si tu veux à la
base c'est un groupe, un noyau de jeune qui
faisait beaucoup d'actes de délinquance. On est
partis avec ce noyau là, c'est des potes, ils sont
tout le temps ensemble mais il font de la merde
ensemble… voilà concrètement ils étaient
interpellé tout le temps ensemble. On avait
construit quelque chose autour de ce camp et
après évidemment quand tu vas la bas, le but
c'était aussi au-delà des chantiers éco-citoyens
car c'était pas vraiment de nettoyer la plage qui
allait leur ramener quelque chose mais c'était le
fait de vivre les choses au quotidien avec eux,
entre eux, d'essayer de changer la dynamique de
groupe d'essayer de faire en sorte que ce groupe
la au lieu de faire de la merde ben ils peuvent
aussi s'associer pour faire des trucs bien, monter
un projet ensemble, faire des trucs ensemble, la
bas sur place ben tu vois ils s'épaulaient quand
y'en a un qui pétait les plombs « j'en ai marre
moi de ce boulot de merde » les autres
essayaient de le récupérer enfin on poussait les
autres à aller le récupérer. Tu vois d'essayer de
changer la dynamique de groupe, de t'appuyer
sur les autres jeune pour après quand ils
reviennent sur le quartier.
Tu vois Didier par exemple qui était pas référent
des jeunes ils se souviennent de lui...
Maintenant ça aurait pas donné la même chose si
on avait pris 5 jeunes qui ne se connaissent pas,
il s'agit de créer une dynamique de groupe avant
de partir. Et la c'était encore plus intéressant
parce que c'était des jeunes du même age, du
même quartier et c'était les jeunes les plus
problématiques de ce quartier là. Après le risque
étant grand quand même parce qu'on est parti
avec ce noyau dur qui faisait beaucoup parler de
lui, ça aurait pu éclaté mais on les avait briefé à
fond. On leur disait « on va pas en Bretagne pour
aller faire de la merde » mais on a vraiment joué
sur la confiance, le soir ils nous disaient « on
peut aller en quartier libre ? » on leur disais ok et
on a pas eu vraiment de souci mais on les avait
prévenu que sinon le lendemain on retournait à
la camionnette. J'en avais appelé un ou deux
pour savoir ou ils étaient, mais on savaient qu'ils
94
allaient revenir. Pour ça, il faut créer un lien avec
chacun d'eux, avoir un objectif, créer une
émulsion de groupe, objectif de départ, de retour
et c'est vrai qu'après c'est plus simple de
travailler sur la dynamique de groupe notamment
sur le quartier, qu'ils comprennent qu'ils faut
qu'ils s'entraident, que y'en a un qui essaye de
freiner l'autre qui a une idée débile parce que
c'est comme ça que ça se passe, ça vient jamais
d'un truc collectif y'en a un qui balance l'idée
mais c'est parce que les autres suivent c'est le
groupe qui fait que… c'est pour ça que c'est
important de pouvoir agir sur une dynamique
d’où le fait d'avoir la confiance du jeune. C'est
comme ça que t'arrive à agir sur ton
environnement.
Après aller dire au jeune genre « tu traîne pas
avec l'autre » c'est utopique c'est comme si moi
tu me disais « arrête de traîner avec ta copine »
et puis même qu'est ce qui justifierai que du jour
au lendemain « au fait, mon éduc il m'a dit je
dois plus te calculer » non c'est pas ça qu'il faut
leur dire, c'est le discours des parents ça mais en
plus c'est débile si t'y réfléchis parce que c'est
impossible à faire. Ce serait mieux de dire « faut
que t'apprenne à dire non, si tu sais que le mec
avec qui tu traîne est pas très droit le jour ou il
t’essaye de t'embarquer dans un truc tu lui dis
« nan vas y on déconne quoi » voire même
t'essaye de l'amener avec toi sur quelque chose
de positif quoi et ça tu peux avoir ce discours
que quand tu as créer du lien.
95
Deuxième entretien : Marie - Éducatrice
15 décembre 2017 à 9h
R.B. Lors d'un premier entretien avec un jeune,
créer du lien fait-il parti de tes objectifs ? Si oui
quelle importance lui donne-tu ?
M.L. Alors ! Créer du lien pour moi c'est…
important ! C'est nécessaire, oui cela fait partie
de mes objectifs. Complètement ! Après on doit
aussi s'adapter à chaque situation. Si tu sens que
c'est un gamin qui vient pas, qui va venir que
dans le cadre de la contrainte, qui va vouloir se
fixer aux objectifs pour qu'on l'embête plus... ce
sera différent car il va pas forcément avoir cette
remise en question et donc il n'y aura pas pour
moi cette relation..
R.B. Donc toi, quand tu vas recevoir un jeune
pour la première fois, parmi tes objectifs certes
tu vas lui expliquer la mesure, mais tu vas aussi
adopter une attitude qui viserai à créer du lien…
M.L Et m'adapter à la situation !
R.B. Oui t'adapter à la situation donc comment
tu vas faire immédiatement quand tu ne connais
pas le jeune. Les premières choses auxquels tu
penses, ce sont d'aller sur des choses
personnelles à lui ?
M.L Symboliquement quand j'ai la procédure en
main, je vais lui dire « ça, a ton avis qu'est ce
que ça va me donner comme image de toi ?
Alors il va me dire soit je suis délinquant, soit
j'ai une mauvaise image et je lui dis : Oui
effectivement mais est-ce que t'es QUE ça ? ».
En fait je viens souvent les surprendre car
effectivement ils sont la dans ce cadre là mais ils
sont pas que ça et je l'amène à ce qu'il le dise lui-
même pour rebondir la-dessus et dire « qu'est ce
que t'es toi aussi en dehors de ça ? Parce que
moi mon travail c'est pas de te juger sur ce que
t'as fait mais de comprendre pourquoi tu l'as fait
et éviter que ça se reproduise. Mais t'es pas que
ça, t'es un ensemble de choses, moi ça
m’intéresse de savoir qui t'es... ».
R.B. Et est-ce que tu pense que ce genre
d'attitude aide ? Parce que tu tisse quand même
une relation particulière avec tes suivis ?
M.L. Au final je pense que tout le monde que ce
soit les gamins ou d'autres… (réfléchi) Quand on
te pose des questions sur toi, automatiquement tu
te dis la personne porte un intérêt à ta situation…
R.B Ok parfait, donc cela fait une transition, que
pense-tu de l’engagement émotionnel de
l'éducateur dans cette relation éducative ?
M.L Pour moi, il est nécessaire aussi. Chaque
professionnel a sa propre personnalité et va
s'adapter aussi en fonction de sa façon d'être.
Même si certains au service ont des formations
de base différentes, par exemple pour moi je
viens de l'éducation spécialisée puis je suis
96
devenu éducatrice PJJ. Ce que j'ai appris dans
ma formation initiale, c'est vraiment dans « le
faire avec » dans la construction alors que
l'approche dans la formation PJJ est légèrement
différente et tient compte forcément du mandat
judiciaire. Pour autant cela fait partie de mon
identité professionnelle que j'utilise aujourd'hui
en tant qu'éducatrice PJJ. Je suis toujours dans le
faire avec et dans certaines situations avec des
jeunes, je ne suis pas mal à l'aise à l'idée qu'un
jeune sache que j'ai un enfant.. C'est aussi un peu
de moi pour permettre d'accéder à eux. Après, le
partage je vais le maîtriser aussi et je vais pas
aller trop loin, même si eux même ne vont
jamais très loin sur ce plan-là. Je veux réussir -en
parlant de petites choses comme ça- d'atteindre
un objectif sur sa situation à lui..
R.B Est ce que ça te poserai des difficultés dans
ce cas-là à exprimer des émotions face à un
jeune ou bien faut-il plutôt rester impassible…
M.L ...Nan je pense que c'est important..
R.B Ok, alors quels limites dans ce cas. Si on
montre de l'émotion jusqu’où on va aller et dans
ce cas est ce qu'on peut se mettre à pleurer avec
un jeune ?
!
M.L Non c'est vrai, d'ailleurs ça me fait penser à
Léonardo, un jeune que je connais bien, que tu
connais aussi, que je suis depuis un long
moment. Je pense que cet affect a fait qu'il y a eu
une accroche dans la situation et que lorsqu'il va
trop loin, il va l'entendre à ma voix et va le
savoir immédiatement. Ma façon de parler avec
l'émotion que je vais apporter va lui faire dire
qu'il est allé trop loin et qu'il ne veut pas ruiner
la confiance que j'ai en lui.
R.B Oui parce que briser cette relation aurait eu
des conséquences pour lui beaucoup plus
difficile.
M.L Complètement ! Parce qu'il vient toujours
me demander de l'aide, et très souvent dans des
moments imprévus même si je lui ai déjà
souvent dit.
R.B Ce qui est intéressant dans ce que tu expose,
c'est que tu mets ton propre engagement
émotionnel au service de ta posture
professionnelle. Il n'y aura pas de dérive
affective car tu permet l'expression de tes
émotions mais tu ne sera pas submergé par les
émotions parce que tu sais que c'est au niveau
professionnel que tu l'incarne. C'est en tant
qu'éducateur PJJ que tu vas t'engager
émotionnellement parce que ça facilite le travail
et surtout parce que cela permet de transmettre
des choses. C'était donc intéressant de lier
l'engagement émotionnel et la posture
professionnelle.
D'ailleurs en parlant de posture, question
suivante : Est ce que finalement une posture
strict d'un éducateur est un frein à l'établissement
d'un lien éducatif ? Ce que je veux dire par
97
posture strict, c'est un éducateur qui aurait une
attitude plutôt sévère, très porté sur le recadrage
et parlant beaucoup des actes posés.
M.L (Réfléchis) Je pense qu'il y a du pour et du
contre…Vraiment !
R.B ...Et quelle serait alors le pour d'avoir une
posture stricte ? Si on parle d'établissement du
lien ?
Par exemple pour Léonardo est ce que cela a
servi que tu dise « un moment stop ! » ou que tu
montre ta colère…
M.L Oui cela a clairement servi ! Depuis il se
mobilise sur la plate-forme d'accroche. C'est
important de dire stop ! De mettre clairement la
limite. Pour autant, il ne faut pas oublier le cadre
très spécifique, on est au pénal. Le premier
entretien pour moi doit être très formel pour
rappeler le cadre mais après c'est à chacun et à
chaque situation de s'adapter par rapport à ta
façon d'être.
Tu as pu te rendre compte de l'attitude différente
que j'ai eu lors de la dernière PEAT face à
Christophe en comparaison avec l'autre jeune
Chicharito qui était également présenté. Parce
que tu voyais bien que lui, il était pas du tout
dans l'envie d'adhérer à quoi que ce soit donc là
effectivement, j'étais dans une posture plus
rigide.
R.B Oui une posture qui va s'adapter…
M.L Complètement !
R.B Alors question suivante, quel est ton avis sur
la question de la confiance dans la relation
éducative ?
M.L C'est hyper important ! Pour moi c'est hyper
important. La confiance c'est l'étape avant la
relation d'aide. Tu peux pas être aidant à mes
yeux si la personne n'a pas confiance en toi..
Pour moi c'est vraiment une étape.
R.B Parfait. Alors peux tu me donner un
exemple d'un jeune ou la confiance a été
déterminante dans le suivi ?
M.L Danny ! C'est un jeune que je suis depuis
des années. Ce garçon, je pense que je suis une
des seules qui connaît tout sur sa situation.
Lorsqu'il est en difficulté il viendra me voir.
Alors c'est vrai qu'il revient de loin, qu'il y a
encore des choses à améliorer, mais que grâce à
tout ce travail, il a vraiment su réussir à sortir la
tête de l'eau. Alors oui il a fait de la détention et
tout les types de placements. Mais aujourd'hui, il
ne commet plus d'infraction et essaye de s'en
sortir tant bien que mal et ça c'est une victoire. Je
pense que cela a été permis par la confiance
établie en nous deux, quand j'ai réagi a des
situations catastrophiques, quand c'était la guerre
à la maison et qu'il m'appelait le soir et qu'on
restait ensemble des heures et qu'on aille
manger.
98
R.B Je remarque de ce que tu dis que la
confiance s'est créer du fait de ta présence.
Même le soir et peu importe la durée. Il t'appelle
ben tu es la !
M.L Oui c'est ça. Cette semaine Danny a eu peur
suite à un message d'un huissier, il était en
panique totale, il m'harcelait de sms car je lui ai
laissé mon portable. On peut être pour ou contre
le fait d'utiliser son portable personnel mais la il
avait besoin d'être rassuré simplement sur son
aménagement de peine et cela m'a permis de
réagir très vite.
R.B Parfait. Selon toi est ce qu'une présence
renforcée de l'éducateur peut contribuer à
l'amélioration du lien éducatif ? Plus
généralement, le temps est-il un facteur
important ?
M.L Oui complètement ! Et en fonction de la
mesure que l'on a, le temps n'est plus le même.
Sur la durée clairement les objectifs ne sont plus
les mêmes. Une mesure de réparation par
exemple tu peux essayer de travailler sur la
situation familiale et scolaire mais ça ne fait pas
forcément partie des objectifs. C'est important de
le faire pour essayer de comprendre pourquoi il y
a de la réitération. Donc le temps est très
important. Hier au TPE pour Max, le juge a
demandé un RRSE et j'expliquais que ce qui
était compliqué dans sa situation c'est qu'il
n'avait jamais été connu auparavant et
subitement on a une succession de fait alors qu'il
est à l'aube de sa majorité. On est un peu
dépourvu dans cette situation, qu'est ce qu'on
propose comme travail éducatif ? Alors c'est
vrai, j'y suis allé plus rapidement et plus
fortement. Au final, le juge a ordonné un SME
pour avoir un temps supplémentaire.
R.B Tu as donc su t'adapter et être plus ferme
compte tenu des temps contraints.
M.L C'est tout le temps un travail d'adaptation,
sur cette situation j'ai été tellement présente et
tout le temps à le titiller que lors du dernier
entretien à domicile il ne m'a pas salué en partant
de chez lui. J'ai compris pourquoi et je ne lui en
ai pas tenu rigueur.
R.B Intéressant… Dernière question : est ce que
l'usage d'un média éducatif facilite la création de
lien ? Pourquoi ? Et si oui, quel type d'outil
utilise-tu dans tes suivis ?
M.L Je pense que cela complète la relation mais
la relation individuelle est primordiale. Quand
t'es dans le « faire avec », tu vas aborder des
choses complètement différentes que lors d'un
entretien individuel. Léonardo par exemple on
est dans la confiance réciproque et lors des trois
derniers jours de camps, j'ai trouvé son
positionnement très intéressant. Et à nous
éducateur d'utiliser ses expériences pour le
valoriser.
Comme outil, pour ma part j'utilise surtout la
cuisine. Quand tu partage une passion, tu
99
transmets déjà des choses supplémentaires, tu
transmets quelque chose de toi. Et eux aussi, ils
vont te transmettre des choses. La mère à Danny
par exemple, j'ai fait la cuisine chez eux et cela a
créer quelque chose. Depuis, Danny m'en parle
encore et sa mère est capable d'évoquer ce
moment alors qu'il a eu lieu il y a plus de trois
ans maintenant.
Pour revenir sur la cuisine, si un jeune ne sait
pas cuisiner, je ne vais pas forcément le
contraindre et je vais m'adapter et faire avec. La
cuisine, c'est un outil pour apprendre à compter,
être dans le partage, etc.
R.B Merci beaucoup !
100
Troisième entretien : Céline- Éducatrice
9 janvier 2018 à 11h
R.B. Lors d'un premier entretien avec un jeune,
créer du lien fait-il parti de tes objectifs ? Si oui
quelle importance lui donne-tu ?
C.B Ben oui forcément, cela fait partie des
choses de créer du lien avec les jeunes, c'est
justement ça ! Créer du lien et pas encore de la
relation éducative. Oui c'est nécessaire, il faut
qu'il y ait déjà une première connaissance je
dirais de l'un et de l'autre. C'est pour ça que je
parle plus de lien que de relation éducative
même des fois sur certains suivis je vais dire que
j'ai créer plus de lien que de réelle relation
éducative parce que c'est un peu le poisson qui
mord à l'hameçon mais il a pas tout à fait encore
accroché. Certains par leur parcours, ne sont plus
trop confiant et c'est plus compliqué, ben oui tu
peux pas travailler sans lien.
R.B Dans ce cas, que pense-tu de l'engagement
émotionnel de l'éducateur dans la relation
éducative ?
Intervention d'un éducateur présent dans la
même pièce : Un gros piège !
C.B (Rires) Ça faisait partie de mon sujet de
mémoire, j'ai fait un mémoire sur les affects dans
la relation éducative qui était un sujet qui a
d'ailleurs beaucoup questionné les
professionnels. Ils ont tous des avis très
différents. Pour moi ya forcément des affects
mais la question à se poser c'est quelle distance
tu mets dans ces affects et dans l'intensité des
émotions personnelles. On est des êtres humains,
pas des robots hop on s'arrête on change de
programme… non !
On a forcément des émotions, des ressentis, on
peut être touché différemment par une situation :
touché, déçu.. par exemple moi je suis quelqu'un
qui exprime mes émotions aux jeunes.
Ça m'est arrivé avec un jeune que je suivais,
impliqué dans un braquage. J'exprimais que
j'avais été déçu mais que si je suis encore la
aujourd'hui c'est que je crois en lui, en ses
capacités, son potentiel. Après il faut rappeler
aux jeunes qu'on reste des éducateurs, pour les
aider et les accompagner et que à des moments
surtout dans les longs suivi, pas tous mais des
fois les jeunes mettent tellement de choses en
nous…. (Je dirai pas l'inverse quand même… à
moins que…) mais c'est bon de rappeler que je
ne suis pas tes parents, je ne suis pas ta mère.
Pourtant les émotions sont forcément la après
c'est la distance que tu y met, comment tu les
exprime et j'ai envie de dire fort heureusement
que ça a sa place. Les jeunes sont blindés
d'émotions et souvent d'émotion négative et
réagissent par rapport à leur émotions donc c'est
l'arbre qui cache la foret c'est comme ceux qui
dises « ça me fait rien d'aller en prison » mais je
te crois absolument pas ! Après ils peuvent avoir
101
une manière de se protéger et pas les exprimer
parce que depuis tout petit ya pleins paramètres
familiaux de type on pleure pas etc. mais ça fait
partie de leur vie jusqu'au bout quoi. L’émotion
fait partie intégrante de l’être humain même si
certains les exprime très difficilement.
Je dis toujours ya des échelles d'intensité, moi je
fonctionne beaucoup en fonction du jeune que
j'ai en face de moi, du lien ou de la relation que
j'ai créer avec lui. Ya des jeunes je vais pas leur
rentrer dans le lard pare que je sais qu'il a pas
forcément le caractère ou le tempérament pour
accepter ou être prêt et y'en a d'autres je sais que
je peux y aller.
C'est faire en fonction de.. Ya des moments
opportun pour pouvoir le faire. Comme nous
aussi, on peut être en réunion ya des choses qui
nous dépassent (sourire) nos émotions sont mis à
rude épreuve (rire) après c'est toujours une
question de gestion des émotions..
R.B Quel est ton avis sur la question de la
confiance dans la relation éducative ?
C.B C'est important. On peut pas demander des
choses et en retour ne pas être dans le même
positionnement. C'est à dire faites ce que je dis
faites pas ce que je fais. Je leur dis tout de suite
que je suis honnête, je leur fais lire mes rapports,
je leur cache pas ce qu'il risque, mon
positionnement à l'audience. La loi m'ordonne de
trouver un projet alternatif à la détention, alors
oui je le fais mais lors de l'audience je dirai que
je ne suis pas favorable à ce projet, que tu n'es
pas prêt, qu'il n'y a pas de remise en question. Je
pense que c'est comme ça qu'on fait avancer les
jeunes. La confiance est importante mais elle va
dans les deux sens. Je dis toujours que c'est une
question de ressenti mais que tout les éléments
que j'ai sous les yeux et que ce qu'il donne aussi
va dans un sens plutôt qu'un autre. Parfois il faut
pouvoir dire « t'as besoin de la détention » pour
qu'on puisse retravailler ensemble…
Oui la confiance c'est pareil dans notre vie
personnelle c'est primordiale.
R.B Selon toi est ce qu'une présence renforcée
de l'éducateur peut contribuer à l'amélioration
d'un lien ? Plus généralement le temps est-il un
facteur important dans l'établissement de ce
lien ?
C.B Oui le temps y'en a toujours besoin de toute
façon. Certains même s'ils sont matures du fait
de leur parcours ne sont pas forcément en
capacité de prendre les bonnes décisions. Oui le
temps fait toujours les choses après il peut le
faire de manière positive mais négative aussi. Le
temps est essentiel mais c'est pas le facteur de
priorité car cela dépend du jeune… et de l'éduc.
Ya des jeunes qui vont très bien et tu sais pas
pourquoi, à un moment donné, parce que il va y
avoir un paramètre de leur vie qui va avoir une
telle importance pour lui que dans ces moments
là, ça va exploser et ça va remettre des choses en
jeu, ça va titiller la scolarité etc.
Nous aussi on peut avoir des positionnements
différents, cela reste une question de personne,
102
donc du jeune et des parents aussi. On s’aperçoit
que certains peuvent pas aller plus loin car ils
sont stagner par leurs parents. L temps fait aussi
les choses, le temps de réflexion, on dit toujours
il faut jamais prendre des décisions comme ça
sur un coup de tête. Mais le temps n'est pas une
garantie de la réussite d'un suivi. J'en ai que j'ai
suivi et j'ai retrouvé 3-4 ans après dans les bacs.
R.B L'usage d'un média éducatif facilite la
création de lien ? Pourquoi ? Si oui tu utilise
lequel ?
C.B Le sport ! Parce que je suis une sportive à la
base mais il m'est arrivé de positionné un jeune
sur des média que je connais moins et la je
partage le média avec eux. Mais quand tu
maîtrise un peu plus le média t'es plus moteur en
terme d'organisation. Le sport inculque tellement
de règle de cadre de vie en société en
collectivité, de solidarité que ça apprend
tellement de chose aux jeunes. Les médias sont
importants car rares sont les gamins qui sont
inscrits dans des activités régulières en club et
autres, ils savent pas ce que c'est certains sport,
l'art, etc. tu les emmène au parlement ils
découvrent l'hémicycle etc. J'ai fait le challenge
Michelet par exemple et on voit que faire 48h de
route et dormir une nuit sur place c'est comme si
je les emmenais en Chine !
Y'en a un qui s'est trouvé totalement in-sécurisé,
il me suivait partout, dormait pas etc.
R.B Donc média c'est bien mais ça s'organise..
C.B Oui il faut des gens qualifiés, toute façon la
loi fait que aujourd'hui il faut une qualification
tu peux plus aller en vélo en forêt (sur la route
oui).
Les médias c'est une forme d'apprentissage mais
au lieu de passer directement entre l'éducateur et
le jeune ya un intermédiaire pour faciliter
l'apprentissage, la discussion, l'humilité. Après
quand t'as une bonne relation, des jeunes
reconnaisse les remarques, remontrances après
un certains temps..
R.B Alors excuse moi de te couper mais là ça
dépend aussi de la posture de l'éducateur. Si tu
veux que le jeune sois humble par exemple, est
ce qu'il faut aussi que l'éducateur soit humble ?
Ce que je cherchais un petit peu à démontrer
dans ce mémoire c'est que la posture, la création
de lien c'est très important pour permettre le
relèvement éducatif du jeune !
C.B Mais bien sur ! Mon ressenti professionnel
c'est que tout ne tient pas évidemment qu'à
l'éducateur parce que c'est du 50/50 mais en gros
ça part de la posture professionnelle et là, c'est
toujours une question très charnière dans les
mémoires d'interroger les professionnels, car je
suis sur que si on fait le tour des éducateurs de
comment ils perçoivent l'autre... ils vont dire
« elle, elle est autoritaire, elle lâche rien etc... ».
Même les jeunes, « ah je préfère avoir tel éduc
plutôt qu'elle car celle la, elle va rien lâcher, elle
va rien laisser passer », si les gamins demandent
103
ça, c'est pas pour rien car ils savent aussi qu'au
fond d'eux, ça va être difficile et qu'aussi ils ont
peut être pas envie de remettre des choses en
question.
On a tous le même cadre professionnel c'est sur,
on est assujetti à ça, mais cela se joue avec la
posture professionnelle. Pour un même jeune, il
y a un éduc qui va réussir à créer du lien, de la
relation et puis d'autres pas du tout. Et puis aussi,
en fonction de l'infraction pour moi. Certains ne
sont pas à l'aise avec tout les types d'infractions :
les faits d'agressions sexuelles, les viols etc. ou
bien de dire « ça fait trois ans que je le suis, ça
s'est dégradée, j'ai essayé beaucoup de choses
mais je cois que la dans l'intérêt du gamin il faut
qu'il y ait un passage de relais avec un autre
éduc ». Pour ça, il en existe beaucoup qui ne
conçoivent pas de le dire parce que pour eux
c'est comme avouer une marque de faiblesse,
comme pleurer ou avoir des émotions. Mais moi,
je dis au jeune que pleurer, c'est pas une marque
de faiblesse hein. Ça se joue à la posture
professionnelle, du moment que t'es toujours
honnête, sincère avec le jeune… (réfléchis) la
moitié du travail qu'on fait, c'est des bases, c'est
des choses que tu leur inculque personnellement.
Moi, des fois je leur dis, « écoute si déjà, tu fais
des choses pour toi personnellement, forcément
tu remplis tes conditions judiciaires, alors après,
si tu préfère le prendre en partant des contraintes
judiciaires c'est sur que le gamin est pas 100 %
lui même, il vient pour venir et tout ça, mais à la
base les contraintes judiciaires, elles sont là pour
toi donc fais les déjà pour toi personnellement et
voir ce que tu peux en tirer et forcément tu
remplis tes conditions judiciaires. Si la scolarité
c'est une protection pour l'avenir alors
forcément tu remplis ton obligation de
formation…
Mais après, c'est la que tu te heurte à l'âge, à la
maturité, au contexte familial, il y a tellement
d'enjeux, parfois tu te dis « on va mettre le gamin en
suspens et travailler avec la famille » parce que les
parents ont déjà une notion de la justice, de
l'infraction du genre « c'est pas grave, ouais ça va ils
ont fait une agression sexuelle, c'est un jeu qui se fait
dans le lycée ». Je leur dis « mais madame, toucher à
l'intégrité physique et à l'intimité d'une autre
personne c'est pas un jeu ! ». La tu te dis si déjà la
mère pense comme ça… voilà, ya tout un ensemble
de choses, ya pas que le jeune quoi...
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ANNEXE 5 : Fiche projet : Organisation d’un tournoi d’échec
CONSTAT DE DÉPART
Jeune pris en charge dans le cadre du dispositif milieu ouvert renforcé. Il s'agit de mettre en œuvre
un ensemble d'actions éducatives contenantes pour un jeune multi-réitérant après une période
d'incarcération et de placement en Centre Éducatif Fermé.
Le jeune est actuellement de retour sur le territoire mulhousien et en attente de jugement pour
plusieurs affaires. A l'approche de sa majorité, il doit intégrer une trajectoire d'inclusion dans
laquelle la question de l'insertion est essentielle. De plus, son profil de leader souvent négatif, sa
capacité à fédérer d'autres jeunes autour de lui sont des atouts pris en compte pour lui permettre de
valoriser son image et de produire une action aux bénéfices d'autres jeunes.
Enfin, le support éducatif, à savoir les échecs, constitue un outil au travers duquel les jeunes
peuvent développer des capacités d'analyses, de réflexions, de concentration, de stratégie pour
faire les bons choix et tenter de remporter les parties.
OBJECTIFS
• Mettre en place un tournoi d'échec aux bénéfices des jeunes pris en charge au STEMO
• Permettre au jeune impliqué dans l'organisation de découvrir les modalités d'élaboration
d'un projet
• Donner au jeune la possibilité de montrer une image valorisante de lui-même et lui
permettre de travailler en réseau pour le projet
• Créer les conditions nécessaires à l'arrêt de la trajectoire de déviance
• Donner au jeune un certain nombre de compétences utiles dans son parcours d'insertion
DESCRIPTION DE L'ACTION
Tournoi d'échec composé de 6 équipes de 4 joueurs chacune
MOYENS À MOBILISER
- Humains• Un éducateur à temps plein (responsable de l'action)• Un adjoint (le jeune)• 24 participants• 1 arbitre officiel• 1 responsable communication le jour de l'action
- Matériel• 1 local• 12 tables• 24 chaises
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• 12 échiquiers comprenant les pièces• 6 pendules• Un panneau d'affichage (Paperboard)• Une imprimante• Un ordinateur• Un appareil photo
Financier
Coût relatif à la restauration : 50 eurosCoût relatif à la remise des prix : Don de 5 coupes officiels et médaillesUn partenariat est envisagé avec le club d'échecs « les Cheikhs de Brosolette »
PÉRIODE DU PROJET
Novembre 2017-Janvier 2018 : Sélection des joueursDécembre 2017-Janvier 2018 : Rencontre avec partenairesFévrier- Mars 2018 : Formation des équipesFévrier-Avril : Concrétisation du partenariat19 Mai 2018 : Jour du tournoi
INDICATEURS D'ÉVALUATION
• Nombre de contacts• Durée d'organisation (jours consacrés)• Assiduité• Réflexion – Capacité de proposition• Nombre de participants• Résultats
BILAN
ÉVALUATION DE L’ACTION AU REGARD DES INDICATEURS, EN 9 MAI 2018 :
- CONTACTS RÉGULIER AVEC LES PARTENAIRES : APSM – CLUB D’ÉCHEC DE BROSSOLETTE
- 10 JOURS CONSACRÉS À L’ORGANISATION
- ASSIDUITÉ CORRECTE TENANT COMPTE DE QUELQUES ABSENCES
-FORCE DE PROPOSITION SUR PLUSIEURS PLANS DONT LA DISPOSITION DES LOCAUX – LES RÉCOMPENSES AUX GAGNANTS ETC.- 24 PARTICIPANTS PRÉVUS
- RÉSULTATS NON COMMUNICABLE
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ANNEXE 6 : Règlement du tournoi – Feuille de match
Règlement tournoi
Ce tournoi se jouera par équipe de 4 joueurs. Toutes les équipes se rencontreront dans un système
toute ronde.
Les partes se joueront en 2 X 15 minutes, l’équipe première nommée aura les blancs au premier
et au troisième échiquier et les noirs au deuxième et au quatrième échiquier.
Nous appliqueront les règles de jeu de la Fédératon française des Échecs.
Une parte gagnée est comptée 1 point, une parte perdue 0 point, une parte nulle est notée X et
n’est pas comptabilisée dans le score fnal ; le score d’une équipe en points de partes est égal à la
somme des partes gagnées.
L’équipe qui aura le plus de points remporte le match et marque 3 points ; en cas de match nul 2
points et un point en cas de défaite.
L’équipe qui a le plus de points à la fn du championnat sera déclaré iainqueur du tournoi.
Le classement fnal est efectué suiiant le total des points de match.
En cas d’égalité de points de matches, pour départager les équipes concernées nous utliseront
les diférentels calculés sur l’ensemble de la compétton (partes gagnées, partes perdues), les
équipes ayant le meilleur diférentel seront classées deiant celles qui auront un moins bon
diférentel.
Fait à Mulhouse le 14 mars 2018.
Les organisateurs Monsieur Bahri et Monsieur L’Hosts
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Feuille de match
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Auteur : Redouane BAHRI
Sujet : J’peux changer d’éduc ? La création de lien dans l’accompagnement éducatif en milieu ouvert
La relation éducative demeure bien mystérieuse. Elle est le fruit d’une rencontre qui n’aété décidé par aucun des acteurs et pourtant, des objectifs précis doivent être atteints. Comment dans ce cas, l’éducateur peut faire avec ce qu’il a, et ce qu’il est pour aider unjeune à se relever, à se prendre en main ?
L’objet de ce travail de recherche a pour but d’explorer la thématique du lien dans larelation éducative en prenant le parti pris qu’une posture profondément éthique estessentielle.Ce mémoire est un appel à l’engagement de l’éducateur dans cette relation afin de faireémerger les potentialités et les ressources du public pris en charge à la PJJ. En effet,cette relation d’aide se réalise au mieux dans le partage.Il sera donc question dans cette étude de mettre en avant des pistes permettant decomprendre les enjeux du lien d’une part et d’apporter des éléments sur la manière detisser ce lien d’autre part. Rappelons le, ce lien se cultive…. Cultivons donc notre jardin !
Mots clés :
Relation éducativeRelèvementAide sous contraintePosture éducativeEngagement émotionnelMédia éducatifRelation d’aide
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Résumé :