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10™ ANNÉE — N° 5 1 4 LE NUMERO 5O CENTIMES Dimanche 17 Septembre 1882

LESJOURNAL DES ALPES-MARITIMES

Politique, Littérature, Beaux-Arts, Agriculture, Commerce, industrie, Liste des Étrangers, Annonces Commerciales et Judiciaires

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UNE QUESTION DE PRINCIPE

Parmi les délibérations du Con-seil municipal qui ont été prisesdurant mon absence, il en est unequi, à mon avis, contient une viola-tion si flagrante de la liberté d'as-sociation et de la liberté de cons-cience que nous ne pouvons moins

i, faire de la reproduire ici in extensoet d'en critiquer la fâcheuse et mal-adroite conclusion.

Voici d'abord, copiée textuelle-ment sur le registre des délibéra-tions du Conseil municipal, la déli-bération donl il s'agit :

Séance du 27 JuilletDemande de reconnaissance légale for-

mée par la maison de patronage etorphelinat de la Ste Famille.Le Maire donne lecture d'une lettre de

M.le Sous-Préfet, en date du 12 juillet, in-citant le Conseil municipal à se prononcersur la demande de reconnaissance légaleformée en faveur de la maison de patrona-ge et orphelinat de la Sto Famille à Cannes.

Une commission spéciale a été chargéede l'examen du dossier. M. Millet, rappor-teur, a rédigé le rapport suivant :

Messieurs.

J'ai l'honneur de vous présenter un rap-port sur l'avis à donner par le Conseil à la

• ^ demande en reconnaissance légale en fa-veur de la maison de patronage et orphe-linat de la Ste Famille de Cannes, formu-lée par M. Barbe curé-doyen de la Ville deCannes.

Cet orphelinat a été fondé à Cannes en1868 par M. Barbe, curé, avec le concoursde personnes habitast Cannes et dirigé de-puis par des religieuses de St Thomas deVilleneuve ( congrégation autorisée ).

Les conditions d'admission sont d'êtreorpheline de père ou de mère seulement,ouêtre délaissée matériellement ou morale-ment ; pour le patronage il suffit de cons-tater que des parents pauvres ont besoin,dans leur emploi ou occupation, d'êtresuppléés pour l'éducation de leurs filles,mais dans l'un ou l'autre mode d'admis-sion, on exige l'acte de naissance, le certi-ficat de baptême et celui de vaccination.

L'admission gratuite ou sans pensionmensuelle, est accordée aux orphelines etfilles délaissées sans ressources; dans lesautres cas ou 1*aito de gré à gré avec lesparents pour une pension réduite en s'ins-pirant de l'âge et des aptitudes de la jeunefille et des ressources de la famille.

Le but de l'œuvre est l'éducation moraledes jeunes filles du peuple. Pour atteindrece but on a le travail des mains pour la

•r couture et repassage, l'instruction primai-' re et l'éducation chrétienne,dans la simpli-** cité pratique de ses procédés.

Le Conseil d'administration est composédu Curé, directeur, de deux admistrateursdu Conseil de fabrique, de 4 patronesses otde la supérieure des religieuses de l'établis-sement.

Les ressources de l'établissement sont ;Le travail des enfants ;

^ Les pensions des jeune filles patronnées ;L'asistanceaux enterrements ;La quête annuelle de St Joseph ;Et les offrandes spontanées des fidèles.De 1869 à 1880,il est entre dans l'établis-

sement 105 jeunes filles, 43 sont encoreprésentes à la maison , 37 ont été marnes,placées, retournées chez leurs parents oumortes.

70.000

II ressort de l'état des recettes et des dé-penses que les premières ont toujours ex-cédé les secondes de façon que l'orphelinata toujours fait face à ses besoins.

Le Capital immeuble s'évalue ainsi :

Terrain 25.000Constructions prin-

cipales 38.000Bâtiments, etc 7.000

IN"est pas compris le mobilier qui s'élèveà 9,010 fr. Sur cette somme il ne reste dûque 8,300 h M.Agànd, entrepreneur.

Voilà, Messieurs, le bilan de la maison.11 présente un véritable état de prospéritébien que ne marchant qu'avec ses ressour-ces primitives.

Votre Commission ne peut que louer undes buts de l'Œuvre, celui d'élever des jeu-nes filles sans ressources ou sans famille.C'est là un des côtés philanthropiques dol'œuvre qui mérite toute sa sympathie.

Mais là où elle ne peut l'y porter, c'estdans la considération du caractère éminem-ment confessionnel de l'œuvre. Complète-ment catholique, puisque l'admission com-porte rigoureusement l'exhibition du cer-tificat de baptême, présidée et dirigée parun prêtre catholique et des religieuses doce culte, elle revêt un caractère frappé d'ex-clusivisme par rapport aux enfants orpho-lins ou malheureux appartenant aux au-tres croyances.

Considérant que l'œuvre vit parfaite-ment et se développe avec ses ressourcesconstitutives, qu'elle a progressé et pro-gresse actuellement, qu'une sanction supé-rieure l'assimilant à la société civile ne luiest donc pas indispensable pour exister ;

Que cette sanction demandée aujourd'huin'est pas compatible avec l'esprit libéralqui anime la société et pourrait, en agran-dissant démesurément les œuvres issues etdirigées par une vue exclusive, aller à larencontre et se mettre en lutte avec les as.pirations libérales ;

Profondément pénétrée des principes quirégissent la société moderne dont un destraits principaux est l'exercice de la Phi-lanthropie, sans considération de l'état re-ligieux ou non, à la caste des malheureuxà secourir.

Considérant que l'orphelinat de la Ste-Famllle dans les conditions où il vit, faiten quelque sorte une œuvre de parti, vo-tre commission refuse de donner un avisfavorable à sa reconnaissance.

Le Conseil, à l'unanimité, approuve lerapport ci-dessus.

Si nous analysons le texte dul'apport dressé par M. Millet onne peut s'empêcher de reconnaîtreet de constater sa déférence enversla maison de patronage et l'orphe-linat de la Sainte Famille, II a étu-dié cette association religieuse toutede bienfaisance; il en a analysé lesstatuts, fait ressortir la situationfinancière qui est excellente, lesnombreux services qu'elle rend auxfamilles pauvres dont elle élève lesenfants, bref il se complaît à luidécerner tous ses éloges. Mais, voi-là le chiendent, pour me servird'une expression populaire et forte-ment caractéristique, cette associa-tion de bienfaisance est une insti-tution catholique; clic a à sa tètel'honorable curé do la paroisse ot cesont des dames catholiques de no-tre ville qui la patronnent ; c'estle Conseil de fabrique de l'égliseparoissiale qui l'administre; onexige des enfants que l'on veut

secourir, aider, protéger, leur actede baptême, et le rapporteur, sesouvenant tout • à - coup qu'il estrépublicain, qu'il fait partie d'unConseil municipal républicain, queGambetta a jeté le cri : guerre aucléricalisme, demande au Conseilmunicipal de se refuser à donner unavis favorable à la reconnaissancede cette institution de Charité,et leConseil, à l'unanimité se joint à lademande do M. Millet et approuveson rapport.

Kt quels sont les motifs invoquéspour ce refus de reconnaissance ?

Le premier m otif invoqué c'esi quel'œuvre vivant parfaitement et sedéveloppant avec ses ressourcesconstitutives, une sanction supé-rieure l'assimilant à la société ci-vile ne lui est pas indispensablepour exister.

Examinons, sans parti pris, cepremier motif de refus.

Lorsqu'un Mars 1880 intervin-rent les décrets qui ont ordonné lafermeture de toutes les congréga-tions religieuses non autorisées,qu'a voulu l'Etat, qu'a voulu legouvernement ?

Ce que l'Etat, ce que le gouver-nement ont voulu, c'est de ne paslaisser tramer dans l'ombre contrela République des institutions ca-chées, occultes dont il ne connais-sait et ne pouvait connaître ni le butni les tendances. Mais jamais il n'aété question de faire une guerredéloyale aux institutions religieuses,de quelque nature qu'elles fussent,qui avaient été régulièrement auto-risées ou qui demanderaient à l'être.

Sous un gouvernement républi-cain aucune société secrète ne doitêtre tolérée ; or, c'est précisémentparce que le gouvernement consi-dérait, à tort ou à raison, peu im-porte, toutes les congrégations reli-gieuses comme des foyers secrets deconspiration contre lui, qu'il a ren-du les décrets dont nous parlonsordonnant la suppression de toutesles congrégations non autorisées etimposant à celles qui n'avaient pascette autorisation l'obligation de lademander.

Or, voici une institution de bien-faisance qui, jusqu'à ce jour,a fonc-tionné sans autorisation régulière,qui vient aujourd'hui se conformeraux décrets rendus, qui vous sou-met loyalement ses statuts, vousmontre les bienfaits qu'elle a accom-plis, vous expose son excellente si-tuation financière, et, sous le pré-texte que cette œuvre fonctionnebien, qu'elle a progressé et progres-se encore actuellement, vous venezdire qu'une sanction supérieure l'as-similant à la société civile ne luiest pas indispensable pour exister !

Vraiment, je tombe des nues envoyant tout un Conseil municipalse méprendre si étrangemen sur la

nature des décrets rendus et enméconnaître à ce point la portée.

Ces décrets sont inflexibles etcontiennent ce dilemme dont nulleassociation ne peut éviter les consé-quences: ou toute association reli-gieuse non autorisée sera dissoutede plein droit et au jour et à l'heurequ'il plaira au gouvernement d'opé-rer cette dissolution, ou ces associ-ations se soumettront à la loi et sepourvoieront de cette autorisation

En disant donc, comme l'a fait lerapporteur M. Millet et comme l'adécidé tout le conseil municipal quia approuvé son rapport, que la mai-son de patronnage et orphelinat dela Sainte-Famille n'avait pas besoinpour exister de la sanction supérieu-re de l'Etat, le rapporteur et tout leConseil municipal ont commis uneerreur flagrante de droit, ont faitune fausse et regrettable interpré-tation du décret du 29 Mars 1880, etbrisé le principe même de vie decette œuvre de bienfaisance puisque,de par ces mêmes décrets, elle estvirtuellement et infailliblement frap-pée de mort si elle n'est pas autori-sée, c'est-à-dire si elle ne reçoit pasla sanction de l'autorité administra-tive.

Le second motif invoqué par le rap-porteur est celui-ci: Celte sanctiondemandée aujourd'hui n'est pascompatible avec l'esprit libéral quianime la société, et pourrait, enagrandissant démesurément lesœuvres issues et dirigées par unevue exclusive, aller à Vencontre etse mettre en lutte avec les aspira-tions libérales.

Cet alinéa, qui laisse percer lebout de l'oreille du rédacteur du ra-pport et qui nous laisse deviner levéritable mobile de son refus à con-céder à l'œuvre de la Sainte-Famil-le l'autorisation de vivre que sesdirecteurs réclament pour elle, estau moins aussi incorrect, au pointde vue des principes de la vraie li-berté et spécialement de la libertéde conscience, qu'au point de vuede son style.

Froisser la pureté et la clarté denotre belle langue française cela n'aque fort peu d'importance; mais,d'une main téméraire, porter atteinteau grand principe de la liberté deconscience, voilà, à notre sons, cequi est grave, très grave et peutavoir de redoutables conséquences.

Lo premier fondement de la liber-lé c'est, de l'avis de tous ceux quicomprenne.it l'importance de ce mot,le respect de la dignité humaine enautrui, c'est le respect de toutes lescroyances.

Sansiloutonous préférons aux é-troilesses des œuvresqui se localisentdans les pratiques d'un culte quel-conque: culte catholique, culte pro-testant, culte judaïque, culte ma-ho-métan, indou, persan, etc, les gran-

des œuvres inspirées par le grandsouffle de la liberté pour tous, maisde ce que nos préférences sont enfaveur de ce grand principe d'indé-pendance, s'en suit-il que nous de-vions empêcher de vivre les œu-vres qui sont fondées par des citoy-ens qui n'ont pas notre envergured'idées et qui entendent pratiquer lebien comme cela leur convient?

Vous refusez l'autorisation de vi-vre à l'œuvre de la Sainte Familleparce que c'est une œuvre catholi-que; que demain on vienne vousdemander la même autorisation devivre pour toute autre œuvre pro-testante, juive ou émanant de touteautre secte religieuse, vous serezdans l'obligation forcée de refuserencore toute autorisation pour lemême motif, car, pour me servir devotre langage, la sanction deman-dée pour toutes ces œuvres ne serapas davantage compatible avec l'es-prit libéral qui anime la société.

Franchement, messieurs les con-seillers, y avez-vous sérieusementréfléchi? Républicains, no compre-nez-vous pas que vous venez tout-à-coup de vous ériger en despotes enfrappant d'interdit une œuvre dontvous n'avez pu moins faire de recon-naître la valeur morale et huma-nitaire et cela, uniquement, parceque cette œuvre ne répond pas àvossentiments républicains?

Comprenez-vous la conséquencede votre étrange pratique de la li-berté? Eh bien la voici.- votre véto-prononcé contre la mise en vigueurd'une œuvre de bienfaisance, c'estun vélo formulé contre toutes lesinstitutions religieuses, contre tou-tes les opinions et contre toutes lescroyances qui ne seront par les vô-tres, c'est l'inquisition des cons-ciences et, sans vous en douter,vous reprenez le rôle des Torque-mada de sinistre mémoire.

Et ne croyez pas qu'en agissantainsi, vous trouviez, même auprès dugouvernement de la République,une approbation de votre délibéra-tion; le gouvernement, en promulgnant les décrets du mois de mars1880,n'a nullement entendu porter,comme vous l'avez fait, une atteinte àla liberté de conscience, il s'est ins-piré de ces paroles de Béranger :

A son gré que chacun professeLe culte de sa dèité ;Qu'on puisse aller môme à la messe,Ainsi lo veut la Liberté.

Nous aimons donc à croire que M.le Préfet ne donnera pas son appro-bation au vote que vous avez émis etque,biffant d'un trait de plumo votredécision liberticido, il accordera àl'œuvre humanitaire de la SainteFamille l'autorisation de vivre quilui est impérieusement nécessaire.

F. JACOB.

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