Hugo Musella
Ne jugez pas
un homme
avant d’avoir
marché deux lunes
dans ses mocassins
Spectacle collégien
… et les mOutOns.cOm
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PERSONNAGES
Zéro
Stanley
Mr Monsieur
Carlisles
Edward
Bella
Callum
Sephy
Sal
Mabel
Ben
Tiffany
Eric
Andréas
Gab
Gray
Pascal
Emmanuel
Sabine
Mr Laloux
Le pasteur
Un chasseur
Katherine
Truite
Tennessee
Sam
Hattie
Le Shérif
Hana
George
… et les mOutOns.cOm
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PREMIERE VAGUE
Zéro creuse un trou dans le désert. Il fait chaud. C’est long. C’est épuisant.
M. Monsieur arrive avec un garçon, Stanley. Il lui donne une pelle, lui désigne un endroit, met une
cassette dans un radio-casette et part s’allonger dans un hamac à l’ombre.
Le radio cassette diffuse la voix de M. Monsieur.
Stanley se met à creuser mais la terre est très dure.
Voix. Il faudra creuser un trou chaque jour, y compris le samedi et le dimanche. Chaque
trou devra faire un mètre cinquante de diamètre. Le petit-déjeuner est servi à 4h30
du matin. Personne ne va te dorloter.
Zéro a fini son trou. Il va aider Stanley qui n’t arrive vraiment pas.
Voix. Il n’y a pas de baby-sitter, ici. Plus tu mettras de temps à creuser ton trou, plus tu
resteras longtemps au soleil. Si jamais tu trouves quelque chose d’intéressant en
creusant, il faut immédiatement me l’apporter ou l’apporter à un autre conseiller
d’éducation. Quand tu auras fini ton trou, tu pourras te reposer pendant le reste de
la journée. On n’est pas dans un camp de girls scouts ici !
Les deux ados finissent épuisés, les mains pleines d’ampoules.
Stanley. Je déteste cette pelle.
Zéro. La poussière.
Stanley. Les ampoules aux mains.
Zéro. Les lézards à tâches jaunes.
Stanley. Il y en a ici ?
Zéro. Plein.
Stanley. Et s’ils te mordent ?
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Zéro. Tu meures.
Stanley. Je déteste les lézards à taches jaunes !
Zéro. Chut ! Tu va réveiller M. Monsieur.
Zéro va déterrer un cahier d’écolier caché dans une boîte en fer.
Stanley. Qu’est-ce que c’est ?
Zéro. Un trésor, un truc pour s’évader.
Stanley. C’est un livre ?
Zéro. Le meilleur du monde.
Stanley. Il parle de quoi ?
Zéro. De tout ce que tu veux. Les pages sont vides. On y écrit tout ce qui nous dérange.
Après on l’enterre et on se sent mieux.
Stanley. Ah bon ?
Zéro. Promis.
Stanley. Tu le fais avec moi ?
Zéro. Oui mais tu écris. Moi, je ne sais pas trop.
Stanley. Ok. Pelle, poussière, soleil, lézards…
Zéro. L’injustice.
Stanley. Ma peau blanche.
Zéro. Pardon ?
Stanley. Oui, si j’étais noir, j’aurais jamais de coup de soleil.
Zéro. T’as raison. Les coups de soleil. M. Monsieur. Mme Madame.
Stanley. C’est sa femme ?
Zéro. Surement.
Stanley. On peut noter ce qu’on voudrait avoir aussi ?
Zéro. Jamais fait mais surement que oui.
Stanley. Super. Un brumisateur.
Zéro. Des pêches au sirop… glacées
Stanley. Un manche de pelle en mousse.
Zéro. Non, un tractopelle carrément.
Stanley. T’as raison. Un tractopelle.
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Zéro. Attention !
Ils enterrent vite leur cahier. M. Monsieur arrive.
M. Monsieur. C’est pas bientôt fini de piailler ? On n’est pas dans un camp de girls scouts ici !
Regarde un peu autour de toi. Qu’est-ce que tu vois ?
Stanley. Pas grand-chose… Mr Monsieur.
M. Monsieur. Est-ce que tu vois des miradors ?
Stanley. Non.
M. Monsieur. Des clôtures électrifiées ?
Stanley. Non, Mr monsieur.
M. Monsieur. Il n’y a même pas de clôture du tout n’est-ce pas ?
Stanley. Non, Mr monsieur.
M. Monsieur. Tu as envie de t’évader ?
Stanley. …
M. Monsieur. Si tu as envie de t’évader, vas-y, cours. Je n’essaierai pas de t’en empêcher.
Stanley regarde le pistolet de Mr Monsieur.
M. Monsieur. Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te tirer dessus. Ca, c’est pour les lézards à tâches
jaunes. Je n’irai pas gâcher une balle pour toi.
Stanley. Je n’ai pas l’intention de m’évader.
M. Monsieur. Excellente façon de voir les choses. Personne ne s’évade d’ici. On n’a pas besoin de
clôture. Tu sais pourquoi ? Parce que nous possédons les seules réserves d’eau qui
existent à des kilomètres à la ronde. Tu veux t’évader ? Très bien, les busards
seront ravis de trouver ton cadavre. Tu as soif ?
Stanley. Oui, Mr monsieur.
M. Monsieur. Eh bien, il faudra t’y habituer. Tu vas passer dix-huit mois à avoir soif. Mais c’est
pour ton bien, tu comprends ? Si on prend un mauvais garçon et qu’on l’oblige à
creuser tous les jours un trou en plein soleil, il finira par devenir un gentil garçon.
C’est comme ça. Et n’oubli pas, si tu trouves quoi que ce soit d’intéressant ou
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d’inhabituel, tu me le signale. Si le directeur apprécie ce que tu auras trouvé, tu
seras libre pour le reste de la journée.
Stanley. Et qu’est-ce qu’on doit chercher ?
M. Monsieur. Tu ne dois rien chercher du tout. Tu dois creuser pour te forger le caractère.
Simplement si par hasard tu découvres quelque chose, le Directeur voudra le
savoir.
Stanley retourne creuser. Il disparaît dans son trou.
M. monsieur va embêter zéro.
M. Monsieur. Allez, zéro, creuse. Creuse. Creuse. Crrrr. Crrr. Crrr.
Ce qui commence comme un petit harcèlement devient plus insistant. M. Monsieur devient, petit à
petit, un vampire assoiffé. Il attaque violement Zéro. Du trou de Stanley sort Edward, le jeune
vampire. Il se bat avec le premier vampire et le met en fuite. Zéro n’est plus zéro mais Bella.
Edward. Un jour tu manques de te faire renverser par une voiture.
Bella. …
Edward. Le lendemain tu te fais agresser dans une ruelle.
Bella. …
Edward. Et puis tu tombes sur un vampire assoiffé au milieu du désert.
Bella. …
Edward. Te garder en vie est un défi lancé au destin.
Bella. …
Edward. Tu as eu peur ?
Bella. Non.
Edward. Et maintenant tu as peur ?
Bella. Non.
Edward. Peut-être que tu devrais.
Bella. Je t’aime.
Edward. Moi aussi.
Bella. Tu vois ? Aucune raison de trembler.
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Edward. Mais je ne pourrais peut-être pas me retenir.
Bella. Tu pourras.
Edward. Je suis un vampire, Bella. Mon instinct me demande sans cesse de…
Bella. Et ton amour, Edward ? C’est en ton amour que je me fie.
Edward. Tu devrais t’en méfier.
L’image se trouble. Edward et Bella se rentrent dedans et tombent.
Ils deviennent Emmanuel et Sabine ramassant leurs affaires.
Emmanuel. Ca va ?
Sabine. Oui. Pardon, je cherchais.
Mr Laloux. Ah, mademoiselle Linion, je vois que vous avez déjà rencontré Emmanuel.
Sabine. Oui, à l’instant. Je me suis un peu perdue dans les couloirs mais…
Mr Laloux. Vous êtes là, c’est tant mieux. Donc : Emmanuel Pouliscek, l’élève le plus doué en
soudure que j’ai eu depuis vingt ans. Et : Sabine Linion brillant sculptrice du cours
artistique de Mr Guitelin. Tu es partant pour te lancer dans sculpture moderne ?
Emmanuel. Dans… oui, oui, dans tout ce que vous voulez Mr Laloux. D’ailleurs j’adore la
sculpture moderne.
Mr Laloux. Vraiment ? Quelles sont tes œuvres préférées ?
Emmanuel. Eh bien… heu… comment dire ? Toutes ! Oui, toutes.
Mr Laloux. Vous avez forcément des préférences…
Emmanuel. … la vénus de Milo !
Mr Laloux. Il s’agit là d’une œuvre classique !
Emmanuel. Heu…
Sabine. Emmanuel parle sans doute de la version de Salvador Dali, en plâtre et en fourrure
avec des tiroirs dans le tronc.
Emmanuel. Exactement !
Laloux. Alors ne perdons plus de temps. Sabine…
Sabine. Oui, alors voilà, il s’agirait de faire une reproduction de L’ange.
Laloux. Celui de Gonzalez ?
Sabine. Oui.
Emmanuel. Gonzalez… Gonzalez… il n’était pas parent avec la souris des dessins animés ?
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Laloux. Je vous laisse.
L’image se trouble. Emmanuel et Sabine deviennent Callum et Sephy.
Callum. Sephy, je peux t’embrasser ?
Sephy. Callum ?
Callum. Est-ce que je peux t’embrasser ?
Sephy. Pourquoi ?
Callum. Pour voir ce que ça fait ?
Sephy. Berk ! Double berk ! Callum tu es… Tu en as vraiment envie ?
Callum. Oui.
Sephy. Bon d’accord… mais fait vite… tu veux que je penche la tête à droite ou à gauche ?
Callum. Heu… de quel côté les filles penchent la tête en général, quand elles se font
embrasser ?
Sephy. Qu’est-ce que ça peut faire ? Et puis, en plus qu’est-ce que j’en sais ? Je n’ai jamais
embrassé personne, je te rappelle !
Callum. Penche vers la gauche alors.
Sephy. Ma gauche ou ta gauche ?
Callum. Heu… ta gauche.
Sephy. Dépêche-toi maintenant. Je vais avoir un torticolis si je reste comme ça trop
longtemps. Oh non ! Essuie ta bouche d’abord !
Callum. Pourquoi ?
Sephy. Tu viens de passer ta langue dessus.
Callum. Bon d’accord.
Callum hésite. Sephy ouvre les yeux. Elle voit une araignée sur l’épaule de Callum. Elle hurle. Callum
sursaute. Ils deviennent Ben et Mabel. Sal apparaît, prend l’araignée dans ses mains et la dépose
dehors.
Mabel. Tout le monde, vous avez vu ça !
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Le calme de Sal contraste fortement avec l’excitation générale. Pour toute la classe, c’est comme si
Sal avait terrassé in invincible dragon crachant le feu.
Une guêpe fait son entrée.
Ben. Sal ! Une guêpe ! Attrape-la !
Sal l’attrape et la met délicatement dehors.
Mabel. Comme tu es courageuse.
Sal. C’est absolument faux. J’ai peur d’un tas de choses : Les accidents de voiture, la
mort, le cancer…
Mabel. Sal ! Un serpent !
Ben. Oh Sal, attrape-le !
Sal l’attrape et la met délicatement dehors.
Sal. … les tumeurs du cerveau, la guerre nucléaire, les femmes enceintes...
Ben & Mabel. Sal, tue-le, tue-le !
Sal. Ca vous plairez qu’on vous écrabouille uniquement parce que vous vous êtes
introduits chez quelqu’un d’autres ?
Sonnerie. Les élèves rangent leurs affaires.
Sal va déterrer un cahier et écrire ses peurs dedans.
Sal. J’ai peur aussi des bruits trop forts, des professeurs sévères, des ascenseurs, des
prisons, de Mr Monsieur, de…
Elle regarde autour d’elle. Elle est seule, étonnée d’être là.
Sal. Eh ! Ben ! Mabel ! Qu’est-ce que vous faites ? Eh ! C’est moi, c’est… Sal… Salamanca
Arbre Hiddle. Où êtes vous cachés ? Regardez ! Un lézard à tâche jaune ! Je peux le
sortir d’ici. Vous ne criez plus ? Vous n’avez plus peur ? Un lézard ? Je suis M.
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Monsieur ? Oui, on n’est pas dans un camp de girls scouts ici ! Stanley ! Zéro !
Emmanuel, Sabine ! Où en est donc votre sculpture ? C’est moi, Mr Laloux !
Emmanuel ! Ben… Salamanca ! Je suis Salamanca. Salamanca Arbre Hiddle.
Salamanca Arbre Hiddle. A ce que croyaient mes parents, était le nom de la tribu
indienne à laquelle appartenait mon arrière-arrière grand-mère. Or mes parents se
trompaient : le nom de la tribu était Seneca ; mais comme ils ne découvrirent leur
erreur qu’après ma naissance et qu’ils étaient habitués à mon prénom, celui-ci
resta Salamanca. Je suis Salamanca. Je suis…
Elle retourne à son cahier.
Sal. Je suis Salamanca Arbre Hiddle. J’ai peur d’un tas de chose : Les tremblements de
terre, les déserts, la solitude, les rotations de la terre, le temps qui ne fait rien
qu’avancer, l’avenir, le changement, l’oubli… Je suis Salamanca Arbre Hiddle. Je
suis… je suis…
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DEUXIEME VAGUE
Sal est troublée, elle découvre un tract dans son cahier et déchiffre, incrédule, ce qu’il dit.
Elle devient doucement Eric.
Eric. Game Frenzy… Frénésie du jeu…
Andréas. Qu’est-ce que tu as déniché, ballot ?
Eric. Une publicité pour… pour un magasin de jeux qui a l’air… absolument génial.
Andréas. Ah ouais ?
Eric. A quelques minutes du métro, en plein cœur de Londres, la boutique dont vous
avez toujours rêvé…
Tiffany. Tous les jeux, tous les formats, tous les prix. Et en cadeau pour tout achat
dépassant vingt livres : un CD-Rom originale des meilleurs niveaux de Doom.
Andréas. Dooooooooom.
Tiffany. Ne comptez pas sur moi pour vous suivre là-bas. Vu l’affiche, ce doit être une
boutique de seconde zone. Je parie qu’ils ne vendent que des produits piratés.
C’est interdit par la loi et on risque cinq ans de prison.
Andréas. Dooooooooom.
Tiffany. Eric, Andréas ! Arrêtez vos conneries, on va se faire remarquer
Andréas. Tu viens avec nous, Tiffany ! On va se promener dans Londres toute la journée,
tranquillement sans les profs.
Tiffany. Mais vous êtes fous ! Ca va se remarquer… et j’ai envie de voir…
Andréas. Tu devrais nous remercier, mon rat. Grace à nous, tu vas vivre la plus belle journée
de ta vie.
Tiffany. Mais j’ai promis à ma mère de lui rapporter des cartes postales de Westminster
Abbey.
Andréas. Tes deux meilleurs amis essaient de t’associer à une virée unique dans l’histoire du
lycée, et tu voudrais les laisser tomber. Tant pis pour toi, mon rat ! On ne va pas
jeter des diamants aux pourceaux.
Tiffany. Eric, dis-lui que c’est une ânerie. Si un prof remarque notre absence…
Eric. Andréas a raturé nos noms sur les deux listes hier soir. Chacun croira que nous
sommes dans l’autre groupe.
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Tiffany. Et si ce soir les profs parlent entre eux et…
Andreas. Ah, c’est pas vrai ! Fais-moi plaisir… Plonge la tête dans les toilettes et tire la
chasse, tu m’épuises.
Tiffany. Comprenez-moi, les gars. Ce n’est pas que je n’apprécie pas l’idée mais si jamais
quelqu’un s’en aperçoit ou si on nous cafte
Andréas. Me cafter, moi ? Tu connais beaucoup de candidats au suicide dans la classe ?
Tiffany. Bon, bon, d’accord ! Je viens avec vous. Je m’en fiche des cartes postales de
Westminster Abbey.
Les trois amis rassemblent leurs affaires et s’habillent.
Pendant l’opération, ils deviennent Pascal, Gab et Gray.
Gray. Qui prend le sac ?
Pascal. Je l’ai.
Gab. Tu me files une veste ?
Gray. Voilà !
Pascal. Il y a tout ce qu’il faut dedans ?
Gray. Oui, c’est bon, tu nous prends pour qui ?
Pascal. C’est un micro ?
Gab. Oui, c’est un micro.
Pascal. Qu’est-ce que tu veux que je fasse avec ça, Eric ?
Gab. Gab.
Pascal. Gab ? C’est quoi ce délire ? Tiffany…
Gray. Inspecteur Gray.
Pascal. Inspecteur Gray ? Attendez, Eric, heu… Gab
Gray. Bon, commissaire Castaigne, il nous reste quinze minutes.
Pascal. Commissaire ? Tu es commissaire ?
Gab. Hé…
Pascal. Tu rigoles ?
Gab. On n’a pas le temps pour ça, alors tu prends ton barda et tu visites l’appart fissa. Il
faut qu’on sache si notre tueur est dedans.
Gray. Quatorze minutes...
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Gab. Tu entends ? Quatorze minutes.
Pascal. Heu… d’accord. J’imagine qu’on ne part plus en viré dans Londres ?
Gab. Tu imagines bien.
Pascal. Et que je ne suis plus Andréas ?
Gab. Pascal.
Pascal. Pascal… ok.
Pascal, équipé de micros, lampe torche et tournevis part en expédition.
Sur Scène, Gray affiche sur un panneau tous les éléments de l’enquête : Un plan de l’immeuble, un
portrait de Kate Barlow, une photo de l’ange de Gonzalez, un aigle nazi, une reproduction d’Orphée
de Gustave Moreau, le dessin du vase coincé entre deux visages.
Gab. C’est bon ? Tu as pu entre sans problème ?... Oh, Pascal ! Tu me reçois ?
Pascal. Gueule pas comme ça, Gab… Pardon, je voulais dire monsieur le commissaire
Castaigne, je vous reçois parfaitement. Au fait, je suppose que ce n’est pas votre
vrai nom.
Gab. Je te vois venir. Tu crois pas que le moment est mal choisi pour régler nos
comptes ?
Pascal. De toute manière, je ne descends pas tant que vous n’avez pas répondu à mes
questions.
Gab. C’est bon, vas-y ! Qu’est-ce que tu veux savoir ?
Pascal. A partir de quand avez-vous décidé de m’utiliser pour vos magouilles ?
Gab. Pendant ta détention. J’ai jamais cru que tu avais décapité cette femme.
Pascal. Je ne faisais qu’un cambriolage. Je l’ai découvert comme ça.
Gab ? Je sais. Et j’ai pensé que tu pouvais être l’homme de la situation.
Pascal. C’est bon. Depuis quand êtes-vous flic ?
Gab. Quel rapport avec le sandwich ?
Pascal. Répondez.
Gab. Quinze ans.
Pascal. Comment en êtes-vous arrivé à faire ce métier ?
Gab. J’ai commencé à servir d’indic. Et puis… et puis on a reconnu que j’avais, comment
dire… un certain talent.
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Pascal. Dans l’art du camouflage ?
Gab. Exact.
Pascal. Et vous avez quoi comme déguisement à part boucher ?
Gab. Tu veux la liste ?
Pascal. Quel est votre véritable nom ?
Gab. André Delahaye.
Pascal. "Henri", c’était du flan ? "Eric" aussi j’imagine.
Gab. Oui.
Pascal. Les salades à propos de votre famille, les conneries de tourments de l’adolescence,
le voyage scolaire à Londres.
Gab. Vrai.
Gray ne peux se retenir de rire et d’ailleurs, elle le fait avec plaisir.
Pascal. Ces dix-huit mois à creuser des trous au camp pénitentiaire du lac vert, le cahier
secret dans lequel vous écriviez vos colères et vos rêves, tout ce que vous m’avez
raconté la larme à l’œil, vrai ou faux ?
Gab. Vrai.
Pascal. D’ailleurs vous êtes vraiment homo ?
Gab. Plus on perd du temps, plus tu te mets en danger !
Pascal. Répondez : Vos êtes gay ou pas ?
Gab. Je le suis.
Pascal. L’envie d’avoir un gosse ?
Gab. …
Pascal. Vous me recevez ?
Gab. Oui, je te reçois. Nous te recevons. Je ne suis pas seul dans la voiture. J’ai un
coéquipier avec moi. Et il entend ce que tu dis.
Pascal. Je m’en balance. Et bluffez pas. Si vous bluffer sur cette question, je vous plante là.
Gab. C’est bon, c’est bon… J’ai toujours eu envie d’avoir un gosse. J’en ai, toute ma
foutue vie, crevé d’envie. Je ferai n’importe quoi pour que ce vœu soit exaucé.
Pascal. Le tuyau pour adopter un bébé brésilien, vrai ou faux ?
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Gab. … Vrai. Est-ce que tu veux que je te décrive le sourire condescendant de mon
coéquipier tant que j’y suis ? Est-ce que tu peux percevoir aux intonations de ma
voix que je dis la vérité ? Et que l’humiliation que tu m’infliges fait la joie du
connard qui m’accompagne, mais que je ne suis pas à ca près ? J’attends la
question suivante.
Pascal. C’est bon, j’entre.
Gab. Pascal ?... Merde…
Pascal. Je suis là.
Gab. Qu’est-ce qui t’as pris de couper l’émetteur ?
Pascal. Je voulais juste vérifier à quoi servait le petit bouton rouge.
Gab. Bon… t’es décidé à collaborer correctement, oui ou merde ?
Pascal. Si je réponds sincèrement c’est merde. Mais continuez toujours.
Gab. D’après le plan, il devrait y avoir une porte sur ta droite ?
Pascal. Je la vois. Elle est verrouillée mais ça n’a pas l’air bien costaud comme serrure.
Gab. Attends, fais gaffe avant de tout défoncer.
Pascal. Je peux faire ça en douceur.
Gab. Comment ?
Pascal. J’étais cambrioleur je te rappelle.
Gab. Qu’est-ce que c’est que ce bruit ? Pascal ?... Pascal ! Pourquoi t’as coupé nom de
Dieu ! Tu me reçois Pascal ? Qu’est-ce que c’est que ces grésillements ? ! Je
t’entends mal !!!
Pascal. J’ai dû ret… ré ma ceinture… Utilisé le bout… pour ou… la serrure… M’entendez ?
Gab. Mal, très mal. Pascal ? Pascal ? Que se passe-t-il ? Je n’entends plus rien !!!
Pascal. Comme ça, vous me recevez mieux ?
Gab. Oui. Pourquoi t’as trafiqué l’émetteur ?
Pascal. J’avais besoin de l’aiguillon de ma ceinture pour ouvrir la serrure.
Gab. C’est ça, sabote le matos de la république !
Pascal. Ca va… Il fait noir, là-dedans.
Gab. Tu dois être devant un escalier.
Pascal. J’y vois rien.
Gab. On t’a pas donné une torche ? Qu’est-ce que t’attends pour l’allumer ?
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Pascal. Oui, oui, bien sûr, une seconde !… Ok, l’escalier descend à pic. En bas, ça a l’air
assez grand et bordélique. Y’a plein d’étagères avec tout un fourbis dessus.
Gab. Faut que tu descendes.
Pascal. Je sais, je sais. Me mettez pas la pression, c’est pas évident : ça descend à pic je
vous dis. Si je rate une marche, je me casse une jambe.
Gab. Y’a des grésillements de nouveau. Pourquoi ?
Pascal. Je crois bien que c’est à cause de ma respiration. J’arrive pas bien à la contrôler.
C’est flippant là-dessous. C’est bizarre mais j’entends un ronronnement, comme un
bruit de moteur. Ca ressemble à…
Gab. Quoi ?
Pascal. J’en sais rien. On dirait un climatiseur. Je vous assure qu’il fait encore plus froid
qu’au rayon bidoche du Monop…
Gab. Ok. Vas-y doucement. On a encore le temps.
Pascal. J’ai la trouille, Gab. Il fait de plus en plus froid en bas, mais j’ai l’impression que je
brûle. Y’a des tas, des tas de grandes étagères métalliques, avec… On dirait des
bocaux. Vous aimez la confiture, commissaire ? Je transpire. Vous êtes certains que
les fils résisteront ?
Gab. Tu dis s’il y a de la confiote dans ces bocaux, pascal ? Si tu trouves "griottes", tu
m’en mets un de côté, d’accord ?
Pascal. Vous préférez avec des morceaux ou plutôt en gelée ?... Oh non ! Pas ca !!!
Gab. Pascal ! Pascal ! Tu m’entends ?... Qu’est-ce que c’est que ce bruit ? T’es tombé ?...
Réponds ! Réponds ! Nom de Dieu ! Gray, continue de lui parler !
Gab sort précipitamment pour retrouver Pascal.
Gray. Pascal ! Il faut que tu répondes. Pascal, ici Gray, Castaigne viens à ton secours. Je ne
sais pas ce que tu trafiques mais ne lâche surtout pas.
Pascal est dans une petite pièce sombre. Il a une tête décapitée entre les mains.
A côté de lui, Carlisle, le chasseur de vampire.
Carlisle. Laisse ça et tais-toi ! Tu vas nous faire repérer.
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Pascal. Mais c’est…
Carlisle. Sa dernière victime… si tu arrive à la fermer.
Pascal. Vous ressemblez à Gab…
Carlisle. Chut. Je suis Carlisle, le fils du pasteur. Maintenant, prends-ça et sois prêt à
défendre ta peau.
Carlisle tend une fourche à Pascal.
Pascal. Hein ? Non. Attendez. Gab, Gab, tu me reçois ? Gab ? Putains de fils !
Carlisle. Ecoute, mon père chasse des vampires depuis 1620. On est en 1660 et il n’a brûlé
que des innocents jusqu’à présent.
Pascal. 1660…
Carlisle. J’ai enfin une chance d’en attraper un vrai, de prouver leur existence et de sauver
des innocents. Tu peux venir avec moi ou rester caché là.
Pascal. Je viens.
Carlisle. Maintenant !
Les deux chasseurs fouillent tous les recoins de l’espace.
Un vieux vampire sort de sa cachette.
Carlisle. Là ! Avec moi ! Renvoyons-le dans ses ténèbres !
Ils le pourchassent. Le vampire court puis s’arrête, se retourne et les affronte.
Il fait tomber Carlisle et puis emporte Pascal avec lui.
Carlisle blessé reste seul, se vidant de son sang.
Chasseur. Pasteur, c’est un fiasco. Nous déplorons un mort et la bête s’est enfuie.
Le pasteur. Vous brûlerez le cadavre et tout ce qui a pu être infecté par le démon !
Chasseur. On dit que votre propre fils est blessé pasteur.
Le pasteur. Où est-il ?
Chasseur. Il reste introuvable.
Le pasteur. Trouvez-le et brûlez-le. J’ai dit.
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Carlisle, caché, souffre le martyre.
Quand les douleurs cessent, il se redresse et constate avec effroi qu’il est devenu vampire.
De désespoir, il tente de se tirer une balle dans la tête, de se trancher les veines avec un hachoir à
viande, de se planter un pieu dans le cœur, de se pendre, de se noyer… en vain.
Il fini par sortir de sa cachette en rasant les murs. Il est épuisé.
Surprenant Emmanuel et Sabine, il se cache.
Emmanuel. Mais écoute-moi Sabine ! Peut-être que lui aussi, un jour pourra changer.
Sabine. Changer ? Tu délires ?
Emmanuel. Non ! Peut-être que tout le monde peut y arriver. Pense à mon histoire, elle n’est
pas incroyable ? Au début, je te regardais caché derrière une grille de mon lycée. A
présent, je te tiens par la main et on a obtenu une mention spéciale à un concours
d’art moderne. J’ai tellement peur que ce ne soit qu’un rêve.
Sabine. Moi, je crois que la vie peut être un rêve, à condition d’oser rêver. Viens !
Quand ils sont partis, Carlisle se jette sur leur frigo, l’ouvre et mange avec voracité un morceau de
viande crue.
Carlisle. Il existe une alternative à la monstruosité. Je… je peux exister sans boire le sang des
hommes, sans… sans être un démon. Oui, j’ai le choix de ce que je serai. Le choix.
J’ai le choix.
Bella passe. Carlisle n’a plus peur, il ne se cache plus.
Quand Bella le voit dégoulinant de sang, elle crie. Carlisle s’approche d’elle pour la rassurer.
Edward intervient et jette Carlisle au sol. Carliste est en fait jeté hors du récit
Il observe la scène qui se joue et la reconnait.
Edward. Un jour tu manques de te faire renverser par une voiture.
Bella. …
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Edward. Le lendemain tu te fais agresser dans une ruelle.
Bella. …
Edward. Et puis tu tombes sur un vampire assoiffé.
Bella. …
Edward. Te garder en vie est un défi lancé au destin.
Bella. …
Edward. Tu as eu peur ?
Bella. Non.
Edward. Et maintenant tu as peur ?
Bella. Non.
Edward. Peut-être que tu devrais.
Carlisle flotte entre deux eaux. Il a encore le vague sentiment d’être Carlisle tout en prenant
conscience du recul qu’il prend sur l’histoire. Il a retrouvé le livre d’où la scène est tirée. Il lit le
passage à voix haute. Etonné de faire coïncider un livre avec une histoire réelle qui se joue devant
lui. Pendant la lecture, Edward et Bella se figent et se retournent vers lui.
Philippe. Pendant une fraction de seconde, nous fîmes tous les deux exactement la même
chose : je le regardai et il me regarda. Nos deux têtes s’approchèrent exactement
en même temps et puis nos lèvres se posèrent au bon endroit, c'est-à-dire sur les
lèvres de l’autre. Ce fut un vrai baiser, et il n’avait pas du tout le goût de poulet.
Ebranlée, Bella n’est plus Bella mais Sophie..
Edward n’est plus Edward mais Emmanuel.
Sophie. Ce n’est pas mon histoire. Qu’est-ce que tu racontes ? Et d’ailleurs, pourquoi les
baisers auraient-ils le goût du poulet ? Je suis Bella. Bella ! Edward, dis-lui. Edward !
Emmanuel. Bella… je ne suis pas Edward.
Sophie. Mais oui ! Tu es un vampire, mais un bon, tu m’as appris la confiance, tu m’as
appris à aimer, tu m’as appris à voler entre les arbres, tu m’as…
Emmanuel. Non… je suis… Emmanuel. Oui, Emmanuel, un apprenti soudeur. Je passe mon
C.A.P. en fin d’année. Et… les vampires n’existent pas.
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Sophie. Mais si ! Mais… non. Tu as raison. Je ne suis pas Bella. Je ne suis rien du tout. Je ne
suis rien qu’un déguisement. On est dans un putain de décors !
Emmanuel. Je ne sais pas de quoi tu parles mais je dois terminer des soudures pour une
sculpture. C’est plutôt urgent, tu vois et…
Sophie. Non ! Attends ! Attendez !
Carlisle. Je suis Carlisle le vampire. Le jour se lève, je ne peux pas rester.
Sophie. Mais bien sur que oui ! Tu n’es pas un vampire !
Carlisle. Mes yeux disent le contraire.
Sophie. Non, attends, tu peux choisir ! Et toi…
Emmanuel. Ma sculpture, Désolé.
Sophie. Non, ne me laissez pas, il doit y avoir une sortie.
Carlisle sort se cacher.
Emmanuel allume son fer à souder et se brûle les yeux.
Coupure d’électricité.
Dans le noir, Carlisle tombe sur Emmanuel.
Carlisle. Emmanuel ?
Emmanuel. Carlisle ?
Carlisle. C’était quoi cette lumière ?
Emmanuel. Un arc à souder.
Carlisle. Ca va tes yeux ?
Emmanuel. Brûlés. Sans lunettes de protection ca craint mais j’avais ce truc urgent à faire.
Maintenant, je suis coincé dans le noir pour deux jours minimum.
Carlisle. C’est comme un stage en entreprise chez les vampires.
Emmanuel. T’as raison.
Carlisle. Ca fait mal ?
Emmanuel. Comme un coup de soleil derrière les yeux.
Carlisle. Ah ouais quand même…
Sophie les rejoint avec sur les yeux des lunettes de protection de soudeur
… et les mOutOns.cOm
21
Sophie. Tu aurais dû utiliser ça.
Emmanuel. Où étaient-elles ?
Sophie. Dans la caisse à accessoires.
Emmanuel. La quoi ?
Sophie. Tu les portes souvent ?
Emmanuel. Assez.
Sophie. On ne doit pas du tout voir le monde de la même façon, toi et moi.
Emmanuel. Oui, c’est exact.
Sophie. Je suis vraiment contente de voir normalement… Tenez.
Emmanuel. Qu’est-ce que c’est ?
Sophie. Une sorte de Clef.
Carlisle. Des costumes.
Emmanuel. Qui es-tu ?
Sophie. Je ne sais pas très bien où je suis. Je ne sais pas non plus qui je suis mais je sais qui
je voudrais être. Mais je sais qui je veux être : Katherine Barlow.
Sophie sort un livre et commence son récit.
… et les mOutOns.cOm
22
TROISIEME VAGUE
Sophie. Katherine Barlow était connue sur les bords du lac vert comme la championne
indépassable de la pêche au sirop ; des pêches qui auraient surement pu durer des
années si, après avoir été faite en été, elles n’avaient pas toutes été mangées
durant chaque hiver. Katherine était également l’unique institutrice du village. Elle
faisait la classe dans une vieille école qui ne comportait qu’une seule pièce. Même
à l’époque, l’école était déjà vieille. Le toit fuyait, les fenêtres refusaient de s’ouvrir,
la porte pendait sur ses gongs tordus. C’était une merveilleuse institutrice, au
savoir infini, débordante de vie. Les enfants l’adoraient. Le soir, elle donnait des
cours à des adultes dont la plupart l’adoraient tout autant.
Une classe pleine d’hommes dont les yeux de lâchent pas Katherine des yeux.
Katherine. Bonsoir messieurs. Pardon, une nouvelle fois pour la modestie de cette école
visiblement trop étriquée pour étancher votre soif de savoir à tous. Que cela ne soit
pas un obstacle à ce que vous obteniez tous ce que vous êtes venus chercher : de
l’instruction.
Fif. L’un de ces jeunes hommes s’appelait "Truite" Walker. Son vrai nom était Charles
Walker, mais tout le monde l’appelait Truite car ses pieds dégageaient une odeur
de poisson mort. Il était le fils de l’homme le plus riche du comté. Truite venait
souvent aux cours du soir mais n’écoutait rien et passait son temps à bavarder sans
le moindre respect pour les autres élèves autour de lui. Il était stupide et parlait
très fort.
Truite. … et sans ramer, mon ami, sans ramer.
Katherine. Monsieur Walker, est-ce que vous m’écoutez ?
Truite. Oui Miss. Je vous écoute avec les yeux.
Katherine. C’est l’heure messieurs, nous nous revoyons demain soir. Et rappelez-vous,
l’Europe n’est pas un pays mais un continent.
… et les mOutOns.cOm
23
Tennessee. Comme mon grand père, il est incontinent aussi. Ah ah ah !
Truite. Ca vous dirait de faire un tour dans mon nouveau bateau, samedi prochain ?
Katherine. Celui qui fait un bruit épouvantable et crache d’horribles fumées noires sur la
splendeur du lac ? Non merci.
Truite. On n’a même pas besoin de ramer.
Katherine. Je sais.
Truite. Personne ne dit jamais "non" à Charles Walker !
Katherine. C’est pourtant ce que je viens de faire.
Truite s’en va furieux.
Philippe. Il y avait également en ville un marchand d’oignons.
Sam. Oignons ! Oignons frais ! Oignons doux ! Mangez plein d’oignons ! Les oignons c’est
excellent pour la digestion, le foie, l’estomac, les poumons, le cœur et le cerveau !
Quelque chose ne va pas, miss Katherine ?
Katherine. Oh, c’est à cause du temps. On dirait que les nuages viennent par ici. Il va bientôt
pleuvoir.
Sam. Moi, j’aime bien la pluie.
Katherine. Moi aussi, j’aime bien ça. C’est simplement qu’il y a une fuite dans le toit de l’école.
Sam. Je peux arranger ça.
Katherine. Qu’est-ce que vous allez faire ? Remplir les trous avec de la crème d’oignons ?
Sam. Je suis habile de mes mains. C’est moi qui ai construit mon bateau tout seul. Et s’il
avait une fuite, j’aurai de gros ennuis.
Philippe. Ils conclurent un marché. Il acceptait d réparer le toit de l’école en échange de six
bocaux de pêche au sirop. Sam mis une semaine à réparer le toit, car il ne pouvait
travailler que l’après-midi, après la sortie des classes et avant les cours du soir. Sam
n’avait pas le droit d’aller à l’école parce qu’il était noir mais on l’avait autorisé à
réparer la maison.
Sam tape sur le toit. Miss Katherine corrige des copies.
… et les mOutOns.cOm
24
Philippe. Elle prenait plaisir aux bribes de conversation qu’ils parvenaient à échanger en
criant l’un vers l’autre, lui là-haut sur son toit, elle en bas dans l’école. Elle fut
surprise de l’intérêt qu’il manifestait pour la poésie. Quand il faisait une pause, il
arrivait qu’elle lui lise un poème.
Katherine. …Ainsi, aux rives de la nuit, je me couche à côté / De ma chérie! Ma chérie, ma vie,
ma promise, / Dans son tombeau, là, au bord de l'océan, /
Avec Sam. Dans sa tombe, à côté de l'océan. Edgard Alan Poe
Philippe. Lorsque le toit fut réparé, elle était triste.
Sam. Quelque chose ne va pas ?
Katherine. Oh si, ça va très bien, vous avez fait un travail magnifique, répondit-elle.
Simplement… les fenêtres ne veulent pas s’ouvrir. Les enfants et moi, on aimerait
bien avoir un peu d’air de temps en temps.
Sam. Je peux arranger ça.
Philippe. Elle lui donna deux autres bocaux de pêche et Sam répara les fenêtres. Lorsqu’elles
furent réparées, elle se plaignit de son bureau qui était un peu branlant.
Sam. Je peux arranger ça.
Philippe. Quand elle le revit, elle lui signala que la porte était de travers et elle passa un
nouvel après-midi en sa compagnie pendant qu’il la réparait. Vers la fin du premier
semestre, Sam avait transformé la vieille école en un petit bijou bien soigné mais
Miss Katherine n’était pas très heureuse. Elle n’avait plus rien à faire réparer.
Sam. Quelque chose ne va pas ?
Katherine. Oh, Sam, dit-elle. J’ai le cœur brisé.
Sam. Je peux arranger ça.
… et les mOutOns.cOm
25
Il lui prend les mains et l’embrasse.
Philippe. A cet instant, cependant, Hattie Parker sortit du grand magasin. Ils ne la virent pas,
mais elle les avait vus. Elle pointa vers eux un doigt frémissant et murmura : Une
blanche avec un nègre… Dieu vous punira ! Le lendemain, aucun enfant ne se
montra à l’école.
Katherine est seule dans l’école. Une foule en colère entre et renverse les tables.
Truite. Elle est là ! La femme diabolique ! Elle a empoisonné les cerveaux de nos enfants
avec des livres !
Ils entassent tous les livres qu’ils trouvent au milieu de la pièce et y mettent le feu.
Katherine. Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous faites ! Arrêtez ! Arrêtez ça !
Arrêtez ça ! Vous vous comportez comme des animaux ! Pire que des animaux !
Comme des… Néants !
La foule tente de l’empoigner mais elle se libère et file dans le bureau du shérif.
Dans son hamac, ce dernier bois au goulot d’une bouteille de Whisky.
Katherine. Ils sont en train de détruire l’école. Ils vont tout brûler si personne ne les arrête !
Shérif. Calmez-vous, charmante demoiselle. Expliquez-moi de quoi il s’agit.
Il se lève et s’approche d’elle.
Katherine. Truite Walker a…
Shérif. Ne vous avisez surtout pas de dire du mal de Charles Walker.
Katherine. Il faut faire vite, vous devez à tout prix les arrêter.
Shérif. Vous êtes vraiment jolie. Embrassez-moi.
Elle lui donne une gifle. Il éclate de rire.
… et les mOutOns.cOm
26
Shérif. Vous avez bien embrassé le marchand d’oignons, pourquoi pas moi ?
Elle essaye de le gifler à nouveau, mais il lui attrape la main. Elle s’efforce de se dégager.
Katherine. Vous êtes ivres !
Shérif. Je bois toujours avant les pendaisons.
Katherine. Une pendaison ? Qui…
Shérif. C’est pas légal pour un nègre d’embrasser une femme blanche.
Katherine. Alors il faudra me pendre aussi, parce que moi aussi je l’ai embrassé.
Shérif. Vous, vous avez le droit de l’embrasser, c’est légal, mais lui, non.
Katherine. Nous sommes égaux sous le regard de Dieu.
Le shérif éclate de rire.
Shérif. Alors, si Sam et moi on est égaux, pourquoi vous m’embrasseriez pas ?
Le shérif éclate de rire. Encore.
Shérif. Je vais vous proposer un marché. Vous me donnez un baiser bien tendre et je ne
pendrai pas votre petit ami. Je me contenterai de le chasser de la ville.
Elle se dégage et sort.
Shérif. La loi punira Sam. Et vous, c’est Dieu qui vous punira.
Katherine retrouve Sam en train de lire.
Au loin, on aperçoit de la fumée au dessus de l’école.
Katherine. Dieu merci, tu es là. Il faut partir d’ici. A l’instant même.
Sam. Quoi ?
… et les mOutOns.cOm
27
Katherine. Quelqu’un a dû nous voir hier pendant qu’on s’embrassait. Ils ont mis le feu à
l’école et le shérif a dit qu’il allait te pendre.
Sam. Je te suis.
Ils fuient vers le lac. Ils détachent la corde de la barque et monte dessus. Sam rame.
Katherine. Plus vite Sam, ils approchent ! Plus vite !
Sam. Je ne peux pas rivaliser avec un bateau à moteur. Tu peux encore t’enfuir
Katherine. Ils ne te feront rien.
Katherine. Jamais, tu entends ? Jamais !
Sam. Saute, Katherine !
Philippe. Voici les faits : Le bateau des Walker heurta de plein fouet celui de Sam. Sam fut
tué d’un coup de révolver et jeté à l’eau. Katherine Barlow fut sauvée contre sa
volonté. Trois jours après la mort de Sam, Miss Katherine tua le shérif d’un coup de
revolver alors qu’il buvait un café, assis dans son fauteuil. Puis elle appliqua
soigneusement du rouge-à-lèvres sur ses lèvres et lui donna le baiser qu’il avait
demandé. Pendant les vingt ans qui suivirent, Kate Barlow l’Embrasseuse fut un des
hors-la-loi les plus redoutés de l’Ouest américain.
Pour l’instant, Katherine est au dessus du corps de Sam.
Elle le pose sur le chariot et s’en va l’enterrer.
M. Monsieur entre.
M. Monsieur. Encore en train de pleurnicher ? On n’est pas dans un camp de girls scouts ici ! Où
êtes vous planqués ! Si vous croyez que je vais perdre mon temps à vous courir
après vous vous mettez le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Si vous vous enfuyez, le
soleil vous ramènera. Si vous vous planquez dans un des trous, ce sont les lézards à
taches jaunes qui vous feront sortir !
Il met une cassette dans le radiocassette et va s’installer dans son hamac. Il sifflote.
… et les mOutOns.cOm
28
Radio. Ainsi s’achève la Kristallnacht, la "nuit de cristal". A travers toute l’Allemagne, des
bandes de tueurs nazis quittent enfin les quartiers juifs. Ils ne laissent derrière eux
que ruines et morts. Pas une fenêtre qui n’ai été brisée, pas une maison qui ne n’ai
été saccagée, pas un magasin qui n’ai été pillé, pas une synagogue qui n’ait été
incendiée.
Hana et George sortent de leur cachette. Ils s’approchent de la radio.
Hana. Ca ne pourrait pas arriver ici, n’est-ce pas ?
George. Chut ! Si on parle, ils vont nous entendre et nous renvoyer au lit.
On entend des cris au loin. Des cris qui s’approchent.
La foule. PAS DE NEANTS DANS NOS ECOLES ! PAS DE NEANTS DANS NOS ECOLES !
Sephy. Qu’est-ce que c’est ?
Un type. Quatre Nihils qui croient entrer dans une école pour Primats. Pourquoi pas des
cochons tant qu’on y est ? PAS DE NEANTS DANS NOS ECOLES !
Sephy. Callum ! Callum est avec eux ! Callum ! Impossible de passer. Trop de monde. Trop
de policiers, trop de cris.
La foule. PAS DE NEANTS DANS NOS ECOLES !
La foule. LES NEANTS DEHORS !
Sephy grimpe sur un mur pour voir ce qui se passe
Les Nihils avancent en regardant droit devant eux sans prêter attentions aux insultes.
La foule. PAS DE NEANTS DANS NOS ECOLES !
La foule. PAS DE NEANTS DANS NOS ECOLES !
La foule jette des pierres sur les Nihils.
La foule. L’un d’entre eux est blessé !
Sephy. Callum ! Ce n’était pas Callum ?
… et les mOutOns.cOm
29
La foule. Un néant est blessé !
La foule. Un néant est blessé !
La foule. Un néant est blessé !
La foule. Un néant est blessé !
La foule. Hourra !
Sephy. Callum ?
La foule. C’est une fille !
Sephy. M. Laloux, il faut aider cette fille ! Elle est blessée ! Monsieur Laloux ! Pourquoi ne
réagissez-vous pas ? Monsieur Laloux ! Et vous ! Tous ! Arrêtez ! Arrêtez ça !
Arrêtez ça ! Vous vous comportez comme des animaux ! Pire que des animaux !
Comme des… Néants !
Silence. La foule se fige, effrayée par sa propre violence.
Callum se tourne vers Sephy avec un regard noir.
Sephy. Callum, ne me regarde pas comme ça.
Callum. Tu n’as pas prononcé ce mot ? C’est impossible ! Pas toi ! Je vais me réveiller, me
réveiller loin de ce chaos, de ce cauchemar. Je vais me réveiller et rire…ou hurler à
ce sale tour que me joue mon esprit.
Sephy. Je ne parlais pas de toi. C’était pour les autres. Je voulais qu’ils arrêtent. Je ne
parlais pas de toi…
Callum. Pourtant si, tu l’as prononcé.
Sephy. Tu étais en danger. Je ne parlais pas de toi…
Callum. Je ne suis pas un Néant. Je suis un Nihil, oui, mais je suis un être humain. Je ne suis
pas un rien du tout, un zéro, un espace vide. Je ne suis pas un Néant.
Sephy. Pourquoi tu ne comprends pas que je ne parlais pas de toi ? Que ce n’était qu’un
mot. Un mot que Papa avait utilisé.
Callum. Les mots ont un pouvoir Sephy. Les langues sont des armes et les mots leurs
cartouches.
La foule reprend vie. On entend les slogans de loin, ils se rapprochent.
… et les mOutOns.cOm
30
La foule. LES NEANTS DEHORS !
La foule. LES NOIRS !
La foule. LES VAMPIRES !
La foule. LES HOMOS !
La foule. LES JUIFS !
La foule. DEHORS !
Callum. Ils approchent ! Il faut partir !
Sephy. Le bateau !
Ils fuient vers le lac. Ils détachent la corde de la barque et monte dessus. Callum rame.
Sephy. Pus vite Callum, ils approchent ! Plus vite !
Callum. Je ne peux pas rivaliser avec un bateau à moteur. Tu peux encore t’enfuir, Sephy. Ils
ne te feront rien.
Sephy. Jamais, tu entends ? Jamais !
Callum. Saute, Sephy !
Philippe. Voici les faits : Le bateau des Walker heurta de plein fouet celui de Callum. Callum
fut tué d’un coup de révolver et jeté à l’eau. Sephy fut sauvée contre sa volonté.
Fif s’est rendu compte qu’il rejouait la même scène. Il s’écarte et observe.
M. Monsieur met une nouvelle cassette dans la radio.
Il vient remballer tout ce qui est confisqué aux juifs.
Radio. Toute la Tchécoslovaquie est désormais occupée par la puissante armée nazie. Les
juifs doivent être considérés comme des êtres malfaisants. Vous devez savoir que
leur influence sur le monde est néfaste, qu’ils sont dangereux. Désormais, ils
devront être soumis à de nouvelles règles. Ils pourront plus quitter leur maison
qu’à des heures bien précises, faire leurs courses que dans un nombre limité de
magasins et seulement à certains moments de la journée. Il leur est interdit de se
déplacer hors de leur quartier. Ils devront déclarer aux autorités tout ce qu’ils
possèdent, œuvres d’art, bijoux, argenterie, argent placé en banque. Ils devront
… et les mOutOns.cOm
31
également remettre leur poste de radio à l’officier qui dirige le bureau central nazi
de la ville.
Hana. Ca ne pourrait pas arriver ici, n’est-ce pas ?
George. Chut ! Si on parle, ils vont nous entendre et nous renvoyer au lit.
M. Monsieur confisque aussi la cassette.
Fif. Combien de fois vais-je encore mourir sur ce bateau ? Ce… ce n’est pas qu’un jeu.
Le goût du sang, l’eau dans ma bouche, les balles qui déchirent ma peau… je les
sens à chaque fois. C’est pour de faux ? La belle affaire. A chaque fois j’y crois !
Sophie. Allons…
Philippe. Il a raison. Nous sommes pieds et poings liés au fil d’un récit qui ne dit pas son
nom. Quoi que nous choisissions, les histoires nous rattrapent. Tu voulais être
Kate ? Tu es devenu Sephy et puis Hana et puis… je ne sais même pas qui tu es, là !
Je ne sais pas qui je suis ! Qui se cache derrière tous nos masques ? Est-ce que tout
est écrit à l’avance ? Est-ce que ce que ce que je dis là est écrit ? Dans un de ces
livres ? Dans tous ces livres en même temps peut-être…
Sophie. Alors tu ne fais que réciter ton texte.
Ils regardent tous les trois la pile de livres au bord de scène.
Ils vont fouiller dedans, les feuilleter, le rejeter. Et puis Sophie trouve le manuscrit.
Sophie. J’ai : " Combien de fois vais-je encore mourir sur ce bateau ? Ce… ce n’est pas qu’un
jeu. Le goût du sang, l’eau dans ma bouche… Est-ce que ce que ce que je dis là est
écrit ? Dans un de ces livres ? Dans tous ces livres en même temps peut-être… Alors
tu ne fais que réciter ton texte."
Fif. Je le savais ! Tout est écrit. Nous sommes condamnés. Tu peux nous lire la fin ?
Sophie. On a le droit ?
Philippe. On a le droit de choisir ! Et si je ne voulais pas être celui que l’on me commande
d’être ? Et si je ne voulais pas suivre le scripte, hein ? Et si je refusais de dire ces
… et les mOutOns.cOm
32
mots que l’on me dit de dire ? Et si… et si je me taisais ? Il n’y a pas de page blanche
dans ton texte. Écrivons-là dans l’encre du silence.
Sophie. C’est possible un truc pareil ?
Philippe. Chut ! Plus un mot. Plus un geste.
Sophie. …
Philippe. …
Fif. …
Ils ne font plus rien mais c’est difficile. Eventuellement, ils peuvent échanger des regards, prendre
un verre d’eau, une chaise pour s’asseoir… Et ca dure.
Philippe. C’est beau, hein, ce silence…
Fif. Une histoire sans histoire…
Philippe. Impossible écrire, ça, une page blanche…
Sophie. C’est rien du tout
Philippe. C’est rien du tout mais c’est à nous !
Fif. Et une histoire sans personnage ?
Sophie. C’est possible ?
Philippe. Non.
Fif. Mais si on le fait c’est à nous aussi !
Fif sort de salle. Phil et Sophie descendent de scène.
Philippe. Mieux que le silence : le vide !
Sophie. Là ! J’ai vu bouger un livre !
Philippe. Où ?
Sophie. Là, le rouge… N’approche pas, il pourrait nous aspirer.
Philippe l’attrape et le lit à voix haute.
Sophie. Non !
… et les mOutOns.cOm
33
Philippe. "J’ai vécu toute ma vie grâce au bois : j’ai mangé, j’ai été à l’abri de la pluie, je me
suis réchauffé… et puis, j’ai lu tous les livres dont les pages sont fabriquées avec les
fibres du bois. J’aime les métamorphoses. Le bois qui devient livre, l’hiver qui devient
printemps. Le raisin qui devient vin… Il se tourna vers Paolo. Et l’enfant qui devient
homme."
Fif revient finalement avec un sac de boulangerie. Philippe jette le livre.
Fif. On choisi, on invente, on crée, on surprend ! On choisi notre réalité ! Tenez.
Il leur tend un chausson aux pommes chacun.
Philippe. La réalité est une boulangerie ?
Sophie. C’est un goûter ? Super.
Fif. Prenez ça.
Il leur tend une feuille et un stylo.
Fif. Vous notez vos chaussons aux pommes. Des notes sur cinq pour chaque catégorie.
Brillance, forme, poids, tenue en main, goût, quantité de sucre, croustillance, si la
confiture ne coule pas quand vous mordez dedans, si elle ne colle pas aux dents…
Sophie. Heu… à quoi ça sert ?
Fif. A rien justement. Qui écrirait un truc pareil ? Personne. Ca ne sert à rien mais c’est
à nous. Laissez-moi deux minutes pour me débarrasser de ce costume. Je reviens
prendre les copies et vous donner d’autres chaussons aux pommes.
Philippe. Ah bon ?
Fif va se changer. Les deux autres commencent à manger.
Sophie. Tu crois qu’on va en manger beaucoup comme ça ?
Philippe. Jusqu’à une autre idée.
… et les mOutOns.cOm
34
QUATRIEME VAGUE
Fif se change en Mme Macchabé. Philippe et Sophie l’observent de loin.
Sophie. Je crois que c’est le costume de Margaret Macchabée.
Philippe. C’est son prénom ? Margaret Macchabée ?
Sophie. Oui. Elle me fait une peur bleue.
Philippe. Pourquoi ça ?
Sophie. C’est ce que je suis en train de te dire. D’abord il y a ce nom : Macchabée. Tu sais ce
que ça veut dire ? Ca veut dire mort, un cadavre.
Fif, en cours de changement de costume, revient leur donner deux autres chaussons aux pommes.
Fif. Tenez, pour vous.
Philippe. Heu… merci. Tu es sûre ? Un cadavre ?
Sophie. Absolument sûre. Tu n’as qu’à regarder dans le dictionnaire si tu veux. Et tu sais ce
qu’elle fait dans la vie… quel est son métier ?
Philippe. Oui, elle est… infirmière.
Sophie. Exactement ! Et tu voudrais d’une infirmière qui s’appelle Macchabée ? Et ces
cheveux ! Tu ne trouves pas qu’avec ces cheveux rouges dressés sur la tête, elle a
l’air d’un spectre ? Et cette voix ! Elle crisse comme les feuilles mortes sur le trottoir,
balayées par le vent.
Philippe. Attends…
Philippe se souvient du passage d’un livre qui parlait de cette séquence. Il récupère un livre et lit,
heureux d’avoir trouvé le bon paragraphe.
Philippe. "Là était la force de Mabel. Dans son monde à elle, personne n’était ordinaire. Les
gens étaient soit parfaits comme son père, ou, le plus souvent, des maniaques
inquiétants ou des assassins sanguinaires."
Fif. Vous récitiez l’une des scènes ?
… et les mOutOns.cOm
35
Philippe. Oui, un passage.
Sophie. Eh !
Fif. Quoi ?
Sophie. Tu as vu ta tête ?
Fif. Je suis qui ?
Sophie. Macchabé.
Fif. C’était écrit ?
Sophie. Eh…
Fif. Zut.
Sophie. On ne se laisse pas abattre ! On coure !
Ils se ruent tous les trois vers les costumes.
Emmanuel. De toute façon, il faut du coton pour souder. Le synthétique s’enflamme trop vite.
Entrée de Sabine (Sophie), très classe. Emmanuel est intimidé, maladroit…
Philippe entre aussi avec un texte en main. La collision des deux univers crée un malaise.
Emmanuel. Bonjour.
Sabine. Salut. Ca va ?
Emmanuel. Oui. Monsieur Laloux m’a confié les clefs.
Sabine. Super. Il veut dire quoi ce panneau ?
Emmanuel. En gros : Attention aux accidents !
Sabine. Aux accidents ?
Emmanuel. Les dangers ne manquent pas ici. Même en faisant attention. Le chalumeau à
l’acétylène, par exemple, peut exploser. Ca ne tue pas, mais la main qui le tenait se
retrouve en charpie.
Philippe se lance dans sa lecture. La première scène s’interrompt.
Philippe. Ma mère aimait tout particulièrement les histoires des amérindiens (elle disait
"Indiens"). Elle connaissait des légendes de toutes les tribus : Les Navajos, les Sioux,
… et les mOutOns.cOm
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les Senecas, Les Nez-percés, les Maidus, Les Pied-noirs et les Hurons. Elle savait
tout sur les dieux du tonnerre, les créateurs du monde, les sages corbeaux, les
coyotes rusés et les âmes errantes. Ses histoires préférées étaient celles où des
gens revenaient sur terre après leur mort, sous la forme d’un oiseau, d’une rivière
ou d’un cheval. Elle connaissait même une histoire où un vieux guerrier revenait
sous la forme d’une pomme de terre.
Ils se regardent tous les trois.
Fif. Nous étions deux patates ?
Philippe. Emmanuel et Sabine.
Sophie. On coure !
Philippe ressort vers ses costumes et ses livres.
Fif et Sophie, repartent et reviennent jouer la même scène.
Emmanuel. Bonjour.
Sabine. Salut. Ca va ?
Emmanuel. Oui. Monsieur Laloux m’a confié les clefs.
Sabine. Super. Il veut dire quoi ce panneau ?
Emmanuel. En gros : Attention aux accidents !
Sabine. Aux accidents ?
Emmanuel. Les dangers ne manquent pas ici. Même en faisant attention. Le chalumeau à
l’acétylène, par exemple, peut exploser. Ca ne tue pas, mais la main qui le tenait se
retrouve en charpie.
Sabine. C’est fréquent ?
Emmanuel. Il paraît que non. Un ancien soudeur m’a dit que, sur quarante années de travail il
en avait vu exploser deux. Et puis, les chalumeaux du lycée sont équipés d’un tout
nouveau dispositif de sécurité. Par contre, on peut toujours se brûler ou se blesser.
Philippe est revenu avec une nouvelle scène dans laquelle il est Gab.
Fif se retrouve empêtré entre deux scènes. Il est simultanément Emmanuel et Pascal.
… et les mOutOns.cOm
37
Gab. Je t’explique en quoi ça consiste. Tu auras à découper des morceaux de viande.
Avec un gros couteau bien affuté, de ceux qui tranchent d’un coup sec, clac.
Pascal. Espèce de salaud, je te vois venir.
Emmanuel. Tout à l’heure, je te montrerai la cisaille à tôle. On l’actionne avec un très long
levier de métal. M. Laloux a raconté que lorsqu’il était étudiant, un gars l’a laissé
retomber sur la tête d’un autre. Il est mort sur le coup.
Gab. De la viande rouge ou de la viande blanche. Il faudra bien la découper et l’aplatir.
Puis l’emballer proprement. Proprement, tu comprends ce que ça veut dire, hein ?
Il faut que le produit au final soit bien net, sans aucune trace sur le papier.
Pascal. Il le fait exprès. Il veut à tout prix me rappeler…
Sabine. …
Emmanuel. Rassure-toi, je vais essayer de faire attention.
Sabine. Ce serait gentil, J’aimerai profiter de la vie quelques années encore.
Fif. Tu arrêtes un peu de me couper ! Eh… Tu es Gabriel…
Philippe. Et vous…
Fif. Emmanuel et Sabine…
Sophie. Encore ? Ah ! Là, un texte ! Il a bougé ! Attrape-le ! Attrape-le !
Philippe l’attrape et va le jeter.
Sophie. Ouf. On coure !
Ils vont se changer tous les trois.
Philippe revient en Shérif, Sophie en Kate.
Chaque meurtre donnera lieu à une image qui s’achèvera sur un baiser au rouge à lèvre.
Sophie. Kate Barlow tua le shérif d’un coup de revolver alors qu’il prenait un café.
Elle met son rouge à lèvre.
Sophie. Tu veux que je penche la tête à droite ou à gauche ?
… et les mOutOns.cOm
38
Elle l’embrasse. Philippe ressort trouver un nouveau costume. Fif entre en Emmanuel.
Emmanuel. Sabine, tu…
Sophie. Elle tua également Emmanuel Pouliscek d’un coup de cisaille à tôle alors qu’il
testait la solidité d’une soudure.
Fif ressort trouver un nouveau costume. Philippe entre en Commissaire Castaigne.
Gab. Pascal, tu me reçois ? Tu me reçois ? Qu’est-ce que tu fiches avec ce micro ? C’est
pas vrai !
Sophie. Elle tua également Gabriel dit Gab dit le boucher du monop dit Henri Castaigne dit
Monsieur le commissaire avec un hachoir à viande.
Philippe ressort trouver un nouveau costume mais Sophie le rattrape. Il est Angel.
Sophie. Elle noya Angel Allegria, le célèbre assassin, dans ses propres larmes de remord.
Et Philippe ressort vers un nouveau costume.
Sophie. Elle pendit Callum sur la place publique, électrocuta Andréas, Eric et Tiffany devant
leur consol de jeu, noya un officier nazi, empoisonna Salamanca Arbre Hiddle…
Fif entre en Edward.
Edward. Bella ? Je te fais peur ?
Sophie. Et elle tua Edward Callum le vampire d’un coup de pieu dans le cœur alors qu’il se
faisait cuir un steak.
Fif. Haï, tu m’as fait mal. Tu tapes fort.
Sophie. Edward n’aurait rien dit.
Fif. Oui, ok mais bon…
… et les mOutOns.cOm
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Sophie. Pendant les vingt ans qui suivirent, Kate Barlow l’Embrasseuse fut un des hors-la-loi
les plus redoutés de l’Ouest américain.
Elle se prend en photo, jette la photo sur le sol, tire dessus et tire sur la bande son.
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ECUME
Fif. Ok. Nous avons tué tous les personnages de cette histoire sans queue ni tête. Et
alors ? Avons-nous des réponses ?
Sophie. Nous savons qui nous ne sommes pas. C’est déjà bien.
Philippe. Nous savons que nous pouvons choisir. Chacun sa conclusion.
Sophie. Conclusion : Au revoir à tous. Je quitte cette histoire à présent. Je ne sais pas qui je
suis, c’est vrai. J’ai… été beaucoup de monde à la suite. J’ai cru l’être. Je ne sais plus
rien du tout alors je pars. Je laisse ici fards et perruques, vestes et robes. Dans ces
pages, c’est probable, sont imprimés les mots qui achèvent mon histoire. Peut-être
contiennent-elles aussi les mots que je prononce actuellement. Vous pourriez
ouvrir et lire : Peut-être contiennent-elles aussi les mots que je prononce
actuellement. Vous pourriez ouvrir et lire : Je les laisse aussi. Peu m’importe. Lisez-
les vous, si vous voulez. Ils ne me concernent plus. L’histoire qui m’intéresse est là
devant. Je vais à sa rencontre. Adieu.
Philippe. Conclusion : Une tempête s’est levée sur la bibliothèque emportant tous les livres.
Ils se sont envolés comme suivant un instinct, un mystérieux instinct de migration,
battant des pages, applaudissant le vent qui tourbillonnait. La tempête s’est tue.
Quelques feuillets sont redescendus en planant vers le sol. Un bibliothécaire
méticuleux les a tous rassemblés au hasard de leur chute pour reconstituer le
premier livre de sa nouvelle bibliothèque. Il le nomma : Ne jugez pas un homme
avant d’avoir marché deux lunes dans ses mocassins. Voilà l’histoire que nous vous
avons présentée. Et même si ce récit s’avérait faux, mensonger, erroné… il en vaut
bien un autre. C’est l’histoire que je veux écrire.
Fif. Conclusion : Je ne suis pas celui qu’il semble que je sois. Non. Je suis un autre. Un
autre plus profond que cela. Moins en surface. Ma surface est une peau élastique.
Extensible. On peut entrer dedans à deux. Ou plus. Je suis Perséphone Hardley, 14
ans, amoureuse du mauvais garçon. Non, c’est le monde qui est mauvais. Je suis
… et les mOutOns.cOm
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Angel Allegria, assassin au couteau. Je suis Edward Callum et je suis assoiffé. Bella
me donne soif. Je suis aussi Bella et… je n’ai pas peur des morsures. Je suis Callum
Mc Gregor, Emmanuel Pouliscek, Sabine Linion, Paolo Paloverdo, Tiffany, Andréas,
Pascal, Gabriel. A la fois Stanley Yelnats et Katherine Barlow. Mabel Winterbottom
et Salamanca Arbre Hiddle. Un apprenti soudeur. Un gamer addict. Un vampire. Un
vendeur d’oignons. Un prisonnier au milieu du désert. Un flic homosexuel déguisé
en boucher. D’ailleurs, je ne suis pas vraiment là. Pas vraiment. Non. C’est un
comédien qui joue mon rôle. Un bon. Oui. Et il se pourrait bien qu’il recommence.
Tout. Pourquoi pas ? Certain nous ont quitté, c’est vrai. On les remplacera ! Oui.
Pourquoi pas ? Je ne suis pas celui qu’il semble que je sois.
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XXX. C’est Paolo qui vit venir l’homme, là-bas, sur le chemin, par un jour chaud de
janvier. Et c’est lui qui courut avertir ses parents qu’un étranger arrivait. Sauf que,
cette fois-là, ce n’est ni un géologue, ni un marchand de voyages et encore moins
un poète. C’était Angel Allegria. Un truand, un escroc, un assassin. Et lui pas plus
que les autres n’arrivait par hasard dans cette maison du bout de la terre. La
femme Paloverdo sortit sa cruche. Ses yeux croisèrent ceux d’Angel Allegria. Des
yeux petits, enfoncés dans leurs orbites comme à coups de poing, des yeux où se
lisait la méchanceté brute. Elle trembla plus que de coutume. Son homme, assis
sur le banc face au truand, demanda : Vous resterez ici longtemps ? Oui, répondit
l’autre. Il trempa ses lèvres dans le vin. Dehors, des nuages chargés de pluie
remontaient de la mer. Paolo s’était éloigné de la maison. Il attendait que les
gouttes tombent, le visage levé vers le ciel, bouche ouverte. Il était comme les
bêtes de cette terre, assoiffé en permanence, instinctif et avide. Les poètes venus
en visite l’avaient comparé à une graine plantée dans le roche, condamnée à ne
jamais donner de fleurs. Il était une sorte de balbutiement, un simple murmure
d’humanité. Alors que les premières gouttes s’écrasaient dans la poussière et sur la
langue de Paolo, Angel Allegria sortit son couteau et le planta dans la gorge de
l’homme, puis dans cette de la femme. Sur la table, le vin et le sang se mêlèrent,
rougissant pour toujours les rainures profondes du bois. Ce n’était pas le premier
crime d’Angel. Là d’où il venait, la mort était monnaie courante. Elle mettait un
terme aux dettes d’argent, aux disputes d’ivrognes, aux tromperies des femmes,
aux trahisons des voisins ou simplement à la monotonie d’un jour sans distraction.
Cette fois, elle mettait fin à une errance de deux semaines. Angel était fatigué de
dormir dehors, de fuir chaque matin un peu plus vers le sud. Il avait entendu dire
que cetet maison était la dernière avant le désert et la mer, le refuge idéal pour un
homme recherché : c’était là qu’il voulait dormir. Lorsque le petit Paolo revint,
trempé jusqu’aux os, il découvrit ses parents allongés sur le sol, et il comprit. Angel
l’attendait, son couteau à la main. Viens ici, lui dit-il.