PAU L FVA L
Corbei dHistoire:
SEULE DITION REVUE ET CORRIGE
A L B I N M I C H E L . ED I T E U RPA R IS . 2 2 . RU E. HU ! GHENS . 2 2 . PA R IS
Corbeille d Histois
LA MER A BOIRE
Pendant que je publiais mon p remier livre chrtien
(LES E'
I
APES D
UNE CONVER SION) , la bont de Dieuinclina vers mon travail nombre de suffrages illustres.Jen
en c iterai ici qu
un seul legrand crivain catholique , notre matre tous, Louis Veuillot, cdant aumouvement de son cur, me tendit, dans une lettreadmirablement mue , la main qu i a crit tant de chefsd
uvre et m
appela son am i . Le post scriptum de lalettre mouvrait avec une grce charmante la partielittraire de lUnivers, dont l
m inent directeur confirma, peu de jours ap rs, l
inv itation de son frre .J
aurais voulu en profiter tout desuite , mais diversesc irconstances, entre autres la publication demon opuscule , intitul JSU 1TES ! m irent obstacle mon empressement, et ce fut seulement au retour de mon voyaged
tudes au Mont Saint-Michel que je pus adresser
8 CORBEIL LE D
HISTOIR ES
M. Eugne Veuillot la lgende quon va lireet qui tien
dra lieu d
avant p ropos notre nouveau volume.
Je la donne ic i telle quelle fut insre dans le
journal
Monsieur et cher directeur ,
J e vi ens d accomplir mon plerinage au Mont Saint
Mich el,d o j ai rapport beaucoup de consol
ations et
un pet it panier dhistoires . S i vous voulez , j e vous en
donnerai le des sus,et cette lettre s ervira d e prfac e
mon livre au cas o l e peti t pan ier vaudrait as sez pour
qu on en pt t irer un livre . Je l
appellerai l a Corbe ille
d
Histozres,quoique ce ne soient point des fleurs .
C est presque mon pays,l-bas, puisq ue toute la cte
bretonne,de la rive gauche du Couesnon aux derniers
cuei l s de la baie de C ancale , regarde et admire la
maison de l
archange, debout comme une reine sur
son pide sta l de mervei l les .
Au temps de ma j eunesse,quand j e courais
,chas
seur ou s imple fantas sin , marchant pour marcher et
insatiable de mouvement,dans les tranqui lles campa
gnes d
Ille et Vila ine , j e voyais d e p artout , entre Saint
Malo et Fougres,l
gli s e gante qu on m e d isai t tre
en Normandie , bien loin , et que j e connai ssais s ans
l avoir j am ai s approche . C eci n es t p oint exagr
j
en savais par cur tous les dtai l s s i nettement que
l
humble gl ise parois si al e du bourg vois in m ta i t
,
peine plus famil ire .
Je devrai s prouver quel-que honte l e dire,j e
n avais
pas trs grande envie de l a voir en dedans ; i l
me semblait que ri en ne pouvai t tre comparabl e cequ on en voyai t de chez nous . I l m es t arriv parfoi s
,
en effet , depuis lors , douvrir des crins splendides
CORBEILLE D
HISTOIBES g
contenant un vulga ire bij ou . Que mettre l dedans quipt tre digne d e lenveloppe ? et n
et il pas fal lu , au
contraire,enchsser dans une grandeur p lus grande
la beaut de cemiraculeux chef d
uvre?
Vous voyez que j tai s,i l y a longtemps dj , un
am oureux de l a Mervei lle . Que d e fois j
ai contempl
pendant des heures ces p ierres que l
art a faites p r
c ieuses l gal d e l or,dcoupant l
infinie hardiesse
de leurs profi l s sur l e ciel cl air d es matines d
t Je
l aimais au point d en tre j aloux . I l me parai s sa it
fcheux et peu quitable q ue nous autres , gens d e Bre
tagne,nous l a vissions touj ours ams i sans l a possder
j amais , et quand , au bout de tant dannes
,j ai gravi
enfin,dans l hiver de mes j ours
,avec une motion
respectueuse,l a ram pe du beffroi dont l es marches ont
l ai r d
esc alader l e mystre et l a nuit , mon cur a
battu puissainment, comme i l battra it laspect des rois
de mon enfance que j e retrouverai s tout coup vieto'
rieux et tu tlaires ass i s au p lus haut d e l eur trne,
aprs le m auvais reve de toute ma vie qui l es a p leursen exi l .
Dans l a bas il ique,ce fut un autre rvei l ; avai s
encore pl ein l es orei lles , aprs une j ourne de chemin
de fer , l a cl ameur fatigante et confuse de Pari s qu i
s
amuse , c
est- dire qui essai e avec dcouragement de
vaincre l
ennui monotone de son bl asphme, et voi l
que j e resp irai s l , tout coup , le si lence cordial quitombe des s ic les d e vai llan!ce suspendus ces votes .Qu
el le es t vaste e t qu el l e es t profonde lloquence destemps qui ne sont plu s que gloire ! Le chur muet
chantai t l
hymne qui s
entend travers 'lesges . J coutai s des-cendre du p ass l e long de ces muscles de
granit , tendus et ordonns c omme les cordes dune
ro CORBE ILLE DHISTOIBES
harpe,ces harmonies oubl ie s qu i trempaient j adis
l me des peupl es aux poques o l es peuples btis
saient l eurs cathdrales en marbre et l eurs trocadros
en planches ; l a voix de l a rel igion me parl ait de fidlit
et d e p atrie ; j e me sentai s res susciter au sein mme de
notre histoire,que le mensonge du progrs a bafoue ,
et j e voyais l cl ai r brand i par l a main de l
ange ter
rasser les dragons , tou t cai l l d e pasquinades , dont
l
horri
ble sarcas!me mle un cl at d e ri re au hoquet de
notre agonie .
E t j e sorti s,aprs ma pr1ere faite , sur l a terrasse du
parvi s , pour voir du haut d u logis de Saint Michel ,comme d un balcon
,
le pays do j e regardais Sain t
Michel autrefoi s . Ah ! j e la reconnais b ien ma viei l l e!Bretagne
,tendant s es bras de Pontorson aux les .
Enfant , j e ne mtais pas tromp
,c est nous , l es !Bre
tons , qui voyons le mieux !Saint Michel , e t quand
Saint Michel muse au sommet d e ses tours pour regar
der l a gloire de lOcan , sa ceinture , c est nou s qu i l
voit , l a Bretagne prost-erne l
horizon d evant lui .
Les plerin s,i l est vrai , n
arrivent que par l a Nor
mandie , et par l a Normandie seulement l e Mont t ien t l a terre ferme ; l e Mon t est normand depui s la trahison da Couesnon , dont la naade infidle coup a au
plus court un soir de fatigue pour s endormir d e me illeure heure d ans l a mer . L abb Manet
,l e s avant mo
nographe des grves , dont mon enfance put recueill i r
encore la parole originale , s i pl e ine de souvenirs , sus
pectait cette nympho bourbeuse et accusai t formell e
ment le rivage neustrien d
avoir soudoy sa fredaine .L
abb tai t un Celte entt il disa it que les fi l s d e
Bollon , s i grands sur l a carte du monde , d epui s sur
tout q u
i l s s
appellent des -Anglais , sont suj ets mettre
V fiCORBE ILLE nursromns {r1
en ligne debatail ledes cus plus volontiers encore que
des soldats,et il proposai t d e chiffrer par l ivre s ster
l ing,schell ings e t p ence , l e bi lan universel de l eur
chevalerie . I l rvait du Mont Saint-Michel e t n
tait pas
loign de sen croire propritaire ; d es viei l l es gens
exis tent encore qui s e souviennent de l
avoir vu rder
tout alentour , comme l es exils s e rapprochent instinctivement de l a patrie.
J ai frquent , en ce temps l , dautres histori ens de
l a royale abbaye Maximil ien Raoul, et surtout F ul
gence Girard,l e doux et le modeste , nourri ssant des
i l lus ion s enfantines l endroit de la d mocrat ie , maiss i ardemment catholique ! En outre , mon frre anchampion dclar des thori es golog i ques d e l
abbe
Manet,ta it auss i un soupirant de l a Mervei ll e . Il
avait dans sa bibiliothque, assez riche et supri eure
ment chois ie troi s monstrueux cahiers,extra its du
Cartulaire m eme , des copies de dom Huynes et d e
Thomas Le Roy , plus un manuscri t b i j ou , contenantl
pope rom ane de Gui l l aum e d e Saint-Pair . Je pas
sai s mes vacances dcolier chez lu i parler d u MontSaint Michel , avec les hommes et avec les l ivres . Je ne
sais pas si j e ferai moi mme sur ce miracl e de l art
chrtien au moyen ge quelque chose qui m rite lenom d e l ivre j
en a i un dsir fervent et d j an
cien ; c est un peu une question de force . J ai peur
Mais auj ourd
hui , j e su is dans mon lment , puis
qu
i l ne s
agit que d
historiettes. E t j ustement,l e j our
de mon arrive au Mont , pendant que j e regardai s du
haut de la t erras se le s campagnes de l ancien vch
de Dol , s i l lonnes en tous sens par m es promenades
d
autrefoi s , i l me revint un souvenir trs frappant d e
(1 ) J
ai achev depuis lors et publi Les Mervei lles du MontSaintMichel.
1 2 CORBE ILLE D
HISTOIRES
ce digne viei l lard , l abb Manet , puits d e science non
fi ltre,dont lrudition un peu conj ecturale , cadastrait
tranquil l ement le fond de l a m er de Cherrueix lapointe de Carol les e t de Tombelaine aux les Chaussey ,quand i l n e poussait pas plu s loin . Il possdait sur le
bout du doigt toute sa fort de Scissy , tail l i s et futa ies ;i l n e voulai t p oint qu on lappelt Quokelunde, nom
forg, selon lui , et trs mal forg par les troubadours .
Ces grands bois submergs tai ent b ien vraiment son
domaine , et il s e fchait quand quelquun s y prome
'
nait en mme temps