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� LEXIQUE

EncoursL’encours de la dette représente lecapital de l’ensemble des em-prunts contractés restant à rem-bourser.

Instrument de couvertureC’est un titre financier dont l’objetest de couvrir le portefeuille contreun risque non désiré. L’achat d’un« cap » (une assurance contre unehausse de taux) est un exemple decouverture. Comme on l’observedans le tableau ci-dessus, 30 %des instruments souscrits parLMCU pour couvrir les risques fi-nanciers l’ont été auprès de laRoyal Bank of Scotland, contre la-quelle elle est aujourd’hui en procé-dure judiciaire.

Produit structuréUn produit bancaire combinant op-tions, swaps... basé sur des para-mètres souvent opaques et venduavec des marges importantes. Leproduit est dit « toxique » dès lorsqu’il engendre un actif financierque l’on ne peut plus vendre ouéchanger, et donc qu’il ne vautplus rien.

SwapUn contrat d’échange de taux d’in-térêt entre deux parties valable du-rant une période de temps définiedès le départ.

En décembre 2009, les élus LMCU votaient un nouveau cadre de gestion de la dette.

Mis en cause par les collectivités,les commerciaux des banquesont la vie dure. Michel (*), untemps commercial chez Dexia, aproposé aux communautés de com-munes les produits financiersaujourd’hui dénoncés. Il s’élèvecontre l’idée que les agents territo-riaux en face de lui n’y comprenai-ent rien. « La plupart étaient des ad-ministrateurs de haut niveau aveclesquels nous pouvions discuter dessemaines durant. » L’un de ses collè-gues, Arnaud (*), évoque malgrétout des produits vendus dont il es-timait très bien la toxicité : « Sou-vent, ça commençait par des tauxfaibles, puis les produits s’in-dexaient sur des devises exotiques(...). On expliquait à nos interlocu-teurs que ça allait être formidable.Très souvent, des deux côtés,c’était : "Après nous, le déluge." »Mais Arnaud aussi distingue peti-tes communes des grandes collecti-vités : « Le maire d’une petite villeou son subalterne n’avaient aucunechance. La moindre des choses étaitde ne pas leur proposer. »« Tout le monde était d’accord !,

s’écrie Régis Dos Santos, présidentdu Syndicat national de la banque(CFE-CGC). On ne peut pas avoir ac-cepté la libéralisation totale, à gau-che comme à droite, et aujourd’huidénoncer une escroquerie. » « Lemonde politique est prompt à s’exo-nérer, renchérit-il. Mais les élus nevoyaient souvent que l’intérêt àcourt terme. »

« On avait confiance »L’élu syndical refuse la mise à l’in-dex des commerciaux. Lampistesdes directoires des grandes ban-ques, coupables, selon lui, d’avoirtout misé sur la spéculation, au dé-triment de la banque de détail.« On avait confiance en nos modèleset nos produits, soupire Michel.Pour preuve, j’avais placé 100 % demon capital en actions Dexia. De25 €, elles sont descendues à0,30 €. J’ai tout perdu. »Gavée d’actifs toxiques, Dexia Créditlocal est aujourd’hui démantelée. Unaccord de reprise a été signé par laBanque postale, la Caisse des dépôtset consignations et l’État. � J. L.

� (*) Prénoms modifiés.

Depuis plus de deux ans, Lille Mé-tropole Communauté urbainetente de désamorcer les bombes àretardement constituées par une di-zaine de contrats. Martine Aubry aconfié le déminage à son bras droit,Jean-Marc Germain, directeur decabinet de la présidente de LMCUet de la première secrétaire du PS.Les hostilités avaient été lancéesfin 2009 à l’encontre de Dexia Cré-dit local et de Royal Bank of Scot-land (RBS), accusés d’avoir failli àleurs obligations d’informer leurclient des risques encourus. MaisLMCU s’est vite heurtée à l’inertiedes établissements bancaires. Dansle même temps, LMCU se dotaitd’un nouveau cadre de gestion dela dette qui n’autorise plus que lesemprunts libellés en euros, et entre-prend de simplifier et sécuriser leportefeuille de dette.En 2009 toujours, la présidente seséparait de son agence de notationStandard & Poor’s. Martine Aubryne cachait pas son agacement àl’encontre de l’agence qui, par lepassé, avait salué la gestion activede la dette. Dominique Baert,grand argentier de LMCU, abon-dait en dénonçant ces sociétés qui« non seulement n’ont joué aucunrôle d’alerte dans la crise financièreet dans la diffusion des produits toxi-ques, mais au contraire ont conso-lidé les notes de ceux qui en fai-saient usage ».

Entre 2009 et 2011, LMCU mèneensuite vingt-huit « opérations desécurisation » pour mettre en sû-reté 637 M€. La part des produitshautement spéculatifs passe de33 % en 2008 à 26 % trois ansplus tard. Elle devrait s’établir à20 % fin 2012. Depuis fin 2011,LMCU continue de se débattre poureffacer l’ardoise potentielle de sesproduits toxiques. Trois procéduresau contentieux ont été engagéescontre la Royal Bank of Canada, laDeutsche Bank et la RBS. LMCU estmême allée plus loin à l’encontre

de cette dernière (dont les troisswaps, d’un montant total de165,3 M€, pourraient se révélerextrêmement défavorables à partirde cette année) en refusant depayer l’intégralité des intérêts dusà la banque. Une démarche simi-laire à celle de Saint-Étienne quisera tranchée au tribunal.Quant à Dexia, avec laquelle les dis-cussions avaient un temps sembléprofitables, elle fera également l’ob-jet d’une procédure judiciaire.LMCU a décidé de l’attaquer pourtromperie. Sans garantie non plusde réussite. � J. L.

Des années 90 jusqu’en2008, la communautéurbaine de Lille a entretenudes liaisons dangereusesavec les banques pourrépondre aux objectifs dedéveloppement. Désormaisdénoncée, la gestion« active » de la dette alongtemps été le fer delance de cette politique,soutenue par tous les élus.Pourquoi brûle-t-onaujourd’hui ce qu’ona adoré ?

PAR JULIEN LÉ[email protected] GIEM ET PH. S. MORTAGNE

« Si nous pratiquons une gestion ac-tive de la dette, avec notre équipe detechniciens connus et réputés, c’estpour faire faire des économies à no-tre communauté, et ça marche ! »Ces mots, Dominique Baert, pre-mier vice-président aux finances deLMCU, les prononcent le 27 novem-bre 2008, alors que les vagues dela crise bancaire commencent àtoucher le rivage lillois. Trois ansplus tard, le décor a changé. Deux

rapports, du cabinet Klopfer et dela chambre régionale des comptes(CRC), dénoncent la prise de risquedes services financiers de LMCU etla part des emprunts toxiques dansle portefeuille métropolitain. LaCRC chiffre même le désastre à ve-nir : 106,9 M€ de pertes potentiel-les à l’horizon 2027 (voir ci-des-sus). Les fonctionnaires étaient-ilsincompétents ? Les élus aveugles ?Les banquiers escrocs ? Ou tout cemonde a-t-il dansé sur des sablesmouvants en se persuadant d’êtresur la terre ferme ?Le début de l’histoire est à situerdans les années 90. Pierre Mauroyest arrivé aux commandes de lacommunauté urbaine avec un ac-cord programmatique d’investisse-ment massif. En une décennie, ladette bondit d’un milliard à deuxvers 1998. Un record français quiaccentue la dépendance de la com-munauté urbaine à l’égard des ban-ques. Et surtout vis-à-vis de l’uned’elles : le Crédit local de France, de-venu Dexia en 1996. La banquedes collectivités s’est vite inquiétéede l’endettement de la métropole.Dès 1992, Pierre Richard, prési-dent fondateur du Crédit local, re-çoit Pierre Mauroy pour lui suggé-

rer de ralentir les investissements.L’ex-Premier ministre s’exécute,tout en maintenant la ligne.« Quand on a soulevé la question dela faisabilité, au regard de la dette,raconte un témoin, un vice-prési-dent nous a répondu : "On fait de lapolitique, pas de la gestion !"C’était clair. » À la charnière duXXIe siècle, cette nécessité d’alléger

le fardeau de la dette coïncide avecl’apparition de nouveaux produitsfinanciers. « En 1996, ils n’étaientpas bien méchants (...), évoque Mi-chel Klopfer, du cabinet éponyme,devant les parlementaires en no-vembre. Puis, on est progressive-ment passés à ce que j’ai appelé (...)des "tartes aux fraises". » Soit de pe-tites « douceurs » qui s’avèrent dou-loureuses au fil des ans.Dominique Baert a vu s’unir troisvolontés. Celle des banques, « quivoulaient élargir leurs marges com-merciales en faisant travailler lestock dormant de la dette ». Celledes élus, « tentés de céder à la dicta-ture du court terme ». « Il était sé-duisant de réduire les charges d’inté-rêt sur plusieurs années, quitte à lesreporter dans dix ou vingt ans. »Celle enfin des fonctionnaires zélés,qui « ont joué avec une technicitéqu’ils ne maîtrisaient pas ».Non maîtrisé, vraiment ? Entre2001 et 2006, Lille Métropole a puse délester de 20 % de son stock dedette. Ses performances sont sa-luées par l’agence de notation Stan-dard & Poor’s. Le directeur du ser-vice de gestion financière est mêmedésigné, en 2005, meilleur prévi-sionniste de taux d’intérêt Écodéfi.

« Que ce soit le contrôle de légalité,le comptable du Trésor ou la CRC,personne n’y a trouvé à redire », re-marque Dominique Baert.

« La douche froide »La crise financière de 2008 changela donne. « Aucun spécialiste nepouvait prédire que certains indicesallaient évoluer au point de dégra-der le calcul des frais financiers », es-time un connaisseur du dossier. Lanouvelle présidente de LMCU, Mar-tine Aubry, commande un auditau cabinet Klopfer. « À l’automne2008, c’est la douche froide », serappelle D. Baert. Le géant LMCUconstate sa fragilité, comme descentaines de collectivités françai-ses. « On a pris conscience que cer-tains algorithmes pouvaient déra-per », poursuit l’élu.Doux euphémisme. Le rapport Klo-pfer, à l’automne 2009, révèle quel’encours de la dette de Lille Métro-pole serait adossé, pour 36 %(554 millions), à des produits « hau-tement spéculatifs ». La CRC vaplus loin dans son rapport de no-vembre 2011. Les produits contrac-tés entre 2001 et 2010 par LMCUpourraient entraîner, après ungain de plus de 62 M€, une perte

de près de 170 millions ! La faute àqui ? La CRC n’est pas tendre avecle service de gestion financière.Opaque, quasi incompétent, à lirele rapport. On en viendrait à se de-mander comment ce service aréussi à dégager des profits jusqu’àson départ en 2007.La réalité est qu’aucun élu ne sa-vait ou ne souhaitait savoir quelrisque était pris tant que le poids dela dette baissait. Il est marquant deconstater que Jean-Pierre Bal-duyck, pourtant vice-président detutelle du service, n’a pas été en-tendu par la CRC. Pourquoi ?Parce que le service bénéficie alorsde toute latitude pour négocier. Lasignature du président de LMCU ?« Souvent faite à la machine à si-gner », révèle un témoin.Le rythme des renégociations tendpourtant à accréditer la thèse de lafuite en avant, alors que les ban-ques proposent des produits deplus en plus complexes. La CRCpointe ainsi un swap dont l’algo-rithme de calcul est « absolumentinintelligible ». Comme si un parti-culier livrait le taux de son prêt àune formule seulement compréhen-sible de son banquier. Ou sid’autres produits, dans l’espoir de

profits à court terme, engendraientdes risques spéculatifs quasi illimi-tés. C’est le cas de trois swapscontractés auprès de la Royal Bankof Scotland, dont la valeur de mar-ché s’estimait en 2010 à - 90,5 M€

(et pour lesquels LMCU est en procé-dure judiciaire, lire ci-contre).Mais aussi risquée fût-elle, la ges-tion active de la dette s’appuyaitsur une stratégie de renégociationcontinuelle des produits pour évi-ter le dérapage. « Les produits misen place, note un spécialiste,n’avaient pas vocation à rester dura-blement dans le portefeuille. » Cequi se produit pourtant en 2008,quand Martine Aubry décide de re-voir sa stratégie financière. « Arrê-ter la gestion active en 2008 (...),au regard des produits souscrits, nepouvait avoir que des conséquencesdangereuses pour l’établissement. »Or, poursuit-il, « des opportunités(de renégociations) se sont présen-tées fin novembre et début décembre2008, ainsi qu’en mars 2009. Jene sais pas si Lille Métropole les asaisies. » Les éléments manquentpour savoir dans quelle mesure laposition de fermeté choisie par Mar-tine Aubry à partir de 2008 a pupeser sur la détérioration des pro-duits souscrits. �

« Tout le monde était d’accord »

Martine Aubry et les banques :le bras de fer depuis 2009

Dette de Lille Métropole : comment tout a dérapé

Martine Aubry a décidé d’affronter les banques responsables,selon elle, de la dette toxique de LMCU. PHOTO STÉPHANE MORTAGNE

NOTRE ENQUÊTE RETOUR SUR VINGT ANS DE GESTION AU SEIN DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE

Il était séduisantde réduire les chargesd’intérêt, quitte à lesreporter... » DOMINIQUE BAERT

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LA VOIX DU NORDVENDREDI 2 MARS 2012

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