Tiré à part
NodusSciendi.net Volume 19 ième Janvier 2017
Volume 19 ième Janvier 2017
Étude Réunie par
N’GUESSAN Konan Lazare
Université Alassane Ouattara Bouaké
ISSN 2308-7676
2 Volume 19 ième Janvier 2017 ISSN 2308-7676
Comité scientifique de Revue
BEGENAT-NEUSCHÄFER, Anne, Professeur des Universités, Université d'Aix-la-chapelle
BLÉDÉ, Logbo, Professeur des Universités, U. Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan
BOA, Thiémélé L. Ramsès, Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny
BOHUI, Djédjé Hilaire, Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny
DJIMAN, Kasimi, Maître de Conférences, Université Félix Houphouët Boigny
KONÉ, Amadou, Professeur des Universités, Georgetown University, Washington DC
MADÉBÉ, Georice Berthin, Professeur des Universités, CENAREST-IRSH/UOB
SISSAO, Alain Joseph, Professeur des Universités, INSS/CNRST, Ouagadougou
TRAORÉ, François Bruno, Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny
VION-DURY, Juliette, Professeur des Universités, Université Paris XIII
VOISIN, Patrick, Professeur de chaire supérieure en hypokhâgne et khâgne A/L ULM, Pau
WESTPHAL, Bertrand, Professeur des Universités, Université de Limoges
Organisation
Publication / DIANDUÉ Bi Kacou Parfait,
Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan
Rédaction / KONANDRI Affoué Virgine,
Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan
Production / SYLLA Abdoulaye,
Maître de Conférences, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan
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Sommaire
1- N’GUESSAN Konan Lazare, Université Alassane Ouattara Bouaké, LE LANGAGE
LITTERAIRE DE KOUROUMA : UN RISQUE D’INTEGRITE POUR LE FRANÇAIS ?
2- Dr ACHIE ARTHUR MODESTE, Université Pelefero Gon Coulibaly Korhogo,
INDICIBLE, INAUDIBLE ET INVISIBLE : VIBRATION DES SENS DANS LE
COMPLEXE POESIE/PUBLICITE.
3- KOUADIO Djoko Luis Stéphane, Université Félix Houphouët-Boigny, LAS
VOCES NARRATIVAS EN EL CABALLERO ENCANTADO DE BENITO PÉREZ
GALDÓS
4- DJOKOURI Innocent, Université Peleforo Gon Coulibaly, LE PARALANGAGE
COMME SURFACE ET PROFONDEUR DU DISCOURS RAPPORTÉ : ANALYSE DE
MONNÈ, OUTRAGES DÉFIS ET LES SOLEILS DES INDÉPENDANCES
5- YRO Timbo Adler Vivien, Université Peleforo Gon Coulibaly, LITTERATURE ET
SCIENCE MEDICALE
6- Fr. BINI Brice, op, Faculté de théologie, UCAO.UUA, ÊTRE HEUREUX ET
RENDRE HEUREUX : THÉOLOGIE DE VOCATION AUJOURD’HUI EN AFRIQUE
7- GRAVET Catherine, Université de Mons, QUAND LE PORTEUR EST UNE
PORTEUSE. SIMONE ET ANDRÉ SCHWARZ-BART : LES FEMMES « PORTEUSES
» OU COMMENT SE LIBÉRER DE L’ESCLAVAGE
8- KOUAME Yao Emmanuel, Université Félix Houphouët-Boigny, ANALYSE
GENERATIVE DES COMPOSES NOMINAUX EN KOULANGO, langue gur.
9- Aoua Carole CONGO, INSS/CNRST Ouagadougou, ENSEIGNEMENT DE LA
GRAMMAIRE DU FRANÇAIS: COMMENT AIDER LES APPRENANTS SOURDS À
PASSER DE LA SPATIALITÉ DE LA LANGUE DES SIGNES À LA LINÉARITÉ DU
FRANÇAIS ?
10- N’GBOFAI Logon Roland Patrick, Doctorant, Université Félix
Houphouët-Boigny, POESIE/PEINTURE OU LA LISIERE DU DOUBLE CHEZ
CHARLES BAUDELAIRE
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Enseignement de la grammaire du français: comment aider les
apprenants sourds à passer de la spatialité de la langue des signes à la
linéarité du français ?
Aoua Carole CONGO INSS/CNRST Ouagadougou
Résumé
L’enseignement d’une langue orale et écrite comme le français aux apprenants
sourds est très difficile, du fait de leur limitation sensorielle auditive qui cause un
retard de langage. La problématique didactique posée est que la différence
structurelle entre la langue des signes, une langue spatiale et la langue française, une
langue linéaire ne permet pas d’aider les apprenants { faire un transfert des acquis
cognitifs de la première langue vers la seconde. L’objectif principal de l’article est de
contribuer { éclairer la communauté scientifique et toute personne qui s’intéresse {
l’éducation des enfants sourds sur les défis de l’enseignement de la structure du
français. L’originalité du sujet tient { sa spécificité et { son intérêt pour l’éducation
inclusive. L’étude se réfère à la théorie de l’enseignement stratégique qui, selon J.
Tardif (1992), contribue aux apprentissages efficaces: « L’enseignement, est un
ensemble de stratégies mises en place pour contribuer à l'acquisition, l'intégration et la
réutilisation de connaissances par l'apprenant ». Suggérée par l’étude, la grammaire
visuelle du français développée par René CERISE (2009) est un outil à la fois
didactique et psycholinguistique. Elle permet { l’apprenant sourd de construire des
représentations qui, au fur et à mesure de ses apprentissages, intègrent ses gestes
mentaux.
Mots clés : Apprentissage, cognition, enseignement, langue des signes, linéarité,
spatialité.
Abstract
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The teaching of an oral and written language like French to deaf learners is very
difficult because of their hear loss which causes a delayed language. The didactic
problem posed is that the structural difference between sign language, a spatial
language and french, a linear language does not help learners to transfer cognitive
gains from the first language to the second one. The main purpose of the article is to
inform the scientific community and anyone interested in educating deaf children
about the challenges of teaching the structure of French.
The originality of the study lies in its specificity and its interest for inclusive education.
The study refers to the theory of strategic teaching which, according to J. Tardif
(1992), contributes to effective learning: "Education is a set of strategies put in place
to contribute to the acquisition, integration and re-use of knowledge by the learner".
Suggested by the study, the visual grammar of French developed by René CERISE
(2009) is both a didactic and psycholinguistic tool. It allows the deaf learner to
construct representations that, as he learns, integrate his mental gestures .
Key words: Learning, cognition, teaching, sign language, linearity, spatiality
Introduction
La surdité, quel que soit son degré et son origine, réduit ou supprime la perception
auditive de la personne affectée et entraine un retard d’acquisition de la langue orale.
Très souvent isolés, les sourds créent leurs communautés { l’école ou dans des
organisations des personnes sourdes. Une langue des signes (LS) est alors pratiquée
comme langue scolaire ou première langue naturelle de communication. Les langues
de signes sont des langues visuo-gestuelles. Leurs structures grammaticales diffèrent
des structures grammaticales des langues orales et écrites. Ainsi, la langue française
(LSF), l’american sign language1 (ASL) ou des langues des signes naturelles africaines
ont des structures spécifiques assez similaires mais différentes des structures des
langues orales. Tandis que la langue française, a une structure linéaire, les langues
des signes ont des structures non linéaires. Les signeurs ou locuteurs des langues de
signes utilisent l’espace, des marqueurs physiques, des informations linguistiques
1 Langue des signes américaine (LSA)
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spatiales iconiques, des lettres manuelles et des marqueurs faciaux grammaticaux
dans le processus de communication. Du point de vue de leurs structures, les langues
orales/écrites s’opposent aux langues de signes. Les phrases des deux types de
langues ne respectent pas le même ordre. L’enseignement du français est alors très
difficile car les apprenants ont des difficultés d’assimilation et de transfert des acquis
de la L1 signée vers la L2 écrite. Enseigner le français exige alors des compétences et
des outils dont ne disposent pas toujours les enseignants. Comment aider les
apprenants sourds à passer de la structure spatiale de la langue des signes à la
structure linéaire du français? Les observations faites en situation de classes au
Burkina Faso et les entretiens avec les enseignants qui s’en sont suivi, ont révélé que
les apprenants ne sont pas motivés dans leurs apprentissages par les méthodes
actuelles d’enseignement de la grammaire du français. Les sourds mémorisent mieux
grâce aux outils visuels. Leur développent cognitif est mieux soutenu par des
approches pédagogiques et didactiques visuelles. L’étude suggère donc la grammaire
visuelle du français (GVF) qui préconise la décomposition de la phrase française en
ses éléments visuels, colorés et symbolisés. L’article est structuré en quatre parties.
La première partie présente la méthode. La seconde partie présente les résultats,
notamment les résultats d’observations et d’entretiens. La troisième partie analyse
les données d’observations et d’entretiens. La quatrième partie présente la
grammaire visuelle du français et son intérêt. Une conclusion est ensuite tirée. Elle
ouvre des perspectives de recherches.
I- Méthode de l’étude
La méthode de l’étude est qualitative. C’est une méthode qui permet de traiter les
problèmes psycholinguistiques et didactiques en éducation. La démarche est donc
empirico-inductive. La qualité des prestations des enseignants et la qualité de la
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communication pédagogique sont examinées. L’étude est aussi fondamentale et
appliquée. Elle est fondamentale car elle est orientée vers la production de nouvelles
connaissances, de nouvelles approches et propose une innovation. Elle est appliquée
du fait de son orientation vers la solution d’un problème concret et immédiat.
Le public concerné par l’étude est constitué de 60 apprenants sourds du cycle
primaire et 20 enseignants de quatre écoles primaires publiques et privées de quatre
villes du Burkina Faso que sont Bobo-Dioulasso, Kaya, Ouagadougou et Ouahigouya.
Pour collecter les données, nous avons utilisé deux méthodes : l’observation directe
en situation de classe et les entretiens avec les enseignants. Les données ont été
collectées au cours du dernier trimestre de 2016. Pour mener l’étude, nous avons
préféré l’échantillonnage aléatoire simple basé sur le volontariat. Pour analyser les
données, le caractère confidentiel de la démarche de leur traitement a été maintenu.
Avec l'accord des enseignants concernés par les entretiens, nous avons enregistré
puis retranscris les données dans leur intégralité, avec un codage chiffré. Nous avons
personnellement effectué les recherches de terrain, assuré le codage des fiches,
assuré le suivi des cours en classe et fait les interviews.
Le cadre théorique de l’étude est celui de l’enseignement stratégique, une approche
issue du courant de la psychologie cognitive. Selon TARDIF J. (1992),
« L’enseignement, est un ensemble de stratégies mises en place pour contribuer à
l'acquisition, l'intégration et la réutilisation de connaissances par l'apprenant ». Entre
autres principes de l’enseignement stratégique selon TARDIF J. (1992),
L’enseignant « stratégique » est un médiateur. Les tâches qu’il propose doivent
être signifiantes et contextualisées,
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Les fondements neurologiques, cognitifs, métacognitifs, affectifs et sociaux du
processus d’apprentissage doivent être rendus explicites,
L’autonomie de l’élève doit être une priorité afin que ce dernier puisse prendre
conscience des mécanismes mis en place lors de la construction de son savoir,
L’apprentissage est un processus actif et constructif,
La motivation scolaire détermine le degré d’engagement, de participation et de
persistance de l’élève dans ses apprentissages.
II- Résultats de l’étude
Les résultats de l’étude sont présentés en deux volets : les données des observations
et les données des enquêtes.
2.1 Les données des observations
Les données d’observations portent sur la communication pédagogique, notamment
l’utilisation des signes pour enseigner la grammaire du français. Elles portent aussi
sur le comportement des apprenants sourds pendant le cours de grammaire.
2.1.1 Communication pédagogique : l’enseignement de la grammaire du français par
la langue des signes
A défaut de pouvoir s’exprimer oralement, de manière audible et compréhensible la
personne sourde signe. Signer c’est ‘‘parler’’ en signes ou avec les mains. La langue
des signes (LS) est une langue vivante et visuelle. Dans son fonctionnement, la LS
utilise des icônes et une modalité visuo-gestuelle dans des dimensions espace/ temps.
La langue des signes est constituée de cinq paramètres essentiels: la position des
doigts, celle de la main, le positionnement de la main par rapport au corps, les
mouvements exécutés de la main et l’expression du visage. Les signifiés des signes se
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perçoivent dans l’utilisation du regard, l’utilisation de l’espace et du corps, en
l’occurrence les mains, ainsi qu’il suit :
- La disposition des signes, les mimes, la direction du regard, le mouvement
de la bouche, permettent de visualiser les messages.
- Le mouvement des épaules et le visage servent à distinguer les différents
plans d’énonciation et { exprimer la modalité ;
- Les intensifs du visage sont utilisés dans la formulation des questions. Une
question fermée est accompagnée du froncement des sourcils du locuteur
au cours de l’encodage du message. Quand il s’agit d’une question ouverte,
l’intensif du visage se remarque au haussement des sourcils.
Les verbes directionnels sont beaucoup utilisés en LS pour décrire des actions
directionnelles, allant de l'émetteur au récepteur ou du récepteur { l’émetteur. Des
classificateurs sont aussi utilisés.
Les classificateurs sont des gestes pronominaux qui montrent la forme ou le rôle du
référent. Ils représentent des groupes d’objets. Les signes des classificateurs sont
accompagnés de morphèmes labiaux configuration des lèvres) et d’intensifs du
visage.
La ligne du temps en LS, une ligne imaginaire, est utilisée pour représenter au plus
simple la conjugaison en langue de signes qui se résume à trois temps. Les points de
la ligne sont :
- Le présent : mouvement manuel perpendiculaire à soi, proche de soi
(indication à quelques centimètres de soi, proche du buste) ;
- Le passé : mouvement manuel derrière soi (indication par-dessus l’épaule du
signeur/locuteur)
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- Le futur : mouvement manuel en avant devant soi.
Grammaticalement, l'organisation de la "phrase" n'est pas la même en LSF et en
français. Tandis que le français a une structure linéaire de type sujet + verbe +
objet/complément, en grammaire de la LS, l’objet précède souvent le verbe et les
compléments circonstanciels sont généralement signés en premier. Ainsi on aura le
lieu ou le moment de l’action, ensuite les actants (personnages ou participants à
l’action) et enfin l'action (procès).
Par exemple, la phrase française :
L’enfant va { l’école
S V O
Est signée ainsi :
Signe de « école » puis signe de « enfant » et signe de « aller ».
Lieu Actant Action
La LS n’utilise pas d’articles. Pour les apprenants qui ont assimilé la structure de la LS,
il est difficile de faire un transfert LS/français. Le risque de produire des phrases
agrammaticales, qui ne respectent pas la norme de la langue française est très élevé.
Le processus cognitif d’intériorisation de nouvelles connaissances contraires est aussi
freiné par la dissimilarité des structures des deux langues.
2.1.2 Les difficultés d’enseignement et l’insuffisance de motivation des apprenants
Les difficultés d’enseignement observées sont de trois ordres : l’insuffisance de
compétence des enseignants, la pauvreté du lexique de la langue de signes scolaire,
et l’inadaptation des curricula.
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2.1.2.1 l’insuffisance de compétence et la pauvreté du lexique
L’enseignement est une tâche qui exige des compétences { l’enseignant. En situation
de classe, l’enseignant est le référent, le médiateur entre l’apprenant et ses
apprentissages. A chaque niveau de scolarisation des enfants sourds, des
compétences pédagogiques et didactiques spécifiques sont demandées aux
enseignants pour faire face aux besoins spécifiques des apprenants. La déficience
auditive exige de l’enseignant de pouvoir proposer des tâches signifiantes,
contextualisées et adaptées. De nos observations en situation de classe, il ressort
que l’enseignement de la langue française et des matières comme la grammaire se
fait par l’American sign language (ASL) ou langue des signes américaine. Il ressort
aussi que les enseignants tiennent difficilement les classes et réussissent très
difficilement à expliquer et faire assimiler les notions grammaticales enseignées avec
cette langue de signes devenue par la force des choses, une langue des signes
scolaire, même si elle n’en a pas un statut officiel. Les enseignants font donc recours
{ ce qu’ils appellent ‘français signé’ qui n’est pas une langue de signes mais une
technique qu’ils enjoignent { la méthode de a communication totale pour enseigner.
Le ‘français signé’ des écoles de l’étude est l’utilisation de signes sur la structure du
français. Les signes utilisés sont une combinaison de signes de l’ASL (pour les signes
connus de l’enseignant) et de signes de la dactylologie ou alphabet des signes en
épellation du mot français (pour les signes méconnus de l’enseignant). Le ‘français
signé { base des signes de l’anglais est alors confondu à la langue des signes dont il
dénature la structure. Les apprenants perdent donc leurs compétences
grammaticales en LS du fait de la pauvreté du lexique des enseignants et leur
incompétence à assurer efficacement les enseignements. Il arrive de même que des
enseignants créent leurs propres signes pour faire face aux besoins pédagogiques, si
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bien qu’entre écoles et en présence de sourds non scolarisés, il y a des
incompréhensions. La communication est ainsi biaisée et lacunaire. En plus de
l’insuffisance linguistique, les outils didactiques sont inadaptés. Le cas spécifique des
curricula est préoccupant.
2.1.2.2 L’inadaptation des curricula
Dans le système éducatif burkinabè actuel, les curricula de l’enseignement classique
ne font pas de différence entre les apprenants déficients sensoriels comme les
sourds et les apprenants sans déficiences comme les normo-entendants. Les mêmes
programmes scolaires et les mêmes temps d’apprentissage sont impartis aux deux
groupes d’apprenants. Les documents didactiques des enfants normo-entendants
sont imposés aux enfants sourds. Leurs enseignants ne sont pas outillés en
documents spécifiques pour la didactique de la grammaire. Les apprenants sourds,
comprenant difficilement et étant dans un besoin de visualisation des items
d’apprentissages, sont pénalisés. Il s’en suit, pour la classe de sourds, une grande
occupation du temps d’apprentissage prévu, pour une très petite progression dans le
programme. Pour un cours de grammaire prévu pour une heure de temps, seule 1/8è
des tâches est exécuté avec une assez bonne compréhension des apprenants, soit
12,5% des enseignements prévus.
2.2 Les données des entretiens
Suite aux observations des classes, des entretiens ont été organisés avec les
enseignants pour mieux comprendre leurs difficultés d’enseignement de la
grammaire du français et leurs incapacités à aider les apprenants sourds à passer de
la spatialité de la langue des signes à la linéarité du français. Des entretiens, il est
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ressorti trois raisons principale : l’insuffisance de leur formation, l’insuffisance d’outils
didactiques spécifiques visuels, les contraintes des programmes imposés et la
démotivation des apprenants à apprendre. Les résultats sont présentés sous forme
de graphiques représentant les réponses des 20 enseignants et des citations.
2.2.1 L’insuffisance de la formation des enseignants
L’insuffisance de la formation des enseignants se ressent dans la conduite des cours.
La formation professionnelle initiale dans les écoles nationales des enseignants du
primaire dure deux ans : une année de formation théorique et une année de stage
dans une école. Le diplôme de base est le brevet d’études du premier cycle (BEPC). Il
y a des enseignants directement recrutés avec ce diplôme et qui enseignent sans une
formation professionnelle préalable. La répartition des 20 enseignants donne le
graphique 1.
Graphique 1 : Répartition des enseignants du point de la formation professionnelle
55%
45%
Répartition des enseignants du point de vue de la
formation d'instituteurs Formation dansune écoled'enseignants duprimaire
recrutés sur labase du BEPC sansformationd'enseignants
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Selon les enseignants, il est arrivé que certains d’entre eux soient affectés dans des
classes sans formation pédagogique initiale encore moins en didactique spécialisée
ou à la prise en charge de la déficience auditive : « j’’ai été formé seulement en langue
des signes » O. S. enseignant de Ouagadougou. Souvent enseignée par des pairs
expérimentés ou avec l’aide de la fédération nationale des écoles de sourds, la langue
des signes est la base professionnelle pour l’éducation des enfants sourds.
Graphique 2 : Répartition des enseignants du point de vue de la durée de la formation
initiale en langue de signes
La grande majorité des enseignants a reçu une formation initiale de 2 semaines en LS,
formation qui leur permet de « se débrouiller » tout en continuant de s’auto-former
grâce aux interactions avec les autres enseignants : « C’est en pratiquant la langue
des signes que nous enrichissons nos connaissances de cette langue » O. A,
enseignant de Ouahigouya.
Selon S.M, enseignant de Bobo Dioulasso parlant au nom de ses collègues, la
formation continue est un besoin des enseignants :
10%
75%
13%
La durée de la formation initiale en LS
1 semaine
2 semainess
1 mois
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« Notre formation professionnelle est pour enseigner les entendants pas
les sourds. Nous avons besoin de recyclage en langue de signes, nous
avons besoin de formation en psychologie, en pédagogie, nous n’avons
pas de suivi».
2.2.2 L’insuffisance d’outils didactiques visuels spécifiques et les contraintes des
programmes imposés
Les curricula, les manuels scolaires et les guides des maîtres sont les principaux outils
didactiques des écoles qui accueillent les enfants sourds. Les curricula guident les
enseignements. Ils sont élaborés en rapport avec les programmes officiels du
système éducatif. Les matières à enseigner, les objectifs pédagogiques, la
hiérarchisation des enseignements et la gestion du temps y sont spécifiés. Ils ne
prennent cependant pas en compte le handicap et les déficiences comme la surdité.
Selon 20/20 enseignants, soit 100%, les outils didactiques sont inadaptés. Pour O. P,
enseignant de sourds à Kaya,
« Les programmes scolaires sont très rigides pour les écoles de sourds. Il
est très difficile, pour ne pas dire impossible de finir le programme d’une
classe dans le temps imparti. Nous n’avons rien de spécifique pour
enseigner la grammaire. Nous ne pouvons pas introduire des activités
ludiques».
Le manque d’audition du sourd est comblé par sa vue et la mémorisation est
construite sur des éléments visuels. Les sourds ont donc besoin de visualiser les items
enseignés pour une bonne assimilation. Un dictionnaire a été créé par des acteurs
engagés dans l’éducation des enfants déficients auditifs mais son appropriation et
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utilisation par les enseignants ne fait pas l’unanimité. D’une école { une autre, les
outils didactiques spécifiques créés par les enseignants sont divergentes. Une
harmonisation des outils s’impose donc au plan national.
2.2.4 La démotivation des apprenants à apprendre
Les difficultés d’apprentissage du français, langue des enseignements démotive les
apprenants. Beaucoup d’entre eux ne trouvent pas d’intérêt { porter de l’attention
aux enseignants. Pendant les cours de grammaire, les enseignants sont souvent
perturbés par les apprenants qui communiquent par des signes et des cris stridents.
Captiver l’attention pour enseigner est donc un défi. Il est arrivé que quelques-uns
dorment en classe et pendant le cours. « Seules les méthodes visuelles d’enseignement
motivent les enfants. Il est temps que nous ayons des salles multimédia équipées pour
visionner des documents pédagogiques et espérer motiver les écoliers dans leurs
apprentissages », O.S, enseignant de Bobo Dioulasso.
III- Analyse des résultats
La langue des signes est la rampe de lancement des apprentissages et l’outil
linguistico-didactique par excellence dans l’éducation des enfants sourds. Parler par
les mains et le reste du corps est le moyen de partage communicationnel du sourd
avec son environnement. Comme l’a relevé Bouvet (2001 : 148), « C’est d'un corps
parlant que notre parole émerge, pour se donner et se recevoir dans un espace
polysensoriel où entrent en jeu l'audition bien sûr mais peut-être avant tout la vue et le
mouvement dans une interaction permanente et profonde entre tous systèmes
sensoriels concernés». La langue des signes est aussi un outil culturel qui, { l’origine
sied à une communauté de sourds et dans un socio-culturel spécifique. Avant l’âge
scolaire, les enfants sourds burkinabè pratiquent des familiolectes mimogestuelles
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comme L1 selon CONGO (2015 :212). Même non étudiées, non écrites et non
standardisées, les expressions gestuelles des sourds sont porteuses de sens.
Calbris (2003:35) l’a d’ailleurs relevé : « Tout geste est potentiellement polysémique
sans être arbitraire car il présente en permanence un lien analogique entre son aspect
physique et sa signification.» Dans les écoles de l’étude, l’American sign language (ASL)
est enseignée et apprise comme langue étrangère de signes et langue tremplin des
autres apprentissages, y compris le français, une autre langue étrangère. La
didactique de la grammaire du français, telle que pratiquée, ne peut que perturber les
processus cognitifs impliqués dans les apprentissages du sourd. La polysémie des
signes, leur polyréférentialité, leur iconicité, installent certes un continuum
linguistique entre les LS, mais le transfert des acquis de la syntaxe de la LS au français
aux fins d’apprentissage est très laborieux pour l’apprenant sourd. L’aide idéale est
donc l’appui des enseignements par des outils visuels comme la grammaire visuelle
du français. Le renforcement du vocabulaire permet aussi une certaine maîtrise de la
grammaire du français et une autonomie scripturale. Traitant de la production écrite
de l’enfant sourd en termes de résultats d’apprentissages explicites et implicites, C.
Transler (2005 :317) met l’accent sur l’importance de cette forme de communication:
« L’écrit permet à toute personne sourde de communiquer avec toute personne lettrée
sans le support fastidieux de la langue orale si difficile à maîtriser pour les sourds
sévères et profonds ».
La méconnaissance des réalités linguistiques et didactiques des écoles par les
décideurs en éducation, l’inexistence de documents spécifiques tels que les
dictionnaires visuels, la grammaire visuelle et, l’insuffisance d’appui conseil aux
enseignants, obligent ceux-ci à reconduire d’année en année des enseignements
inefficaces. Imposer donc les mêmes curricula et les mêmes temps d’apprentissage
reviendrait à imposer aux enseignants de progresser dans les programmes sous
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forme de cours magistraux sans se soucier de la participation active des apprenants
et sans se soucier de la qualité du processus d’enseignement/apprentissage.
IV- Enseignement du français : l’apport de la Grammaire visuelle
Selon CERISE R. (2009) père de la grammaire visuelle du français, l’étude et la
production de cette grammaire trouve son fondement dans la tradition pédagogique
de l’enseignement du français aux enfants sourds. Elle a été inspirée des travaux sur
la grammaire en couleur de Walter WOUTS (1950), ceux sur la syntaxe structurale de
L. TESNIERE (1959) et la grammaire critique du français de M. WILMET. La grammaire
visuelle du français a été conçue, selon son auteur, pour enseigner la grammaire du
français aux sourds :
« Elle est un outil forgé par l’expérience et ajusté par l’étude ; un outil au
service de l’apprentissage de la langue française, utilisable quand
l’activité se déroule en français; il l’est tout autant lorsque que la
grammaire française est commentée en langue des signes » R. CERISE
(2009 : 75).
La linéarité de la chaine linguistique du français s’oppose { la structure spatiale de la
langue des signes. Alors, pour aider les écoliers sourds à passer de cette linéarité de
la langue française aux liens spatiaux des signes qui animent le raisonnement du
sourd, CERISE R. a misé sur le sens des constituants de la phrase. La grammaire
visuelle « propose précisément de contraindre l’analyse syntaxique de la phrase à
s’accorder à l’analyse logique de la proposition correspondante», CERISE R. (2009:19).
Pour cet auteur tout comme pour SAUSSURE, le signe linguistique est composé d’un
signifié et d’un signifiant. Pour le faire bien assimiler aux enfants sourds, les deux
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axes de la phrase sont mis en évidence par la grammaire visuelle : l’axe
syntagmatique et l’axe paradigmatique.
Dans les lignes qui suivent, nous présentons une partie du glossaire de la grammaire
visuelle du français, les symboles utilisés et des exemples concrets d’utilisation
structurante de la GVF. Le glossaire de la grammaire visuelle du français met donc en
parallèles l’organisation logique de la proposition et la structure syntaxique de la
phrase. Les symboles sont des carrés vides, de petits carrés pleins, des angles droits
fléchés, des ronds, des ronds barrés etc.
Tableau 55: Quelques couleurs et symboles glossaire de la GVF
Organisation logique d’une proposition
(avec des tracés et couleurs)
Structure syntaxique d’une phrase
(avec quelques symboles)
Thème et commentaire Sujet et prédicat
Procès non attributif
Procès attributif
Verbe
Verbe copule/attribut
1er participant au procès Sujet
2ème participant au procès
Objet direct
Objet indirect
3ème participant au procès Objet second
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Circonstant de lieu
Circonstant de manière
Circonstant de temps
Complément adverbial
(adverbe/complément circonstanciel, sous-
phrase)
Adjectif
Quantifiant du nom (la, le, des; les, aucune, quatre, certaines, chaque etc.) Caractérisant du nom (rouge, bleu, grande, petite, etc.) Quantifiant-caractérisant du nom (cette, ces, ses, son, etc.)
Terme apposé au nom
Nom/adjectif/adverbe
Complément de l’adjectif
Complément adverbial de l’adjectif/adverbe
Complément corrélatif de l’adjectif/adverbe
Source : Cerise, R. (2009 : 33)
Il est { noter qu’il est plus simple pour les écoliers sourds de parler de quantifiants au
lieu d’articles définis, indéfinis, des notions qui n’existent pas en LS et qui sont
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difficiles à enseigner. Dans les classes préparatoires et au cours élémentaire, des
images peuvent être utilisées pour montrer les constituants de la phrase. Par
exemple :
1er participant (S) Procès (V) 2è participant (O)
La schématisation des structures syntaxiques permettent, surtout aux écoliers de CE
et CM, de bien appréhender la grammaire française. Les exemples des pages
suivantes sont illustratifs.
Exemple 1 - La phrase simple (PS) : S+V - Batiana a mangé
S v
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Exemple 2 - La phrase de base (PB) : S+V+C - Batiana a mangé le kanzaga2
S V C
Exemple 3 – Phrase complexe: Phrase de base + circonstant de lieu (PB + CLi)
Batiana a mangé le kanzaga sous le grand nimier
Phrase de base Circonstant de lieu
2 Met burkinabè
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Exemple 4 - Phrase complexe: Phrase de base + circonstant de lieu + circonstant de
temps PC : PB + CLi +Cte
Pendant la fête, Batiana a mangé le Kanzaga, sous le grand nimier
Circonstant de temps phrase de base Circonstant de lieu
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Exemple 5 - Phrase complexe: Phrase de base + circonstant de lieu + circonstant de
temps PC : PB + CLi + CMa
Pendant la fête, Batiana a mangé le couscous, sous le nimier, comme un affamé
Circonstant de temps phrase de base Circ. de lieu circ. de manière
Pendant la fête Batiana a mangé le kanzaga sous le grand nimier
comme un affamé
Une remarque peut être faite aux écoliers par rapport à la commutativité des
circonstants (propositions circonstancielles) par rapport à la phrase de base
(proposition principale).
Conclusion
L’article a présenté les difficultés d’enseignement de la grammaire du français dont la
linéarité s’oppose à la spatialité de la grammaire de la langue des signes. Il a présenté
la grammaire visuelle du français (GVF), un outil qui répond aux besoins spécifiques
d’apprentissage des enfants sourds et qui est motivant. L’étude suggère cette
visualisation pour une bonne mémorisation et une assimilation durable des items
d’apprentissage. Comme le reconnait Jacques Tardif (1992 :155), la mémoire est «
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l’unité centrale du traitement de l’information». Cette visualisation aide à passer de
l’abstrait de la structure de la phrase française, tel qu’enseignée aux apprenants
sourds au concret de la décomposition visuelle de la phrase française en sa structure
syntaxique et en son organisation logique ce qui permet { l’apprenant de prendre
conscience des mécanismes mis en place lors de la construction de son savoir.
L’étude a aussi relevé les insuffisances des formations des enseignants et
l’inadaptation des outils didactiques. Elle préconise l’harmonisation des outils
existants, le renforcement des compétences des enseignants. De nombreuses
perspectives de recherches didactiques et psycholinguistiques restent à explorer. Ce
sont, entre autres, l’étude des familiolectes mimogestuels, l’étude des conflits
cognitifs dans les apprentissages par l’ASL et les curricula.
Références
CALBRIS, G (2001) Principes méthodologiques pour une analyse du geste accompagnant la parole, in La politique { l’écran: L’échec ? Volume 67, Numéro 1 pp. 129-148
CERISE, R. (2009), La grammaire visuelle du français, Belgique, EME, 160p.
CONGO A. C. (2015), Problématique de l’enseignement/apprentissage de français dans
les écoles inclusives de sourds au Burkina Faso, Thèse de Doctorat,
Université de Ouagadougou, 500 p.
CUXAC , C. (2000), La langue des signes Française (L.S.F.) : les voies de l’iconicité, in
Faits de langues n°15-16, Paris, Ophrys, 185 p.
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TARDIF, J. (1992), Pour un enseignement stratégique, L’apport de la psychologie
cognitive, Montréal, Éditions Logiques, 474 p.
VYGOTSKY, L. (1978), Interaction between learning and development, in Mind and
society (pp. 79-91), Cambridge, MA, Harvard University Press.