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Malaimée ou méconnue ? Comment permettre aux jeunes et au grand public de connaître la réalité et les enjeux de l’industrie Les entretiens de la Fabrique La Fabrique de l’industrie présente : AVEC Pierre GATTAZ président du Directoire de Radiall Jean-Pascal CHARVET directeur général de l’ONISEP Simon D’HÉNIN enseignant à l’ENSCI – Les Ateliers Flore DALLENNES et Baptiste MEYNIEL Ééudiants à l’ENSCI Christel BORIES vice-présidente de la Fabrique de l’Industrie ET Pierre-Noël GIRAUD professeur à Mines ParisTech DÉBAT ANIMÉ PAR Laurent GUEZ directeur de la rédaction d’Enjeux Les Échos Le 18 mars 2013

Les entretiens de la Fabrique : Malaimée ou méconnue ?

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Malaimée ou méconnue ? Comment permettre aux jeunes et au grand public de connaître la réalité

et les enjeux de l’industrie

Les entretiens de la Fabrique

La Fabrique de l’industrie

présente :

AVEC

Pierre GATTAZ président du Directoire de RadiallJean-Pascal CHARVET directeur général de l’ONISEPSimon D’HÉNIN enseignant à l’ENSCI – Les Ateliers

Flore DALLENNES et Baptiste MEYNIEL Ééudiants à l’ENSCIChristel BORIES vice-présidente de la Fabrique de l’Industrie

ET

Pierre-Noël GIRAUD professeur à Mines ParisTech

DÉBAT ANIMÉ PAR

Laurent GUEZ directeur de la rédaction d’Enjeux Les Échos

Le 18 mars 2013

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TABLE RONDE

Marie-Solange Tissier (Directeur-adjoint de l’École des Mines) Au nom de notre directeur Romain Soubeyran, qui a été empêché d’assister à cette séance, je vous souhaite la bienvenue à l’École des Mines. Dans cet établissement, nous sommes très attachés à l’industrie et nous sommes donc très heureux d’accueillir cette réunion. Mais elle m’intéresse aussi à titre personnel, car, il y a quelques jours, mon fils de 11 ans m’a expliqué que « l’industrie, c’est vraiment dégueulasse ». Je ne crois pourtant pas lui en avoir donné une vision aussi négative ! Je suis néanmoins preneuse de tous les arguments que je pourrais lui opposer.

Louis Gallois (Président de la Fabrique de l’Industrie) Ce qu’il faut expliquer à nos jeunes, c’est que l’industrie est essentielle pour créer de l’emploi, pour résister aux crises, pour assurer la croissance économique et préserver l’indépendance de notre pays. Mais il faut surtout leur dire que l’industrie, c’est formidable, non seulement parce qu’elle propose une très grande variété de métiers, mais aussi parce qu’elle est mondiale et qu’elle offre de multiples opportunités de voyager et de communiquer avec des gens du monde entier.

Il faut aussi rassurer nos jeunes en leur expliquant que la France possède de nombreux atouts pour relancer son industrie : une recherche de pointe, de grandes entreprises dynamiques, une énergie relativement bon marché, des services publics et des infrastructures qui fonctionnent. Ce qui nous manque surtout, c’est la confiance en nous-mêmes, car nous sommes les spécialistes de l’autodénigrement, et aussi la confiance entre acteurs de l’industrie : entreprises grandes et petites, partenaires sociaux, pouvoirs publics, système de recherche, système de formation, etc. S’il y a un exemple à prendre sur l’Allemagne – qui ne me semble pas devoir être considérée comme un modèle en soi – c’est bien pour le climat de confiance que nos voisins ont été capables de créer autour de leur industrie. Pour y parvenir, un seul moyen : dire ce que l’on fait, c’est-à-dire assurer la transparence, et faire ce que l’on dit, c’est-à-dire respecter ses engagements. C’est à ce prix que nous restaurerons la confiance dont nous avons impérativement besoin. Bonne soirée à tous !

Laurent Guez Ce débat prend place dans le cadre de la troisième Semaine de l’industrie, une initiative issue des états généraux de l’industrie organisés en 2010. La question posée ce soir est de savoir si l’industrie est malaimée ou méconnue, et les deux sont sans doute liés.

Il faut absolument réussir à faire davantage aimer l’industrie si l’on veut attirer des talents pour la faire vivre et prospérer, renforcer la fierté de ceux qui appartiennent à la communauté industrielle et aider ainsi les chefs d’entreprises et leur encadrement à réussir dans un environnement difficile. Malheureusement, lorsqu’on interroge les jeunes, comme cela a été fait dans le micro-trottoir qui vient de nous être présenté, le résultat est assez catastrophique.

Cela vient sans doute en partie de l’image que les grands médias donnent de l’industrie. La plupart du temps, ils se cantonnent aux problèmes sociaux et aux fermetures d’usines et voient l’industrie comme une victime de la mondialisation, plutôt que comme un secteur porteur

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d’avenir. C’est toutefois en train de changer. De temps en temps, mes confrères journalistes se font l’écho des grands contrats remportés par nos industriels, comme celui que vient de signer Airbus, des innovations réalisées par nos entreprises, ou encore des salons professionnels organisés dans notre pays. Il faut aller beaucoup plus loin et réussir à faire “saliver” nos jeunes et plus généralement nos concitoyens sur l’industrie et sur les usines d’aujourd’hui.

Comment y parvenir ? Nous allons y réfléchir en trois étapes. Le premier entretien, avec Pierre Gattaz et Jean-Pascal Charvet, sera consacré à la façon de rapprocher l’industrie et les jeunes ; le deuxième, avec Simon d’Hénin, Flore Dallennes et Baptiste Meyniel, au design des visites d’entreprises ; le troisième, avec Christel Bories et Pierre-Noël Giraud, à la façon de raconter l’industrie.

Rapprocher l’industrie et les jeunes

Laurent Guez Pierre Gattaz, je suppose que “raconter l’industrie” doit représenter une partie importante de votre activité en tant que président du GFI (Groupe des fédérations industrielles), et je sais qu’en tant que directeur de Radiall, une ETI au parcours très impressionnant, vous avez également l’habitude d’accueillir des lycéens pour leur faire découvrir l’industrie.

Pierre Gattaz Radiall emploie 2 500 personnes et réalise 80 % de son chiffre d’affaires à l’exportation. Nous vendons nos produits à des entreprises comme Boeing, Apple ou encore Mitsubishi. J’ai, comme vous, observé que la presse française ne sait guère parler de l’industrie, ou même de l’économie en général. Elle se contente souvent d’évoquer des chiffres d’affaires ou des excédents bruts d’exploitation, alors que l’industrie est avant tout une superbe aventure humaine qui réunit une grande diversité de métiers et de talents.

Laurent Guez C’est vrai de toutes les entreprises. En quoi cela s’applique-t-il particulièrement à l’industrie ?

Pierre Gattaz L’industrie transforme du sable en semi conducteur et du vent en énergie, ce n’est pas rien ! Radiall, par exemple, produit des petits connecteurs en plastique capables de résister à une température de 150°, dont la fabrication nécessite une vingtaine de technologies et fait appel à une quarantaine de métiers. En trois ou cinq ans, nous sommes capables d’amener des jeunes de 17 ou 18 ans sans aucune formation à des métiers qualifiés, soit manuels, soit d’ingénieurs, avec des salaires systématiquement plus élevés que dans les services. Au bout de quelques années, ils sont capables, à l’aide d’une batterie d’ordinateurs, de réaliser toutes sortes de tests optiques, électriques, mécaniques, de faire de l’assemblage et parfois du management. Radiall n’est pas une exception : énormément d’entreprises fonctionnent de cette façon en France, mais elles ne sont pas suffisamment connues.

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2Trois jours d’immersion en usine

Laurent Guez Comment se déroulent les visites que vous organisez dans votre entreprise ?

Pierre Gattaz Nous accueillons les lycées et leurs enseignants en immersion dans l’usine pendant trois jours d’affilée. Toutes les deux heures, entre leurs cours habituels de maths, de philo ou d’anglais, ils participent à des rencontres avec nos salariés. Pendant une demi-heures, les décolleteurs, soudeurs, techniciens, ingénieurs, secrétaires, contrôleurs de gestion et commerciaux leur expliquent tour à tour leurs différents métiers, généralement avec passion et fierté. Une sorte d’alchimie se produit et à la fin de ces trois jours, les élèves en ressortent enthousiastes. Ils ont pu vu de leurs propres yeux des gens qui se tutoient entre ingénieurs et ouvriers et qui travaillent ensemble sur des projets pour Boeing ou pour l’exportation vers la Chine. Les professeurs découvrent un univers qu’ils ignoraient et qui constitue une véritable communauté humaine. Les salariés, eux aussi, sont très heureux de participer à ces opérations et ils en redemandent.

Laurent Guez Cela fait déjà plusieurs années que vous ouvrez vos portes de cette façon. Cette expérience commence-t-elle à porter ses fruits ?

Pierre Gattaz Au début, nous étions un peu seuls à pratiquer ce genre d’opération, mais d’autres s’y sont mis. Cette année, une centaine d’expériences de ce type ont été menées dans toute la France. Il faudrait que cette pratique se généralise. C’est relativement facile à organiser. Il faut s’adresser à des collèges ou des lycées situés à proximité de l’usine. On peut trouver un service de cars qui soit partenaire de l’opération, de même que le prestataire pour les repas de midi. En amont, il faut bien sûr que le proviseur et le corps professoral soient prêts à faire cet effort qui leur permettra de mieux appréhender les métiers de demain. Enfin, il est nécessaire de veiller à une bonne organisation interne, car ce genre d’opération est un peu déstabilisant pour la logistique.

Tourner la page du fabless

Laurent Guez Les propos tenus dans le micro-trottoir de tout à l’heure correspondent-ils à ce que vous entendez au cours de ces visites d’entreprise ?

Pierre Gattaz J’en veux aux médias de ressasser indéfiniment les difficultés rencontrées par telle entreprise d’Aulnay-sous-bois ou d’Amiens nord. En Allemagne, les médias préfèrent parler du fait que Siemens a obtenu un contrat pour créer un champ d’éoliennes en Hollande, ou des réussites

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technologiques de telle ou telle société. Les Allemands ont la passion de la technologie et la fierté de l’ouvrage bien fait. En France, on ne parle pas suffisamment de notre maîtrise des process industriels, qui nous permet de garantir des produits ou des services de qualité, des livraisons dans les délais et la satisfaction de nos clients. Il faudrait montrer tout cela à la télévision.

Laurent Guez Comment expliquez-vous qu’après des années d’efforts pour parler de l’industrie, les mentalités évoluent si peu ?

Pierre Gattaz Après les Trente Glorieuses, nous sommes entrés dans les Trente Calamiteuses. On n’a cessé de nous parler d’entreprises fabless, d’économie de services, puis de civilisation de l’intelligence, comme si les gens qui fabriquent des connecteurs électriques étaient des imbéciles. On a oublié que derrière tous les services, il y a forcément de l’industrie, et que celle-ci tient un rôle de premier plan dans l’innovation et dans l’exportation, comme Christel Bories l’a merveilleusement expliqué dans son ouvrage. Nous nous sommes résignés à l’idée que toute notre industrie partirait en Chine, alors que nous avons tout ce qu’il faut pour produire en France : une expertise dans toutes les sciences et technologies ; l’excellence opérationnelle dans les procédés ; une innovation permanente dans les matériaux, les technologies, les procédés ; l’intimité avec nos clients et un grand savoir-faire commercial et à l’exportation. Heureusement, depuis deux ou trois ans, on commence à parler de l’industrie en de meilleurs termes que par le passé. C’est désormais une cause nationale et j’espère bien que nous allons remonter la pente.

Lutter contre les préjugés

Laurent Guez Jean-Pascal Charvet, tenez-vous le même genre de discours que Laurent Guez aux étudiants que vous rencontrez en tant que directeur général de l’ONISEP ?

Jean-Pascal Charvet Tout à fait ! Actuellement, les choix d’orientation des jeunes sont davantage conditionnés par des représentations fausses que par des déterminismes sociaux. Entre 12 et 14 ans, les adolescents sont naturellement attirés par les sciences. C’est alors que leurs parents, leurs enseignants et l’ensemble du système se liguent pour leur faire peur et les détourner de ces disciplines. Je suis effaré par le niveau de méconnaissance des métiers de l’industrie que l’on trouve parfois chez les professionnels chargés de conseiller et d’orienter les jeunes ! Ils ressassent des représentations qui, certes, ont pu correspondre à une certaine réalité historique, mais sont aujourd’hui profondément caricaturales.

Pour lutter contre ces représentations, il n’y a pas de meilleur moyen qu’organiser des visites d’usines. Mais cela ne peut toucher qu’un nombre limité d’élèves. C’est pourquoi je suis convaincu qu’il faut rendre au terme industrie son sens d’origine (en latin, industria signifie activité, habileté, intelligence, invention) et faire en sorte que l’industrie fasse partie des programmes de l’Éducation nationale.

À partir de la prochaine rentrée scolaire, le ministère va mettre en place un dispositif qui ira

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au-delà de la simple présentation des formations et des métiers. Ce sera un parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP).

Nous avons d’ores et déjà créé un site, monindustrie.onisep.fr, qui s’inscrit dans le programme de l’Éducation nationale Faire entrer l’école dans l’ère du numérique et a été conçu comme un écosystème numérique. Il a pour partenaires la FIM (Fédération des industries mécaniques), la FIEEC (Fédération des industries électriques, électroniques et de communication), la Semaine de l’Industrie, la Fabrique de l’Industrie, le ministère de Redressement productif. Ce site est relayé sur Facebook et Twitter. Il permet de contacter l’ONISEP par mail, chat et téléphone et il dispose d’un système de géolocalisation pour proposer des formations aux internautes dans leur région.

Il comprend trois grandes rubriques, L’industrie c’est l’avenir, L’industrie c’est la vie, L’industrie c’est pour moi, avec des fiches, des vidéos, des témoignages. Nous voulions une charte graphique chaleureuse pour lutter contre l’image de gigantisme froid qui est souvent associé à l’industrie, alors même que 92 % des entreprises comptent moins de 50 salariés. Nous nous sommes inspirés pour cela du tableau de Mark Rothko, Orange and Yellow (1956). Sur le site, on trouve, entre autres, un kit pédagogique destiné aux enseignants de français, d’histoire et de disciplines scientifiques, qui interviennent auprès d’élèves de 4e, 3e et 2e. Les activités proposées ont pour but de faire évoluer les représentations de l’industrie, et plus largement de la science.

Toutes ces initiatives visent à encourager les élèves à s’orienter vers des filières où ils trouveront du travail, au lieu de s’engouffrer dans des voies sans issue, qui reflètent les stéréotypes de leurs parents ou de leurs enseignants. Le site principal de l’ONISEP reçoit environ 300 000 visites par jour, dont 250 000 se portent sur les fiches des métiers sanitaires et sociaux… Un petit nombre de visites, peut-être 10 ou 15 000, concerne les fiches consacrées aux filières scientifiques. Nous ne cherchons évidemment pas à embrigader les élèves ou à faire de l’adéquationisme, mais à leur présenter la réalité de façon objective et chiffrée pour lutter contre des préjugés qui leur font beaucoup de tort.

Laurent Guez Je n’aurais pas imaginé que le patron de l’ONISEP s’exprime dans ces termes ! C’est vraiment réconfortant.

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1DÉBAT

Un problème de représentation seulement ?

Un intervenant Je suis beaucoup moins enthousiasmé que vous par les propos de M. Charvet. Le problème de l’industrie n’est pas seulement un problème de représentation. On ne peut pas se contenter d’imputer la faute aux “méchants” médias qui racontent n’importe quoi et aux professeurs d’économie « qui sont tous marxistes ». En réalité, notre industrie souffre d’un gros problème de qualité des conditions de travail. Les enquêtes menées depuis plusieurs années par la fondation Eurofound montrent qu’en France, plus que dans d’autres pays, les salariés sont exposés au bruit, doivent porter des charges lourdes, sont assujettis au travail à la chaîne. Se focaliser sur les représentations est une façon de se dispenser d’affronter la réalité.

Jean-Pascal Charvet Même si les représentations naissent des réalités et s’il existe, par exemple, des usines avec des niveaux de bruit élevés, on ne peut pas laisser croire que les représentations qui se sont exprimées dans le micro-trottoir de tout à l’heure correspondent à la réalité industrielle de notre pays. Du reste, sur les trois millions de personnes qui travaillent pour l’industrie en France, un tiers occupe des emplois ne relevant pas de métiers spécifiques à l’industrie. Or, même pour ces emplois, les entreprises ont du mal à recruter. Cela prouve bien qu’il existe un problème de représentation.

Pierre Gattaz Je visite très souvent des usines en Chine, aux États-Unis, au Mexique, et je peux témoigner que lorsque je reviens en France, je suis fier de nos entreprises. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que le principal enjeu actuel de la France, c’est l’emploi. On peut rêver d’un monde idéal, sans bruit et sans effort, mais je crains que ce soit un monde avec un taux de chômage de 30 %. Aujourd’hui, en France, les entrepreneurs doivent trouver leur équilibre entre deux tapis roulants : celui des marchés et des clients, qui évoluent en permanence, et celui des sciences et des technologies, qui avance lui aussi à toute vitesse. Il faut faire comprendre aux acteurs de l’entreprise et plus largement aux Français que le monde bouge tout le temps et que nous devons nous y adapter. Si l’on multiplie les carcans et si l’on ajoute sans cesse de nouvelles règles, nous ne serons plus capables de faire face aux défis du monde, qui sont colossaux : la moitié de l’humanité manque d’infrastructures, d’eau, de moyens de transport, de soins, etc. Les opportunités sont énormes pour notre industrie et il ne faudrait pas que nous manquions ce rendez-vous à cause de la sur-règlementation et de la sur-fiscalisation.

Le design des visites d’entreprises

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Laurent Guez Simon d’Hénin, vous êtes professeur à l’ENSCI (École nationale supérieure de création industrielle) et vous êtes accompagné de deux de vos étudiants en design. Pouvez-vous nous présenter le projet que vous avez monté ?

Simon d’Hénin L’ENSCI, qui relève à la fois du ministère de l’industrie et de celui de la culture, forme aux métiers de la création industrielle et du design. Nous faisons habituellement travailler nos étudiants sur des objets industriels, mais nous avons trouvé intéressant de déplacer un peu le regard et de passer de “l’objet industriel” à “l’objet industrie”, à travers une réflexion sur le design de la visite d’usine. Compte tenu des difficultés de l’industrie à recruter, les entreprises recourent à diverses approches de communication et notamment à des visites d’usines et à des journées portes ouvertes. On peut toutefois s’interroger sur l’effet réellement produit par ces visites et sur leur capacité à permettre d’atteindre l’objectif visé. Le concept même de visite d’usine recouvre un certain nombre de paradoxes. Faut-il faire visiter l’usine telle qu’elle est, ou telle qu’on aimerait qu’elle soit perçue par les visiteurs ? Pendant la visite, faut-il poursuivre la production ou l’interrompre ? Faut-il demander à certains salariés de servir de guides, et si oui, comment les choisir ?

Nous avons proposé à une dizaine d’étudiants de visiter plusieurs établissements industriels ainsi qu’un centre de formation technique, puis d’analyser la façon dont cet exercice se déroule, d’en débattre avec les personnes qui conduisent les visites, et enfin, d’imaginer des scénarios différents. Nous en avons tiré une synthèse intitulée Regarder et montrer l’industrie : réflexions autour de la visite d’usine.

Laurent Guez Flore et Baptiste, comment avez-vous vécu cette expérience ?

Flore Dallennes Nous avons été un peu surpris au départ, car nous pensions nous être inscrits à un simple cycle de visites d’entreprises. Nous avons découvert par la suite que nous devions essayer de “repenser le concept”.

Baptiste Meyniel Nous avons décidé d’élargir la réflexion et nous interroger sur la façon de provoquer d’autres points de contact entre l’industrie et son public.

Flore Dallennes On peut imaginer des solutions permettant de « visiter l’usine hors de l’usine ». Une usine ne peut de toute façon pas représenter à elle seule toute l’industrie française. Chacune a ses particularités, et l’objectif est de susciter la confiance dans l’industrie en général. Et puis il est difficile de sélectionner celle que l’on va montrer : on risque d’orienter la vision, voire de céder à une sorte de malhonnêteté en sélectionnant ce que l’on veut montrer au public.

Simon d’HéniOn ne voit pas la même chose lorsqu’on visite l’usine d’Eurocopter ou celle de Frantz Électrolyse : l’une est en plein essor, l’autre connaît des difficultés liées à la filière automobile ; les métiers

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3ne présentent pas les mêmes contraintes en termes de pénibilité ou de rythme de production. Au total, l’image donnée de l’industrie n’est pas du tout la même.

La beauté des usines

Un intervenant En tant que designers, avez-vous envisagé d’essayer de mettre en valeur la beauté des machines et des hommes qui les font tourner ?

Flore Dallennes Étant étudiants en création industrielle, nous ne sommes pas insensibles à la beauté des machines. Nous nous sommes effectivement demandé s’il n’était pas possible de susciter une fascination pour la beauté de l’usine, du travail, des gestuelles. Mais à vrai dire, cette beauté transparaît toute seule. Par exemple, nous avons tous été subjugués par les gestes d’un ouvrier qui contrôlait la bonne qualité des pales d’un hélicoptère.

Les usines sont-elles sales ?

Un intervenant Les usines que vous avez visitées étaient-elles sales ou propres ?

Baptiste Meyniel Les visites nous ont permis de corriger un certain nombre de nos idées reçues. Personnellement, j’imaginais des endroits sales, bruyants, désagréables. Dans certaines usines, cette crainte s’est confirmée, mais il y a beaucoup de différences d’une entreprise à l’autre. Nous avons commencé par visiter Eurocopter et nous avons clairement eu le sentiment d’être dans un des fleurons de l’industrie française. Nous avons donc demandé à voir des usines moins propres. Mais cela n’empêchait pas ces dernières de fonctionner convenablement.

Commenter raconter l’industrie ?

Laurent Guez Christel Bories, vous êtes une chef d’entreprise industrielle et vous avez publié chez Dunod un ouvrage intitulé L’Industrie racontée à mes ados… qui s’en fichent. Avez-vous vraiment des adolescents ou est-ce une figure de style ?

Christel BoriesJ’ai une fille de 16 ans et un fils de19 ans, qui en principe a passé l’âge de l’adolescence. Mais, pour les garçons, elle dure toujours un peu plus longtemps… Quand mes enfants étaient petits et

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qu’on leur demandait quel était mon métier, ils répondaient « elle fait des réunions ».

Laurent Guez C’est donc pour répondre à leurs interrogations que vous avez écrit ce livre ?

Christel Bories C’est surtout moi-même qui me pose des questions quand j’entends les jeunes parler de l’industrie. Tantôt ils s’en font une idée complètement caricaturale, très éloignée de ce que nous vivons au quotidien et surtout inspiré de ce qu’on voit dans Les temps modernes de Charlie Chaplin, tantôt ils n’en ont aucune idée du tout. Cela dit, honnêtement, nous ne les aidons pas beaucoup. L’enseignement qu’ils reçoivent ne leur permet pas vraiment de comprendre ce qu’est un client, un produit, une entreprise. Quant aux médias, ils évoquent plutôt les usines qui ferment que celles qui fonctionnent bien. Nous-mêmes, industriels, ne faisons sans doute pas un très bon travail de communication à cet égard. Il existe vraiment un énorme besoin de donner aux adolescents une image plus objective de l’industrie.

Laurent Guez Pour écrire votre livre, êtes-vous partie de leurs clichés ou de ceux des Français en général ?

Christel Bories Le livre est destiné aux ados mais il devrait toucher un public plus large.

Laurent Guez Vous n’avez pas hésité à aborder tous les sujets de façon très directe…

Christel Bories Nous avons travaillé à plusieurs et nous nous sommes efforcés de recueillir les clichés tels que les adolescents eux-mêmes les expriment : « Une usine, ça pollue, c’est sale, ça crée des chômeurs, c’est pas pour les filles, c’est pour ceux qui sont mauvais en classe : les bons font tout sauf ça ». Je suis d’accord avec la personne qui est intervenue tout à l’heure : tout n’est pas rose dans l’industrie, et l’objectif n’était pas de prétendre que tout était parfait. Nous avons simplement voulu donner une image plus équilibrée de l’industrie, dans laquelle ceux qui travaillent dans ce secteur puissent se reconnaître.

La place des femmes dans l’industrie

Laurent Guez L’idée selon laquelle l’industrie « c’est pas pour les filles » recouvre une part de vérité. Lorsque moi-même ou mes collègues journalistes cherchons à interviewer une femme occupant un poste important dans l’industrie, nous venons souvent vers vous, car vous n’êtes pas nombreuses à exercer à ce niveau de responsabilité.

Christel Bories C’est vrai qu’il n’y a que 28 % de femmes dans l’industrie, mais on en trouve de plus en plus dans les postes qualifiés. Une forme d’autocensure détourne les filles des filières scientifiques.

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Comme elles ne sont que 20 % dans les écoles d’ingénieurs, on ne peut pas s’étonner d’en trouver encore moins dans l’industrie ensuite. Il en va de même pour les formations techniques. Heureusement, il existe aussi des métiers nettement plus féminisés dans l’industrie, notamment dans les ressources humaines, la communication, le commercial. Nous avons certainement un gros travail à faire pour convaincre les filles qu’on peut faire carrière dans l’industrie tout en étant une femme.

Laurent Guez Vous avez longtemps travaillé dans l’emballage et dans l’aluminium, et vous venez de prendre la direction générale d’un laboratoire pharmaceutique. Avez-vous délibérément choisi de rester dans l’industrie ou vous êtes-vous sentie piégée par le livre que vous étiez en train de publier ?

Christel Bories Je ne me voyais pas quitter l’industrie. C’est un monde extrêmement attachant, où l’on trouve des gens fiers de ce qu’ils font et souvent très loyaux à leur entreprise. Par ailleurs, en travaillant pour l’industrie, je participe à la création de valeur pour “la maison France” : l’industrie représente 80 % de l’innovation et 75 % de nos exportations. C’est un champ fabuleux pour le développement des connaissances, pour le progrès technique et la croissance économique.

La fascination pour les objets

Laurent Guez Dans votre livre, vous ne parlez pas beaucoup des produits de l’industrie. Pourtant, les adolescents sont environnés en permanence d’objets technologiques. Ne serait-ce pas une bonne entrée pour les intéresser à l’industrie ?

Christel Bories C’est certainement une bonne entrée. Très peu de jeunes sont conscients du nombre de composants et de métiers nécessaires pour fabriquer, par exemple, un iPad, ou encore du nombre de sous-traitants qui contribuent à la production de cet objet.

Que faire pour réindustrialiser la France ?

Laurent Guez Pierre-Noël Giraud, vous êtes professeur d’économie à l’École des Mines et à Paris Dauphine ; vous venez de publier avec Thierry Weil, à la Documentation française, un petit livre facile à lire, L’industrie française décroche-t-elle ?

Pierre-Noël Giraud C’est l’éditeur qui a choisi ce titre, et il ne me paraît pas très judicieux de poser une question dont on connaît la réponse. Personnellement, j’aurais préféré quelque chose comme Que faire pour réindustrialiser la France ?

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Laurent Guez Depuis tout à l’heure, nous évoquons divers aspects de l’industrie. Pouvez-nous dire, en termes macro-économiques, cette fois, pourquoi l’industrie est si importante pour notre pays et pourquoi nous avons eu tort de croire à la tertiarisation de notre économie ?

Pierre-Noël Giraud Tout simplement parce que la distinction entre industrie et service n’a strictement aucun sens. Il n’y a pas de services sans industrie : par exemple, on ne peut pas créer des centres d’appels si on ne dispose pas de réseaux de communication. Et il n’y a pas non plus d’industrie sans services : d’ailleurs, une bonne partie des services à l’industrie faisait auparavant partie de l’industrie. Enfin, à partir du moment où des services mettent en œuvre des processus industriels, ils deviennent des industries. L’industrie ne s’oppose pas aux services mais à l’artisanat.

Non seulement cette tentative de séparer industrie et services était absurde, mais elle traduisait un véritable mépris de la part des pays les plus avancés pour les pays émergents : aux uns, les professions intellectuelles, la conception, le design ; aux autres, les tâches besogneuses de fabrication. Les pays émergents veulent désormais faire de la R&D, des hautes technologies, de la conception, du design, etc. Hermès est en train de développer une filiale chinoise qui appliquera son modèle à des produits artisanaux chinois. Nous allons perdre tous nos privilèges et nous avons donc intérêt à conserver une industrie et des services compétitifs, sans quoi nous allons nous appauvrir.

Je ne reviendrai pas sur le défi que cette situation représente au niveau national, car tout est déjà dans le rapport publié par Louis Gallois. Je voudrais, en revanche, insister sur la dimension européenne de ce défi. La vision selon laquelle l’Europe du nord pourrait se spécialiser dans l’industrie et les services pendant que l’Europe du sud se contenterait du tourisme et de vendre du vin et de l’huile d’olive ne tient pas la route. Notre pays est une des premières destinations touristiques au monde mais l’excédent de notre balance du tourisme représente 5 milliards d’euros, alors que notre facture énergétique s’élève à 50 milliards d’euros et notre facture de biens et services à 25 milliards d’euros. Il faut naturellement continuer à développer le tourisme en France, mais cela ne suffira pas à assurer l’équilibre commercial de notre pays.

C’est encore plus vrai pour un pays comme la Grèce, dont l’endettement vient aussi d’un déficit commercial. La Grèce ne vend pas assez aux autres pays d’Europe par rapport à ce qu’elle leur achète. Ce n’est certainement pas par les services qu’elle pourra combler ce déficit. Elle aussi doit se réindustrialiser.

Laurent Guez Quelles solutions préconisez-vous pour sortir de cette situation ?

Pierre-Noël Giraud La voie que je propose consiste à démontrer à nos partenaires allemands que nous voulons, comme eux, faire retrouver une place centrale à l’industrie dans notre pays. Je ne crois pas que la solution consiste à définir de grands programmes sectoriels comme nous l’avons fait il y a trente ou quarante ans. Je privilégierais plutôt la mise en œuvre d’un environnement favorable sur le plan de la fiscalité, de la réglementation, de la formation, du rapport entre les acteurs locaux, etc. Mais encore une fois, tout cela est dans le rapport Gallois.

Les efforts que nous ferons pour réindustrialiser la France nous permettront, ensuite, de négocier

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avec l’Allemagne une meilleure répartition de l’industrie en Europe et d’élaborer une politique industrielle stratégique européenne.

Enfin, il faut aussi réfléchir au plan mondial. Si la Chine se décide enfin à réduire les inégalités sociales auxquelles a conduit son industrialisation tournée vers l’exportation et veut bien se recentrer sur sa propre économie, et si par ailleurs elle accentue sa contribution au développement des économies africaines, par exemple en faisant fabriquer sur ce continent tout ce que nous avons fait produire en Asie pendant les dernières décennies (textile, chaussures, jouets, etc.), on peut espérer que d’ici vingt ans, l’Europe redeviendra compétitive par rapport à l’Asie. Encore faut-il que, d’ici là, nous ayons conservé notre capital humain et social dans le secteur industriel. Nous avons mis un siècle à accumuler le trésor de compétences et de traditions que représente l’École des Arts et métiers. Si nous laissons ce capital disparaître, nous mettrons très longtemps à le reconstruire.

La nostalgie des plans sectoriels

Un intervenant La France est passée à côté d’un certain nombre d’étapes technologiques au cours des trente dernières années, en particulier dans le domaine du numérique. Les secteurs industriels qui fonctionnent bien sont ceux qui sont nés des grands plans mis en place il y a trente ans. De même, aux États-Unis, Google n’a atteint son développement actuel que parce qu’il a bénéficié du soutien du département de la Défense. Il en va de même en Chine, où le gouvernement définit des politiques à très long terme. Le problème de notre pays ne se réduit pas à une question de confiance. C’est surtout l’absence d’une vraie politique industrielle.

Pierre-Noël Giraud Je suis d’accord avec la nécessité de définir une politique industrielle stratégique de long terme, au niveau européen, et de la décliner pour chacun des États membres. En revanche, je ne suis pas certain que cette politique industrielle doive prendre la forme des anciens grands plans sectoriels de type Airbus ou filière nucléaire. Quand la France a tenté d’appliquer cette méthode au numérique, cela a donné le Minitel, dont on ne peut pas dire qu’il a été un énorme succès. Favoriser l’écosystème industriel me paraîtrait plus pertinent, d’autant que nous avons énormément de jeunes pousses très prometteuses.

La peur du chômage

Un intervenant L’une des raisons qui détournent les jeunes de l’industrie est la peur du chômage. Il faudrait valoriser davantage les gisements d’emplois non pourvus dans l’industrie. Les jeunes se décident aussi en fonction du salaire qu’ils peuvent espérer. Aujourd’hui, un diplôme d’école de commerce permet d’accéder à une meilleure rémunération qu’un diplôme d’ingénieur, et parmi les ingénieurs, ceux qui travaillent dans la production sont généralement mieux payés que ceux qui se consacrent à la R&D. Un troisième critère est celui de la créativité. Malheureusement,

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les médias associent l’industrie à la crise plutôt qu’à l’innovation. Enfin, quand on constate que l’émission C’est pas sorcier a failli disparaître de la programmation du service public, on peut s’interroger sur la volonté de revaloriser la science et l’industrie.

Christel Bories On constate effectivement une inadéquation sur le marché de l’emploi industriel, puisqu’un certain nombre de postes ne sont pas pourvus. Le solde net est négatif, car l’industrie perd des emplois régulièrement, mais le nombre d’ingénieurs et de techniciens a doublé depuis 25 ans. Les jeunes qualifiés peuvent donc trouver du travail de façon durable. Le risque de chômage concerne surtout ceux qui n’ont pas de qualification.

Vous avez également raison de souligner que les emplois sont mieux rémunérés dans l’industrie que dans les services. La proportion de temps complets est plus élevée et la différence moyenne de rémunération est de 14 %. Nous devrions communiquer davantage sur ce point, car peu de jeunes en sont conscients.

Pour ce qui est des diplômés des écoles de commerce, la plupart d’entre eux sont attirés par le b to c ; lorsqu’on veut les recruter dans le b to b, on est obligé de leur proposer des rémunérations plus élevées. J’ai des amis qui font du marketing pour la grande consommation et dont les rémunérations sont plus faibles que celles offertes par l’industrie lourde. Enfin, il faudrait également communiquer beaucoup plus sur la dimension de créativité et d’innovation de l’industrie. Aujourd’hui, rejoindre l’industrie, c’est participer aux grandes aventures technologiques de demain, par exemple dans la transition énergétique ou dans le numérique.

L’art de Jules Verne

Un intervenant Quand un alpiniste est sur le point de conquérir un sommet très élevé, il est tellement heureux qu’il est capable de surmonter toutes les difficultés matérielles, voire même de prendre le risque de perdre un doigt. Ses conditions de travail ne sont vraiment pas formidables mais il est tiré par un rêve et par un projet. De même, pour qu’une visite d’usine porte ses fruits, il faut que celui qui mène la visite parle de son métier avec passion. Si la plupart des jeunes sont attirés par les métiers du social, de la justice ou de la médecine, c’est que les séries télé leur racontent des intrigues passionnantes qui se déroulent dans des commissariats de police, des tribunaux, des hôpitaux. Au XIXe siècle, Jules Verne a su rendre l’industrie passionnante en mettant en scène de véritables aventures. Il y a quelques années, lorsque l’École de Paris du management a consacré une séance à la construction du viaduc de Millau, celle-ci s’est avérée encore plus palpitante qu’un épisode de Dr House. Comment parvenir à faire partager le caractère passionnant de certains projets industriels ?

Simon d’Hénin Au cours de notre étude, nous avons eu le sentiment que l’industrie attend généralement que son public vienne vers elle. Comme dans toute relation, elle devrait aussi savoir faire le premier pas et aller vers son public, en recourant à des moyens différents de ceux qu’elle a utilisés depuis des décennies. Je pense, par exemple, à des émissions de télé-réalité.

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12Un intervenant Les milieux industriels montrent une certaine timidité vis-à-vis du média télévision. Je me souviens pourtant d’un excellent film qui faisait la promotion de l’armée de l’air. Quant à Jules Verne, c’est l’écrivain français qui a été le plus traduit dans le monde. Pourtant, il est absent des programmes de l’Éducation nationale…

Favoriser le débat à l’école

Jean-Pascal Charvet Il est certain qu’il faudrait renforcer la part de la culture scientifique et technique dans les programmes scolaires. Plus largement, il faut réintroduire des textes forts, des textes “à idées et à actions”. Au cours de ma carrière, j’ai été responsable des programmes littéraires et j’ai dû me battre pour que l’on redonne du “sens” et que l’on sorte un peu du formalisme littéraire contre lequel Todorov lui-même mettait en garde. Pendant des années, on a donné à étudier des textes qui ne demandaient pas à prendre parti. Or, s’il y a une chose que les adolescents adorent, c’est bien prendre parti pour ou contre…

On pourrait, par exemple, les faire réfléchir sur le fait que la technologie est d’ores et déjà profondément entrée dans le corps humain, à travers toutes sortes de prothèses comme les pacemakers, ou sur le fait que l’approche écologiste ne peut plus se fonder sur une séparation entre une nature idyllique et une industrie polluante : l’écologie a, elle aussi, besoin de l’industrie. Tous ces débats pourraient trouver place dans les programmes scolaires.

Revaloriser les filières techniques

Un intervenant La volonté de réhabiliter l’industrie doit aussi passer par une remise en cause du paradoxe qui veut que notre société technicienne a le plus grand mépris pour les filières techniques, auxquelles on destine les classes “poubelles”.

Jean-Pascal Charvet À cet égard, les choses sont en train de changer, et c’est l’un des points dont on peut se réjouir. Mais le travail de reconquête sera long, dans ce pays qui, dans son système éducatif, a systématiquement dévalorisé tout ce qui relevait du geste, du manuel et plus largement du corps. Pour moi, la refondation de l’école devrait porter avant tout sur ce point.

Louis Gallois Cette réunion peut nous inciter à un certain optimisme, même si nous savons que la pente est rude et que nous devons la prendre dans le sens de la montée ! J’ai le sentiment qu’une prise de conscience est en train de s’opérer en France. Il n’y a jamais eu autant de débats sur l’industrie qu’actuellement. Nous devons poursuivre cet effort, faire de l’industrie un enjeu politique et éviter que le soufflé ne retombe.

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Pour cela, je crois que nous devons montrer que l’industrie est profondément moderne – pas au sens des Temps modernes de Charlot ! – et que tout ce qui fait la modernité du monde dans lequel nous vivons relève de l’industrie. En France, le discours actuel est dominé par le principe de précaution : le progrès technique est vu d’abord comme un risque. Mais le principal risque auquel nous nous exposons par cette attitude, c’est celui du déclin. C’est d’autant plus vrai que, pendant ce temps, le reste du monde se saisit du progrès technique et le considère comme l’opportunité d’apporter un certain nombre de bienfaits à l’humanité, ne serait-ce que l’allongement de la durée de vie.

Nous devons aussi faire en sorte que l’industrie cesse de se cacher. Le site d’Airbus, à Toulouse, reçoit chaque année des milliers de visiteurs, au point qu’il a dû confier la gestion des visites à une société et créer des parcours spécifique pour éviter de déranger les salariés dans leur travail. J’ai également été frappé par l’intérêt qu’avait suscité une opération montée par EADS, il y a quelques années, sur tous ses sites européens, intitulée “10 000 collégiens dans nos usines”. Nous avions tenu le pari et je dois dire que le succès rencontré en France avait été le même que dans les autres pays. Nous devons donc surmonter notre timidité et mobiliser les médias, qui sont déterminants dans les représentations de nos concitoyens.

Une troisième recommandation consiste à ne pas réduire l’industrie à ses technologies et à veiller à valoriser les formidables aventures humaines qu’on peut y vivre. C’est vrai de toute entreprise, mais peut-être encore plus des entreprises industrielles, où toutes les tâches sont collectives.Enfin, il est indispensable que nous instaurions une relation de confiance avec le corps enseignant et que nous l’encouragions à considérer l’industrie comme une activité positive et porteuse de valeurs. Pour cela, je ne peux qu’inviter les industries à s’ouvrir non seulement aux élèves mais au corps enseignant, dans une relation sympathique et chaleureuse. Il est temps que chacun comprenne que l’industrie représente l’avenir de notre pays. Merci à tous !

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