SOUS LA DIRECTION DE Alain Béraud et Gilbert Faccarello Nouvelle histoire de la pensée économique Tome 1 Des scolastiques aux classiques EDITIONS LA DECOUVERTE 9 bis, rue Abel-Hovelacque PARIS XIII e 1992
1. SOUS LA DIRECTION DE Alain Braud et Gilbert Faccarello
Nouvelle histoire de la pense conomique Tome 1 Des scolastiques aux
classiques EDITIONS LA DECOUVERTE 9 bis, rue Abel-Hovelacque PARIS
XIIIe 1992
2. Si vous dsirez tre tenu rgulirement au courant de nos
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autre moyen, le prsent ouvrage sans autorisation de l'diteur ou du
Centre franais du copyright (6 bis, rue Gabriel-laumain, 75010
Paris). ditions la Dcouverte, Paris, 1992. ISBN 2-7071-2165-7
3. A la mmoire dAnna Mmac.
4. Sommaire AVANT-PROPOS, A.Braud, G. FaccareUo 11 I. L'CONOMIE
ENTRE LA RELIGION LE DROIT ET LA MORALE DU HT AU xvif SICLE
Introduction, G. FaccareUo 15 I. UNE INTRODUCTION LA PENSE
CONOMIQUE MDIVALE, Andr Lapidus....24 II. LA RENAISSANCE DE LA
SCOLASTIQUE, LA RFORME ET LES THORIES DU DROIT NATUREL, ROmOn
TOTtajadCl 71 II. MARCHANDS ET PRINCES LES AUTEURS DITS
MERCANTILISTES Introduction, Philippe Steiner 95 III. L'MERGENCE
DES CATGORIES CONOMIQUES, Philippe Steiner 103 1. L'mergence des
catgories conomiques : l'Homo ceconomicus et les lois naturelles
103 2. La libert du commerce 107 IV. QRCUITS, MONNAIE ET BALANCE DU
COMMERCE, Philippe Steiner 111 1. Deux circuits conomiques 111 2.
La balance du commerce et la monnaie 116 V. MONNAIE, INTRT ET
TRAVAIL, Philippe Steiner 122 1. Monnaie et intrt 122 2. Travail,
emploi et salaire 126
5. VI. LE TOURNANT DU SICLE, Philippe Steiner. 131 1. La
critique de la doctrine des deux circuits 131 2. Marchands et
manufacturiers 133 III. LES CONOMIES POLITIQUES DES LUMIRES
L'AFFIRMATION DE LA PENSE LIBRALE Introduction, Gilbert Faccarello
143 VII. PIERRE DE BOISGUILBERT ET JOHN LAW 154 1. Les fondements
de l'conomie politique librale : Pierre de Boisguilbert, Gilbert
Faccarello 154 2. John Law, Antotn Murphy 176 VIII. RICHARD
CANTILLON ET LE GROUPE DE VINCENT DE GOURNAY, Antoin Murphy 188 1.
Richard Cantillon 188 2. Le groupe de Vincent de Gournay 199 IX.
DAVID HUME ET JAMES STEUART, Daniel Diatkine 204 1. David Hume 204
2. James Steuart 213 X. L'CONOMIE POLITIQUE DU ROYAUME AGRICOLE :
FRANOIS QUESNAY, Philippe Steiner 225 1. Quesnay et l'cole
physiocratique 225 2. Le sensualisme normatif 227 3. Richesses et
production 230 4. Prix, produit net et productivit exclusive de
l'agriculture 232 5. Le bon prix des grains et la marche vers l'tat
d'abondance 234 6. Circulation des richesses et monnaie 238 7. La
critique de la physiocratie 246 XI. SENSUALITES ET unUTARISTES 254
1. Turgot et l'conomie politique sensualiste, Gilbert Faccarello
254 2. Jeremy Bentham, un Newton de la morale, Annie Cot 289
6. IV. LES CONOMIES CLASSIQUES Introduction, Alain Braud 305
XII. LA CONTRIBUTION FONDATRICE. ORIGINE ET DVELOPPEMENT DE LA
PENSE CONOMIQUE D'ADAM SMITH, Alain Braud 309 1. Origines et
diversit de l'uvre de Smith 309 2. L'conomie comme systme autorgul
317 3. Accumulation du capital et croissance 336 4. La monnaie 341
5. Le march et l'tat 347 XIII. RICARDO, MALTHUS, SAY ET LES
CONTROVERSES DE LA SECONDE GNRATION, Alain Braud 365 1. La loi de
la population 371 2. La thorie de la valeur et de la rpartition 378
3. Accumulation du capital, emploi et crises 446 XTV. LA POSTRIT
RICARDIENNE ET L'UVRE DEJ.S. MILL 509 1. La pense conomique
post-ricardienne avant John Stuart Mill, Richard Arena 510 2.
L'apoge et le dclin du courant ricardien : l'uvre de John Stuart
Mill, AnnaMaricic 530 XV. LES DBATS MONTAIRES ET LE DVELOPPEMENT DE
LA THORIE MONTAIRE EN GRANDE-BRETAGNE DANS LA PREMIRE MOITI DU XLX6
SICLE, Jrme de Boyer 554 1. La banque en Angleterre de 1793 1844
554 2. Le dficit des paiements 56l 3. L'offre de monnaie 568 4.
Conclusion 576 INDEX DES MATIRES 581 INDEX DES NOMS CITS 599
7. Avant-propos L'histoire de la pense conomique a eu et, d'une
certaine manire, pos- sde encore une curieuse existence : ballotte
entre l'histoire proprement dite et la thorie conomique considre
chaque poque et par un grou- pe donn comme la plus avance, son
statut a longtemps t fluctuant et incertain. D'une part, insre dans
l'histoire, surtout des ides politiques ou mme des mentalits, la
pense conomique, en raison de sa nature propre et de son objet,
serait chaque fois cense traduire une poque, ses conflits, ses
enjeux. Comme expression d'un dveloppement plus ou moins autonome
d'un ensemble de concepts ou de systmes d'ides, d'autre part, elle
apparat sous la forme d'une progression, certes chaotique et aux
voies souvent surprenantes ou dtournes, vers un ensemble de
propositions scientifiques susceptibles d'tre largement reconnues.
C'est pourquoi, dans le premier cas, les auteurs sont souvent
dpeints comme surdtermins par leur environnement socio-historique,
frquemment au mpris du contenu analytique de leurs crits et des
diffrences thoriques importantes qu'ils peuvent prsenter entre eux
; dans le second cas, au contraire, les uvres sont clates en
propositions analytiques disjointes juges vraies ou fausses au
regard de corpus thoriques rigs en cri- tres de vrit : dans ce
processus de sparation du bon grain de l'ivraie, leur cohrence
s'vanouit et, avec elle, les problmatiques quelquefois complexes
dont les crits relvent et dont le travail d'interprtation consis-
te, prcisment, rendre compte. Les raisons qui se trouvent l'origine
de cet tat de fait relvent bien sr de registres diffrents allant
des enjeux politiques des doctrines cono- miques au dsir qu'prouve
maint auteur de rcrire le pass sa manire afin, tout la fois, de
mieux marquer sa diffrence et de se choisir, ou de se construire,
une ascendance. Mais l'analyse de ces causes relve d'une autre
tude. Il suffit de souligner ici que les deux conceptions extrmes
entre lesquelles une partie des histoires de la pense conomique se
rpar-
8. 12 NOUVELLE HISTOIRE DE LA PENSE CONOMIQUE tit encore
aujourd'hui, si elles permettent de susciter des interrogations et
de mettre l'accent sur des points ngligs jusque-l, peuvent
difficilement constituer le moteur de la recherche. C'est prcisment
en surmontant le double obstacle lgu par la tradi- tion que
l'histoire de la pense conomique a pu se dvelopper consid-
rablement au cours de ces dernires dcennies, renouvelant ainsi son
objet et ses mthodes. La cohrence analytique de nombreux auteurs a
t recherche et restitue, les thories ont t approfondies et les
volutions ou les cheminements intellectuels apparaissent prsent
sous un claira- ge nouveau, sans doute infiniment moins simple,
mais aussi plus passion- nant, qu'ils n'taient prsents il y a
encore peu de temps. Ce sont les principaux rsultats de ces
recherches foisonnantes et mul- tiformes que nous avons souhait
prsenter dans cet ouvrage en runis- sant, pour la premire fois, un
certain nombre d'tudes synthtiques origi- nales couvrant les phases
les plus importantes du dveloppement de la pense conomique et
rdiges par les meilleurs spcialistes. Bien sr, le nombre de pages
n'tant pas indfiniment extensible, il a fallu faire un choix quant
aux priodes, aux auteurs et aux thmes retenus. Mais, dans chaque
contribution, le lecteur trouvera les rfrences bibliographiques
essentielles qui lui permettront, s'il le dsire, de complter son
information et de poursuivre sa recherche. Il a fallu aussi choisir
un angle d'attaque commun : il est principalement analytique. En la
matire, cependant, une certaine latitude a t laisse aux auteurs des
contributions afin que, sans a priori mthodologique
artificiellement impos de l'extrieur, ils choisis- sent la dmarche
qui, chaque fois, leur convient le mieux ; et si les diff- rents
chapitres sont, l'vidence, articuls au sein d'une stricte
progression d'ensemble, c'est aussi de leur diversit que provient
la richesse de la pr- sente tentative.
9. I_ L'conomie entre la religion, le droit et la morale du
xiie au xvif sicle
10. Introduction GILBERT FACCARELLO S'il existe des domaines
contests de l'histoire de la pense conomique, ce sont bien ceux qui
concernent, pour le dire brivement, les crits ant- rieurs la
seconde moiti du xvf sicle : pour eux, la lgitimit mme d'une
interrogation du point de vue de la discipline est en cause. Et, de
fait, l'exception de certains ouvrages, dont l'uvre marquante de J.
A. Schumpeter (1954)*, la plupart des histoires de la pense
conomique ne commencent en gnral que par quelques considrations sur
le prtendu mercantilisme, passent rapidement sur les curiosits'
physiocratiques pour ne dbuter vritablement l'examen (srieux) de
l'volution de la tho- rie conomique qu'avec les crits, jugs
absolument fondateurs, d'Adam Smith. Et avant ? Tout se passe
vritablement comme si cet avant tait enco- re, tout simplement, le
rgne de la barbarie fodale que, successeur d'une longue ligne,
Jean-Baptiste Say dnonait une nouvelle fois dans son His- toire
abrge desprogrs de l'conomiepolitique : poque pendant laquel- le
les universits, aux mains du clerg, ne s'occuprent que d'tudier la
thologie et les langues anciennes, repoussant comme dangereuses les
sciences morales et politiques. De l ces disputes de l'cole sur des
sujets qui excdent nos moyens de savoir, et dont l'effet fut de
retarder les pro- grs utiles (1828-1829, p. 543). C'est pourquoi
les crits et les controverses scolastiques se voient condamns sans
appel : ce ne fut l que vaines dis- putes et controverses sans
rsultats. Le ton n'est pas nouveau : il est mme modr. Prs d'un
sicle aupa- ravant, Montesquieu avait t plus incisif, lui qui
fustigeait les esprits sub- * Pour les rfrences entre parenthses,
se reporter la bibliographie en fin de chaque cha- pitre.
11. 16 NOUVELLE HISTOIRE DE LA PENSEE ECONOMIQUE tils qui, dans
les temps d'ignorance, sont les beaux esprits (De l'esprit des
lois, livre XXI, chapitre xx ), bien convaincu que -nous devons aux
spcu- lations des scolastiques tous les malheurs qui ont accompagn
la destruc- tion du commerce (ibid) : comment auraient-ils pu alors
en comprendre les lois ? Quant la preuve la plus manifeste de leur
incomprhension en la matire, elle reste videmment, aux yeux de la
plupart des auteurs, l'interdiction du prt intrt (doctrines de
l'usure) et les sicles de dbats anims autour de ce thme. Les
jugements rapports, bien sr, sont anciens : ils expriment l'tat
d'esprit qui prvalait largement aux poques o ils furent formuls.
Mais ces formulations mmes, en raison du renom de leurs auteurs,
contribu- rent aussi ce que cette opinion ngative ft perptue,
appuyant ainsi une ide diffuse qui a longtemps domin : celle selon
laquelle la philoso- phie moderne, les sciences politiques et,
aussi, la science conomique se seraient formes contre les ides des
scolastiques (assimiles pour l'occa- sion en un corpus plus ou
moins homogne) et en rupture avec elles. Depuis quelques dcennies,
cependant, cette ide, dj branle dans le pass, est manifestement
apparue comme fausse. Dans un certain sens, le balancier de
l'histoire est, prsent, reparti dans la direction oppose et, en
sciences humaines, il n'est plus de domaine, des droits de l'homme
aux diffrentes thories de la valeur en passant par le droit de
proprit et la thorie montaire, qui ne puisse revendiquer une
filiation, souvent direc- te, avec des ides formules dans les
nombreuses controverses scolas- tiques dont on souligne de nouveau
l'importance, la richesse et la com- plexit. En matire de thorie
conomique, la recherche fut relance il y a quelques dcennies par J.
W. Baldwin, B. W. Dempsey, B. Nelson, J. Noo- nan, J. Schumpeter
et, surtout, par les nombreux travaux de Raymond de Roover. Les
sujets les plus souvent abords sont ceux qui, majoritairement, ont
t au centre des proccupations des hommes d'glise qui crivirent
entre le xr et le xvir sicle Oa doctrine de l'usure, dj cite, dont
un important aspect couvre les dbats sur la lgitimit de la
perception d'un taux d'intrt lors des -prts d'argent ; les problmes
lis la dfinition de la nature et des fonctions de la monnaie ; les
disputes autour de la notion de -juste prix) et cela avec toutes
les incidences que ces thmes comportent. L'tat des recherches
permet aujourd'hui de tenter un premier bilan cri- tique, mme
succinct et mme si le domaine est en plein renouvellement : c'est
ce quoi s'emploie le premier chapitre de cette partie. Le second
cha- pitre largit ensuite le propos l'cole dite de Salamanque et
l'esprit de la Rforme. A l'vidence, seuls les points principaux
sont abords ici : le lecteur pourra complter son information et/ou
prendre connaissance d'interprtations diffrentes en se reportant
Barry Gordon (1975), Jacob Viner (1978), aux tudes rcentes de Odd
Langholm (1979, 1983, 1984) et S. T. Lowry (1987 b). Signalons
enfin que, malgr son caractre un peu unilatral et trs rtrospectif,
le peut ouvrage de Raymond de Roover (1971) constitue toujours la
meilleure introduction au sujet.
12. INTRODUCTION A LA PREMIRE PARTIE 17 Unefiliationavec les
ides modernes a t voque ci-dessus. Mais de quelle filiation
s'agit-il ? Car, pour l'analyse d'poques aussi loignes de la ntre,
si diffrentes dans leur logique et dans leur langage, un danger
srieux guette le chercheur : celui de tomber dans le pige de la
filiation inverse, c'est--dire celle qui, ngligeant la problmatique
propre des auteurs anciens, force les textes pour y dcouvrir des
anticipations de thories modernes. C'est le mythe, souvent dnonc,
du -prcurseur, d'autant plus dangereux que les crits des
scolastiques se prtent particu- lirement bien ce type d'illusion
rtrospective (Raymond de Roover lui- mme n'y a pas chapp). Ici,
plus qu'ailleurs, l'analyse doit donc proc- der avec prudence et
prcaution : elle requiert du chercheur une profonde connaissance de
l'environnement mental, philosophique et social des auteurs pris en
compte. L'nonc et le traitement des thmes retenus indiquent assez,
par ailleurs, le caractre souvent marginal, et toujours subordonn,
des pages qui, dans le flot des crits scolastiques, parlent
d'conomie : les proccu- pations religieuses, philosophiques,
thiques, dominent toujours, et il n'existe rien qui puisse alors
ressembler une thorie conomique', expression d'un domaine
scientifique autonome. Les activits cono- miques elles-mmes sont
encore trs largement, et directement, assujetties l'organisation
politique et religieuse de la socit et elles n'acquirent un aspect
marchand que de manire progressive et ingale. Mais la priode ne
doit pas pour autant tre nglige, au contraire. Et son intrt ne rsi-
de pas seulement en ce que les auteurs ont pu dire et faire face
ces pr- mices d'un ordre nouveau venant, peu peu, menacer les
certitudes anciennes. Il est aussi de montrer comment et pourquoi
les concepts for- gs alors peuvent tre (malgr les apparences) si
diffrents des ntres et, par la mme occasion, pourquoi les notions
modernes, spcifiques une socit de march gnralis, se prtent mal - ou
sont franchement inadaptes - l'analyse d'organisations sociales
fondes sur d'autres prin- cipes unificateurs. Il est enfin de noter
comment, par des parcours parfois directs, parfois surprenants, les
fondateurs de l'conomie politique, au sens moderne de l'expression,
ont pu se trouver, malgr tout, tributaires des dveloppements
mdivaux. Les pralables ncessaires toute analyse de ce genre,
cependant, ne doivent en aucun cas dcourager la poursuite de la
recherche ou la simple lecture de ses rsultats. Car si le mythe du
prcurseur est souvent d- nonc juste titre, c'est, tout aussi
souvent, et fort bon compte, par ceux qui se contentent
deparaphraserles auteurs. HicRhodus, hicsalta /Or, et c'est l
l'essentiel, il faut bien les interprter... Les scolastiques
eux-mmes, cependant, s'inspiraient de nombreux crits. Au premier
rang viennent, bien sr, les critures saintes ; mais cela et t trs
insuffisant s'il n'y avait eu aussi les crits patristiques, les
canons de l'glise, et, surtout, les textes de droit romain (sur
tous ces points, voir
13. 18 NOUVELLE HISTOIRE DE LA PENSE CONOMIQUE Gordon, 1975 et
1989, et Lowry, 1987 b). Une autre catgorie d'oeuvres, cependant,
se rvla fondamentale : les textes de la philosophie grecque. En
particulier, la redcouverte d'Aristote en Occident (mme au prix de
contresens dus des textes mal tablis et des traductions
hasardeuses) revtit, on le sait, une importance capitale. Aux yeux
des commentateurs, les Anciens taient-ils meilleurs cono- mistes-
que leurs lves mdivaux ? Les jugements furent quelquefois trs
ngatifs. J.-B. Say, par exemple, souligne l'vidence : ces penseurs
parais- sent avoir peu rflchi sur l'ensemble des connaissances qui
forment aujourd'hui le domaine de l'conomie politique. Les deux
seules nations qui nous ont transmis ce qu'ils savaient cet gard,
taient deux peuples guerriers, obligs d'avoir sans cesse les armes
la main (...). Leur subsis- tance, leurs accumulations taient
fondes sur la conqute et la dprda- tion. Les capitaux servaient au
luxe plutt qu' la production, et le travail ne donnait de droit
qu'au mpris (Say, ibid., p. 538). Pour ajouter, sous forme de
regret : C'est peut-tre parce que les Grecs et les Romains ont t
nos premiers, et pendant longtemps nos seuls instituteurs, que
l'co- nomie politique s'est dveloppe si tard en Europe. Sur ces
points, le juge- ment de J.-B. Say, s'il n'est peut-tre pas
reprsentatif, n'est pas trs loi- gn d'une certaine ralit. La ralit
qu'il cerne, sa manire, est celle qui a dj t voque plus haut. Plus
encore que la priode mdivale, l'poque de l'Antiquit grecque ou
romaine, dj fort large et diversifie en soi, a vu se succder des
types de socits organises sur un mode fondamentalement diffrent de
celui, fond sur le march, que nous connaissons aujourd'hui (voir
Will, 1954 ; Austin et Vidal-Naquet, 1972 ; Finley, 1973 ; et, dans
une certaine mesure, Nicolet, 1988). Il est donc inutile d'y
chercher ce qu'elle n'a pu connatre : une analyse conomique qui se
trouve tre la science d'une rgulation alors inconnue. La politique
et l'thique orientent toutes les actions, l'conomique leur est
subordonne, doit tre matrise par elles et ne se comprend que par
elles sous peine de dangereux contresens. Toute une ligne
d'historiens et de sociologues (par ailleurs longtemps minori-
taires) a montr quel point le dbat traditionnel qui consistait
savoir si l'conomie de l'Athnes classique tait dj une conomie
moderne (capitaliste) ou encore une conomie primitive tait
radicalement mal pos (Austin et Vidal-Naquet, 1972) et comment
cette question autorisait une utilisation abusive des concepts
modernes de l'conomie politique et permettait de parler, tort, de
thorie conomique- propos de passages - ou, beaucoup plus rarement,
d'crits entiers - de Platon, de Xnophon ou, surtout, d'Aristote.
Mais si le jugement de Say, rapport plus haut, n'est cependant pas
trs reprsentatif, c'est qu'il nglige les nombreux conomistes qui,
malgr tout, se sont aussi rclames des penseurs grecs. Car, pour des
raisons d'ducation, de proximit culturelle, mais aussi de
proccupations thoriques, la rfren- ce implicite ou explicite
l'Antiquit (grecque dans la plupart des cas) a tou- jours t prsente
chez ceux qui s'occupaient d'conomie politique, que ce
14. INTRODUCTION A LA PREMIERE PARTIE 19 soit au sujet du taux
d'intrt, de la monnaie, des rapports d'change, de la division du
travail ou encore de la proprit (prive ou collective). Say le
reconnat d'ailleurs lui-mme, qui attribue cette influence le
-retard- de la rflexion thorique. Le point noter, cependant, est
que de nombreux autres auteurs, et non des moindres, de Bodin Smith
en passant par Montchrtien ou Petty, ont pens diffremment : ils se
sont reports aux Anciens et en ont tir profit. L'influence ne
s'arrte d'ailleurs pas la fin du xvnf sicle. Aprs Say, la thorie
conomique s'inspirera encore de la Rpublique de Platon ou, surtout,
de Xthique Nicomaque et de la (des) Politiques) d'Aristote : Karl
Marx et Cari Menger, par exemple, en tmoignent par leurs crits.
Certains commentateurs, aujourd'hui, vont mme plus loin et
soulignent l'importance de l'hritage grec pour toute une srie de
thmes centraux de la thorie co- nomique (Lowry, 1987 a et 1987 b).
Pour ce qui concerne l'Antiquit, par consquent, et plus encore que
pour la priode scolastique, nous nous trouvons devant une sorte de
dilemme accompagn d'un paradoxe. Le paradoxe est celui d'une poque
dont plus de deux millnaires nous sparent, dont l'univers
politique, phi- losophique et mental est encore plus loign du ntre
que ne l'est l'envi- ronnement mdival, et dont pourtant tant
d'auteurs se sentent proches. Le dilemme concerne l'attitude tenir
en histoire de la pense conomique : car, si le pouvoir crateur de
la philosophie grecque s'est exerc si pro- fondment dans le temps,
si des gnrations d'crits, en matire cono- mique, ont comment ces
grandes uvres du pass et s'en sont inspires, ce fut peut-tre au
mpris d'une signification plus exacte de ces uvres, mettant ainsi
en mouvement un processus de lecture rtrospective infid- le, de
trahison cratrice dont l'importance fut certainement capitale mais
qui ne justifierait en rien l'hypothse de la prsence d'une analyse
cono- mique dans les sources considres. Le dbat, voqu plus haut,
entre historiens de l'Antiquit, sociologues et anthropologues
concerne donc galement, et au premier chef, notre discipline. Et la
difficult voque est d'autant plus aigu que se posent sans cesse des
questions pineuses de traduction de termes qui n'ont pas leurs
quivalents dans les langues modernes et qui, pourtant, sont
essentiels la bonne comprhension des textes. Les problmes de mthode
(et les scrupules scientifiques) que l'on ren- contre dans
l'analyse des textes scolastiques sont donc, ici, considrablement
dmultiplies. Les positions en prsence sont trop tranches et le dbat
est loin d'tre clos. Dans le souci d'viter les erreurs anciennes ou
les interpr- tations htives ou incompltes, nous avons donc prfr
dbuter cet ouvra- ge avec la rsurgence occidentale de la pense
d'Aristote. Le lecteur intres- s par les propos que l'on peut
tenir, du point de vue de la pense conomique, sur les textes
classiques anciens peut se reporter aux quelques titres figurant
ci-aprs dans la bibliographie et qui ont t choisis en raison de
leur reprsentativit et de leur qualit. Il verra comment, la
problma- tique radicale de Polanyi (1968,1977) et de Finley (1970),
s'oppose celle (qui
15. 20 NOUVELLE HISTOIRE DE LA PENSEE CONOMIQUE ne l'est pas
moins) de Gordon (1975) et de Lowry (1987 a et b). Il pourra aussi
approfondir les termes des dbats en prenant connaissance de contri-
butions portant sur des thmes plus spcifiques dont celui, central,
de la monnaie. Les nombreuses indications bibliographiques
supplmentaires qu'il trouvera cites dans toutes les rfrences
pourront, enfin, lui permettre de poursuivre l'analyse... pourvu
qu'il n'omette pas de se reporter aux textes originaux eux-mmes et
de confronter les traductions disponibles. Notons, pour terminer,
que l'expression conomie politique, est en partie un hritage de
l'Antiquit. Le terme .conomie' est, en effet, un emprunt du grec
oiko- nomia, lui-mme provenant de oikos(maison) et du radical nem
que l'on retrou- ve dans nomas(principe d'organisation). Le terme a
souvent t rendu en franais, outre par le mot conomie- lui-mme, par
les expressions organisation- ou .admi- nistration de la maison-,
.administration domestique- ou .administration familiale. Bien
entendu, les mots maison, et famille- sont prendre ici dans leur
accep- tion ancienne trs tendue concernant tout le domaine. C'est
d'ailleurs dans ce sens de gestion- au sens large (qui inclut les
relations entre poux, l'attitude observer avec les serviteurs et
les esclaves, etc.) qu'il est utilis par Xnophon dans son conomique
ex par le (ou les) pseudo-Aristote {Les conomiques, livres I et
III). C'est ce sens que, au xvr sicle, Etienne de La Botie tente de
rendre lorsque, sa traduction de Yconomique de Xnophon (publication
posthume par les soins de Montaigne, 1571), il donne pour titre La
mesnagerie -, le terme est issu de mesnager- et nous revient
aujourd'hui, par l'intermdiaire de l'anglais, comme management. Ds
le dpart, cependant, la question se pose du domaine d'application
de ce mot. Platon confond volontiers l'administration familiale
avec celle de la cit, l'co- nomique avec le politique : Entre l'tat
d'une grande maison et le volume d'une petite cit, demande-t-il
dans Le Politique, y a-t-il quelque diffrence au regard du
gouvernement ? (...). Par consquent (...) il est clair qu'il n'y a
pour tout cela qu'une seule science ; maintenant, qu'on l'appelle
royale, politique, conomique, nous ne disputerons pas sur le mot..
Cette assimilation est faite quelquefois par Xnophon (LesMmorables,
III), bien que ce qui passe pour son dernier crit, consacr aux
finances et l'conomie d'Athnes, porte un titre spcifique diffrent
de son conomique-, il s'agit des Reve- nus, ou Les Voies et moyens
d'accrotre les revenusd'Athnes, ou encore : Trait des moyens
d'accrotre lafortune publique. Pour Aristote, en revanche, il
existe entre les deux niveaux une importante diffrence de nature
{.LesPolitiques, livre I, cha- pitre i). La distinction est ritre
par le pseudo-Aristote au livre I de ses cono- miques et, en effet,
les livres I et III de cette oeuvre concernent bien l'administra-
tion familiale ; le livre II, cependant, peut-tre d une plume
diffrente, traite quand mme des diffrentes espces d'administration-
et des divers moyens mis en uvre par des cits ou des princes pour
se procurer de l'argent- : mais il est vrai que c'est alors
l'aspect gestionnaire li aux finances publiques qui est mis en
avant dans ces pages. Par la suite, aprs la priode florissante de
la scolastique et avec la formation des tats modernes, la ncessit
se fit sentir d'une expression susceptible de tra- duire
l'administration publique. Le cheminement vaut d'tre remarqu. Le
vocabu- laire nouveau nat dans les milieux humanistes franais en
rupture avec la scolas-
16. INTRODUCTION A LA PREMIRE PARTIE 21 tique et proches de la
Rforme en gestation. Jacques Lefvre dlitaples (Jacobus Faber
Stapulensis), notamment, avait entrepris de publier des traductions
latines nouvelles des auteurs grecs ; ces traductions taient
effectues sur des textes dbar- rasss des innombrables gloses
scolastiques, et plus srs, d'un point de vue philo- logique, que
ceux qui avaient longtemps circul. En 1506, il publie Paris des
crits d'Aristote (les Politiques) ou qui taient encore attribus au
Stagirite (les co- nomiques), avec des extraits de Platon
(Hecatonomiarum). L'ensemble est intitul Contenta. Politicorum
libri Octo. Commentarij. Economicorum Duo. Commentarij.
Hecatonomiarum Septem. Economiarum publ. Unus. Explanationis
Leonardi in ceconomica Duo. Ces traductions taient dues un autre
rudit, Leonardo Bruni, dit Leonardo Aretino. Bruni, cependant,
n'avait donn de version que des livres I (en 1420) et III (en 1421)
des conomiques, la traduction latine mdivale du livre III ayant t
simplement remanie (l'original grec avait t perdu) : ces textes,
dans le titre de l'ouvrage publi en 1506, sont dsigns par
l'expression Econo- miarum Duo. C'est dans ce contexte que Lefvre
intgre alors au recueil (Econo- micorumpuhl. Unus) une traduction
du livre II des conomiques tout en lui conf- rant, ce qui nous
intresse ici directement, un titre diifrent de celui lgu par la
tradition et plus en rapport avec son contenu : conomie publique
(i.e. cono- miarum publicarum Aristotelis liber unus). Mais aprs
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