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1420, le traité de Troyes : honteux ou audacieux ?

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Le traité de Troyes de 1420… honteux ou audacieux ?

par Jean-Jacques TIJET

…il faut que ce pays descende dans la ruine, dans la mort, à une profondeur dont rien peut-être ni avant ni après, n’a donné l’idée. Celui par qui l’étude a traversé les siècles pour se replacer dans les misères de cette époque funèbre, qui, pour mieux les comprendre, a voulu y vivre et en prendre sa part, ne pourra encore à grand-peine en faire entrevoir l‘horreur…

Jules Michelet (1798-1874) en évoquant le début du XVe siècle dans sa phénoménale Histoire de France

Le traité conclu à Troyes le 21 mai 1420 entre la France et l’Angleterre établit le roi d’Angleterre Henri

V comme régent et héritier du royaume de France – en épousant Catherine de Valois, fille du roi Charles VI et d’Isabeau de Bavière. Quant à Charles, le « soi-disant dauphin de Viennois » il est exclu de la succession et banni. Comment un roi et une reine peuvent-ils déshériter et renier leur propre fils ?

Comme cet épisode fait partie de la triste et misérable guerre de Cent Ans il nous faut revenir à ses origines et à ses faits jusqu’en 1420.

En France, des problèmes de succession

Qui aurait pu croire que, sous le règne de l’autoritaire Philippe IV le Bel (1285-1314) puis de ses 3 fils, le royaume de France aurait à subir 2 crises de succession ? Qui aurait pu croire que la lignée des Capétiens directs était prête de s’éteindre ?

Terrible histoire que celle des enfants de Philippe IV le Bel ! Le fils aîné fait mourir sa femme. La fille fait mourir son mari (Jules Michelet).

Cela commence après la mort à Vincennes du fils aîné de Philippe IV, Louis X surnommé le Hutin

(querelleur, désordonné) le 5 juin 1316 ; son fils posthume Jean Ier ne vit que quelques jours et s’éteint le 19 novembre 1316. Qui doit lui succéder ? En toute logique ce devrait être Jeanne, la fille que Louis a eue de sa première femme Marguerite de Bourgogne, soupçonnée il est vrai d’adultère et pour cela enfermée dans la forteresse de Château-Gaillard et qu’on a laissé mourir « à petit feu ». Que nenni c’est Philippe, le frère de Louis X, régent et curateur au ventre durant l’interrègne qui s’empare de la couronne. Aux Etats généraux de février 1317 (en réalité réunion de barons, de prélats et de quelques bourgeois de Paris) réunis pour valider sa nomination Philippe, devenu Philippe V, se déclare le plus droit héritier du royaume1 c'est-à-dire le plus proche parent adulte et mâle ! L’assemblée – pour se justifier et apporter un autre argument ? - s’accorde pour déclarer que « femme ne succède pas au royaume de France ». C’est d’autant plus étonnant que, peu à peu, le droit des femmes est reconnu dans la succession des fiefs ! Aliénor n’est-elle pas devenue duchesse d’Aquitaine en 1137 à la mort de son père Guillaume X ? Jeanne, l’épouse du roi Philippe IV, est devenue comtesse de Champagne et reine de Navarre en 1274 à la mort de son père Henri III et Jeanne, la propre épouse de Philippe V, deviendra comtesse de Bourgogne – à la mort de son père –

1 Jean Favier dans sa monumentale Guerre de Cent Ans

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et comtesse d’Artois – à la mort de sa mère -… pour ne citer que les principautés les plus prestigieuses. Mais il faut croire que la royauté française est d’une essence si particulière et si exceptionnelle qu’elle se situe au dessus du droit commun des fiefs comme le résume le plus célèbre chroniqueur de la guerre de Cent Ans Jean Froissart (1337-1405)… le royaume de France est de si grande noblesse qu’il ne doit pas, par succession, aller à femelle, ni par conséquent à fils de femelle…

Lorsque Philippe disparait lui-même en 1322 son frère Charles lui succède – et devient Charles IV - sans que personne n’intervienne en aucune façon alors que le défunt roi laissait 4 filles… Charles prit la couronne comme si la chose allait de soi. Nul ne pipa mot (Jean Favier).

A sa disparition, à Vincennes le 1er février 1328, sa succession pose de nouveau un problème : depuis

l’avènement du premier roi capétien Hugues Capet en 987 un roi meurt sans héritier direct - ni frère et ni fils… car l’enfant qui nait (de sa 3e femme) en avril est une fille ! Quels sont les prétendants au trône de France ?

Le premier dans l’ordre dynastique est… anglais, Edouard III, le fils d’Isabelle de France donc le petit-fils de Philippe IV le Bel et neveu des 3 derniers rois. Il n’a pas encore 16 ans et est roi d’Angleterre depuis un an.

Le second est Philippe de Valois le fils du comte Charles de Valois frère cadet de Philippe IV le Bel. C’est un cousin germain des derniers rois et – seulement – neveu de Philippe le Bel.

Un autre est Philippe d’Evreux ou de Navarre après avoir épousé Jeanne de Navarre (…mais pas plus navarraise que vous et moi) la fille de Louis X le Hutin et de Marguerite de Bourgogne. Son père est un demi-frère de Philippe IV le Bel et de Charles de Valois.

Puisque les barons réunis ne veulent pas d’un roi étranger, petit-fils de France ou non, c’est Philippe de Valois « né au royaume » qui sera choisi (le « Navarrais » est trop éloigné dans l’ordre dynastique). Il devient Philippe VI.

Ainsi se termine l’illustre lignée des Capétiens directs, commence celle des Valois qui sera nettement moins prestigieuse. Ces « rois trouvés » comme les contemporains les nommeront, ne seront pas acceptés par les rois anglais et Edouard III qualifiera Philippe VI de Valois de « soi disant roi de France ».

En Angleterre, l’affirmation d’un roi

Edouard III a été couronné le 1er février 1327 roi d’Angleterre après la destitution de son père Edouard II et son assassinat. Le couple que forment la reine-mère Isabelle et son amant Roger Mortimer, responsable de l’abdication du feu-roi et très certainement de sa mort, dirige le royaume. En octobre 1330 Edouard III se révolte, arrête Mortimer, l’accuse - à juste titre - d’usurper l’autorité royale et le fait pendre ; il exile sa mère et prend le pouvoir.

En juin 1329 il consent à passer en France et à rendre hommage à Philippe VI2. Cela se fera à Amiens le 6 juin lors d’une cérémonie grandiose et magnifique ; l’hommage est prêté pour le duché de Guyenne appartenant encore au roi d’Angleterre (ce qui restait de l’ancestral duché d’Aquitaine d’Aliénor) mais la carte de celui-ci était tellement difficile à établir que l’engagement du roi d’Angleterre en tant que duc de Guyenne a été à minima par les réserves et restrictions qu’il imposa. Il n’avait pas assez d’assurance – sa couronne est toute récente – pour chercher l’épreuve de force avec le roi de France.

Les tensions franco-anglaises

La Guyenne est une source de conflits permanents avec ses fiefs enchevêtrés – français ou aquitains -comme en Agenais et en Saintonge sujets à de perpétuels incidents. Il y avait aussi le fait que ce duché,

2 Le lien suzerain-vassal est un lien d’homme à homme : un changement de seigneur ou de vassal impose un nouvel

hommage. Dans le cas qui nous occupe, en 1328 il y avait eu et changement de suzerain (le roi Philippe) et changement de vassal (le roi Edouard) en tant que duc de Guyenne.

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appartenant à un roi-duc, faisait partie du royaume de France. Depuis presque 2 siècles l’Anglais était en France ! Dans un univers féodal cette situation n’était pas tenable : le duc de Guyenne était roi mais en Guyenne le roi c’est le roi de France. En plus, en ce début de XIVe siècle, les 2 rois étaient cousins mais l’un était fils de roi et l’autre fils de comte !

La France, et ce depuis Philippe le Bel, soutenait les barons écossais qui se rebellaient à l’autorité

royale anglaise. L’Ecosse était un royaume indépendant jusqu’à la disparition du roi Alexandre III en 1286 qui a posé un problème de succession entrainant l’arrivée des Anglais « flairant » l’aubaine pour conquérir le nord de l’île ! Est-ce la première manifestation de l’impérialisme anglais ? Pas du tout car en 1282-1283 Edouard Ier conquiert le Pays de Galles à la suite d’une bataille contre le dernier roi indépendant de ce pays. En 1334, alors que l’Ecosse – après avoir subi une défaite à Halidon Hill – est sous la domination anglaise, Philippe VI accueille la cour du jeune roi David II en France… au grand dam de son cousin Edouard.

C’est en Flandre3 que la tension est la plus sérieuse. C’est une province française : son comte, Louis de

Nevers, est vassal du roi de France. Mais ses bourgeois se montraient ardemment pro-anglais car leur source principale de revenus était le tissage de draps4 et le commerce de ceux-ci. La matière première, la laine, était importée d’Angleterre. L’Angleterre agricole et la Flandre industrielle vivaient en symbiose, l’une avait besoin de l’autre5.

A l’avènement de Philippe VI le comté est en effervescence, le petit peuple de la Flandre maritime (la région de Bruges) se révolte (il se plaint de la lourdeur de l’impôt comtal). Le comte fait appel à son suzerain qui met en déroute les milices flamandes près de Cassel le 23 août 1328 et incendie la cité.

Le pillage humiliant de leur région effectué par la soldatesque française et la menace anglaise d’interdire l’exportation des laines font basculer les Flamands dans le camp anglais.

Le déclenchement de la guerre

Début novembre 1337 arrive à Paris l’évêque de Lincoln. Il apporte à Philippe de Valois qui se dit roi de France un message de son roi Edouard III. C’est non seulement une déclaration de guerre mais également une remise en cause de la légitimité de Philippe VI.

En réalité la guerre de Cent Ans a été une guerre non seulement dynastique et bien sûr féodale mais également impérialiste comme le souligne Michelet… il s’agissait pour le roi [d’Angleterre] de la succession de France, pour le peuple de la liberté de commerce, du libre-marché des laines anglaises. Assemblées autour du sac de laine, les communes marchandaient moins les demandes du roi, elles lui votaient volontiers des armées6. Le mélange d’industrialisme et de chevalerie donne à toute cette histoire un aspect bizarre… Ces chevaliers au fond sont les commis voyageurs des marchands de Londres et de Gand…

Enfin comme la France est un pays riche, l’espérance de butin rendait la guerre populaire, et cela s’est produit à en croire Froissart… et furent les Anglais dans la ville de Caen, seigneurs trois jours ; et envoyèrent par barges tous leurs gains : draps, joyaux, vaisselle d’or et d’argent… on ne peut croire à la grande foison de drap que les Anglais trouvèrent à la ville de Saint-Lô… Louviers était grosse, riche et marchande mais point fermée et fut robée et pillée… ou encore …les Anglais trouvèrent le pays d’Auvergne où ils n’étaient jamais entrés si gras et si rempli de tous biens que c’était merveille à voir…

N’empêche qu’un royaume de 3 à 4 millions d’habitants s’attaquait à un autre… 4 à 5 fois plus peuplé !

3 La Flandre de l’époque est composée de la Flandre belge d’aujourd’hui (Bruges, Gand, Anvers), de la Flandre française

(Lille, Douai) et de la Flandre zélandaise. 4 Le drap est, à l’époque, un tissu de laine travaillé prêt pour la taille de vêtements

5 André Maurois Histoire d’Angleterre

6 Dès cette époque le roi d’Angleterre est obligé de demander des subsides à son Parlement pour faire la guerre. Consulter

mon ebook Comparaison des monarchies anglaise et française sous l’Ancien Régime

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Les principaux évènements jusqu’en 1420

La première partie de cet affrontement entre les 2 grandes puissances européennes de l’époque se caractérise par des désastres français et par de pires calamités !

L’Ecluse (bataille maritime en Flandre zélandaise7) en 1340, Crécy en 1346, prise de Calais en 1347 (qui fournit aux Anglais un point d’ancrage sur le continent… qui durera jusqu’en 1558) et Poitiers en 1356 (le roi Jean II dit « le Bon » est prisonnier et emmené à Londres) sont les principales défaites de l’ost royal – pourtant en supériorité numérique - dues à l’absence de discipline collective, à un mauvais commandement et à l’orgueil et la morgue des barons incapables de comprendre les changements militaires (le rôle important de l’infanterie représentée par des archers… non nobles). Entre ces batailles rangées, « l’ordinaire » s’organise autour de cavalcades, de chevauchées de quelques centaines d’hommes qui ravagent villes, villages et récoltes en massacrant bourgeois et paysans désarmés. Cependant sous Charles V un homme, Du Guesclin, s’avise qu’il faut refuser la bataille, laisser l’Anglais user ses forces en le harcelant ; il reprend ainsi quelques cités, une à une.

Pendant les trêves et les traités les mercenaires des 2 armées restent sur place et vivent de pillages et d’exactions au détriment de la population ; ils achèvent ainsi la ruine des villes et villages dont la plupart des habitants ont déjà subi disette et famine (à la suite d’hivers rigoureux) ! Les campagnes sont si dévastées qu’ont n’y entend plus le chant du coq ou de la poule… que personne n’y habite plus… Pour terminer la liste des épreuves subies par les régions affectées par les raids guerriers il faut mentionner les terribles épidémies de peste (1348-1349, 1361-1362, 1374-1375 en particulier) qui provoquent un véritable désastre démographique jamais atteint en Europe occidentale. Sale époque. N’oublions pas les nuisances de Charles II de Navarre (1332-1387) petit-fils de Louis X le Hutin par sa mère Jeanne (elle a été dépossédée non seulement du royaume de France mais également de la Champagne pour ne conserver que la Navarre), petit-fils de Louis d’Evreux (demi-frère cadet de Philippe le Bel) et roi de Navarre à la mort de sa mère (1349) qui, s’estimant spolié, n’aura de cesse de réclamer la Champagne… ce qui ne l’empêchera pas de la ravager et de la piller sans vergogne ; il mérite d’être passé à la postérité sous le vocable de Charles le Mauvais !

Un point politique important qu’il faut souligner et qui aura de graves conséquences dans les décennies

à venir : c’est la décision du roi Jean II le Bon de donner en apanage le duché de Bourgogne8 à son fils Philippe (1363) qui, en se mariant (1369) avec Marguerite de Flandre, héritière du comté de Flandre deviendra comte de cette province en 1384. Par des alliances matrimoniales judicieuses il est à l’origine d’un « Etat bourguignon9 » dont la puissance et le talent de leurs princes nuiront au prestige de son voisin et suzerain (pour une partie de son territoire), le roi de France.

Pour compléter le tableau et accéder au début du XVe siècle signalons un roi fou et une guerre civile. Le roi fou c’est Charles VI mais, comme il l’était d’une façon intermittente, on ne pouvait le destituer.

Gravitaient autour de lui en se disputant le pouvoir, son oncle Philippe le Hardi, duc de Bourgogne (puis après 1404 son fils Jean sans Peur10) et son frère Louis d’Orléans. En 1407 l’un tue l’autre11 ce qui

7 Devant l’estuaire d’un petit fleuve qui menait à Bruges, aujourd’hui ensablé

8 Philippe de Rouvres, descendant de la première lignée capétienne des ducs de Bourgogne est mort sans héritier. Il avait

hérité par sa grand’mère (la fille aînée de Philippe V) de l’Artois et du comté de Bourgogne (la Franche-Comté actuelle). 9 C’est en réalité un ensemble de principautés indépendantes les unes par rapport aux autres ; elles ont comme seul point

commun la souveraineté du duc (la Bourgogne, la Franche-Comté, la Flandre, le Brabant, la Picardie, la Hollande et le Luxembourg).

10 Ainsi dénommé suite à ses prouesses durant la bataille de Nicopolis contre les Turcs le 25 septembre 1396

11 Jean sans Peur fait massacrer Philippe d’Orléans à coups de hache rue Vieille-du-Temple à sa sortie de l’hôtel Barbette,

demeure de la reine Ysabeau (23 novembre 1407)

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déclenche une guerre civile (Bourgogne contre Orléans ou Armagnac12) effroyable et meurtrière (mais elles le sont toutes) dont la France sera coutumière.

L’Angleterre profite de cette situation – une France faible car divisée - et après une longue trêve, Henri

V13 débarque en Normandie en août 1415 avec une armée peu nombreuse (2 mille hommes d’armes et 6 mille archers). S’ensuit un désastre français (Azincourt : 10 mille morts, 80% de la chevalerie française décimée) transformé en carnage par la volonté du roi anglais ordonnant d’exécuter tous les Français prisonniers, blessés ou non, au grand déplaisir des barons anglais frustrés ainsi de bonnes rançons (ne croyons pas qu’ils rageaient parce que leur roi sanguinaire ne respectait pas l’éthique de la chevalerie…).

L’Angleterre avait-elle la charge de punir la France ? Le chroniqueur bourguignon Jean Le Fèvre de Saint-Rémy rapporte une conversation entre le roi d’Angleterre et le duc d’Orléans (un des rares prisonniers à ne pas avoir été occis ; c’est le fils de Louis d’Orléans prénommé Charles14 ; il restera prisonnier à Londres 25 ans…) :

…je sais bien que si Dieu m’a fait la grâce de gagner la bataille sur les Français, ce n’est pas que j’en sois digne ; mais c’est, je le crois fermement, qu’il a voulu les punir… on dit que jamais il ne s’est vu tant de désordres, de voluptés, de péchés et de mauvais vices qu’on en voit aujourd’hui en France. C’est pitié de l’ouïr et l’horreur pour les écoutants.

En août 1417 Henri V entreprend la conquête de la Normandie, s’avance vers Paris jusqu’à Vernon et

s’empare de Rouen début 1419. Seul le Mont-Saint-Michel n’a pas été pris. Paris est investi par les Bourguignons qui massacrent les Armagnacs lesquels se réfugient sur Bourges

avec le dauphin15 Charles (1418). Jean sans Peur est assassiné le 10 septembre 1419 par un partisan du dauphin Charles alors que les 2

princes parlementent sur le pont de Montereau16. Est-ce un acte prémédité ou celui d’un fidèle trop dévoué et devenu un peu trop nerveux par la tension entre les 2 protagonistes qui s’apostrophaient ? Dieu seul le sait, toujours est-il que cet évènement entraine forcément la Bourgogne dans le camp anglais.

Le traité de Troyes, les faits

La Cour, celle de Charles VI et de sa femme Isabeau, a vécu de 1417 à 1420 – en grande partie - à Troyes, cité considérée sûre par le parti bourguignon ; elle est ainsi le siège du gouvernement alors sous la domination de Jean sans Peur puis de Philippe le Bon, son fils et successeur.

Ce dernier accepte à Arras en décembre 1419 les propositions d’Henri V : un traité de paix franco-anglais dans lequel seraient fixées ses prétentions à la couronne de France par son mariage avec Catherine, fille de Charles VI et d’Isabeau de Bavière.

Le chancelier de France Eustache de Laitre expose au Parlement de Paris, dans une séance solennelle tenue le 29 avril 1420, les conditions anglaises et… ne recueille aucune protestation.

Le duc de Bourgogne arrive à Troyes le 23 mars 1420. D’après Françoise Bibolet dans son excellent livre Histoire de Troyes, Marguerite de Bavière la veuve de Jean sans Peur, a joué un rôle déterminant dans l’acceptation des revendications anglaises par les conseillers de Charles VI et surtout par Isabeau, à qui elle promettait des revenus plus substantiels !

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Armagnac car le fils de Louis d’Orléans, Charles qui cherche à se venger, est l’époux de la fille de Bernard d’Armagnac dont les partisans formeront une ligue contre le duc de bourgogne ; ils se rallieront en 1417 à Charles le nouveau dauphin.

13 Roi depuis 2 ans. Son père Henri IV – petit-fils d’Edouard III par un de ses fils cadets Jean de Gand - avait détrôné le roi

légitime Richard II, c’est le premier roi de la dynastie des Lancastre et Richard II le dernier des Plantagenêt. 14

C’est le père du roi de France Louis XII (1462-1515) 15

Il est né en 1403 et est devenu dauphin à la mort de son frère Jean, duc de Touraine en 1417 qui fait suite à celle de son autre frère Jean, duc de Guyenne en 1415

16 C’est un pont qui “enjambe” l’Yonne, affluent de la Seine…

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Henri V, brillant chevalier de 32 ans, fait son entrée à Troyes le 20 mai 1420, accompagné d’une escorte d’importance. Dès le lendemain, dans la cathédrale St-Pierre-et-St-Paul (en construction, seules 3 travées de la nef étaient achevées mais aussi le chœur, l’abside et le transept) les 2 rois et leur suite jurent de respecter le traité de paix entre leurs 2 pays : il désigne Henri V comme l’héritier du roi de France Charles VI et lui accorde, dès maintenant, la régence et ainsi le gouvernement de la France. Au cours de cette cérémonie ont lieu les fiançailles du roi d’Angleterre et de Catherine de France (19 ans).

Le mercredi 22 mai ce sont près de 1 500 notables et bourgeois de la ville qui, toujours dans la cathédrale, sont obligés de promettre sur l’Evangile et la Croix, fidélité et obéissance à Henri V.

Le dimanche 2 juin les fiancés se marient dans l’église St-Jean-au-Marché17. Une couronne de plomb, en souvenir de cette cérémonie, sera fixée à la flèche située au dessus du transept.

Les 2 rois et reines ainsi que leurs cours quittent Troyes le 4 juin pour Paris. Henri V et Charles VI meurent la même année 1422, l’un le 31 août, l’autre le 21 octobre. Le dauphin Charles se proclame roi de France sous le nom de Charles VII à Bourges le 30 octobre… mais

il y a déjà un roi de France, Henri VI, le fils de Catherine de France – né le 6 décembre 1421 - devenu roi d’Angleterre et de France à la mort de son père !

La France est divisée : la France du nord, anglaise, du roi Henri V puis d’Henri VI, la France du midi du roi Charles VII et la France bourguignonne qui comprend également la Champagne et la Brie. Paris est soumise à une dépendance anglo-bourguignonne.

Le 10 juillet 1429 Troyes ouvrira ses portes « librement » au roi Charles VII et à Jeanne d’Arc qui peuvent ainsi se rendre à Reims. Le 17 juillet Charles VII devient, en recevant l’onction avec le chrême de la Sainte-Ampoule, le roi de France légitime.

C’est le début de la fin de l’interminable et inhumaine guerre de Cent Ans mais la misère n’est pas éradiquée et la sécurité des biens comme des personnes n’est pas encore assurée, loin s’en faut comme dans les environs de Troyes où nombre de marchands sont encore rançonnés.

Le traité de Troyes18, le détail Quelles sont les clauses de ce fameux traité – ratifié le 10 décembre 1420 par de prétendus Etats

généraux tenus à l’hôtel St-Pol (résidence de Charles VI) à Paris - qui aurait dû sceller la paix perpétuelle entre la France et l’Angleterre… ? Il faut distinguer 2 domaines.

Le premier concerne la succession de Charles VI. Le dauphin Charles, vu ses horribles et énormes crimes

et délits, soi-disant dauphin de Viennois est écarté de celle-ci. Henri V, en épousant Catherine de Valois, devient ainsi fils de roi et droit héritier du royaume ; en plus il devient dès maintenant régent du royaume.

…Par l’alliance de mariage faite pour le bien de ladite paix entre dit notre fils, le roi Henri et notre chère et aimée fille Catherine… est accordé que, sitôt notre trépas… la couronne et le royaume de France demeureront et seront perpétuellement à notre fils le roi Henri et à ses héritiers…

…pour ce que nous sommes empêchés, la plupart du temps, de vaquer aux besognes de notre royaume, la faculté et exercice du pouvoir seront à notre fils le roi Henri, notre vie durant, dès maintenant.

Le deuxième concerne l’union des 2 royaumes, dans la différence puisque le traité prévoit que chacun

conserve son identité mais à la tête de laquelle il n’y aurait qu’un seul souverain. …Les deux Couronnes de France et d’Angleterre à toujours et perpétuellement demeureront ensemble

et seront à une même personne qui sera, pour le temps, roy et seigneur souverain de l’un et de l’autre royaume, en gardant toutefois, en toutes autres choses, à l’un et à l’autre royaume ses droits, libertés ou coutumes, usages et lois, non soumettant en quelque manière l’un desdits royaumes à l’autre…

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Ainsi dénommée car les célèbres foires de Champagne se tenaient autour de cette église 18

Les 31 items du Traité de Troyes (traduit en français de l’époque car il a été rédigé en latin) sont disponibles sur gallica.bnf.fr (Les grands traités de la guerre de Cent Ans). Il figure dans les textes des chroniqueurs de l’époque comme le Religieux de St Denis, Monstrellet, Jouvenel des Ursins, etc.

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En aucune manière il ne s’agit d’une fusion des 2 pays, puisqu’ils conservent, l’un et l’autre, leurs institutions. Par contre on peut évoquer une « double monarchie » avec un seul roi à la tête de celle-ci… mais rien n’est dit sur la gouvernance de cette « doublette » !

Le traité de Troyes, que faut-il en penser ?

Quelle est la valeur de ce traité ? Dans l’Ancien Régime la royauté n’appartient pas au roi ; celui-ci n’a pas le droit de modifier les lois

organiques et coutumières du royaume qui veulent que la succession au trône est fixée de mâle en mâle par ordre de progéniture. Ainsi il n’a pas le pouvoir de choisir son successeur puisque son fils aîné l’était de droit. Il sera facile pour les juristes dans les années à venir – avec les victoires du roi légitime Charles VII car fils de Charles VI - de déclarer ce traité nul et sans valeur ! (En réalité on oublie que la Couronne, à l’origine, était élective ; l’hérédité au profit de l’aîné est due à l’autorité des premiers rois capétiens qui, de leur vivant, avaient imposé aux barons de leur royaume la reconnaissance de leur fils aîné comme roi et de le faire sacrer19. Mais comment, en mai 1420 à Troyes en territoire « bourguignon », réunir une assemblée de princes et nobles, représentative des grands féodaux du royaume ?).

Quelle a été la réaction des contemporains ? Le peuple, dans son immense majorité, n’en peut plus de la guerre et souhaite la paix et l’ordre, d’où sa

grande passivité. Sauf à Paris où, le 1er décembre, les 2 rois et les 2 reines accompagnés du duc de Bourgogne font une entrée solennelle dans l’allégresse générale… Jamais princes ne furent reçus à plus grande joie… d’après le Bourgeois de Paris, il est vrai très bourguignon ! Peut-être faut-il croire que les acclamations étaient destinées, non seulement à la paix si longtemps espérée mais également à Charles VI toujours très aimé dans l’imaginaire populaire.

Peu de mouvements de résistance eurent lieu. Notons cependant le refus de quelques grands bourgeois troyens – et surtout riches – de contribuer à des impôts levés par les Anglais ou de participer à la garde des portes de leur cité. Ces révoltes traduisent peut-être une certaine agitation populaire : auraient-ils eu cette attitude si le peuple ne les avait pas soutenus ?

A Dijon, le 19 février 1422 les échevins refusent de prêter serment au roi Henri V malgré la demande pressante de leur duc Philippe le Bon. Finalement ils acceptent mais écrivent sur le procès verbal qu’ils agissaient sur le commandement du duc. Cette réticence exprimée par les notables dijonnais, peu soupçonnables de faire partie du camp armagnac, en disait long sur le sentiment des Français20.

A Paris, les habitants - après leur accueil chaleureux envers le roi anglais – déchantent rapidement : le chômage est important, le petit peuple a faim et se plaint, non seulement de la ladrerie des Godons en comparaison de la générosité des Valois21 mais surtout d’une paralysie économique due en grande partie à l’insécurité qui empêche les bateaux de naviguer sur la Seine et les chariots de circuler sur les routes – ainsi les foires et marchés ne peuvent avoir lieu.

Certains chroniqueurs de l’époque essaient d’expliquer le traité sans le dénigrer comme le Religieux de Saint-Denis dans sa Chronique de Charles VI ou comme d’autres anonymes (Journal d’un bourgeois de Paris par exemple) : ils se rejoignent pour estimer… qu’il n’y avait pas d’autres solutions pour faire la paix ou que c’était le moindre des maux (sous-entendu : l’alliance avec les Anglais était plus sage par rapport à celle avec les Armagnacs qui faisaient tous les maux en tyrannie et en cruauté).

Est-ce que ce traité, qui nomme un Anglais comme roi de France, aurait fait prendre conscience au

« peuple du royaume de France » qu’il représentait « une nation » c’est à dire une communauté d’individus regroupés autour d’un certain nombre de valeurs ?

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Louis VIII avait été en 1223 le premier roi sacré… après la mort de son père Philippe II Auguste (selon Jean Favier). 20

Gérard de Senneville dans son livre Yolande d’Aragon, la reine qui a gagné la guerre de Cent Ans. 21

Les Godons est un nom donné aux Anglais (tiré de leur juron préféré God dam) ; les Valois donnaient beaucoup et régulièrement aux pauvres lors de toutes manifestations royales à Paris.

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Peut-être, si la « valeur » est le rejet de l’Anglais comme le montre le cri désespéré du prieur des Carmes de Noyon …Oncques Anglais ne fut roi de France ni ne sera… et si on considère que la « France anglaise » est synonyme de misère et de détresse par cette expression Que les Anglais quittent le pays, les brigands disparaitront…

Non, car il m’apparait que les liens féodaux et les alliances entre familles princières sont plus déterminants pour créer des liens entre des groupes d’individus plutôt que la notion de « nation » encore un peu vague. C’est encore trop tôt même si le lien féodal manant/seigneur est de plus en plus mal perçu et respecté car le chevalier n’assure plus la protection physique de ses paysans.

Par contre nous pouvons faire une constatation : de cette époque datent une certaine identité française construite sur le combat contre l’envahisseur étranger, l’éveil des consciences nationales et une défiance qui divisera les peuples anglais et français pendant des siècles.

Un traité honteux… ? Ce n’est pas l’union de la France et de l’Angleterre qui est en cause mais la succession dynastique dans

le royaume de France. Indiscutablement le traité est humiliant, scandaleux pour le dauphin, exclu, banni et renié. C’est beaucoup. Dans le monde féodal la succession d’une principauté de beau-père à gendre est fréquente et ne pose pas problème… dans le cas d’absence d’un fils ! Comme les droits du dauphin Charles ne sont pas reconnus on laisse à penser qu’il n’était pas « le fils de son père ». Ainsi commence la déplorable rumeur sur la bâtardise du dauphin qui influencera son caractère – timoré, craintif, indécis - jusqu’à ce que la Pucelle lui avoue qu’il est vrai héritier de France…

Le mot « honte » ou l’adjectif « honteux » est bien souvent associé au traité de Troyes. Pour les chroniqueurs ou historiens de l’époque, certains – les partisans de Charles VII - ont déjà employé le mot, mais indirectement comme Jean II Juvénal des Ursins (1388- 1473) – issu d’une famille de notables d’origine troyenne – prélat, diplomate et historien qui écrit …vous devriez être honteux de vous aider du traité… [sous-entendu, pour déshériter le dauphin] qu’il qualifie d’incivil et déraisonnable.

Mais d’après un érudit troyen, Gérard André, membre de la docte Société académique de l’Aube, qui a fait un travail de recherche considérable – en analysant près de 70 textes historiques sur la guerre de Cent Ans - le « honteux traité de Troyes », expression devenue aujourd’hui quasiment mécanique, apparait pour la première fois dans le Journal Encyclopédique ou Universel du 1er octobre 1765 sous la plume de Pierre Rousseau, son fondateur22. Il commente un chapitre d’un ouvrage Histoire de l’Angleterre de David Hume en écrivant …il [David Hume] rapporte le honteux traité de Troyes…

Gérard André comptabilise près de 20 textes qui mentionnent « honte » ou « honteux » sans tenir compte de termes similaires comme « inique », « funeste », « indigne » et « odieux ». Par contre il constate que c’est à partir de la fin du XVIIIe et surtout dans le courant du XIXe siècle que les historiens font le rapprochement du traité de Troyes avec l’exécration des 2 « ennemis héréditaires » de la France, l’Allemagne et l’Angleterre : le royaume de France aurait pu être absorbé par l’Angleterre à cause de la trahison et de l’avidité d’une reine d’origine germanique. Une bonne raison pour devenir « honteux » !

Quant au fameux Michelet, après avoir insisté sur l’époque calamiteuse …la lassitude était extrême, les souffrances inexprimables… il évoque un traité monstrueux où le roi proclamait le déshonneur de la famille, où le père proscrivait le fils… Il utilise le vocable « honteux » uniquement lorsqu’il rapporte le terme le plus blessant du traité …Ce mot honteux, soi-disant dauphin, fut compté à la mère. Isabeau de Bavière se fit assigner immédiatement deux mille francs par mois, à rendre sur la monnaie de Troyes.

Le réputé historien de l’Ancien Régime Frantz Funck-Brentano (1862-1947) dans son livre intitulé Le Moyen Âge écrit …L’alliance est cimentée entre Bourguignons et Anglais. La reine Isabeau et le pauvre roi dément Charles VI sont en leur pouvoir. Ainsi fut amené l’horrible traité de Troyes…

Plus récemment Jean Favier dans son célèbre et très documenté livre, La guerre de Cent Ans, n’utilise pas ce terme. Il met l’accent sur l’étrangeté de l’époque …Bien des esprits furent troublés par l’affaire. Cela

22

C’est un périodique scientifique, destiné à propager les Lumières, apparu pour la première fois le 1er

janvier 1756, édité à Liège pour éviter la censure française.

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ne s’était jamais vu. Mais il y avait tant de choses que cette génération voyait et qui eussent surpris les contemporains de Charles V. Un roi qui déshéritait son fils, c’était inouï. Mais avait-on déjà ouï parler d’un roi fou…

… ou audacieux ? C’est l’union des couronnes de France et d’Angleterre qui est qualifiée d’audacieuse. Si elle avait

perduré elle aurait été le point de départ d’une collaboration politique – et le début d’une union européenne ? - qui aurait empêché, on peut le supposer, un certain nombre de tensions et d’affrontements – directs ou indirects – entre ces 2 puissances mondiales qui ont été fréquents au cours des siècles à venir… c’est le moins que l’on puisse dire. C’eut été un facteur primordial d’équilibre en Europe et un gage de paix puisque l’on sait que la base de la politique étrangère de l’Angleterre, après la guerre de Cent Ans, a été d’empêcher la France 1) à devenir hégémonique sur le continent et 2) de prospérer dans le monde. D’autre part on peut imaginer aussi que le régime parlementaire anglais – « balbutiant » au XIVe siècle mais quand même avec 2 chambres, celle des Lords et celle des Communes qui votaient les impôts mais ne légiféraient pas - aurait influencé la gouvernance de la monarchie française pour qu’elle devienne moins absolue. Est-ce crédible… car comment imaginer la France d’aujourd’hui sans le Révolution de 1789 ??!! En tous les cas je ne crois pas que, par ce traité, la France soit livrée à l’Angleterre ; il y aurait eu, je pense, un certain équilibre qui aurait dépendu du bon vouloir des peuples concernés ; mais c’était en 1420 déjà trop tard : Anglais et Français étaient devenus irréconciliables. Méditons la règle de politique étrangère appliquée par George Washington, premier président des Etats-Unis d’Amérique et rapportée par André Maurois dans son Histoire des Etats-Unis …Traitez toutes les nations avec bonne foi et justice. Des antipathies permanentes, invétérées contre certains peuples doivent être exclues. La nation qui s’abandonne à une haine constante pour une autre nation se fait, dans une certaine mesure, esclave… La dernière phrase de cette réflexion s’applique, on ne peut mieux, à la relation France - Angleterre à travers les siècles.

Il est quand même étonnant de constater aujourd’hui que, lorsque la France est « au fond du trou »,

l’Angleterre vient à notre secours ! Ainsi le 16 juin 1940, alors que l’armée française est au bord de l’effondrement durant la campagne de

France du mois de mai, le gouvernement français (le Président du conseil est Paul Reynaud), réuni à Bordeaux reçoit de Churchill une proposition d’union indissoluble des nations française et britannique : réunies en une seule entité avec des organismes communs pour la défense nationale, la politique étrangère, les finances et l’économie. Les citoyens français recevront la jouissance de la citoyenneté britannique et les citoyens britanniques recevront celle de la citoyenneté française. Les 2 Parlements seront fusionnés et un seul Cabinet de guerre aura en charge la direction des opérations.

Dans ce cas et contrairement au traité de Troyes, la France et la Grande-Bretagne ne seront plus à l’avenir 2 nations mais une seule, appelée l’Union Franco-britannique. Selon Yann Potin dans son Traité de Troyes, le rêve oublié d’une paix perpétuelle23, l’initiative de cette proposition reviendrait à Jean Monnet dont les raisons étaient de défier la débâcle, de rendre espoir et énergie à ceux qui souhaiteraient poursuivre la lutte et continuer à défendre la Justice et la Liberté contre l'asservissement à un régime qui abaisse l'homme à vivre une vie d'automate et d'esclave. Elle aurait eu ses origines lors d’une conférence à Londres tenue au mois de janvier précédent par Jean de Pange, célèbre médiéviste et défenseur du réalisme de la « double monarchie » inventée à Troyes en 1420.

La surprise passée, ce projet, selon le Président Albert Lebrun, reçoit un accueil très mitigé et tombe dans une sorte d’indifférence car seuls Paul Reynaud et lui-même le soutiennent. Quelques heures plus tard le Cabinet sera démissionnaire et le maréchal Pétain24 – qui avait combattu le projet – sera désigné

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Article paru dans Histoire du monde au XVe siècle sous la direction de Patrick Boucheron

24 …au jugement du vieux maréchal, le caractère mondial du conflit, les possibilités des territoires d’outre-mer, les

conséquences idéologiques de la victoire d’Hitler n’entrèrent guère en ligne de compte. Ce n’étaient point là des choses qu’il eut l’habitude de considérer… selon Charles de Gaulle

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pour former un nouveau gouvernement dont la première décision sera de demander un armistice à l’Allemagne. De Gaulle quant à lui, y était favorable à court terme mais ne croyait pas à sa pérennité. Personne n’a envisagé quelle aurait été la réaction de Hitler si cette union franco-britannique avait été mise en œuvre…

Conclusion Le royaume de France, proche du délitement - et qui aurait pu disparaitre dans le chœur de la

cathédrale de Troyes - se rétablit peu à peu. La réconciliation franco-bourguignonne en 1435, la reconquête des provinces perdues (la Normandie en 1450, la Guyenne en 1453) et les Godons « définitivement boutés » hors de France (sauf Calais) mettent un terme à cette funeste guerre franco-anglaise : le traité de Troyes est devenu caduc. Ceux qui avaient juré de le respecter – en particulier le duc de Bourgogne – font appel à d’éminents légistes et à des théologiens réputés pour établir que, dans son essence, le traité est nul et sans valeur : les clauses avaient été inspirées par un roi fou qui, en plus, n’avait aucun droit de choisir son successeur. Au nom du pape, tous les signataires du traité furent déliés de leur serment25. Henri VI peut toujours se revendiquer roi de France – il a été sacré dans la cathédrale de Paris le 16 décembre 1431 -, personne ne le reconnait.

En réalité c’est durant la période napoléonienne qu’il est mis un « point final » au traité de Troyes ! En mars 1802 le traité d’Amiens est signé entre la France et le royaume uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, il n’est plus question du royaume de France et d’Angleterre (mais d’après Jean Favier dans son livre Les Plantagenêt, c’est Georges Ier au début du XVIIIe qui cesse de porter le titre de roi de France et d’Angleterre) et en 1806 la couronne de plomb située sur la flèche de l’église St-Jean-au-Marché, témoignage et symbole du mariage d’Henri V avec Catherine de France, est enlevée… par la destruction de son support pour vétusté ! Ainsi plus rien ne ravivent les souvenirs de ce très particulier traité de Troyes à la fois « honteux » et « audacieux ».

Conclusion personnelle sur la guerre de Cent Ans A l’issue de la guerre de Cent Ans, l’Angleterre malgré sa défaite est « riche » et la France malgré sa

victoire est « pauvre » ! L’Angleterre, « riche » au sens propre car elle n’a pas subi sur son territoire les affres et les ravages de

la guerre : l’aisance de toutes les classes de la population est constatée par les voyageurs ; « riche » au sens figuré car le peuple se sent désormais invulnérable dans son île et regarde les autres nations avec un certain mépris d’autant plus qu’il considère les lois anglaises supérieures puisqu’elles lui procurent une grande liberté, en étant jugé sans arbitraire et en ne payant que des impôts consentis.

La France, « pauvre » car son état est lamentable, nombreuses sont les terres en friche et les fermes abandonnées, son commerce périclite car la sécurité sur les routes n’est plus assurée. D’après Pétrarque …le royaume le plus opulent n’est plus qu’un monceau de cendres… Le paysan français vit d’une façon misérable et en plus il paie, depuis une ordonnance de Charles VII en 1439, un impôt direct, la taille – il est vrai consenti à l’origine par des Etats généraux mais qui sera reconduit par la suite systématiquement sans accord des Etats. Ce n’est qu’à la fin du XVIe-début du XVIIe siècle que la population française retrouvera plus ou moins (plutôt moins que plus) son niveau antérieur à 1350 (Fernand Braudel dans son Identité de la France).

Sources (les principales et dans le désordre)

La guerre de Cent Ans, Jean Favier

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En 1435 avant le traité d’Arras sur la demande du duc de Bourgogne - très scrupuleux – qui craignait le parjure en reconnaissant comme roi de France Charles VII

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Yolande d’Aragon de Gérard de Senneville Histoire de Troyes de Françoise Bibolet Histoire d’Angleterre d’André Maurois

Histoire de France de Jules Michelet Histoire du monde au XVe siècle, textes rédigés sous la direction de Patrick Boucheron La vie en Champagne d’avril-juin 2014 : L’audacieux traité de Troyes par Gérard André