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Dispositifs pour la reconstruction de Beyrouth – Analyse comparée des cas de la reconstruction de centre-ville de Beyrouth (1991-aujourd'hui) et de la reconstruction de Haret-Hreik,

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Dispositifs pour la reconstruction de Beyrouth – Analyse comparée des cas de la reconstruction de centre-ville de Beyrouth (1991-aujourd'hui) et de la reconstruction de Haret-Hreik, banlieue sud de Beyrouth (2006-aujourd'hui)

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Dispositifs pour la reconstruction de Beyrouth – Analyse comparée des cas de la reconstruction de centre-ville de Beyrouth (1991-aujourd'hui) et de la

reconstruction de Haret-Hreik, banlieue sud de Beyrouth (2006-aujourd'hui) Eric Verdeil, CNRS, Environnement Ville Société, Lyon

Reconstruction de centre-ville de Beyrouth (1991-aujourd'hui) Reconstruction de Haret-Hreik, banlieue sud de Beyrouth (2006-aujourd'hui)

Contexte Le centre-ville de Beyrouth (120 ha), espace commercial majeur de l'agglomération jusqu'à 1975, et espace public symbole de la coexistence religieuse au Liban, était situé sur la ligne des combats pendant la guerre civile (1975-1990). Il a subi de profondes destructions (40% des 2000 biens-fonds sont totalement irrécupérables), et son activité commerciale et tertiaire a pratiquement complètement interrompue, d'autres pôles commerciaux s'étant réorganisés. Ses habitants ont en grande majorité fui le secteur. Des réfugiés s'y sont illégalement installés. Deux tentatives de reconstruction (1977 et 1982_3) se sont traduites par des plans de transformation mais à l'exception de la démolition de certains secteurs considérés comme trop endommagés, n'ont pas donné lieu à réalisation. En 1990, à la fin des combats, on compte environ 120.000 ayants droit (propriétaires, locataires), pour partie absents du pays. La moitié des parcelles mesure moins de 250 m², 20 % moins de 100 m². Ce profond morcellement et l'importance des destructions sont perçus comme une difficulté majeure appelant une solution radicale de grande ampleur.

Contexte En juillet-aout 2006, la guerre des 33 jours menées par Israël contre le Hezbollah se traduit en particulier par la destruction pratiquement totale d'un périmètre d'environ 40 ha. Environ 260 immeubles sont totalement détruits, et environ 1000 sont touchés à des degrés divers. Environ 30.000 familles sont privées de logement à la fin des combats. Ce quartier de banlieue était le bastion social et politique du Hezbollah, abritant en particulier la plupart de ses institutions (ce qui explique sa destruction impitoyable). Une bonne partie des immeubles construits durant la guerre civile n'ont pas respecté la loi de la construction, notamment du point de vue de la hauteur. X immeubles dépassaient les 6 étages théoriquement autorisés (en moyenne, 10 étages). Ces immeubles en contravention avaient été régularisés après guerre par le versement d'amende.

Contexte politique et économique En 1991, la reconstruction est lancée dans un contexte de rétablissement de l'Etat dans ses prérogatives. Mais ce dernier doit faire face à la reconstruction de tout le pays, avec des ressources financières limitées et une administration à reconstruire. La situation de la municipalité de Beyrouth est à l'avenant. Alors que les projets de reconstruction de 1977 et de 1983 mettant en avant cette institution et la direction générale de l'urbanisme (ministère des Travaux publics) pour coordonner la

Contexte politique et économique Le Hezbollah, parti national religieux, domine politiquement la banlieue sud à la population très majoritairement chiite. Au sortir de la confrontation avec Israël, il revendique la victoire (de fait il a opposé une forte résistance et n'a pas été détruit) mais les destructions et les victimes touchent essentiellement la communauté chiite: il existe un risque que cette population ne le juge in fine responsable de leurs malheurs. Le Hezbollah se doit donc de tout faire pour regagner la confiance de ses

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reconstruction, il est décidé en 1991 de faire appel au secteur privé afin de réserver les ressources de l'Etat (et des bailleurs de fonds) pour des chantiers qui risquent de ne pas attirer l'investissement privé. Dans le contexte de restructuration de l'administration, le secteur privé est aussi justifié par la classe politique en raison de sa plus grande efficacité. Rafic Hariri, homme d'affaires saoudo-libanais et l'un des artisans politique du retour à la paix civil, avait depuis 1983, à titre de mécène et d'investisseur potentiel, financé divers travaux et études relatifs au futur du centre-ville. Ses idées inspirent les choix effectués pour la reconstruction du centre-ville. En 1992, il est appelé comme premier ministre et il exerce cette fonction jusqu'en 1998, puis de nouveau de 2000 à 2004. Dans cette fonction, il est un artisan majeur de la reconstruction, supervisant et facilitant les décisions nécessaires à l'avancement du projet.

électeurs. D'autre part, le Hezbollah est dans l'opposition au gouvernement libanais, même si alors certains ministres Hezbollah participent encore au gouvernement. En novembre 2006, ces ministres s'en retirent. Dès lors, et jusqu'en mai 2008, le dialogue entre le Hezbollah et le gouvernement est quasiment impossible, ce qui va peser sur les choix d'urbanisme. Sur le plan international, le gouvernement est globalement soutenu par les pays occidentaux et les pays arabes modérés (sunnites), alors que le Hezbolah reçoit l'appui financier, militaire et stratégique de l'Iran et de la Syrie. Le Liban reçoit d'importantes promesses d'aide (1,5 milliards de dollars promis en aout 2006 pour la reconstruction, 7 milliards pour des réformes structurelles en janvier 2007).

Parti d'aménagement Le projet de reconstruction du centre-ville vise une modernisation radicale de l'espace. Cela se traduit d'abord par de très amples destructions (près de 80% des biens-fonds sont rasés, seuls sont gardés deux secteurs à caractères historiques, quelques grands immeubles récents et quelques bâtiments à caractère patrimonial). La modernisation passe par une mise aux normes internationales des infrastructures de transport et de (télé)communication, par un aménagement maîtrisé de l'espace public, ainsi la mise en avant d'une architecture aux standards internationaux. La trame viaire régularise l'ancien tissu, notamment en élargissant les principales artères et en réalisant plusieurs percées. Du fait de la libération de la grande majorité des lots, une restructuration foncière est prévu. Les déblais des démolitions sont jetés en mer où des dépotoirs d'ordure avaient été créés durant la guerre. Un vaste remblai (60 ha) s'ajoute à la surface à reconstruire. A noter toutefois le refus de réaliser un transport en commun, que ni l'Etat ni la société foncière ne voulaient financer. D'autre part, le projet vise une forte densification, de l'ordre de plus du double des surfaces de planchers existantes avant l975. Il est prévu de construire 4,7 millions de m², selon une répartition indicative de 31% pour la fonction résidentielle, 35 % pour les bureaux, 17% pour le commerce et 11% pour l'hôtellerie (6% pour le reste).

Parti d'aménagement Le projet de reconstruction de Haret Hreik a été présenté par le Hezbollah, principal instigateur du projet, comme devant être très rapide, devant reloger sur place les habitants et aboutir à un quartier « encore mieux qu'avant ». Ces options étaient d'emblée des critiques explicites des choix opérés pour la reconstruction du centre-ville. Le parti d'aménagement a consisté à reconstruire à l'identique, la trame viaire et le parcellaire restant inchangés. Ce choix permettait de gagner beaucoup de temps sur les études, rendait inutile un nouveau schéma d'aménagement, et donc aussi les négociations entre le gouvernement et le Hezbollah. Le principe est donc la reconstruction d'immeubles de même gabarit et pratiquement, ayant la même implantation sur la parcelle. Les seuls éléments de changement étaient, à la marge, une plus forte hiérarchisation de la trame viaire, quelques réaménagements ponctuels dans le stationnement (y compris la réalisation de quelques parkings souterrains) et le verdissement par des arbres d'alignement. Un débat a brièvement eu lieu pour proposer d'autres options, impliquant une baisse de la densité du projet, un système de transport rénové, une articulation revue avec le reste de la ville. Même des options de remembrement limité ou de simples transferts de densité d'une parcelle à l'autre pour améliorer notamment l'ensoleillement ont été refusé.

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Maîtrise d'ouvrage Une loi de 1991 institue la création pour les sites concernés par la reconstruction après la guerre de sociétés foncières privées, assumant le rôle d'aménageur, dont le capital est constitué pour deux tiers des apports en nature des ayants droit (qui reçoivent en échange des actions) et pour un tiers d'actionnaires extérieurs. Le gouvernement autorise par décret la création de cette société et valide par décret également le schéma directeur dont la société foncière doit assurer la création. Dans la pratique, un comité de pilotage réunissant les principaux actionnaires pressentis a supervisé l'élaboration du schéma directeur. L'aménageur désigné est propriétaire de l'ensemble des terrains obtenus en échange d'actions. Il procède à la réalisation des infrastructures et lotis les terrains. Il peut lui même exploiter ou vendre à des promoteurs. Il coordonne dans le temps les travaux. A l'origine, son mandat était fixé à 25 ans (ultérieurement il passe à 75 ans). La société SOLIDERE a été créée en 1994. Acquisition du foncier et montage financier Après des négociations plus ou moins opaques, certains propriétaires (en général de grands biens-fonds) ont obtenu le droit de récupérer leurs biens et d'échapper ainsi à l'échange obligatoire contre des actions de la société. De même, les institutions cultuelles et l'Etat ont également été exemptées. Les biens des autres ayants droit ont été évalués par le juge des expropriations et ont reçus en compensation de leurs avoirs des actions négociables à la bourse de Beyrouth. Le principe même de l'évaluation des évaluations avait été considéré par injuste par une partie des ayants droit. L'évaluation des prix a subi de fortes critiques, la commission en charge ayant été considérée comme inféodée au gouvernement. A noter qu'après une très flambée du prix des actions, les prix ont fortement décliné. A la création de la société, une souscription publique a été lancée (650 millions de dollars). Elle était réservée en priorité aux ressortissants libanais et en second lieu aux Arabes. La très grande majorité était libanais, souvent issus de la diaspora.

Organisation juridique, financement, coordination Le projet ne faisant pas l'objet d'un plan d'aménagement spécifique, il n'a pas fait l'objet d'un montage juridique unitaire officiel. Les propriétaires reçoivent individuellement une compensation de la caisse des déplacés, sur la base forfaitaire de 53.000 dollars par unité de logement détruites et 32.000 pour les logements endommagés. Il leur revient théoriquement de prendre leurs dispositions avec leurs copropriétaires pour reconstruire leurs immeubles. Dans la pratique, le Hezbollah a créé Waad (qui signifie en arabe la promesse), une branche de l'association liée au parti Jihad el Binaa (l'effort de la construction). Cet organisme a pour vocation de coordonner les travaux. Les propriétaires remettent à cet organisme leurs indemnités et lui délèguent par un simple accord devant notaire la tâche de la reconstruction. De facto, au moins 85% des propriétaires auraient accepté de mandater Waad pour la reconstruction. Le restant a choisi de reconstruire par eux-mêmes (16 immeubles). D'autre part, le cout global de la reconstruction dépasse les sommes versées par le gouvernement (180 millions de dollars). Le surcout (220 millions de dollars) est assumé par Waad, apparemment sans réclamer aux propriétaires de contribution supplémentaires. A noter que le Hezbollah a déjà versé, après la guerre, une somme de 12000 dollars par famille pour se loger dans la période de reconstruction.

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Gouvernance du projet Solidere gère le projet dans toutes ses dimensions. Elle sélectionne les investisseurs, étudie avec eux les plans de leur immeuble et leur accorde un pré-permis. Les investisseurs doivent ensuite obtenir un permis de construire de la municipalité de Beyrouth. L'accord de Solidere sur un projet implique la construction. En cas de non réalisation dans un délai convenu, l'accord de vente est annulé (afin d'empêcher la spéculation et afin que l'aménageur contrôle l'affectation des lieux). Dans la pratique, les rapports avec la municipalité se sont révélés difficiles à partir de 1998 : cette institution était réputée proche des opposants à Hariri et d'autre part, son staff s'était renforcé. Plusieurs projets, dont un vaste centre commerciale de 100.000 m² a été retardé pendant plus de dix ans. Par ailleurs, plusieurs amendements relativement mineurs au SD ont été adoptés au conseil des ministres. L'un des principaux changements a été la décision de construire un gigantesque mosquée sur la principale place du projet, sur décision de Rafic Hariri alors Premier ministre. Puis, après son assassinat, un terrain voisin a été acheté pour y aménager son mausolée.

Gouvernance du projet Le projet est très étroitement contrôlé par le Hezbollah. Même les municipalité de Haret Hreik, pourtant liée au parti, n'a pas pu imposer son point de vue face au parti. Le parti a prétendu que l'opération avait donné lieu à un processus poussé de consultation des habitants. Mais aucune procédure formelle n'a été réellement mise en place, plusieurs observateurs ont au contraire fait part de pression sur les habitants pour accepter les solutions proposées par Hezbollah. La consultation des habitants a porté uniquement sur les détails de l'aménagement intérieur des appartements. La principale difficulté concerne le statut des logements reconstruits. En effet, les travaux ont été effectués sans permis de construire. On se rappelle que la plupart des immeubles détruits étaient en contradiction avec la loi de la construction (dépassement du nombre d'étages en particulier). S'ils avaient été régularisés, la loi ne permettait pas leur reconstruction à l'identique. Une demande de régularisation à posteriori a été présentée au Conseil des ministres mais n'a pas encore été approuvée. D'autre part, il semble aussi que le versement des indemnités de certains propriétaires est entravé par des irrégularités concernant le statut de certains biens, mal enregistrés au cadastre.

Bilan – Avancement Près de 20 ans après le début des travaux, les réalisations sont impressionnantes et de qualité. Mais étant donné l'ampleur du chantier, de nombreuses parcelles du centre restent vides (même si 90% des lots semblent avoir été vendus et sont donc en phase de construction imminente). Le remblai est achevé et va bientôt entrer en phase de commercialisation. Les parties réhabilitées sont d'une très belle qualité architecturale. Il n'existe pas de bilan publié concernant les surfaces de planchers construites. Sur le plan fonctionnel, il apparaît que le centre-ville est désormais exclusivement habité par des classes aisées et très aisées. Aucun programme social n'y a vu le jour. En complément, les fonctions touristiques (hôtels de luxe) et de loisirs (commerces chics et luxueux, restaurants...) se sont développées.

Bilan – Avancement A l'inverse de SOLIDERE, le projet Waad est pratiquement terminé. Selon de récents articles de presse, les environ 1000 logements endommagés ont été tous réhabilités. 214 sur 260 immeubles en reconstruction sont achevés. Les dernières livraisons sont attendues fin 2010, début 2011. Sur le plan social, le retour dans les lieux des résidents (qui peuvent aussi choisir de vendre leurs biens une fois reconstruits) est assuré au terme du projet, ce qui correspond à la promesse faite. La qualité de la construction est globalement meilleure que celle d'origine. Sur le plan politique, le parti Hezbollah a de cette manière maintenu son emprise sur le quartier (et le retard dans la régularisation des permis de construire fait de lui le principal recours des habitants).

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Le bilan social est donc celui d'un changement total de la population d'origine. Le centre-ville est aussi désormais le premier marché du bureau de la ville. La vacance n'est pas négligeable mais pas supérieure, voire moindre, que dans les autres quartiers. Solidere a généré chaque année un résultat positif, sauf en 2000, où se sont conjuguées crise économique et difficultés politiques.