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1/14 L’individualisation ou la personnalisation de la formation en entreprise? Stéphane DIEBOLD Agitateur d’idées L’individualisation est un des marronniers de la formation. Certains auteurs font remonter cette histoire à l’antiquité avec, soit les sophistes, soit la maïeutique de Socrate. C’est toujours un peu étrange de faire naître une idée à un moment précis, qui n’est au fond elle-même, que l’aboutissement d’un processus précédant. Faut-il alors remonter à l’australopithèque ou plus en amont encore, car l’animal apprend aussi de façon individuelle ? Peu importe les origines de l’individualisation, la problématique de l’un et du multiple restera au cœur des interroga- tions formatives. Acceptons sans trop s’interroger la convention qui pose la naissance de la formation contemporaine à la réforme de 1971. Et bien, dès cette réforme, l’individualisation avait droit de cité, avec son avenant de juillet 1978, qui crée le CIF (Congé Individuel de For- mation). Pour picorer des réformes autour de l’individualisation, il y a, en 2002, la VAE (Validation des Acquis d’Expériences) qui permet à chaque individu de faire reconnaître son expérience au regard des di- plômes. Mais, c’est avec la réforme du 4 mai 2004 et la création du DIF (Droit Individuel de Formation) que l’individualisation reprend toute son actualité avec la création d’un droit cumulable bien que non opposable. Et l’ANI (Accord National Interprofessionnel) du 07 janvier 2009, renforce la portabilité du DIF et se propose d’articuler DIF et CIF, autour de la sécurisation des parcours professionnels. Acronymes après acronymes, l’individualisation s’impose comme un niveau de ré- gularisation de plus en plus pertinent, encore faut-il s’entendre sur les enjeux organisationnels de ce paradigme. C’est ce que nous envisage- rons à travers deux modèles différents de déploiements, l’individualisa- tion et la personnalisation de la formation. Quels sont les différences et les modes opératoires?

L’individualisation ou la personnalisation de la formation en entreprise ?

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L’individualisation est un des marronniers de la formation.Certains auteurs font remonter cette histoire à l’antiquité avec, soit les sophistes, soit la maïeutique de Socrate. C’est toujours un peu étrange de faire naître une idée à un moment précis, qui n’est au fond elle-même, que l’aboutissement d’un processus précédant.

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L’individualisation oula personnalisation

de la formationen entreprise?

Stéphane DIEBOLDAgitateur d’idées

L’individualisation est un des marronniers de la formation. Certainsauteurs font remonter cette histoire à l’antiquité avec, soit les sophistes,soit la maïeutique de Socrate. C’est toujours un peu étrange de fairenaître une idée à un moment précis, qui n’est au fond elle-même, quel’aboutissement d’un processus précédant. Faut-il alors remonter àl’australopithèque ou plus en amont encore, car l’animal apprend ausside façon individuelle ? Peu importe les origines de l’individualisation,la problématique de l’un et du multiple restera au cœur des interroga-tions formatives. Acceptons sans trop s’interroger la convention quipose la naissance de la formation contemporaine à la réforme de 1971.Et bien, dès cette réforme, l’individualisation avait droit de cité, avecson avenant de juillet 1978, qui crée le CIF (Congé Individuel de For-mation). Pour picorer des réformes autour de l’individualisation, il y a,en 2002, la VAE (Validation des Acquis d’Expériences) qui permet àchaque individu de faire reconnaître son expérience au regard des di-plômes. Mais, c’est avec la réforme du 4 mai 2004 et la création duDIF (Droit Individuel de Formation) que l’individualisation reprendtoute son actualité avec la création d’un droit cumulable bien que nonopposable. Et l’ANI (Accord National Interprofessionnel) du 07 janvier2009, renforce la portabilité du DIF et se propose d’articuler DIF etCIF, autour de la sécurisation des parcours professionnels. Acronymesaprès acronymes, l’individualisation s’impose comme un niveau de ré-gularisation de plus en plus pertinent, encore faut-il s’entendre sur lesenjeux organisationnels de ce paradigme. C’est ce que nous envisage-rons à travers deux modèles différents de déploiements, l’individualisa-tion et la personnalisation de la formation. Quels sont les différences etles modes opératoires?

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SOMMAIRE

I. Quelles sont les nouvelles exigences liées à l’individualisation? 02Les NBIC et la puissance infinie.L’obsolescence accrue des connaissances.La massification de l’individu.

II. Comment cibler l’individualisation en entreprise? 04Le marketing formatif, la stratégie push/pullLa construction d’un projet d’individualisation de la formationL’univers de l’immédiateté

III. Comment produire une formation ciblée? 08Le mix formatif

La production de formationLa communication formativeLa distribution de formation

Les 5 étapes du développement marketing

IV. Le modèle de personnalisation de la formation 11Le service de formation n’est pas la formationLes nouveaux comportements formatifsLa nouvelle place de la formationLes 3 modes opératoires de la personnalisation

PARTIE 1 :Quelles sont les exigences nouvelles liées à l’individualisation ?

Une des premières nouveautés est la règle de l’abondance. Comme le dit Jean-Michel Cornu,« aujourd’hui, il y a plus de puissance informatique dans une simple carte de vœux musicalejouant happy birthday que sur l'ensemble de la planète en 1950 ». Depuis 1965, en informa-tique, la loi de Moore montre que la puissance des systèmes double tous les 18 mois, et s'im-pose comme un phénomène dominant. La formation est touchée directement par cette virtuali-sation avec la généralisation de la e-formation dans le processus d'individualisation (pureplayer ou en blended learning ) Mais la virtualisation va beaucoup plus loin puisque d'ores etdéjà les avatars formatifs existent, avec des systèmes fermés, ou ouverts, sur le modèle de«life», et demain, l'avatar laissera la place aux cyborgs qui assureront une nouvelle interfaceentre l'homme et la machine avec ce que l'on appelle la réalité augmentée. L'individu peut àtout moment être accompagné ou formé en fonction des situations qu'il rencontre. Déjà l'intel-ligence artificielle forte permet de créer des robots qui apprennent et particulièrement de leursinteractions avec l'homme pour mieux le comprendre et lui apporter ce dont il a besoin avantmême qu'il ait eu besoin de le demander. Le Sobot (Software Robot) avec une personnalité

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numérique opérationnelle sera sur le marché dès 2050. La puissance de l'individu n'a d'égaleque celle de la machine et de son interface. Nous n'en sommes qu'au début. Joël de Rosnayparle déjà de l'ère de l'abondance.

Jean Michel Cornu considère que chacun va pouvoir tirer profit d’un nouveau gisement depotentialités que sont les NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et Cogni-tions) et on en aurait pour au moins 30 ans de croissances ininterrompues, si on sait s’y pren-dre. Cette nouvelle approche va permettre de répondre au paradoxe que Jacques Attali avaitsoulevé au Comité mondial pour la formation tout au long de la vie, en 2008 : on parle beau-coup d’innovation pédagogique et pourtant si l’on compare le temps nécessaire pour ap-

prendre une langue étrangère ilfaut exactement le même nombred’heures qu’il y a 20 ans. Si oncompare avec d’autres secteurscomme la santé, on peut considé-rer qu’il y a productivité puisque,chaque année, la durée de viemoyenne de chaque individu necesse de croître. Il propose doncd’ouvrir la porte à une industrienouvelle de l’apprentissage quidégagerait de véritables gains deproductivité grâce aux NBIC.L’industrialisation des apprentis-sages va permettre à l’individud’acquérir une puissance jamaiségalée.

L’innovation accroît et cela setraduit par une accélération del’obsolescence des connais-sances. L’institut Manpoweravait calculé qu’aujourd’hui laconnaissance technique, tous sec-teurs confondus, doublait tous les7 ans. En 2030, le doublement sefera…tous les 72 jours. Ces sta-

tistiques renouent avec d’autres de l’UNESCO qui au bout de 10 ans stipulaient 80 % descompétences initiales étaient devenues obsolètes. Certains organismes de formation se propo-sent de répondre à la situation, comme ce leader de la e-formation qui proposait de faire faceun « taux d’obsolescence de 3 ans » des savoirs, innovation marketing ? Oui, mais pas seule-ment, la réalité est là, même s’il y a une dramatisation marketing. Le monde s’accélère et lesavoir-faire aussi. Ce lieu commun a une conséquence importante sur l’organisation de la for-mation. Traditionnellement si un individu veut être formé il doit en faire la demande à son(N+1) pour qu’il valide la demande et qu’il la transmette au responsable de formation. Ce der-nier devra centraliser la formation, lancer un appel d’offre auprès des prestataires et enfin ap-porter une réponse ad hoc. Dans le meilleur des cas, la connaissance technique a encore dou-blé. Il est donc nécessaire de réduire le circuit de décisions et la meilleure façon de le réduirec'est de redonner à l'individu la possibilité de choisir lui-même sa formation. L'auto-

INDIVIDUALISATION OUPERSONNALISASTION,LE CHOIX DES MOTS

La terminologie est intéressante pour lever une ambi-guïté. De quoi s’agit-il ? L’individualisation vient éty-mologiquement d’indivisible. Tout comme l’étymolo-gie de l’atome, il s’agit du plus petit élément indivi-sible qui sert de fondement ou de brique élémentaireau système. Ainsi, l’individualisation consiste à orga-niser les individus en vue de produire un collectif.L’individu est pensé dans son rapport au groupe, celase traduit par une réification de l’individu. Alors quela personnalisation raisonne à partir du sujet ou de lapersonne, au sens étymologique, les masques, c'est-à-dire l’être qui se cache derrière plusieurs figures. Lapersonnalisation focalise sur l’être qu’il y a derrièreles postures sociales. La personnalisation conduit àla singularité. Comme on le voit, le choix des motsconduit à un choix de projet formatif.

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prescription formative est une réponse au besoin de réagir rapidement dans un monde erra-tique.

La difficulté de l’organisation des connaissances est de savoir comment former des individus,par définition différents, pour créer une démarche collective fédérative. Cela nous ramène à lanotion de masse au sens sociologique du terme c'est-à-dire une agglomération d’individus quin’ont comme déterminant commun que d’être ensemble. Comment piloter cette masse d’indi-vidus ? Pour valoriser ce concept traditionnellement dévalorisé, James Surowiecki a dévelop-pé la notion de masse intelligente, en prenant l’exemple suivant. En 1906, Francis Galton, enGrande-Bretagne, lors d’une exposition agricole avait pour la première fois, a son insu, dé-montré l’existence de foules intelligentes. Il avait demandé à chacun d’évaluer le poids d’unbœuf. Les spécialistes se sont d’un côté exprimés et de l’autres les badauds, près de 800 per-sonnes. Les experts n’ont pas réussi à estimer approximativement le poids de la bête alors quela moyenne arithmétique de l’ensemble des propositions des badauds a trouvé à 1 livre près lepoids exact de l’animal. On pensait que la foule était immature et enfantine, Francis Galtonnous apprend qu’elle est experte. Une masse d’incultes permet de construire une culture d’ex-pertise. La politique d’individualisation n’a plus besoin de structurer la masse, l’équilibre est« spontané », ce n’est pas sans nous rappeler Adam Smith. Les individus non enfermés dansdes savoirs suivent mieux les «faibles» de l’environnement. L’individualisation et la massifi-cation des individus dans un environnement virtuel sans limite et l’obsolescence accrue, né-cessite de repenser la formation en entreprise pour assurer un pilotage qui répondent aux en-jeux contemporains.

PARTIE 2Comment cibler l’individuel en formation ?

C’est tout l’enjeu d’un concept nouveau, le marketing de la formation. Nouveau dans le sensoù il ne fait pas appel aux référentiels de compétences traditionnelles de la formation. Vendrela formation, a-t-il un sens ? La question est culturellement iconoclaste, car dans le paradigmedominant, chacun n’aspire qu’à progresser, et la formation est le levier naturel du progrès.L’appétence formative devant être naturellement donnée et non pas à construire par l’entre-prise. Or, nombre de responsables de formation se retrouvent dans la situation suivante, aprèsavoir créé une formation qui répond à un besoin, les stagiaires ne sont pas au rendez-vous. Ilfaut les motiver au sens premier, les mettre en œuvre, les faire agir pour qu’ils assistent à laformation. Pire les enquêtes d’opinions montrent qu’ils sont favorables à la formation et que« s’ils pouvaient… ». La relation entre les obligations des apprenants et les propositions duservice de formation ne sont pas aussi évidentes qu’il y parait. Comment faire?

Avant de répondre à la problématique, une remarque liminaire s’impose. La politique d’indi-vidualisation ne peut pas souffrir l’absence de pilotage, il est donc nécessaire de construire unsystème d’information et un tableau de bord de l’individualisation. Il s’agit d’ailleurs d’uneobligation légale. Chaque individu est en droit d’exiger la délivrance de son passeport de for-mation qui reprend l’ensemble de ses expériences formatives. L’industrialisation du passeportnécessite un système d’informations individuelles satisfaisant. Il est donc nécessaire de créerun data mining, que l’on qualifie souvent de relation employé ou d’ERM (Employe Rela-tionship Management). L’individualisation ne peut plus être que relationnelle par opposition àl’individualisation transactionnelle. Au lieu de s’intéresser aux évènements séquentiels de lavie professionnelle d’un collaborateur comme l’embauche ou l’évolution de carrière. On relie

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l’ensemble de ces évènements pour créer une relation cohérente autour d’un parcours indivi-duel. D’ores et déjà Google fait une forte publicité sur un algorithme qui anticipe les attentesde ses cadres avant qu’ils y pensent. Cette relation employé devient leur outil pour la politiquede bien-être de l’entreprise. L’individualisation ne retire rien au pilotage centralisé, bien aucontraire. C’est d’ailleurs, la raison pour laquelle la CNIL intervient régulièrement… bien queponctuellement.

Qu’il soit relationnel ou transactionnel, le marketing formatif devient un outil pertinent,mieux un avantage concurrentiel pour ceux qui l’utilisent avant les autres. Le marketing estdans son acceptation la plus fonctionnelle, la mise en relation entre une offre et une demande.La notion de marketing pose problème toutefois, car le fait de considérer la formation commeune marchandise, c’est-à-dire une chose marchande peut choquer certaines cultures qui asso-cient formation et promotion sociale, dans un acte politique. Sous réserve de cette remarque,

le marketing est un outil de ré-gulation entre l’offre et la de-mande.

Laissons de côté les interroga-tions ontologiques, le marketingest un outil qui analyse les at-tentes des apprenants, ou futursapprenants, les prospects, et per-met ainsi de construire une offrede formation en relation avec lesfuturs bénéficiaires. La relationoffre/demande positionne l’ana-lyse de l’individualisation dansune relation interactive push/pull : pousser un produit de for-mation et tirer les attentes indi-viduelles des apprenants. Unmarketing réussi est lorsque larencontre a eu lieu et qu’elle ré-pond aux contraintes écono-miques de l’entreprise. Regar-

dons de plus prêt ce que cela peut recouvrir comme réalité, commençons par l’analyse de lademande.

L’analyse de la demande n’est pas neutre. Il s’agit d’apprendre à connaître ses interlocuteurs,la fameuse étude de marché. Le moment privilégié de cette analyse est l’évaluation annuelle,et/ou l’entretien de professionnalisation, demain peut-être le bilan d’étape professionnel. Maisavec la génération zapping, l’interactivité est au mieux faible. C’est la raison pour laquellecertains proposent toute une batterie de baromètres sociaux de satisfaction avec des tech-niques de choix aléatoires. D’autres proposent le blog d’entreprise qui permet davantage deconnaître l’état d’esprit à un instant donné. Mais cela suppose que chacun puisse s’exprimerlibrement dans les entreprises, là où la dictature du politiquement correct fait souvent loi. Latraçabilité devient une problématique pour l’entreprise avec l’interrogation sur l’alimentationdes bases de données. Qui doit tracer ? L’entreprise ? L’individu ? Ou un mixte ?

FORME OU APPRENANT,LE CHOIX DES MOTS

Les appellations pour rendre compte de l’individu oula personne en formation ne sont pas neutres. Tradi-tionnellement, on parlait de « formés », et avant en-core, d’instruit, aujourd’hui, on parle de moins enmoins de «formés» pour lui préférer le terme « l’ap-prenant ». Le « formé » est un participe passé quirend compte d’un individu passif dans sa formationalors que « l’apprenant, verbe d’action, parle d’unindividu acteur de sa formation. Avec l’apprenant,chacun est responsable et autonome au sens d’Emma-nuel Kant. L’apprenant construit sa propre dyna-mique qui conduit au progrès de tous.

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Revenons aux comportements individualisés : comme le remarquait Robert Putman, pour lasociété américaine, la société se désagrège. De la même façon, en France, le même phéno-mène s’observe, les individus ont des cercles d’amis de plus en plus restreints. Ce constat està nuancer, les personnes ont de moins en moins d’amis physiques mais de plus en plus d’amisvirtuels. La relation se virtualise. D’ailleurs même les associations d’individus connaissent cephénomène, leur nombre explose grâce à Internet mais les associations se virtualisent. Lesindividus n’assistent plus régulièrement à leurs réunions, traditionnellement les deux tiers desmembres y assistaient, aujourd’hui seulement un tiers fait l’effort du contact physique. Lesindividus ne se rencontrent plus physiquement. En formation, cela a ouvert les formations àdistance : pourquoi réunir les individus quand on peut avoir des classes virtuelles ? Les neu-rosciences donnent une explication intéressante autour de la perception de la confiance. Etpourquoi imposer des moments communs quand chacun peut travailler à son rythme ? L’ob-jectif de la formation quand je veux et où je veux sera de plus en plus possible grâce aux sup-ports nomades. La m-formation (mobile formation) s’impose comme segment à part entière età terme devrait poser la question du support sous un angle complètement différent. Le poten-tiel formatif des individus est infini.

Mais plus le potentiel est grand, plus la place du choix est important et dans un monde où lavisibilité est faible, cela pose un problème de taille. Comment l’individu peut-il choisir dansun monde sans visibilité ? C’est un peu comme si, faute de savoir collectivement, on deman-dait à l’individu d’assumer le poids de la responsabilité. Il est responsable, donc en casd’échec coupable… Il est à rappeler que si la GPEC est obligatoire pour les entreprises deplus de 150 salariés, cela ne garantie en rien la qualité de l’analyse qui est prévisionnelle etnon prospective et encore moins sur la gestion de ces orientations, qui pour une large part estdevenu un outil de gestion en direction des partenaires sociaux. Bernard Masingue a très tôtsoulevé le problème de l’orientation tout particulièrement dans le cas de démarche indivi-duelle. Il a proposé une prise en charge par les pouvoirs publics de ce travail d’orientation etd’information autour de cette problématique, créant ainsi une externalité dans le choix indivi-duel du collaborateur. Faute de cette prise en compte, Monique Benaily propose la créationd’un DIO (Droit Individuel à l’Orientation), sur le modèle du DIF, qui d’ailleurs conjuguéavec un bilan de compétences permettrait à chaque individu de construire des projets forma-tifs sans en avoir à supporter l’ensemble du poids individuellement.

Le problème n’est pas tant de motiver les collaborateurs au changement, selon une étude ré-cente sur les salariés européens, 74 % songent à se reconvertir. Chacun a compris que dans unenvironnement incertain il était nécessaire d’aborder le changement. Les trois quart veulentbien changer mais il n’est pas facile de passer du rêve à la réalité. Il est nécessaire de rappelerque toujours selon les sondages, 50 % des français ne se projettent pas, dans le sens ne cons-truisent pas de projet. On ne voit pas très bien pourquoi soudainement, ils devraient le fairedans le domaine de la formation. D’ailleurs, cette attitude est généralisée avec les jeunes gé-nérations qui selon Michel Mafesoli, développent une stratégie opportuniste qui est particuliè-rement efficace en situation de crise. Les salariés d’Arcelor Mital avaient une entreprise quigagnait de l’argent, une dynamique forte, une garantie de l’état représentée par son chef, unengagement de son dirigeant, et pourtant… à quoi sert alors de faire des projets ?

Sur cette lignée, si l’on regarde de plus prêt la réalité des entretiens professionnels, eux quidevaient être un moment de coproduction individuelle privilégié, s’est révélé au final d’uneplatitude saisissante… pour quoi faire ? L’orientation, c’est bien mais encore faut-il construirel’accompagnement du projet au DIO, il faudrait rajouter un DIA (Droit Individuel à l’Accom-pagnement). Sortons des acronymes pour dire que l’entreprise doit réfléchir aux modes opéra-

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toires qui permettraient d’individualiser la formation autour d’une démarche projet, le coa-ching s’inscrit dans cette démarche avec les mêmes remarques que précédemment. Ce n’estpas parce qu’on sait où on doit aller qu’on va y aller. C’est tout le problème du passage àl’acte. Combien de fumeur savent que c’est nuisible, se disent même qu’il faudrait arrêter etqui pourtant fument toujours ? La construction d’un projet individuel en formation n’est pasune chose aisée pour un individu. Et il n’y a aucune raison pour que le projet soit la seule voied’adaptabilité. On ne peut pas imposer aux individus de se construire une nouvelle formed’exigence sans leur donner les moyens de son application. C’est ce qu’Yves Saint Arnaudappelle le changement assisté, le bilan d’étape pourrait devenir cet outil d’accompagnementpour la création d’un futur individuel. Or qu’est-ce qu’on observe aujourd’hui ?

L’entreprise, comme la société, est devenue l’univers de l’immédiateté ? Tout ce gère dansl’immédiateté avec une perte de profondeur et de distance… c’est l’actualité de l’actualité. Ildevient de plus en plus difficile de hiérarchiser ses activités, de dégager ses priorités. La tech-nologie renforce cette immédiateté. Ainsi, les courriels et les fameuses listes de diffusion, l’onse retrouve en copie de sujets qui ne nous concernent pas et si on rajoute les SPAM alors lapremière activité au bureau est la gestion des mails ; ou encore le sentiment d’urgence, avecles outils nomades chacun peut en wifi se connecter sur des hot spots pour recevoir et en-voyer, non seulement ses mails mais aussi ses présentations en temps réel, comme avec le té-léphone portable, concentré de bureau mobile, l’ordinateur permet d’être joint en tout pointpour traiter tout sujet, alors pourquoi s’organiser, si l’on oublie quelque chose, il suffit de seconnecter. Tout comme il existe le fast-food qui répond au besoin d’immédiateté de la fonc-tion de nutrition, il est important de penser au fast-training, des formations faciles à digérer,avec les mêmes débats qu’a connus la cuisine : « mal formation, comme la mal bouffe, neremplacera pas la formation », et la même réponse « cela assure quand même de la formation». Autrement dit la formation ne peut être que polymorphique et c’est dans l’articulation deces formes que l’individu pourra trouver le parcours qui lui convient le mieux.

Dans ce cadre là, la courbe en U renversée permet de nous donner un éclairage intéressant.Les neurosciences nous indiquent que pour optimiser la performance formative, il est néces-saire d’éviter deux écueils, l’ennui et l’anxiété, dans les deux cas l’apprentissage sera aumieux de qualités médiocres. L’optimum permet de capter l’attention, c’est pour cela que lesformations développent des contenus de plus en plus ludique, à forte composante de dévelop-pement personnel dans des univers formatifs qui deviennent des aventures personnelles.L’innovation pédagogique doit répondre à cette demande et le présentiel prend toute sa di-mension dans la cadre de l’individualisation, le collectif est le meilleur moyen de motiver etde créer un événement affectif, une cristallisation diraient les ethnologues, qui fonde l’action.Et l’individualisation de la formation ne sera qu’un produit dérivé de ce moment de cristalli-sation. C’est en cela que l’on peut comprendre la remarque d’Edgar Morin quand il appelaitde ses vœux le fait que la formation sorte du tout rationnel pour développer une complémen-tarité affective, une formation humaine en quelque sorte. Comme disait la chanson, « qu’onme donne l’envie, l’envie d’avoir envie ». Et c’est du rôle de l’organisation de la formationindividuelle que de penser la motivation, cœur de la réussite de tout projet formatif indivi-duel.

Si l’étude de marché de la formation est importante, elle permet surtout de proposer un mixformatif qui correspond au mieux aux attentes de l’individu. Le mix formatif composé d’unproduit, d’une communication et d’une distribution. Comme dans toute définition de mix mar-keting, l’ensemble des signaux doivent être cohérents sinon l’individu, in fine, n’adhèrera pasau mix. Faute d’adhésion individuel, il reste toujours la décision d’autorité, mais là encore

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l’efficacité ne sera pas au rendez-vous dans le sens où l’effort pour imposer s’inscrit mal dansun monde où tout bouge y compris les règles. L’autoritarisme sera classé dans les outils d’unautre âge, c’est ce qu’Alain Renault appelle la fin de l’autorité, conçu comme la fin de l’auto-ritarisme et le début de l’autorité coproduite, un nouveau mode de régulation à construire.

PARTIE 3Comment produire de la formation ciblée ?

La réponse passe par la création d’un produit au sens élargi pour reprendre Théodore Levittou d’un mix qui présente une cohérence de l’ensemble des signaux des éléments qui la com-posent.

Le produit. Il doit être attractif, c’est tout l’enjeu des formations spectaculaires. L’usage despédagogies décalées par rapport à la norme (et qui deviennent, de plus en plus, la norme)comme le théâtre, l’improvisation, l’opéra, le chant, le dessin, … montre que tout est bon pourapprendre. Il est interdit d’ennuyer l’apprenant. Mais encore faut-il ne pas confondre spec-tacle et pédagogie. S’il s’agit de faire impression, pourquoi ne pas f aire venir un YannickNoah ou un Zinedine Zidane, les personnalités préférées des Français ? L’impact sera assuré,même avec un propos fade. La mémorisation forte, tout le monde se rappellera de la forma-tion comme « la formation Zidane » et s’il s’agit de cohésion d’équipe avec le fait de partagerune expérience commune, comment faire mieux, même les dirigeants retrouvent leur âme demidinette ? Mais si on parle d’apprentissage… Donner du poisson à quelqu’un qui a faim n’apas le même sens que de lui apprendre à pêcher. Les organisateurs de formation doivent réin-vestir le champ pédagogique pour réaliser un produit impactant, il est nécessaire de travaillerle contenu de la formation ainsi que les modes d’apprentissages. Par exemple, une formationvente nécessite de s’interroger sur le contenu, quelle relation client l’entreprise développe etanticipe ? Et le multicanal ? Si la prospection se fait dans le hard en appel sortant, commentarticuler mail, site, phoning ? Et pour le phoning, il y a l’argumentaire prédéfini… autant dequestions essentielles en amont de la création. Mais aussi sur les modes d’apprentissages. Sil’on reste sur le phoning, la qualité vocale est importante, alors pourquoi pas la chorale pourapprendre à poser sa voix et ainsi gagner en assertivité ou encore la sophrologie ou la médita-tion pour poser son souffle ? Tout est bon. Le tout, c’est d’associer l’aventure personnelle etl’efficacité pédagogique. Sortir de l’ennui sans jamais entrer dans l’anxiété. Le créateur deformation devient un créatif de formation.

La communication. Pour reprendre la notion de cohésion, le premier argument est le produit :apprendre à chanter pour mieux vendre, deux bonnes raisons d’adhérer à la formation, deuxproduits en un, dirait un communiquant, et ainsi, développer l’appétence. Dans un monde lu-dens, le ludique est une clé d'entrée, mais aussi une compétence transversale sur l'apprendre àapprendre. Un produit ne communique qu'à travers son plan de communication. Prenonsl'exemple des catalogues, « développer son assertivité en situation professionnelle » est untitre à destination des seuls organisateurs de formation, alors que « en autorité en moins dedeux minutes » s'adresse à ceux qui veulent résoudre un problème rapidement, même si lecontenu de la formation est le même, tout est une question de savoir mettre en commun. Ils'agit de passer de la réclame plus ou moins efficace à la publicité de la formation. Tout est àconstruire. Aujourd'hui, par exemple, le pair à pair ou la communication virale est particuliè-rement impactante. Le catalogue peut proposer des photos de stagiaires, qui ont vécus le stageou le pilote avec leurs identifiants : noms, fonctions, lieus, et de présenter leurs avis sortis de

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formation. L'impact est fort ; « lui l'a fait ». Le passage à l'acte est plus facile. La communica-tion doit aussi s'inscrire dans la culture de l'entreprise.

La distribution de la formation. Les enquêtes montrent que 61 % des informations sur la for-mation sont données par le (N + 1), et 20 % par le catalogue (physique ou virtuel) et souventavec cette dernière information, le collaborateur se retourne vers le (N + 1). Autrement dit, 81% de l’information formative passe par le management de proximité. Le manager de proximi-té doit être l’allier de la formation pour que le produit formatif soit distribué efficacement etsuscite l’adhésion individuelle. Or le manager de proximité est déjà fortement sollicité pourêtre le relais opérationnel de la qualité, des RH, de la finance, de la vente, de la motivation, eton ne sait quoi encore. La concurrence est rude. La formation se doit de construire et d’animerles relais formatifs, et la meilleure solution n’est pas de leur imposer une contrainte supplé-mentaire mais de leur apporter des solutions à leur problème. Le responsable de formationdoit être à l’écoute et accompagner le manager dans une posture de coach ou de consultant,savoir construire un réseau, au sens premier du terme, un filet d’entraide favorise la réciproci-té. D’ailleurs, cette ligne hiérarchique est aussi un espace de détection des difficultés indivi-duelles, si elle accepte de veiller, le responsable de formation a davantage de visibilité pourhiérarchiser les priorités de chacun au vue de l’intérêt de l’entreprise. Mais rien n’est sponta-née, tout est à construire.

L’ensemble de cette démarche push / pull est dynamique. Pour capter l’individu, il faut nonseulement lui proposer un mix qui réponde ou qui suscite ses attentes mais encore multiplierl’actualité de la formation, sinon, l’individu se lasse, l’immédiateté de la formation. Il s’agitde développer un plan approprié à la culture de l’entreprise, un plan d’événementiels. A tropen faire on lasse, à en faire trop peu on se fait oublier. Le spectaculaire est un nouveau modede communication qui prend ses quartiers en entreprise.

Concrètement, comment faire ? Quels sont les étapes de l’individualisation de la formation?Tout d’abord, il existe autant de procédures qu’il existe d’entreprise. Les entreprises ne sontpas monolithiques même si parfois, on le dit, il s’agit surtout d’une posture pédagogique. Celane nous empêche pas de dégager quelques pistes d’action génériques.

1. Impliquer la direction

L’individualisation de la formation est un projet qui implique toute l’entreprise, l’implicationdes plus hautes instances est un signal fort donné à l’ensemble des collaborateurs sur l’impor-tance que l’entreprise lui accorde.Encore faut-il s’avoir parler dans un CODIR (comité de direction). Un directeur comme sonnom l’indique définit la direction à suivre, il réfléchit en termes d’objectifs et de moyens adhoc. Prenons un exemple, un responsable de formation qui propose de développer une forma-tion dans un site de balnéothérapie aurait peu de chance d’être entendu dans un CODIR,« L’entreprise n’est pas faite pour se détendre, mais pour travailler ». C’est une question deprésentation, « de nouvelles techniques de management qui assurent une plus grande acquisi-tion des compétences en moins de temps », semble plus acceptable. Nous parlions du théâtre,la brochure d’un organisme proposait d’apprendre deux fois plus de choses dans le mêmetemps. Le pilote est souvent un moyen de calculer l’impact et de construire un argumentaireadapté, le langage de la stratégie. Il est important de ne pas confondre les objectifs et lesmoyens en œuvre. C’est toute la différence entre un directeur et un exécutant.Toutefois, sans cette implication le déploiement peut demeurer à condition d’utiliser des tech-niques de développement de projet sans autorité hiérarchique, c’est simplement plus long.

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2. Favoriser la concourance

Christophe Midler avait montré l’intérêt de cette démarche, impliquer au plus tôt les per-sonnes qui devront concourir au déploiement du projet. Ainsi, les relais formations doiventêtre particulièrement impliqués dans la démarche mais pas seulement, la communauté forma-tive (animateurs, pédagogues et organisateurs) doit aussi être mobilisée pour quelle deviennele fer de lance du projet, un commando formatif.Plus le spectacle est cohérent dans les signaux qu’il diffuse, plus l’impact sera fort. Quel im-pact aurait un formateur qui à contre courant critiquerait le projet ? Le buzz serait divergeant,on entrerait dans le débat, ce qui mettrait à plat toute tentative de teasing. Le spectacle devien-

drait la critique du projet et nonle projet lui-même.

3. Développer le planmarketing

Le plan marketing doit prendreen compte son déploiement avecl’analyse de risques et des forcesdu projet, et la scénarisation encas de plan B. L’axe principalest de conserver une cohérenceentre les différentes compo-santes du mix et le temps néces-saires au déploiement. A annon-cer trop tôt un projet, on risquede lasser, même si le teasing,technique qui consiste à tenir enhaleine est un atout important.Le projet dans la durée sera ainsitoujours dans l’immédiateté, quiest de plus en plus le temps del’entreprise; et à l’annoncer trop

tard, la «risque de ne pas prendre», faute de temps pour le buzz.

4. Développer le pilote du projet

Il s’agit du test formatif mais qu’on ne s’y trompe pas l’objet n’est pas tant de faire un testque de créer son premier événement de déploiement. Il ne s’agit pas de prendre les personnesles plus complexe de l’entreprise, qui seraient efficace en situation de test, mais de prendre les« d’opinions », les mêmes d’ailleurs qui ont dû participer à la concourance de l’étape 2.C’est un outil d’argumentaires. D’abord en direction des collègues, faire savoir qu’ils ont ap-précié, comme nous l’avons vu en communication mais aussi de créer un phénomène de rare-té. Une grande entreprise d’énergie, avait créé une école interne transversale, spontanémentpersonne n’était prêt à adhérer. Ils ont prévenu tout le monde de ne pas venir, car le nombrede place était limité et qu’un petit nombre avait déjà validé leur présence. La réaction ne s’est

L’ESCALADE DE LA FORMATION( IVAN ILLICH )

Apprendre ne signifie pas s’élever, vers quoi d’ail-leurs ? Mais d’accepter la véritable autonomie de lapersonne. Les neurosciences nous apprennent qu’ap-prendre est vital pour l’homme, tout comme se nour-rir. Sans apprentissage l’homme se meurt. Il ne vien-drait à personne l’idée, sous réserve des comporte-ments de régime, de planifier rationnellement lanourriture pour manger plus, et pourtant, c’est ce quel’on fait avec la formation. Il faut apprendre toujoursplus et l’apprentissage est qualifiée ou au moins cali-brée. Pourquoi ne pas libérer l’homme des trajec-toires formatives prédéterminées qui détruisent laspontanéité du plaisir d’apprendre ? C’est une ques-tion décalée qui ouvre des perspectives originales.

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pas faite attendre, chacun a fait jouer ses relations pour avoir la possibilité d’y assister… larareté ajoutée à une concurrence, a fait la différence.

5. L'industrialisation du pilote.

L’individualisation et sa stratégie push / pull reste toutefois très classique dans une stratégiedescendante d’organisation de la formation. Suivant la culture de l’entreprise, il peut existerune autre forme d’individualisation qui peut ouvrir voie à la singularité et donc à la personna-lisation.

PARTIE 4Le modèle de personnalisation de la formation.

A la manière d’Ivan Illich, on peut s’interroger sur l’intérêt que peut avoir une entreprise à sepasser de l’institution formative, pour en finir avec l’encadrement de la formation, en dehorsdes obligations légales. La formation n’est pas liée à l’entreprise, déjà selon Jean-Marie Lus-tringer, il existe environ un million de personnes, en France, qui en dehors de toute structurese financent leur propre formation et leur nombre est en croissance.

Il ne faut pas confondre l’institution de la formation et la formation elle-même. Le service for-mation n’est pas la formation. Il y a besoin de recréer des institutions ou services avec des in-teractions personnelles nouvelles, construire la déformation. La déformation est profitable à laformation en réinterrogeant sa raison d’être et donc sa contribution au développement de l’en-treprise. Ecartons d’ores et déjà les remarques du style : «faut s’occuper des apprenants», caron peut répondre que la formation n’est pas une résidence surveillée par les formateurs ou leservice de formation. Et qu’il ne s’agit pas de créer des détenus ou des robots apprenants.

Quelle forme la personnalisation peut-elle prendre?

Les nouvelles technologies peuvent nous aider dans cette démarche. Le modèle de Google estintéressant : avec son algorithme, il sélectionne, trie et organise les données et chacun à sonrythme tisse sa toile (« a web ») pour constituer un réseau social sans domination extérieure,chacun s’informe et se forme. De nouveaux comportements apprenants ont émergé parexemple, la « sérendipité » (néologisme anglais qui signifie « découvertes inattendues »), l’artde trouver quelque chose au détour d’une autre recherche, l’apprentissage est opportuniste,plus besoin de projets… ou encore le « sample » (l’échantillonnage en bon français), qui con-siste à prendre un morceau de ce que les autres ont écrits et d’y ajouter sa patte. De nouveauxcomportements qui s’inscrivent dans la démarche de la fast formation, facilement digérablemais aussi en y ajoutant le facilement propageable afin de faciliter la réplication. L’informa-tion circule et si l’on facilite cette circulation on développe une formation virale autoproduite.On sort ainsi du cadre de l’autoformation où l’apprenant suit une formation qui a été préparéepar quelqu’un d’autre, mais là, l’apprenant devient formateur pour apprendre.

Une question se pose alors, si tout le monde devient formateur, que deviennent les formateurstraditionnels, est-ce la fin de l’institution formative ou une simple évolution de la fonction Sitout le monde a le même statut, cela ne signifie nullement un nivellement, il existe une réellehiérarchisation. Il existe une posture intéressante, l’expert de réseau. Il fédère autour de son

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expertise dans une démarche interactive. Il suscite le buzz (ce mot vient du bourdonnementque fait l’abeille dans la ruche, on parle aussi de rumeurs ou d’humeurs), à condition de savoircommuniquer du savoir. L’expert doit partager son expertise, et c’est le partage et l’interacti-vité qui fait le buzz, et donc l’expert. Un expert classique qui sait mais qui ne partage pas, neserait donc pas un expert de réseau. Comment faire du buzz ? Tout dépend de la culture del’entreprise mais pour sortir du lot, il existe quelques règles : aborder les sujets tabous en sor-tant du politiquement correct, parler des trains qui n’arrivent pas à l’heure, aborder des sujetsdu quotidien, aborder les sujets avec humour,… c’est ce qui circule le mieux.

La communication est le cœurdu système. Prenons un exempleconnu, après les attentats duWorld Trade Center, la théoriedu complot s’est développer surle Net, pourquoi ? Parce quel’information est un jaillisse-ment, qu’elle n’est pas contrô-lable, et qu’elle circule. La ques-tion du complot est parfaitementlégitime en une telle situationmais l’absence de réponse desautorités, et des experts du ré-seau, a permis à la rumeur des’imposer comme une vérité ca-chée… « tout le monde le dit…». La participation est donc unpré requis. L’expertise n’a devaleur que si elle est partagée. Etle formateur expert retrouve salégitimité comme modérateur etcontre-point de vue grâce à saproduction partagée. L’exemplede Wikipédia est significatif,chacun peut apporter librementsa contribution et au final, lestests montrent qu’elle est aussifiable que les encyclopédies tra-

ditionnelles et en plus elle est en temps réel… La personnalisation sans contrainte permet deconstruire un collectif au moins égal aux processus traditionnels.

Dans un autre cadre, Pierre Landry, Président de l’AGRAF (Association du Groupe de Re-cherche sur l’Auto-Formation) propose de conceptualiser le phénomène autour de la notiond’autodaxie, c’est-à-dire une auto-formation qui se positionne hors de toute institution. Ilcomplète la définition par ses quatre composantes : cognitive, éducative, sociale, et expérien-tielle. L’autodidacte exploite ses marges de manœuvre au profit de son développement per-sonnel et le réseau, cela ouvre des potentialités énormes.

Mais lesquelles pour l’entreprise ? James Surowiecki a montré que les foules étaient intelli-gentes mais pas pour tout. Elles sont intelligentes pour les problèmes de cognition (définir unproblème, une solution, définir une information) et de coordination (quand il faut agir en

LES DIFFERENTS TYPES DEREGULATION PRIVE

A LA MANIÈRE DEFABRIZIO CAFAGGI

1. L'autorégulationLorsqu'il y a parfaite correspondance entre les régu-lateurs, l'appreneur et les régulés, les apprenants.

2. La régulation privée participativeLorsque les parties prenantes participent différem-ment au processus de régulation.

3. La régulation privée déléguéeLorsque l'appreneur délègue son pouvoir de régula-tion.

4. La corégulationLorsque les régulateurs appreneurs participent en-semble au processus de régulation.

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fonction des autres). Mais l’intelligence ne s’applique pas dans la coopération. L’intermédia-tion est indispensable pour que le système fonctionne et les outils de régulation privée exis-tent, comme l’illustre le travail de Fabrizio Cafaggi. Le formateur est tout à fait légitimepour assumer cette fonction de coopération. Une nouvelle perspective à la fonction de for-mation, facilitateur d’intelligence collective.

Quels sont les modes opératoires de la personnalisation de la formation ?

1. Créer l'accès aux ressources existantes

Cette étape n’est pas si aisée que cela, il ne s’agit pas de créer des bases de données surl’intranet en laissant au salarié la problématique du passage à l’acte. Suivant les études, ilexiste entre 8 et 10 millions de technopathes en France, comment faire pour qu’ils aient ac-cès à la numérisation (c’est sans aborder le problème de l’illettrisme ou l’analphabétisation).Il est à rappeler que selon Jérémy Rikfin, l’accès sera la problématique majeure des années àvenir, et de construire les coûts à l’entrée les plus faibles pour favoriser la coproduction.Un fois la problématique de l’accès résolue par l’entreprise, il reste le travail de décryptagede l’information. Cela peut prendre plusieurs formes, soit autour du fait de cerner le sujet(savoir ce que l’on sait déjà, ce que l’on aimerait savoir, définir un plan de travail, identifierles informations dont on a besoin, …), soit rechercher l’information pertinente (savoir identi-fier les sources d’information, les sélectionner, les synthétiser, …) et soit traiter l’informa-tion. Construire une cohérence dans l’ensemble des informations pour favoriser le quand jeveux et où je veux.

2. Créer des espaces de partage

Il s’agit pour l’entreprise de créer ces lieux d’échange réel ou virtuel, avec l’interrogation surla confiance, et l’apprentissage de la confiance. Une fois la confiance acquise, le collabora-teur peut se transformer en formateur de réseau, qu’est-ce qui pousse une personne à êtreproducteur ? Si l’on suit la Dominique Caron, le producteur de contenu le fait pour profiterde la publicité lié à l’échange, et cela recouvre deux réalités, la première est que le produc-teur va profiter du plaisir de l’échange, avec par exemple, le plaisir de se confronter à sespairs, et la seconde le fait de se construire une réputation, on parle déjà de e-réputation, et dela préserver… La notion de réputation est importante et versatile. Un jour ont est star, et lelendemain, on est rien… Avec Wikipedia, on peut trouver un modèle transposable, le faitque les administrateurs du réseau, les modérateurs, sont élus par les autres usagers sur labase de leur production. Les membres experts sont élus par leurs pairs. Dans ce cadre, le for-mateur pour être élus par la base sur son activité et sa production… un modèle de formateurstournants. Le partage transforme le consommateur de formation en producteur. C’est l’es-pace essentiel à la régulation. Et autre bonne nouvelle… gratuitement. En effet, les expé-riences de pécunarisation ne sont pas des succès car la monétarisation change la réputationde l’expert du réseau. Cela remet en selle des comportements comme le don ou la gratuitéautour de la formation.

3. Donner l'envie

Sans entrer dans les théories particulièrement riches de la motivation. On peut parler d’ani-mation, au sens étymologique, comme le disait Aristophane, « c’est allumer un feu ». La

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TEMNA, DirecteurGARF, Vice-président

GARF Lab., responsableETDF, Vice-présidentArt in Fine, Président

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confrontation favorise les apprentissages. C’est la rencontre qui permet les transmissions, etdonne l’envie comme l’a montré, Emmanuel Levinas ou Jürgen Habermas, dans des philoso-phies différentes. Tout formateur, apprenant dans l’échange, administrateur ou expert de ré-seau, suivant les moments. Mais pas seulement, le formateur reconnu a aussi un rôle d’agita-teur de compétences avec le mimétisme qui ne nécessite pas de domination, mais suscitel’envie de l’imiter dans une démarche similaire au monde de la mode. Il devient un créatif dela formation et l’apprenant une Fashion victime de l’apprendre.

Une nouvelle façon de penser le rapport de la personne au savoir, avec un cadre épistémolo-gique celui de Paul Feyeraband… Tout reste à construire.

CONCLUSION

On peut rejoindre Carl Rogers quand il dit que « l’individu formé, c’est celui qui a appriscomment apprendre, comment s’adapter, comment changer, c’est celui qui a saisi qu’aucuneconnaissance n’est certaine et que seule la capacité d’acquérir des connaissances peut con-duire à une sécurité fondée ». Et Gaston Bachelard d’ajouter « n’est pas acquérir une culturemais changer de culture », tout un programme dans un monde qui change si rapidement deculture. La personnalisation, comme l’individualisation, nous oblige à penser un nouveaumodèle, et cette construction est artisanal: une vraie créativité pour les formations créatricesde performances.

Sèvres, le 20 juin 2009Paru dans le Guide pratique de la formation, ESF Editions

Docteur en économie, il a débuté son parcours professionnel par la directiond’écoles de commerce puis la direction de la formation en entreprise, aujourd’huispécialiste de l’innovation formative, agitateur d’idées avec une présence sur leshot spots de la formation : conférencier, chroniqueur, auteur,...