1. 1 Mmoire de la Maison de la posie de Montral dpos dans le cadre des Consultations particulires et auditions publiques sur le document intitul : Document de consultation sur la rglementation du prix de vente au public des livres neufs imprims et numriques Commission de la culture et de lducation Septembre 2013 CCE 037M C.P. Livres neufs imprims et numriques

2. 2 La Maison de la posie de Montral et sa mission La Maison de la posie de Montral est un organisme but non lucratif qui, de manire unique dans le secteur du livre et de la littrature, runit des potes, des chercheurs et des diteurs. La posie reprsente un domaine de cration effervescent. On peut compter plus de 500 potes actifs professionnellement. La Maison regroupe notamment la plus grande part des diteurs de posie ainsi que quatre membres collectifs, soit le Centre de recherche interuniversitaire sur la littrature et la culture qubcoises, la Quebec Writers Federation, le Regroupement des diteurs canadiens-franais et lUnion des crivaines et crivains qubcois. Elle a pour mission de promouvoir la posie qubcoise, autant au Qubec qu l'tranger. Sous le parrainage de Jacques Brault et de feu Paul-Marie Lapointe, elle est ne en 1999, de linitiative dun groupe de potes et dditeurs convaincus de la ncessit de crer au Qubec une institution se donnant pour mission le dveloppement et le rayonnement de la posie. La Maison de la posie sengage : - promouvoir, faire connatre et faire apprcier la posie auprs du grand public; - soutenir la recherche et le dveloppement des connaissances sur la posie; - dvelopper et raliser des activits ducatives et de sensibilisation; - favoriser la diffusion des uvres et faire connatre le patrimoine qubcois de toutes les langues et de tous les horizons; - encourager la rencontre du public avec des potes des scnes nationale et internationale. 3. 3 Grce laide financire des institutions gouvernementales, municipales et prives, la Maison de la posie anime plusieurs activits et vnements, dont voici les principaux : - le Festival de la posie de Montral, dont la 15e dition aura lieu en 2014, accueille annuellement 200 potes et diteurs du Qubec, du Canada, dEurope et dAfrique et quelque 7000 visiteurs, ce qui en fait un festival littraire majeur Montral; - le colloque du Festival, 15 ditions en 2014 sur diverses questions proccupant les professionnels, dont les relations entre la posie et la philosophie, la traduction en Amrique du nord ou, cette anne 2013, le bilan des 25 ans dchanges avec le Mexique; - les entretiens Paroles sous le signe de lamiti, avec les potes les plus marquants de notre paysage littraire; - lactivit Potes dans la classe et la bibliothque, ralise auprs de 50 groupes scolaires au sein de commissions scolaires francophones et anglophones; - des tournes de lectures-spectacles au Qubec de mme quen France; - la srie Les Rendez-vous potiques qui reprsente 16 spectacles et tables rondes annuellement et qui se droulent alternativement Montral puis Ottawa; - et finalement, lanimation dun groupe dalphabtisation. Depuis 2008, la Maison de la posie joue un rle de chef de file dans la mobilisation du milieu littraire. Elle a coordonn les activits de la Coalition des organismes littraires du Qubec jusquen 2012 dont a rsult le Forum sur la cration littraire en 2011, et coordonne depuis 2013, le dveloppement du projet de la Littrature sur les routes. 4. 4 On ne se surprendra donc pas, que la Maison de la posie se sente doublement interpelle par le projet dun systme de prix unique du livre, auquel potes et diteurs trouveraient certes leur compte. Derrire le prix des livres, l'enjeu de la bibliodiversit La Maison de la posie de Montral donne son appui la proposition sur la rglementation du prix de la Table de concertation interprofessionnelle du livre, savoir quau cours des 9 mois suivant la parution dun livre, les commerants puissent offrir leurs clients un rabais maximal de 10% sur le prix de vente suggr et quaprs ces neuf mois, le prix soit laiss la discrtion de chaque commerant. Le livre de posie a ceci de particulier quil est un grand gnrateur dimaginaire, de culture et mme de changements sociaux. Le Refus Global de Paul-mile Borduas, ode la modernit artistique, ne peut se lire sans Le Vierge incendi de Paul-Marie Lapointe et un des pomes de Pour les mes, de 1965, Psaume pour une rvolte de terre, peut sembler trs actuel un jeune militant cologique daujourdhui. Nous relisons encore aujourdhui un Gaston Miron chant dont les pomes pousent sans peine les contours de notre Rvolution tranquille. Ne peut-on pas dire en plus que les potes ont contribu lessor de celle-ci, lalimentant en quelque sorte? La Nuit de la posie de 1970 nen porte-t-elle pas la marque, nen reprsente-t-elle pas la vive expression? Publi la mme anne de cette Nuit de la posie, LHomme rapaill, de Gaston Miron, reprsente bien le produit unique qui au fil du temps sest impos et est devenu ce que lon appelle le long seller . Malgr que la posie revte ainsi un caractre mythique, quelle semble parfois la source mme du verbe et du fait de dire; elle se prsente sous 5. 5 forme de texte imprim en grand nombre dexemplaires, un produit manufactur mais un produit culturel dexception. Le livre de posie a donc besoin dun rseau solide, compos de professionnels attentifs et empresss, qui puisse assurer prennit et rsistance aux livres essentiels que sont les recueils de posie, comme des livres dautres genres portant eux aussi lempreinte de leur poque et sinscrivant dans notre culture. Ce rseau existe lheure actuelle sous une forme que des annes defforts ont faonne et peaufine. Le livre de posie a besoin dditeurs dvous et convaincus de pouvoir trouver un public la posie, et de libraires professionnels, chevronns, fin connaisseurs de ses produits. Notre position est donc motive par le dsir de protger une structure conomique vitale au milieu, menace par les magasins grande surface et autres supermarchs qui profitent du fruit du travail des professionnels du secteur du livre pour ne prsenter que les livres confirms comme grands vendeurs, cela parfois mme en bas du prix cotant, comme produit dappel. Cette situation nfaste fait en sorte que les librairies prouvent de plus en plus de difficults financires et que plusieurs sont menaces de disparatre. Entre 1998 et 2013, le nombre de librairies agres est pass de 218 192, une diminution de lordre de 12 %. Ce qui pourrait sembler tre un effet normal de concurrence a un impact important sur le milieu du livre. En effet, comme nous le savons, les magasins grande surface et grande capacit de biens offerts ne vendent quun nombre restreint de titres mais un volume important de copies de chacun. Le fait de pouvoir ainsi couler un grand nombre de copies leur permet doffrir des rabais intressants, sans commune mesure avec ce que 6. 6 peuvent se permettre les librairies. De plus, cette offre de livres entre dans une stratgie commerciale plus large leur permettant de vendre perte un client qui achtera ncessairement un autre produit sur lequel le profit sera plus important. Les librairies ne peuvent pas se permettre dutiliser de telles stratgies. Elles ont certes thoriquement la possibilit delles aussi consentir leurs clients des rabais et rductions, mais, dans les faits, leur marge de manuvre financire est mince. Parmi les titres que lon retrouve dans ces types de magasins grande capacit, napparait en plus quun assez petit nombre de livres qubcois qui vont du roman best seller au livre de cuisine. Les librairies, quant elle, offrent un ensemble vari et diversifi de livres de tous les genres1 . Ceux-ci peuvent tre rpartis en trois catgories. Il y a videmment les best sellers, les nouveauts (30,000 titres) et une collection de livres de fonds de 750,000 titres exposs un long cycle de vente, une utilisation importante des talages et du fonds de roulement. Cest essentiellement sur les livres de la premire catgorie (et, dans une moindre part, sur ceux de la seconde) que les librairies font des profits. Il savre donc que cette capacit suprieure de ventes, que peuvent se permettre les magasins grande surface, de mme que les rabais sans prcdent quelles peuvent consentir, font peser la menace de disparition des commerces de livres offrant un ventail de titres bien plus grand. Pour ces derniers, la vente de livres nentre pas dans une stratgie visant la consommation dautres produits. Elle est lessentiel de leur mission. Le fait de ne pas se limiter seulement aux best sellers les confronte des frais importants, dans lesquels la maintenance de leur collection de livres de fond occupe une grande place. 1 20 000 30 000 titres, alors qu'un magasin grande surface ne slectionne que 200 300 titres. Chiffres donns par ALQ dans son mmoire, p. 14. 7. 7 Nombre de recueils de posie sont publis chaque anne au Qubec. Aucun dentre eux ne sest jamais retrouv sur les prsentoirs dun commerce grande capacit. Ces recueils sont plutt lapanage des librairies. Si le nombre de celles-ci en venait dcrotre substantiellement, la disponibilit de ce fond douvrages essentiels deviendrait hautement problmatique pour le consommateur. Imaginons un instant quune telle situation devienne ralit, que nous en venions une concentration telle quun bon nombre de librairies indpendantes et, partant, dditeurs, aient disparu. Il deviendrait alors assez difficile de publier un recueil de posie, ou mme nimporte quel livre ne prsentant pas les lments ncessaires pour le propulser au rang de best seller Anne aprs anne, au Qubec, ce sont prs de 125 recueils de posie qui paraissent, publis par nos diteurs agrs. Alors que le tirage normal dun roman est de 1000, celui dun recueil de posie est de 500. Avec 10% du prix du livre comme revenu, le pote nest certes pas motiv par lillusion dun gain apprciable. Il cherche donner sens au monde et aller sa rencontre, au sein le plus intime de sa subjectivit et de sa sensibilit, dans un voyage o la parole est partage et co-naissance. Qui peut mieux quun libraire, ce passeur de culture et de mots, aider cette rencontre? Fragiliser cet intermdiaire jusqu mettre nombre de librairies en danger de disparition causerait un tort irrparable la culture dici. On peut facilement envisager, sur la base de ce qui arrive prsentement dans les pays nayant aucune rglementation, que certaines petites localits perdraient leur librairie. En Angleterre, labandon du Net Book Agreement (NBA), accord interprofessionnel au 8. 8 Royaume-Uni, en septembre 1995, a entran la disparition massive de points de vente. Pour lanne 2012 seulement, 73 librairies indpendantes ont ferm leurs portes2 . En quelques annes, elles sont dailleurs passes de 1400 1000. Dans son mmoire, prsent le 19 aot 2013, devant cette commission, lAssociation des bibliothques publiques du Qubec constate que : la vente de livres rabais par les magasins grande surface est venue diminuer loffre globale dans plusieurs petites municipalits. Ainsi, dans la rgion dArgenteuil (), larrive dun Wal-Mart a entran la fermeture de la librairie agre de Lachute, ce qui oblige les Lachutois, dsireux de se procurer un livre indisponible chez Wal-Mart, se dplacer soit Hawksbury, en Ontario, environ 25 kilomtres, soit Saint-Jrme, 46 kilomtres, soit encore Sainte-Thrse (48 kilomtres)3 . Voil les consquences que peut avoir le fait de sen remettre au statu quo, pour les avantages que prsenterait le fait de permettre un magasin grande surface doffrir des rabais sur un inventaire de 227 titres sur les 30,000 nouveauts en langue franaise par anne. Par sa Loi sur le dveloppement des entreprises qubcoises dans le domaine du livre (loi 51), adopte en 1981, et sa Politique de la lecture et du livre, initie en 1998, le gouvernement a reconnu que le livre nest pas un bien de consommation comme un autre mais que celui-ci, lis intrinsquement au dveloppement culturel de toute socit. est (v)ecteurs dimaginaire, de mmoire et de savoir4 . travers toutes les intentions et 2 Rfrence rapport Gaymard 3 Association des bibliothques publiques du Qubec, LA RGLEMENTATION DU PRIX DE VENTE AU PUBLIC DES LIVRES NEUFS IMPRIMS ET NUMRIQUES : POSITION DE LABPQ, MMOIRE PRSENT LA COMMISSION DE LA CULTURE ET DE LDUCATION, ASSEMBLE NATIONALE DU QUBEC, 19 AOT 2013, non pagin. 4 Le temps de lire, un art de vivre. Politique de la lecture et du livre, Gouvernement du Qubec, 1998, p. 47. http://www.mcc.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/publications/lire.pdf 9. 9 articles des lgislations et politiques passes, le libraire apparat comme lintermdiaire privilgi, celui qui, laide de ses connaissances et de son exprience, sait adroitement conseiller les consommateurs. De mme, alors que, dans sa Politique de la lecture et du livre, il reconnat que la responsabilit de transmettre cette passion doit tre laffaire de tous et de toutes, il accorde une place prpondrante aux libraires, les plus aptes orienter les consommateurs dans leurs choix de lectures et faciliter leurs acquisitions5 . De plus, le consommateur ne pourrait en ressortir que gagnant. On a observ que : (l)e prix unique, en liminant la concurrence par le prix, a incit plusieurs librairies indpendantes dans les grands centres se moderniser, sinformatiser, et amliorer la qualit du service la clientle pour faire contrepoids la grande distribution; la concurrence se fait plutt dans la qualit des services.6 Conclusion Nous sommes convaincus que les Qubcois devraient avoir accs une diversit de livres de cration et que le maintien du rseau des librairies agres sur lensemble du territoire qubcois constitue le premier gage de la bibliodiversit. Au-del de lexistence de librairies dfendant cette bibliodiversit, et au premier titre celle de la littrature qubcoise, nous croyons que le soutien une animation autour du livre constitue le moyen de favoriser sa dcouverte. La bibliodiversit nest pas un concept fig. Le terme dsigne une ralit o les livres offerts sont varis, et ce, pendant toute lanne. 5 Le temps de lire, un art de vivre. Politique de la lecture et du livre, Gouvernement du Qubec, 1998, p. 91. http://www.mcc.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/publications/lire.pdf 6 Rapport de mission sur le prix unique du livre, Paris-Bruxelles-Londres, 21 au 31 octobre 1997, p. 7 10. 10 Concrtement cela signifie que le libraire, et parfois avec lappui des collaborateurs issus dorganismes de diffusion littraires, promeuvent et animent le livre auprs de diffrents publics. Laccs au livre et sa mise en valeur nous apparaissent indissociables. Le secteur professionnel du livre mrite que tous les gestes ncessaires soient poss afin que les consommateurs profitent rellement de la richesse de la production littraire dici. La cration littraire au Qubec, a priori en langue franaise, doit disposer de moyens correspondant la situation de la culture qubcoise, qui doit dfendre une position dexception sur le continent nord-amricain et sappuyer sur une politique et des programmes qui reconnaissent le rle prpondrant de la langue dans la cration et la rflexion culturelles au Qubec.