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L e 14 mars 2008, une journée d’étude a été orga- nisée par l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) et le Centre d’économie de la Sorbonne de l’université de Paris-I, en collabora- tion avec la Caisse nationale des allocations fami- liales. Axée autour de la comparaison des poli- tiques familiales en France et en Allemagne, cette journée a été l’occasion de confrontations entre chercheurs des deux pays, mais aussi de rencontres fructueuses avec des acteurs des politiques fami- liales et sociales. L’objectif visait à faire progresser la compréhension mutuelle de chacune des poli- tiques familiales au sein de contextes économi- ques et politiques complexes. Au regard des impor- tantes réformes décidées ces dernières années en Allemagne, il s’agissait également de s’interroger sur la question de l’éventuelle convergence entre les deux pays dans ces domaines. Cette journée d’étude a ainsi permis de mieux comprendre les évolutions en cours, d’en d’identifier les enjeux et de mettre en évidence les tensions à l’œuvre dans le champ des dispositifs d’aide à la conciliation travail-famille. Dans les nombreuses études sur ces deux pays, et plus généralement sur les pays de l’Union euro- péenne, les typologies font état d’une certaine proximité entre l’Allemagne et la France. Ces dernières sont classées dans une catégorie que l’on nomme soit « pays continentaux », soit « pays conservateurs-corporatistes » ou encore « pays bismarckiens ». Leurs politiques familiales parta- gent de nombreuses caractéristiques : il s’agit, en effet, de politiques familiales explicites, fortement institutionnalisées, et enracinées dans une longue histoire. Mais de grandes disparités demeurent, notamment dans le domaine de la politique d’accueil du petit enfant. En France, il existe une prise en charge par les écoles maternelles, les crèches et les assistantes maternelles des jeunes enfants (avec des manques, toutefois, encore importants). En Allemagne, la prise en charge collective des enfants âgés de moins de 3 ans est peu développée et celle des enfants de 3 à 6 ans dans les « Kindergarten » (maintenant quasi géné- rale) est le plus souvent à temps partiel. Mais, depuis quelques années, on assiste à un certain renversement de tendances entre ces deux pays. Ainsi, l’ampleur des réformes adoptées en Allemagne depuis 2006 souligne l’importance accordée aux problèmes de conciliation vie fami- liale-vie professionnelle dans ce pays. Les diverses contributions de la journée d’étude ont permis d’examiner et d’approfondir des questions telles que les divergences dans la conduite des réformes et la place accordée aux questions de conciliation et d’emploi des femmes dans des contextes éco- nomiques différents. L’objectif de ce compte rendu ne vise pas à rendre compte de façon exhaustive de cette journée. Il tente de retracer les différentes approches origi- nales présentées. Les interrogations, contributions et discussions de la journée peuvent être résumées à travers trois grands axes. Des modèles convergents de politiques familiales ? Jeanne Fagnani (directrice de recherche, CNRS et Centre d’économie de la Sorbonne – Matisse) a resitué la politique familiale allemande et ses évo- lutions récentes dans son contexte culturel, socio- politique et économique, et souligné les diffé- rences et les similitudes avec la France. Tout en pointant les nombreuses similarités entre la France et l’Allemagne (pays caractérisés par une relative générosité financière à l’égard des familles et par la persistance du maternalisme…), la chercheuse Politiques sociales et familiales n° 95 - mars 2009 90 Synthèses et statistiques Compte rendu de colloque Politiques familiales, emploi et acteurs sociaux : regards croisés France-Allemagne Une journée d’étude qui a permis d’identifier de nouvelles pistes de recherche Jeanne Fagnani Antoine Math * Christèle Meilland * Directrice de recherche CNRS – Laboratoire MATISSE. * Institut de recherches économiques et sociales (IRES).

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Politiques familiales, emploi et acteurssociaux : regards croisés France-AllemagneUne journée d’étude qui a permis d’identifierde nouvelles pistes de recherche

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Le 14 mars 2008, une journée d’étude a été orga-nisée par l’Institut de recherches économiques

et sociales (IRES) et le Centre d’économie de laSorbonne de l’université de Paris-I, en collabora-tion avec la Caisse nationale des allocations fami-liales. Axée autour de la comparaison des poli-tiques familiales en France et en Allemagne, cettejournée a été l’occasion de confrontations entrechercheurs des deux pays, mais aussi de rencontresfructueuses avec des acteurs des politiques fami-liales et sociales. L’objectif visait à faire progresserla compréhension mutuelle de chacune des poli-tiques familiales au sein de contextes économi-ques et politiques complexes. Au regard des impor-tantes réformes décidées ces dernières années enAllemagne, il s’agissait également de s’interrogersur la question de l’éventuelle convergence entreles deux pays dans ces domaines. Cette journéed’étude a ainsi permis de mieux comprendre lesévolutions en cours, d’en d’identifier les enjeux etde mettre en évidence les tensions à l’œuvre dansle champ des dispositifs d’aide à la conciliationtravail-famille.

Dans les nombreuses études sur ces deux pays, etplus généralement sur les pays de l’Union euro-péenne, les typologies font état d’une certaineproximité entre l’Allemagne et la France. Cesdernières sont classées dans une catégorie quel’on nomme soit « pays continentaux », soit « paysconservateurs-corporatistes » ou encore « paysbismarckiens ». Leurs politiques familiales parta-gent de nombreuses caractéristiques : il s’agit, eneffet, de politiques familiales explicites, fortementinstitutionnalisées, et enracinées dans une longuehistoire. Mais de grandes disparités demeurent,notamment dans le domaine de la politiqued’accueil du petit enfant. En France, il existe uneprise en charge par les écoles maternelles, lescrèches et les assistantes maternelles des jeunes

enfants (avec des manques, toutefois, encoreimportants). En Allemagne, la prise en chargecollective des enfants âgés de moins de 3 ans estpeu développée et celle des enfants de 3 à 6 ansdans les « Kindergarten » (maintenant quasi géné-rale) est le plus souvent à temps partiel. Mais,depuis quelques années, on assiste à un certainrenversement de tendances entre ces deux pays.Ainsi, l’ampleur des réformes adoptées enAllemagne depuis 2006 souligne l’importanceaccordée aux problèmes de conciliation vie fami-liale-vie professionnelle dans ce pays. Les diversescontributions de la journée d’étude ont permisd’examiner et d’approfondir des questions tellesque les divergences dans la conduite des réformeset la place accordée aux questions de conciliationet d’emploi des femmes dans des contextes éco-nomiques différents.

L’objectif de ce compte rendu ne vise pas à rendrecompte de façon exhaustive de cette journée. Iltente de retracer les différentes approches origi-nales présentées. Les interrogations, contributionset discussions de la journée peuvent être résuméesà travers trois grands axes.

Des modèles convergents de politiquesfamiliales ?

Jeanne Fagnani (directrice de recherche, CNRS etCentre d’économie de la Sorbonne – Matisse) aresitué la politique familiale allemande et ses évo-lutions récentes dans son contexte culturel, socio-politique et économique, et souligné les diffé-rences et les similitudes avec la France. Tout enpointant les nombreuses similarités entre la Franceet l’Allemagne (pays caractérisés par une relativegénérosité financière à l’égard des familles et parla persistance du maternalisme…), la chercheuse

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Compte rendu de colloque

Politiques familiales, emploi et acteurssociaux : regards croisés France-Allemagne

Une journée d’étude qui a permis d’identifierde nouvelles pistes de recherche

Jeanne FagnaniAntoine Math *

Christèle Meilland *

Directrice de recherche CNRS – Laboratoire MATISSE.

* Institut de recherches économiques et sociales (IRES).

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a exposé les évolutions récentes de la politiquefamiliale allemande qui résultent, d’une part,d’une certaine pénurie de main-d’œuvre qualifiéesur le marché du travail allemand et, d’autre part,d’une forte volonté politique de changement.Deux volets semblent essentiels parmi l’ensembledes réformes initiées : le nouveau congé parentalallemand (proche du congé parental suédois) et lelancement d’une politique ambitieuse en faveurde l’accueil du jeune enfant à partir de l’âge de unan. Depuis 2005, en Allemagne de l’Ouest, la pro-portion d’enfants de moins de 3 ans accueillisdans des structures collectives est passée de 6,9 %à 8,1 % en 2007 (37,4 % en Allemagne de l’Est).Toutefois, les disparités entre les Länder restentconsidérables. En outre, les déductions fiscalesliées aux frais de garde ont été augmentées.Depuis janvier 2006, les couples biactifs ont droità des déductions de leur revenu imposable corres-pondant aux deux tiers des frais engagés pour unepersonne employée à leur domicile, avec unmaximum de 4 000 euros par an pour un enfantâgé de moins de 14 ans (pour les couples avec unseul actif, l’enfant doit être âgé de 3 ans à 6 ansseulement).

Cette politique engagée sur la voie des réformes aatteint son point d’orgue avec l’adoption d’unnouveau congé parental en 2006. Inspiré du mo-dèle suédois et poursuivant les mêmes objectifs,entré en vigueur en janvier 2007, le nouveaudispositif accorde une prestation de substitution,l’« Elterngeld » (EG) qui correspond à 67 % dudernier salaire net (plafonnée à 1 800 euros netspar mois), pendant un an, au parent qui interromptson activité professionnelle. Toutefois, les donnéesconcernant la population des bénéficiaires de l’EGdurant l’année 2007 montrent que les objectifssont pour l’instant loin d’être atteints : parmi les511 399 femmes (contre 60 012 hommes) qui ontperçu l’EG durant l’année, 49 % d’entre elles netravaillaient pas avant la naissance et ne per-çoivent que le minimum légal (300 euros). Cellesqui ont perçu le maximum (soit 1 800 euros, c’est-à-dire des femmes ayant des salaires relativementélevés – au moins 2 687 euros par mois) ne repré-sentent que 1,84 % du total des bénéficiaires de laprestation et 5,2 % des femmes bénéficiaires quitravaillaient avant la naissance. Les pères repré-sentent 10,5 % des bénéficiaires (mais 3,3 % despères seulement ont demandé à en bénéficier). Parailleurs, en février 2007, la ministre Ursula vonder Leyen, ministre fédéral de la Famille, desPersonnes âgées, des Femmes et de la Jeunesse –fort populaire en Allemagne – a proposé letriplement des places en crèches d’ici 2013(750 000 places devraient être disponibles pourles enfants de moins de 3 ans) et la gratuité desjardins d’enfants pour les parents, les frais devantêtre pris en charge par les communes et les

Länder. Au sein de la grande coalition, les députésdu SPD (parti socialiste) voudraient faire adopterune loi consacrant le droit pour chaque enfantd’être accueilli à plein temps dans une crèche dèsl’âge de un an. À court terme, et malgré l’appui dupatronat et de nombreux employeurs, ces proposi-tions semblent avoir peu de chances de se réaliser.

En conclusion, J. Fagnani est revenue sur les simi-larités et les divergences entre les deux pays :priorité politique accordée dans les deux pays à lacroissance de l’emploi des femmes et volontéaffirmée d’encourager les hommes à s’investirdans l’éducation des enfants, et divergence quandon met en perspective la relative cohérence desréformes adoptées en Allemagne et le caractèreambivalent des aides à la conciliation en France.

L’analyse de Katharina Spiess (professeure àl’Université libre de Berlin et conseillère de laministre Ursula von der Leyen) sur le développe-ment des services d’accueil des jeunes enfants enAllemagne a appuyé les conclusions de J. Fagnanitout en mettant l’accent sur le statu quo de lagarde des jeunes enfants avant 2008 et sur l’impor-tance des réformes actuelles. Jusqu’en 2007,le « male breadwinner model » (modèle de« Monsieur Gagnepain ») s’imposait en Allemagne,quelle que soit la catégorie socioprofessionnelledes familles. Le système de garde d’enfants,complexe et décentralisé, s’organisait entre les« Krippen » pour la garde des enfants de moins de3 ans et les « Kindergarten » pour les enfants âgésde 3 ans à 6,5 ans. Financièrement, les dépensesse répartissent pour 47,4 % à la charge des muni-cipalités, 31,5 % à la charge de l’État, 14 % à lacharge des parents et 5 % à la charge d’associa-tions. À l’instar de la France, le développementrégional des systèmes de garde d’enfants est inégalsur tout le territoire. Toutefois, depuis 2006, on noteun certain fléchissement du « male breadwinnermodel » avec une fréquence d’utilisation plusimportante des services de garde d’enfants,notamment ceux destinés aux enfants de moinsde 3 ans. Il faut souligner que les réformes entre-prises ces dernières années visent à augmenter letaux de fécondité en Allemagne mais aussi àinciter les femmes, et surtout les mères, à rester surle marché du travail. Ces réformes, décrites aupa-ravant, mettent l’accent à la fois sur la quantité deservices de garde d’enfants offerte mais égalementsur la qualité déployée lors de la garde.

Ces analyses précises et détaillées des politiquesmenées en France et en Allemagne ces dernièresannées soulignent les difficultés auxquelles cesdeux pays doivent faire face. Dans le cas del’Allemagne, la pénurie de main-d’œuvre qua-lifiée, le déclin fort de la démographie (avec seseffets sur le système de retraite), le cloisonnement

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géographique de certaines régions sont desfacteurs très importants pour comprendre l’urgencede la situation. Reste le problème du financementdes projets mis en œuvre, qui est loin d’êtreréglé…

Les questions de redistribution et deciblage : le soutien financier des familles

Le deuxième axe développé lors de ces rencontresconcerne la dimension financière des politiquesfamiliales des deux pays. Dans cette optique,l’analyse présentée par Antoine Math et ChristèleMeilland (IRES) vise à rendre compte de l’impor-tance de la question du soutien financier desfamilles en Europe. L’objectif de cette présentationconsistait en une comparaison du niveau et desmodalités du soutien financier des familles aumoyen de la méthode des ménages ou cas typesdans onze pays européens de niveau de déve-loppement comparable (avec des pays nordiquescomme le Danemark, la Finlande, la Suède et laNorvège, des pays insulaires comme le Royaume-Uni et l’Irlande, et des pays d’Europe continentalecomme la France, l’Allemagne, la Belgique, lesPays-Bas et l’Autriche). Soulignant les limites desdonnées d’Eurostat sur les dépenses classées dansla fonction « famille-enfants », l’analyse montreque le soutien aux familles passe par d’autrescanaux que les seules dépenses de prestationsfamiliales, en particulier par la fiscalité et les aidesau logement. Les chercheurs utilisent la méthodedes ménages ou cas types qui permet de calculerun « family package » ou « avantage enfant »,défini comme l’aide imputable au fait d’avoirdes enfants. Ce soutien dû à la seule présenced’enfant(s) est calculé comme le supplément derevenu par un ménage avec enfants par rapportà un ménage sans enfant mais se trouvant dansla même situation de revenu primaire (salaireidentique).

L’analyse permet de mettre en évidence quelquesfaits saillants :• la France et Allemagne figurent parmi les paysayant une politique explicite et relativementimportante de soutien financier des familles ;• l’essentiel du soutien financier des famillespasse dans les pays étudiés par les prestationsfamiliales, les aides au logement et l’impôt sur lerevenu. Ces deux derniers éléments constituentdes éléments importants des aides aux familles.L’impôt sur le revenu ne joue cependant pas unrôle de soutien aux familles dans tous les pays.Dans les pays nordiques, le système fiscal neprend pas en compte la présence d’enfant (laNorvège, le Danemark et l’Islande tiennentnéanmoins compte de la situation d’isolement duparent) ;

• dans une majorité des pays étudiés, l’aide tendà être proportionnelle au nombre d’enfants. Ilexiste cependant des exceptions. Le soutien aug-mente beaucoup plus que proportionnellement aunombre d’enfants en France et en Belgique à tousles niveaux de revenus et, pour les couplesmonoactifs, en Autriche ;• les prestations familiales sont, sauf exceptions,peu ciblées en fonction des revenus dans les paysétudiés. Cependant, si on prend en compte l’en-semble des dispositifs, on constate une modula-tion du montant de l’aide pour charge d’enfant enfonction du revenu dans certains pays européens :le Royaume-Uni et l’Irlande aident fortement lesfamilles pauvres, mais davantage les situations debas salaires que les familles à l’assistance pourtantplus pauvres, à travers des dispositifs spécifiques(une prestation sociale en Irlande, un crédit d’impôtau Royaume-Uni). Ces dispositifs disparaissent àpartir d’un certain niveau de ressources et l’avan-tage enfant chute fortement, mais sans que lesautres familles soient totalement délaissées. Dansles pays nordiques où la fiscalité ne joue aucunrôle en matière de soutien aux familles, l’avantageprovenant des aides au logement diminue puisdisparaît à mesure que le revenu augmente etensuite, au-delà d’un certain niveau, le montantde l’avantage enfant se maintient au niveau desprestations familiales, toutes versées sans condi-tion de ressources. En France et en Belgique,l’avantage enfant peut avoir tendance à augmenteravec le niveau de revenu en raison de l’effet impu-table à la fiscalité qui vient compenser la baissedes prestations à mesure que les revenus augmen-tent. On retrouve cet effet plus favorable de lafiscalité pour les couples ayant des revenus plusélevés, mais de manière atténuée, en Autriche et enAllemagne ;• au niveau de la générosité moyenne, l’Autricheapparaît en tête, suivie du Royaume-Uni, puis d’ungroupe de cinq pays dont la France et l’Allemagne,mais aussi la Belgique, l’Irlande et le Danemark.L’avantage moyen est plus faible en Suède, enFinlande et en Norvège, et les Pays-Bas apparaissentloin derrière. Mais ce classement moyen peut varierselon la configuration familiale ou les revenus.Ainsi, si l’Allemagne figure parmi les pays les plusgénéreux, quel que soit le nombre d’enfants, laFrance apparaît également comparativement trèsgénéreuse pour les familles avec trois enfants, maistrès peu pour les plus petites familles ;• les parents isolés apparaissent également assezmal lotis dans les deux pays ;• enfin, une extension de l’analyse aux famillesà l’assistance et bénéficiant de revenus minimagarantis montre une autre ressemblance entre lesdeux pays. Ces derniers consacrent, en compa-raison avec d’autres pays de niveau économiquecomparable, un soutien bien plus faible en direc-tion des familles les plus pauvres.

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Pour sa part, Katharina Wrohlich, (chercheuse au« DIW » de Berlin), a développé un regard ori-ginal de la dimension financière des politiquesfamiliales en soulignant les différences dans letraitement des impôts sur le revenu en Allemagneet en France. Le système fiscal français favorise-t-il davantage les familles avec enfants ? Et dans cecas, quels types de familles sont les plus favo-risées ? Le débat récurrent en Allemagne sur lefait que les familles avec enfants paieraient tropd’impôts sous-tend qu’un soutien envers lesfamilles (passant, par exemple, par un meilleurtraitement fiscal) pourrait générer une augmenta-tion du taux de fécondité ainsi qu’une hausse del’activité professionnelle. L’analyse économétri-que du traitement du mariage dans la fiscalité desdeux pays montre que les couples mariés sansenfant ont les mêmes situations fiscales dans lesdeux pays. En revanche, « l’avantage enfant » s’orga-nise différemment dans les deux pays : en France, ilexiste les prestations familiales auxquelles s’ajou-tent, pour les familles imposables, l’effet duquotient familial. En Allemagne, les allocationsfamiliales (Kindergeld) sont beaucoup plus géné-reuses, mais les familles aux revenus les plusélevés peuvent y renoncer pour bénéficier enéchange d’une aide fiscale (Kinderfreibetrag). Aufinal, l’analyse économique et des microsimula-tions montrent que les systèmes fonctionnent demanière assez proche en Allemagne et en France.Cependant, des différences existent. Les gainssociofiscaux en France sont nettement supérieursà ceux procurés en Allemagne pour les famillesavec trois enfants et plus, en particulier pour lesfamilles du haut de la redistribution. Plus généra-lement, les gains sont supérieurs en France pourtoutes les familles les plus aisées, en raison nonseulement de l’effet joué par le quotient familialmais aussi de la définition différente du revenuimposable. Les familles à revenus bas ou moyenssont, en revanche, davantage aidées en Allemagneen raison d’allocations familiales beaucoup plusélevées ; ceci est surtout vrai pour les famillesavec un ou deux enfants.

Autres dimensions de la conciliationvie familiale-vie professionnelle

La question de la « conciliation » vie familiale-vie professionnelle est une préoccupation impor-tante pour comprendre l’évolution des sociétésactuelles et de l’emploi féminin en particulier.Sur cette question au cœur des problématiquesactuelles des politiques familiales allemandes etfrançaises, des acteurs inhabituels interviennent :les entreprises et les partenaires sociaux. C’estsur ce thème qu’est intervenue Ute Klammer(Université de Duisburg-Essen) lors de cette journéed’étude. Après être revenue sur la situation politique

et l’évolution de la politique familiale enAllemagne, et après avoir largement décrit letournant radical de la politique familiale alle-mande avec les réformes entreprises, l’écono-miste souligne la nouveauté du contexte : la ques-tion du soutien des parents salariés devient unsujet central pour les entreprises et les partenairessociaux. L’objectif du gouvernement allemand deplacer ces nouveaux acteurs au cœur des ques-tions d’articulation vie familiale-vie profession-nelle est de répondre aux challenges démographi-ques et de créer une société « family friendly ».Ainsi, la création en 2003 de l’Alliance pour lafamille consiste à regrouper un vaste ensemble demesures et d’activité afin d’améliorer l’articula-tion vie familiale-vie professionnelle. Le ministèrede la Famille, avec la collaboration de la Fonda-tion Bertelsmann, a été à l’origine de ce projet.Un texte commun présente les orientations et lesobjectifs : le besoin pour la société allemanded’un taux de fécondité plus élevé, le besoin pourl’économie de travailleurs qualifiés et d’uneparticipation plus grande des femmes au marchédu travail, et le besoin d’une prise en chargeéducative pour les enfants dans leurs premièresannées. Pour illustrer cette approche, U. Klammercite les alliances locales pour la famille. Crééesen 2003, ces réseaux visent à rassembler desacteurs locaux (administration locale, mairies,entreprises, représentants syndicaux et patronaux,etc.) afin d’impulser des actions qui améliorent lavie des familles. En janvier 2007, 364 allianceslocales avaient été fondées. Les accords collectifsdans lesquels apparaissent des éléments liés àl’égalité professionnelle ou à la conciliation sontessentiellement des accords signés dans lesbranches les plus féminisées, où les femmes sonttrès qualifiées, ou dans les entreprises publiques.Les sujets de négociations les plus souventrencontrés sont la transition du temps plein versle temps partiel et vice versa, l’adaptation deshoraires, le principe d’égalité de traitement entreles salariés, l’organisation du congé parental et lapossibilité de prendre des jours de congé supplé-mentaires pour soigner un enfant malade ou unproche.

La présentation de Gisela Erler (présidente deFamilienservice GmbH) a porté sur un dispositiftrès peu connu en France, celui des maisonsintergénérationnelles que les pouvoirs publicsveulent promouvoir. Ces maisons sont en pleineexpansion : il en existe déjà plus de 500 enAllemagne. L’objectif est d’offrir localement un« welfare mix », en mixant en un même lieuservices publics et services fournis par le secteurprivé, les associations, les organisations nongouvernementales et des volontaires. L’idée estde faciliter les liens entre les personnes âgées etles plus jeunes, mais aussi avec les autres catégories,

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à travers des services intergénérationnels, et ententant de supprimer les cloisonnements induitspar les activités et les politiques sectorielles. Cesmaisons fondées sur le partenariat offrent desespaces ouverts sept jours sur sept. Elles reposentsur des principes d’activation (des plus jeunes etdes âgés, mais aussi des salariés, chômeurs, béné-voles) et s’appuient beaucoup sur les volontairesqui offrent leurs services mais qui peuvent aussi yrecevoir des formations. Ces volontaires appar-tiennent à toutes les générations mais sont âgés,très majoritairement, de 45 ans et 70 ans. Un desobjectifs implicites de ces maisons est d’impli-quer davantage les citoyens, les hommes en par-ticulier, dans les activités à dimension familiale,d’où leur intérêt au regard des questions de conci-liation et de partage des temps sociaux entrehommes et femmes. Ces maisons offrent denombreux services allant du soutien scolaire auxvisites au domicile des personnes âgées, enpassant par des activités culturelles, de l’aide àl’utilisation des nouvelles technologies, etc. Ellesaident à concevoir de nouveaux services, payantsou gratuits, en ciblant principalement les famillesactives et les personnes âgées et en favorisant lastructuration d’une offre de services au plus prèsdes besoins (garde des enfants, réalisation de repas,services d’aide ou d’accompagnement pour lescourses ou les démarches administratives, etc.).

Conclusion et perspectives de recherche

Mark Pearson (responsable de la division Poli-tiques sociales à l’OCDE) a conclu la journée enmettant l’accent sur les différents champs deréflexion ouverts par la problématique de la compa-raison des politiques familiales en Allemagne eten France. Les contributions, les débats avec lasalle et les intervenants ont mis en évidence lacomplexité des évolutions en cours, permis d’ensouligner parfois les ambiguïtés et d’identifier denouvelles pistes de recherche. L’une des questionsouvertes est celle de l’implication (ou non) desentreprises et autres acteurs sociaux dans le sec-teur accueil des jeunes enfants dans une optiquede complémentarité avec les interventions publi-ques. Depuis quelques années, on assiste à destentatives d’élaboration de nouveaux « policy mix »,dont témoignent, par exemple, les mesures visantà impliquer les entreprises dans le domaine desaides à la conciliation travail-famille. Ces évolutionsjustifient de poursuivre l’examen de cette question.M. Pearson a souligné l’intérêt d’approches compa-ratives offrant l’occasion aux chercheurs, aux acteurset aux entrepreneurs de discuter entre eux,d’apporter des pistes de réflexion et de s’ouvrir àd’autres questionnements plus larges. Cette journéed’étude a ainsi permis de souligner l’importance del’actualité des sujets abordés.

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