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Alstom Transport n°4

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Page 1: Alstom Transport n°4

Contribution d’Alstom Transportau futur ferroviaireAT

©200904

ÉTATS-UNIS :LE TRAIN À LA RECONQUÊTE

DE L’OUEST

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invi té

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Claudie HaigneréMédecin, spationaute.

Biographie Claudie Haigneré est née en 1957Médecin rhumatologue, spécialiste en médecine aéronautique Docteur ès-sciences, option neurosciencesSpationaute du CNES (Agence française de l’espace) de 1985 à 1999, puis de l’ESA (Agence spatiale européenne) de 1999 à 2001.

1992 : doublure de Jean-Pierre Haigneré pour le vol spatial franco-russe Altaïr de juillet 1993. Durant toute la mission, elle assure le suivi des expériences biomédicales depuis le centre de contrôle de Kaliningrad, près de Moscou

1993 : assure la coordination du programme scientifique de la mission franco-russe Cassiopée en 1996, ainsi que celle des expériences françaises de la mission EUROMIR 94. Elle est désignée titulaire du vol Cassiopée et rejoint, à ce titre, la Cité des Étoiles à Moscou pour y suivre un entraînement complet

1996 : effectue un vol de 16 jours à bord de la station orbitale russe MIR dans le cadre de la mission franco-russe Cassiopée. Elle y mène de nombreuses expériences médico-physiologiques, techniques et biologiques, successivement expérimentateur et sujet d’expériences

Le lieu est aussi stratégique que

le décor est dépouillé : le désert des

steppes s’étend à perte de vue.

Couleurs grises, beiges et brunes,

ambiance sèche. Au loin, des chameaux

et des dromadaires.

Nous sommes en août 1996, date de mon

premier voyage dans l’espace. Un vol de

16 jours à bord de la station orbitale MIR.

Nous sommes en 2001, lors de ma

deuxième expédition pour une semaine

d’expérimentations à bord de la station

spatiale internationale.

Nous pourrions aussi être en 1961,

lors du premier envoi d’un homme dans

l’espace. Quelles que soient les époques,

ce train ne change pas. Il demeure

intemporel et sa mission, intangible :

transporter la fusée, couchée à l’horizontale,

jusqu’au lieu où elle sera érigée,

avant d’être propulsée dans l’espace.

Les cosmonautes marchent à côté

du train. Avec nous, quelques militaires

et tous les techniciens qui ont participé

Il est vieux, gris, rouillé, d’allure

modeste, loin du train du futur qui

nous fait tous rêver.

Et pourtant c’est un train vaillant,

porteur de symboles, de technologies

et de promesses. Ce train, c’est celui

qui emmenait – et emmène toujours –

les fusées russes de leur point

d’assemblage jusqu’au pas de tir.

Nous sommes au cosmodrome de

Baïkonour, au sud du Kazakhstan.

Si l’ancienne province russe a gagné

son indépendance en 1991,

le site, intimement lié à l’histoire spatiale

soviétique, reste administré

par Moscou jusqu’en 2050.

Cette base spatiale, légitime fierté

des Russes, la plus ancienne au monde,

est située à 2 100 km de Moscou,

à 160 km à l’est de la mer d’Aral et…

à 370 km de la ville de Baïkonour,

anciennement nommée Leninsk.

L’isolement du cosmodrome permet

la retombée des étages en vol et

évite les regards indiscrets.

AU TRAIN OÙ VA L’ESPACE...Quand on me parle de transports ferroviaires, j’ai une pensée émue pour un train particulier qui m’a beaucoup marquée.

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à l’assemblage de la fusée. Une petite

cinquantaine de personnes. L’ambiance

est concentrée, presque recueillie.

Le train avance lentement.

Sur les rails, chaque cosmonaute(1) jette

une pièce qui se fera écraser et marquer

par les roues du train, avant de la reprendre

pour la conserver précieusement.

C’est un des multiples rituels auxquels

se plient ceux qui s’envolent à bord d’un

vaisseau russe. Les trois participants

au vol ont signé leur nom tour à tour sur

la porte du “Prophylactorium” (chambres

prophylactiques destinées à protéger

les cosmonautes des maladies). La veille,

nous avons visité les maisonnettes où

Serguey Korolev, le constructeur en chef,

et Youri Gagarine ont passé la nuit avant

le premier vol de l’homme dans l’espace.

Nous avons regardé Le soleil blanc du désert,

un “western” soviétique que Gagarine et tous

les cosmonautes qui lui ont succédé

visionnent avant chaque grand départ.

Sur l’avenue des cosmonautes, qui surplombe

la vallée de la Sir Darya, nous avons

aussi planté un arbre, symbole de vie dans

cette terre semi-désertique du Kazakhstan.

Ancrés dans la tradition russe, ces rituels

placent l’homme au cœur de l’aventure.

Le train continue d’avancer sous

un soleil écrasant.

Ce sont des moments magiques, derniers

instants sur Terre emplis d’exaltation

contenue, de joie et de concentration.

Une bonne demi-heure est passée

et nous sommes arrivés.

La fusée est transférée sur le pas de tir.

Elle passe de l’horizontale à la verticale

en s’érigeant majestueusement. J’observe

son apparence rustique. Je me dis que

cette petite chose va nous mettre sur orbite.

Que c’est au moyen de cet engin que

je traverserai l’atmosphère pour atteindre,

si tout se passe bien, l’espace.

Je me sens prête, après dix-huit mois

d’entraînement à la Cité des Étoiles,

près de Moscou.

(1) On parle de “cosmonautes” pour les voyageurs de l’espace d’origine russe, d’“astronautes” pour les Américains et de “spationautes” pour les Européens.

Concentrés, nous le sommes tous.

Ces quinze derniers jours passés à Baïkonour

n’étaient dédiés qu’à cela. Petit à petit, notre

conscience s’est focalisée sur notre mission.

Cet instant précis, auprès de ce petit train

gris, auprès de tous les techniciens qui ont

contribué à l’aventure, appartient déjà à cette

grande expédition avant tout humaine.

Bientôt, je quitterai la Terre à la verticale,

une chose rare et unique à ressentir ;

mon premier souvenir de vol.

Bientôt, on va s’arracher du sol pour atteindre

une vitesse de satellisation de 28 000 km/h.

Moins de neuf minutes pour arriver en orbite

et toucher le noir profond du cosmos.

Nous sommes harnachés, engoncés dans

nos scaphandres et nos fauteuils. Ce n’est

pas évident d’apercevoir l’extérieur à travers

le hublot de la capsule. J’utilise le petit

miroir fixé sur ma manche, destiné à vérifier

la bonne tenue du heaume, pour voir

le décollage, ne rien rater du spectacle.

C’est un instant magique. Sur six milliards

d’humains, nous sommes à peine 500

à toucher ce rêve spatial ; ressentir cette

extrême liberté du corps qu’est l’apesanteur.

Là-haut, je vais pouvoir flotter,

sans la contrainte de la gravité.

Au-delà de la liberté du corps, être dans

l’espace signifie être à distance de notre

planète Terre. C’est une sensation puissante

et indéfinissable. Je la contemple par

le hublot : nous sommes en orbite à 400 km

d’elle et pourtant jamais elle ne m’a paru

à la fois aussi proche et aussi isolée.

Aussi fragile et aussi grouillante de vies.

Tout cela, on le sait avant de voler, mais

vivre physiquement ce concept, purement

intellectuel pour la plupart d’entre nous,

représente des instants d’une force inouïe.

La première fois, c’est d’une grande intensité.

La deuxième c’est la même chose,

mais avec l’impression de mieux en profiter,

le “repérage” ayant déjà été effectué.

J’avais l’esprit plus disponible. J’étais déjà

presque “chez moi”.

C’est incroyable cette capacité d’adaptation

de l’homme, cette plasticité de nos neurones

1998 : rejoint la Cité des Étoiles comme cosmonaute suppléante de Jean-Pierre Haigneré pour la mission franco-russe Perseus qui débute en 1999 à bord de MIR. Elle y suit un entraînement complet d’ingénieur de bord de la station et de cosmonaute sauveteur de vaisseau Soyouz

1999 : intégrée à l’Agence spatiale européenne, elle rejoint le corps des Astronautes européens situé à Cologne, en Allemagne

2001 : rejoint à nouveau la Cité des Étoiles pour un entraînement de neuf mois pour la mission Andromède, en collaboration avec les partenaires russes. Ingénieur de bord no1, elle devient aussi la première astronaute française à voler à bord de l’ISS, Station spatiale internationale.Pendant les huit jours à bord, elle réalise un programme expérimental dans les domaines de l’observation de la Terre, de l’étude de l’ionosphère, des sciences de la vie ainsi que des sciences de la matière

De 2002 à 2005 : ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles technologies, puis ministre déléguée aux Affaires européennes

De 2005 à 2009 : retour à l’ESA (Agence spatiale européenne) pour travailler sur la politique spatiale européenne

Depuis 2009 : présidente de la Cité des sciences et de l’industrie et du conseil d’administration du Palais de la découverte avec la mission de préfigurer le nouveau grand musée des sciences réunissant les deux établissements de référence

invité

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dont nous n’utiliserions, selon certains

scientifiques, que 15 %. Est-ce que tout n’est

pas déjà en place “avant” ? Avons-nous

des prédispositions à l’espace ? Cela peut-il

ouvrir des nouvelles pistes de traitements

médicaux ?

En tout cas, j’ai profité de ce deuxième voyage

en ouvrant grand les yeux, comme un enfant

dans un manège, même au moment brutal de

la rentrée dans l’atmosphère au retour.

Car l’atterrissage est toujours délicat.

Avant de pénétrer la couche atmosphérique,

les modules orbital et de service se détachent

du module de commande dans lequel nous

nous trouvons. Le contact avec l’atmosphère

est souvent violent à vivre physiquement :

accélérations, décélérations, fortes secousses

et basculements désordonnés… L’organisme

n’est pas habitué à pareil traitement !

Les mini-hublots de notre capsule, pourtant

équipés de boucliers thermiques, changent

de couleurs comme s’ils étaient en flammes :

transparents, jaunes, orange, rouges,

puis noirs. La descente va durer une petite

demi-heure, pendant laquelle nos parachutes

se déclenchent.

Là encore se produit, comme à chaque fois,

le même miracle. Nous atterrissons

en pleine steppe, au milieu de nulle part,

parfois à des centaines de kilomètres du lieu

initialement calculé mais le plus souvent avec

précision. Les hélicoptères de l’équipe sont

déjà là. Et surgissent soudain, issus du néant,

une vingtaine de Kazakhs, sourires et yeux

écarquillés. Des Terriens.

Depuis mes deux vols dans l’espace,

il me semble être restée la même. Ce qui

change profondément, c’est la façon

dont les gens m’abordent, les regards portés

sur moi, sur ce que je représente en tant

que première Française et Européenne à avoir

voyagé dans l’espace, ce que je représente

aux yeux de certains, petits ou grands,

en termes de rêve, de fantasme, de défis

physique, intellectuel et mental.

Je me souviens du président Chirac qui

m’interrogeait avec un enthousiasme d’enfant :

– C’est comment la muraille de Chine,

vue d’en haut ?

Et nous, cosmonautes, personnes

privilégiées et sans cesse interrogées,

nous manquons parfois de vocabulaire

pour décrire cette expérience.

Aujourd’hui, je regarde mes deux pièces

marquées par le train et je me souviens.

Je me souviens de ce petit train et

de tout ce chemin.

À lireCarnet de bord d’un cosmonaute, de Jean-Pierre Haigneré, Simon Allix, Flammarion, sept. 2006. Le carnet de voyage du cosmonaute au cours de ses missions dans l’espace, avec un reportage spatial sonore de Claudie Haigneré.

Histoire des femmes de science en France : Du Moyen Âge à la Révolution, de Jean-Pierre Poirier et Claudie Haigneré, Pygmalion, 2002.

Réussir avec les sciences, de Jean-Didier Vincent, Claudie Haigneré, Thierry Breton, et Luc Ferry, Albin Michel, 2003.

La fusée russe Soyouz TM 24 est transportée vers son pas de tir peu de temps avant le lancement de la mission franco-russe Cassiopée à Baïkonour, en août 1996.

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