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L'origine des communes au Moyen Âge. Pendant longtemps les historiens ont prétendu que l'origine des communes du Moyen âge et de leur organisation devait être cherchée dans l'organisation municipale romaine. Ils se sont appliqués à relever toutes les ressemblances des deux régimes et surtout les termes tels que municipium, consul, libertas romana, dont l'emploi au Moyen âge leur semblait indiquer la persistance des institutions. Ils ont cru que l'organisation des municipes et des curies avait dû persister obscurément après la chute de l'Empire romain pour reprendre une vie nouvelle et fournir une nouvelle carrière à partir du XII e siècle. Cette doctrine est aujourd'hui complètement abandonnée. On a prouvé qu'avant même la chute de l'Empire, le régime municipal romain s'était partout transformé en un régime d'oppression et de fiscalité dont les populations avaient hâte d'être délivrées et que rien de ces institutions n'avait pu survivre à la dissolution de l'Empire et aux invasions des Barbares. Les coïncidences qui avaient frappé les anciens historiens s'expliquent facilement par l'emploi de la langue latine et l'application du même mot à des choses essentiellement différentes. D'autres historiens, tels que Léo et Roth en Allemagne, ont prétendu que c'était aux anciennes institutions germaniques qu'il allait demander l'explication des origines des communes du Moyen âge. Sans nier que ces institutions aient eu leur part d'influence, on doit reconnaîltre que l'organisation communale n'en dérive pas directement. Elle a en effet des origines plus complexes, et parmi elles il faut distinguer les anciennes institutions qui ont contribué à former l'organisation municipale, des causes immédiates qui ont produit à la fin du XI e et au commencement du XII e siècle ce que l'on a justement nommé la révolution communale. Parmi ces causes, il faut mettre au premier rang les invasions des Vikings, qui, en chassant les habitants des campagnes, ont développé les villes, devenues le seul refuge où l'on pût trouver la sécurité; l'organisation de la féodalité, dans le développement de laquelle les villes ont fini par prendre place; l'oppression féodale, qui a provoqué la résistance des habitants des villes; et enfin les croisades, qui en affaiblissant la féodalité, en développant le commerce, ont eu plus d'influence qu'on ne le croit d'habitude sur les progrès du tiers état. Parmi les origines plus lointaines mais non moins efficaces, il faut placer l'esprit d'association, si développé au Moyen âge : associations commerciales ou religieuses, guildes, confréries; et l'ancienne organisation de la justice carolingienne, dont les juges se trouvèrent dans beaucoup de villes les premiers magistrats des communes

Origine des communes

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L'origine des communes au Moyen Âge.

Pendant longtemps les historiens ont prétendu que l'origine des communes duMoyen âge et de leur organisation devait être cherchée dans l'organisationmunicipale romaine. Ils se sont appliqués à relever toutes les ressemblancesdes deux régimes et surtout les termes tels que municipium, consul, libertasromana, dont l'emploi au Moyen âge leur semblait indiquer la persistance desinstitutions. Ils ont cru que l'organisation des municipes et des curies avait dûpersister obscurément après la chute de l'Empire romain pour reprendre unevie nouvelle et fournir une nouvelle carrière à partir du XIIe siècle. Cettedoctrine est aujourd'hui complètement abandonnée. On a prouvé qu'avantmême la chute de l'Empire, le régime municipal romain s'était partouttransformé en un régime d'oppression et de fiscalité dont les populationsavaient hâte d'être délivrées et que rien de ces institutions n'avait pu survivre àla dissolution de l'Empire et aux invasions des Barbares. Les coïncidences quiavaient frappé les anciens historiens s'expliquent facilement par l'emploi de lalangue latine et l'application du même mot à des choses essentiellementdifférentes.

D'autres historiens, tels que Léo et Roth en Allemagne, ont prétendu quec'était aux anciennes institutions germaniques qu'il allait demander l'explicationdes origines des communes du Moyen âge. Sans nier que ces institutionsaient eu leur part d'influence, on doit reconnaîltre que l'organisationcommunale n'en dérive pas directement. Elle a en effet des origines pluscomplexes, et parmi elles il faut distinguer les anciennes institutions qui ontcontribué à former l'organisation municipale, des causes immédiates qui ontproduit à la fin du XIe et au commencement du XIIe siècle ce que l'on ajustement nommé la révolution communale. Parmi ces causes, il faut mettreau premier rang les invasions des Vikings, qui, en chassant les habitants descampagnes, ont développé les villes, devenues le seul refuge où l'on pûttrouver la sécurité; l'organisation de la féodalité, dans le développement delaquelle les villes ont fini par prendre place; l'oppression féodale, qui aprovoqué la résistance des habitants des villes; et enfin les croisades, qui enaffaiblissant la féodalité, en développant le commerce, ont eu plus d'influencequ'on ne le croit d'habitude sur les progrès du tiers état. Parmi les origines pluslointaines mais non moins efficaces, il faut placer l'esprit d'association, sidéveloppé au Moyen âge : associations commerciales ou religieuses, guildes,confréries; et l'ancienne organisation de la justice carolingienne, dont les jugesse trouvèrent dans beaucoup de villes les premiers magistrats des communes

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et rendirent facile l'usurpation des droits de justice dont nous voyons toutes lesgrandes communes en possession au XIIe siècle.

Il semble bien probable que l'existence d'une association, d'une communautéprécéda, dans la plupart des villes, l'acquisition de la commune. Danscertaines villes, comme à Saint-Omer, ce fut l'association commerciale, laguilde marchande, qui reçut la charte communale et devint ainsi la commune.Certaines villes, pour conquérir de tels privilèges sur leurs suzerains, surentprofiter habilement des circonstances, telles que le départ d'un seigneur pourla croisade, la lutte de plusieurs compétiteurs pour la possession de laseigneurie, l'hostilité de la royauté contre le seigneur, ou les exactions et lesexcès des officiers seigneuriaux ou royaux contre lesquels il était facile deprovoquer une insurrection. Certaines communes purent arriver sans coupférir à la quasi-plénitude de la puissance républicaine, d'autres durentcombattre sans trêve ni repos pour conquérir leur existence d'abord, chacunde leurs droits ensuite. Il y eut des villes qu'une violente répression mit horsd'état des pouvoir jamais revendiquer le droit de commune, d'autres que lalutte ne lassa pas et qui toujours vaincues ne cessèrent de se réorganiser. Lebourg de Châteauneuf fut douze fois vaincu et réduit par son seigneur,l'abbaye de Saint Martin de Tours, avant d'être réuni au XIVe siècle à la cité deTours. Augustin Thierry a fait d'admirables récits de plusieurs de cesinsurrections communales : celles du Mans, de Laon, d'Amiens, etc. Mais ilimporte de ne pas trop généraliser la théorie de la commune insurrectionnelle,et de se rappeler que la guerre n'a été, somme toute, qu'un accident de cetteévolution dans la condition des villes que, la plupart purent acquérir souvent àprix d'argent et sans lutte le droit de commune, que d'autres, les villes despossessions anglaises du continent par exemple, se virent imposer aucontraire de devenir des communes par les rois d'Angleterre qui espéraientque les villes de cette condition serviraient mieux leurs intérêts et en particulierparticiperaient plus efficacement à la défense du pays.

Au début, il semble bien que la royauté et la féodalité laïque ou ecclésiastiqueaient été également hostiles à ce développement des associations urbaines.On sait le mot toujours cité de Guibert de Nogent :

« Commune! Nom nouveau et détestable! par elle, lescensitaires sont affranchis de tout servage moyennant unesimple redevance annuelle; par elle, ils ne sont condamnés tourl'infraction aux lois qu'à une simple amende déterminée

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légalement; par elle, ils cessent d'être soumis aux autres chargespécuniaires dont les serfs sont accablés. »

C'était bien là en effet ce qu'était la commune au regard des seigneurs et c'estbien pour cela, parce qu'elle devait mettre un terme aux taxes arbitraires, auxexactions, aux abus de tout genre, qu'ils étaient irrités contre cetteémancipation des villes. Quelques-uns cependant se laissèrent gagner parl'offre d'une somme immédiate dont ils avaient besoin, d'autres furent assezintelligents pour comprendre que des villes riches, prospères, peuplées,commerçantes, deviendraient pour eux une source plus assurée de revenusque tous les droits arbitraires qu'ils pourraient avoir sur de misérables serfs; ilscomprirent aussi qu'en négociant avec leurs bourgeois, ils conserveraient plusd'autorité et de puissance que s'ils laissaient l'insurrection gagner leursdomaines. Les rois furent assez hostiles aux communes de leurs possessions,mais entrevirent bientôt quel parti ils pourraient tirer dans leur lutte contre laféodalité des communes de leurs vassaux; à celles-ci ils vendirent assezvolontiers leur protection, sauf à se retourner contre elles, si les seigneursenchérissaient sur les offres des bourgeois, et bientôt les juristes de lacouronne hasardèrent la théorie, qui prévalut par la suite, que les villes decommune étaient villes royales, qu'elles étaient sous la protection dusouverain et soustraites à l'autorité de leur seigneur immédiat.

Le clergé seul ne varia guère dans ses sentiments d'hostilité à l'égard descommunes; il ne cessa de fulminer contre les bourgeois, de les considérercomme des serfs mutinés, de voir dans les commerçants des villes desvoleurs et des usuriers auxquels on devait faire rendre gorge, et dans lescommunes même des repaires où l'hérésie faisait ses recrues les plusnombreuses et les plus dangereuses. Les communes établies dans lesseigneuries ecclésiastiques ne cessèrent jamais d'être en lutte contre lesévêques et contre les abbés ce sont ces luttes qu'a racontées Augustin Thierrydans ses Lettres sur l'histoire de France. On y trouve nombre d'épisodesdramatiques et les traits de la cruauté la plus sauvage.

L'évêque de Cambrai fit venir des mercenaires allemands pour massacrer sessujets. A Vézelay il y eut cinq insurrections successives; l'une d'elles coûta lavie à l'abbé. Il y en eut douze à Châteauneuf, près de Tours. Mais le plusterrible de ces drames fut celui de Laon en 1111-1112. Nous le connaissonspar le récit de Guibert de Nogent, témoin oculaire : l'évêque Gaudry était unsoudard féroce, véritable type du brigand féodal, qui devait son siège à laprotection du roi d'Angleterre. Il accablait les paysans de taxes et les faisaittorturer par un esclave noir. En son absence, les bourgeois obtinrent de ceux

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qui le remplaçaient une charte communale. Il consentit à la signer quand ilrevint moyennant une grosse somme d'argent (1109), et le roi Louis VI reçutaussi de l'argent des bourgeois pour approuver la charte. Mais l'évêque selassa bien vite de ne pouvoir plus maltraiter et pressurer les habitants à songré. Au moment des fêtes de Pâques 1111, il demanda au roi la permissiond'annuler la charte. Louis VI hésita entre la commune et l'évêque, qui tousdeux lui offraient de l'argent. L'évêque ayant promis la somme la plus forte, leroi lui donna l'autorisation demandée. Pour verser au roi cette somme, Gaudrycréa des taxes nouvelles. Il voulait que les bourgeois payassent pour ladestruction de la commune autant que pour son établissement. Une terriblecolère souleva le peuple, qui enfonça les portes de l'évêché. Gaudry alla secacher dans un tonneau au fond du cellier. Guidés par un perfide signe de têted'un de ses serviteurs les émeut le découvrirent et le traînèrent par lescheveux jusque dans le cloître de l'église. Un d'eux, d'un coup de hache, lui fitsauter la cervelle; un autre s'empara de l'anneau pastoral en coupant le doigtqui le portait. Le cadavre nu, mutilé, couvert de boue, fut jeté dans un coin. Lapopulace massacra tous ceux des partisans de Gaudry qu'elle put atteindre etincendia l'évêché. Quand elle eut repris son sang-froid; elle eut peur de lacolère du roi et sollicita l'appui du féroce Thomas de Marle. Le bandit déclaraqu'il ne pourrait défendre la ville et offrit asile aux émeutiers dans son château.Les bourgeois le suivirent; la ville abandonnée fut pillée par les paysans et parles seigneurs du voisinage. Le roi força Thomas de Marle à lui livrer les fugitifset les fit pendre. Mais en 1128, le successeur de Gaudry accorda auxhabitants de Laon une nouvelle charte qui fut respectée. (A. Giry / J. Bouniol etE. Nouvel).