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Se f ormer / COMPRENDRE / 55 / N° 245 / Mai 2004 / Le Point Vétérinaire Le bloc atrioventriculaire du troisième degré Par Daniel Hervé, 61 rue Émile Raspail, 94110 Arcueil (1) Médicament à usage humain. Examens clinique et complémentaires ! L’examen clinique révèle un animal calme, voire asthénique, qui se couche sans cesse. Les muqueuses sont un peu pâles et le temps de recoloration vasculaire est allongé. Une bradypnée alterne avec des phases de tachypnée. ! L’examen cardiovasculaire met en évidence un choc précordial d’intensité un peu augmentée, de fréquence très lente et très régulière, avec un pouls fémoral synchrone et bien frappé. L’auscultation ne révèle pas de bruit surajouté. ! L’électrocardiogramme (TRACÉ 1) montre un tracé de dissociation atrioventriculaire caractéristique d’un bloc atrioventriculaire du troisième degré (BAV 3), avec un rythme de secours idioventriculaire gauche à 32 bpm. ! L’échocardiographie révèle des dimensions systoliques et une géométrie ventriculaire normales ; le diamètre diastolique est en revanche augmenté. Il n’existe pas de remaniements valvulaires. Les parois ventriculaires gauches, d’épaisseur normale, sont faiblement hétérogènes de façon diffuse, sans aspect lésionnel plus marqué au niveau septal. Les valeurs de contractilité pariétale et septale sont normales, mais la fraction de raccourcissement est un peu augmentée (49 %). L’augmentation du volume télédiastolique n’est pas pathologique : elle est liée à une diastole longue, avec un remplissage maximal des cavités ventriculaires. Les images échocardiographiques sont donc peu modifiées, sans infiltration ni lésions affectant plus spécialement le tissu conducteur, qui aurai(en)t pu expliquer l’interruption totale de conduction. ! Les radiographies thoraciques ne montrent aucune anomalie. Le bilan hématobiochimique est normal, ce qui permet d’exclure a priori une affection extracardiaque. Suivi ! La fréquence de stimulation ventriculaire est asservie à l’effort (type VVIR) comprise entre 85 et 160 bpm. Le contrôle ECG donne un tracé avec une fréquence de 90 bpm, de type “retard gauche” puisque la sonde est implantée dans le myocarde droit (TRACÉ 2). ! Dès le début de la mise en place de la sonde endomyocardique intraventriculaire droite (par abord jugulaire droit), la restauration de la fréquence permet les efforts, avec la disparition de tous les signes cliniques. ! Le suivi thérapeutique a un double aspect : celui du montage “électrique” et celui de la fonction cardiaque. La surveillance du pacemaker est effectuée via un contrôle annuel des valeurs de la fréquence et de son asservissement, des seuils de stimulation, de l’impédance de la sonde, de la réserve “énergétique”, etc. La fonction cardiaque est évaluée grâce aux examens complémentaires classiques (électro-cardiographie, radiographie, échocardiographie, hématobiochimie) . ! L’animal fait l’objet d’une surveillance de son habitus et de sa tolérance à l’effort. Sa fréquence de stimulation est en outre surveillée afin de détecter tout épuisement du générateur (chute de la fréquence à 60 bpm, qui précède de deux mois l’arrêt définitif). Traitement ! L’attitude thérapeutique est fonction de l’étiologie et de la stabilité du bloc. Le traitement a pour but l’accélération de la fréquence cardiaque. ! La prescription d’un bêtamimétique est inutile, voire dangereuse, en raison de son effet potentiellement pro- arythmogène sur le myocarde ventriculaire (bathmotrope positif) : induction possible d’extrasystoles, voire de tachycardie ou de fibrillation ventriculaire létale. ! La seule solution est l’élec- trostimulation cardiaque définitive s’il n’existe pas d’affections intercurrentes. Un pacemaker est donc mis en place. Une chienne croisée labrador, âgée de six ans, est présentée pour une fatigabilité intense, associée à des lipothymies et à des syncopes lors du moindre effort. Tracé 1 Tracé 2 Autres examens ! Les BAV 3 sont exceptionnellement fonctionnels et transitoires (neurovégétatifs et/ou iatrogènes), mais quasiment toujours d’origine inflammatoire ou dégénérative, donc presque toujours définitifs et de fréquence invariable. L’inadaptation absolue de la fréquence cardiaque explique la fatigabilité à l’effort modéré, les accidents de lipothymies et les syncopes lors de demande de débit supérieur. ! Il convient toutefois de vérifier que le rythme de secours enregistré est stable, c’est-à-dire que le bloc est non fonctionnel et définitif. De l’atropine (anticholinergique) est injectée par voie intraveineuse, à la posologie de 30 µg/kg. Une tachycardie atriale à 210 bpm survient alors, liée aux dépolarisations sinusales conduites à l’étage supraventriculaire, avec une invariance de la fréquence du rythme de secours ventriculaire. Pour lever toute ambiguïté et vérifier qu’aucun processus inflammatoire instable n’est à l’origine d’un trouble de conduction, une corticothérapie est instaurée pendant dix jours (1 mg/kg/j de prednisolone) sans modification de la fréquence du rythme de secours ventriculaire. Il convient de s’assurer, avant l’administration de corticoïdes, qu’il n’existe pas de syndrome inflammatoire myocardique évolutif en dosant la cTnI (troponine I : valeur normale inférieure à 0,1 pg/ml). ! La conclusion diagnostique est donc l’existence d’un bloc atrioventriculaire du troisième degré, avec un rythme de secours idioventriculaire gauche à 32 bpm, d’étiologie indéterminée. Le pronostic fonctionnel et vital est défavorable © Le Point Vétérinaire - Reproduction interdite

Cardiologie bloc atrioventriculaire du troisième degré

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Se former / COMPRENDRE /

55/ N° 245 / Mai 2004 / Le Point Vétérinaire

Le bloc atrioventriculairedu troisième degré

Par Daniel Hervé, 61 rue Émile Raspail, 94110 Arcueil(1) Médicament à usage humain.

Examens clinique et complémentaires

! L’examen clinique révèle un animal calme, voire asthénique,qui se couche sans cesse. Les muqueuses sont un peu pâleset le temps de recoloration vasculaire est allongé. Unebradypnée alterne avec des phases de tachypnée.! L’examen cardiovasculaire met en évidence un chocprécordial d’intensité un peu augmentée, de fréquence trèslente et très régulière, avec un pouls fémoral synchrone etbien frappé. L’auscultation ne révèle pas de bruit surajouté.! L’électrocardiogramme (TRACÉ 1) montre un tracé dedissociation atrioventriculaire caractéristique d’un blocatrioventriculaire du troisième degré (BAV 3), avec unrythme de secours idioventriculaire gauche à 32 bpm.! L’échocardiographie révèle des dimensions systoliqueset une géométrie ventriculaire normales ; le diamètrediastolique est en revanche augmenté. Il n’existe pasde remaniements valvulaires. Les parois ventriculairesgauches, d’épaisseur normale, sont faiblementhétérogènes de façon diffuse, sans aspect lésionnelplus marqué au niveau septal. Les valeurs decontractilité pariétale et septale sont normales,mais la fraction de raccourcissement est un peuaugmentée (49 %). L’augmentation du volumetélédiastolique n’est pas pathologique : elle estliée à une diastole longue, avec un remplissagemaximal des cavités ventriculaires. Les imageséchocardiographiques sont donc peu modifiées,sans infi ltration ni lésions affectant plusspécialement le tissu conducteur, qui aurai(en)tpu expliquer l’interruption totale de conduction.! Les radiographies thoraciques ne montrentaucune anomalie. Le bilan hématobiochimiqueest normal, ce qui permet d’exclure a priori uneaffection extracardiaque.

Suivi! La fréquence de stimulation ventriculaire est asservie à l’effort(type VVIR) comprise entre 85 et 160 bpm. Le contrôle ECGdonne un tracé avec une fréquence de 90 bpm, de type “retardgauche” puisque la sonde est implantée dans le myocarde droit(TRACÉ 2).! Dès le début de la mise en place de la sondeendomyocardique intraventriculaire droite (par abord jugulairedroit), la restauration de la fréquence permet les efforts,avec la disparition de tous les signes cliniques. ! Le suivi thérapeutique a un double aspect : celui dumontage “électrique” et celui de la fonction cardiaque.

La surveillance du pacemaker est effectuée via uncontrôle annuel des valeurs de la fréquence et de

son asservissement, des seuils de stimulation, del ’ impédance de la sonde, de la réserve

“énergétique”, etc. La fonction cardiaque estévaluée grâce aux examens complémentaires

classiques (électro-cardiographie, radiographie,échocardiographie, hématobiochimie) .

! L’animal fait l’objet d’une surveillancede son habitus et de sa tolérance àl’effort. Sa fréquence de stimulationest en outre surveillée afin dedétecter tout épuisement dugénérateur (chute de lafréquence à 60 bpm,qui précède de deuxm o i s l ’ a r r ê t définitif).

Traitement! L’attitude thérapeutique est fonction del’étiologie et de la stabilité du bloc. Letraitement a pour but l’accélération de lafréquence cardiaque. ! La prescription d’un bêtamimétiqueest inutile, voire dangereuse, en raisonde son effet potentiellement pro-arythmogène sur le myocardeventriculaire (bathmotrope positif) :induction possible d’extrasystoles,voire de tachycardie ou defibrillation ventriculaire létale.! La seule solution est l’élec-trostimulation cardiaquedéfinitive s’il n’existe pasd’affections intercurrentes.

Un pacemaker estdonc mis en

place.

Une chienne croisée labrador, âgée de six ans, est présentée pour une fatigabilité intense, associée à des lipothymies et à des syncopes lors du moindre effort.

Tracé 1 Tracé 2

Autres examens! Les BAV 3 sont exceptionnellement fonctionnels et

transitoires (neurovégétatifs et/ou iatrogènes), maisquasiment toujours d’origine inflammatoire ou dégénérative,

donc presque toujours définitifs et de fréquence invariable.L’inadaptation absolue de la fréquence cardiaque explique la

fatigabilité à l’effort modéré, les accidents de lipothymies et lessyncopes lors de demande de débit supérieur.

! Il convient toutefois de vérifier que le rythme de secours enregistréest stable, c’est-à-dire que le bloc est non fonctionnel et définitif. De

l’atropine (anticholinergique) est injectée par voie intraveineuse, à laposologie de 30 µg/kg. Une tachycardie atriale à 210 bpm survient

alors, l iée aux dépolarisations sinusales conduites à l’étagesupraventriculaire, avec une invariance de la fréquence du rythme desecours ventriculaire. Pour lever toute ambiguïté et vérifier qu’aucunprocessus inflammatoire instable n’est à l’origine d’un trouble de conduction,une corticothérapie est instaurée pendant dix jours (1 mg/kg/j de prednisolone)sans modification de la fréquence du rythme de secours ventriculaire. Il convientde s’assurer, avant l’administration de corticoïdes, qu’il n’existe pas de syndromeinflammatoire myocardique évolutif en dosant la cTnI (troponine I : valeur normaleinférieure à 0,1 pg/ml). ! La conclusion diagnostique est donc l’existence d’un bloc atrioventriculairedu troisième degré, avec un rythme de secours idioventriculaire gauche à32 bpm, d’étiologie indéterminée. Le pronostic fonctionnel et vital estdéfavorable

© Le Point Vétérinaire - Reproduction interdite