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Décryptage de la communication digitale d'Anne Hidalgo et de Nathalie Kosciusko-Morizet lors de l'élection municipale de 2014 à Paris

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Cercle des communicants francophones

Itw #11

« Lors des municipales de 2014, les écosystèmes digitaux d'AnneHidalgo et de Nathalie Kosciusko-Morizet avaient des objectifsidentiques mais des périmètres et un centre de gravité clairementdistincts »

Dans le cadre de son Master 2 Sémiologie et communication suivi à l'Université Paris Descartes,Damien Leborgne a réalisé un mémoire sur : ''Les pratiques de communication digitale dans lacampagne pour l’élection municipale 2014 à Paris : les enjeux du discours politique''. Le Cercledes communicants francophones (CCF ) a été très intéressé par son travail d'analyse et lui aproposé de le présenter. Damien Leborgne est aujourd'hui Consultant éditorial à l'agence Babel.

Quel était le dispositif de communication digitale mis en place par Anne Hidalgoet Nathalie Kosciusko-Morizet lors des élections municipales parisiennes de2014? Ces dispositifs étaient-ils très différents de ceux de 2008 ?

Damien Leborgne (DL) : Le dispositif de communication digitale que lesdeux candidates ont mis en place en 2014 était de deux ordres : uneprésence sur toutes les plateformes sociales, couplée à une animationéditoriale régulière de leur site dont le trafic était alimenté par desnewsletters hebdomadaires.

Twitter a joué un rôle prépondérant pour les deux candidates. En effet,elles ont toutes les deux créé des comptes pour chacun desarrondissements parisiens, puis créé de multiples comptes relais et, enfinfait jouer de nombreux ''influenceurs'' pour porter les messages publiés

sur leur « timeline » respective. Ce dispositif était foncièrement différent de celui de 2008 pour lasimple raison que les outils que je viens d’évoquer n’avaient alors pas atteint les niveaux dematurité et d’utilisation de 2014. Ainsi, en 2008, Françoise de Panafieu (alors candidate de la droiteà Paris) avait particulièrement brillé par son absence des réseaux en ligne et son incapacité àintégrer ce levier dans sa stratégie électorale. Bertrand Delanoë, avait été, quant à lui un peu mieuxconseillé et son site était régulièrement mis à jour.

Quels étaient les objectifs de la communication digitale pour chacune descandidates ?

(DL) : Les objectifs des deux candidates étaient pour moi de trois ordres : convaincre, persuader etinteragir. Si les deux premiers objectifs étaient assez habituels d’une campagne électorale, c’est laprédominance des interactions qui a été le plus intéressant à observer. En effet, via des opérations''un café avec'', des chats conversationnels avec webcam, le développement de hashtags dédiés àdifférents sujets, elles ont toutes les deux voulu mobiliser, faire bouger, faire agir les personnessusceptibles de voter pour elles.

Si les objectifs étaient similaires, les écosystèmes digitaux des candidates disposaient de périmètresclairement distincts et de centres de gravité différents. Si Anne Hidalgo a innové en proposant denouvelles façons d’interagir avec l’électeur, cela s’est parfois fait au détriment de la cohérence et del’unité de sa présence sur l’ensemble des plateformes sociales. À l’inverse, là où la candidate dedroite et du centre a su fédérer et travailler dans une optique globale créatrice de sens, elle a délaissé

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à de nombreuses reprises l’interaction avec le citoyen par les réseaux sociaux.

Ainsi, si la campagne de Nathalie Kosciusko-Morizet sur les réseaux sociaux est en soi un très belexemple de campagne politique, Anne Hidalgo a réussi à se démarquer par des moments fortsd’optimisation de la relation du politique avec la ''société civile''.

Quelles étaient les attentes des internautes au niveau numérique ?

(DL) : Les attentes étaient très importantes et l’élection présidentielle de 2012 avait montré à quelpoint l’enjeu d’une élection avait déjà basculé vers le numérique. François Hollande avait en effetmené une campagne sur les réseaux sociaux particulièrement prometteuse (avec, notamment,l’agenda du changement qui avait fait entrer le candidat dans une optique de réalisation despromesses assez forte).

Ces attentes étaient d’autant plus importantes que Paris est un laboratoire propice à ces évolutions.Plus riches et plus jeunes, les habitants de la capitale ont un taux d’équipement supérieur à lamoyenne française. Ce qui a démultiplié les enjeux. Les citoyens ont ainsi été particulièrement enattente de contre-vérités, de contre-propos, de chiffres, de vérification, d’informations en temps réelet c’est là que la donne a changé. Les candidates ont été perpétuellement mises face à leurscontradictions, leurs fausses vérités, leurs petits mensonges. Ainsi, l’affiche officielle d’AnneHidalgo photoshoppée (avec preuve à l’appui) et les frasques de Nathalie Kosciusko-Morizet ontété rapidement transformées en montages viraux.

Estimez-vous que la communication digitale a transformé la communicationpolitique ? Si oui, de quelle façon ?

(DL) : Selon moi, l’avènement du digital et d’Internet a, non seulement complètement transformé lacommunication politique mais a surtout transformé l’appareil politique en tant que tel. D’unsystème profondément top-down, basé sur la conviction des citoyens, les politiques ont désormaisface à eux un outil puissant de persuasion et d’interaction.

À l’inverse, les citoyens l’ont aussi très bien compris et usent à l’envi du numérique à la fois pouréchanger plus directement avec les politiques mais également pour vérifier et argumenter face àd’éventuelles contre-vérités et intox. Ainsi, si nous sommes passés d’un Lionel Jospin ne sachantpas utiliser une souris en 2002 à une ère sous laquelle des candidats d’envergure nationale discutentsur Twitter. C’est avant tout un changement profond de culture qui s’est produit. En effet, lespolitiques ont désormais un éventail complètement renouvelé des possibilités de mener unecampagne et également de travailler une fois au pouvoir.

C’est Benoît Thieulin, président du Comité National du Numérique, qui résume, selon moi le mieuxcette transformation : « le numérique constitue une révolution linguistique et épistémologiquemajeure : il transforme nos savoirs, ouvre de nouveaux possibles et reconfigure nos modes depensée et d'action. »

Quels pourraient être, à votre avis, les nouveaux outils de communicationdigitale utilisés lors des prochaines élections municipales ?

(DL) : Les possibilités sont nombreuses et c’est en cela que la campagne actuellement menée parHillary Clinton aux Etats-Unis est particulièrement observée en France. Celle-ci vavraisemblablement faire émerger de nouveaux dispositifs, de nouveaux usages, de nouvellespratiques qui seront mis en œuvre lors des prochaines élections en France (présidentielles de 2017ou municipales en 2020).

Pour l’instant, il est intéressant d'analyser comment les nouveaux outils et réseaux sociaux ont déjàémergé et se développent à une vitesse laissant augurer une influence électorale significative.Notons notamment comment le développement fulgurant de Snapchat intéresse d’autant plus les

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candidats qu’il s’adresse à une cible particulièrement encline à l’abstention : les jeunes de moins de25 ans. Également et au-delà de l’outil, le nouvel usage du selfie est très sérieusement pris encompte pour cette élection, et a ainsi fait l’objet d’un article dans The New York Times intitulé TheSelfie Election (édition datée du 4 juillet 2015). Les plateformes collaboratives qui permettent auxcitoyens de proposer des idées se développent également à vitesse grand V. Enfin, un récent articlepublié dans The Washington Post et intitulé Search engines could already be tilting elections, studysays nous montre à quel point nous sommes entrés dans un monde nouveau en termes de stratégieélectorale.

Interview réalisée par Damien ARNAUD (@laCOMenchantier) en septembre 2015

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