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THESE PROFESSIONNELLE
dans le cadre d'un Mastère Spécialisé® accrédité par
la Conférence des Grandes Ecoles
Programme : Mastère Spécialisé® (MS) en Management des Ressources Humaines
Promotion : 2014 - 2015
NOM : FEIST
Prénom : Brigitte
Intitulé de la thèse : Comment accélérer l’acquisition des compétences numériques
dans une entreprise en transformation digitale ?
Date de la soutenance : 7 avril 2016
Directeur de thèse : Jean-Luc CERDIN
Thèse : Non confidentielle
2
Remerciements
Je remercie toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de cette thèse professionnelle et en
tout premier lieu :
Stanislas Chevalet et Claire Creuzot, les deux managers qui ont entendu et compris dès 2014 mon
souhait de tenter l’aventure d’un Mastère Spécialisé en Management des Ressources Humaines et
ont soutenu ma candidature ;
Sophie Joyat et Marie-Christine Barjolin, responsables RH de BNP Paribas Cardif, qui ont donné
leur feu vert pour que ce souhait se concrétise ;
Olivier Cortes, mon nouveau manager à compter de 2015 qui m’a laissé poursuivre mes travaux en
m’accordant sa confiance pour organiser mes temps de travail entre mes nouvelles fonctions
professionnelles et mes cours et recherches à l’ESSEC ;
Jean-Luc Cerdin, mon directeur de thèse à l’ESSEC, pour ses conseils ;
Régine Belliard, conseil documentaire ESSEC, et Malala Razafindraka, Chargée de Programmes,
qui m’ont prodigué un appui très appréciable.
J’exprime également ma gratitude aux deux co-directeurs du programme MS Management des
Ressources Humaines de l’ESSEC, Jean-Marie Peretti et Jean-Luc Cerdin, ainsi qu’à l’ensemble du
corps professoral qui, au-delà de la qualité de leurs interventions, ont accepté de maintenir un fil
régulier de contact et de conversation à distance.
Je suis très reconnaissante à l’ensemble des interviewés qui m’ont ouvert leur porte et ont accepté de
se prêter au jeu de l’entretien qualitatif pour ma phase terrain. Ce furent de belles rencontres
humaines, fondées sur le partage et la curiosité intellectuelle.
J’ai une pensée particulière pour mes collègues étudiants de la promotion 2014-2015, compagnons
d’aventure … et source inépuisable d’encouragement.
J’associe à mes remerciements mes équipes, managers et collaborateurs du Secrétariat Général ETO
et de la Direction des Achats, des Délégations Stratégiques et de la Logistique, qui ont fait preuve de
compréhension lors de mes jours d’absence pour formation à l’ESSEC et qui ont tenu la ‘boutique’.
Enfin, une telle expérience n’aurait pas été possible sans le soutien et la bienveillance de ma famille
et de mes proches, qui m’ont permis de m’offrir cette parenthèse régénératrice de 18 mois et de me
concentrer sur mon objectif.
Et merci à Vous, Lecteur pour votre intérêt à lire ces pages.
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Table des matières
REMERCIEMENTS p.02
GLOSSAIRE P.05
INTRODUCTION p.06
1ère PARTIE : revue de littérature
I. De la troisième révolution industrielle à l’économie du quaternaire … de la technologie aux
changements des usages et des modes de vie
I.1 La convergence de trois révolutions technologiques p.10
I.2 L’impact des innovations contemporaines sur le marché du travail et les emplois p.11
I.3 Quelles qualifications requises dans l’économie du quaternaire ? p.15
II. La maturité numérique française
II.1 La performance numérique de la France à l’échelle mondiale sur le Digital p.16
Evolution Index
II.2 Le paradoxe français dans le paysage européen : le décalage particuliers / p.19
entreprises
Focus Assurance n°1 - Maturité numérique du secteur de l’Assurance p.24
II.3 L’accélération de la transformation digitale : un enjeu identifié, un chemin encore p.25
mal balisé, un potentiel salarié sous-exploité
III. Comment définir les compétences numériques ?
III.1 Qu’appelle-t-on une compétence individuelle ? p.28
III.2 La compétence numérique : un concept jeune, mouvant et d’essence politique p.30
III.3 De la compétence numérique à la boite à outils élémentaire du citoyen du XXIème p.35
siècle
IV. Trois menaces relatives à l’acquisition des compétences numériques, trois freins à la
transformation digitale de l’entreprise
IV.1 Le digital divide ou les fractures numériques, le risque de l’e-exclusion p.40
Focus Assurance n°2 - Et si la génération X prenait sa revanche numérique ? p.46
IV.2 Le digital skills shortage ou le déficit de compétences numériques, l’exacerbation p.46
de la guerre des talents
Focus Assurance n°3 - Re-skilling des emplois p.49
4
IV.3 Management 3.0, le malaise de la ligne managériale p.50
V. Quels leviers pour accélérer l’acquisition des compétences numériques ?
V.1 L’apprendre à apprendre dans un cadre informel p.55
V.2 Le développement d’environnements de travail capacitants p.56
V.3 Le design thinking comme méthode de conduite du changement centrée p.57
sur les usages
Focus Assurance n°4 – L’Open Innovation en action p.59
V.4 Les communautés de pratique, collectifs de savoir et d’innovation p.60
2ème PARTIE : analyse des entretiens qualitatifs
I. La construction de l’enquête
I.1 Les personnes ciblées pour l’entretien p.61
I.2 Le guide d’entretien p.64
II. La synthèse et l’analyse des entretiens
II.1 Le paysage de la transformation digitale p.65
Focus Assurance n°5 – Les métiers de l’Assurance à l’ère du numérique p.68
II.2 L’environnement d’acquisition des compétences numériques p.70
II.3 La certification des compétences numériques versus le personal branding p.73
II.4 Coup de projecteur : l’intégration des jeunes et le spleen des managers p.75
III. Trois cas d’études, trois façons d’approcher les compétences numériques
III.1 Le cabinet conseil Magellan Partners > S’approprier le Digital, c’est apprendre p.79
sans connaître chapitre suivant et être prêt à oublier le chapitre précédent aussitôt !
III.2 Le Groupe Orange > Numérique et talent humain vont de pair p.82
III.3 Le Groupe BNP Paribas > Offrir à nos clients la magie du digital tout en assurant p.86
la sécurité et la conformité de leurs opérations
IV. Version finale du livrable ‘référentiel de compétences numériques’
IV.1 Deux référentiels de compétences numériques contemporains de mon livrable p.91
IV.2 Ma représentation d’un modèle de compétences numériques p.92
CONCLUSION p.93
BIBLIOGRAPHIE p.98
5
GLOSSAIRE AUTOUR DU NUMERIQUE
Entreprise numérique : entreprise qui, dans toutes les dimensions de son modèle d’affaires a une
vision et un plan numérique et pour laquelle la dimension numérique se confond souvent avec la
dimension stratégique. Le concept d’entreprise numérique a vocation à être ouvert, dynamique et
collectif. Il s’agit d’une démarche globale pour l’entreprise qui vise à développer la création de valeur
par le numérique, c’est-à-dire par les usages personnels et professionnels des technologies de
l’information. Dans ce cadre, l’entreprise développe avant tout les savoir-faire et les savoir-être qui
vont faire l’entreprise numérique de demain. (1)
Ressources numériques : ressources diverses qui regroupent non seulement le patrimoine
technologique de l’entreprise (les applications, les bases de données, les infrastructures
informatiques), mais également les compétences qu’ont les acteurs de l’entreprise à tirer parti de
toutes les potentialités du numérique pour développer le modèle d’affaires, l’activité ou l’offre de valeur.
Le développement de ces compétences numériques constitue la clé essentielle permettant à
l’entreprise numérique de se déployer de manière pertinente. (1)
Partenaires de l’entreprise numérique : l’entreprise numérique est ouverte, étendue. Son identité est
en pleine mutation. L’entreprise fait partie de la communauté de son écosystème, elle interagit
fortement avec ses partenaires. Dans une étude de 2009, l’Orange Labs de San Francisco fait le
constat suivant : « les frontières traditionnelles des entreprises étant de plus en plus poreuses, celles-
ci sont donc mieux à même d’interagir avec leurs partenaires potentiels ainsi qu’avec leurs clients,
leurs employés et les communautés d’intérêt. » (1)
Littératie numérique :
aptitude à comprendre et à utiliser le numérique dans la vie courante, à la maison, au travail, dans
la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses compétences et ses
capacités. (2)
capacité à utiliser les outils numériques, la capacité à comprendre, de façon critique, le contenu
numérique ainsi que la capacité à pouvoir produire des contenus grâce aux outils numériques. (2)
vaste capacité de participer à une société qui utilise la technologie des communications
numériques dans les milieux du travail, au gouvernement, en éducation, dans les domaines
culturels, dans les espaces civiques, dans les foyers et dans les loisirs. (3)
Sources :
1. « L’entreprise numérique, quelles stratégies pour 2015 ? », Bruno Ménard, CIGREF, 2010 et
« Entreprises 2020 à l’ère du numérique : enjeux et défis », Pascal Buffard, CIGREF, 2014
2. « Littératie à l’ère de l’information », OCDE, 2000
3. « Définir la politique de littératie numérique et la pratique dans le paysage de l’éducation
canadienne », Habilo Medias, 2015
6
INTRODUCTION
Le digital investit à grande vitesse tous les champs de la société : l’éducation, l’économie, le business,
l’entreprise, l’organisation du travail. Il bouscule les frontières entre vie privée et vie professionnelle. Il
nous fait entrer dans un monde dans lequel il faut être capable de s’adapter, de comprendre, de saisir
rapidement les opportunités d’innovation et de faire preuve de vision. Avec le digital, nous accédons à
une nouvelle ère : celle de la société du savoir et de la connaissance.
En quinze ans, trois vagues de transformation numériques se sont succédées.
La première vague a lieu au tournant du millénaire avec la propagation d’internet considéré comme un
canal de vente supplémentaire. Les thématiques tournent alors autour de la distribution, des
transactions et de l’omni-canalité.
La seconde vague se caractérise par l’avènement des réseaux sociaux avec pour point d’orgue
l’arrivée de Facebook en avril 2004.
La troisième et dernière vague est marquée par la déferlante des smartphones avec en 2008 la
commercialisation de l’Iphone 3G qui créée une véritable rupture technologique en autorisant
l’interaction avec des capteurs, notamment des GPS. Cette innovation ouvre la voie à la production de
data par les individus, initiant ainsi le big data.
Ce cycle d’innovations n’est pas fini. Déjà, le numérique nous prépare d’autres évolutions autour de
l’internet des objets (IoT), de la robotique, l’intelligence artificielle et l’informatique cognitive.
Source : Blog Futurs Talents, Jean-Baptiste Audrerie - 11 janvier 2016
L’originalité de ces premières vagues de transformation digitale repose sur le fait que les individus ont
devancé les organisations dans l’appréhension des usages numériques. C’est pourquoi les
entreprises ont trouvé plus de facilité à débuter leur transformation numérique en privilégiant la refonte
du parcours et de l’expérience client.
Aujourd’hui les entreprises abordent un nouveau tournant.
7
Source : Blog Cyberlabe, 20 décembre 2015
Après avoir renouvelé la
relation client, le numérique
attaque le fonctionnement et
les processus mêmes des
organisations. Il modifie
considérablement les
‘business models’ et redéfinit
les équilibres de marché en
faisant tomber les barrières à
l’entrée des nouveaux
entrants, qu’il s’agisse des
ambitieux GAFA (Google,
Amazon, Facebook, Apple),
des jeunes NATU (Netflix,
Airbnb, Tesla, Uber), des
petites startups ou de grands
groupes en cours de
redéploiement sur de
nouveaux axes stratégiques
(IBM).
L’éclosion des plateformes
génère pour les acteurs
historiques d’un secteur un
réel risque de
désintermédiation qui
menace des situations de
rentes établies de longue
date sur des marchés
régulés. C’est la fameuse
‘uberisation’ de l’économie.
Cette menace de la ‘disruption’ (capacité à se faire évincer par un acteur qui ne vient pas du marché),
oblige les entreprises à passer du mode défensif au mode offensif. Cela passe par une remise en
cause et un changement en profondeur des organisations qui se heurtent à trois difficultés :
La transversalité dans des sociétés organisées classiquement de manière hiérarchisée et en silos ;
La vitesse avec un rythme de changement technologique qui dépasse de loin le temps de
l’humain ;
L’absence de culture du risque et d’acceptation du droit à l’échec.
Le rapport Mettling remis en septembre 2015 par le DRH éponyme d’Orange à Myriam EL Khomri,
Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue Social, présente deux
mérites. Tout d’abord, il établit pour la première fois un lien fort entre transformation digitale et
fonctionnement de l’entreprise. Ensuite, il montre clairement que cette transformation remet en cause
les fondements traditionnels de l’entreprise, en bouleversant l’unité d’action, de temps et de lieu du
travail.
Dans ce rapport intitulé ‘Transformation numérique et vie au travail’, Bruno Mettling pointe (p.7) les
principaux impacts du numérique sur le travail, et notamment sur les métiers et les compétences.
« La modification des conditions d’exercice des activités induites par ces nouveaux outils
(numériques) et ces modes de travail concerne tous les métiers sans exception, manuels ou
8
intellectuels, métiers de la connaissance ou de l’expérience. Elle nécessite souvent de développer ou
d’acquérir de nouvelles compétences (…). Les spécificités mais aussi les difficultés de cette
adaptation par rapport aux évolutions traditionnelles de l’entreprise tiennent à ce que la vitesse
exceptionnelle de diffusion nécessite un très haut degré d’adaptation et d’anticipation pour éviter la
déqualification, facteur de rupture numérique ».
Dans un environnement marqué par l’accélération du temps, les ruptures technologiques irréversibles
et l’exigence accrue des clients en termes de qualité de service, les entreprises ne cherchent pas
seulement des collaborateurs qui agissent digital (Digital Natives), mais aussi des collaborateurs qui
pensent digital (Digit’Experts) avec une nouvelle approche de leur métier et de leur mission.
Ceci implique de mettre en œuvre un nouveau mix de compétences associant des savoir-faire
techniques (hardskills), des savoir-être comportementaux (softskills) et des connaissances sectorielles.
Parmi les compétences recherchées, on peut imaginer une attention particulière apportée par
exemple à l’intelligence sociale, à la pensée informatique, à l’inter-disciplinarité, à la créativité et à
l’adaptation, à la collaboration virtuelle, à l’auto-formation.
Sur le long terme, un collaborateur, quel que soit son département, devra manier avec la même facilité
les enjeux fonctionnels du métier et les enjeux technologiques, en se construisant un profil hybride. De
même, il se construira un parcours hybride, alternant ou cumulant les différentes formes d’emploi,
salariales et entrepreneuriales.
Simultanément, le management passera de l’autorité hiérarchique, de la légitimité d’expérience et
d’expertise à la zone d’influence.
Si les ‘pure players’ (Google, Microsoft, Orange, …) ou start-ups des TIC ont déjà pris une longueur
d’avance dans la composition d’équipes de Digit’Experts, aidés en cela par leur sous-jacent
technologique et leur jeunesse, toutes les entreprises n’en sont pas à ce stade, loin de là. Le défi
majeur pour une compagnie ‘traditionnelle’ (dans l’industrie ou le service, le public ou le privé) réside
aujourd’hui dans l’acquisition de talents digitaux mais surtout dans la réingénierie des compétences de
sa population de salariés.
Donner à chacun l’opportunité d’être un acteur de la transformation digitale de son entreprise, c’est à
la fois l’associer à un projet dynamique et motivant mais aussi l’assurer de maintenir son employabilité
sur le marché du travail. Il s’agit d’un enjeu crucial notamment pour les sociétés qui entretiennent une
longue tradition d’accompagnement à la reconversion de leurs collaborateurs au travers d’un pacte
social, déjà éprouvé lors des précédentes évolutions industrielles ou technologiques.
La présente thèse professionnelle se propose d’étudier comment accélérer l’acquisition des
compétences numériques dans une entreprise en transformation digitale.
Dans un premier temps, une revue de littérature aura pour objectif de camper le cadre de la réflexion
en analysant au travers d’articles académiques et de rapports d’étude récents (tous postérieurs à
2010 pour s’inscrire dans le contexte des vagues de transformation numérique) :
Les ressorts économiques de cette nouvelle révolution industrielle, son impact sur la structure de
l’emploi, les qualifications requises dans l’ère du quaternaire ;
Le degré de maturité numérique des entreprises françaises ;
L’identification et la classification des compétences numériques au travers d’approches
complémentaires issues des institutions politiques ou universitaires ;
Les menaces et les freins associés à l’acquisition de ces compétences en entreprise ;
Les conditions de développement et d’épanouissement de ces compétences à l’échelle individuelle
et organisationnelle.
9
Cette partie théorique sera éclairée ici et là de quelques illustrations appliquées au secteur de
l’Assurance. Ces focus donneront des exemples concrets des transformations à l’œuvre dans une
profession financière dans laquelle j’exerce depuis plus de 20 ans et dont j’observe les mutations sous
l’impact du digital.
La résultante de la revue de littérature consistera à produire d’une part une proposition de référentiel
de compétences numériques et d’autre part un guide d’entretien permettant de conduire une enquête
qualitative auprès de 17 interviewés issus d’horizons variés : DRH, responsables pédagogiques des
grandes écoles, responsable de formation, responsable d’observatoire des métiers, influenceur sur
réseaux sociaux professionnels, représentant de syndicat de dirigeants, acteur de la FING, expert en
cabinet conseil RH …
A l’issue de ces rencontres, au-delà de l’analyse des témoignages des uns et des autres sur les
pratiques, l’objectif consistera à stabiliser la proposition de référentiel de compétences numériques en
intégrant toute la richesse de ces regards croisés.
10
1ère PARTIE : revue de littérature
I. De la troisième révolution industrielle à l’économie du quaternaire … de la technologie aux
changements des usages et des modes de vie
I.1 La convergence de trois révolutions technologiques
Un nouveau monde émerge affirme Jérémy Rifkin, économiste américain, au travers de ses deux
derniers ouvrages : ‘La troisième révolution industrielle’ (2012) et ‘La nouvelle société du coût
marginal zéro’ (2014). Nos sociétés sont bouleversées par la conjonction de trois révolutions
technologiques :
la révolution des technologies de l’information et de la communication (TIC), qui permet l’échange
de milliards d’informations de manière totalement décentralisée entre des milliards d’ordinateurs,
de smartphones, de GPS, de capteurs, de compteurs, de collecteurs d’information ;
la révolution énergétique, qui substitue aux systèmes de production d’énergie centralisés, à partir
de combustibles fossiles ou nucléaires, des formes nouvelles et totalement décentralisées de
production d’énergie renouvelable, chaque logement se transformant en une petite centrale de
production grâce à son architecture bioclimatique, ses capteurs solaires, voire son éolienne de
poche ;
la révolution du stockage de l’électricité, qui devrait permettre d’ici quelques années de pallier le
principal défaut des énergies éolienne et solaire qui est leur caractère aléatoire, et donc de
recueillir les petites quantités d’énergie produites par chacun de ces millions de capteurs à des
moments creux pour les utiliser au moment et dans le lieu où l’on en aura besoin.
Considérées et articulées ensemble, ces trois révolutions débouchent sur la conceptualisation d’un
énorme réseau d’échange d’informations et d’énergie, un « smart grid » (un « réseau intelligent »)
géant, permettant la création d’une plateforme d’opération unique pour l’économie.
Aujourd’hui, l’internet de l’information, déjà largement répandue, commence à converger avec
le très jeune internet de l’énergie, et un début d’internet des logistiques : « trois internets en
un » aboutissant à l’internet des objets.
Cette grande mutation s’accompagne de deux incidences majeures :
1. l’approche du coût marginal zéro sur la production de nombreux biens et services, les rendant
virtuellement gratuits et abondants ;
2. l’avènement de l’économie du partage avec la transformation des comportements individuels.
C’est bien historiquement la concomitance du progrès sur le trinôme ‘communications-
énergie-transports’ qui génère les plus grandes mutations économiques. Ainsi si l’on remonte à
la révolution hydraulique, puis aux révolutions de la vapeur et de l'électricité, on constate que l'on
assiste à chaque fois à la conjonction d'une révolution des communications (facilitation des échanges),
d'une révolution énergétique (le « moteur » de l'économie) et d'une révolution des transports et de la
logistique (fluidification de la circulation des biens à l'intérieur de cette économie). Au XIXe siècle,
l'impression (de journaux, notamment) par des presses à vapeur remplace l'impression manuelle.
Arrive le télégraphe. Ces deux moyens de communication profitent de la profusion de charbon à coût
modéré, et l'invention de la locomotive permet d'élargir le marché et de fluidifier le commerce. Au XXe
siècle, une nouvelle révolution se produit avec le téléphone et la radio, qui convergent avec l'arrivée
du pétrole et de la voiture, et provoquent, couplées avec la construction du réseau routier, le boom de
la grande mutation urbaine et « suburbaine ».
11
Le coût marginal de production – coût de production additionnel d’un objet ou d’un service une fois les
coûts fixes absorbés – s’est considérablement réduit dans les économies traditionnelles ces quarante
dernières années, avec une forte accentuation du phénomène sur la dernière décennie.
Les industries musicale, de la presse, de l’édition, des divertissements ont vu ainsi leur business
model se reconfigurer. L’industrie du savoir connait elle aussi de grandes mutations avec la montée
en puissance des nouvelles formes d’encyclopédies universelles (Wkipedia) dont les contenus sont
produits gratuitement par des millions d’internautes. Sans parler des MOOCs (Massive On-Line Open
Courses) : en deux ans (2012-2014), 6 millions d'étudiants se sont mis à suivre gratuitement des
cours online, issus des meilleures universités du monde.
L’illustration ne s’arrête pas à des biens et services numériques. Longtemps il a été considéré que la
réduction à zéro du coût marginal ne toucherait pas les industries traditionnelles. Cette croyance est
tombée avec l’avènement de l’impression 3D notamment, autorisant chacun à fabriquer et produire
soit même de nombreux produits.
A ce titre les comportements individuels sont bouleversés : l’une des manifestations les plus évidentes
est l’estompage de l’idée de possession ou de propriété d’un bien ou d’un service au profit d’une
expérience vécue à laquelle on accède pour un temps donné, et que l’on partage avec les autres. A la
« valeur d’échange » sur le marché se substitue la « valeur partageable » sur des « communaux »
collaboratifs. Prenons l’exemple du transport : au concept de voiture, objet témoin de richesse et de
statut pour toute une génération, se substitue peu à peu le concept de mobilité : j’emprunte une
autolib pour me rendre à une gare multimodale, je finis mon parcours en transport en commun et je
rentre en co-voiturage après avoir consulté la plateforme blablacar …
L’internet des objets est le pendant technologique des « communaux » collaboratifs émergents. La
culture du partage permet aux individus de s’engager dans des réseaux de pairs à pairs et de
transférer des marchés capitalistes aux « communaux » collaboratifs (groupes, associations,
coopératives, communautés …) de petits fragments de leur vie économique (transport, hébergement,
divertissements, usages d’outils, etc…).
Parfois taxés de rêves ou de prédictions, les travaux de Jérémy Rifkin inspirent les Etats (Angela
Merkel), les collectivités locales (villes de San Antionio au Texas, Rome, Utrecht), les dirigeants
publics ou privés. Ils présentent le mérite de bien identifier les enjeux économiques de demain et de
cerner les nouveaux nerfs de la guerre sur lesquels s’activent déjà les cablo-opérateurs, les
fournisseurs d’énergie, les géants d’internet, à savoir :
le financement et la possession des réseaux d’infrastructures internet et des plateformes d’objets
connectés ;
la gestion, la circulation et le traitement des flux de données ou Big Data.
I.2 L’impact des innovations contemporaines sur le marché du travail et les emplois
A la sortie de la grande crise de 1929, John Maynard Keynes exprimait son optimisme dans son essai
Economic Possibilities for our Grandchildren (1930), dans lequel il explorait une voie intermédiaire
entre la révolution et la stagnation. Mais il avertissait également que cette voie comportait elle-même
des risques, dont celui d’un sous-emploi technologique résultant d’une accélération des innovations :
la découverte de moyens d’économiser le recours au travail humain pourrait être plus rapide que la
découverte de nouvelles façons d’utiliser ce travail.
12
La phase des innovations contemporaines, qualifiée de troisième révolution industrielle ou d’ère
numérique, remet en cause cette croyance et suscite des inquiétudes en raison de deux contre-
performances :
1. le ralentissement des gains de productivité, accompagné d’un taux de chômage important et
persistant ;
2. la bipolarisation des emplois selon le caractère routinier ou non routinier, marquée par un solde
négatif entre les destructions massives d’activités automatisées ou codifiables sur le plan
numérique et les créations d’activités manuelles ou cognitives. De ce fait, l’impact des nouvelles
technologies numériques serait important dans la crise actuelle de l’emploi.
Contrairement aux innovations de la deuxième et de la troisième révolution industrielle, qui ont
introduit un biais en faveur du travail non qualifié en remplaçant le travail qualifié des artisans par du
travail non qualifié d’ouvriers grâce au travail posté sur les chaines de production, les innovations
contemporaines introduisent des phénomènes totalement nouveaux :
l’automatisation des tâches menace les activités « routinières » ;
le développement de l’intelligence artificielle, en particulier les algorithmes d’apprentissage,
transforme aussi les professions plus qualifiées, fondées sur la maîtrise de grandes bases de
connaissances ;
le report sur l’utilisateur final : les technologies numériques permettent d’équiper les utilisateurs des
outils nécessaires pour exécuter eux-mêmes certaines tâches, faisant disparaître les professions
correspondantes ;
le report sur la multitude : dans certains cas, ce n’est pas le consommateur lui-même qui prend en
charge la production, mais la communauté des internautes (exemples de Wikipedia et
TripAdvisor) ;
la concurrence des amateurs : les technologies numériques permettent d’équiper des individus
pour qu’ils puissent offrir un produit souvent moins cher et d’une qualité supérieure par rapport aux
professionnels (exemple de la plateforme AirBnB).
Ces phénomènes affectent les catégories socio-professionnelles intermédiaires de la population active,
celles-là même qui sont au cœur de notre modèle social.
Cet avertissement est resté largement méconnu dans le milieu économique, focalisé sur la conviction
que le progrès technique était toujours pourvoyeur de prospérité et d’emplois. Cette croyance a
largement été alimentée par l’observation des conséquences des deux premières révolutions
industrielles. Deux idées importantes concernant les relations entre innovation, croissance et emploi
ont ainsi été forgées :
1. par son effet sur la productivité, l’innovation est le moteur de la croissance économique :
2. par la demande de nouveaux produits qu’elle induit et les gains de productivité qui permettent un
pouvoir d’achat accru, l’innovation est à terme globalement favorable à l’emploi pour peu que
le système éducatif et le système de formation des compétences répondent de manière
satisfaisante aux nouveaux besoins de l’économie.
En France, entre 1990 et 2013, la part des emplois intermédiaires dans l’emploi total a diminué de
8.6% (Goos M., Manning A., Salomons A., 2014)
13
L’inquiétude grandit donc s’agissant de l’effet du numérique sur l’emploi, avec deux constats majeurs :
1. la modification structurelle de la répartition des emplois entre peu qualifiés, intermédiaires et très
qualifiés ;
2. le coup d’arrêt à la tendance longue de l’expansion du salariat et le spectre de la ‘gig economy’ ou
économie des ‘petits boulots’ (renouveau du freelance et du travailleur indépendant), posant de
nouveaux défis à la régulation et à la protection sociale.
Dans leur article « Innovations contemporaines : contre-performances ou étapes transitoires » (2014),
Michèle Dubonneuil et David Encaoua posent la problématique suivante : « les forces de l’économie
de marché, dont l’innovation est une composante essentielle, deviendraient-elles les fossoyeurs de
l’emploi ? Ou bien ne s’agirait-il que d’une phase transitoire à la recherche de nouvelles perspectives
permettant aux innovations contemporaines d’être porteuses d’une prospérité économique retrouvée,
comme l’ont été celles des deux révolutions industrielles antérieures ? ».
Leur analyse débute sur la distinction de trois types d’innovation, selon la logique de finalité :
1. les innovations de remplacement, incorporant des améliorations techniques ou de nouvelles
fonctionnalités ;
2. les innovations de rationalisation, permettant d’abaisser les coûts de production et/ou distribution
des biens et services arrivés à maturité ;
3. les innovations d’autonomisation, qualifiées de créatrices de nouveaux usages, remplissant trois
propriétés : i) ce sont des innovations de rupture, ii) à l’origine d’une demande nouvelle, iii)
initiatrices de transformations sociales dans les modes de vie.
Ces trois types d’innovations coexistent à tout moment dans une économie. Les innovations
autonomisantes seraient à l’origine de créations nettes d’emplois, tandis que les deux autres types
d’innovations auraient des effets plus ambigus. Ainsi, les combinaisons d’investissements en capital
qu’elles engendrent peuvent conduire à des configurations globales différentes.
Cette « courbe en U » est la signature du
phénomène de polarisation.
Contrairement aux autres pays occidentaux,
la France se distingue toutefois par sa
difficulté à créer des emplois peu qualifiés,
en raison :
1. Du coût élevé du travail, pour les
entreprises au niveau du SMIC (en
particulier dans les zones où la
productivité est plus faible),
2. D’une rigidité du droit du travail qui
fait de la décision d’embauche en
contrat à durée indéterminée (CDI)
une décision risquée, notamment
dans le cas d’un travailleur sans
diplôme et sans expérience.
Source : Nicolas Colin et al., « Économie numérique », Notes du conseil d’analyse économique 2015/7 (n°
26), p. 1-12.
14
Période Cycles économiques Effets de report du capital Incidences
1945 - 1973 Cycles d’activité
courts
Report du capital libéré par
des innovations de
rationalisation sur des
innovations autonomisantes
Renouvellement de la
demande
Croissance économique
Solde net positif de
créations d’emplois
Baisse du taux de
chômage
1973 - 2015 Durée des périodes
de récession plus
longues
Report du capital libéré par
des innovations de
rationalisation sur des
innovations de rationalisation
ou de remplacement
Créations d’emplois durant
les phases d’expansion
insuffisantes pour
compenser les destructions
d’emplois durant les
phases de récession
Hausse du taux de
chômage
Que faire pour que les innovations autonomisantes redeviennent prédominantes ? Quelles conditions
réunir pour permette aux innovations technologiques contemporaines de déployer leur potentiel ?
Dubonneuil et Encaoua développent l’idée que (p.73) : « les potentialités de transformations sociales
ouvertes par les technologies numériques contemporaines n’ont pas encore été suffisamment
exploitées. Autrement dit, même si certaines de ces technologies ont bien un caractère d’innovations
de rupture, elles n’ont pas encore entraîné les nécessaires transformations sociales pour acquérir le
statut de véritables innovations autonomisantes. Leur potentiel se révélera autant à travers la
transformation des modes de vie et la réinvention des usages qu’elles appellent que par leur contenu
technologique à proprement dit ».
Source : TheFamily Papers #002, Nicolas Colin, Another 100 Days : a digital Neaw deal for Workers, 28 octobre 2015
15
I.3 Quelles qualifications requises dans l’économie du quaternaire ?
Une des transformations sociales les plus radicales apportées par les technologies numériques
consiste à passer de la situation actuelle d’une production de biens, séparée des conditions de leur
usage, à une production nouvelle de « solutions», consistant en une mise à disposition sur les lieux de
vie des utilisateurs, tout à la fois, du bien, d’équipements associés, de services qui l’accompagnent et
de personnel dédié à cet accompagnement. La vente séparée de biens et de services cède ainsi la
place à une mise à disposition sous forme locative des conditions d’usage du produit intégré, évitant à
l’utilisateur de devoir être propriétaire des composantes intermédiaires que sont le bien et les services
correspondants.
De plus en plus d’entreprises prennent conscience qu’il est possible de créer des « solutions » en
combinant internet, le téléphone mobile et les capteurs. Pour faire de l’internet des objets une réalité,
elles mettent en œuvre des plateformes pour faciliter et standardiser l’échange de données entre les
différents composants : par exemple, on voit se développer des offres mettant à disposition des
personnes dépendantes des capteurs permettant d’assurer les fonctions de téléassistance, de pilulier
électronique, de contrôle de paramètres médicaux à distance. En outre, le progrès technologique
pourrait déboucher sur l’interconnexion de différentes « solutions », autorisant des rebonds, la mise à
disposition d’une « solution » en appelant une autre. Reprenons le cas de la perte d’autonomie : une
solution de télésurveillance permettant de détecter une chute et d’envoyer le cas échéant un
intervenant pour s’occuper de la personne … débouchera sur une autre solution consistant à
photographier une blessure et à l’envoyer à un médecin pour un diagnostic à distance et une décision
d’hospitalisation.
La distinction habituelle entre biens et services s’estompe pour donner lieu à des « solutions », voire à
des bouquets de « solutions » construits autour d’un lieu de vie (domicile, mobilité), d’un âge de la vie
(silver économie), d’un besoin spécifique (se loger, se déplacer, se nourrir, se soigner). Selon
Dubonneuil (2007, 2010, 2014), le « secondaire et le tertiaire se marient pour donner naissance à
l’économie quaternaire ».
Cette économie du quaternaire crée de nouvelles formes d’emplois satisfaisant des besoins
d’interaction humaine et de service.
En effet, deux types de qualifications émergent :
1. un travail de conception technologique, autour des fonctions de conception, de prototypage, de test
et d’industrialisation de nouveaux biens et services dont la production sera de plus en plus
automatisée ;
2. un travail d’interaction, consistant en une intervention humaine pour assurer la maintenance sur
site des biens durant leur cycle de vie ainsi qu’un accompagnement à distance ou en face-à-face
des utilisateurs. Ces emplois possèdent deux attributs importants : ils sont à la fois non
délocalisables par nature et non substituables par des technologies numériques, dans la mesure
où les interactions qu’ils comportent sont de nature humaine, non routinière, et donc non codifiable
par essence. Ils nécessitent de nouvelles formes de spécialisations, notamment celle de pouvoir
réagir rapidement à des situations inédites et de communiquer des informations précises à d’autres
interlocuteurs.
Dans l’ère du numérique et de la mondiatlisation, l’éducation, la formation et l’apprentissage
sont cruciaux dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, non seulement pour s’adapter aux
transformations technologiques induites par les innovations contemporaines, mais également
aux usages de ces innovations qui doivent conduire à une perception renouvelée des modes
de vie.
16
II. La maturité numérique française
II.1 La performance numérique de la France à l’échelle mondiale sur le Digital Evolution Index
Sponsorisé par MasterCard et DataCash, l’institut ‘for Business in the Global Context’ de la Fletcher
School (Tufts University, Medford USA) s’est penché sur la composition d’un indice visant à
positionner une cinquantaine de pays dans le cadre d’une maturité et d’une trajectoire numérique.
L’échantillon de pays retenus associe des pays développés et émergents représentant les 3/4 de la
population mondiale.
Le Digital Evolution Index (DEI) intègre les leviers mais aussi les freins que rencontre chaque nation
dans son parcours d’évolution digitale. L’indice repose sur la compilation de données relatives à
quatre piliers :
1. le facteur d’offre se focalise sur les infrastructures technologiques, logistiques, transactionnelles
(accès internet, complétude des réseaux, …) permettant de soutenir le e-commerce et les
transactions en ligne ;
2. le facteur de demande incorpore les comportements des consommateurs, leur appétence pour les
paiements en ligne, ainsi que leur capacité à maîtriser les outils internet et les réseaux sociaux ;
3. le facteur institutionnel se penche sur l'efficacité des gouvernements dans le soutien à l'innovation,
leur rôle dans le secteur privé et le cadre législatif pour favoriser l’émergence de l’écosystème
digital ;
4. le facteur innovation inclut l'état de l'écosystème entrepreneurial, le financement de l'innovation, la
présence d'un esprit et d'une culture start-up.
Il en résulte un classement indicatif d’une maturité digitale. La dernière séquence de données
enregistrées en 2013 fait figurer la France dans le second quartile, en 19ème
position avec un score
global de 44.07/100, là où le pays ‘best-in-class’, Singapour, caracole avec un score de 56.21/100.
Average 34.67 39.99 22.98 49.25
17
La France offre un tableau contrasté : si le levier de la demande progresse positivement avec 78% de
sa population utilisant régulièrement internet et un accroissement rapide (+97% entre 2012 et 2013)
de son e-commerce au travers des smartphones et tablettes, trois constats peuvent se révéler
inquiétants :
1. son point fort, le levier de l’offre, lié à la qualité de ses infrastructures, est en décélération de -6.6%
sur la période de référence 2008-2013 ;
2. le levier institutionnel donnant l’impulsion politique et réglementaire reste insuffisant ;
3. le levier innovation n’est pas suffisamment décisif pour donner un avantage comparatif.
Singapour, le bon élève, n’a cessé quant à lui de progresser dans le développement d’une
infrastructure numérique de calibre mondial, grâce à des partenariats public-privé, à l’exemple du
projet Next Gen II sur le projet de création d’une infrastructure d’autoroute digitale. Il consolide encore
davantage son statut de centre de communication régional. Grâce à des investissements en cours (les
institutionnels locaux Temasek & GIC ont injecté en 2013-2014 3 milliards de $ dans les secteurs des
technologies, des telecom et du eCommerce), Singapour demeure une destination attrayante pour les
start-ups, pour le private equity et le capital risque.
L’enseignement principal du classement est qu’il n’existe pas de configuration digitale type, car selon
les pays, les 4 leviers ne connaissent pas le même degré de corrélation ni la même vitesse d’évolution.
Au mieux, peut-on noter des similarités par zones géographiques (Pays nordiques, Europe Centrale,
Europe du Sud, membres de l’ASEAN …) en raison d’une communauté d’environnements culturel,
social, politique et économique.
Source : Digital Planet : readying for the rise of the e-consumer, a report of the state and trajectory of global digital evolution,
september 2014,
L’étude de la Fletcher School analyse par ailleurs le taux de croissance – positif ou négatif - de l’indice
(DEI) de chaque pays en regardant sa variation entre 2008 et 2013. Il en résulte un tableau de
trajectoire numérique, ayant pour axe vertical le score de l’indice en 2013 et pour axe horizontal son
taux de variation sur 5 ans. Chaque pays se voit ainsi affecté dans une zone d’évolution numérique.
18
Comment analyser les positionnements respectifs des pays sur la matrice de trajectoire digitale ?
19
La France figure dans le cadran des ‘stall out countries’, c’est-à-dire le cadran des pays ayant atteint
un niveau de développement numérique élevé, mais qui accusent une perte de vitesse et s’exposent
donc au risque de rester à la traine. Cette décélération, comme dans de nombreux pays d’Europe du
Nord et de l’Ouest, s’explique par une croissance économique atone depuis la crise financière de
2008 et reflète les incidences des restrictions budgétaires que les états ont été contraints d’adopter.
La conclusion de l’étude de la Fletcher School est que ces ‘stall out countries’ ne pourront se relancer
dans la course qu’en redoublant d’effort sur l’innovation et en recherchant des marchés en dehors de
leurs frontières nationales.
II.2 Le paradoxe français dans le paysage européen : le décalage particuliers / entreprises
Le numérique pèse ainsi aujourd’hui 5,5 % de notre PIB, et participe pour 25 % à la croissance
française. La contribution à la richesse nationale pourrait atteindre 6 % en 2016 (135 milliards d’euros)
et 7 % en 2020 (180 milliards d’euros). 880 milliards d’euros, c’est la gigantesque valeur économique
que pourrait engendrer, d’ici 2025 – et selon le cabinet McKinsey France dans son rapport “Accélérer
la mutation numérique des entreprises : un gisement de croissance et de compétitivité pour la France”
-, le plein déploiement du numérique et des technologies, des produits et des services associés en
France.
La diffusion au grand public du numérique s’est accélérée ces dernières années dans l’hexagone. Mis
à jour régulièrement, les Chiffres Clés de l’Observatoire du Numérique traduisent ce succès. Ils
dressent un panorama synthétique du numérique dans notre pays, qui permet d’en caractériser le
développement et le poids au niveau national comme à l’échelle européenne.
Comparés aux résultats de l’enquête communautaire sur les TIC en 2013 (source Eurostat), les
Chiffres Clés de l’Observatoire du Numérique 2014 font apparaître un contraste saisissant entre
particuliers et entreprises.
Les particuliers en France ont désormais un équipement adéquat et un usage élevé de l’internet.
82% des français ont un accès à internet depuis leur domicile. La progression est fulgurante,
comparé à 2002 où seulement 22% des foyers étaient équipés. L’usage régulier de l’internet (au
moins 1 fois par semaine) concerne 78% des Français, et l’usage quotidien d’internet touche 66%
des Français.
L’internet mobile confirme sa percée : 30% des particuliers de 16 ans et plus en France utilisent
une connexion via un réseau de téléphonie mobile pour connecter leur appareil mobile à internet,
vs 23% dans l’UE. Près de 40% des Français possèdent un smartphone (75% dans la tranche
d’âge des 18-24 ans).
20
Pour les infrastructures du numérique, la France occupe une très bonne position sur les
connexions à haut débit : elle se situe au 5ème
rang européen pour le ratio abonnements à haut
débit par 100 habitants, soit 37% vs 28% dans l’UE.
L’administration numérique progresse bien en France, puisque 60% des particuliers utilisent
internet dans leurs relations avec l’administration, vs 41% dans l’UE.
59% des particuliers français ont acheté des biens ou services en ligne sur la période étudiée, vs
47% des particuliers européens de l’UE.
Les usages en entreprises sont plus contrastés, avec une ségrégation entre quelques usages
numériques de base omniprésents, comme l’utilisation d’e-mails ou la présence sur le web, et des
usages plus avancés (fonctions interactives avec le client, outils collaboratifs internes, ...) qui ne sont
adoptés que par une faible proportion d’entreprises.
L’enquête récurrente INSEE sur les TIC (2012, 2013), conduite sur les entreprises d’au moins 10
salariés, illustre ce clivage entre usages simples et usages avancés. En voici les principaux résultats :
21
toutes les entreprises françaises disposent d’un accès à internet, et environ les deux tiers d’entre
elles ont une page web ; 61% des entreprises utilisent l’EDI (Echange de Données Informatisées) ;
une minorité d’entreprises se sert des outils avancés de gestion des processus de l’entreprise :
33% ont un ERP (outil de gestion intégré), 26% un CRM (outil de gestion de la relation client), 13%
un outil de partage d’information sur leur supply chain (chaîne logistique) ;
moins d’une entreprise sur sept a développé une interface web avancée : seules 14% vendent en
ligne, 13% proposent un suivi de commande et 14% offrent un contenu personnalisé.
Le constat est similaire en ce qui concerne les outils de communication et de collaboration : si l’email
est incontournable (97% des entreprises l’utilisent en interne, 93% vers leurs clients), l’utilisation de
nouveaux outils de communication reste encore minoritaire :
la visio-conférence est utilisée par 47% des entreprises et les outils collaboratifs (de type
Sharepoint) par un peu plus d’un tiers d’entre-elles (37%).
le chat (23%), le réseau social interne (13%) et l’exploitation des réseaux sociaux grand public
pour gérer la relation client (17.1%) décollent à peine.
Source : Nicolas Colin et al., « Économie numérique », Notes du conseil d’analyse économique 2015/7 (n° 26), p. 1-12.
Les entreprises françaises ne semblent pas tirer pleinement parti du potentiel de la demande en
matière de services numériques.
Selon la note du Conseil d’Analyse Economique (CAE) présentée au cabinet du Premier Ministre le
6/10/2015, plusieurs facteurs expliquent ce retard :
1. les compétences relativement faibles des actifs : l’enquête PIAAC 2013 (Program for the
International Assessment of Adult Competencies) de l’OCDE mesure les compétences des adultes
âgés de 16 à 65 ans et l’utilisation de ces compétences dans le cadre
professionnel (compréhension écrite, mathématiques, nouvelles technologies). Elle donne à la
France un score médiocre (258/500), légèrement inférieur à l’Espagne (260/500), et loin derrière
les USA (267/500) et la Suède (282/500). Ce retard complique l’investissement dans le numérique,
la mise en œuvre des changements organisationnels qui lui sont liés et l’appropriation des
technologies par les salariés ;
22
2. l’inadaptation des réglementations sur les marchés des biens et services et sur le marché du travail,
qui entrave le déploiement des modèles d’affaires numériques, freine le renouvellement des
entreprises et dissuade les fonds d’investissement ;
3. le manque de fonds d’investissement de grande taille capable de prendre des risques importants
sur des durées longues, ainsi que le nombre insuffisant de « business angels ».
Une étude conduite par le cabinet McKinsey en 2014 sur un échantillon représentatif de 500
entreprises françaises (dont 325 PME) explore également les raisons de ce retard. Différents facteurs
endogènes apparaissent :
1. les rigidités organisationnelles englobent une structuration compartimentée en silos, un manque
d’agilité, de transversalité et de fluidité ;
2. la sur-spécialisation des compétences engendre un réel manque de polyvalence, ce qui constitue
un comble sur le champ numérique dans un pays reconnu pour la qualité de ces mathématiciens,
statisticiens et ingénieurs ;
3. la faiblesse caractéristique en France des marges commerciales (28% tous secteurs confondus
contre 38% en moyenne en Europe) impacte directement les capacités d’investissement des
entreprises et donc leur aptitude à se transformer ;
4. la crainte des dirigeants sur l’ampleur de la tâche à accomplir s’exprime tant sur le plan humain
que financier. Si la prise de conscience de la transition numérique est actée, il manque encore la
vision, la maturité et la déclinaison sur le business model ;
5. un rapport faussé au digital l’assimile trop souvent à l’informatique et à la technologie alors qu’il
s’agit avant tout d’une révolution des services et des usages ;
6. les freins culturels incluent la défiance vis-à-vis du changement ainsi que l’individualisme qui laisse
peu de place à l’esprit collectif qui est cœur de l’économie du quaternaire.
Avec un décalage prononcé entre l’appétence et les usages des particuliers et ceux des entreprises,
La France est un cas assez unique dans le paysage européen. Les usages internet des particuliers
sont ainsi entre 6 et 19 points au-dessus de la moyenne de l’UE, là où les usages internet des
entreprises sont quant à eux 10 points en dessous de la moyenne de l’UE.
23
Dans un contexte économique incertain, la transformation digitale représentant en quelque sorte un
saut vers l’inconnu, les entreprises manquent cruellement de visibilité quant au retour sur
investissement qu’elles en dégageront, tant en termes de valeur que d’échéance.
24
Focus Assurance n°1 – Maturité numérique du secteur de l’Assurance
« Plus nous serons digitaux, plus nous serons dans l’efficience du service
et les attendus en termes de qualité de service ».
Stanislas Chevalet, Directeur Général Adjoint de BNP Paribas Cardif, Expansion Managment Review,
septembre 2014.
Le digital est un levier crucial pour les assureurs : il peut leur permettre de reconquérir une part plus
importante du profit dans la chaine de valeur, aujourd’hui principalement capté par les assurés et les
distributeurs.
Au-delà des objectifs de vente en ligne qui restent anecdotiques et stagnent globalement à 5% des
primes collectées en France, les enjeux de la transformation digitale se concentrent sur :
1. la redéfinition et le ré-enchantement de la relation client, concomitants avec la « retailisation » des
services et l’avènement de l’hyper-usage ;
2. le questionnement sur l’évaluation et la mutualisation des risques à l’heure de la migration du big
au smart data, avec une révision du modèle de pricing et une meilleure analyse des sinistres ;
3. l’industrialisation des opérations au travers de l’automatisation et de la dématérialisation des
processus.
Source : MIT Sloan Management : Capgemini, “The digital advantage : how digital leaders outperform their peers in every
industry”, 2015
25
II.3 L’accélération de la transformation digitale : un enjeu identifié, un chemin encore mal balisé, un
potentiel salarié sous-exploité
Dans son livre blanc paru en novembre 2014 sous le titre « le Change Digital : l’intégration du sujet
digital au sein des entreprises en 2014 », la chaire ESSEC du changement note un écart entre la prise
de conscience élevée des enjeux du digital (86% des participants aux Rencontres Internationales du
Changement organisées sur ce thème les 24 et 25 septembre 2014) et le niveau de maturité digitale,
jugé insuffisant (60% des participants) et en construction.
Ce constat rejoint les conclusions de l’étude Callson – Roland Berger, déjà mentionnée au 1.2.2 : la
transformation numérique est très largement reconnue comme :
1. Un facteur de performance économique sur 2 axes :
le développement du chiffre d’affaires grâce à une approche centrée sur l’utilisateur final, une
culture de la réinvention permanente du business model et de la chaîne de valeur, l’extensibilité
(« scalability ») des solutions, la diminution de barrières géographiques et culturelles,
l’ouverture de l’entreprise sur son écosystème extérieur ;
la baisse ou la maîtrise des coûts grâce à la mise en réseau de l’ensemble de la chaîne de
production et de logistique, la mise en œuvre d’une maintenance prédictive des actifs de
production, la dématérialisation des échanges et des processus, l’optimisation des plateformes
de type cloud, l’utilisation du big data… qui rendent les environnements plus flexibles et
génèrent des économies d’échelle par mutualisation, tout en convertissant de lourds
investissements (CapEx) en charges récurrentes (OpEx) plus supportables.
2. Un facteur d’innovation : le numérique est à la fois le fond et la forme de l’innovation. Il est source
de disruption mais également catalyseur ou facilitateur de solutions à partir de démarches inédites
(capacité de mise sur le marché sous forme de lancements rapides ‘launch & iterate’ et d’essais
successifs ‘trial & error’, incubateurs de start-ups, organigrammes aplatis, etc…)
3. Un facteur d’efficacité : l’étude INSEE/Eurostat de décembre 2013 « Analysing ICT Impact for
Different Units Of Observation » trouve une corrélation positive significative entre la productivité du
travail ou du capital au sein d’une entreprise et les variables de maturité numérique suivantes : 1)
automatisation des canaux de vente, 2) volumes de vente en ligne, 3) gestion numérique de la
chaîne logistique, 4) présence d’un ERP (outil de gestion intégré).
4. Un facteur de cohésion sociale : la diffusion des outils, des usages et de la culture numériques
dans l’entreprise apparaît comme un facteur de transformation positive des relations de travail pour
37% des entreprises (vs 6% comme un facteur de transformation négative) grâce à un sentiment
renforcé d’implication et une capacité de dialogue renouvelée. De même, elle renforce la
satisfaction et le bien-être au travail pour 43% des entreprises (vs 5% qui ont un avis négatif).
Avec autant de bénéfices reconnus, comment expliquer dès lors la frilosité des entreprises à accélérer
leur transformation numérique ? Pourquoi cela constitue-t-il un tel défi ?
Les freins les plus communément évoqués sont :
les coûts induits par l’immobilisation des capitaux permettant de financer la mise en place des
nouveaux outils et process, les investissements en temps et moyens de R&D, la compétitivité des
prix … sans être en mesure de générer un ROI direct ;
la gestion de l’héritage informatique et la redéfinition du rôle de la fonction de DSI (Direction des
Systèmes d’Information) : la mise en place des outils de gestion s’est faite en France avec
beaucoup plus d’adaptations spécifiques que dans les autres pays de l’UE, créant des strates et
des couches spécifiques de développement. Il en a résulté des SI difficiles à faire évoluer,
mutuellement dépendants, avec des déploiements lourds nécessitant un amortissement sur longue
période. L’évolution des outils numériques se traduit dans l’entreprise par une attente des
collaborateurs et du management, en rupture par rapport aux infrastructures mises en place :
alternative SaaS (software as a service), tendance du BYOD (Bring Your Own Device), utilisation
26
des réseaux sociaux et des outils collaboratifs mélangeants des usages professionnels et
personnels. Le DSI fait face à une situation délicate : il doit gérer l’héritage (‘legacy’) tout en ne
freinant pas les nouveaux usages ;
la résistance au changement dans une culture d’entreprise française historiquement fondée sur un
modèle de grande entreprise solidement structurée et hiérarchique, hors des modèles plus
flexibles et réactifs qui apparaissent aujourd’hui plus performants, car plus innovants, agiles et
participatifs.
Ces chiffres corroborent ceux du livre blanc de la chaire ESSEC du changement qui indiquent que 2/3
des dirigeants ont intégré le digital dans leurs projets stratégiques, mais que seulement 30% des
entreprises disposent d’une stratégie digitale, formalisée, claire, robuste et partagée.
Les initiatives numériques se déploient généralement top down du senior management ou de la DSI
vers les collaborateurs. Les 19% d’entreprises françaises qui ont concrétisé une initiative numérique
dont les employés sont à l’origine font figurent d’exception.
TNS Sofres, en lien avec Abilways Digital, a conduit de novembre à décembre 2013 une enquête de
terrain intitulée « la transformation digitale en entreprise, vécu, perceptions et attentes – regards
croisés RH et salariés ». L’échantillon représentatif des entreprises de plus de 200 salariés était
composé de 275 interviewés, 40% appartenant à une fonction RH (DRH, responsable formation, …) et
60% relevant de fonctions opérationnelles.
La très grande majorité des répondants anticipent un impact très fort du digital dans les années à
venir sur :
leur propre fonction : 63% ;
la manière de travailler au sein de leur entreprise : 66% ;
le business model de leur entreprise : 55%.
La transformation digitale est vécue par les salariés comme une formidable opportunité tant pour leur
entreprise (87%) que pour leur propre carrière (70%). Ce qui est frappant de constater, c’est le
décalage dans la dramatisation de la fonction RH relativement à la perception par les collaborateurs
de la transformation numérique.
Plus étonnant encore, si 57% des entreprises déclarent que la transformation numérique fait partie de
leurs axes stratégiques à moyen terme, elles ne s’engagent que très peu dans une stratégie concrète
de transformation :
36% des entreprises ont une stratégie numérique formalisée ;
20% des entreprises ont un responsable dédié au numérique (CDO : Chief Digital Officer) ;
30% des entreprises ont communiqué des objectifs liés au numérique à leurs managers.
Cet engagement limité est particulièrement visible dans l’investissement en compétences.
52% des entreprises n’ont recruté à ce jour aucun spécialiste du numérique ;
dans 60% des entreprises, moins de 10% des salariés a suivi une formation numérique ;
lorsqu’elles existent, ces formations sont centrées sur la simple prise en main d’outils (60%), et très
peu sur des compétences plus larges, comme la culture numérique (13%) ou les nouvelles
méthodes de travail comme le processus d’innovation ouverte (10%).
Les entreprises sous-exploitent le potentiel numérique de leurs salariés, en oubliant que la plupart ont
développé une expérience et une culture numériques à titre personnel. Les consommateurs sont en
avance par rapport aux entreprises, et parmi les consommateurs, les salariés sont les plus grands
utilisateurs du numérique (ainsi 1 salarié sur 3 utilisait l’internet mobile en 2013 vs 1 sur 4 pour
l’ensemble des Français).
27
Source TNS Sofres – Transformation digitale, 2014
Si 27% des salariés interrogés (22% dans les fonctions RH, 30% dans les fonctions opérationnelles)
se disent tout à fait à l’aise avec les nouvelles pratiques liées au digital, et 56% plutôt à l’aise, ils
réclament d’acquérir au travers d’un plan de formation adapté un savoir-faire mais aussi (et surtout !)
un savoir-être digital.
Source TNS Sofres – Transformation digitale, 2014
Les entreprises disposent donc en leur sein d’un puissant potentiel : s’appuyer sur des salariés
enthousiastes, impatients, déjà acculturés à titre privé, comme moteurs de la transformation
numérique.
La transformation digitale ne peut être considérée comme une option : « disrupt or you will be
disrupted ! ». Pour autant, la dichotomie entre usages numériques des particuliers et des
entreprises, le décalage de perception entre RH et salariés, l’investissement encore limité en
formations et compétences digitales … positionnent la France et ses entreprises en retrait de
la dynamique de leurs voisins de l’UE.
28
III. Comment définir les compétences numériques ?
III.1 Qu’appelle-t-on une compétence individuelle ?
Dans le dictionnaire des ressources humaines (6ème
édition Vuibert 2011), Jean-Marie Peretti définit
ainsi le concept de compétence :
« La compétence rassemble trois types de savoir :
un savoir théorique ;
un savoir-faire (expérience) ;
une dimension comportementale (savoir-être) …
… mobilisés ou mobilisables qu’un salarié met en œuvre pour mener à bien la mission qui lui est
confiée. On distingue divers types de compétences : utilisées / utilisables, validées / potentielles,
opérationnelles / personnelles.
La compétence individuelle est le savoir-faire opérationnel d’une personne, validé dans son activité.
Elle est fortement contingente à une situation professionnelle donnée et correspond donc à un
contexte. La caractérisation de la compétence individuelle se considère selon quatre niveaux :
les compétences requises par un emploi ou un métier ;
les compétences mobilisées par un individu dans l’exercice de sa fonction ;
les compétences détenues par un individu à un moment donné ;
les compétences potentielles d’un individu (non encore mises en œuvre), qui sont souvent
envisagées comme transversales, transférables, de prospective (domaine privilégié de la gestion
des potentiels et des carrières) ».
Il peut être intéressant de compléter cette définition d’un professeur chercheur émérite des RH de
celle de psychologues, sociologues ou acteurs économiques et sociaux afin de croiser différents
prismes et d’aboutir à une proposition de synthèse sur les caractéristiques principales de la
compétence et de son activation.
« La compétence peut être saisie au travers de quatre caractéristiques qui permettent de rendre
compte de sa complexité :
« La compétence est « l’intelligence pratique des situations » qui se manifeste par trois types de
comportements : 1) l’autonomie, 2) la prise de responsabilité, 3) la communication.
1. elle est opératoire et finalisée : la compétence n’a de sens que par rapport à l’action, elle est
toujours compétence à agir et est indissociable des activités par lesquelles elle se manifeste et au
but que poursuit cette action ;
2. elle est apprise : on n’est pas naturellement compétent, on le devient par une construction
personnelle et sociale qui marie apprentissages théoriques et issus de l’expérience ;
3. elle est structurée : la compétence combine de façon dynamique les éléments qui la constituent
(savoirs, savoir-faire pratiques, raisonnements …) pour répondre à des exigences d’adaptation ;
4. elle est abstraite et hypothétique : la compétence est inobservable. Seules ses manifestations
(comportements et performances) sont constatables ».
Approche du psychologue : Jacques Leplat (1988), « Les habilités cognitives dans le travail »
Approche du sociologue : Philippe Zarifian (1999), « Objectif compétences »
29
L’autonomie et la responsabilité font partie de la définition « de base » de la compétence : il s’agit
d’attitudes sociales qui ne peuvent réellement s’apprendre et se développer qu’en assumant des
situations professionnelles qui les sollicitent. Le contenu et l’organisation de travail ne sont pas
seulement des dimensions dans lesquelles les compétences sont mobilisées, ce sont aussi celles
dans lesquelles elles se développent ».
« La compétence consiste à savoir mobiliser des ressources d’une double nature : d’une part des
ressources personnelles (savoirs théoriques, savoir-faire opérationnels, savoir-faire sociaux) et d’autre
part des ressources extérieures à l’individu (installations, outils de travail, documentations,
informations, réseaux relationnels). Ainsi, la compétence est cette capacité d’intégrer des savoirs
divers et hétérogènes pour les finaliser sur la réalisation d’activités. »
« La compétence professionnelle est la mise en œuvre de capacités en situation professionnelle qui
permettent d’exercer convenablement une fonction ou une activité. »
« La compétence professionnelle est une combinaison de connaissances, savoir-faire, expériences et
comportements s’exerçant dans un contexte précis. Elle se constate lors de sa mise en œuvre en
situation professionnelle à partir de laquelle elle est validable. C’est donc à l’entreprise qu’il appartient
de la repérer, de l’évaluer, de la valider et de la faire évoluer. »
« La qualification serait la boîte à outils qu’un individu se forge en formation initiale, par la formation
professionnelle, au travail, dans ses activités hors du travail. La qualification donne des repères
collectifs. Les compétences seraient les différentes « capacités à », les savoirs et les savoir-faire mis
en œuvre dans une situation de travail. La compétence serait une combinaison entre les ressources
d’une personne et les moyens fournis par l’organisation. C’est « la manière » : deux individus peuvent
avoir des boîtes à outils proches, mais chacun manie ses outils à sa façon. C’est dans cet apport
individuel que réside la compétence ».
En synthèse, nous retiendrons la définition proposée par Antoine Masson et Michel Parlier (2004) :
« Etre compétent signifie savoir combiner et savoir mobiliser des ressources de façon pertinente au
regard des finalités poursuivies dans l’activité de travail et en prenant en compte les caractéristiques
de la situation du travail.
La compétence s’entend comme une capacité à agir, on est « compétent dans et pour » un ensemble
de situations professionnelles, dans un contexte donné et avec un niveau d’exigence donné. La
compétence suppose l’action, l’adaptation à l’environnement comme à la modification de cet
environnement. »
Approche du consultant : Guy Le Boterf (1997), « De la compétence à la navigation professionnelle»
Approche du normateur : AFNOR (2008), norme NF X 50-750 »
Approche du patronat : MEDEF
Approche des syndicats : convention cadre entre l’ANACT et les confédérations syndicales CFDT,
CFE-CGC, CFTC, CGT-FO (2000) : « Développement, reconnaissance des compétences et des
qualifications »
30
La compétence, la résultante de trois conditions
III.2 La compétence numérique : un concept jeune, mouvant et d’essence politique
Depuis la seconde moitié des années 2000, nous assistons à l’émergence du concept de compétence
numérique, sans pour autant disposer d’une définition stabilisée. Van Deursen et Van Dijk (2009)
notent que la plupart des études et papiers de recherche restent limités dans leurs définitions, dans la
taille d’échantillonnage et dans la collecte de données, insistant sur le manque de données
empiriques permettant de valider les structures et le contenu des compétences numériques.
Ilomäki, Kantosalo et Lakkala (2011) tentent de cerner les origines du concept de compétence
numérique en le resituant dans un paysage de disciplines et de concepts proches. Elles soulignent un
périmètre très large couvrant les medias, la communication, la technologie, l’informatique, l’éducation
et les sciences de l’information.
La
compétence
Savoir agir : Ai-je les
ressources adaptées à la
situation ?
- Savoirs, savoir-faire, savoir-être
- Outils et méthodes de travail
Vouloir agir : suis-je d’accord et
motivé pour engager ces ressources ?
- Compréhension des enjeux et des finalités de travail
- Correspondance avec mes valeurs
- Intérêt du travail
- Reconnaissance de ma contribution
Pouvoir agir : ai-je les
moyens d’engager ces
ressources ?
- Autonomie
- Coopération
- Conditions de travail
31
En synthèse, elles proposent la définition suivante : « la compétence numérique rassemble :
1. des savoir-faire techniques permettant l’usage de technologies numériques ;
2. des capacités à utiliser les technologies numériques de façon significative et pertinente dans le
travail, les études, la vie quotidienne ;
3. des capacités à utiliser les technologies numériques de manière critique et réfléchie ;
4. une motivation à participer à une culture digitale ».
Outre le fait de mettre l’accent sur le caractère récent et encore en formation du concept de
compétence numérique, Ilomäki, Kantosalo et Lakkala pointent un phénomène intéressant ; la
compétence numérique est en premier lieu un concept politique, porté essentiellement par des
institutions telles :
l’UE (Ala-Mutka, framework for key competences for lifelong learning in a knowledge society, 2011)
l’OCDE ( Program Definition and Selection of Competencies, 2005)
l’UNESCO.(ICT Competency Standards for Teachers, 2010)
La compétence numérique apparaît comme le reflet des croyances et des projections sur les besoins
du futur et prend ses racines dans l’environnement de compétition économique dans lequel les
nouvelles technologies sont vues comme une opportunité et une solution.
Ainsi le Conseil Européen de Lisbonne en 2000 donne le coup d’envoi de la Stratégie dite de
Lisbonne et de son Digital Agenda of Europe 2020. Cette stratégie économique et sociale vise 3
objectifs :
Préparer la transition vers une société et une économie compétitives fondées sur le savoir ;
Moderniser le modèle social européen, investir dans le capital humain et combattre les exclusions ;
Appliquer un dosage approprié de politiques macro-économiques.
Un quatrième objectif environnemental viendra compléter la Stratégie de Lisbonne lors du Conseil
Européen de Göteborg en 2001.
32
A l’époque, on ne parle pas encore de compétence numérique mais de compétence associée aux
technologies de l’information et de la communication (TIC), identifiées comme levier de productivité,
de croissance durable, d’innovation et d’emploi.
Le terme de e-competence fait son entrée lors de l’European e-Skills Forum de 2004, au travers de la
publication de la Commission Européenne « e-Skills for the 21st Century ». On y retrouve une
catégorisation en 3 grands domaines :
1. Les ICT practitioner skills ou compétences du praticien des TIC ;
2. Les ICT user skills ou compétences de l’usager à manipuler les outils des TIC de manière
confiante et critique pour son travail, ses loisirs, ses études ou sa communication ;
3. Les e-business skills (également appelées les e-leadership skills) ou compétences requises pour
exploiter toutes les opportunités offertes par les TIC (notamment internet) pour assurer une
meilleure performance dans différents types d’organisation, pour explorer de nouvelles voies en
management de process commerciaux, administratifs ou fonctionnels ou pour lancer de nouveaux
business.
L’importance dévolue par l’UE aux « e-skills » trouve sa source dans plusieurs convictions :
Les TIC sont devenues dominantes dans les modes de vie des Européens ;
Les TIC offrent des carrières attractives et des perspectives d’emploi considérables de manière
directe ou indirecte ;
Le développement d’une stratégie long terme de « e-skills » est d’autant plus important en contexte
de crise ;
Le secteur industriel des TIC représente une part substantielle du Produit Intérieur Brut européen ;
L’émergence du e-commerce entraîne un sérieux virage sur le marché du travail en exacerbant la
demande en travailleurs qualifiés.
Source : Digital Agenda for Europe, A Europe 2020 Initiative, published on 17-06-2015
33
Les arguments ne manquent pas, bientôt renforcés par les résultats de l’étude PIAAC 2012 (Program
for the International Assessment of Adult Competencies) conduite par l’OCDE et dont les conclusions
sont les suivantes : « la capacité à accéder à l’information et à la traiter à l’aide des TIC représente
une compétence essentielle dans nos économies modernes de plus en plus fondées sur le savoir.
Une meilleure maîtrise de ce type de compétences est récompensée par une plus forte probabilité
d’être actif, et l’utilisation plus fréquente des TIC dans le cadre professionnel, par une rémunération
plus élevée que celle observée parmi les adultes présentant le même niveau de compétences en
littératie et en numératie, mais moins compétents dans ce domaine spécifique ou utilisant moins
fréquemment les TIC. Les adultes sans expérience dans les TIC se trouvant considérablement
pénalisés en termes de perspectives professionnelles et de rémunération, les décideurs doivent
réfléchir aux moyens de garantir l’accès de tous les individus à une formation dans les TIC, que ce
soit dans le cadre de la scolarité obligatoire ou d’activités de formation pour adultes ».
34
L’UE et l’OCDE se sont attachées toutes deux à établir un lien entre la compétence numérique et des
compétences dites génériques. Elles les ont contextuées dans un cadre conceptuel général, posé
comme un manifeste pour une vie individuelle harmonieuse et réussie dans une société du futur
performante.
Par exemple, l’OCDE (2005) définit dans une perspective long terme 3 grandes catégories de
compétences clés pour une société du savoir et de la connaissance:
1. Utiliser les TIC de manière interactive ;
2. Interagir entre groupes hétérogènes ;
3. Agir de manière autonome.
Chacune de ces compétences clés implique la mobilisation de connaissances, de savoir-faire cognitifs
et pratiques, aussi bien que des volets sociaux et comportementaux comprenant des attitudes, des
émotions, des valeurs et des motivations. La faculté de réfléchir et d’agir de manière réflexive est une
caractéristique sous-jacente de ce cadre conceptuel. Réfléchir demande de recourir à des savoir-faire
métacognitifs, à des aptitudes créatives, ainsi qu’à une prise de recul critique. Le process mental
engagé est complexe, il consiste à penser sur ses propres pensées et concerne des domaines aussi
divers que la mémoire, la perception, la résolution de problème …
La première compétence clé – utiliser les TIC de manière interactive – se rapproche beaucoup de ce
que l’on pourrait qualifier de compétence numérique. Elle correspond à la capacité à utiliser les TIC
pour communiquer, pour travailler, pour jouer … ce qui implique que l’individu prenne conscience de
ce que les TIC peuvent lui apporter dans la vie de tous les jours et en exploite pleinement le potentiel.
Mais la capacité d’utiliser la technologie, les compétences et les connaissances qu’elle requiert, sont
aussi le fruit d’un apprentissage.
35
III.3 De la compétence numérique à la boite à outils élémentaire du citoyen du XXIème siècle
Afin de mieux cerner le contenu de la compétence numérique, nous allons maintenant croiser les
travaux de recherche de différentes sources pour dresser un inventaire de ses composantes selon
différents angles de vue interpellant différentes disciplines.
Relever les défis d’une culture de participation > sciences de la communication (2006)
En 2006, Henry Jenkins définit une gamme de compétences permettant de prendre part aux nouvelles
communautés émergeant dans le cadre d’une société connectée.
Compétence
Définition / contenu
Le jeu / le ludique Capacité à utiliser l’environnement proche comme terrain d’expérimentation
pour résoudre les problèmes
L’interprétation Aptitude à endosser une autre identité dans un objectif d’improvisation et
de découverte
La simulation Aptitude à interpréter et construire des modèles dynamiques à partir de
processus du monde réel
L’appropriation Aptitude à extraire judicieusement et à adapter du contenu media
Le multi-tâche Aptitude à exercer une surveillance permanente de l’environnement et à
changer d’orientation
La cognition
distribuée
Aptitude à interagir de manière pertinente avec des outils qui décuplent les
capacités mentales
L’intelligence
collective
Aptitude à échanger les connaissances et à comparer l’information avec les
autres en vue d’un objectif commun
Le jugement Aptitude à évaluer la crédibilité et la fiabilité des différentes sources
d’information
La navigation
transmedia
Aptitude à suivre le fil des événements et de l’information en utilisant divers
media
Le réseautage Aptitude à chercher, synthétiser et diffuser l’information
La négociation Aptitude à traverser différentes communautés, à discerner et respecter
différents points de vue, à comprendre et à suivre d’autres normes ou
méthodes
Anticiper les compétences professionnelles à horizon 2020 > sciences économiques et sociales
(2011)
En 2011, Davis, Fidler et Gorbis (University of Phoenix Research Institute) s’interrogent sur les
bouleversements à l’œuvre dans la mutation du paysage du travail et l’identification des compétences
professionnelles clés de la prochaine décennie. L’originalité de leur recherche repose sur la mise en
évidence de 6 tendances de fond ‘disruptives’ générant 10 compétences distinctives pour la main
d’œuvre du futur.
Ces facteurs de changement sont :
L’allongement de la durée de la vie L’augmentation de l’espérance de vie modifie les
trajectoires de carrière ainsi que les modes
d’apprentissage
Le développement de la robotisation L’automatisation chasse l’intervention humaine des
tâches routinières et répétitives
L’environnement informatique connecté La propagation des objets connectés et des capteurs, la
puissance de traitement décuplée des systèmes
36
d’information font déferler un torrent de données et
donnent naissance à des modèles et algorithmes à une
échelle sans précédent
La super-structuration des organisations Les réseaux sociaux amènent de nouvelles formes de
production et de création de valeur
Le nouvel écosystème des media Les nouveaux outils de communication requièrent de
nouvelles littératies des media au-delà de l’écrit
Le monde globalement connecté et
digitalisé
La mondialisation et l’inter-connectivité placent la
diversité et l’adaptabilité au cœur du fonctionnement
des organisations
A cette projection de l’environnement sociétal de demain sont associées des compétences critiques
pour une réussite professionnelle sur un même horizon futuriste.
Compétence
Définition / contenu
Le pouvoir de
décision
Aptitude à déterminer le sens profond et la signification de ce qui est
exprimé, à créer un processus critique de décision
L’intelligence sociale Aptitude à entrer en relation avec les autres de manière directe et intense,
pour détecter et stimuler les réactions et obtenir les interactions désirées
L’innovation et
l’adaptabilité
Aptitude à penser et à trouver des solutions et des réponses au-delà des
routines, des procédures et des schémas automatisés
La pluriculturalité Aptitude à opérer dans différents environnements culturels
La pensée
informatique
Aptitude à traduire de vastes gisements de données en concepts abstraits
et à comprendre les raisonnements fondés sur l’analyse de données
La littératie des
nouveaux media
Aptitude à évaluer de manière critique et à développer des contenus avec
de nouveaux media, et à mettre la puissance de ces media au service
37
d’une communication persuasive
La pluridisciplinarité Aptitude à comprendre des concepts à travers différentes disciplines
Le design de
processus
Aptitude à dessiner et développer des tâches et des processus pour obtenir
les résultats escomptés
La gestion de la
charge cognitive
Aptitude à sérier et filtrer l’information par ordre d’importance, à
comprendre comment maximiser le fonctionnement cognitif en utilisant une
large palette d’outils et de techniques
La collaboration
virtuelle
Aptitude à travailler de manière productive, à conduire le changement, à
témoigner sa présence et sa contribution en tant que membre d’une équipe
virtuelle
Analyser et cartographier les cadres conceptuels de la compétence digitale pour en déduire un
modèle > institutions européennes (2011-2012)
Depuis le Conseil Européen de Lisbonne en 2000, le Joint Research Center de la Commission
Européenne finance de nombreuses recherches et rapports techniques dont l’objectif est de délimiter
de mieux en mieux les composantes de la compétence numérique. Les travaux les plus récents sont :
Policy Brief: Ala-Mutka K., Punie. Y, Redecker C., digital competence for lifelong learning, 2008 ;
Technical Note : Ala-Mutka K, Mapping digital competence : towards a conceptual understanding,
2011
Technical Report : Ferrari A., Digital competence in practice : an analysis of frameworks, 2012
Définition de la compétence numérique
39
Analyser les territoires de la littératie et des politiques de citoyenneté numériques > sciences de
l’éducation (2015)
En 2015, le centre canadien d’éducation aux media et de littératie numérique, Habilo Médias, publie
un document de discussion intitulé « définir la politique de littératie numérique et la pratique dans le
paysage de l’éducation canadienne ». Selon les auteurs, Hoechsmann et DeWaard de l’université de
Lakehead à Toronto, la littératie numérique ne se résume pas à un socle de compétences
technologiques, mais plutôt à une capacité à participer à une société qui utilise les TIC dans les
milieux professionnels, éducatifs, gouvernementaux, culturels, civiques et familiaux.
Dans son approche conceptuelle, Habilo Medias s’appuie en particulier sur 3 éléments de base :
1. L’habilité et la capacité d’utiliser le contenu et les outils des media numériques ;
2. La capacité de comprendre de façon critique le contenu et les outils des media numériques ;
3. La connaissance et l’expertise pour créer à l’aide de la technologie numérique.
Pour compléter cette approche, les auteurs proposent une carte mentale qui tend à visualiser et à
regrouper les différentes composantes de la politique de littératie numérique au Canada.
La compétence numérique implique la mobilisation de connaissances techniques, de savoir-
faire cognitifs (voire métacognitifs) et pratiques, aussi bien que des volets sociaux et
comportementaux comprenant des attitudes, des émotions, des valeurs et des motivations.
40
IV. Trois menaces relatives à l’acquisition des compétences numériques, trois freins à la
transformation digitale de l’entreprise
IV.1 Le digital divide ou les fractures numériques, le risque de l’e-exclusion
Le concept de fracture numérique, né du terme anglais digital divide, renvoie à de nombreuses
facettes de la numérisation de l’économie et à la diffusion des TIC. Quatre dimensions émergent de la
recherche académique, depuis la fin des années 1990 :
1. La fracture numérique de premier degré liée à l’accès aux équipements et aux
infrastructures : au sens strict, la fracture numérique désigne les inégalités d’accès à internet. Les
déterminants des fractures numériques de premier degré sont nombreux et reposent sur 2 facteurs
principaux : 1) les écarts de revenus entre nations et groupes sociaux et 2) la structure de
l’infrastructure des télécommunications. Ces fractures ne sont pas statiques, elles évoluent au fil
des progrès technologiques. Un élargissement aux accès peut cacher de nouvelles barrières plus
qualitatives (génération de téléphonie, qualité du débit, possibilités de stockage …). Kling (1998)
est le premier à remettre en cause cette approche techno-centrée en distinguant explicitement les
inégalités dans l’accès aux TIC (technical access) des inégalités dans les connaissances et les
compétences (social access).
2. La fracture numérique de second degré (Hargittaï, 2002) liée à l’usage des TIC : l’accès aux
TIC ne conditionne pas automatiquement leur usage effectif et encore moins leur usage
autonome et efficace. De nombreuses études montrent ainsi que de multiples facteurs se
combinent aux variables socio-démographiques traditionnelles (statut socio-économique, niveau
d’éducation, âge, sexe, etc…) pour influencer l’engagement (ou non) des individus dans les TIC.
S’approprier pleinement les TIC et leur contenu est bien une dynamique complexe, qui requiert
de nombreuses ressources d’ordre matériel, mental, social et culturel. Le gap cognitif est
l’endroit où la fracture numérique s’exprime de façon la plus violente (Guichard, 2003). La
maîtrise des TIC nécessite de surmonter la perte de certains repères spatio-temporels ou de
cadres structurés et stables, comme l’offre par exemple le livre physique. Un autre point clé
réside dans le tri, l’analyse et la synthèse de l’information collectée.
3. La fracture numérique sous l’angle des performances induites par l’usage des TIC : cette
dimension repose sur une approche macro-économique (Stratégie de Lisbonne (2000) pour l’UE).
Les TIC accélèreraient la productivité des uns et causeraient la déqualification des autres,
accentuant les inégalités de salaires.
4. La fracture numérique ‘dynamique’ liée aux processus d’apprentissage des TIC : les
nouvelles technologies sont considérées comme complexes et par essence ‘immatures’, c’est-à-
dire en constante évolution. Elles nécessitent des compétences spécifiques pour les utiliser
effectivement à des buts de création de richesse. L’acquisition de ces compétences requiert la
mise en place de processus d’apprentissages formels et informels. Le fossé est amplifié ici par les
primo-adoptants ou communautés virtuelles d’experts qui définissent ‘entre-soi’ les normes et
participent à l’élaboration des modalités d’évolution technologique qui répondent davantage à leurs
attentes qu’aux difficultés de rattrapage de la masse des ‘followers’.
41
Source : Gérard Valenduc, Patricia Vendramin, (2003), Internet et inégalités – une radigraphie de la fracture numérique, Centre
de recherche Travail et Technologies de la Fondation Travail-Université de Namur
La fracture numérique ‘dynamique’ liée aux apprentissages est la plus déterminante des
fractures numériques. Les TIC progressent à un rythme élevé avec de nombreuses ruptures. Dès
lors, leur adoption nécessite des apprentissages continus et l’acquisition constante de nouvelles
compétences.
Pour analyser les compétences numériques et leur mode de construction, nous pouvons nous référer
à une typologie de compétences élaborée par des chercheurs hollandais (Steyaert et De Haan, 2001),
reprise et complétée par la suite par d’autres auteurs (Vendramin et Valenduc, 2003, Van Dijk, 2005).
Ceux-ci distinguent trois niveaux de compétences numériques : les compétences instrumentales,
structurelles (ou informationnelles) et stratégiques.
Les compétences structurelles ou informationnelles concernent la nouvelle façon d’entrer dans
les contenus en ligne, c’est-à-dire de chercher, sélectionner, comprendre, évaluer, traiter l’information. Alors que l’informatique a toujours nécessité des compétences instrumentales, les compétences informationnelles prennent toute leur importance avec le développement des contenus d’information et des services en ligne. Elles sont nécessaires pour utiliser les procédures de navigation, les moteurs de recherche, les blogs et forums de discussion, les services interactifs.
Les compétences instrumentales ont trait à la manipulation du matériel et des logiciels. Elles
couvrent en premier lieu les compétences opérationnelles qui relèvent d’un savoir-faire de base.
Les compétences instrumentales comprennent aussi bien les capacités techniques que les
capacités de raisonnement pour faire face aux aléas techniques du quotidien. De nombreux
programmes de formation et de sensibilisation aux TIC se focalisent sur ces compétences
instrumentales. C’est le premier niveau d’acquisition, le passage obligé, celui le plus souvent
dispensé à des publics fragilisés : demandeurs d’emploi, migrants, seniors, jeunes en difficulté.
Ainsi en 2013, faisant le constat que 87% des employeurs utilisent les sites internet pour recruter,
Pole Emploi s’est attaché à former 250.000 demandeurs d’emploi à l’usage d’internet. Par ailleurs,
l’agence a développé des partenariats locaux avec des acteurs de la lutte contre la fracture
numérique, comme le réseau Cyber-base de la Caisse des Dépôts ou encore le réseau des
Espaces Publics Numériques (EPN). Ces lieux proposent des accès à internet, ainsi qu’un
accompagnement pour faciliter l’appropriation des technologies et des usages liés à internet, dont
la recherche d’emploi en ligne.
42
Van Dijk (2005) a introduit une distinction entre les compétences informationnelles formelles et
substantielles. Les premières sont relatives au format, les secondes au contenu de l’information.
Les compétences stratégiques concernent l’aptitude à utiliser l’information de manière pertinente,
éthique et proactive, à lui donner du sens dans un contexte et à prendre des décisions éclairées en
vue d’agir sur son environnement. Ces compétences, comme les compétences informationnelles,
ne voient pas le jour avec le numérique ; leur besoin se faisait déjà sentir avec les médias écrits et
audiovisuels, mais les médias interactifs en ligne en accentuent l’importance et l’urgence de les
maîtriser.
Les auteurs s’entendent pour établir une hiérarchie des compétences numériques : les compétences
instrumentales sont une base à la construction des compétences informationnelles, qui soutiennent, à
leur tour, les compétences stratégiques. L’environnement professionnel – les collègues, les outils de
travail et leur contexte d’utilisation – joue un rôle prépondérant dans l’acquisition des 3 catégories de
compétences. L’utilisation des TIC au travail favorise incontestablement l’acquisition et le
développement des compétences instrumentales. Les compétences structurelles dépendent
davantage du type de métier exercé. Quant aux compétences stratégiques, elles sont liées à la marge
d’autonomie et d’initiative laissée au collaborateur.
Actuellement l’enseignement et la formation professionnelle se focalisent beaucoup sur les
compétences instrumentales, au risque de négliger les autres compétences, qui jouent pourtant un
rôle clé dans l’activation des usages. Le challenge de l’éducation et de la formation consiste à se
projeter au-delà des compétences techniques pour ancrer les compétences structurelles et
stratégiques, fondement d’une appropriation efficace et durable des TIC.
Tout usager, qu’il soit novice ou expert, est exposé au risque de perdre son niveau de maîtrise des
TIC en raison de l’évolution continuelle des technologies. Tout usager est donc par nature une victime
potentielle de la fracture numérique dynamique. Pour la surmonter, il convient de produire un effort
d’adaptation. Selon les individus, cet effort peut-être constant ou erratique au gré des circonstances,
des besoins et des compétences qui le motivent. Il s’agit donc d’un processus itératif fait de
décrochages et de rattrapages continuels.
Parmi les compétences formelles, l’auteur cite notamment :
- la capacité de comprendre la structure des fichiers d’un ordinateur, d’un site web ou d’une
compilation de musique ou d’images ;
- la compréhension de l’architecture d’un site web ;
- la capacité de maîtriser la structure des liens dans un hypertexte ;
- la compréhension de la présentation d’une page multimédia ;
- la capacité de maîtriser la fragmentation des sources d’information, réparties dans un grand
nombre de sites ;
- la maîtrise de l’obsolescence et du renouvellement rapides des sources d’information ;
- enfin, l’omniprésence de l’anglais.
Quant aux compétences informationnelles dites substantielles, elles consistent à apprendre :
- comment chercher l’information en ligne, comment la sélectionner parmi une offre
surabondante ;
- comment éditer soi-même cette information ;
- comment en évaluer la qualité ;
- comment combiner des sources d’information qui proviennent de médias et d’auteurs de plus
en plus diversifiés ;
- comment établir des liens ou des associations entre les informations sélectionnées ;
- comment arriver à formuler des généralisations.
43
Et c’est là qu’entrent en scène les compétences dites génériques, qui permettent à l’usager de
traverser les barrières des applications et des matériels, quelles que soient les situations d’usages.
Ces compétences plus transversales n’entrent pas dans le champ exclusif des compétences
numériques. Elles font écho à la notion « d’apprendre à apprendre », ce qui permet à l’usager de se
prendre en main et de se former pour maintenir son portefeuille de compétences et son employabilité.
Examinons à présent deux types de fractures numériques observées en entreprise : la fracture
professionnelle et la fracture générationnelle.
> Le risque d’exclusion numérique en milieu professionnel
Si les inégalités numériques dans la société se posent essentiellement en termes d’accès, les
inégalités numériques au travail, où l’environnement technologique est plus diversifié, reposent sur la
typologie des emplois exercés. Les métiers intellectuels ou administratifs ont un degré de familiarité
plus important avec les TIC que l’ouvrier posté sur une chaîne de production ou l’hôtesse de caisse en
supermarché. Travailler avec internet présuppose un usage intensif de l’information ou un besoin
régulier de communication sous forme électronique.
Valenduc (2007) établit une classification en 5 catégories de métiers :
1. Les professionnels des TIC > exemples : les informaticiens, les spécialistes de l’internet, du
multimédia et des services en ligne, ceux qui développent des applications spécialisées des TIC.
Pour eux, les compétences instrumentales constituent le cœur du métier, même si le besoin en
compétences non techniques s’impose de plus en plus.
2. Les métiers imprégnés d’informatique et de réseaux dans lesquels les TIC sont devenues une
composante indissociable du procédé, du produit ou du service > exemples : la production
d’énergie, l’industrie chimique, l’imprimerie et l’édition, la logistique, les services financiers, les
bureaux d’étude ou d’ingénierie, …
Les compétences TIC viennent s’articuler autour des qualifications professionnelles traditionnelles ;
elles sont acquises en formation initiale, continue ou sur le tas.
3. Les métiers dans lesquels les TIC ne sont pas au cœur du métier, mais peuvent constituer un
support à valeur ajoutée utile en termes d’information, d’organisation ou de marketing, sans pour
autant devenir un incontournable > exemples : les enseignants, les métiers manuels et artisanaux,
le petit commerce spécialisé, …
Il y a dans ces métiers une pression à évoluer vers l’ordinateur et internet, qui peut venir des
collègues, des clients, du réseau de relations.
4. Les métiers dont l’organisation est profondément transformée par les TIC, mais sans que la
majorité des salariés ne soient pour autant confrontés au besoin d’acquérir des compétences TIC
> exemples : la grande distribution, les transports, les chaînes de montage, la manutention …
Dans ces métiers, une familiarisation de base avec les TIC est souvent suffisante. Elle ne donne
pas nécessairement toutes les clés pour devenir un utilisateur autonome dans le cadre
domestique.
5. Les métiers à l’écart des TIC, où celles-ci ne jouent pas de rôle important dans le changement
organisationnel > exemples : les services aux personnes, le nettoyage, les emplois peu qualifiés
dans l’industrie ou le secteur public ...
Ici, l’initiation aux TIC ne relève que d’un intérêt et d’une démarche individuels dans un contexte
privé où les ressources du réseau de relations sont souvent moins pertinentes.
44
> Le stéréotype générationnel
Un des stéréotypes les plus répandus est celui de la fracture numérique générationnelle qui fait
référence à la rupture en termes d’usage et d’appropriation des technologies entre différents groupes
d’âge (Goodman-Deane, 2009 ; Peng et Mu, 2011). Une représentation simpliste consiste à opposer
des seniors en difficulté face aux nouvelles technologies et des juniors, qui seraient tombés très tôt
dans le chaudron de potion magique et n’auraient donc aucune difficulté avec les TIC au travail.
En réalité, les juniors et les seniors sont confrontés aux mêmes problèmes, mais ils prennent une
acuité plus grande pour les ainés.
Face à un rythme de développement accéléré des nouvelles technologies, les travailleurs séniors
témoignent de deux types d’appréhension :
1. Les craintes liées à l’adaptabilité, au changement organisationnel et à la technologie elle-même.
Elles se manifestent sous différentes formes : incertitude pour l’emploi, inquiétude à l’idée de
provoquer des pannes, hésitation face aux exigences de nouveaux apprentissages, mise en
concurrence avec des employés plus jeunes, difficulté de comprendre le jargon des informaticiens
ou les manuels d’utilisation …
2. La pression accrue sur le temps : accélération des rythmes, raccourcissement des délais,
élimination des temps morts, contrôle électronique des performances, contraintes imposées par les
progiciels. Ce facteur est le plus décisif car il ruine les stratégies de vérification et d’anticipation
que les travailleurs vieillissants mettent en place pour pallier les déficiences de mémoire immédiate.
A l’opposé de la pyramide des âges, les ‘digital natives’ (Prensky, 2001), millenials ou tenants des
générations Y (nés après 1980) et Z (nés après 1995) forment la première génération qui a grandi
avec des innovations technologiques en continu, qu’elle introduit dans toutes ses activités de
communication (internet, e-mails, téléphones portables, skype), de recherche de contenu
informationnel, ludique ou artistique (Google, Google Books, Wikipedia, YouTube, Deezer), de
réseaux sociaux (Facebook, Myspace, Twitter) ou encore virtuelles (Second Life, World of Warcraft).
Les jeunes appartenant à cette génération sont connectés en permanence, branchés continuellement
à des informations, des divertissements ou encore à leurs réseaux personnels. Ils ont tellement
intégré l’usage des technologies qu’ils sont devenus multi-tâches et que cette habitude se transpose
dans le monde professionnel : il est ainsi normal pour eux de répondre à une sollicitation d’ordre
personnel alors qu’ils sont en train de travailler.
Pour autant, il n’existe à ce jour aucune évidence empirique (Meyronin, 2014) venant confirmer
l’hypothèse selon laquelle cette génération pourrait constituer un levier de transformation efficient pour
accélérer la digitalisation des pratiques professionnelles et celle des modèles économiques. Tout au
plus flotte-t-il une ‘présomption de compétence’, jolie formule détournée de Michel Serre (2012) dans
son livre Petite Poucette. Une seule chose est sure pour ces jeunes : la technologie fait partie
intégrante de leur communication et de leur apprentissage, ce qui peut constituer un ‘booster’
d’adaptabilité et de transmission des savoirs.
La fracture numérique liée à l’âge des travailleurs n’est donc pas une fatalité : elle est le produit de
stratégies managériales et de stéréotypes qu’il convient de combattre. Les initiatives de reverse-
Cette classification des métiers est importante pour comprendre les liens entre la fracture numérique
et les compétences mises en œuvre dans le travail. Elle éclaire d’autres formes de discrimination,
notamment la fracture numérique entre les hommes et les femmes, liée à la ségrégation des emplois
entre les hommes et les femmes. Les femmes sont nombreuses à occuper les emplois des catégories
4 et 5, mais très peu nombreuses dans la catégorie 1. Au sein de la catégorie 3, elles disposent moins
que les hommes de temps personnel à investir pour se mettre à l’heure des TIC.
45
mentoring qui fleurissent ici et là dans les entreprises témoignent d’un potentiel de transfert
intergénérationnel des connaissances et technologies de l’information.
Dutot et Safraou (2012) ont construit un modèle intégrateur des dynamiques junior-senior sur la base
de 4 dyades et de 6 critères permettant de mesurer que le transfert générationnel est possible avec
succès sur les TIC :
Critère 1 : la différence générationnelle, ou dans quelle mesure la différence d’âge entre les
composantes de la dyade peut avoir un effet sur le transfert ;
Critère 2 : l’identification du moteur de transfert de la relation ;
Critère 3 : la générativité, ou l’intégration des préoccupations de l’autre dans le transfert des
connaissances ;
Critère 4 : le type de transfert, par expérience
Critère 5 : le type de transfert, par expertise
Critère 6 : le support technologique du transfert
Source : Vincent Dutot, Imen Safraou, « Transfert intergénérationnel des connaissances et technologies de l'information (TI) :
Vers un modèle intégrateur des dynamiques junior-senior », La Revue des Sciences de Gestion 2012/1 (n° 253), p. 95.
Au regard de ce modèle, tous les espoirs sont permis car seule une dyade tentant le rapprochement
de deux extrêmes ‘natifs digitaux et analphabètes numériques’ échoue pour cause d’écart
générationnel trop grand et d’incompréhension de la réalité de l’autre d’un point de vue technologique.
46
Focus Assurance n°2 - Clin d’œil sur le thème de la fracture numérique générationnelle
Et si la génération X prenait sa revanche numérique sur les réseaux sociaux professionnels ?
Source : Les Echos, 22/03/2015
Alors que le match semblait jouer au profit des plus jeunes, on constate que la génération X (individus
nés entre 1960 et 1980) n’a pas dit son dernier mot et prend elle aussi le virage du 3.0.
Au cœur du dispositif numérique, les réseaux sociaux jouent un rôle de plus en plus important. Ils
représentent la nouvelle agora, le poumon d’un nouveau système relationnel. Dans l’univers
professionnel, ils deviennent une opportunité pour beaucoup de salariés ou d’entrepreneurs de
collecter et d’exploiter une mine d’informations. Ils leur donnent également l’occasion d’une meilleure
exposition.
Intervenant à HEC et membre du comité scientifique présidé par Luc Ferry sur le Big Data et le
Numérique en Assurance, Alban Jarry conduit depuis 2 ans maintenant des classements sur les
twittos du monde de l’assurance. Il scrute les comportements de 735 utilisateurs de l’industrie sur la
plateforme sociale LinkedIn. Et là surprise : au bout de 2 années d’observations, le constat est sans
appel ! Les générations des quadras et des quinquas ont pris le leadership. Présents sur Twitter,
utilisant les fonctionnalités CRM de LinkedIn, bénéficiant de l’expertise attachée à leur première moitié
de carrière professionnelle, ils trustent les échanges sur la toile.
Suivis pour la qualité des contenus postés et la valeur ajoutée de leur témoignage, ils attirent de plus
en plus de ‘followers’ qui s’abonnent à leurs fils de discussions. Ils se montrent pertinents dans la
distinction entre univers privé et professionnel. Ils ont compris comment transposer leur réseau
physique en réseau virtuel.
Forts de leur expérience, les membres de la génération X reprennent leur rôle sur les plateformes
numériques pour aiguiller les nouvelles générations dans la sphère professionnelle. Ils se penchent
avec bienveillance en tant que conseil sur les projets d’entrepreneuriat et de start-ups des générations
Y ou Z, dont ils intègrent les "Advisory Board" (ou "Conseil des Sages") pour leur apporter un savoir
qu’ils pourraient mettre des années à acquérir. Ils contribuent ainsi à bâtir les fondations de la
nouvelle FrenchTech.
Virtualité des réseaux sociaux professionnels, réalité des Advisory Board, les connexions
intergénérationnelles vont devenir de plus en plus importantes dans les prochaines années.
IV.2 Le digital skills shortage ou le déficit de compétences numériques, l’exacerbation de la guerre des
talents
Une étude conjointe réalisée en 2012 par le MIT (MIT Center for Business Research) et CapGemini
sur un échantillon de 391 grandes compagnies à travers le monde, fait ressortir un constat surprenant.
Si 87% des entreprises interrogées affirment que la transformation digitale constitue une opportunité
concurrentielle, 90% avouent ne pas posséder en interne les compétences numériques nécessaires
dans les domaines du social media, du mobile, des réseaux sociaux internes, de l’automatisation des
process et de l’analytics. 77% estiment que le manque de compétences numériques constitue
l’obstacle majeur dans leur transformation digitale. Pour autant, seules 46% disent investir dans le
développement de compétences numériques, sans que le budget de formation affecté au digital
n’excède jamais 20% de l’enveloppe de formation globale. Pour une part écrasante de répondants
(95%), seuls 20% des collaborateurs ont bénéficié d’une formation sur le digital. Enfin, la majeure
47
partie des sociétés continuent d’utiliser des méthodes traditionnelles de sourcing pour attirer les
talents digitaux, 13% seulement sortant des sentiers battus en adoptant des approches plus
innovantes.
Le portrait robot du talent recherché par les entreprises en transformation digitale réside sur 2 traits
majeurs :
1. La maîtrise de connaissances techniques sur 3 domaines :
Le big data analytics statistiques, data management, communication,
créativité, éthique
Les plateformes de media sociaux brand management, community management, la
production de services virtuels, l’étiquette on-line,
le service client, les relations publiques
Les supports mobiles ou ‘mobile devices’ design de plateformes, création d’interfaces
utilisateurs, gamification ou ludification, le
développement d’apps, la gestion du support
mobile, la cyber sécurité
2. Le sens aigu du métier : le potentiel des compétences numériques ne se libère pleinement que
lorsqu’il est combiné à une robuste connaissance fonctionnelle. Les salariés recherchés doivent
être capables de gérer des cycles de ‘delivery’ courts et d’opérer au travers des silos dans une
approche d’équipes multifonctionnelles.
Source : MIT-CapGemini, the digital talent gap, 2013
Il résulte un profil hybride reposant sur un portefeuille de compétences techniques très solides sur les
TIC, mais également de soft skills mettant en avant la transversalité, la conduite du changement, le
discernement et l’éthique pour gérer la complexité.
Mais comment trouver l’oiseau rare et pallier le déficit interne de compétences ? Là encore, c’est en
s’inscrivant dans la rupture digitale et l’innovation que des entreprises ont ouvert de nouvelles voies
permettant d’accélérer la résorption du ‘skills gap’.
Parmi les best-practices recensées, on peut noter :
La constitution de programmes d’échanges de collaborateurs avec un Gafa (Google, Apple,
Facebook, Amazon) ou un Natu (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) permettant d’encourager l’innovation
48
et la pollinisation croisée des cultures et des expériences > exemple du programme d’échange
entre les équipes Marketing de Procter & Gamble et Google ;
L’administration de modules de formations on-line aboutissant à une certification > exemple d’Intel
et de son programme Digital IQ 500 qui débouche sur l’identification d’ambassadeurs autorisés à
prendre la parole au nom de l’entreprise sur les réseaux sociaux ;
Le reverse mentoring pratiqué sous différentes modalités > exemple des pionniers General Electric,
L’Oréal, Cisco … aujourd’hui largement copiés par Orange, BNP Paribas, Engie ;
La ludification du process de recrutement au travers de serious games interactifs incluant des
résolutions de problèmes dans un environnement virtuel, des chats avec des employés > exemple
de l’Oréal et de son jeu pédagogique en ligne ‘Reveal’ qui s’intéresse aux compétences des
étudiants, évaluées grâce à un outil conçu par un cabinet d’experts indépendant (CUBIKS). Il s’agit
pour l’Oréal de découvrir les meilleurs talents venant de tous les horizons. Une fois le jeu terminé,
chaque candidat reçoit un bilan personnalisé. Les meilleurs sont invités à venir passer 2 jours dans
la filiale l’Oréal de leur pays où ils se révèleront encore davantage lors d’activités d’équipe et de
rencontres avec les collaborateurs et les recruteurs locaux. A la clé, un stage ou un emploi au sein
du Groupe ;
L’acquisition ciblée de pépites digitales > exemple de WalmartLabs, lab social et mobile du
distributeur Walmart qui a mis la main sur plusieurs petites compagnies spécialisées sur les
technologies associées au mobile, comme Kosmix (moteur de recherche), Grabble (e-commerce),
OneRiot (traceur de réseaux sociaux) ;
Le partenariat avec une plateforme online pour soumettre un challenge à des internautes >
exemple du laboratoire pharmaceutique Boehringer IngelHeim qui s’est associé avec Kaggle,
plateforme web spécialiste des compétitions en science des données, pour créer des modèles
prédictifs en recherche clinique ;
L’incubation de start-ups > exemple de Nike, qui, au travers de son programme Nike+ Accelerator,
apporte un soutien technique, logistique, RH à des start-ups de niche ;
Le pooling de compétences au travers de réseaux d’experts en ligne mettant en relation des
talents dispersés face à des clients > exemple des réseaux Gerson Lherman Group et Capvision.
Source : MIT-CapGemini, the digital talent gap, 2013
49
Focus Assurance n°3 – Re-skilling des emplois
Source : Accenture Strategy, Ravi Malhotra, : “ the insurance workforce of the future : why will so
many insurers fail to achieve their digital potential ? », 2015embrace it with you
Le Métier de l’Assurance change. L’industrie se voit contrainte de défendre ses activités historiques
mises à mal par l’érosion des marges et la pression croissante de la réglementation. Simultanément,
elle se diversifie sur des offres de services la positionnant comme intégrateur de bouquets regroupant
des produits d’assurance, des objets connectés, des services en ligne, etc…
Les défis associés aux nouvelles technologies sont nombreux : l’automatisation des process pour faire
baisser les coûts opérationnels, les analytics pour affiner l’approche du ‘risk-appetite’ et individualiser
les couvertures et garanties individuelles.
De ces changements résulte une profonde transformation des métiers et des compétences associées.
Citons quelques exemples emblématiques de cette évolution dans la profession :
Le souscripteur va s’associer aux data scientistes pour mettre à profit un champ de données élargi
intégrant des sources internes et externes, structurées ou non. Il utilisera également les analytics
pour générer des résultats pertinents lui permettant de procéder à une évaluation complexe des
comportements et des risques.
Le gestionnaire de sinistres va se transformer en prestataire de service au cœur de l’expérience
client. Les facteurs clé de succès deviennent la réactivité et l’interactivité. Le gestionnaire sera
habilité à intervenir en première ligne de résolution de problèmes, appliquant son discernement,
manipulant différents canaux (relation omni-canal) et outils (notamment la vidéo qui viendra se
substituer peu à peu au traditionnel rapport de constat papier). Plutôt que de se focaliser sur un
process taylorisé et un script uniformisé, le gestionnaire de sinistres se concentrera sur la
compréhension, l’évaluation et la réponse aux besoins de l’assuré avec des solutions
personnalisées qui stimuleront sa fidélité et sa loyauté, gonfleront le net promoter score et
génèreront des gains sur le long terme. De collaborateur de back-office, le gestionnaire de sinistres
devient l’acteur central d’un front-office d’après-vente.
Le concepteur produits va devenir créateur de valeur ajoutée, en relation étroite avec les
spécialistes du parcours client, sur l’ensemble des étapes de la conception au SAV. Il va monter
des partenariats avec des associations, des organisations, des start-ups lui permettant de
développer de nouveaux packages de produits et services, de dessiner les interactions avec le
client et définir ainsi de nouveaux business modèles.
Le chargé d’innovation va développer au sein d’un Lab un environnement agile favorisant le
‘test&learn’ et le ‘fail fast’ pour incuber de nouvelles idées, les expérimenter et les transformer du
stade de pilote au stade industriel.
L’architecte d’écosystème va se distinguer des architectes IT classiques en accompagnant
l’émergence de l’entreprise étendue. Il identifiera les opportunités de partenariats avec d’autres
acteurs et coordonnera leur participation à une plateforme de marché allant au-delà de
l’assurance.
Ces mutations constituent une réelle opportunité pour le secteur de l’Assurance de restaurer une
image souvent poussiéreuse et galvaudée, véritable repoussoir pour les collaborateurs les plus
performants ou pour les jeunes talents.
En réaffirmant sa vocation et son intervention sur les grands enjeux de société, et en se positionnant
comme une industrie engagée à délivrer des solutions innovantes qui contribuent à améliorer et
50
faciliter la vie quotidienne de ses clients, l’Assurance pourra formuler des propositions d’emplois et
des parcours de carrière permettant d’accroître la rétention des meilleurs collaborateurs et l’attractivité
des talents.
IV.3 Management 3.0, le malaise de la ligne managériale
Sous l’effet de la diffusion des outils numériques, de nouvelles pratiques de travail voient le jour. La
FING, Fondation Internet Nouvelle Génération, qui regroupe des entreprises, des collectivités, des
pôles de compétitivité, des établissements d’enseignement supérieur et des laboratoires de recherche,
scrute depuis plusieurs années les bouleversements organisationnels et managériaux induits par la
révolution digitale (cf. annexe 1 : Cartographie des mutations du travail à l’ère numérique – FING,
Digiwork, 2013).
Dans sa dernière synthèse issue des travaux de veille de sa campagne 2015, elle met en lumière le
choc de confrontation de 2 momentums qui entrent en collision simultanément :
L’usure du modèle économique et social né après la seconde-guerre mondiale dans le contexte de
croissance des Trente Glorieuses : ce modèle constitue le socle d’un contrat social et moral
construit entre l’entreprise et le salarié autour de la promesse d’engagements réciproques. En
échange d’une protection de l’emploi, d’une progression salariale, d’une couverture sociale, d’une
carrière planifiée, l’entreprise était en droit d’attendre de ses salariés engagement, loyauté et
fidélité. Après quelques décennies de crises, avec l’entrée sur le marché du travail des nouvelles
générations, un nouveau rapport à l’employeur se crée relevant plus de la relation contractuelle
qu’affective. Les collaborateurs cherchent à vivre une expérience qualifiante, valorisante et
enrichissante. Ils demeurent dans l’entreprise tant que le contrat est rempli. Ils la quittent sans état
d’âme dans le cas contraire.
L’émergence pas encore totalement maîtrisée de nouvelles pratiques de travail qui fleurissent ici et
là avec la propagation du ‘Digital Working’: automatisation des tâches, accroissement du
nomadisme et du travail à distance, aspiration à l’autonomie, porosité des univers privé et
professionnel. Le travail d’équipe ne s’effectue plus de la même façon : on parle aujourd’hui
d’agilité, de collectifs apprenants, de communautés virtuelles ou éphémères …
Ce choc met sous tension les organisations issues de l’ère industrielle et fissure les piliers historiques
du contrat de travail : temps / lieu / subordination. Au cœur de ces changements, la population
managériale perd ses grands repères normatifs et se retrouve au centre d’injonctions paradoxales.
Dans une étude APEC / Kurt Salmon parue en février 2015, les DRH de 75 entreprises françaises de
tous secteurs et de toutes tailles, identifient l’incidence du digital sur le mode de management des
équipes.
Source : Kurt Salmon, Apec, Humania, « une fonction RH digitale engagée à accompagner la transformation numérique de son
entreprise », Février 2015
51
Ils tracent aussi les tendances d’évolution du management vers un modèle plus collaboratif supposant
plus de transparence dans le partage d’information, plus de responsabilisation ‘empowerment’ et
d’autonomie des collaborateurs.
Source : Kurt Salmon, Apec, Humania, « une fonction RH digitale engagée à accompagner la transformation numérique de son
entreprise », Février 2015
Le malaise des managers trouve sa source en plusieurs points sensibles :
La remise en cause du statut de sachant et du contexte d’asymétrie informationnelle : pendant
longtemps dans l’entreprise, être manager, consistait à disposer de l’information en avant-première,
à la filtrer, puis à la diffuser ‘digérée’ de manière verticale. Les TIC modifient considérablement la
donne en introduisant la règle du triple A : Anything, Anytime, Anywhere. L’information devient
accessible à tous, à tout moment et s’affranchit des niveaux hiérarchiques. La transition vers ce
monde ubiquitaire perturbe les managers qui ne vivent pas toujours bien les pratiques de
communication horizontales (réseaux sociaux d’entreprise, intranets collaboratifs, plateformes de
knowledge management, espaces partagés, etc…) ;
La substitution à un management par objectif d’un management collaboratif : les jeunes
collaborateurs recherchent un manager choisi pour sa capacité à embarquer son équipe afin d’en
tirer le meilleur parti tant sur le plan individuel que collectif. Les modèles hiérarchiques sont
supplantés par des fonctionnements en réseaux qui privilégient la gestion en mode projet ;
L’acceptation d’une évaluation partagée des collaborateurs : le manager n’est plus aujourd’hui la
personne la plus pertinente pour évaluer les compétences de son équipe, dans la mesure où il n’a
pas la visibilité de ce que le collaborateur a construit comme portefeuille de compétences dans ses
expériences professionnelles antérieures ou dans ses activités extra-professionnelles actuelles
(engagement associatif, bénévolat …). Il ne dispose que d’une vision parcellaire du vivier de
compétences qu’il a sous la main. De même, les temps formalisés d’évaluation ne suffisent plus en
l’état. Ils doivent être complétés de feedbacks fréquents et réciproques, ouverts à l’avis de tiers
comme les pairs ou les clients internes. Cela induit une vision plus holistique de la performance qui
implique d’associer dans l’évaluation d’un collaborateur un plus grand nombre de personnes.
L’encouragement de la prise de risque et du droit à l’erreur : l’innovation et la créativité ont besoin
d’un terreau pour se développer. L’esprit start-up ne se décrète pas, il nécessite la construction
d’un environnement de sécurité et de confiance, où la prise d’initiative va de pair avec le droit de se
tromper. Le manager peut donner l’exemple en adoptant une posture humble qui montre tout
autant ses faiblesses que ses forces.
Ces points convergent tous vers une même direction : pour les managers, le choc du ‘Digital Working’
est synonyme de perte des repères liés au contrôle et au pouvoir et de renoncement avec la posture
de ‘command & control’.
Avec le digital, le rôle du manager évolue vers un rôle de
52
coach, apportant réflexion, analyse et protégeant ses équipes de l’infobésité ;
coordinateur de projets ;
garant fédérateur du lien social, de la cohésion et du sentiment d’appartenance de l’équipe, surtout
quand celle-ci est éclatée dans l’espace et vit sur des rythmes de travail a-synchrones ;
médiateur dans la gestion des transferts des savoirs inter-générationnels.
Deux populations de managers méritent une attention particulière ; les dirigeants et les managers de
proximité.
Les premiers, tout occupés à la définition de la vision et de la stratégie, ne doivent pas oublier que le
digital n’est pas un concept mais une expérience qui se vit au travers de la mise en œuvre de
comportements et de technologies. Décider un plan de transformation digital, c’est donner un cap, une
orientation nouvelle que l’on ne peut formuler si elle nous est étrangère. La clé de la réussite est
l’exemplarité. Celle-ci ne se mesure pas au degré de ‘geekerie’ du dirigeant mais à son comportement,
à ses postures et à ses usages.
Les seconds représentent le chainon entre la Direction Générale et les collaborateurs, donc la
courroie de transmission entre la stratégie et les opérations. C’est à cette population que l’on
demande d’intégrer le digital dans les processus du quotidien tout en accompagnant et en guidant les
équipes à surmonter les freins ou les obstacles au changement. Ce sont également les managers de
proximité qui doivent résoudre l’équation contradictoire entre une demande croissante d’autonomie
des salariés et l’exigence accrue de contrôle et de reporting du top management La clé de la réussite
réside dans la confiance en autorisant ces managers à expérimenter des usages digitaux, à recruter
des profils atypiques, à s’inspirer de best-practices identifiées ailleurs et à les transposer … ce qui
suppose de les encourager à la découverte, à la curiosité et au partage par la lecture, les visites
industrielles, la participation à des conférences … en leur octroyant le luxe de lever la tête du guidon.
Comment accompagner les managers dans cette transition, où le temps du digital n’est pas celui de
l’humain ?
Etonnamment, les réponses apportées par les DRH interrogés dans l’étude APEC / Kurt Salmon citée
ci-dessus ne se montrent pas très originales et pointent encore une priorisation sur les compétences
instrumentales et l’acquisition du B.A.BA sur les outils.
Source : Kurt Salmon, Apec, Humania, « une fonction RH digitale engagée à accompagner la transformation numérique de son
entreprise », Février 2015
Si une description de la compétence numérique individuelle existe dans la littérature académique au
travers des recherches commanditées par les institutions politiques ou des analyses universitaires
53
conduites sur les phénomènes de fractures et d’inégalités numériques, la compétence numérique
managériale est la grande oubliée des travaux des chercheurs. A peine trouve-t-on ici et là sur des
blogs, dans des études de cabinets de consultants ou au gré des conférences qui se sont multipliées
ces derniers temps sur la transformation digitale … quelques mentions de compétences qui
apparaissent.
Citons notamment :
le management d’équipes à distance, synchrone ou a-synchrone ;
le management d’équipes virtuelles ou étendues ;
la capacité à animer des communautés et à maîtriser les réseaux sociaux dans l’animation d’une
équipe ;
la régulation de la sur-sollicitation des collaborateurs, la gestion de l’infobésité et de la vitesse des
échanges ;
l’utilisation du jeu et du ludique pour porter le sens et transmettre les savoirs ;
l’adoption d’une attitude positive face à l’échec et à la prise de risque ;
le sens du résultat rapide plus que qualitatif ou perfectionniste dans l’esprit de l’agilité et du
« test&learn » ;
la pratique fréquente du feedback ;
le management des e-comportements fondé sur 3 dimensions : 1) les hommes 2) les TICS 3) les
messages (cf. en annexe 2 les 12 e-comportements recensés par JM. Rolland, docteur en
Sciences de l’Information et de la Communication).
Illustration d’une expression du droit à l’erreur + Représentation des 12 e-comportements
Source : Jean-Michel Rolland, « Manager les e-comportements », p.
87, Editions Eyrolles, 2014
Deux remarques pour clore la question du management digital :
1. par souci d’employabilité, les managers doivent pouvoir conserver des missions opérationnelles en
propre pour continuer à développer des compétences autres que celles du management. Cette
exigence opérationnelle, dans un environnement de progrès technologique constant, est
indispensable pour maintenir une légitimité en tant que source de décision respectée dans un
monde d’incertitudes ;
2. par souci d’exemplarité, les managers doivent oser transposer des pratiques issues des parcours
et de la relation client en parcours employé avec par exemple la déclinaison d’un NPS (net
54
promoter score) en MPS (management promoter score). Cet indicateur montre la confiance du
salarié envers son manager au travers de la question : « recommanderiez-vous votre manager à
votre meilleur ami ? ».Il s’agit d’une pratique déjà utilisée avec succès en France chez le
laboratoire pharmaceutique Roche ou chez Google.
Le temps du digital n’est pas celui de l’humain. La vitesse de propagation et de renouvellement
des nouvelles technologies expose tous les salariés à une fracture numérique dynamique, liée
à l’obsolescence rapide des compétences instrumentales de base. Cette course contre la
montre fragilise les collaborateurs les moins adaptables, qui ne parviennent pas à suivre le
rythme d’actualisation du socle instrumental ni à construire les couches supérieures
informationnelles et stratégiques. La transformation digitale exacerbe la guerre des talents, en
mettant la pression sur le ‘sourcing’ de profils disputés et pointus (data scientists, cyber
security officer, etc…). Enfin, la littérature académique ignore totalement à ce jour la notion de
compétence numérique managériale, alors même que les managers, perturbés dans leurs
repères, ressentent confusément les changements radicaux des pratiques de travail.
55
V. Quels leviers pour accélérer l’acquisition des compétences numériques ?
V.1 L’apprendre à apprendre dans un cadre informel
Les formations dispensées sur les TIC se restreignent le plus souvent à l’acquisition de compétences
instrumentales. Cependant, ces compétences ne constituent pas le cœur du problème dans
l’apprentissage des usages des technologies. Le réel challenge repose dans tout ce qui entoure ce
savoir technique, avec pour enjeu principal la maîtrise des compétences structurelles ou stratégiques
qui représente la condition d’une appropriation efficace et durable des TIC.
La capacité d’apprendre à apprendre se révèle cruciale. Selon Périne Brotcorne et Gérard Valenduc
dans leur article publié en 2099 sous le titre ‘les compétences numériques et les inégalités dans les
usages d’internet’ (p.63), l’autonomie des personnes dans l’apprentissage « doit être envisagée
comme une véritable assurance à long terme contre les risques de fracture numérique dans les
usages. Il s’agit de s’auto-évaluer, d’apprendre à adopter une attitude de curiosité intellectuelle, de
développer des compétences cognitives dites de ‘transfert’, qui permettent d’utiliser des savoirs acquis
dans d’autres contextes ».
Cette auto-éducation permanente se confronte à trois défis :
1. le défi du décloisonnement de la formation aux TIC au travers de dispositifs qui vont au-delà du
strict apprentissage des compétences numériques instrumentales et développent simultanément
d’autres compétences cognitives et sociales, ainsi que le transfert des connaissances ;
2. le défi de la transversalité avec une approche en logique projet qui favorise les cas concrets et le
travail de groupe ;
3. le défi de la responsabilisation et de l’autonomie au travers du métissage et de la complémentarité
des environnements pédagogiques et de formation.
Le tour de force du digital est d’être à la fois le fond et la forme, et de concentrer le prétexte, la finalité
et le média pour créer du sens autour de l’expérimentation d’usages. C’est pourquoi le modèle
d’apprentissage et de développement dit ‘70/20/10’, né en 1996 des travaux de recherche de Morgan
McCall, Robert W. Eichinger et Michael M. Lombardo du Center for Creative Leadership, trouve un
véritable écho dans l’environnement de la transformation numérique. Le digital permet aujourd’hui de
travailler, non plus seulement sur de la formation traditionnelle mais aussi d’apporter un
environnement plus propice à l’informel.
56
Après avoir révolutionné les contenus et les formats de formations, le digital rebat aussi les cartes en
donnant la possibilité au collaborateur de nourrir sa capacité d’apprentissage en piochant des
ressources au-delà des frontières de l’entreprise et de son learning center et de vivre en toute
autonomie de nouvelles expériences.
Source : Jane Hart, Modern Workplace Learning : a resource book for L&D
V.2 Le développement d’environnements de travail capacitants
Les notions d’entreprises qualifiantes ou apprenantes défendent le principe de pratiques de travail
plus ‘intelligentes’ grâce à l’articulation de l’acte de formation et de l’acte de travail. Il en découle de
nouvelles approches de l’ingénierie de formation plus centrées sur la réalité des situations et des
contextes de travail, et plus à même de faciliter le transfert des apprentissages. Ces évolutions
touchent soit la manière de former (formation-action, formation sur étagères avec par exemple
dispositifs de e-learning standardisés, formations croisées entre personnes issues de champs
d’expertise différents, etc…) soit les modalités de prise en charge des apprentissages (parcours de
professionnalisation, tutorat, etc…).L’objectif demeure toujours le même : développer les
compétences et le savoir agir en situation.
Un nouveau concept émerge aujourd’hui, fondé sur l’approche par les capacités (capabilities) élaboré
par l’économiste Amartya Sen (1990, 2000, 2012). Sa théorie quitte le champ des compétences pour
celui des capacités ou capabilités. Ces dernières se distinguent des compétences en ce sens qu’elles
déplacent les apprentissages du savoir agir vers le pouvoir d’agir. Les capacités relèvent d’un savoir-
faire quelque chose, les capabilités du fait d’être en mesure de faire quelque chose. La capabilité offre
autant de bénéfices au collaborateur qui en l’actionnant voit s’ouvrir un champ de possibles … qu’à
l’entreprise qui en l’encourageant en profite et en récolte les fruits.
Selon Solveig Fernagu-Oudet (2012), « la capabilité permet aux compétences de prendre forme …
dans un entre-deux entre moyens et résultats de l’action ».
Suivant cette logique, dynamiser les environnements de travail pour les rendre capacitants permet
d’inciter les individus à mobiliser et à utiliser les ressources qui sont à leur disposition et pas
seulement à les mettre à disposition.
57
Source : Solveig Fernagu-Oudet, « Concevoir des environnements de travail capacitants : l’exemple d’un réseau réciproque
d’échanges des savoirs », Formation emploi, | juillet-septembre 2012, p.119
Un environnement capacitant peut intervenir sur :
1. les contenus de travail (variété des tâches confiées, confrontation à des situations inédites, …) ;
2. les modes d’organisation de travail (travail en binôme, tutorat de nouveaux arrivants ou apprentis,
rotations sur poste ou d’équipe, learning expeditions dans des entreprises clients ou chez des
fournisseurs, …) ;
3. la gestion des ressources humaines (accession aux savoirs et à la connaissance).
Toutes ces actions ne sont tendues que vers un seul objectif : fournir aux uns et aux autres les
situations à partir desquelles il est possible d’apprendre et de mobiliser ses dispositions à apprendre.
V.3 Le design thinking comme méthode de conduite du changement centrée sur les usages
Déstabilisées, voire démunies, par la révolution digitale, beaucoup d’entreprises ne savent pas
comment s’y prendre pour intégrer les nouveaux usages numériques ou issus du numériques.
La conduite du changement peut être appréhendée sous différents angles de vue selon que l’on se
focalise sur l’organisation (développement organisationnel, management des transitions), sur le
groupe (ce que l’on approche aujourd’hui sous le vocable d’intelligence collective) ou sur les individus
(modèles béhavioristes). Elle intègre par ailleurs les innovations organisationnelles.
La révolution numérique transforme le monde au travers des usages. En ce sens, la définition de
l’innovation du sociologue du travail Norbert Alter (2000, L’innovation ordinaire) se révèle instructive :
« l’innovation est une invention qui a été appropriée, dans les usages, par un groupe d’acteurs
donné ».
Processus utilisé par les designers pour innover de manière pertinente au travers des usages, le
design thinking se répand à l’ère digitale comme une méthodologie participative d’intelligence
collective fondée sur l’humain, les usages et les besoins. Sa valeur ajoutée réside dans ses phases
de diagnostic et de recherche de solutions. Six étapes caractérisent le cheminement :
58
Phases de
diagnostic
1 Analyse approfondie
des expériences et de
leur contexte global
Connaître finement sa cible en faisant preuve
d’empathie, en observant l’humain dans ses pratiques
et dans ses usages pour organiser des solutions
concrètes autour des gens et non autour des systèmes
2 Reformulation
consensuelle de la
problématique
Passer du traditionnel questionnement du ‘comment
faire ?’ pour de resituer sur le ‘pourquoi faire ?’
3 Mise en forme du
diagnostic
Parvenir à une vision consensuelle pour fédérer le plus
largement possible et aboutir à des solutions
pertinentes portées par le plus grand nombre d’acteurs
Phases de
recherche
de solutions
4 Conception participative,
incarnation des idées et
des solutions
Se permettre des idées folles pour aboutir à des pistes
pertinentes, remettre en cause ce qui est donné comme
définitivement acquis, sortir du cadre, imaginer des
solutions nouvelles
5 Test Prototyper pour matérialiser et tester une idée, échouer
vite pour réussir encore plus vite, visualiser et
‘tangibiliser’ un concept pour faciliter sa compréhension
et provoquer le débat d’adhésion des acteurs concernés
6 Communication et
valorisation des
solutions
Scénariser de manière ‘désirable’ les solutions conçues,
incarner de manière efficace l’intention du projet,
faciliter le déploiement à grande échelle d’un projet
imaginé et testé à échelle réduite
Comme le souligne David Autissier (2014) : en change digital « la conduite du changement devient
un design socio-organisationnel pour ‘embarquer’ les individus non pas dans un projet mais dans
l’expérimentation des éléments d’un projet pour créer, dans une logique constructiviste, une
dynamique sociale constitutive de sens et de résultats opérationnels ».
Source : David Autissier et al., « La conduite du changement pour et avec les technologies digitales », Question(s) de
management 2014/3 (n° 7), p. 85
59
Focus Assurance n°4 – l’Open Innovation en action chez un assureur
Synthèse de l’entretien avec Héloise Lauret, responsable Innovation et RSE de BNP Paribas Cardif -
22/01/2016
BNP Paribas Cardif développe un dispositif original et avancé d’Open Innovation en vue
d’accompagner les fonctions de l’entreprise à concrétiser des offres en partant du besoin du client,
dans une dynamique associant le plaisir et le collectif. Dans ce contexte, le digital intervient de plus en
plus soit comme outil de travail soit comme livrable pour le partenaire ou le client final.
Dans la boîte à outils de l’Open Innovation cohabitent :
un catalogue de formation comprenant des modules dédiés :
- à l’innovation et au management de la créativité ;
- aux outils de design thinking ;
- au business model canvas ;
les Innovations Awards, prix récompensant les initiatives disruptives des équipes ou des
collaborateurs ;
le jam (format 2 jours avec 4/5 équipes de 9 personnes) qui s’inscrit dans une phase de
démarrage d’un projet, de prospective avec l’objectif d’atterrir sur des solutions concrètes et
innovantes, où l’on accepte de se faire challenger par des regards extérieurs. Le concept est le
suivant : « il y a un truc vers lequel je dois aller, je ne sais pas bien comment et parce que je suis
conscient que, dès l’origine de mon projet, je dois embarquer plusieurs parties prenantes et qu’au
sein de l’entreprise je n’ai pas tous les savoir-faire, je vais aller chercher à l’extérieur les gens qui
savent … et tout cela piloté par la customer centricity, avec un aboutissement concret via le
prototypage. La composante digitale est de plus en plus présente ne serait-ce qu’au travers du
livrable. C’est pourquoi, on fait appel à des développeurs, à des designers, à des startupers …
L’objectif est de planter des petites graines pour ouvrir de nouveaux horizons et regarder les
dossiers / les projets sous un autre angle, sous un nouveau jour ».
le booster bootcamp (format 5 jours avec 4 projets en challenging et synergie, impliquant chacun
2/3 personnes). Emprunté au vocabulaire militaire correspondant à une opération coup de poing, le
concept est de sortir de l’ornière des projets qui patinent. Il existe une dimension pédagogique
forte dans le bootcamp : les participants doivent repartir autant avec un livrable qu’avec un kit de
réutilisation méthodologique (outillage) pour transformer de manière durable les façons de faire.
le People’s lab (format dérivé d’une idée originale du Groupe BNP Paribas, 1 jour par semaine
pendant 4 mois pour un collaborateur). Le concept est d’aider un collaborateur à développer et à
mettre en pratique une idée ou un projet, épaulé d’intervenants internes ou externes (prospective,
RH, financier, startup). Il existe un comité de sélection : appel à candidatures, examen par un éco-
système innovation/RH, identification de projets à forte capacité de transformation pour la Banque.
Il existe un BAC blanc crash test de pitch. A la fin du processus, le collaborateur doit identifier la
cible majeure de son projet et fournir l’argumentation de sa conviction autour de la solution.
Toutes ces briques de la boîte à outils de l’Open Innovation présentent un point commun : elles
reposent sur un ressort individuel, une participation anonyme et gratuite qui convainc l’individu qu’il
contribue à quelque chose de plus grand que lui.
L’Open Innovation fait sentir aux collaborateurs qu’ils ont des envies, des talents, des idées pouvant
servir un projet global.
60
V.4 Les communautés de pratique, collectifs de savoir et d’innovation
L’économie du savoir se caractérise par une accélération du rythme des innovations et met en
évidence que la connaissance tend de plus en plus à se créer et à se consolider dans des contextes
collectifs informels, au sein de communautés de savoir, qui par leur dynamique d’interaction se
révèlent les plus appropriées pour mettre en œuvre des plateformes cognitives venant supporter
l’apprentissage.
La communauté de pratique est construite sur le principe de la collaboration avec, selon Wenger
(1998), trois dimensions :
1. l’engagement mutuel des membres basé sur leur complémentarité et sur leur capacité à relier de
manière efficace leurs connaissances ;
2. leur implication dans un projet commun ;
3. la constitution d’un répertoire de ressources partagé.
La communauté de pratique peut revêtir deux formes selon le caractère plus ou moins exploratoire ou
adaptatif de sa démarche : elle peut être d’exploitation si ses apprentissages visent
l’approfondissement et le raffinement de connaissances et de compétences existantes ou
d’exploration si ses apprentissages visent la recherche de connaissances et de compétences
nouvelles. La première forme induit l’amélioration continue des pratiques et des processus via des
mécanismes de changement incrémentaux, avec des effets rapides et prévisibles. La seconde forme
n’hésite pas à prendre des risques pour expérimenter de nouvelles solutions ou de nouvelles
technologies en vue d’un changement plus radical, dont les effets se feront ressentir sur le long terme.
Le développement et l’épanouissement de ce type de communautés sont hautement associés à la
culture adoptée par l’entreprise, qui à son tour conditionne le climat de confiance et le degré de
développement des interactions sociales.
La déferlante numérique conditionne la survie des entreprises à leur capacité à mobiliser et
consolider les compétences et expertises des acteurs qui la composent, soit en optimisant les
connaissances existantes soit en explorant de nouvelles connaissances susceptibles de
générer l’innovation.
Le lancement de la dynamique nécessite de :
créer des environnements de travail capacitants permettant aux collaborateurs d’activer
leur volonté d’apprendre à apprendre ;
reconnaître l’importance croissante de l’informel et de l’expérientiel dans l’acquisition des
compétences ;
favoriser l’intelligence collective au travers de communautés de pratique ou de méthodes
d’accompagnement au changement de type design thinking ;
se centrer sur les usages.
61
2ème PARTIE : volet qualitatif – synthèse des entretiens
I. La construction de l’enquête
I.1 Les personnes ciblées pour l’entretien
L’enquête repose sur un échantillon de 17 professionnels interviewés lors d’entretiens semi-directifs.
Ces interlocuteurs représentent une variété de profils issus de fonctions RH, de cabinets consultants,
d’association professionnelle, d’organisation syndicale, de grandes écoles, de think tank ou
d’influencer sur la toile.
Relativement à la représentativité sectorielle, un tropisme fort a été donné à deux secteurs d’activité :
les Télécoms et la Banque/Assurance … considérant de nombreuses similitudes :
une relation commerciale dans la durée ;
des produits dématérialisés et intangibles ;
des réseaux de distribution proches : agences physiques vs développement de l’omni-canal ;
le poids très important du système d’information et des infrastructures dans les coûts ;
la réglementation comme facteur majeur de rupture et d’innovation.
Les Groupes Orange et BNP Paribas, fortement représentés dans les interviews, entretiennent
d’ailleurs de longue date des relations collaboratives, dont l’un des meilleurs exemples est
l’Observatoire des réseaux sociaux d’entreprise.
04 janvier 2016
Pascal NICAUD
Associé chez Lumens Consultants
Cabinet SOLUCOM
En charge de l'offre de conseil en management
Ressources Humaines
Co-auteur du livre paru le 14/12/2015 : ‘ DRH 3.0 – face
aux défis du numérique’ aux éditions Kawa
06 janvier 2016
Christophe LOUP
Head of Learning & Development, HR Communication,
HR Digital Transformation, Talents identification
BNP Paribas Cardif
12 janvier 2016
Aurialie JUBLIN
Responsable administrative et financière
FING : Fondation Internet Nouvelle Génération
Chargée de mission Digiwork (programme visant à
repenser la place des individus au travail dans une
société numérique).
62
12 janvier 2016
François THERIN
Director at EMLV – Ecole de Management Léonard de
Vinci
13 janvier 2016
Hans WILLERT
Partner Magellan Consulting – Magellan Partners Group
Managing Partner & Founder at Bleu Azur Consulting
14 janvier 2016
Alban JARRY
Stratégies numériques > Assurance Finance > Speaker
HEC : Communication, Marques > Influencer
FranchTech, Big Data, Digital
18 janvier 2016
Florence ADIDA
Head of People Development
HR Policies & Innovation
BNP Paribas
18 janvier 2016
Charlotte CALLAMAND
Head of Digital and Innovation
HR Policies & Innovation
BNP Paribas
19 janvier 2016
David CASTERA
Entrepreneur du numérique
Immersive LAB
Innovation RH avec le TANu
63
20 janvier 2016
Norbert GIRARD
Secrétaire Général
Observatoire de l’Evolution des Métiers de l’Assurance
22 janvier 2016
Héloise LAURET
Responsable Innovation et RSE
BNP Paribas Cardif
Prix du Meilleur Espoir aux Trophées de la Femme dans
l’Assurance 2015
26 janvier 2016
Bertrand CARRE
Vice President Organizational Capability
Coca-Cola Entreprises
26 janvier 2016
Djamel SOUAMI
Président de l’UDAP : Union des Directeurs de la
Profession Assurance et Protection Sociale -
Confédération CFE-CGC Assurances
Associé du cabinet conseil Micropole
27 janvier 2016
Sophie DELMAS
Head of Business Development
L’Atelier BNP Paribas
Membre de l'Observatoire des Réseaux Sociaux
d'Entreprise
01 février 2016
Sonia BONNET
Directrice Anticipation Compétences
Groupe Orange
64
01 février 2016
Gabrielle MAMMON
Chef de Projet Référentiel Métiers & Compétences
Groupe Orange
05 février 2016
Armelle GODENER
Directrice de la Pédagogie, Enseignant
Chercheur en Contrôle de gestion
Grenoble Ecole de Management
I.2 Le guide d’entretien
Le support d’entretien (cf. guide intégral en annexe 3) a été construit autour de deux temps forts :
1. un échange fondé sur des questions fil rouge autour de thématiques
cible DRH
- Conditions du bon développement des compétences numériques dans l’entreprise
- Contexte de transformation digitale au sein de la RH
- Définition des compétences numériques
- Identification des compétences numériques
- Evaluation des compétences numériques
- Sourcing des compétences numériques
- Développement des compétences numériques
- Pièges du développement des compétences numériques
- Environnement favorisant l’apprentissage numérique
cible Responsables Formation
- Objectifs de l’éducation et de la formation numériques
cible Responsables Grandes Ecoles
- Intégration de la transformation digitale dans la réflexion sur le projet pédagogique
2. une interaction sur la construction d’un référentiel de compétences numériques élaboré à l’issue de
la revue de littérature afin d’aboutir à un livrable challengé et enrichi en fin de thèse.
65
II. La synthèse et l’analyse des entretiens
II.1 Le paysage de la transformation digitale
> Rien ne sera plus comme avant
« Nous sommes dans un contexte où l’extrapolation du passé n’est plus pertinente du fait de
transformations sociétales importantes » Djamel Souami
La transformation digitale constitue la rencontre de deux phénomènes : des ruptures technologiques
d’une part avec le haut débit, le cloud, l’IoT, le big data, la mobilité … et des (r)évolutions sociétales
d’autre part caractérisées par :
l’affinitaire et les réseaux sociaux > envie de partager ou d’aller chercher une place dans la société
le consumérisme > exigence qui se combine avec l’instantanéité, le nomadisme et l’ubiquité …ce
qui se traduit par je veux tout, tout de suite, tout le temps, partout. Il n’y a plus de tolérance à
l’attente, à l’erreur. Cela met un coup d’accélérateur très fort au service rendu par les entreprises.
la volatilité (infidélité),et le zapping > paradoxe contraire de l’affinitaire ;
la transparence > on ne peut plus rien cacher. Ceci se traduit par impact fort sur les services
clients et réclamations. Il faut traiter toute remontée rapidement car il y aura des benchmarks et
l’on voit se profiler des TripAdvisor sur tout (assurance, banque, éducation médecine, …)
le phénomène de désintermédiation > court-circuitage de tout ce qui n’a aucune valeur ajoutée.
le partage d’usage plutôt que la propriété > j’ai un ‘asset’ que je n’utilise pas tout le temps, je
préfère le partager contre rémunération pour financer autre chose.
La combinaison de ces 2 phénomènes ouvre des champs immenses dans des temps accélérés.
« Une même génération vivra à présent deux ou trois grandes ruptures là où auparavant il fallait une
génération pour amortir un seul choc ». Sonia Bonnet
Face à ces perspectives, les entreprises ont réellement pris le virage de la transformation digitale à un
tournant identifié vers 2013. Cette transformation constitue une réaction de l’entreprise aux évolutions
de la société, voire un sursaut de survie. Elle s’impose aux opérateurs en faisant bouger les lignes de
pouvoir. De fait, elle a pu générer initialement un mouvement de protection des individus et des
dirigeants qui ont eu parfois la tentation de résister et de freiner. C’est pourquoi, dans la plupart des
cas, le seul qui s’est avéré légitime à lancer la transformation digitale de l’entreprise, était le DG.
Aujourd’hui, les dirigeants s’approprient le sujet, désignent un CDO (Chief Digital Officer) avec des
missions différentes d’une entreprise à l’autre. Ce CDO reporte généralement directement à un
membre de la Direction, charge à lui de faire avancer le sujet, de défricher, d’avoir des idées en
fonction des intuitions du patron. C’est devenu le sujet n°1.
« Le digital n’est pas un effet de mode. Il est donc inutile, voire contre-productif, de vouloir lutter contre
l’inexorable transformation en cours ». Christophe Loup
Si le coup de sifflet du départ a été lancé, le partage de la vision et de la stratégie n’est pas encore
évident. La stratégie reste encore souvent une page blanche à écrire car personne ne sait définir une
stratégie digitale comme on faisait un schéma directeur par le passé ... Ce sont d’ailleurs plutôt des
trajectoires de transformation par fonction qui émergent. D’une entreprise à l’autre, d’un métier à
l’autre, le cheminement est différent. Prenons l’exemple de l’assurance. Chez un assureur disposant
de réseaux de distribution variés (des agences bancaires retail, des partenariats avec la grande
distribution et l’affinitaire, des conseils en gestion de patrimoine indépendants), la trajectoire de
chacun de ces réseaux va emprunter des voies bien spécifiques. Et à l’International c’est encore
totalement différent. Du coup, l’approche est vraiment différente d’un assureur à l’autre, selon ses
produits, ses marchés, ses réseaux de distribution, ses pays d’implantation, sa forme capitalistique
66
(mutuelle, bancassureur, assureur traditionnel). Mais toujours avec un bonus à la prise d’initiative et à
l’expérimentation.
>Le monde ancien du Taylorisme s’en est allé. Vers quoi allons-nous maintenant ?
La révolution numérique bouleverse et remet en cause le schéma organisationnel taylorien avec d’un
côté ceux qui réfléchissent et définissent des process et de l’autre côté des opérateurs postés qui
déroulent des procédures. Dans ce schéma traditionnel, la rémunération est proportionnelle au temps
passé à l’exécution d’une tâche ou d’un processus. Or nous allons entrer de plus en plus dans un
modèle où les penseurs et les faiseurs ne seront plus dissociés, où quand nous aurons besoin
d’interaction, parce que l’information devient un élément clé de la chaîne de valeur, le plus valorisé
sera l’accès à l’information utile et validée pour une exploitation immédiate.
« Le numérique met en lumière les limites du modèle fordien, cloisonnant le monde entre le bureau
des méthodes (ceux qui pensent la one best-way) et l’exécutif (ceux qui l’appliquent). Il y a eu
confusion entre le pouvoir d’une technologie ou d’une organisation et le pouvoir des salariés de ‘base’
qui, en bout de chaîne, produisent. Avec la montée en puissance d’internet, et la transparence induite
sur les marchés, on commence à en revenir aujourd’hui. L’inversion du rapport de force, en faveur du
client, impose désormais aux entreprises d’adopter une stratégie de la demande … et d’autres modes
de management ». Norbert Girard
Simultanément, nous entrons dans une course de plus en plus forte en montée en chaine de valeur,
dit autrement tout ce qui est fait deux fois sera automatisé (il n’y a pas de valeur ajoutée à ce que
l’homme accomplisse une tâche qu’un robot peut exécuter à sa place), tout ce qui accumule les
couches d’intervention sans utilité ni bénéfice client sera désintermédié.
Cette course va se traduire par une exposition de certains emplois aux effets de la révolution digitale
(notamment ceux liés au recueil, au traitement, au suivi et à la distribution de l’information) avec pour
résultante, soit une érosion du volume d’emplois, soit un glissement hors du périmètre de l’entreprise
par externalisation, soit une recomposition des métiers et une migration vers de nouvelles filières.
Filant la métaphore de la Pangée et de la dérive des continents, Pascal Nicaud décrit un monde du
travail recomposé autour de quelques plaques continentales :
1. le milieu vivrier peu impacté par le digital (sauf curiosité à titre personnel) > ce milieu recouvre
notamment les emplois de proximité et d’aide à la personne où l’acte humain demeure nécessaire ;
2. le milieu fondé sur l’acte industriel, avec une production taylorisée à l’extrême (exemple des
entrepôts d’Amazone où la vitrine est belle, mais où le back-office s’assimile à mine
transactionnelle). Il n’est pas évident que l’entreprise ait intérêt à miser sur ce milieu (rotation facile
sur des salaires de bas niveaux) et il est fort probable que ces activités ne soient pas considérées
comme le cœur de l’entreprise demain ;
3. le milieu des talents basés sur l’innovation et l’intelligence humaine, lieu de reconcentration de
l’entreprise, qui sera constitué de ceux qui seront chassés Ces populations auront la capacité
intellectuelle et la faisabilité de se détacher du monde de l’entreprise alors même que celle-ci
mettra beaucoup d’énergie à les fidéliser ;
4. en marge, le milieu associatif dont la croissance (+4% par an) traduit une quête de sens et un
besoin de don, surtout pour les nouvelles générations.
« Avoir l’intuition du temps cohérent, face à la transformation numérique, c’est non seulement
permettre à l’entreprise de faire face à ces mutations, mais c’est également jouer un rôle sociétal
important qui consiste à mettre en éveil l’ensemble des populations qui seront impactées et
contribuer à déployer les conditions d’une raisonnable adaptabilité ». Pascal Nicaud
La projection des impacts du digital sur le travail demain génère deux visions aux antipodes l’une de
l’autre. La vision idéaliste (d’aucuns diraient ‘bisounours’) fait valoir, après une phase
67
d’industrialisation forte qui a remis à plat les individus et les a passablement isolés dans des
processus gestionnaires, une phase collaborative qui encourage l’implication, l’engagement et la
coopération. La vision futuriste (d’aucuns diraient ‘science-fiction’) qui, en mettant en avant les
scénarii de robotisation et d’individualisation, pointe la tombée massive d’emplois à venir et révèle le
‘côté obscur’ de la révolution digitale avec le spectre de la fracture numérique et d’une nouvelle forme
d’esclavagisme moderne.
A ce stade de la révolution digitale, il manque un maillon qui permette de rassurer en faisant le lien
entre un avenir anxiogène et les éléments de rassurance à mettre sur la table. D’où un travail de
prospective indispensable sur l’évolution des métiers et un accompagnement humain des personnes.
« C’est un monde angoissant pour beaucoup de personnes qui risquent de comprendre très vite qu’il y
a un risque à ce qu’elles ne soient pas embarquées, et c’est vraiment le rôle de l’entreprise d’apporter
de la sérénité au travers d’un accompagnement très poussé, et c’est ce qui fera la différence dans les
entreprises qui performeront ou pas. L’humain se dirigera vers l’entreprise qui lui apportera ce
semblant de bonheur ». Gabrielle Mammon
Le caractère dynamite du sujet (instable et hautement sensible) conduit à une certaine omerta dans le
dialogue social, entre les RH et les partenaires sociaux. Personne ne veut prendre le risque d’ouvrir la
boite de Pandore. Donc le dossier ‘mijote’ tout doucement, avec quelques changements à la marge.
Certains escomptent que les effets démographiques et notamment le départ à la retraite des baby-
boomers atténuent un peu le choc. D’autres considèrent que seuls des changements brutaux avec
des ruptures de modèle ou de marché (arrivée de nouveaux entrants, uberisation, dérégulation, …)
pourraient produire la secousse salutaire. Dans l’attente, il y a un effet d’inertie.
« Côté CFE-CGC Assurances, nous sommes persuadés que l’on ne doit pas se battre pour des
emplois si ces emplois n’ont plus de sens pour l’entreprise. Cela ne supprime pas l’inquiétude légitime
des collaborateurs, mais il faut regarder l'avenir avec lucidité et confiance. Ce n’est pas forcément la
position de toutes les organisations syndicales, notamment celles plus crispées sur un corpus
doctrinal "taylorien" et dont les rangs d’affiliés sont constitués essentiellement de collaborateurs des
premiers déciles de rémunération, donc moins flexibles et plus fragiles. » Djamel Souami
> L’analyse de l’impact du digital sur les métiers
Il existe une confusion entre les technologies spécifiques à l’univers du numérique et les usages qui
en découlent suite à l’appropriation de certaines innovations ou de certains outils mis en place. Il en
résulte deux acceptions différentes de l’analyse de l’évolution des métiers :
1. soit un regard porté exclusivement sur les métiers émergents nés du numérique et de la data, mais
qui restent marginaux et limités. D’ailleurs peut-on considérer qu’il s’agit réellement de nouveaux
métiers ou plutôt d’un mix de métiers nés par hybridation de métiers anciens ? Le géomathicien en
assurance par exemple est le fruit du mariage entre un statisticien/informaticien et un géographe.
On a un géographe qui utilise un système d’information géographique qui permet de traiter de la
donnée géo-localisée et de lui donner du sens par rapport à une finalité de souscription, de
tarification, d’indemnisation, d’analyse de fraude.
2. soit une observation de la progression des usages, des manières de faire ou de converser dans
l’ensemble des métiers sans exclusive.
Le numérique ne modifie pas le QUOI mais le COMMENT.
« Derrière le mot métier (je suis sociologue à la base) on ne raisonne pas qu’en termes de savoirs et
savoir-faire, mais aussi en termes de contexte d’exercice, de finalité et de représentation du ‘bel
ouvrage’. Le data scientist comme l’actuaire sont à la base des statisticiens dont l’environnement
évolue avec l’arrivée des méga données. » Norbert Girard
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Focus Assurance n°5 – Les métiers de l’Assurance à l’ère du numérique
Synthèse de l’entretien avec Norbert Girard, Secrétaire Général de l’Observatoire de l’Evolution des
Métiers de l’Assurance – 20/01/2016
La finalité de l’assurance reste de mutualiser les risques mais son avenir réside dans la
personnalisation des services et de la relation.
L’étude de l’impact du numérique sur l’évolution des métiers de l’Assurance (novembre 2014)
s’attache à comprendre en quoi la révolution numérique peut modifier les stratégies d’acteurs, sans
toutefois redescendre jusqu’à un degré de finesse permettant de répondre à la question des
conséquences de la transformation numérique sur l’évolution des métiers. Elle vise à analyser ce que
recouvre le terme révolution numérique, à voir comment cela s’inscrit malgré tout dans un continuum
d’évolution du secteur, dans un mouvement de modernisation qui s’effectue dans le sillage de celui du
secteur bancaire avec un léger temps de décalage.
La banque a été obligée de revoir son modèle économique à partir de 1985 (lois de réforme
boursière), d’où une réorientation stratégique vers 1) la clientèle des particuliers et des TPE/PME et 2)
vers l’assurance-vie, marché naissant en forte croissance. Les assureurs ont été plus lents à réagir,
en raison d’une croissance florissante du CA dans la rentabilité sous l’impulsion de facteurs
économiques et sociaux (désengagement de l’état dans la protection sociale, thésaurisation forte en
période de crise, etc…). Le virage s’est opéré en 2001, année charnière avec le dégonflement de la
bulle internet et une prise de conscience des incidences à l’actif et au passif.
L’industrialisation du secteur de l’Assurance s’est véritablement accélérée au début des années 2000
avec l’application de bonnes vieilles recettes du secteur secondaire : standardisation, normalisation,
automatisation, transfert de tâches sur le client, remise à plat des processus. Une approche néo-
taylorienne et fordienne, y compris dans le profil des salariés recrutés : 70% de femmes, BAC+2, BTS
Assurance pour aller en indemnisation, BTS NRC pour aller en commercial ou souscription … tout en
restant dans une pure logique d’offre.
Au tournant de 2010-2012, on se rend compte des limites de la transposition du modèle secondaire
au tertiaire en reconsidérant que l’Assurance est future et aléatoire et qu’elle produit des biens et
services immatériels et intangibles. La notion de qualité devient subjective. In fine, c’est le client qui
alloue un label de qualité ou de non qualité, et ce d’autant plus facilement qu’internet aujourd’hui lui
permet de partager sa satisfaction et son insatisfaction au plus grand nombre. Avec la révolution
numérique, les marchés redeviennent des places de marché, des lieux virtuels où l’offre et la
demande se rencontrent, s’apprécient, et se concrétisent ou pas par du business : internet irrigue à
échelle globale et mondialisée l’ensemble des marchés et autorise une meilleure lisibilité de l’offre et
de la demande. On ne crée pas le besoin, mais les conditions particulières de répondre à un besoin.
Le modèle qui s’exprime aujourd’hui et constitue la révolution numérique réside dans l’intermédiation
facilitante de la rencontre de l’offre et la demande.
Dans le contexte de l’assurance, l’offre fait face à une forte banalisation. Peu d’innovations récentes,
les dernières les plus notables étant l’assistance en 1963 et le bris de machine en 1910.
Le ‘pay as you drive’ (remis au goût du jour par AXA) n’est rien d’autre que le revamping de
l’assurance au kilomètre inventé par Rhin & Moselle il y a cinquante ans (installation d’un compto en
sortie de boite de vitesses avec plombage). On était déjà sur une segmentation petit rouleur / grand
rouleur. Le ‘pay how you drive’ est quant à lui la réinvention de l’assurance temporaire, inventée pour
les motards qui ne circulaient pas les mois d’hiver. Là où la voiture objet connectée rebat les cartes et
offre de nouvelles possibilités, c’est qu’entre l’ordinateur de bord, les giroscopes, la géolocalisation,
les accéléromètres … on sait si vous respectez les limites de vitesse, quand vous circulez, à quelle
heure, on connait très précisément le style de conduite (Fangio ou Pépère) et à partir de là, on peut
construire un système de tarification proposant en cas de comportement vertueux un avoir sur la
69
cotisation de l’année suivante ou un pay-back. On le fait sur l’assurance automobile, on l’imagine sur
la complémentaire santé (segmentation et tarification selon l’hygiène de vie). Mais là s’ouvre un débat
sur la légitimité de l’assureur (et même du médecin) à apporter un jugement sur ma qualité de vie et
de comportement et à stocker ce type de données médicales.
Paradoxalement l’importance croissante des nouvelles technologies réaffirme la primauté des
relations humaines. Le risque d’écueil de l’industrialisation et de la digitalisation est de déshumaniser
la relation client. Sur l’assurance vie (épargne ou décès), il ne se passe presque plus rien, on stagne,
les taux d’intérêt et de rendement étant faibles on n’y gagne plus sa vie, il s’agit de territoires en
déshérence. La santé et l’IARD, sur des cycles plus courts, sont des secteurs offrant plus
d’opportunités. Nous sommes en plein ANI sur le marché de la santé qui déstabilise les équilibres
entre santé individuelle et collective. Donc les assureurs se réorientent vers le dommage (auto et
habitation), et partant du constat que l’on se différencie à présent non plus sur le QUOI mais le
COMMENT, reviennent aux fondamentaux de l’assurance où la contrepartie de la prime est
l’indemnisation du sinistre et misent sur la qualité du service et de la prestation délivrée au moment de
son occurrence (moment de vérité de fidélisation). Cela se traduit dans l’évolution des effectifs : on
aurait pu penser que la contrepartie de l’industrialisation forte du secteur autour de la gestion de
contrat se serait accompagnée d’une baisse des effectifs dans les back-offices. Or c’est tout l’opposé
qui s’est produit : on y a vu les effectifs augmenter davantage que la moyenne de branche ou que la
moyenne des populations commerciales. Et c’est encore le cas aujourd’hui. Pourquoi ? Avec cette
réorientation stratégique vers l’indemnisation du sinistre (relativement récente avec une évolution
d’une vision de centre de coût à centre de pérennisation du CA), la mise en concurrence porte sur la
qualité de service. La relation client est chronophage, demande des investissements dans l’omni-
canal … et forcément des équipes dédiées et en nombre suffisant.
Ce qui permet de distinguer un contrat d’un autre contrat, ce n’est plus le QUOI mais le COMMENT,
c’est-à-dire la manière dont on va délivrer la promesse faite à la souscription. Lorsque l’on dit qu’il n’y
a pas d’innovation sur le QUOI, c’est toujours par rapport à une même finalité. La f inalité de
l’assurance est de couvrir sous une forme pécuniaire les conséquences d’un risque futur et aléatoire.
On est toujours dans ces finalités-là, le QUOI ne change pas, contrairement au COMMENT qui évolue
de deux manières :
1. Modalités de mise en œuvre de la promesse faite à la souscription du contrat : l’évolution en
marche, liée à l’évolution sociétale qui s’avère de plus en plus adverse au risque et au fait que l’on
supporte de moins en moins que le moindre incident ne trouve pas un tiers intervenant qui vienne
le résoudre à sa place, est de proposer des prestations en nature (développement de réseaux
d’intermédiaires de précepteurs, d’aides de vie, d’accompagnants administratifs, d’artisans, etc…)
qui soulagent ou amoindrissent les incidences du sinistre. C’est là que l’on porte notre métier
d’assureurs un cran plus loin avec une pluralité d’acteurs.
2. L’assurance est la seule activité économique pour laquelle au moment de la vente, le client paie un
prix, mais on ne connait pas la valeur exacte de ce que l’on a vendu (inversion du cycle de
production). Cela donne lieu à un métier spécifique ‘l’actuariat’ dont la devise est :’ nous calculons
l’avenir’ dont le rôle consiste à anticiper la sinistralité (fréquence par coût moyen) par catégorie de
risques homogènes entre types de risque, jusqu’à une segmentation client dans une approche
jusqu’à présent événementielle qui aujourd’hui, sous l’impulsion des nouvelles technologies et des
objets connectés, vire à une approche comportementale prédictive. C’est ce qui peut changer
radicalement les choses : on apprécie plus finement le risque, on personnalise la proposition
d’assurance, mais on va à l’encontre même du mécanisme solidaire de mutualisation de
l’assurance. Plus on va loin dans cette approche, plus on favorise l’anti-sélection (on ne recherche
que le bon risque et l’on ostracise le mauvais risque). Aussi, l’avenir passera-t-il sûrement par une
plus forte mutualisation des risques ET une plus grande personnalisation des services (purement
assurantiels ou complémentaires.
70
II.2 L’environnement d’acquisition des compétences numériques
Résultats des entretiens
Quelles sont les conditions du bon développement des compétences numériques dans
l’entreprise ?
Les conditions les plus citées
1. Formalisation et partage d’une stratégie digitale :
- pour donner du sens, savoir où l’on va, à quoi çà sert
- pour montrer que c’est porté au plus haut lieu de l’entreprise
2. Déploiement d’un programme de Digital Working :
- pour aller au-delà des aspects stratégiques et théoriques :
comment se met-on en ordre de marche d’un point de vue outils et
comportements de travail
3. Orientation vers une entreprise apprenante ou capacitante
4. Digitalisation des process de l’entreprise
- pour améliorer le quotidien des collaborateurs en les déchargeant
des tâches répétitives pour les recentrer sur les tâches à valeur
ajoutée qu’est-ce que je gagne moi au changement
- pour stimuler le développement des compétences
5. Mise en place de processus de co-construction et de co-innovation en
cohérence avec l’esprit collaboratif et participatif de l’économie
numérique
Les conditions citées épisodiquement
Nomination d’un CDO (Chief Digital Officer)
Nomination d’un Digital RH
Digitalisation et automatisation des process RH
Focus de l’organisation sur l’expérience client
Fixation d’objectifs digitaux au management (individus et système)
Déploiement d’un concept de musette numérique du collaborateur
Création de groupes collectifs qui peuvent phosphorer et innover
Aménagement d’espaces de travail propices à la culture digitale (convivialité et modularité)
Deux thématiques font débat :
1. Numérique versus digitalisation ?
Derrière le mot digital, on peut mettre à peu près tout. C’est l’industrialisation qui a poussé la
transformation des métiers. Nous sommes aujourd’hui dans une nouvelle phase : la massification des
données à traiter.
Le numérique correspond à la relation avec les clients, un mode de communication plus directe,
plus en proximité > en externe, je réduis la distance avec la cible, j’accrois la valeur de la marque
en utilisant des technologies modernes ;
La digitalisation correspond à l’industrialisation, c’est-à-dire à l’outillage d’automatisation, de
dématérialisation et d’optimisation des process au travers des nouveaux outils technologiques > je
suis en interne.
« Il est primordial de ne pas créer un effet de rupture entre une vitrine externe à la pointe de la
modernité en termes de TIC et la réalité interne avec des chaines de production encore très
71
manuelles, des processus très papier, etc…au risque de créer un sentiment de double vitesse chez
les collaborateurs. » Alban Jarry
2. Nécessité de la création d’une Direction Digitale ?
Reconnue par certains comme un vrai foyer de compétence et d’accélération de l’acquisition de la
culture numérique, la Direction Digitale ne fait pas toujours l’unanimité. Positionnée
perpendiculairement aux autres Fonctions et Directions, elle peut induire en ouvrant de nouveaux
postes, sous couvert de spécialisation technologique, une perte de contact ou pire une compétition
avec les filières métiers.
« Pourquoi avons-nous besoin d’une équipe digitale, alors que je suis un fervent défenseur du fait que
le digital n’est qu’un moyen ? Quand on fait du shoppeur marketing, j’aimerais qu’il soit fait avec le
digital, et non pas une équipe shoppeur marketing, hors digital, et une équipe digitale qui fait du
shoppeur marketing. » Bertrand Carré
Quelles sont les compétences clés dans l’univers numérique ?
Les compétences les plus citées
1. Les compétences instrumentales > maitrise des ‘devices’, des
logiciels, des APPS, etc…
2. La capacité à sélectionner, trier, rédiger, publier, pourvoir du contenu
> capacité de penser, formaliser, synthétiser
3. L’usage des réseaux sociaux
4. La new media litteracy > gestion de l’information, des risques
numériques et de l’e-reputation
5. La capacité d’apprentissage > apprendre à apprendre, apprendre à
oser,
6. L’organisation en mode expérimentation rapide (test&learn +
quick&dirty)
7. Le Global Feedback
Les compétences citées épisodiquement
Le Complex Problem Solving > abstraction, virtualisation, conceptualisation
La gestion de ses différentes identités numériques > professionnelles, extra-professionnelles,
personnelles, réelles, virtuelles,
L’autonomie
La créativité et l’inventivité > développement du capital humain, social et cognitif
La résistance à la charge cognitive
L’animation de communautés
L’identification des compétences numériques fait réagir très diversement les interlocuteurs qui
considèrent :
que la question n’a pas de sens et qu’il n’y a pas lieu d’isoler des compétences spécifiquement
numériques ;
« Aujourd’hui, y-a-t’il besoin de compétences numériques ou y-a-t’il juste besoin de savoir faire le
métier ? Quand un réparateur de machines arrive sur site, il a besoin de savoir utiliser un écran tactile
et plus une clé à molette. Je ne vais donc pas mettre des compétences numériques
supplémentaires. » Bertrand Carré
que les compétences numériques sont un assemblage de compétences préexistantes dont il faut
juste assurer un bon mix ;
72
que les compétences numériques rassemblent essentiellement des compétences
comportementales dont la mobilisation est amplifiée par la transformation numérique et les
nouvelles modalités de travail collaboratives ;
que les compétences numériques se limitent aux nouvelles compétences issues de l’apparition des
outils numériques : data compétence, apprentissage du code ;
que les compétences numériques sont celles qui sont exclusivement liées à l’émergence des
nouveaux métiers ;
les compétences numériques constituent un vrai corps de compétences à part entière alimenté par
la littératie ou l’alphabétisation numérique.
Qui est le plus à même d’identifier les compétences numériques d’un collaborateur ?
Les réponses les plus citées
1. Le collaborateur lui-même
2. Les pairs
3. Les communautés d’experts ou de projets
Les réponses citées épisodiquement
Les réseaux sociaux professionnels (Twitter, LinkedIn)
Les réseaux sociaux d’entreprise
Le manager
Le formateur
L’acquisition de compétences numériques est une histoire personnelle d’expérimentation d’usages.
Elle se construit majoritairement en autodidacte. Il est donc naturel que l’individu soit le plus à même
de les identifier, de les pousser et de les valoriser.
« Le digital c’est la découverte de l’Amérique, la conquête d’un nouveau territoire. L’envie de se
former par soi-même est primordiale. Il faut tenter, essayer des choses, accepter de faire des erreurs.
Il faut avoir des fondations solides et y aller étape par étape comme dans un projet ». Alban Jarry
Quelle est la meilleure façon d’accélérer l’acquisition des compétences numériques dans
l’entreprise ?
Les réponses les plus citées
1. La formation massive des collaborateurs à la culture numérique >
quelles sont les opportunités ouvertes par le numérique ? quelles sont
les transformations du métier ?
2. Le mentoring et le reverse mentoring
3. La digitalisation des process RH
4. Le recrutement de jeunes talents qui maîtrisent les TIC > apporter du
sang neuf et renouveler les façons de travailler
Les réponses citées épisodiquement
Le recrutement de managers qui s’y connaissent
L’installation d’un show-room ou d’un LAB
Les visites industrielles dans d’autres entreprises
« Si on prend l’axiome que c’est l’individu qui doit activer le ressort digital, le problème n’est pas de
privilégier une modalité plutôt qu’une autre, mais de lui laisser choisir ce qui est le plus en adéquation
73
avec sa capacité à apprendre. Si je devais faire un choix, je donnerais la priorité à tout ce qui favorise
l’interaction et l’expérience. » Pascal Nicaud
Quels sont les pièges du développement des compétences numériques ?
Les pièges les plus cités
1. Perte des repères des managers de proximité et satellisation du top
management
2. Tensions et frustrations sur le degré d’avancement de la digitalisation
et de l’automatisation des process internes versus l’image affichée en
externe et les efforts déployés en faveur du client
Les pièges citées épisodiquement
La violence sur la déperdition du volume d’emplois
La création d’une fracture numérique entre différents types de postes dans l’entreprise selon leur
degré d’exposition et d’usage aux TIC
L’amplification d’une fracture générationnelle
Le déphasage entre le rythme de déploiement des outils et des usages entre univers privé et
professionnel
Le fait d’avoir un département digital spécifique, ni intégré, ni ancré dans le business
La tendance à aller à 2 vitesses dans l’entreprise
Le risque de RPS >
- Que va penser une personne qui va découvrir qu’elle ne possède rien des capabilities et des
compétences stratégiques que l’on met en avant pour le futur de l’entreprise ? Comment va-t-
elle le traduire ? Va-t-on la licencier ? Elle n’intéresse plus personne ?
- Risque d’addiction, droit à la déconnexion
- Charge de sur-exposition de l’ambassadeur de marque sur les réseaux sociaux
La jalousie du manager et de la ligne hiérarchique face à l’émancipation et à l’influence créée par
le collaborateur sur les réseaux sociaux
II.3 La certification des compétences numériques versus le personal branding
Peu d’entreprises disposent aujourd’hui d’une photographie instantanée du portefeuille des
compétences numériques de leurs collaborateurs. Au mieux parle-t-on d’un embryon de recensement
des talents digitaux ou des communautés digitales.
La tentative de validation ou de certification des compétences numériques est encore moins aboutie
et se heurte à plusieurs obstacles.
Tout d’abord, il y a bien souvent confusion entre la validation d’une compétence numérique (savoir-
faire opérationnel d’une personne validé dans son activité) et :
la mesure du degré d’infusion d’une culture générale numérique au travers d’un quiz > exemple du
TANu, test d’agilité numérique développé par l’agence web Immersive Lab (cf. description en
annexe n°4) ;
la mesure d’appétence au digital au travers de projection dans des situations ou des scénarios >
exemple du Digital Ready développé par NetExplo ;
la mesure d’activité ou d’influence sur les réseaux sociaux au travers de scorings sur la toile >
exemple du Klout ou du Kred
La seconde difficulté tient aux modalités mêmes d’acquisition des compétences numériques qui
reposent sur une expérience personnelle et autodidacte des usages. Un collaborateur qui tient un
blog à titre personnel développe des compétences de veille, d’écriture, de synthèse, de recherche et
de traitement de l’information … que son employeur ne soupçonne pas et ne détecte pas a priori.
74
« La validation des acquis liés à une expérimentation personnelle n’aura pas forcément demain une
grande valeur : il ne faut pas forcément un jury pour certifier le ressort d’une personne à se prendre en
main et à cheminer. » Pascal Nicaud
Le badge donné par l’expérience ne relève pas forcément d’une Grande Ecole ou d’une Université. Le
marché de la formation est en pleine mutation. Il est indispensable aujourd’hui que les personnes
soient en mode d’autonomie. Une fois entrée dans cette logique (une sorte de démocratisation de la
formation), ce qui va manquer à la personne ce n’est pas tant la certification de sa compétence que la
capacité à l’afficher : quand vous acquérez un badge le fait de pouvoir l’afficher et de le faire
connaître comme une expérience acquise, doit pousser l’entreprise qui pourrait être intéressée par
une collaboration de type unité d’œuvre ou contrat permanent de vérifier que vous avez la
compétence et à vouloir le constater par elle-même. Le principal handicap de l’individu réside dans le
fait que la place, l’entreprise, la communauté pourrait ignorer qu’il détient telle ou telle compétence ou
expérience. On glisse dès lors sur le terrain de marketing individuel ou du personal branding.
« Tout individu peut devenir du jour au lendemain un ambassadeur de marque : soit celle de
l’entreprise via la marque employeur, soit la sienne via le personal branding. D’où l’intérêt de se
former pour apprendre à maîtriser les réseaux sociaux. » Alban Jarry
La condition sine qua non pour que la transformation numérique irrigue toute l’entreprise c’est qu’elle
ne soit pas seule complètement investie de la digitalisation de l’ensemble de ses salariés. La
dimension de prise d’initiative individuelle est incontournable. Le mouvement peut s’alimenter auprès
de deux sources distinctes : 1) la curiosité individuelle et l’envie d’apprendre ou 2) le sursaut de survie
face à la menace de la disparition ou de l’obsolescence de son emploi.
Le concept de la musette numérique développée par la FING (Fondation Internet Nouvelle
Génération) est intéressant en ce sens. Une navigation fluide dans l’univers digital ne peut se baser
uniquement sur le déploiement d’un programme d’acculturation ou l’instillation de connaissances
générales …il convient que chacun nourrisse sa capacité d’autonomie et se dote d’une trousse à
outils incluant les tuyaux, le signal, les moyens informatiques et matériels, mais également les
postures intellectuelles … pour entrer dans la logique du personal branding.
Le concept de la musette numérique a émergé en 2014 dans le cadre des pistes d’action du Digiwork
de la FING. Il connaît un nouvel élan en 2016 avec des recherches de financement complémentaires,
notamment auprès Ministère du Travail ou d’entreprises intéressées pouvant contribuer à
l’enrichissement du concept. L’expression musette est empruntée aux ouvriers du XIX siècle,
compagnons du devoir, pour lesquels la musette était symbole de liberté, de mobilité, de compétence
et de savoir-faire. La translation à notre monde numérique d’aujourd’hui s’entend comme une trousse
à outils ou un kit de survie comprenant l’ordinateur, les applications, les réseaux, etc …
Cinq modules sont développés dans la musette avec un objectif concentré sur la construction de la
trajectoire de l’individu :
1. Gérer ses compétences et son savoir-faire > formation initiale, continue, auto-formation
2. Gérer son temps > concilier ses temps de vie : professionnel, personnel, associatif, loisir, militant,
culturel
3. Gérer son environnement et ses méthodes de travail
4. Gérer son capital social et relationnel > réseaux sociaux
5. Gérer ses droits et ses devoirs > Compte Personnel d’Activité, épargne salariale, etc…
C’est bien l’individu qui construit sa musette dans un écosystème participatif qui pourra l’enrichir. Il ne
s’agit pas d’un concept ultra-libéral laissant la personne seule face à la construction de sa trajectoire
professionnelle. La musette doit être poreuse pour permettre à des tiers (employeur, association,
organisme de formation, Pole Emploi,etc..) de venir apporter des commentaires, des certifications.
Elle permet d’aider l’individu à enrichir son parcours par des expériences variées.
75
« Plus qu’un référentiel de compétences numériques en entreprise, il conviendrait de parler d’un
référentiel de compétences numériques du citoyen du XXIème siècle tirant des fils variés avec une
participation (jusqu’où ?) de l’entreprise, identifiée comme un contributeur parmi d’autres. » Aurialie
Jublin
II.4 Coup de projecteur : l’intégration des jeunes et le spleen des managers
> Former les jeunes avec soin et ne pas se laisser abuser par le mythe de la génération numérique
Agile, mobile, connectée … la génération Y serait un acteur essentiel de la transformation numérique
de l’entreprise. Certes. Mais elle n’est pas la seule impliquée dans la démarche. Par ailleurs, il
apparaît vite que la présomption de compétence qui lui est dévolue, s’avère très largement surestimée.
« Je ne suis pas d’accord avec le terme digital natives et la présomption de compétence digitale
universelle qui leur colle à la peau. Ils ont un seul avantage, de taille, certes : ils sont nés avec les
nouvelles technologies, ce qui constitue un avantage au démarrage. Pour autant, ils n’ont pas
systématiquement une utilisation ‘smart’ des réseaux sociaux : nos petits jeunes passent beaucoup de
temps sur Facebook, Snapchat, WhatsApp … avec une valeur ajoutée parfois trop nombriliste. Ils ont
la base sur la manipulation d’un usage de loisir d’ado mais pas toujours d’usage à forte valeur ajoutée
des réseaux sociaux pour eux-mêmes ou pour les autres. » Hans Willert
Et qu’en est-il de la génération Z, encore sur les bancs de l’école, qui viendra bientôt grossir les rangs
de nos entreprises ? Comment prépare-t-on les étudiants tant sur le fond que sur la forme à être
demain des acteurs et des accompagnateurs du changement numérique ?
« L’approche des devices numériques est encore très socialement personnelle ou ludique et les
jeunes ne sont pas dans la valeur ajoutée économique (y compris pour eux-mêmes) ». François
Thérin
La stratégie des Grandes Ecoles porte à la fois sur la révision des contenus des enseignements et la
refonte des outils et des méthodes pédagogiques.
Sur l’évolution des cours et des contenus enseignés, la démarche est sensiblement la même dans
toutes les Ecoles de Management, avec 5 actions qui reviennent régulièrement :
1. la création de nouveaux cours de spécialisation en 5ème
année, en MBA ou en Master : Digital
Marketing Strategy, Big Data, Entrepreneurship & Digital Innovation, Digital & Retail Banking …
76
2. l’enrichissement progressif du tronc commun Grande Ecole avec l’insertion de modules année par
année :
> exemple de l’Ecole de Management Léonard de Vinci
- En 1ère
année : module outils informatiques de collaboration
- En 3ème
année : module digital project management (y compris en RH)
- En 4ème
année : module change management & e-leadership + social media &
entrepreneurship
- En 5ème
année : module big data
> exemple de Grenoble Ecole de Management avec l’insertion d’un module sur le management de
l’information et la gestion de l’identité numérique
« Ils croient savoir se présenter, ils pensent maîtriser, mais ils ne maîtrisent pas du tout, notamment
les règles de vigilance sur les réseaux sociaux et la e-reputation ». Armelle Godener
3. l’hybridation des profils avec le double diplôme ingénieur/management axée sur des alliances entre
Ecoles (Ecole de Management + Institut de l’Internet et du Multimedia du Pôle Universitaire
Léonard de Vinci, Grenoble Ecole de Management + Ecole de Management des Systèmes
d’Information de Grenoble) qui débouchent sur des formations de type Digital Marketing & Data
Analytics ;
4. le montage en inter-semestre de semaines transversales avec des cas de résolution de
problématiques digitales pour des entreprises ;
5. l’actualisation des ateliers de développement personnel, qui ne donnent pas lieu à des crédits,
mais qui préparent à la recherche de stage et d’emploi avec des conseils apportés sur le montage
d’un profil sur LinkedIn, la recherche d’un job via Twitter, etc…
L’ambition consiste à doter la nouvelle génération de compétences sur 3 domaines ciblés :
l’utilisation et la compréhension des media sociaux pour pouvoir en avoir une utilisation business
pour l’entreprise (innovation) ou pour soi-même (personal branding) ;
l’analytics pour pouvoir gérer de manière pertinente en situation de management les flux de
données ;
le transversal avec le design thinking, la méthodologie projet et le e-leadership.
Parallèlement l’environnement d’apprentissage évolue que ce soit dans l’agencement des espaces de
travail (ouverture de LAB) et du mobilier (tableaux intelligents), dans la dématérialisation et la
digitalisation des learning centers, mais surtout dans une application extensive du modèle du
‘70/20/10’ pour le transfert des connaissances.
L’Ecole de Management Léonard de Vinci teste actuellement le principe de classe inversée ou le
flipped classroom : au lieu de faire la transmission des connaissances en salle de classe et les
exercices à la maison, on procède à l’inverse. On s’appuie sur les TIC (outils d’apprentissages
numériques et collaboratifs) pour déporter en dehors de la salle de classe les activités d’apprentissage
brut, de sorte à réserver le temps en salle de classe à la pratique et à l’échange. Le transfert des
connaissances ne passe donc plus par des cours ex cathedra en amphi, mais par l’utilisation de
plateformes en ligne avec des vidéos, des forums …
En amont de chaque cours présentiel, on pratique un quiz des connaissances acquises (fonction de
contrôle avec une micro note, qui ne se substitue pas au contrôle continu ni aux partiels). Si l’étudiant
n’a pas assimilé les connaissances, il faut lui donner la possibilité d’exprimer ce qu’il n’a pas compris
avant le prochain cours en classe (via les forums). Cela demande aussi une adaptation du corps
professoral qui peut vérifier en amont de chaque cours ce qui mérite d’être approfondi en présentiel.
Les professeurs de l’EMLV ont été formés (12 mois de préparation, 6 mois de rodage) par des
77
spécialistes de la pédagogie inversée. Ils poursuivent la dynamique en organisant entre eux des cafés
pédagogiques.
L’usage de plateformes pédagogiques digitales présente 3 avantages :
1. Proposer de l’a-synchrone qui permet de s’adapter au rythme de travail et de concentration de
chacun ;
2. Permettre de mieux gérer son temps pour un étudiant qui travaille pour financer ses études ;
3. Gagner en autonomie
En cette période de révolution digitale et sociétale, le lien entre les Ecoles et l’entreprise mérite d’être
renforcé (study cases partagés, vacation d’enseignement des experts de l’entreprise, remise en valeur
de l’apprentissage, etc…). Ce point est d’autant plus crucial que :
Les classements Grandes Ecoles n’intègrent pas encore la dimension digitale (fond et forme) dans
leur ranking. Pour l’anecdote, la seule chose qui existe aujourd’hui est un classement des
Directeurs d’Ecoles sur Twitter selon leur nombre de followers ;
Il faut veiller à atténuer autant que possible le déphasage entre les modalités de travail en période
de vie étudiante et de vie active, au risque d’entretenir le mythe de la start-up accueillante et agile
par opposition à celle de la grande entreprise sclérosée dans des pratiques de travail ancestrales.
> Comprendre le spleen des managers
Le management est le parent pauvre aujourd’hui des réflexions qui entourent la transformation
numérique. Il existe bien entendu des initiatives qui tendent à casser les silos et les schémas les
pyramidaux (holacratie, entreprise libérée, etc..), mais encore peu de choses sur la gestion des e-
comportements, des e-personnes (virtualisation des équipes). Le passage du statut de manager
vertical à celui de manager communautaire emporte des challenges humains assez lourds.
En cette phase de mutation numérique, le manager doit gérer 4 instances en simultané :
1. la verticalité du ‘command’&’control’ qui perdure ;
2. l’horizontalité de la gestion de projet ;
3. la gestion à distance et la profondeur virtuelle ;
4. l’entreprise étendue (ressources non permanentes ou non acquises de l’organisation) : le mode de
l’unité d’œuvre se répand avec le développement du multi-tâches et du multi-statuts.
L’étude thématique de l’Observatoire de l’Evolution des Métiers de l’Assurance intitulée :’ Au prisme
de la conduite des changements, la transformation des métiers’ (octobre 2015) effectue une
radioscopie intéressante des différents niveaux de management.
Après avoir traversé une période de profond malaise il y a 5/6 ans liée à la perte de leurs repères
(absence de superposition entre hiérarchie institutionnelle et hiérarchie métier), les managers de
proximité ont conquis de nouveaux territoires pour retrouver un certain bien-être et du sens auprès de
la réalité du terrain (même si la difficulté du terrain demeure et se révèle même constitutive du job). A
l’heure où le digital renforce l’économie de service, la valorisation du management de proximité
représente l’un des signes les plus explicites du monde en émergence : ce niveau de management
fait le lien entre l’expérience du métier et le pouvoir de décider. Dans une société de la connaissance
et du savoir, plus l’activité devient intellectuelle, plus il devient difficile de prétendre manager sans
participer à la production.
Dans ce contexte, on voit se redessiner la grille des compétences du management de
proximité autour de 5 dimensions :
1. la dimension métier > la légitimité ;
2. la dimension sens > le lien entre stratégie et action ;
78
3. la dimension gestion des dysfonctionnements > l’art du bricolage dans des organisations où la
sophistication fait que le moindre grain de sable peut stopper l’activité ;
4. la dimension animation RH > le développement des hommes et l’impulsion d’une dynamique de
travail collective et collaborative ;
5. la dimension suivi d’activité > la bonne application des règles.
Le top management est directement impliqué dans la transformation numérique. Il y exerce deux
dimensions plutôt valorisantes :
1. la définition de la stratégie et des déclinaisons en politiques par fonction (sur ce registre la finalité
de la fonction n’a pas été changée par le numérique) ;
2. la création de la dynamique dans l’entreprise par l’exemplarité et l’incarnation du changement
numérique dans un esprit positif.
Là où il y a problème, c’est dans le middle-management, historiquement très inscrit dans la définition
des règles, des procédures, du contrôle et du reporting. Les modalités de travail transversales
induites par la transformation numérique font des niveaux N+2 et N+3 un passage de moins en moins
obligé entre la base et le sommet. Seules demeurent des prérogatives RH (fixation des objectifs,
évaluation des performances) qui, à elles seules, auront de plus en plus de mal à légitimer l’exercice
de la fonction. D’où une fragilisation et un spleen du management intermédiaire. Pour autant, la
révolution digitale pourrait constituer une opportunité pour qui accepterait de déplacer son angle de
vue et d’investir des champs nouveaux comme la reconfiguration sociotechnique des activités ou des
métiers. Le management intermédiaire peut jouer un rôle de tout premier plan demain dans la gestion
de la complexité, de l’innovation, de l’optimisation des organisations …
79
III. Trois cas d’études, trois façons d’approcher les compétences numériques
III.1 Le cabinet conseil Magellan Partners > S’approprier le Digital, c’est apprendre sans connaître le
chapitre suivant et être prêt à oublier le chapitre précédent aussitôt !
> Contexte
L’année 2015 marque un tournant pour Magellan avec la naissance de Magellan Partners, groupe de
Conseil et d’Expertise technologique résolument orienté vers le digital. Son savoir-faire en
transformation digitale est le fruit de l’alliance de trois fondamentaux : les métiers, la technologie et la
créativité digitale. En tirant parti du potentiel offert par les technologies de l’information, Magellan
Partners a pour raison d’être, d’aider les entreprises à transformer leur business model et leur manière
de travailler. Les 450 collaborateurs qui composent le groupe, interviennent à travers chacune de ses
entités, de la définition de la stratégie opérationnelle jusqu’à l’exécution des projets.
Chaque proposition commerciale (90 à 95% des cas) est accompagnée d’une solution alternative
s’inscrivant dans la digitalisation du secteur de ses clients. Chaque consultant du groupe est formé sur
les stratégies de transformation digitale par l’école interne (M’Academy). Cette stratégie a été
précédée par une digitalisation de l’ensemble des cabinets du groupe qui est passée par l’adaptation
des principes de l’Entreprise 2.0 (mise en place d’une plateforme collaborative, stockage de la
documentation du knowledge management sur le cloud), puis de l’Entreprise 3.0 (sophistication des
technologies : mobilité : smartphone, appls, cloud) … en attendant le passage à l’Entreprise 4.0 (big
data, le machine learning, l’analyse predictive, l’IoT).
Le ‘4.0 a une autre dimension : l’uberisation, phénomène qui touche également l’activité de conseil,
facilement transformable ‘as a service’ pour certaines expertises. La première structure ubérisante en
conseil est GLG, qui existe depuis longtemps, bien avant Uber.
« On sent qu’il y a quelque chose qui bouge pour nous. Il y a aussi la concurrence des groupes
d’intérêt. En même temps, cela peut nous ouvrir de nouveaux marchés en nous inscrivant nous aussi
sur des plateformes en proposant des missions à l’heure (même si aujourd’hui le business case n’est
pas trouvé, trop cher). Dans mon plan de travail du M’Lab l’an prochain, il y a l’uberisation du conseil :
comment ne pas rester passif et réagir en refondant complètement notre modèle : à une demande de
publication représentant 1 à 2 heures de travail, je peux espérer un partage relayé qui soit tout aussi
efficace qu’une publication traditionnelle (troc intellectuel ou bitcoin intellectuel). » Hans Willert
La stratégie digitale du cabinet trouve aujourd’hui son aboutissement au travers de différents indices
de maturité que l’on pourrait noter ainsi :
Définition et partage d’une stratégie digitale : 8/10
Déploiement d’un programme de Digital Working : 8/10
Digitalisation des processus de l’entreprise : 6/10
Digitalisation des processus RH : 6/10
Généralisation de la co-construction et de la co-innvovation : 7/10
> Politique de développement des compétences numériques
« Je ne considère pas la compétence numérique comme une compétence en soi mais comme un
complément indispensable pour réussir la transformation numérique de nos entreprises, de notre
environnement et … de nous-mêmes ! » Hans Willert
Le processus de digitalisation de Magellan Partners s’est construit en 3 étapes :
1. L’évolution des modes de travail : mode collaboratif, un minimum de papier. Sharepoint, Yammer,
Link,…
80
2. La remise à niveau de tous les consultants au travers de la M’Academy, afin qu’ils puissent parler
aux prospects et clients de tous les sujets qui touchent à la transformation digitale. Et ce sur tous
les métiers sur lesquels opère le cabinet.
3. La création du M’Lab, qui travaille sur tout ce qui est Technologie, approche et processus de pointe,
dont la transformation digitale.
Magellan consacre plus de 50% de son budget de formation annuel à l’acquisition et au
développement des compétences numériques de ses consultants au travers d’une offre de supports
eux-mêmes digitalisés :
push de contenus pédagogiques sur des intranets, wikis, plateformes de knowledge management ;
modules de e-learning ou parcours de professionnalisation en blended ;
MOOC et MOOC certifiants sur différents domaines puisés dans le catalogue Coursera : IoT, Big
Data, Predictive Analytics, Machine Learning, Réseaux sociaux, Cloud, Digital Marketing,...
création de groupes multidisciplinaires pour l’élaboration de méthodes et d’outils (par le biais de
serious games)
modules de formation dispensés par l’école interne M’Academy
> Assessment des compétences numériques au travers de la M’Academy et de l’outil ODiLATM
La cartographie des compétences numériques est indispensable en conseil, et plus que souhaitable
dans toutes les entreprises travaillant dans le mode idéal de portefeuille projets. Sans outil
d’assessment, difficile de se faire une idée précise de son portefeuille de compétences et de ses
lacunes. D’où le développement de l’outil d’auto-évaluation ODiLATM
(Own Digital Level Assessment).
Pourquoi avoir construit un outil ‘maison’ Magellan ? : la réponse est double : à la fois par économie
(ne pas perdre de temps à chercher un outil sur la place) et par volonté de sur-mesure métier pour
répondre à la stratégie et à la vision du cabinet.
ODiLATM
est constitué de 4 blocs thématiques de questions :
1. Le digital et moi > mon activité sur les réseaux sociaux
2. Le monde digital > test scholaste > QCM sur du vocabulaire de l’univers digital (GAFA, ATAWAD
…) avec une partie test puis une partie déclarative
3. Ma contribution au développement du digital chez Magellan et la pénétration du digital chez nos
clients fonction par fonction
4. Les métiers du digital
81
A l’issue de l’assessment, un score est attribué sur 200 points, avec des pénalités pour la non fluidité
de la navigation dans le quiz ou les déconnexions en cours de test (sanction de la non spontanéité ou
du recours à Wikipedia). Il en résulte une segmentation pour 1) affiner les formations dispensées et 2)
identifier des preneurs de parole :
Profil advanced > 150 points
Profil basic < ou = 150 points
Tout le monde passe son assessment sur ODiLATM
. Quel que soit le niveau hiérarchique, du nouvel
entrant à l’associé, tous les consultants sont tenus de suivre les modules de formation « Digital
Basics » si l’assessment ODiLATM
ne les a pas qualifiés pour les filières « Digitally Advanced ».
> Identification de Thought Leaders en charge d’essaimer la culture digitale
Les consultants qui souhaitent (volontariat) participer activement au développement de la digitalisation
du cabinet, peuvent choisir de devenir Thought Leaders sur une thématique donnée/choisie. Ils
suivent alors un MOOC certifiant en rapport avec la thématique en question.
Les Thought Leaders acceptent de prendre sur leur temps personnel pour suivre ces MOOCs
certifiants, qui demandent davantage d’investissement personnel en terme de travail et de temps de
formation, en contrepartie de la certification, payée par l’entreprise ; le temps passé en formation étant
du temps en moins facturé chez les clients (environ 50% du temps passé sur les MOOCs certifiants
est pris sur le temps personnel). Le contrôle/suivi du résultat de ces formations via MOOC certifiant
est fait simplement selon l’obtention des certifications.
Les Thought Leaders ont ensuite pour objectif, de transmettre leur savoir faire non seulement chez le
client, mais aussi et tout d’abord en interne, afin d’assurer le maintien à niveau de tous leur collègues
consultants. C’est vers eux que se tournent les consultants en cas de question, avec une obligation de
réponse sous 24h ou 48h.
Le transfert des connaissances se fait au travers de séances de formation (Class Rooms) d’une demi-
82
journée, organisées autour de trinômes « transverses » (Thought Leader Teams). Un trinôme peut
compter jusqu’à une dizaine de personnes représentant les 3 axes Conseil du cabinet (Métier, IT,
Delivery). Ces trinômes deviendront groupes de référence dans une thématique donnée pour
l’ensemble des consultants.
III.2 Le Groupe Orange > Numérique et talent humain vont de pair
> Contexte
C'est sous la monumentale nef du Grand Palais que Stéphane Richard, le PDG d'Orange, a présenté
le 17 mars 2015 son nouveau plan stratégique à cinq ans, baptisé ‘Essentiels 2020’. Contrairement au
précédent projet d'entreprise ‘Conquêtes 2015’, axé sur l'expansion à l'international et la construction
d'un « nouveau contrat social » en interne, cette feuille de route à horizon 2020 fixe « une ambition
tout à fait inédite sur l'expérience client ».
Essentiels 2020 est construit autour de 5 axes:
1. Offrir une connectivité enrichie
2. Ré-inventer la relation client
3. Construire un modèle d’employeur digital et humain
4. Accompagner la transformation du client entreprise
5. Se diversifier en capitalisant sur les actifs
Comment mener à bien ce grand bouleversement alors même qu’Orange fait profondément évoluer
ses ressources humaines pour renouer avec la croissance ? Les recrutements à venir devront prendre
en compte l’extension de compétences déjà présentes chez Orange (Data Science, services IT,
cyberdéfense…) ainsi que l’intégration délicate de nouveaux métiers (banque en ligne, objets
connectés, nouveaux domaines de ventes investis par les Concept-Stores…).
Ce challenge s’inscrit dans un contexte démographique très particulier : le groupe profite d’une
pyramide des âges favorable (la moitié des employés ont plus de 50 ans), qui devrait lui permettre de
poursuivre sa mutation en évitant tout plan social…Orange prévoit 1.900 recrutements par an en 2015
et 2016 et anticipe, avec l’arrivée à l’âge de la retraite des baby-boomers, 25.000 départs d’ici 2020,
qui ne seront pas tous remplacés.
« Vous connaissez beaucoup d’entreprises confrontées à des défis comme les nôtres qui peuvent
annoncer qu’elles s’engagent à recruter près de 4.000 personnes ? » : Bruno Mettling (DRH d’Orange,
interviewé par l’Atelier de l’emploi en novembre 2014)
On retrouve dans le domaine RH et sur le volet de la gestion des compétences la même profusion
d’initiatives que sur le volet stratégique d’Essentiels 2020, comme si, ne sachant pas d’où jailliront les
pistes les plus probantes, l’opérateur faisait le choix de mettre plusieurs fers au feu.
> Orange 2020 – Vision prospective des métiers d’Orange
83
Pour relever le défi Orange Compétences 2020, un groupe de travail a été constitué dès 2014 autour
de la Direction de l’Anticipation des Compétences pour définir les capabilities clés du Groupe. Les
capabilities représentent 15 macro-compétences cibles (compétences organisationnelles ou savoir-
faire) que le Groupe doit avoir en tête dans les 5 années à venir pour atteindre sa stratégie. Leur
absence ou leur insuffisante efficacité empêcherait l’exécution de la feuille de route.
1. Relation / client intimacy
2. Products & services innovation / development
3. Multi-channel
4. Business Partnership
5. Big data - monétisation
6. Big data – recueil et analyse de données
7. Network effectiveness / IT
8. End to end
9. Solutions integrator
10. Safety / security / privacy / authetification
11. Digital change
12. Organisational agility
13. Green environment
14. Norms / Legal / public relations / lobbying
15. Financial services for mobile
En 2015, un premier essai d’application de ce référentiel a été tenté auprès des 20 filières métier,
chacune identifiant les 3/4 capabilities qui l’impacteraient le plus à l’avenir ainsi qu’un métier
emblématique (sur les 400 métiers France et 170 Groupe) qui incarnerait ces évolutions avec le
portefeuille de compétences associées.
Ainsi la vision prospective de la filière métier Ressources Humaines a retenu comme capabilities
impactantes : 1) organisational agility + 2) big data (recueil et analyse des données) + 3) digital
change + 4) relation / client intimacy … et a mis en exergue comme métiers en forte mutation le DRH
et l’ingénieur formation.
Le livret de communication ‘vision prospective des métiers’ ne fait pas apparaître de ruptures
radicales parce que la démarche se fonde sur le plus petit dénominateur commun à l’ensemble des
filières métier et qu’elle a vocation à être largement partagée au sin du Groupe tout au long de l’année
2015.
Parallèlement à ce travail exploratoire sur les capabilities, les équipes RH ont scanné l’intégralité du
portefeuille des métiers pour observer l’impact du digital, notamment sur les compétences cœur de
métier qui allaient se transformer et devenir les plus prégnantes. Il en est ressorti 3 classifications :
84
1. les métiers qui n’étaient touchés qu’à la marge par le digital > action de simple acculturation des
collaborateurs au concept du digital ;
2. les métiers qui allaient être fortement impactés par l’acquisition de nouvelles compétences sous
l’impulsion du digital, le cœur de métier restant le même, mais les conditions de son exercice
changeant profondément > intervention des écoles des métiers pour accompagner ces profils dans
l’acquisition des nouvelles compétences ;
3. les métiers émergents > recrutements externes (encore faibles quantitativement).
Pour aller plus loin, un groupe de réflexion va s’ouvrir en 2016 avec quelques filières métier
volontaires et un prospectiviste externe. L’idée est de repartir du travail sur les capabilites effectué en
2015, et de voir en poussant la prospective, quelles sont les compétences clés à horizon 2020 et au-
delà. Une fois ce matériau collecté, la Direction de l’Anticipation des Compétences disposera d’un
portefeuille global cible qu’elle pourra décliner sur les capabilities afin de :
voir si les compétences recensées sur My Skills convergent vers les compétences cibles ;
repérer les zones de force et capitaliser dessus ;
identifier les gaps majeurs et travailler le recrutement et les parcours professionnels pour parvenir
à la cible.
« On fait une prospective régulière à 3-5 ans que nous appelons skills quantification / anticipation ou
GPEC en France. La prospective à moyen/long terme se fait dans le Groupe au niveau de la stratégie,
rarement au niveau de la RH et des emplois. Ce n’est pas vraiment lancé sur la problématique de la
compétence. C’est la première que l’on s’y aventure dans une approche aussi transverse, aussi
globale dans l’optique d’un portefeuille de compétences cibles ». Sonia Bonnet
L’approche prospective embrasse des filières cœur de métier (réseaux, vente) sans oublier les filières
fonctions support qui vont être touchées de plein fouet par le phénomène ‘uberisation’. Dans ce cadre-
là, ce ne sont pas forcément de nouveaux métiers qui vont émerger mais des compétences nouvelles.
Le cas du contrôleur de gestion est un bon exemple : le reporting avec de jolies couleurs, ce n’est pas
l’avenir. Demain on procèdera avec de la data visualisation. La valeur ajoutée du professionnel
reposera dans l’analyse de la donnée, la synthèse, les propositions qu’il fera. Il y a une montée en
valeur du métier, car tout ce qui peut être automatisé en sort de fait avec les techniques du big data.
Dans un temps qui s’accélère, la prospective apporte le recul permettant d’anticiper les grands
scénarii, d’aborder les transformations de manière plus sereine et de faire en sorte que les
bouleversements soient moins brutaux socialement.
> My Skills - Lauréat Netexplo Change 2015 dans la catégorie Ressources Humaines &
Responsabilité sociale et environnementale
85
La raison d’être du projet My Skills est née de la conviction que l’individu est l’acteur de son
employabilité. Il est le seul à savoir quelles sont ses compétences, comment il va les vendre, ce qu’il
veut mettre en avant, où il va aller regarder … sachant qu’il le fait déjà à titre personnel par ailleurs.
Ce qui manquait à l’entreprise qui est censée connaître ses salariés (anciennetés assez longues chez
Orange) était un socle, une plateforme où le profil de compétences des collaborateurs soit identifié, de
manière personnelle et de personnalisée.
Le projet My Skills s’appuie sur une véritable symétrie des attentions. Fréquemment interpellés en
externe sur leurs envies, leurs attentes, les salariés sont demandeurs d’une sollicitation interne sur
leurs compétences et la vision de leur parcours professionnel. Avec My Skills, chaque salarié émerge
comme un talent potentiel face à des attentes business changeantes et difficiles à prévoir sur le long
terme.
En quoi consiste le projet ? Il repose sur la réinvention des méthodes de sourcing grâce à
l’exploitation du potentiel et des fonctionnalités du digital comme :
la rapidité avec la possibilité de toucher directement les salariés en instantané dans 36 pays avec
une visualisation de type Googlemap de leurs réponses :
la simplicité avec l’usage du mobile pour poser quelques questions simples sur des thématiques
stratégiques pour le Groupe Orange (big data, retail banking …) ;
l’innovation et l’agilité grâce aux HR analytics, à travers le soutien d’un data scientist qui sur la
base des réponses d’un questionnaire ’on demand’ très court définit 8 profils en réponse aux
attentes du business ;
la transparence et le feedback avec un retour systématique vers les répondants sur leur profil.
Le sourcing est accéléré grâce à un lien avec l’intranet d’entreprise, qui au-delà de l’affichage de la
cartographie des compétences collectées et du volume de profils constitués, donne la possibilité
d’identifier chaque salarié par son nom et de faciliter la prise de contact pour une éventuelle
proposition.
La démarche s’inscrit dans une recherche de valeur ajoutée pour tous les acteurs. L’intérêt de la RH
est d’entretenir un pool ou un vivier, bien renseigné, accessible à tous, qui permette de trouver en
quelques clics des candidats pour peupler des jobs, de pouvoir proposer un parcours ou un nouveau
poste. Le temps gagné sur le sourcing peut être recentré sur l’acquisition, le développement et la
rétention des compétences. L’outil représente également une incroyable mine d’or pour faire de la
prospective. Les managers bénéficient d’une place de marché transparente, une véritable bourse de
l’emploi, où le rapprochement de l’offre et de la demande est facilité par une simple requête sur une
base de données. Les collaborateurs, enfin, plébiscitent cette démarche : 93% des salariés expriment
leur satisfaction d’être contactés en direct pour exposer leur patrimoine de compétences et 85% se
reconnaissent dans le profil défini.
« Cà marche bien, et cela a permis de démontrer qu’il y avait une attente, une envie et une curiosité.
L’important est de semer une petite graine, de montrer que quelque chose peut s’ouvrir à tout à
chacun. » Gabrielle Mammon
Un des points intéressants du lancement de My Skills est d’observer que les équipes RH se sont
lancées de manière volontariste en choisissant un développement pas à pas pour éviter de tout mener
de front, mais sans attendre non plus de peaufiner dans le moindre détail la conduite du changement,
et la définition de la gouvernance. Il faut notamment encore préciser les garde-fous à poser auprès du
management pour éviter lors des ‘chasses de compétences’ de dépeupler ou de déstabiliser des
équipes en place. L’histoire reste donc encore largement à écrire avec une véritable réflexion sur le
positionnement de la RH comme gardienne du temps long et comme protectrice des données des
salariés.
86
> Et pendant les travaux de prospective et d’innovation, l’acculturation massive au digital se poursuit
L’ADN d’Orange est ancrée sur une responsabilité sociale d’entreprise forte qui vise à embarquer tout
le monde. C’est ce qui a été démontré au travers de la Digital Academy où 80.000 personnes ont
passé leur passeport digital, sous l’impulsion d’une campagne très poussée, non pas fondée sur la
notion d’influence ou de réseau social, mais sur une volonté de prendre chacun par la main et de
raconter une histoire. En cas d’échec au passeport digital, le salarié est invité à le repasser quand il le
souhaite, sans pression : il s’agit quasiment d’un e-learning avec des vidéos et un questionnaire.
L’aventure se poursuit aujourd’hui avec en complément du passeport digital des visas digitaux qui
permettent d’approfondir des thématiques précises comme le big data ou la sécurité.
Parallèlement, le maillage des Etableurs continue de se densifier. Centrée à l’origine sur des jeunes
best-in-class dans l’usage des outils, la communauté se généralise. Son slogan pourrait être
désormais : ‘même si vous n’êtes pas doué mais que vous avez envie, venez travailler avec nous
dans le groupe d’Etableurs. Vous allez devenir un facilitateur pour véhiculer une bonne parole et une
écoute dans votre service si jamais quelqu’un s’aperçoit qu’il rencontre un frein dans le déploiement
d’une solution. Ecoutez, soyez le porte-parole et on vous revient avec une réponse.’ On assiste en ce
sens à un changement de la vocation des Etableurs avec un passage du reverse mentoring à un
réseau d’ambassadeurs relais.
III.3 Le Groupe BNP Paribas > Offrir à nos clients la magie du digital tout en assurant la sécurité et la
conformité de leurs opérations
> Contexte
En 2022, BNP Paribas fêtera ses 200 ans. En se projetant à horizon 10 ans, le principal défi de la
banque consiste, en matière de transformation digitale, à trouver le bon alliage pour ses clients entre
innovation et sécurité. Le digital génère deux mouvements parallèles : d’un côté, une capacité à
réenchanter l’expérience client, grâce aux nouvelles technologies. De l’autre, des enjeux de sécurité
qui croissent de manière exponentielle, liés à la popularisation des usages digitaux. Cette double
évolution concerne tous les acteurs et notamment les nouveaux acteurs de l’économie numérique.
Pour BNP Paribas, l’objectif qui doit lui permettre de détenir un avantage concurrentiel clé s’énonce
simplement : offrir à ses clients la magie du digital tout en assurant la sécurité et la conformité de leurs
opérations.
Aucune entreprise ne peut réussir à concilier cette transformation quantitative et qualitative sans
adopter des mécanismes d’innovation ouverts. BNP Paribas développe avec détermination son propre
écosystème d’open innovation au plan international. Ses équipes co-créent chaque jour avec les
développeurs de la FinTech, avec les opérateurs du digital, avec les start-up sollicitées sur ses
thématiques d’innovation. La banque peut également aider ces acteurs à mettre au point des solutions
qui seront viables à terme parce qu’elle aura veillé, le plus en amont possible, à ce qu’elles respectent
ses règles du jeu en termes de conformité et de sécurité. Ces défis sont de classe industrielle. L’unité
de temps est la décennie. Bill Gates le rappelait au début du siècle : « Nous avons tendance à
surestimer la vitesse du changement que peut induire en 2 ans une innovation digitale. En même
temps, nous sous-estimons complètement son effet à 10 ans. »
Trois grandes réalisations concrètes marquent le travail des équipes RH dans ce contexte. Elles sont
présentées ici dans un ordre logique (révision de la culture et des valeurs > acculturation de masse et
identification des experts digitaux > cartographie des métiers et des compétences du digital et de la
data), mais pas forcément chronologique.
87
> Nos convictions partagées : une vision, une mission, des valeurs
La nouvelle réglementation et la révolution numérique sont deux facteurs qui transforment le secteur
bancaire mondial et incitent les banques à repenser leur business model et leur stratégie de
croissance. Dès 2014, afin de faire face aux enjeux métier, règlementaire et stratégique, le Groupe
BNP Paribas a entrepris un processus de réflexion visant à réaffirmer «sa vocation, ce qu’il fait, ce
qu’il défend, et ce qu’il veut être ». Une Vision et une Mission ont émergé et un nouvel ensemble de
valeurs (le BNP Paribas Way) a été défini. Ensemble, ces trois éléments constituent “Nos Convictions
partagées”. Ils ont été partagés en septembre 2015 et sont conçus pour aider le Groupe à
accompagner le changement et à saisir les opportunités.
Le processus qui a conduit à ‘Nos Convictions partagées’ s’est appuyé sur une approche collaborative
sans précédent, associant le Comité exécutif du Groupe, les 500 Top Executives du programme
Leadership for Change et les collaborateurs du monde entier.
Les participants au programme Leadership for Change (mis en place pour les Top Executives afin
qu’ils travaillent sur la stratégie de la banque) ont formulé des convictions communes. Affinées et
approuvées par le Comité exécutif, elles ont donné naissance à la Vision et à la Mission. Dans le
cadre d’un exercice similaire, les Ressources Humaines Groupe ont demandé aux collaborateurs ce
qu’évoquait BNP Paribas pour eux. Un questionnaire en ligne a permis à l’ensemble des
collaborateurs d’exprimer ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas à propos de BNP Paribas, ce qu’ils
voudraient voir à l’avenir et ce qui permettrait d’assurer le succès du Groupe. 22 000 collaborateurs du
monde entier (sur les 180.000 que compte le Groupe) ont fait part de leur point de vue. Les résultats
ont été consolidés par des groupes de travail et ont constitué la base d’un nouvel ensemble de
valeurs, le BNP Paribas Way.
Quinze ans après la fusion BNP / Paribas, le
Groupe a décidé de repenser les 4 valeurs mises
en avant à l’époque (engagement, créativité,
ambition, réactivité) et de demander à ses
collaborateurs d’y participer. Les participants
ont transmis 200 000 verbatims via un
questionnaire en ligne.
Une analyse lexicométrique (qui étudie la
fréquence d’apparition d’un terme ou d’une
expression dans un texte) a isolé les termes et les
concepts les plus souvent cités par les
collaborateurs.
Les résultats ont été revus par des groupes de
travail et approuvés par le Comité exécutif. Il en est
ressorti un ensemble de valeurs, le BNP Paribas
Way, qui est composé de quatre forces sur
lesquelles la banque peut s’appuyer et de quatre
leviers sur lesquels la banque peut capitaliser pour
assurer sa réussite.
88
Ces ‘Convictions partagées’ induisent des modalités de travail nouvelles qui impliquent :
d’encourager l’innovation utile pour devenir un des meilleurs acteurs du secteur ;
de simplifier encore notre manière de travailler pour gagner en agilité ;
de donner les moyens d’expérimenter en adoptant une approche test-and-learn ;
de faire confiance aux collaborateurs et leur donner les moyens de saisir les opportunités ;
de prendre des décisions à tous les niveaux de l’organisation et être responsables de nos actions.
Le levier d’agilité par exemple va concentrer son action sur la simplification, l’intégration de la
transformation digitale et de l’innovation avec notamment l’adoption et la formation aux nouvelles
méthodes de travail : design thinking, prototypage, etc …
Le processus n’en est qu’à ses débuts. Il s’agit d’une dynamique qui s’inscrit dans la durée, avec
l’objectif d’aligner l’ensemble des dispositifs et processus RH (recrutement, gestion des talents,
évaluation professionnelle, etc…) sur les quatre leviers.
> Let’s get digital : site de sensibilisation au digital pour l’ensemble des collaborateurs
BNP Paribas a souhaité développer un socle commun de connaissances pour l’ensemble de ses
salariés au travers d’un site multi-devices (compatible PC ou Ipad). A l’origine RH Groupe a été
directement sollicitée par des métiers dans lesquels il y avait une activité digitale importante, (qui
pouvait même se traduire par l’existence d’une Direction Digitale ou d’un CDO). Besoin établi :
permettre à tout collaborateur d’acquérir ce premier niveau de culture digitale. Conçu par les équipes
HR Policies & Innovation, le site a pour ambition de proposer une expérience digitale à l’exemple de
ce que les utilisateurs vivent au quotidien sur internet :
une interface intuitive ;
une navigation libre sans parcours prédéfini ;
des fonctionnalités sociales (like de contenu, recommandation de contenu à un collègue, mesure
de popularité des activités proposées, repérage de sa progression personnelle).
Let’s get Digital propose 5 chapitres, complétés d’un module d’illustration des best-practices de BNP
Paribas en lien avec les métiers
89
Lancé en juin 2015 en France, le site comptait déjà en fin d’année 2015 plus de 16.000 visiteurs
uniques (sur une base de 60.000 collaborateurs en France). Des déploiements sont en cours sur
d’autres pays : Italie, Belgique, Etats-Unis et Espagne.
Let’s get Digital comporte un quiz ‘Etes-vous déjà un expert ?’ qui permet aux collaborateurs déjà
aguerris au digital de se tester au travers de 30 questions. Le focus initial portait sur le reverse
mentoring : la RH cherchait à identifier des jeunes appétents et agiles avec ces nouveaux media,
capables de pouvoir transmettre leur connaissance et répondre aux questions. La cible visait à repérer
les collaborateurs ayant une très bonne culture digitale associée à une très bonne pratique. Vous ne
pouvez obtenir le score de 70% que si vous utilisez vraiment les outils (thumbler, snapchat, linkedIn,
twitter) : les questions sont des questions de connaisseurs. (exemple : combien de secondes max
durent les vidéos de vine ?), avec une dimension de vocabulaire et de terminologie.
Après s’être longuement interrogée, la RH Groupe a fait le choix d’exclure tout questionnement lié à
des compétences métiers/techniques (campagnes de génération de lead, les outils dont on se sert
pour faire de l’analyse de données, les outils dont se servent les régies publicitaires pour mesurer les
taux de transformation d’une bannière).
« Nous avons fait attention de ne pas parler de compétences techniques digitales dans le quiz. Un
score de 95% de bonnes réponses au Quiz ne signifie pas que vous pouvez administrer un site web,
gérer une campagne d’acquisition en display, ou concevoir une appli mobile.. En revanche vous avez
sans doute une très bonne culture digitale ! » Charlotte Callamand
Si un collaborateur remporte un score de bonnes réponses de +70%, il est reconnu comme étant
expert et on lui propose, s’il le souhaite, que son nom soit transféré à sa RH locale/métier pour pouvoir
participer à des projets digitaux (Hackathon, reverse mentoring, …). A ce jour, 300 experts sont
Identifiés.
> Le catalogue des nouveaux métiers du digital et de la data
BNP Paribas n’utilise pas le terme de compétences numériques en tant que tel.
En 2014, HR Policies & Innovation a voulu cartographier les nouvelles compétences attachées aux
nouveaux métiers issus du digital, et en particulier les nouvelles compétences techniques associées.
Construit avec un cabinet extérieur Blue Search et en lien avec les opérationnels métiers, le guide des
métiers digitaux fait émerger de nouvelles fonctions par grande activité : IT, data, marketing,
communication, ventes … (cf. détail en annexe n°5).
L’étape suivante a consisté à détailler les compétences techniques ainsi que les compétences
comportementales clés à maitriser dans un univers changeant pour chacun de ces métiers émergents.
90
Les compétences comportementales sont vues comme des leviers de changement culturel, guidés
par les axes du BNP Paribas Way que sont l’ouverture et l’agilité.
Ces trois initiatives traduites par ‘un delivery concret’ ont installé une vraie dynamique et renforcé le
rôle des RH par rapport à la problématique du digital. Il en résulte une crédibilité accrue dans
l’accompagnement aux équipes opérationnelles métiers, sur ces notions d’acculturation, de
développement de culture et de compétences. Axe de travail : l’énergie placée dans l’implication de la
filière RH qui n’était pas la plus sensibilisée doit être mobilisée dans la durée. Les équipes RH locales
aux prises avec leurs enjeux de gestion opérationnelle, parfois peu outillées, ont quelques fois besoin
de temps et d’accompagnement pour reprendre et déployer ces inputs au niveau local.
Aussi il reste une étape à franchir pour que le digital soit vraiment intégré dans les pratiques de tous
les maillons de la fonction RH. Moyennement technophile, noyée sous la charge opérationnelle et
moins exposée à l’urgence numérique que le business (avec la question sous-jacente de ROI direct
versus ROI indirect), la RH avance et essaie de pousser l’expérience collaborateur pour renforcer
l’engagement à l’employeur BNP Paribas mais aussi être productif et performant dans le service rendu
au client.
91
IV. Version finale du livrable ‘référentiel de compétences numériques’
IV.1 Deux référentiels de compétences numériques contemporains de mon livrable
Dans le cadre des entretiens semi-directifs, deux interviewés m’ont déclaré travailler simultanément à
ma thèse à une ébauche de référentiel de compétences à l’ère du numérique.
Pascal Nicaud, dans le cadre de la rédaction de son ouvrage ‘ DRH 3.0 – face aux défis du
numérique’, a dressé une liste des compétences stratégiques pertinentes dans le cadre de la
transformation digitale. Sa réflexion se nourrit d’études que nous avons déjà mentionnées dans notre
revue de littérature comme celle de ‘l’Institut for the future’ de l’Université de Phoenix. Au moment de
la parution en décembre 2015, faute de place, le draft de référentiel n’a finalement pas été publié. Je
remercie donc particulièrement Pascal Nicaud de m’autoriser à mentionner le fruit de son travail.
Aurialie Jublin de la FING a publié le 1er
mars 2016 sur son blog un article intitulé : ‘Qu’entend-on par
compétences numériques ?’. Merci à elle aussi de me permettre de faire mention de l’état de sa
réflexion.
Les compétences stratégiques du XXI siècle
Pascal Nicaud
Les compétences numériques
Aurialie Jublin
1. Les compétences personnelles et
interpersonnelles - Gérer sa propre charge mentale - Capacité de conception / abstraction - Capacité d’apprentissage - Capacité d’autonomie - Agir dans un environnement
pluridisciplinaire - Co-créativité et brainstorming - Construire des relations - Travailler en équipe et collaborer - Communication écrite et orale
2. Les compétences ‘digital thinking’ - Compréhension des impacts du digital
sur le business - Capacité à travailler dans un
environnement nomade - Compréhension des systèmes
d’information et des enjeux IT Corporate - Capacité de conception digitale - Capacité à utiliser les medias sociaux - Capacité à traduire d’énormes quantités
de données en concepts abstraits 3. Les compétences ‘global operating’
- Capacité à manager la diversité - Comprendre les marchés internationaux - Mobilité géographique - Maîtrise des langues étrangères - Sens du multiculturel
4. Les compétences ‘agile thinking’ - Capacité à envisager et à préparer des
scénarii multiples - Innovation / anticipation - Vivre dans la complexité et l’ambiguïté - Gérer les paradoxes et discerner des avis
contraires - Capacité à capter la ‘big picture’
1. Les compétences techniques ou
instrumentales - Lire et écrire sur un support numérique - Utiliser des programmes et logiciels
informatiques - S’approprier un environnement
informatique de travail - Compétences data - Apprentissage du code et de la
programmation informatique 2. Les compétences informationnelles et
stratégiques qui permettent de trier de l’information et de l’analyser dans le but de produire de nouvelles connaissances - Compétences informationnelles formelles
(relatives au format) : structurer un fichier, architecturer un site
- Compétences informationnelles substantielles (relatives au contenu) : chercher et sélectionner de l’information, organiser de la veille, produire du contenu
- Exploration de données ou data mining 3. Les compétences communicationnelles,
comportementales, relationnelles ou soft skills - Collaboration à distance, travail en
réseau - Mobilité - Gérer ses identités - Stimuler les interactions - Gérer son parcours, ses différentes
activités professionnelles et extra-professionnelles
4. Les compétences créatives, inventives - Développement du capital social humain
ou capital cognitif - Capacité d’apprentissage
92
IV.2 Ma représentation d’un modèle de compétences numériques
Compétences techniques et informationnelles
kit de survie
Maîtriser les TIC : utiliser les équipements ou
devices (PC, smartphone, mobile, tablettes),
surfer sur internet, utiliser les logiciels, et apps
Manager l’information : accéder à de l’information
via différents media et plateformes, manipuler
différents formats (vidéos, blogs, réseaux
sociaux), créer et stocker du contenu,
Comprendre les enjeux éthiques et légaux des
media digitaux, agir dans les règles de sécurité
Utiliser les réseaux sociaux
Maitriser l’anglais
Compétences stratégiques recentrage de
l’entreprise sur un cœur de talents
Avoir le ‘business acumen’
Développer une pensée de la data (computational
thinking) : traduire un grand nombre de données
en concepts abstraits et à comprendre les
raisonnements fondés sur l’analyse de données
Pratiquer le complex problem solving
Maîtriser le design de processus
Gérer la charge cognitive : discriminer et filtrer les
informations selon leur importance
Pratiquer la collaboration virtuelle : conduire le
changement et contribuer à une équipe virtuelle
Compétences comportementales amplification
en contexte de transformation digitale
Développer une intelligence sociale : entrer en
relation avec les autres de manière directe,
détecter et stimuler les réactions, obtenir les
interactions désirées
Faire preuve d’innovation et d’adaptabilité
Intégrer la pluridisciplinarité et la mutliculturalité
Disposer d’un esprit critique : avoir du recul et du
discernement
Compétences transversales
Apprendre à apprendre
Autonomie
Compétences individuelles du manager
Manager les équipes à distance, de manière synchrone ou a-synchrone
Manager des équipes virtuelles ou étendues Manager la variété des e-comportements Réguler la sur-sollicitation des collaborateurs Adopter une attitude positive face à l’échec et à la
prise de risque Avoir le sens du résultat rapide plus que qualitatif
ou perfectionniste dans l’esprit de l’agilité et du « test&learn »
Pratiquer fréquemment le feedback
Compétences des individus Compétences des organisations
Compétences business
Enchanter l’expérience client, et par
symétrie des attentions, enchanter
l’expérience employé
Apprivoiser la vitesse
Anticiper et interpréter les ruptures de
pratiques et d’usages (disruptions)
Passer en mode expérimentation rapide
pour développer et lancer de nouvelles
idées plus rapidement
Exploiter les gisements de données en
passant du big au smart data
Compétences knowledge
Etre une entreprise agile et décentalisée, branchée sur son eco-système
Créer un environnement d’entreprise apprenante
Dévelopepr le design thinking Créer et entretenir un fort quotient digital
des équipes
93
CONCLUSION
L’impact de la révolution digitale est immense. Le numérique modifie radicalement notre relation à
l’espace, au temps et aux autres, non seulement dans le quotidien et l’intimité de notre vie privée mais
aussi dans le monde de l’entreprise. L’ubiquité, l’instantanéité, la dématérialisation des relations
bouleversent les organisations. Le sociologue H. Rosa (2010) parle de « contrainte d’accélération
structurelle de la modernité qui oblige les sujets à vivre plus vite (…). Dans une société dynamique, la
quasi-totalité des savoirs est constamment menacée d’obsolescence ».
Dans ce contexte déstabilisant, les entreprises sont confrontées à un niveau d’exigence accrue, à une
prise de pouvoir par la base (développement de l’esprit critique, de l’autonomie et de la
responsabilisation) et à une constante innovation par les usages.
En se penchant sur l’identification des compétences numériques et les conditions de leur acquisition
dans les entreprises en transformation digitale, le propos de cette thèse était, outre la production d’un
référentiel de compétences, de mesurer l’écho d’un tel sujet auprès des professionnels RH et de faire
un premier état des lieux de l’évolution de la gestion des compétences en adéquation avec les enjeux
soulevés par le ‘séisme’ numérique.
Qu’en ai-je retenu ?
Un regard circonspect sur les incidences de la révolution digitale sur l’emploi et la
reconfiguration des postes et des métiers de demain.
Passée la stupeur face à la vitesse des révolutions technologiques, passé le discours candide sur les
bénéfices des nouvelles modalités de travail attaché au numérique (vive le collaboratif, la co-création,
le co-working …), un malaise et une inquiétude s’installent. Cela est lié à différents facteurs :
1. l’enchaînement à un rythme soutenu des évolutions technologiques ne permet pas de dégager
clairement leur caractère d’innovations autonomisantes, créatrices nettes d’emplois. Tant que
l’aspect technologique prévaut sur la transformation des modes de vie et la réinvention des usages,
la transformation digitale reste cantonnée à un caractère d’innovation de rationalisation, qui en
phase de ralentissement économique généralisé s’avère plutôt destructrice d’emplois. Par ailleurs,
le feu roulant continu des innovations technologiques nous positionne en constant paradoxe de
Solow, du nom du prix Nobel d’économie 2014 qui a démontré, par son concept de détour de
productivité, le décalage entre le moment où l’on réalise un investissement en TIC et ses premiers
effets sur la productivité. Cela correspond au temps d’apprentissage et de découverte de nouvelles
fonctionnalités pour opérer et s’organiser différemment avec tous les temps d’ajustement au
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changement. Nous sommes dans cet instant d’incertitude et de tension. Schumpeter se plaisait à
dire que l’innovation est une rupture qui crée des déséquilibres.
2. dans une intervention en mai 2014, Axelle Lemaire, la Secrétaire d’Etat chargée du numérique,
déclarait que 70% des emplois d’aujourd’hui n’existeront plus dans 50 ans. Interrogés par le
cabinet Deloitte en 2015, des RH de différents pays vont plus vite en considérant que 50% des
métiers qui existent aujourd’hui auront disparu dans 5 ans. Cette conviction sur la reconfiguration
des métiers, si elle est communément partagée, se heurte aux moyens de la prospective qui
aiderait à anticiper le paysage de demain, l’exercice des métiers dans un environnement
numérique et le portefeuille de compétences qui leur seraient associées. Il manque ce maillon qui
permettrait de rassurer en faisant le lien entre un avenir anxiogène et les éléments de rassurance à
mettre sur la table pour accompagner les individus à développer leur employabilité et à rester dans
la course.
La chronique d’une mort annoncée sur la GPEC (Gestion Prévisionnelle des Emplois et des
Compétences).
Outil GRH né au début des années 1970, conforté par la Loi de Cohésion Sociale du 18 janvier 2005
pour inciter les entreprises à limiter l’impact de la crise économique sur l’emploi et constituer ainsi un
point d’ancrage du dialogue social, la GPEC montre aujourd’hui toutes ses limites. Un seul
interlocuteur parmi les répondants interrogés pendant la phase qualitative de la thèse a mentionné la
GPEC comme support d’accompagnement à la transformation numérique. L’’antique’ GPEC n’est plus
adaptée aux changements extrêmement rapides de la nouvelle économie, où 3 ans correspondent à
10 ans d’avant. Si l’intention originelle était louable, il faut bien avouer que la démarche a souvent
accouché d’une ‘usine à gaz’, d’un paquebot incapable de virer devant les obstacles imprévus, le
pilotage ayant les yeux rivés sur la carte trisannuelle.
L’introduction des réseaux sociaux d’entreprise permet de passer aujourd’hui assez naturellement de
la GPEC à la GRC (Gestion des Rôles et des Compétences). En effet, le réseau social bâti sur le
socle de l’annuaire enrichi et participatif permet :
de décloisonner et de repérer les compétences en temps réel ;
de remonter en permanence les données collaborateurs dans un outil de gestion des rôles et
compétences souple et dynamique.
Il s’agit de passer à une logique d’adaptation instantanée des rôles et des compétences qui
permettront de faire face aux besoins et défis de l’entreprise et de répondre aux évolutions des
produits et des services, comme des réorganisations ou des équipes projets. L’expérience du Groupe
Orange avec son approche 2020 d’un côté et My Skills de l’autre témoigne de ce virage qui est en
train de s’amorcer.
Cette démarche ne pourra se concrétiser qu’au travers de la refonte du SIRH, nouvel annuaire social
intelligent, alimenté par l’ensemble des salariés sur les données qui leur sont propres : centre
d’intérêts, passions, compétences, autres savoirs, envies. On pourrait même se laisser aller à
imaginer que ces éléments permettraient de développer des indicateurs qui iraient bien au-delà d’une
fiche de poste standard mais qui traduirait la richesse du potentiel humain de l’entreprise.
Un concept de compétence citoyenne, plus que de compétence professionnelle
Concept politique, né sous l’impulsion des institutions telles l’UE ou l’OCDE, les compétences
numériques dépassent largement un cadre d’exploitation professionnel, pour se définir comme une
vaste capacité à participer à une société qui utilise les TIC dans les milieux du travail, au
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gouvernement, en éducation, dans les domaines culturels, dans les espaces civiques, dans les foyers
et dans les loisirs. Elle se détermine donc comme un portefeuille de savoirs, savoir-faire et savoir-être
clés pour le citoyen du XXIème siècle dans une société de la connaissance et du savoir.
Cette acception très large invite à décloisonner les rôles de l’individu en évitant de le voir par
séquence : citoyen un instant, militant ou bénévole à un autre, collaborateur encore à un autre … Le
numérique fait cohabiter toutes ces facettes et exige que chacun gère ses identités multiples de
manière coordonnée.
L’identification des compétences numériques a fait réagir très diversement mes interlocuteurs qui ont
considéré que :
la question n’avait pas de sens et qu’il n’y avait pas lieu d’isoler des compétences spécifiquement
numériques ;
les compétences numériques étaient un assemblage de compétences préexistantes dont il fallait
juste assurer un bon mix ;
les compétences numériques rassemblaient essentiellement des compétences comportementales
dont la mobilisation était amplifiée par la transformation numérique et les nouvelles modalités de
travail collaboratives ;
les compétences numériques se limitaient aux nouvelles compétences issues de l’apparition des
outils numériques : data compétence, apprentissage du code ;
les compétences numériques étaient celles qui étaient exclusivement liées à l’émergence des
nouveaux métiers du numérique et de la data ;
les compétences numériques constituaient un vrai corps de compétences à part entière alimenté
par la littératie ou l’alphabétisation numérique.
Toutefois, tout le monde s’accorde sur un point : l’individu est le principal acteur de sa montée en
compétence numérique au travers d’apprentissages privilégiant l’informel et l’expérientiel et
empruntant pour partie aux modes d’acquisition des savoirs de l’autodidacte ou du bricoleur.
La maîtrise des TIC, une condition nécessaire mais pas suffisante
La formation aux compétences numériques instrumentales constitue aujourd’hui un passage obligé.
Pour autant, les TIC progressent à un rythme élevé avec de nombreuses ruptures. Dès lors, leur
adoption nécessite des apprentissages continus et l’acquisition constante de nouvelles compétences.
Cette fracture numérique ‘dynamique’ liée aux apprentissages est la plus déterminante des fractures
numériques. Elle implique une capacité d’apprendre à apprendre avec une réelle vélocité pour d’une
part maintenir à niveau le socle technique (perpétuellement menacé d’obsolescence) et pour d’autre
part passer à l’échelon supérieur des compétences dites stratégiques qui discriminent vraiment et
qualifient le talent ou l’expert. Ceci explique notamment que la présomption de compétence digitale
attribuée aux générations Y ou Z, nées avec les nouvelles technologies, est abusive et ne suffit pas à
propulser le ‘digital native’ au rang de ‘digital expert’. Dans un univers de plus en plus virtualisé,
dématérialisé, digitalisé … la qualité et la densité des relations humaines doit compenser la raréfaction
des contacts physiques. C’est pourquoi, la transformation numérique met l’accent et amplifie
l’importance portée aux compétences comportementales ou ‘soft skills’.
Une idée à suivre, la musette numérique de l’actif
L’individualisation du travail, outillée par le numérique, peut-être un facteur de fragilisation pour
l’individu si celui-ci reste seul, mais elle peut aussi devenir le moyen de devenir acteur de sa
trajectoire, si elle sait se nourrir d’un faisceau riche de relations collectives.
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L’ébauche de la musette numérique, développée par la FING (Fondation Internet Nouvelle
Génération), séduit à plus d’un titre en rassemblant de manière indissociable l’outillage, le réseau et le
comportement. Elle ambitionne d’aider l’individu à construire sa trajectoire en gérant :
1. ses compétences et son savoir-faire (formation initiale, continue, auto-formation) ;
2. son temps (conciliation des temps de vie : professionnel, personnel, associatif, loisir, militant,
culturel) ;
3. son environnement et ses méthodes de travail ;
4. son capital social et relationnel (au travers des réseaux sociaux) ;
5. ses droits et ses devoirs (CPF, CPA, épargne salariale …).
Comme l’indique la FING : « la musette n'est ni purement numérique, ni purement personnelle :
elle est connectée à d'autres outils, services et dispositifs auxquels elle donne sens ensemble :
droits sociaux, services de recrutement (dont Pole Emploi), réseaux sociaux professionnels, outils
d'évaluation, formation en ligne…
elle aide la personne à partager et publier de l'information qui la concerne en direction
d'employeurs, clients, partenaires, collègues, etc.
elle se nourrit du réseau de la personne et de toutes les interactions qu'il facilite et documente : elle
fonctionne comme un noeud d'une ou de plusieurs communautés de travail.
elle s'active au travers de rencontres de proximité : qu'il s'agisse de certifier des identités ou
certaines données, d'assister la personne dans la compréhension de ses droits ou dans certains
choix importants, de donner corps à des projets ou de faire vivre des communautés
professionnelles.
les professionnels spécialisés en recrutement, formation, conseil en évolution professionnelle, etc.,
s'appuient dessus, l'enrichissent et aident les personnes à en tirer le maximum.
elle communique avec les entreprises, qui peuvent en utiliser des éléments à des fins de
recrutement, de gestion de compétences, de formation, et qui peuvent également la "nourrir" pour,
par exemple, valoriser certaines réussites d'un collaborateur.
elle profite à l'économie locale, en favorisant le rapprochement entre offre et demande de
compétences, les échanges de service et de connaissances, la cartographie des connaissances
du territoire, etc »
La musette numérique est une idée riche de sens car elle place la personne en position active et
centrale en lui donnant les moyens de se mettre en mouvement, d’assurer son ‘personal branding’ et
de favoriser son employabilité et son ‘empowerment’.
Et les RH dans tout cela, quel repositionnement possible ?
Historiquement peu technophiles, engluées sous la charge opérationnelle du quotidien, les RH n’ont
pas été les premières à prendre le virage de la transformation digitale dans l’entreprise. Elles tentent
aujourd’hui de résorber ce retard et de démontrer leur raison d’’être dans un nouvel environnement
économique, technologique et sociétal. La valeur ajoutée de la fonction ne réside plus dans la gestion
administrative et juridique d’un lien de subordination qui s’effrite. Il se produit un recentrage sur des
missions identifiées comme stratégiques :
la définition d’une politique de ‘make/buy/borrow’ des activités : quelles missions les RH doivent-
elle mener en propre, déléguer, externaliser ?
l’installation des HR analytics reposant sur un SIRH alimenté par les entrepôts de données de
l’entreprise mais également le flot d’informations collectées en externe, ainsi que les
renseignements partagés volontairement par le salarié ;
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l’identification, le recrutement, le développement et la rétention des talents dans un monde hyper-
connecté et mobile, porté de plus en plus par un modèle de rémunération à la tâche (ou à l’unité
d’œuvre) ;
la construction d’une offre de services répondant aux besoins individualisés des salariés
(optimisation des temps de vie, bien-être au travail, efficacité et dématérialisation des process…)
tout en assurant une cohérence globale et une symétrie des attentions : l’entreprise ne peut
dérouler une expérience et un parcours client numérique sans veiller à reproduire en interne une
expérience et un parcours collaborateur numérique.
Les RH doivent se réinventer pour répondre aux changements induits par la ‘tertiarisation’ de la
relation de travail. Elles ne pourront faire du neuf avec du vieux. C’est pourquoi la meilleure carte à
jouer est celle de l’innovation … dans les usages, dans les pratiques, dans les outils. Aujourd’hui,
aucune entreprise ne peut se prévaloir d’avoir finalisé sa transformation digitale. Les équipes RH
essaient, testent, expérimentent en mode ‘test & learn’ et apprivoisent elles-aussi les TIC. Et après
s’être penchées sur la définition des nouvelles compétences requises pour les métiers émergents du
digital et de la data, elles auraient tout intérêt à s’interroger sur les nouvelles compétences requises
dans leur propre fonction pour ne plus être un accompagnateur mais un moteur du changement
radical que nous vivons.
Parallèlement, les RH doivent réaffirmer l’essence même de leur vocation : être les gardiennes du
temps long de l’humain face aux cycles d’évolution toujours plus rapides des technologies.
L’enseignement à retenir en une phrase …
Favoriser le ‘personal branding’ des forces vives qui composent l’entreprise, permettre à chacun
d’enrichir ‘sa musette numérique’ et d’affirmer son identité professionnelle, viser à la visibilité et au
partage par le plus grand nombre des compétences individuelles, c’est raffermir en retour l’image
d’une entreprise capacitante, attractive de talents, productrice de sens et de rassurance dans un
monde en transformation rapide et parfois anxiogène.
Ainsi s’achève cette thèse dont les souvenirs les plus marquants resteront les belles rencontres
humaines et les riches discussions de la phase qualitative avec des interlocuteurs passionnés et
passionnants. Un peu plus de temps aurait certainement permis de compléter le matériau collecté par
une enquête quantitative et de tester plus significativement la robustesse du modèle de référentiel de
compétences numériques conçu à l’issue de la revue de littérature. La comparaison avec deux
ébauches contemporaines de référentiels y pallie partiellement.
98
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Webographie
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102
Annexe 1 : Cartographie des mutations du travail à l’ère numérique – FING, Digiwork, « repenser la place de l’individu au travail dans une société
numérique » 2013
103
Annexe 2 : Typologie des e-comportements – Jean-Michel Rolland, « manager les e-comportements », éditions Eyrolles, 2014 – 1/2
Centrage E-comportement Descriptif
TIC
AddicTIC Ce e-comportement montre une addiction pour tout ce qui a trait aux TIC. L’AddicTIC, que l’on peut aussi nommé geek, aime à posséder la dernière technologie sortie, il est sans cesse en veille sur la dernière nouveauté high-tech et ne résiste pas à se l’approprier pour la montrer, et bien sûr en faire un usage qui est souvent plus adapté à se faire valoir et montrer qu’il est en avance sur son temps, qu’à chercher une réelle utilité pour son travail.
SynchroTIC Ce e-comportement privilégie toutes les TIC permettant de communiquer en temps réel. Adepte du téléphone au détriment des mails, il vit au présent et apprécie les relations orales et auditives. Il favorise l’échange à la préparation de ce qu’il va dire. La distance et les horaires ne sont pas importants, puisqu’il estime pouvoir joindre n’importe qui n’importe quand.
AsynchroTIC Ce e-comportement est l’opposé du précédent. Il privilégie toutes les TIC permettant de communiquer en temps décalé. La messagerie a sa préférence. Elle lui laisse le temps de réfléchir à ce qu’il va écrire. Il favorise la réponse par mail à la suite d’un appel téléphonique. Il préfère voir qu’entendre, et est capable d’écrire de longs mails en résistant à la pression du temps.
AffordanTIC Ce e-comportement est celui qui allie l’usage approfondi des TIC et compétences techniques. L’AffordanTIC estime qu’il faut savoir utiliser toutes les options proposées par les TIC, voire plus, il vient souvent au secours des autres pour leur expliquer comment fonctionne telle ou telle TIC au détriment de l’intérêt et de l’utilité pour les missions qu’il a à accomplir.
Homme
PervasiTIC Ce e-comportement est présent chez toutes les personnes qui aiment échanger des informations sur les réseaux, avec des interlocuteurs connus ou non. Elles sont en général présentes sur une multitude de réseaux et ont des milliers d’amis. Elles passent un temps important (parfois au détriment de leur travail) à échanger des informations plus ou moins utiles, voire dangereuses, sans se soucier de la qualité de la relation et des conséquences.
RéseauTIC A la base le RéeauTIC fonctionne comme le PervasiTIC mais avec une différence importante : il choisit ses interlocuteurs. De la même façon, il est présent uniquement sur les réseaux qu’il juge être en adéquation avec ses objectifs. La qualité de la relation est primordiale, et il reste prudent sur le type d’informations qu’il laisse sur la toile. Son réseau est vivant. Coopération, collaboration, échanges d’informations ou d’idées font partie de son quotidien.
EgoTIC Il est lui aussi un fervent usager des TIC qui lui permettent d’être en relation avec d’autres personnes. A la différence des PervasiTIC et des RéseauTIC, l’usage des réseaux et des autres TIC doivent lui permettre d’atteindre en priorité, et souvent à court et moyen termes, ses objectifs personnels. Il prend beaucoup et donne peu. Il passe son temps à récupérer des informations et en fournit très peu.
ATIC Il met la relation humaine au centre de sa communication pour une raison simple, il fuit les TIC. Dépassé par la déferlante high-tech, il évite dans la mesure de ses possibilités l’usage des TIC. Il peut même être amené à déléguer ses actions de communication pour éviter de se confronter à ces techniques. Il trouve d’ailleurs toujours de bonnes raisons d’agir de la sorte.
104
Annexe 2 : Typologie des e-comportements – Jean-Michel Rolland, « manager les e-comportements », éditions Eyrolles, 2014 – 2/2
Niveau de compatibilité entre les e-comportements
Centrage E-comportement Descriptif
Message
AutocraTIC Il utilise les TIC comme instrument de pouvoir pour asseoir son leadership sur le reste de l’équipe. Le choix des TIC lui permet de légitimer ses pouvoirs et de garder un contrôle à distance sur les sujets le concernant. La non-maîtrise des réactions des récepteurs, provoquées par son attitude, rend difficile un réel contrôle de ses interlocuteurs qui travaillent à distance.
ParanoTIC Il priorise la sécurité et la confidentialité des informations et utilise les TIC en fonction de ces critères. Il fait la promotion au sein du réseau des règles de sécurité et de confidentialité dans les échanges d’informations (sauvegarde, mot de passe, cryptage …). Il alourdit, limite, voire interdit, les procédures d’échanges d’informations, au détriment des besoins et des objectifs du réseau.
InfobésiTIC Il cherche à acquérir et sauvegarder personnellement un maximum d’informations. Le réseau peut s’appuyer sur lui pour retrouver des informations qu’il a engrangées au fur et à mesure de l’avancée d’un projet. Il contribue à la saturation des systèmes de sauvegarde qui privilégie la quantité au détriment de la qualité.
SérendipiTIC Curieux, il aime utiliser les TIC pour glaner des informations au hasard de ses recherches, utiles lors de certaines étapes d’un projet ou d’activité nécessitant une recherche aléatoire d’informations (benchmarking, résolution de problèmes …). Il privilégie la recherche d’informations sans but précis, et le fait au détriment des priorités de ses missions et de ses objectifs.
105
Annexe 3 : Support du guide d’entretien pour la phase qualitative de la thèse
Fiche signalétique de l’interviewé
Nom, prénom
Entreprise / organisation
Fonction actuelle
Description de la stratégie digitale de l’entreprise / organisation et de ses enjeux
Histoire personnelle avec les TIC, identification du e-comportement prédominant
Intérêt personnel porté au sujet de la compétence numérique (quelle résonance)
Guide d’entretien – interview DRH
Questions ouvertes, puis relance en assisté sur quelques propositions
a) Conditions du bon développement des compétences numériques dans l’entreprise
Quelles sont les conditions qui sous-tendent l’accélération de l’acquisition des compétences
numériques dans l’entreprise ? (vos 5 items préférés et pourquoi ?) :
Formalisation et partage d’une stratégie digitale
Nomination d’un Chief Digital Officer
Nomination d’un Digital RH
Déploiement d’un programme Digital Working
Fixation d’objectifs digitaux aux managers
Digitalisation et automatisation des process de l’entreprise
Digitalisation et automatisation des process RH
Focus de l’organisation toute entière sur l’expérience client
Orientation vers une entreprise apprenante
Généralisation du BYOD : Bring Your Own Device
Déploiement du concept de musette numérique du collaborateur
Aménagement d’espaces de travail propices à la culture digitale (convivialité et modularité)
Mise en place de processus de co-construction et de co-innovation en cohérence avec l’esprit
collaboratif et participatif de l’économie numérique
Autre
b) Contexte de transformation digitale au sein de la RH
Comment avez-vous défini les enjeux du numérique pour votre Direction / Service ? En terme de
nécessité pour la transformation, de besoins clairement exprimés par des Métiers (lesquels ?),
etc. ?
Avez-vous reçu « commande » et de qui le cas échéant ?
Quel est l’impact du numérique sur votre Direction / Service ?
Quel est le degré de digitalisation de votre Direction / Service ? (facteur d’exemplarité)
Quels services digitaux avez-vous développés pour les collaborateurs ?
c) Définition des compétences numériques
Comment définissez-vous la compétence numérique ?
La compétence numérique est-elle une compétence en soi qui mérite être reconnue à part entière
ou s’agit-il d’un assemblage de compétences préexistantes dont il faut assurer un bon mix ?
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Quels sont selon vous les savoirs, savoir-faire et comportements qui composent la compétence
numérique ?
Quelles remarques formulez-vous sur la proposition de représentation d’un modèle de
compétences numériques ? (cf. infographie de synthèse issue de la revue de littérature en page 6)
d) Identification des compétences numériques
Comment repérez-vous les compétences numériques de vos collaborateurs dans votre entreprise /
organisation ?
Qui est le plus à même d’identifier ces compétences ?
le manager,
le collaborateur
les pairs
la RH
les communautés d’experts ou de projets
les réseaux sociaux d’entreprise
les réseaux sociaux professionnels (Twitter, LinkedIn)
les réseaux sociaux privés
autre
Les compétences numériques font-elles l’objet d’un référentiel de compétences spécifique ou sont-
elles incluses dans un référentiel de compétences général ?
Les compétences numériques sont-elles l’apanage de métiers ou de postes spécialisés (data
scientiste, social media planner, cyber security officer …) ou intègrent-elles la boite à outils de tous
les collaborateurs ?
Avez-vous défini un socle minimum de compétences numériques à posséder par tous dans
l’entreprise ?
Disposez-vous d’une bonne photographie instantanée du portefeuille des compétences
numériques de vos collaborateurs ? A quelle fréquence la renouvelez-vous ?
e) Evaluation des compétences numériques
Comment évaluez-vous le degré de maîtrise des compétences numériques des collaborateurs ?
auto-déclaration du collaborateur (incluant la mention de compétences dormantes ou extra-
professionnelles)
entretien d’évaluation annuel avec le manager
entretien de carrière
regard croisé / feedback de différents acteurs, parties prenantes à un même projet
avis, like ou recommandations sur des réseaux sociaux d’entreprise
avis, like ou recommandations sur des réseaux sociaux professionnels (Twitter, LinkedIn)
taux de participation à des formations digitalisées (e-learning, MOOC)
taux d’utilisation d’outils en ligne (intranets, wiki, plateformes d’échanges)
taux de prise de parole sur des réseaux sociaux
autre
Utilisez-vous des logiciels de place pour scorer la maturité numérique de vos collaborateurs ?
Klout score numérique compris entre 1 et 100 mesuré sur la base de l’activité de l’individu
sur les réseaux sociaux, les contenus créés et l’interaction générée avec ces contenus
Kred score d’influence sur les réseaux sociaux
Kaggle score fondé sur la participation et la réussite d’un individu à des compétitions en
science de données sur la plateforme Kaggle
TANU Test d’agilité numérique
Autre
Comment encouragez-vous l’acquisition de nouvelles compétences numériques ?
Comment récompensez-vous l’effort d’adaptation des compétences vers le numérique ?
107
Comment reconnaissez-vous les nouvelles compétences numériques acquises par les salariés :
Mise en place d’un dispositif de VAE (Validation des Acquis et de l’Expérience)
Certification ou diplomation en lien avec un organisme de formation, une université, une grande
école
Attribution d’un passeport digital interne
Autre
f) Sourcing des compétences numériques
La meilleure façon d’accélérer l’acquisition des compétences numériques consiste à (vos 3 items
préférés et pourquoi ?) :
Former massivement les collaborateurs : si oui, à quoi ? les outils, les pratiques, les dangers,
Favoriser le mentoring ou le reverse-mentoring
Digitaliser les process RH (notamment le recrutement)
Recruter de jeunes talents qui maîtrisent les TIC
Construire des programmes d’échanges avec des purs players : GAFA, NATU
Acquérir de manière ciblée des pépites digitales
Participer à un incubateur de start-ups
Faire appel au pooling de compétences sur des réseaux experts
Soumettre des challenges sur la toile pour repérer des internautes compétents
Entrer dans un concept d’entreprise étendue pour jouer la complémentarité et alléger l’effort à
produire
Autre
g) Développement des compétences numériques
Votre accord GPEC fait-il explicitement référence aux compétences numériques ?
Votre GPEC anticipe-t-elle l’obsolescence des compétences suite à la transformation
numérique ?
Votre GPEC décrit-elle la politique de reconversion et de requalification suite à la transformation
numérique ?
Comment avez-vous transformé les contenus de vos formations pour accompagner la montée en
compétence numérique des collaborateurs ?
Actualisation du catalogue de formations
Organisation de conférences de sensibilisation et de démonstration des best-practices
Push de contenus pédagogiques sur des intranets, wikis, plateformes de knowledge
management
Proposition de formats de formation digitaux (e-learning)
Conception de parcours de professionnalisation en blended (présentiel + e-learning +
assessments)
Orientation vers des MOOC (jusqu’à la participation au financement de la certification ?)
Encouragement des initiatives individuelles, extra-professionnelles
Autre
Quel est l’alignement dans votre entreprise entre les ambitions de la stratégie digitale et
l’investissement dans le développement des compétences numériques ?
Quelle est la part du budget de formation consacrée au développement des compétences
numériques ?
Quelle méthode, quels outils avez-vous mis en place pour analyser les écarts entre les ressources
actuelles et la cible des compétences numériques futures ?
Netexplo et mesure de la Digital Readiness (appétence aux usages du digital)
Catalogue des métiers du digital et de la data
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Strategic Workforce Planning ou Entreprise Resource Planning
Digital skills self-assessment
Autre
Avez-vous désigné des conducteurs de reconversion? Comment avez-vous formé ces agents du
changement ?
Formateurs relais
Managers de proximité
Autre
h) Pièges du développement des compétences numériques
Quels sont selon vous les risques associés au développement des compétences numériques dans
l’entreprise ?
Création d’une fracture numérique entre différents types de postes dans l’entreprise selon leur
degré d’exposition et d’usage des TIC
Création d’une fracture générationnelle
Déficit de parité H/F du fait du déséquilibre existant entre les cohortes actuellement en
formation dans les métiers du numérique (risque de reproduction du déséquilibre en entreprise)
Exacerbation de la guerre des talents
Perte de repères des managers de proximité
Satellisation du top management qui vit la transformation digitale comme un concept / une
vision et non comme une expérience concrète quotidienne
Tensions et frustrations sur le degré d’avancement de la digitalisation et de l’automatisation des
processus de l’entreprise
Course contre la montre technologique perpétuelle
Déphasage entre le rythme de déploiement des outils et des usages entre univers privé et
professionnel
Pousse au crime sur le non-respect de l’équilibre des temps de vie
Autre
i) Environnement favorisant l’apprentissage numérique
Quels sont les environnements les plus propices à l’apprentissage des outils et des usages
numériques ?
Le home sweet home en autodidacte à son rythme
Les environnements de jeux (vidéo, en ligne) seul, avec des amis, en communautés virtuelles
Les réseaux sociaux qu’ils soient privés ou d’entreprise
Les communautés de pratiques
Les communautés d’experts
Les jams, boostcamps, hackatons etc…
Les séquences de design thinking
Autre
Guide d’entretien – spécifique Grandes Ecoles
Questions ouvertes, puis relance en assisté sur quelques propositions
j) Intégration de la transformation digitale dans la réflexion sur le projet pédagogique
Quand et comment avez-vous revu le contenu du parcours pédagogique de vos étudiants pour
intégrer les incidences de la transformation digitale en cours dans la société et dans les
entreprises ?
Quels nouveaux cours avez-vous introduits ?
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Sur quoi insistez-vous dans les cours aujourd’hui : (arbitrage entre approches propriétaires et
ouvertes/coopératives)
Protection de la propriété intellectuelle
R&D et dépôt de brevets
Pratiques de coopération et d’innovation ouverte
Valorisation de résultats sous licences libres
Changement des outils et des supports pédagogiques (lesquels ?)
Changement du profil d’étudiants recrutés au concours d’entrée
Renforcement des doubles formations : ingenieur/business
Instauration de stages obligatoires dans le secteur des TIC, des start-ups
Création d’une majeur TIC / entreprenariat
Quelles compétences visez-vous de développer ? Comment évaluez-vous leur acquisition ?
Qu’avez-vous modifié dans votre établissement pour vous mettre au diapason des évolutions
digitales ? :
Nomination d’un référent pédagogique Digital
Changement des outils et des supports pédagogiques (lesquels ?)
Changement du profil d’étudiants recrutés au concours d’entrée
Renforcement des doubles formations : ingenieur/business
Instauration de stages obligatoires dans le secteur des TIC, des start-ups
Création d’une majeur TIC / entreprenariat
Création de parcours d’approfondissement ou de Masters sur de nouveaux métiers ou de
nouvelles filières liés au digital ou à la data
Accentuation de la communication de l’Ecole sur les media sociaux
Ouverture d’un Lab
Autre
Comment la dimension digitale est-elle prise en compte dans les classements Grandes Ecoles ?
Guide d’entretien – interview Responsables de Formation
Questions ouvertes, puis relance en assisté sur quelques propositions
k) Objectifs de l’éducation et de la formation numériques
Quels sont les objectifs de la formation numérique :
Développer une culture numérique dans l’entreprise
Présenter les opportunités offertes par le digital
Rappeler les exigences de déontologie et d’éthique, enseigner une conscience digitale
Développer la maîtrise des outils numériques
Développer la maîtrise des usages numériques
Initier aux nouvelles formes de travail transversales
Développer une culture managériale adaptée à l’utilisation des outils numériques
Autre
Comment s’ordonnancent les thématiques de formation numérique ?
Avez-vous conçu un cycle de formation numérique continu ou un dispositif d’accompagnement
permanent des salariés ?
Comment avez-vous fait levier sur les outils numériques pour transformer vos supports de
formation ?
Comment ont été réinvesties ou réallouées les économies liées à l’usage d’outils numériques en
formation ?
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Représentation d’un modèle de compétences numériques
Compétences techniques et informationnelles
Maîtriser les TIC : utiliser les équipements ou
devices (PC, smartphone, mobile, tablettes),
surfer sur internet, utiliser les logiciels, et apps
Maitriser la « new media literacy » : accéder à de
l’information via différents media et plateformes,
manipuler différents formats (vidéos, blogs,
réseaux sociaux), créer et stocker du contenu,
comprendre les enjeux éthiques et légaux des
media digitaux
Maitriser l’anglais
Compétences stratégiques
Avoir le ‘business acumen’
Développer une pensée informatique
(computational thinking) : traduire un grand
nombre de données en concepts abstraits et à
comprendre les raisonnements fondés sur
l’analyse de données
Pratiquer la ‘gamification’ et le ‘problem solving’
Maîtriser le design de processus
Gérer la charge cognitive : discriminer et filtrer les
informations selon leur importance
Pratiquer la collaboration virtuelle : conduire le
changement et contribuer à une équipe virtuelle
Compétences comportementales
Développer une intelligence sociale : entrer en
relation avec les autres de manière directe,
détecter et stimuler les réactions, obtenir les
interactions désirées
Faire preuve d’innovation et d’adaptabilité
Intégrer la pluridisciplinarité et la mutliculturalité
Disposer d’un esprit critique : avoir du recul et du
discernement
Compétences transversales
Apprendre à apprendre
Compétences managériales
Manager les équipes à distance, de manière synchrone ou a-synchrone
Manager des équipes virtuelles ou étendues Manager la variété des e-comportements Réguler la sur-sollicitation des collaborateurs Adopter une attitude positive face à l’échec et à la
prise de risque Avoir le sens du résultat rapide plus que qualitatif
ou perfectionniste dans l’esprit de l’agilité et du « test&learn »
Pratiquer fréquemment le feedback
Compétences des individus Compétences des organisations
Compétences business
Enchanter l’expérience client, et par
symétrie des attentions, enchanter
l’expérience employé
Apprivoiser la vitesse
Anticiper et interpréter les ruptures de
pratiques et d’usages (disruptions)
Passer en mode expérimentation rapide
pour développer et lancer de nouvelles
idées plus rapidement
Exploiter les gisements de données en
passant du big au smart data
Compétences knowledge
Etre une entreprise agile et décentalisée, branchée sur son eco-système
Créer un environnement d’entreprise apprenante
Dévelopepr le design thinking Créer et entretenir un fort quotient digital
des équipes
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Annexe 4 : Test d’agilité numérique : TANu
Entretien avec David Castera, Immersive Lab, le 19/01/2016
Faire du TANu au numérique, ce que le TOEIC est à l’anglais.
Le TANu est un test de culture numérique en ligne, créé par l’agence web Immersive Lab, filiale de la
Caisse Régionale du Crédit Agricole des Pyrénées – Gascogne. Le TANu peut être utilisé lors d’un
sourcing/recrutement pour tester le niveau du candidat mais également en cours d’activité
professionnelle pour tester ses connaissances et peaufiner un besoin de formation. Il cible aussi bien
les collaborateurs en entreprise, que les demandeurs d’emploi (beaucoup de demandes de
particuliers), que les étudiants.
En quoi consiste le test ?
Le TANu repose sur un QCM de 30 mn pour le tronc commun avec 90 questions, réparties en 5
catégories :
1. Informatique
2. Internet
3. Réseaux sociaux
4. Technologie
5. Economie numérique
Les 30 premières questions sont de niveau 1 (facile), les 30 suivantes de niveau 2 (un peu plus
complexe) et les 30 dernières de niveau 3 (niveau expertise). Il existe une rotation des questions
puisées dans une base d’un peu plus de 1.000 questions (18 questions par catégories et 6 par
niveau).
A l’issue des 30mn, un score sur 100 est attribué avec une carte profil. Il existe 6 niveaux : Crahuk,
Powerpoint, Candycrush, Apple, Geek, Gourou + un 7ième spécial pour un score de 100 : Elon Musk.
Une fonctionnalité est en cours de développement permettant de positionner le score de l’individu
dans le nuage de points de tous les répondants au TANu.
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Les entreprises ont la possibilité de rajouter au TANu des modules complémentaires propres à leur
activité (18 questions par module) :
Module e-commerce (exemple Boulanger)
Module e-banking (pour le retail traitant de la banque en ligne, des Fintech, de l’uberisation du
secteur) > test sur des publics particuliers tels que le Marketing.
Module e-tourisme
Il peut également exister – hors standards – des demandes de modules très spécifiques formulées par
des entreprises sur des besoins internes : exemple de la Caisse Régionale du Crédit Agricole de
Pyrénées – Gascogne qui a souhaité le développement d’un module sur la connaissance outil interne
pour faire le lien entre la transformation numérique et le quotidien.
Offre entreprise
L’offre entreprise consiste en une plateforme digitale de back-office permettant de gérer les sessions
et de suivre le résultat des tests dans un degré de profondeur allant par individu jusqu’à la granularité
de la question.
Le pricing est construit sur la vente de crédits (à la mode des plateformes de mailings) avec des tarifs
allant de 10€ à 5€ par test selon la volumétrie de tests anticipés.
Développement commercial du TANu
Les développements du TANu ont débuté au printemps 2015, les tests à l’été et la distribution en
septembre 2015. Courant novembre 2015, 11 entreprises avaient ouverts un compte, 83 RDV
commerciaux étaient en cours. Le produit plait, il rencontre un vrai besoin. Les prémices d’une
expansion internationale sont en germe avec un premier champ d’intervention en Espagne.
Deux dossiers sont ouverts aujourd’hui :
1. La certification du TANu par des organismes de formation professionnelle (éligibilité au CPF) avec
l’aide du GRETA et de Transition Numérique
2. L’insertion dans les Ecoles l’approche vise plus à offrir le test pour faciliter sa propagation
(exemple le sponsoring de l’opération challenge des écoles).
Immersive Lab est en contact avec l’agence gouvernementale Transition Numérique créée par
Emmanuel Macron pour aider les TPE à gérer et accomplir leur transition numérique. Un module e-
TPE incluant des sujets comme la sécurité, la dématérialisation … est en cours de développement.