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Les difficultés d'évaluation des actions de préférence

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Les difficultés d’évaluation des actions de préférence en Droit OHADA1.

Par Ibrahima DIALLO Ingénieur Patrimonial Master 2 Droit Notarial Diplôme Universitaire de 3ème cycle en évaluation et transmission d’entreprise Université Toulouse 1 Capitole Administrateur Général CGP AFRIQUE E-mail : [email protected]

« Les investisseurs en ont réclamé, les juristes leur en ont offert, mais les actions de

préférence se sont révélées comme de véritables « patates chaudes » entre les mains

des financiers et des fiscalistes. A la complexité de la détermination de la valeur de

l’entreprise, vient se greffer celle de la valeur qu’il convient de donner à des titres

sociaux dont les prérogatives financières et politiques sont foncièrement

hétérogènes. La question est toute simple : faut-il attribuer la même valeur aux

« actions ordinaires » qu’aux actions de préférence ? Telle est la problématique que

nous comptons exposer après avoir fait une présentation des droits et avantages

pratiques (surtout pour l’industrie du private-équity) que confèrent les actions de

préférence »

L’une des innovations majeures de l’Acte Uniforme portant droit des sociétés commerciales

et du GIE révisé le 10 janvier 2014, a sans doute était la consécration des actions de

préférence. A la différence des « actions ordinaires » qui offrent des droits uniformes,

identiques et proportionnels à l’apport réalisé (55% du capital donnent droit à 55% des

bénéfices, 55% des réserves, 55% du boni de liquidation…), les actions de préférence

permettent quant à elles une modulation des prérogatives pécuniaires et extra-pécuniaires

attachées aux actions ordinaires en fonction des besoins de l’investisseur ou de la société. Il

est donc désormais possible d’augmenter, de réduire, d’aménager, de suspendre ou de

supprimer des droits adossés à une action classique. C’est ce qui résulte des dispositions de

l’article 778-1 (AUDSC-GIE) qui prévoit que « Lors de la constitution de la société ou au

cours de son existence, il peut être créé des actions de préférence, avec ou sans droit

1 Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires.

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de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou

permanent …

Compte tenu de la nouveauté de ces titres financiers dans l’espace OHADA, il nous semble,

tout d’abord, important de préciser les droits qu’ils confèrent (I) de même que les nombreux

atouts qu’ils présentent sur le plan pratique (II) avant d’aborder la problématique de leur

valorisation (III).

I. Les prérogatives que confèrent les actions de préférence

Précisons tout d’abord que seules les S.A et les S.A.S peuvent émettre des actions de

préférence sur décision de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires (AUDSC-

GIE Art. 778-2). Cette décision est précédée du rapport du commissaire aux avantages

particuliers (commissaire aux comptes) qui exposent à l’attention des actionnaires les

caractéristiques propres des actions de préférence à émettre (Art. 778-3) Cela dit, les

dispositions de l’article 778-1 semblent permettre :

1. Une augmentation de droits pécuniaires ou extra-pécuniaires. Sous ce rapport la

palette des droits susceptibles d’être augmentés est fonction de la créativité des

praticiens et des besoins de l’investisseur. Ces quels que exemples non exhaustifs

donnent un aperçu du champ des possibilités:

dividendes préciputaires, c’est à dire distribués prioritairement aux détenteurs

d’actions de préférence avant tous autres actionnaires,

dividendes cumulatifs (le montant des dividendes non versés lors d’un exercice

déficitaire peut-être cumulé avec les dividendes payés au cours des exercices

ultérieurs)

dividendes majorés (30% du capital ouvrent droit à 45 % des bénéfices, cela pour

permettre à un investisseur financier de doper son taux de rentabilité durant la

période d’investissement)

droits pécuniaires augmentés "hors dividende" (boni de liquidation, droit sur les

réserves, garanties ou prêts consentis par la société…).

S'agissant des droits extra-pécuniaires, il peut s'agir du droit de vote double, du

droit à l'information privilégiée et rapprochée (reporting trimestriel, clause

d’audit…), d’une dispense d'agrément ou de préemption….

2. Une réduction des droits pécuniaires ou extra-pécuniaires. De notre point de vue

cette réduction ne peut s'envisager que si en contrepartie, des droits sont créés ou

augmentés sur un autre plan. Il en est ainsi d’une action au droit de vote suspendu ou

supprimé en contrepartie de dividendes préciputaires et majorés. La réduction de

droits, hors droits de vote, peut concerner les droits pécuniaires notamment des

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obligations particulières liées à la cession des droits: agrément, préemption,

instauration d'une clause de subordination du remboursement du nominal…

3. Une modulation de la durée des droits réduits ou augmentés. Le texte de l'article

778-1 prévoit que les droits particuliers de toute nature sont attribués à titre

temporaire ou permanent ce qui laisse à la société une très grande marge en terme

d’aménagement des droits pécuniaires et extra-pécuniaires. Exemple: Attraire des

fonds propres par un dividende majoré et préciputaire sur une période de 5 ans et

assorti d’une suppression du droit de vote (intéressant pour un capital-investisseur).

Toutefois dans ce cas d’espèce, la question est de savoir si au terme de la période de

référence les actions redeviennent des actions ordinaires ? Selon nous, les actions de

préférence à la différence des avantages particuliers, consentis intuitu personae, sont

transmises au cessionnaire avec tous leurs accessoires quand bien même elles

seraient soumises à la procédure des avantages particuliers. Par conséquent elles

devraient conserver toutes leurs caractéristiques en dépit de l’arrivée d’un terme

initialement prévu ou de leur cession à un tiers.

Les seules limites fixées aux actions de préférence sont:

l'interdiction des clauses léonines (attribuer tous les dividendes à un actionnaire ou

lui en priver entièrement. Faire supporter toute la perte à un seul actionnaire ou lui en

dispenser totalement)

Le quantum des actions dépourvues de droit de vote (50% au plus pour les

sociétés non côtées et 25% pour les sociétés admises à la côte officielle d'une bourse)

L'intangibilité du droit de participation (l'actionnaire doit pouvoir au moins participer

aux assemblées et recevoir l'information légale quand bien même son droit serait

suspendu ou supprimé).

L’interdiction de verser des dividendes fictifs (absence de bénéfices distribuables

lors d’un exercice)

L’obligation d’une préférence : Il ne semble pas admissible, de notre point de vue,

de dépouiller un actionnaire de tout ou partie de ses droits pécuniaires et politiques.

Des avantages préférentiels doivent lui être octroyés en contrepartie d’une privation de

droits sur un autre plan.

II. Intérêts pratiques des actions de préférence

Plusieurs avantages sont à relever pour la société. D’abord en émettant de tels titres

financiers amputés des droits de vote, la société se pourvoit en fonds propres nécessaires à

la réalisation de ses projets de développement sans compromettre l’équilibre des pouvoirs

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de décision au sein des assemblées générales d’actionnaires (ce qui est de nature à

encourager les dirigeants de PME africaines qui craignent souvent une perte de contrôle de

leur entreprise). C’est aussi un excellent mécanisme permettant de faire entrer des

opérateurs en capital-investissement dans le capital d’une société. En effet, pour faire

face à leur statut d’actionnaires souvent minoritaires, ces investisseurs négocient au moment

de leur prise de participation certains avantages, notamment la délivrance d’informations

privilégiées et rapprochées, un droit de véto sur certaines décisions importantes, un siège au

sein des organes direction…. L’intérêt de prévoir ces avantages spécifiques dans ces

actions et donc dans les statuts est de les rendre opposables erga omnes (à tous),

contrairement aux pactes d’actionnaires dont les stipulations ne peuvent être opposées

qu’aux parties qui les ont souscrites (même si pour des raisons de confidentialité, les pactes

d’actionnaires peuvent avoir un intérêt évident). Enfin ces actions de préférence sont un bon

moyen de défense anti OPA2 dans la mesure où il est possible d’émettre un « capital muet

» (sans droit de vote). Or les initiateurs d’une OPA sont plutôt intéressés par le capital

donnant accès au droit de vote en vue d’évincer les dirigeants et de mettre en œuvre leur

propre système de gouvernance. Inversement le moyen de défense peut également

consister à octroyer aux actionnaires réputés les plus fidèles des actions à droit de vote

double (S.A) ou multiple (S.A.S).

III. La problématique liée à la valorisation des actions de préférence

En dépit de leurs nombreux avantages, les actions de préférence posent de véritables

problèmes d'évaluation au plan patrimonial et fiscal. La question est de savoir s'il est

pertinent d'attribuer la même valeur aux actions ordinaires qu’aux actions de préférence?

Classiquement, dans les sociétés non cotées, pour déterminer la valeur d'une action, il suffit

de diviser la valeur globale de l'entreprise par le nombre d'actions composant le capital. Mais

cela suppose que les actions soient homogènes et comparables quant aux droits pécuniaires

et politiques qu'elles offrent, ce qui n'est pas le cas des actions de préférence. Certaines

règles traditionnelles du droit des sociétés comme celle de la proportionnalité s'en trouve

profondément bouleverser. Peut-on soutenir valablement qu'en détenant 55% du capital

d'une S.A, on en détient par conséquent toute la puissance financière et politique en

présence d'actions de préférence octroyant des droits particuliers majorés?

Une action à droit de vote simple dotée d'un dividende préciputaire a-t-elle la même valeur

qu'une action à droit de vote double mais à dividende subordonné? Une action à dividende

2 Offre Publique d’Achat

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majoré et préciputaire avec un droit de vote suspendu ou supprimé a-t-elle la même valeur

qu'une action ordinaire?

Il est vrai qu'il pourrait venir à l'esprit de certains de soutenir que pour valoriser les actions

quelles qu'elles soient, il suffit de s'en référer uniquement aux droits pécuniaires

mathématiquement évaluables, abstraction faite de la valorisation des droits extra-

pécuniaires qui conformément à l'orthodoxie juridique ne sont pas susceptibles d'une

évaluation pécuniaire. Une telle conclusion serait inappropriée de notre point de vue, car il

serait inconséquent d'affirmer que des droits qui confèrent le pouvoir de définir les

orientations stratégiques d'une entreprise, celui de pouvoir décider de la distribution ou de la

mise en réserve des bénéfices d'un exercice, celui de pouvoir décider de la fusion, de la

cession d’une branche d’activité…. sont dépourvus de valeur.

D'autres encore pourraient proposer de s'en référer à la valeur nominale du titre, mais nous

estimons qu'une telle approche est à la fois simpliste et irréaliste étant donné que cette

valeur ne traduit que celle de l'apport.

La problématique de la valorisation des titres sociaux transparait également et de façon

inévitable sur le plan fiscal. Quelle assiette retenir pour calculer les plus-values résultant

de la cession d'actions de préférence assortie de droits particuliers? Comment déterminer

l'assiette taxable des droits de mutation à titre onéreux ou à titre gratuit des actions

d'une S.A comportant des actions de préférence? Sous ce rapport la doctrine administrative

est attendue avec impatience.

En ce qui nous concerne, nous pensons que la valeur unitaire de l’action de préférence

dégagée sur la base de la valeur globale de l’entreprise doit être affinée pour tenir compte

des dispositions légales, règlementaires et statutaires ayant pour effet d’entrainer une

décote ou une surcote du titre en fonction des restrictions (suspension du droit de vote,

agrément, préemption) ou des avantages particuliers qui lui sont associés (dividende majoré

et préciputaire, droit de vote double…). La même démarche est préconisée en France par

l’Administration Fiscale qui admet une décote d’illiquidité sur des titres dont la cession est

soumise à un agrément légal ou statutaire3. Cela dit, toute la difficulté réside dans le choix du

taux permettant d’accroitre ou de baisser la valeur vénale du titre en fonction de ses

caractéristiques.

A travers cet article, notre propos n'est pas de proposer des solutions toutes faites- nous

n’en n'avons pas la prétention-, mais plutôt de susciter la réflexion afin que les uns et les

3 L’évaluation des entreprises et des titres de sociétés, Direction des Finances Publiques, version 2006

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autres puissent apporter des réponses idoines à une problématique qui loin d'être théorique

et éminemment pratique.