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20 u Libération Mardi 14 Juillet 2015 où toutes les sociétés humaines se trouvent engagées. En somme, ce serait la prise de conscience politique d’une dimension qui dépasse le politique, qui serait donc métapolitique, à savoir cosmopolitique. Les risques communs pour l’ensemble de l’humanité sont devenus tels que le politique est obligé de sortir des perspectives locales régiona- les ou nationales pour poser au- delà d’elles une dimension qui les surplombe : la dimension cosmopolitique. Celle-ci n’impli- que aucune négation du politi- que, mais permet de mettre au-dessus de lui une dimension qui devra le réguler. Pour le dire en une phrase : au-dessus de la souveraineté des peuples, il y a la souveraineté de l’humanité. A ce titre, une déclaration des droits de l’humanité a pour vocation d’être inscrite dans le préambule des constitutions des Etats, comme c’est le cas actuelle- ment, dans un certain nombre d’Etats démocratiques, de la Dé- claration des droits de l’homme, et, en France, de la Charte de l’en- vironnement. La Déclaration des droits de l’homme a permis la ré- sistance à l’oppression politique qui frappe les individus ou les peuples, la Déclaration des droits de l’humanité aurait pour objet de permettre, non seulement la lutte contre l’oppression, mais aussi la lutte ou la résistance contre la surexploitation illimitée et destructrice à laquelle est sou- mise la Terre-sol. En cela, une dé- claration des droits de l’humanité aurait pour objet de lutter à la fois contre l’oppression, la pauvreté, l’exploitation des hommes, la do- mination d’une partie de la pla- nète sur une autre, mais aussi d’assurer la préservation de la Terre-sol, c’est-à-dire l’avenir de l’humanité. Pour une déclaration réellement universelle L e président François Hollande a demandé, il y a environ un mois, à Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Ecologie, une «Déclaration uni- verselle des droits de l’huma- nité». Ce texte aurait pour objet de compléter la Déclaration uni- verselle des droits de l’homme adoptée en 1948 par les Nations unies. L’idée serait de discuter cette déclaration et, éventuelle- ment, de l’adopter lors de la conférence climat qui se dérou- lera à la fin de l’année à Paris (COP 21). Pourquoi une telle déclaration est-elle importante ? Première- ment, en raison du caractère uni- versel qu’elle ne peut pas man- quer d’avoir. Il s’agirait en effet de définir les principes communs à l’ensemble de l’humanité, au-delà de la diversité des cultu- res, des coutumes, des manières de vivre, des religions, sans nier cette diversité. L’enjeu premier est donc de montrer que, au-delà de la relativité des valeurs et des points de vue, il y a la possibilité de penser une dimension com- mune, un intérêt commun, sus- ceptible de donner un contenu positif à l’idée d’humanité. Deuxièmement, parce qu’une telle déclaration impliquerait la Il faut inscrire les droits et les devoirs de l’humanité au préambule des Constitutions des Etats. pleine prise de conscience qu’il y a aujourd’hui des enjeux qui ne concernent pas simplement tel ou tel pays, telle ou telle région, tel ou tel peuple mais l’humanité entière. Or, si celle-ci est engagée dans sa totalité, c’est parce qu’il y a un destin commun qui la défi- nit. Ce destin commun et scellé dans son rapport à la Terre. Qu’est-ce que la Terre ? La Terre n’est pas seulement la planète que nous connaissons sous le nom, c’est aussi et surtout la Terre-sol, c’est-à-dire le monde habitable. Comme telle, la Terre est le corrélat de l’humanité. Celle-ci, en effet, n’existe pas dans un espace abstrait, la Terre est la condition de son existence à tous égards, depuis les simples besoins vitaux jusqu’aux plus hautes fonctions de la pensée en passant par l’imagination, les passions, l’espérance, etc. Inversement, la Terre n’est pas simplement un lieu indifférent ou une réalité bio-physico-chimi- que sans mémoire : elle porte en elle les archives vivantes de l’histoire humaine ainsi que celles de l’ensemble des êtres vivants. Troisièmement, parce que l’idée d’une déclaration des droits de l’humanité implique la nécessité d’éclaircir le concept d’humanité. L’humanité n’est pas une abstrac- tion, elle est le principe qui fait qu’un être humain est identique à n’importe quel autre. Mais il faut bien entendre cette identité. «Chaque homme, disait Montai- gne, porte la forme entière de l’hu- maine condition.» Cependant, cette forme est singulière, cela veut dire que l’identité humaine, loin de s’opposer à la diversité et à la différence, est immédiatement diverse. L’identité de l’identité n’est pas l’identité, mais la diffé- rence. Il y a des milliers, des mil- lions, voire des milliards de fa- çons d’être humain. C’est à travers cette diversité, et non pas malgré elle, que le concept d’hu- manité prend son sens. Les notions d’universalité, de Terre-sol et d’humanité ainsi dé- finies au plan philosophique, une déclaration des droits de l’huma- nité consisterait en la prise de conscience politique, au niveau international, du destin commun J’ai, pour ma part, tenté de défi- nir les principes cosmopolitiques fondamentaux sur lesquels une déclaration des droits de l’huma- nité doit être fondée. Ces princi- pes sont : l’inappropriabilité de la Terre et la responsabilité pour l’humanité (1). L’idée d’inappro- priabilité de la terre remet en cause l’idée, tant religieuse que juridique, qui a traversé la pensée occidentale en particulier (mais pas seulement) selon laquelle la Terre-sol appartiendrait à l’homme et qu’il pourrait en user à sa guise. Elle n’aurait pas pour fonction de remettre en cause la propriété individuelle ou collective mais de la limiter radi- calement en la subordonnant à l’inappropriable : la Terre-sol n’appartient pas aux générations présentes, elle n’en est pas la propriété. Cela signifie que toute propriété est provisoire et pré- caire, seconde ou subordonnée. Personne, qu’il s’agisse d’indivi- dus ou de collectivités, n’a de droit absolu sur une partie de la Terre-sol, son droit ne peut être que limité, c’est-à-dire subor- donné à un principe plus fonda- mental : la préservation de la base même de l’existence de l’humanité présente et future. La Terre-sol ne nous appartient pas, c’est nous qui lui appartenons. Corrélativement à l’inappropria- bilité de la Terre, il y a la respon- sabilité pour l’humanité. Celle-ci est une responsabilité supplé- mentaire, indirecte, de nos actes individuels ou collectifs, privés ou publics. Elle veut dire qu’en agissant nous ne nous engageons pas seulement nous-mêmes comme citoyen à l’égard d’autres hommes ou à l’égard de collecti- vités déterminées, mais aussi comme citoyen du monde à l’égard de l’humanité entière, liée au monde vivant tout entier. Cette responsabilité est cosmo- politique, c’est-à-dire qu’elle trouve son fondement ontologi- que et juridique dans l’apparte- nance de l’homme à l’humanité et de celle-ci au monde vivant. Cette responsabilité proprement humaine n’est pas seulement morale, elle est aussi quasi-juridi- que et doit trouver une traduc- tion juridique dans les Constitu- tions des Etats. C’est elle qui doit permettre d’élaborer les droits et les devoirs cosmopolitiques, donc universels, qui seraient ainsi fondés sur le lien d’apparte- nance et de solidarité avec le monde vivant. Inappropriabilité de la Terre et responsabilité pour l’humanité doivent permettre de donner un contenu à une décla- ration universelle des droits et des devoirs de l’humanité. (1) L’Inappropriabilité de la Terre, de Yves Charles Zarka, Armand Colin, 2013. Par YVES CHARLES ZARKA Les risques communs pour l’ensemble de l’humanité sont devenus tels que le politique est obligé de sortir des perspectives locales ou nationales pour poser au-delà d’elles une dimension cosmopolitique. .

Une Declaration Universelle des Droits de l’Humanite !

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Page 1: Une Declaration Universelle des Droits de l’Humanite !

20 u Libération Mardi 14 Juillet 2015

où toutes les sociétés humainesse trouvent engagées. En somme,ce serait la prise de consciencepolitique d’une dimension quidépasse le politique, qui seraitdonc métapolitique, à savoircosmopolitique. Les risquescommuns pour l’ensemble del’humanité sont devenus tels quele politique est obligé de sortirdes perspectives locales régiona-les ou nationales pour poser au-delà d’elles une dimension quiles surplombe: la dimensioncosmopolitique. Celle-ci n’impli-que aucune négation du politi-que, mais permet de mettreau-dessus de lui une dimensionqui devra le réguler. Pour le direen une phrase: au-dessus de lasouveraineté des peuples, il y a lasouveraineté de l’humanité.A ce titre, une déclaration desdroits de l’humanité a pourvocation d’être inscrite dans lepréambule des constitutions desEtats, comme c’est le cas actuelle-ment, dans un certain nombred’Etats démocratiques, de la Dé-claration des droits de l’homme,et, en France, de la Charte de l’en-vironnement. La Déclaration desdroits de l’homme a permis la ré-sistance à l’oppression politiquequi frappe les individus ou lespeuples, la Déclaration des droitsde l’humanité aurait pour objetde permettre, non seulementla lutte contre l’oppression,mais aussi la lutte ou la résistancecontre la surexploitation illimitéeet destructrice à laquelle est sou-mise la Terre-sol. En cela, une dé-claration des droits de l’humanitéaurait pour objet de lutter à la foiscontre l’oppression, la pauvreté,l’exploitation des hommes, la do-mination d’une partie de la pla-nète sur une autre, mais aussid’assurer la préservation de laTerre-sol, c’est-à-dire l’avenir del’humanité.

Pour une déclarationréellement universelle

L e président FrançoisHollande a demandé, il y aenviron un mois, à Corinne

Lepage, ancienne ministre del’Ecologie, une «Déclaration uni-verselle des droits de l’huma-nité». Ce texte aurait pour objetde compléter la Déclaration uni-verselle des droits de l’hommeadoptée en 1948 par les Nationsunies. L’idée serait de discutercette déclaration et, éventuelle-ment, de l’adopter lors de laconférence climat qui se dérou-lera à la fin de l’année à Paris(COP 21).Pourquoi une telle déclarationest-elle importante? Première-ment, en raison du caractère uni-versel qu’elle ne peut pas man-quer d’avoir. Il s’agirait en effet dedéfinir les principes communsà l’ensemble de l’humanité,au-delà de la diversité des cultu-res, des coutumes, des manièresde vivre, des religions, sans niercette diversité. L’enjeu premierest donc de montrer que, au-delàde la relativité des valeurs et despoints de vue, il y a la possibilitéde penser une dimension com-mune, un intérêt commun, sus-ceptible de donner un contenupositif à l’idée d’humanité.Deuxièmement, parce qu’unetelle déclaration impliquerait la

Il faut inscrireles droits et lesdevoirs de l’humanitéau préambuledes Constitutionsdes Etats.

pleine prise de conscience qu’il ya aujourd’hui des enjeux qui neconcernent pas simplement telou tel pays, telle ou telle région,tel ou tel peuple mais l’humanitéentière. Or, si celle-ci est engagéedans sa totalité, c’est parce qu’il ya un destin commun qui la défi-nit. Ce destin commun et scellédans son rapport à la Terre.Qu’est-ce que la Terre? La Terren’est pas seulement la planèteque nous connaissons sous lenom, c’est aussi et surtout laTerre-sol, c’est-à-dire le mondehabitable. Comme telle, la Terreest le corrélat de l’humanité.Celle-ci, en effet, n’existe pasdans un espace abstrait, la Terreest la condition de son existenceà tous égards, depuis les simplesbesoins vitaux jusqu’aux plushautes fonctions de la pensée enpassant par l’imagination, lespassions, l’espérance, etc.Inversement, la Terre n’est passimplement un lieu indifférentou une réalité bio-physico-chimi-que sans mémoire: elle porteen elle les archives vivantesde l’histoire humaine ainsique celles de l’ensemble des êtresvivants.Troisièmement, parce que l’idéed’une déclaration des droits del’humanité implique la nécessitéd’éclaircir le concept d’humanité.L’humanité n’est pas une abstrac-tion, elle est le principe qui faitqu’un être humain est identique àn’importe quel autre. Mais il fautbien entendre cette identité.«Chaque homme, disait Montai-gne, porte la forme entière de l’hu-maine condition.» Cependant,cette forme est singulière, celaveut dire que l’identité humaine,loin de s’opposer à la diversité et àla différence, est immédiatementdiverse. L’identité de l’identitén’est pas l’identité, mais la diffé-rence. Il y a des milliers, des mil-lions, voire des milliards de fa-çons d’être humain. C’est àtravers cette diversité, et non pasmalgré elle, que le concept d’hu-manité prend son sens.Les notions d’universalité, deTerre-sol et d’humanité ainsi dé-finies au plan philosophique, unedéclaration des droits de l’huma-nité consisterait en la prise deconscience politique, au niveauinternational, du destin commun

J’ai, pour ma part, tenté de défi-nir les principes cosmopolitiquesfondamentaux sur lesquels unedéclaration des droits de l’huma-nité doit être fondée. Ces princi-pes sont: l’inappropriabilité de laTerre et la responsabilité pourl’humanité (1). L’idée d’inappro-priabilité de la terre remet encause l’idée, tant religieuse quejuridique, qui a traversé la penséeoccidentale en particulier (maispas seulement) selon laquelle laTerre-sol appartiendrait àl’homme et qu’il pourrait en userà sa guise. Elle n’aurait pas pourfonction de remettre en causela propriété individuelle oucollective mais de la limiter radi-calement en la subordonnant àl’inappropriable: la Terre-soln’appartient pas aux générationsprésentes, elle n’en est pas lapropriété. Cela signifie que toutepropriété est provisoire et pré-caire, seconde ou subordonnée.Personne, qu’il s’agisse d’indivi-dus ou de collectivités, n’a dedroit absolu sur une partie de laTerre-sol, son droit ne peut êtreque limité, c’est-à-dire subor-donné à un principe plus fonda-mental : la préservation de la basemême de l’existence del’humanité présente et future. LaTerre-sol ne nous appartient pas,c’est nous qui lui appartenons.Corrélativement à l’inappropria-bilité de la Terre, il y a la respon-sabilité pour l’humanité. Celle-ciest une responsabilité supplé-mentaire, indirecte, de nos actesindividuels ou collectifs, privésou publics. Elle veut dire qu’enagissant nous ne nous engageonspas seulement nous-mêmescomme citoyen à l’égard d’autreshommes ou à l’égard de collecti-vités déterminées, mais aussicomme citoyen du monde àl’égard de l’humanité entière, liéeau monde vivant tout entier.

Cette responsabilité est cosmo-politique, c’est-à-dire qu’elletrouve son fondement ontologi-que et juridique dans l’apparte-nance de l’homme à l’humanitéet de celle-ci au monde vivant.Cette responsabilité proprementhumaine n’est pas seulementmorale, elle est aussi quasi-juridi-que et doit trouver une traduc-tion juridique dans les Constitu-tions des Etats. C’est elle qui doitpermettre d’élaborer les droits etles devoirs cosmopolitiques,donc universels, qui seraientainsi fondés sur le lien d’apparte-nance et de solidarité avec lemonde vivant. Inappropriabilitéde la Terre et responsabilité pourl’humanité doivent permettre dedonner un contenu à une décla-ration universelle des droits etdes devoirs de l’humanité. •

(1) L’Inappropriabilité de la Terre, deYves Charles Zarka, Armand Colin, 2013.

ParYVES CHARLESZARKA

Les risques communs pour l’ensemblede l’humanité sont devenus tels quele politique est obligé de sortir desperspectives locales ou nationalespour poser au-delà d’elles unedimension cosmopolitique. .

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Libération Mardi 14 Juillet 2015 u 21

S’il est une chose qui reste sacrée enFrance, c’est bien la Déclaration des droitsde l’homme de 1789, symbole de la Révolu-tion fêtée le 14 juillet. Mais cette déclara-tion est-elle si intemporelle et universelleque nous voulons bien le croire ? Les droitsde l’homme à la française ont-ils vieilli,dépassés par l’urgence climatique qui rendbien fragile leur vision anthropocentrée ?

Selon le philosophe Yves Charles Zarka,c’est désormais l’humanité qui a des droitset des devoirs, et avec elle la Terre qui l’ac-cueille. Il faut désormais une lecture «cos-mopolite» des droits humains, qui ne sebornent pas à ceux d’un peuple ou d’uneculture (celle de l’Occident) mais au destincommun qui les engage désormais tous.Le collectif Droit humains pour tou-te-s,

lui, prône une révolution sémantique.Remplacer «droit de l’homme» par«droits humains» dans nos textes et nosdiscours et en finir enfin avec l’exclusionsymbolique des femmes de l’humanité.Pour que plus jamais, une Olympe deGouge n’ait à rédiger une Déclaration dela femme et de la citoyenne, contrepoidsaux droits des hommes.

I l est permis de s’étonner que les institu-tions françaises continuent d’utiliserl’expression «droits de l’homme» pour

désigner les droits humains. Loin des’imposer à la langue comme uneévidence, l’emploi de cette formule résulteen effet d’une série de choix contestables.

effet sur des points essentiels. En particu-lier, la Déclaration de 1789 ne s’appliquaitpas aux femmes: dans ce document, leterme «homme» a été retenu non pas enraison de sa valeur générique supposéemais spécifiquement pour désigner lespersonnes de genre masculin à l’exclusiondes personnes de genre féminin. Au con-traire, la déclaration de 1948 érige dès sonpréambule la protection contre la discrimi-nation de genre au rang de droit universel.La confusion entre les deux déclarations

entretenue par l’emploi d’une expressionidentique minimise donc l’importance dudroit énoncé en 1948, pourtant essentiel àl’universalité de la DUDH puisqu’il assurel’inclusion des femmes au sein de l’huma-nité. Le texte de la déclaration de 1948 té-moigne ainsi du caractère artificiel de sonintitulé. Comme le note Amnesty Interna-tional dans un rapport de 1998, déjà rédigépour demander ce changement de termi-nologie, «les rédacteurs de la DUDH enfrançais ont eu à cœur de marquer la non-discrimination sexuelle en recourant le plussouvent à des termes autres que “hommes”pour énumérer les divers droits contenusdans la Déclaration universelle». L’articlepremier de la DUDH débute notammentpar ces mots: «Tous les êtres humains nais-sent libres et égaux en droit.» Les rédac-teurs ont donc cherché à mettre la lettre dutexte en accord avec son esprit, sans toute-fois aller jusqu’au bout de leur entreprise:le terme homme a continué d’être retenu8 fois sur 54 mentions possibles. L’attache-ment aux termes «droits de l’homme» s’en-racine ainsi dans une vision idéalisée de ladéclaration de 1789 qui néglige l’aspectdiscriminatoire du document.Ensuite, aucun principe linguistique nejustifie d’accorder en français une valeurgénérique aux formes masculines pourdésigner les membres de l’espèce humaine.Ce privilège a en réalité été progressive-ment imposé à partir du XVIIe siècle etconstitue une exception à ce que l’Institutnational de la langue française appelle«une tendance massive et indo-européenne:le genre, pour les animés humains, suit glo-balement le sexe». C’est une logique politi-que qui motive ce choix linguistique:Benoîte Groult souligne ainsi que pour lesnoms de métiers, «l’acceptation des formesféminines est inversement proportionnelleau prestige de la profession» (1). Les résis-tances autour de la modification de l’ex-pression «droits de l’homme» s’expliquentaussi par le désir de conserver au seul genremasculin le prestige de la valeur générique.Car, pour finir, cette expression obscurcitla vérité simple que le féminisme est unhumanisme. Elle délégitime les luttesféministes, qu’elle désigne en creuxcomme des revendications catégoriellesportées par un groupe d’intérêt particulier.Or, la lutte pour les droits des femmes n’estrien d’autre qu’une lutte pour les droitshumains; le mouvement féministe neréclame pas un traitement préférentielpour les femmes mais, au contraire,l’égalité entre tous les êtres humains, c’est-à-dire, l’abolition des privilèges masculins.Les termes employés par les pouvoirspublics bénéficient d’un poids toutparticulier. Dans la continuité des effortsdéjà engagés pour démasculiniser lalangue française, il est donc temps que lesinstances officielles de la Républiqueabandonnent l’expression «droits del’homme». La charge de la preuve pèsedésormais sur celles et ceux qui s’obsti-nent à vouloir conserver cette terminolo-gie dépassée et discriminatoire. •

(1) «Cachez ce féminin», le Monde du 11 juin 1991.

Remplaçons «droits de l’homme»par «droits humains»!Si elle veut enfin inclurepleinement les femmesdans l’humanité, laRépublique française doitrompre avec une expressionissue d’une vision idéaliséede la Déclaration de 1789.Ses voisins l’ont déjà fait.

Par le collectifDROITS HUMAINSPOUR TOU­TE­S

D’abord, elle est historiquement impropre.Les droits fondamentaux qu’elle désignene sont pas ceux qu’énonce la Déclarationdes droits de l’homme et du citoyen de1789 mais ceux qui figurent dans la Décla-ration universelle des droits de l’homme(DUDH) de 1948. Seule la langue françaisea choisi de conserver la même expressiond’une déclaration à l’autre. Les autres lan-gues ont explicitement distingué les deuxtextes en procédant à un changement denomenclature, soit en anglais «human ri-ghts» au lieu de «rights of man», en italien«diritti umani» au lieu de «dirittidell’uomo», en espagnol «derechos huma-nos» au lieu de «derechos del hombre». Cesmodifications n’ont rien d’une coquetterieinutile: les textes en question diffèrent en

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