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Racontez-nous 24h de la rue de Strasbourg ” RADIO/JOURNAL V.1

Journal de Strasbourg - Design City Luxembourg

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“ Racontez-nous24h de la rue

de Strasbourg ”

radio/journal V.1

Le journal est issu d’une immersion

dans la rue de Strasbourg par une

équipe de trois personnes (Lolita

Voisin, Xavier Figuerola et Alexandre

Mussche – Talking Things) durant la

période de mars-avril 2016. Il illustre

une série d’entretiens avec des

habitants et des habitués de la rue,

des commerçants et des usagers. Il est

publié à l’occasion de Design City 2016

- LXBG Biennale : design is (not art),

27.04-22.05.2016.

Auteurs Talking Things & Lolita Voisin

Design Talking Things

Publié par Mudam Luxembourg

Imprimé par Newspaper Club

© Talking Things et Mudam

Luxembourg

avril 2016

La radio éphémère s’installera à

l’espace Pop-Up City,

101, rue Adophe Fisher (coin place de

Strasbourg), Luxembourg,

les 30 avril et 01 mai 2016, de 11h à 18h.

La rue de Strasbourg est une rue

importante. Elle a le caractère propre aux

quartiers des gares ferroviaires. Celui d’être

à la fois un quartier cosmopolite, mêlant les

cultures et les histoires. De vivre au gré des

rythmes de la ville, de ses transports, de

ses animations. De fait, elle est utilisée par

de nombreux usagers qui se succèdent ou

se croisent.

Malgré les usages illicites et les titres de la

presse, la rue de Strasbourg continue, bon

gré mal gré, d’accueillir cette variété de

pratiques, qui fait d’elle l’une des rues les

plus vivantes de la ville. Améliorer cette

rue ne peut pas se limiter à une dynamique

de sécurisation de l’espace public. Cela doit

aussi consister à bien prendre en compte

la richesse et la cohabitation des usages et

des publics.

Nous avons d’abord écouté les histoires

intimes de la rue de Strasbourg. Celles de

chacun, confiées dans la chaleur d’un café

d’habitués. Celles que l’on se transmet,

un peu comme une rumeur. Celles qui

se construisent à plusieurs quand la

conversation est lancée.

Nous avons édité ces histoires, décrit

les scènes perçues avec notre regard

extérieur et assemblé un premier récit

de la rue, heure par heure. Ainsi, à défaut

d’être exhaustif, nous faisons le pari que

ce journal, sous ce format condensé et

rythmé, peut livrer une première lecture

plus incisive, plus immédiate, qui s’adresse

à tous et ouvre la discussion.

Dans sa version actuelle, c’est un outil

d’amorce pour décrire, avec les usagers,

les habitants et les commerçants, un

panorama plus exhaustif des usages de la

rue, de leurs synergies et de leurs conflits.

Un espace éphémère, servira de point de

chute pour un atelier collectif qui permettra

de continuer à écrire à plusieurs, sur les

pages blanches, entre les lignes, dans la

marge du journal. De nouveaux échanges

permettront de réaliser une édition finale,

qui sera diffusée dans la rue de Strasbourg

et en dehors, comme un prétexte à la

curiosité et à l’échange.

Édito

01:40

06:10

08:50

10:30

12:20

13:40

15:10

16:30

17:50

18:20

19:30

20:10

22:30

06h10 - Le café avant le chantier

08h50 - L’agitation sur les trottoirs

10h30 - Les habitués du matin

12h20 - Les bureaux se vident dans la rue

13h40 - Les dilemmes culinaires

15h10 - Le temps des passagers

16h30 - Les enfants qui sortent de l’école

17h50 - Le temps des causeries

18h20 - La meilleure vue du quartier

19h30 - La friction des publics

20h10 - La vie cosmopolite des restaurants

22h30 - L’heure électrique des bars

01h40 - Les petites heures de la nuit

Le café avantle chantier

Les cafés ouvrent à l’aurore, les uns

après les autres. La rue se débarrasse

des traces de la nuit. On balaie le

trottoir. On prépare le jour. C’est la

première heure de la journée pour

les travailleurs. Un café, un journal

et quelques nouvelles échangées

au comptoir, les habitués prennent

quelques instants, avant que la

journée de travail ne commence.

La tenancière d’un café de la rue

raconte les premières heures de sa

journée de travail :

- Parfois, le matin, quand je viens ouvrir, les gars sont là, ils m’attendent devant la vitrine, ils fument une cigarette... Ils viennent prendre un café avant d’aller sur le chantier.

Les fenêtres s’allument de plus en

plus, la rue s’éveille. Les trottoirs

s’animent, traversés de ceux qui

vont rejoindre la gare vers d’autres

contrées. Les cafés se remplissent

rapidement.

Deux serveuses du matin nous

racontent :

- On ouvre très tôt, dés 6h, pour

les travailleurs, c’est mon heure

préférée, ça ne désemplit pas, on est

très actives derrière le comptoir et

le temps passe plus vite. Il y a les

ouvriers, les travailleurs du bâtiment,

et les femmes, c’est là qu’elles sont

les plus nombreuses, surtout des

femmes de ménage. Combien de

femmes sur une journée ? Disons une

dizaine d’habituées.

- C’est vrai, six heures, c’est tôt. Pourtant ils se lèvent un peu avant, pour profiter d’un moment pour parler, ils se retrouvent avant que la journée ne commence vraiment. C’est vrai que c’est étonnant, cette animation à une heure si matinale !

Puis, les camions envahissent la

rue, s’arrêtent devant les cafés, se

garent sur les trottoirs. Ils viennent

emporter les travailleurs vers un

autre lieu, un chantier, une société.

Les hommes sortent ensemble,

s’engouffrent dans les véhicules, et

disparaissent vers ce que le jour leur

réserve.

06:10

L’agitationsur les trottoirs

Aux heures de pointe, on se bouscule

un peu sur les trottoirs étriqués

de la rue de Strasbourg. Les uns

passent pour se rendre au bureau

en slalomant entre les poteaux,

les poubelles et les compteurs

électriques, et les autres campent

devant les cafés, là où ils ont leurs

habitudes, posent les tasses sur

les capots des voitures, fument

une cigarette et profitent de cette

ambiance agitée.

Ils partagent ce trottoir trop serré.

- C’est une rue où l’on vient pour voir du monde. Moi, je rêve d’une rue toute plate, sans voiture, sans trottoir, sans arbre, pour que les gens s’installent

dehors et discutent, comme ils le font à l’intérieur des cafés. L’ambiance des cafés devrait se retrouver dans la rue.

Les passants dessinent des chemins

éphémères entre les voitures, la rue

s’active, on ne saurait dire si le flux

s’amplifie ou s’il se calme.

- Il y a tellement de piétons à

certaines heures de la journée.

On vient sur la rue de Strasbourg

pour être dans le flux, croiser des

inconnus et peut-être apercevoir une

connaissance.

Le bruit des voitures s’intercale à

celui des discussions de trottoirs.

Devant le centre sociétaire, les

familles convergent vers l’école.

- Je pense qu’il faudrait une grande place devant le centre sociétaire, un espace public partagé où l’on pourrait organiser des événements dans la rue. Un espace où voitures et piétons cohabitent facilement.

08:50

Les habituésdu matin

Assis près de la fenêtre du café, il est

à sa place. Comme tous les matins.

On ne compte plus depuis combien

de jours cette scène est la même.

Dedans, il observe la rue. Dehors,

c’est la rue qui le voit. Les copains le

savent : il est là, c’est certain.

- Moi, je reste toujours à la fenêtre. C’est ma place. C’est la meilleure vue sur la rue. Et puis, mon copain me voit. Si je suis là, il s’arrête. En fait, même s’il ne me voit pas, il s’arrête quand même.

C’est comme une bande de copains.

Ils se connaissent depuis au moins

trente ans. Ils ont des souvenirs en

commun, les parties de quilles, les

enfants qui ont grandi, les femmes

qui ont disparu. Ils n’ont pas besoin

de se donner rendez-vous, le café est

toujours là, depuis des années. Et les

habitudes sont les mêmes, depuis

des années.

- On sait toujours qui est là, c’est une

habitude.

Les cartes se battent sur la table. Les

figures défilent à toute vitesse. Des

coupes, des bâtons, des deniers, des

épées. Celui qui perd crie un peu.

Ils ne jouent pas d’argent. Ils jouent

quelques bières.

- On passe un peu le temps. On joue

trois, quatre parties. Après, on a la

flemme. J’ai 82 ans.

Tous les matins, la scène se répète.

Le patron est en terrain connu, il

sort des coulisses du café et observe

la salle avec son tablier de cuisine.

Le matin, c’est le moment des cafés,

des nouvelles, des sourires, des

habitudes.

- C’est un moment où je prends le temps de discuter avec les habitués, avant la foule du midi. Je fais des allers-retours. Je lance les préparations en cuisine, et je viens passer une tête en salle, au milieu des parties de cartes endiablées.

10:30

Les bureaux se vident dans la rue

Les rythmes s’accélèrent, les

trottoirs s’animent. C’est l’heure

de déjeuner, les gens sortent des

bureaux. Il y a plusieurs vagues de

passage : les ponctuels qui arrivent

toujours à la même heure (ils ne

sont pas nombreux), la vague la plus

importante qui s’engouffre dans la

rue entre 12h15 et 12h45, souvent

en groupe. Enfin, il y a les tardifs,

souvent seuls, pour éviter l’affluence,

manger sur le pouce et repartir

rapidement au boulot.

- Tous les employés des bureaux alentours se retrouvent ici. Je les connais bien. Eux aussi me connaissent bien. C’est ça que j’aime ici, même si c’est un déjeuner rapide,

il y a une ambiance conviviale. Certains m’appellent par mon prénom et me demandent ce que je leur ai préparé pour déjeuner.

À mon anniversaire, certains

viennent m’offrir des fleurs, on m’a

même une fois offert une bouteille

de champagne… Vous savez, je suis

très fière de mon travail et je suis

attachée à mes clients.

Les restaurants, toujours bondés le

midi, les petits commerces desquels

on entre et on sort, ne se lassent pas

d’attirer les foules du milieu de la

journée.

- Alors, bien sûr, on dira qu’il y

avait davantage de commerces

avant. Les gens appelaient la

rue de Strasbourg « La rue de la

gourmandise » : ils venaient pour

les fruits ou les légumes, pour la

charcuterie ou le fromage, pour les

crêpes ou le poisson. Aujourd’hui, si

les commerces ont changé, d’autres

se sont installés. La rue conserve

son rythme d’antan : à midi, la rue se

réveille à nouveau.

12:20

Les dilemmes culinaires

C’est l’un des cafés italiens de la rue

de Strasbourg.

Il a pour public régulier une trentaine

d’habitués, originaires des quatre

coins de l’Italie, qui débattent en

pointillé, sur fond d’une partie de

Scopa, de l’unité italienne et de ses

particularismes régionaux. Pourtant,

ce midi, les trente clients, calabrais,

romains, toscans, ont privilégié sans

exception le Bacalhau portugais

plutôt que le plat du jour italien.

La responsabilité de cette infidélité

culinaire revient à trois amies

portugaises : l’une est serveuse,

les autres sont des habituées, qui

passent côté cuisine une fois par

mois. Le rush de ce service du midi

est passé : elles se retrouvent pour

savourer ce succès et racontent leur

attachement à la culture italienne.

Pour les unes, c’est parce que, dans

ce café, elles s’y sentent bien - plus

que tout autre café portugais de

la rue, et qu’elles y sont « comme

dans une famille, une famille avec

plein d’italiens ». Pour l’autre, c’est

parce qu’à force de servir le café à ce

public italien, elle parle maintenant

couramment la langue, au point de

savoir discerner et de commencer

à imiter les différents accents

régionaux. Les habitués s’accordent :

- Elle parle un bon italien, qui devient

quasiment parfait lorsqu’elle se

fâche sur ceux qui font trop de

bruit ou qui oublient de payer leurs

consommations.

Un vieil habitué du sud de l’Italie

se joint à elles, leur offre quelques

souvenirs de son dernier passage

à Rome et ouvre une discussion

qui semble avoir été maintes fois

abordée, celle des similarités et

des différences partagées par les

différentes régions portugaises

et italiennes. Entre curiosité et

taquinerie, la discussion traverse,

sans hiérarchie, les habitudes

alimentaires, la nostalgie du pays et

le bien-être au Luxembourg.

- Il pleut toujours sur la côte portugaise, peut-être plus encore qu’au Luxembourg, mais heureusement, on y mange presque aussi bien qu’en Italie.

13:40

Le tempsdes passagers

Parfois, la rue de Strasbourg est

comme un voyage : certains prennent

le train pour la visiter, comme on

visiterait une amie.

Elles sont deux femmes dans un

café rempli d’hommes. Elles sont en

voyage. Ce sont deux touristes de

la rue de Strasbourg. Elles habitent

en France et viennent visiter la rue,

pour la journée. Cela fait quatre fois

qu’elles y reviennent, « on prend le

train exprès pour elle ».

- Nous aimons ça, quitter notre quotidien, nos maris, nos enfants... On vient toujours dans cette rue, on l’aime bien. Elle est parfaite avec ses cafés. On est venu une fois ici,

prendre le café. Depuis, on revient toujours. On est comme chez nous.

La rue est leur point de repère à

Luxembourg. Elles ne lisent pas la

presse. À chacune de leur visite, elles

élargissent un peu leur territoire. La

première fois, elles ont tourné autour

de la gare, elles ont découvert la rue

de Strasbourg. La deuxième fois,

elles sont revenues au même endroit,

comme en terrain conquis. De là, elles

ont exploré quelques rues de plus.

- On veut toujours plus. Plus, plus,

plus. On n’est jamais satisfaites.

Aujourd’hui, c’est la quatrième fois.

Elles nous demandent si l’on connaît

une nouvelle rue près d’ici, qu’elles

pourraient découvrir.

Les deux femmes en voyage

s’amusent de ce café italien rempli

d’hommes.

- Ils crient un peu quand ils jouent aux cartes, mais les gens sont gentils ici. Ils font des blagues.

15:10

Les enfantsqui sortent de l’école

C’est la sortie de l’école. Les familles

se croisent, on se salue, d’un signe

de tête, d’une poignée de main. On

s’arrête, on échange les nouvelles. On

y rencontre les nouvelles têtes, on y

repère les anciennes.

Les enfants en profitent pour

reprendre leurs jeux, là où ils les

avaient laissés : ça tourne, ça crie, ça

bonimente, ça rit. On n’entend plus

que ça. C’est un bruit de fond.

Les parents profitent de la sortie

de l’école pour faire deux, trois

courses. L’épicerie, la poissonnerie,

de quoi compléter le dîner du soir.

L’ambiance familiale de la rue est

fugace, peut-être moins perceptible

qu’il y a quelques dizaines d’années.

- C’était une rue familiale, c’est ce que les anciens nous racontent. Dans quelques années, l’accès au logement sera peut-être de nouveau possible pour les familles, et le quartier redeviendra populaire.

Les parents d’aujourd’hui sont les

enfants d’hier qui trottaient déjà sur

les trottoirs de la rue. Et certains se

souviennent de cette ambiance, à la

sortie des écoles, ambiance de cafés

et de petits magasins spécialisés.

- Les cafés ont toujours été là, j’ai toujours vu ça depuis que je suis gamin.

16:30

Le tempsdes causeries

Il s’assoit à une table. Quand le

barman vient le saluer, le plateau

est déjà approvisionné : un demi de

Bofferding. À partir de maintenant, le

verre se videra et sera remplacé par

un autre, sans qu’aucun mot ne soit

prononcé. Le cycle de fin de journée

vient de commencer…

- Je viens vers 18h. Je me pose et j’attends les autres. Je n’ai pas besoin de les appeler, ni de leur donner rendez-vous. Je sais qu’ils vont venir. C’est comme ça.

Son ami, vingt minutes plus tard,

confirme ce propos. Il est habillé

élégamment : cravate, chaussures,

veste. Depuis qu’il est à la retraite,

il a gardé les mêmes habitudes, et

hors de question de se laisser aller.

Cette scène semble se répéter depuis

toujours : le rendez-vous de fin de

journée est, sans aucun doute, une

institution. Malgré un changement

de poste, malgré un déménagement,

malgré un passage à la retraite,

le groupe d’amis se retrouve pour

causer, toujours au même endroit.

- J’aime venir ici parce que toutes

les communautés s’y rencontrent…

Le monde entier se retrouve rue de

Strasbourg. Même si chacun à ses

préférences – en face les italiens, en

bas les portugais, là les congolais.

Les gens se mélangent. On vient

tous ici parce que c’est simple. Dans

mon village, à quelques kilomètres

de Luxembourg-Ville, tu rentres dans

un café, tout le monde se retourne

et arrête de parler. Ici, tout le monde

peut entrer et sortir incognito.

C’est à la fois la promesse d’y

retrouver ses connaissances et d’y

croiser des inconnus.

- Ici, on vient parler, on parle de tout et de tout le monde. Ici, c’est le Parlement.

17:50

La meilleure vuedu quartier

Ils sont quatre, parfois cinq. Ils sont

là depuis longtemps, d’ailleurs, on

ne sait plus bien depuis combien de

temps.

Ils sont assis depuis des heures

près de la fenêtre. Ils se connaissent

depuis des années. Face à face, ils

regardent pourtant par la vitre. D’ici,

ils ont la meilleure vue du quartier.

- On regarde par la fenêtre. Il faut bien passer le temps, oui, il faut bien passer le temps.

Ils sont là depuis le matin. Ils ont leur

propre langage, un langage qui vient

de loin, de leur pays d’origine, de leur

longue amitié, de leurs habitudes. Ils

échangent les nouvelles du jour, les

nouvelles de toujours.

Ils sirotent leur bouteille d’eau

minérale. Ils ne boivent que de l’eau.

- C’est pour garder la tête claire.

Soudain, une dispute éclate dans la

rue et ce sont tous les habitués qui

se lèvent d’un même mouvement et

s’approchent de la vitre du café.

ll y a toujours quelque chose à voir

ici. Quelque chose à vivre ici. Ils ont

l’impression d’être au bon endroit,

au bon moment. Près de la fenêtre.

Par elle, ils regardent le spectacle

permanent d’une rue vivante.

Ils s’en vont quand la nuit tombe.

- Ce qui se passe après ne nous regarde pas.

18:20

La frictiondes publics

La journée officielle se termine. C’est

la journée officieuse qui commence.

Les premières silhouettes se

recroquevillent. Un employé raconte :

- Je travaille ici depuis deux ans. Je

suis à l’intérieur mais je vois toute la

rue, alors maintenant, c’est comme si

je connaissais un peu tout le monde,

même si on ne se parle pas. Quand je

pars de mon travail, c’est un nouveau

cycle qui commence. Dès 18h, les

passants ne sont plus les mêmes, les

expressions changent, les regards se

font plus rapides.

En fin de journée, les silhouettes

s’étalent sous le porche, derrière les

colonnes du centre sociétaire, sur le

pas d’une boutique vide.

- Le plus gênant, c’est à la sortie de l’école, quand les premières silhouettes s’agenouillent alors que les familles, les enfants à la main, rentrent chez elles. Parfois, pour éviter cela, je leur demande de partir, qu’ils reviennent un peu plus tard. Ce qu’ils font.

On ne sait pas exactement quand

cela commence mais, à cette heure,

les choses changent, c’est certain.

- C’est vrai que c’est triste. Mais, je

n’ai jamais eu de problème, ils ne

sont pas méchants. Parfois, je les vois

même balayer derrière eux. Comme

pour effacer les traces de ce qui s’est

passé.

Parfois, une ombre devient plus nette

et on observe une scène que l’on

ne voudrait pas voir. La scène est

spectaculaire et le souvenir imprègne

l’image que l’on garde de la rue.

19:30

La vie cosmopolite des restaurants

C’est la chute du jour. Et la nuit est à

deux doigts de tomber. Lentement,

les néons imitent la lumière.

Certains cafés s’éteignent. Leur

journée est finie, ils ne vivront pas la

nuit :

- On ferme à 20h, dés qu’il fait

nuit, c’est trop animé le soir, notre

journée se suffit. Le soir, il y a des

gens mauvais qui ne font que des

problèmes, ce n’est pas la peine. On

est le premier café à ouvrir le matin,

mais on est aussi le premier à fermer

le soir.

Pourtant, certains cafés du jour

s’illuminent et deviennent bars de

nuit, les restaurants battent leur

plein, le haut de la rue s’anime.

Les clients entrent et sortent, les

meilleures adresses sont bien

connues, et ce depuis des années :

- J’habite à deux pas de la rue. Je fréquente très souvent les commerces, mais surtout la pizzeria. J’ai quarante ans, cela fait trente-huit ans que je fréquente cette pizzeria, c’est vous dire si c’est une institution de la rue de Strasbourg ! Elle fait partie de ces restaurants qui rayonnent à l’échelle de la ville, qui résistent aux époques, quelles que soient les rumeurs sur la rue.

Sur les trottoirs, les gens se croisent.

Certains sortent des restaurants,

fument une cigarette, d’autres

fréquentent les bars de nuit, d’autres

encore continuent la part illicite du

commerce de la rue.

20:10

L’heure électriquedes bars

La nuit s’installe. Dans la rue

de Strasbourg, on sait que les

restaurants ne ferment pas tant

que les derniers clients continuent

à deviser. On sait que les bars sont

ouverts, tard, le soir. C’est un quartier

bien connu des noctambules, un

quartier qui abrite les errances

nocturnes des luxembourgeois et des

autres.

Un homme raconte les soirs de sa

jeunesse, où la rue de Strasbourg

accueillait ses nuits :

- J’ai fait mes études à l’étranger. Dans les autres cafés de la ville, il y avait des cafés de quartier, pour les luxembourgeois, dont

on ne faisait plus vraiment partie après s’être exilés à l’étranger pour nos études. Donc nous, quand on rentrait au pays, on allait dans le quartier de la gare, qui était déjà, à cette époque, un quartier international. J’avais dix-neuf ans, peut-être vingt-deux.

Une ancienne serveuse se souvient

de son expérience, sa première

rencontre avec le quartier s’est

passée la nuit :

- J’aime bien ce quartier, c’est animé,

j’ai travaillé dans ce bar quand je suis

arrivée. Mais c’est difficile d’être une

femme dans la rue, je n’ai pas peur,

mais il y a toujours des remarques,

des sifflements.

La rue s’enfonce dans la nuit. On ne

sait plus bien si l’ambiance est à la

fête ou aux dangers.

22:30

Les petites heuresde la nuit

Les petites heuresde la nuit

La rue se vide, les cafés s’éteignent

lentement, un par un, le temps que

l’on range, le temps que l’on lave,

le temps que l’on taise les bruits de

la nuit. Dans les bars, les employés

terminent la journée, et préparent

le café pour le matin suivant. Ils

font des allers-retours entre la salle

et le trottoir. Dans quelques heures

seulement, une nouvelle journée

commencera, semblable aux autres.

C’est la fermeture des activités de la

rue.

La boutique de lampes, qui laisse

allumée sa vitrine durant le soir,

éteint la lumière.

C’est l’heure des noctambules, des

secrets, des ennuis, lorsque les

bruits des autres sont éteints. Les

silhouettes sont rares sur la rue, les

mouvements souples, anonymes. Les

derniers cafés sont muets.

C’est le seul moment où la rue dort un

peu. Restent ces petites heures, avant

que le jour ne fasse, de nouveau,

tomber la nuit.

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Racontez-nous24h de la ruede Strasbourg

V.2

Ce journal reste incomplet : tous les usages de la rue de Strasbourg n’y sont pas encore

décrits. Pour offrir un panorama complet et couvrir ainsi toutes les heures de la journée,

l’équipe installera une radio éphémère au coin de la place de Strasbourg pour entendre les

histoires des habitants : chacun pourra venir partager ses histoires sur la rue.

Ainsi, à la fin de l’événement Design City 2016, les 21 et 22 mai paraîtra une version

complète du journal, qui sera imprimée puis distribuée au Mudam et dans les lieux

partenaires à la biennale.

Contribuez à l’éditionfinale du journal !