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« C’est en se dotant d’une stratégie claire et d’objectifs concertés que la communication interne assurera sa légitimité pleine et entière » Daniel Manier, Directeur adjoint des ''Vies participatives'' pour la ville de Niort, en charge de la communication interne, répond à quelques questions pour le groupe LinkedIn sur '' la communication interne dans le secteur public ''. Dans le secteur public, la communication interne a-t-elle acquis sa légitimité ? Daniel Manier (DM) : En partie. Elus et dirigeants ont admis que les agents d’une collectivité sont des acteurs d’influence. Ils cumulent les rôles d’acteurs de la cité, de cibles (lorsqu’ils habitent le territoire), de relais auprès des familles et amis, de spectateurs privilégiés puisqu’ils en savent en général plus que les citoyens ''ordinaires''. La communication externe se doit donc d’être solidement arrimée à ses racines, c’est-à-dire à la communauté interne. Mais il faut aujourd’hui aller plus loin en actionnant la communication interne comme un levier d’accompagnement du changement. Avec prudence néanmoins. Si la communication interne doit influencer les agents, les amener à partager les valeurs de la collectivité, à adhérer au projet politique, à prendre leur part au destin collectif, elle ne doit pas les instrumentaliser ou leur donner le sentiment de l’être. La marge est étroite, la solution repose sur un vrai contrat de confiance. Il s’agit d’être clair et transparent sur les objectifs poursuivis, y compris politiques et managériaux. Respecter la cible, c’est lui apporter l’information et en même temps lui dire pourquoi on la lui apporte et quel résultat on en attend. Comment la communication interne est-elle perçue au sein de la mairie de Niort ? (DM) : Jusqu’en 2008, la communication interne était, comme dans beaucoup d’autres collectivités, une excroissance de la communication externe, dépourvue d’objectifs et pauvre en moyens. A Niort, 2008 a marqué un vrai changement, avec une nouvelle équipe municipale et une nouvelle direction générale, qui ont déployé une stratégie et affecté des moyens humains. Le premier signe a été sans aucun doute le positionnement de la communication interne au sein de l’organisation : le choix a été fait de ne pas la rattacher au service de communication externe, ni au service des ressources humaines, mais à une direction ''Vies participatives'' qui avait fait ses preuves dans le domaine de la concertation et du dialogue public. Il restait par effet de miroir à entreprendre la même démarche orientée vers l’interne. Rattacher le service de communication interne à une direction ''Vies participatives'' a d’abord surpris, puis séduit, et cela a permis à la communication interne de s’imprégner d’une culture participative, de s’appuyer sur une expérience réussie et sur un portefeuille de savoir-faire. Votre collectivité dispose-t-elle d’une stratégie de communication interne ? (DM) : Bien sûr ! Et c’est en se dotant d’une stratégie claire et d’objectifs concertés que la communication interne assurera sa légitimité pleine et entière. La communication interne s’est professionnalisée par les outils. Les magazines internes et les intranets connaissent la même évolution positive que les outils externes il y a quelques années. Les initiatives et actions sont souvent innovantes et originales. Certes, mais pour quel résultat ? D’où l’importance de se doter d’une stratégie et de la formaliser : constat sur le contexte général de la collectivité, définition précise des enjeux, objectifs à atteindre à court, moyen et long termes. Ce document stratégique indique pour chaque objectif les moyens, les actions et les outils à mobiliser, certains étant à

"La communication interne ne doit pas instrumentaliser les agents ou leur donner le sentiment de l’être"

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Daniel Manier, Directeur adjoint des ''Vies participatives'' pour la ville de Niort, en charge de la communication interne, répond à quelques questions pour le groupe LinkedIn sur ''la communication interne dans le secteur public''.

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« C’est en se dotant d’une stratégie claire et d’objectifs concertés que la communication interne assurera sa légitimité pleine et entière »

Daniel Manier, Directeur adjoint des ''Vies participatives'' pour la ville de Niort, en charge de la communication interne, répond à quelques questions pour le groupe LinkedIn sur ''la communication interne dans le secteur public''.

Dans le secteur public, la communication interne a-t-elle acquis sa légitimité ?

Daniel Manier (DM) : En partie. Elus et dirigeants ont admis que les agents d’une collectivité sont des acteurs d’influence. Ils cumulent les rôles d’acteurs de la cité, de cibles (lorsqu’ils habitent le territoire), de relais auprès des familles et amis, de spectateurs privilégiés puisqu’ils en savent en général plus que les citoyens ''ordinaires''. La communication externe se doit donc d’être solidement arrimée à ses racines, c’est-à-dire à la communauté interne.

Mais il faut aujourd’hui aller plus loin en actionnant la communication interne comme un levier d’accompagnement du changement. Avec prudence néanmoins. Si la communication interne doit influencer les agents, les amener à partager les valeurs de la collectivité, à adhérer au projet politique, à prendre leur part au destin collectif, elle ne doit pas les instrumentaliser ou leur donner le sentiment de l’être. La marge est étroite, la solution repose sur un vrai contrat de confiance. Il s’agit d’être clair et transparent sur les objectifs poursuivis, y compris politiques et managériaux. Respecter la cible, c’est lui apporter l’information et en même temps lui dire pourquoi on la lui apporte et quel résultat on en attend.

Comment la communication interne est-elle perçue au sein de la mairie de Niort ?

(DM) : Jusqu’en 2008, la communication interne était, comme dans beaucoup d’autres collectivités, une excroissance de la communication externe, dépourvue d’objectifs et pauvre en moyens. A Niort, 2008 a marqué un vrai changement, avec une nouvelle équipe municipale et une nouvelle direction générale, qui ont déployé une stratégie et affecté des moyens humains.

Le premier signe a été sans aucun doute le positionnement de la communication interne au sein de l’organisation : le choix a été fait de ne pas la rattacher au service de communication externe, ni au service des ressources humaines, mais à une direction ''Vies participatives'' qui avait fait ses preuves dans le domaine de la concertation et du dialogue public. Il restait par effet de miroir à entreprendre la même démarche orientée vers l’interne. Rattacher le service de communication interne à une direction ''Vies participatives'' a d’abord surpris, puis séduit, et cela a permis à la communication interne de s’imprégner d’une culture participative, de s’appuyer sur une expérience réussie et sur un portefeuille de savoir-faire.

Votre collectivité dispose-t-elle d’une stratégie de communication interne ?

(DM) : Bien sûr ! Et c’est en se dotant d’une stratégie claire et d’objectifs concertés que la communication interne assurera sa légitimité pleine et entière. La communication interne s’est professionnalisée par les outils. Les magazines internes et les intranets connaissent la même évolution positive que les outils externes il y a quelques années. Les initiatives et actions sont souvent innovantes et originales. Certes, mais pour quel résultat ? D’où l’importance de se doter d’une stratégie et de la formaliser : constat sur le contexte général de la collectivité, définition précise des enjeux, objectifs à atteindre à court, moyen et long termes. Ce document stratégique indique pour chaque objectif les moyens, les actions et les outils à mobiliser, certains étant à

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inventer, d’autres à réorienter en profondeur.

Quels sont les grands enjeux qui émergent ces dernières années en matière de communication interne ?

(DM) : D’abord, reconnaissons que les schémas anciens de pensée sont persistants et solidement ancrés dans nos organisations. Nous restons convaincus que le savoir, c’est le pouvoir. Nous sommes naturellement peu enclins au partage de nos compétences et de nos connaissances que nous protégeons jalousement comme un kit de survie professionnelle. Ce qui fait de la communication interne un ''acte plutôt contre nature''. Notre rôle de communicant consiste avant tout à convaincre que les choses ont changé et que nous ne devons pas leur résister. La réussite individuelle est indissociable de la réussite collective et la réussite collective repose sur le partage et la coopération. Nous avons parfois succombé à la facilité qui consisterait à communiquer à la place de ceux qui ne veulent pas le faire par souci d’efficacité et de résultat. ''Communiquer, c’est votre boulot'' nous disent souvent certains collègues.

Une autre méthode, plus exigeante, consiste à convaincre ceux qui doivent communiquer – autant dire quasiment tous les membres de l'organisation publique – de l’intérêt de le faire. Apprendre à partager et au-delà, à coopérer, c’est un changement culturel que nous devons accompagner. C’est un long travail de conviction, avec ses avancées modestes et ses brusques retours en arrière.

Votre magazine interne a obtenu le 1er prix Cap'com en 2012. Pour quelles raisons à votre avis ?

(DM) : En nous appuyant sur notre document stratégique, nous nous sommes interrogés sur le rôle d'un magazine interne au regard de nos objectifs de communication. Cette réflexion s’est traduite par l'élaboration d'une charte éditoriale à laquelle nous ne dérogeons pas. Comment la résumer en une phrase ? Disons que nous valorisons le capital immatériel de l’organisation, c’est-à-dire les femmes et les hommes qui la font vivre. La logique de l’institution, les enjeux, les messages sont éclairés plus que prescrits et apparaissent en filigrane. Le rubricage, à la fois souple et rigoureux, les espaces éditoriaux bien identifiés, la hiérarchie de l’information sont au service de ce contrat de lecture.

Le magazine prend le temps d’expliquer les projets et d’analyser une question sous tous ses angles (rubrique dossier), de décrire l’organisation en donnant la parole à ceux qui la font vivre, (un service à la loupe), d'expliquer un métier par ceux qui l’exercent (une journée avec…), de mettre en valeur les initiatives et ceux qui les portent (Initiatives), de donner des repères (agenda – Apartés vous recommande) et des clés de compréhension (ressources humaines).

Sur la base de ce contrat de lecture peut s’épanouir un ton autorisant le décalage, l’humour, l’audace, parfois l’impertinence et une iconographie respectueuse des individus qu’elle montre et des réalisations qu’elle met en valeur. En lui attribuant le prix national des magazines internes en 2012, je pense que les professionnels de Cap'Com ont récompensé cette persévérance dans le respect de la ligne éditoriale.

Evaluez-vous vos actions de communication interne ?

(DM) : Du fait de ces avancées modestes et de ces retours en arrière, il est indispensable de questionner la pertinence des actions et dispositifs... et de les adapter. Nous avons récemment affiné la charte éditoriale et la charte graphique du magazine en fonction des résultats d’une enquête de

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lectorat. Nous ajustons sans cesse le fond et la forme de nos événements après analyse des questionnaires de satisfaction que nous systématisons. Ce questionnement nous permet d’évaluer - au sens d’estimer la valeur - la démarche dans sa globalité : En quoi la communication interne fait-elle progresser l’organisation, la conduite des projets ? Les méthodes de travail ont-elles évolué grâce à elle ? A-t-elle apporté plus de fluidité dans les échanges, un meilleur partage des connaissances et des expériences ?

Quelles seront selon vous les grandes transformations de la communication interne au cours des 20 prochaines années ?

(DM) : Nous allons devoir nous atteler sérieusement à la problématique de management de l’information. Autrement dit, apporter à l’agent ou à la communauté d’agents l’information dont il a besoin au moment où il en a besoin. Avec ou sans nous, les informations arrivent en masse, de plusieurs provenances, et ne sont pas toujours très fiables. En outre, elles arrivent souvent sous une forme indigeste ou ingérable, provoquant chez le récepteur un sentiment d’asphyxie et d’insécurité. Un phénomène que Caroline Sauvajol-Rialland a très justement décrit sous le vocable ''d’infobésité''. Nous devons donc travailler sur la qualité de l'information, la préparer et la transporter vers la cible en utilisant le moyen ou support le plus fiable et rapide. Un travail de plateforme d’information, comme il existe des plateformes logistiques, dans lequel les communicants ont vocation à être médiateurs, créateurs de lien et de sens, et au final, producteurs d’intelligence collective. Nous réfléchissons à Niort sur ce diagnostic des pratiques et des besoins, et sur les canaux de transmission à privilégier. Il est évident que l’Intranet et les réseaux sociaux de collectivité ont vocation à incarner ces plateformes d’information qui peuvent du même coup se jouer de la fracture numérique. En effet, dans notre collectivité, 40% des agents n’ont pas accès à l’outil informatique sur leur lieu de travail mais la plupart sont équipés à domicile ou disposent d'un smartphone.

Plus globalement, il est évident que la communication interne va devoir s’atteler à une équation difficile : d’un côté un contexte général de raréfaction des ressources, de l’autre une réforme des territoires qui inévitablement sera génératrice d’instabilité, d’angoisse chez les agents et de besoin décuplé en informations et en cohésion. Nous devons donc sortir pour longtemps de la logique besoins nouveaux = moyens humains et financiers supplémentaires et miser sur la simplicité, la créativité, le professionnalisme. Etre ''créatifs'' pour mobiliser les équipes, actionner les réseaux et créer du collectif. Etre ''professionnels'' pour communiquer efficacement avec peu de moyens. Etre ''simples'' dans nos projets et ambitions. Ainsi, nous venons de suivre une formation vidéo afin de développer ce nouveau média sur notre Intranet. Nous allons réaliser des petites vidéos qui seront rapidement mises en ligne. Elles montreront les agents au travail et les feront parler, tout simplement. Mais n’est-ce pas ça finalement exercer notre métier ?

Interview réalisée par Damien ARNAUD (@laCOMenchantier) – 7 septembre 2014

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