2
Cercle des communicants francophones Itw #27 « L’hypercommunication politique est une stratégie à bout de souffle » Ancien conseiller ministériel, Frédéric Vallois (@fvallois ) est actuellement Plume pour la Direction Générale d’une grande entreprise et enseignant en communication politique à Sciences Po Paris. Quelles leçons de communication politique peut-on tirer de l’attentat de Nice ? Frédéric Vallois (FV) : La communication politique ne sort pas grandie de ce tragique événement, c’est le moins que l’on puisse dire. Cette impression d’ensemble est nourrie par des dysfonctionnements de gravité variable, qui vont de prises de parole insuffisamment coordonnées au sein du Gouvernement (entre Manuel Valls et Bernard Cazeneuve au sujet du profil du tueur) à des interventions franchement déplacées de la part de l’opposition (le « lance-roquette » d’Henri Guaino, les épanchements de Christian Estrosi s'estimant « traité comme un subalterne » par l’exécutif). La plus grave erreur est le non-respect du ''facteur temps'', qui est pourtant l’une des règles élémentaires de la communication. Alors que les responsables politiques avaient fait preuve d’une certaine retenue juste après l’attentat du Bataclan, certains ont cru bon cette fois de s’affranchir de la période de réserve qu’imposaient le deuil et l’unité nationale. Évidemment, le calendrier y est pour beaucoup. La perspective de la primaire a poussé certains leaders de droite à surréagir. Mais indépendamment de cette échéance, il faut bien admettre que l'hypercommunication, érigée en modèle depuis dix ans par une bonne partie de la classe politique et portée à son paroxysme il y a quelques jours à Nice, mène droit dans le mur. Cette stratégie est aujourd’hui à bout de souffle. Pourquoi l’hypercommunication ne marche-t-elle plus ? N’est-elle pas de toute façon inéluctable face au tempo imposé par les nouveaux médias ? (FV) : Historiquement, l’hypercommunication politique est antérieure à l’hyperinformation médiatique. Lorsqu’Alastair Campbell, le conseiller com’ de Tony Blair, appelle à « faire la météo » dans les médias, nous sommes au tout début des années 2000, à une époque où les chaînes d’info et les réseaux sociaux ont un poids marginal voire nul. En France, pratiquement au même moment, Nicolas Sarkozy adopte cette même stratégie de l’omniprésence, rompant avec deux décennies de rareté « jupitérienne » prônée par Jacques Pilhan. Mais ce qui pouvait apparaître novateur il y a quinze ans est devenu terriblement obsolète aujourd’hui. L’hypercommunication a très mal vieilli. Premièrement, l’omniprésence est devenue une gageure dans la centrifugeuse numérico-médiatique qui tourne à une vitesse de plus en plus folle. Par ailleurs, elle n’offre stratégiquement plus rien de différenciant puisque la plupart des décideurs s’y sont convertis. Enfin et surtout, la fréquence de la communication politique a souvent été inversement proportionnelle à l’efficacité de l’action publique, les excès de la première tendant même à masquer les carences de la seconde. Beaucoup de responsables politiques refusent de sortir du radar médiatique par crainte d’être oubliés mais ils courent un risque au moins aussi grand à vouloir y figurer coûte que coûte : celui

Communication politique : ''entre hypercommunication et silence, il y a une autre voie celle de l'alternance

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Communication politique : ''entre hypercommunication et silence, il y a une autre voie celle de l'alternance

Cercle des communicants francophones

Itw #27

« L’hypercommunication politique est une stratégie à bout de souffle »

Ancien conseiller ministériel, Frédéric Vallois (@fvallois) est actuellement Plume pour laDirection Générale d’une grande entreprise et enseignant en communication politique à SciencesPo Paris.

Quelles leçons de communication politique peut-on tirer de l’attentat de Nice ?

Frédéric Vallois (FV) : La communication politique ne sort pas grandie dece tragique événement, c’est le moins que l’on puisse dire. Cetteimpression d’ensemble est nourrie par des dysfonctionnements de gravitévariable, qui vont de prises de parole insuffisamment coordonnées au seindu Gouvernement (entre Manuel Valls et Bernard Cazeneuve au sujet duprofil du tueur) à des interventions franchement déplacées de la part del’opposition (le « lance-roquette » d’Henri Guaino, les épanchements deChristian Estrosi s'estimant « traité comme un subalterne » par l’exécutif).

La plus grave erreur est le non-respect du ''facteur temps'', qui est pourtantl’une des règles élémentaires de la communication. Alors que lesresponsables politiques avaient fait preuve d’une certaine retenue juste après l’attentat duBataclan, certains ont cru bon cette fois de s’affranchir de la période de réserve qu’imposaient ledeuil et l’unité nationale.

Évidemment, le calendrier y est pour beaucoup. La perspective de la primaire a poussé certainsleaders de droite à surréagir. Mais indépendamment de cette échéance, il faut bien admettre quel'hypercommunication, érigée en modèle depuis dix ans par une bonne partie de la classepolitique et portée à son paroxysme il y a quelques jours à Nice, mène droit dans le mur. Cettestratégie est aujourd’hui à bout de souffle.

Pourquoi l’hypercommunication ne marche-t-elle plus ? N’est-elle pas de toutefaçon inéluctable face au tempo imposé par les nouveaux médias ?

(FV) : Historiquement, l’hypercommunication politique est antérieure à l’hyperinformationmédiatique. Lorsqu’Alastair Campbell, le conseiller com’ de Tony Blair, appelle à « faire lamétéo » dans les médias, nous sommes au tout début des années 2000, à une époque où leschaînes d’info et les réseaux sociaux ont un poids marginal voire nul. En France, pratiquement aumême moment, Nicolas Sarkozy adopte cette même stratégie de l’omniprésence, rompant avecdeux décennies de rareté « jupitérienne » prônée par Jacques Pilhan.

Mais ce qui pouvait apparaître novateur il y a quinze ans est devenu terriblement obsolèteaujourd’hui. L’hypercommunication a très mal vieilli. Premièrement, l’omniprésence est devenueune gageure dans la centrifugeuse numérico-médiatique qui tourne à une vitesse de plus en plusfolle. Par ailleurs, elle n’offre stratégiquement plus rien de différenciant puisque la plupart desdécideurs s’y sont convertis. Enfin et surtout, la fréquence de la communication politique asouvent été inversement proportionnelle à l’efficacité de l’action publique, les excès de lapremière tendant même à masquer les carences de la seconde.

Beaucoup de responsables politiques refusent de sortir du radar médiatique par crainte d’êtreoubliés mais ils courent un risque au moins aussi grand à vouloir y figurer coûte que coûte : celui

Page 2: Communication politique : ''entre hypercommunication et silence, il y a une autre voie celle de l'alternance

de se noyer et de disparaître sous un déluge d’informations. Quand il y a trop de points sur unradar, on ne distingue plus rien ! Les acteurs politiques comme privés sont aujourd’hui engagésdans un jeu à somme nulle : celui de l’attention. Dans un essai consacré à ce sujet , Yves Citton,co-directeur de la revue Multitudes, explique que le flot d'informations auxquelles nous sommesconfrontés augmente de 30% à 60% par an, alors que notre capacité d'absorption s'accroît aumieux de seulement 5% par an.

Ce n’est donc pas en communiquant plus mais en communiquant mieux que les responsablespolitiques peuvent espérer retrouver un peu de crédit auprès de l’opinion publique. Pour cela, ilfaut savoir décélérer et résister à la surabondance de sollicitations médiatiques. Comme le disaitSénèque, « c’est être nulle part que d’être partout ». Priorité à la puissance du message plutôtqu’à sa fréquence, à sa pertinence plutôt qu’à sa récurrence.

Justement, si l'hypercommunication n'est plus viable, quelle autre voie s’offre à lacommunication politique ?

(FV) : Récemment, plusieurs spécialistes de la communication, de Dominique Wolton à OlivierCimelière, ont - à juste titre - rappelé les vertus de la rareté et du silence. Jusqu’à présent, très(trop) peu de responsables politiques de premier plan s’y sont essayé, à l’exception notable deFrançois Baroin, qui déclarait il y a deux ans déjà : « J’étouffe dans cette ambiancepermanente de Loft Story ou de Koh-Lanta politique. L’addition des réseaux sociaux et desmédias en boucle crée un sentiment anxiogène et finit par institutionnaliser le FN. Je ne mêleplus ma voix à ce système ».

Mais soyons clairs : le silence ne peut pas être une option permanente. À l’ère del’hyperinformation médiatique, un dirigeant politique, y compris le Président de la République,ne peut plus rester sur l’Olympe à contempler de loin le monde des mortels. Le silence fait devous un suspect, notamment en cas de crise. Pire, d’autres acteurs s’expriment à votre place etabîment votre réputation. Même constat pour l’entreprise, qui n’a plus le magistère de la parole :on estime que 75% des prises de parole sur une marque se font à l’extérieur de l’entreprise elle-même !

Entre une omniprésence qui n’est pas souhaitable et un silence absolu qui n’est pas possible, il ya une troisième voie possible : une stratégie de ''l’alternance'' qui consisterait à conjuguer unegrande réactivité en période de crise et une grande modération en dehors. Ce ''stop and gocommunicationnel'' s’inscrit dans la lignée des ruptures de rythme préconisées par JacquesPilhan qui, si elles sont inapplicables dans leur format d’origine, peuvent être sourced’inspiration dans une version remastérisée.

Néanmoins, le calendrier ne semble pas propice à l’expérimentation d’une certaine forme de''slow communication'' politique. À six mois de la primaire et à un an de l’élection présidentielle,il y a fort à parier que l’hypercommunication ait, hélas, encore de beaux jours devant elle.

Interview réalisée par Damien ARNAUD (@laCOMenchantier) en juillet 2016

Le Cercle vise à faire progresser la #ComPublique et la#ComPol dans le monde francophone. C’est un espace dedialogue, de partage d'expériences et de valorisation de tous.

LinkedIn > Cercle des communicants francophones Twitter > @leCCFFacebook > Cercledescommunicants