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La Presse Nouvelle Magazine numero 310 novembre 2013

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IL Y A 75 ANS , les boucs émissaires du national-socialisme allemand, qui allait se propager sur l’Europe, étaient les juifs. AUJOURD 'HUI, Français, en-fants d'immigrés, de clan-destins, de naturalisés... - Nous sommes solidaires de tous ceux que menace la haine de l'Autre, victimes des arrestations en milieu scolaire, des expulsions de lieux de vie, des reconduites arbitraires à l’étranger... - Nous nous opposons à la remise en cause du droit du sol.

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Page 1: La Presse Nouvelle Magazine numero 310  novembre 2013

MENSUEL EDITE PAR L'U.J.R.E.Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide

La PNMaborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et deracisme, ouvertes ou sournoises. La PNMse prononce pour une paix juste au Moyen–Orient sur la base du droit de l'État d'Israël à la sécurité et sur la reconnaissance du droit à un État du peuple palestinien.

ISSN : 0757-2395Le N° 5,50 €

IL Y A 75 ANS, les boucs émissaires du national-socialisme allemand, qui allaitse propager sur l’Europe,étaient les juifs.

AUJOURD'HUI, Français, en-fants d'immigrés, de clan-destins, de naturalisés...

• Nous sommes solidaires detous ceux que menace lahaine de l'Autre, victimesdes arrestations en milieuscolaire, des expulsions delieux de vie, des reconduitesarbitraires à l’étranger…

• Nous nous opposons à laremise en cause du droit dusol.

(lire en page 8)

(lire ci-dessous et en p.3)

N o n à l a r e m i s e e n c a u s ed u d r o i t d u s o l !

© Mémorial de la ShoahVienne, Autriche, 10 novembre 1938

Le magasin de chaussures de Léo Schlesinger saccagé lors de la 'Nuit de Cristal'

© Mémorial de la ShoahVienne, Autriche, 10 novembre 1938

Le magasin de chaussures de Léo Schlesinger saccagé lors de la 'Nuit de Cristal'

© Mémorial de la ShoahVienne, Autriche, 10 novembre 1938

Le magasin de chaussures de Léo Schlesinger saccagé lors de la 'Nuit de Cristal'

N° 310 – Novembre 2013 – 32e année

Manuel Valls sur les sentiers nauséabonds du Front national

Hommage à Albert Jacquard 2

Histoire / MémoireBerlin. . . Pogromes.. . 1 923.. . 1 938.. . F. Mathieu 82013 - Une année Rosenberg NM 6

Droits de l'hommeLES ROMS.. .Entretien avec E. Benbassa P. Kamenka 3Il n'existe pas d’ Israéliens Haaretz 3

FranceBudget 2014 J. Lewkowicz 3

LittératureStefan Zweig :Être ou ne pas être juif ? G. -G. Lemaire 4"100 Bd. du Monparnasse" B. Courraud 5"Attends, on va tirer leschoses au clair" J. Galili-Lafon 6

CultureThéâtre "Les Damnés de la terre" S. Endewelt 5,7Cinéma "Le dernier des injustes" L. Laufer 7

CYCLE CINÉMA ET PROPAGANDE

II. Le Führer offre une ville aux juifs L. Laufer 7

Billet d'humeurLa guillotine et le Général J. Franck 6

L’expulsion de France d’une jeunecollégienne kosovare de quinze ans,

Leonarda Dibrina, emmenée par la policele 9 octobre, alors qu’elle se trouvait dansun bus scolaire, a provoqué l’ indignation.« Aller chercher un enfant dans une acti-vité scolaire, ce n’est pas une expulsion,c’est une rafle », a même dit le député so-cialiste Bernard Roman  qui avoue pour-tant soutenir « sans aucun problème lapolitique et le positionnement de ManuelValls », tout en ajoutant : « Mais il y a deslimites ». Ces limites ne sont pas seule-ment atteintes. Elles sont pulvérisées parl’actuel ministre de l’Intérieur. On pensaitavoir connu le pire avec Nicolas Sarkozy,Brice Hortefeux ou Claude Guéant. Onavait tort ! Manuel Valls les surpasse danstous les domaines.

L’attitude de Valls est indigne d’unhomme se disant de gauche. C’est un af-front à la République qu’il faut laver,d’une manière ou d’une autre. Outre lesdrames humains qu’engendre la politiqueactuelle du gouvernement – que l’onsache, François Hollande n’a pas de-mandé à Manuel Valls de lui remettre sadémission mais l’a au contraire conforté –,celle-ci est lourde de conséquences et dedangers pour l’avenir.Le locataire de la place Beauvau ne craintpas d’emprunter les chemins nauséabondsdu Front national. Car il s’agit bien de ce-la pour Valls et au-delà pour le gouverne-ment : d’une abdication devant la pres-sion des idées de l’extrême droite. On saitqui est toujours gagnant à ce jeu-là etquelles sont les valeurs qui triomphent.

C’est le rejet de l’autre, l’étrangercomme bouc émissaire de tous les maux.Du juif au rom en passant par l’arabe etpar tous les migrants et réfugiés. Etpourquoi pas tous en même temps ?Rien de tel pour faire oublier les véri-tables responsabilités, les causes réellesdes souffrances quotidiennes des Fran-çais : une politique libérale où l’argentest roi et l’humain vassal.Face à cette offensive, comme l’Histoirel’a toujours montré, il n’existe qu’unealternative, celle de la dignité, du droit etdonc de la résistance. Pour faire triom-pher les beaux idéaux de liberté, de fra-ternité et d’égalité. ■

Pierre BarbanceyInvité de la PNM

25 octobre 2013

Page 2: La Presse Nouvelle Magazine numero 310  novembre 2013

2 PNM n° 3 1 0 – Novembre 201 3

Magazine Progressiste Juiffondé en 1 934Editions :

1 934-1 993 : quotidienne en yiddish, Naïe Presse(clandestine de 1 940 à 1 944)

1 965-1 982: hebdomadaire en français, PNH

depuis 1 982 : mensuelle en français, PNMéditées par l'U. J.R.E

N° de commission paritaire 061 4 G 89897Directeur de la publicationJacques LEWKOWICZ

Rédacteur en chefOlivier Gebuhrer

Conseil de rédactionClaudie Bassi-Lederman, Jacques Dimet,Jeannette Galili-Lafon, Patrick Kamenka,

Nicole Mokobodzki , Roland WlosAdministration - Abonnements

Secrétaire de rédactionTauba-Raymonde AlmanRédaction – Administration

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:0757-2395

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CONCERTen l'église

Sainte-Croix-des-Arméniensdans le cadre de

L'heure Musicale au Marais

Penser le judaïsmeSignalons la réédition récente en col-

lection de Poche, de Penser le ju-daïsme* de Jean-Christophe Attias**.Revu et augmentée de 3 chapitres, cetouvrage surprend par sa liberté de ton.En tant que chercheur, juif et citoyen,loin du repli communautaire, s’il ex-plore le passé du judaïsme, l’auteurinterroge son présent et s’inquiète deson avenir. Sans exclure une réflexionsur les impasses du dialogue interreli-

gieux ou les ambiguïtés desrapports entre judaïsme etsionisme, ce plaidoyer pourune approche audacieuse etexigeante du judaïsme, af-fronte sans complexes les

grands défis de l’heure. ■

* J.-C. Attias, Penser le judaïsme, 378 p., 10 €

** J.-C. Attias est directeur d’études à la Sec-tion des Sciences religieuses de l’École pra-tique des hautes études où il est titulaire de lachaire de pensée juive médiévale. Dernierlivre publié : Les Juifs et la Bible (2012).

de médecine del’Université du Cap.Difficile, quand ontouche à la génétique,de ne pas succomberau démon de l’eu-génisme, ce qui, tra-versant le Channel,nous ramène à laFrance.Car enfin, nous aussi

nous avons notre prix Nobel en la per-sonne d’Alexis Carrel qui, précurseur del’ADN, voulait que les sociétés indus-trielles se débarrassent de tous les impro-ductifs, à commencer par les handicapés

Albert Jacquard est, on ne le sait pasassez, le premier lauréat qui reçut

« pour l’ensemble de son œuvre » le prixLyssenko créé en 1990 par le Club del’horloge qui se définit lui-même commeun réservoir d’idées pour la droite :Cette distinction est attribuée chaque an-née à un auteur ou une personnalité quia, par ses écrits ou par ses actes, apportéune contribution exemplaire à la dés-information en matière scientifique ouhistorique, avec des méthodes et argu-ments idéologiques.Albert Jacquard a particulièrement dépluau Club pour avoir affirmé que, biologi-quement parlant, il n’y aurait pas deraces. Il fait partie de cette cohortebruyante qui nie l’existence des races. Ilest dramatique que le terrorisme intel-lectuel de la gauche cosmopolite (vousavez bien lu : certains vocables ont la viedure !) entrave le progrès et la diffusiondes connaissances dans le domaine de labiologie et des sciences de l’homme.À notre « terroriste », le Club de l’hor-loge oppose donc les vues d’ un généti-cien aussi réputé que Theodosius Dob-zhansky, dans Genetic Diversity &Human Equality : Le Q.I. est à peu prèsaussi héréditaire que la taille de l’homme.

Son héritabilité estbien plus grande quecelle de la capacité deponte des poules oucelle du rendement dumaïs. Voilà de quoinous inquiéter pournotre progéniture,pour peu que noussoyons modestes !Cela vient nous rap-peler le scandale causé en 2008 par unautre illustre généticien, le prix NobelJames Watson, venu déclarer à Londresque les nègres sont plus bêtes que lui, quela génétique ne tardera pas à le démontreret qu’en attendant quiconque a eu desdomestiques noirs sait de quoi il parle.Les noirs, selon lui, se signalent plutôt parune sexualité qu’on n’ose plus dire ani-male. Watson est partisan de l’avorte-ment… à condition qu’il soit établi que lafuture mère risque de mettre au monde unenfant… homosexuel.Ça, c’est une manie étasunienne. Reaganvoulait déjà virer tous les pédés de lamarine américaine. L’enjeu, c’est quandmême de défendre les privilèges desBlancs et de faire des autres des citoyensde deuxième zone.Watson déclare en effet, et c’est en quoil’Establishment a besoin de lui : toutes lespolitiques sociales sont basées sur le faitque l’intelligence des noirs est la mêmeque celle des blancs alors que tous les testsprouvent que ce n'est pas vraiment le cas.Vous voulez une preuve ? Il n’y a pas deprix Nobel noir. Encore que… ChristianBarnard, peu avant de mourir, déclarait àpropos d’Hamilton Naki, jardinier noir etbrillant assistant lors de la première greffedu cœur : « Si les circonstances avaientété différentes, c’est lui qui aurait eu leshonneurs ». Naki a d’ailleurs reçu le titrede Docteur honoris causa de la Faculté

Nous étions nombreux présents à lacérémonie du vendredi 4 octobre

d’inauguration du square Olga (Golda)Bancic dans le 11e arrdt. de Paris.Discours émouvants conclus par Mme.Catherine Vieu-Charrier, maire-adointede Paris chargée de la Mémoire et desAnciens Combattants : La leçon de ceuxde l’Affiche rouge, et précisément d’OlgaBancic, la grande leçon de leur vie, a étéqu’il ne faut jamais courber la tête. Lesfemmes et les hommes ne disparaissentvraiment que lorsque disparaissent latrace et le sens de leurs actions, des idéesqu’ils ont semées, de l’exemple qu’ils ontdonné. En donnant le nom d’Olga Bancicà ce square, la municipalité de Parisinscrit son souvenir, son courage et sesvaleurs au cœur de notre cité.Nous étions également présents le4 j uillet dernier lors du dévoilementpar Anne Hidalgo, Catherine Vieu-Char-rier et le maire du XIVe arrondissementd’une plaque commémorative à lamémoire d'Olga, au 114 de la rue duChâteau : Ici vivait Olga Bancic,résistante F.T.P. M.O.I. de l’Ile-de-France, membre du groupe Manouchian,

exécutée par les nazis à Stuttgart le 10mai 1944 à l’âge de 32 ans, morte pourla France et la Liberté.

À (re)lireGilles Perrault, L'orchestre rouge, Éd.Fayard, 1 989, 556 p. , 30 €Max Weinstein, pdt. d’honneur del’Association pour la Mémoire desRésistants Juifs de la MOI in Humanité du16/07 : Olga Bancic - Malgré des torturesignobles, elle ne céda jamais (http: //www.humanite.fr/node/449811 )

Le 21 octobre, à deux pas de la placedu 18 juin, s’inaugurait aussi la

place Stéphane Hessel, Ambassadeur deFrance, Résistant-Déporté, Défenseurdes droits de l’homme, en présence deChristiane, son épouse, du Maire de Pa-ris Bertrand Delanoë et du maire duXIVe arrondissement.On ne présente plus l’auteur d’Indignez-vous, suivi d’Engagez-vous. Rappelonsque Stéphane Hessel était parrain deMRJ-MOI et membre du Comité deparrainage du Tribunal Bertrand Russelsur la Palestine. ■

Vie des associations

Lundi 16 décembre à 19h

Récit autobiographiquede Larissa CAIN

Lecture à deux voix - Durée : 1 h

Helena retrouvéeEd. L’Harmattan 2013Coll. Mémoires du XXe siècle

LARISSA CAIN, auteur

MICHELINE ZEDERMAN,metteur en scène

Fin décembre 1942 Larissa 10 anss'échappe du ghetto de Varsovie. Elle

est accueillie par une famille de quatrefemmes dont Helena, 15 ans, qui lui faitpartager sa vie. Dans la chaleur de cefoyer, elle retrouve un peu de bonheur devivre, mais bientôt elle doit fuir ànouveau. Dans le chaos de l'après-guerre,elle tente de retrouver cette famille, envain. Soixante ans après, par la magie del’Internet, un message venu de Polognepermet de chaleureuses retrouvailles. ■

*Théâtre du Nord >Ouest 13 rue du faubourgMontmartre. Information : 01 47 70 32 75

On nous signale

Hommageet les malades mentaux. Allez, Hitler n’apas tout inventé ! Il n’est pas inutile derelire L’homme, cet inconnu.Sautons du coq à l’âne (révérence parler) :à la lecture d’un récent article d’OlivierPostel-Vinay intitulé Ya-t-il un gène juif?et consacré au livre de Harry Ostrer, Hé-ritage, Une histoire génétique du peuplejuif, nous avons confirmation qu’il y au-rait une origine génétique au QIélevé desAshkénazes et à la forte proportiond’Ashkénazes parmi les grands scienti-fiques. D’où il ressort que les juifs sontplus intelligents que les autres et les ash-kénazes plus que les sépharades.Maïmonide et Spinoza de s’esclaffer. Etnous de nous affliger. Et de relire Mon-taigne : Chaque homme porte en soi laforme entière de l’humaine condition. ■

Albert Jacquard, un terroriste intellectuel !par Nicole Mokobodzki

Olga Bancic

Stéphane Hessel

Page 3: La Presse Nouvelle Magazine numero 310  novembre 2013

3PNM n° 3 1 0 – Novembre 201 3

que confirme le protocole en usage aux Nations Unies,que citoyen d’Israël, il est israélien. Échec.En 2012, invoquant la Déclaration d’Indépendance du14 mai 1948, laquelle stipule que « l’État d’Israël … as-surera une complète égalité de droits sociaux et poli-tiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance,de race ou de sexe », il saisit le tribunal de Haïfa pourobtenir le droit de ne se réclamer d’aucune confession.Le Tribunal le déboute au motif que, « né de mère in-contestablement juive, le demandeur ne peut être que“Juif” en termes de nationalité et de religion ».Qu’à cela ne tienne : un recours est intenté auprès de laCour suprême. Laquelle confirme, ce 3 octobre, la déci-sion du Tribunal, non sans ajouter un attendu pour lemoins surprenant : On nous demande de reconnaître quedans l’État d’Israël, une nouvelle appartenance nationale,commune à tous ses résidents, des « Israéliens », a vu lejour. Rien ne le prouve. ■ NM

Rien ne prouve, selon la Cour suprême, qu’il y ait desIsraéliens en Israël. Bon : serait-ce à dire que le ter-

ritoire de l’ancienne Palestine est à nouveau une terresans peuple ? Non : cela prouverait tout au plus que laséparation des Églises et de l’État présente quelquesavantages. C’est en tout cas ce que doit penser ce nona-génaire impie à qui la loi impose de se déclarer « Juif »,c'est-à-dire de confession israélite, ou mosaïque, commevous voudrez.Né en 1923, Uzzi Ornan, professeur de linguistique au-jourd’hui retraité, avait adhéré à l’Irgoun au début desannées 40, ce qui lui avait valu d’être expulsé par lapuissance mandataire. Une fois créé l’État d’Israël, notrehomme refuse, lors du premier recensement de la popu-lation, d’être catalogué comme « Juif » au motif qu’il estathée. Il se déclare donc hébreu de nationalité et laisse enblanc la rubrique « religion ». Cela passe mais n’auraqu’un temps. Le citoyen Ornan s’obstine. Il prétend, ce

Esther BenbassaDroits de l'homme

Source : Revital Hovel6 octobre 2013

Budget 2014Souffrir un moment pour un hypo-thétique « plus tard » ou bien changerles cadres de gestion de l’économie ?

Le projet de budget de l’État pour2014 est marqué par deux faits, la

diminution des dépenses publiques etune recherche de l’équilibre budgétaire,toutes deux synonymes d’austérité exi-gée par le Traité Merkozy-Hollande.Vingt milliards d’aide aux entreprisesont ainsi été accordés en 2013 (37milliards prévus en 2014), sans contre-partie ni contrôle, et l’augmentationprévue des taux de TVA devrait appor-ter un gain net à l’État moyennant unebaisse globale du pouvoir d’achat.

Cette austérité est censée guérir d’unexcès d’endettement mais ne réglerarien. Elle précipite notre pays dans lecycle infernal de l’austérité car la dimi-nution des dépenses de l’État signifie labaisse des commandes effectuées au-près des entreprises. La richesse natio-nale produite (PIB) ne peut quediminuer et le chômage augmenter.

Or, cela conduit à générer des recettesfiscales moindres contribuant à aggra-ver le déficit public, ce qui amène unenouvelle austérité… Si l’Allemagneéchappe temporairement à ce cycle in-fernal, c’est uniquement grâce au sacri-fice massif du pouvoir d’achat de sessalariés, résultat des réformes Schröder(loi Hartz IV*).

La vaste offensive libérale déployée dès1970, de dimension mondiale (vagueReagan-Thatcher), vise à récupérer, parla baisse des ressources consacrées auxsalariés, aux services publics, aux ga-ranties sociales et aux investissements,ce qui est nécessaire à satisfaire les exi-gences de rentabilité du capital. Cel-les-ci, transmises par les marchésfinanciers, se traduisent par un coût,celui du capital (dividendes), qui s’ac-croît plus vite que celui du travail etélimine toute activité dont le taux deprofit est inférieur. C’est là la vraiesource de la crise.

La sortie de cette crise suppose la mo-dification du statut de la BanqueCentrale Européenne (BCE), pour luipermettre le rachat des dettes étatiquespar de la création monétaire.

La BCE doit également, financer denouvelles dépenses, tant publiques(pour la satisfaction de besoins collec-tifs des populations) que privées (dansla mesure où ces dernières sont créa-trices d’emplois) grâce à des prêts àtaux faibles, voire négatifs, l’ensemblede ces mesures visant à libérer l’écono-mie des contraintes des marchés finan-ciers, en vue d’amorcer une dynamiquede développement économique, socialeet environnementale. ■ J. Lewkowicz

21 octobre 2013

* Réforme du marché du travail menée enAllemagne par le gouvernement Schröder.

Repères

"Il n'existe pas d'  Israéliens"...Lu dans Haaretz

Entretien avec

ou des inconvénients de l’absence de séparation des Églises et de l’ÉtatUzziO

rnan

PNMComment analysez-vous lesstigmatisations de Manuel Valls,pourtant ministre d’un gouverne-ment de gauche, contre les Roms ?

Esther Benbassa Il est regrettableque pour des raisons politiques, unministre de gauche, avant les élec-tions municipales, se mette danscette posture qui rappelle un peucelle de Nicolas Sarkozy. Il y a biensûr des solutions à chercher etd’ailleurs à cause des élections, nousn’arrivons pas à visiter des villagesoù il y a eu une insertion des Romsassez réussie. On ne nous montreque le côté négatif des choses. Enqualité de parlementaire de la majo-rité, je peux vous dire que je suis trèsdéçue que les Roms soient devenusles boucs émissaires.PNMSelon vous, la politique d’im-migration actuelle n'est-elle pas unglissement dangereux vers les thèsesdéfendues par la droite (discours deGrenoble de Sarkozy, remise en causedu droit du sol), l’extrême droite(émigration zéro, la préférence na-tionale, etc) et tout récemment par lespropos racistes tenus contre la mi-nistre de la justice Mme Taubira ?

Esther Benbassa Il faut dire qu’il ya des tabous qui ont sauté et qu’au-jourd’hui, et pas seulement le FN,les différents ministres, les hommespolitiques comme Copé, Sarkozy etmême Valls autorisent indirectementce racisme qui se fait désormais àvisage découvert. Les parlemen-taires, les ministres, les hommesd’État servent de modèles, et là il y aun glissement. Je m’inquiète forte-ment de ce glissement. Jusqu’oùirons-nous ? Bientôt, les gens vontvoter « normalement », comme sic’était « normal », pour le Front na-tional en disant : « quelle est la dif-férence entre le FN et les autres » ?Au lieu de voter pour la copie, ilsvont voter pour l’original.

PNMA votre avis peut-on tracer, toutesproportions gardées, un parallèle entrela situation que vivent les populationsémigrées en France (destruction decamps de Roms, justice expéditive, re-conduite aux frontières, affaire Léonar-da, etc) et la montée de l’antisémitismeen Allemagne avant 1933 ?

Esther Benbassa En histoire, il vautmieux ne pas comparer, parce queles événements ne se ressemblentpas, ni les situations. Comme vous lesavez, nous ne sommes pas en situa-tion de guerre. Mais en même tempsvu l’expérience de ce qui s’est passédans les années 30, il convient d’êtretotalement vigilant, car on connaîtl’histoire des boucs émissaires et dela façon dont ils finissent. S’ il y a unpoint commun avec cette époque,c’est la crise économique. Les an-nées 30, ce sont celles qui ont suivile crash de Wall Street, avec le chô-mage dans le monde, et en particu-lier en Europe, en Amérique et unesituation de crise très importante.Aujourd’hui, on sait que les périodesde crise nourrissent ce genre decomportement qui n’est pas du toutacceptable. Soyons donc vigilants.On ne peut pas faire un parallèle di-rect, mais l’affaire de la jeune Léo-narda, quelle que soit sa posture queje n’apprécie pas beaucoup, ni celledu président de la République qui semet à parler à une petite fille pournégocier, ce qui n’est pas à la hau-teur d’un président de la République,néanmoins la façon dont on l’ainterprétée me donne le frisson.PNMComment réagissez-vous auxpolitiques européennes qui trans-forment le vieux continent en uneforteresse avec FRONTEX commebouclier, sous prétexte d’invasionmigratoire , mais qui en réalité faitde la Méditerranée un véritablecharnier ?

Esther Benbassa FRONTEX c’est unmur de période de crise, derrière le-quel on se défend contre l’arrivéedes autres. Normalement, au lieud’avoir ce genre de posture, enpleine montée de l’extrême droite enEurope, on devrait rassurer lespopulations en les sécurisant et enleur disant "vous ne risquez rien".C’est en fait une très mauvaise stra-tégie, car on a besoin des étrangerspour travailler, pour faire les travauxque les Occidentaux ne veulent plusfaire. C’est une sécurité imaginaire àcourt terme, mais c’est à moyenterme une mauvaise stratégie, car vula natalité en Europe, vu le confort,malgré le chômage, qui nous a habi-tués à ne pas exercer certains métierspour les laisser aux émigrés, noussortirons perdants de cette politique.Mais le malheur est que nos politi-ciens pensent à court terme. ■

Propos recueillis parPatrick Kamenka

* Esther Benbassa (dir.), Dictionnaire desracismes, de l’exclusion et des discrimina-tions, Paris, Larousse, coll. « A présent »,2010, 728 p., 28 €.

NDLR Esther Benbassa, sénatrice du Val-de-Marne et vice-présidente de la Commissiondes Lois du Sénat, est directrice d'études àl'École pratique des hautes études (EPHESorbonne) où elle est titulaire de la chaired’histoire du judaïsme moderne et directricedu Centre Aberto-Benveniste d’étudessépharades et d’histoire socioculturelle desJuifs de l’EPHE (www.estherbenbassa.net)

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4 PNM n° 3 1 0 – Novembre 201 3

Stefan Zweig (1881-1942), cela nefait aucun doute, est l’un desgrands écrivains de l’Europe du

XXe siècle. Cette lame de fond de nou-velles publications, avec pour locomo-tive les deux volumes de laBibliothèque de la Pléiade qui rassem-blent l’ensemble de son œuvre roma-nesque, ne correspond ni à un anni-versaire, ni à un intérêt renouvelé poursa création littéraire, ni à de nouvellesvues sur son œuvre d’essayiste qui estpléthorique. Elle est tout simplementtombée dans le domaine public !Comme quoi le destin des hommes delettres tient parfois à des choses bienaléatoires !Mais ces innombrables ouvrages nouspermettent de nous replonger dans destextes que nous avons peut-être lus il ya bien longtemps et, surtout, de recon-sidérer la personnalité pour le moinsdéconcertante de Zweig.Dans une certaine mesure, il a incarnéla dernière figure de l’humaniste del’ancienne Europe. Son œuvre histo-rique et littéraire est une véritable en-cyclopédie. Elle va d’Érasme àMarie-Antoinette, de Messmer à Fou-ché, de Castillon à Magellan, en passantpar Tolstoï, Dostoïevski, Émile Verhae-ren, Romain Rolland, Paul Verlaine, deMusset à Casanova. Peter Altenberg,Louis Pasteur et tant d’autres person-nages du monde des lettres, dessciences, de la pensée, de la religionsont réinterprétés sous sa plume. Ilexistait en lui une véritable boulimie decomprendre et d’assimiler tous ceshommes qui ont contribué à jouer ledestin de cette Europe en laquelle ilcroyait si fort.Zweig n’était pas un homme à système.Ses biographies sont des plongées dansdes microcosmes d’où il tentaitd’extraire la substantifique moelle, ence qui concerne le personnage traité,mais aussi son rôle en son temps.Stefan Zweig a connu très tôt le succèspour ses romans, ses nouvelles, mêmepour ses pièces de théâtre. Ses essaisont vite atteint des tirages importants. Ilétait aimé du public et, pour son public,il travaillait comme un damné, maisavec joie et transport.Son univers, je veux parler de celui deses jeunes années, a été celui de laVienne de la fin de l’Empire de Fran-çois-Joseph Ier *. D’une certaine façon,il s’est mis à incarner ce monde qui al-lait bientôt disparaître corps et biens,comme celui de Marcel Proust.Sa carrière, il l’a faite dans la Vienne del’après-guerre, quand bon nombre deses collègues partaient (en Allemagnesurtout, comme Joseph Roth parexemple) faute de débouchés, fauted’éditeur, faute de lecteurs dans le toutpetit pays qu’était devenu l’Autriche.

Sa belle énergie, sa capacité incroyablede produire des textes avec facilité (cequi n’est bien sûr qu’une apparence), sacapacité d’entrer en phase avec ses au-diteurs quand il prononçait desdiscours, tout lui faisait oublier la nou-velle réalité de son pays. Mais il a toutde même eu un doute qui l’a travailléau plus secret de lui-même. Dès qu’il l'apu, il est allé s’installer au Kapuzinberg,près de Salzbourg, comme pour échap-per à la gangrène viennoise. Et il y avécu avec sa femme dévouée, Fride-rike, recevant des amis et relations detous les horizons de l’Europe.Sitôt à l’Université, il avait écrit despoèmes, participé à un cénacle au caféBeethoven – il ne le manquerait pourrien au monde – et au Club des Précur-seurs. Il donne ses premiers articles auxjournaux, voyage, va en Belgique, enFrance, en Espagne, en Algérie. Il parleplusieurs langues (le français, l’espa-gnol, l’italien, l’anglais). Il rencontre lespersonnalités les plus remarquablesd’alors : Verhaeren, Rilke, Jules Ro-mains. Sa première pièce, Thersite, estreprésentée à Berlin en 1907 et bientôtLe Comédien métamorphosé est donnéà Dresde. Il pense écrire sur Dickens etsur Verlaine et écrit un article sur Bal-zac (le livre qu’il ne parviendra jamais àcoucher sur le papier)… En somme,tout lui souriait.La guerre le surprend. Il est jugé inaptepour aller au front. Mais il fait en Suisseune rencontre qui change le cours deson existence – celle de Romain Rol-land qu’il admire et dont les idées peu àpeu le séduisent. S’il était tout saufbelliciste, il commence alors à être ga-gné par une pensée pacifiste. Il croitdans « la neutralité de l’art ». Il se faitl’écho d’idées sur une Europe de lapensée, mais ne souhaite jamais s’en-gager dans la lutte politique. Pourtant ila des intuitions : il sent que l’attentatcontre le ministre Ratheneau en 1922est un signe avant-coureur. Il écrit àRomain Rolland qu’il est certain quequelque chose va basculer en Alle-magne. Il expose sa vision du monde,entièrement spirituelle, dans les confé-rences qu’il multiplie en Allemagnepuis dans le reste du continent. Entre-temps, il écrit, il écrit sans fin, despapiers sur les auteurs, des nouvelles,des romans. Les revues le sollicitent etil les satisfait, fournissant à celle-ci unarticle sur Napoléon, à celle-là un ar-ticle sur Musset ou Byron, sans parlerdes nombreuses préfaces. En 1926, ilest célèbre.En 1926, il a des doutes sur la crédibi-lité de son Europe unie.Cinq ans plus tard, il est persuadé qu’ily aura une nouvelle guerre mondiale. Ilavait rencontré Benedetto Croce àNaples et Gorki à Sorrente. Sans doute,

l’Italie fasciste l’a-t-elle impressionné(d’autant qu’il avait déjà vu défiler lesChemises noires à Venise en 1922).Rien de précis pourtant ne consolide sesprémonitions. La montée du nazismel’inquiète, certes, mais il ne croit pas àsa réussite. Il affirme que « le virus dela croix gammée s’est emparé de laclasse moyenne qui caricature tout… »Quand Hitler est nommé chancelier, ilsait qu’une malédiction pèse désormaissur le monde. L’autodafé de ses livresen 1933 à Berlin lui donne un sentimentd’impuissance mais pas le désir decombattre. Tous les événements in-quiétants qui vont mener à l’annexionde son pays l’inquiètent, il est convain-cu que « Vienne va vivre une époqueterrifiante », mais il continue à écriredes livrets pour Richard Strauss et desétudes sur les grandes personnalités desa chère pensée européenne. Il demeureindécis, d’un flou incessant, et surtoutévite de se mêler à tout ce qui pourraitêtre une prise de position politique af-firmée. Son optimisme, même s’ilconnaît des crises graves, n’est jamaisentamé. Sa protestation demeure pri-vée.Et pourtant, il se prépare, non sans mal,à s’exiler. Il songe à l’Angleterre, où ilfinit par s’installer, puis auxAmériques.Et il va partir au Brésil en 1940.Quant à sa judéité, elle ne lui pèse pas.A la fin de sa vie, en exil, il confie à unrabbin qu’il a été, comme la plupart desjuifs de cette époque, un laïc convaincu.Lui qui vouait une admiration sansborne à Hugo von Hofmannsthal, il nes’était pas rendu compte que ce dernierle méprisait précisément parce qu’ilétait juif.Il avait bien écrit un petit essai surTheodor Herzl, qui était pour lui unbrillant journaliste. Herzl a professé lesionisme et Karl Kraus, qui est juifmaistrès antisémite, écrivit alors contre luiun violent pamphlet, Une couronnepour Sion. Il s’est limité avec lui à desrelations dans les salles de rédaction. Enréalité, il n’a pas été séduit par lesthèses sionistes. Il avait écrit à MartinBuber en 1917 : La seule chose qui mesépare de vous, c’est que je ne voudraispas que le peuple juif redevienne unenation. Il aimait plutôt le mythe de ladiaspora comme la signification de sonidéalisme, de sa vocation universelle etinternationale.Un autre grand homme juif a eu uneénorme influence sur lui : il s’agit deSigmund Freud. Il l’a rencontré et aparfois montré un certificat prouvantqu’il avait été son patient ! Il a produitun essai sur lui. Zweig a voué à Freudune admiration sans borne. Mais a-t-ilfait le lien (ou la rupture) entre lapsychanalyse et la tradition juive ?Mystère.

Plus tard, il déclare dans un entretienque Herzl lui a appris « la noblesse desa race ». S’il croit que ses parents sontjuifs par les hasards de la naissance, ilaffirme être devenu un juif de cœurgrâce à lui. Mais c’est au contact de Jo-seph Roth (un écrivain aussi peu reli-gieux que lui, mais originaire deGalicie), rencontré dans le Midi de laFrance en 1933, qu’il prend consciencede ses racines profondes. Des lettres deplus en plus alarmistes lui arriventd’Allemagne. Sans doute est-ce pourcela qu’il travaille en 1936 sur un sujetreligieux violent comme Castilloncontre Calvin.C’est alors qu’il décide d’écrire LeChandelier enterré, d’après la légendede la Menorah. Sa nouvelle paraît en1937. Les événements qui suivent nefont que confirmer ce qu’il sait bien aufond de lui : une machination ef-froyable est en marche contre le mondejuif et rien ne l’arrêtera. Il le sait. Et ilen souffre. Il soutient des associationset pourtant, il se limite à noter alorsqu’il s’est installé à Petrópolis au Brésil: « En tant qu’hommes, en tant quejuifs, nous n’avons pas le droit d’êtreheureux en ce moment. Vous ne pouvezimaginer ce qui se passe en Europe.Nous ne devons pas croire que noussommes les quelques juifs épargnés parla destruction de Sodome et Gomorrheà cause de nos mérites particuliers.Nous ne sommes ni meilleurs ni plusprécieux que les autres, ceux qui sontchassés et traqués là-bas, en Europe. »Quand il se donne la mort le 22 février1942, son plus grand regret est de nepas avoir fini son Balzac. Dans sesnombreuses lettres rédigées avant cesuicide, il ne parle pas de la tragédie quifrappe ses coreligionnaires. Peut-êtreest-ce la véritable cause de son geste ?Mais cela, on ne le saura jamais, parcequ’il n’a pas voulu qu’on le sache. ■

* NDLR Lire du même auteur, in PNM n° 305Être juifà Vienne au début du XXe siècle

Littérature

Stefan ZWEIG : Être ou ne pas être juif ?parGérard-Georges LEMAIRE

À lire- Romans, nouvelles et récits, tomes I & II,Éd. dirigée par J.-P. Lefebvre, Bibliothèquede la Pléiade, NRF, Gallimard, tome I :1584 p., 58 € - Tome II : 58 €

- Le Monde d’hier, souvenir d’un Européen,traduit par J.-P. Zimmermann, Éd. Les BellesLettres, 464 p., 15 €

- La Confusion des sentiments, Amok,Le Joueur d’échecs, dir. P. Deshusses,Éd. Bouquins, 1312 p., 30 €

- Vingt-quatre heures de la vie d’une femme,Angoisses, le Joueur d’échecs, dir. J.-P. Le-febvre., rééd. Éd. Folio.

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5PNM n° 3 1 0 – Novembre 201 3

On ressent une fascinationdevant l’œuvre d’Anne Go-rouben. On se trouve devant

un temps arrêté et des images quifont écho en nous, au plus profondde nous. Est-ce parce qu’il s’agit ducorps merveilleux de l’enfant ? Cecorps qu’il nous faut regarder sanscesse pour avoir la certitude qu’il abien existé ?Nous faisons des tours et des détourspour arriver là où sont les corpsmuets des parents, des enfants, celuide la petite fille Anne dont le regard,comme hypnotisé, est toujours fixésur quelque chose, un objet, un pay-sage qui l’attire, la fascine. Les des-sins forment des suites, desenchaînements avec variations decouleurs, avec le passé refoulé, celuique l’on doit taire, qui ne doit pasfaire de bruit. C’était oublier que lenom de Gorouben dérive du nomrusse Karabelnick qui signifie« Colporteur ». Le colporteur est unpasseur**, et les dessins viennent aujour en empruntant les méandres, leslabyrinthes de la mémoire, ce qui aété colporté et transmis malgrél’éloignement du temps et les ré-sistances.Ces êtres des Cahiers Dessinés,êtres fragiles, êtres penchés, êtressongeurs, penseurs et pensifs sontdes survivants. Ils viennent et re-viennent de loin : d’Odessa pour legrand-père paternel d’Anne Gorou-ben, de Zyrardow près de Varsovie,et d’Auschwitz pour son grand-pèrematernel. Elle apprend très tôtqu’elle est juive, et à force dequestionner elle arrive à renouer lesfils de son histoire. Une histoirejuive chuchotée, sur laquelle l’artisteva inscrire les mots justes, dessinerau plus intime les corps des sur-vivants, ceux de sa mère, de sonpère, de sa tante, de ses grands-parents maternels et paternels, de sesoncles et grand-oncles.

Le peintre raconte, trace. Elleremplit ses cahiers avec la mine deplomb. Elle raconte ce qui a été dit,ce qu’on lui a dit, elle raconte aussice qu’elle imagine du passé familial,et cela, avec pudeur, avec simplicité.

L’histoire tourne autour d’un mêmelieu emblématique : le 100 boule-vard du Montparnasse, mitoyen dela célèbre brasserie La Coupole,d’où le titre du livre.Au 100, c’est l’enfance de son pèreet de sa tante – une enfance cachée –et c’est sa propre enfance, coléreuse.Au 100, il se passe plein de choses,les scènes de la vie sont émouvantes,tragiques, tendres parfois, c’estl’école, pas loin, où elle est mau-vaise élève et porte le bonnet d’ânedans la cour de récré, c’est la peurdu noir. La petite fille se heurte auxobjets et aussi aux adultes. Mais lesobjets peuvent être magiques. Lapoupée Tita, puis plus tard l’âne enplastique et la poupée-Rabbin l’ac-compagnent et la protègent. Le sa-movar, merveilleux objet dugrand-père, une des seules tracesconnues d’Odessa, trône au-dessusde la cheminée, en témoin.C’est au 100 qu’on laisse échapperdes bribes de souvenirs, que l’on de-vine les événements à travers les si-lences. Peu à peu, de coléreusel’enfant devient attentive. Elleécoute, elle enregistre. Les questionsseront pour plus tard. Elle finira parsavoir ce qui s’est passé avant laguerre, pendant la guerre, commentses plus proches ont survécu, maiselle ne le sait qu’à moitié. Le reste,elle le recrée. La Catastrophe feratoujours partie de l’ innommable.Ses questions énervent parcequ’elles dérangent. Le passé estenfoui. Il faut qu’il le demeure, si-non il risque de faire mal, de raviverles plaies et la douleur.

Anne Gorouben se met en quête, enchemin, et l’histoire se déroule sousnos yeux avec les mots et les images,dans son obscurité et sa lumière. Il ya des fenêtres dans les Cahiers Des-sinés qui conduisent au rêve, incitentà l’évasion. Elles ouvrent sur desgens, des visages familiers, desfleurs, des arbres, des immeubles, ousur d’autres fenêtres. Elles éclairentles personnages à l’ intérieur et del’ intérieur, leur permettant de traver-ser le miroir et de se retrouver, enfinréunis, dans un monde « revisité ». ■

"100, boulevard du Montparnasse"*parBéatrice COURRAUD

(…) Au crayon, la gamme des gris s’étend du blanc au noir absolu. Certaines partiesde mes dessins sont dans l’ombre ; d’autres restent claires, comme frôlées par la minede plomb. C’est un mouvement du dessin lui-même ; c’est ma main qui pense et choisitd’inscrire dans l’espace de la feuille de papier la lumière et l’ombre. (…) Cette suite dedessins est comme un long apprivoisement de la peur, une sorte de combat dans desténèbres qui ne sont pas ma vie, mais ce que je ressens en profondeur, déposé en moipar tant de paroles et de récits mêlés sur l’histoire de ma famille, et que j’ai commeabsorbé, avec sa violence sourde. (…) Extrait de "100, boulevard duMontparnasse" Le Tarmac, dirigé par Valérie Baran, ex-collaboratrice du TILF** de Gabriel

Garran, est voué à la création contemporaine francophone hors hexagone.Dans Tarmac, il y a l’idée d’échange, de voyage, de partage à travers la

découverte d’auteurs francophones. Le mélange culturel se fait à la fois dans lasalle et sur le plateau. C’est un théâtre qui donne envie d’aller à la rencontre del’autre, de s’ouvrir sur des singularités, de se cultiver, d’affiner sa pensée. Le lieu avocation à faire découvrir de nouvelles formes artistiques : danse, cinéma, théâtre,littérature, conte… Il s’est adjoint un conseiller littéraire, Bernard Magnier, et unéditeur pour la jeunesse, Emile Lansman, qui animent des débats, tables rondes etlectures en libre accès. On y côtoie ce qui fait sens dans le monde contemporain.

Jacques Allaire, un metteur en scène original qui sonde les formesd’aliénation

Titulaire d’une maîtrise de philosophie, acteur et metteur en scène, membre du Bu-reau des lecteurs de la Comédie Française, il crée des spectacles forts et singuliers.Il assure souvent lui-même scénographie, bande son et adaptation des textes de sescréations. Il aime « ces univers où les mots sont en prise avec la vie citoyenne et ledevenir humain ». Il travaille sur des œuvres, des pensées, des systèmes de pensée,et peu sur des textes dramatiques. Il dessine ses spectacles avant de les réaliser.

Dans « Les damnés de la terre », avec six comédiens et en 7 tableaux, il restituel’œuvre de Frantz Fanon par collage, découpage, fragmentation, télescopage.Un peu comme le processus du rêve,son spectacle plonge au cœur del’aliénation et de ses ressorts, de l’êtrecolonisé qui, aujourd’hui, se trouvepartout. J. Allaire transpose « la pa-role de Frantz Fanon dans la poésieet les visions qui la traversent » : des-sin, esquisse, traversée musicale etpoétique.

« Les damnés de la terre » (aliénationliée à la colonisation) forme un dip-tyque avec « Je suis encore en vie »,spectacle muet sur l’aliénation liée auxdispositifs (couple, loi, religion). Cedernier spectacle, lauréat 2013 duCentre National du Théâtre, sera pré-senté au Tarmac en janvier 2014.

Autour des damnés de la terre, unejournée consacrée à Frantz Fanon, l’undes plus grands militants de la causenationale algérienne.Frantz Fanon, né antillais en 1925, a étéinhumé en terre algérienne en décembre1961 , à l’âge de 36 ans. Psychiatre, il atravaillé à l’hôpital de Blida en Algérie.Il s’engagea aux côtés des combattantsdu FLN pendant la guerre d’Algérie.Sa vie et ses écrits sont liés à la décolo-nisation et au tiers-mondisme.

* Anne Gorouben, 100, boulevard du Montparnasse, texte et dessins noir et blanc (55),Les Cahiers Dessinés, Éd. Buchet-Chastel, 1 8 €

** Mémorial de la Shoah, Paris. En savoir plus : http://www.annegorouben.com

LeTARMAC - La scène internationale francophone

«  Les damnés de la terre  »parSimone ENDEWELT

Ce spectacle, qui ouvre la saison du Tarmac, est mis en scène par JacquesAllaire, d’après l’œuvre de Frantz Fanon*.

Son œuvre, d’une pertinente actualité,plonge au cœur du processus colonial,de l’aliénation et de ses ressorts.Comme le dit sa biographe, AliceCherki*** : « Ni connu, ni inconnu, niChe Guevara, ni Sartre, ni Camus,Frantz Fanon, dans ses avancées sur leracisme, le colonialisme, le rapportoppresseur / opprimé, l’avenir des paysen voie de développement, fut unprécurseur. Ses propos, sous forme demise en garde et de cri d’alarme,prennent place dans l’actuel ».

Avec le spectacle « Les damnés de laterre », le Tarmac organise une jour-née autour de Frantz Fanon, de sapersonnalité, de sa pensée et de sonœuvre (voir encadré en page 7). AliceCherki sera présente ainsi que des per-sonnalités qui ont étudié ses écrits. Sontinvitées, entre autres, Christiane Taubira,ministre de la Justice et garde desSceaux, Georges Pau-Langevin, ministredéléguée aux Affaires éducatives etSouad Belhaddad, auteure algérienne.Un film documentaire « Mémoired’asile » d’Abdenour Zahzah sera pro-jeté. ■(Voir notes sur encadré de la page 7)

©J.A.

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Enfants Rosenberg sonnant à la porte de leuravocat © Mitelberg

NB: C'est à Emmanuel Bloch qu'Ethel et JuliusRosenberg les confièrent par testament. La vie desenfants fut à nouveau bouleversée après sa mort enjanvier 1954.

2013 – Une année Rosenberg

La guillotine et le généralAuMusée de l'Histoire, à Hanoï,

j 'ai vu une guillotine. Unevraie, en bois et acier, pas une ma-quette ou une reproduction.Au temps de la colonisation fran-çaise elle avait rempli son rôle, je nedirai pas honnêtement, mais assidû-ment. Pour le compte des autoritéspolitiques, militaires et économiquesde la grande puissance tutélaire.

Elle – ou sa jumelle de Saïgon –coupa, entre autres, la tête d'unejeune femme en 1941 . Cette mili-tante anticolonialiste était la belle-sœur de Vo Nguyen Giap, ancienprofesseur d'histoire et résistantcommuniste, dont la femme mourait

en prison, sous les bons traitementsde l'administration pétainiste del'Amiral Decoux.

Giap, devenu chef de l'armée viet-namienne pendant la guerre d'Indo-chine (1946-1954), gagna cetteguerre contre la France avec la ba-taille de Dien Bien Phu. Vingt et unans plus tard, il gagna une autreguerre, contre les USA.

L'évocation de cette guillotinen'ajouta certes rien au talent du Gé-néral Vo Nguyen Giap. Mais ellerenforça probablement sa détermi-nation et sa volonté d'un Vietnamindépendant. ■ Jacques Franck

7 octobre 2013

Billet d 'humeur

Huit nouvelles qui formentplutôt un roman* avec despersonnages qu’on retrouve

d’une histoire à l’autre et un unique« décor », le kibboutz Yikhat, dans lesannées 50 (on évoque Ben Gourion).Il s’agit bien d’une collectivité dontchaque membre, selon la règle, a uneactivité qui participe à la vie du kib-boutz. Mais il n’est peut-être pas tou-jours facile d’accepter ce qui peutdevenir un enfermement, un huisclos, constamment sous le regardparfois un peu trop curieux et railleurdes autres.« Attends, on va tirer les choses auclair » dit invariablement l'un desfondateurs et dirigeants du kibboutz,David Dagan, épaules larges, bellemoustache poivre et sel, fervent mar-xiste à « l’extraordinaire pouvoir depersuasion ». Mais justement, danscette collectivité on ne tire pas tou-jours les choses au clair et l’utopiepremière se heurte aux individua-lismes, aux faiblesses, aux amourscontrariées, à la vie au quotidien.Qu’est-ce que ce rêve de l’amourlibre quand Boaz par exemple trompesa femme Osnat pendant plusieursmois avant de la quitter, que sa nou-velle compagne est attirée par cellequ’il a quittée ou que David Dagan, leséducteur de cinquante ans « séduit »Edna, 17 ans, la fille de son meilleuret vieil ami, qu’un petit garçoncraintif refuse de dormir dans « lamaison des enfants » parce qu’il est lesouffre-douleur des autres ? Quelleréunion pédagogique, quel comité,quelle assemblée générale peuventrésoudre les désirs, les haines, les ja-lousies de cet univers ?Tous ces drames parfois tragico-miques se vivent dans un décor faitdes saisons auxquelles le narrateur,les personnages eux-mêmes sont sen-sibles : la chaleur, la pluie, le froid, lapaix de la nuit. Ainsi quand Yoav, lesecrétaire, est de garde et fait le tourdu kibboutz endormi : « La nuit étaitfroide et claire. Le chant des gre-nouilles ponctuait le silence. Unchien aboya au loin. En levant lesyeux, il vit les nuages s’amoncelerau-dessus de sa tête. Ce qui semblaitimportant ne l’était pas, et il n’avaitpas le loisir d’approfondir ce quil’était vraiment. Les années passaientsans qu’il prenne le temps de méditersur les choses de la vie, les capitalescomme les ordinaires : la solitude, lanostalgie, le désir et la mort. Leshurlements des chacals déchirèrent leprofond silence. Yoav les accueillitavec gratitude… »Si certains personnages sont plutôtcomiques, Tzvi Provizor (le jardinier)qui accumule toutes les mauvaisesnouvelles, véritable informateur dupire, d’autres évoquent des problèmesqu’on « ne peut pas tirer au clair ».

Les femmes, sans quecela trouble les hom-mes, restent canton-nées dans les tâchesdomestiques traditionnelles, la cui-sine, la lessive, les enfants et c’est labelle et brune Nina, « sa tendance ànaviguer à contre-courant », qui sebat, les rassemble, rappelle auxhommes qu’il leur faut changer dementalité et que le féminisme existe !Le narrateur (Amos Oz tout près delui) défend des positions fortes : d’uncôté les partisans des raids de repré-sailles contre les Arabes, « rien qu’unmois pour traiter les Arabes commeils le mérit(ai)ent » contre ceux quirefusent l’escalade de la violence.Amos Oz n’impose pas son choix etc’est une grande qualité du récit delaisser sa liberté au lecteur.Un exemple : le jeune Yotam sort dukibboutz sans but précis semble-t-il,va vers le village de Deir Ajloun,complètement détruit par l’arméeisraélienne en représailles d’un in-cendie du kibboutz provoqué par lesArabes. Il contemple le village enruines, « les vestiges de la mosquéedécapitée », « le col brisé d’une jarreen terre cuite », « un puits abandonnédont les profondeurs exhalaient devieux relents de charognes ». Au loin,les bruits étouffés qui viennent dukibboutz, la vie. Il reste là, « l’espritvide, immobile sur la margelle dupuits au milieu des décombres ».Toutes les dernières phrases des nou-velles sont faites ainsi : elles sug-gèrent.Enfin, où sont les rêves d’antan ?Martin Vandenberg n’apparaît qu’à lafin du roman et cette place est pleinede sens. Universitaire enseignantl’esperanto, cordonnier au kibboutz,Martin est malade, trimbalant sa bon-bonne d’oxygène, anarchiste intran-sigeant et lucide (la famille isole de lasociété, les possessions enchaînentl’âme, les gouvernements sont inuti-les), « le nôtre doublement car lesJuifs avaient démontré à l’universque l’on pouvait exister, voire s’épa-nouir sur un plan spirituel et culturelpendant des milliers d’années sansaucun gouvernement ». Il prédit la findu kibboutz, avec « des propriétairesvautrés dans les plaisirs matériels ».Cependant, bougonnant, solitaire, ilcroit encore au genre humain, débar-rassé de l’argent, « la source de tousles maux ». Il meurt et avec lui c’esttoute l’utopie des pionniers quidisparaît. Seule Osnat, devant le cer-cueil, est comme un faible espoir parla sympathie qu’elle ressent tout àcoup pour les assistants.Sous une apparente simplicité del’écriture, Amos Oz nous offre un ro-man troublant et un personnage,Martin, vieux frère très proche quinous questionne avec tendresse. ■

Mémoire

Littérature

« Attends, on va tirer les choses au clair » par Jeanne Galili-Lafon

Huit nouvelles d'Amos Oz

* Amos Oz, Entre amis, trad. de l’hébreu par Sylvie Cohen, Éd. Gallimard, 2013, 160 p., 17,50 €

Le vendredi 19 juin 1953,quelques minutes avant le débutdu shabbat – il s’agissait de ne

pas heurter l’opinion juive américaine –Julius et Ethel Rosenberg, née Green-glass, mouraient sur la chaise électrique.Il ne tint qu’à Ethel d’avoir la vie sauve :il lui suffisait d’ « avouer ».Soixante ans après, quel souvenir gar-der, quelles leçons tirer de ce que Sartrequalifia de « lynchage légal » ?Les Rosenberg sont des victimes de lachasse aux sorcières, du maccar-thysme, de cette Peur rouge dont Lau-ra Laufer évoquait dans nos colonnesles conséquences pour les milieux ci-nématographiques. Ils sont mortsparce que citoyens américains, ilsétaient des militants communistes dansun pays où la liberté d’opinion passepour un dogme – défiler en uniformedu Ku Klux Klan est légal – mais oùêtre communiste ou sympathisant a puêtre un crime.En 1950, Laurent Schwartz, lauréat dela Médaille Fields, soupçonné d’êtretrotskiste, s’est vu, dans un premiertemps, refuser ce visa pour assister auCongrès international des mathémati-ciens. Mac Carthy était mort depuislongtemps que l’on n’obtenait pas devisa pour aller aux États-Unis si l’onétait communiste. Cela fit tache. Rap-pelons-nous les interdictions profes-sionnelles en RFA. Rappelons-nous lescandale déclenché quand fut révélé lequestionnaire imposé à un candidat àla fonction publique européenne.Héritière du combat de l’ancien Co-mité pour le réexamen de l’affaire Ro-senberg, dont l’UJRE était membre, laLigue des droits de l’homme (LDH) apris l’ initiative d’une rencontre de dé-bat et de mémoire le 1 5 juin 2013 pour

l’anniversaire de l’exécution des Ro-senberg pour une justice équitable,pour l’abolition universelle de la peinede mort.Ce combat pour une justice équitable,pour l’abolition de la peine de mort estaussi l’un des enjeux du CollectifMu-mia Abu-Jamal qui prend le relais defaçon exemplaire.L'idéal des Rosenberg vit toujours.Leur petite-fille sucède aujourd'hui àleur fils, Robert Meeropol, à la tête dela Fondation Rosenberg qui a pourmission de venir en aide aux enfantsdes militants victimes d'une répressionplus violente qu'aux heures les plusnoires du maccarthysme. A ses côtés,Angela Davis. ■ NM

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7PNM n° 3 1 0 – Novembre 201 3

Chronique

de

Laura La

uferCycle cinéma et propagande

Les damnés de la terre (suite)

Un film deClaude Lanzmann

Le dernier des injustes

J'étais au premier rangClaude Lanzmann Benjamin Murmelstein

II . Le Führer offre une ville aux juifsTheresienstadt. Ein Dokumentar-film aus dem jüdischen Siedlungs-gebiet ( 1944).En 1944, les nazis pour faire cesserles rumeurs qui commencent à circu-ler sur le sort des juifs qui dispa-raissent décident de réaliser un filmde propagande. Ils persuadent KurtGerron, déporté juif de Terezin de leréaliser en lui promettant la vie sauveen échange. Gerron était un célèbreacteur berlinois de cabaret et un réa-lisateur. Il créa l’Opéra de quatre soussur scène et on l’a vu au cinéma, no-tamment, aux côtés de Marlène Die-trich dans L’ange bleu. Quand Hitlerprend le pouvoir, Gerron se réfugie enFrance puis aux Pays-Bas. Il sera fi-nalement arrêté et déporté à There-sienstadt. Le tournage a lieu peu aprèsla visite à Terezin de la délégation dela Croix-Rouge conduite par MauriceRossel qu’on voyait dans le remar-quable documentaire de LanzmannUn vivant qui passe.Le ghetto de Terezin est en vérité uncamp de concentration. Conçu àl’origine pour y mettre les Juifs duReich âgés de plus de 65 ans, on ydéporte de nombreuses personnalitésdu monde des arts et du spectacle oudes sciences. Les conditions de vie àTheresienstadt sont extrêmement dif-ficiles. Sur une superficie qui ac-cueillait jusque-là 7 000 Tchèques,environ 50 000 Juifs sont rassemblés.La nourriture est rare : en 1942, on ymeurt beaucoup de faim. Le typhusfait des ravages.

Culture

* de Frantz Fanon

- Peau noire, masques blancs, Éd. du Seuil

- Pour la révolution africaine (écrits politiques) Éd. La Découverte

- Sociologie d’une révolution (l’an Vde la révolution algérienne), Éd. La Décou-verte

- Les damnés de la terre publié par Maspero en 1961 , repris par les Éd. Galli-mard.

**TILF : Théâtre International de Langue Française

***Alice Cherki, Frantz Fanon, portrait, Éd. du seuil, 2011 , 327 p., 20,30 €

NBAlice Cherki est née à Alger dans une famille juive. Médecin, elle a suivi Fa-non dans son hôpital de Blida et participé activement à la lutte pour l’indépen-dance algérienne. Son livre est un témoignage circonstancié fondamental.

La pendaison sur place y estfréquente et la plupart des déportésseront acheminés vers Auschwitzpour y être tués.Peu avant la venue de la Croix-Rougeet pour le tournage du film, les nazisont ordonné que le ghetto soit nettoyéet embelli. Ils ont fait livrer du bois etdu verre pour refaire les fenêtres, ou-vrir le mur qui interdit l’accès au parcde Terezin, créer des salles de spec-tacle, asphalter la chaussée, donnerdes vêtements propres et distribuer dela nourriture.Pour les déportés qu’on voit dans lefilm, ces quelques jours sont un mo-ment de répit et ils se mettent à es-pérer en l’amélioration de leursconditions de vie, d’où leurs visagesconfiants et souriants.Après le tournage, la plupart des ac-teurs et membres de l'équipe sont en-voyés à Auschwitz. Kurt Gerron et safemme y sont gazés dès leur arrivée,le 28 octobre 1944.Le film n'a pas été diffusé à l'époque,à l’exception de quelques extraits dé-coupés pour la propagande. Ce filmn’existe plus aujourd’hui que parquelques fragments. Sa supercherieatteint des sommets de cynisme et demonstruosité.Elle prouve, une fois de plus, que lavérité des images ne saurait se réduireau visible et que seule la connais-sance des conditions de leur produc-tion permet de l’approcher. ■

(Suite de la page 5)

- LES DAMNÉS DE LA TERRE : du mardi 5 novembre au vendredi 6 décembre2013 (payant)

- 16 novembre 2013, journée consacrée à FRANTZ FANON : entretiens, débats,films… (entrée libre sur réservation)

Le TARMAC - LASCENE INTERNATIONALE FRANCOPHONE159 avenue Gambetta Paris 20e –M° St Fargeau ou Gambetta

Réservation : 01 43 64 80 80Information : http://www.letarmac.fr

Ce film, de presque quatre heu-res, abandonne la voie de l'ir-représentabilité de la barbarie

adoptée dans les précédents films del'auteur, car on y trouve de nom-breuses images du passé : photogra-phies, peintures et même des extraitsdu film de propagande Hitler offreune ville aux juifs (voir article à droi-te).Lanzmann part sur la trace des lieux dela déportation. La mise en scène de sonpropre corps, parfois vacillant du fait del’âge (87 ans), et de sa voix, à l’intérieurdes immeubles de l’ancien ghetto deTerezin, nous rend palpable l’absencede ceux qui y passèrent avant d’êtremenés à l’assassinat de masse auquel lesnazis les destinaient. Et dans l’image etle son, tout renvoie à ce meurtre : lesmurs lépreux dont la peinture s’écaille,les marches d’escaliers branlants, lavoix de Lanzmann dans les comblesvides ou celle, admirable et puissante,du cantor de la synagogue du Golem dePrague, lieu où sont gravés sur des pan-neaux coulissants les noms d’innom-brables victimes du génocide.C’est à Rome que vit le témoin du film,Benjamin Murmelstein, ancien rabbin etancien professeur d’Université àVienne, personnalité intelligente, atta-chante, témoin infatigable. Devenudoyen de Terezin à partir de septembre1944, après l'exécution des deux pré-cédents, il demeure le seul survivant detous les doyens des Conseils juifs. Mur-melstein témoigne de la responsabilitéirréfutable d’Adolf Eichmann commemaître d’œuvre de l’organisation duprocessus d’ensemble de la destructiondes Juifs d’Europe et dénonce la thèse« de la banalité du mal » de HannahArendt.Pour Murmelstein, Eichmann est loind’être banal quand ce dernier le réveilleen hurlant et le menace d’un revolver àtrois heures du matin. L'ancien doyentémoigne de la jubilation antisémiteavec laquelle Eichmann, durant la Nuitde Cristal, l’invite à venir constater ladestruction des synagogues de Vienne.De même qu’il témoigne de sa mise enœuvre de l'expulsion des Juifs par lacréation du Bureau central pour l’émi-gration juive que Murmelstein se voitcontraint de diriger. Au total, en dix-huitmois, 150 000 Juifs sont expulsés, soit60 % de la population juive autri-chienne. Murmelstein confirme aussil’enrichissement personnel d’Eichmannpar la création du Fonds d'émigrationqu’il fait alimenter par les Juifs les plusaisés et qu’il détourne en grande part àson profit.Quand le projet d’Heydrich de créer àMadagascar la réserve de regroupementdes Juifs échoue, Eichmann trouve lasolution de remplacement.

À Nisko, il fait déporter 80 000 Juifs duterritoire annexé de haute Silésie orien-tale et 5 000 Juifs de Vienne. Murmel-stein est contraint d’accompagner lepremier wagon.Mais les nazis cherchent mieux etdétruisent toute trace du regroupement àNisko. Cet effacement des traces seraune des conditions centrales de la réali-sation du crime de masse qui se préparecar la négation du crime fera partie duplan d’anéantissement, la Solution fi-nale, décidée en 1942.Murmelstein témoigne aussi de la sur-estimation du rôle des Conseils juifsdans la Solution finale car la terriblemachine avançait, avec ou sans eux.L’Europe comptait environ un millier deJüdenrate formés de douze membrespar conseil. Les notables juifs avaientappris par des siècles de persécutions etde pogroms, la collaboration techniqueou administrative pour tenter de sauver« l'essentiel », sachant qu’après toutetempête, venait l’accalmie, mais ilsn’imaginaient pas que, cette fois, l’en-nemi nazi avait décidé de les détruire,tous, jusqu'au dernier. Certains firent duzèle : comme le "dictateur Rumkovski"à Lodz. D’autres Conseils juifs résis-tèrent comme à Minsk et Bialystok oùils agirent de concert avec la Résistance.Murmelstein insiste sur le rôle de bouf-fon ou de marionnette que les nazis en-tendaient leur faire jouer, c’est pourquoiil décida, à la manière de Sancho Pança,mais avec plus d’intelligence, d’agiravec réalisme pour tenter d’améliorer lavie quotidienne. Il précise qu’il se refusatoujours à établir des listes pensant que« si les nazis veulent déporter, c’est àeux de choisir qui ».En vérité, il témoigne de ce que denombreux doyens furent placés entre lemarteau et l’enclume, dans une impassetragique et que la marge de manœuvre,pour sauver des vies, fut toujours trèsétroite. ■

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Un jour de novembre déjà !

L e 5 novembre 1923 à Berlin.Comme chaque matin, denombreux chômeurs font la

queue devant un bureau du chômagepour y percevoir une maigre indemni-té. Mille neuf cent vingt-trois reste-ra dans l’histoire allemande sous lenom d’« année inhumaine ». C’est uneannée de crise économique et poli-tique. Une miche de pain coûte centquarante milliards de marks. Auxquatre coins du pays, des révoltes de lafaim éclatent, qui se caractérisent parle pillage de boutiques d’alimentation.Mais à Berlin, ces débordementsprennent un tout autre caractère, celuide l’antisémitisme. Des agitateursd’extrême droite, qui distribuent desprospectus et distillent leur venin, sontvenus noyauter la foule des chômeurs.À onze heures et demie, le bureauferme faute d’argent à distribuer. C’estalors qu’exploitant le mécontentementdes gens ces agitateurs lancent la ru-meur que, près de là, un chômeur a ététrompé par un commerçant juif. Aus-sitôt la foule se met en route aux crisde Mort aux Juifs ! Dans le quartierdes Granges, près de l’Alexanderplatz,vivaient en nombre des juifs récem-ment venus de Pologne, de Russie, fa-cilement reconnaissables à leurhabillement, leur langue et leurs pra-tiques religieuses. Des proies faciles.En plein jour, la meute qui a grossi at-taque, pille, extrait hommes, femmeset enfants de leurs logis, de leursboutiques, bâtonne tout juif rencontréou toute personne au physique qui luiest suspect. Un journal juif dénombre-ra plusieurs milliers d’agresseurs. Lapolice laisse faire ou même punit lesagressés. Spontanément, une vingtainede membres de la Ligue des soldatsjuifs du front, plusieurs fois médaillés,constituent une « milice » armée degourdins et de pistolets afin de proté-ger des juifs orthodoxes. Ils sont aus-sitôt arrêtés et, dans la cour de lacaserne de l’AlexanderStrasse, mo-lestés par quelques deux cents schupos(policiers allemands).

Quinze ans plus tard : novembre1938. Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoiren 1933, les nazis ont multiplié à l’en-vi les mesures discriminatoires contreles juifs. Dans un premier temps, la loide protection du sang et de l’honneurallemands et la loi sur la citoyennetédu Reich, objets de deux décrets d’ap-plication datés du 14 novembre 1935.Dans un deuxième temps, début 1942 :la décision de la « Solution finale »prise lors de la Conférence de Wann-see.

Mais avant novembre 1938 il y ajuin : le 10, Joseph Goebbels pro-nonce un discours devant plus de troiscents fonctionnaires de la municipalitéberlinoise : « Le mot d’ordre n’est pasla loi mais la brimade. Les juifsdoivent quitter Berlin ». Et il ajoute :« La police va m’y aider ». Commesur commande, les vitrines de nom-breux magasins et boutiques tenus pardes juifs sont maculées : « Crève, Ju-da ! », « Saloperie de juif! », « Direc-tion Jérusalem ! ».Un avocat qui, durant l’été, devracomme tous les autres avocats etmédecins juifs fermer son cabinet, no-tera : « Dehors des enfants barbouil-lent les portes et fenêtres des magasinsjuifs ». Quelques jours plus tard, le bri-gadier de la police du quartier viendraexiger que les victimes nettoient elles-mêmes leurs devantures et leursplaques professionnelles. L’avocat no-tera encore : « Long entretien avec lefonctionnaire », et commentera : « Lesjuifs nettoient ce que d’autres ont bar-bouillé. »Avec le recul, le pogrome de juin 1938apparaît comme un exercice d’entraî-nement, un préambule à la Nuit decristal* soigneusement mise en scènepar les nazis comme étant une « érup-tion de colère populaire » à la suite,début novembre, de l’homicide perpé-tré par un jeune juif allemand, Her-schel Grynszpan, sur la personne duconseiller d’ambassade Ernst Von Rathà l’ambassade allemande de Paris.Dans toute l’Allemagne, des milliersde boutiques et appartements sont sac-cagés, plus de deux cent soixante-dixsynagogues sont incendiées oudétruites, au moins quatre-vingt-dixjuifs assassinés, vingt mille sont arrê-tés et envoyés en camp de concentra-tion en « expiation » du meurtrecommis par Herschel Grynszpan.Depuis juin, l’exode des juifs alle-mands commencé en 1933, auquels’est ajouté celui des juifs autrichiensaprès l’annexion de l’Autriche, s’ag-grave, ce qui amène les puissancesoccidentales à discuter de leur accueil.Mais la conférence d’Évian de juilletne donnera aucun résultat : aucun gou-vernement n’acceptera d’ouvrir sesfrontières aux réfugiés.On le sait, le travail de mémoire col-lective est certes long à mettre enplace, mais l’observateur doit constaterau vu du nombre d’initiatives et mani-festations destinées à faire connaîtrecette période de l’histoire allemande etberlinoise, qu’à Berlin, aujourd’hui, cetravail s’effectue.J’avais évoqué dans ces colonnes lesStolpersteine**, les pavés du souvenir,de l’artiste berlinois Günter Demnig.

Cette action se poursuit (presque) ruepar rue : des groupements de riverainsrecueillent des renseignements sur lesvictimes du nazisme et posent solen-nellement devant leurs immeubles cespavés en laiton gravés, tels celui-cinon loin de mon domicile berlinois deCharlottenburg :

Ici a habitéMartha Aronnée Seligman

1864déportée le 15.12.1942

Theresienstadtassassinée le 19.12.1942

Je connais un homme qui, chaque lun-di, un chiffon et une bouteille de «Mirror » à la main, astique les pavésdu souvenir de ma rue. Pour effectuerces recherches, on fouille dans lesarchives nazies, telles celles que l’onpeut voir exposées non loin de là, à lavilla Oppenheim. On y voit notam-ment des documents cadastraux minu-tieusement établis : en rouge lesimmeubles où habitaient des Juifs.

Berlin s’est donné pour thèmeculturel de l’année : « 2013 – Multi-plicité détruite ». Avenue Unter denLinden, près de l’Île des musées, descolonnes Morris ont été dressées rap-pelant chacune la mémoire d’une vic-time juive célèbre. Ce thème reprisdans différents lieux évoque lesouvenir de familles juives qui ontmarqué l’histoire de Berlin. Parexemple, une exposition du palaisEphraïm, « Centre pillé. Aryanisationde la propriété foncière dans le cœurde Berlin 1933-1945 », raconte com-ment de riches familles juives ducentre de Berlin ont été spoliées deleurs biens, immeubles, grands maga-sins. Ici, les nazis avaient mis en placeune institution chargée de confisquerces biens et de les transférer à l’État.Ce même lieu consacre une autre ex-position à l’artiste britannique Barbara

Loftus, petite-fille de Juifs spoliés, la-quelle a peint avec un réalisme saisis-sant les scènes reconstituées de laréquisition des meubles et objets d’artchez ses grands-parents.

Le pogrome de juin 1938 resteraitpratiquement inconnu si trois histo-riens, dont le directeur du CentrumJudaicum, n’avaient exhumé, présentédans ce lieu culturel et publié les cli-chés de deux photographes del’époque. Ces photos sont intéres-santes tant sur le plan documentaireque parce que l’on constate à l’examenque certaines ont servi pour illustrerles pogromes de novembre 1938 : orles gens sont en vêtements deprintemps, les arbres et les buissonsportent toutes leurs feuilles !

Enfin, sous le titre : « Rester ?!Des Juifs dans Berlin libéré », cemême Centre judaïque consacre uneexposition aux huit mille juifs berli-nois libérés en mai 1945 et aux dixmille « displaced persons » juives quiles rejoignirent.

Photos, documents et objets person-nels sont ainsi montrés, qui illustrentune survie et une renaissance, maissurtout on y lit les diverses entreprisesvenues de l’extérieur pour qu’aucunjuifne restât à Berlin et enAllemagne.Certains partirent effectivement enPalestine ou aux États-Unis, mais lamajorité resta et participa à laconstruction des deux États allemandsqui allaient naître en 1949. Au-jourd’hui, avec l’arrivée récente dejuifs de Russie et d’Israël, la commu-nauté juive renouvelée compte plus dedouze mille membres. ■

* La « Nuit de cristal » est le nom donné parles nazis à leur opération. Des historiens ap-pellent aujourd’hui cette vague d’exaction plusjustement : « Pogrome de novembre 1938 ».

** in la Presse Nouvelle Magazine, n° 285,avril 2011 , page 10.

Histoire

Berlin se souvient des pogromesde novembre 1923 et de novembre 1938

par François Mathieu