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L a France est plongée dans une crise qui se caractérise par une régression indus- trielle entraînant des fermetures d’en- treprises, des licenciements, la montée du chômage (3,3 millions de chômeurs soit 11% de la population active) et la baisse du pouvoir d’achat tandis que la spéculation financière reprend de plus belle. Les chômeurs n’ont d’autres ressources, au mieux, que le RSA soit 499,31 € par mois. Les salariés qui ont un emploi connaissent une grave dégradation de leurs conditions de travail et vivent dans la hantise de le perdre. En même temps, tandis que, de 1979 à 2010, la part des bénéfices ver- sée aux actionnaires sous forme de dividendes est passée de 10 à 30 %, la part des salaires dans les richesses produites de 1982 à 2009 a diminué de 75 à 65 %. L’action gouvernementale consiste à attribuer des cadeaux fiscaux et des dégrèvements de cotisations sociales aux entreprises tout en décidant de réduire de 50 milliards les dépen- ses publiques et à dérouler le tapis rouge devant le patronat international alors que le MEDEF refuse toute contrepartie en matière de créations d’emplois. Cependant les multi- nationales échappent à l’impôt par la création de sociétés-écrans permettant de localiser leurs bénéfices dans des paradis fiscaux. Tout ceci, loin de résoudre la crise ne fait que l’ag- graver encore. Certains économistes envisa- gent d’ailleurs le pire : l’entrée de l’économie française dans un processus déflationniste. En matière de politique étrangère, le gouverne- ment français s’aligne sur la politique des USA – comme l’a montré le récent voyage du chef de l’État aux USA – et se livre à des aventures militaires en Afrique. Cependant, il reste inac- tif quant à la solution du conflit israélo-palesti- nien, tellement néfaste aux deux peuples. Dans ces conditions deux voies sont autant d’impasses : la première consiste, pour l’extrê- me droite, à s’enhardir jusque dans des défilés de rue utilisant les slogans les plus réactionnai- res et antisémites, que l’on ne croyait plus pen- sable d’entendre. Ceci est à mettre en regard avec la montée de l’extrême droite dans l’ensemble de l’Europe comme le montre le vote suisse qui interdit la libre circulation de la main-d’œuvre et fixe des quotas pour l’immigration des travailleurs européens. Ces menées appellent, pour s’y opposer, une mobilisation résolue de tous ceux qui, attachés aux valeurs démocratiques, condamnent à la fois la régression sociale et tous les racismes. La seconde, fruit du découragement créé par la politique gouvernementale, consiste à se réfugier dans l’abstention, comme l’indique un récent sondage montrant que 35 % des électeurs (41 % parmi les électeurs de gauche) envisagent l’abstention. Cet abandon de la possibilité pour les citoyens de s’exprimer laisse le champ libre à la politique d’austérité. Les élections municipales, bientôt suivies par les européennes, doivent être l’occasion, pour tous les citoyens, de faire entendre leurs voix. Nous ne doutons pas qu’elles permettront, tout en tenant compte des données relatives à la gestion locale, à tous les démocrates et, notamment, à nos lecteurs, de manifester leur volonté de s’opposer aux menées fascisantes, de sortir notre pays de la crise, de protéger et développer les libertés démocratiques. Non ! Toutes les politiques ne se valent pas : seule une politique de gauche réellement ancrée à gauche peut assurer l’avenir des tra- vailleurs et de la France. Jacques Lewkowicz 19 février 2014 Crise : Une seule voie de sortie, par la Gauche ! « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde » Bertolt Brecht Le fruit du capitalisme, de sa doctrine libérale, fondement de l’Union Européenne et de sa crise est une immense frustration dévoyée par l’extrême droite qui se rassemble, sévit et prend l’étranger et plus généralement l’autre, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, comme bouc émissaire. Il est temps que le pouvoir prenne les mesures permettant de sortir de la crise à l’inverse de sa politique actuelle. C’est cela qui permettrait d’empêcher l’ex- trême droite de développer cette haine raciste, antisémite et xéno- phobe qui s’exprime désormais au grand jour. Il est temps de nous mobiliser, de protester et de lutter. Il faut combattre ces attitudes de haine envers l’autre qui nous donnent la nau- sée. Ces attitudes nous les connaissons bien : elles ont conduit aux pires excès et catastrophes. N’attendons pas qu’il soit trop tard pour construire un monde de justice et de fraternité. (lire sur l'antisémitisme en France en pp. 2 et 6) HOMMAGE Cavanna NM p. 2 MONDE Ukraine : un « 6 février 34 » réussi ? B. Frederick p.3 Israël redoute l’isolement D. Vidal p.3 HISTOIRE / MÉMOIRE « L’oiseau n’a pas d’ailes » B. Courraud p.6 Première pierre symbolique du musée virtuel du 14 rue de Paradis MRJ-MOI p.8 Pourim PNM p.4 Cycle ‘La Naïe Presse a 80 ans’ L’ UJRE tient sa 2 e Conférence nationale NP p.6 SOCIÉTÉ La vie humaine n’est plus rentable… M. Cohen p.7 8 mars – Journée de la femme La condition de la femme N. Mokobodzki p.4 Où sont les femmes dans l’art et la culture S. Endewelt p.4 21 mars – Journée contre le racisme Antisémitisme en France A. Szmulewicz p.6 Non au racisme et à l’antisémitisme en France (communiqué) UEVACJ-EA p.2 CULTURE - LITTÉRATURE Amos Gitaï architecte de la mémoire L. Laufer p.7 Entretien avec Lola Lafon P. Kamenka p.5 Quand Jean-Paul Sartre prend Kafka en exemple G.-G. Lemaire p.8 Inacceptable ! Luttons contre tout racisme ! ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E. PNM n° 314 - Mars 2014 - 32 e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 5,50 e La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Moyen–Orient basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État. Paris, 26/01/2014 – « Jour de colère »

La Presse Nouvelle Magazine numero 314 Mars 2014

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Page 1: La Presse Nouvelle Magazine numero 314 Mars 2014

La France est plongée dans une crise quise caractérise par une régression indus-trielle entraînant des fermetures d’en-

treprises, des licenciements, la montée duchômage (3,3 millions de chômeurs soit 11%de la population active) et la baisse du pouvoird’achat tandis que la spéculation financièrereprend de plus belle. Les chômeurs n’ontd’autres ressources, au mieux, que le RSA soit499,31 € par mois. Les salariés qui ont unemploi connaissent une grave dégradation deleurs conditions de travail et vivent dans lahantise de le perdre. En même temps, tandisque, de 1979 à 2010, la part des bénéfices ver-sée aux actionnaires sous forme de dividendesest passée de 10 à 30 %, la part des salairesdans les richesses produites de 1982 à 2009 adiminué de 75 à 65 %.

L’action gouvernementale consiste à attribuerdes cadeaux fiscaux et des dégrèvements decotisations sociales aux entreprises tout endécidant de réduire de 50 milliards les dépen-ses publiques et à dérouler le tapis rougedevant le patronat international alors que leMEDEF refuse toute contrepartie en matièrede créations d’emplois. Cependant les multi-nationales échappent à l’impôt par la création

de sociétés-écrans permettant de localiserleurs bénéfices dans des paradis fiscaux. Toutceci, loin de résoudre la crise ne fait que l’ag-graver encore. Certains économistes envisa-gent d’ailleurs le pire : l’entrée de l’économiefrançaise dans un processus déflationniste. En matière de politique étrangère, le gouverne-ment français s’aligne sur la politique des USA– comme l’a montré le récent voyage du chefde l’État aux USA – et se livre à des aventuresmilitaires en Afrique. Cependant, il reste inac-tif quant à la solution du conflit israélo-palesti-nien, tellement néfaste aux deux peuples.Dans ces conditions deux voies sont autantd’impasses : la première consiste, pour l’extrê-me droite, à s’enhardir jusque dans des défilésde rue utilisant les slogans les plus réactionnai-res et antisémites, que l’on ne croyait plus pen-sable d’entendre.Ceci est à mettre en regard avec la montée del’extrême droite dans l’ensemble de l’Europecomme le montre le vote suisse qui interdit lalibre circulation de la main-d’œuvre et fixe desquotas pour l’immigration des travailleurseuropéens. Ces menées appellent, pour s’yopposer, une mobilisation résolue de tous ceuxqui, attachés aux valeurs démocratiques,

condamnent à la fois la régression sociale ettous les racismes.La seconde, fruit du découragement créé parla politique gouvernementale, consiste à seréfugier dans l’abstention, comme l’indiqueun récent sondage montrant que 35 % desélecteurs (41 % parmi les électeurs de gauche)envisagent l’abstention. Cet abandon de lapossibilité pour les citoyens de s’exprimerlaisse le champ libre à la politique d’austérité. Les élections municipales, bientôt suivies parles européennes, doivent être l’occasion, pourtous les citoyens, de faire entendre leurs voix.Nous ne doutons pas qu’elles permettront,tout en tenant compte des données relatives àla gestion locale, à tous les démocrates et,notamment, à nos lecteurs, de manifester leurvolonté de s’opposer aux menées fascisantes,de sortir notre pays de la crise, de protéger etdévelopper les libertés démocratiques. Non ! Toutes les politiques ne se valent pas :seule une politique de gauche réellementancrée à gauche peut assurer l’avenir des tra-vailleurs et de la France. ■

Jacques Lewkowicz19 février 2014

Crise : Une seule voie de sortie, par la Gauche !

« Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde » Bertolt Brecht

Le fruit du capitalisme, de sa doctrine libérale, fondement de l’Union Européenne et de sa crise estune immense frustration dévoyée par l’extrême droite qui se rassemble, sévit et prend l’étranger etplus généralement l’autre, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, comme bouc émissaire.

Il est temps que le pouvoirprenne les mesures permettantde sortir de la crise à l’inverse desa politique actuelle. C’est celaqui permettrait d’empêcher l’ex-trême droite de développer cettehaine raciste, antisémite et xéno-phobe qui s’exprime désormaisau grand jour.

Il est temps de nous mobiliser, deprotester et de lutter. Il faut combattre ces attitudes de haine envers l’autre qui nous donnent la nau-sée. Ces attitudes nous les connaissons bien : elles ont conduit aux pires excès et catastrophes.

N’attendons pas qu’il soit trop tard pour construire un monde de justice et de fraternité. ■(lire sur l'antisémitisme en France en pp. 2 et 6)

HOMMAGECavanna NM p. 2

MONDEUkraine : un « 6 février 34 » réussi ? B. Frederick p.3Israël redoute l’isolement D. Vidal p.3

HISTOIRE / MÉMOIRE« L’oiseau n’a pas d’ailes » B. Courraud p.6Première pierre symbolique dumusée virtuel du 14 rue de Paradis MRJ-MOI p.8Pourim PNM p.4Cycle ‘La Naïe Presse a 80 ans’ L’ UJRE tient sa 2e Conférence nationale NP p.6

SOCIÉTÉLa vie humaine n’est plus rentable… M. Cohen p.78 mars – Journée de la femmeLa condition de la femme N. Mokobodzki p.4Où sont les femmes dans l’art et la culture S. Endewelt p.421 mars – Journée contre le racismeAntisémitisme en France A. Szmulewicz p.6Non au racisme et à l’antisémitismeen France (communiqué) UEVACJ-EA p.2

CULTURE - LITTÉRATUREAmos Gitaï architecte de la mémoire L. Laufer p.7Entretien avec Lola Lafon P. Kamenka p.5Quand Jean-Paul Sartre prend Kafka en exemple G.-G. Lemaire p.8

Inacceptable ! Luttons contre tout racisme !

ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E.PNM n° 314 - Mars 2014 - 32e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 5,50 e

La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Moyen–Orient basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

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2 PNM n°314 - Mars 2014

LA PRESSE NOUVELLE

Magazine Progressiste Juiffondé en 1934

Editions :1934-1993 : quotidienne en yiddish, Naïe Presse

(clandestine de 1940 à 1944)1965-1982: hebdomadaire en français, PNHdepuis 1982 : mensuelle en français, PNM

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Journaliste franco-israélien né à Nice en 1943, de parentsoriginaires de l'ex-Autriche-Hongrie, Marius Schattner

immigre en Israël en 1968. Après avoir travaillé à Libération et ététrente ans correspondant de l’AFP à Jérusalem, il a notammentécrit une Histoire de la droite israélienne (Complexe, 1991) et publié des arti-cles dans la revue Esprit et dans Le Monde diplomatique. La rédaction de laPNM a eu le plaisir de le rencontrer autour d’un déjeuner-débat fin février etest heureuse d’annoncer que l’UJRE organisera fin avril une rencontre-débat autour de son dernier ouvrage : La guerre du Kippour n’aura paslieu - Comment Israël s'est fait surprendre (André Versaille, 2013). ■

Le 6 février 2014s’est tenue à la

Mairie du Xe arron-dissement de Parisune conférence-débat à l’initiativede l’UJRE, dans le cadre des activitésdu RAJEL (Réseau des AssociationsJuives Européennes Laïques), sur lethème de « La laïcité, aujourd’hui ».

Après un court historique brossé par J.-M. Cadiot, journaliste à l’AFP, JeanBeauberot, Directeur d’Etudes àl’EHESS* a montré de quelle façon laloi de 1905 avait pu être adoptée en seconstruisant contre deux obstacles : latotale mainmise de l’Église catholique,d’une part, et la volonté d’une totaleéradication de celle-ci, d’autre part. Lecompromis auquel elle a donné lieurespecte tout autant la liberté des cultesque la neutralité et l’indépendance del’État à l’égard de ceux-ci. JeanBeauberot eut cette brillante formule : « La laïcité a gagné la guerre en per-dant des batailles ».

Pierre Saly, historien à la Sorbonne, aquant à lui cherché à montrer de quellefaçon il était possible de rendre compa-tible, sans rien changer aux textes envigueur, la laïcité avec le culte musul-man. Si les idées ainsi développées ontpu paraître à certains discutables, elleseurent le mérite d’ouvrir le débat.

Aliette Geistdorfer, ethnologue auCNRS, prenant la parole au nom del’Union Rationaliste, montra de quellefaçon la laïcité se devait d’être penséecomme le prolongement naturel enmême temps que la pointe avancée durationalisme. Pour elle, la laïcité est lagarante de la présence possible del’esprit critique dans la recherche etdans l’éducation.

Claude Pfeffer : « … Mon grand-père,Israël Pfeffer, membre actif de votreorganisation pendant la SecondeGuerre Mondiale, faisait, entre autresactivités, passer des enfants juifs enSuisse, où ils étaient recueillis par laCroix-Rouge et placés dans desfamilles. Il a été fusillé à Lyon.Pourriez-vous me dire s'il existe unetrace de son existence dans vos archiveset s'il existe un moyen d'y accéder ? ».

Robert Pfeffer : « Mon père, IsraëlPfeffer serait né le 31 août 1899 àChorostkov en Galicie, (…) actuelle-ment Ukraine. Il résidait à Paris, dansle 20e, depuis les années vingt, puis dansle 18e dans les années trente. En 1942,nous avons franchi en fraude la ligne dedémarcation, puis avons vécu à Lyon.Mes parents ont été arrêtés le 17 août 1944 dans le petit escalier don-nant accès à la place située en haut dela montée Saint-Sébastien, à Lyon.Selon ce qui m’a été rapporté, il auraitété employé, avec d’autres détenus,toute la journée du 18 août, à désamor-cer des bombes à retardement larguéespar les Anglais. Le soir, ils ont été assas-sinés à la mitrailleuse et ensevelis dansun trou de bombe. »

Merci à nos lecteurs qui pourraientfournir des renseignements complé-mentaires sur la mort d’Israël Pfefferou sur ses activités de son vivant d’é-crire au journal qui transmettra (cour-rier ou courriel : : [email protected]). ■

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Cavanna n’est plus. Il nous laisse le souvenir d’un homme rieur,avant tout tendre et fraternel. Avant CharlieHebdo, il avait créé en 1960 un journal sati-rique Hara-kiri, journal bête et méchant, jugé« dangereux pour la jeunesse » ( !) qui feraconnaître, entre autres, Choron, Topor, Gébé,Cabu, Reiser, Wolinski. Bête et méchant,

Cavanna ne le fut jamais. Il était incapable de haine. Ce qu’il détes-tait et combattit, c’est la bêtise : le travail ne manquait pas. Nousrelirons avec plaisir Les Ritals, et Pierre Desproges le qualifiera de« Rabelais moderne », puis les Russkofs. Il argumenta efficacementcontre le volumineux projet de Constitution de l’UnionEuropéenne : « Vous cassez pas la tête, les gars. Ceux qui vous pro-posent ça, c’est ceux qui nous ont amenés là où nous en sommes ».Il lutta contre le fléau mondial de la drogue qui avait tué sa petite-fille. Il s’est courageusement battu contre la maladie de Parkinson.En témoigne Lune de miel, paru en 2010. Adieu, le Rital ! T’avaisbeau être un immigré, on t’aimait bien ! ■

HommageCarnet Avis de recherche

Vie des associations

En 1939, au déclenchement de laSeconde Guerre Mondiale, 83 000

étrangers, dont 30% de juifs, résidantsur le sol français s’engagèrent volon-tairement pour la France. Près de vingt-cinq mille d'entre eux, en effet, étaientdes juifs étrangers qui se précipitèrentpour défendre leur patrie d’adoption.Beaucoup moururent au combat surtous les champs de batailles, les survi-vants furent emmenés en Allemagnedans les stalags et d’autres continuèrent

le combat dans les rangs de la FranceLibre et de la Résistance. Ils se sontbattus au risque de leurs vies pourdéfendre les valeurs sacrées de laRépublique Française.Après la victoire et la découverte de l’am-pleur des charniers et de l’horreur qu’a-vaient engendrés le nazisme et ses idéesracistes et antisémites, et avec l’éducationet l’enseignement républicain de laMémoire, on pouvait croire révolu letemps des haines racistes et antisémites.Dans la France d'aujourd'hui, hélas, onentend publiquement proférer des insul-tes contre une ministre de la Républiqueen raison de sa couleur de peau. Et l’an-tisémitisme se décline non seulementdans tous les milieux, parfois même àl’insu de ceux qui l’expriment en pro-testant de leur bonne foi, mais il se scan-de ouvertement lors de manifestationsde rue ! On peut donc légitimement se

poser la question : la France n'est-ellepas effectivement en train de glissersournoisement vers l’antisémitisme ?Nous, l’Union des Anciens Combat-tants Engagés Volontaires Juifs, noussommes les enfants et les amis de cesjuifs qui se sont levés, quittant travail etfamille pour que la République ne soitplus souillée par cette infamie, alors qued’autres se complaisaient dans la fange del’ennemi nazi et du fascisme, les ennemisde la liberté et de la démocratie. Leurssuccesseurs voudraient aujourd’huireprendre à leur compte le flambeau de lahaine, de toutes les haines. Avec force, il faut se lever et s’y oppo-ser et, comme ont su le faire nos pères,il faut dire NON ! ■

Le bureau de l'Union des EngagésVolontaires, Anciens combattants

juifs, leurs Enfants et Amis UEVACJEA 17/02/14

Non au racisme et à l’antisémitisme en France

C’est précisément sur ce rôle crucial del’Éducation, en particulier Nationale,qu’a particulièrement insisté le dernierintervenant, Pierre Bondeelle, représen-tant la Ligue des Droits de l’Homme.Puis la parole a été donnée à la sallepour un trop bref mais intéressant dialo-gue avec la Tribune. ■ JL* Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Constitution

Article 1er La France est une Républiqueindivisible, laïque, démocratique et sociale.Elle assure l'égalité devant la loi de tousles citoyens sans distinction d'origine, derace ou de religion. Elle respecte toutesles croyances.

Article 2 La devise de la République est"Liberté, Égalité, Fraternité".

Nous sommes au regret d’annoncer le décès de

Rachel KOPCIAK née BIELASKAdécédée dans sa 103e année.

Sa famille****

Nous apprenons la mort de

Jacques KOTTqui fut l’un des fondateurs de l’Union de la Jeunesse Juivezone Sud et rédacteur en chef de sa revue Jeune Combat. Ilvenait de faire paraître un livre de souvenirs (Combattantsde l’ombre aux éditions Syllepse). Nous reviendrons sur sonparcours. L’UJRE et MRJ-MOI présentent toutes leurscondoléances à Aline sa femme, sa famille et ses proches.

Un Israélien à ParisLa laïcité, aujourd’hui

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Ukra ine : un « 6 f é vr i er 34 » réus s i ?par Bernard Frederick

ont fait autant. De même,l’Allemagne a cessé de financer lesentreprises high-tech israéliennesimpliquées dans la colonisation. EtBucarest a exigé que ses travailleursdu bâtiment ne soient pas employésdans les colonies. Le phénomènegagne même les États-Unis, où l’Étatde New York a aboli une loi interdi-sant le boycott.

« Une vaste majorité de l'opinionpublique européenne voit le boycottcomme un instrument de pression jus-tifié destiné à libérer les Palestiniens »,observe l'historien pacifiste ZeevSternhell. « Cette opinion est partagéepar des gens de l'ensemble du spectrepolitique, y compris ceux qui condam-nent l'antisémitisme et soutiennentIsraël de tout cœur. (…) Piétiner lesdroits des Palestiniens au nom de notredroit exclusif à ce pays (…) risque d'a-boutir à un ostracisme internationald'Israël, et si cela se produit, ce ne serapas de l'antisémitisme. » ■

Au moment où nous écrivonsces lignes*, nous ne savonsrien de l’évolution prochaine

de l’Ukraine. Les événements deCrimée, où russophones et Russes,majoritaires, refusent de reconnaître lepouvoir issu du coup d’État des 22 et23 février, feront-ils tache d’huile àl’Est du pays ? Que fera la coalition dedroite et d’extrême droite qui n’a pasattendu 24 heures pour prendre despremières mesures xénophobes enabrogeant la loi qui reconnaissait lerusse comme langue régionale là où ilétait parlé par au moins 10% de lapopulation ?

Ce qui est clair en revanche, c’est quele nouveau Premier ministre est l’hom-me des Américains. On en a une preu-ve formelle grâce à l’enregistrement àleur insu d’une conversation entrel’ambassadeur US à Kiev, Geoffrey R.Pyat, et Victoria Nuland, assistante deJohn Kerry pour l’Europe et l’Eurasie.C’est elle qui dirige les opérations dedéstabilisation de l’Ukraine. Dans cetteconversation, elle choisit ArseniIatseniouk, un proche de YuliaTimochenko, pour prendre en main unnouveau gouvernement (à l’époque leprésident Ianoukovitch est toujours enplace !) plutôt que Vitali Klitschko, leprotégé de Merkel qui lui a payé sonparti, UDAR, fondé à Berlin par laCDU en 2010. Tant pis pour l’UE et laChancelière : « Je pense Yats[Iatseniouk] c’est le gars », ditl’Américaine qui ajoute dans un langagedes plus diplomatiques « Fuck EU ! »…

Le résultat est donc là : tandis que lesministres des Affaires étrangères alle-mands, polonais – deux vieux « par-rains » du pays – et français – qu’est ceque Fabius faisait là ! – arrachaient un« accord » entre l’opposition et le pré-sident, dans leur dos, mais avec leurconcours finalement, les députés desfractions de droite et fascistes, desti-tuaient le président démocratiquementélu en 2010, s’emparaient de tous lespostes, dans une Rada (parlement)encerclée par les nervis des groupesnationalistes, pour la plupart venus deGalicie, et portant les drapeaux et insi-gnes de l’OUN et l’UVO, l’organisa-tion nationaliste ukrainienne et son « armée », formées dans les annéestrente par les SA. Certes c’est vieux,mais tous les témoins ont pu entendreet voir combien il y a de continuitéidéologique entre le parti Svoboda(Liberté), anciennement Parti nationalsocialiste ukrainien (sic), dirigé parOleg Tianybok : mêmes mots d’ordre,mêmes harangues anti Moskalii (insulte

destinée au Russes) et, bien entendu,même haine vis-à-vis des Jidvii. Pasbesoin de traduire. Comment pourrait-on oublier les centaines de milliers deJuifs massacrés par ces « démocrates »durant l’été 1941 et les 60 000 Polonaisde Volhynie tombés sous les coups desnationalistes en 1942 ? Comment ? Ilfaudrait sans doute le demander à…Laurent Fabius.

Toute l’Europe et les Américainssavent tout ça. Tous ont pu entendre lesappels angoissés des communautés jui-ves d’Ukraine occidentale, où, avantmême le coup d’État, les néonazis deSvoboda avaient pris le contrôle desprincipales villes de Galicie (Lviv), deVolhynie, de Podolie et même deBucovine et y avaient aussitôt interditle parti communiste et le parti desRégions, de Ianoukovitch.

Mais si la crise ukrainienne alimente lesappétits, elle trouve sa, ou plutôt sessources tout autant dans la crise écono-mique et sociale qui frappe l’Ukraineplus que tout autre État de l’ex « bloc »soviétique, que dans son histoire où lesnationalismes jouent un rôle essentiel,avec leur corollaire : un antisémitismegénéral, farouche et barbare.

Riche en charbon et en minerais, l’estdu pays a très tôt été industrialisé et aconnu un rapide développement aprèsla Révolution d’Octobre. Le bassin du

Donbass, l’un des géants économiquessous l’ère soviétique, est aujourd’huien état de décomposition avancée :plusieurs mines ont fermé ; des usines– notamment dans l’armement – ontété liquidées. Chômage, pauvreté, pré-carité, insécurité : les habitants del’Ukraine orientale font la connaissan-ce du cortège de cette « économie demarché » attendue comme la mannecéleste.

Le sort de l’Ukraine occidentale n’estguère plus réjouissant, non plus quecelui de Kiev, la capitale. Dévaluationde la monnaie, inflation galopante,baisse des salaires : l’Ukraine n’a tenujusqu’ici que grâce aux aides deMoscou et à la persistance de relationsindustrielles et commerciales avec lesanciennes Républiques de l’U.R.S.S.

Dans ces conditions, on n’en est pasmoins en faveur d’un accord avecl’UE, à l’Est comme à l’Ouest. Maistout dépend de la nature ou du contenude l’accord. Celui que Bruxelles pro-pose est tel que dans un appel adresséà Bruxelles et à Washington, 28 élus etresponsables d’associations ukrainien-nes en dénoncent les conséquences. Lamise en œuvre de l’Accord d’associa-tion avec l’UE, indiquent ses signatai-res, « aurait conduit indiscutablement àla destruction de l’économie du pays, deson industrie, de son agriculture, de sesservices et de son secteur scientifique

(…) ; le mécanisme de convergencepolitique qui y est incorporé aurait éli-miné également la souveraineté poli-tique du pays, conduisant l’Ukraine àrejoindre la Politique étrangère et desécurité commune (PESC). Ce projetanti-russe, qui prévoit d’expulser de lamer Noire la flotte de la Fédérationrusse basée à Sébastopol et en Crimée,entraînerait l’Ukraine dans le blocmilitaire de l’OTAN ».Pressés de séparer l’Ukraine de laRussie et de briser des relations culturel-les, économiques et politiques séculai-res, les Occidentaux, une fois de plus,viennent de créer les conditions d’unimmense chaos et peut-être, hélas !d’une guerre civile. Les guerres deYougoslavie n’avaient-elles pas suffi-samment instruit ?

Au fond, ce qui s’est passé à Kiev, c’estune manière de « 6 février 1934 » quiaurait réussi. On se serait passé du faitqu’un ministre des Affaires étrangèresde la France y prête son concours. ■

* 28 février à 13 heures

les Palestiniens « profiterait à tous ».

Toute cette agitation n’a évidemmentpas pour seule cause les succès rem-portés par le mouvement internatio-nal Boycott DésinvestissementSanctions (BDS) lancé en 2005 parles ONG palestiniennes. C’est désor-mais au niveau des institutions que sereflète la condamnation populairecroissante de la politique israélienne.Ainsi, depuis le 1er janvier, les « Lignes directrices » de l’Unioneuropéenne (UE) sont entrées envigueur : elles excluent les entrepri-ses israéliennes présentes dans lesTerritoires occupés du bénéfice del’accord d’association UE-Israël.

À cette démarche collective s’ajou-tent des initiatives nationales.Plusieurs fonds de pension – notam-ment en Norvège et aux Pays-Bas –ont d’ores et déjà sanctionné des fir-mes israéliennes implantées au-delàde la Ligne verte. De grandesbanques, comme la Danske Bank, en

Le boycott fut longtemps unsujet tabou en Israël. Il s’ytrouve désormais au cœur du

débat politique. Et de plus en plus devoix s’inquiètent de sa possible géné-ralisation, si le gouvernementNetanyahou devait prendre la respon-sabilité d’un échec des négociationsrelancées en juillet 2013 par le secré-taire d’État américain.

John Kerry lui-même a mis Tel-Aviven garde contre le risque d’une « campagne de délégitimation ». Leministre des finances, Yaïr Lapid, aestimé à 4,2 milliards d’euros et 10 000 emplois le coût de sanctionseuropéennes sur un an. La ministrede la Justice, Tzipi Livni, assure que« chaque construction dans les colo-nies ajoute une pierre de plus au murde notre isolement ». Plus de soixan-te grands patrons mènent une campa-gne d’affiches et d’annonces dans lesjournaux pour convaincre leurs com-patriotes qu’un accord de paix avec

Monde

I sraë l redoute l ’ i so l ementpar Dominique Vidal

Page 4: La Presse Nouvelle Magazine numero 314 Mars 2014

Depuis quelque temps, ce thèmedevient explosif (voir le mouve-ment tout à la fois « contesta-

taire » et contesté des fémens). A croireque tout bouge ! Pas nécessairementdans le bon sens, d’ailleurs. Nouvelleréconfortante : l’adoption de la nouvelleConsti-tution tunisienne : « Les citoyenset les citoyennes sont égaux en droits etdevoirs. Ils sont égaux devant la loi sansdiscrimination aucune.» En droit,serions-nous tentés de dire. Car conqué-rir des droits est affaire de luttes maisleur donner vie est aussi affaire de luttes.

Avancées ici, reculs ailleurs : desconquêtes réelles dans certains pays,mais les forces réactionnaires ne bais-sent pas la garde pour autant. Ainsi lesEspagnoles qui avaient conquis le droità l’avortement en 1985, l’égalité deschances en 1989, viennent-elles de des-cendre dans la rue pour protester contrela loi du gouvernement Rajoy (PartiPopulaire) qui n’autorise dorénavantl’IVG qu’en cas de viol ou si une ano-malie fœtale constitue un danger per-manent attesté par deux avis médicauxpour la santé physique ou psychique de

la mère. Les Françaises, accompagnéesde nombreux hommes qui considèrentqu’une grossesse concerne aussi legéniteur, leur ont manifesté leur solida-rité dans la rue.

Grâce à Rajoy, nombre d’Espagnolesdevront à nouveau avorter dans desconditions moyenâgeuses avec tous lesrisques que cela comporte. L’Espagnese rapproche du peloton de queue despays latino-américains.

Tableau nettement plus positif en Franceoù les femmes de moins de quarante ansn’ont connu que les droits ouverts en1975 par la loi Veil et élargis depuis.Pourtant, austérité oblige, les centresd’IVG sont de moins en moins nom-breux et démunis de moyens. Ce qui nechagrine pas les anti-IVG qui troquentles manifestations granguignolesquespour des démarches dissuasives, « infor-matives » : « Réfléchis bien, tu le regret-teras peut-être… » ou plus violentes,telle la manifestation du Collectif Diesirae dénonçant l’avortement avec entreautres slogans, « Plutôt un bébé à nousqu’un immigré d’ailleurs ».

Certains verraient d’un bon œil quel’on ne rembourse plus l’IVG aux fem-mes étrangères, voire qu’on ne la rem-bourse à personne…Vigilance, donc !Disons, paraphrasant Aragon : « Rienn’est jamais acquis à la femme » ; pasdavantage à l’homme, donc.

Quelle place, au demeurant, pour lafemme, dans la société française ? LaFrance est en retard sur les pays nor-diques, mais aussi, et cela se sait moins,sur des pays comme l’Afrique du Sudou le Rwanda qui décroche la médailled’or, devant la Suède, avec 64% de fem-mes au Parlement.

Mais la France vient de se doter d’uneloi pour l’égalité réelle entre les femmeset les hommes, aux objectifs ambitieuxpuisqu’elle devrait permettre de luttercontre les violences faites aux femmeset les atteintes à leur dignité, de préveniret lutter contre les stéréotypes sexistes,d’assurer aux femmes la maîtrise de leursexualité, notamment par l’accès à lacontraception et à l’interruption volon-taire de grossesse, de lutter pour la pari-té des femmes, de garantir l’égalité pro-fessionnelle et salariale et la mixité dansles métiers. Encore faut-il agir sur lesmentalités. Précisément, la loi vise aussià éclairer l’opinion sur la constructionsociale des rôles sexués. Du pain sur laplanche ! L’actualité nous montre etdémontre à quel point il est difficile defaire évoluer les mentalités.

4 PNM n°314 - Mars 2014

La condition de la femmepar Nicole Mokobodzki

Jour de liesse, de fête, deréjouissances. On agite des cré-

celles chaque fois qu’est pronon-cé le nom maudit d’Aman. Biendes siècles plus tard, les catho-liques agiteront à leur tour descrécelles dans les églises en mur-murant « Mort aux juifs ! ».Ministre d’Assuérus, Amanentendait tuer la totalité des exilésjuifs de Perse : Hitler eut en lui unprécurseur.

Heureusement la reine Estherentra en scène. Les juifs furentsauvés, Aman fut pendu.

Cette année, POURIM se fête le 14mars. Occasion de rappeler quel’UJRE soutient la démarche ducollectif qui demande à l'Unescod’inscrire la fête du Pourim Shpilsur la Liste du Patrimoine culturelimmatériel de l'humanité. Vous lepouvez aussi en écrivant au projet « Pourim Shpil Unesco » - c/oCentre Medem - 52 rue RenéBoulanger 75010 Paris ou en cli-quant sur ce formulaire de soutien :

POURIM

8 mars - Journée internationale de la femme

Question impertinente : que reste-t-ildes revendications les plus fondées,celle par exemple de la parité des salai-res, quand le droit du travail se réduitcomme peau de chagrin ? Appartient-ilaux femmes d’inventer ce « capitalismesans crises » dont certains rêvent ?

Deuxième question impertinente :décrétée par les Nations Unies, la jour-née de la femme a pour titre exact « Journée des Nations Unies pour lesdroits de la femme et la paix internatio-nale ». Quel rapport, direz-vous ?Vieille idée, fausse évidence : les fem-mes seraient, en raison notamment deleur vocation maternelle, mieux arméespour défendre la paix.

Appliquons-nous à inventer un « capi-talisme sans guerres » ou tout simple-ment une société sans guerres… Thèmeardu, parfois abordé par des chercheurstravaillant sur la culture de la paix,quelques-uns dans le cadre del’UNESCO dont l’Acte constitutif sti-pule que « Les guerres prenant naissan-ce dans l’esprit des hommes, c’est dansl’esprit des hommes que doivent êtreélevées les défenses de la paix ». Et, quece soit clair, elles doivent l’être aussidans l’esprit des femmes. ■

NDLR On dévorera le livre de Lola

Lafon, La petite communiste qui ne souriaitjamais (voir p. 5) ; on lira avec bonheur le

dernier roman de Gérard Mordillat, Xéniaaux Éd. Calmann-Lévy, 2014.

Face à un constat affligeant, 25théâtres et structures franciliennesparticipent à la Première SaisonEgalité Hommes/Femmes portéepar l’association H/F Île-de-Franceet soutenue par le ministère de laCulture et de la Communication.

Il aura fallu arriver à la deuxièmemoitié du XXe siècle pour voir semettre en place les droits des

femmes. Ceux-ci restent toujours fra-giles et appellent notre vigilance.Nous avons récemment vécu desretours en arrière en Espagne concer-nant le droit à l’avortement, et enFrance des forces occultes frappentle pavé. Les images ont encore la viedure.Rappelons quelques dates qui fontfrémir mais montrent aussi une évo-lution positive jusqu’à la première loien 2000 sur la parité en politique :1944 droit de vote et d’éligibilitépour les femmes ; 1946 suppressionde la notion de « salaire féminin » ;1965 les femmes mariées peuvent

exercer une profession sans l’autori-sation de leur mari ; 1970 l’autoritéparentale remplace la puissance pater-nelle ; 1975 loi Veil pour l’IVG ; 1980Marguerite Yourcenar est la 1ère femmeélue à l’Académie Française ; 1991Edith Cresson est la 1ère femmePremière ministre ; 1993 principe del’exercice conjoint de l’autoritéparentale à l’égard de tous lesenfants.*

Le XXIe siècle s’inscrit dans larecherche de la parité et de l’égalitéhommes/femmes.

Mais, en ce qui concerne la culture,que nous dit Reine Prat**, chargéede mission pour l’égalité et la mixi-té dans le spectacle vivant, dans sesrapports de 2006 et 2009 ?

Dans les Centres d’Art Dramatiqueles femmes créent 15% des specta-cles avec 8% des moyens de produc-tion. Elles ne sont que 5% à êtrecheffes d’orchestre, 15% à être écri-vaines, 22% metteuses en scène.Majoritaires dans les écoles, les

Où sont les femmes dans l’art et la culture ?par Simone Endewelt

comédiennes ne sont que 30% et lesmusiciennes 18% à travailler dans lesecteur public… 70% des compa-gnies dramatiques subventionnéespar le Ministère de la Culture sontdirigées par des hommes.Lors du lancement le 21 octobre 2013de la Saison 1 Egalité Hommes/Femmes en Île-de-France à la Maisondes Auteurs/SACD puis à l’Athénée-Théâtre Louis Jouvet, l’associationH/F Île-de-France a rappelé que lesfemmes sont plus diplômées maismoins bien payées et insérées que leshommes. Dans le secteur culturel, en2011 en France, 81,5% des postes dedirigeants de l’administration cultu-relle sont occupés par des hommes ;75% des théâtres nationaux (drama-tiques et lyriques) sont dirigés par deshommes ; 96% des théâtres lyriquessont dirigés par des hommes ainsi que100% des orchestres nationaux, 70%des centres chorégraphiques, 85%des centres dramatiques nationaux.En 2012, un seul CDN (sur 33) estdirigé par une femme (3 en 2005)***.

Suite en page 5

http://www.pourimshpilunesco.eu/formunesco3.php ■

Page 5: La Presse Nouvelle Magazine numero 314 Mars 2014

elle devient une femme. Ce n’est pasl’entraînement qui est dramatique. Lavraie question dans le roman est desavoir à qui elle obéit. Mais elle insistepour dire que c’est un contrat qu’ellepasse avec elle-même.

PNM : Nadia n’est-elle pas devenuepeu à peu une icône du régime fouqu’était la Roumanie de Ceausescu,notamment dans son opposition àl’URSS ?Lola Lafon : A partir du moment oùelle a gagné, comme la Roumanie étaitle seul pays socialiste à ne pas être ali-gné sur l’URSS, la puissance de vain-cre les Russes était énorme. Cela deve-nait en effet une arme. Cette techniquede l’école expérimentale (de la gym-nastique roumaine) devenait quelquechose d’extrêmement politique. Enmême temps, effectivement, NadiaComaneci est devenue un symbolemais comme tous les sportifs quigagnent. Quand l’équipe française defootball a gagné la coupe du monde en1998, sa victoire est devenue un événe-ment « politique ». C’est ce qu’observeNadia Comaneci : les sportifs quigagnent deviennent des emblèmes dupouvoir, à l’Est comme à l’Ouest, de lamême façon.

PNM : Peut-on dire, comme vous le lais-sez entendre, qu’après sa fuite aux États-Unis, Nadia a été en fin de compte aussimal traitée à l’Ouest qu’à l’Est ?Lola Lafon : Oui bien sûr. Elle dit elle-

même que lorsqu’elle arrive aux États-Unis, elle est suivie par les caméras làoù avant elle était suivie par laSecuritate. S’agissant du contrôle sur lecorps des femmes, pour moi commu-nisme ou libéralisme, c’est la peste oule choléra. Finalement, ils s’emparentd’elle de la même façon. D’ailleurs, lesAméricains vont reproduire les mêmestechniques d’entraînement sans aucunétat d’âme quand Bela* arrive auxÉtats-Unis.

PNM : Vous mêlez le récit réel de la viede la gymnaste à une correspondancefictive avec elle, que vous n’avez jamaisrencontrée. Dans quel but ?

Lola Lafon : C’est un roman, c’est-à-dire un espace où tout est possible.C’est intéressant de voir le romanesquepar rapport au réel, car il n’y a pas devérité dans le roman. En effet, la narra-trice doit écrire une biographie et elleva être confrontée à beaucoup de ver-sions sans pouvoir choisir, dans unesorte de mise en scène de l’écriture. Jetrouvais, pour ces raisons, important deredonner la parole à une fille qui n’a étéqu’un corps, et qu’elle puisse seconfronter à la narratrice.

PNM : A son arrivée aux États-Unis,sa carrière de grande sportive est der-rière elle, peut-on parler de grandeur etdécadence pour Nadia ?

Lola Lafon : Les uns comme les autresne lui pardonnent pas de devenir une

Entretien avec Lola LAFON

PNM n°314 - Mars 2014 5

Littérature

PNM : Comment vous estvenue l’idée d’écrire ceroman sur « La petitecommuniste qui ne souriait jamais »,qui est en fait l’histoire de NadiaComaneci, la gymnaste roumaine mon-dialement connue ?Lola Lafon : J’ai envie de vous répon-dre « pourquoi pas » ? Ce sujet cristalli-se un peu toutes les thématiques que j’aidéveloppées dans mes précédentsromans, à savoir, le genre, le corps fémi-nin, le mouvement et la confrontationEst-Ouest.

PNM : Vous décrivez longuement lesconditions extrêmes de l’entraînementde Nadia qui ne bronchait pas. Quevoulez-vous dire sur cette déterminationde la jeune sportive ?Lola Lafon : La vie de n’importe quel-le sportive de haut niveau est celle-là.Nadia est une fille qui n’a pas envie d’a-voir un destin normal, c’est comme unesorte de Jeanne d’Arc animée par larecherche d’autre chose. Très vite quandelle gagne des médailles, les journalisteslui demandent « Est-ce que tu te marie-ras ? » On la remet dans le chemin de lanorme. Mais elle a d’autres désirs. Pourarriver à de tels résultats, il n’y a pasd’autres choix. Elle dit qu’elle n’est passoumise, qu’elle a fait ce choix, elle lerépète assez souvent, elle n’est pas dutout victime. Moi, ce que je trouve dra-matique, c’est le jugement des journa-listes sur son corps, notamment quand

Nadia Comaneci : Une fiction rêvée

Lola Lafon raconte dans son beauroman* passionné et passionnant lalégende de Nadia Comaneci, la petitegymnaste roumaine qui, à 14 ans aux JOde Montréal, a fait, en 1976, exploser lesordinateurs en pulvérisant un scorejamais atteint : la fabuleuse note, les « 10 » points attribués par les juges.Pour Lola Lafon, dans l’avant-propos, « l’échange entre la narratrice et lagymnaste reste une fiction rêvée, unefaçon de redonner la voix à ce film muetqu’a été le parcours de Nadia C. entre1969 et 1990 ». (…) L’arrivée de Nadiaaux États-Unis, fin 1989au moment de l’effondre-ment du régime roumain,est décrite comme unesorte de chant du cygne.Le New York Times met-tra un point final à la bellelégende sportive en tran-chant : « Elle est devenuecomme les autres » !!!* Lola Lafon, La petite communiste qui ne sou-riait jamais, Éd. Actes Sud, 2014, 272 p., 21 €

Que fait l’association H/F Île-de-France**** ? Elle se mobilise contre les discrimi-nations observées et fait un repéragedes inégalités de « droit et de pra-tiques » dans les milieux de l’Art etde la Culture. Avec la création d’uneCharte pour l’égalité, elle définit lesobjectifs recherchés : équilibrer laprogrammation des spectacles créés,mis en scène, chorégraphiés et destextes écrits par des femmes et deshommes ; intégrer le critère d’égalitéfemmes/hommes dans la constitutiondes équipes techniques, administrati-ves et dans la politique de recrute-ment ; veiller à l’égalité salariale et àla répartition des responsabilités ;permettre l’égal accès des femmes etdes hommes aux postes de responsa-bilité ; inscrire la parité au sein desconseils d’administration, jurys,comités de sélection etc.

Elle sensibilise le public, les réseauxprofessionnels et partenaires institu-tionnels par des conférences, débats,édition de brochures, spectacles très

réussis comme celui, au Lucernaire,de « Trouble dans la représentation »d’Aline César qui met à l’épreuve cli-chés et stéréotypes.

Les 25 théâtres qui se sont engagéspour trois ans comme partenaires dela Saison 1 Égalité Hommes/Femmesdéfinissent leurs propres programmesd’action sur lesquels nous revien-drons ultérieurement. Ils visent l’é-quilibre dans les programmations,productions et dans la « gouvernanceinterne des établissements ». Citonsparmi eux Confluences qui a pro-grammé une nuit de lectures de textesde femmes, le Montfort théâtre, éta-blissement culturel de la Ville deParis, le Tarmac, scène internationalefrancophone, le Théâtre ArtisticAthévains, le Théâtre de l’Aquarium,le Théâtre National de la Colline, leNouveau Théâtre de Montreuil, leThéâtre Gérard Philippe, centre dra-matique national de Saint Denis, leThéâtre des quartiers d’Ivry, leThéâtre de la Bastille et celui de laCité Internationale.

Le gouvernement par la voix deJean-Marc Ayrault s’est engagé surla parité en mettant en place uneclause de promotion de l’égalité :« Cette clause fera l’objet d’un suivirégulier par l’Observatoire de l’éga-lité dans les arts et la culture que leministère de la Culture met en placeet qui contribuera aux travaux duHaut conseil à l’égalité entre les fem-mes et les hommes ».

Sont entrés à ce jour au Panthéon 73hommes et seulement 3 femmes,Marie Curie, Sophie Berthelot etHélène Basch, en qualité d’épouse, ilest vrai. Réjouissons-nous donc deles voir rejointes par deux immensesfigures de la Résistance, GermaineTillion et Geneviève de Gaulle. Noussommes encore loin de la parité.

La Comédie Française fait quant àelle, tout au long de l’année 2013-2014 des entrées symboliques auPanthéon de femmes remarquables,dans le domaine de la culture, aveclectures de textes. ■

*Sources : Centre National d’Information sur lesDroits des Femmes et des Familles – CNIDFF

**Reine Prat direction de la musique, de ladanse, du théâtre et des spectacles au Ministèrede la Culture et de la Communication.

*** Sources : La place des femmes dans lesinstitutions publiques du spectacle vivant dansles postes à responsabilité en 2011, étude réaliséeà l’initiative de Laurence Equilbey par MickaëlLoup (Master 2 d’Administration de la Musiqueet du Spectacle Vivant, Université d’Evry-Val-deMarne)

**** www.hf-idf.org Soutenue par la Région Île-de-France et l’Observatoire de l’égalité entre lesfemmes et les hommes de la Ville de Paris, l’as-sociation H/F Île-de-France est adhérente dulaboratoire de l’Égalité et de la CLEF(Coordination française pour le lobby européendes femmes).

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femme, pas plus qu’ils ne lui pardon-nent, comme ils le disent, d’être deve-nue comme les autres. Finalement, c’estimpardonnable. Le fait que des millionset des millions de petites filles aient rêvéd’elle, c’est pour moi éminemment sub-versif. Car cela veut dire qu’à unmoment donné, des millions de petitesoccidentales ont rêvé d’une petite com-muniste démaquillée, qui courait à 46km/heure et avait une puissance phéno-ménale. C’est quand même autre choseque de rêver d’être mannequin ! C’est-à-dire aussi qu’à un moment, les petitesfilles s’emparent de la vitesse, de lapuissance, des caractéristiques qui nesont pas d’ordinaire réservées aux peti-tes filles. ■

Propos recueillis par Patrick Kamenka

* NDLR Bela Karolyi, l’entraîneur de Nadia

Comaneci.

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Page 6: La Presse Nouvelle Magazine numero 314 Mars 2014

Voici un livre* tombé dans l’oubli,qui a croisé ma route par hasard,en la personne de Peter

Schwiefert**, jeune Allemand d’originejuive par sa mère, issu d’un milieu bour-geois, qui décide à l’âge de 21 ans, en1938, de rompre les amarres, de fuir lenazisme. On découvre son cheminement,ses motivations, sa révolte, son désiréperdu de pouvoir un jour rejoindre lessiens, dans des lettres qu’il écrit entredécembre 1938 et décembre 1944, etdont la plupart sont adressées à sa mère,lettres conservées par sa sœur et confiéesà Claude Lanzmann qui s’est chargé deles traduire et de les publier.

L’ensemble de cette correspondanceconstitue un document rare et précieuxsur la période du fascisme en Europe,témoignage historique, personnel, intime,d’une grande force littéraire,

On a rarement l’occasion d’être témoind’un si grand amour entre une mère etson fils. Bien sûr, cet amour est exacerbépar la séparation, la peur, mais il est puis-sant et les mots sont sans apitoiement.Peter écrit plusieurs fois par semaine à samère, des lettres déchirantes de tendresseet d’inquiétude. Lui, sait. Il sait la cata-strophe qui est en route, il le dit sansambages dans sa correspondance. Maissa mère pense, comme beaucoupd’Allemandes mariées à des non juifs,qu’elle est de ce fait protégée, de mêmeque se croient protégés les juifs alle-mands qui ont combattu et été décoréspendant la Première Guerre Mondiale,ceux qui ont un statut social élevé, ceuxqui étaient totalement assimilés commel’était la majorité de la population alle-mande d’origine juive. Et lorsqu’ils ontenfin compris, ou plutôt accepté que cequi se passait était bien l’inimaginable,l’inconcevable, il était trop tard.La mère de Peter, quant à elle, décideraenfin et à contrecœur de quitterl’Allemagne pour s’installer en Bulgarieavec ses deux filles - sa mère, restéeseule, sera déportée et gazée àTheresienstadt.

Peter Schweinfurt raconte sa vie d’errancequi le conduit au Portugal puis en Grèceoù il vivra dans un grand dénuement, jus-qu’à l’engagement final dans les ForcesFrançaises Libres en qualité de volontaireétranger. Il fera toutes les campagnes,d'Afrique et d'Europe, pour finir sur le solfrançais, où il laissera sa vie. Entre temps,il aura séjourné en Palestine à plusieursreprises, accueilli par des amis : autant deséjours qui formeront une pause heureuseau milieu de ses souffrances.

L’auteur est un homme jeune qui tout à lafois rêve et possède une perception extrê-mement réaliste et lucide des événements :la montée d’Hitler et les actes antisémitesqui accompagnent cette ascension. Ilquitte l’Allemagne un mois avant la « Nuit de cristal »***, au moment où lachasse aux Juifs atteint son paroxysme.

La Presse Nouvelle Magazine célébre en 2014 son80e anniversaire en reproduisant des fac-simile enyiddish de la Naïe Presse. Ci-dessous, ces extraits dela Naïe Presse du mardi 19 mars 1946 illustrentl’importance de la solidarité et de la mobilisation del’époque… Aujourd'hui comme alors en des tempstroublés, l'UJRE revendique sa tradition de résistan-ce, sa volonté de rassemblement juif, laïque et progressiste et étend ses activités. ■

Il fuit sans l’ombre d’une hésitation. Safuite étant à la fois le refus de cautionnerle régime fasciste, d’en être la victime, defaire partie de la minorité passive et silen-cieuse, du peuple complice. Elle exprimeaussi le désir de revendiquer sa judéité etde se convertir au judaïsme, mais noncelui de s’installer en Palestine.Schwiefert s’explique à ce sujet dans unelettre de novembre 1941 adressée à sonamie Ilse Hirsch : (…) On doit donc pouvoir accueillir lesvictimes de l’intolérance sans recourir àtout cet attirail « national », comme on lefait dans le monde entier. Pourquoi lesJuifs devraient-il avoir un « foyer natio-nal »? Ils ne le doivent pas. Ils doiventvivre parmi les autres peuples et garderpleine conscience de leur identité. Il fautquelqu’un pour accomplir cette tâche,elle est très importante (…)Impossible de se détacher de ces lettres dèsque l’on en commence la lecture. Il y achez Peter Schwiefert un tel désir de vivre,d’aimer, de changer le monde, de réalisersa vocation d’écrivain ! On ne peut croireen sa disparition, on espère toujours tant ilnous apparaît proche, tant sa parole nousest sensible et contemporaine.

Peter Schwiefert mourra à la guerre, enAlsace, le 7 janvier 1945. Il avait 27 ans. Ilne réalisera pas ses espérances mais il lais-sera derrière lui une correspondance quiconstitue, à elle seule, tout un univers richeen émotions, tragique et lumineux à la fois.

« Oui, je voudrais être Rimbaud, partirpour l’Afrique ou pour n'importe quelautre pays inconnu, lointain ; vivre là-baset oublier tous les petits et grands non-sens, absurdités, infériorités, présomp-tions, suffisances, tout cet édifice pompeuxde mensonge, surestimation, convention,mesquinerie, ridicule, violence et crimequ'on appelle Europe, cette machinerieraffinée qui tue et massacre à chaque tourqu'elle fait et dont chaque pièce – qu'on lanomme société, ville, État, civilisation, quesais-je encore – est un abîme de fausseté etde non-valeur, rien d'autre qu’un cadavreparce qu'on a assassiné en lui le dernierespoir. Tout cela, je veux l'oublier et lemépriser, comme Rimbaud l'a fait.Avec lui, je voudrais dire : « Jeregrette l’Europe » parce que la vie, lemonde, la vérité sont ailleurs et parce quej’ai le grand bonheur de le comprendre etd’agir en conséquence… » ■* Peter Schwiefert, L’Oiseau n’aplus d’ailes…, Les lettres de PeterSchwiefert, traduites et présentéespar Claude Lanzmann, Éd.Gallimard, Coll. Témoins, 1974,184 p., 14,25 €

** Peter Schwiefert, issu d’un milieu athée,fera sans succès maintes démarches pour seconvertir au judaïsme.

** Nuit de cristal : lire in PNM n° 310 (novem-bre 2013) l’article de François Mathieu : Berlinse souvient des pogromes de novembre 1923 etde novembre 1938

Histoire/MémoirePoint de vue

6 PNM n°314 - Mars 2014

Il est hors de question de faire ici l’his-torique de l’antisémitisme. Mais il fautmentionner, à partir de 1895, l’Affaire

Dreyfus au cours de laquelle il a fallu dixans de procédures et trois années de bagnesubis par l’intéressé pour que son inno-cence soit reconnue alors qu’il était accu-sé de haute trahison au profit del’Allemagne. Après la Seconde GuerreMondiale, une certaine droite a troqué lejuif contre l’arabe. Restait l’essentiel : lahaine de l’autre.A la fin des années 40 apparaissent despublications visant à nier la réalité dugénocide des juifs, notamment sous laplume de Faurisson. L’extrême droitepopuliste refait surface en 1956 avec l’ar-rivée de 52 députés poujadistes (parmieux, Le Pen) dont l’antisémitisme est l’undes thèmes. En 1972, c’est la création du FN (Frontnational) qui unifie les différents groupesd’extrême-droite ainsi que le GRECE(Groupement de recherche et d’étudepour une civilisation européenne) qui dis-tille un racisme plus subtil que celui duFN. Dans les années 80, a lieu une percéedu FN qui exploite l’augmentation duchômage (dont il rend les immigrésresponsables) et les désillusions qu’entraî-ne la politique de Mitterrand.Parallèlement, les partis d’extrême droitesont en essor dans la plupart des paysd’Europe connaissant des difficultés éco-nomiques avec désignation de boucsémissaires. Le FN fait le choix de l’antisé-mitisme – pour lequel Le Pen a étécondamné plusieurs fois – et d’une héroï-sation de Pétain.

Aujourd’hui, M. Wieviorka estime à unmillion le nombre de Français qui seréclament de l’antisémitisme, Dieudonnéayant rendu ce courant idéologique plusvisible en le désinhibant. Ce personnagese prétend le porte-parole de tous ceux quiont subi une souffrance historique autreque celle des juifs, faisant de ces derniersle dénominateur commun des malheursde tous.On observe, et pas seulement à la périphé-rie des grandes villes, que l’appartenanceethnique ou confessionnelle peut serviraux personnes à se dénommer ou s’invec-tiver. Dans le cadre du mal-être social, ony observe un antisémitisme de marginauxintégristes musulmans*.Dans ce climat, saluons l’initiative trèspositive de l’appel universaliste** del’ATMF (Association des travailleursmaghrébins en France) qui d’un mêmemouvement défend l’égalité des droitsentre hommes et femmes, refuse la stig-matisation de l’homosexualité ainsi queles propos racistes et complotistes visanttant les « arabes », les « musulmans », les« juifs » que « l’Occident ». Cet appel***se conclut par la volonté de rejoindre « iciet là-bas » (entendons : les pays duMaghreb) « les forces qui se battent contretoutes les inégalités et pour les libertés. »Alors, vigilants ensemble ! ■* Source : Mohamed-Ali Adraoui, Docteur enScience Politique, chercheur à l'Institut Univer-sitaire Européen de Florence et enseignant àSciences Po. A publié Du Golfe aux banlieues -Le salafisme mondialisé, Éd. PUF** http://atmf.org/Nous-ne-nous-reconnaissons-pas*** Pour signer cet appel, voir le site:http://mfm2014.wesign.it/fr

1934-2014 : de la Naïe Presse àla Presse Nouvelle…

TraductionL' "Union"*, l’organisation populaire

juive la plus importante de France,vient de tenir sa 2e conférence nationale

Efficacité, développement culturel, unitéet combat commun

Antisémitisme en FranceOù en sommes-nous ?

par Albert Szmulewicz

L’Oiseau n’a plus d’ailes…par Béatrice Courraud

Yiddish translittéréDi "Ounion", greste yidiche folks-

organizatsie in Frankreikh,hot opgehaltn ir 2-tn land-konferentsprodouktivizatsiè, koultour oyfchtag,aynhayt oun guemaynzamer kamf

* C'est ainsi que l’on abrégeait à l'époque le nom de l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide.

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Culture

PNM n°314 - Mars 2014 7

Nous nous sommes longtempsdemandé, ma femme et moi, oùnous pourrions passer nos

vacances, à regarder la mer tout enétant un peu seuls. Nous avons trouvéune réponse : sur la mer elle-même ou,plus exactement, sur l’un de ces porte-conteneurs qui sillonnent les océans,transportant à peu près tout ce qui seconsomme sur la planète, de la montreà quartz au régime de bananes.Ces porte-conteneurs sont d’immensesusines de 100 000 à 250 000 tonnes etplus. Les groupes électrogènes desnavires réfrigérés transportant les bana-nes des Antilles sont si puissants qu’ilspourraient fournir de l’électricité à uneville de l’importance de Tours. Cesnavires représentent de tels investisse-ments qu’ils ne restent jamais plus dequelques heures à quai et leurs dimen-sions actuelles sont presque indépassa-bles : « Au-delà de 250 mètres de long,nous expliquait un chef mécanicienindien, un porte-conteneurs court lerisque de se briser net en son centre àforce de distorsions entre la poupe et laproue. Plus lourd, il n’entre pas dansles ports. Plus large, il ne passe pluspar Suez. » Des cargos sur lesquels naviguaitBlaise Cendrars dans les années 1920 àces usines flottantes, une seule chosen’avait jamais changé : la solidarité desgens de mer. Porter secours à un navireen difficulté ou à un homme tombé àl’eau était une loi si absolue qu’aucunmarin n’avait besoin qu’on la lui rap-pelle. D’ailleurs une longueur d’onderadio est réservée aux appels de détres-se. Les navires sont tenus d’être bran-chés sur celle-ci en permanence.Lorsqu’un S.O.S. est lancé, aucun navi-re se trouvant dans les parages ne peutdonc prétendre qu’il n’a pas reçu lemessage. Précisément, en 1988, nous avons faitnotre premier voyage sur un cargo fran-çais dont le novice, quelques mois plustôt, était tombé à la mer. Sa disparitionn’avait été découverte qu’au bout deplusieurs heures. Le navire avait doncparcouru une grande distance lorsqu’ilrebroussa chemin en poussant sesmachines au maximum de leur puissan-ce. Des navires de différentes nationali-tés s’étaient déroutés, eux aussi.Certains se trouvaient très loin du lieudu drame. En toute logique, ils n’a-vaient aucune chance de trouver lenovice vivant. Mais ils ne se posèrentpas la question. Ils se déroutèrent, unpoint c’est tout. Ils se déroutèrent tous,sauf un. Parfaitement repérable sur lesécrans radars, ce navire refusa de modi-fier sa route un tant soit peu, ne serait-ce que de quelques milles. Or c’était leseul bâtiment qui, se trouvant dans lesparages immédiats de la disparition,avait une chance de retrouver le novicevivant. Dans le récit que le comman-

Fils d’un architecte du Bauhaus, Munio Weinraub, quiavait fui le nazisme en 1933, Amos Gitaï a étudié l’archi-

tecture avant de devenir cinéaste après la Guerre du Kippour.On retrouve l’architecture – actrice de transformation du pay-sage notamment par la colonisation israélienne – dans plu-sieurs de ses films qui montrent l’effacement des traces pales-tiniennes. Gitaï construit ainsi la mémoire des paysages et desvilles en revenant jusqu’à trois fois sur le même lieu filmé àdix ans d’intervalle : House (1980), A house in Jerusalem(1998) et News from Home / News from house (2005) ou

Wadi (1981), Wadi (1991) et Wadi Grand Canyon 2001 (2001). La Maison etJournal de Campagne (1981) lui vaudront d’être censuré en Israël et il viendravivre en France de 1983 à 1993. La PNM reviendra dans ses deux prochainsnuméros sur l’exposition et les événements que lui consacre la Cinémathèque fran-çaise et sur la sortie en juin d’Ana Arabia, le dernier film d’Amos Gitaï.

• À la Cinémathèque française :– Jusqu’au 6 avril : Projection d’une rétrospective de ses films + Deux jour-nées « Donnons une chance à la paix » (22 mars et 3 avril) de rencontres avecAmos Gitaï avec projection de 4 films : Israéliens, Palestiniens, Arabes, Israéliens y racontent ce qui les rapproche ou les oppose. Leur perspective ?aller vers la paix. Dans un même élan, Gitaï tourne ces 4 « parcours » d’unmême voyage au cours des 4 mois précédant la signature de l’accord de paix au Caire, en 1994 : Au pays des oranges - Conflit et réconciliation (22/03 à 18hou 03/04 à 19h). Puis (22/03 à 20h. ou 03/04 à 21h) Parcours politique - LeTuyau (60’) suivi de Paroles d’écrivains – Culture de l’Est méditerranéen(41’) et de Théâtre pour la vie (26’).– Jusqu’au 6 juillet : « Amos Gitaï architecte de la mémoire »*. La Cinémathèque française expose les archives dont lui a fait don le cinéaste (documents sur ses mises en scène de théâtre, ses installations, ses vidéos, sesphotos …). Elles couvrent quarante ans de créations protéiformes.* Catalogue de l’exposition Amos Gitaï architecte de la mémoire : ouvragecollectif comprenant un entretien du cinéaste avec Arthur Miller, descontributions d’A. Gitaï, J.-M. Frodon, … Coéd.Gallimard, La cinémathèque française, Paris, 2014, 208 pages, 96 illustrations, 29 € – CinémathèqueFrançaise 51 rue de Bercy Paris 12° -http://www.cinematheque.fr/fr/expositions-cinema/amos-Gitaï-architecte-me/amos-Gitaï.html

• À la Cité de l’architecture et du patrimoine – Les vendredis 7, 14, 21, et28 mars à 19h : « Architecture en Israël », quatre projections et rencontresexceptionnelles entre Amos Gitaï et Jean-François Chevrier. – Auditorium de la Citéde l'architecture et du patrimoine, 7 avenue Albert de Mun, Paris 16e, entrée libre dans la limite desplaces disponibles.

• À la Galerie Thaddeus-Ropac – Du 23 février au 14 mai : « Army dayhorizontal. Army day vertical », présentation d’une série d’œuvres inéditesd'Amos Gitaï. – 69 avenue du Général Leclerc à Pantin, du mardi au samedi de 10h à 19h.Entrée libre.

Chronique de

L. Laufer Amos Gitaï architecte de la mémoire

Social

dant me fit du drame une expressionm’avait frappé : « Ces gens-là n’avaientpas de temps à perdre. »Moins de dix ans plus tard, en 1997, lasituation avait considérablement changéen mer. C’est dans les eaux territorialesfrançaises, cette fois, et avec uneincroyable impudence, qu’on vit uncargo turc éperonner un chalutier bretonsans daigner porter assistance aux quat-re hommes qui se débattaient pourtant àquelques mètres à peine. La cargaison etsa livraison dans les meilleurs délaisétaient devenues beaucoup trop impor-tantes. Si le navire fut arraisonné par laMarine nationale, il va sans dire que,dans les eaux internationales, personnen’aurait inquiété l’officier de quart ni lecommandant. Aujourd’hui, non seulement ce typed’incident se multiplie, y compris dansles eaux territoriales françaises, y com-pris au nez et à la barbe de la Marinenationale mais, au large, ce sont les pas-sagers clandestins qu’on n’hésite plus àjeter par-dessus bord pour éviter les tra-casseries administratives. Parfois, ulti-me et fragile petite lueur d’humanité, untémoin est encore pris de remords : en1996, le bosco d’un navire asiatique quifaisait route vers le Canada ficela à lahâte une palette en bois et un bidon videqu’il jeta en cachette à la mer. En effet,les clandestins qui se débattaient dansune eau à 16°, et à 60 milles des côtes,parvinrent à s’accrocher au radeauimprovisé. Ce fut pour disparaîtrequelques minutes plus tard, happés parles remous de l’hélice. En 2002 nous avons tenté, ma femme etmoi, de calculer avec l’aide d’un offi-cier français de la marine marchande cequ’il en coûterait à un armateur de voirl’un de ses porte-conteneurs se dérouterpour une raison humanitaire. Nousavions pris l’exemple d’un naviretransportant pour 700 millions de dol-lars de matériel électronique fabriqué enChine, ce qui est une hypothèse raison-nable s’agissant d’ordinateurs. Noussommes arrivés à la conclusion que,compte tenu de l’assurance du navire,de celle de la cargaison, des crédits-relais à 8% auxquels les banques prêtentaux importateurs, du prix du fioul et desfrais normaux de fonctionnement, touteune journée supplémentaire en mercoûterait environ 200 000 dollars à l’ar-mateur. Ces chiffres sont à revoir aujourd’hui àla hausse, mais, même à ce tarif, uncommandant qui se permettrait undétour pour sauver la vie d’un marinindien ou pakistanais gagnant 500 eurospar mois aurait très peu de chances defaire carrière. Hubert Lucot, un ami écri-vain, a un mot terrible pour évoquer cessituations où l’homme est aujourd’huiune gêne : « La vie humaine n’est plusrentable, il va falloir trouver autrechose. »

Dès lors, à quoi bon entretenir les navi-res ? La grande majorité des vraquiersne sont que des tas de rouille. Il y a qua-tre ou cinq ans, nous avons sympathisé,sur un quai du Havre, avec un jeunemarin cambodgien. Il ne naviguait passeulement sur un navire en ruine : lestoilettes étaient inutilisables à borddepuis des années et, comme les autresmarins, il avait dû embarquer avec sonpropre sac de riz : l’armateur déduisaitla nourriture de son salaire. Ce maringagnait l’équivalent de 100 dollars parmois (100 et non 500 comme un marinindien ou pakistanais) soit environ 75euros pour travailler 7 jours sur 7.Nous étions terrorisés, ma femme etmoi, à l’idée que son commandantpourrait l’apercevoir en train de parlerde ses conditions de travail à des étran-gers. Nous nous sommes donc dissimu-

lés tous les trois derrière un portique.C’est plus tard seulement que nousavons compris combien cette conversa-tion clandestine, dans un grand portfrançais, rappelait, cette fois encore,étrangement la guerre. La Lloyds de Londres, le plus importantassureur maritime, estime à 200 le nom-bre de ces navires en état de décompo-sition avancée qui coulent chaque annéeentraînant la mort de plusieurs centainesde marins dans le monde. Comme cesnavires transportent du minerai, de lacanne à sucre, ou des céréales et qu’ilsne polluent pas, il n’y a aucune raisonde s’en inquiéter. ■

* Extrait de « À des années-lumière », Éd. Fario, 2013(pages 31), 69 p., 12.50 €

La vie humaine n’est plus rentable…*

par Marcel Cohen

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Jean-Paul Sartre s’intéresse très tôtà Franz Kafka, puisqu’il a pu lireLa Métamorphose dans la NRF en

1928. Il avait songé à en parler en1939 dans un article destiné au pério-dique Les Volontaires, ce qu’il n’afinalement pu faire. Il le fera en 1947dans ses Carnets de la drôle de guerreet dans Qu’est-ce que la littérature ?paru dans sa revue Les TempsModernes et repris un an plus tarddans Situations II. Au terme de ce longexcursus où Sartre a montré la spécifi-cité de la prose par rapport aux diffé-rents arts et même à la poésie, en indi-quant le sens de l’ « engagement com-plet » de l’écrivain, le nom de Kafkaapparaît dans sa conclusion. Sartreveut démontrer que c’est la dyna-mique de la pensée de l’écrivain quicompte par-dessus tout et non tel et telaspect de ses interrogations et problé-matiques.

« L’œuvre de Kafka est une réactionlibre et unitaire au monde judéo-chrétien de l’Europe centrale… » Etc’est aussi un dépassement de tout cequ’il a été dans sa vie privée oupublique, par rapport à l’histoire deson temps et à ses passions. Sartretermine sa plaidoirie dans une sortede contradiction, en affirmant quel’écrivain d’aujourd’hui trouvera dessolutions aux problèmes majeurs dumonde « dans l’unité créatrice deson œuvre », expression de sa « librecréation ». Il faut se souvenir quel’auteur de L’Être et le néant s’expri-me en plein débat sur le réalismesocialiste, sans l’aborder de front,mais en insinuant la clause selonlaquelle la littérature est idéologie etl’idéologie est à repenser à chaque fois.

En 1947 toujours, Sartrerevient sur l’auteur duProcès au cours d’uneconférence donnée le 31mai sous les auspices dela Ligue française pourla Palestine libre quisera ensuite impriméedans le n° 33 de sa revueau mois d’août. Dès ledébut de son essai,Sartre en comprend la difficulté etespère parvenir à une synthèse de tousles éléments en vue d’une interpréta-tion globale de l’œuvre. Il commencepar une analyse de la relation au Père,qui est à la fois familiale et sacrée,donc « incompréhensible ». Car lePère n’est que la présence de Dieudans le cercle de famille. Mais il y aquelque chose qui ne fonctionne pascar le Père ne respecte pas la Loi à lalettre : « A partir de ce moment, Kafkaest à la fois hors de la Loi […] et sousla Loi (en tant qu’elle s’incarne dansle Père en tant que le Père commanded’y obéir) ». Kafka révèle cette failledans cette relation. Il en découvre enpartie le sens dans sa réalité sociale.De là provient une autre contradiction :sa révolte contre la puissance des auto-rités supérieures (les « bureaucraties »selon Sartre) et son admiration pourleurs rouages. Il perçoit un malaiseprofond : Kafka souffre de son état (deson milieu), mais il demeure membrede sa classe, de son rang. Sartre insi-nue que l’écrivain a pris la Loihébraïque comme paradigme du systè-me bureaucratique. Il expérimenteraitson appartenance à cette classe bour-geoise avec un sentiment sans remèdede culpabilité. Le cauchemar de labureaucratie bourgeoise est vécu chez

lui comme un rêve etune obligation. Et quandil s’efforce de respecterles valeurs que la figuredu Père implique, il seretrouve dépositaired’un mandat que per-sonne ne lui a donné.Sartre décèle là une dou-ble aliénation : « On n’é-chappera à l’une qu’en

se jetant dans l’autre » (la Loi et labureaucratie !). C’est un rêve de Dieudans le monde bourgeois. Et, indiqueencore Sartre, « Kafka découvre lemonde bourgeois chaque matin dansla mesure même où il le crée… ». Ilcroit discerner que Kafka se trouveaux antipodes du révolutionnaire mar-xiste par son choix de l’intériorité.

En 1960, Sartre se rend à Moscou àl’occasion du Congrès mondial pourle désarmement général et la paix. Il yfait un discours intitulé « La démilita-risation de la culture ». Et une fois deplus, c’est Franz Kafka qu’il choisitpour expliquer son propos. Pour lui, laculture, c’est le mètre de l’évolutionhumaine. Et Kafka lui permet d’expo-ser sa vision : « Il a porté un témoigna-ge d’autant plus universel qu’il estplus profondément singulier » carl’auteur du Château s’en prend à lacritique (surtout la critique soviétique)qui a décrété qu’il était l’ennemi de labureaucratie en pensant qu’il s’en étaitpris à l’Union soviétique. Et Sartre dedéplorer : « Cet auteur subit un dou-ble dommage : à l’Ouest, il est faus-sé, tordu ; à l’Est, on le passe soussilence. »

Comme la psychanalyse a pu contri-buer au soutien du capitalisme mais

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peut aussi s’avérer efficace pour lemarxisme, Kafka peut être lu danscette double optique. Selon lui, la cultu-re n’a pas à être défendue : elle est faitepar les hommes et pour les hommes,soulignait-il. Et par conséquent il fautla démilitariser. Il plaide ainsi pour le « désarmement culturel » et l’abolitionde tout « protectionnisme culturel ».

Ce discours a eu des conséquencesconsidérables, en particulier enTchécoslovaquie trois ans plus tard,comme le curieux colloque secret**,éventé par Antonin Liehm dans la revuequ’il dirigeait Literàrni noviny !***Grâce à Sartre, le nom et l’œuvre deFranz Kafka a pénétré derrière lerideau de fer, non sans mal, certes,mais y a pris racine. Et, en Occident,des lectures toujours plus fines ont puvoir le jour. Après Sartre, de grandspenseurs ont étudié les livres deKafka, comme Gilles Deleuze, FélixGuattari, Maurice Blanchot, GeorgeSteiner, mais aussi des écrivainscomme Elias Canetti, Ivan Klima,Vladimir Nabokov, Isaac BashevisSinger, Philip Roth, Milan Kundera,Claudio Magris, John Banville,Alberto Bevilacqua, pour ne citer queceux-là. ■

* Jean-Paul Sartre, SituationsIII, nouvelle édition revue et

augmentée par Arlette Elkaïm

Sartre, Éd. Gallimard, 464 p.,

23,75 €.

** Cf. Gérard-Georges Lemaire, Méta-morphoses de Kafka, Éd. Éric Koehler/Musée

du Montparnasse, Paris, 2002.

*** Hans Christof Buch, Au château deKafka, récit traduit de l’allemand par Nicole

Casanova, Éd. Grasset, Paris, 1999, 16,70 €

MRJ-MOI avance à grands pas !

Des contraintes architecturales et institutionnelles imposées par Paris-Habitat et son refus de nous accorder un bailpérenne nous avaient conduits à réorienter notre projet d’espace muséal au 14 rue de Paradis vers la réalisation

d'un musée virtuel. Un projet novateur et original a été validé par notre Conseil d'administration. Nous allons doncpouvoir, grâce à votre mobilisation et à votre soutien actif, dont nous vous remercions, réaliser ce projet qui nous tienttant à cœur : contribuer à écrire et transmettre l'histoire des résistants juifs de la MOI, parce que, force est de le cons-tater, cette histoire reste à écrire !Au moment où des mouvements xénophobes, racistes, antisémites se développent dans de nombreux pays de l'Unioneuropéenne, y compris en France où, pour la première fois depuis l'Occupation, on a entendu hurler, dans les rues deParis, « Juifs dehors ! », il est nécessaire de faire savoir comment des hommes et des femmes d'origine étrangère, issuspour la plupart de milieux populaires, ont su défendre les valeurs de la République foulées au pied par l'occupant, parses collaborateurs français et par une très grande partie des classes dirigeantes.La grande leçon qu'ils nous donnent est une leçon de dignité. Lorsque le monde qui nous entoure devient inaccepta-ble, leur souvenir nous incite à la révolte, au courage, à l’engagement.Le 22 mars à 15h., venez découvrir notre projet de musée virtuel et en débattre avec nous. Venez également décou-vrir, en avant-première, quelques extraits du film que nous réalisons en coproduction avec Métis film sur les résistantsjuifs communistes. ■

Claudie Bassi-Ledermanprésidente de MRJ-MOI

Littérature

Mémoire

Invitation

SAMEDI 22 MARS À 15 H.

Pose symbolique de la premièrepierre du Musée virtuel du« 14 RUE DE PARADIS »

où nous nous retrouveronsdès l’achèvement des travaux

Merci de confirmer votre présence :[email protected]

Nous serons accueillis pour cette cérémonie par l’Union des EngagésVolontaires et Anciens Combattants

Juifs, leurs Enfants et Amis(UEVACJ-EA)

26 rue du Renard Paris 4e

Quand Jean-Paul Sartre prend Kafka en exemple*par Gérard-Georges Lemaire

Jean-Paul Sartre à Moscou en 1955© Cheprunov Ria Novosti/AFP