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http://lamyline.lamy.fr 8 I RLDC Numéro 108 I Octobre 2013 Sous la direction scientifique de Bertrand FAGES, Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I) CONTRAT Les contraintes environnementales des cessions immobilières À l’origine droit réglementaire et spécialisé cantonné à l’encadrement de quelques nuisances particulières, le droit de l’environnement poursuit chaque jour sa métamorphose, pour devenir une matière transversale, dont les effets rejaillissent avec de plus en plus de vitalité sur d’autres branches du droit. Chemin faisant, il transcende la distinction classique du droit public et du droit privé. Ainsi en est-il particulièrement du droit des contrats et du droit des biens, au confluent desquels se trouvent les cessions immobilières, illustration emblématique de l’impérialisme du droit de l’environnement. L orsque l’immeuble, sol et bâtiments objet de la cession, souffre de pollution dont les causes peuvent être d’origine très variée, juge et législateur ont eu à cœur de développer tout un corps de règles propres à appréhender, avec la vigilance qui s’impose, les risques liés à ces pollutions. Alors que des règles spéciales ont été instaurées par le législateur pour traiter ces ques- tions dans le cadre du droit des installations classées pour la pro- tection de l’environnement (ICPE) et du droit des déchets, le juge a usé sans répit des trésors du droit commun des contrats et de la responsabilité civile pour suppléer et/ou compléter ces règles particulières. Fine alliance du droit spécial et du droit commun, les règles relatives à la cession des immeubles pollués présentent au- jourd’hui une abondante variété qui incline à un effort de structure. Il est vrai que l’enjeu est de taille, le nombre de sites potentiel- lement pollués étant considérable en France, évalué aux alen- tours de 300 000. Il est alors essentiel de bien connaître la nature et l’étendue de ces pollutions afin d’apprécier avec rigueur leur compatibilité avec les usages des sites en question. De plus, dans un contexte de raréfaction des sols naturels dont l’artificialisation est régulièrement dénoncée, il est essentiel de favoriser la recon- version d’anciennes friches industrielles vers de nouveaux usages, singulièrement des usages domestiques. Enfin, ne perdons pas de vue que les enjeux attachés à ces questions sont aussi de nature financière, la dépollution des sites, au sens générique du terme, ayant souvent un coût très élevé qu’il s’agira d’imputer à son responsable légitime. Ceci explique que les règles relatives à la pollution des sites s’articulent autour de deux problématiques principales. D’une part, le droit des ICPE et le droit des déchets tendent à détermi- ner le responsable de la réhabilitation du site pollué, par déclinai- son du principe pollueur-payeur. Ces règles permettent alors de désigner un responsable que l’Administration pourra poursuivre, afin de le contraindre à exercer les mesures nécessaires à la mise en sécurité du site et à effectuer les mesures de réhabilitation qui s’imposent, le plus souvent au terme de l’exploitation de l’installa- tion. Dans cette quête, la communauté des questionnements liés aux sites pollués que l’on rencontre en droit des ICPE et en droit des déchets explique la progressive émergence d’un droit spécial des sites et sols pollués, ayant vocation à devenir le socle com- mun de ces règles. Alors que l’ordonnance du 17 décembre 2010 (Ord. n° 2010-1579, 17 déc. 2010, JO 18 déc. 2010) a créé un nou- veau chapitre au sein du Code de l’environnement intitulé « Sites et sols pollués », celui-ci devrait s’enrichir, très prochainement, d’un nombre important de dispositions (v. Quel avenir pour le droit des sites et sols pollués ?, Dr. & patr. 2013, n° 224, p. 46 et s. ; spéc. Parance B., Sites et sols pollués, un droit en quête d’iden- tité ?). L’ensemble de ces règles est guidé par la recherche d’une adéquation entre les mesures de réhabilitation et l’usage du site, afin de rendre son niveau de pollution compatible avec son usage. Dès lors, la cession d’un site pollué sera l’occasion de s’interroger sur le sort réservé à ces obligations administratives et à examiner la manière dont l’acquéreur peut se garantir contre les responsabi- lités liées à la pollution du site. D’autre part, à côté de ces règles de nature administrative, se dé- veloppe tout un corps de règles qui a pour objet de transmettre, à l’occasion de la cession du site, une information étendue à l’acquéreur, pour qu’il puisse connaître toutes les caractéristiques du bien vendu, particulièrement les risques de pollution. Apparues dans le champ du droit de l’environnement, ces obligations d’in- 108 Octobre RLDC 5216 Par Frédérique CHAILLOU Avocat associée, Lefèvre Pelletier & associés Et Béatrice PARANCE Professeur de droit, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, Membre du Laboratoire de droit médical et de la santé (EA 1581)

Les contraines environnementales dans les cessions immobilières

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8 I RLDC Numéro 108 I Octobre 2013

Sous la direction scientifi que de Bertrand FAGES, Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

CONTRAT

Les contraintes environnementales des cessions immobilièresÀ l’origine droit réglementaire et spécialisé cantonné à l’encadrement de quelques nuisances particulières, le droit de l’environnement poursuit chaque jour sa métamorphose, pour devenir une matière transversale, dont les effets rejaillissent avec de plus en plus de vitalité sur d’autres branches du droit. Chemin faisant, il transcende la distinction classique du droit public et du droit privé. Ainsi en est-il particulièrement du droit des contrats et du droit des biens, au confl uent desquels se trouvent les cessions immobilières, illustration emblématique de l’impérialisme du droit de l’environnement.

L orsque l’immeuble, sol et bâtiments objet de la cession, souffre de pollution dont les causes peuvent être d’origine très variée, juge et législateur ont eu à cœur de développer

tout un corps de règles propres à appréhender, avec la vigilance qui s’impose, les risques liés à ces pollutions. Alors que des règles spéciales ont été instaurées par le législateur pour traiter ces ques-tions dans le cadre du droit des installations classées pour la pro-tection de l’environnement (ICPE) et du droit des déchets, le juge a usé sans répit des trésors du droit commun des contrats et de la responsabilité civile pour suppléer et/ou compléter ces règles particulières. Fine alliance du droit spécial et du droit commun, les règles relatives à la cession des immeubles pollués présentent au-jourd’hui une abondante variété qui incline à un effort de structure.

Il est vrai que l’enjeu est de taille, le nombre de sites potentiel-lement pollués étant considérable en France, évalué aux alen-tours de 300 000. Il est alors essentiel de bien connaître la nature et l’étendue de ces pollutions afi n d’apprécier avec rigueur leur compatibilité avec les usages des sites en question. De plus, dans un contexte de raréfaction des sols naturels dont l’artifi cialisation est régulièrement dénoncée, il est essentiel de favoriser la recon-version d’anciennes friches industrielles vers de nouveaux usages, singulièrement des usages domestiques. Enfi n, ne perdons pas de vue que les enjeux attachés à ces questions sont aussi de nature fi nancière, la dépollution des sites, au sens générique du terme, ayant souvent un coût très élevé qu’il s’agira d’imputer à son responsable légitime.

Ceci explique que les règles relatives à la pollution des sites s’articulent autour de deux problématiques principales. D’une part, le droit des ICPE et le droit des déchets tendent à détermi-

ner le responsable de la réhabilitation du site pollué, par déclinai-son du principe pollueur-payeur. Ces règles permettent alors de désigner un responsable que l’Administration pourra poursuivre, afi n de le contraindre à exercer les mesures nécessaires à la mise en sécurité du site et à effectuer les mesures de réhabilitation qui s’imposent, le plus souvent au terme de l’exploitation de l’installa-tion. Dans cette quête, la communauté des questionnements liés aux sites pollués que l’on rencontre en droit des ICPE et en droit des déchets explique la progressive émergence d’un droit spécial des sites et sols pollués, ayant vocation à devenir le socle com-mun de ces règles. Alors que l’ordonnance du 17 décembre 2010 (Ord. n° 2010-1579, 17 déc. 2010, JO 18 déc. 2010) a créé un nou-veau chapitre au sein du Code de l’environnement intitulé « Sites et sols pollués  », celui-ci devrait s’enrichir, très prochainement, d’un nombre important de dispositions (v. Quel avenir pour le droit des sites et sols pollués  ?, Dr. & patr. 2013, n° 224, p. 46 et s.  ; spéc. Parance B., Sites et sols pollués, un droit en quête d’iden-tité ?). L’ensemble de ces règles est guidé par la recherche d’une adéquation entre les mesures de réhabilitation et l’usage du site, afi n de rendre son niveau de pollution compatible avec son usage. Dès lors, la cession d’un site pollué sera l’occasion de s’interroger sur le sort réservé à ces obligations administratives et à examiner la manière dont l’acquéreur peut se garantir contre les responsabi-lités liées à la pollution du site.

D’autre part, à côté de ces règles de nature administrative, se dé-veloppe tout un corps de règles qui a pour objet de transmettre, à l’occasion de la cession du site, une information étendue à l’acquéreur, pour qu’il puisse connaître toutes les caractéristiques du bien vendu, particulièrement les risques de pollution. Apparues dans le champ du droit de l’environnement, ces obligations d’in-

108 Octobre

RLDC 5216

Par Frédérique CHAILLOU

Avocat associée, Lefèvre Pelletier & associés

Et Béatrice PARANCE

Professeur de droit,Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, Membre du Laboratoire de droit médical et de la santé (EA 1581)