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15, Rue Dr. Alphonse Laveran 1005 Tunis Tel : 71 160 926-71 840 504 - Fax : 71 963 866 [email protected] www.al-qotb.com Pour un droit universel à la santé ! Une conférence nationale sur la santé a eu lieu à Tunis, début septembre 2014. Il faut s’en féliciter. Beaucoup de professionnels, d’associatifs et d’organisations non gouvernementales se sont intéressés à cette question cruciale pour notre pays. En effet, nul ne peut nier que l’accès à des soins de qualité, à tous les âges de la vie et quelle que soit la région où l’on vit, est en quelque sorte un préalable à la jouissance de ses autres droits. Or la situation tunisienne est à cet égard loin d’être satisfaisante. La question avant même d’être économique – même si cette dimension est essentielle - a donc d’abord trait au modèle de société que l’on veut instaurer. Exprimée autrement, elle revient à poser comme principe général que l’économie – de la santé, en l’occurrence – doit se mettre au service de la société notamment quand il s’agit de biens essentiels dont la marchandisation pourrait conduire à altérer dramatiquement la cohésion sociale, déjà mise à mal par des décennies d’aggravation des inégalités dans notre pays. Un financement solidaire Seule une réforme audacieuse permettrait de sortir de l’impasse à la condition d’admettre, comme rappelé en préambule, que le droit à la santé est inaliénable et doit, en toutes circonstances, être garanti par la puissance publique ainsi que le stipule notre nouvelle Constitution. Comme la citoyenneté est fondée sur la contribution de tous - en fonction des moyens de chacun - au bien-être général, l’impôt constitue le meilleur moyen de répondre à cette exigence. Son caractère progressif et universel permet à la fois l’équité, la redistribution des richesses et la cohésion sociale. En contrepartie, il octroie à chaque citoyen le droit - tout aussi universel - d’accès aux soins et à la protection sociale. Cette allocation des ressources doit ainsi permettre à tous la possibilité de se faire soigner sans avances de frais (tiers payant) auprès d’organismes et de professionnels conventionnés, rémunérés par la puissance publique. En somme, la santé (au sens large : soins, prévention) est garantie par l’Etat. Le reste de la protection sociale (retraites, handicap, chômage) reste du ressort des caisses de sécurité sociale. Pour être accepté et attractif, le conventionnement des professionnels de santé doit se faire sur la base du volontariat en proposant comme contreparties à cet engagement des avantages incitatifs octroyés par la puissance publique, en toute transparence.

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15, Rue Dr. Alphonse Laveran 1005 Tunis Tel : 71 160 926-71 840 504 - Fax : 71 963 866

[email protected] – www.al-qotb.com

Pour un droit universel à la santé !

Une conférence nationale sur la santé a eu lieu à Tunis, début septembre 2014. Il faut s’en féliciter. Beaucoup de professionnels, d’associatifs et d’organisations non gouvernementales se sont intéressés à cette question cruciale pour notre pays. En effet, nul ne peut nier que l’accès à des soins de qualité, à tous les âges de la vie et quelle que soit la région où l’on vit, est en quelque sorte un préalable à la jouissance de ses autres droits. Or la situation tunisienne est à cet égard loin d’être satisfaisante. La question avant même d’être économique – même si cette dimension est essentielle - a donc d’abord trait au modèle de société que l’on veut instaurer. Exprimée autrement, elle revient à poser comme principe général que l’économie – de la santé, en l’occurrence – doit se mettre au service de la société notamment quand il s’agit de biens essentiels dont la marchandisation pourrait conduire à altérer dramatiquement la cohésion sociale, déjà mise à mal par des décennies d’aggravation des inégalités dans notre pays.

Un financement solidaire

Seule une réforme audacieuse permettrait de sortir de l’impasse à la condition d’admettre, comme rappelé en préambule, que le droit à la santé est inaliénable et doit, en toutes circonstances, être garanti par la puissance publique ainsi que le stipule notre nouvelle Constitution. Comme la citoyenneté est fondée sur la contribution de tous - en fonction des moyens de chacun - au bien-être général, l’impôt constitue le meilleur moyen de répondre à cette exigence. Son caractère progressif et universel permet à la fois l’équité, la redistribution des richesses et la cohésion sociale. En contrepartie, il octroie à chaque citoyen le droit - tout aussi universel - d’accès aux soins et à la protection sociale. Cette allocation des ressources doit ainsi permettre à tous la possibilité de se faire soigner sans avances de frais (tiers payant) auprès d’organismes et de professionnels conventionnés, rémunérés par la puissance publique. En somme, la santé (au sens large : soins, prévention) est garantie par l’Etat. Le reste de la protection sociale (retraites, handicap, chômage) reste du ressort des caisses de sécurité sociale. Pour être accepté et attractif, le conventionnement des professionnels de santé doit se faire sur la base du volontariat en proposant comme contreparties à cet engagement des avantages incitatifs octroyés par la puissance publique, en toute transparence.

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A l’aune de ces principes généraux, les mécanismes proposés pour le financement d’une santé solidaire, c’est-à-dire accessible à tout citoyen tunisien quels que soient ses revenus, pourraient être les suivants :

1) Consacrer aux dépenses de santé au moins 10% du PIB (moins de 7% actuellement) ;

2) Contribution santé (CS) sur les revenus du travail et du capital, selon une assiette large et un taux progressif ;

3) La TVA perçue sur les alcools et les tabacs est allouée au budget de la santé publique avec pour priorité le financement de la prévention ;

4) La mobilisation de l’épargne privée nationale (via la création de fondations d’utilité publique) et de fonds internationaux en lien avec l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et par le biais de conventions bilatérales est encouragée, en vue d’abonder un vaste programme d’investissement, notamment dans les infrastructures de santé.

Une régulation juste

Pour que l’attractivité du conventionnement soit forte et que son utilité sociale soit prise en compte, il sera proposé aux professionnels de santé exerçant dans le secteur privé (médecins et établissements privés), les mesures suivantes :

1) Une rémunération garantie dans un délai raisonnable au-delà duquel des pénalités seront exigibles ; un système informatisé et sécurisé sera mis en place à cet effet.

2) La liberté d’installation assortie d’une prime annuelle, en cas d’installation dans une région sous dotée en médecins, durant toute la période du conventionnement (5 ans au minimum)

3) Une exonération complète des charges sociales les 3 premières années 4) Une garantie de l’Etat pour l’acquisition de matériel médical lourd (sur dossier) 5) La participation à hauteur d’au moins 50 jours ouvrables/an au service public

de la santé (santé de base et hôpitaux publics), rémunérés sur une base forfaitaire.

La régulation de ce système de santé universel suppose l’application stricte du « juste soin au meilleur coût », ce qui revient à définir le panier de soins que la collectivité prend en charge. A cet égard, une commission composée de personnalités qualifiées désignées par la tutelle auxquelles s’associent les présidents du conseil national de l’ordre des médecins et celui des pharmaciens, est créé.

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Dans le même esprit qui veut que tout droit nouveau soit conditionné par des devoirs, il est évident que des dispositifs efficaces de lutte contre la fraude sociale doivent accompagner la mise en place de cette santé universelle tout en veillant dans le même temps à en simplifier le plus possible le fonctionnement.

Une organisation des soins décentralisée

Afin de répondre aux besoins de santé sur l’ensemble du territoire et dans une optique décentralisée qui vise à rapprocher le citoyen des services qui lui sont dus, des agences régionales de santé (ARS) seront créées. Ces ARS sous la tutelle du ministère de la Santé auront, entre autres, pour mission d’organiser 4 niveaux de prise en charge : santé de base comprenant la protection maternelle et infantile et une consultation de santé mentale, secteur hospitalier public, secteur libéral conventionné, secteur libéral non conventionné. Les 3 premiers secteurs ont pour principe commun d’appliquer le tiers payant.

1) La santé de base, assurée par des dispensaires ouverts au moins 5 jours dans la semaine selon une amplitude horaire la plus large possible, comprend les soins courants externes (sans hospitalisation), au moins une consultation ayant trait à la protection maternelle et infantile d’une part et à la santé mentale d’autre part. Des actions de prévention (hygiène, alimentation, addictions, maladies sexuellement transmissibles) y seront menées.

2) Le secteur public hospitalier concerne toutes les structures de soins qui comportent un volet d’hospitalisation, d’accueil des urgences et de permanence des soins. Toutes les régions sanitaires doivent disposer d’au moins un CHU et d’un ou plusieurs hôpitaux généraux (dont l’un au moins comporte une maternité dotée d’une réanimation néonatale). Il gère également les structures de soins de suite (convalescence) et/ou les maisons médicales d’accueil des personnes âgées dépendantes selon une logique également régionale. Ce secteur a la charge de la formation des médecins et des autres professions paramédicales, en lien avec les universités et instituts correspondants.

3) Le secteur libéral conventionné comprend les médecins libéraux (généralistes et spécialistes) ainsi que les cliniques qui auront faits le choix de signer une convention avec l’ARS dont ils dépendent.

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4) Le secteur libéral non conventionné fonctionne de façon autonome

(honoraires libres) et n’est pas conventionné. Toutefois, l’ARS dans un souci de maillage territorial et pour éviter tout phénomène soit de concentration ou a contrario de désertification médicale, régule l’installation des médecins et/ou des cliniques concernés (comme c’est le cas pour les officines de pharmacie). Les professionnels de ce secteur sont encouragés à participer au service public de la santé (santé de base et hôpitaux publics) : dans cette hypothèse et à condition d’y consacrer au moins 50 jours ouvrables/an (payés sur une base forfaitaire), une exonération partielle de charges sociales leur est consentie durant la durée de leur engagement (au moins 5 ans).

Un vaste programme d’investissement sera nécessaire pour la construction des structures de soins manquantes, la mise aux normes de l’existant, le développement à la fois des transports médicalisés et des infrastructures de transport nécessaires. L’épargne nationale ainsi que la coopération internationale sous la forme de subventions et/ou de prêts à taux avantageux consentis au regard de l’utilité sociale du projet seront mobilisées en priorité en faveur d’un tel programme. Un travail préalable d’évaluation des besoins (et des coûts qui en résultent) ainsi qu’un calendrier précis de réalisation sera établi.

Pour une organisation efficiente et un accès facilité aux soins, la tutelle veillera à assurer un équilibre inter-régions tenant compte du niveau de vie moyen de la population considérée, de la démographie médicale et des facilités plus ou moins grandes de déplacement. Ces critères permettront - entre autres - de définir les régions sous dotées, sur la base desquels seront octroyées les primes d’installation réservées aux professionnels de santé ou aux cliniques privées du secteur libéral conventionné. L’ensemble de la réforme fera l’objet d’une loi présentée devant la représentation nationale de telle sorte que le dispositif soit démocratiquement adopté.

Dans l’intérêt général de la Nation

Ce projet dont il conviendra d’affiner les contours en fonction des préconisations de la conférence nationale de santé et suite aux concertations à mener avec les organisations syndicales concernées, a d’abord pour objectif de se conformer aux recommandations de la nouvelle Constitution tunisienne. En effet, il nous faut répondre à l’impératif de garantir, entre autres, un droit à la santé indissociable de la nouvelle citoyenneté que l’on veut promouvoir. Au-delà des considérations éthiques qui ont été soulignées, il convient également d’insister sur sa pertinence économique. En l’accompagnant d’une refonte juste et équitable de l’impôt, en octroyant un salaire indirect aux citoyens par le biais du tiers payant et en activant un puissant

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effort d’investissement, sorte de « plan Marshall de la santé », la collectivité améliore l’efficience des acteurs qui la composent en les protégeant vis-à-vis des aléas de la vie, sources de gaspillage conséquent, créé de l’emploi pérenne dans un secteur dynamique comme celui de la santé et mobilise l’épargne nationale et internationale dans de nombreux autres secteurs également créateurs d’emploi (bâtiment, transports). En somme, l’ambition de ce projet est de démontrer qu’il est possible de conjuguer justice sociale et pertinence économique au profit de l’intérêt général de la nation.

Dr Hakim Bécheur ; chef de service hospitalier (Paris)