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PROJET GUADELOUPEEN DE SOCIETE Détail des débats communaux Décembre 2012

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Projet guadeloupéen de société - détail des débats

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PROJET GUADELOUPEEN DE SOCIETE Détail des débats communaux

Décembre 2012

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Détail des débats communaux (avril-août 2012) par thème.

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A) Fraternité

L’analyse des comptes-rendus des débats communaux du mois d’avril et des contributions écrites, adressées aux instances du projet et postées

sur internet, permettent d’établir une monographie sur le thème de la fraternité. A la question, « la Guadeloupe est-elle fraternelle ? » et aux

angles d’attaque suggérés, les contributeurs répondent :

Le thème et la question sont-ils pertinents ?

« Pourquoi parler de fraternité ? ». Certaines interventions questionnent ouvertement la pertinence de la thématique dans le cadre de

l’élaboration du Projet de Société : « la définition de la fraternité est : « lien de parenté entre frère et sœur ». J’aurais préféré le terme de société solidaire,

solidarité, amitié. Je n’ai pas besoin d’aimer mon voisin comme mon frère pour m’entendre avec lui. Le terme fraternité pour aboutir à un projet de société,

cela me gêne ». Pour un autre contributeur, « le postulat de départ : « la Guadeloupe est-elle fraternelle ? » est confus. Pour moi, la vraie

question est : quel est le sens de « Vivre ensemble » alors que la Guadeloupe est un département français, intégré dans la Caraïbe et dans

l’Europe ? Avec qui vit-on ? Comment nous positionnons nous ? ». Pour les tenants de cette position – assez rares, il est vrai –, la fraternité ne

serait donc pas une composante nécessaire pour élaborer un projet commun et améliorer le vivre ensemble.

Une donnée nécessaire, mais pas essentielle si on se réfère à d’autres interventions, elles, plus nombreuses : « Si on parle de projet de société,

la première question à poser est qui est Guadeloupéen, qui se sent Guadeloupéen ? […] Qui a intérêt à s’intéresser au Projet Guadeloupéen de

Société ? Quel est le socle commun pour arriver à construire cette société ? ». Pour beaucoup, la thématique de l’identité aurait dû être

prioritaire dans les débats. De même, le traitement en amont de la thématique Education et Transmission aurait permis de mieux comprendre

cette question sur la fraternité : « il faut que nous connaissions notre Histoire, que nous sachions qui nous sommes, avant de pouvoir nous

ouvrir aux autres », nous disent nombre de participants.

Outre la thématique, la question introductive, « la Guadeloupe est-elle fraternelle ? », fait, elle-aussi, débat ; pour certains contributeurs, elle

biaiserait les débats : « poser la question c’est dire qu’on n’attend pas une réponse positive. Je pense qu’il vaut mieux se demander « comment

faire pour avoir une Guadeloupe fraternelle » ? » ou encore « je préfère me poser la question en ces termes : quelle fraternité pour la

Guadeloupe ? ». Notons, dans cette dernière intervention, l’idée que la fraternité revêt plusieurs formes qui diffèrent selon les sociétés.

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Ces réserves et, dans certains cas, ces critiques sur l’objet du débat n’ont pas pour autant atténué l’intérêt des contributeurs. Elles ont, au

contraire, contribué à structurer les débats puisque, développées et argumentées lors des rencontres communales ou dans les notes écrites,

elles ont notamment permis de mettre en évidence la polysémie et la diversité de manifestations de la fraternité ou encore les interrelations

de cette dernière avec les autres thématiques du débat. Enfin, ces considérations liminaires révèlent déjà des éléments de diagnostic et

d’orientation : non la Guadeloupe n’est pas fraternelle et il faut œuvrer pour développer la fraternité dans notre société.

Cet intérêt marqué et cette vision à la fois intégrée et proactive de la fraternité peuvent se lire dans les contributions suivantes : « le thème de

ce mois d'avril « la Guadeloupe est elle fraternelle ? » concentre, selon moi, toute les bases de la réussite de ce projet guadeloupéen : apprenons

à nous connaître, à connaître la terre et les hommes de cette île et le sentiment d'appartenance, j'ose dire, d'amour, se développera. […] Ce qui

nous manque c'est ce sentiment d'appartenance qui rend solidaires les uns et les autres car on partage la même terre ce qui équivaut à dire la

même chair » ou encore de manière plus synthétique « il faut que [les Guadeloupéens] s’aiment, qu’ils aiment les autres avant de commencer à bâtir

un projet sérieux. »

La fraternité a plusieurs significations et doit être mise en relation avec d’autres concepts.

Les questions récurrentes posées par les participants aux animateurs, dès le lancement des débats communaux, sont : « qu’entendez-vous par

fraternité ? Quelle différence faites-vous entre fraternité et solidarité ? » Elles traduisent tout d’abord la nécessité de définir le mot

« fraternité » en amont du débat. Notons ici que les participants reconnaissent avoir effectué des recherches en ce sens avant de participer au

débat.

Le second questionnement souligne le rapprochement ou à l’inverse la distinction qui est faite entre fraternité et solidarité. Si ces deux termes

ont parfois été utilisés comme synonymes lors des débats, dans la plupart des cas, les participants distinguent clairement les deux notions au

motif que « la fraternité implique une dimension affective, un investissement personnel plus fort que la solidarité ». Davantage, d’aucuns

estiment que ces deux principes sont aujourd’hui concurrents : « la solidarité nationale qui passe par la Sécurité Sociale ou la CAF ne devrait

pas oblitérer la fraternité » ou, dans le même ordre d’idée, « le système est peu propice à la fraternité entre individus, car on fait

systématiquement appel à l’Etat pour les besoins de solidarité ». Un participant va jusqu’à évoquer « l’hégémonie de la solidarité

institutionnalisée sur la fraternité ».

Tous les contributeurs s’accordent à reconnaître que la fraternité est une notion polysémique et qu’elle est appréhendée différemment selon

qu’elle s’exprime dans le cadre de la famille, de la religion ou de la sphère publique ; « la fraternité a plusieurs sens (juridique, politique,

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idéologique…). Dans son acception la plus commune, elle désigne la fraternité sociale, la solidarité, mais dans une approche plus large, elle

touche aux questions de communautés, de peuples, de genres ou tout simplement humaines ». Certains préfèrent alors l’évoquer du point de

vue religieux : « « Le mot frère renvoie à l’Eglise. Sommes-nous croyants ? Il faudrait revenir à nos valeurs antérieures. […] La spiritualité est

aussi un moyen ». D’autres abordent la question de la fraternité sous l’angle politique en rappelant que c’est, avec l’égalité et la liberté, l’un

des trois principes de la République. L’un des participants précise : « en France, cette notion apparaît avec la Révolution, mais demeure la

moins bien lotie des trois principes de la République ». Mais nombre de contributeurs rappellent qu’étymologiquement, le terme renvoie à la

famille et que « c’est, avant tout et surtout, au sein de [celle-ci] que la fraternité devrait s’exprimer ».

« La fraternité désigne la relation aux autres, mais savons-nous déjà qui nous sommes ? Sommes-nous Guadeloupéens ? Quel type de

Guadeloupéens ? Avant de parler de fraternité, il faut parler de nous avant », nous dit un participant. Cette intervention traduit l’idée, évoquée

précédemment car largement partagée dans les débats, que les réflexions menées sur la fraternité ne peuvent être dissociées de

considérations identitaires. Un autre contributeur ajoute : « il faut être bien avec soi-même. Antanlontan, cela existait car il y avait un profond

rapport au pays, à la terre. Il nous faut nous réapproprier la Guadeloupe, nous demander qui nous sommes, nous connaître nous-mêmes et faire

la paix avec l’Histoire. Les conditions sont-elles réunies pour que nous nous sentions chez nous ? » La fraternité procèderait donc d’un sentiment

d’appartenance à une communauté humaine, à un pays, à une terre ; « pour moi la fraternité est liée au sentiment d’appartenance au

territoire. Elle peut s’élargir aux autres mais elle est d’abord liée au territoire ». Dans cette perspective, certains n’hésitent pas à lier la

fraternité à la fierté nationale. Dans le même ordre d’idée, les veillées mortuaires, qui, sans être spécifiques à la Guadeloupe, sont ancrées

dans le paysage culturel local, apparaitraient alors comme fraternelles car relevant d’un bien commun, partagé par tous les Guadeloupéens.

Davantage, la conception qui prévaut pour définir la fraternité est celle d’une volonté de vivre et de bâtir un projet ensemble : « [parce qu’elle]

introduit du lien entre personnes, la fraternité conduit au vivre ensemble », « la fraternité demande qu’on fasse ensemble et qu’on crée au

niveau architectural, musical, au niveau de l’économie, de l’agriculture… ».

Autre mot qui apparaît souvent dans les débats sur la fraternité : respect. Ce florilège d’interventions suffit à en attester : « il faut cesser de voir

la fraternité comme un sentimentalisme mais comme un respect fondamental. C’est respecter l’autre comme un frère, appartenir à la même

société, dépasser la peur », « la fraternité c’est le respect ! Il faut mettre le respect dans la fraternité. Pour moi il y a une chaîne : la morale, le

civisme, l’entraide et le respect ! », « parler de fraternité c’est parler de relation à l’autre, de respect de l’autre, et j’insiste, de sa fonction. » Et

pour beaucoup, le respect s’inscrit dans des relations égalitaires : « la fraternité c’est d’abord l’égalité. C’est cette égalité qui fonde le dialogue

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et l’échange et nous pousse à tendre la main à l’autre », « la société ne peut être fraternelle que si va vers l’égalité. Les inégalités créent un

déficit de solidarité entre nous ».

L’individualisme et le matérialisme prévalent aujourd’hui en Guadeloupe.

Le constat est quasi unanime : « les Guadeloupéens sont devenus égoïstes, consuméristes : c’est chacun pour soi. Il n’y a pas de solidarité ».

« Isolement », « méfiance », « intolérance », « jalousie », « violence », « peur » sont les qualificatifs les plus fréquemment cités pour désigner

les relations interpersonnelles en Guadeloupe. Ils seraient les signes d’un individualisme érigé aujourd’hui en norme dominante : « tout le

monde construit des murs pour se couper de ses voisins », « l’isolement et la violence sont notre lot commun », « l’un des gros problèmes est le

fait que les gens vivent enfermés sur eux-mêmes ; par manque de dialogue dans le couple, dans la société et ailleurs, les gens sont méfiants et

cèdent trop facilement à la violence », « aujourd’hui, nous avons peur : peur de la vérité, peur d’être agressés, peur d’être volés… Nous n’osons

plus en parler », « il y a du racisme [en Guadeloupe] par manque de connaissance. Il faudrait que les gens se réunissent et mettent les choses à

plat. Chacun peut apporter ses connaissances. Beaucoup de gens vivent en vase clos », « il y a un problème grave chez nous, il faut qu’on se le

dise. Je déplore le fait que l’on n’est jamais roi dans son pays. On a tendance à vouloir écraser le compatriote qui avance et non à

l’accompagner. Cela fait partie de notre mentalité, de notre culture et c’est un manque de solidarité », « la confiance manque à notre société,

elle manque aussi dans nos rapports aux uns et aux autres. Elle doit être le socle initial de la société que nous voulons construire », « j’ai vécu 7

ans au même endroit sans avoir aucun contact avec mes voisins ; les comportements individualistes sont aujourd’hui la norme ; il y a urgence à

agir et à promouvoir le vivre ensemble car la maison Guadeloupe brûle », ou encore « nous nous enfermons dans l’individualisme [alors que]

pour lutter contre les phénomènes de société qui plombent notre archipel et perdurent […], nous devons être dans une démarche collective et

participative ». Les trois dernières contributions insistent à la fois sur la difficulté qu’a aujourd’hui le Guadeloupéen à s’intégrer ou même à se

projeter dans une démarche collective et sur l’urgence à agir ensemble, dictée par la situation. Cette perception est confirmée par des

exemples de comportements individualistes ou égoïstes dans le monde professionnel ou sur le plan territorial. En ce qui concerne ce dernier

point, les contributeurs sont particulièrement prolixes : « l’aménagement du territoire aussi doit être plus fraternel », « on n’arrive pas à se

mettre d’accord pour la gestion de l’eau », « je souhaite pour ma part que l’on prenne davantage conscience du fait que la Guadeloupe est un

archipel […] au risque d’être ignoré ou laissé pour compte ». L’une des conséquences de cette relative absence d’initiative collective serait

l’hétéro-imputation : « notre gros souci en Guadeloupe : quand quelque chose est fait, mal fait, c’est toujours la faute à l’autre »

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Individualisme et matérialisme, égoïsme et consumérisme, vont souvent de paire et, de l’avis des participants, cette règle s’applique en

Guadeloupe : « aujourd’hui, les gens ne pensent qu’à s’enrichir. L’argent prédomine et prend le pas sur les relations humaines », « par désir

d’exister socialement, on devient affairiste », « il n’y a pas de fraternité en Guadeloupe : sans argent, on vous marche dessus », « avec la

consécration de l’argent roi, liée à l’augmentation des salaires et des aides, la Guadeloupe est entrée dans une course à la consommation de

biens d’équipement, à la malconsommation », « l’argent nous permet d’acheter des télés et des téléphones. Il apporte de la rapidité mais fait

perdre le temps consacré à l’autre, aux enfants », « la consommation et l’attachement à la propriété privée génèrent jalousies et

comportements individualistes : il n’y a que peu de rencontres de l’autre ». Cette remarque sur la propriété privée trouve un écho dans la

formule « l’indivision est source de divisions ». En somme, « l’augmentation du niveau de vie n’a pas induit davantage de bonheur ou de lien

social, mais au contraire favorisé l’individualisme, la recherche de l’immédiateté », « avec l’embourgeoisement de la société, la marchandisation

des relations et l’absence de fierté nationale, les individualités prennent le pas sur l’esprit collectif », « la fraternité n’existe plus, personne n’aide

personne. Nous roulons dans des véhicules climatisés aux vitres teintées » : parce qu’elle est devenue individualiste et matérialiste, la société

guadeloupéenne n’est pas fraternelle.

Les contributeurs ont cherché à établir la causalité ou tout du moins les responsabilités dans cet état de fait, sans que ne se dégage pour autant

un avis tranché ou une vision dominante : « c’est le système qui nous rend comme ça. Il cherche à nous diviser et à nous individualiser. Ca ne

sert à rien de blâmer les individus » ou, a contrario, « certes le système actuel est l’une des causes de la régression de la Guadeloupe, mais c’est

l’état d’esprit des Guadeloupéens qu’il faut d’abord changer », dans tous les cas, « il faut distinguer le système et l’état d’esprit. Un système

différent peut fonctionner avec le même état d’esprit ! »

La fraternité s’exprimait plus facilement et plus fortement avant.

« Nous sommes passés d’une société morale à une société économique où la consommation, la compétition du paraître, mais aussi les failles de

la transmission et l’habitat collectif ne favorisent pas le rapprochement des personnes». Cette affirmation ne corrobore pas seulement le

constat établi pour la situation actuelle ; elle introduit également une mise en perspective socio-historique, l’idée que la Guadeloupe a connu

de profondes mutations sociales et que la fraternité s’exprimait plus facilement et plus fortement dans le passé. Cette analyse fait l’objet d’un

certain consensus parmi les contributeurs : « Antanlontan, [la fraternité] existait car il y avait un profond rapport au pays, à la terre », « je crois

qu’avant les gens étaient fiers d’être guadeloupéens. Ils cultivaient le vivre ensemble qui fait défaut aujourd’hui », « Il a existé une société

fraternelle, avec beaucoup de rapports de voisinage : il n’y avait pas avant autant de murs et de barrières qui séparaient les familles et les

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communautés », « la fraternité s’exprimait à l’occasion des bals et des fêtes populaires à la campagne où chacun apportait sa contribution et

où on pouvait passer de maisons en maisons ». D’autres initiatives emblématiques de ce passé où la fraternité était plus développées, tels le

Secours Mutuel ou les écoles payées sont également mises en avant.

Très présentes dans cette convocation du passé, les notions de « fracture » et de « mutation » sociale ont été explicitées comme suit : « la

Guadeloupe a connu d’importantes mutations sociales, dont nous n’avons pas toujours conscience ; le contrôle social, typique des sociétés

traditionnelles, n’a plus cours ici. Pourtant, nous continuons à regarder dans le rétroviseur dans une vaine quête de la tradition ou des

origines », « nous assistons à un véritable bouleversement et je me demande si ce mot [« fraternité] existe [encore] », « cela fait 65 ans que la

situation se dégrade en dépit des bouché zyé ». Certains participants situent ces ruptures dans le temps. Mises bout à bout, ces lectures

historiques croisées produisent la chronologie suivante : « dans la société post-esclavagiste, la fraternité était une nécessité et prenait la forme

de tontines et de coups de main, le partage était une obligation du fait de la similitude des conditions. Le meilleur exemple est certainement la

constitution de tandems dans les champs de canne », « dans les années 1930, la fraternité était [toujours] ancrée dans la société

guadeloupéenne », « la fraternité s’est étiolée dans les années 50 avec le développement de la fonction publique et l’amélioration du bien-être

individuel ».

Cette analyse est tempérée par certains participants qui y voient là une forte dimension nostalgique : « avons-nous la nostalgie d’une fraternité

passée ? Le mode de vie a changé », « j’aimerais qu’on enlève la dimension sentimentale lorsqu’on parle de fraternité. Elle est en relation avec

l’évolution de la société. La population n’est plus la même. Il faut tenir compte des nouveaux arrivants. Cela nous oblige à composer avec les

autres. », « nous avons du passé l’image d’une solidarité plus immédiate », « on a l’impression qu’avant on vivait tous comme des frères et

sœurs. On peut toujours vouloir embellir le passé mais il y a des réalités. Il n’y avait pas d’animosité mais on vivait en communautés, il y avait

des rivalités, les communautés n’étaient pas si ouvertes que cela ».

La fraternité se manifeste encore sous différentes formes.

D’autres vont jusqu’à « contester l’idée d’un délitement social en Guadeloupe ; cette idée circule sans éléments tangibles permettant d’en

attester ; a contrario, les valeurs positives ne sont pas assez mises à jour », « il faut arrêter avec l’autodénigrement et l’auto-flagellation et

véhiculer davantage de messages positifs », « on a toujours tendance à dire que le Guadeloupéen n’aime pas le Guadeloupéen. […] Arrêtons le

déficit d’image. Il y a des gens qui se crèvent pour faire et personne ne les connaît ». Ces interventions traduisent des défaillances dans la

valorisation d’actions jugées comme « positives » et parmi elles, les actes de fraternité. Pour certains participants, la Guadeloupe jouit d’un

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« fonds fraternel » qui a perduré, mais ne s’exprime pas toujours : « il existe un fonds fraternel qui ne s’exprime pas toujours du fait du mode de

vie, d’habiter et de consommer », « j’estime que la société guadeloupéenne est d’essence solidaire. On y trouve de la chaleur humaine, de la

convivialité, de l’entraide ».

Que ce constat d’un délitement social ou au contraire celui d’une perpétuation de ce « fonds fraternel » soit partagé ou non, les contributeurs

convergent autour de l’idée que des pratiques fraternelles ont encore cours aujourd’hui en Guadeloupe : « maintenant on privilégie un bonheur

matérialiste mais je pense malgré tout qu’il y a des lieux où la fraternité s’exprime », « la fraternité existe en Guadeloupe ; dès que quelqu’un est

hospitalisé ou décède, toute la section ou toute la commune s’en émeut ». Un contributeur décrit, dans une note écrite, ce capital fraternel

dont jouissent les Guadeloupéens : « [la fraternité] participe du ciment de l’identité collective guadeloupéenne. Qui ne se souvient de la période

dite « an tan Sorin » où est apparu l’effort guadeloupéen symbolisé par un nouvel état d’esprit inventif et solidaire? Qui ne se souvient de la

solidarité guadeloupéenne face aux épreuves de la vie (maladie, deuil, catastrophes naturelles…) ? Qui, dans son quartier n’a pas régulièrement

échangé des nouvelles avec ses voisins et porté secours à ceux qui avaient besoin d’assistance ? Qui, n’a combiné un jour ses efforts scolaires

avec ceux d’un voisin à la bourse plus modeste ? Qui, dans les cours et les faubourgs n’a pas mis en pratique le célèbre refrain de la chanson

d’Henri Debs : « C’est la vie aux Antilles ? » Et ce n’est pas faire montre de nostalgie que de s’accrocher à de telles images…C’est tout

simplement adhérer à un certain art de vivre, assis sur une culture empirique de l’entraide et du partage dont nous ne devons jamais nous

départir ! » Mais, admettent les contributeurs, « la fraternité est vécue différemment selon les histoires de chacun », « tout le monde ne comprend pas la

fraternité de la même façon. Dès qu’il s’agit de l’environnement immédiat, ça fonctionne, mais au-delà, c’est plus difficile ». De même, « on est

fraternel dans le malheur mais pas dans la vie de tous les jours ». Le postulat selon lequel la fraternité se manifeste plus volontiers dans les

situations de crise donne lieu à de nombreuses interventions : « lorsqu’il y a une catastrophe, nous savons être fraternels, aider les autres, nous

mobiliser », « c’est sûr que la fraternité est plus grande chez les gens en crise ! », « la fraternité ne s’exprime que dans les moments critiques »,

« la fraternité évolue en fonction des périodes, des crises et de la situation sociale ». Pour certains, la Guadeloupe se caractérise par « une

« fraternité de circonstances » qui ne s’exprime que lors des grands désastres » - ou encore « une « solidarité de la résistance » à laquelle il

manque une vision de l’intérêt général ». La fraternité ne serait donc pas un état permanent, ni même une pratique régulière. Pourtant, elle existe encore en Guadeloupe et se

manifeste sous des formes diverses : sous sa forme institutionnalisée, par l’action de l’Etat et des autres pouvoirs publics, mais aussi à travers

certaines initiatives comme « les Restos du Cœur, le Sidaction… » et, de manière plus large et plus diffuse, dans toutes les sphères d’activités

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humaines : dans le cadre familial, dans le monde professionnel… L’idée qui ressort est que la fraternité revêt un visage différent selon la sphère

d’expression, mais aussi selon les classes sociales ou la portion du territoire. A ce sujet, les participants émettent la double hypothèse qu’« il y a

davantage de solidarité chez les personnes modestes » et que « la fraternité est encore développée dans les petites communes rurales ».

Formulé autrement, il y aurait encore en Guadeloupe des « poches de fraternité » qui gagneraient à être connues.

Les agents de socialisation n’œuvrent pas pour une société plus fraternelle

Les contributeurs ont passé les principaux agents de socialisation au crible de cette analyse de l’étiolement de la fraternité :

- « la fraternité devrait commencer au sein de la famille puis s’étendre au quartier et enfin au pays ». « Il faut [donc] promouvoir [ce principe] au

sein de la famille pour les prochaines générations », mais « la base familiale est elle-même atteinte » « la famille nucléaire et élargie est

aujourd’hui en décrépitude », « l’autorité de la famille est mise à mal et les référents externes que sont les voisins et les associations ne jouent

plus le même rôle » et « la famille est aujourd’hui remplacée par les réseaux sociaux dans une sorte de « virtualité amicale » ».

- les associations : « le milieu associatif est dynamique et permet de retisser du lien social, tout comme la fête des voisins dans certains

quartiers ». « La vie associative et le bénévolat d’antan ont beaucoup évolué comparativement à aujourd’hui. Je pense qu’il faut davantage

d’investissement de la population dans les associations. […] Si la Guadeloupe veut retrouver un équilibre, il faut s’investir dans la vie associative

car cette dernière véhicule des valeurs de partage qui peuvent aider à structurer les familles » : « les Guadeloupéens à travers les associations

peuvent faire quelque chose ». Mais « Les responsables d’association vieillissent », « il y a de moins en moins de bénévolat. Dans la vie

associative il y a une majorité de gens à la retraite ». - « aujourd’hui, ne serait-ce que pour faire du bénévolat c’est qu’est ce que tu me donnes

en échange ? Combien je vais toucher ? Avec le modernisme, on fait du bénévolat payé ».

- l’Ecole : « la première vague d’instituteurs arrivés en Guadeloupe nous ont inculqué la notion de solidarité, d’amour ; ils nous ont amenés à comprendre

que celui qui a les moyens doit aider celui qui n’en a pas ». Mais « l’Ecole apparaît plus aujourd’hui comme un facteur de division » que de solidarité.

- les médias : « ce n’est pas seulement la télévision, mais aussi Internet et les jeux vidéos qui favorisent l’individualisme», de manière générale, « les NTIC

induisent une fracture technologique et donc sociale »

- les élites : « la compétition des élites politiques a des incidences négatives au niveau du peuple », « l’exemple doit venir d’en haut ».

On observe un consensus sur le fait que les agents de socialisation ne jouent pas ou plus leur rôle de promoteurs de la fraternité en

Guadeloupe. Face à cet état de fait, certains contributeurs soutiennent que le développement de la fraternité doit procéder d’initiatives

individuelles : « avons-nous besoin des institutions pour développer la fraternité ? Cela doit venir de nous », « Chacun a une responsabilité dans

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la transmission des valeurs de fraternité. », « on a trop tendance à tout laisser à la charge de la puissance publique », « la solution doit venir de

nous. Il ne faut plus systématiquement compter sur l’Etat », « agir pour que la solidarité ne soit pas un mot vide de sens, se rappeler les

fondements douloureux de notre société quand ce terme était une condition vitale et s’en servir comme fondation pour définir par nous-mêmes

l’avenir de nos enfants ». En ce sens, la fraternité doit pouvoir s’exprimer pleinement dans le cadre de réseaux informels.

Propositions pour renforcer la fraternité

- développer les travaux d’intérêt collectif pour rapprocher les jeunes de différents quartiers et de différents milieux

- généraliser les chantiers dans les communes et travailler par ce biais sur l’estime de soi »

- développer les investissements citoyens, même symboliques, pour financer les projets des jeunes

- réhabiliter les agents de médiation qui jouent un rôle de facilitateurs

- encourager la « Fête des voisins » pour recréer du lien »

- cultiver la fraternité tout le temps et non pas seulement dans le malheur (cyclones ou autres)

- éduquer à la fraternité à l’école

- créer un fonds de solidarité

- développer l’éducation à la consommation locale - inciter nos compatriotes à se réunir autour d'un verre au sein des quartiers

- valoriser les coups de main dans les pratiques de construction

- instaurer des jumelages entre communes de l’archipel

- développer les jardins familiaux

- développer les associations intergénérationnelles

- favoriser le regroupement des TPE et des PME pour mutualiser leurs charges

- encourager le bénévolat

- instaurer des cours de morale à l’école

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B) Identité

L’analyse des contributions, recensées dans les débats du mois de mai et sur le site internet, fait l’objet, dans les pages qui suivent, d’une

synthèse organisant des éléments épars. A la question, « qu’est-ce que l’identité Guadeloupéenne ? » et aux angles de réflexion suggérés, les

contributeurs répondent à travers plusieurs grands axes: 1) une quête d’une définition de l’identité, 2) une présentation de l’identité comme

une valeur positive, 3) une relation ambiguë à l’altérité et à la pluri appartenance identitaire. Ces contributions s’accompagnent enfin de 4)

propositions d’actions ou de politiques pour développer l’identité guadeloupéenne. Il convient d’observer que les grandes catégories

identifiées reprennent en partie les angles d’attaque suggérés, ce qui permet de dire que ces derniers ont quelque peu orienté les débats.

A) La quête d’une définition de l’identité

1) La nécessité de dépasser la quête identitaire

Plusieurs contributeurs, au cours des différents débats tenus sur ce thème, s’interrogent d’abord sur la notion d’identité et sur ses limites,

voire insistent sur la nécessité de dépasser la quête identitaire locale. Plusieurs types d’arguments justifient cette volonté de « sortir de

l’identitaire ». Certains mettent en relation le débat identitaire locale et le débat sur l’identité nationale dans l’hexagone et ses relents

xénophobes : « la problématique de l’identité est borderline comme l’ont montré le récent débat sur l’identité nationale et les appels du pied au

FN. Etant martiniquais, en arrivant en Guadeloupe, j’ai été frappé par l’extrême vivacité de l’identité guadeloupéenne. Je m’interroge sur le

choix de la problématique. Il faut éviter les dangers du repli identitaire », ou encore prétendent qu’« il ne faut pas s’enfermer dans le débat

identitaire, c’est ainsi qu’il deviendra riche. » La volonté de ne pas céder au « repli » est parfois même justifiée par la « puissance » de l’identité

guadeloupéenne : «La Guadeloupe s’est forgée une histoire tellement puissante qu’elle a réussi à imposer le créole comme une langue (alors

qu’ailleurs, on parle de patois). Pourquoi alors ce besoin de repli sur soi ? » Quelques réflexions portent sur la supposée vacuité des débats

identitaires et l’engendrement d’une agressivité en évoquant ce thème : « les débats sur l’identité sont surfaits…nous avons une identité, mais

nous subissons une influence importante que, par définition, nous ne choisissons pas. Les gens deviennent agressifs en parlant de ce problème. Il

y a un effort à fournir pour développer notre culture. Il me semble que c’est inutile de vouloir chercher son identité. Pourquoi vouloir donner une

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certaine image ? Nous voulons être aimés. En fait il y a plusieurs identités…» ; « pourquoi codifier quelque chose qui existe ? Codifier, c’est créer

des animosités » ;« est-ce important de définir l’identité guadeloupéenne ? En 2012, c’est grave de parler de blanc/noir. Nous sommes

guadeloupéens ! Connaître son histoire n’est pas indispensable pour avancer. Par exemple, les Etats-Unis ont réussi sans cela. Il faut aller de

l’avant et faire avancer le pays. » Un participant insiste dès lors pour « ne pas définir ‘être Guadeloupéen’ mais plutôt cultiver ‘être

Guadeloupéen’ ». La nécessité de s’ouvrir à la mondialisation ou aux influences extérieures constitue un point commun à de nombreuses

interventions : « si je dois évoquer la notion d’appartenance, je dirai qu’elle est multiple. Il y a la Désirade, la Guadeloupe et le monde. L’époque

nous contraint à nous ouvrir, à aller du local au global » ; « nous sommes citoyens du monde », « le débat qui m’intéresse plus est celui qui celui

de savoir qui est citoyen du monde même si je considère que celui sur l’identité guadeloupéenne est important », « il faut élargir à l’espace

mondial et ne pas se limiter à la Guadeloupe et la Caraïbe », « il ne faut donc pas s’isoler dans le contexte de l’identité ou de la langue car ces

ouvertures sont une richesse (situation géographique) ». Toujours en relation à la France, un intervenant affirme contre toute attente que

« cette réunion n’aurait pas eu lieu en France ». Un autre traduit une idée que l’on retrouve de manière sous-entendue dans plusieurs

contributions à l’égard de l’identité : « sans oublier son passé, il faut regarder vers l'avenir. Passer son temps à flageller, dénigrer la France

quant à la traite négrière ne permet pas son intégration franche et sincère aux valeurs de la République. Vaut mieux choisir un statut qui

lèverait toute ambiguïté sur sa coopération avec la France et l'Europe. » Enfin, plusieurs interventions soulignent leur malaise vis-à-vis de ce

thème en raison des difficultés de définition de l’identité guadeloupéenne. Une intervenante affirme ainsi « ne pas être très à l’aise avec la

question de l’identité à cause des origines multiples des guadeloupéens » (ndlr : on retrouve ici la notion de racines multiples de E. Glissant), un

autre soulignant « qu’il est gênant de tenter de définir les contours de l’identité guadeloupéenne. Pourquoi ne pas simplement demander à

chacun de se positionner et de dire que son positionnement vaut engagement ? »

2) Une définition problématique, incertaine et multiple

Sans récuser le principe du débat ni la catégorie d’identité, plusieurs interventions préfèrent insister sur la dimension floue de l’identité et son

risque de confusion avec d’autres thématiques : « n’existe-t-il pas une confusion entre identité et singularité ? Entre Identité et tradition ? » « Le

concept est flou ».Dans la même ligne, l’identité est aussi perçue comme un concept aux usages équivoques : « il y a des manières positives et

négatives de vivre l’identité ». Les participants proposent pour partie d’entre eux une définition réfléchie de l’identité, structurée sur des pôles

bien identifiés : « L’identité, ce sont des caractères stables regroupés par rapport à une personne, une entité individuelle, une entité collective.

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On a une identité collective, individuelle, sexuelle, professionnelle…etc. » ; « l’identité se réfère à a) un lieu : la Guadeloupe et ses îles dans

l’espace caribéen : « l’identité est aussi liée à un territoire (fête du crabe à Morne-à-l’Eau, du cabri à la Désirade) », b) un espace : il peut être

physique ou culturel : « l’identité, c’est un espace, c’est la reconnaissance de l’autre », c) le temps :« l’histoire primordiale de la

Guadeloupe ».Une structure définitionnelle différente est évoquée par un autre intervenant : « l’identité (guadeloupéenne) est triple : a) c’est

un savoir qui nécessite une éducation sur le patrimoine (culinaire, culture…), b) une réflexion sur ce qui « ce qui nous singularise (la géographie

sans nous fermer à l’extérieur) et c) un recensement de « ce qui nous lie (le créole). »D’autres contributeurs tentent d’élaborer une définition

englobante de l’identité : « l’identité c’est le créole, les pratiques culinaires, l’histoire, vivre les apports extérieurs », « c’est une manière de vivre

en tenant compte de notre culture et de notre patrimoine », ou encore basée sur des valeurs et un ressenti « l’identité ne va pas sans le

respect », et « être guadeloupéen ce sont des gestes simples, c’est s’approprier et aimer son territoire. »

La question des modalités et des conditions d’appartenance se pose pour de nombreux contributeurs, et a pour corollaire une mise en exergue

des difficultés à définir l’identité. Plusieurs facteurs contribuent à une telle incertitude. Premier critère d’identification, la définition de

l’identité achoppe d’abord sur la question de la couleur de la peau et de l’appartenance au groupe majoritaire (les « noirs ») et géographique

(la Guadeloupe vs les autres îles de l’archipel) : « Pour être considéré guadeloupéen faut-il être noir ? Alors que s’agissant des autres carnations

pour être perçu comme Guadeloupéen il faut préalablement que l’on se soit exprimé (langue, accent). La couleur de la peau marque une

différence. Ce que perçoivent les gens vis-à-vis des gens qui ne sont pas noirs est différent de ce que ceux-ci mêmes ressentent (ils sont

guadeloupéens). Le débat est très compliqué et pose le problème de la considération du métissage. » Certains contributeurs récusent ce

critère au nom du multiculturalisme : « la question de l’identité ne doit pas simplement être reportée à la question de la couleur de peau car

l’aspect arc-en-ciel de la population l’interdit ».Dans certains débats, la question de la reconnaissance des identités minoritaires est posée,

notamment dans les îles du Sud et particulièrement à Marie-Galante. Un intervenant a considéré que « les habitants de la Désirade avaient une

double identité : l’identité désiradienne et l’identité guadeloupéenne ». Un autre intervenant de Marie-Galante affirme : « je suis Marie-

Galantais et fier de l’être. On est guadeloupéen certes mais que il faut que notre particularité soit respectée. »Le deuxième critère

problématique d’identification est la condition de présence sur le territoire : le fait d’être né ou de résider ou non en Guadeloupe est-il un

facteur de conditionnalité pour l’appartenance identitaire ? « Qu’est-ce qui permet de dire qu’on est guadeloupéen ? Etre sur ou hors du

territoire ? »A cela les réponses varient. Pour certains, « être guadeloupéen c’est tant la personne née ici que la personne s’appropriant us et

coutumes », mais la question se pose de savoir si « un jeune installé au Canada depuis 10 ans est encore considéré comme un

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Guadeloupéen ? ».Cette interrogation sur le rapport entre facteurs objectifs et subjectifs explique la mise en exergue du vécu dans l’identité

guadeloupéenne : « pourquoi les enfants de fonctionnaires métropolitains, nés en Guadeloupe se considèrent comme guadeloupéen et ont

parfois du mal à retourner vivre en France, alors que les fils de guadeloupéens "bon teint" se disent d'origine Africaine ? Combien de costumes

africains croise-t-on dans les rues ? »Troisième critère qui nourrit le débat sur la définition complexe de l’identité guadeloupéenne : la part de

l’économique et du culturel dans cette dernière. Deux positions semblent s’opposer sur ce point. Pour une large part des intervenants, « le

fondement de l’identité, c’est la culture ». Pour d’autres, « nous sommes multiculturels, mais une identité n’est pas que culturelle » car« il est

nécessaire d’intégrer à la réflexion la composante économique. Il y a une identité économique ». Pour les tenants de cette position, « être

guadeloupéen c’est au quotidien se battre pour mettre en place des procédures pour le développement économique des entreprises

guadeloupéennes » ;c’est aussi un « travail sur l’identité dans les entreprises » ; ou encore « je suis Guadeloupéen parce que j’y suis né, j’y

travaille, et j’œuvre pour le développement du pays ».Sur ce point, une grande partie des contributeurs s’accordent cependant sur le fait que

« l’identité est multiple, il y a différents niveaux qui pourraient se compléter. Il faut imaginer un développement où la culture & l’économique se

rencontrent. Par exemple les veillées, mortuaires disparaissent. Pourquoi ne pas imaginer un développement économique de ce créneau ? ». Dès

lors, l’identité guadeloupéenne doit être pensée dans sa multiplicité : « l’identité est une pluralité. Il existe plutôt des identités

guadeloupéennes qui doivent avoir un lien, qui est la créolité. »Face à une définition axée sur la naissance ou l’appartenance à une

communauté identifiée comme guadeloupéenne, ou d’autres critères identitaires « objectifs », plusieurs participants posent la question du

statut de l’appartenance, entre facteurs objectifs et sentiment de vivre une émotion particulière : « Etre guadeloupéen, c’est être né ici ou vivre

l’émotion guadeloupéenne ? ». Pour certains, la dimension émotionnelle semble primer sur les facteurs objectifs : « ce n’est pas la façon dont

tu présentes qui fait de toi un guadeloupéen, mais la façon dont tu aimes la Guadeloupe et dont tu respectes ton environnement. C’est dans le

cœur : plus on agit bien avec la Guadeloupe plus on est guadeloupéen. »

3) L’identité à la frontière entre développement personnel et projet collectif

Dans la définition de l’identité guadeloupéenne, l’insistance sur la participation à une « émotion guadeloupéenne » spécifique pose

l’appartenance identitaire au confluent du développement personnel et du projet collectif. Ce positionnement pose question pour de

nombreux contributeurs : « individuellement ça va ; mais collectivement quelle est l’intelligence qui existe ? », « on dit des choses

individuellement…nous sommes intelligents individuellement, mais collectivement incapables d’organiser des choses (sauf le Carnaval). La

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culture doit se faire ensemble…la tradition doit évoluer. Chaque fois qu’on essaye collectivement quelque chose on s’avère incapable de le

réaliser »ou encore « est-ce que le phénomène d’identité n’est pas du à l’ordre ressenti individuellement et collectivement ? ».La question de

l’affirmation individuelle est évoquée en relation à l’altérité dans l’espace guadeloupéen : « qui je suis ? Comment je me qualifie par rapport

aux autres dans un environnement propre ? »Il est globalement admis que la définition de l’identité guadeloupéenne ne saurait être confinée à

l’individuel ou au collectif de manière univoque, même si le ressort de l’intime compte beaucoup : « ma Guadeloupe ne peut pas être celle de

ma mère. L’identité ne se réduit pas à ce que nous mangeons. L’identité guadeloupéenne ne se dissout pas dans le monde. Je garde toujours

cette culture de la solidarité…c’est quelque chose qui est dans l’intime ». Plusieurs intervenants fixent ainsi l’identité dans le domaine principal

de l’affect et des émotions : « être Guadeloupéen c’est affectif », « être Guadeloupéen c’est viscéral, on le sent, on le vit », « être Guadeloupéen,

c’est penser ou vivre Guadeloupe », « être Guadeloupéen, c’est un état d’esprit » ou encore « être Guadeloupéen correspond à de

l’affectivité ».L’identité est alors assimilée à des comportements psycho-sociaux caractéristiques : « notre spontanéité, notre rire au éclats,

notre besoins de toucher les personnes quand nous échangeons avec elles et la culture des embrassades (les bos). » A ce titre, l’identité

guadeloupéenne est décrite comme rejoignant d’autres identités régionales françaises :« être guadeloupéen c’est comme être basque, breton,

etc., ce sont les émotions, la culture, l’art, le rire, la parole (créole) etc. »

4) L’identité comme un ensemble de pratiques culturelles « ordinaires »

Le fait de fixer l’identité dans l’intimité de chaque individu s’accompagne de sa définition à travers des pratiques culturelles « ordinaires »,

« banales » ou encore non politiques d’identification. Différents facteurs « culturels » au sens large sont mis en avant, et au premier lieu

desquels la gastronomie guadeloupéenne :« une odeur de confiture m’a fait me souvenir de mon enfance » dit une intervenante, « le bien

manger et le mal manger jouent aussi un rôle identitaire ». La gastronomie est censée révéler les caractéristiques de la société

guadeloupéenne : « la culture culinaire est un reflet de qui nous sommes ». Il est notable qu’autant que les plats cuisinés, c’est aussi un

ensemble de produits de l’agriculture locale qui symbolisent de manière récurrente l’identité guadeloupéenne : « je cuisine ignames et fruits à

pain. Mon fils sait faire le migan (il est cuistot) » ; l’affaissement d’un certain nombre de pratiques culinaires est présenté comme reflétant une

perte identitaire car « l’agriculture est un volet important de l’identité. En venant en Guadeloupe j’avais une vague idée de ce qu’on cultivait.

J’ai compris à quel point la société de consommation avait imprégné la population. Beaucoup de gens ne mangent plus de fruits à pain. Les

guadeloupéens sont devenus des américains (obésité, diabète…). L’identité c’est aussi l’amour que l’on porte à la terre qu’on occupe. » Autres

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pratiques culturelles notées par les participants comme porteuses d’identité, la musique, la danse et le carnaval reviennent souvent dans les

interventions : « notre identité, c’est la musique et la danse », « il y a une singularité du carnaval et du genre collectif ». Pour certains, la

reconnaissance internationale de la musique locale est une source de fierté : « aujourd’hui le gwo ka est fortement reconnu : il fait partie du

patrimoine protégé de l’Unesco. » L’habitat local est aussi désigné comme vecteur d’identité, et le déclin des maisons créoles et de la vie à

l’extérieur sont parfois présentés comme des signes de la perte d’identité : « est que notre mode d’habiter est typiquement guadeloupéen ? Ça

a existé (maison créole) même si aujourd’hui les normes guadeloupéennes obligatoires, le mode d’habiter a évolué. Mais nous en avons une

s’agissant du mode d’occupation de l’espace dans la maison... En Guadeloupe nous vivons beaucoup au dehors. Il y a cependant une

modification du mode d’habiter compte tenu des normes obligatoires. De plus, il existe beaucoup plus de logements collectifs, qui ne prévoient

pas d’espaces de vie extérieurs bien que cela commence à changer. » Plus souvent, la combinaison de différents facteurs donne lieu à une

définition impressionniste de l’identité : « Parler le créole guadeloupéen permet de se reconnaître ; la cuisine permet de caractériser la culture

guadeloupéenne et la musique (gwoka, léwòz) permet de s’exprimer » ou encore « Il n’est pas nécessaire de chercher son identité. Elle se

reconnaît dans le langage et la gastronomie ».

5) La place spécifique du créole dans l’identité guadeloupéenne

Les deux dernières citations illustrent la place centrale conférée de manière récurrente au créole dans l’identité guadeloupéenne par les

participants. C’est une conviction partagée par la plupart des contributions que « la langue créole induit une notion identitaire », que « le

marqueur de notre identité est le parler créole », « c’est presque la langue qui fait l’identité » ou encore que « le créole est le pilier de notre

identité ».Le créole est un signe de reconnaissance, car il permet à la fois de se distinguer de l’hexagone francophone et de l’environnement

régional, le créole guadeloupéen différant de celui parlé en Martinique ou en Guyane : « le créole, c’est le point commun », « la question est

surtout l’identité collective : le créole est un marqueur. » Par ailleurs, la langue est présentée comme vecteur de cohésion sociale : « le rôle de la

langue semble important car celle-ci structure le mode de penser de la communauté. » La créole est enfin présenté comme structurant un

imaginaire spécifiquement guadeloupéen : « je considère notre identité comme étant fortement en lien avec la langue créole qui fonde un

penser créole et un imaginaire créole. »Le créole lui-même est n’est pas perçu comme un bloc monolithique, certains intervenants rappelant

qu’« il n’y a pas un créole mais des créoles », d’autant qu’au-delà de l’idiome lui-même, l’accent joue un rôle spécifique complémentaire de

différenciation : « l’accent est un repère, c’est un marqueur ».La relation entre le créole et le français est diversement appréciée par les

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participants. Certains envisagent les deux langues comme complémentaires, « il n’y a pas de mise en concurrence du créole et du français. Il y a

une bonne compréhension des enfants en créole et en français »et mettent l’accent sur la reconnaissance accrue du créole, plus valorisé car

« autrefois, le créole était perçu comme vulgaire ; on était quelqu’un si on parlait français ». D’autres intervenants perçoivent au contraire une

domination du français sur le créole qui explique la crise identitaire : « nous sommes en situation de diglossie qui se définit comme la

dominance d’une langue sur une autre dans une société (dominance du français sur le créole). […] Il y a eu une reconnaissance timide du créole

en 2001 avec le CAPES créole mais aujourd’hui on observe un recul de l’Etat ; il n’y a plus de création de postes pour les langues régionales. La

langue formate l’identité et par conséquent, nous avons aujourd’hui des individus en manque de repères, de valeurs »ou en d’autres termes,

« le français prend le dessus quand nous sommes entre nous. Le français c’est un réflexe. Cela montre que notre identité a failli. »

B) L’identité comme valeur

Il est intéressant de noter que pour une large part des contributions, la notion même d’identité est considérée comme positive et la prise de

conscience identitaire comme salutaire et nécessaire. Cette quête identitaire est paradoxalement associée dans le même temps au sentiment

d’une crise de l’identité guadeloupéenne. Ce sentiment de crise est tempéré par la volonté, par l’introspection identitaire, de trouver des

valeurs communes. En outre, la réflexion sur l’identité est considérée comme dynamique et l’identité elle-même comme en construction.

1) Un processus identitaire perçu de manière très positive

Dans de nombreuses interventions, prédominent une perception positive de l’identité et de ses fonctions sociales pour la collectivité

guadeloupéenne : « l’identité est l’embryon d’un vouloir : la conscience de soi passe certaines étapes : apprendre et prendre conscience de ce

qu’on est. … C’est un désir de vouloir être, construire et apprendre quelque chose. Il faut une cohésion et ce désir de tendre vers un but (une

conscience de soi pour arriver à quelque chose). » L’identité est aussi présentée comme un médium de l’interaction au monde : « Nous ne

pouvons rien apporter au monde si nous ne nous connaissons pas nous même ». La quête identitaire est dès lors fortement valorisée comme un

instrument d’introspection collective qui permet de mieux se connaître : « le débat sur l’identité est fort, poignant car il s’agit de savoir qui on

est », « Pour se construire, il faut regarder l’autre, tendre la main, retrouver la prestance des aînés, retrouver la fierté d’être français… etc. Le

débat sur l’identité est capital car il faut savoir qui on est pour savoir où l’on va. » L’enjeu de la transmission et de l’éducation des enfants est

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récurrent dans la prise de conscience identitaire et constitue l’une des préconisations principales comme nous le verrons dans le paragraphe

D) 1) : « nous sommes un carrefour où il s’agit de savoir ce que nous allons léguer à nos enfants », « l’identité est la force d’un peuple. Il est

nécessaire d’en parler car les enfants sont perdus. » La valorisation de l’identité s’accompagne d’un mouvement quasi systématique

d’affirmation d’une fierté guadeloupéenne, au centre de la quête identitaire : « je suis fier d’être Guadeloupéen », « je suis fier de me dire

Guadeloupéen en étant à l’étranger ». Cette fierté s’exprime aussi lorsqu’un Guadeloupéen est reconnu au niveau hexagonal ou international :

« quand je constate tout le travail que le Docteur Henri Joseph a accompli dans le domaine de la recherche, je suis fière. L’identité

guadeloupéenne se réinstalle. Il y a toujours un guadeloupéen faisant partie de l’élite notamment à l’étranger. Dans le sport quand nous

entendons que Thierry Henry, Teddy Riner et bien d’autres encore gagnent, cela consolide notre identité guadeloupéenne. » Cette affirmation

identitaire et cet attachement sont indépendants du domaine politique stricto sensu et participent d’un processus plus général : « il n’est pas

nécessaire d’attendre l’aspect politique pour poser la question de l’identité, de comment on vit son identité. »Ce processus identitaire est perçu

par certains contributeurs comme plus légitime et plus prégnant qu’avant : « vous vous rappelez comment on se défrisait les cheveux, c’était la

mode, on voulait ressembler aux personnes à cheveux lisses. L’évolution nous a fait perdre progressivement notre identité. Aujourd’hui, la

tendance change ». De même, le renforcement de l’affirmation identitaire est prôné par de nombreux contributeurs, certains allant même

jusqu’à plaider pour une évolution « néo-calédonienne » : « même dans l'ensemble français puisque c'est le désir de notre peuple, je crois qu'il

faudrait mettre en avant cette identité guadeloupéenne et caribéenne. Ces deux identités sont nées des apports historiques issus des continents

américains, africains, européens et asiatiques, n'est-ce pas? Je crois que nous devrions mettre en avant cette citoyenneté guadeloupéenne à

l'instar de ce qui se fait en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Et je crois aussi que dans des évènements sportifs et culturels nous devrions également

mettre en avant aussi bien dans le pays qu'en dehors, nos couleurs à travers un drapeau spécifique. Des couleurs qui sont jusqu'à aujourd'hui,

rouge, jaune, vert et accessoirement noir. Ce drapeau n'a pas pour but de remplacer celui de la France puisque n'étant pas pour l'instant un Etat

souverain! On le voit en Polynésie ou en Kanaky. »

2) Le sentiment d’une crise identitaire

Pourtant, le sentiment de fierté de l’appartenance à l’identité guadeloupéenne et de connotation positive conférée à cette notion dans le

champ public s’accompagne d’un sentiment généralisé de crise identitaire, voire de déclin de l’identité guadeloupéenne : « nous sommes en

crise identitaire », « nous sommes les garants du patrimoine laissé par nos ancêtres ; mais nous n’assurons pas cette garantie. Nous vendons

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même la Guadeloupe ; nous dilapidons l’héritage. » Plusieurs intervenants insistent sur l’abandon des valeurs et des traditions jugées

guadeloupéennes au profit des « étrangers » et de la mondialisation qui détruit l’identité locale :« comment avoir cohésion identitaire quand on

adopte toujours les cultures d’ailleurs ? », « la Guadeloupe sé tan nou, mais on continue de vendre aux étrangers », « voulez-vous que notre

nation survive ? Sinon continuez…les chinois vont s’installer ici ». Face à un monde en mouvement, le constat pessimiste est dressé d’une

tradition abandonnée au profit des influences étrangères : « le monde évolue certes mais on n’a pas gardé notre tradition. On s’est fondu dans

tout ce qui se fait ailleurs. Notre identité, elle était là, elle est là, mais nous n’avons pas su nous l’approprier et la mettre en lumière. », « Avant

on reconnaissait le guadeloupéen. Maintenant, le Guadeloupéen s’habille comme le Français, l’Européen ou l’Américain », « Qu’on aille au

Japon, à New York, à Paris on adopte les us et coutumes des pays. …On perd notre identité guadeloupéenne et c’est malheureux. » Plusieurs

contributeurs insistent sur des exemples concrets de perte supposée d’identité : « nous organisons des « chanté nwel »… Est-ce que nous

continuerons ? Et les jardins créoles ? Avant on tuait le cochon à la rentrée scolaire… Et aujourd’hui ? Nous sommes loin de notre identité… » ;

« quand quelqu’un porte des « locks » C’est une forme de mondialisation », « à la période de Noël, on cuisinait du riz, des pois d’angole, du porc

et l’on buvait du rhum. Aujourd’hui, on boit du champagne. La période du carnaval montrait notre identité. Aujourd’hui on voit tout sauf du

carnaval (heureusement qu’il existe Voukoum et Akiyo) ».La question est posée de savoir comment : « face aux mutations, aux apports

extérieurs, au risque d’américanisation de la société, préserver l’identité guadeloupéenne ? Tout en sachant que l’identité évolue, comment

garder notre part [de tradition] ? »,ou en d’autres termes,« comment préserver les rites sociaux tout en se modernisant ? ». L’acculturation est

évoquée comme la réalité de l’identité guadeloupéenne, notamment face à l’hexagone : « il y a le problème de l’acculturation : les jeunes

intègrent ce qui est dans la télé. La culture est le propre de l’identité. Papa Yaya fut le premier à défendre la culture créole et à faire émerger le

problème du bilinguisme. Nous sommes dans un ensemble français, mais nous sommes dans un déni de nous-mêmes… ». Ce processus est

dénoncé par certains contributeurs comme une incapacité des « classes dirigeantes » à transmettre aux jeunes l’envie de faire vivre l’identité

guadeloupéenne, renforcée par l’émigration vers la France hexagonale : « l’histoire de ce pays a été peinte par plusieurs mains. [Les] grandes

civilisations ont apporté quelque chose de singulier et d’unique à la Guadeloupe. [Mais aujourd’hui] les classes dirigeantes […] poussent les

jeunes à ne plus enchérir sur ce tableau haut en couleurs. […] Nous sommes une petite île mais une grande nation. […] On assiste à une

déperdition de notre identité avec l’émigration de nos jeunes vers la France ». Dès lors, plusieurs intervenants évoquent le fait qu’« il existe un

problème de confiance, de fierté de ce que nous sommes… » lié pour certains à une vision trop négative de soi par les guadeloupéens : « en

Guadeloupe, il y a beaucoup de discours d’auto négation, d’auto flagellation ; on voit souvent le négatif ».Même le processus de débat est

perçu comme un signe supplémentaire de la crise identitaire :« si il y a ce débat ce soir, ça signifie c’est la conséquence d’un malaise. »La quête

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identitaire est parfois présentée comme la conséquence de l’appartenance à la France : « D’un point de vue historique, c’est la France qui a fait

de nous ce que nous sommes. Le Guadeloupéen se cherche parce qu’on ne lui a pas laissé le choix de reconnaître son identité. »

3) L’identité comme quête de valeurs communes

Dans ce contexte de crise identitaire associée à une crise du vivre ensemble, le questionnement sur l’identité guadeloupéenne s’apparente

dans de nombreuses interventions à la recherche de valeurs communes : « identité signifie identique ; se reconnaître dans l’autre suppose

d’avoir des choses en commun », « il est important de chercher des éléments qui nous rassemblent pour avancer ». L’objectif est dès lors

identifié comme étant la recherche de l’unité « plutôt de voir ce qui nous différencie, qu’est-ce qui nous unit ? » en vue de permettre

l’autonomie culturelle : « il faut refuser la complainte. Plus qu’un fardeau à porter, c’est un gage d’espoir, ce qui va pousser la société

guadeloupéenne à prendre son destin en main » Dans ce contexte, la focalisation sur les questions d’appartenance à différentes communautés

ethnoculturelles est présentée comme un facteur de déficit identitaire qui doit être sublimé par une réflexion sur les points communs au-delà

des « micro identités » : « Parler de couleur de peau signifie qu’il y a un déficit identitaire qui pose problème. …C’est un partage de choses en

commun. Il y a une opposition entre micro/macro identités. L’individu assume sa micro identité (indien, blanc…etc.) mais a du mal à la dépasser

dans le macro et de jongler avec ses spécificités face aux autres. Il faut accepter, comprendre la différence, accepter que quelqu’un puisse mal

nous définir ; cela éviterait beaucoup de problèmes. »

4) L’identité comme un processus dynamique et en construction

Malgré les critiques liées au sentiment d’une crise identitaire, de nombreux intervenants insistent sur la dimension processuelle de la

construction identitaire et sur l’idée que l’identité guadeloupéenne est encore en construction : « la société est en cours de mise en place », « la

Guadeloupe a une identité en devenir », « une identité à construire », « notre identité est en construction : il est nécessaire de prendre en

compte ses multiples apports culturels sans domination de l’un sur l’autre et de développer solidarité et fraternité », et par ailleurs l’identité

« évolue constamment ».Pour certains, le processus en est même à ses débuts : « nous sommes un peuple jeune, si ce n’est à l’état

embryonnaire, en recherche, contrairement à la France [et son histoire multiséculaire] », « nous sommes aux prémices du « vivre ensemble »

identitaire ». Des conditions sont exprimées comme indispensables avant de pouvoir envisager l’expression d’une identité construite,

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conditions non réunies selon les intervenants. Pour certains, elles concernent le territoire « l’identité s’exprimera quand il y aura une unité de

regard sur le territoire », pour d’autres l’hégémonie de la majorité sur les minorités guadeloupéennes dans les médias, héritée du rapport

colons-ouvriers : « les médias locaux ne sont pas non plus l’expression du multiculturalisme, mais du monoculturalisme (aucune plage musicale

dédiée aux rythmes indiens ou autres…). La plus grosse culture (nombre) écrase les autres cultures. L’importance du rapport dominant dominé

hérité des rapports colons–ouvriers n’a pas disparu. Il faudrait pouvoir gommer cet état de fait avant de pouvoir faire aboutir une demande

d’identité. Pour plusieurs intervenants, l’auto estime, insuffisamment développée, empêche l’émergence identitaire : « pour parler d’identité, il

faut d’abord s’aimer », « il faut s’accepter comme on est pour évoluer »,voire l’absence de « fierté nationale » : « il existe une dimension

psychologique de l’identité ; il faut une fierté nationale ».Dans ce processus, un changement d’attitude est jugé nécessaire car il y a un

« manque d’égard des Guadeloupéens pour leur environnement et une incapacité à se prendre en main ».

C) L’identité ambigüe et la gestion de la pluralité des appartenances identitaires : se définir par rapport aux voisins/à l’hexagone

Une intervention typique de la tonalité d’une partie des débats est contenue dans le questionnement d’un intervenant : « pourquoi les

dominicains, les haïtiens, les cubains et bien d’autres peuples ne se posent pas cette question » de l’identité ? A de nombreuses occasions et au-

delà des valeurs communes, l’identité guadeloupéenne est énoncée comme « ce qui nous distingue des autres ». On constate trois positions

principales sur cette question : 1) le sentiment et la volonté que la Guadeloupe forme un ensemble national indépendant, 2) la peur d’une

confrontation des appartenances identitaires entre l’identité guadeloupéenne, l’identité française et l’identité caribéenne ; et 3) la volonté de

démontrer la valeur de la pluralité des appartenances.

1) Le sentiment et/ou la volonté que la Guadeloupe forme un ensemble culturel et politique indépendant

Lors des débats, la conviction, exprimée à différents degrés, que la Guadeloupe dispose d’une identité foncièrement singulière et distincte de

l’hexagone est récurrente chez de nombreux participants. L’appartenance à l’ensemble français est présenté comme une anomalie, voire un

« accident de l’histoire » : « Culture guadeloupéenne? Culture française? Sommes-nous guadeloupéens? Français? Franco-guadeloupéens?

Caribéens? Européens? Moi, je me définis, j'aime me définir guadeloupéen, Afro-caribéen. Français seulement par accident de l'histoire.

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D'autant plus que les évènements récents montrent en réalité que nous sommes français uniquement sur papier. »L’identité française et

européenne est considérée par ces interlocuteurs comme largement artificielle : « Les Guadeloupéens ont été adoptés par les français mais

restent avant tout des guadeloupéens et des nègres » ; « la Guadeloupe est pour l'instant selon les institutions françaises à la fois une région et

un département, ce qui est au départ une aberration pas possible car en France une région est composée de plusieurs départements. Mais nous

savons que ce statut est un artifice.… Si juridiquement, on rattache la Guadeloupe aux institutions françaises et européennes, culturellement,

géographiquement et même sportivement parlant, la Guadeloupe fait partie de son ensemble naturel qu'est la Caraïbe et le reste du continent

américain. Nous savons que la Guadeloupe faisant partie de la Caraïbe, ça embête certains mais on ne peut pas prendre une pince géante et

mettre la Guadeloupe en Europe! » Dans cette conception, la recherche d’une identité guadeloupéenne doit conduire à une réflexion sur la

question du « pays » et de la « nation » guadeloupéenne :« la Guadeloupe n’est pas un département mais un peuple, un pays ; et être

guadeloupéen c’est être conscient que nous sommes un peuple, un pays », « dire c’est quoi le « nous » Guadeloupéen pose la question de la

nation : ce qui nous unit et ce à quoi nous tenons, nous protéger, évoluer et conquérir le monde. Il faut défendre les couleurs de la

Guadeloupe », « la Guadeloupe n’est pas un département mais un peuple, un pays. Il faut penser l’autonomie de la Guadeloupe dans

l’aménagement du territoire (penser la Guadeloupe en tant que nation indépendante). »La formulation d’une autonomie culturelle

guadeloupéenne et d’une critique de la présence française prend parfois des tournures très radicales, critiquant la permanence de la

« colonisation » française :« la Guadeloupe est une colonie de la France et de la Martinique, car il n’y a pas de direction administrative en

Guadeloupe », « il y a un démantèlement de la société guadeloupéenne pour installer la France en Guadeloupe », « nous sommes toujours des

colonies françaises, en atteste l’inscription à l’ONU de la Guadeloupe, Martinique, Guyane comme colonie française avec statut de

département. »L’évocation de la Guadeloupe comme colonie fait cependant polémique dans les débats où le terme est employé. Pour les

participants les plus critiques, « l’identité guadeloupéenne est en conflit avec l’identité française »qui la subvertit. L’incapacité à voir émerger

une identité guadeloupéenne vient de la suprématie organisée de l’identité française : « Cette dernière a un support médiatique (télévision,

institution, écoles, églises, justice). L’identité guadeloupéenne se développe à l’ombre de l’identité française et est obligée de se révolter pour

exister. Certains pensent qu’ils sont obligés d’être français », la présence française est le facteur qui empêche l’émergence d’une identité

guadeloupéenne car « la Guadeloupe a toujours été entre deux cultures : l’Afrique et la France. Il fallait toujours vivre ce que l’autre nous

demandait de faire. […] Faut s’ouvrir vers l’extérieur mais faut d’abord se construire. On n’est jamais devenus guadeloupéens car la France est

toujours restée ». Dès lors, « la présence française s’est imposée et a tout fait pour se maintenir notamment avec l’Education Nationale. Les

Guadeloupéens sont battus d’avance (ex. Gérard Lauriette) et certaines directives appliquées sont discutables (nos ancêtres avec les yeux

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bleus) ». Dès lors, « le Guadeloupéen se sent niais, pas reconnu, les lois se retournent contre lui. Il subit le peuple conquérant qui a plus de

connaissance et lui demande de se taire. Le peuple guadeloupéen a l’impression d’être écrasé. »Est aussi mise en cause la toponymie de

certains lieux ou des dénominations courantes (« dépendances », « iles du Sud », « fort Napoléon »), démontrant la domination française sur

l’identité guadeloupéenne. Pour un autre intervenant, la quête identitaire doit être un moyen de rééquilibrer le rapport de force : « Il y a un

déni de l’identité guadeloupéenne. … Nous entretenons une relation jacobine. Il y a un clivage entre une culture dominante, la française, et

une culture dominée (la nôtre). La situation est déséquilibrée car nous sommes étouffés. Il nous appartient de la rééquilibrer. » Les intervenants

qui défendent ce point de vue sont partagés entre une ironie pessimiste sur l’absurdité de la réflexion identitaire dans un contexte français :

« pour l’ONU, il existe des peuples (Guadeloupe, Martinique) qui ont droit à l’autodétermination et ont des droits inaliénables. En 2003 la

Guadeloupe a voté non et a renoncé à son identité ; elle a donc accepté le droit français et de devenir européenne. Par conséquent, de quelle

identité parlons nous ? Puisque nous sommes une population française… » et la volonté, pour une minorité d’entre eux, de défendre une

indépendance politique : « nous avons tout en Guadeloupe. Il nous manque seulement un pouvoir de décision, un gouvernement

guadeloupéen » ; « on ne sait pas où on va. En fait nous sommes caribéens, pas européens. Avant les européens il y avait les Arawaks…

Fondamentalement le pays est Guadeloupéen Nèg (ça ne veut pas dire que les autres ne sont pas dedans.) … il nous faut penser « nation » et

demander le pouvoir politique… On a été assimilé, erreur funeste…il faut un gouvernement Guadeloupéen. »

2) La peur/opposition identitaire

De nombreuses interventions ne parviennent pas à trancher la question de la spécificité de l’identité guadeloupéenne et se contentent de

pointer l’ambiguïté de cette dernière, partagée entre plusieurs espaces culturels : « Pour le moment la Guadeloupe est française, le

Guadeloupéen est un citoyen français. Y a-t-il une contradiction avec l’appartenance à la Caraïbe ? Comment un citoyen guadeloupéen se

perçoit-il dans l’ensemble français ?Il serait plus judicieux de dire « comment se situe-t-il par rapport à un ensemble éloigné ? » ; « il y a une

ambiguïté entre être Guadeloupéen et être Français ; nous sommes un tissu de contradictions » ; « l’antillais est quelqu’un de complexe car il

émane du bassin « caribéen », du « blanc », de l’indien » et de l’Afrique. Cette diversité se reflète dans nos comportements. On est un peuple

mélangé et un peu tiraillé par diverses cultures ». Cette ambiguïté fondamentale entraine une « une crise d’appartenance : sommes tantôt

français, tantôt guadeloupéen mais on veut gérer les deux. » Un autre intervenant critique la volonté d’une identité exclusive des autonomistes

: « nous sommes confrontés à une difficulté car pendant un temps on pensait en terme exclusif ; les gens se pensaient noirs seulement,

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Guadeloupéens seulement et certains ne se disaient pas français » ; « qui sont les « yo » et les « nous » dans le slogan du LKP ? Qu’est ce qu’une

société créole ? Est-ce qu’il s’agit de sociétés traumatisées par la société française ? ». Un autre envisage le débat sur l’identité comme le

moyen d’éviter de penser la situation de la Guadeloupe en termes strictement politiques : «le débat sur l’identité c’est pour ne pas dire « êtes

vous une nation ? ».

3) La complémentarité des appartenances

Troisième manière d’envisager le rapport de l’identité guadeloupéenne vis-à-vis de l’altérité, un très grand nombre d’interventions soulignent

la complémentarité des appartenances entre identité guadeloupéenne, identité française, voire identité Caribéenne : « nous ne devons pas

renier notre histoire, notre lien avec la France », « en Guadeloupe, on se reconnaît en tant que créoles mais également français », « nous avons

une double appartenance française et caribéenne », « nous sommes dans une société d’appartenance française et caribéenne », « je suis Sainte-

Annaise, guadeloupéenne et française», « l’identité de la Guadeloupe regroupe une multitude de choses. Il existe beaucoup de variables dans

l’identité guadeloupéenne qui se multiplient, se croisent auxquelles s’ajoute l’apport européen », « si être Français c’est appartenir à un groupe

humain important avec des droits et des devoirs, alors je suis guadeloupéen et français ! », « Je suis Guadeloupéen et Européen. Je suis Français

parce que depuis trois siècles, on est venu nous dire que nous sommes sous la domination, et européen par rapport à la mondialisation. Mais

nous sommes dégagés de cette affaire là. »Un intervenant pose la question de la « nécessité » d’un cohabitation dans le contexte de la

mondialisation : « est-il raisonnable de ne pas accepter la cohabitation des deux identités ? Les accepter dans une sorte de cohabitation plus

fluide pour aller de l’avant dans un contexte de mondialisation ? » Plus généralement, l’affirmation du pluralisme de l’identité guadeloupéenne,

voire de son multiculturalisme, sont énoncées par beaucoup de participants comme son essence même : « l’identité guadeloupéenne est une

identité ouverte, vivante et multiculturelle et que ce multiculturalisme qu’elle considère comme étant une force, constitue le porte drapeaux de

l’identité guadeloupéenne », « le pluralisme est le fondement de l’identité même si elle peut entraîner des oppositions. Le métissage doit être

accepté pour avancer ; les apports multiples sont des richesses. L’immigration a permis la construction de l’identité (ex : apports des indiens) »,

« il faut accepter que la Guadeloupe soit un mélange de cultures », « au regard de la multiplicité ethnique et culturelle de la Guadeloupe, il est

important de définir une base commune qui nous fédérerait, à travers une identité partagée », « la Guadeloupe est riche de métissages »,

« notre identité, l’identité antillaise est une identité issue de plusieurs origines », « l’identité guadeloupéenne est riche de multiples apports qu’il

convient de mettre en commun », « Il faut que la population digère la diversité pour pouvoir la cimenter et permettre cohésion identitaire », « il

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faut assumer la diversité culturelle ».La diversité culturelle pose aussi question à certains sur la meilleure manière de constituer un processus

créatif : « comment faire pour créer une dynamique pour que la multiplicité de nos origines ne nous entrave pas ? Ne nous gêne pas ? Mais soit

au contraire transformée en quelque chose de créateur ? »Un débat passionné s’engage lors de l’une des rencontres sur le fait de savoir si être

Guadeloupéen c’est venir d’Afrique. L’influence africaine est généralement reconnue mais la plupart des intervenants préfèrent soulignent la

« mosaïque » guadeloupéenne : « l’identité guadeloupéenne est une richesse grâce aux nombreux apports (africains etc.). Nous sommes un

peuple mosaïque riche avec beaucoup d’apports à mettre ensemble », « notre identité est multiple. On est Guadeloupéen, Français, Africain… »

Pour un contributeur tenant de cette position, la crise identitaire et la faillite du vivre ensemble proviennent de la recherche d’une origine

unique de l’identité guadeloupéenne : « L’antillais préfigure du monde de demain. La quête d’une origine linéaire est vaine, la seule référence à

l’Esclavage est insuffisante, et c’est sans doute là l’échec du vivre ensemble en Guadeloupe ».Dans la contribution intitulée « Pour une société

de projets », on peut lire cet attachement à la multiplicité des influences culturelles qui structurent l’identité guadeloupéenne, facteur de

« cohésion » à préserver :« notre insularité, notre « archipélagie », nous ont certainement permis de bâtir une société originale et de nous doter

d’une langue et d’une culture qui participent à la cohésion de notre société. Il importe de préserver ces éléments constitutifs de notre identité, et

notre ouverture au monde – ou plutôt sur le monde – doit se faire en veillant bien à sauvegarder cette identité qui est notre richesse »

D) Propositions de politiques publiques/d’actions

Sur le thème de l’identité, les propositions d’actions ou de politiques publiques sont réparties en deux catégories. Il faut d’abord mettre en

lumière, de manière distincte, l’ensemble des contributions évoquant la nécessité de renforcer l’éducation à l’identité et de rendre accessibles

au plus grand nombre des informations relatives à l’identité guadeloupéenne. Dans un deuxième temps, est catalogué l’ensemble des autres

mesures proposées.

1) Une demande identitaire dans les programmes éducatifs

L’absence de connaissance de l’environnement et de l’histoire locales, le déficit éducatif dans ce domaine, l’absence de démarche volontariste

des acteurs politiques sont des messages récurrents formulés par de nombreux contributeurs. La faible éducation à l’identité locale est la

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première visée : « l’apprentissage, dans sa forme actuelle, est un frein à l’expression d’une identité guadeloupéenne »,« l’identité est une quête

mais il y a un problème lié au manque de connaissances de notre histoire et les parents y ont un grand rôle à jouer », La complexité de l’identité

guadeloupéenne rend nécessaire la connaissance d’une histoire insuffisamment transmise selon certaines contributions : « de par l'histoire, la

définition de la personnalité collective en Guadeloupe est complexe »,« l’histoire collective mémorielle n’est pas connue de tous », « il faut

connaître l’histoire pour définir l’identité guadeloupéenne », « L’histoire est torturée ; sans repères, il est d’autant plus difficile d’avoir une

identité. » Dans ce contexte, l’accent est placé sur l’école comme premier agent de transmission : « l’éducation est un élément phare à prendre

en compte », « l’identité se façonne par l’éducation ». Dès lors, le renforcement de l’éducation et de la transmission des marqueurs identitaires

locaux est évoquée comme indispensable : « les enfants guadeloupéens doivent apprendre leur histoire, leur géographie et leur littérature », « il

faut apprendre aux enfants notre patrimoine naturel… ».Les contributeurs sont partagés entre le fait de blâmer l’institution scolaire : « l’école

suit un programme duquel la Guadeloupe est absente », « la structure actuelle de l’école n’a rien fait pour favoriser l’identité

guadeloupéenne », « beaucoup d’enseignants sont déficients culturellement. Il faut prendre des risques », « en ce qui concerne l’éducation, le

programme scolaire, nous sommes tenus de l’appliquer. Il n’a rien à voir avec notre culture. Les enfants étudient ce qu’il y a en France. Ils ne

connaissent pas forcément les éléments de notre culture patrimoniale, comme l’icaquier, le corossol, les variétés de patates, par exemple »,

« les livres scolaires ne sont pas adaptés car ils n’incluent pas de programme local. On aurait pu parler de la canne par exemple et ce n’est pas le

cas. Il faut les adapter à notre environnement » ; et une demande de développement de programmes d’affirmation identitaire à l’école :« il

faudrait introduire très tôt, dès l’école primaire, la culture, les valeurs, le créole… etc., tout ce qui fait la Guadeloupe », « à l’école, il faudrait

prévoir un enseignement sur les spécificités guadeloupéennes, les axes de l’identité », « ne faudrait-il pas mettre en place dans notre système

éducatif des modes de réflexion qui nous permettraient de mieux nous connaître ? », « ne faudrait-il pas aller plus loin dans nos recherches pour

asseoir notre culture, notre langue, notre façon de faire, pour faire valoir notre identité ? ».

Le message d’un renforcement de l’identité est enfin adressé de manière générale à la classe politique : « il faut que les politiques arrêtent

d’avoir peur de l’identité. »

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2) Les propositions concrètes de politiques publiques

Propositions pour renforcer l’identité

- effectuer un inventaire identitaire visant à lister, avec la population, tous les marqueurs de l’identité guadeloupéenne dans sa diversité

- soutenir financièrement les chercheurs qui travaillent sur l’histoire, la culture et la géographie locales

- favoriser une reconnaissance institutionnelle accrue du créole. Ex : permettre aux procès de se dérouler en créole, permettre l’usage du

créole dans l’administration et dans les assemblées politiques, généraliser le bilinguisme dans les indications toponymiques, proposer de

recevoir les factures en créole...

- organiser plus fréquemment des rencontres entre générations pour favoriser la transmission des coutumes et traditions guadeloupéennes

- encourager les associations à dimension identitaire et qui promeuvent la connaissance des coutumes et traditions locales

- construire un musée présentant la diversité des peuples guadeloupéens et les grandes cultures qui structurent la Guadeloupe : amérindienne,

africaine, haïtienne, européenne…

- permettre et accentuer la diffusion de films antillais ou guadeloupéens dans les écoles

- encourager un tourisme vert et identitaire/culturel pour faire découvrir aux visiteurs la diversité de la culture et de l’identité guadeloupéenne

- créer une commission pour évoquer la place des programmes locaux et antillais à la télévision

- promouvoir de manière plus forte l’agriculture cultivant des produits typiquement locaux (patate douce, igname, malanga, fruit à pain,

madère…)

- inciter au développement économique de produits locaux (bière guadeloupéenne, fast-food guadeloupéen)

- Généraliser la prise en compte du mode d’habiter local, y compris informel dans les programmes relatifs au logement

- Développer les transports en commun pour permettre de développer les lieux de rencontre dans l’espace public

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C) Education et transmission

Sur ce thème, les contributeurs ont répondu à trois questions : qui transmet les valeurs et le patrimoine aujourd’hui en Guadeloupe ?

Comment ces valeurs sont-elles transmises ? Quelles valeurs, quels savoirs faut-il transmettre ? Pour chacune de ces trois questions, ils ont

partagé un diagnostic de l’existant et formulé des propositions pour améliorer la situation. A la première, ils répondent que la Famille ne

parvient plus à jouer son rôle, dans un environnement où les « sources éducatives » sont diffuses et difficiles à maîtriser. Ensuite, les

contributeurs observent une crise de l’Autorité en Guadeloupe, crise qui ne pourra être résolue qu’au prix de comportements exemplaires des

adultes et de relations avec l’enfant, basées sur le Partage, l’Amour et le Respect. Enfin, non sans avoir rappelé que le choix du contenu de

l’Education devrait procéder d’une vision globale de la société, les participants à ces débats du mois de juin plaident pour une réconciliation

des valeurs des différentes générations et pour une meilleure contextualisation de l’enseignement en Guadeloupe.

Remettre la Famille au centre de la chaîne éducative

« Quel est l’impact de la famille sur la réussite intellectuelle ? Est ce que la famille est la seule qui apporte une plus-value ? » se demande un

participant au débat. Un consensus se dégage du débat sur le rôle central de la famille dans l’éducation : « Sé lafanmi ki anchaj dè édiké »

« La famille a un rôle, un héritage à transmettre.» « La famille reste la colonne vertébrale de l’éducation et de la transmission » « Les parents

accompagnent les enfants dans tous les actes de la vie. » « L’éducation ne relève pas uniquement de l’école, mais surtout des parents. » « Fo

tout moun okipé dè pitit a yo. » L’éducation serait l’expression des choix de la famille : « Adan on sosyété lib sé fanmi ka chwazi ki édikasyon

yo ka ba timoun a- yo.» La famille serait en charge de la transmission des bases : « les valeurs s’acquièrent dans la famille. » « Edikasyon ka

komansé adan « cocon familial ».» « L’enfant doit être éduqué très tôt. Après six ans c’est trop tard. L’enfant s’est déjà construit. […]Un

psychologue m’a dit qu’on crée un schizophrène entre zéro et trois ans. » Ces bases acquises au sein de la famille seraient essentielles dans la

poursuite du parcours éducatif de l’enfant dans d’autres environnements : « Le premier groupe qui transmet c’est la famille. L’école, les

voisins sont des relais. » « Il y a une base et cette base, elle est du côté des parents, et c’est cela qui permet à l’enfant d’avoir un comportement

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adapté. S’il n’y a pas cette base on va à l’échec. » « Kijan pitimoun ka kolaboré épi dòt moun ? Sé a parti dè rapò a timoun-la épi manman-y. »

« Sé fanmi ki ni pou édiké pitit a- yo. […] Si akaz timoun pa ka rèspekté pon moun apa dèwò i ké kouté ».

Les contributeurs déplorent, pour la plupart, que les familles ne jouent plus correctement leur fonction éducative dans la société

d’aujourd’hui en Guadeloupe. « Les enfants sont livrés à eux-mêmes. Les parents sont scotchés devant la télé. Les problèmes viennent en

majorité de la faute des parents », « il n’y a pas grand-chose à reprocher aux jeunes ; l’éducation a été délaissée. Les parents ont abdiqué », « la

famille a encore un sens en Guadeloupe mais les liens sont distendus », « fo lafanmi routouvé « lettre de noblesse » a-y. Si sé pa sa, nou ka

rantré an problèm. […] I fo routouvé « les valeurs » ».

Cette défaillance serait liée à une évolution de la structure de la famille, en l’espèce au passage de la famille élargie à la famille nucléaire :

« avant la famille c’était la famille élargie. On arrive maintenant à l’éclatement de la famille », « la famille nucléaire rend les transmissions des

valeurs plus difficiles », « maintenant, l’autorité est exercée par une ou deux personnes alors qu’avant, tout le monde, les tantes, oncles, voisins

pouvaient y prendre part. Aujourd’hui la famille se réduit ». Cette évolution de la structure familiale coïnciderait avec une évolution de

l’habitat : « nous observons un changement du mode de vie, un changement d’habitat. Qui va transmettre désormais ? » « le dimanche après

midi nous nous rendions tous dans la toute petite maison de la grand-mère, et c’est là que tout le monde se retrouvait »,

Elle serait également la résultante d’un accès trop précoce et/ou d’un manque de préparation à la parentalité : « au fur et à mesure, les

mères ont été de plus en plus jeunes, et ce sont souvent elles qui sont en difficulté face à l’éducation de leurs enfants », « de mon point de vue,

j’entends souvent critiquer les jeunes générations qui élèvent leurs enfants. Mais cette jeune génération est souvent en immeuble, loin de papa,

maman. Avant il y avait une tribu. Il y avait tout un cercle autour, les maisons n’étaient pas bien loin. L’éducation était faite par toute la tribu »,

« Kijan fè on timoun ki pani édikasyon pé ni on timoun ? », « il faut dire que les mères sont de plus en plus jeunes. Souvent ce sont les mamies

qui élèvent leurs petits enfants. Donc trop d’affects et pas assez de restriction. », « j’ai été abandonné par mon père à la naissance. Je me

demande donc s’il ne faut pas former l’homme pour qu’il sache ce qu’est être père. La plupart des gens se déresponsabilisent ».

Le régime des allocations familiales est également tenu pour responsable, par de nombreux contributeurs, de ce délitement de la famille et de la remise en cause de sa fonction dans la transmission des valeurs : « il y a eu le choc pétrolier en 1974, puis la loi sur les femmes seules. Les gens ont découvert la misère moderne…on a découvert la crise et mis en place une panoplie d’aides », « La loi de Giscard d’Estaing avec les allocations « parent isolé », « femmes seules » a contribué à semer le désordre en Guadeloupe. Dès lors, beaucoup de femmes ont conçu pour de mauvaises raisons. Ce sont aujourd’hui ces enfants âgés de 35 ans aujourd’hui, qui sèment la délinquance et donnent l’exemple aux plus

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jeunes. » « L’attitude des parents à changé à la période Giscard du soutien aux familles monoparentales. Il y a eu plus de familles monoparentales. L’enfant est devenu l’enfant-roi », « certaines femmes ne veulent pas que le père assume son rôle pour pouvoir percevoir ses allocations ». Ce constat sur les difficultés des familles monoparentales est souvent assorti de considérations nostalgiques, voire conservatrices, sur le rôle

de la Femme dans la Famille et l’Education : « les femmes travaillent, elles ont peu de temps pour s’occuper des enfants. Le monoparental aussi

a ses conséquences négatives, très souvent les enfants sont livrés à eux-mêmes, ils n’ont pas de guide, pas de tuteur » « modèl sosyété lasa kasé

tout lyannaj an fanmi. Loto é krèch fè sé manman-la kwè yo pa bizwen pèsonn », « kan yo ka di « la femme antillaise » sé té on potomitan.

Alèkilé sa pani pon sans. Avan, madanm té ni on entélijans « particulière » pou yo té touvé dé solution. Sété kalité natirèl a-yo. Aprézan sé fanm-

la nou ka vwè-la sé pa sa ki potomitan ».

Un contributeur affirme qu’« il y a [toutefois] des parents qui restent dans une éducation vigilante » comme pour rappeler qu’il ne faut pas

généraliser en la matière : « il y a quatre types de familles : les traditionnalistes, les permissives, les éducatrices les « rien du tout » » analyse un

autre participant au débat. Décrites souvent sous la forme de témoignages des participants, les bonnes pratiques en la matière ne

dépendraient ni de la taille et de la composition du foyer, « je suis issu d’une famille de 13 enfants et ne pense pas avoir été mal élevé ; la

façon d’éduquer prime », « j’ai vécu dans une famille recomposée, mais très unie, qui a su maintenir le lien avec les enfants. Il est important car

c’est une force qui empêche le sentiment de solitude », ni de la répartition des rôles entre le père et la mère, « je mets ma famille en relief

quand j’entends le thème de l’éducation. Mon père était doux tandis que ma maman était plus « carrée ». C’est elle qui faisait l’autorité. » « je

connais beaucoup de familles dans lesquelles ça se passe bien et où la mère a un rôle de chef de famille », ni de l’origine « c’est une idée fausse

de croire que ce sont les enfants des communautés étrangères qui créent des problèmes en Guadeloupe », ni du niveau d’éducation des

parents « Ni dé fanmi ki paté grangrèk, men i téni plis entélijans é ki byen élivé pitit a-yo. Apa plis konésans i ka fè pi bon édikasyon.»

De nombreuses contributions proposent de renforcer l’accompagnement à la parentalité en Guadeloupe : « Faut-il former les parents ? »

« Comment refonder la famille ? Comment faire en sorte que la cellule familiale, les voisins puissent faire des observations et éduquer

l’enfant ? » « Chacun peut être parent mais ne connaît pas forcément les étapes de l’évolution de l’enfant. Il est primordial de donner aux

parents les bases pour comprendre comment fonctionne un enfant. » « Les parents doivent être épaulés, soutenus car ils ne savent pas ce qu’il

faut faire. Il faudrait concevoir une école des parents qui leur permettrait d’apprendre à tenir leurs enfants. »

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Il est reproché, à de nombreuses reprises dans le débat, aux « parents démissionnaires » de laisser l’intégralité de leur responsabilité

éducative à l’Ecole : « beaucoup de parents pensent que l’éducation se fait à l’école », « nos parents ont appris de leurs parents. Aujourd’hui,

beaucoup de parents attendent que l’école éduque les enfants », « lékòl sé on pawtènè adan édikasyon. Men ni fanmi ki ka sèvi é lékòl pou

édiké timoun a-yo. é sa sé on érè » « il y a également un éclatement de la société : dans les établissements, les élèves attendent que ce soit

l’école qui les éduque. Les enfants et les parents passent très peu de temps ensemble ». Certains contributeurs concèdent que ce transfert total

de responsabilité s’opère suite au « décrochage » de certains parents, faute de compétences éducatives : « le système d’enseignement a

aussi évolué et ne permet pas à certains parents de suivre leurs enfants. A ce moment les parents ne sont plus en contact avec leurs enfants et

transmettent l’autorité aux autres. A l’école, à la cantine, au CLSH, à la garderie… »

L’école apparaît même comme un moyen, pour certains parents, de « se débarrasser » de leurs enfants : « les jeunes sont de plus en plus livrés à eux-mêmes, même en maternelle. Les parents sont pressés de laisser les enfants à l’école, de plus en plus jeunes. On peut même parler de négligence dans certains cas. » Cette tendance serait perceptible dès la petite enfance, avant l’entrée à l’école : « il faut faire attention : déléguer c’est différent de décharger. Regardez dans les garderies : il y a des parents qui ne travaillent pas mais qui laissent leurs enfants jusqu’à l’heure de fermeture ». Ces responsabilités accrues imposées à l’Ecole auraient un impact logique sur l’activité des enseignants, « les parents actuels n’ont pas l’air impliqués pour beaucoup. Les enseignants font presque tous les métiers à cause de cela : le social, l’éducation… ». Ces derniers souffriraient d’un manque de considération pour leur travail et l’institution qu’ils représentent : « il y a un dénigrement du maître et de l’école et un manque d’intérêt criant des parents ». Mais l’Ecole ne peut assumer seule la charge de l’Education, nous disent en substance les contributeurs : « lékòl é lafanmi rèsponsab adan

lédikasyon, men apa lékol tousèl ki rèsponsab. » Il conviendrait de distinguer la réussite scolaire de la réussite sociale : « de quels critères

dispose-t-on pour évaluer les indicateurs tout au long de la vie du jeune afin de se rendre compte de ce qui réussit et de ce qui fonctionne moins

bien ? Quels sont les facteurs qui vont permettre à un individu de s’épanouir ? », « On pense [à tort] que tout doit passer par la réussite scolaire

et que la famille n’a plus rien à faire », « avant, il y avait une osmose entre la famille et l’école. Aujourd’hui réussir à l’école ne veut pas dire

réussir socialement. L’école ne peut pas panser toutes les plaies de la société. Est-ce que l’école réglera les problèmes de chômage, de

délinquance … ? », « ou pé di « réussite scolaire paka tradwi on « réussite sociale » ». Otan lékòl enpòtan men lékòl tousèl paka fè on nonm »,

« tini moun ki réyisi lékòl, yo pati é yo pa menm vin nonm. Ni sa k i pa fè grangèk, ki rété isi, sé yo ou ka touvé patron toupatou.é yo vin nonm. Si

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ou ka gadé réyisit sosyal, sé yo ki douvan ».

« Si fanmi-la défayan, ès sé pa wòl a lékòl-la osi. Ès lékòl pani on responsabilité adan pwoblèm a timoun la osi ? Édikasyon ka fèt lékòl osi ? »

L’institution scolaire afficherait également des limites et des lacunes dans l’entreprise de transmission. Un participant rappelle que « les

valeurs n’étaient pas transmises seulement par la famille, mais aussi par l’école qui donnait l’Instruction civique et générale et aussi

l’Éducation ». Un autre contributeur estime que « l’école de son côté évolue. Elle a peut-être perdu son rôle originel, il y a une crise et un

malaise mais il faut repenser l’école pour que les conditions soient meilleures. Il y a un rôle d’éducation, géré à la base par l’Éducation

Nationale, qui ne règle pas tous les problèmes mais qui devrait être un modèle. » Certains se demandent si l’Ecole a les moyens de remplir sa

mission : « dès l’école maternelle, il manque des encadrants dans les interclasses. De 2 à 12 ans, les enfants ont soif de culture mais ils ne

trouvent pas à « consommer ». Pour plusieurs contributeurs, des efforts devraient être consentis pour renforcer la formation et l’implication

des enseignants : « il y a une nécessité d’éduquer également les enseignants », « ni pwoblèm a sé mètlékòl gwadloupéyen la, avan yo té ké édé

on timoun apré lékòl , men apa aprézan. Fè lékòl, pa on vokasyon ankò. Mèt la ka vin vann pwodwi a-y, lè i katrè yo ka pati. Yo pani hak a fè épi

pwoblèm a timoun. Aprézan sé « cours de soutien » si ou vé timoun a-w réyisi. Aprézan si ou pa tini mwayen édé timoun a-w, i an échèk. Alòs ki

nòmalman timoun-la dwèt tini lè « minimum vital à l’école » », «beaucoup d’enseignants ne travaillent qu’avec les enfants qui veulent

travailler », « il faut que les professeurs redeviennent des maîtres ». Plusieurs contributeurs remarquent et semblent regretter l’emphase mise

aujourd’hui sur l’économie à l’école, tant dans les modalités de gestion de l’institution que dans le contenu des enseignements dispensés :

« qu’est ce que l’école ? Elle est de plus en plus considérée comme une entreprise. Le directeur ou le chef d’établissement est considéré comme

un manager car l’école est au service de l’économie. La culture du résultat existe à l’école. Problème fondamental : quelle place pour l’école

dans la société ? C’est quoi l’école ? Seuls 17% de fils d’ouvriers y arrivent. Je ne comprends pas l’hésitation à enlever la notation car c’est une

imbécillité. C’est un vrai problème dans l’évaluation du système pédagogique. L’école produit un système de rendement et de perfection. », « Si

on conçoit l’école comme un appendice de l’économie, on va vers l’échec. » « Avan Lékol té ka fòmé lé sitwayen aprézan lékòl i ka fòmé yenki

pou lékonomi. I pa ka fòmé nonm pou viv adan on sosyété. » « Avan, édikasyon té kay épi fòmasyon. Aprézan sé fòmé « pour le marché

économique ».Les enseignants vendent leur produit, car la finalité c’est l’économie. Il n’y a plus de valeurs qui sont transmises. »

Plusieurs contributeurs appellent à une à revalorisation et une refonte de l’Ecole pour un meilleur exercice de sa fonction de transmission :

« Le statut de l’école est à redéfinir. Ceux qui contestent se retournent souvent vers des écoles religieuses qui imposent un règlement. » « L’École

a les moyens d’apporter les correctifs, il faut d’abord qu’elle redevienne adulte » « L’école a sa place dans la transmission des valeurs, on ne

peut pas tout laisser de côté sous prétexte de modernité. »

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Pour plusieurs contributeurs, l’Ecole ne pourra atteindre ses objectifs que si les parents s’y impliquent davantage et mieux : « alors quel lien entre Associations des parents d’élèves et les professeurs ? Quels liens entre les parents et l’école ? » « Paran la sav i ka voyé timoun ay lékòl, sé fo-y véyé zyé asi timoun- la, fèy résité lèson- a-y etc. » « Les représentants des associations de parents d’élèves ne se préoccupent que du sort de leurs enfants. »

Les contributeurs se rejoignent sur le fait que la Famille et l’Ecole ne sont pas les seuls acteurs de l’Education : « L’Education ce n’est pas

seulement l’Ecole et la Famille. Tous les temps de l’enfant sont éducatifs. Edikasyon pa fijé, i kay adan lé dé sans. Toupatou [timoun] ka

aprann », « Tousa ki ka antouré-w ka patisipé a édikasyon », « On ne peut pas empêcher la société d’évoluer: il n’y a pas que les parents qui ont

à charge l’éducation. » Le rôle, la place et les lacunes de ces acteurs ont été évoqués lors des débats.

De l’avis de plusieurs contributeurs, les associations assument cette fonction de transmission en Guadeloupe : « Les associations aussi sont importantes car il faut veiller à ce qu’elles gardent ce rôle de transmission et de valeurs. » « Les associations ont un rôle important à jouer dans l’éducation des jeunes et aussi des adultes » « Les associations assument l’éducation des enfants ». « Les clubs sportifs jouent un rôle positif auprès des jeunes. Ils transmettent des règles. » « Les associations permettent de développer le vivre ensemble, de participer à des activités de groupe, les éducateurs sont là et guident les jeunes. » « Les associations jouent un rôle dans la transmission de la culture, c’est qu’elles portent aussi le flambeau identitaire. » « Je reconnais le rôle des associations mais j’aimerais qu’elles participent à la cohésion de la société au lieu d’être juste supplétives. » A l’instar de la tendance observée à l’école, certains parents se déchargeraient de leur responsabilité éducative sur les associations et ce « dépassement de fonction » des structures associatives n’est pas toujours valorisé : « Les associations essaient de faire des choses qui ne sont pas suffisamment reconnues. Beaucoup de parents envoient leurs enfants dans des associations pour se débarrasser », « aujourd’hui on subventionne des associations pour faire le travail des parents, par exemple pour raconter des histoires aux enfants ! » Pour mener à bien cette mission de transmission, les associations doivent être bien organisées, « si les associations sont bien structurées, les enfants peuvent être pris en main comme s’il s’agissait de leur propre famille », et disposer d’espaces adaptés, « les maisons de quartier n’existent pas partout. Dans certains quartiers il n’y a rien pour rendre la vie des gens plus humaine. Il faut plus d’espaces comme des maisons de quartiers intergénérationnelles ». Certains contributeurs rappellent les obligations de responsabilité qui devraient accompagner la charge éducative exercée par les associations : « dans ce domaine, les responsables d’association ne font pas toujours preuve de responsabilité. », « sur le plan de la responsabilité ; les adultes doivent être responsables envers les jeunes. Dans les groupes de carnaval, les jeunes s’adonnent à l’alcool….il n’y a personne pour leur dire Non ! Pas ici ! » ».

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Autre catégorie d’acteurs traditionnellement impliquée dans l’éducation des enfants en Guadeloupe, le voisinage aurait encore un rôle à jouer dans ce domaine : « il faut parler du rôle de l’environnement, notamment du voisinage, pour la transmission des valeurs. », « la première famille ce sont les voisins ». Cette contribution des voisins à l’éducation perdurerait en dépit de l’évolution de l’habitat : « j’ai été élevé en immeuble et je me souviens d’une voisine qui veillait sur les enfants quand les parents allaient travailler .La voisine s’inquiétait si les enfants en l’absence des parents avaient mangé et si tout se passait bien. Il y a des relations de voisinage donc même dans les immeubles. » Certains contributeurs jettent un regard nostalgique sur le rôle de la Religion dans l’Education des enfants : « la religion apportait un plus, un complément entre l’école et les parents. » « L’Eglise permettait de tenir les gens, de leur donner une ligne de conduite. Avant, il y avait l’Eglise, la Famille, l’Ecole et l’Armée pour éduquer. Aujourd’hui, il ne reste que l’Ecole ». Un participant estime toutefois que la Religion influence encore les jeunes générations : « On note une forte prégnance de la religion au niveau des élèves ». L’Armée est également présentée comme un acteur efficace de l’éducation et de la transmission, car promouvant la discipline : « L’armée représente la discipline et le respect mais c’est aussi un moyen de transmission. » « On a créé le RSMA, c’est une bonne chose que l’armée aussi forme. Les jeunes apprennent la discipline ». Dans une moindre mesure, l’Entreprise aurait, elle aussi, un rôle éducatif à jouer : « L’artisan est un des piliers qui permet de cadrer les jeunes de par sa passion, ses valeurs et son savoir. »

L’essentiel des contributions sur les autres acteurs de l’Education porte sur les médias de masse. Ces derniers concurrenceraient voire, dans

certains, cas, supplanteraient les structures éducatives traditionnelles : « quand on dit c’est la faute des parents. Ce n’est pas la seule cause. Il

y a la mondialisation : l’internet, la télévision et toutes ces nouvelles technologies. » « Les enfants sont aujourd’hui éduqués par l’extérieur, par

la télé alors qu’ils n’ont certaines fois même pas encore reçu les valeurs familiales de base. » « Les médias occupent un rôle très important dans

le modèle éducationnel dans lequel nous vivons. Les parents sont disqualifiés par rapport à la masse de messages qui sont envoyés. Menm

moun ki « conscient » ni difikilté pou rézisté a konsomasyon-la-sa. » « Avant tout le monde respectait un cadre, le modèle des parents.

Aujourd’hui, l’élément nouveau est la télé qui transmet des messages aux enfants. Par conséquent, qui écouter ? Les parents ou la télé ? Il y a

une ouverture sur le monde à travers les médias qui ne correspond pas toujours à la réalité » « Très souvent sur Facebook, les enfants racontent

leur vie, au détriment du dialogue avec les parents. » « Le progrès a toujours des avantages et des inconvénients mais l’homme doit en rester

maître. Bien souvent, la télé est une famille de substitution qui modifie le rapport au savoir, à la temporalité. Internet est une source de savoir

mais il développe la culture du zapping chez les élèves. » « Les utilisateurs d’internet sont noyés dans l’information donc c’est inefficace alors

que le livre on peut y revenir. »

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La télévision et Internet sont les médias les plus souvent mentionnés par les contributeurs. Ils sont pointés du doigt pour les « messages anti-

éducatifs » qu’ils diffusent : « la télé provoque des ravages et doit être réformée. » « La télévision, les médias, la publicité a pris une place

importante dans l’éducation et diffusent des messages anti-éducatifs. Il faudrait […] faire une étude montrant les méfaits de la télé sur les

enfants. » « La violence provient de l’interférence des nouvelles technologies, d’Internet dont on ne connaît pas toujours les dangers. La

Guadeloupe n’est plus une île mais est ouverte sur le monde. Certaines familles n’arrivent pas à gérer les enfants face à l’ordinateur.

L’informatique et la télévision sont un fléau. Les parents ont toujours travaillé mais des éléments ont interféré et les parents n’ont pas pris

conscience des dégâts. » Les autres médias n’échappent pas à cette critique : « Avant les films mettaient en avant un héros et il y avait une

morale. Aujourd’hui les bandes dessinées véhiculent le tout pouvoir, la peur de rien, de personne, la toute puissance. » Ces médias de masse

auraient également un impact négatif sur le comportement des parents et, par ricochet, sur l’éducation des enfants : « les ravages d’Internet

sont infimes comparés à ceux causés par la télé. Laissez-moi vous conter une anecdote qui en dit long. La ville dispose d’un programme de

réussite éducative pour les enfants en difficultés. Mais il ne fonctionne pas bien car les parents doivent récupérer leurs enfants à 18h, or c’est

l’horaire des telenovelas. »

Certains contributeurs nous invitent à ne pas exagérer l’impact des nouvelles technologies de l’information et de la communication et à ne

considérer celles-ci que comme des manifestations du Progrès et de l’évolution de la société : « Il ne faut pas avoir peur de l’informatique […].

Il ne faut pas s’obnubiler sur le progrès. Avec la TV, il y a une abondance d’images mais elles nous passent au dessus de la tête. » « Internet n’est

pas un fléau mais plutôt un mécanisme d’évolution de la société pour la transmission de savoir et mettre les gens en contact. » Il est suggéré ici

que, comme pour tout outil, les NTIC doivent faire l’objet d’une usage maîtrisé : « les médias sont des outils de communication qui ne se

contrôlent pas. Ce qui se contrôle c’est l’acquisition et l’usage des médias », « les parents doivent avoir un regard sur Internet et la télévision

pas mettre de télé dans les chambres » « Internet c’est aussi un problème d’éducation. Il faut que les parents éduquent. Il y a des outils qu’il faut

s’approprier ». Des propositions sont par ailleurs émises quant aux messages éducatifs que devraient transmettre les médias, en particulier

la télévision : « il faudrait proposer aux médias d’organiser des débats sur ces thèmes pour conscientiser la population. » « Pourquoi ne pas

créer des telenovelas locales avec la transmission de messages ? » « Il faudrait une autorité politique pour réformer la TV avec des modules

d’histoire, de géographie, etc… qui permettraient de transmettre des connaissances car les gens ne lisent pas. La transmission par les familles

passe par la conversation.

Des participants aux débats déplorent que la réalité éducative de certains jeunes se résume à la rue et à ses dangers : « Comment expliquer

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qu’un enfant ne soit pas chez ses parents à 21h ou 22h ? Quels dispositifs peut-on mettre en place pour l’éviter ? » « Tout cela ne règle pas le

problème des jeunes déjà en errance ou dans la rue. Que fait- on pour ou avec ceux là ? » « Maintenant l’enfant qu’on élève n’est pas confronté

qu’à ses parents. Il y a l’école de la rue maintenant. C’est la plus dangereuse ». La rue offrirait une espace (public) de transmission encore

inexploité : « L’éducation des enfants se fait souvent dans la rue, de ce fait l’affichage pourrait être un vecteur d’éducation. »

Enfin, toujours sur ce thème, de nombreuses contributions soutiennent la thèse selon laquelle l’enfant doit être acteur de sa propre éducation : « il y a des enfants qui disent à leurs parents qu’ils sont grands de les laisser faire », « il faut accorder un minimum de confiance à l’enfant. Il faut l’écouter, essayer de le comprendre et l’aider à résoudre les difficultés », « il existe une différence entre consommation de l’information et esprit critique. Nos jeunes ne sont pas acteurs de l’information reçue. » Elles plaident pour l’érection de la responsabilisation et de l’autonomisation de l’enfant en principes de base de l’éducation : « l’éducation c’est donner des éléments à l’enfant afin qu’il devienne autonome. La coercition n’est pas une solution, il faut susciter la réflexion » « il ne faut pas trop cadrer car les jeunes doivent faire leur propre expérience ». Cette conception va à contre-courant de la tendance à « couver » les enfants, observée en Guadeloupe : « j’ai été frappée par l’aspect éducatif en Guadeloupe. On a trop tendance à couver les enfants. Je suis exaspérée par le manque de responsabilisation des enfants si l’on peut dire puisque j’exerce dans un lycée. De jeunes adultes donc. C’est comme si l’autonomisation n’avait pas été faite. A l’extrême, on couve depuis très tôt. Il y a donc un choc quand ils sont grands, quand ils se retrouvent à l’université ou confrontés au monde du travail ». Ainsi la transmission s’effectuerait dans les deux sens, les parents pouvant apprendre de leurs enfants : « lédikasyon apa sèlman pou timoun. On pitimoun ka aprann fanmi a-y otan ki fanmi a-y ka aprann- li. » « Il est possible d’apprendre de ses enfants, par exemple pour le port de la ceinture au volant ou pour les gestes éco-citoyens ».

A la recherche de solutions pour améliorer la transmission, plusieurs contributeurs estiment que L’Education devrait s’inscrire dans une démarche collective, émanant de la Famille et associant tous les autres acteurs concernés : « Aujourd’hui les partenaires de l’éducation ne vont pas dans le même sens », « il faut prendre appui sur la famille pour irradier la société guadeloupéenne. Il y a une nécessité de s’approprier les espaces de socialisation pour continuer de développer rapò kè ou ja ni akaz a-w. » « Sé lafanmi ki anchaj a édikasyon. Men chak patènè a édikasyon ni rèskonsabilité a-yo adan édikasyon » « c’est que pour agir en toute chose il faut être formé et bien informé, et savoir agir collectivement. » « Il faut que tout le monde s’attelle pour redresser la barre : l’État, la Religion, la Société » « L’éducation c’est la construction d’une chaîne ; des enfants aux parents et des enfants aux parents, pour que devenu adulte chacun puisse transmettre à son tour ce qu’il a reçu » Cette collaboration devrait être le fruit de débats et d’un consensus (politique) sur l’Education : « il faut que les adultes soient d’accord sur des choses pour pouvoir transmettre des valeurs. Le règlement intérieur de l’école n’est pas forcément respecté par les parents… » « Collectivement nous avons quelque chose à faire au niveau de l’Education : il faut un vrai débat politique. »

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Enfin, il convient de faire preuve de résilience dans cette entreprise fondamentale, nous dit un participant : « il y a un abandon qu’il ne faut

pas avoir. On est des Guadeloupéens, on est frères, vous êtes l’avenir, il ne faut pas abandonner, ne pas laisser tomber. Tenir, ne pas lâcher.

Quand l’enfant trouve quelqu’un pour lui tenir la main, et lui faire confiance, ça marche. C’est la question de l’abandon qu’il faut interpeller. »

Promouvoir l’Exemplarité et l’Amour pour résoudre la crise de l’Autorité

« Qu’est-ce que l’autorité ? » se sont interrogés les contributeurs. Certains d’entre eux se sont essayés à l’exercice de la définition

d’ « autorité », en se référant à plusieurs reprises à « autoritarisme » : « nous sommes façonnés par les guerres, par l’autoritarisme.

Aujourd’hui, nous vivons à une époque de paix et la ligne autoritaire n’a pas été remplacée ; chacun est livré à soi-même et libre à moins de

sortir des sentiers battus. Souvent les policiers n’interviennent que quand les situations sont graves. Le grand virage a été 1968, il est interdit

d’interdire. Pendant les années 50, on parlait d’école-caserne et j’éprouve une certaine nostalgie. J’espère un retour du respect, de l’autorité ; il

y a trop de laisser-aller, de laisser-faire. » « A mon époque, c’était l’autoritarisme qui régnait. Après 1968, ça a été le laxisme. Il faut donc

trouver un équilibre. » « Autorité relève-t-elle du carcan de la dictature ? L’autorité s’installe dès le berceau, l’enfance, la rigueur du

quotidien…etc. L’autorité peut être assimilée à la tyrannie mais avec les autres valeurs elle se fait accepter. » Retenons ces deux dernières

définitions : « Il ne faut pas confondre autorité et autoritarisme. [L’autorité] c’est un comportement qui induit que l’éduqué reçoit sans

contestation. C’est une manière de transmettre, d’être, l’exemplarité. C’est le passage naturel d’un message, sans force. » « L’autorité est

souvent confondue avec la force et la contrainte. L’autorité c’est plutôt l’addition d’une inégalité dans le rapport et d’une obéissance légitime ».

Les participants diagnostiquent une crise de l’Autorité en Guadeloupe : « avant les enfants avaient peur des parents alors ils respectaient les instituteurs, la police, etc. La peur entrainait le respect. En grandissant la peur des réactions des autres entraînait le respect de l’autre. Maintenant les enfants n’ont plus peur de rien, ils ne respectent plus personne. » « La peur du gendarme existait. Aujourd’hui on les caillasse.» De nos jours, les enfants jouiraient de trop de liberté : « Les enfants ont beaucoup de droits et peu de devoirs » « Il y a beaucoup trop de

liberté pour les enfants aujourd’hui. Sans revenir aux châtiments corporels, il faut réduire un peu de la liberté des enfants qui sont aujourd’hui

des enfants-rois. » Ces enfants-rois ne seraient que le produit d’une société où les règles et les paroles d’autorité sont bafouées :

« aujourd’hui, chacun se croit tout permis. » « Avant, il y avait une autorité d’obligation ; certains étaient ignorants et avaient confiance en ceux

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qui avaient le savoir. Aujourd’hui, tout le monde se dit expert. » « Les valeurs existent encore aujourd’hui mais c’est plus difficile car tout un

chacun pense avoir sa part de vérité. » « Si chak moun ka fè sa yo vé sé pa on sosyété ankò pa ni règ. [Isidan] tout moun vé fè sa yo vé. »

Pour certains contributeurs, la loi contre les maltraitances a affaibli l’autorité des adultes sur les enfants en Guadeloupe: « depuis que l’Etat

a bafoué l’autorité avec les enfants qui dénoncent les fessées, l’enfant n’a pas envie de suivre les règles à l’école, idem dans l’entreprise, de

respecter son pays, les lois…etc. » « Je voudrais parler du problème du numéro vert donné aux enfants. C’est un moyen de défier le maître. Il

faudrait revoir les lois. » « Il faut des sanctions, à la maison, par l’État. Il faut veiller à ce que les parents ne maltraitent pas, n’abusent pas

[mais] il faut supprimer les textes législatifs qui autorisent les enfants à porter plainte contre les parents. » « Tout le temps que l’éducation était

liée à l’obéissance, ça marchait, mais l’apparition du questionnement a changé les choses. […] Il y a aussi le problème qu’on peut plus taper un

enfant et la question du numéro vert »

D’autres rappellent que cette loi vise à lutter contre les excès : « l’État n’empêche pas de corriger un enfant. C’est la manière de faire qui est

remise en cause dans certains cas. Avec le dialogue on peut corriger un enfant. » « La loi c’était contre la maltraitance : avant c’était trop. Il ne

faut pas confondre correction et maltraitance. Les parents allaient trop loin. Maintenant c’est vrai que les parents laissent faire. » Un

participant exprime ses doutes sur le fait que les enfants guadeloupéens fassent valoir les droits que leur ouvre cette loi : « je me demande si

cela s’est déjà produit qu’en Guadeloupe un enfant ait utilisé le numéro vert. » Un autre contributeur estime que les textes législatifs ne

sauraient endosser la responsabilité de la crise de Transmission et de l’Autorité en Guadeloupe : « C’est parce que les gens ont abusé, qu’on a

fait des lois. Les lois sont là pour faire évoluer les situations. […] Si l’enfant est dans une famille où on lui a inculqué des valeurs il ne peut dire «

c’est mon ordinateur ». Le problème c’est que la chaîne a été cassée. […]Les lois n’ont pas tout cassé. » Dans cette optique, pour plusieurs

participants, cette loi invite à la définition de nouveaux modes d’exercice de l’Autorité : « les châtiments corporels sont interdits mais il faut

de la fermeté » « l’aspect juridique a fait perdre certaines pratiques, comme les fessées. Il faut donc trouver d’autres règles »

De nombreux contributeurs insistent sur la nécessaire exemplarité que doivent observer les adultes pour compter exercer une autorité sur

un enfant et gagner son respect : « l’autorité c’est la reconnaissance de l’exemplarité, de la capacité à transmettre, des compétences. Est-ce à

dire que cette reconnaissance est indispensable pour asseoir l’autorité ? » « Nous adultes devons changer et tant que ce ne sera pas fait la

situation demeurera difficile en termes de transmission des valeurs. Les adultes doivent donner l’exemple. » « Les enfants voient des adultes qui

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courent après des grosses voitures, qui jettent des choses n’importe où, sans respecter l’environnement, et qui ne sont pas sanctionnés, pas

punis. Ainsi la valeur respect perd tout son sens. » « Les enfants sont témoins de comportements d’adultes répréhensibles et qui ne le sont pas. »

« Ce qui doit perdurer c’est l’exemplarité des élites, des adultes, dans les lieux de pouvoir. Il faudrait adopter des chartes de bonne conduite. »

« Il faut dire ce qu’il faut faire et faire ce qu’on dit » « Les adultes doivent se comporter en responsables, ils se doivent d’être des modèles, des

exemples pour les jeunes, ne pas avoir envers eux un comportement de commandeurs, avec le fouet en moins. » « Nou pa ka konprann sé

timoun- la, é sé konportasyon an nou- menm. » « Il y a des personnes âgées qui ne valent pas mieux que des jeunes ».

Cette recherche d’exemplarité devrait guider l’action des parents : « L’enfant se construit en imitant, en regardant ses parents. Il se nourrit de

nos comportements. Très peu de parents amènent leurs enfants à leur travail. L’enfant qui accompagne ses parents à son travail va développer

un intérêt pour le travail en imitant ses parents. Il faut l’exemplarité. » « Même quand les enfants sont violents, meurtriers, ils sont encore des

victimes (de leurs parents), car l’exemple vient d’en haut » « Des enfants qui reproduisent ce qu’ils voient dans la famille. Donc attention les

adultes doivent surveiller leurs paroles, faits et gestes. » « Ou ni dé fanmi ki ka rèsté kouché é yo ka voyé timoun lékòl. Sa pa kay. Apa on bon

mésaj ou ka voyé pou timoun-la. » Et celle des enseignants : « On doit toutefois retrouver la notion d’exemplarité chez les enseignants. Avant

les enfants les respectaient parce qu’ils avaient des modèles en face d’eux. » « On réclame le respect et l’exemplarité du maître. »

Plusieurs contributeurs préconisent que l’accent soit mis sur l’écoute et le partage : « dans l’éducation, le temps de partage est

fondamental », « il faut rétablir l’autorité dans les familles. Oui mais attention aux excès. Il faut prendre le temps de parler. Un enfant de eux

ans, il ne comprend pas, et si on l’habitue aux coups, on ne résout pas le problème » « Passer du temps ensemble, ça manque. » « Il faut une

complicité entre les parents et les enfants, sur la base du partage, mais sans oublier qui est qui. » Cela nécessite des aptitudes à la

communication : « l’éducation a beaucoup de verbal et de non verbal », « les parents n’ont pas compris que les enfants sont des messagers qu’il

faut savoir écouter et entendre. »

De nombreux contributeurs décrivent l’Amour comme une composante essentielle de l’Education ; ces contributions mettent l’accent sur

l’amour de soi, l’estime de soi : « es nou enmé nou ? Ében sé pwèmyé mach- la. Fo moun-la aksèpté-y é enmé-y. si ou pa asèpté-w ou pé ké jen

enmé-w », « L’amour de soi, nou poko la ; ès si on moun pa enmé-y i pé angajé-y adan konba a lavi ? » « Faire comprendre à l’enfant qu’il est

important : « tu es quelque chose que j’aime. » » « fo di timoun- la i ni on « potentiel » adan-y. » « prèmyé valè fanmi dwèt transmèt sé «

l’amour de soi ». » « tout moun dwèt konprann ki yo ni on valè. » « L’amour de soi, base de la motivation pour livrer les combats de la vie. » « Si

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nou bizwen menné dé moun a lépanouisman fo nou ni on imaj positif a nou menm. É sa sé rèskonsabilité a lafanmi, ba timoun-la on imaj pozitif

a li- menm. Enmé-y. »

L’Amour devrait s’exprimer plus fortement au sein de la Famille : « les relations parents-enfants manquent d’amour. Brutalité, pas de

tendresse, de douceur. Ce sont déjà des signes précurseurs de violence dans la famille jusqu’à ce que devenus adolescents, ils deviennent

véritablement violents, que leurs parents en aient peur. Mais en réalité, les jeunes copient les parents. » « Fo chak fanmi pwan konsyans ki yo

enpòtan. Yo kapab enmé é sé lanmou dabò. É timoun a yo ka enmé yo. Si nou fè sa, sa ké pati. Davwa piplis nou ka dévalorizé nou, piplis nou

péké vansé. »

L’amour des savoirs acquis et du travail fait permettrait d’atteindre la nécessaire motivation et devrait guider les efforts des pédagogues :

« L’homme est un animal affectif. Dans un système d’apprentissage tousa ou yé ka rouvini, toutes les mémoires reviennent. Alors pour obtenir

quelque chose d’un enfant, il faut l’aider à aimer ce qu’on lui demande. [Il y a un] besoin d’affection pour solidifier. » « Nou chak tini on koté ki

pi fò ki lòt koté. Tini adan noutout on jizman « potentiel et énergétique » kè sèl « le développement de l’esprit » ka permèt savé. Nou ni onlo

« potentiel » men fo kréyé lé mwayen dè dékouvè potansyalité an- nou. C’est un combat. Men nou bizwen osi konstwi pèsonalité an- nou osi.

[…] Les jeunes ont besoin de découvrir leurs potentialités, de mettre en lumière leurs capacités […]. Si on moun pé chwazi on métyé adan on

domèn ki i enmé, i péké menm mandé « la retraite ». Lè on moun ka fè on biten adan on domèn ki i pa enmé, dépi i ni 25 lanné i ja vé

« retraite ». Il faut mobiliser les moyens qui peuvent permettre de faire ça. Moun- la nou ka fòmé- la, sé pou fè-y vini nonm. Sé pousa sé fason-

la ou bizwen moun- la fonksyoné- la, ka pèmèt vou chèché ki mwayen pou fòmé-y La maitrise des savoirs c’est faire découvrir une motivation.

C’est créer des conditions nécessaires pour construire un projet éducatif. Tous les combats de la vie se résument à la maitrise des savoirs. »

Certains hésitent à adopter pleinement cette position au motif que l’Amour a des acceptions différentes selon les individus : « lanmou oui,

men lanmou ni on konotasyon « religieuse » osi. » « Ce sont des considérations psychologiques. Pé ni adan –y on « élément religieux », sé dé

zéléman ki nou pé pran an kont » « moun ka enmé moun pou soulajé soufwans a- yo » « nou toujou ka palé an global. Men apa konsa. Nou

chak ni on rèprézantasyon dè lanmou. Plen jès nou tini adan- nou pou montré nou enmé- nou. Zò ka di zò enmé timoun- la, ka zò ka fè pou

montré kè zò enmé-y ? », « Chak group sosyal ka établi règ a-yo »

A l’évocation précisément des règles à observer, d’autres soutiennent que, bien que louables, ces considérations sur l’Amour ne doivent pas faire perdre de vue l’une des conditions essentielles – et parfois l’objet même – de l’Education : l’apprentissage et l’acceptation des interdits : « Pani édikasyon san lanmou men édiké sé édiké pou on biten. Dépi timoun- la piti ou ké di-y pa fè dé biten. Sé dépi toupiti ou ka

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aprann on timoun ki ni« interdit » » Un participant suggère, dans cette optique, que l’Amour permet une meilleure acceptation des règles : « nou ka mèt lanmou an avan, « l’amour dans la famille » ? C’est l’amour ka liyé « paraent et enfant ». C’est normal, mais i ni on dimansyon ou pa ka ensisté, sé la lwa, à l’école c’est d’abord la loi qui prévaut. Il n’y a pas d’éducation sans interdit. Lanmou ka fè timoun’la asèpté entèrdi. » D’autres contributions suggèrent que les règles ne peuvent s’appliquer qu’à partir d’un certain âge : « si ou ka palé dè « interdit » sa vé di kè timoun la ja gran, alò ki timoun la poko gran : poko ni règ. »« A laj la sa poko tini règ adan rapò a toupiti é manman poko tini règ »

Le débat a ensuite porté sur les manifestations de cette crise de l’Autorité au sein de la Famille, de l’Ecole et, dans une moindre mesure, de l’Entreprise, avec en toile de fond, cette question : « qui est détenteur de l’autorité en 2012 [en Guadeloupe] ? ». Les parents et les grands-parents seraient en grande difficulté : « Il faut maintenir une hiérarchie entre enfants et parents. » « Les parents ont beaucoup de difficultés avec les enfants, et les grands parents avec les petits-enfants. » « Les familles d’aujourd’hui sont différentes des familles de la période de nos grands- parents. Avant, les enfants ne défiaient pas leurs parents. Maintenant les enfants défient tout le monde. » Le laxisme constaté ici et là serait la résultante d’un contre-pied éducationnel pratiqué par certains parents : « je connais le cas des parents qui ont été éduqués à la dure, et ils n’ont pas voulu donner la même éducation à leurs enfants. Ils sont donc trop laxistes. […] Il faut trouver des solutions pour réinstaurer l’autorité des parents. » « Avant, il y avait une soumission à l’autorité des parents mais elle était basée sur la violence, sur les coups ; ce qui a souvent entraîné la violence chez les enfants. Après, il y a eu un virage à 180°, tout le monde est devenu libre. Aujourd’hui, il faut trouver un juste milieu. » « J’ai des amis qui ont été traumatisés par l’éducation qu’ils ont reçue. Ils ont choisi de donner une éducation laxiste à leurs enfants. Et cela a donné l’enfant- roi. »

L’autorité de l’Ecole et des ses représentants serait également mise à mal par les enfants aujourd’hui : « Comme l’indiquent les diverses études, il y a une crise de l’autorité et de l’école. En Guadeloupe, une des causes tient au fait que les parents fonctionnent dans une dynamique de ne pas déplaire et les enfants contestent tout. Il y a un zapping incessant, ceci sans analyse et concentration. […]Les élèves réprouvent les enseignants au quotidien. Certains menacent même leurs enseignants », « l’instruction civique. La question de la tenue, du comportement des attitudes en classe lors de la venue par exemple de quelqu’un dans la classe, « il faut se mettre debout ». Tout ceci est à reprendre. Avant, ce qui échappait aux parents pouvait être rattrapé par l’école », « il faut aussi remettre ? l’absolu du savoir : un enfant ne doit pas remettre en question ce que dit le maitre). Il se tait et puis il réfléchit après », « le problème c’est que la parole de l’enfant est au même niveau que celle du maître. […] La contestation d’une parole d’autorité et la revendication d’une démocratie participative font croire à chacun que sa parole ala même valeur que celle d’un autre ». Les contributeurs pointent la responsabilité des parents dans cette crise de l’autorité à l’Ecole : « la crise de l’autorité dans la famille induit une crise à l’école. Regardez les agressions sur les profs ! Les parents donnent raison à leurs enfants », « il y a un manque de reconnaissance de

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l’autorité des enseignants qui est mise à mal au quotidien. Il y a une crise de l’Ecole car il y a une crise de l’autorité et des valeurs. Cela ne signifie pas qu’il faille revenir en arrière ?mais qu’une refondation issue de la société est nécessaire. Comment faire ? L’enfant doit trouver un « maître » à l’école et les parents doivent respecter cette autorité », «L’Autorité est mise à mal depuis plusieurs années. Avant l’autorité des parents était transmise aux enseignants, ce qui permettait que les enfants respectent les enseignants autant que les parents », « si ou sé on profesè ou rivé douvan on timoun i pa rèspèkté pon moun, fanmi ni pou réponn sivilman dè konportasyon a timoun a-yo »

La notion d’Autorité a été également examinée dans le contexte de l’Entreprise. Les analyses et les recommandations formulées ici rejoignent

celles émises lors des débats du mois de juillet sur le thème « Vie Economique et Sociale », quant aux difficiles exercices du management et

des relations hiérarchiques en Guadeloupe : « dans une entreprise guadeloupéenne nous sommes tous directeurs. » « Être chef c’est diriger.

Savoir travailler en équipe, savoir accepter les ordres pour la bonne marche de l’entreprise » « L’éducation reçue doit être synonyme de culture,

du respect des vertus morales s’agissant notamment du respect de l’emploi et de l’employeur. Trop souvent, quelqu’un qui obtient un emploi est

heureux et se tient bien. Ensuite, il se syndique et devient mécontent » « Un chef c’est un guide, il doit aider ses ouvriers, ses employés à grandir

par leur travail. Quand on parle de transmission, la qualité du transmetteur est souvent plus importante que le message ; la qualité du récepteur

importe également. »

Concilier les valeurs des différentes générations et mieux transmettre le patrimoine guadeloupéen

A l’instar des autres notions développées lors des débats, le terme « valeurs » fait, à l’évocation du contenu de l’Education et de la transmission, l’objet de tentatives de définition : « que veut dire « valeurs » ? » Pour plusieurs participants, « les valeurs ce sont des références positives ». Pour d’autres, « les valeurs ont deux aspects. Elles peuvent être positives ou négatives. » « On peut transmettre des valeurs négatives malgré soi ». Les contributeurs s’accordent en tous cas sur le fait qu’« il faut savoir faire la différence entre valeurs et pratiques ». Les contributeurs font le constat que la société guadeloupéenne a évolué, tant sur le plan des valeurs que sur celui des modes

d’apprentissage : « Ni on diférans ant yè é jòdila. » « Pwoblèm-la sé ki édikasyon pa adapté ankò. Pani mwayen alèkilé kon avan. » « Les bases

ont évolué et certains parents, non. » « Le référentiel est différent. » « Si les jeunes ne se retrouvent pas c’est parce que le modèle des parents

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est obsolète ». « Les enfants reçoivent une éducation qui ne correspond pas à leurs attentes culturelles. Que peut-on apporter à nos enfants

pour qu’ils s’accomplissent en fonction de leurs expériences ? » « Au niveau de la transmission, les éléments transmis ont beaucoup changé en

vingt ans à cause des nouvelles technologies. Il faut que l’éducation soit adaptée à la réalité du 21ème siècle, à la place qu’occupe l’ordinateur

aujourd’hui »

La société guadeloupéenne serait devenue matérialiste et cette évolution se mesurerait également dans l’attitude des enfants : « timoun a-

w ka jijé-w dapré sa ou ni. lajan vin mèt. » « Si ou pa ba timoun-la sa i mandé-ou, ou ka mété –y an difikilté, parapòt a zanmi a-y ki tini sa i ka

mandé-w. Fo téké ni on rézistans kolèktif. É sa nou pa ni sa. » « Aprézan lanmou a fanmi ni on lo jalouzi adan-y. Si on timoun vé on biten, é ou

pé pa ba-y-li, timoun–la ka konparé épi dòt fanmi. É sé konsa sé fanmi-la ka sédé pou timoun-la. ou pé pa, men pou mété- w an hotè a lòt la, ou

ka mété-w an kat pou ba-y- li. Ou pa ka rété an hotè a-w. Sa ka ba-w on féblès. Menm si ou ba timoun-la sa i mandé-w fo ou palé ba-y. Men ni

dé fanmi ki paka rivé, yo an féblès. Maintenant aussi c’est « le look »qui compte, pou on manman montré i enmé timoun a-y i fo i abiyé miyé ki

mèt -la. I adan laparans. Etre dans l’apparence devient plus fort que les apprentissages scolaires. […] C’est pour cela que l’école n’a plus de

valeurs. » « Nou ka konprann pas nou ni lajan nou nonm, davwa lé média dévèsé an pakèt biten adan nou, nou ka kwè nou vin nonm. »,

« Sosyété ékonomik-la sé konsomasyon. A pa ba moun travay sé « la consommation ». Lè yo ka kalkilé chif a kwasans an ékonomi, sé asi la

« consommation des ménages ». Men si ni on « prise de conscience dans les familles « sé yo tousèl ki pé chanjé kéchòz. Mi sé adan sistèm la-sa

nou yé. » « Il faudrait développer des rapports autres que des rapports marchands. Léconomi pa ni respè. Sosyété marchan kasé lyannaj an

fanmi. » « La société a évolué vite et les individus n’ont pas suivi et imprégné les éléments qui se sont interférés. La société incite à chercher de

l’argent. »

On assisterait aujourd’hui à un conflit de générations sur les valeurs : « Il y a une compétition des valeurs » « Il y a un conflit de valeurs. Les

messages sont différents en fonction des générations ». « Je ne reçois pas mes petits-enfants car ils ne respectent pas mes valeurs. » Certains

insistent sur le fait qu’il existe des « valeurs intemporelles » auxquelles on ne saurait déroger : « Si un grand- parent a un petit- enfant qui

l’insulte, il ne peut pas garder l’enfant. Les valeurs ne sont pas les mêmes. Les valeurs sont les mêmes à travers le temps. Politesse, respect on ne

peut pas vivre sans. Les valeurs sont communes à tous. »

Mais, pour la majorité des participants, il convient d’appréhender les valeurs des différentes générations comme complémentaires :

« L’éducation peut être différente mais les valeurs sont complémentaires. Je prends le cas de mes neveux. Quand ils sont chez moi ce sont mes

valeurs qui prévalent. Je ne suis pas d’accord avec la participante qui a préféré ne pas recevoir ses petits- enfants parce qu’ils ne respectent pas

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ses valeurs. Dans ce cas précis, les enfants voulaient imposer leurs valeurs. » « Il faut un équilibre entre l’engouement de la consommation et le

respect de l’environnement dans les programmes des médias. » « Il faut accepter [les enfants] et les confronter aux valeurs qui ne sont pas les

leurs. Les valeurs sont complémentaires » « Le problème c’est comment gérer cette mondialisation avec notre culture. » « Aujourd’hui, la société

avance tellement vite que ce sont les jeunes qui nous apprennent des choses. Par conséquent, que doit-on apprendre aux jeunes ? Il faut trouver

des passerelles avec les jeunes dans le cadre des nouvelles technologies. » « La Guadeloupe est un pays jeune, nous sommes à peine deux cent

ans après l’abolition de l’esclavage. Nous sommes une ancienne colonie. Pandan nou té an kèt didantité, nou té ka komansé soukwoué tèt an-

nou, mi nou ja adan « la mondialisation ». É yo pa ka montré-w ayen ki bon. Sa kréyé on « perte des valeurs ». Le problème c’est de savoir

comment faire pour garder notre identité même dans la mondialisation ? fo nou ni on mak dè fabrik pou lè nou ka palé yo sav sé on

gwadloupeyen ki la ka palé. » Ils insistent sur la nécessité de ne pas céder à la nostalgie et d’innover pour établir ces passerelles avec les

jeunes générations : « je suis frappé par cette nostalgie du passé. A l’époque il y avait une forte cohérence entre les gens, un même système de

cohérence qui fait que ça marchait. Maintenant ça ne marche plus. […] Il faudrait retrouver cette cohérence. […]Pas simple car la mondialisation

est passée par là. » « Il ne faut pas être nostalgique des valeurs d’avant. […] Chaque société a un moment historique donné, construit ou

améliore des valeurs » « Nous sommes en mutation, tout le monde cherche à innover. »

Les contributions convergent sur le fait que le contenu de l’Education n’est pas adapté à la réalité culturelle de la Guadeloupe : « nous

sommes un peuple, nous connaissons-nous nous-mêmes ? Connaissons-nous nos valeurs ? » « Il faut repenser les conditions de travail et les

programmes depuis la maternelle. Ces derniers ne plaisent pas aux enfants. Rien n’est mentionné sur la Guadeloupe. » Pour certains, cet état

de fait est la traduction de l’entreprise d’aliénation culturelle menée de longue date par la France : « Instruction est associée avec Aliénation

dans une société coloniale. Pendant l’Esclavage, [la majorité de la population n’avait] pas d’accès à l’instruction. Après 1848, l’instruction mise

en œuvre avait un aspect aliénant. Un siècle de colonisation ce n’est pas rien. Cette instruction nous aliénait, pratiquait la haine de nous-

mêmes » « On est confronté en ces temps à l’acculturation qui mine les racines de notre identité ». Pour d’autres, contributeurs plus

nombreux, il est l’expression de l’incapacité de l’Education Nationale à répondre aux besoins propres de la Guadeloupe : « Le système

éducatif guadeloupéen a été trop calqué sur le modèle européen. La Guadeloupe n’était pas encore prête à tout absorber. » « Le programme de

l’Education Nationale n’est pas fait pour la Guadeloupe. L’Ecole est un nuage. Elle fonctionne avec un programme défini qui correspond aux

besoins du législateur et non de ceux du pays. Il n’est pas étonnant qu’il y ait autant de jeunes dans les rues. L’Ecole ne répond pas aux besoins

de la Guadeloupe. Gérard Lauriette a créé une pédagogie qui n’a pas été écoutée. L’enseignement n’est pas libre car le programme est

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imposé. » « Pourquoi tant de revendications aux Antilles dans l’Education Nationale ? Ce sont les mêmes que dans les années 60 : le sureffectif

et la non prise en compte des spécificités locales. La nouveauté est le manque d’autorité de l’enseignant ; l’Education Nationale n’a pas évolué

avec la société. »

De nombreuses contributions préconisent un enseignement intégrant davantage l’Histoire, les grandes figures de la Guadeloupe et le

Créole : « il faut transmettre les valeurs qui se rapportent à la connaissance du pays : économie, environnement, histoire, etc... » « Nous devons

connaitre notre histoire. Sa enpòtan pou konnèt la ou soti pou-on biten déclanché andidan a-y. Fo touvé on dòt éléman pou fè on « prise de

conscience ». Fo édiké popilasyon an- nou. Fè on « prise de conscience ». si nou konnèt istwa an- -nou nou pé di pli janmé sa. Sa pétèt on

« élément déclencheur » pou nou kréyé on dot sosyété. » « Quelles corrections que nous pouvons porter ? La France s’est rendu compte que

l’esprit patriotique était en perdition, alors ils ont remis l’histoire à l’école. Yo roumèt « la marseillaise » lékòl. Tousa pou té rèlansé on espri

patriotik. En Guadeloupe, quelle sorte d’éducation devons- nous mettre en place ? » « L’histoire de l’art traite de Picasso et pas de Rovelas.

Avant d’apprendre Chopin, les enfants devraient apprendre Guy Conquet, Saint-Eloi, etc… » « Il faut transmettre dans quelle langue ? Il y a une

guerre entre le français et le créole et les enfants ont beaucoup de lacunes. » Certains vont jusqu’à réclamer que la priorité soit

systématiquement donnée au local dans les programmes d’enseignement : « Pour moi, la priorité c’est L’identité : il faut affirmer nos

différences. » « Ce qui importe ce sont les valeurs rapportées au contexte de la Guadeloupe. » « Il faut se tourner vers nos racines et aller

davantage vers nos valeurs » « Si on forme des Einstein : très bien. Si l’on forme des Henri Joseph : parfait ! Priorité au local. » « Il faut se

tourner d’abord sur ce qu’on est. Nous cherchons à innover, développer nos valeurs locales mais nous devons savoir au préalable d’où nous

venons. Nous devons intégrer nos valeurs dans le programme de l’éducation (culture, danse, plantes, géographie, territoires) » Quoi que

reconnaissant sa nécessité, plusieurs participants préconisent toutefois que cette emphase identitaire ne soit pas exclusive : « Il nous faut

accepter ce que nous sommes. On peut jouer au piano et écouter Guy Conquet. Nous ne devons pas être en rivalité mais au contraire concilier

les deux. » « Les valeurs morales à défendre et à respecter sont celles qui renforceraient l’identité et la citoyenneté. »

Plusieurs contributeurs font référence à la citoyenneté comme l’un des objets prioritaires de l’Education en Guadeloupe : « Faut-il remettre

l’instruction civique au goût du jour ? » « Nous pouvons proposer la leçon de morale au primaire et l’instruction civique au secondaire même si

le système ne l’impose plus. » « Quelques valeurs initiales à l’éducation de l’enfant : politesse, civilité, respect moral. » « Pour moi, le plus

important c’est l’instruction civique et le vivre-ensemble. » L’instruction civique est plusieurs fois associée au « vivre ensemble », comme valeur

impérative à transmettre aux jeunes Guadeloupéens : « il faudrait accentuer le vivre ensemble ; Il y a un grand chantier à mettre en œuvre sur

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le vivre-ensemble et le savoir-être. » Certains mentionnent le respect de soi, le respect de l’autre comme l’un des apprentissages

fondamentaux à acquérir pour cette vie en communauté : « il faut apprendre à accepter l’étranger ; il y a un travail à faire. » « il faut mettre

en avant le respect de l’autre, la politesse, la courtoisie. Le respect suppose le savoir. Si on ne m’a pas appris pourquoi je respecterais ce qu’est

mon corps, un animal. Il est important de respecter l’autre dans ses convictions intimes, sa spiritualité. »

Il s’agirait également d’apprendre à respecter l’environnement : « je dirais le respect de l’environnement : les plantes, l’eau », « Sans

hésitation, l’environnement. A travers les associations on peut apprendre à aimer, à respecter son environnement. Mes parents m’ont appris

aussi à aimer le patrimoine de mon pays. Quand on a vécu à l’extérieur il est aussi plus aisé de vouloir découvrir son environnement. »

Composantes de l’éducation du citoyen, « l’éducation à la consommation » et « l’éducation à la sexualité » sont également mentionnées

dans les débats. Ces domaines d’apprentissage concourraient également à la construction de la personne et à la satisfaction de ses besoins

essentiels : « mwen, an enmé- mwen. Donk an ka pwotéjé santé an- mwen ki vé di sé konnèt ka an ka manjé. Pwotéjé lè-la, ki vé di ki lè ou ka

rèspiré. Pwotéjé dlo-la. Pwotéjé tè-la i ka ba-w manjé-la. Apré lasanté, ou ni lòjman, fo ou byen lojé, pou pwotéjé-w. […] Sa sé lé « besoins

primaires […] Et puis il y a la démarche de l’acquisition des savoirs universitaires »

La valeur Travail revient également avec insistance dans les débats : « Sur le travail nous pouvons évoluer », « à mon sens, les vraies valeurs seraient l’amour, le respect et le travail. » « si dans les familles on n’inculque pas les notions de respect, de travail…un jeune qui ne s’est pas éveillé à cela…lorsqu’il rentre dans une entreprise il regarde d’abord le code du travail… [Les priorités devraient être] : respect, goût de l’effort.» Erodée par le chômage de masse, elle devrait revenir aujourd’hui au premier plan des valeurs à transmettre : « la valeur éducative fondamentale est le travail ; pendant longtemps c’était une manière d’être. Aujourd’hui, il est difficile de transmettre cette valeur car certains n’ont pas accès à l’emploi et ce sont d’autres rapports au travail qui sont transmis notamment par les allocations familiales », « la valeur travail était très importante mais a été battue en brèche avec le chômage de masse. » Certains contributeurs interpellent par ailleurs les décideurs politiques sur le rôle éducatif du sport : « on reconnaît les bienfaits du sport,

notamment pour l’épanouissement du jeune, mais on ne perçoit pas une réelle volonté politique pour qu’il devienne vecteur d’éducation. Les

valeurs de certaines activités sportives et culturelles doivent être mieux appréhendées pour contribuer à l’éducation des enfants. Le sport est un

moyen de se réaliser et de dépasser la défaillance de la famille. » « Les valeurs sportives sont considérées par certains comme un moyen

d’accéder à l’ascenseur social alors qu’elles devraient participer à l’éducation. »

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A l’école, des efforts devraient être réalisés dans l’enseignement des matières- clés : « 60% d’enfants sont en difficultés en CM1 et CM2 en

français et en mathématiques ». Des demandes de modifications des programmes scolaires sont également formulées : « l’aspect agricole

devrait être valorisé dès l’école maternelle. Pourquoi ne pas faire 4 jours dans l’école « normale » et une journée en pleine nature avec le

professeur de sciences ? » « Il faudrait demander des cours de philosophie dès le primaire pour ne pas être dans la soumission et développer

l’esprit critique » « On n’enseigne pas [assez] les sciences sociales pour que [les enfants] comprennent ce qui se passe dans la société ».

Ces propositions suscitent des réflexions sur une possible autonomisation de l’Ecole en Guadeloupe : « Ki fòs nou ni pou di nou pa dakò, pou

nou dévlopé on dòt vizyon a lékòl ? ès nou pé tini on pwojè otonòm pou timoun gwadloup ? » « Nous pouvons faire ce que nous voulons ; le port

de l’uniforme est à priori interdit dans le système scolaire français mais utilisé par près de 100% des écoles du Département » « Nou pé chanjé

lékòl, davwa sé fanmi ka désidé ki lékòl ki fo pou timoun a-y. »

La conclusion de la plupart des contributeurs sur ce thème des valeurs à transmettre est que le contenu de l’Education doit répondre aux objectifs poursuivis par la société dans son ensemble : « il faut placer l’éducation dans une société donnée et se demander quelle est la finalité de l’éducation ? L’école reflète l’état de notre société parce qu’elle existe elle-même au sein de notre société. Aujourd’hui on ne réfléchit plus sur l’école, ni sur la société. Il faut revenir à l’essentiel. On ne peut pas parler de tous ces sujets en dehors de la société, car les maux sont ceux de la société. » « Ou pa ka fòmé pou fòmé » « Ki kalté nonm ou vé fòmé ? Pouki sosyété ? » « Fo ou di ki nonm nou ka chwazi fòmé. Si ou vé fè on sòlda ou ké édiké–y tèl jan, etc... Pour tout cela il faut choisir quel homme on veut former, créer ? » « Tèm-la i fondamantal. […] Nou adan on sosyété, ki wòl a édikasyon? […] Fòmé pou ki biten ? Il y a des connaissances générales qui représentent le minimum pour tout le monde. A côté de cela chaque pays a sa spécificité. Ki jan ou ka vwè sosyété a-w ? ki òbjèktif ou ni pou péyi a-w ? » « Ni anpil aksyon men ou pa sav finalité a sé aksyon-la. Fo nou plis palé dè édikasyon kon fonksyon. […] Ès modèl édikasyonèl nou adan- la ka korèsponn a modèl sosyété an- nou ? […] Pou pé établi on modèl édikasyonèl fo ou sav ki nonm ou vé fòmé. […]Pou fè ki biten ? […] Pwoblèm-la sé ki pa tini koérans asi nonm-la nou vé fòmé-la.[…] » « Pou di on rézilta bon ou mové, fo ou té sav ka ou té ka chèché. Ès nou ja mèt nou dakò si ki kalté nonm nou vé an sosyété-la. » « L’école doit former les Hommes et les Femmes de demain. Ils forment les relais pour poursuivre la construction de la société. On doit les éduquer en vue de l’édification du pays. » « Il faut définir une priorité : quels sont les besoins spécifiques du pays ? L’école doit être en adéquation, au service des besoins du pays. Si elle ne les sert pas, elle n’a aucun intérêt » « Nou bizwen Gwadloupéyen ki ni « des savoirs et compétences » pou rézoud pwoblèm an- nou. Mi sé sa ki fonksyon an- nou. Tout moun itil an sosyété- la. Nou adan on sosyété é sé wòl sosyal nou ka joué. Fo chak moun konpétan adan wòl a- yo. Si nou ni dé konpétans a kréyé fo nou komansé pa la. Apa lérop ki ké di nou sa nou vé. Sé nou pou di ka nou vé. »

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Principales propositions de politiques publiques

- Renforcer les actions d’accompagnement à la parentalité, par la création notamment d’une école des parents

- Renforcer l’encadrement dans les interclasses à l’école

- Développer la formation des enseignants

- Supprimer le principe de la notation à l’école

- Soutenir les actions éducatives des associations

- Développer les activités de formation mises en œuvre par le RSMA

- Inciter les médias de masse, en particulier les télévisions locales, à renforcer leur rôle éducatif

- Renforcer les messages éducatifs dans l’Espace public, à travers notamment des campagnes d’affichage

- Favoriser la coopération entre acteurs de l’Education

- Favoriser l’accès d’enfants issus de milieux défavorisés au haut niveau en matière d’éducation

- Favoriser les rapprochements intergénérationnels, notamment par la mise à disposition de lieux de rencontres

- Renforcer l’enseignement des matières fondamentales (français, mathématiques)

- Mettre l’accent sur l’instruction civique, l’éducation à l’environnement, à la consommation, à la sexualité

- Promouvoir la valeur Travail dans les activités éducatives

- Introduire plus précocement l’enseignement de certaines matières (philosophie, sciences sociales…) à l’école

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D) Vie économique et sociale

L’analyse de comptes-rendus des débats du mois de juillet sur le thème « Vie économique et sociale » fait ressortir plusieurs axes de réflexion.

Il convient, dans un premier temps, d’observer que les débats ont porté en majorité sur la relation au Travail et sur les relations sociales au sein

de l’entreprise. La conflictualité – croissante – constatée de ces rapports est attribuée à l’influence du passé esclavagiste de la Guadeloupe et à

l’importance exacerbée des considérations pécuniaires. De nombreux contributeurs imputent la difficile émergence d’un entreprenariat

guadeloupéen à ce rapport problématique aux valeurs Travail et Argent. Les contributeurs ont, par ailleurs, partagé leurs attentes et leurs

doutes quant au développement de la production locale, dans une économie reposant sur les importations de masse et caractérisée par des

situations de monopole. Du fait de son poids actuel dans l’économie, de ses potentialités de développement, mais aussi des défis auxquels elle

est confrontée, la production agricole a occupé ici l’essentiel des débats. La plupart des propositions de politiques publiques visent, dans cette

optique, à favoriser la valorisation des métiers, l’accès aux moyens de production, la diversification et l’innovation dans ce secteur primaire.

Un rapport historiquement problématique, doublé d’une crise de la valeur Travail

Une idée forte se dégage très vite du débat : parce qu’il le perçoit souvent comme un fait imposé, subi, le Guadeloupéen n’aime pas le travail

qu’il effectue : « Il n’y a pas d’Amour pour le travail que l’on fait et pour lequel l’on perçoit un salaire ». Le Travail ne serait pas, dans cette

optique, l’expression d’une vocation professionnelle ou d’un engagement citoyen, mais, davantage, de considérations utilitaristes, dictées par

la nécessité d’encaisser un salaire dans la société d’aujourd’hui : « certains disent « je vais gagner une journée » plutôt que « je vais

travailler » », « L’employé n’a pas le goût du travail. Il ne respecte pas son travail. Il n’y a pas de solidarité du salarié. L’entreprise est un père

nourricier », « le Guadeloupéen n’a pas la culture du travail ; Il n’a pas la culture de l’Entreprise, ce qui lui aurait permis de développer son pays.

Le Guadeloupéen n’a pas la culture de la compétitivité. Il n’a pas le sentiment que l’on travaille pour soi », « il y a beaucoup de personnes

diplômées, qui occupent des postes pour simplement avoir une activité professionnelle et obtenir un salaire en fin de mois, mais elles n’ont

aucune vocation pour la profession qu’elles exercent ; ce qui conduit au non respect du travail. » Evoqué dans la dernière contribution, le non-

respect, mais aussi la grande mobilité professionnelle des Guadeloupéens seraient les conséquences de ce manque d’Amour voire, dans

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certains cas, de cette aversion pour le Travail. « Avant, il y avait du travail. Depuis les années 80 le monde a changé et beaucoup de gens

cherchent un employeur, qui lui-même cherche quelqu’un ayant déjà une compétence. Donc on subit. Le travail est devenu une urgence de

survie. Des gens font en peu de temps plusieurs métiers. Un travail pendant 6 mois à un an, puis ils changent. Il ne trouve pas de travail dans sa

spécialité. Il va faire « le travail du patron » parce qu’il ne l’a pas choisi ». L’on note, sous-jacente dans cette dernière contribution et explicitée

dans la suivante, l’idée que la relation au Travail est conditionnée par l’environnement dans lequel évolue l’individu : « Dans notre relation au

travail, il y a des choses qui ne dépendent pas de nous : l’Histoire, le milieu dans lequel on travaille, les repères de chacun, l’éducation que l’on a

reçue… »

De nombreuses contributions attribuent cette relation particulière au Travail à l’influence, perceptible aujourd’hui encore, du passé

esclavagiste de la Guadeloupe : « sur ce thème du travail, le peuple guadeloupéen ne peut faire l’économie d’occulter la question de

l’esclavage », « Le mélange du travail avec l’esclavage, c’était un travail forcé. On était obligé. On a toujours des difficultés avec le travail. » Cet

héritage expliquerait, par exemple, pourquoi les Guadeloupéens rechigneraient à travailler le week-end : « Des historiens ont écrit sur

l’esclavage et le travail des esclaves. Et leurs jours de repos, samedi et dimanche. Aujourd’hui, nous sommes conditionnés à ce travail pendant

les jours légaux et nous ne voulons pas travailler par exemple le samedi et le dimanche pour le tourisme. » Une contribution argumente

longuement en faveur de cette théorie : « [Pour] nous en tant que formation sociale, en tant que groupe constitué historiquement depuis la

traite coloniale […], notre relation au travail est marquée par l’esclavage. Notre relation est sensiblement différente de celles de personnes qui

n’ont pas eu le même vécu historique puisque la première approche, la première relation que nous avons eue avec le travail, ça a été dans un

premier temps, c’était du travail forcé, […] une contrainte et ce n’était pas un moyen d’épanouissement. Autrement dit le travail n’a pas été un

vecteur de construction de la citoyenneté pour l’épanouissement de la personnalité du Guadeloupéen. […]Même après la deuxième abolition de

l’esclavage en 1848 il y avait la loi contre le vagabondage. Autrement dit même les personnes qui avaient été libérées de l’esclavage étaient

contraintes et forcées de travailler sur les mêmes habitations où ils ont reçu des coups de fouet. Ils avaient le choix entre ça et la prison. […]

C’est ce qui a rendu notre relation au travail difficile. On disait « an kay an travay a blan-la ». Le blanc non pas pour ce qu’il est en tant que

race, mais en tant que patron, en tant que capitaliste. Voilà cette complexité et forcément si on n’arrive pas à un certain dépassement… Mais

pour arriver au dépassement il faut être en mesure de comprendre un certain nombre de phénomènes et pouvoir à partir de ces phénomènes-là

être en mesure […] construire un nouveau relationnel, une nouvelle conception dans l’approche que nous avons au travail. » Cette position est

étayée par l’idée, d’une part, que l’Abolition de l’Esclavage n’a pas induit de rupture franche dans la relation au Travail et que, d’autre part,

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cette continuité socio-historique impacte négativement les relations patrons-salariés. La contribution suivante le résume ainsi : « De 1848 à

1948, il y a eu en Guadeloupe une aversion pour le travail, et pour le travail salarié en particulier. Du point de vue sémantique, on peut noter des

expressions telles que « travay a blan-la », « travay a misié-la ». »

Minoritaires dans le débat, d’autres contributions nient au contraire les spécificités de la Guadeloupe dans la relation au Travail, en arguant

que celle-ci est partagée par tous les Français, « la Guadeloupe est culturellement, juridiquement, administrativement française. On attribue à

la Guadeloupe des caractéristiques (défauts) qui sont typiquement françaises » ou par tous les Hommes, « Le travail, dans l’ensemble de

l’humanité, a eu une connotation de souffrance. »

Au-delà de cette interprétation « structurelle », nombre de contributeurs diagnostiquent également une crise de la valeur Travail, aujourd’hui, en Guadeloupe : « l’attitude a changé vis-à-vis du travail depuis une vingtaine d’années, n’est-ce-pas la perte des valeurs qui engendre ce comportement ? », « Le travail s’est-il dégradé ? Y a-t-il l’amour du travail ? Les gens se mettent en arrêt maladie. Ils font le travail juste pour gagner leur vie. L’instituteur, avant il restait avec ses élèves gratuitement ; maintenant il faut le payer. De même pour le maçon, il y avait chez l’artisan le souci de bien faire », « le travail représentait un mode d’expression de l’existence. Aujourd’hui c’est de la subsistance ; un moyen de survivre ». Certaines contributions insistent sur le fossé générationnel qu’aurait engendré cette évolution du rapport au Travail : « le fossé entre les adultes et les jeunes va en s’agrandissant », « avant, il y avait de l’apprentissage auprès d’un patron, et les apprentis devenaient des ouvriers, et devenaient leur propre patron et prenaient à leur tour des apprentis. Aujourd’hui les jeunes n’ont pas le respect et ne savent pas respecter le métier des anciens. ». Pour un participant, « le travail est sacré pour les anciens. Ils ont l’amour du travail » alors que, pour un autre, « certains jeunes viennent travailler de façon désinvolte ». Cette analyse suscite des relents nostalgiques à l’évocation particulière de la période de la 2nde Guerre Mondiale : « [Il faut] promouvoir les valeurs du travail, de l’effort, de la solidarité et de la créativité mises à l’honneur « an tan Sorin » », « à l’époque de Sorin, ils mettaient tout le monde au travail. »

Cette crise de la valeur Travail s’expliquerait en partie par l’hégémonie actuelle de la valeur Argent : « le Guadeloupéen place l’argent au

centre de tout », « nous avons une tendance à l’oligo-ploutocratie ». Le rapport utilitariste au Travail, décrit précédemment, serait donc la

traduction logique de cette quête effrénée du pécuniaire : « les valeurs sont bafouées. Cela entraîne une dégradation dans le travail parce que

l’on travaille de nos jours pour l’argent et non pour la valeur de ce travail. » « Le salarié aime l’argent qu’il perçoit, mais pas le travail qu’il fait. »

Ce rapport à l’argent est développé par la suite, car il est perçu comme l’un des éléments qui gangrènent les relations sociales dans l’entreprise.

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D’autres soulignent la responsabilité du système d’aides sociales dans cette crise : « aujourd’hui, il y a des comportements d’assistés », « sans

travail, vous recevez le R.S.A., cela entraîne des dérives. La grande majorité de ceux qui le reçoive, est irresponsable. Ce qui est grave, c’est qu’ils

parlent de « paie », alors qu’ils n’ont pas travaillé pour le percevoir. » La perception de ces aides peut générer des comportements déviants,

comme l’expose cet intervenant au débat : « il y a dans notre société un mal grandissant. Des jeunes filles de 17 ans font un enfant et elles

peuvent ainsi avoir le RSA. La Sécu leur permet d’avoir un appartement. Elles virent ensuite leur copain et se font financer par des « sponsors ».

Elles disposent alors de moyens importants par une « pseudo prostitution », sans travailler et roulent en grosse voiture. Elles donnent un très

mauvais exemple d’inactivité à leurs enfants qui vont reproduire ce modèle. » Elle est, dans la plupart des cas, perçue comme réduisant

l’attractivité du Travail : « ceux qui touchent les revenus sociaux et qui vivent mieux que des petits fonctionnaires. Et ils ne veulent pas travailler

parce que les aides sociales, c’est une politique. […] C’est plus intéressant pour la France de donner des aides sociales comme ça que de fournir

du travail » « nous avons formé nos jeunes à la « débrouya pa péché ». »

Plusieurs participants au débat présentent la poly-activité comme une composante essentielle du rapport des Guadeloupéens au Travail : « il

y a beaucoup de petits métiers ; des gens qui font plein de choses en même temps. » Cette pratique ou ces pratiques multiples serai(en)t

modulable(s) et évoluerai(en)t selon les besoins immédiats du foyer : « le mari prend un deuxième travail, parce que le couple a un projet, par

exemple construire une maison, ce qui nécessite d’amener rapidement de quoi financer.» « On ne peut pas avoir le même rapport au travail

quand on est propriétaire que quand on ne l’est pas. Les salariés qui sont propriétaires sont « riches », ils ont un terrain, une maison… Le rapport

est différent souvent ici. Le patron a plus besoin de ses salariés que l’inverse. Ici, quand les choses ne vont pas au boulot, le salarié hésite moins

à partir. » Les contributeurs associent généralement cette poly-activité au travail informel. Même quand il renvoie à des activités illicites, ce

dernier est perçu de manière positive, comme un élément de régulation sociale : « le travail « au noir » est a une connotation négative ici

tandis que la même chose, à savoir le travail qualifié « d’informel » en Italie a une connotation presque positive en ces temps de crise. Il ne peut

être fait abstraction du fait que le « job » vient faire une régulation dans les rémunérations qui ne suffisent pas. En Europe, en Occident, dès que

les chiffres du chômage atteignent les 10% on agite le spectre de la révolution. Comment se fait-il qu’ici il n’y ait pas de révolution alors que 25%

de la population active est au chômage ? C’est parce qu’il existe cette « régulation » ! » « La drogue est nécessaire pour calmer la société, le

gouvernement est obligé de laisser faire. Aujourd’hui, on parle de dépénalisation parce qu’on ne peut plus empêcher le trafic. Les parents n’ont

plus d’autorité sur leurs enfants puisque ce sont les jeunes, grâce à leurs « trafics » qui font manger la famille », « toutes les activités sont

bénéfiques pour la société. Elles permettent de faire fonctionner les autres entreprises (restaurants, couture,…) »

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Plusieurs contributions suggèrent que le Guadeloupéen n’agit pas de la même façon quand il travaille pour autrui et quand il travaille pour

lui : il serait plus motivé dans le second cas. Cette dichotomie serait source d’ambigüité dans sa relation au travail : « il y a plusieurs formes

dans le travail du guadeloupéen. Quand c’est pour l’autre, il ne va pas donner son maximum », « le rapport au travail est assez ambigu. Chez le

guadeloupéen, il y a le travail pour autrui et le travail pour soi », « on entend souvent dans notre mentalité « je travaille pour avoir la sécurité

sociale. En dehors de ce travail-là je fais mes propres affaires. » D’où cette ambigüité ». «En Guadeloupe, on a cette tendance à réaliser le

travail pour s’en débarrasser au plus vite, lorsqu’il est dans un travail dans le cadre d’un contrat. Ce même guadeloupéen quand il travaille pour

lui, comme disent les haïtiens, c’est solèy lévé solèy kouché. Autrement dit il a une approche quand il est salarié, et une approche quand il est

son propre patron. »

Certains concèdent que cette implication plus forte serait également visible dans les travaux menés en « coup de main » : « quand un

Guadeloupéen travaille en « coup de main », il est plus motivé. » Pour d’autres, au contraire, preuve de la crise actuelle des valeurs, cette

pratique est, elle aussi, tombée en désuétude : « le samedi […], les esclaves […] se donnaient des « coup de main » de solidarité. Et aujourd’hui,

ça ne se fait plus, les gens demandent à être payés. »

De nombreux contributeurs insistent, parfois à travers des témoignages, sur le fait que cette relation, jugée négative ou, dans le meilleur des

cas, ambigüe, est à replacer dans un environnement économique où le travail est une denrée rare : « La rareté du travail c’est maintenant.

[Déjà] dans les années 60, il y a eu le Bumidom parce qu’il n’y avait pas assez de travail. » « J’ai choisi de revenir en Guadeloupe après de

longues années d’études dans l’Hexagone et je me retrouve au chômage. Je fais pourtant les efforts de recherches nécessaires, mais aucune

porte ne s’ouvre pour moi. », « Il n’y a plus d’exemples positifs auxquels les jeunes peuvent se raccrocher. Nos jeunes diplômés ne rentrent plus

en Guadeloupe faute de débouchés professionnels » ou encore « Il existe l’envie de travailler des guadeloupéens dans leur pays. Cependant les

jeunes malgré cette envie de rester dans leur pays, à cause du chômage en augmentation, ils sont obligés de quitter leur pays. » « Face à cette

montée croissante du chômage il y a une peur pour l’avenir des enfants de demain ».

Les outils d’insertion professionnelle qui sont mis en œuvre ne permettent pas de trouver de solution durable à ce problème : « Il existe

beaucoup de chantier d’insertion pour les jeunes, malheureusement les contrats sont signés pour deux ans, et après leur expiration les jeunes se

retrouvent dans la rue et viennent grossir le lot des chômeurs. Ne faudrait-il pas penser à reconduire ces contrats de travail, tout en permettant

à d’autres jeunes de souscrire des contrats dans d’autre type de chantier d’insertion ? »

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Les jeunes Guadeloupéens sont identifiés comme les principales victimes de cette rareté du travail. Ils seraient confrontés à la concurrence

des anciens, « il ne faut pas oublier qu’il y a ici aussi des gens de plus de 70 ans qui continuent à travailler. » ou d’une autre, plus forte, venant

de l’extérieur : « il y a des sociétés à Jarry qui n’ont aucun Guadeloupéen. » Le rapport problématique du Guadeloupéen au Travail ne plaiderait

pas en sa faveur face cette concurrence extérieure : « les sociétés de construction, par exemple, font venir des portugais ou autres qui

travaillent tous les jours et même la nuit parfois ».

Enfin, des contributeurs déplorent que les Guadeloupéens soient exclus des postes à responsabilité dans les entreprises et les

administrations : « quand vous allez à Jarry, dans toutes les grandes entreprises, quand vous regardez la base de ceux qui travaillent, il y a une

certaine couleur, quand vous montez dans la hiérarchie, c’est déjà une autre couleur. Or on n’est pas moins intelligent, ni moins diplômé. Il y a

un autre problème qui est le problème de l’encadrement, et ce qui est grave c’est que ce n’est pas uniquement dans les entreprises, c’est dans

les administrations également. » Pour un autre intervenant, il s’agit là d’une régression constatée ces trente dernières années : « dans les

années 80, il y avait Le directeur de la DDE de la DIREN, la Caisse d’Epargne, etc.. c’étaient des guadeloupéens maintenant il n’y en a plus. Ils

sont tous blancs. Regardez les réunions quand ils se réunissent tous les grands chefs regardez l’assemblée si vous voyez une personne colorée

vous avez de la chance. Et des tas de gens de passage le voient. Ils se demandent pourquoi dans tous ces secteurs lorsqu’on se réunit pour

discuter d’un problème qui se pose, il n’y a jamais de guadeloupéen. Ca c’est politique. »

Enfin, le dernier point développé sur ce thème est celui de la responsabilité et de l’initiative individuelle : « Nous avons des exemples de

guadeloupéens qui sont extrêmement riches dans le sport, dans la musique. Cette volonté de briller n’est pas la même chez tout le monde.

Certains ont plus envie de briller que d’autres et cela a des incidences sur leurs activités, leur réussite. », « Les modèles d’intégration ont changé,

la société est différente aujourd’hui avec de nouvelles valeurs. Les jeunes doivent s’investir plus, être plus motivés et refuser la facilité. Ils

doivent faire un effort de volonté. Avec internet et les nouveaux moyens de communication, n’importe qui peut correctement s’informer sur les

opportunités et les débouchés existants. », « Selon moi, il faut être maître de sa vie, ne pas se positionner en tant que victime », « on ne peut

pas non plus avoir un point de vue misérabiliste qui consiste à dire que comme on est dans un petit pays contentons-nous de peu ». Pour

plusieurs contributeurs, cette résilience individuelle doit permettre d’éviter que chômage ne rime avec inactivité ou oisiveté : « au lieu

d’apporter leur travail gracieusement, les jeunes préfèrent rester dans l’oisiveté », « naturellement le chômage est un fléau pour les jeunes,

mais ils peuvent et doivent refuser l’inactivité en s’investissant dans la vie de la commune au niveau culturel, sportif ou autre. », « le chômage

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est le résultat malheureux d’une société en décadence. Par contre l’inactivité est un poison. Je ne l’accepte pas. Pourquoi rester sans rien faire

alors qu’il y a des associations qui demandent des bénévoles ? »

Un dialogue social à rénover

A l’évocation des relations sociales au sein de l’entreprise, de nombreux contributeurs font une nouvelle fois référence à l’Esclavage : les

relations hiérarchiques seraient problématiques du fait du passé esclavagiste de la Guadeloupe : « nous sommes toujours marqués par les

séquelles de l’esclavage. Les relations patrons-employés sont difficiles et notre rapport à l’autorité est trop souvent conflictuel. » « Notre

comportement, serait une suite de notre passé d’esclaves. Nous n’aimons pas recevoir d’ordre. », « Nous n’aimons pas que l’on nous

« commande ». » Ces relations seraient plus conflictuelles quand elles s’exercent entre Guadeloupéens : « le Guadeloupéen est peu enclin à

accepter la hiérarchie et précisément celle assurée par son propre compatriote », « je suis retraité et pendant de nombreuses années j’ai eu des

responsabilités élevées dans une entreprise qui recevait des fonds de l’état. Je vais vous faire une confidence ; quand j’ai quitté cette entreprise,

je l’ai quitté dans les conditions douloureuses. Et J’ai été poussé par toute une série de Guadeloupéens noirs qui tiraient. Quand j’ai quitté cette

entreprise, je me suis juré que plus jamais je managerais de Guadeloupéens. Je me suis dit que c’est vraiment une chose impossible », « la

relation dans l’entreprise est différente selon que le patron soit blanc ou noir. Pour moi, l’esclavage explique pas mal de choses dans les

relations de travail. Je pense par exemple au dénigrement des compétences des salariés noirs, formés, diplômés et auxquels on préfère des

copains blancs, parfois moins formés. Certains chefs d’entreprises pensent qu’un noir aura du mal à manager ses congénères. Il faut

comprendre aussi qu’on ne peut pas être tous chefs, or il faut une hiérarchie », « la question qui se pose c’est que dans notre culture le

Guadeloupéen n’a pas été formaté pour qu’il accepte d’être dirigé par un Guadeloupéen. Lorsqu’il accepte d’être dirigé par un Guadeloupéen, il

se fait violence et le cadre guadeloupéen doit justement comprendre qu’il n’est pas l’héritier de descendants du géreur. » Il est à noter que

plusieurs contributeurs utilisent un vocabulaire renvoyant à la souffrance et à la contrainte pour évoquer les relations hiérarchiques au sein de

l’entreprise Par ailleurs, les difficultés sont perçues tant au niveau de l’employé que de son supérieur hiérarchique et la figure du géreur ou du

commandeur est plusieurs fois évoquée pour décrire les travers de ce dernier : « le Guadeloupéen souffre d’une contradiction intrinsèque au

motif qu’il serait à la fois « esclavagiste » et « esclave » », « c’est une réalité. Quand c’est un chef d’entreprise guadeloupéen, à un moment ça

commence à dériver », « nous devons également parler de ce qu’on peut appeler le « syndrome du commandeur » dans le management en

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Guadeloupe », « on rencontre des chefs antillais qui dans leur attitude sont comme s’ils avaient une revanche à prendre. […] Quand ils ont un

pouvoir, ils se sentent obligés de se la jouer ».

Les relations patrons-salariés seraient également caractérisées par la place centrale occupée par la question pécuniaire. Chacun ne serait plus

motivé que par « l’appât du gain ». « Nous avons un rapport difficile avec l’argent. L’argent est roi tant chez l’entrepreneur que chez le salarié.

Le système est pollué. » Cette question obséderait tant les employés, « Une candidate [à l’embauche] me demande, avant même de me

montrer sa compétence, combien elle va toucher ! », que les patrons : « Le patron Guadeloupéen n’a aucun respect de l’argent de l’entreprise, il

confond son compte et celui de son entreprise, car le plus souvent il s’achète une grosse voiture ; Lors de ses sorties c’est la consommation à

outrance de champagne, « la bombance ». Il se pare de bijoux et collectionne les femmes. Donc, il n’y a pas une véritable consolidation du

travail, ce qui conduit au déclin de l’entreprise. »

D’autres soulignent une inflation des prétentions salariales, déconnectées de la réalité économique de la Guadeloupe: « on prend toujours le

problème sur le plan financier. On dit que les gens ne sont pas bien payés. On ne s’est jamais posé la question du modèle économique qu’il faut

pour que tout le monde puisse trouver son compte et du revenu minimal pour vivre. On n’est pas obligé d’avoir 1500 euros », « les jeunes

oublient qu’ils sont sur une île. J’ai le cas d’une personne de niveau licence, on lui propose le smic. Cette personne là, n’est pas d’accord, dit

qu’on l’insulte, avec son diplôme. […] Moi je dis non on ne l’insulte pas, on ne peut simplement pas vous payer. Alors c’est soit vous acceptez le

poste [avec ce salaire], […] soit vous allez en Europe où ils cherchent des gens pointus. Moi je suis basique. J’aime autant que les gens, des fois,

pensent à l’environnement dans lequel ils sont. On est sur une île, c’est limité, très limité. » Selon un contributeur, ces exigences salariales ne

peuvent être satisfaites par les petites entreprises, ces dernières ayant déjà du mal à simplement payer les salaires dans les temps : « le

salarié de base ne comprendra pas que l’employeur de la petite entreprise ne peut pas payer régulièrement parce qu’il n’a pas de trésorerie,

parce que la banque ne lui fait pas d’avance de trésorerie, et il ne peut pas comprendre non plus que le salaire peut être différent, d’une

entreprise à une autre, parce qu’on est dans un système ou tout est aligné à partir du modèle dominant. Donc c’est ce qui crée ces

dysfonctionnements, qui fait qu’on est dans une situation où les petites entreprises ont de plus en plus de difficultés à s’accrocher. En plus les

effets de la crise mondiale se répercutent sur l’ensemble de l’économie. » Pour un autre contributeur, ce sont certains secteurs d’activités dans

leur quasi-intégralité qui sont aujourd’hui en difficulté, car insuffisamment attractifs en termes de rémunération : « Sur 89 entreprises [de

services à la personne] en Guadeloupe, 80 ont des problèmes de trésorerie, de gestion. Elles ont un turn-over important. Les personnes sont

payées au rabais ou pas payées »

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Troisième sujet abordé à l’évocation des relations patrons-salariés : le clientélisme. « En Guadeloupe, dans beaucoup de postes on trouve du

clientélisme. » Un contributeur se hasarde même à une évaluation de la proportion de postes issus de cette pratique dans la fonction publique

territoriale : « chez les plus gros employeurs que constituent les collectivités, 30% des agents ne font pas grand-chose. Que dire des emplois

purement électoraux ! ». Le clientélisme serait le lot commun du public et du privé et nuirait à la performance de l’organisation : « dans les

entreprises et les collectivités, le manque de compétence est un frein à l’évolution de l’entreprise ou de la collectivité ; Car le plus souvent les

embauches sont réalisées sur la base de relation – connaissance, filon – et non la compétence. L’on peut retrouver, dans certaines entreprises

ou administrations, des clans familiaux. Le Guadeloupéen pense qu’un maire, par exemple, doit embaucher tous les membres d’une même

famille. »

Pour les raisons évoquées précédemment, le salarié guadeloupéen est décrit comme ne faisant pas toujours preuve d’une grande conscience

professionnelle. L’exemple des services d’accueil est cité par un participant : « dans la grande majorité des entreprises l’on pourrait qualifier le

comportement des personnes chargées de l’accueil, notamment dans le secteur du tourisme de « Gèl gonflé », ce qui te terrorise. Il y a dans

certaines administrations un blocage des administrés par rapport à l’attitude des secrétaires ; ce qui vous oblige à faire un courrier pour vous

faire entendre. » Conséquence de cet état de fait, le travail appliqué ou zélé d’un employé ne serait pas un gage de popularité auprès de ses

collègues, au contraire : « même si vous voulez travailler en toute conscience, les collègues font des observations : « ou pè chef la – sé asi do aw

travay la yé…. » ». Les dépassements de fonction ne seraient pas non plus légion dans l’entreprise : « par exemple lors d’une période de

suractivité, il difficile pour moi de tout réaliser tout seul, et les collaboratrices ne se rendent pas disponibles », « certains disent à leur patron :

« Je ne suis pas ton Haïtien » et refusent certaines tâches parce qu’ils ont une compétence importante dans l’entreprise. »

Le manque de professionnalisme se traduirait par le non-respect des instructions et des règles de l’entreprise et, parfois, de la loi : « La différence est notable entre la France et la Guadeloupe quant au travail. La rigueur qui existe en France est inexistante en Guadeloupe. De même pour les règles, le respect. Ainsi, la note d’instruction déposée à destination d’un employé, n’a aucun effet en Guadeloupe car l’employé feindra de n’avoir pas vu cette note pour fuir ses responsabilités », « l’employé prend d’office son congé de parentalité sans aucun courrier préalable », « le Guadeloupéen à une éducation de « débwouya pa péché », qui le conduit au vol dans l’entreprise. » Il convient d’observer que cette maxime populaire revêt, ici aussi, une connotation négative.

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Certains contributeurs déplorent l’image négative des employeurs en Guadeloupe : « Il y a un cliché qui subsiste « le patron est un salopard et

les salariés souffrent de tous les maux » », « Il ne faut pas toujours prendre le patron pour un « mécréant », un « méchant » ! »« j’ai été choquée

d’entendre [dans le débat] que quand on est salarié, « on est de toute façon exploité ». Si c’est le cas, je ne vois pas ce qu’on y fait ».

Les patrons sont souvent décrits comme ne respectant ni leur entreprise ni leurs employés : « Le patron, chef d’entreprise, n’a pas le respect

pour sa propre entreprise. », « Le respect doit d’abord être exigé du patron, puis de l’employé. »

De nombreux travers lui sont reprochés, à commencer par le non-respect des engagements et de la législation : « s’agissant du dialogue

social, les collectivités ne respectent pas leurs propres protocoles d’accord, comment voulez-vous que les Européens respectent le droit ici ? »,

« L’analyse de beaucoup d’Européens qui viennent faire des affaires c’est : « ici c’est culturel, on ne respecte pas la loi…. ».

Pour plusieurs contributeurs, certains se montreraient insensibles à la précarité sociale et financière de leurs salariés : « Il y a patron et

patron. Les patrons ne paient pas les jeunes qui font des formations dans leur entreprise, alors qu’ils ont les moyens de le faire, ce qui conduit un

dégoût pour le jeune. Nous avons affaire à de mauvais patron ; Ils ne pensent qu’à eux ; Ils ne respectent pas le contrat qu’ils signent avec le

jeune. Certes, ils ont de lourdes charges sociales à payer, mais Ils ne pensent pas que le jeune peut être un père de famille et qu’il doit

également faire vivre sa famille. »

Plusieurs contributeurs décrivent également une gestion paternaliste et rétrograde du personnel par une certaine frange du patronat :

« [Dans l’entreprise pour laquelle je travaillais,] le patron était un « blan péyi » qui avait coutume de remettre des primes en liquide de 50 francs

à l’époque, de la main à la main. Le management était paternaliste. Ensuite il y a eu un autre responsable, de l’hexagone cette fois : les mêmes

pratiques. Il s’est ensuite produit un premier « miracle » : un projet sur la qualité a été mené au sein de l’établissement. Cela a eu une incidence

positive sur la mobilisation et la motivation du personnel, mais le projet a été abandonné », « la relation entre le patron et les dockers. Le

patron, blanc pays, connaît les problématiques du métier. Les ouvriers sont souvent illettrés. Le patron parle en créole avec eux. Il les respecte.

Les anciens connaissent le métier et les différents postes du métier de docker. Il y a un contremaître. Les relations avec le contremaître ne sont

pas les mêmes qu’avec le patron. », « Il ya des patrons qui fêtent Noêl, le jour de l’An et tout ça c’est pour la paix sociale. » A l’inverse, les

mesures innovantes comme l’intéressement aux bénéfices de l’entreprise ne semblent pas monnaie courante : « quand l’entreprise a gagné

de l’argent, il faut une participation aux bénéfices. Il doit y avoir de la transparence. Souvent l’ouvrier ne sait pas ce qui se passe. »

Un participant rappelle, à ce titre, qu’il est de la responsabilité du chef d’entreprise de placer le salarié dans les meilleures conditions pour

travailler : « le patron doit se fixer des règles pour savoir si le salarié a ce qu’il faut pour travailler ». « si une personne entre dans une entreprise

bien stable et structurée, cette personne se met au travail ».

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Dans les débats les syndicats sont également cités. Trois idées fortes émergent au sujet de ces organisations. Tout d’abord, Le syndicat garantit

le respect des règles sociales et concourt ainsi au bon fonctionnement de l’entreprise : « Le chef d’entreprise devrait favoriser l’éclosion du

syndicat dans le respect des règles sociales », « le syndicat intervient pour remettre dans le droit les choses pour que les uns et les autres

puissent avancer », « J’ai eu une carrière syndicale et j’ai compris la nécessité du respect des partenaires syndicaux. Nous apportions des

éléments aux patrons, nous échangions ». Ensuite, le syndicat détient un pouvoir au sein de l’entreprise, pouvoir qu’il exerce tour à tour

auprès du patron et des salariés : « il y a une tendance chez les organisations syndicales à vouloir reprendre d’une main ce qu’ils obtenu des

mains du patron ». Troisième idée plusieurs fois exprimée, le syndicalisme guadeloupéen devrait s’inspirer de l’exemple allemand, en

mettant davantage l’accent sur le compromis : « la tradition syndicale est différente en Allemagne », « En Allemagne les syndicats ont le sens

du compromis », « il faut trouver un juste milieu entre ce que pense le patron et ce que pense le salarié. Ce n’est pas le cas en Guadeloupe.

L’organe syndical doit être un partenaire ».

Pour nos contributeurs, certaines grèves sont fondées : « le conflit est le résultat de choses qui n’ont pas été respectées ». D’autres ne le sont

pas : « pour un rien nous nous mettons en grève ».

Certaines grèves chercheraient à influer sur la stratégie de l’entreprise : « trop souvent on a vu des conflits sociaux au bout de deux semaines

de grève tourner à la demande de la tête du directeur. Et souvent c’était un Guadeloupéen. », « certaines grèves sont destinées à peser sur les

orientations de l’activité. »

Au-delà certains mouvement sociaux, telle la grève générale de 2009 en Guadeloupe, peuvent avoir des conséquences politiques ou

sociétales : «je voudrais dire sur 2009 ; chacun a son analyse. Il faut le respecter. C’est un mouvement qui a eu sa raison d’être. Raison d’être

positive, raison d’être négative. Pour moi c’est une raison de poser des questions. Et si on est là aujourd’hui, à faire ce débat c’est parce qu’il y a

eu 2009 », «le fait qu’on soit là aujourd’hui à discuter c’est peut-être 2009, le fait qu’il y ait des ministres antillais ça peut sortir de 2009 ; on ne

se rend pas compte. Le regard qu’on a sur les caddies, c’est 2009 ; c’est une date historique pour la Guadeloupe et même pour les Antilles ; c’est

pour ça que je dis 2009 : Respect, respect pour 2009 ! ». Les évènements de 2009 suscitent des réactions positives et négatives, mais dans tous

les cas, une certaine prudence, les contributeurs ne disant les choses qu’à demi-mot. « 2009, c’était bon mais est-ce qu’il ne fallait pas trouver

une autre voie qui nous aurait amené à la même chose, sans violence ? Quand j’entends békés martiniquais ou békés guadeloupéens, pour moi

ce sont des antillais », « moi j’ai été très déçu en 2009, autant j’étais à cent pour cent pour, au départ, pour le soutien et quand j’ai vu que ça a

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pris des proportions, que ça virait sur un certain coté, je me suis retiré. Je n’ai pas soutenu dans la rue, j’ai soutenu chez moi. […] Autant j’étais

avec eux au départ mais après ils n’ont pas su gérer. On ne fait pas de passage en force.» Ces deux dernières contributions associent ce

mouvement social à des pratiques violentes.

Une longue contribution aborde également le lien entre grève et violence. Mais elle conclut à une distension de ce lien, dans le cadre d’une

« normalisation progressive de la relation au travail ». Il est à noter que cette analyse empreinte d’optimisme est à contre-courant de

l’opinion majoritairement exprimée dans les débats sur les relations sociales au sein de l’entreprise : « Nous avons eu des difficultés pour nous

construire une culture d’entreprise et faire en sorte que la relation salariale soit en quelque sorte une relation qui permette l’émergence d’une

citoyenneté et ça explique par ailleurs que pendant toute une période, les conflits sociaux dans les relations au travail étaient empreintes d’une

certaine dose de violence : violence collective et violence individuelle, mais portant sur les moyens de production. Jusqu’à au milieu du

vingtième siècle, quand il y avait grève il y avait des champs de canne qui étaient brulés, il y avait destruction des outils de production, parce

qu’il n’y avait pas cette appropriation collective, Donc ce n’est que très récemment qu’il y a une normalisation progressive de la relation au

travail et petit à petit on a assisté à un développement d’une conscience citoyenne, d’une conscience de classe. »

De nombreux contributeurs lancent un vibrant appel en faveur d’une rénovation du dialogue social en Guadeloupe, rénovation reposant sur

la confiance et le respect mutuels : « dans certains pays on se bat à l’intérieur, nous à l’intérieur nou ka manjé nou. On a un problème : pou di

ka nou ka fè évè nou menm ? Kijan nou ka fonksyoné épi nou menm ? ès nou paré asèpté nou. Lésé sétimoun-la pran diplôme ki yo vé pou yo

pété sistèm-lasa. Padavwa sé pétèt yo ki ké pété bitenlasa. Nou ni on sòt di jalouzi intérieur ki ka anpéché nou évolyé. Notre génération a

beaucoup de tort dans ce qui se passe. Il faut l’admettre. Le tort qu’on a c’est pa janmé di an nou fè kèk chòz ansanm. On a perdu cette

sensibilité pour le relationnel. » « Dissiper les rapports conflictuels nés de la concurrence, de la rivalité, de la compétition, de la jalousie pour

tenter de parvenir à la paix sociale indispensable à la bonne marche des entreprises et à un « mieux vivre ensemble ». »« Il y a la confiance à

construire. Il faut mettre les instances en place pour qu’il y ait un dialogue social » « Que ceux et celles qui font avancer l’entreprise soient

récompensés. Je rêve d’une entreprise guadeloupéenne qui avance dans le système de respect du salarié et respect du patron. »

Pour plusieurs contributeurs, le préambule de l’accord Bino pose les bases de cette rénovation. « il faut distribuer le préambule de l’accord

Bino. Tout ça on ne le sait pas il faut le distribuer, le faire savoir. Il faut se rencontrer et dire. Se libérer de ses souffrances », « Aujourd’hui

quand on parle de l’accord Bino on parle de l’article 5 qui est la clause de convertibilité. La clause de convertibilité c’est elle qui prévoit les

entreprises au terme des trois ans ont à leur charge la totalité des deux cent euros. Mais l’accord Bino c’est plus, c’est le préambule, pourquoi ?

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[…] Entre les partenaires sociaux, le préambule dit que considérant la situation économique et sociale existant en Guadeloupe et vu la

pérennisation du modèle, considérant que cette économie s’appuie sur des rentes de situations, des abus de position dominante qui génèrent

des injustices, considérant que ces injustices touchent aussi bien les travailleurs que les acteurs économiques, considérant que ce sont autant

d’obstacles au développement économique et à l’épanouissement social, considérant la nécessité d’instaurer un ordre économique prônant une

revalorisation du travail des chefs d’entreprise et des salariés, il y a deux choses : on reconnait la nécessité de la revalorisation [salariale] mais

l’on crée aussi un nouveau cadre de négociation ; il s’agit d’une déclaration d’intention qui engage les partenaires à ouvrir un nouveau type de

dialogue social. »

Des difficultés à entreprendre

La création d’activité répondrait, dans certains cas, à une urgence de survie : « [L’auto-entrepreneur] crée son emploi pour lui permettre de

vivre » « On n’a pas le choix, on trouve un boulot on travaille, on ne trouve pas on crée son emploi. […] Quand on a une idée qui peut nous faire

vivre, qui tient la route, autant essayer.il faut essayer de ne pas émigrer.[…] Il faut prendre ses responsabilités. […] Si on prend un risque, qu’on

investit, on construit une vie en fait. […] Avec la situation qu’on connait au niveau économique, des fois on se retrouve […] comme si on allait au

casino ». Mais selon certains contributeurs, l’une des principales motivations du créateur est d’être son propre patron. « L’objectif premier

de celui-ci qui vient sur le marché de l’emploi, c’est être patron et non salarié », « L’ambition du Guadeloupéen-créateur d’entreprise est

d’échapper à la position de subalterne ». Pour d’autres créateurs, il s’agirait en priorité de gagner de l’argent facilement : « Lors de la création

d’entreprise, le guadeloupéen n’a qu’une idée en tête « faire de l’argent » et paraître et en plus en arnaquant, en profitant des aides qui leur

sont allouées. La culture de l’entreprise pour le Guadeloupéen : tricher pour faire de l’argent et arnaquer le client ».

Les participants aux débats font la différence entre création d’activité et création d’entreprise : « Les gens peuvent créer leur entreprise […]

mais c’est une tranche de la population. Ceux qui ne sont pas allés à l’école créent eux une activité. C’est par exemple le boum des roulottes au

bord des routes, ou les marchands de coco. Certains ont 5 ou 6 points de vente. » La création d’activité est associée à l’informel : « Activité

correspond souvent à l’économie informelle : vente de quénettes, écailler le poisson, ou débroussailler les jardins. » Pour d’autres, la création

d’activité précède souvent la création d’entreprise : « C’est une correction de la réalité économique qui amène les individus à créer des

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activités pendant un certain temps avant de devenir une entreprise. Mais si l’entreprise se développe, il faut qu’il s’organise autrement pour

gérer son activité », « L’auto-entreprise est une phase de départ et après il se développe. Ils sont auto-entrepreneurs pour ne pas être

« «jobeurs ». »

Il manquerait souvent au créateur d’entreprise guadeloupéen la volonté de développer et de pérenniser la structure, tout autant que de

créer des emplois : « Pour moi l’Homme guadeloupéen par essence l’esprit d’entreprise. Un exemple de cet esprit d’entreprendre : les

propriétaires qui construisent une maison, puis 2, puis 3 maisons qu’ils louent. Ce qu’il n’y a pas c’est la volonté de dominer ». « Beaucoup

d’entreprises ont un seul ou pas de salarié. […] Il y a autant d’entreprises qui ferment que d’entreprises qui ouvrent. » « L’individu crée-t-il pour

créer des emplois ou pour créer de l’activité ? » « La structure économique du pays c’est que 84% des entreprises ont 1 ou 2 salariés »

L’information et la formation feraient souvent défaut au créateur d’entreprise en Guadeloupe : « lors de la création d’entreprise, le plus

souvent il n’y pas d’étude du marché, ce qui conduit à la fermeture d’entreprise par manque de production et manque d’achat. » « Avoir un

savoir-faire c’est une chose, être chef d’entreprise c’en est une autre. C’est un métier en soi. » « Il y a un déficit de structure de formations

permettant aux jeunes déclassés de renouer avec le monde du travail. » Ainsi, le créateur guadeloupéen ne maîtriserait pas toujours les

rudiments de la gestion d’entreprise : « Il est nécessaire de connaître la gestion de l’entreprise pour permettre à l’entreprise de fonctionner et

de survivre. » « Il faut créer une culture de la gestion ; Le plus souvent pour ces auto entrepreneurs « la gestion sé bitin à blanc ». » « Pour les

chefs d’entreprise qui ont un savoir faire métier mais qui ne savent pas gérer, il faudrait des personnes compétentes autour d’eux pour les

aider. » « Ce n’est pas si évident que ça d’être chef d’entreprise. Il faut gérer l’Humain et ce n’est pas donné à tout le monde. »

Outre ce manque de préparation, la création d’entreprise est présentée, à plusieurs reprises, comme un vrai parcours du combattant :

« Aujourd’hui, créer une entreprise peut-être un fardeau » « Si tu ne possèdes pas les leviers financiers et relationnels, il est particulièrement

ardu de créer ton entreprise. » Les contributeurs pointent d’abord du doigt les lourdeurs administratives : « J’entends souvent des gens de

l’entreprise qui se plaignent des dossiers, ils se plaignent de l’inertie administrative, se plaignent, des services qui ne se font pas, alors ils sont

démotivés. Alors qui est chargé de remonter ça ? A quel moment ces entrepreneurs motivés et qui finissent par se démotiver sont entendus ? »

« Il faut parler du manque de souplesse du monde dans lequel on travaille et la lourdeur de l’administration […] Beaucoup de personnes ne

veulent pas « suivre les règles ». Ce n’est pas un hasard, au regard de cette lourdeur administrative ». Un débat s’est également instauré sur le

soutien réel dont font montre les établissements bancaires ; pour certains, « lors de la création de votre entreprise, la banque ne vous

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accompagne pas, mais si vous voulez faire un prêt à la consommation ou achat de véhicule vous êtes aidé dans les 48 heures. » « Le système

financier, tel qu’il fonctionne en Guadeloupe ne permet pas à l’entreprise guadeloupéenne d’accéder au crédit parce qu’elle n’a pas de

patrimoine suffisant propre, engagé pour pouvoir nantir. Autrement dit on ne prête qu’aux riches. » Pour d’autres, au contraire, « les banquiers

prêtent pour des projets solides et bien montés, quel que soit le secteur. »

Certains suggèrent que la création d’activité s’opère davantage dans le cadre associatif, l’association apparaissant ici comme une alternative,

viable et plus accessible, à l’entreprise : « Il faut s’inspirer de l’idée de l’économie sociale et solidaire(ESS) […]. Certains pensent que des

associations ne peuvent pas faire de bénéfices. C’est cette idée qu’il faut reprendre. Les associations en Guadeloupe ce sont 13000 emplois.

Dans le Nord de la France, c’est 13% de l’emploi. Dans une association on n’a pas les mêmes problématiques. » « C’est l’idée de la SCOP

associative et on l’utilise peu. Chaque région de France a une chambre régionale de l’ESS (CRES). Il y en a une en Martinique et pas en

Guadeloupe. »

Quelle stratégie de développement pour les secteurs porteurs de l’économie ?

Interrogés sur les secteurs porteurs de l’économie, les contributeurs insistent sur la nécessité pour la Guadeloupe de se diversifier et

d’innover. « Il faut penser à la diversification pour réduire le chômage et pérenniser les emplois » ou encore « A Cuba, ils récupèrent les algues

pour en faire des produits divers et nous, nous pleurons parce que c’est un problème. » Pour les participants, ces efforts de diversification et

d’innovation doivent être essentiellement consentis dans les secteurs qui structurent aujourd’hui l’économie guadeloupéenne : l’agriculture, le

tourisme et les services à la personne. Il convient d’observer que le terme « diversification » est davantage utilisé dans une perspective intra-

sectorielle (i.e : « il faut intensifier la diversification agricole ») qu’inter-sectorielle (i.e : « investissons dans d’autres secteurs d’activités »).

De nombreux participants insistent sur le rôle central de l’agriculture dans le développement de la Guadeloupe : « L’axe de développement

de la Guadeloupe passe par l’agriculture », « Il faut que la Région Guadeloupe mette l’accent sur l’agriculture » ou encore « Le développement

de la Guadeloupe c’est l’agriculture.» « Il faut développer l’agriculture en mettant l’accent sur la diversification », nous disent en substance ces

contributeurs. Cette diversification passerait par la valorisation de débouchés dans l’agro-transformation : « La transformation agricole est à

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mettre en avant : par exemple à partir du fruit à pain, l’on peut procéder à l’agro transformation :(chips, farine, …) Nous cultivons beaucoup,

mains nous ne transformons pas. Il est nécessaire que l’on plante d’avantage pour pratiquer la transformation. L’on pourrait poser la question

quant au nombre d’unités de transformation existantes. », « En Martinique il y a plus de jus local. En Guadeloupe, il y en a ; mais moins

généralisé. » L’essor de ces produits agro-transformés impliquerait une forte dose d’innovation et en la matière, les contributeurs rivalisent

d’ingéniosité : « J’ai découvert il n’y a pas longtemps les chips de bananes salées. Qu’en est- il de cette production ? », « il faudrait créer un

Purina végétal à partir de poyo en ajoutant du curage. Et après on peut vendre ce Purina végétal à d’autres pays. », « Nous pouvons faire des

choses avec le carapate, avec les avocats », « la mélasse considérée comme un « sous produit » devrait être considérée comme une richesse car

il est la base essentielle de la fabrication du rhum. […] Gardel est le plus grand exportateur de mélasse de la Caraïbe », « Quid de la

pharmacopée ? Il n’y a seulement que 2 plantes qui soient entrées dans la pharmacopée française ! Comment faire pour développer ce type de

projets ? »

Le tourisme occupe également une place importante dans les débats. Certains suggèrent tout d’abord de développer et de mieux structurer

les formules d’hébergement chez l’habitant : « Je suis pour le tourisme chez l’habitant plutôt que les hôtels et les gîtes, ça favorise l’échange. »,

« il y a la possibilité de faire des petits ensembles familiaux comprenant restaurant et chambres », « les propriétaires de gîtes devraient pouvoir

se fédérer pour que les touristes changent de gîte en suivant un circuit ». Pour d’autres contributeurs, ce sont les produits et les services

associés qu’il convient de diversifier : « il y a beaucoup d’idées crées par des gens non diplômés et il faut proposer ces produits là aux

touristes. » La valorisation de la gastronomie guadeloupéenne s’inscrit dans cette perspective : « j’aimerais qu’on évolue dans notre approche

du tourisme. Il faut changer de discours qui consiste à dire qu’il n’y pas d’argent, il faut respecter le touriste quel qu’il soit. Nos infrastructures

ne permettent pas de recevoir un tourisme haut de gamme, ils vont ailleurs. Il faut aller vers la labellisation des restaurants. Par exemple un

« bébélé » ça se fait de telle manière. Comme en Europe ; le cassoulet, la choucroute. Les hôtels de Guadeloupe ne proposent pas un

« dépaysement » par la cuisine. » « Certains touristes apprennent à cuisiner des plats créoles. Qu’en est-il des services associés ? »

Plus rares, les interventions relatives aux services à la personne insistent dans un premier temps sur les potentialités de ce secteur en

Guadeloupe « Il serait opportun de motiver les jeunes à se diriger vers les emplois d’aide à la personne où vers l’agriculture. » Là aussi les

propositions portent sur la création d’activités novatrices : « Je voudrais proposer un nouveau service à la personne. Il existe une grosse

demande au niveau entretien durable qui ne se fait pas en Guadeloupe. Cela génère des avantages fiscaux et la création d’emplois. Et c’est une

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activité de type économie sociale et solidaire : Je m’occupe de votre propriété et j’en tire des activités et des revenus que nous partageons. C’est

un nouveau service à la personne. Aujourd’hui les propriétés ne se donnent plus en fermage. »

Qu’en est-il de la production locale ?

De nombreux contributeurs abordent la thématique de la consommation et de la production locales en présentant la situation économique

globale de la Guadeloupe. Ces analyses macro-économiques convergent dans un premier temps sur les contraintes structurelles et la

vulnérabilité de l’économie guadeloupéenne : «L’exiguïté de l’espace géographique marqué par son caractère archipélagique contribue à rendre

difficiles les moyens de transport, d’approvisionnement, de communication, d’échanges… Les caprices du climat tropical plus que jamais déréglé,

portent atteinte à la production agricole et fragilisent ce secteur primaire », « la faiblesse de son tissu économique rend la Guadeloupe vulnérable

à la réalité conjoncturelle ».

Certains contributeurs attribuent la « dépendance économique » de la Guadeloupe à l’étroitesse de son marché intérieur et à des politiques

économiques résolument tournées vers l’import : « Le marché interne, étroit, est affaibli par l’invasion de produits importés au détriment d’un

écoulement des produits locaux et d’une politique d’exportation », « notre système de consommation est basé sur les importations de masse. Nous

ne produisons pas assez en Guadeloupe et par conséquent le marché du travail est restreint. »

Plusieurs contributions déplorent « une politique du profit trop accentuée » et les situations de monopole qui caractérisent, selon eux,

l’économie guadeloupéenne : « assujettie aux grands groupes étrangers ou aux multinationales, tributaire de l’Europe, prise dans l’étau de la

globalisation et de la mondialisation, la Guadeloupe souffre de la concurrence déloyale des monopoles. » « La question qui est posée : quel doit

être le moteur et quelle régulation mettre en place pour casser cette situation de monopole, et les rentes de situation dont bénéficient un certain

nombre de personnes ? » La contribution qui suit expose clairement cette vision des choses : « Ce qu’il faut savoir c’est que quand on parle

d’économie, en Guadeloupe, il y a l’économie qui est détenue par les Guadeloupéens, l’économie artisanale, agricole, et puis l’économie qui est

directement issue de l’économie de plantation et constituée d’acteurs économiques extérieurs, de grands groupes, soit békés martiniquais, ou des

acteurs extérieurs qui contrôlent des secteurs clé de l’économie, en particulier, dans l’économie de production comme l’ont été la banane et le

sucre. Aujourd’hui la banane et le sucre sont des productions complètement marginales. Ce n’est pas la banane ce n’est pas le sucre qui détermine

l’essentiel de l’activité économique en Guadeloupe, c’est le secteur de l’import-distribution qui contrôle l’économie. Et ce secteur de l’import –

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distribution n’est pas contrôlé par les Guadeloupéens. Et c’est lui qui donne le rythme. Tout est aligné par rapport à l’organisation mise en place. Et

c’est ce qui fait que précisément le coût de la vie est déterminé par le fonctionnement de ce système, par ces entreprises qui réalisent des super

profits et qui sont en situation de monopoles. Si bien que le reste de l’activité économique pour exister est obligé de s’accrocher. »

Les contributeurs se rejoignent également sur le fait que le coût et la qualité sont aujourd’hui un frein au développement de la

consommation de produits locaux. « Le problème du coût de revient des produits locaux est un frein à la consommation de nos produits.

Compte tenu du prix des produits, il est beaucoup plus avantageux pour le consommateur d’aller acheter dans le supermarché et de stocker. »

« Nous voulons bien consommer local, mais les prix sont exorbitants. Je veux pour preuve le prix des meubles ; Il est plus avantageux pour le

client d’aller chez BUT ou CONFORAMA où les prix sont plus accessibles pour nous. Le travail de nos artisans est excellent, mais nous nous

faisons couillonnés par eux sur la marchandise, par exemple sur la qualité du bois, et le prix exorbitant qu’ils nous proposent, d’où la crainte de

les recommander à d’autres personnes ».

Mais plusieurs contributeurs expriment leur volonté et celles des autres acteurs économiques de consommer local : « An pa bizwen lajan a

sémésyé an nou fè tan nou. An pa anvi ay vwè sé mésyé. J’ai envie qu’on se dise lajan an nou nou ka sèvi évè-y on jan. Menm si sé on éro an nou

konté konmen ki ni pou nou sav ka nou ka fè évè-y. » « Contrairement à ce qu’on dit, nous les chefs d’entreprise on consomme entre nous. Si

nous, nous avons un train de vie plus important notre consommation sera plus importante, notre investissement sera plus important. »

Certains contributeurs croient déceler une tendance positive pour la production locale : « quand je suis rentrée en Guadeloupe en 1979, dans

les supermarchés, il n’y avait pas de production guadeloupéenne. Et sur les marchés, il n’y avait pas beaucoup de choix. Aujourd’hui, on ne peut

nier que les choses ont évolué. » « Le LKP a remis l’accent sur les produits locaux ».

La majorité des contributeurs estiment que le développement de la production locale passe par l’exploitation des ressources agricoles et

naturelles de la Guadeloupe, les expressions « production locale » et « production agricole » étant souvent interchangeables dans les

échanges : « Il y a des productions locales à développer : la terre, les arbres…. Il faudrait créer une économie de proximité qui peut permettre de

faire vivre 3 ou 4 personnes sur une surface donnée », « Si nous voulons valoriser la production agricole, il faut que la Région Guadeloupe […]

impose aux héritiers en indivision un bail pour permettre la production, contrôler la production et les circuits de distribution, de la matière

première jusqu’au stade final du produit. » Ces deux contributions plaident pour une refonte du modèle économique, mais annoncent celles

portant plus spécifiquement sur le nécessaire accès au foncier : « il y a en Guadeloupe un déficit de terres à vocation agricole. », « il y a le

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problème du foncier, il faut des terres. » L’indivision est souvent citée comme un frein à la mise en exploitation des terres : « Il y a des terres

que l’on ne peut pas exploiter, pour des raisons d’indivision, elles sont laissées à l’abandon », « Il faut libérer les terres ; il y a énormément de

terres en jachère, en indivision ». Mais certains contributeurs s’interrogent également sur la volonté de produire de certains agriculteurs :

« Certains comportements sont contradictoires ; les agriculteurs manifestent pour la sauvegarde du foncier et ensuite, ils viennent voir le maire

pour déclasser un hectare pour faire un lotissement »

Moins important que pour l’agriculture mais tout de même significatif, émerge du débat un véritable plaidoyer pour la reconnaissance de la

contribution économique de la production immatérielle : « Il y a peu de reconnaissance de la production intellectuelle, immatérielle » « Je

considère l’attitude ambiante vis-à-vis de la propriété intellectuelle de la comme une infamie. Ce qu’un artiste attend avant tout c’est de la

reconnaissance. Nous guadeloupéens, nous savons penser. Qu’on le reconnaisse ! »

Cette approche insiste sur les potentialités économiques offertes par la production culturelle et sur les lacunes de la Guadeloupe en la

matière : « J’ai lu dans Le Monde il y a 2 ans que les économies occidentales allaient se tourner vers cette économie immatérielle. Les systèmes

comptables internationaux prennent en compte l’immatériel. C’est un tournant majeur pour l’occident de dire que nous allons miser sur la

propriété intellectuelle. Dans ce contexte, pourquoi en Guadeloupe nous n’avons pas de société d’édition de logiciel ou de gestion de portail web

par exemple ? La création de valeur autour de l’immatériel est l’avenir. Il faut s’ouvrir, ne pas être que des consommateurs mais aussi des

acteurs, des producteurs de valeurs immatérielles. Il y a un marché, un champ de possibilités qui s’ouvre. » « Dans le secteur de la culture, […] on

a du zouk love « délavé », le gwo ka « ça ne vend pas » et ne passe pas à la radio… On n’a pas d’autorité pour la culture. On doit faire appel au

« papa blanc » par exemple pour avoir une reconnaissance du gwo ka. »

Les débats traduisent enfin, sur ce thème, un besoin de valorisation des petits métiers et des travaux manuels : « Il faut respecter tous les

métiers y compris les métiers manuels » « Beaucoup de gens veulent être fonctionnaires. Il n’y a plus d’ouvriers pour faire des petits travaux. »

Ce déficit d’image et ce manque d’attractivité sont perçus pour les professions du secteur primaire : « il faut reconnaître la valeur du travail

manuel, et plus précisément la patience, le courage, la créativité de l’agriculteur-paysan, lequel est plus méritant que le footballeur du PSG qui

perçoit un salaire annuel de plus de 14 millions d’euros nets d’impôts ». « Les jeunes voient beaucoup de choses possibles devant eux et veulent

choisir des métiers valorisants pour eux. Certains ne veulent pas être pêcheurs ou agriculteurs, mais il y en a d’autres qui aiment ça », « Il faut

former davantage les jeunes dans les métiers agricoles, valoriser les métiers et les professions dont la matière de base est agricole. »

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Principales préconisations de politiques publiques

- Conditionner la perception du RSA à des obligations de formation et/ de travaux d’intérêt collectif - Favoriser l’accès des Guadeloupéens aux postes à responsabilités - Mettre un terme aux pratiques clientélistes dans les secteurs public et privé - Développer la vie sociale au sein de l’entreprise par la création d’associations ; - Communiquer davantage sur le préambule de l’accord Bino

- Renforcer la formation et l’information des créateurs d’entreprise

- Renforcer et simplifier l’accompagnement financier, public et privé, des créations d’entreprise

- Développer et structurer l’offre d’hébergement touristique chez l’habitant

- Intégrer davantage la gastronomie locale aux politiques et stratégies touristiques

- Renforcer la diversification et l’innovation dans le secteur de l’agro-transformation

- Faciliter les sorties d’indivision pour le foncier agricole

- Favoriser la mise à disposition de foncier agricole pour les producteurs locaux

- Maîtriser les circuits de distribution de la production locale

- Valoriser les petits métiers et le travail manuel

- Valoriser la production immatérielle locale

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E) Citoyenneté

Comme pour les thèmes des mois précédents, l’analyse des contributions, recensées dans les débats et sur le site internet, fait l’objet, dans les

pages qui suivent, d’une synthèse organisant des éléments épars.

A la question, « qu’est-ce que la citoyenneté en Guadeloupe ? » et aux angles de réflexion suggérés, les contributeurs répondent à travers

plusieurs grands axes : 1) une quête d’une définition de la citoyenneté, 2) une présentation de la citoyenneté comme en crise, 3) une

réflexion sur les causes de cette crise de la citoyenneté et ses manifestations particulières, 4) des pistes de réflexion générales sur les sujets à

traiter pour encourager la citoyenneté, 5) des remarques portant sur la citoyenneté politique. Ces contributions s’accompagnent enfin de 6)

propositions d’actions concrètes ou de politiques pour développer et restaurer la citoyenneté en Guadeloupe.

1) Définir la notion de citoyenneté

Plusieurs contributeurs, au cours des différents débats tenus sur ce thème, s’interrogent d’abord sur une définition générale de la notion de

citoyenneté. Celle-ci s’appuie pour une partie des intervenants comme l’appartenance à une communauté : « La citoyenneté pour moi est un

certain nombre de valeurs que les membres d’une communauté partagent », « la citoyenneté est liée à la vie en communauté », « le citoyen,

c’est l’homme qui vit en communauté, qui respecte autrui et lui même, le citoyen doit rester à sa place dans la communauté. Le citoyen n’existe

pas sans un Etat ; sans Etat il n’y a pas de citoyen ». Un intervenant insiste sur les droits et les devoirs afférents à la notion d’appartenance

citoyenne : « un citoyen est un sujet qui a des droits dans la société où il vit et qui doit respecter les lois. Chaque citoyen est libre et égal en droit

et en devoir et vit dans une communauté ».Cette notion de droits et de devoirs est récurrente, comme nous aurons l’occasion d’y revenir dans

les pages suivantes : un autre participant explique que « le citoyen a des droits et des devoirs. Un rôle à jouer dans la société, des devoirs et un

respect des normes de la société »

Au-delà de ces définitions générales, plusieurs intervenants insistent sur des dimensions particulières de la citoyenneté : le civisme,

l’universalité, la responsabilité, l’amour, la confiance. Ainsi, un participant affirme qu’ « il faut se sentir citoyen pour être citoyen, c’est

pourquoi il est important d’avoir une sensibilisation au civisme », alors que d’autres préconisent que l’on « élargisse la notion de citoyenneté.

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Citoyen du monde par exemple enrichit la notion de citoyenneté » ; « La citoyenneté doit être universelle. Je dois être citoyen partout ». Pour un

autre participant, « un citoyen est surtout un être social, qui apporte une contribution et attend une contribution de la société. La contribution

du citoyen au développement de la société doit être mise en avant ». Les notions de responsabilité et de confiance reviennent à plusieurs

occasions : « Je dois être responsable et respecter les autres. Le vrai citoyen est celui qui prend des responsabilités familiales. Le vrai citoyen

éduque ses enfants, respecte son épouse. L’avenir de l’humanité passe par la famille. Il faut de l’amour dans la citoyenneté » ; « la confiance :

Peut –il y avoir de la citoyenneté sans confiance ? »

Il est notable que la question du genre est évoquée plusieurs fois, et sur la différence des hommes et des femmes face à la citoyenneté : « en

Guadeloupe, les femmes sont plus citoyennes que les hommes. Dans les associations se sont les femmes qui agissent, les hommes fuient. La

plupart des hommes sont des beaux parleurs, ils fuient leurs responsabilités ».

2) Le constat d’une crise de la citoyenneté

Une large part des débats est consacrée au constat d’une crise de la citoyenneté. Certaines remarques ont pour objet une crise générale au

niveau national, mais il est ici mis l’accent sur les interventions portant sur le contexte guadeloupéen. La première constatation d’une crise de

la citoyenneté porte sur le faible nombre d’intervenants dans les débats du PGS. De telles remarques occupent jusqu’à la moitié des débats

organisés au Gosier et à Pointe-À-Pitre, et elles sont récurrentes dans les autres débats : « le peu de participants aux débats est révélateur d’un

manque de citoyenneté » ; « Les débats et les échanges ne sont pas une habitude pour les guadeloupéens », avec une question inquiète : « le

débat intéresse-t-il les gens ? »

De manière plus générale, le constat est dressé d’une crise de la citoyenneté en Guadeloupe. Le premier motif invoqué est « l’égoïsme » ou

« l’individualisme » des habitants, lié à l’absence de projet commun. Un intervenant affirme : « Les gens sont égoïstes, individualistes. (…) Les

politiciens sont animés de bonne volonté, ils veulent voir la Guadeloupe évoluer », un autre déclare que « le peuple est égoïste, intéressé,

obsédé par l’argent » ; « Nous sommes égoïstes, nous voyons la citoyenneté qui nous intéresse (…) Où situer la citoyenneté dans le milieu où

nous vivons ? » ; « il y a beaucoup d’égoïsme dans les comportements » ; ou encore « nous n’avons pas de projet commun ». De nombreux

intervenants stigmatisent le rapport déséquilibré entre les droits et les devoirs de citoyenneté pour la population guadeloupéenne. Plusieurs

intervenants affirment que« maintenant les gens pensent qu’ils ont des droits mais en oublient leurs devoirs » ; « la citoyenneté ouvre des droits

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et c’est grâce à cette citoyenneté qu’intervient la solidarité nationale et la compensation des charges (…) pour les droits, les gens sont au fait

des choses mais ont tendance à oublier les devoirs, les obligations. »

Au-delà des comportements individuels, deux institutions sociales sont mises en cause pour cette crise : l’Ecole et la Famille: « tout vient de

l’éducation, de l’enseignement, de l’école. (…) On est dans une société déprimée, un monde déréglé, sans boussole. Les enfants se retrouvent

dans la rue sans repères »; « maintenant on peut dire qu’il n’y a plus de hiérarchisation, il y a une désacralisation des institutions (école,

politique, etc.) » ; ou encore « les problèmes au sein de la cellule familiale expliquent la crise de la citoyenneté » ; « dans les établissements

scolaires, combien de parents viennent assister aux conseils de classe ? Les parents ne s’impliquent pas suffisamment »

Deux derniers facteurs sont présentés comme des causes de la crise d’identité en Guadeloupe : la situation économique et l’absence de

« culture de la citoyenneté », notamment révélé par les violents rapports de force inter-individuels. Un intervenant affirme ainsi : « il y a 62

000 chômeurs. La Guadeloupe en souffre » ; « notre problème en Guadeloupe, c’est que pour prendre conscience de la citoyenneté, il faut avoir

une culture. En 1848 on nous a dits citoyens mais sans aucune formation et aucune culture de la citoyenneté. On ne nous a jamais montré

comment nous comporter en tant que citoyen » ; « il me semble que nous avons aussi un problème de confiance mutuelle. (…) La relation à

l’autre est basée sur la domination. Quand on voit le nombre d’enfants qui ont des comportements violents, et ce dès le plus jeune âge… »

3) Les manifestations particulières de la crise de la citoyenneté

A) Le rapport à la Loi, à la règle, au règlement, à la justice

La plupart des intervenants insistent sur le rapport individualiste des Guadeloupéens à la loi et à la justice basé sur la maximisation de

l’intérêt individuel au détriment de l’intérêt collectif et un insuffisant respect des lois : « il y a la culture du « débrouillardisme », qui existe en

Guadeloupe ; elle pense que l’on veut toujours tirer un intérêt personnel avant l’intérêt collectif, réaliser ses projet de manière à contourner les

lois si elles n’arrangent pas le Guadeloupéen » ; « chaque personne veut appliquer la loi à sa guise, dans son intérêt » ; « la loi n’a pas de sens

pour certains du coup ils ne la respectent pas » ; « le comportement du Guadeloupéen est individualiste, il ne travaille pas pour l’intérêt

collectif» ; « nous avons du mal à respecter les règles » ; « le problème qui se pose au niveau des règles, c’est que les gens ne respectent pas la

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loi. Ils savent que la sanction n’est pas prise ou qu’elle est légère » ; « nos rapports sont difficiles avec la loi. Vous clôturez votre terrain, mais

quelqu’un vient casser la clôture pour attacher son bœuf ». Un intervenant évoque le détournement de biens publics comme une privatisation

de l’esprit public : « vous êtes invité chez quelqu’un et une fois que vous regagnez la chambre d’ami, vous découvrez un lit fait avec des draps

marqués « CHU de Pointe-À-Pitre » !Il nous faut vraiment « divorcer » de ces habitudes. » Un intervenant évoque l’absence de sens de la

responsabilité politique : « la notion de responsabilité politique est une vaste blague. Nous défendons nos intérêts, notre famille, notre

environnement proche. Il y a des cas, des exemples sur certains dossiers où l’intérêt général peut primer mais ce sont des exceptions. » Plusieurs

interprétations et exemples sont proposés pour expliquer ce rapport à la loi et à la règle : la particularité culturelle guadeloupéenne en

décalage avec la loi française et l’histoire de l’esclavage sont citées à plusieurs reprises : « le comportement du guadeloupéen par rapport à la

loi : Il faut que les guadeloupéens sachent à quoi servent les lois. On est dans une société française mais les guadeloupéens ont leurs

particularités. Il a du mal à respecter la loi s’il ne se retrouve pas dans cette société, dans ces lois etc. » ; « le manque de civisme peut remonter

à loin. Avant les gens faisaient fi de la loi, il n’y avait pas trop de contrôles. Et aujourd’hui ça continue » ; « avant il fallait respecter les règles, la

loi. On était « étouffé » par le manque de liberté (esclavage). On a gardé ce côté frondeur, ce côté « konpèlapen » » ; « nous devons exiger le

respect des règles (…) mais le natif guadeloupéen a dû mal à se faire reconnaître dans son autorité. C’est le syndrome du « commandeur »

(ancien esclave marron capturé à qui le maître confiait le fouet) » ; « au sortir de l’esclavage, au moment de la départementalisation, les gens

respectaient la loi, ils payaient l’AOT par exemple, on en a retrouvé des traces dans les archives de la commune. Aujourd’hui on est face à toute

une génération où l’illégalité se développe. Il n’y a qu’à voir le nombre de constructions sans permis de construire. »

La question fiscale et le « travail au noir » reviennent à plusieurs occasions dans les débats comme les incarnations de la déficience de

citoyenneté en Guadeloupe : « beaucoup de guadeloupéens ne le font pas et ne payent pas leurs impôts locaux. En métropole, un percepteur

qui collecte 90% des impôts est un mauvais percepteur. En Guadeloupe, un percepteur qui collecte 60% des impôts est un bon percepteur. Pour

le financement du budget communal, c’est l’état qui compense ce qui ne rentre pas. A Saint-Martin, l’état ne compense plus depuis le

changement de statut » ; « la fiscalité nécessite qu’on fasse un travail citoyen pour expliquer à quoi ça sert ». Le travail illégal est un élément

récurrent de plusieurs interventions : « la question du travail illégal : des statistiques récentes ont été publiées au niveau national. Jusqu’à 7%

de salariés dans certains secteurs. En Guadeloupe, le travail au noir est un élément de régulation de l’activité économique » ; « le gros problème,

c’est le travail au noir ».

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B) Les autres manifestations de la crise de la citoyenneté

La question du travail illégal conduit de nombreux participants à critiquer le manque de citoyenneté des entreprises locales, à plusieurs

niveaux : avidité supposée, délocalisations, absence de paiement d’impôts, etc. Ainsi, les intervenants égrènent leurs récriminations : « il y a un

manque de citoyenneté des chefs d’entreprise » ; « je suis contre les chefs d’entreprise et je ne leur fais pas confiance. Ils ne pensent qu’à

empocher de l’argent » ; « il faut regarder du côté de la situation économique par exemple : la création d’un emploi induit de payer des charges

sociales, sinon cette personne ne peut bénéficier de ses droits sociaux. Ce n’est pas propre à la Guadeloupe et il y a maintenant des

délocalisations partout » ; « dans l’évolution, quand on regarde l’histoire du travail en France, on est parti de loin pour avoir ces acquis : droit au

travail, congés de maternité, droit à l’éducation, droit à la culture. Mais, de génération en génération, il y a toujours eu des adversaires de ces

acquis. Si les possédants, si les usiniers avaient une âme, ils ne délocaliseraient pas ».

Enfin, une grande partie des débats évoque le problème central des incivilités perçues comme manifestations banales, « ordinaires » d’une

citoyenneté déficiente : « des incivilités se commettent tous les jours. La justice ne fait rien. On ne voit pas de réponse aux incivilités » ; « la

citoyenneté c’est respecter les autres (…) La société se laisse aller et c’est pareil partout ailleurs. » Ces incivilités sont perçues dans les injures et

comportements agressifs, l’impolitesse : « En tant que responsable d’une association sportive, j’ai fait en sorte de faire cesser les injures en

expliquant le sens du respect du maillot du club » ; « Le modernisme a rendu nos jeunes « speed », ils sont agressifs… » ; « on devrait être plus

nombreux à dire ne serait-ce que « bonjour » ». Ces incivilités sont aussi perçues dans les comportements irrespectueux vis-à-vis de

l’environnement : « par exemple, encore aujourd’hui on peut trouver des gens qui jettent leurs cannettes depuis leur voiture… » ; « la

Guadeloupe est le seul département où le non traitement des déchets ait conduit à faire condamner la France par l’Union Européenne » ; ou

encore « est-ce une raison pour que chacun ne voie que son intérêt ? Nous avons une culture qui veut ça. Par exemple celui qui passe en voiture

avec sa radio qui joue très fort, ou celui qui jette ses déchets par la portière de sa voiture. », « La citoyenneté, c’est la façon de faire les choses :

mettre la bouteille en plastique froissée dans la BAV plutôt qu’entière, c’est être citoyen ». Un autre vecteur d’incivilité notée tient aux

comportements inciviques des automobilistes : « il y en a qui ne respectent pas certaines règles par exemple s’arrêter au stop » ; « il y aurait

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beaucoup à dire du civisme en Guadeloupe. En voiture par exemple, pour sortir d’une ruelle et que quelqu’un vous cède le passage… Moi, j’ai un

panonceau avec la mention « merci » que je brandis quand on me laisse passer ».

4) Quelques pistes pour restaurer le sens du collectif et de la citoyenneté

A) L’essor d’une consommation locale

Plusieurs intervenants ont insisté sur la nécessité de développer une production et une consommation de produits locaux comme manière de

développer la citoyenneté en Guadeloupe : « en tant que consommateur, être citoyen (…) c’est aussi consommer local » ; « acheter les

produits locaux, une laitue par exemple, derrière c’est tout une chaîne, une filière que l’on fait vivre» ; « c’est aussi, autre exemple, aider les

apiculteurs à se développer » ; « l’important c’est l’accessibilité des produits locaux, on ne peut pas développer le pays si on ne part pas de nos

ressources et si on reste dans l’import-export. Pour que nos produits soient consommés il faudrait une loi de protection, les dirigeants doivent

favoriser cette consommation locale car nous sommes freiné par les lois de libres concurrences ». Un intervenant insiste sur la difficulté à

transmettre le goût des produits locaux aux jeunes, supposément plus attirés par les produits importés : « en tant que consommateur : Je fais

un effort pour consommer local, même si c’est plus cher. Pour mes enfants et petits-enfants je prépare des produits du pays mais ils ne veulent

pas en manger. Je fais du jus local. Les enfants ne le consomment pas. Ils préfèrent les sodas et glaces importées ».La promotion des produits

locaux s’intègre dans une volonté de valoriser la culture guadeloupéenne pour développer une fierté locale à l’extérieur et encourager la

citoyenneté. En effet, un intervenant s’interroge : « comment faire pour que le guadeloupéen se sente plus identifié à son territoire ? Si c’est le

cas, il va aimer son territoire, le respecter, le fera respecter et le fera aimer ! » Il est proposé en ce sens : « si l’on met plus de visibilité sur nos

atouts on créera alors des emplois et plus de richesses. Il faut également mettre en avant des produits touristiques (découvertes, traces,

produits...). Mettre en avant notre culture impliquera le citoyen. Il faut montrer les atouts de la Guadeloupe ».

B) Combattre la pollution et embellir l’espace public

Une manière d’encourager à la citoyenneté tient aussi à l’amélioration de la relation à l’environnement, à la limitation de la pollution, et à

l’embellissement de l’espace public. Le rapport à l’environnement et à la pollution est récurrent dans les interventions : « la notion de

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citoyenneté devrait être en nous. Je pense par exemple au tri sélectif. S’il était vraiment respecté, cela baisserait le coût de traitement des

déchets pour la collectivité, notre environnement serait respecté… » ; « quand je suis rentrée en Guadeloupe, j’ai vu à quel point la mangrove

était remplie de déchets, de détritus ». Une intervenante propose : « on pourrait faire appel aux TIG pour nettoyer les plages ».La pollution des

sols, en rapport avec les polémiques autour du chlordécone et de l’épandage, est directement évoquée dans cette problématique : « sur le

problème de la pollution de la terre, les enjeux ne sont pas que Guadeloupéens. Les intrants dont on parle ne sont pas fabriqués que pour la

Guadeloupe. Il faut penser globalement et en même temps agir localement ! » ; « sur la question des pesticides et de l’épandage, la Guadeloupe

est l’un des rares départements où l’on accorde encore des autorisations, des dérogations. En France hexagonale, elles ne sont quasiment plus

renouvelées ».

L’amélioration de la beauté de l’espace public est aussi le sujet de certaines remarques, notamment par l’amélioration du bâti et la

diminution des permis illégaux de construire et celle de la pollution visuelle. Ainsi, un participant s’interroge : « pourquoi ne pas construire de

« belles villes » ? Nous avons des urbanistes, des architectes. Nous assistons à un exode urbain. Loger les personnes à l’étage et laisser les RDC

aux porteurs de projet. Nos villes doivent être plus attractives. Cela permettrait de résorber le chômage. Cela doit être l’affaire pas seulement du

maire mais de toutes les collectivités : reconstruire les zones insalubres » ; « s’agissant des panneaux publicitaires qui prolifèrent sur tout le

territoire, est-ce que l’Etat est citoyen en autorisant des panneaux publicitaires partout ? » ; « trop de gens construisent sans permis. » La

proposition d’améliorer les transports publics pour favoriser une mobilisation citoyenne est évoquée : « c’est une question de rapport de force.

Il y aurait aussi pu avoir un réseau de transports publics efficient en Guadeloupe s’il y avait une véritable volonté politique et derrière une

volonté, une mobilisation citoyenne. »

C) L’éducation à la citoyenneté

Dernier aspect débattu, la plupart des intervenants s’accordent sur l’importance de l’éducation et son échec en Guadeloupe et sur la

nécessité de développer la citoyenneté chez les jeunes, notamment à l’école, mais aussi dans les familles : « il y a un gros problème

d’éducation ; comment un jeune peut-il respecter la loi s’il n’a pas reçu d’éducation ? » ; « la difficulté de la citoyenneté est liée à un problème

d’éducation » ; « il faut reprendre l’instruction civique à l’école » ; « il faut construire une vraie éducation à la citoyenneté qui passe par l’école,

les medias. Un comportement citoyen nécessite d’impliquer le citoyen : politiques publiques qui impliquent tout le monde, qui insert » ; « il

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faudrait développer l’intérêt collectif chez les jeunes au niveau éducatif. Il faut montrer aux enfants les retombées de leurs actions. Ca

commence dans la famille certes, mais ce n’est pas toujours possible alors contournons le problème et mettons en place des actions au niveau

éducatif » ; « il est aussi important de maintenir et d’entretenir les liens avec les familles. »

5) Le rapport à la citoyenneté politique

Plusieurs éléments structurent la question de la citoyenneté politique dans les débats : a) la relation aux élus, b) la nécessité de développer

des valeurs partagées, c) la description d’une tension entre citoyenneté politique nationale et appartenance culturelle locale, et enfin d) la

nécessité d’encourager la participation politique des citoyens guadeloupéens.

A) La relation aux élus locaux

Les élus guadeloupéens sont considérés comme ayant un rôle fondamental dans l’encouragement à la citoyenneté par leur capacité à

montrer l’exemple, d’où la nécessité reconnue d’être plus exigeants avec eux : « les élus sont pourtant payés pour cela. J’aborde la question

de l’exemplarité. Le devoir des élus est de faire ce pour quoi ils sont payés. La responsabilité est la volonté de prendre en mains les choses » ;

« nous devons donc attendre une exemplarité des élites. Les citoyens devaient être plus exigeants vis à vis de ces élus » ; « il faut demander des

comptes aux élus. Il y a une obligation de résultats des hommes politiques ». Pour certains, cette obligation englobe aussi les agents

communaux : « le personnel communal ne doit pas simplement faire des choses parce qu’ils sont payés, mais aussi par civisme, et c’est ça aussi

la citoyenneté. » La perception que les élus locaux n’atteignent pas ces vertus d’exemple et de compétence explique pour certains

intervenants l’incurie de la citoyenneté : « les jeunes ne respectent pas les règles parce que les politiques ne les respectent pas. Aujourd’hui, le

mauvais est prédominant ». L’exemple de l’environnement est symbolique pour plusieurs intervenants : « l’exemple de l’épandage aérien est

marquant ; l’avis des citoyens n’a pas été respecté » ; « il y a un problème d’épandage aérien en Guadeloupe et c’est un sénateur du Morbihan

qui a pris position alors que ceux de Guadeloupe n’ont rien dit. » Il est intéressant de constater que les élus ne sont pas forcément jugés

responsables de la situation et que les citoyens eux-mêmes reçoivent leur part de critique, notamment dans la question du clientélisme : « il

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y a aussi ce jeu entre l’électeur et le candidat qui « monnaie » presque sa voix. Quand il aura besoin de quelque chose, il saura le rappeler à

l’élu » ; « je suis candidat, mon adversaire a un meilleur programme que le mien mais les gens vont voter pour moi parce qu’ils votent pour la

personne et pas pour le programme. » Enfin, certains intervenants appelant à un sursaut de la population elle-même sans juger les acteurs

politiques : « les politiques ne peuvent pas tout faire. Avant chacun avait son rôle et il jouait ce rôle là. Aujourd’hui il faut que l’élu soit un

professionnel » ; « il est intéressant d’interpeller les responsables politiques, mais en même temps, avec cette question de la citoyenneté, c’est

aussi une façon de s’auto-interpeler. »

B) La nécessité de développer des valeurs partagées

Dans un contexte culturel hétérogène, de nombreux participants insistent sur la nécessité de développer les valeurs communes : « il faut des

valeurs communes et qu’on ait un projet commun » ; « l’important, c’est le rapport aux valeurs partagées : même si le peuple guadeloupéen est

hétérogène il faut des points communs, des valeurs partagées, des bases communes » ; « la citoyenneté se construit sur les bases d’une

politique publique, de valeurs partagées » ; « pour avancer il faut des bases, un socle ». Cette absence explique un décalage entre l’école et

l’environnement extérieur et une absence d’exemplarité : « il y a un décalage entre ce que propose l’école et ce que les jeunes vivent à

l’extérieur. Les nouvelles générations de parents ne cultivent pas les valeurs citoyennes » ; « il y a manque d’exemplarité, absence de faire valoir.

On est toujours dans une image négative de la société guadeloupéenne, éducation à l’école, éducation dans les familles, rôle des medias, rôle

des politiques ». Cette image négative de la société par elle-même est censée expliquer la faible citoyenneté : « le fait que nous ayons connu

l’esclavage et que nous ayons des origines différentes, cela ne constitue-t-il pas une richesse ? Pourquoi donc ne valorisons-nous pas ce qui est

bien ? »

C) L’évocation d’une tension entre identité culturelle locale et identité politique nationale

Comme dans les débats portant sur l’identité, la question se pose, dans l’évocation de la citoyenneté, de la tension entre identité culturelle

locale et identité politique nationale : « certains jeunes refusent tout déplacement vers l’extérieur. En fonction de quoi ? D’être de

Guadeloupe ? De se sentir guadeloupéen ? » ; « les enfants entre eux aujourd’hui se parlent en français » ; « déjà pouvons-nous répondre à la

question « qu’est-ce que c’est d’être citoyen Guadeloupéen » ? C’est être Français ? C’est être Créole ? »

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Trois tendances se dégagent. La première défend la priorité à la citoyenneté culturelle locale et aux particularités contre la règle nationale :

« on peut se dire qu’on est d’abord Guadeloupéen, ensuite Français, puis Européen » ; « la Guadeloupe a ses spécificités. Mais le problème du

Guadeloupéen c’est d’être d’abord soi-même avant de faire du mimétisme, d’imiter les comportements des métropolitains » ; « un proverbe

dit « Peyi a blanc la a pa tan nou ». Alors nous ne pouvons pas être citoyens d’un pays qui n’est pas le nôtre » ; « Notre territoire doit

s’émanciper pour améliorer son confort puisque la loi n’est pas adaptée à toutes les régions. Nous devons avoir des spécificités et faire des

propositions faire de la réglementation locale, une adaptation par région. Pour l’intérêt du plus grand nombre il faut faire des propositions

d’adaptation » ; « la décentralisation doit aller plus vers un cadre normatif pour plus de souplesse pour vivre avec notre réalité » ; « je me

demande est-ce qu’on est Français ? » ; « nous sommes citoyens d’un pays mais nous avons un endroit, un lieu la Guadeloupe. Et c’est ça qui fait

l’importance du projet Guadeloupéen. Nous avons une façon de vivre les choses différente de l’hexagone » ; « nous sommes devenus citoyens

français parce que nous ne connaissons pas notre histoire guadeloupéenne. Donc il nous faut faire un pas en arrière pour rechercher notre

citoyenneté guadeloupéenne. Or, nous n’avons pas donné à nos enfants la base de citoyenneté française parce que nous étions en train de

chercher notre citoyenneté guadeloupéenne. »

Une deuxième tendance insiste sur la priorité de la citoyenneté politique et de l’appartenance à l’ensemble français : « on est citoyen

français, on participe aux élections municipales. On participe à la construction du pays. On est d’abord citoyen français. (…) Citoyen

guadeloupéen ? Oui mais citoyen français. » ; « il y a 2 mentalités différentes entre Guadeloupe et Grande-Terre. Il est bon de nous sentir nous-

mêmes mais dans la nation française » ; « avant on n’en parlait pas. Lors de la première guerre mondiale, les Guadeloupéens qui se sont battus

avaient conscience d’être Français, ils étaient fiers de se battre pour la « mère patrie », durant la seconde, ils sont entrés en résistance pour

rejoindre le Général de Gaulle, là encore, la question ne se posait pas » ; « il ne faut pas faire de clivage entre la France et la Guadeloupe. La

nationalité a plus à voir avec les sentiments. La citoyenneté guadeloupéenne existe-t-elle vraiment ? Tout le monde veut revendiquer sa

nationalité guadeloupéenne, sa culture son folklore, son opposition à tout mais lorsque l’on parle d’indépendance personne n’est d’accord. De

plus en plus la notion de nationalité évolue. La culture guadeloupéenne doit être un point de rencontre, un groupe appartenance. Il faut que les

Guadeloupéens cherchent à être plus patriotes. »

Une dernière tendance conduit certains participants à refuser le clivage entre la Guadeloupe et la métropole ou à insister sur la nécessité de

développer une citoyenneté caribéenne : « il faut définir une citoyenneté régionale qui pourrait participer aux lois locales » ; « Le sentiment

d’appartenance à la Caraïbe n’est pas suffisamment présent ». Indépendamment de ces tendances, de nombreux participants s’accordent à

dire que l’histoire et la culture guadeloupéenne doivent être mieux valorisées : « il faut rendre certaines activités et l’histoire plus accessible

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aux guadeloupéens. Il faut développer l’ouverture d’esprit des enfants en mettant en place une fiche qui contribuerait à la connaissance de la

Guadeloupe (lieux, culture, activités....) »

D) La nécessaire implication des citoyens dans la vie de la cité

Sur la question de la participation politique, la plupart des intervenants s’accordent sur la nécessité de s’investir dans les affaires politiques

de la cité, avant tout par le vote : « le citoyen est celui qui prend part à la vie de sa cité » ; « nous avons tous la possibilité de voter. C’est ça la

démocratie et si on ne participe pas au vote, on ne pourra pas faire changer les choses. Les jeunes ne participent pas au vote et laissent les

autres choisir » ; « l’illettrisme n’est pas une excuse pour l’abstention car avant nos parents, nos grands-parents se faisaient un devoir de voter

et pourtant ils ne savaient pas forcément lire ni écrire ». Au-delà du vote, l’implication à tous niveaux est recommandée : « nous qui sommes

présents aujourd’hui, impliquons-nous ! Combien de citoyens vont écouter les conseils municipaux ? Participons aux associations. Répondons

aux enquêtes publiques » ; « [je plaide pour] l’implication dans la vie de la cité : je ne peux pas tout laisser aux politiques » ; « la problématique

de la citoyenneté c’est aussi de savoir discuter. Il y a souvent ici des explosions sociales ! ». L’insuffisante participation aux conseils municipaux

est aussi pointée : « il y a un domaine qui concerne les citoyens au premier lieu : les conseils municipaux. Dans les meilleurs des cas, il y a deux

ou trois citoyens présents. C’est pareil concernant les enquêtes publiques ». La relation aux associations, censée refléter un esprit citoyen, est

aussi dénoncée par une intervenante : « 11 000 associations pour 400 000 habitants, on peut penser que la Guadeloupe est solidaire. Je dis que

c’est l’individualisme qui fait autant d’associations. Comme c’est difficile d’être ensemble, chacun crée son association. »

6) Les propositions concrètes de politiques publiques

Propositions pour renforcer la citoyenneté

1. Instaurer des débats participatifs régulièrement 2. Monter un projet éducatif dans les classes primaires

3. Trouver une façon coercitive d’amener les parents à voir ce que les enfants font à l’école

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4. S’occuper des jeunes avec des activités de théâtre, d’expression des sentiments 5. Imposer l’apprentissage du code de la route à l’école 6. Faire de la remise de la carte électorale aux jeunes de 18 ans un moment solennel et officiel pour lui conférer de la valeur

7. Chaque élève devrait effectuer un quota de travail d’intérêt général. Cela pourrait consister en un travail d’accompagnement d’une personne âgée par exemple

8. Développer les travaux d’intérêt général à la place des peines de prison, notamment portés sur la propreté et l’environnement 9. Reconstruire les zones insalubres 10. Faire intervenir le pouvoir local dans les programmes scolaires, surtout au primaire pour l’instruction civique, les règles de morale 11. Participer à l’embellissement de l’environnement local (supprimer panneaux publicitaires partout par exemple) 12. Repérer parmi les anciens les gens de valeur, de bonne moralité, qui sillonneraient la Guadeloupe pour éduquer à la citoyenneté 13. Lancer des campagnes d’encouragement du vote 14. Lancer des campagnes sur les atouts de la Guadeloupe auprès des Guadeloupéens 15. Promouvoir les valeurs communes et la culture Guadeloupéenne auprès des Guadeloupéens