2
6 | dossier MARDI 16 JUIN 2015 0123 Des salariés satisfaits mais sans illusions Une étude organisée à l’occasion de la 7 e édition du Trophée du capital humain rév èle l’impact du dialogue dans les grandes entreprises sur le respect et l’écoute des salariés. Leur épanouissement accompagne les espoirs et les faux espoirs de la reprise économique Un employé de l’usine Essilor, à Ligny-en- Barrois (Meuse), en janvier. JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN/AFP anne rodier A lea jacta est ! » (« le sort en est jeté »), aurait dit César avant de franchir le Rubicon, selon la légende. C’est ce qu’exprime aujourd’hui l’en- quête « Les salariés des gran- des entreprises françaises et le capital hu- main » réalisée par Obea pour le cabinet de conseil en recrutement Michael Page et Le Monde. Les salariés sont, chaque année, un peu plus nombreux à se dire « satisfaits » au travail. Depuis 2013, les salariés des grandes, voire très grandes entreprises, veulent y croire. Les indicateurs de confiance (fierté, satisfaction, respect, écoute) poursuivent leur hausse pour la deuxième année consécutive, selon les résultats 2015 qui seront publiés jeudi 18 juin, lors de la remise à Paris du 7 e Trophée du capital humain. L’enquête, menée auprès de 1 000 salariés d’entreprises de plus de 1 000 personnes, en- tre le 7 et 13 mai, indique que 79 % d’entre eux sont satisfaits de leur situation profession- nelle, contre 74 % en 2014 et 73 % en 2010. Près de un salarié sur cinq (19 %) se dit même « très satisfait », contre 12 % en 2013. Les grin- cheux ont quasiment disparu : les « très insa- tisfaits » ne sont plus que 3 %. La première édition de cette enquête n’ayant eu lieu qu’en 2010, la comparaison n’est malheureusement pas possible avec le niveau de satisfaction des salariés avant la crise. En revanche, le parallèle avec la crois- sance économique et le chômage est clair. « Depuis 2013, le niveau de satisfaction des salariés est corrélé à leur perception de la si- tuation économique », commente Jérôme Miara, PDG du groupe Obea. Si la croissance baisse, le niveau de satisfaction recule l’an- née d’après. Idem si elle repart. L’évolution de la courbe de « satisfaction de la situation professionnelle » reproduit ainsi en 2010 et en 2013 le « double dip » (double creux récessif) de la croissance du PIB, qui a nourri l’actualité économique en 2009 et 2012. Double choc qu’on retrouve sur la courbe du chômage sous forme de pics, un an après, en 2010 et en 2013. UNE AMORCE DE DIALOGUE La satisfaction des salariés en 2015 peut sur- prendre, au regard de l’évolution du marché de l’emploi : le taux de chômage était tou- jours de 10,3 % au premier trimestre 2015, contre 8,4 % en 2007. Les salariés interrogés sont pleinement conscients du problème. Les trois quarts d’entre eux estiment que la con- joncture économique a un impact « impor- tant » ou « très important » sur l’activité de leur entreprise. 54 % ne croient pas « pouvoir trouver facilement un emploi dans une autre entreprise ». Et c’est de plus en plus difficile pour les jeunes dont l’intégration dans l’en- treprise a reculé. 59 % des salariés interrogés constatent que les jeunes « mettent du temps à trouver leur place » ou « ne trouvent pas leur place » dans leur entreprise, contre 44 % en 2013. « Il y a beaucoup de ruptures de con- trat dans la première année chez les jeunes », précise l’étude. La satisfaction des salariés ne tiendrait-elle qu’à la croyance au retour de la croissance que de nombreux économistes voient poin- dre à l’horizon ? « Pour comprendre ce qui se joue dans l’activité, il faut (…) replacer [le tra- vail] dans sa double dimension d’opérateur d’identité et de producteur du lien social », ex- plique Guy Jobert, ethnologue du monde du travail, dans son dernier livre, Exister au tra- vail, les hommes du nucléaire (Ed. Erès, 2014). Autrement dit, le travail ne s’arrête pas à l’em- ploi occupé et au salaire versé. « Faute de trouver la reconnaissance dans le lien salarial, [les salariés] peuvent l’espérer du rapport di- rect avec le réel du travail, sous le regard d’autrui », poursuit ce professeur dans le même essai. C’est là que réside la principale explication de l’amélioration du taux de satisfaction des salariés en 2015. Ils se sentent de mieux en mieux respectés et écoutés. 55 % ont le senti- ment d’être écoutés par les managers de leur entreprise (contre 46 % en 2013) et 68 % se sentent respectés, contre 61 % sur la même période. « Le développement managérial et l’attention aux salariés ont porté leurs fruits », remarque M. Miara. Le dialogue a en effet été amorcé dans les entreprises, d’une part pour réagir aux ris- ques psychosociaux et d’autre part pour dé- finir avec les partenaires sociaux le périmè- tre de la qualité de vie au travail, en prépara- tion de la loi sur le dialogue social adoptée le 2 juin en première lecture à l’Assemblée na- tionale. Depuis 2008, les directions des ressources humaines ont été amenées à réfléchir à la re- connaissance du travail, à la sécurisation des parcours professionnels et à toutes les constituantes de l’engagement au travail, dont la marge de manœuvre des salariés, la transparence. A partir de 2010, des espaces de discussion ont été créés au sein des entre- prises. L’objectif était de redonner la parole aux salariés, de rendre le travail plus « visi- ble », plus « parlant ». « A travers le jugement porté par autrui sur l’ingéniosité déployée par un sujet dans l’acti- vité, celui-ci peut espérer être reconnu », ex- plique Guy Jobert. Comme en témoigne le récit que fait Nadir Abdelgaber de son travail de caissier en grande surface : « Chaque tic- ket de caisse est unique, écrit-il. Dans son nombre de plis, dans sa forme finale après pliage, il peut me faire sentir organisé et bon travailleur, comme il peut m’énerver et me stresser en un très court instant… » Puis il poursuit : « Dans le pliage de ticket, je vois la dernière occasion qu’a le client de juger mon LES MOINS DE 30 ANS SONT BEAUCOUP PLUS NOMBREUX À ÊTRE INQUIETS QUANT À LA PÉRENNITÉ DE LEUR MÉTIER l’intégralité des résultats de l’enquête concernant le regard des salariés sur le management de leur entreprise sera publiée jeudi 18 juin, lors de la remise du Tro- phée du capital humain. Cet évé- nement, créé en 2009 par le cabi- net de conseil en recrutement Mi- chael Page, en partenariat avec Le Monde, salue les bonnes initiati- ves des grandes entreprises. Il ne s’agit pas d’établir un classement de la vertu dans le monde du tra- vail, mais d’encourager les bonnes pratiques de management de ces établissements. Depuis 2013, le Trophée s’est élargi du CAC 40 aux entreprises de plus de 15 000 salariés apparte- nant au SBF 120. En 2015, il s’étend à nouveau aux groupes de plus de 10 000 salariés du SBF 120, aux groupes non français avec plus de 5 000 salariés en France et enfin aux groupes français non cotés qui comptent plus de 10 000 sala- riés. Le trophée récompense l’ensem- ble de la politique de ressources humaines sur quatre critères : l’engagement du management ; l’originalité des dispositifs mis en place ; leur impact sur les salariés de l’entreprise, et enfin la cohé- rence de la politique conduite avec la stratégie du groupe. Pour cette septième édition, les quatre finalistes sont : L’Oréal, Ac- cor, Orange et Safran. Leurs candi- datures mettent en avant, dans l’ordre, la marque employeur et l’expérience des candidats, l’atten- tion aux talents locaux dans la stratégie de mondialisation, la transformation numérique au ser- vice des salariés, et enfin, pour Sa- fran, la politique d’apprentissage au service de l’emploi. Les précédents lauréats ont été Michelin en 2014, Pernod Ricard (2013), Air Liquide (2012), la Compa- gnie Saint-Gobain (2011), le Groupe L’Oréal (2010) et Vinci (2009). p a. rr Les quatre finalistes du Trophée du capital humain 2015

Les salariés face à la reconnaissance au travail

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les salariés face à la reconnaissance au travail

6 | dossier MARDI 16 JUIN 2015

0123

Des salariés satisfaitsmais sans illusions

Une étude organisée à l’occasion de la 7e édition du Trophée du capital humain révèle l’impactdu dialogue dans les grandes entreprisessur le respect et l’écoute des salariés.Leur épanouissement accompagne les espoirset les faux espoirs de la reprise économique

Un employé de l’usine Essilor,à Ligny-en-Barrois (Meuse), en janvier.JEAN-CHRISTOPHE

VERHAEGEN/AFP

anne rodier

Alea jacta est ! » (« le sort enest jeté »), aurait dit Césaravant de franchir le Rubicon,selon la légende. C’est cequ’exprime aujourd’hui l’en-quête « Les salariés des gran-

des entreprises françaises et le capital hu-main » réalisée par Obea pour le cabinet de conseil en recrutement Michael Page et Le Monde.

Les salariés sont, chaque année, un peu plusnombreux à se dire « satisfaits » au travail. Depuis 2013, les salariés des grandes, voire très grandes entreprises, veulent y croire. Les indicateurs de confiance (fierté, satisfaction,respect, écoute) poursuivent leur hausse pour la deuxième année consécutive, selon les résultats 2015 qui seront publiés jeudi 18 juin, lors de la remise à Paris du 7e Trophée du capital humain.

L’enquête, menée auprès de 1 000 salariésd’entreprises de plus de 1 000 personnes, en-tre le 7 et 13 mai, indique que 79 % d’entre euxsont satisfaits de leur situation profession-

nelle, contre 74 % en 2014 et 73 % en 2010. Prèsde un salarié sur cinq (19 %) se dit même « très satisfait », contre 12 % en 2013. Les grin-cheux ont quasiment disparu : les « très insa-tisfaits » ne sont plus que 3 %.

La première édition de cette enquêten’ayant eu lieu qu’en 2010, la comparaison n’est malheureusement pas possible avec le niveau de satisfaction des salariés avant lacrise. En revanche, le parallèle avec la crois-sance économique et le chômage est clair. « Depuis 2013, le niveau de satisfaction dessalariés est corrélé à leur perception de la si-

tuation économique », commente Jérôme Miara, PDG du groupe Obea. Si la croissance baisse, le niveau de satisfaction recule l’an-née d’après. Idem si elle repart.

L’évolution de la courbe de « satisfactionde la situation professionnelle » reproduitainsi en 2010 et en 2013 le « double dip » (double creux récessif) de la croissance du PIB, qui a nourri l’actualité économiqueen 2009 et 2012. Double choc qu’on retrouvesur la courbe du chômage sous forme depics, un an après, en 2010 et en 2013.

UNE AMORCE DE DIALOGUE

La satisfaction des salariés en 2015 peut sur-prendre, au regard de l’évolution du marché de l’emploi : le taux de chômage était tou-jours de 10,3 % au premier trimestre 2015, contre 8,4 % en 2007. Les salariés interrogés sont pleinement conscients du problème. Lestrois quarts d’entre eux estiment que la con-joncture économique a un impact « impor-tant » ou « très important » sur l’activité de leur entreprise. 54 % ne croient pas « pouvoir trouver facilement un emploi dans une autre entreprise ». Et c’est de plus en plus difficile pour les jeunes dont l’intégration dans l’en-treprise a reculé. 59 % des salariés interrogés constatent que les jeunes « mettent du temps à trouver leur place » ou « ne trouvent pas leurplace » dans leur entreprise, contre 44 %en 2013. « Il y a beaucoup de ruptures de con-trat dans la première année chez les jeunes », précise l’étude.

La satisfaction des salariés ne tiendrait-ellequ’à la croyance au retour de la croissance

que de nombreux économistes voient poin-dre à l’horizon ? « Pour comprendre ce qui se joue dans l’activité, il faut (…) replacer [le tra-vail] dans sa double dimension d’opérateurd’identité et de producteur du lien social », ex-plique Guy Jobert, ethnologue du monde du travail, dans son dernier livre, Exister au tra-vail, les hommes du nucléaire (Ed. Erès, 2014). Autrement dit, le travail ne s’arrête pas à l’em-ploi occupé et au salaire versé. « Faute de trouver la reconnaissance dans le lien salarial, [les salariés] peuvent l’espérer du rapport di-rect avec le réel du travail, sous le regard d’autrui », poursuit ce professeur dans le même essai.

C’est là que réside la principale explicationde l’amélioration du taux de satisfaction des salariés en 2015. Ils se sentent de mieux enmieux respectés et écoutés. 55 % ont le senti-ment d’être écoutés par les managers de leur entreprise (contre 46 % en 2013) et 68 % se sentent respectés, contre 61 % sur la même période. « Le développement managérial et l’attention aux salariés ont porté leurs fruits », remarque M. Miara.

Le dialogue a en effet été amorcé dans lesentreprises, d’une part pour réagir aux ris-ques psychosociaux et d’autre part pour dé-finir avec les partenaires sociaux le périmè-tre de la qualité de vie au travail, en prépara-tion de la loi sur le dialogue social adoptée le2 juin en première lecture à l’Assemblée na-tionale.

Depuis 2008, les directions des ressourceshumaines ont été amenées à réfléchir à la re-connaissance du travail, à la sécurisation des parcours professionnels et à toutes les constituantes de l’engagement au travail,dont la marge de manœuvre des salariés, la transparence. A partir de 2010, des espaces de discussion ont été créés au sein des entre-prises. L’objectif était de redonner la paroleaux salariés, de rendre le travail plus « visi-ble », plus « parlant ».

« A travers le jugement porté par autrui surl’ingéniosité déployée par un sujet dans l’acti-vité, celui-ci peut espérer être reconnu », ex-plique Guy Jobert. Comme en témoigne lerécit que fait Nadir Abdelgaber de son travailde caissier en grande surface : « Chaque tic-ket de caisse est unique, écrit-il. Dans sonnombre de plis, dans sa forme finale après pliage, il peut me faire sentir organisé et bon travailleur, comme il peut m’énerver et me stresser en un très court instant… » Puis il poursuit : « Dans le pliage de ticket, je vois la dernière occasion qu’a le client de juger mon

LES MOINS DE 30 ANS SONT BEAUCOUP PLUS

NOMBREUX À ÊTRE INQUIETS QUANT À LA PÉRENNITÉ DE LEUR MÉTIER

l’intégralité des résultats del’enquête concernant le regard dessalariés sur le management deleur entreprise sera publiée jeudi18 juin, lors de la remise du Tro-phée du capital humain. Cet évé-nement, créé en 2009 par le cabi-net de conseil en recrutement Mi-chael Page, en partenariat avec LeMonde, salue les bonnes initiati-ves des grandes entreprises. Il nes’agit pas d’établir un classement de la vertu dans le monde du tra-vail, mais d’encourager les bonnespratiques de management de cesétablissements.

Depuis 2013, le Trophée s’estélargi du CAC 40 aux entreprises

de plus de 15 000 salariés apparte-nant au SBF 120. En 2015, il s’étend à nouveau aux groupes de plus de 10 000 salariés du SBF 120, auxgroupes non français avec plus de5 000 salariés en France et enfin aux groupes français non cotésqui comptent plus de 10 000 sala-riés.

Le trophée récompense l’ensem-ble de la politique de ressourceshumaines sur quatre critères : l’engagement du management ;l’originalité des dispositifs mis enplace ; leur impact sur les salariésde l’entreprise, et enfin la cohé-rence de la politique conduite avecla stratégie du groupe.

Pour cette septième édition, lesquatre finalistes sont : L’Oréal, Ac-cor, Orange et Safran. Leurs candi-datures mettent en avant, dans l’ordre, la marque employeur et l’expérience des candidats, l’atten-tion aux talents locaux dans lastratégie de mondialisation, latransformation numérique au ser-vice des salariés, et enfin, pour Sa-fran, la politique d’apprentissage au service de l’emploi.

Les précédents lauréats ont étéMichelin en 2014, Pernod Ricard(2013), Air Liquide (2012), la Compa-gnie Saint-Gobain (2011), le GroupeL’Oréal (2010) et Vinci (2009). p

a. rr

Les quatre finalistes du Trophée du capital humain 2015

Page 2: Les salariés face à la reconnaissance au travail

0123MARDI 16 JUIN 2015 dossier | 7

travail, et peut-être est-ce mauvais de se de-mander à outrance comment les clients me voient ? » Il se passe quelque chose quandon écrit sur son travail. « La prise de distance,la différence de temporalité, permet de faire surgir le non-dit positif du travail. Ecrire pour s’adresser aux autres oblige à tenir des pro-pos plus élaborés et à relativiser les obliga-tions ou la responsabilité de chacun », remar-que Patrice Bride, ex-rédacteur en chef des Cahiers pédagogiques.

La controverse professionnelle développéedans l’entreprise, et plus largement en de-hors, a ainsi amélioré la reconnaissance du travail par une meilleure connaissance : la part des salariés qui se sentent « tout à fait respectés dans leur entreprise » a plus que doublé en deux ans, indique l’enquête Obea.

Les récits du travail ont permis « de com-prendre ce qui se joue dans le travail pour unepersonne et un collectif dans une perspective d’ajustement, pour faire évoluer les choses », explique Patrice Bride, qui lancera àl’automne le journal Dire le travail, un médiade récits du travail ouvert à tous, dont le blog « Direletravail. coop » donne un pre-mier aperçu, dont le texte de Nadir Abdelga-ber.

« L’aspiration à écrire sur ces pratiques estlarge, même si le sujet, délicat, soulève des ré-ticences auprès des cadres, liées à la difficulté de distinguer le récit du travail du reporting [mesure du travail par des indicateurs], notePatrice Bride. Le cercle des contributeurs s’est considérablement élargi du fait du numéri-que. »

L’arrivée du numérique participe de l’amé-lioration de l’expression directe sur le lieu detravail. Le premier bénéfice perçu par 83 %de salariés est d’« avoir un meilleur accès auxinformations utiles ». 64 % affirment que, grâce au digital, ils trouvent « plus facile-ment les bons interlocuteurs, les personnes avec lesquelles travailler ». Conséquence ? 75 % estiment « être plus efficaces et plus pro-ductifs », 69 % disent « être plus innovants ». Autant de motifs de satisfaction.

87 % de ceux qui managent dix personnesau moins estiment que l’impact du numéri-que sur leur travail quotidien est « impor-tant », c’est aussi le cas de 83 % des cadres et des professions intermédiaires et de 75 % de l’ensemble des salariés. Un tiers (32 %) juge même qu’il est « très important ».

Mais la transformation numérique réserveaussi ses mauvaises surprises. « Il est très in-quiétant de constater que seul un quart des

salariés estime que leur métier est menacé par le développement des outils numériques. Ce faible taux reflète un manque de prise de conscience des dirigeants et un retard sur le travail de sensibilisation des salariés », ana-lyse Jérôme Miara. De fait, les moins de 30 ans, qui appartiennent à la génération des « digital natives », sont beaucoup plusnombreux (39 %) à être inquiets quant à la pérennité de leur métier.

PRISE DE DISTANCE

« 30 % des métiers qui sont exercés aujourd’hui ne le seront plus en 2030 », con-firme Florence Poivey, chargée de la forma-tion professionnelle au Medef. « Qui serontces femmes et ces hommes dont on suppri-mera l’emploi et qui seront à leur tour tarau-dés par ce sentiment de n’être que des moins-que-rien ? », interpelle Ghislaine Tormosdans son émouvant récit sur la fermeturedu site PSA d’Aulnay-sous-Bois (Le Salaire dela vie, éd. Don Quichotte, 2014). « Chaquejour, en ouvrant son journal ou en allumantla télé, on s’interroge. Les salariés de La Re-doute, d’Alcatel-Lucent, de Tilly-Sabco, de Fa-gorBrandt, de Lagardère, de la Société géné-rale ? Plus de mille PSE en un an », écrit-elle.

Les salariés ont logiquement pris leursdistances par rapport à l’entreprise. Le con-cept de partage des valeurs de l’entreprise aperdu des points : – 14 points en deux ans.Aujourd’hui, un salarié sur cinq ne partage pas les valeurs de l’entreprise, contre un surdix en 2013.

Seuls 10 % considèrent que la culture del’entreprise et ses valeurs sont un élément de motivation à poursuivre leur carrièredans leur entreprise. 41 % estiment d’ailleurs que l’image de leur entreprisedans la presse ou les réseaux sociaux n’estpas « fidèle à la réalité ». Leur première mo-tivation, c’est « la stabilité de l’emploi ».

Alors de quelle satisfaction parle-t-on ?« Les salariés ont pris acte que la situationactuelle était amenée à durer et l’intègrent dans leur appréciation », explique M. Miara.La fierté d’appartenance à l’entreprise, tou-jours importante, n’a d’ailleurs quasiment pas progressé en deux ans, contrairementaux autres indicateurs. Plus que confiants,les salariés des grandes entreprises sont lu-cides et vigilants. Ils restent « fidèles par dé-faut », selon l’expression de M. Miara. Ce àquoi ils croient désormais et sur lequel re-pose la bonne image de l’entreprise, c’est « la qualité de vie au travail ». p

Le baromètre de la confianceLes salariés se sentent plus respectés et mieux écoutés

Avec le numérique, ils sont mieux informés

Les salariés prennent leurs distances avec les valeurs de l’entreprise

Mais la conjoncture reste un motif d’inquiétude

AVEZ-VOUS, LE SENTIMENT QUE LE MANAGEMENT

DE VOTRE ENTREPRISE VOUS... ?

COMMENT QUALIFIERIEZ-VOUS L’IMPACT

DU NUMÉRIQUE SUR VOTRE TRAVAIL AU QUOTIDIEN ?

SELON VOUS, QUEL EST L’IMPACT DE LA CONJONCTURE

ÉCONOMIQUE ACTUELLE SUR L’ACTIVITÉ DE VOTRE

ENTREPRISE ?

PARMI LA LISTE SUIVANTE, QUELS ÉLÉMENTS VOUS

MOTIVENT POUR LA POURSUITE DE VOTRE CARRIÈRE

AU SEIN DE VOTRE ENTREPRISE ?

QUELS SONT, POUR VOUS, LES PRINCIPAUX

BÉNÉFICES DU NUMÉRIQUE DANS VOTRE TRAVAIL

AU QUOTIDIEN ?

ETES-VOUS FIER(ÈRE) D’APPARTENIR À L’ENTREPRISE

DANS LAQUELLE VOUS TRAVAILLEZ ?

DIRIEZ-VOUS QUE VOUS PARTAGEZ LES VALEURS

DE VOTRE ENTREPRISE ?

TROUVEZ-VOUS QUE L’IMAGE DE VOTRE ENTREPRISE

DANS LA PRESSE, SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX...

SOIT ASSEZ FIDÈLE À LA RÉALITÉ ?

Respecte

Avoir un meilleur accés aux informations utiles

La stabilité de l’emploi

La sécurité de l’emploi

Le développement professionnel

La notoriété de ses produits et services

L’engagement de l’entreprise

Votre métier

Votre salaire

Les relations avec vos collègues

Les perspectives d’évolution

L’image de votre entreprise

La culture de l’entreprise, ses valeurs

Les jeunes ne trouvent pas leur place(8 % en 2013)

Les jeunes mettentdu temps avant de trouver leur place(36 % en 2013)

Les jeunes trouventfacilement

leur place(56 % en 2013)

Etre plus efficace, plus productif

Etre plus innovant

Pouvoir travailler à distance

Ecoute

Non Non

Oui Oui

Non

Oui

Fierté d’appartenance

à l’entreprise

Satisfaction vis-à-vis

de sa situation

professionnelle

Respect

Ecoute

73

80

85

8081

74

63

52

74

61

46

76

69

54

71

68

49

72

59

45

SOURCE : OBEA

Le baromètre de la confianceFierté d’appartenance

à l’entreprise

Satisfaction vis-à-vis

de sa situation

professionnelle

Respect

Ecoute

73

80

85

8081

74

63

52

74

61

46

76

69

54

71

68

49

72

59

452013 2015 2013 2015

2010 2011 2012 2013 2014 2015

2013 2015

82

79

68

55

6168

39 32

46

55

54 45

à 75 %

Important

à 75 %

Important

ESTIMEZ-VOUS POUVOIR TROUVER FACILEMENT UN

EMPLOI DANS UNE AUTRE ENTREPRISE ?

à 54 %

non

à 41 %

non

COMMENT QUALIFIERIEZ-VOUS L’INTÉGRATION

DES JEUNES AU SEIN DE VOTRE ENTREPRISE ?

DIRIEZ-VOUS QUE DE MANIÈRE GÉNÉRALE...

48 % 41 %

11 %

*Ne connaissent pas les valeurs de l’entreprise

83

75

69

66

Enquête réalisée du 7 au 13 mai 2015 auprès d’un échantillon

représentatif (méthode des quotas) de 1 000 salariés

d’entreprises de plus de 1 000 personnes.

Questionnaire autoadministré en ligne.

50

40

33

23

16

10

10

80

20

82

18

Non

Oui

2013 2015

89

11

75

19

6*

SELON VOUS, UNE BONNE IMAGE DE L’EMPLOYEUR

REPOSE AVANT TOUT SUR...

59

35

30

13

9

La qualité de vie au travail

« Les espaces de discussion améliorent la qualité de vie au travail »Pour Hervé Lanouzière, directeur de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, respect et écoute redonnent aux salariés « sens et ressource »

ENTRETIEN

H ervé Lanouzière est di-recteur de l’Agence natio-nale pour l’amélioration

des conditions de travail (Anact).

L’Anact publie, lundi 15 juin, les résultats de son enquête sur le dialogue en entreprise, menée fin mars auprès de 1 000 sala-riés. Elle révèle que 69 % d’entre eux pensent que les espaces de discussion pourraient amélio-rer leur qualité de vie au travail. Quelle en est votre définition ?

Vaste question. Pour faire sim-ple, je dirais que la qualité de vie autravail est l’ensemble des attributs du travail qui donnent simultané-ment satisfaction au client, à l’usa-ger, à l’employeur et au salarié.

Les salariés associent-ils écoute et respect à la qualité de vie au travail ?

Oui. C’est le cœur du sujet de laqualité de vie au travail. Lorsque les salariés ont le sentiment quetout déboule du haut, ils le viventcomme du mépris, comme un manque de respect, qui génère du désengagement. De nombreux sondages réalisés après 2010 ontsouligné le manque de respect res-senti. Le seul moyen d’en sortir a été de redonner la parole aux sala-riés. Car la simple parole redonne du pouvoir d’agir. Les entreprisesconfrontées aux chocs des risques psychosociaux ont spontanémentmis en place des premiers espaces de discussion, où les salariés re-prenaient la main sur le travail.

A la direction générale du tra-vail, vous avez piloté la cellule « risques psychosociaux » mise en place en 2010. Depuis, l’Accord national interprofes-sionnel du 19 juin 2013 a encou-ragé les entreprises à dévelop-per les espaces de discussion. Comment sont-ils utilisés ?

Les espaces de discussion ontcommencé à se développer dans les années 2010 et sont encore peu nombreux. Ils sont de trois ordres :des espaces de résolution de pro-blème où la situation de travail est décortiquée pour comprendre l’origine des difficultés ; des lieux de partage de pratiques pour aug-menter les repères communs, les savoir-faire métier et monter encompétences ; enfin, des espaces de régulation collective pour co-construire des solutions avant un grand projet anxiogène comme un déménagement ou une fusion, par exemple.

Quelle est leur incidence dans l’entreprise ?

C’est un peu tôt pour en faire unbilan. Mais le retour des salariés estsystématiquement positif, si cela setraduit par des modifications con-crètes dans leur quotidien ou si celaleur redonne une capacité à agir. Vis-à-vis des directions, ces espacesont amélioré la connaissance du terrain, réduisant l’écart entre le re-porting [indicateur de résultats] et la réalité du travail. Enfin, à l’égard des syndicats, ils ont rétabli la visi-bilité du travail. Certaines organi-sations syndicales ont reconnu avoir tellement voulu défendre

l’emploi et les statuts, qu’elles en avaient oublié les hommes et leur quotidien de travail.

Diriez-vous que la qualité de vie au travail s’est améliorée depuis 2010 ?

De nombreux sondages expri-ment une satisfaction des salariés, mais il n’y a pas de modèle univer-sel. La qualité de vie au travail, c’est de la régulation permanente. Un changement de manageur, une nouvelle organisation du travail et tout peut basculer. Au sein d’une même entreprise, des services vontbien, tandis que d’autres non. Il y a encore beaucoup d’entreprises où les salariés sont en souffrance.

La qualité de vie au travail est uneffort sans fin. Mais la prise de conscience est réelle. Les entrepri-ses ont compris que l’améliora-tion de la qualité de vie au travail réside dans le travail lui-même, davantage que dans l’environne-ment du travail (sport au travail,crèches, services, loisirs…). Il s’agitde comprendre comment le tra-vailleur retrouve du sens, de laressource. De nombreuses entre-prises l’ont compris, qui tra-vaillent désormais sur les référen-tiels de compétences des mana-geurs. La question est, d’une part,d’outiller les cadres pour managerle travail et ses transformations,et non seulement des systèmes et,d’autre part, faire en sorte que sa-lariés, représentants du person-nel et manageurs soient prêts à sedire et entendre professionnelle-ment les choses. p

propos recueillis par a. rr