96
L’IMPACT DU WEB 2.0 SUR LA PROMOTION DU RAP de 1975 à 2015 Mémoire en vue de l’obtention du Master Droit, Economie et Gestion, Mention Etudes Politiques, Spécialité Management de l’information stratégique d’Aix-en-Provence / Académie Aix-Marseille. Et en vue de l’obtention du Master Stratégie de Communication Digitale de L’Institut des Médias de Lyon / ISCPA Réalisé par Jeanne LE GARREC Date de soutenance : septembre 2016 Note : B mention AB Tuteur : Régis Veydarier

Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

L’IMPACT DU WEB 2.0 SUR LA PROMOTION DU RAP

de 1975à 2015

Mémoire en vue de l’obtention du Master Droit, Economie et Gestion, Mention Etudes Politiques, Spécialité Management de l’information

stratégique d’Aix-en-Provence / Académie Aix-Marseille.Et en vue de l’obtention du Master Stratégie de Communication Digitale

de L’Institut des Médias de Lyon / ISCPA

Réalisé par Jeanne LE GARREC

Date de soutenance : septembre 2016

Note : B mention AB

Tuteur : Régis Veydarier

Page 2: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

« Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteur et n’engagent pas l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence et éventuellement toute autre structure concernée ».

Page 3: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

SOMMAIREIntroduction

I- La culture Hip-Hop, une image de la société contemporaine de 1975 à 2005

A-Emergence de la culture Hip-Hop de 1975 à 1985

B-Une culture rap qui se popularise de 1985 à 1995

C-Une culture en phase de transformation de 1995 à 2005

II- L’essor du web 2.0 et son impact dans la culture rap

A-Généralisation de la culture rap

B-Un « court-circuit » dans l’accès au succès

C-La révolution des outils numériques comme moyen

de diffusion et de promotion

D-Un espace médiatique valorisé

III-Les nouvelles stratégies de communication et de diffusion des artistes rap

A-Acculturation

B-Acquisition

C-Fidélisation

Conclusion

Bibliographie

Interviews

Je tiens à exprimer toute ma gratitude aux nombreuses personnes (enseignants, professionnels, famille et amis) qui m’ont accompa-gnée lors de ma formation et m’ont épaulée dans la rédaction de mon mémoire de fin d’études.

Je remercie les enseignants de l’ISCPA de Lyon, notamment Pa-trick Girard, directeur pédagogique, pour m’avoir tous offert un enseignement d’experts en communication et permis de mieux comprendre les enjeux des outils numériques dans nos modes de communication.

Je remercie Régis Veydarier, mon directeur de mémoire, qui a su me guider et me conseiller sur cet exercice, ainsi que les interve-nants de Sciences Po Aix-en-Provence pour le savoir qu’ils ont su me transmettre.

Je remercie Luigi -producteur de musique- qui a partagé avec moi ses connaissances et son réseau du milieu Hip Hop et apporté son expertise sur mon sujet.

Je souhaite également remercier les professionnels et les artistes qui m’ont accordé de leur temps pour répondre aux questions: Cyanure -rappeur du groupe ATK-, Dj Mad Rey -disc-jockey-, Hugo Ferrandis -rédacteur en chef du webmagazine Hip-Hop français « The BackPakerz »-, Fred Musa, -animateur radio de l’émission « Planète Rap » sur Skyrock-, Karim Thiam, -Consulting, publi-shing, marketing à H24 Musik – Ancien directeur marketing chez Small (Warner) et directeur artistique urbain chez Sony Music-, Pascal Dinh, alias Tetzwo, - ancien rédacteur en chef pour le we-bmagazine Hip-Hop « lehiphop.com »- et Genono, -journaliste et animateur radio rap sur Le Mouv-. Je remercie également tous ceux qui ont répondu et participé à mon questionnaire sur Facebook ainsi que ma colocataire et amie Faustine pour son aide.

Enfin, je tiens à remercier mes parents, Anne et Jean-Pierre, pour leur soutien, leurs encouragements, leurs conseils avisés tout au long de l’exercice de ce mémoire et la patience dont ils ont fait preuve à la relecture de celui-ci.

REMERCIEMENTS

Page 4: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

INTRODUCTION

Rappait l’artiste américain Notorious Big en 1999, phrase que nous pourrions traduire en français par : « Vous n’auriez jamais pensé que le Hip-Hop aurait été aussi loin / nous aurait emmené aussi loin ».

La culture Hip-Hop, et plus particulière-ment, la musique rap dont elle est issue, sont depuis plus de trente ans en France d’intrigants sujets de recherche pour les Sciences Sociales. Toutes deux interrogent beaucoup, tant par leur forme que par leur contenu et peuvent être envisagées comme des mouvements ayant évolué de manière ascendante à travers le temps et l’espace. D’abord méconnus et ignorés, ils atteignent aujourd’hui le plus haut des sommets de la reconnaissance. Aujourd’hui, le rap est la musique la plus écoutée en France et la culture Hip-Hop est à la mode. Née à New-York dans les années soixante-dix, dans les ghettos isolés Afro-Améri-cains, la musique rap, longtemps contro-versée et mal considérée, s’est exportée à travers le monde pour devenir, en 2016, la musique la plus représentée sur le réseau mondial d’Internet.

Le XXIe siècle, marqué par la démocrati-sation de la connectivité a introduit les ou-tils numériques dans nos quotidiens, ré-volutionnant notre accès au savoir et à la connaissance. Cette ouverture, aujourd’hui permanente et facile aux archives et à l’in-formation mondiale, a conduit la société à se transformer et à évoluer. Faisant suite à une longue période où l’information nous était diffusée, une ère de conversation et d’interaction entre informateurs et infor-més est dorénavant possible. Depuis 2005, de nombreux acteurs innovants ont bouscu-lé le marché du numérique en positionnant les utilisateurs au centre des usages et des outils développés. Nouvel espace d’interac-tion, Internet devient le premier catalyseur social et de partage.

La culture rap, longtemps censurée de la scène médiatique s’est finalement trouvée une place imposante au sein du web colla-boratif. Aujourd’hui, de nombreux projets artistiques sont diffusés quotidiennement sur les réseaux sociaux et sur les plate-formes d’écoute. Quarante ans après la naissance du Hip-Hop, la problématique des artistes rap n’est pas de savoir com-ment diffuser leur musique mais comment se faire connaître au travers de l’immensité du réseau Internet mondial.

«"You never thought that

Hip-Hop would take this far"

Page 5: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

I LA CULTURE HIP-HOP, UNE IMAGE DE LA SOCIÉTÉ CONTEMPORAINEde 1975

à 2005L’histoire de la culture Hip-Hop, s’est fon-dée sur une multitude d’influences cultu-relles populaires et ethniques. La culture Hip-Hop est née d’un contexte particulier dans un espace particulier. Elle s’est créée dans un élan d’espoir, d’échappatoire à un système en perdition, elle fût la lumière dans l’obscurité pour un grand nombre d’individus et continue de vivre aujourd’hui à travers le temps et l’espace.

1975- 1985

1. Emergence de la culture Hip-Hop

Images: Le gang new-yorkais militant The Ghetto Brothers préfigurait la naissance de la culture hip-hop.

Page 6: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Hélène Taddei-Lawson, dans son article « Le mouvement Hip-Hop », retrace les origines de cette culture Hip-Hop. Elle nous rappelle, que depuis l’histoire de l’humanité, nous nous transmettons de génération en génération la mémoire des Hommes.

C’est en Afrique que la culture Hip-Hop trouve ses premières « cellules d’ADN », les subsahariens, les Xhosas d’Afrique australe, se transmettaient les traditions populaires par le langage et la gestuelle. Une première forme d’expression poétique voit le jour sur ces terres dont la prononciation et le choix des mots deviennent de réelles performances artistiques .

Le colonialisme et les échanges du triangle d’or du début du XXème siècle amènent au milieu des champs de co-ton Nord-Américains une évolution de ces traditions orales: ces hommes qui content par les work songs les dou-leurs du peuple africain vont donner naissance à un premier courant musi-cal: le blues.

Hélène Taddei-Lawson, « Le mouvement Hip-Hop », Revue Insistance, 2005/1 no1, P187

Les work songs : chants de travail – chansons chantées par des hommes et des femmes a cappella

ORIGINE ET CONTEXTE

Page 7: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

"Quand débuta, en 1959, la

construction de l’autoroute

qui devait traverser le Bronx,

les entreprises et les usines se

déplacèrent, entraînant avec

elles une bonne partie de la

classe moyenne vers les confins

nord du quartier. La valeur de

l’immobilier chuta en consé-

quence et des propriétaires peu

scrupuleux firent leur

apparition, rachetant les

taudis et cherchant à tirer le

moindre profit de leur nouvelle

propriété sans se soucier du

développement du quartier."

La lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis dans les années soixante donne lieu aux prémices d’une affirmation d’identité Noire et au mouvement du Black Power - Pou-voir Noir -. Soutenu par le président démocrate John F. Kennedy, le célèbre orateur Martin Luther King prononce, le 23 août 1963, un dis-cours fondamental pour la culture Hip-Hop : « I have a dream ». Par ce discours, le militant non violent, incite les communautés Noires-Améri-caines à affirmer leur identité et à être fières de leurs héritages culturels tout en invoquant la paix et une lutte pacifiste contre la discrimi-nation raciale. Cette même année, l’assassinat du président John F. Kennedy plonge le pays dans une forte crise sociale. En 1965 Malcom X, le porte parole du mouvement des Black Muslims qui milite pour le pouvoir noir, est également assassiné ; puis c’est au tour de Martin Luther King, en 1968, de succomber aux balles de James Earl Rey, un extrémiste Blanc-Américain. Durant cette décennie, la forte industrialisation et l’enrichissement croissant des Etats-Unis vont transformer les villes : alors qu’une ma-jorité de Blancs-Américains déménage dans les chics banlieues, s’emparant de l’American dream, -le rêve américain-, les ghettos majo-ritairement Afro-Américains et hispaniques sont laissés à l’abandon et à une misère gran-dissante.

Le Black Power est un mouvement politique à la fin des années soixante aux Etats-Unis qui correspond à une grande prise de conscience des Noirs contre le racisme et le vote en faveur de leurs droits civiques. Le mouvement prône que tout progrès futur doit nécessairement passer par un pouvoir politique noir indé-pendant et est soutenu par le leader Martin Luther King. Les Black Muslims sont un groupe de militants qui défendent l’idée que les Noirs doivent se libérer de la subordination des Blancs, Ils sou-tiennent le droit de répondre par la violence aux agressions violentes dont la communauté noire fait l’ob-jet. Ce mouvement va donner lieu quelques années plus tard au mou-vement des Black Panthers qui sera l’organisation militante la plus im-portante pour le pouvoir noir.

Citation : S.H.Fernando J.r., « The new beats : culture, musique et at-titude du hip-hop », Editions Kargo, 2000,

Page 8: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

De nombreuses émeutes éclatent alors entre les forces de l’ordre et les communautés les plus défavorisées, et ce dans tout le pays. Les jeunes se rebellent contre le chômage crois-sant qui touche les travailleurs noirs ainsi que contre les conditions dis-criminatoires de travail qui leur sont imposées. Les habitants des ghettos se replient sur eux-mêmes, et les gangs prennent un pouvoir impor-tant et instituent leurs propres lois : pauvreté, drogue et violence de-viennent le quotidien de ces zones urbaines anarchiques. Au début des années 70 dans les quartiers New-Yorkais comme Harlem, Brooklyn et le Bronx, la violence est telle que ni les ambulances, ni la police n’osent s’y aventurer.

L'isolement est total

Page 9: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Ce cloisonnement engendre un métissage des différentes cultures en présence au sein des ghettos. Des artistes comme les Last Poets, James Brown, Stevie Wonder ou encore Gill Scott Heron ré-exploitent l’essence des conteurs africains, qui se mélange avec le toasting ou deejaying ja-maïcain ou encore, avec les sonorités funk et soul qui passent sur les ondes de la radio américaine.

Hélène Taddei-Lawson le relève égale-ment dans son analyse : « Des courants musicaux comme le gospel, le jazz, la sal-sa, le reggae coexistaient déjà, scellant la rencontre entre cultures africaine, porto-ricaine, jamaïcaine et occidentale. »

Ce melting-pot annonciateur de la culture Hip-Hop, apporte un nouvel état d’esprit créatif, saisissant la musique comme un nouveau mode d’expression et de revendi-cation.

Les premières Block Parties voient le jour dans les quartiers isolés et fédèrent leurs habitants autour d’un air festif. Les jeunes DJ - abréviation de disque-jockey - branchent illégalement leurs systèmes sons aux groupes électrogènes des rues et font danser la jeunesse sur des rythmes hétéroclites.

Après le Black Power, le Black Art – Art Noir - fait son apparition au début des années 70 et va prendre son sens notam-ment à travers ces rassemblements fes-tifs. L’une des premières branches de ce nouveau genre est le Djing. Le disque-joc-key – DJ - articule sa prestation musicale à l’aide de deux platines vinyles, d’une table de mixage et d’un amplificateur. Il com-pose ainsi un nouveau morceau original.

Le toasting ou le deejaying : pratique vocale jamaïcaine utilisée dans plusieurs traditions africaines, désignant une façon de chanter

monotone sur un rythme ou un battement sonore

Les Blocks Parties: fêtes de quartier improvisées dont les premières furent organisées dans le quartier du Bronx

Le Djing : prestation musicale à l’aide de platines vinyles

La Breakdance: danse Hip-Hop caractérisée par son aspect acrobatique et ses figures au sol

La Popping: danse caractérisée par des mouvements décomposés imitant les robots

Le Double-dutch: sport de saut à la corde

Les B-Boys/ B-Girls: danseurs de Hip-Hop

Le légendaire Jamaïcain Clive Campbell, alias Kool Herc va marquer son temps en inventant le « Beat Break » qui consiste à extraire quelques secondes d’un morceau de musique pour tenir en haleine le public, puis en intensifier le volume afin de créer une émotion déchainée chez ce dernier. Pour animer ces nouvelles boucles ryth-miques, les DJ demandent à des maîtres de cérémonies, appelés MC, de scander - « rapping » en anglais - des paroles de poèmes, ou, d’improviser des phrases poi-gnantes visant à chauffer le public et fai-sant du MC le digne représentant de ce dernier sur scène. Le mélange frénétique de cultures africaine, reggae, jazz, funk et de paroles saisissantes permet aux jeunes danseurs de développer de nouveaux mou-vement inédits et déstructurés qui donne-ront lieu au breakdance , au popping et au double-dutch et naissance à des danseurs que l’on appellera à cet effet B-Boys et B-Girls .

Enfin, le courant artistique prendra sons sens visuel à travers les fresques stylisées de graffitis et de signatures vandales, les tags, qui orneront les murs de la ville de New-York et les trames de métro qui re-lient les quartiers défavorisés au centre prospère de Manhattan. Les graffeurs-tag-gers appelés également writers – écrivains - utilisent les bombes aérosols comme moyen d’expression identitaire en inscri-vant leur nom, suivi du numéro de leur rue, sur les murs. Empruntant au muralisme mexicain des années trente, sa forme ar-tistique descriptive et narrative, les writers s’affrontent typographiquement et graphi-quement afin d’obtenir notoriété et respect de leurs pairs.

Page 10: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015
Page 11: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

C’est sur ce terreau d’états d’esprits positifs et créatifs, nourris par les événements socio-politiques propres aux revendications civiques des Noirs Américains et à leur isolement au sein des ghettos afro-américains et his-paniques, qu’émerge la culture Hip-Hop. L’auteur, Hélène Taddei-Lawson, ajoute à ses propos que le cloisonnement urbain et la promiscuité des dif-férentes communautés soumises à la misère sociale enclenchèrent un processus créatif : « L’Homme est dans une boucle interactive avec son environnement. Il se laisse approprier par l’espace et se l’approprie en y inscrivant le style de sa présence. (...) Ainsi, le cloisonnement n’est plus un obstacle à la communication mais une base de départ pour en établir une. »

Le flow: manière qu’a un rappeur de débiter ses paroles

Kevin Smith : DJ du club Disco Fever à la fin des années 70 et MC célèbre du Bronx

DJ Luv Big Starski : DJ et MC qui fut le premier à donner rendez-vous au public dans un stade

Citation : S.H.Fernando J.r., « The new beats : culture, musique et attitude du hip-hop »,

Editions Kargo, 2000,

NAISSANCE DU HIP-HOP: VALEURS ET CODE MORAL

Certains

considèrent

la musique

comme un

divertissement,

alors qu’en fait

elle est l’une

des plus intimes

réflexions d’une

culture.

Le terme Hip-Hop trouve ses origines dans l’argot urbain, et plus spécifiquement l’argot des quartiers noirs américains : « Hip » pro-vient du mot « hep » qui a différentes signi-fications, telles que « avoir une attitude, une position », « être en compétition », « être à la mode » et « la débrouillardise » dans le sens « être malin ». Le « Hop » quant à lui, est l’onomatopée du saut, qui donne lieu au verbe « to hop », qui signifie danser. L’expression « Hip-Hop » s’est imposée d’elle-même pour désigner la danse des B-boys, puis en ryth-mant le flow des MC’s lors des rassemble-ments des blocks parties du Bronx. D’un point de vue littéraire, le Hip-Hop est une vision de la société qui invite au progrès, à agir (hop), avec conscience (hip), à évoluer socialement, mais dans une démarche créative. Ce sont les DJs du Bronx, Kevin Smith et DJ Luv Big Starski, qui introduisent l’expression comme mouvement artistique.

En ce sens, l’homme qui va introduire et fédérer la jeunesse autour du Hip-Hop comme culture et mode de pensée s’appelle Kevin Donovan, alias Afrika Bambaataa, père fondateur de la Zulu Nation.

L’histoire de Kevin Donovan est légendaire. Au début des années soixante-dix, il est le chef de gang des Bronx River Projects qui est rattaché au célèbre gang des Black Spades du Bronx. En 1973, lassé par la violence omniprésente de son quotidien, il commence à se désintéresser des guerres de territoires, et découvre le Djing. Il se lance comme disc-jockey. Il trouve la source de son pseudonyme dans le film de son enfance Shaka Zulu en hommage au nom du chef d’une tribu Zulu sud-africaine : Afrika Bambaataa. Il rejoint The Organisation, une sorte de rassem-blement d’individus refusant l’oppression des gangs et qui proposent une alternative pacifiste en organisant des soirées dans la rue où la mu-sique et la danse sont les seules armes auto-risées. Les première battles virent le jour en partie grâce à cette démarche pro-pacifiste. En janvier 1975, le meilleur ami de Kevin, Soulski, est assassiné lors d’une altercation entre son gang, les Black Spades, une bande adversaire, et la police.

Ce tragique événement va pousser Afrika Bam-baataa à quitter définitivement son gang, et l’in-citer à concrétiser le concept de The Organisa-tion en créant la Zulu Nation.

Le film « Zulu » retrace une bataille

du 19ieme siècle entre des troupes

coloniales britanniques et une tribu

Zulu sud-africaine – (film de guerre

britannique 1964)

A son origine, la Zulu Nation est une

tribu d’Afrique du sud qui est devenue

un empire sous le commandement de

Shaka Zulu, Zulu signifiant paradis -

Une battle : également appelé défi,

désigne les compétitions Hip-Hop où

les DJ, B-Boys et graffeurs peuvent

s’affronter

Images : Afrika Bambattaa

Page 12: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Afrika Bambaataa, va rassembler cette jeunesse pro-active et créative autour des nouvelles disci-plines artistiques émergentes : le djing, le rap, la danse et le graffiti, vers un dénominateur com-mun : le Hip-Hop. L’organisation a pour volonté de donner un cadre moral et un moyen d’identifi-cation à la jeunesse. De transformer l’énergie propre à la violence des gangs, en une énergie plus positive, en utilisant ces disciplines artistiques comme moyen d’ex-pression et de revendication. La Zulu Nation reprend les préceptes du Black Power et du mouvement des Black Panthers tels que la sagesse, la connaissance, la liberté, la justice et la paix, face à la violence. Vingt règles sont ainsi instituées . Il sacralise la culture Hip-Hop autour du leitmotiv « Peace, Love, Unity, Get Busy ! Moove ! Having Fun ! » - « Paix, Amour, Unité, s’occuper, bouger, avoir du plaisir ! »

La culture Hip-Hop, de ce fait, ne peut se vivre passivement. C’est une action qui se vit à travers un prisme défini. Les disciplines artistiques sont des moyens d’interventions, et non pas l’idéolo-gie de la culture Hip-Hop, il est tout à fait pos-sible d’« être Hip-Hop » sans forcément prati-quer une de ces disciplines. Ce qui fait que l’on est un membre Hip-Hop ou non, c’est un mode de vie positif, un degré d’implication, une attitude vis-à-vis de sa communauté. L’un des acteurs engagés dans la communauté Hip-Hop, l’artiste rap KRS-One appuie ces propos : « Hip hop is so-mething you live, rap is something you do ! » - « Le Hip-Hop est une chose que vous vivez, le Rap est une chose que vous faites ! » . -

Exercer une de ces disciplines doit amener au dépassement de soi, à la volonté de perfection-nement. C’est ainsi que les Battles prennent sens, ce sont des rituels incontournables pour être reconnus pas la communauté Hip-Hop.

« Ces défis pratiqués en cercle appelés égale-ment freestyles rappellent des rites d’initiations qui ouvrent la porte à l’insertion dans le groupe social.» .

Si la culture Hip-Hop a pu aussi bien s’expor-ter c’est qu’elle est ouverte à tous et prône des valeurs universelles et fondamentales telle le respect d’autrui. Elle s’évertue à lutter contre la ségrégation, la discrimination et le racisme. Elle ne définit aucune frontière d’appartenance ethnique ou sociale, la seule condition requise est d’avoir un esprit positif. La mixité culturelle et l’unité sont mises en avant comme de réelles forces et doivent être respectées par tous afin de combattre en profondeur les injustices sociales que subissent les populations défavorisées.

L’adoption d’une attitude non violente conduit à transformer la colère sociale en création artis-tique, et donc, à son extériorisation en quelque chose de positif et de constructif. Les battles rentrent ici en jeu comme une compétition or-ganisée où la pratique du freestyle est favori-sée en incitant les participants à s’approcher au maximum de la meilleure performance artis-tique. Le but est d’emporter le titre de gagnant le plus souvent desservi par le public, juge de la démonstration. L’artiste Chuck D du groupe de rap légendaire Public Enemy compare ces rassemblements à la « CNN » des ghettos où les rappeurs seraient les journalistes reporters des zones urbaines.

L’organisation et l’émergence de ce mouvement au sein des quartiers les plus défavorisés et en perdition ont pu être un de réels vecteurs d’es-poir pour la jeunesse et comme le souligne S.H Fernando J.R dans son ouvrage :

« Coïncidant avec la disparition des gangs de rue au milieu des années 1970, la Zulu Nation fédé-ra les énergies de hip-hop naissant : rappeurs, breakdancers et graffeur. Tandis que des équipes moins structurées perpétuaient l’hé-ritage des gangs, l’émulation au sein des diffé-rentes formes d’art de rue supplanta la violence qui avait autrefois régné ».

«Krs One, And the Temple of Hiphop - Spiritual Minded», (CD) Koch Records, 2002. FreeStyle : autre nom donné dans le rap à l’improvisation.CNN : Chaîne de télévision américaine d’information en continu créée en 1980

Page 13: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

LE RAP COMME SUJET D’ÉTUDE PLUS PARTICULIER

A travers ce mémoire, c’est à la discipline du rap que nous nous intéressons plus particuliè-rement, en effet c’est un vecteur de commu-nication parmi les plus populaires et les plus représentatifs de la culture Hip-Hop.

C’est suite à la démocratisation de la culture Hip-Hop dans les ghettos américains, le micro, aussi appelé « mic » dans le jargon Hip-Hop fit de plus en plus son apparition et prit une place particulière au sein du mouvement. Les MC saisissent les mots comme des armes et déchainent le public à coup de joute verbale: « durty dozen ».

C’est le tube Rapper’s Delight du groupe Shu-garHill Gang qui propulsa le rap à un autre ni-veau. Ce fut le premier morceau de rap pressé et diffusé par des propriétaires de labels des ghettos qui sentirent l’opportunité commer-ciale du rap. La mélodie de ce titre, aujourd’hui mondialement reconnue, permit de populari-ser le terme Hip-Hop à travers les frontières.

Le titre qui commence ainsi : « With a hip, hop the hipit, the hipidipit, hip, hip, hopit you don’t stop… » est un véritable appel à la fête qui ne doit jamais s’arrêter. Il se vendit à plus de deux millions d’exemplaires à l’époque et propulsa le rap sur les ondes française. Owlivier Cachin, journaliste expert en rap l’affirme :

« Tout article rapide sur l’histoire du rap dé-marre invariablement avec RAPPER’S DE-LIGHT » .

MC ou Master of ceremony : maître de cérémonie qui anime les soirées et les battles

Une durty dozen: joute verbale en argot afro-africain

Olivier CACHIN, « L’offensive rap », Découverte Gallimard », 1999, P 18

I said a hip hop, The hippie, the

hippie, To the hip, hip hop, and you don’t stop, a rock it To the bang

bang boogie, say, up jump the boogie, To the rhythm of the boogie, the beat.

L’année suivante, en 1980, le rappeur et pro-ducteur Kurtis Blow enregistre et diffuse le premier album de rap chez un major dont le titre The Breaks sorti en single sera la pre-mière chanson Hip-Hop à être certifiée disque d’or.

C’est à cette époque que le gouvernement du président Ronald Reagan prend de nouvelles mesures et s’attaque à l’Etat providence. En supprimant toutes les aides sociales, il laisse sombrer les ghettos dans la dépravation et la drogue : « Un paysage urbain qui ressemble à l’Enfer de Dante, des cafards dans la cuisine et des junkies dans le jardin public : La fête est finie, les années 80 viennent de commencer ». Le rap abandonne alors son air de fête et se politise. L’intonation est donnée par Grand Master Flash and the Furious Five en 1982 avec

le titre The Message qui dessine, pour la première fois, une triste vi-sion du quotidien des ghettos new-yorkais. Le refrain, qui crie un vé-ritable appel au secours et scande : « Don’t push me ‘cuz I’m close to the edge (...) » - « Ne me pousse pas, parce que je suis près du bord » - est devenu l’une des expressions les plus symboliques de la musique rap que se réapproprieront, plus tard à différentes époques, les fu-turs rappeurs qui lui succédèrent.

Single : enregistrement court, conte-

nant une face A avec une chanson ori-

ginale et une Face B avec un remix,

une instrumentale ou un enregistre-

ment a capella

Olivier Cachin, « L’offensive rap », Dé-

couverte Gallimard, 1999, P18.

Wikipédia, « The Message (Grandmas-

ter Flash and the Furious Five song)»,

Images : Kurtis Blow, GrandMaster

Flash

Page 14: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Le début des années quatre-vingt est une période historique car elle désigne également 1979 comme l’année de création du Hip-Hop à travers le reste du monde.

« Sa diffusion par la médiatisation intensive des an-nées quatre-vingt aux Etats-Unis et en France est une véritable révolution. » affirme Hélène Taddei-Law-son. En effet, la propulsion du mouvement Hip-Hop à de nouvelles sphères sociales permet aux diffé-rentes disciplines de prendre de la hauteur.

Les premiers disques de Hip-Hop s’exportent en ra-dio : en 1981, la première émission de radio Hip-Hop est cré» sur WHBI.FM et animée par Africa Islam, Dj reconnu dans le Bronx.

Au même moment, le graffiti trouve une place de choix dans les galeries d’art du quartier de Soho : le jeune artiste Jean-Michel Basquiat attire l’attention du pop artiste Andy Wharol. En 1984, la danse, elle, se projette sur les toiles de cinéma avec le film « Beat Break » qui définit, par l’expression scénique, l’histoire du Hip-Hop au reste du monde.

1985, termine la décennie de la création du mou-vement Hip-Hop avec le lancement commercial du Sampleur, un appareil technologique qui offre la possibilité de copier une source sonore et de la pas-ser en boucle. Technique qui permit aux générations suivantes de remixer plusieurs beats des années passées en une nouvelle composition originale.

Le Hip-Hop est l’histoire

de la modernisation des

cultures ancestrales

Soho : quartier dans le sud de Manhattan- New-York

Stan Lathan, «Beat Street », Orion Pictures, 1984

Beat : en musique c’est le temps de la mesure ou un battement

Images: Basquiat

Page 15: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

L’ARRIVÉE DU RAP EN FRANCE

L’arrivée du rap en France a connu un sché-ma inverse à celui des Etats-Unis. Il est d’abord apparu dans les médias avant de s’installer dans la rue. L’ouverture des radios libres, sous le gouvernement de François Mitterrand en 1981, permit à des radios asso-ciatives d’émettre les premières « couleurs » du Hip-Hop sur les postes français.

Très vite, des émissions se consacrent à ce nouveau mouvement : « Deux émissions dé-butent sur le rap « Rappers Drappers Snap-per » sur radio 7 avec Sydney et « Deenastyle » sur radio Nova avec DJ Dee Nasty et Lio-nel D ». Le DJ Dee Nasty, « parrain » de la musique Hip-Hop en France, distille sur les ondes la pratique du Djing et initie une gé-nération entière à la musique Hip-Hop avec le premier disque de beats et de textes rap « Panam City Rappin » sorti en 1984.

La culture Hip-Hop en France prend, cette même année, une nouvelle ampleur lorsque Afrika Bambataa est invité par Sydney sur son émission de radio. Le succès de l’émission attire l’attention de la chaine hertzienne TF1, qui, pressentant une nouvelle mode, décide d’accorder un créneau à ce mouvement. Elle lance ainsi H.I.P H.O.P, la première émission de danse Hip-Hop et la première émission animée par un présentateur noir en France.

Néanmoins, ces différentes émissions spé-cialisées ne bénéficient pas d’une audience de grande écoute, et sont positionnées, ma-joritairement, sur des créneaux horaires délaissés du dimanche soir, où les seuls spectateurs sont une branche d’initiés et de passionnés. Cyanure, rappeur du groupe ATK raconte ses premiers souvenirs avec la musique rap à l’occasion de son interview : « Il y avait une émission de radio qui s’appe-lait Deenastyle qui était animée par Lionel D et Dee Nasty sur Radio Nova, le dimanche de 22h à pas d’heure. Le lendemain j’avais école, donc en général j’écoutais dans le noir ou je faisais tourner une cassette car les free styles de rap français c’était vers 23H30 vers la fin de l’émission. Donc voilà, pour pouvoir écouter du rap français, fallait être branché et laisser tourner les cassettes».

En 1985, l’émission télévisée H.I.P H.O.P s’ar-rête, les projecteurs s’éteignent et le média argumente d’une mode éphémère.

Hélène Taddei-Lawson, « Le mouvement Hip-Hop», Insistance 2005/1 (N°1) p.187-193

Théâtres en Dracénie, « Dossier pédagogique, la culture Hip-Hop »

Images: Sydney sur la radio 7, et sur l’émission de TF1 «H.I.P.H.O.P»

Page 16: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Images : Compil Deenastyle

Page 17: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

1985- 1995

2. Une culture quise popularise

La culture Hip-Hop française va alors fina-lement prendre source à son origine, près de son public, dans la rue. A cette même époque, Dj Dee Nasty organise à la façon new- yorkaise les blocks parties parisienne sur les terrains vagues de La Chapelle et de Stalingrad où des centaines de personnes se rassemblent : « J’installais mes platines sur un vieux frigidaire et, pour deux francs de participation, les gens pouvaient breaker, écouter du son ou prendre le micro ». Le graffiti s’exporte sur les rames du métro parisien, les maisons de la jeunesse et de la culture, accueillent les associations de danse Hip-Hop et donnent des cours de rap. La jeu-nesse des banlieues exposée à ce nouveau mouvement s’ouvre à ses idées et s’appro-prie à son tour les disciplines artistiques comme moyen d’expression. Karim Thiam, interviewé dans le cadre de nos recherches, en témoigne : « Je regardais les émissions de Sydney H.I.P H.O.P, puis au début des années quatre-vingts j’allais dans les MJC danser avec mes copains, j’ai vraiment été touché par la danse à la base.» D’après le sociologue français Philippe Cou-langeon, le rap est un ancrage générationnel, c’est l’un des fondements de la culture musi-cale des jeunes dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix. En ce sens, les jeunes commencent à se rassembler lors d’événe-ments spontanés. Tout comme leurs pairs américains, les plus performants initient les débutants à de nouveaux mouvements et à de nouvelles techniques artistiques.

Les premiers collectifs et Posses , voient le jour, Pierre Bellanger, fondateur de Skyrock, analyse ce phénomène dans l’entretien « Des radios libres aux Skyblogs » : « Dans cette culture sans barrière d’entrée, l’apprentissage par le groupe et l’entraide est fondamental. Le rap a ainsi été le vecteur d’une nouvelle sociabilité » . Hélène Taddei-Lawson complète cette ana-lyse dans son article sur le mouvement Hip-Hop : « Tous les artistes issus de la pratique Hip-Hop sont autodidactes, leur apprentis-sage ne fait pas référence à un mode acadé-mique. »

Cette jeunesse unie est encore inconsciente de ce qu’elle est en train d’impulser. En se rassemblant elle construit peu à peu sa propre culture Hip-Hop. Cyanure nous évoque l’état d’esprit de cette période lors de notre rencontre: « Je me souviens que lorsque j’ai aimé le Hip-Hop je ne savais pas que cela s’appelait du Hip-Hop. Sur le Hip-Hop en 1984 il y avait une émission qui s’ap-pelait H.I.P H.O.P mais tout ce qu’il s’est pas-sé après, j’ai aimé sans savoir comment ça s’appelait. J’ai aimé le graffiti sans savoir que ça s’appelait du graffiti, j’ai aimé entendre des scratchs sans savoir que ça s’appelait du scratch. On prenait la chose brute, on n’ai-mait pas ça car cela appartenait à telle ou telle culture, c’était pour nous très naturel. »

LE RAP LA MUSIQUE DE LA NOUVELLE GÉNÉRATION

Breaker: désigne celui qui pratique la break-dance

Dee Nasty, propos rapportés par le Théâtres en Dracénie, Dossier pédagogique, la culture Hip-Hop,

MJC: acronyme de Maison de la Jeunesse et de la Culture, structures associatives françaises

Extrait de l’interview Karim Thiam

Philippe Coulangeon, « La satisfaction sociale des goûts musicaux. Le modèle de la légitimité culturelle en question »,

Un Posse : c’est un groupe, une bande d’individus souvent des amis.

Pierre Bellanger, « Des radios libres aux Skyblogs. Entretien », Le Débat 2006

Hélène Taddei-Lawson, « Le mouvement Hip-Hop», Insistance 2005

Extrait de l’interview avec le rappeur Cyanure,

Illustration supérieur (Dee Nasty) : Thomas Blondeau « Une Brève Histoire du Rap Français»

Page 18: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015
Page 19: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

L’identité de la culture rap française va, au début des années quatre-vingt dix, puiser ses influences à tra-vers le quotidien de ses acteurs. Les problématiques d’insertion sociale et d’identité française sont des su-jets dominants dans les banlieues françaises qui ren-contrent un sentiment de rejet par rapport au reste des différentes populations de la société. Ces banlieues dont les habitants sont majoritairement issus de l’im-migration cherchent à affirmer leur propre identité entre culture traditionnelle et culture populaire.

Christian Béthune, le souligne ainsi dans son œuvre sur le rap : « Alors qu’aux Etats-Unis les groupes mixtes restent l’exception, ils sont au contraire monnaie cou-rante dans le rap hexagonal : Africains, Antillais, Ré-unionnais, Malgaches, Beurs, fils d’immigrés Italiens, Portugais, Vietnamiens… et Français de souche, riches de leurs traditions croisées, de leurs vécus et de leurs expériences musicales kaléidoscopiques, apportent chacun leur pierre à l’édifice de la culture Hip-Hop made in France. ».

Le sociologue Hugues Bazin confirme ces propos en analysant la source de la culture Hip-Hop française comme une impulsion de ceux qui ne se retrouvaient ni dans la culture française ni dans la culture étrangère de leurs parents. Les concernés décidèrent de s’ap-proprier un mouvement qui était plus proche de leurs attentes et de leur quotidien.

LE RAP QUI VEUTCHANGER LE MONDE

Durant cette période, les acteurs du mouvement sont de plus en plus nombreux et les succès de plus en plus populaires, notamment avec la sortie de la première compilation de rap français « Rap Attitude » par La-belle Noire, vendue à plus de cent mille exemplaires. Cette compilation présente une première génération de MCs français, qui inspirés par leur époque rappent une nouvelle vision de la société : « Quand Assassin, NTM et Solaar faisaient du rap, le parti communiste était à 20%, c’était une France où la population ouvrière était importante, il y avait une volonté d’égalité dans la société, on était aussi à la fin de la guerre froide, on avait des espoirs de paix dans le monde » contextua-lise Karim Thiam au fil de notre interview.

Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, les Etats-Unis développent un nouveau genre : le gangs-ta rap qui aborde des thématiques de texte tels que la violence, la drogue, les brutalités policières et le ra-cisme. Ce courant jouit d’un très grand succès et re-flète les premières réussites financières des artistes Hip-Hop américains. Il fût très vite popularisé à tra-vers le monde lors de la médiatisation des assassinats des rappeurs Notorious B.I.G et 2Pac (Tupac)Shakur, artistes très appréciés du public américain et interna-tional. Le schéma de réussite s’exporte en France et incite les rappeurs français à professionnaliser leur discipline

Christian Béthune, « Le rap. Une esthétique hors la loi », Editions Autrement,

Collection Mutations, N°189,1999,

Hugues Bazin, conférence « Le Hip-Hop en France, 30 ans de sous culture»

Sciences Po Paris (2012)

Extrait de l’interview Karim Thiam

Images: Film «La Haine» : 1995

Page 20: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Mc Solaar, qui a fait longuement ses preuves sur les ondes radiophoniques remporte en 1992 les Victoires de la musique. Au même moment, Oli-vier Cachin, journaliste expert en musique rap, réattribue à celle-ci une place à la télévision en animant une émission : « Rapline » durant près de deux ans sur la chaîne M6. L’émission pré-sente les dernières nouveautés Hip-Hop améri-caines et françaises chaque fin de semaine. Cet accès au mass-média permet aux artistes du moment de réaliser, avec l’équipe de production, leurs premiers clips vidéo. Images qui sont par la suite diffusées dans l’émission. C’est également l’apparition des premiers fanzines – publications indépendantes imprimées et réalisées par des passionnés pour des passionnés- et magazines spécialisés tel que Down With This, Radikal, L’Af-fiche et R.E.R qui dressent les portraits des nou-veaux artistes de musiques urbaines.

Le mouvement est en marche et va engendrer une lignée de jeunes rappeurs doués et téméraires. Les jeunes se surpassent pour être les meilleurs dans leurs domaines, ils s’affrontent en battles de danse et de rap lors de rencontres ou encore dans le célèbre club parisien «Le Globo ».

Karim Thiam l’explique et raconte : « A cette époque, avant de sortir un album de rap ça faisait quatre ans que tu rappais, ton école pour rapper c’était les soirées de micro ouvert et quand tu n’étais pas bon tu te faisais dégager de la scène, on te sifflait etc… Donc tu retravaillais, tu retra-vaillais, et quand tu étais validé tu avais peut-être le droit de faire ton maxi. Il y avait une réelle école du Mcing. ».

LES PREMIERS SUCCÈSDE RAP À LA FRANÇAISE

Extrait de l’interview Karim Thiam

Un featuring : titre réunissant différents artistes: un artiste de renommée invite souvent

un artiste de plus petite renommée à faire un featuring pour le soutenir

Une mixtape est une compilation de titres audio

Extrait de l’interview Cyanure

Images : Iam, Afrika Bambataa à Paris interviewé par Sear journaliste pour Get Busy

Page 21: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Les premières connexions entre artistes se font à travers toute la France et les pre-miers disques de rap indépendant circulent grâce à des moyens de communication underground.

Le rappeur Cyanure se souvient :

"A cette époque lors

que tu faisais un c

oncert,

tu faisais forcement

des rencontres qui

te pro-

posaient un autre c

oncert, un featuring

ou

de poser sur une m

ixtape . Il y avait un

e

vraie émulsion de cré

atifs qui faisaient

plein de

choses, que ce soit

des fanzines, des mix

tapes,

des soirées, des conc

erts. Là on sentait

qu’il y

avait un vrai mouv

ement.«(..) « On étai

t des

artisans, on faisait

notre promotion en i

ndé-

pendants, on imprima

it nos flyers, on dist

ribuait

nous même les flyers

pour nos concerts

et nos

sorties d’albums. On

contactait des fan

zines,

des mecs qui étaient

chez eux et qui impr

i-

maient eux mêmes l

eurs fanzines et les

photo-

copiaient eux mêmes

ou alors ils passaie

nt pas

un imprimeur, mais c

’était de la pur débr

ouil-

lardise "

Page 22: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

1995- 2005

3. Une culture en phase de transformation

La radio fût, elle, un canal déterminant dans la diffusion du rap français et dans son inté-gration à la culture française. En effet, dès son arrivé en France, le rap, s’est propagé sur les ondes des radios pirates, puis sur celles des radios plus importantes telles que Radio Nova et Génération. Le milieu des années quatre-vingt-dix va permettre au rap de bénéficier d’une nouvelle audience, celle d’une radio nationale: Skyrock.

En 1994, le ministre de la culture, Jacques Toubon, fait passer une loi qui a pour voca-tion de défendre la langue française, celle-ci vise à lutter contre le nombre grandissant de mots anglais dans le langage commun. Cette nouvelle réglementation, impose notam-ment aux radios privées de diffuser quarante pour cent de chanson d’expression française dont la moitié devait être de nouveaux ta-lents et de nouvelles productions .

Karim Thiam l’affirme lors de notre conver-sation « Le rap a bénéficié de la loi sur les quotas qui lui a permis d’exploser dans les années quatre-vingt-dix, deux mille ». A cette époque, une troisième génération de rappeurs émerge sur la scène musicale urbaine et de nombreux projets sortent chez les distributeurs de disques. Ainsi, une mul-titude de groupes de rap se constitue et s’associe aux labels et maisons de disques, qui présument d’un futur marché glorieux. Cyanure, au cours de l’interview, témoigne de ce nouvel engouement: « Au début des années quatre-vingt-dix, le rap a explosé, et là tu avais vraiment le rayon rap français à la Fnac, tu avais vraiment un point d’ancrage, où tu pouvais trouver du rap. »

L’année 1995 marque une année importante pour le rap français, la radio Skyrock, qui se restructure en interne, cherche un nouveau positionnement pour pérenniser son exis-tence. La nouveauté de la scène rock fran-çaise ne semble pas prometteuse et la loi Toubon oblige les radios à se partager les artistes de variété française. Pierre Bellan-ger fondateur de la radio, quant à lui, en-trevoit un certain potentiel dans la musique rap et décide d’en faire son principal posi-tionnement cette année là. « Ces artistes voulaient s’en sortir, exister, faire connaître leur voix et leur musique. Voilà les stars de demain qui seront le son de notre radio !» (...) « L’autre grand intérêt du rap est qu’il est en phase avec la tradition française de chansons à texte ». Les artistes raps ont désormais une visibi-lité similaire à celle des artistes des autres courants musicaux populaires: des linéaires dans les magasins et une radio qui leur dédie la totalité de son programme. La radio ac-compagne le rap dans sa course aux succès et crée des affiliations avec les maisons de disques et leurs régies publicitaires : « (...) nous avons créé la radio la plus écoutée par toute une génération sans discrimination, une radio rentable, avec des annonceurs, et qui contribue aux succès d’artistes qui mul-tiplient les disques d’or.»

L’ÂGE D’OR DU HIP-HOPUNE CULTURE DE «SUPER STARS»

Pierre Bellanger, « Des radios libres aux Skyblogs.

Page 23: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015
Page 24: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Le rap ne porte désormais plus seulement la voix des opprimés mais également la voix d’une jeunesse ambitieuse et talentueuse. Néanmoins, la quête du succès par des moyens de diffusion underground n’appa-raît plus aussi facile sans le soutien d’une maison de disques. Produire son album, le presser sur disque en indépendant implique un coût onéreux et ce budget est le plus sou-vent supérieur aux moyens financiers des jeunes artistes. Pour les artistes, la recette la plus efficace pour atteindre la célébrité qui les attend est de rejoindre une maison de disques qui prend à sa charge la production, la diffusion et la promotion des projets ar-tistiques dans leur intégralité. Lors de notre entretien, Karim Thiam évoque les pre-mières stratégies de promotion des artistes « A l’époque, pour te faire connaître, c’était un peu de street-marketing, fallait faire des maxi vinyles, trouver un deal de distribu-teurs ou de licence ou de signature d’artiste qui te permettait de te faire distribuer un peu partout chez les disquaires. Si tu signais en maison de disques, ton clip pouvait sortir sur M6 et MCM. »

L’industrie du disque en France est, dès les années quatre-vingt, largement domi-née par un petit groupe de multinationales aussi appelées majors companies. Celles-ci supervisent l’ensemble des activités de pro-duction, d’édition et de distribution. Barbara Lebrun dresse une cartographie des acteurs de l’industrie du disque dans son article « Majors et labels indépendants:» «Pour la période 1980-1990, six compagnies déte-naient à elles seules jusqu’à 90 % du marché du disque dans le monde : BMG (Allemagne), EMI (Grande-Bretagne), PolyGram/ Phi-lips (Pays-Bas), Sony (Japon), Time/Warner (États-Unis) et Universal (Etats-Unis).»

" Il paraît qu’un mouvemen

t ré-

cupéré est un mouvement q

ui

triomphe. Le Hip-Hop parti d

e la rue,

voix d’une jeunesse défavor

isée de-

vient une industrie multimil

lion-

naire, générant carrières et

revenus

liés à l’évolution du mouv

ement."«

Le rap va ainsi tirer parti des contrats entre les artistes et ces puissantes maisons de disques. Hélène Taddei-Lawson, dans son article, analyse l’évolution capitaliste du mouvement

A la fin des années quatre-vingt dix, la mu-sique rap est indéniablement présente dans le patrimoine culturel français. Les artistes réalisent des carrières artistiques remar-quables et initient des générations entières à un nouveau style, à un nouveau langage et à une nouvelle culture.

Barbara Lebrun, « Majors et labels indépendants »

Hélène Taddei-Lawson, « Le mouvement Hip-Hop»

Illustration «feat» et studio Toki http://tokiart.canalblog.com/

Page 25: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Une des caractéristiques dominante dans la culture Hip-Hop c’est la capacité des acteurs à lier passé et avenir, que ce soit par l’influence de traditions, par la création de nouvelles formes d’expressions artistiques, ou encore par l’inté-rêt spécifique pour l’évolution de la technologie. Pour exemple, la danse Hip-Hop introduit dans ses chorégraphies des techniques robotiques et des mouvements d’automates en références à des dessins animés et a des jeux vidéo, le Djing grâce à la technologie, échantillonne d’anciennes mélodies pour en créer de nouvelles. Toujours selon Hèlène Taddei-Lawson, la culture Hip-Hop est également une culture nomade qui s’exprime là où son public réside « les lieux de rassemble-ment sont comme les styles et les techniques, ils évoluent en voyageant suivant les tendances du moment, permettant une libre circulation de l’information »

C’est naturellement que la culture Hip-Hop, et plus particulièrement la culture rap, va trouver re-fuge et s’exporter sur le canal révolutionnaire d’In-ternet et ce dès son apparitions dans les foyers. Synonyme de liberté d’expression, d’échange et de progés, le réseau Internet porte en lui des onces de l’idéologie de la culture rap.

Page 26: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Internet doit être appréhendé bien plus comme une réelle culture qu’une simple technologie. Le journaliste américain John Markoff, expert en sécurité informa-tique, dresse, lors d’une interview, l’atmosphère dans laquelle Internet est née. « Tout s’est déroulé dans un périmètre de 8km, à l’université de Stanford entre 1960 et 1975 au beau milieu des révolutions dans les rues et des concerts dans les parcs. Un groupe de recherche mené par des gens comme John McCarthy, un ingé-nieur en informatique au laboratoire d’intelligence arti-ficielle de Stanford, et Dory Engelbart, un ingénieur en informatique du SRI, changèrent le monde.» . Dans les années soixante, l’armée américaine, à travers l’AAR-PA (agence des projets de recherche avancées), crée un petit ensemble de réseaux informatiques : l’APANET. Ce réseau a pour ambition d’assurer la communication en cas de guerre ainsi que le partage d’informations entre ordinateurs. Son développement va permettre, au dé-but des années soixante-dix, de connecter les grandes universités américaines de Los Angeles à Boston. En 1973, les ingénieurs Vint Cerf et Bob Kahn inventent le concept d’Internet. Ils imaginent une interconnexion de réseaux accessibles par des passerelles qui seraient dotées d’un protocole commun : l’Internet Protocol (IP). Les ordinateurs peuvent désormais se connecter à un réseau commun et mondial.

LE DÉPART DE NOUVELLES OPPORTUNITÉS NUMÉRIQUES

Peter Hirshberg: « The web is more than «better TV» »

"L’histoire d’une technologie re-

flète les gens et l’époque dans

laquelle elle a été conçue:

La corrélation des mouvements

contestataires afro-américains,

des manifestations contre la

guerre au Vietnam, la création

de nouvelles drogues et l’air fes-

tif des années soixante-dix aux

Etats-Unis, ont amené les ingé-

nieurs à créer l’informatique per-

sonnelle et celle des micro-pro-

cesseurs. En effet, ce groupe de

recherche avait pour ambition de

donner accès à Internet au plus

grand nombre et partageait la

philosophie du partage libre de

l’information’«

Page 27: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Les années quatre-vingt marquent l’émer-gence du « cyberespace », terme introduit en premier par le romancier de science fiction, William Gibson. C’est l’apparition des pre-mières pages Internet grâce à la création des noms de domaines, des messageries mailing et du premier réseau gratuit : le « FreeNet », créé par l’université de Cleveland, pour une société au libre accès informatique. Inter-net, au début des années quatre-vingt-dix, connecte près de deux millions d’ordinateurs dans le monde grâce à la création du Wor-ld Wide Web (WWW) par Tim Bernes-Lee. L’informaticien créa un ensemble de tech-nologies qui permet de faciliter la navigation entre les sites Internet et la diffusion d’in-formations. Il développa ainsi, les adresses web (les urls), l’Hypertext Transfert Poro-tocol (HTTP) et l’Hypertext Markup Protocol Language (le langage HTML). Les premiers navigateurs web font alors très vite leur ap-parition, et les utilisateurs peuvent créer leur propre site web. Le code de Tim Barnes-Lee permet d’assembler sur une même page du texte, des fichiers images et des fichiers audio. Puis en 1991, la FNS, la Fondation Scientifique Nationale américaine, autorise le commerce électronique sur Internet qui permet à Pizza Hut dès 1994 d’accepter sa première commande en ligne. C’est le com-mencement d’une nouvelle société, chacun est libre de créer son propre espace.

Les perspectives de liberté qu’Internet vé-hicule engendrent les premiers partages d’informations mais également une nouvelle philosophie, celle des hackers (pirates du web), impulsée par le livre « Tempory Auto-nomous Zone » (TAZ) . Ce dernier évoque un système basé sur l’échange et la diffusion gratuite d’informations entre les utilisateurs, le texte est à l’origine de l’idéologie des lo-giciels libres, des échanges peer-to-peer et des balbutiements du web 2.0. Un monde nu-mérique qui doit s’équilibrer entre l’ancien et le nouveau: les magasins et supermar-chés s’exportent sur le web et des milliers de documents historiques sont téléchargés en ligne.

Peter Lamborne Wilson, dit, Hakim Bey : « Tempory Autonomous Zone » ou « TAZ », 1991. Les adeptes de TAZ se réclament

de l’esprit de révolte de la flibuste et des flibustiers. Ce livre, rapidement devenu culte dans les milieux anarchistes et «

underground », a donné lieu à des tactiques politiques cherchant à se libérer du contrôle de l’État, de l’économie de marché

ou des jeux de pouvoirs classiques.

Mail John Perry Barlow « Déclaration d‘indépendance du cyberespace » 9 février 1996

Les utilisateurs, eux, sont de plus en plus ac-tifs. Ils interagissent grâce à la création de pages personnelles ou par la publication de messages sur les forums d’échanges.

En 1996, John Perry Barlow, écrivain et co-fondateur de l’Electronic Frontier Foun-dation, un organisme non lucratif qui œuvre pour la liberté d’expression sur Internet, ré-dige « la déclaration d’indépendance du cybe-respace ». Cette déclaration est en réponse à la nouvelle loi sur la télécommunication votée par Bill Clinton cette même année aux Etats-Unis. L’écrivain introduit la déclaration où il explique ses motivations « Étant donné l’horreur que serait cette législation pour l’Internet, j’ai jugé que le moment était bien choisi pour faire acte de résistance » (...) « Le Telecom « Reform Act », qui est passé au Sénat avec seulement 4 votes contre, rend il-légal, et punissable d’une amende de 250 000 dollars, de dire « merde» en ligne. Comme de dire l’un des 7 mots interdits dans les médias de diffusion grand public » (...) « Cette législa-tion cherche à imposer des contraintes sur la conversation dans le Cyberespace plus fortes que celles qui existent aujourd’hui dans la ca-fétéria du Sénat » (...) « Cette loi a été mise en œuvre contre nous par des gens qui n’ont pas la moindre idée de qui nous sommes, ni où notre conversation est conduite. »

La déclaration s’étend sur seize paragraphes, elle affirme l’indépendance du territoire nu-mérique face aux gouvernements extérieurs, et explique que ces gouvernements n’ont pas la permission d’appliquer leurs réglemen-tations sur Internet. Espace sans frontière, terre d’accueil sans barrières ethniques et sociales, le texte énonce également la créa-tion d’un contrat social entre les utilisateurs, et met en lumière leurs capacités à réguler eux-mêmes les conflits. Le texte se termine ainsi « Nous créerons une civilisation de l’es-prit dans le Cyberespace. Puisse-t-elle être plus humaine et plus juste que le monde issu de vos gouvernements. » .

"Déguisez-vous. Laissez un faux

nom. Soyez mythique. Le meilleur

Terrorisme Poétique va contre

la loi, mais ne vous faites pas

prendre. L’art est un crime ; le

crime est un art."

HAKIM BEY

hakim bey

LE TERRORISME POÉTIQUE

Page 28: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

La culture Internet s’affirme comme une contre culture de la société et tente, tout comme la culture Hip-Hop à cette époque là, de s’émanciper des codes institués, en créant une nouvelle manière de s’exprimer, un nou-veau langage et une intelligence collective.

Dans ses inspirations Internet séduit la jeu-nesse qui comprend et s’approprie très ra-pidement la technologie qu’elle expérimente sous toutes les coutures. L’espace numérique devient l’endroit rêvé pour échapper à la cen-sure et s’avère être un réel lieu d’aventure. Les premières pages personnelles font leur apparition à la fin des années quatre-vingt-dix et la culture Hip-Hop à son tour se numérise. « Je pense que dès qu’Internet est arrivé à la maison, il y a des gens qui ont fait des sites de rap. Le rap est une passion, à cette époque tu avais envie d’en parler, il y avait très peu de médias qui traitaient du sujet. » affirme le rappeur Cyanure au cours de notre inter-view, propos appuyés par ceux de Tetzwo, web rédacteur pour le hiphop.com , au début des années 2000 : « J’ai commencé par faire des sites Internet en 1998, j’ai fait mon premier petit site, on n’appelait pas ça blog à l’époque, mais j’avais ma page perso où je commençais à faire des chroniques de rap français. En 1999, j’ai été approché par un gars qui avait l’ambition de faire un premier webzine hip hop sur Internet (...) L’idée, c’était de faire du rédactionnel et de l’éditorial, donc c’était des chroniques, des interviews. On voulait égale-ment présenter le rap français à l’étranger donc on avait pour ambition de traduire tous nos articles en anglais » .

Les communautés en ligne se créent et échangent sur les sujets qui les intéressent. Internet révolutionne les communications en offrant à la fois un puissant outil de diffusion mais également un espace social de conver-sation.

L’utilisateur n’est plus seulement récep-teur, mais également émetteur et créateur. Ces nouvelles fonctionnalités numériques vont permettre aux utilisateurs amateurs de musique rap d’échanger et d’interagir au-tour de leur passion : Cyanure raconte ses premières expériences : « A l’époque, il y avait des espèces de forums dans lesquels tu pouvais laisser des messages et attendre que quelqu’un te répondent. Il n’y avait pas vraiment de discussions instantanées, sauf sur certaines chambres de discussions qui étaient des chambres à thèmes. Par exemple, il y avait une chambre rap français où il y avait trente personnes connectées qui faisaient des discussions croisées » .

Extrait de l’interview Cyanure, mai 2016

« hiphop.com » : Web magazine français traitant de rap sur la période 2000- 2005

Extrait de l’interview Tetzwo, avril 2016

Wu-Tang : groupe américain hip-hop

Ces sites personnels, qui se créent au début des années deux mille, répondent au système imaginé par Tim Barnes-Lee, celui d’un réseau en « toile d’araignée » qui relirait des milliers de sites entre eux via l’interconnexion d’informations similaires. Le web rédacteur Tetzwo atteste des premiers groupement de sites de même thématique

"On était affilié à Loud Records,

à cette époque du web il y’avait

ce que l’on appelait « les web

rings «, c’était des associations

de sites Internet où, sous un

même thème, tu avais une sorte

de bannière qui tournait et qui

faisait la promotion des autres

sites affiliés au réseau. Comme

un régie publicitaire mais avec

des sites Internet. C’était un

échange de bons procédés avec

d’autres sites, on savait déjà à

l’époque, que pour avoir du tra-

fic et de la visibilité il fallait

faire de l’affiliation. Nous, notre

bannière elle apparaissait sur

tous les autres sites qui étaient

associés à ce « web ring « du

Loud Records, qui était le label

du Wu-Tang"

Page 29: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Le nouveau millénaire se présente comme l’ère de l’écriture numérique, les prémices de ce que l’on appellera, quelques années plus tard, le web 2.0 : le writable web, ou le web contributif. C’est la naissance des blogs, sites d’expression personnelle qui présentent de manière rétro-chronique des articles rédigés. Ces publications sont ouvertes aux commen-taires du lectorat connecté. Les médias tra-ditionnels soupçonnent de nouvelles opportu-nités. Le fondateur de la radio Skyrock, Pierre Bellanger, soumet rapidement à sa commu-nauté un nouveau logiciel innovant de publi-cation et une plateforme dédiée : « skyblog.com ». Il n’hésite pas également à faire évo-luer ses formats d’émissions.

Lors de notre interview, Fred Musa, anima-teur sur la radio, se souvient : « Skyrock a tou-jours eu un regard avant-gardiste là-dessus, à la fin des années 1990 il y a eu les Skyblogs qui sont arrivés et les Skyblogs Music. Il y a plusieurs artistes d’ailleurs qui ont commen-cé à diffuser leurs musiques sur les Skyblogs comme Niro et Maitre Gims. (...) A l’époque du modem on diffusait déjà l’émission filmée, il y avait une caméra qui filmait le studio et tu pouvais suivre l’émission à partir du web (...) Cela est dû au coté visionnaire de Skyrock et de Pierre Bellanger son fondateur d’avoir eu cette intuition d’Internet. » En 2005 la plate-forme « skyrock.com » est l’un des sites les plus visités de France devant le site de TF1 et de Google pour la tranche d’âge 13-24 ans et la blogosphère représente 20% des blogs français et 10% des blogs mondiaux avec 3,5 millions de Skyblogs actifs.

Ces échanges impliquent ainsi une inter-connexion entre les utilisateurs et des échanges d’informations de poste à poste, cette nouvelle pratique s’appelle le peer-to-peer. Les internautes sont à la fois récepteur et diffuseur de l’information. Par ce modèle informatique les premiers partages de fi-chiers audio s’effectuent et donnent vite nais-sance au premier site de téléchargement de musique Naspter.

Pierre Bellanger, « Des radios libres aux Skyblogs. Entretien » Le Débat 2006/2 (n°139)

Extrait de l’interview Fred Musa, avril 2016

Cory Doctorow, « Rip: A Remix Manifesto » documentaire vidéo, 2008

Extrait de l’interview Tetzwo, avril 2016

Extrait de l’interview Cyanure, mai 2016

Internet, outil révolutionnaire, est encore très peu connu du grand public mais sa base de données immense, de fichiers et d’informa-tions, s’enrichit de jour en jour et séduit quo-tidiennement de nouveaux utilisateurs qui cherchent du contenu encore introuvable sur les médias traditionnels. Cyanure témoigne de ses débuts sur la toile numérique : « Ce qui m’a fait découvrir Internet, c’est l’émission de Teki Latex qui s’appelait Greg Frite qui était diffusé un mercredi sur deux sur Canal Web qui était la première chaine mondiale qui dis-tribuait du stream en direct. La qualité n’était pas terrible, mais en tout cas c’était mon pre-mier contact avec Internet et avec le fait de se dire que c’était un vecteur de diffusion »

" En 18 mois, la plus grande

bibliothèque musicale a vu

le jour et ce gratuitement

et a atteint plus de 53 mil-

lions d’utilisateurs en 2001.

«

Les usagers mettent en commun leurs fichiers et donnent la possibilité à des millions d’indi-vidus d’y accéder et des les posséder à leur tour sans contre-partie financière. Tetzwo sur son webmagazine proposait à ses lecteurs de télécharger gratuitement des enregistre-ments inédits et exclusifs « Dans les inter-views vidéo que l’on faisait, on les « cutaient » énormément car elles étaient très lourdes, mais on avait enregistré quelques free styles et impros de rappeurs que l’on mettait en té-léchargement libre. Ce qui donne un attrait supplémentaire, à cette époque d’Internet, on était très dans le téléchargeable et le fait de posséder les choses.»

Page 30: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Les maisons de disques pressentent également Internet comme un nouveau vecteur de diffusion et métamorphose peu à peu leurs stratégies de promotions classiques en y associant du contenu numérique. Karim Thiam, ancien directeur artistique et mar-keting dans plusieurs maisons de disques, retrace ses premières stratégies digitales :

« " La deuxième grosse stratégie que j’ai faite pour le rap sur Internet, c’était à l’époque du premier album de Mafia K’1Fry, en 2003, quand on a fait le clip de « Pour ceux « avec Kourtrajmé. Le titre était super hard core, on savait qu’il ne passerait jamais à la télé (...) On n’a donc jamais envoyé le clip en télé mais on a communiqué sur le fait qu’il soit censuré. Ce qui n’a jamais été le cas, le clip n’a jamais été censuré mais c’était notre axe de commu-nication (...) on a créé un site. Il était hébergé sur le serveur de NovaProd et il y a eu une telle demande qu’il a crashé. En fait, le clip était en visionnage mais aussi en téléchargement gratuit (...) Internet a eu un effet foudroyant ! Il y a vraiment eu un buzz le titre n’était disponible nulle part et seulement en vinyle (...) Il fût en rupture de stock en deux trois jours... " «

" En 1999, le business af

faire de chez Small c’éta

it Ludo-

vic Pouilly, qui est aujo

urd’hui l’un des patrons

de Deezer,

je me souviens il faisait

signer des avenants à t

ous nos

artistes pour rajouter d

ans les contrats que l

a musique

pouvait se vendre de ma

nière immatérielle. (...) La

première

stratégie digitale que j’a

i faite, c’était pour le l

ancement

de l’album Art de Rue de

la Fonky Family. Je l’a

i commen-

cée fin d’année 2000 et

l’album est sorti en ma

rs 2001

et j’ai fait un site qui

avait pour volonté de pa

rler de

leur musique. (...). La str

atégie ça a été pendant,

allez,

facile trois mois : toute

s les semaines, les gens

recevaient

une liste avec des inform

ations, de la musique à

écouter

en exclusivité -que l’on

hébergeait sur un site e

xterne- et

quand on balançait un

titre en particulier sur

une ra-

dio on leur disait : Ecou

tez Skyrock, demain titre

en exclu

(...) Pendant trois mois

on avait un planning de

mail-liste

hebdomadaire et on n’a

raté aucun rendez-vous.

Après, je

ne vais pas dire que cela

a porté ses fruits car

l’album

était fait pour marcher

, mais en tout cas, je s

ais qu’en

trois mois on a récolté

soixante mille mails."

Extrait de l’interview Karim Thiam, avril 2016

Un buzz : pratique Marketing qui s’appuie sur le bouche à oreille pour le succès d’un produit ou d’un événement,

le consommateur est en fait le média

Page 31: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Cette période marque un temps fort pour la société moderne, c’est le reflet de sa transformation digitale. Les usagers d’In-ternet sont de plus en plus nombreux et In-ternet se nourrit des échanges et des par-tages qui y sont effectués. La plateforme musicale MySpace accueille en 2003 plus d’un million d’utilisateurs, où chacun est libre de publier et de diffuser sa musique. De nouveaux talents y sont repérés et les premiers schémas de réussite d’artistes indépendants font leur apparition sur le web. En 2004 la plateforme sociale Face-book est en ligne et propose à des mil-liers d’étudiants de se créer un profil, les individus peuvent désormais échanger et converser d’un bout du monde à l’autre. Au-delà du partage d’informations et de fichiers, les internautes peuvent être éga-lement créateurs et diffuser du contenu audiovisuel. L’industrie du divertissement se voit se mettre en danger avec l’arrivée en 2005 de la plateforme vidéo YouTube. Depuis, chaque année, Internet introduit de nouveaux acteurs (Twitter, Soundcloud, Instagram, Snapchat…) prêts à révolution-ner les usages des utilisateurs en impor-tant de nouvelles fonctionnalités au web 2.0, au réseau mondial.

A travers ce mémoire nous cherchons à comprendre quel a été l’impact de ces ou-tils révolutionnaires sur la musique rap, culture de partage et de débrouillardise par définition, et quelles opportunités ces nouveaux outils ont pu lui offrir.

Comment l’avènement du web 2.0 a-t-il transformé les moyens de diffusion et de promotion du rap ?

Page 32: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

/ Culture hip-hop/ Culture Internet1960

1982

REVOLUTION MUSICALEREVOLUTION

TECHNOLOGIQUE

1990DÉPLOIEMENT MONDIAL DU RÉSEAU INTERNET

PROFESSIONNALISATION ET COMMERCIALISATION DU RAP

APPARITION DU WEB COLLABORATIF / 2.0

BLOGOSPHÈRE SKYBLOG REPRÉSENTE 20% DES BLOGS FRANÇAIS

1995

2004

2005

DÉVELOPPEMENT LOCAL & INTERNATIONALISATION DU RAP

une adHérence évidente...

Page 33: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

II L’ESSOR DU WEB 2.0 ET SON IMPACT SUR LA CULTURE RAP

La culture Hip-Hop française a transpiré pendant plus de trente ans et a imprégné pleinement la culture po-pulaire. Mouvement underground à son émergence, elle est devenue aujourd’hui une réelle référence culturelle pour de nombreuses générations. La ra-dio Skyrock, par son exposition nationale a consenti à faire de la musique rap la discipline la plus repré-sentée de la culture Hip-Hop. Par ailleurs, l’accessi-bilité et la simplicité d’improvisation du rap ont per-mis de séduire de nouveaux publics plus hétéroclites, qui renouvellent continuellement les tendances. Hugo Ferrandis, web rédacteur pour le webmagazine The-BackPackerz.com, compare le rap, musique de texte, à une langue vivante qui évolue avec les époques en développant de nouvelles expressions, de nouveaux mots et de nouvelles figures de styles.

‘‘Les bidons veulent le guidon:

laissez les donc, qu’ils se cassent

les dents’’

TIME BOMB 1996

1. Généralisation de la culture rap 2005

- 2015

‘‘Depuis quand les

pédales veulent tenir

le guidon ?’’

PNL 2016

de 2005 à 2015

Page 34: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

1982 2016Le titre culte «The message» de GrandMaster Flash and the Furious Five est préssé sur un album

La société de production Netflix sort une série inédite «The Get Down» retraçant le destin historique des Furious Five et de leur rencontre avec GrandMatser Flash

Page 35: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

L’industrie de la musique en France est au-jourd’hui largement dominée par la musique rap. Les artistes urbains figurent dans les meilleures ventes d’albums et accumulent les disques d’or et de platines. Pour Karim Thiam la musique Hip-Hop s’est imposée comme une réelle source d’inspiration pour tous les artistes de tout genre, il souligne l’un des plus gros succès commercial du 21ème siècle, l’album « Racine carré » de Stromae qui s’est vendu à plus de 2,5 millions d’exem-plaires « La plus grosse vente de ces quinze dernières année, c’est l’artiste Stromae, c’est un artiste urbain. C’est un artiste qui a réus-si à mélanger la chanson française, le Hip-Hop et l’électro. Il a fait ses preuves en étant beatmaker pour le label Hip-Hop de Tefa, il a travaillé notamment sur les productions de beats rap pour le titre « A l’ombre du show business » de Kery James » l’album a reçu en 2015 la certification record de disque qua-druple diamant.

La créativité, le dynamisme et le renouvelle-ment frénétique de la scène rap s’ouvrent aux différents univers artistiques et elle devient plus globale, plus universelle. Pour certains, cette transversalité des genres a transformé le rap en pop contemporaine française , un genre qui présenterait un discours simpli-fié, destiné à être approuvé par le plus grand nombre. Des textes plus courts, abordant des thématiques légères et employant un voca-bulaire plus sommaire. Un rap de foule dont les textes moins recherchés seraient faciles à comprendre pour ses auditeurs. Le web rédacteur, Tetzwo, illustre ces propos en ci-tant une étude américaine réalisée en 2014 par l’organisme d’étude Seat Smart sur la ri-chesse des paroles de musique les plus popu-laires : « Ils ont analysé tous les tubes qui sont arrivés numéro un des ventes de disques sur une période donnée et sont arrivés au constat que les textes ne dépassaient pas un niveau scolaire CE2 en termes de mots utilisés. »

Une musique appauvrie par son succès mais qui a trouvé légitimité à s’affirmer comme un courant musical à part entière : « C’est grâce aux artistes mainstream que l’on parle aussi plus de Hip-Hop dans les médias et que son image s’est popularisée dans la société » at-teste le web rédacteur Hugo Ferrandis. Pour d’autres, l’écartement de la musique rap a permis une division et une spécialisation des genres, qui représente, aujourd’hui, un panel de styles vaste et riche de ses identités multi-ples . Le rap propose un large choix de genres pour finalement représenter entièrement tous les différents courants de musiques. Chaque année, la scène rap se renouvelle et de nouveaux genres émergent. Les sonori-tés prennent différentes couleurs grâce à de nouvelles influences, les musiques du monde viennent épouser les beats hip-hop et créent ensemble de nouvelles compositions origi-nales qui séduisent un public de plus en plus large et unanime .

" Le rap connaît de nombreuses tendances et une grande variété de choix mais la tech-nique reste la même ; c’est la métrique, le flow de l’artiste et le respect des mesures qui font l’identité du rap. "

SNEP« Bilan 2015 du marché de la musique enregistrée »

Seat Smart, Lyric Intelligence In Popular Music: « A Ten Year Analysis»

Extrait de l’interview Hugo Ferrandis

Extrait de l’interview Karim Thiam

Citation Tetzwo

Images: Kerry James, Stromae, Basquiat

LA CULTURE RAP,UNE CULTURE À LA MODE

Page 36: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Le rap grâce à son exposition nationale, son triomphe commercial et son intégration si-gnificative à la culture française incite de nombreux jeunes à saisir à leur tour cette discipline comme moyen d’expression. Le rap nécessite dans sa pratique d’écrire un texte qui par la suite est interprété par l’ar-tiste grâce au rythme de son flow et de son élocution. En ce sens, le rap est abordable et simple de pratique. Son accessibilité jus-tifie ainsi le nombre grandissant de jeunes rappeurs près à obtenir à leur tour succès et reconnaissance. Si les années quatre-vingt-dix sont marquées par une scène rap toute aussi active et prolifère, il n’existait pourtant pas autant de courant et de genres différents à cette époque. Les succès de rap étaient ma-joritairement affiliés à un rap contestataire, politique et en marge de la société. Le rap pendant de nombreuses années fût assimilée à une contre-culture. Notre sujet s’intéresse à comprendre les nouvelles motivations des rappeurs à pratiquer cette discipline. Les ventes d’albums reflétant aujourd’hui un fort intrêt pour le rap commercial, nous cher-chons à en analyser son jaillissement ainsi que celui de la starification du genre rap sur les réseaux sociaux.

Fred Musa, animateur Skyrock définit le rap comme la bande son d’une génération. Les inspirations et ambitions des jeunes ar-tistes reflètent la société dans laquelle ils grandissent. Aujourd’hui la société française est marquée par différentes tendances, une société de consommation, de divertissement et d’images. Enfant de la crise financière de 2008, la nouvelle génération est confrontée à de nouvelles problématiques plus mondiales. A l’instar des rappeurs des générations pré-cédentes qui revendiquaient une égalité so-ciale, la nouvelle génération elle, revendique un paradoxe analyse le jeune producteur, dj Mad Rey.

DE NOUVELLES MOTIVATIONS,ASPIRATIONS ET CONTRAINTES

Pour le web rédacteur Tetzwo, l’apparition des chaînes personnelles YouTube et l’en-gagement des internautes qui se sont créés autour, se sont répercutés sur la musique rap : « La nouvelle génération a grandi avec la télévision et l’instantanéité et donc la re-nommée facile. Faires des millions de vues sur YouTube ça parle aux jeunes, c’est limite palpable, donc ils vont chercher ça, ils vont chercher leur quart d’heure de gloire et le rap est un moyen simple de le faire. » .

Pour Karim Thiam, l’image capitaliste que renvoie l’univers du rap a longuement affecté l’imaginaire des rappeurs : « le rap a toujours été une musique qui a véhiculé auprès de ses acteurs l’idée de gagner de l’argent, de réus-sir dans la vie, de frimer. Il y a beaucoup d‘égo trip. De plus en plus le côté social est mis de côté, les jeunes d’aujourd’hui recherchent beaucoup d’entertainement .»

La société s’est endurcie et projette au sein du rap une forte ambition de réussir et d’être reconnu. La nouvelle signature du rap hip-hop qui était autrefois« Peace, love, unity, moove and having fun ! » a été impulsée en 2015 par la révélation du duo de rappeurs PNL -dont l’acronyme signifie « Peace and Lové »- : « Paix et Argent !»

Et si les motivations des rappeurs se sont transformées avec l’évolution des époques et les nouvelles problématiques des sociétés, les sonorités des premières heures ont, elles aussi, évoluées.

Extrait de l’interview Karim Thiam

Extrait de l’interview Tetzwo

« lové »signifie « argent » en argot des banlieues

Nicole Aubert, « L’individu hypermoderne », Sociologie clinique, Eres 2006

Marc Prensky, « Digital natives immigrants », On the Horizon (MCB University Press, Vol. 9 No. 5, 2001

Méta média, « Les Millennials ? La moitié de la population active d’ici 5 ans », 2014

Extrait de l’interview Fred Musa

Extrait de l’interview Mad Rey

La célèbre technique du sampling, qui consiste à échantillonner une cellule sonore d’un morceau existant pour l’exploiter dans un nouveau morceau original, n’est plus au-jourd’hui la technique de production la plus répandue. D’après le web rédacteur Tetzwo, les artistes ne la pratiquent plus pour des rai-sons de coût relatif aux droits d’auteurs : « Aujourd’hui, le rap a aussi beaucoup changé car on ne sample plus. C’est pour des ques-tions de coût, car quand un artiste sample il doit payer des droits, et plus le morceau créé aura du succès, plus l’artiste devra payer des droits sur les échantillons empruntés. Le groupe de rap IAM en a fait les frais avec « Ce soir on vous met le feu », ils pensaient que c’était une chanson populaire de stade,(...) Il s’est avéré que c’était une reprise d’un mor-ceau existant, quand ils l’ont sorti en single et qu’il a fait des passages radios, ils ont dû payer énormément de droits d’auteurs! Je pense que tout ce qu’ils ont gagné avec l’al-bum « Ombre et Lumière » ils l’ont reperdu en droits pour ce morceau » . Les réglemen-tations étant de plus en strictes en termes de redevance aux droits d’auteurs, les artistes Hip-Hop ont dû puiser dans leur culture tech-nophile pour saisir de nouvelles opportunité de production.

Les grands sociologues placent le 21ème siècle sous le culte de l’apparence et une forte tendance tangible à l’hédonisme et au consumérisme. Nous vivons dans l’ère où nous observons une surexposition de soi où l’apparence est devenue le moyen de s’af-firmer par la sacralisation de l’individu et de son ego. Par ailleurs, la culture Internet, née d’une idéologie de partage collaboratif, a per-mis la création de communautés et plus par-ticulièrement celle des réseaux sociaux qui permettent ainsi de s’exposer virtuellement. Les digitales natives, qui représentent à ce jour les 15- 24 ans et environs 20% de la po-pulation française, sont nées avec Internet et sont très actifs. Cette génération connectée en permanence, à la recherche de l’expression de soi et de reconnaissance, est confrontée à un flux d’informations et d’images en conti-nu. Le réel et le virtuel ne font qu’un, l’image qu’ils reçoivent est l’image dans laquelle ils se projettent, et la frontière entre le réel et le virtuel s’amenuise.

" Dans le rap il y a une ambition de mon-trer ce que l’on n’aura jamais, de revendiquer ce que l’on n’a pas "

Page 37: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

« Le rap c’était plus dur avant » tel devrait être le message relayé par les puristes du rap, nostalgiques d’une autre époque. La nou-velle génération elle, s’en voit bénéficiaire. En effet, à l’émergence de la musique rap comme courant populaire, les artistes, pour être distribués et diffusés auprès d’un large public devaient, d’abord, se faire connaître au sein de la sphère rap underground. Ils de-vaient dans un premier temps, être appréciés sur scène, mais également apparaitre sur de nombreuses collaborations : mixtapes, maxis albums et freestyles. Cette reconnaissance par leurs pairs leurs permettaient d’avoir ac-cès aux budgets des maisons de disques qui elles, par la suite, produisaient et distribuaient les projets artistiques. Cette dernière étape permettait aux artistes de conquérir une plus large audience qui découvraient leurs titres tubes, diffusés en radio et à la télévision.

Karim Thiam analyse l’évolution de l’industrie du disque en considérant les artistes comme étant leur propre producteur: Ils réalisent eux-mêmes leur développement, augmentent leur valeur, leur côte, avec le buzz avant de se faire démarcher par les majors. » Les mai-sons de disques proposent des contrats aux artistes à des moments stratégiques de leur carrière.»

"J’ai vu des groupes qui remplissent des Olym-pia et c’est leur pre-mier concert. Nous, il fallait faire vingt concerts avec une di-zaine de personnes de-vant pour se faire connaître. Aujourd’hui, le circuit est très court, tu peux remplir un Zénith sans jamais avoir fait de scène

avant"

D’après le rappeur Cyanure, les artistes is-sus de la nouvelle génération usent de leurs connaissances numériques pour renverser le schéma préétabli. Le partage de leur mu-sique, la réalisation de clips et la proximité créée avec le public grâce aux réseaux so-ciaux leur permettent d’acquérir rapidement une forte popularité.

Extrait de l’interview Cyanure

Extrait de l’interview Karim Thiam

Ilustrations (à droite) Gangster Doodles :ww.gangsterdoodles.com

2005- 2015

2. Un « court circuit » dans l’accès au succès

L’AVÈNEMENT DES HOME-STUDIOS & ÉMANCIPATION DES CARRIÈRES EN INDÉPENDANCE

Page 38: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

A la manière des pionniers du Hip-Hop, les jeunes artistes rap s’emparent de la tech-nologie pour faire progresser leurs perfor-mances artistiques. La technologie d’Inter-net a permis de développer une intelligence collaborative unique au monde, le partage de données faciles et instantanées a généré, à ce jour, la plus grande bibliothèque d’outils et de documentations, disponible avec seulement une connexion Internet. La démocratisation et le perfectionnement des micro-processeurs ont habilité les ar-tistes à se créer leur propre studio d’enre-gistrement, les home-studios. Les logiciels informatiques ont développé la plupart des fonctionnalités des périphériques audio : tables de mixage, expandeurs, séquenceurs, périphériques d’effets et échantillonneurs.

Ces logiciels reproduisent virtuellement tous sortes d’instruments de musique et permettent aux amateurs de produire et de créer de la musique comme avec un véritable studio d’enregistrement. Ainsi, les artistes téléchargent des bibliothèques d’effets so-nores et des logiciels sophistiqués. Ils s’au-to forment grâce aux plateformes collabo-ratives de vidéos tutoriels et expérimentent plus facilement, aux moyens de traitements informatiques, de nouvelles techniques. C’est l’avènement par exemple de l’auto-tune, lo-giciel correcteur de tonalité qui donne un ef-fet métallique à la voix, très en vogue sur les nouvelles productions de rap.

Ces nouveaux outils rendent la production de musique accessible à tous et permettent aux artistes de réaliser leurs albums et projets artistiques à moindre coût. Ainsi ils réalisent en quelques heures leurs morceaux qu’ils diffusent ensuite intensément sur Internet et viennent en ce sens concurrencer direc-tement les labels et maisons de production dont le monopole de production n’est désor-mais plus garanti. Cette émancipation à l’aide d’Internet rend alors possible des modèles de carrières en indépendance qui ont pour effet de s’auto produire, s’auto enregistrer, s’auto diffuser et s’auto promouvoir.

Cet affranchissement confirme pour certains artistes une stratégie gagnante. C’est le cas du rappeur indépendant Demi Portion qui, en janvier 2015, annonce la sortie de son album « Dragon Rash » produit et enregistré seul sans affiliation à une maison de disques ni relayé par les médias. Après une semaine d’exploitation chez les distri-buteurs et une communication exclusive sur les réseaux sociaux l’album figure à la cinquième place du top des ventes devançant des artistes rap tel que Lino et Black M, artistes signés en major.

Rap2Tess, « demi-portion explose les majors ! » 28 janvier 2015

Demi-portion adresse un post Facebook de remerciement à ses fans, leur annonçant le score des ventes.

Page 39: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

L’INDÉPENDANCE EST UNE ALLÉGORIE DE LIBERTÉ

Grâce à l’avènement du web 2.0, les carrières en indépendance semblent être aujourd’hui prometteuses de succès. La maîtrise de l’en-semble de la chaine de production, de la créa-tion, à l’enregistrement, à la diffusion et à la promotion permet aux artistes de s’émanci-per des maisons de disques qui régissent les lois du marché de la musique.

Les maisons de disques produisent des ar-tistes de rap uniformes et répondant à des co-des de succès actuels, mais l’avenir des nou-velles idées dans le rap repose sur la liberté d’expression portée par la culture Hip-Hop et la culture Internet.

Ainsi, en 2008, Lawrence Lessing, juriste amé-ricain spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle et fervent activiste dans le libre échange des idées sur Internet, propose un manifeste regroupant les théories suivantes :

1- La culture se fonde toujours sur le passé

2- Le passé va toujours chercher à contrôler

l’avenir

3- Notre avenir est de moins en moins libre

4- Pour une société libre, il faut limiter le contrôle

du passé

Désormais, la culture rap est globale et s’adresse à un public mondial : celui de l’In-ternet. A l’instar des techniques de sampling, Internet permet de télécharger la culture du monde et d’en faire une autre exploitation. Ces nouvelles expériences artistiques sources de créativité et de succès éveillent l’intérêt des maisons de disques qui recherchent conti-nuellement de nouveaux talents prêts à signer des contrats de production conséquents : les 360° deal des majors permettent à celles-ci de toucher un part sur toutes les activités ar-tistiques de l’artiste.

Si le XXème siècle était marqué par la pro-priété du sol, le XXIe siècle sera lui, marqué par la propriété intellectuelle. En effet, les re-devances relatives aux droits d’auteurs sont aujourd’hui non pas majoritairement redis-tribuées aux artistes mais bien aux grands groupes des maisons de disques. De plus, selon Hugo Ferrandis : « Les artistes qui se créent un univers correspondant aux codes tendances de la société vendent plus d’albums que ceux qui restent en marge du mouvement populaire » Ainsi, la liberté d’être soi est aujourd’hui régie par les codes des tendances de la société. Un parcours artistique qui se délivre de ces lois est source d’une plus grande liberté artistique et de créativité « c’est dans la contrainte que réside la créativité » souligne Hugo Ferran-dis.

En ce sens, une carrière en indépendance est porteuse de nouvelles valeurs et donne une vision plus positive, motivante et réelle des schémas de réussite. Souvent associée à l’entraide, au partage, aux collaborations, à la réussite grâce au réseau, à la proximité et à l’amitié, l’indépendance est en phase avec l’ère du temps collaboratif et en harmonie avec les valeurs profondes de la culture Hip-Hop.

"You don’T NEED

DOLLARS

TO MAKE YOU FEEL LIKE

YOU HAVE A PLACE

IN THIS

WORLD "

La culture se fonde toujours sur le passé et la culture rap en est une véritable preuve. Né dans l’Afrique australe du XIXe siècle le rap s’est développé à travers le temps, l’espace et les cultures pour en prendre la forme qu’on lui connaît aujourd’hui.

Peter Hirshberg: « The web is more than «better TV» vidéo conférence TED, 2007

Extrait de l’interview Hugo Ferrandis

Quote: (à droite) Rappeur Kendrick Lamar «Vous n’avez pas beoins d’argent pour sentir que vous avez une place dans ce

monde»

Page 40: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

DE NOUVEAUX MODES DE CONSOMMATION DE LA MUSIQUE

Ce n’est pas un hasard si les rappeurs évo-luent vers l’auto production, la culture Hip-Hop a toujours été en avance sur la prise en main de la technologie en adoptant très vite de nouvelles habitudes, comme par exemple avec les sonneries de téléphone au début des années 2000. De plus, pour pouvoir tou-cher un large public et faire connaître leur art, les rappeurs ont souvent favorisé le don de musique gratuite, que ce soit à ses débuts lorsque les compilations circulaient par co-pies à la sortie des concerts et dans la rue, ou maintenant, en prenant l’habitude systéma-tique de mettre en ligne leurs musiques.

En cette nouvelle ère de conversations et de communication sur les réseaux sociaux, le don de musique est un connecteur fort entre l’artiste et son public. Pour exemple, en mai 2016, la rappeuse marseillaise Keny Arkana, publiait son album de six titres, « Etat d’ur-gence » sur son site Internet et le rendait dis-ponible en téléchargement gratuit ou à prix libre. Elle souhaitait par ce modèle rendre ac-cessible sa musique au plus grand nombre et laisser son public prendre part au processus créatif. Sur le site, le message d’accompa-gnement est celui-ci« Pour ceux et celles qui souhaitent soutenir Keny et sa musique, nous avons mis en place un système de prix libre. Nous vous laissons le choix de donner au pro-jet la valeur qu’il représente pour vous.» La valorisation du projet artistique donnée par le public devient ainsi plus importante que sa valeur financière.

D’après l’auteur Travis Smiley dans son étude « web 2.0 a new voice for hip hop », la culture Internet a créé des valeurs profondes de par-tages chez les internautes qui se reflètent dans la culture Hip-Hop

"Le Hip-Hop a toujours

été une culture vi-

rale, comme la culture

web. Internet a permis

de donner un canal

de distribution gratuit

pour les artistes. La

problématique d’au-

jourd’hui n’est pas de

savoir comment diffu-

ser sa musique mais

comment devenir connu

dans le grand océan

des YouTubers"

Site internet de Keny Arkana: www.etat-durgence.com

Tavis Smiley « web 2.0 a new voice for hip hop », Hip-Hop & Web 2.0, Web Exclusive, video,

Les modes de consommation de la musique se sont transformés avec l’évolution de la technologie. Si pour de nombreux internautes le téléchargement d’un album leur permet de découvrir l’univers d’un artiste sans for-cément avoir pour ambition de le copier et le diffuser à son entourage, la pratique du peer-to-peer est un délit de contrefaçon passible de sanctions judiciaires. Aux Etats-Unis, la RIAA (Recording Industry Association of Amé-rica) est une association interprofessionnelle qui défend les intérêts de l’industrie du disque aux Etats-Unis, dont les membres principaux sont affiliés aux propriétaires des labels et maisons de disques, la SNEP (Syndicat Na-tional de l’Edition Phonographique) en est l’équivalent français. Cette organisation réa-lise un puissant pouvoir d’influence pour faire passer des lois plus sévères sur la gestion des droits numériques comme l’interdiction de copier : CD-Rom, DVD et fichiers numé-riques protégés. Aux Etats Unis, le piratage est un crime et le téléchargement d’une mu-sique peut être passible d’une amende allant d’un minimum de 750$ à un maximum de 150 000$. En France c’est la loi Hadopi qui régule la gestion des droits numériques et plafonne la peine encourue à 1 500euros.

En ce sens, c’est après le passage de lois plus contraignantes et à la suite de la fermeture de plateformes de téléchargement très popu-laires comme Megaupload , que de nombreux internautes frileux de vivre des mésaventures avec la justice, se sont tournés vers des solu-tions alternatives, comme les plateformes de streaming d’écoute.

Parallèlement, la SACEM (Société des Au-teurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique) redistribue chaque année l’argent qui n’a pas été réclamé par les artistes pour le piratage et les copies privées . Cette redistribution est classifiée selon les ventes d’artistes. D’après le rappeur Cyanure, les artistes underground de la scène indépendante sont les artistes les plus touchés par le téléchargement illé-gal et ne touchent ainsi que très peu de re-devances « L’argent est redistribué selon les ventes d’albums, si un artiste représente 20% des ventes, il bénéficiera de 20% de rede-vances. Les groupes indépendants qui sont le plus touchés par le piratage, les redevances ne leurs sont pas reversées, car ils corres-pondent à des micros ventes »

Les plateformes de streaming vidéo ou audio permettent aux artistes de toucher une rému-nération sur chaque titre diffusé et incitent ainsi les artistes à favoriser ces nouveaux modes d’écoute.

Ainsi naturellement, en 2015, une étude de la SNEP observe une forte baisse du télécharge-ment illégal, avec une diminution de 20% par rapport à l’année précédente : en moyenne, les internautes téléchargeraient 7 titres par semaine, pour 17 titres écoutés sur des plate-formes de streaming .

Peer-to-peer : échange de fichiers d’un poste à un autre poste

Brett Gaylor« Rip: A Remix Manifesto » documentaire vidéo, 2008

Hadopi : Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet

Megaupload : plateforme de téléchargement de fichiers numériques qui a été fermée en janvier 2012 par la justice améri-

caine

Streaming : lecture d’un flux audio ou vidéo qui se télécharge au fur à et mesure qu’il se diffuse

SACEM : répartition des droits d’auteur www.createurs-editeurs.sacem.fr/sacem-et-moi/repartition-droits-auteur

SNEP : Syndicat National de l’édition Phonographique, « Bilan 2015 du marché de la musique enregistrée

Page 41: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Pour Karim Thiam, le streaming est devenu la nouvelle manière de consommer la musique « La consommation du futur c’est le strea-ming. Les gens n’ont plus besoin d’un Iphone où l’on peut stocker seize ou trente-deux Go de mémoire, ils prennent un abonnement sur Spotify, Deezer ou Apple Music . Maintenant tu consommes ta musique via un abonnement».Les souscriptions aux abonnements ne sont pas encore majoritaires en France, elles concernent seulement trois millions d’abon-nements en 2015, soit 5% de la population.

"84% des jeunes, entre

12 et 30 ans, consom-

ment la musique sur

des plateformes de

streaming vidéo telles

que YouTube, Daily-

Motion et 28% via

des plateformes audio

telles que Deezer, Spo-

tify et Soundcloud "

Pour séduire les fans, les artistes et les labels, les plateformes de streaming re-doublent d’efforts dans la proposition d’un service innovant et rentable. La plateforme Spotify sort, au printemps 2016, un site Inter-net dédié à donner aux artistes des insights précis sur les comportements de leurs fans : insights.spotify.com. Le Big data, qui consiste à analyser les données générées par les in-ternautes et qui expertisent les habitudes des utilisateurs, s’introduit de plus en plus dans les offres commerciales des acteurs du web. Les maisons de disques et les labels en re-cherche de renouvellement se rapprochent des plateformes de streaming pour promou-voir leurs artistes.

D’après Karim Thiam, ces plateformes d’écoute gratuite et légale permettent de sai-sir une large audience, réceptive et à moindre coût :

"Pour les gros artistes,

les maisons de disques

offrent l’exclusivité à

une plateforme en par-

ticulier pour un temps

limité puis, ils la re-

distribuent aux autres.

C’est comme pour une

chaîne de télévision

qui a l’exclusivité d’un

clip « (...) « C’est des

endroits où l’on va

consommer mais c’est

également des médias"«

. "

Spotify, Deezer ou Apple Music : plateformes de music freenium

(formule gratuite avec de la publicité ou formule payante sans publicité et avantages)

Extrait de l’interview Karim Thiam

SNEP : Syndicat National de l’édition Phonographique, « Bilan 2015 du marché de la musique enregistrée »,

Etude MeltyMetrix : « Dans les oreilles des jeunes », SNEP, décembre 2014

Insight consommateur : c’est la perception qu’un ou plusieurs consommateurs ont d’un produit, d’une situation de

consommation, d’un manque ou d’un problème dans l’offre qui leur est proposée

Zdnet, « Big Data, le marché français devient mature» article du 13 aout 2015,

D’après une étude commanditée par le cabi-net de conseil Ernst & Young, les artistes tou-cheraient sur chaque abonnement mensuel 0,68 euros, les auteurs, compositeurs et édi-teurs toucheraient 0,60euros et les produc-teurs 0,26 euros

Le marché de la musique, déstabilisé par la transformation digitale de la société, est for-cé de constater les changements de modes de consommation de la musique: le marché du disque physique est en baisse de 15% sur l’année 2015 . Pour rester en phase avec les tendances de la société, ses acteurs sont obligés de renouveler les indicateurs liés aux données du marché: pour exemple, en 2015 le streaming représente 19% du revenu de l’en-semble du marché de la musique , indicateur que l’on ne peut ignorer pour comprendre la façon dont les individus consomment la mu-sique qu’ils affectionnent.

De ce fait, depuis janvier 2016 aux Etats- Unis et depuis l’été 2016 en France, le coefficient multiplicateur des tops albums prend en compte le streaming dans les ventes.

La RIAA et le SNEP prennent désormais en compte le streaming vidéo et audio dans l’at-tribution des certifications pour les disques d’or et de platine. Selon le calcul institué 1 500 écoutes équivaudraient à une vente.

Next Impact : « Pour le SNEP, les artistes sont les premiers gagnants du streaming » article du 3 février 2015,

SNEP : Syndicat National de l’édition Phonographique, « Bilan 2015 du marché de la musique enregistrée »

NextImpact« La RIAA compte désormais le streaming audio et vidéo pour les disques d’or et de platine » article du 3 février 2016

Illustration: GangsterDoodles, Basquiat,

Page 42: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

D’après l’analyse de Karim Thiam « Internet serait devenu un immense supermarché où il faut réussir à faire son chemin » . Cependant, grâce à l’ouverture à de nouvelles possibilités de carrières en indépendants et aux nouveaux indicateurs de performance, les artistes qui se créeront un univers en marge des codes de tendances seront peut-être un jour certifiés disque de platine sans vendre même un seul album. Objectif qui semble être compromis lorsque l’on observe les phénomènes de mo-des de consommations des internautes.

Le streaming sous-entend également la constitution d’une playlist , qui répertorie ra-rement plus de deux morceaux d’un même album. L’animateur de Skyrock, Fred Musa, interprète ce phénomène comme « du pico-rage » :

"Avant, lorsqu’un

album sortait, on

l’écoutait entièrement

et on regardait le li-

vret pour connaître

le nom des artistes

qui figuraient sur les

featurings , on re-

gardait toutes les

dédicaces pour faire

les connexions entre

rappeurs etc… Main-

tenant on consomme

juste un morceau et

on passe à un autre

morceau."

La musique s’écoute ainsi, en échantillons, et l’on accumule quotidiennement, tout comme pour l’information, des dizaines de nouveau-tés de productions de musique. Cette varié-té donne le pouvoir à l’internaute de choisir sa musique et de devenir exigeant envers ce qu’il écoute. Les digitales natives de par leurs habitudes de consommation liées à l’instan-tanéité sont ainsi plus volatiles, et moins fi-dèles. Ils se créent eux-mêmes leur culture, une culture de mélange et de consommation rapide. Le défi de l’artiste aujourd’hui est de capter l’attention de son public de la meil-leure manière possible et le plus longtemps possible et de lui faire adhérer à son univers le plus intimement possible.

Internet a permis aux rappeurs de dévelop-per leur propre style et d’expérimenter leurs propres influences, aujourd’hui le Hip-Hop Français s’exporte à l’international et les collaborations franco-américaines se font de plus en plus nombreuses.

Enfin, la scène s’affirme comme un lieu de passage obligatoire pour exister et vendre durablement. En effet, selon le web rédac-teur Hugo Ferrandis, les sorties d’albums des artistes seraient aujourd’hui « un appât pour justifier d’une tournée, chaque sortie d’album est divisée en deux parties : l’annonce de l’al-bum et l’annonce de la tournée, le nom de la tournée prend plus généralement le nom de l’album » (...) « c’est un peu devenu le seul moyen vraiment rentable pour les artistes d’être rémunérés de leur travail »

Extrait de l’Interview Karim Thiam

Playlist : liste de lecture de morceaux de musique

Featuring : participation d’un artiste sur le titre d’un autre artiste

Extrait Interview Fred Musa

GreenRoom : « Le rêve américains des beatmakers français » articlé du 26 janvier 2016

Extrait interview Hugo Ferrandis

Annonce de la sortie de l’album P.Town de Jazzy Bazz avec l’annonce de la tournée

Page 43: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

2005- 2015

3. La révolution des outils numériques comme moyen de diffusion et de promotion

C’est grâce à l’avènement de nouveaux canaux de dis-tributions adaptés au flux haut débit d’Internet, au déve-loppement de la connexion mobile avec la 4G, et grâce à l’augmentation du taux d’équipement des objets connec-tés dans les foyers français (150 millions d’objets connec-tés en France en 2014) que la musique se partage à la minute où elle est disponible sur Internet.

Les réseaux sociaux s’affirment ainsi comme un vecteur de communication important avec le public, c’est l’un des meilleurs moyens pour les artistes de se faire connaître. D’après le web rédacteur Hugo Ferrandis, les artistes de musique rap ont été longtemps dépendants du système empirique de l’industrie du disque. Système qui définissait comme norme de diffusion de la musique une transver-salité de différents canaux de distribution mass-média: la musique est diffusée sur différentes playlists radio et l’univers visuel du rappeur, via les clips, est diffusé sur les chaînes télévisées de musique comme M6 Music, MCM, Trace Tv, Ofive Tv...

C’est au vu des phénomènes de buzz sur les plateformes communautaires et par l’engouement viral que prenait la diffusion des vidéos que les artistes ont commencé à com-muniquer avec ces plateformes. En 2014, 76% des digitales natives considèrent les contenus de vidéo YouTube plus intéressants que les contenus en ligne télévisée (55%) et regardent 11,3 heures de vidéos en ligne par semaine dont 10,8 heures issues d’abonnements Twitter. La diffusion de clips sur des chaînes télévisées serait en ce sens moins impactant que la diffusion de clips sur la plateforme de streaming vidéo YouTube. Nouvelle plateforme de dis-tribution de contenu audiovisuel, YouTube manifeste des opportunités de promotions extraordinaires. Les artistes ont à leur disposition l’accès gratuit à une audience qui s’élève en 2016, à un milliard d’utilisateurs dont 24 mil-lions seraient français .

Lascom, « Le marché des objets connectés » article du 12 novembre 2015,

Extrait de l’interview Hugo Ferrandis, mai 2016

Etude NetWork : « L’influence de Youtube sur les 13/24ans », étude de novembre 2014,

Audience issue de la plateforme Youtube.com, juillet 2016

Page 44: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

YOUTUBE,MEDIA SUBVERSIF

D’après le rappeur américain Talib Kweli, les fans de rap ont toujours partagé une culture du clip qui a évolué naturellement avec la di-gitalisation de la société et vers des formats plus numériques « Nous venons d’une géné-ration où quand l’on rentre à la maison, on s‘installe pour regarder des vidéos clips de musique, nous sommes passés d’une généra-tion MTV à une génération YouTube»

Le clip vidéo est une production vidéo et audio représentant l’imagerie d’une chanson, elles ont été créées comme dispositif marketing dans les années quatre-vingts pour aider les ventes d’albums . Par ce procédé, les artistes interprètent un univers visuel et cognitif qui va apporter un esthétisme supplémentaire au titre de la chanson. Selon le web rédacteur Génono, YouTube a largement contribué à dé-mocratiser le clip : « Avant c’était une vraie galère, cela demandait beaucoup de temps, d’investissement et c’était souvent compliqué à produire. Aujourd’hui avec un appareil photo 5D et 24h devant soi c’est facile à réaliser.» De plus, reflétant la généralisation du phé-nomène sociétal du « Do It Yourself » –fait le par toi-même- et de la popularisation des home-studios, le home-clip a amplement bénéficié de l’avènement des nouvelles tech-nologies en diminuant considérablement le coût de revient d’un clip. Impact économique concernant autant les artistes indépendants que les producteurs des majors : « Avant quand l’on faisait un clip, en tout cas en ma-jor, on ne réalisait pas de clip à moins de deux cents mille francs, soit trente mille euros » atteste Karim Thiam.

« Aujourd’hui les artistes ne peuvent plus sor-tir un titre sans faire un clip avec. On découvre la musique par le clip. Avant, pour faire un clip il te fallait 500 000 francs, soit 80 000 euros, ce n’était pas le même rapport » vient complé-ter le rappeur Cyanure. Aujourd’hui, le coût d’un clip s’étire pour un artiste entre 0 et 2000 euros en moyenne et permet aux artistes d’arriver rapidement à un résultat de clip de qualité.

En effet les digitales natives attribuent une grande place au culte de soi sur les réseaux sociaux. Cette confrontation perpétuelle à soi et aux autres a développé un certain sa-voir-faire naturel chez cette génération dans la maîtrise de leur image publique.

Les artistes émergeants conçoivent très ra-pidement leur positionnement et commu-niquent autour de leur musique par des repré-sentations visuelles et diverses atmosphères. L’esthétisme dans le Hip-Hop a toujours eu une place importante, que ce soit dans le ly-risme des textes de rap, dans les fresques de graffitis ou dans les mouvements de danse.

Le rappeur Cyanure décode au travers des vidéos de freestyles les nouvelles allures des rappeurs. Pour lui, au-delà de cultiver une posture sur scène, les rappeurs développent une attitude scénarisée dans les vidéos diffusées:

"Il y a quelque chose qui n’est pas naturel, les freestyler qui rappent ont une attitude, ils savent qu’ils sont fil-més, ils ont du look. Le gars, dès qu’il va commencer à rapper, il va mettre ses lunettes noires, il ne va pas regar-der la caméra, il va rouler un joint de manière nonchalante, il va mettre sa capuche. A l’époque c’était pas du tout

ça la radio, c’était pas pour nous mon-trer. Il n’y avait qu’un seul micro, on avait la rage, on était dix autour du micro, on jouait des coudes pour at-teindre le micro. Aujourd’hui il y a un vrai calcul de l’image, dans la vidéo qu’il n’y avait pas avant. ."

Talib Kweli interview par Tavis Smiley « web 2.0 a new voice for hip hop », Hip-Hop & Web 2.0, Web Exclusive, video

Extrait de l’interview Genono

Extrait de l’interview Karim Thiam

Extrait de l’interview Cyanure

Illustration clash Toki : tokiart.canalblog.com

Page 45: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Le clip, devenu accessible à tous, rentre ins-tinctivement dans le jeu de la compétition entre rappeurs. L’affrontement s’effectue sur l’engagement d’une vidéo : le nombre de vues, le nombre de partage et les retombées médiatiques sont appréciés comme de réels indicateurs de performance -La SNEP prend désormais en compte les vues dans les certi-fications de disques d’or et de platine -.

Le post d’un nouveau clip est un événement, souvent annoncé à l’avance il devient très vite un outil efficace dans le succès d’un titre. La partie buzz Internet devient ici très avanta-geuse pour les artistes, elle leur permet de promouvoir efficacement leurs projets ar-tistiques. Une étude datant de 2012 par Next Be Sound mais néanmoins pertinente pour notre sujet, s’intéressait à connaître la corré-lation entre la vente de singles, les données des plateformes de réseaux sociaux et les passages en radio. L’étude observa qu’il exis-tait un fort lien de causalité entre le succès commercial d’un single et le nombre de vues sur ses vidéos promotionnelles YouTube

Ainsi, selon l’animateur radio Fred Musa, la vidéo, outil promotionnel efficace assu-rant aux artistes différents succès commer-ciaux, devient un accès supplémentaire aux contrats des maisons de disques. En effet, comme précédemment illustré, les artistes font monter leur valeur sur les plateformes sociales pour pourvoir accéder à des moyens de productions et de diffusions leur permet-tant d’accéder à une reconnaissance rapide du grand public.

Karim Thiam propose l’idée de définir la plate-forme YouTube comme un média, développant sa propre audience et son propre système de régie publicitaire, mais également comme un distributeur équivalent à des enseignes culturelles comme la Fnac : le compteur de vues est monnayable, un dollar correspond aujourd’hui à mille vues. « Quand tu vois des groupes comme PNL qui affichent des comp-teurs de vues à quarante-six millions de vues, il suffit de diviser par mille, il y a de l’argent en jeu, beaucoup d’argent en jeu ! Tu comprends mieux la motivation des artistes de faire de bons clips » illustre le web rédacteur Tetzwo.

YouTube offre la possibilité aux artistes de cultiver leurs univers visuels, leur côte et de générer un business. C’est devenu un média similaire à une chaine de télévision, transfor-mant nos modes de consommations d’écoute de musiques en réel divertissement. Par ailleurs, son algorithme de suggestion de contenu similaire pourrait s’affirmer comme une opportunité supplémentaire pour les artistes de conquérir une nouvelle audience, mais finalement l’algorithme proposent seu-lement les vidéos similaires qui affichent les meilleures cotations de vues. Une fois de plus la popularité d’un artise prime sur le projet artistique, les mêmes artistes tournent en boucle à la manière qu’une playlist radio.

Extrait de l’interview Cyanure

Next Big Sound: Analytics and Insights for the Music Industry

Extrait de l’interview Fred Musa

Rue 89 « Un dollar les 1 000 vues : le détail des rémunérations sur YouTube » article du 5 aout 2015,

Extrait de l’interview Teztwo

Citation extrait de l’interview Mad Rey

Image: Post-prod du clip : Blackstar - Respiration ft. Common

"La musique est

devenue virtuelle,

ce n’est plus que

de l’image, ce

n’est plus qu’une

fenêtre YouTube."

Page 46: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

LES RÉSEAUX SOCIAUX : UN ESPACE NÉCESSAIRE POUR EXISTER

Les phénomènes de buzz sur Internet ne se-raient rien sans leurs communautés de fans qui relaient massivement les posts, - mes-sages déposés sur les réseaux sociaux ou sur les sites internet pour diffuser une infor-mation, prévenir d’un évènement etc…- véri-tables créateurs d’évènements sociaux qui permettent l’engouement tant attendu par les artistes. Les interactions avec son public sont alors nécessaires pour instaurer une visibilité et une fidélité durable.

Selon la mobiquité , terme qui est à l’origine du concept ATWAD, - Any Time, Any Where, Any Device- et théorisé par le consultant mar-keting Xavier Dalozz en 2012, les nouveaux phénomènes comportementaux virtuels sont liés aux développements de la téléphonie mo-bile et à nos rapports à la connectivité. Son analyse, prouve que les individus sont connec-tés à Internet en tout temps, sans contraintes de lieux ni de terminaux. Cette théorie fût ré-cemment complétée en ajoutant le principe d’ « Any Content » qui vise à montrer que l’indivi-du consomme tout type de contenu (article, vi-déo, streaming audio...) sans corrélation avec le temps, le lieu et le terminal utilisé.

Ainsi, l’animation d’une communauté résulte dans la manière d’interagir avec son public. Pour se faire, les artistes vont se créer des avatar qu’ils adapterons,, feront évoluer au fil de leur carrière. Leur talent résidera dans leur capacité à raconter une histoire cohérente selon la typologie des différents réseaux sociaux. Chaque réseau social a sa propre culture et ses propres fonctionnalités se rejoignant souvent sur des outils similaires comme le partage de vidéos ou de messages posts.

Mobiquité : fusion des mots mobilité et ubiquité : utilisation de la connexion mobile à tout moment, en tous lieux et avec

n’importe quel outil connecté, inventé par Xavier Dalozz, consultant marketing

Poly conseil « Digital Natives et nouveaux usages médias: comment s’y adapter ? », livre blanc, 2012

Agence digital Tiz : « Cartographie de l’audience française sur les réseaux sociaux, juillet 2016 »

FACEBOOKRéseau social en ligne qui permet à ses utilisateurs de publier des images, des photos, des vidéos, des fichiers et do-cuments, d’échanger des messages, joindre et créer des groupes. Facebook compte 31 millions de Français actifs

YOUTUBE

ichon

"si l’on

ride"

Site permettant d’héberger gratuite-ment des vidéos de manière à les diffu-ser aux internaute. Youtube compte 24 millions de Français actifs

INSTAGRAMApplication et service de partage de pho-tos et de vidéos disponibles sur plates-formes mobile. Instagram compte compte 10 millions de Français actifs

TWITTEROutil de microblogage qui permet à un utilisateur d’envoyer gratuitement de brefs messages, appelés tweets, sur in-ternet. Ces messages sont limités à 140 caractères. Twitter compte 12,8 millions de Français actifs

SNAPCHATApplication permettant de discuter avec ses contacts sous forme de photos ou de discussions instantanées visible une fois avec un temps limité. Snapchat compte 10 millions de Français actifs

Page 47: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Les échanges créés entre l’artiste et son pu-blic sur les réseaux sociaux résultent de trois différents types de communication: la com-munication informative, la communication de divertissement et la communication d’ac-culturation.

La communication informative définit l’artiste comme étant son propre média en partageant de l’actualité autour de son actualité artis-tique. Ce dernier utilise les fonctionnalités à sa disposition pour diffuser massivement et directement à son public, de la nouveauté et des informations promotionnelles, comme le lancement d’un nouveau clip, d’un nouvel al-bum, d’un concert ou d’une tournée.

Pour créer de l’engagement sur ces posts promotionnels, l’artiste crée un rendez-vous en annonçant plusieurs heures, jours, se-maines à l’avance le lancement d’un projet artistique ou d’un événement. Cette technique vise à éveiller la curiosité du fan et va contri-buer à augmenter l’attention portée au mes-sage final, à sa mémorisation et à son partage viral, c’est la technique du teasing.

PNL2 juillet

Pour le prochain clip! On espère que vous êtes o.p?

#NotreFrappeYaPersonneQuiLarrete #CaArrive #LesChicosChicas#JeSuisPutainDeQLF

PNL4 juillet

VENDREDI 15 JUILLET NOUVEAU CLIP...!! #QLF #PNL #LE15

PNL15 juillet

Bon vous êtes prêt ? à 20h ça va être terrible !

#JsuisQLF

PNL15 juillet

Nouveau PNL !! Mettez vous bien les chicos chicas !!!!

#23MillionsPourQuitterLaTerre #NouvelAlbumSeptembre2016

By Mess Kamerameha #JsuisQLF

PNL - J’suis QLF

PNL17 juillet

1er en tendance youtube fr !

#JsuisQLF #PNL

Exemple de stratégie de teasing à l’annonce d’un nouveau clip : le duo de rap PNL, véri-table phénomène web 2.0, informe sur deux semaines l’arrivée d’un nouveau clip : « QLF »

Premier post annonçant le nouveau clip le 2 juillet 2016 récolte 22 mille appréciations

Deuxième post annonçant le nouveau clip le 4 juillet 2016 récolte 32 mille appréciations et1 674 partages

Troisième post annonçant le nouveau clip, le jour J : création d’un rendez-vous avec les fans: le 15 juillet 2016, le post récolte 23 mille appréciations et 618 partages

Dernier post diffusion du clip via un lien You-tube le 15 juillet 2016 récolte 64 mille appré-ciations, et 9 761 partages

Post du 17 juillet 2016, le duo annonce à son public que le clip a été visionné plus de 2 millions de fois et figure en première place de la page tendance de la plateforme You-Tube

Illustration PNL Miles Hyman / Libération / www.mileshyman.com

22 000

32 000

23 000

64 000

71000

Page 48: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Le système de communauté sociale repose donc sur l’échange et l’interactivité entre l’émetteur et le récepteur et, de ce point de vue, la diffusion de messages promotionnels s’intensifie, dès lors que le récepteur ne devient pas simplement récepteur, mais éga-lement participant. Le théoricien de la communication Macluhan, en 1960, lors d’une interview, met l’accent sur l’aspect collaboratif dans le message publicitaire : « Si le public peut devenir impliqué dans l’actuel processus de fabrication de la publicité alors il est content. C’est comme les anciennes émissions de questions-ré-ponses, elles étaient géniales à la télévision parce qu’elles don-naient un rôle à l’audience, quelque chose à faire. [Le public] était horrifié quand il découvrit qu’il avait été délaissé tout ce temps parce que l’émission était truquée »

Peter Hirshberg: « The web is more than «better TV» vidéo conférence TED, 2007

Image: MacLuhan

En mars 2016, le rappeur Demi-Portion solli-cite sa communauté dans l’organisation d’un festival. Il demande l’avis de ses fans et de son réseau afin de jauger l’enthousiasme de sa communauté face à l’idée de réaliser un grand événement

Le message récolta en quelques jours plus de 4 mille appréciations, 473 commentaires, plus de 34 mille personnes déclaraient être intéressées par l’événement et plus de 14 mille certifiaient leur présence à l’événe-ment. Le message est accompagné au début du post d’un lien HyperText redirigeant l’inter-naute vers la plateforme Itunes qui invite ce dernier à acheter l’album « Dragon Rash ».

Page 49: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Néanmoins, un contenu uniquement orien-té vers de la promotion (cachée ou affirmée) ne suffit pas à instaurer une relation durable entre l’artiste et son public virtuel. Pour en-tretenir cette relation, il est nécessaire de faire appel au don mais qui ne soit pas un ap-pel à la consommation. Ainsi, de plus en plus, les artistes font-ils participer leur commu-nauté à la création artistique de leur album, que ce soit à travers une prestation live sur l’application Périscope ou encore dans la construction des paroles en demandant aux internautes de voter pour les meilleures pu-nchlines. Les artistes qui demandent ainsi la contribution de leurs fans utilisent ce que l’on appelle la communication de divertissement. Cette approche permet à l’artiste de partager du contenu dynamique, évolutif et divertissant pour l’internaute.

En 2014, le rappeur Georgio fait appel à sa communauté dans l’élaboration de sa pro-chaine mixtape. Il propose à ses fans de voter chaque semaine pour les instrumentales sur lesquels il posera ses textes. Le principe de l’opération est le suivant : sur huit semaines le public vote pour une instrumentale par se-maine. À l’issue du vote, le rappeur Georgio enregistre un nouveau texte sur l’instrumen-tale sélectionnée qu’il envoie par la suite, ac-compagnée d’un clip, directement aux partici-pants. A l’issue des huit semaines, la mixtape était en téléchargement gratuit sur le site.

Pour le rappeur Oxmo Puccino, le réseau so-cial Twitter, lui, permet de créer une relation privilégiée avec son public, de partager des pensées, des idées et des découvertes dont il témoigne lors d’une interview « Pendant l’enregistrement du dernier album, je faisais régulièrement des live streams pour faire partager l’envers du décor. Il m’arrive de tes-ter des phrases de chansons que je suis en train d’écrire, j’écoute leurs réactions, je suis attentif à leurs histoires, à leur talent aussi »

D’après le web rédacteur Tetzwo, le public sur les réseaux sociaux est majoritairement un public jeune tout comme l’est le public rap « Il aime réagir, pour lui c’est un aspect ludique » . Ainsi, la communication entreprise doit être réfléchie, les réseaux sociaux sont des places publiques et tout ce que les artistes publient est susceptible, par la suite d’être médiati-sé. Selon le web rédacteur Génono, certains rappeurs préfèrent déléguer l’animation de leur communauté à des professionnels de la communication par crainte de faire des er-reurs : « Keep it real, gonna wrong ! » - l’au-thenticité des artistes peut parfois leur être néfaste - . D’autres, à l’image de leur public, établissent un contact direct et continu grâce à la surexposition de leur quotidien. Les utilisa-teurs sont très demandeurs d’entertainment, ils recherchent une proximité, une similarité avec l’artiste. Pour le web rédacteur Tetzwo, l’effet de masse est également important sur les réseaux sociaux. Plus un post est partagé et apprécié, plus l’utilisateur est susceptible d’à son tour l’apprécier et le partager : « Les jeunes aiment participer aux moments popu-laires ».(...) « Quand tu es sur les réseaux so-ciaux tu es obligé de donner plein de choses aux gens en permanence. Même Booba au-jourd’hui il s’y met, il se prend en photo avec une peluche sur la tête, il se prend en vidéo en train de faire de la trottinette, c’est halluci-nant de voir ça ! La manière de s’adresser aux gens a beaucoup changé. »

De ce fait, l’artiste doit être en permanence dans la relation d’échange et la création de contenu inédit et appliquer également une communication d’acculturation. Cette com-munication a pour objectif de créer un enga-gement fort et de transmettre à son public des valeurs et un style de vie qu’il se réappro-priera par la suite.

Pour le web rédacteur Hugo Ferrandis, cer-tains artistes, dans leur texte de rap ou dans leur communication sur les réseaux sociaux, vont utiliser des gimmicks, des phrases qui vont ressortir du lot et qui vont être facile-ment mémorisables par l’auditeur qui va en-suite les réutiliser dans son langage courant et sur les réseaux sociaux.

Les artistes saisissent de mieux en mieux le langage des internautes et instaurent une re-lation intime avec ces derniers. Les réseaux, lieux de diffusion et outils de promotion effi-caces, deviennent des espaces médiatiques fondamentaux dans l’ascension d’un artiste. De plus, ces plateformes sociales ont per-mis aux utilisateurs d’avoir une tribune qu’ils n’avaient pas auparavant avec les médias traditionnels. Mais le rapport de force peut s’inverser, un mauvais commentaire qui va se viraliser sur des places publiques comme Twitter peut s’avérer dangereux pour un ar-tiste.

Booska-p : « Georgio vous permet de participer à sa prochaine mixtape ! »

article du 14 janvier 2014 consulté en juillet 2016

Darketing : « Oxmo Puccino, ou comment mieux communiquer sur Twitter »

article du 16 juin 2016, consulté juillet 2016

Extrait de l’interview Genono

Extrait de l’interview Tetzwo

Extrait de l’interview Hugo Ferrandis:

Au printemps 2016, à la suite de la diffusion de son titre « Ouloulou » et d’un post Ins-tagram accompagné de différentes mentions et notamment de la mention : « #Oulouloulife », la communauté de fans de Booba se l’est instantanément appropriée.

En juillet 2016, sur Instagram, 45 765 publica-tions comprennent la mention « #ouloulou », sur Facebook et Twitter, de nombreux posts sont publiés chaque jour avec cette même mention faisant de cette gimmick une réelle expression populaire.

#ouloulou

#ouloulou

#ouloulou

#ouloulou

#ouloulou

#ouloulou

#ouloulou

#ouloulou

Page 50: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

2005- 2015

4. Un espace médiatique valorisé

La culture rap a longtemps souffert d’une maltraitance médiatique, les faits divers autour des rappeurs étaient largement relayés et rares étaient les journalistes qui révélaient des faits élogieux dans leurs papiers. Em-manuel Boucher le souligne dans son ouvrage « Rap, expression des las-cars, Significations et enjeux du rap dans la société française»: « Les médias, de temps à autre, montrent le côté constructif, ambitieux du rap, mouvement canalisant la fougue et la rage d’une jeunesse à la dérive. Puis, ces mêmes médias mettent en avant les aspects violents et le côté tribal d’une musique venue tout droit des ghettos noirs sulfureux d’outre-Atlantique. » Définie longtemps comme une culture de violence qui prône l’agressivi-té, les mass médias ont réduit l’image du rap à une culture de banlieue et de voyous vivant en marge de la société.

En 1967, le théoricien Marshall McLuhan dans son ouvrage « The medium is the message » dénonce le monopole de l’écrit par les grands groupes mass médias qui détiendraient, selon lui, l’ensemble de la chaine de production et de diffusion de l’information. Ce pouvoir leur permettrait de façonner le monde en réduisant les points d’entrées à l’information. L’émergence des nouvelles technologies et l’apparition de nouveaux for-mats tel que l’audiovisuel ont permis de renverser cette exclusivité mé-diatique et de multiplier les accès à l’information.

Par ses inventions, McLuhan développa la théorie d’un village planétaire, c, qui serait le reflet d’une culture universelle. « Le village planétaire est un monde dans lequel vous n’avez pas nécessairement d’harmonie, mais vous êtes soucieux des affaires des autres et vous participez beaucoup à la vie des autres. Le village planétaire est aussi grand qu’une planète et aussi petit qu’une poste de village » (...) « Nous sommes au beau mi-lieu d’un immense conflit entre l’ancien et le nouveau, le média fait des choses aux gens dont ils ne sont toujours absolument pas conscients »

L’apparition du web 2.0, démocratisé par Tim O’Reilly en 2004, consolida cette image de village planétaire théorisé par McLuhan. En effet, depuis près d’une vingtaine d’années des milliers de blogs et de sites personnels fleurissent sur Internet. La prise de parole est aussi accessible que l’accès à l’information. De ce fait, la musique rap trouve sa place sur des blogs d’amateurs qui s’adonnent à valoriser cette culture longtemps controversée.

Citation / Image: McLuhan 1967

Manuel Boucher, « Rap, expression des lascars, Significations et enjeux du rap dans la société française », Editions L’Har-

mattan, Collection Union peuple & culture, 2002,

Peter Hirshberg: « The web is more than «better TV» vidéo conférence TED, 2007

"The new electro

nic

independence re-

creates

the world in the

image of a glo

bal

village" «

Page 51: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

UNE PRESSE PLUS EN PHASE AVEC LA CULTURE RAP

Le site personnel consiste à une prise de pa-role libre qui offre des possibilités d’expres-sions et de diffusions accessibles au plus grand nombre.

Dans ce sens, Internet a permis une meilleure connaissance du genre rap via ces blogs, et de mettre en avant certaines cultures de niches en proposant des références très spécifiques et pointues.

D’après le web rédacteur Genono ces nou-veaux médias permettent de « parler des ar-tistes dont on ne parlait nulle part ailleurs » (...) « Internet a permis de diversifier la scène rap mais aussi l’espace médiatique accordé aux rappeurs, il y a une réelle pluralité dans les idées et les opinions, ces nouveaux outils ont diversifié les plumes et renouveler le jour-nalisme »

Par ailleurs, d’après le web rédacteur Hugo Ferrandis, notre relation avec le temps a changé. L’information circule aujourd’hui très rapidement et la survie d’un média en ligne nécessite de réaliser continuellement des mises à jour pour exister.

Si la cadence de production des rappeurs et le nombre grandissant de nouveaux artistes sur la scène rap sont des atouts pour ces nouveaux médias qui disposent d’actualités constantes, il est plus compliqué pour la presse écrite de tenir le rythme face à tant de nouveautés. « Quand il y a un album qui sort, si l’on met plus de trois jours à en parler, notre communauté sera déjà passée à autre chose, elle aura déjà eu l’information par un autre site média. Pour un magazine papier c’est techniquement im-possible de faire face à ça. »

Paradoxalement, les articles pour répondre à cette problématique de temporalité sont rédi-gés avec moins de profondeur et de recul que les articles papier. Pour Hugo Ferrandis, les deux supports mé-dias (presse écrite et presse virtuel) ne de-vraient pas être en concurrence mais plutôt complémentaires : « Les deux devraient être compatibles, on devrait se servir du web pour être au courant des dernières nouveautés et acheter un magazine pour avoir des articles plus poussés, plus analysés, avoir un vrai tra-vail journalistique »

Extrait de l’interview Genono

Extrait de l’interview Hugo Ferrandis

Page 52: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

DES LOIS QUI RÉGISSENT LA RÉDACTION WEB

Ces nouveaux médias qui proposent du conte-nu actualisé et gratuit répondent eux aussi à des problématiques de visibilité et d’audience.

Après l’influence des mass médias sur le conditionnement de l’information, vient l’in-fluence du groupe GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) qui domine le marché du numérique.

Aujourd’hui, pour bénéficier d’une bonne visi-bilité, les web rédacteurs doivent répondre à des règles de rédaction bien spécifiques. Ces guideslines instituées par Google donnent les bonnes pratiques d’un bon référencement naturel sur les moteurs de recherche. Les articles dits Google Friendly respectent une structure de texte technique et optimale pour l’analyse des robots d’indexations des pages web. Pour exemple, les articles doivent contenir impérativement des mots clés stratégiques à différents niveaux de lecture, les images doivent être calibrées et identifiées selon un code spécifique et le texte doit présenter un certain nombre de caractères et de liens hy-pertexte (backlinking). Ces techniques per-mettent aux articles d’apparaître dans les premières positions du navigateur Google, pour des requêtes précises et sur des mots clefs précis.

Selon Hugo Ferrandis, ces bonnes pratiques permettraient au site « thebackpakerz.com » de drainer un trafic important : « Si l’on veut que nos articles soient un peu lus, -mine de rien le trafic Google représente chez nous 40% du trafic-, on se doit de bien calibrer nos articles (...) Toute la structure de nos articles est pensée pour l’analyse des robots Google.»

De plus, le trafic de Google s’affirme être plus qualifié que le trafic issu des réseaux sociaux, le moteur de recherche positionne les sites selon la pertinence entre la requête de l’utilisateur et les mots clés stratégiques associés à l’article. Le taux de rebond de la page de l’article est ainsi moins important car l’utilisateur trouve la bonne réponse à sa re-cherche. En complément d’une structure de texte opti-misée pour les moteurs de recherche, Google suggère aux rédacteurs de créer des affilia-tions entre la thématique traitée et les autres articles en lien avec cette thématique, c’est le backlinking. La technique du backlinking s’inscrit dans une démarche de linked data, l’interconnexion d’informations. Cette technique permet d’aug-menter l’intelligence collective en regroupant les articles du même sujet, chaque page se voit être nourrie de références complémen-taires. Google favorise cette technique dans le référencement des pages sur son moteur de recherche, l’échange de liens est une pra-tique efficace pour drainer du trafic qualifié sur son site. « Dans l’écriture de nos articles, on crée des rebonds sur d’autres articles du même thème, on pratique les méthodes du backlinking pour augmenter le trafic »

Par ailleurs, tout comme les médias tradi-tionnels, les blogs spécialisés, les webzines doivent répondre à des problématiques d’au-dience et de visibilité.

A l’heure où la dominance dans la diffusion d’informations est attribuée à l’instantanéité, les médias en ligne doivent redoubler d’efforts pour capter l’attention de leur audimat. Selon Hugo Ferrandis, le trafic issu des réseaux so-ciaux pour le webmagazine « thebackpakerz.com » correspondrait à 50% du trafic total.

A l’image des artistes, l’animation d’une com-munauté de lecteurs est toute aussi impor-tante pour ses médias 2.0. Néanmoins, les réseaux sociaux présentent plus de contraintes pour le ciblage et la vi-sibilité des articles. En effet, l’algorithme de Facebook impose aux communities managers de créer de l’engagement auprès de leur base-fans. Le manque d’interaction sur une page diminue l’affichage des posts sur la time line de ses membres. Les web rédacteurs doivent savoir créer de l’engagement sur les réseaux sociaux en créant des posts percu-tants. Le langage utilisé, la formulation de l’accroche, l’illustration d’accompagnement et la temporalité sont des éléments détermi-nants pour l’audience d’une fan page.

Selon les propos de Hugo Ferrandis « Il faut savoir penser l’article comme un produit à 360°, réfléchir à son contenu, à sa forme vi-suelle, à son cycle de vie sur les réseaux so-ciaux, à son indexation sur les moteurs de recherche et aux différentes formes qu’il va prendre dans sa diffusion (posts Facebook, Newsletter). Il faut savoir capter l’attention tout le temps et renvoyer une image de qua-lité. »

Les réseaux sociaux s’affirment ainsi comme de puissants médias avec des audiences aussi importantes que les mass-médias tra-ditionnels et des possibilités de ciblage très précises. Il est possible aujourd’hui de croiser les pics d’audience des utilisateurs Facebook avec l’audience de sa fan page afin d’optimi-ser l’engagement de sa communauté. Pour capter l’attention de potentiels lecteurs, la qualité de rédactionnel semble primer sur la quantité face à l’étendue de choix de conte-nu dont dispose les internautes

Guideslines : Guide de bonne conduite

Google friendly : article qui répond au principe de bonne conduite de Google

Extrait de l’interview Hugo Ferrandis

Community Manager : responsable de l’animation d’une communauté

Extrait de l’interview Hugo Ferrandis

Vice, « la fin du journalisme rap en France » article du 16 juin 2016, Consulté en juillet 2016

Page 53: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

DE NOUVEAUX FORMATS POUR CAPTIVER L’AUDIENCE

Parallèlement, selon le web rédacteur Teztwo, les modes de consommation de l’information se sont également transformés.

Aujourd’hui, le format vidéo semble être le format privilégié des internautes. « Réaliser des interviews filmées permet d’augmenter l’audience et de toucher une rémunération avec le comptabilisateur de vues de YouTube. Les vidéos sont également très simples à par-tager » .

Si pour certains web journalistes, le format vi-déo semble être un bon moyen de se rémuné-rer de leur travail et de réaliser des audiences sensationnelles, il est pour d’autres, le reflet d’une presse sans imagination.

Enfin, d’après l’animateur radio Fred Musa, Internet oblige les médias à réfléchir à de nouveaux formats pour garder une force d’at-traction. La radio Skyrock investit dans le développe-ment de nouveaux services numériques. Le nouvel objectif de la radio s’efforce d’imaginer de nouveaux usages pour capter l’audience.

Les nouveaux enjeux de la radio résident dans le développement d’applications web et mo-bile. Deux exemples d’applications du groupe Skyrock : Yaks, qui offrent la possibilité aux utilisateurs d’interagir avec la radio en pu-bliant leur humeur du moment et Cash Back, qui apportent des avantages promotionnels chez des partenaires.

Ainsi, depuis quelques années de nombreux dispostifs digitaux dédiés au rap (applications mobile, plateforme web et objet connecté) voient le jour, proposant des fonctionnalités innovantes et utiles pour ses utilisateurs. La technolgie est une fois de plus, au coeur de la valorisation des projets artistiques des rappeurs

Extrait de l’interview Tetzwo

Vice, « la fin du journalisme rap en France » article du 16 juin 2016, Consulté en juillet 2016

Extrait de l’interview Fred Musa

Page 54: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

La musique rap elle, évolue de la même manière que notre société, le circuit de réussite est inversé, la nou-velle génération d’artistes technophiles de naissance, sait saisir les opportunités que lui offre Internet. Cette nouvelle scène rap est en constante compétitivité avec la multiplicité des talents émergents et les artistes doivent faire leur place au sein de cet immense village planétaire qu’est le web 2.0.

Le grand défi de l’artiste rap aujourd’hui est de s’im-poser parmi ses pairs sur le marché de la musique le plus durablement possible et ce défi s’opère dans la création d’un lien fort entre l’artiste et son public. A l’inverse des premières générations de rappeurs où seules la scène et la musique suffisaient à entretenir une relation intime entre les fans et l’artiste, ce der-nier doit aujourd’hui développer une communauté vir-tuelle et interagir avec elle.

Aujourd’hui, les nouveaux moyens d’autoproduction, de création visuelle et de diffusion sont porteurs d’in-nombrables possibilités de communication pour l’ar-tiste.

Tant d’opportunités qui obligent les artistes à davan-tage anticiper leur stratégie de communication et à ré-fléchir au positionnement à adopter afin d’être le plus percutant possible.

L’analyse de nos recherches nous amène à la propo-sition d’une recommandation stratégique de commu-nication et de promotion, qui repose sur les nouvelles tendances de la consommation de la musique rap.

La transformation digitale de la société n’a pas seule-ment impacté les différents marchés, mais elle a éga-lement profondément modifié nos modes de vies. L’individu se virtualise et ses comportements se trans-forment à la vitesse d’une connexion Internet. Ainsi, nous vivons dans l’ère de la consommation rapide où nous dévorons l’information longuement et quotidien-nement.

Un phénomène de junk-news émerge sur Internet et l’internaute doit faire le tri dans le contenu qui lui est proposé. Ce dernier s’expose et se starifie sur les ré-seaux sociaux et c’est par cette expression de soi, que l’utilisateur aime interagir et partager avec son réseau. Les internautes sont également très demandeurs de divertissement.

Page 55: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

DEVENIR SON PROPRE MEDIA COMMENT ?

III LES NOUVELLES STRATÉGIES DE COMMUNICATION ET DE DIFFUSION DES ARTISTES

Préscripiton

Personnalisation

Portabilité

Partage

La régle des «4P»

Page 56: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Développer un univers visuel

autour des valeurs imaginaires

et identitaires de l’artiste

Citation: extrait de l’interview Cyanure

Citation extrait de l’interview Madrey

« "La nouvelle génération a besoin de références visuelles plus que cognitives et la dif-férence entre deux rappeurs se fera sur son univers vi-

suel"«

L’éxemple de Quasimoto par Madlid Affirmer un postionnement singulier

" le rap est devenu

la variété

cinématographique "

Quasimoto également connu sous le nom de Lord Quas est l’alter ego du producteur et rappeur américain Madlib. Quasimoto a été conçue en 1998 en studio lorsque Madlib décida de rapper à propos de ses beats. Mais celui-ci qui n’aime pas le son de sa voix (il se fait surnommer le Barry White du Hip-Hop), à l’idée d’enregistrer son rap au ralenti puis d’accélérer la bande-son ce qui donne une voix haut perchée, et sonne comme s’il avait inhalé de l’hélium.

La première apparition visuelle de Quasimoto est en 1998, elle est interprétée par le rappeur WildChild dans le clip «Whenimondamic» du groupe Hip-Hop LootPack (dont Madlib est aussi membre). WildChild souhaite pour l’occasion faire référence à l’un des films cultes du groupe: «La Planète Sauvage». C’est un film d’animation de science-fiction de 1973, dans l’intro du clip, le rappeur se déguise en «Draags», humanoides de la planète Ygam.

En 1999, l’illustrateur DJ Design modélise les lignes du personnage de Quasimoto, comme on les lui connait aujourd’hui, pour la pochette du single «Microphone Mathematics». Il s’est pour cela ins-piré d’un élément du livret de l’album de Quasimo-to «The Unseen». A la base Quasimoto devait être invisible comme la figure semi-invisible à l’arrière de l’auto sur la pochette de l’album. Le personnage au museau est lui aussi une référence au film «La Planète Sauvage», il symbolise les masques que portent les «Oms» créatures de la planète Terra.

Dans le cadre de la promotion de l’album «The Unseen» et ainsi que pour maintenir son succès commercial, le label Stones Throw Records im-prima sur des goodies le personnage. Dès lors le public commença à s’y référer comme Quasimoto lui-même. Depuis la créature au long museau est représentée, incrustée au détour de différentes ré-férences culuturelles populaires et Hip-Hop.

ACCULTURATION

1

Quasimoto histoire de sa création : www.stonesthrow.com/news/2009/01/history-of-lord-quas

Images: Wildchild dans le clip «Whenimondamic», visuel de l’album «Basic Instinct» inspiré du film «La Planète Sauvage»

Page 57: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Citation: extrait de l’interview Madrey

Quasimoto histoire de sa création : www.stonesthrow.com/news/2009/01/history-of-lord-quas

Images: Pochette de l’album Basic Instinct qui reprend l’affiche du film La Planète Sauvage 1973

Instagram de Quasimoto

Page 58: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

« "Le groupe PNL a décid

é de

s’affranchir complètemen

t

des médias traditionnels.

Ils

refusent toute interview

et

n’ont fait aucune promo

tion

publicitaire. Ils ont réus

si à

faire parler d’eux dans l

e

monde entier, tous les m

édias

leur courent après alor

s que

le schéma classique ser

ait

plutôt le contraire, les

ar-

tistes qui courent après

une

reconnaissance médiatiqu

e. Ils

ont réussi un impression

nant

retournement de situatio

n."

Citation 1 extrait de l’interview Madrey

Citation 2 extrait de l’interview Cyanure

Images : Quasimoto, personnage créer par le rappeur Madlib

Entretenir une relation personnelle et un

dialogue avec sa communauté de fans.

S’engager et se tenir à un ton, un type de

langage et à un état d’esprit définit.

Affirmer un postionnement singulier ACCULTURATION

2

Page 59: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Développer des leviers de

consommation, inciter à

l’achat, au téléchargement,

à la consultation et à la vi-

sualisation des différents

projets artistiques

Par ailleurs, nous remarquons que les investissements tech-nologiques des grands acteurs du numérique et du streaming se consacrent au développement de nouveaux usages et de nouvelles fonctionnalités. La multinationale Apple impulse la tendance en développant un nouvel algorithme de recomman-dations personnalisées pour son distributeur Itunes ; en effet, l’écoute personnalisée devient l’un des grands enjeux des pro-chaines années.

Grâce au développement de l’analyse de Big Data, qui résulte de l’examen des comportements utilisateurs, la suggestion de musique bénéficiera bientôt d’un meilleur ciblage marketing. Nous pouvons l’illustrer avec l’exemple de la plateforme de streaming Spotify qui offre la possibilité aux artistes de consul-ter des insights utilisateurs très précis : (âge, sexe, localité, gout musicaux, fréquence d’écoute...)

3A l’heure où la consommation de la musique par streaming est prépondérante (« 84% des jeunes, entre 12 et 30 ans, consom-ment la musique sur des plateformes de streaming vidéo telles que YouTube, DailyMotion et 28% via des plateformes audio telles que Deezer, Spotify et Soundcloud » ), les modes de dif-fusion de la musique rap se sont métamorphosées.

Selon leur positionnement, les artistes, n’adopteront pas tous les mêmes modes de diffusion, mais l’audience des plate-formes de streaming audio et vidéos étant des portes d’entrées incontournables pour la visibilité des nouveaux projets artis-tiques, il semble cependant nécessaire qu’un artiste émergent y soit présent.

AQUISITONCréer du trafic sur les canaux de distribution et de diffusion

Page 60: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Pour le web rédacteur Hugo Ferrandis, le format idéal de promotion serait de «proposer un album gratuitement et don-ner la possibilité aux utilisateurs de ré-munérer le travail sous forme de dons.»

En effet, à l’heure où les modes de consommation appellent à la gratuité, proposer aux auditeurs de rémunérer le travail d’un artiste selon la valeur qu’ils lui accordent, peut s’avérer être un bon compromis. La grande problématique des artistes rap aujourd’hui est de pou-voir vivre de leur musique. Si aux débuts de la musique rap les mo-tivations de gagner de l’argent n’appa-raissaient pas comme dominantes, la tendance s’est aujourd’hui considérable-ment inversée.

Aujourd’hui, de nombreux outils en lignes proposent aux auditeurs de musique de payer pour la musique qu’ils affec-tionnent. Pour exemple, de nombreux modules d’extension (plugins) voient le jour, ces outils qui s’installent directe-ment sur le navigateur de recherche de l’auditeur, lui permettent, à la rencontre d’un titre, ou d’un clip qui lui plait de le rémunérer en un clic s’il le souhaite. Cette nouvelle manière de payer à l’écoute répond à la problématique ac-tuelle de la consommation de musique en échantillonnage. Par ailleurs, ces ou-tils permettent de supprimer les inter-médiaires de médias et de production et augmentent les revenus destinés à l’ar-tiste. Cependant, ils sont encore très peu proposés et donc utilisés.

En corrélation avec les phénomènes émergents de la production collabora-tive, la solution du crowdfunding est éga-lement une nouvelle opportunité pour la personnalisation de la valeur commer-ciale. Le crowdfunding repose sur le finance-ment participatif d’un projet. En 2007, la plateforme française My Ma-jor Company propose aux artistes de pro-duire leurs albums grâce au financement participatif. En devenant porteur du pro-jet de l’album, l’auditeur se sent impliqué et est plus à même de valoriser l’album auprès de son propre réseau.

Pour l’artiste, ce type de financements lui permet de réaliser ses projets artistiques avec les moyens dont il a besoin et de renforcer sa communauté de fans qui se sent également investie dans la réussite commerciale de l’album.

D’après une étude réalisée en 2015 par l’Institut des Métiers et de la Musique, 46% des répondants déclaraient soutenir avant tout des artistes qu’ils aiment et qui ont des projets. Leur participation s’élève en moyenne à 20 euros par projet, c’est le prix d’un album chez un distributeur, mais la rémunération est cette fois entiè-rement reversée à l’artiste.

En échange, de leur participation finan-cière les fans souhaitent à 52% recevoir une contrepartie, un cadeau qui valorise-ra leur participation

4

AQUISITONCréer du trafic sur les canaux de distribution et de diffusion

Engager sa base-fans, la

solliciter et la faire partici-

per dans la valorisation des

projets. Appels aux dons via

le crownfunding.

Extrait de l’interview Hugo Ferrandis

L’institut des métiers et de la musique « crowdfunding Synthèse 2015 » article daté du 15 juin 2015

www.goodmorningcrowdfunding.com/musique-entre-musique-et-financement-participatif-ca-swing-1506152

Page 61: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Pour exemple, en 2015, le groupe de rap américain De La Soul, lance une campagne de crowdfunding sur la plate-forme Kickstarter pour le financement de leur prochain album. En l’espace de quelques semaines, l’objectif d’at-teindre 110 000 dollars a été largement dépassé en affi-chant un financement réunissant 353 000 dollars. Soit, trois fois plus que l’objectif de départ, et ce, un mois avant la clôture de la campagne promotionnelle. Pour remercier les donateurs, le groupe De La Soul proposait différentes contreparties selon le niveau de rémunération : réception de l’album, morceaux exclusifs, exemplaires d’albums si-gnés, tee-shirt à leur marque, journée shopping ou encore dîner en leur compagnie.

Cette nouvelle manière d’introduire l’auditeur dans la per-sonnalisation de la valeur commerciale permet à la fois de toucher plus de revenus grâce à la supression d’intermé-diaires, mais également, de consolider la relation entrete-nue avec son public.

Images: Campagne Kickstarter par le groupe de rap De La Soul

Page 62: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Capacité à créer une relation de confiance

et de proximité sur le long terme avec sa

communauté de fans. Pousser à l’engage-

ment et à la recommandation.

L’internet 1.0 concernait les pages web; l’internet 2.0 concerne les gens, les consommateurs.

L’internaute participe et interagit avec son réseau et son environ-nement.

La création de contenu inédit et exclusif par l’artiste rap permet de capter l’attention de son auditeur ; plus ce dernier se sentira privi-légié, plus sa relation avec l’artiste sera forte. Il s’agit ici d’établir une communication directe, par exemple partager des moments de vie, proposer de vivre des enregistrements studios, demander un avis et faire participer au processus créatif les fans.

les artistes qui construisent leur carrière dans le temps, seront de plus en plus en contact direct avec leurs fans et développeront ainsi leur univers et une communication d’acculturation.

« " Les artistes créeront

leurs propres applicatio

ns

mais il faudra à chaque

fois proposer quelque

chose d’inédit. Qu’est-ce q

ue

l’on a en plus en venan

t

chercher son application

?

Ça c’est l’avenir des ar

-

tistes, c’est le développe

-

ment de leurs émoticône

s,

de leurs filtres Snapchat

,

ils créeront leurs univer

s

avec leurs propres applic

a-

tions."

5

Développer sa notoriété et sa réputationFIDÉLISATION

Citation Fred Musa

Images : Emojizi développé par le rappeur Booba

Page 63: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

le développement de plateformes d’écoute innovées par des artistes s’avère une nouvelle opportunité de diffusion pour les artistes rap. En 2014, le rappeur Booba souhaite s’imposer sur le mar-ché des médias en proposant une nouvelle manière de consommer la musique rap et son actualité et en voulant concurrencer la radio Skyrock. Il développe pour cela sa propre plateforme de streaming vidéo :« OKLM.com », dédiée à la musique rap, et se donne pour mission de donner un espace médiatique à la nou-velle génération. Aujourd’hui, sa page Facebook compte 387, 545 fans.

En 2015, il lance la version de OKLM.com en format web radio, également disponible en application mobile, celle-ci compte à ce jour 62,459 fans sur Facebook.

Afin de proposer aux artistes rap un dispositif média com-plet, Booba sort également au début de l’année 2016 la chaîne TV OKLM, disponible sur le canal 215 de la FreeBox et qui compte 42,859 fans sur Facebook

Booba n’atteint pas encore l’audience de son éternelle rivale Skyrock, mais prouve, de manière positive, aux ar-tistes qu’il est possible de se faire connaître et d’être diffu-sé autrement que par les médias traditionnels.

« " Booba est en train

de bouleverser le rap-

port média-rappeur, il

est considéré comme

un animal médiatique,

il s’empare de parts de

marché qui ne sont pas

son territoire de base."

OKLM.COM OKLM RADIO OKLM TV

OKLM

Citation Genono

Image : Booba «Comme les autres»

Page 64: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

6

Développer sa notoriété et sa réputationFIDÉLISATION

Capacité à convertir sa fan-base virtuelle

en acteurs. Quel est le pourcentage de

personnes qui ont acheté / écouté l’album

/ participé à un événement par rapport au

nombre de personnes touchées par l’infor-

mation

Aujourd’hui, la scène rap offre une grande diversité de ta-lents à l’auditeur. Ce qui va désormais définir le soutient d’un artiste en particulier, c’est l’émotion dégagée par la relation qu’il aura su créer, mais c’est également la reconnaissance qu’il exprimera envers ses fans en les rencontrant.

Dans cette optique, de nouvelles fonctionnalités de live streaming sont de plus en plus accessibles comme Périscope ou Facebook Live, qui permettent aux fans de vivre virtuellement le concert. La problé-matique est de réussir à créer une émotion similaire au vrai direct, sensation qui se démocratisera certai-nement avec l’avènement de l’utilisation de casques de réalité virtuelle et de leur contenu 3D immersif.

« "Pour durer, il faut savoir faire de la scène, car les gens grandissent et évoluent, et il faut savoir évoluer avec eux. Si tu ne restes que sur Internet à faire des vidéos YouTube, demain tu vas être écrasé par un autre mec qui fait des vidéos sur YouTube. Aujourd’hui les gens sont

beaucoup moins fidèles, avant tu avais vraiment des fans, des mecs qui connaissaient toute ta

discographie et qui te suivaient vraiment"

Citation Fred Musa

Images: Concert TSR Crew, FacebookLive

Page 65: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

En janvier 2016, le rappeur américain Kayne West, fit précéder le lancement de son dernier album « The Life Of Pablo » par une stratégie de teasing qui dévoi-lait sur Internet, à ses fans, et progressivement, les collaborations d’artistes figurant sur l’album. Le mois précédent le partage de l’album, le rappeur dis-tillait certains titres chaque vendredi sur les réseaux sociaux, créant ainsi une curiosité et une attention chez les fans. Enfin, le jour du lancement de l’album, il organisa un événement live stream en collaboration avec la marque Balen-ciaga. Cet événement avait pour objectif à la fois de présenter le nouvel album, mais également, la collection de vêtements. Cette vidéo live stream afficha un compteur de vues à plus de 20 millions d’internautes. A la suite de l’exploitation de l’album, Kayne West, modifia trois fois ses pro-ductions en l’espace de six mois, et proposa systématiquement à ses auditeurs de réaliser une nouvelle mise à jour.

Cette stratégie consiste à offrir rapidement au public une première version de l’album et de prendre en considération les retours des fans afin d’améliorer le projet artistique.

Ainsi, la relation entre l’auditeur et l’artiste est placée au centre du processus créatif et déstructure complètement nos relations avec la musique. A l’époque d’une société de conso-acteurs, l’industrie de la musique se renouvelle et évo-lue avec elle.

Extrait de l’interview Hugo Ferrandis

Images : The Life of Pablo par Kayne West, Concert live au Madison Square -NY

Page 66: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

CONCLUSION

La culture Hip-Hop a aujourd’hui pris une très grande place dans la société française et son image se voit de plus en plus valori-sée. Aujourd’hui, elle imprègne l’environne-ment des Français, que ce soit dans le lan-gage, dans la manière de s’exprimer, dans la musique, dans la mode ou dans les arts. Ceux qui la méprisaient à son émergence, aujourd’hui se la réapproprient, Fred Musa en atteste : « Le constat le plus magnifique pour moi c’est le cas d’école Lacoste. J’ai un souvenir à l’époque, en 1998, avec Arse-nik, où Lacoste devenait fou et avait même porté plainte car les gars utilisaient l’image Lacoste. Et maintenant, quand je vois que dans la dernière pub Lacoste ils utilisent le son de Grand Master Flash, « The Mes-sage», je dis « Victoire !»

Si toutes les valeurs prônées par le créateur de la culture Hip-Hop Afrika Bambataa, ne sont plus aujourd’hui mises en avant, il n’en demeure pas moins que certaines continuent à vivre : débrouillardise, partage, authenticité et réussite artistique. Elles se renouvellent au travers des transformations de la société et de la nouvelle génération des rappeurs. Le rap a bénéficié d’une exposition mass-média avec la radio Skyrock ce qui a favorisé aussi son émancipation comme culture à part entière.

Le rap aujourd’hui se divise en différents genres qui parfois s’entremêlent permettant d’offrir une grande variété aux auditeurs. Ces mélanges de genres nourrissent les artistes et sont aussi un tremplin pour leur propre créati-vité, sources d’inspirations pour expérimenter et créer. Néanmoins, sa popularisation a fortement in-fluencé la variété française jusqu’à parfois se confondre avec elle. Et le contenu des textes des rappeurs ne sont pas toujours aussi riches et porteurs de sens qu’autrefois.Cependant, le rap, discipline de la culture Hip-Hop a une véritable place dans l’univers musi-cal et les autres disciplines que sont la danse, le graff et le djing sont plutôt pratiquées par des initiés et des passionnés.

Autre constat important et très positif pour la culture Hip-Hop, les institutions l’honorent dans son ensemble, en organisant des exposi-tions, des festivals ou en édifiant des lieux spé-cifiques, tel La Place, nouvel espace culturel parisien qui lui est consacré.

« Il y a plus de vingt ans maintenant, la

majorité des gens pensait que le rap ne du-

rerait pas dix ans, que c’était une musique

de jeunes, de mode. Le constat est que trente

ans plus tard, le rap est toujours là et plus

fort que jamais !"

Page 67: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Longtemps assujetti à un circuit de réus-site difficile, très fermé et contraignant, les rappeurs, aujourd’hui, saisissent les oppor-tunités que leur offre l’avènement du web collaboratif pour promouvoir leurs projets artistiques et s’émanciper des maisons de disques. De plus en plus de rappeurs maî-trisent l’ensemble de la chaine de produc-tion, de la création à l’enregistrement, de la promotion à la diffusion, et s’ouvrent à de nouveaux modèles de communication pour aller encore davantage vers leur public.En ce sens, nous observons de nouveaux modes de consommation de la musique do-minés par le streaming vidéo et audio sur lesquels reposent les stratégies de promo-tion des artistes. Désormais nous consom-mons la musique en échantillons, ce qui oblige les artistes non pas à penser leur communication pour promouvoir l’intégra-lité d’un album, mais bien plutôt celle d’un univers plus personnel, imagé et nourri de références plus ou moins culturelles.

Le développement de nouvelles techno-logies permet également aux artistes une certaine créativité dans les moyens de com-munication avec leur public et de s’ouvrir à des univers différents comme la réalisation de clips ou de courts métrages cinémato-graphiques, le développement de plate-formes médias et d’échanges intimes via les réseaux sociaux.

Aujourd’hui, d’un clic, il est possible d’at-teindre le monde entier et le succès d’un rappeur qui sait marier des compétences artistiques à une bonne connaissance de la technologie accèdera à la célébrité qui lui donnera le pouvoir de conquérir le grand public.La création artistique se fait grâce à l’inter-connexion d’idées et de partage d’informa-tions avec l’auditeur qui a de plus en plus un rôle à jouer auprès des artistes rap qui ne voient plus dans leurs fans un simple public mais de véritables partenaires.

La révolution digitale est la grande révolu-tion média et de société que nous vivons, nous nous dirigeons sans-doute encore vers de l’optimisation et de l’amélioration de ce que nous connaissons déjà, nous pou-vons donc nous interroger sur la prochaine étape.

Page 68: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

BIBLIOGRAPHIE

AUBERT, Nicole, « L’individu hypermoderne », Eres, 2006, 320p, (Sociologie clinique)

BOUCHER, Manuel, « Rap, expression des lascars : Significations et enjeux du rap dans la société française », L’Harmattan, 1999, 492p, (Union peuple & culture)

BETHUNE, Christian, « Le rap. Une esthétique hors la loi », Autrement, 1999, 215 p, (Revue Autrement Mutations, N°189)

CACHIN, Olivier, « L’Offensive rap », Gallimard, 1996, 128 p, (Découvertes Gallimard n°274)

COULANGEON, Philippe, « La satisfaction sociale des goûts musicaux. Le modèle de la légitimité culturelle en question », Presses de Sciences-Po, 2003/1, Vol 44, 204 p, (Revue française de sociologie)

BEY, Hakim, (Peter Lamborne Wilson), « The Temporary Autonomous Zone, Ontological Anarchy, Poetic Terrorism » (TAZ, Zone d’autonomie tempo-raire), Traduit de l’anglais par Christine Tréguier avec l’assistance de Peter Lamia & Aude Latarget, L’Eclat, 1997/2007, 96p,

LEBRUN, Barbara, « Majors et labels indépendants », Presses de Sciences-Po, 2006/4, 234 p, (Vingtième Siècle. Revue d’histoire no 92)

S.H. FERNANDO, « The new beats : culture, musique et attitude du hip-hop », Traduit de l’anglais par Arnaud Réveillon et Jean-Philippe Henquel, L’Eclat, 2008, 410 p, (Kargo),

TADDEI-LAWSON, Hélène, « Le mouvement Hip-Hop », Eres, 2005/1, 238 p, (Revue Insistance n°1)

Ouvrages

ArticlesBELLANGER, Pierre, « Des radios libres aux Skyblogs. Entretien », Le Dé-bat, 2006/2, n°139, p.146-164

PRENSKY, Marc, « Digital Natives, Digital Immigrants », On the Horizon (MCB University Press, Vol. 9 No. 5, 2001

FilmographieLATHAN, Stan, «Beat Street », Orion Pictures, 1984

ENDFIELD, Cyril R., « Zulu », Paramount Pictures, 1964

ConférencesDocumentaires

BARLOW, John Perry, « Une contre histoire de l’internet », Arte Futur, docu-mentaire, diffusion mai 2013, PDF Disponible sur : http://download.pro.arte.tv/uploads/Contre-histoire-de-lInternet.pdf

BAZIN, Hugues, conférence « Le Hip-Hop en France, 30 ans de sous culture » Sciences Po Paris (2012)

GAYLOR, Brett « Rip : A Remix Manifesto », [en ligne], documentaire vidéo, 2008, Disponible sur : https://www.onf.ca/film/rip_remix_manifesto

HIRSHBERG, Peter : « The web is more than «better TV» », [en ligne], video conference TED, décembre 2007, Disponible sur : https://www.ted.com/talks/peter_hirshberg_on_tv_and_the_web,

SMILEY Travis « web 2.0 a new voice for hip hop », Hip-Hop & Web 2.0, Web Exclusive, vidéo

Page 69: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

CARTOGRAPHIE DES INTERVIEWS

Cyanure Rappeur du groupe ATK

Actif depuis 1995

MadRey // L-ReyDj / Beatmaker

Actif depuis 2008

Hugo FerrandisRédacteur en chef à The BackPakerz,

webmagazine Hip-Hop français.

Fred Musa Animateur radio sur Skyrock depuis avril 1992 et de l’émission « Planète Rap » depuis

septembre 1996 -

Karim ThiamConsulting, publishing, marketing à H24 Musik – Ancien directeur marketing chez

Small (Warner) et directeur artistique urbain chez Sony Music

TetzwoAncien rédacteur en chef pour lehiphop.com, webmagazine Hip-Hop, entre 1999 et

2004

GenonoJournaliste rap pour la presse en ligne Noi-sey France et Captcha magazine, animateur

radio pour le Mouv.

Page 70: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

INTERVIEW KARIM THIAM Consulting, publishing, marketing à H24 Musik

Vous avez travaillé en maison de disques et en structure indépendante et pratiqué tous les métiers que cela induit (marketing, pro-motion management), pouvez-vous nous en parler ?

(...)J’étais assistant marketing chez Small qui était un peu le label laboratoire urbain de Sony, ensuite j’étais chef de produit, di-recteur marketing, puis responsable de mu-siques urbaines, je sortais les projets Format People avec Warif.Ensuite, quand il y a eu la fusion Sony BNG, je suis passé directeur artistique urbain, puis au bout de treize ans je me suis associé avec Warif pour créer H24 Musik. Nous, on fait beaucoup d’accompagnement, de conseils pour les maisons de disques, pour les marques. On offre des services variés, comme la créa-tion d’applications web, des animations com-merciales pour distribuer du contenu on-line : type jeux-vidéos ou musique.On travaille pour Orange depuis plusieurs an-nées, pour tout ce qui est sélection musicale des espaces Orange et, depuis cette année, je fais les habillages sonores des magasins Balenciaga dans le monde.

Du Hip-Hop au rap d’aujourd’hui : quelle est votre vision ?

La musique urbaine d’aujourd’hui n’a rien à voir avec la musique urbaine de notre époque. C’était une musique en même temps contes-tataire et qui revendiquait, d’où le décalage un peu culturel entre les générations d’avant et la nôtre. Elles étaient plutôt rock contes-tataire, critiques du système et nous, avec le rap qui faisait la même chose, je caricature un peu mais c’est un peu ça, et bah on était en conflit. Le rap a critiqué le système pour ce qu’il n’avait pas, mais en même temps, il reven-diquait ce qu’il n’avait pas. Le rap est quand même une musique très capitaliste.

Il y a des variantes, il y a beaucoup de nuances, mais c’est vrai que dans le discours général, le rap a toujours été une musique qui a véhi-culé auprès de ses acteurs l’idée de gagner de l’argent, de réussir dans la vie, de frimer, il y a beaucoup d’égo trip etc... De plus en plus le côté social est mis de côté, il y en a encore, mais ce n’est pas ce qui est cherché par les jeunes d’aujourd’hui. Ils cherchent beaucoup le côté entertainment, c’est pour ça que moi, je ne critique pas des artistes comme JUL ou SCH, même si je ne les écoute pas, parce qu’ils répondent à une attente, qui n’est pas la même attente que celle que l’on a pu avoir, où l’on recherchait de l’écriture de fond. La société s’est un peu durcie et les jeunes veulent s’amuser et basta. Et en même temps, on ne peut pas être incohérent, avoir voulu pendant des années que le rap arrive à s’imposer et que ce ne soit que le rap que l’on écoutait. Du moment que ta musique s’impose et qu’elle devient populaire, c’est qu’elle parle à un grand nombre de personnes, et quand tu es populaire, cela veut dire que tu touches des gens qui n’aiment pas cette musique à la base, mais finalement il y a certains formats qui leur parlent. Donc, à un moment, tu ne peux pas vouloir imposer une musique au plus grand nombre et ne pas accepter qu’il y ait tous types de rap ; du truc le plus superficiel, le plus simple au truc le plus élaboré et engagé. Il faut savoir accepter, il y a un discours qui me saoule : « Le rap c’était mieux avant ! ». Mais on ne peut pas dire aux jeunes qu’ils écoutent de la merde parce que si ça leur plaît, c’est que c’est fait pour leur plaire. Les jeunes générations qui écoutent du rap, ils écoutent du rap depuis qu’ils écoutent de la musique, moi j’ai commencé à écouter du rap à partir des années 1990. Au début des an-nées 1980, à part « The message » de Grand Master Flash et Rakim, il n’y a pas d’artistes qui me plaisaient tant que cela. Je trouvais

qu’ils ne rappaient pas bien. Moi, à la base je viens du Reggae et du coup, je trouvais que les flows étaient pourris et très scolaires et le premier rappeur qui jouait avec les ins-trumentales et les rythmiques c’était Rakim. Après, j’ai beaucoup apprécié De La Soul, car je trouvais ça très ludique mais je n’ai jamais été fan de Public Enemy ou de EPMD par exemple. Là où je suis vraiment rentré dans le rap c’est quand il y a eu la vague 1992-1994 où il y avait Dj Premier qui explosait. Le rap a été influencé par plein de choses, et les premières influences du rap ça reste le Reggae et le Funk. Les premiers rappeurs étaient Antillais, ils improvisaient des fêtes de quartiers, et c’est par la débrouille que le Hip-Hop est né. Moi, j’étais plus proche du Hip-Hop avec la danse que du rap à la base. Je regardais les émissions : « H.I.P H.O.P » de Sydney, puis au début des années 1980, j’allais dans les MJC danser avec mes co-pains, mais à la base, j’ai vraiment été tou-ché par la danse. Ensuite, c’est venu avec le rap et le graff et tout ce qui est djing. C’est plus dans les années 1990 que j’ai commen-cé à vraiment m’y intéresser, avec le DJ des Beastie Boys.

On a parlé très longtemps de sous-culture, aujourd’hui pour vous, quelle est la place de la culture Hip Hop en France, est-elle enfin reconnue comme telle ?

La culture Hip-Hop existe, elle a pris une forme qu’elle n’avait pas forcément à mon époque, mais elle a vraiment transpiré pen-dant des années. Elle s’est imprégnée un peu partout, que ce soit dans la manière de parler, dans le langage, que ce soit dans la musique où dans les arts visuels, ou encore plus globalement dans la création musicale. Aujourd’hui, même les artistes de la pop font appel à des acteurs du Hip-Hop dans la réali-sation de leur musique. C’est une musique qui est partout, c’est peut-être une musique qui est moins présente et moins facilement visible, car elle est moins « d’un bloc », mais franchement elle est par-tout. Tu regardes la télé, tu regardes les tun-nels publicitaires, si tu y prêtes attention il y a un tiers c’est du Hip-Hop, c’est de la pro-grammation de sample. Tu regardes la publi-cité de Apple en ce moment, la moitié c’est du Hip-Hop, alors que c’est le plus gros annon-

ceur de la planète. Tu regardes Lacoste c’est du Hip-Hop, alors qu’il y a vingt ans c’était « No way ». C’est toujours un peu « No way » dans leur communication officielle, mais ils communiquent avec des sonorités Hip-Hop. Pour moi, la meilleure campagne publicitaire qui a été faite, c’est celle de Evian avec les bébés breakers, ils ont gagné plein de prix dans le monde avec. Donc voilà, c’est une musique qui est partout qui véhicule plein de valeurs, que ce soit des valeurs de fête ou de revendications, les an-nonceurs ne cherchent pas la revendication mais plus l’esprit festif et entraînant. Je pense que plein de gens se retrouvent de-dans car c’est quelque chose de complexe et de simple à la fois qui est très riche et très facile à mélanger avec d’autres choses. La culture Hip Hop est présente plus que jamais de manière très appuyée et à des degrés très différents, parfois c’est subtil, parfois c’est très marqué. Les plus gros vendeurs aujourd’hui ce sont des artistes que l’on peut appeler « artistes urbains ». La plus grosse vente de ces quinze dernières années c’est Stromae et c’est un artiste urbain. C’est un artiste qui a réussi à mélanger la chanson française, le Hip-Hop et l’électro, mais à la base, c’est un mec qui était beatmaker chez Teufa, qui faisait les beats de « A l’ombre du show business » de Kery James. Donc, c’est un artiste urbain. Des artistes comme Maître Gims, qui fait un premier album solo à huit cents mille exem-plaires et un deuxième qui est parti pour faire peut-être plus, c’est un artiste urbain. Tu regardes un artiste comme Kendji Gi-rack, les réalisateurs qui sont sur ses deux derniers albums c’est Skalp et les Bionik. Ce sont des gens urbains qui sont sur la créa-tion musicale de ces artistes-là. Tu regardes des artistes comme Christine and The Queen, elle fait des featurings avec Booba. Moi je la connais depuis qu’elle sortait ses premiers maxis, et elle écoute du rap depuis qu’elle est jeune. Ça ne se ressent pas dans sa musique forcément, car elle a une musique pop élec-tro très marquée, mais c’est une nana qui se nourrit de Hip-Hop et de rap français. C’est donc une musique populaire, qui est numéro un chez les jeunes, ça ne se voit pas forcément dans les ventes, même si elles sont énormes car la consommation de strea-ming n’est pas encore vue et prise en compte comme les ventes physiques et les down-loads. Mais normalement, à partir de cette

Page 71: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

année, le coefficient multiplicateur des tops albums va prendre en compte le streaming dans les ventes, car la consommation du fu-tur c’est le streaming. Les gens n’ont plus besoin d’un Iphone où tu peux stocker 16 ou 32G de mémoire, ils prennent un abonnement sur Spotify, Deezer ou Apple Music et ta mu-sique, tu l’as via un abonnement. C’est une question de facilité et de rapidité et de fausse gratuité, car tu as l’impression que quand tu as un abonnement tout est gratuit mais au fi-nal tu payes pour écouter. Avec Youtube tu ne payes pas pour écouter mais tu te prends de la pub. Il faut savoir s’adapter au marché, aux nouveaux modes de consommation.

Le rap s’est-il détaché du mouvement Hip Hop et est-il devenu indépendant ?

A partir du moment où Skyrock s’est posi-tionné sur le rap ça a eu un effet de loupe sur la discipline du rap. Quand tu compares avec d’autres pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, comme ils n’ont pas un média qui est dédié à une des disciplines, en l’oc-currence à une discipline musicale, et bien là-bas, quand tu vas à un festival tu as toutes les disciplines représentées. Je me rappelle quand tu avais les battles of the year qui se passaient en Allemagne, la place qui était donnée au djing, à la danse, au graff et au rap était « incroyablissime » tu n’avais pas ça en France. Et quand un média national, un mass média, se positionne sur la musique rap, tu as tout d’un coup une discipline qui est exposée nationalement et qui prend le dessus. Même si c’est une des disciplines du Hip-Hop. Et bien en France, les artistes rap c’est les moins Hip-Hop. Le fait d’avoir un mass-média, je ne dirais pas si c’est bien ou pas, mais ça permet au rap de se développer comme n’importe quelle musique, comme le rock et la variété française. Le rap a bénéficié de la loi sur les quotas qui lui a permis d’ex-ploser dans les années 1990-2000.

Est-il porteur d’une nouvelle culture ?

La musique est le reflet des gens, de la so-ciété et des époques. Le rap d’aujourd’hui est à l’image de la société actuelle, sans por-ter de jugement. Il véhicule les problèmes de la jeunesse d’aujourd’hui qui n’a pas les mêmes objectifs. Nous sommes dans une société où il y a beaucoup de désillusions, une grande perte d’espoir, des choses que

l’on a pu avoir en tête et qui se sont montrées non réalisables. Quand Assassin, NTM et Solaar faisaient du rap, le parti communiste était à 20%, c’était une France où la popula-tion ouvrière était importante. Il y avait une volonté d’égalité dans la société, on était aussi à la fin de la guerre froide, on avait des espoirs de paix dans le monde, il n’y avait plus d’histoire de bloc américain et de bloc communiste URSS. Les utopies des années 1970-1980 n’étaient pas les mêmes. Je me rappelle précisément du samedi matin quand j’ouvre le poste de télé et qu’il n’y a pas le programme que je voulais voir, et que j’ap-prends que le mur de Berlin est tombé je me rappelle je me disais : « C’est bon on y est arrivé, c’est la fin de la guerre dans le monde ! ». Je me souviens, j’étais jeune, j’avais dix-huit ans. Donc voilà on était plein d’espoirs, ça c’était en été si je me souviens bien. En décembre, en Roumanie la dictature se fi-nit, il y a plein de choses qui se mettent en place, on est dans une période où on se dit qu’il y a plein de choses qui vont changer. Fin 1989 c’est la fin de l’apartheid, tu vois il y a plein de trucs dans le monde et dans la so-ciété française qui se sont passés et où s’est dit c’est un nouveau mai 68, toute proportion gardée bien entendu, ni dans la même forme ni dans les mêmes revendications, mais ça allait dans le bon sens. Bon, c’est reparti en couille deux, trois ans après avec la guerre en Yougoslavie, avec l’assassinat de Yitzhak Rabin. Mais tu vois, nous on a vu le processus de paix avec Yitzhak Rabin et Yasser Arafat qui sont des ennemis jurés, et qui arrivent fi-nalement à se parler, à se serrer la main à lancer un processus de pacification dans la région. C’est la reconnaissance d’une part de l’état d’Israël par l’OLP et d’autre part, la re-connaissance de la Palestine par Israël. Il y a eu un moment entre 1992-1993 où tu te disais : « Putain, il se passe des choses de ouf ! » et « boom ! » au milieu des années 1990, ça repart en cacahouète. Et il y a un moment où dans le rap, et pas que le rap, tu regardes la chanson française, et bien il y a beaucoup de désillusion dans les textes. Les gens aiment bien parler du rap car c’est un fantasme pour plein de gens, c’est le fantasme sur la ban-lieue, sur la musique d’immigrés mais tous les genres musicaux ont été impactés par ces événements.

Aujourd’hui les artistes se proclament-ils Hip-Hop ?

Je pense que le terme Hip-Hop n’a pas le même sens dans la bouche d’un jeune que dans la bouche d’un mec de la première, deu-xième et troisième génération et je pense que chez les jeunes il y en a qui s’en foutent du Hip-Hop. Tu vois, ils rappent et ils font de la musique. Même dans les rappeurs, la moitié ils chantent. Des artistes qui sont plus sur un format cross-over, ces artistes-là chantent. Tu aurais dit à Booba il y a quinze ans : « Tu verras, tu vas chanter dans quelques années » il aurait dit : « Arrête de déconner ! ». Mais la société a évolué, la musique a évolué, et lui a suivi cette évolution, et il fait partie des artistes les plus influents et des plus suivis. A un moment, il faut savoir vivre avec son temps pour durer. Quand tu vois des artistes comme Common où son premier album est sorti en 1991, ses plus gros succès c’est « Fin-ding For Ever » et « Be » qui sont sortis en 2006 et 2007, c’est-à-dire quinze ans après, bah ça a marché, car il a bossé avec Kanye West qui était l’artiste du moment. Ce n’était pas à dix mille lieues de ce qu’il faisait déjà mais il a su travailler avec les artistes du mo-ment pour réussir. Sur son dernier album, tu retrouves des Vince Staples comme invité, c’est pareil, c’est des artistes du moment, il se renouvelle et s’entoure des jeunes. L’es-sence même du Hip-Hop c’est de savoir s’en-tourer des jeunes, car ils vont deux fois plus vite et ils peuvent mettre l’ancienne généra-tion en danger, faut pas l’oublier le Hip-Hop c’est aussi de la compète !

Y a-t-il de nouvelles disciplines Hip-Hop ?

Tout ce qui est sport urbain, les Yamakasis, cette façon d’appréhender l’architecture de la rue comme support de sport faute de pou-voir se payer un abonnement à la salle de sport, ils font de l’escalade, ils sautent de toit en toit, c’est complètement Hip-Hop. Même la manière de faire de la musculation au-jourd’hui, c’est devenu du spectacle. Ils font ça dans la rue avec du rap derrière.

En 2016, que signifie le rap pour vous, pou-vez-vous citer trois mots que vous associez systématiquement au rap ?

« Envie d’exister » : en tant qu’artiste, mais c’est aussi l’envie de se faire connaître. Avec

les réseaux sociaux, on est vachement dans une époque du « Moi je », « Moi je » donc voilà l’envie d’exister du bon et du mauvais côté. « Persévérance et travail » : car tu peux pas durer si tu ne travailles pas et si tu n’es pas productif, car maintenant il faut pondre tout le temps. Quand tu regardes des artistes comme JUL, qui en deux ans a pondu huit al-bums, tu te dis c’est incroyable !« Passion » : un artiste il faut qu’il soit pas-sionné. Et je rajouterais aussi « patience ». On est dans une époque où les gens sont super im-patients, et c’est pas parce que ton premier titre a marché que les suivants vont prendre. Il y a très peu d’artistes, comparé à avant, où une fois qu’ils sont lancés on se dit : « Ouais ils vont durer », car souvent, ils n’arrivent pas à faire un deuxième titre aussi bon que le premier. On explique ça, car ils sont pris dans une spi-rale qu’ils alimentent tout seuls, et il y en a beaucoup, ils disparaissent aussi vite qu’ils sont venus. Il y en a beaucoup c’est des one-shot.La première et la deuxième génération ne faisaient pas de rap pour gagner de l’argent, ils faisaient ça par passion. Les gars de la première génération avant de faire du rap ils faisaient du graff ou de la danse, c’était plus des artistes Hip-Hop. Ils tapaient dans toutes les disciplines. Le plus dur, c’était le Djing car ça demandait d’acheter du matos, mais les autres disciplines étaient super accessibles et ne demandaient aucun investissement.Avant, avant de sortir un album de rap ça fai-sait quatre ans que tu rappais, ton école pour rapper c’était les soirées de micro ouvert et quand tu n’étais pas bon, tu te faisais déga-ger de la scène, on te sifflait etc.. Donc tu re-travaillais, tu retravaillais, et quand tu étais validé, tu avais peut-être le droit de faire ton maxi. Il y avait une réelle école du Mcing. Quand tu regardes des artistes comme NTM, pour qui cela a relativement marché vite, il y a eu quand même deux ans entre leurs débuts dans le rap et leur premier album, deux ans! C’est pas genre ils font un buzz sur Internet, on les signe et ils sortent un album dans l’an-née !La génération d’avant, quoique l’on en dise, ce n’est pas une génération qui a été élevée au rap, ils ont essayé de faire leur rap « cainri » -ricain pour américain- à leur sauce, mais ce sont des gens qui sont élevés à la varié-té française, à la chanson française, au rock

Page 72: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

etc. Ils ont été élevés avec de la musique où même les textes des chansons populaires étaient faits par des gens que l’on appelle des auteurs. Il n’y avait pas de rappeurs qui écri-vaient mal à l’époque, il n’y avait pas de faute de syntaxe dans un rap, ça n’existait pas. Ils savaient tous s’exprimer correctement, si tu savais pas parler français tu te mettais pas au rap, alors que maintenant, n’importe qui se met au rap. Ce sont des manières d’appré-hender les choses, aujourd’hui c’est pas des-tiné aux mêmes personnes, les motivations ne sont pas les mêmes, l’époque n’est pas la même et les acteurs ne sont pas les mêmes.

Y a-t-il eu en France un code moral dans la culture Hip-Hop et plus particulièrement dans le rap? Le respect d’autrui, la perfor-mance, l’exutoire de colère sont-ils tou-jours des maîtres mots ?

Oui, ce sont toujours des maîtres mots, et peut-être encore plus forts qu’avant mais différemment. C’est-à-dire qu’il y a toujours la performance, depuis quatre ou cinq ans, il y a une nouvelle génération qui est arrivée, que moi j’appelle génération de free stylers : des gars comme Fababy, Lemsi, Sadek, Es-poir, toute la clique de 1995 et des S-Crew, l’Entourage, Georgio. Il y a une nouvelle gé-nération de rappeurs qui est une génération de free stylers, où quand les gars sont au-tour d’un micro, c’est à celui qui fait le meil-leur freestyle, le meilleur couplet, la meil-leure performance de la même manière qu’à l’époque. Après, je pense qu’il y a aussi une compétition sur ce que l’on appelle le buzz, sur les réseaux sociaux ou du moins sur les médias. Maintenant c’est beaucoup plus fa-cile de se faire connaître qu’avant quand tu n’avais pas Internet. A l’époque, pour te faire connaître, c’était un peu de street-marketing, fallait faire des maxi vinyles, trouver un deal de distributeur ou de licence ou de signature d’artiste qui te permettait de te faire distri-buer un peu partout chez les disquaires. Si tu signais en maison de disques, et bah ton clip il pouvait sortir sur M6 et MCM. Maintenant, tu fais ton clip tu le diffuses comme tu veux. A l’époque, pour faire un clip ça coûtait une for-tune, car c’était de la pellicule, les caméras coûtaient super cher, le développement ça coûtait cher, la post-prod coûtait super cher. Soit tu avais un peu de budget, soit tu avais des potes là-dedans. Maintenant que tout ça est accessible, le buzz devient forcément une

compétition supplémentaire.

D’après-vous, quand et comment le rap a-t-il atterri sur Internet ? Via quels supports ? Un exemple d’artiste précurseur dans le domaine à l’époque en particulier ?

La première fois que j’ai entendu le mot In-ternet, j’étais à la FAC, j’avais un prof de so-ciété et média et je me rappelle, il nous disait : « Retenez bien ce mot-là : « Internet », c’est l’avenir ! ». Et après, en stage, à New York, j’avais accès à Internet et à l’Intranet qui étaient quasi inexistants en France à ce mo-ment-là. C’était purement des outils de com-munication, dont on se servait pour envoyer des messages. Quand je suis arrivé en mars 1996 chez Sony, c’était le mois où ils ont ins-tallé Lotus Note sur les ordinateurs, donc il y avait une messagerie interne et en 1997, on pouvait envoyer des messages à l’extérieur mais comme personne n’avait d’ordinateur ou de boîte mail, du coup, tu ne communi-quais avec personne sauf avec des profes-sionnels. Petite parenthèse sur mon C.V : quand j’étais au Jazz (chez Sony), j’ai été à mi-temps pen-dant un mois assistant du responsable In-ternet et donc, on avait fait un site pour Sony Jazz, qui était tout pourri. A l’époque, c’était une vraie galère et il n’y avait pas un mil-liard de possibilités et puis c’était très long à mettre en place. Et en fait, chez Sony le premier site qui a été fait c’est celui de NTM en 1998, mais il n’y avait rien, seulement une page avec une flamme. Très vite, après, j’ai fait le site de la Fonky Family, et la première stratégie Internet que j’ai faite et vue (il y en avait sûrement avant mais je ne les ai jamais vues) c’était pour le lancement d’ « Art de Rue » de la Fonky Family. Je l’avais commen-cée en fin 2000 et l’album est sorti en mars 2001 et j’ai fait un site qui avait pour volonté de parler de leur musique. J’ai travaillé avec Julien Pelrant qui est aussi la personne qui a fait la pochette de l’album « Art de Rue ». La stratégie ça a été pendant, allez, facile trois mois : toutes les semaines, les gens rece-vaient une liste avec des informations, de la musique à écouter en exclusivité -que l’on hébergeait sur un site externe- et quand on balançait un truc en particulier sur une ra-dio, on leur disait : « Ecoutez Skyrock, demain titre en exclu ! ». La première exclu c’était : « Fièvre de Béton » qui n’était pas dans l’al-bum, mais que l’on avait mis sur une compi-

lation Planète Rap, qui était un vrai inédit et qui était pour annoncer le retour de la Fonky Family. Après, on a lancé un maxi qui s’ap-pelait « Nique tout » avec en face B « Es-tu prêt ?», puis enfin on a lancé le titre « Art de Rue » qui est devenu un tube et un classique en même temps. Pendant trois mois, on avait un planning de mail-liste hebdomadaire et on n’a raté aucun rendez-vous. Après, je ne vais pas dire que cela a porté ses fruits car l’al-bum était fait pour marcher, mais en tout cas, je sais qu’en trois mois on a récolté soixante mille mails.

Donc déjà du streaming à l’époque ?

Ce n’était pas du streaming, c’était un player sur lequel on injectait les titres, mais il n’y avait pas ces notions de droits d’auteurs, on ne demandait pas à l’artiste si on pouvait uti-liser ses titres sur lesquels il n’allait pas tou-cher de droits. C’était les balbutiements des nouvelles manières d’écouter et de consom-mer la musique.

C’est une stratégie que j’ai également ap-pliquée pour 113. Mais la deuxième grosse stratégie que j’ai faite pour le rap sur Inter-net, c’était à l’époque du premier album de Mafia K’1Fry quand on a fait le clip de « Pour ceux » avec Kourtrajmé. Le titre était super hardcore, on savait qu’il ne passerait jamais à la télé. La première fois que j’ai vu le clip terminé, j’ai dû le voir trois fois, mon cœur battait de ouf je me disais « On a fait un pu-tain de clip ! » et je me voyais en train de le présenter en réunion de coordination. C’était une réunion le mercredi matin avec tous les patrons de Sony. On passe en revue le label, les actualités, les problématiques que l’on a etc... Mon constat était d’une part : aucune chaîne ne va passer le clip et d’autre part, le titre est tellement hardcore, que tu as une responsabilité en producteur-diffuseur de dire : « Ok le message est un peu trop dur ». Donc on n’a jamais envoyé le clip en télé mais on a communiqué sur le fait qu’il soit censuré. Ce qui n’a jamais été le cas, le clip n’a jamais été censuré mais c’était notre axe de communication. Quand les gens voient le clip, ils ne mettent jamais en doute qu’il soit censuré, alors qu’il n’a jamais été censuré. Donc, pour pouvoir le diffuser, d’une part on a fait cinq mille cassettes VHS que l’on dis-tribuait à la sortie des concerts, et d’autre part, avec Kourtrajmé on a créé un site. Il

était hébergé sur le serveur de NovaProd et il y a eu une telle demande qu’il a saturé ! En fait, le clip était en visionnage mais aussi en téléchargement gratuit, du coup, après que le site ait crashé, on a hébergé le site sur un serveur à Lille, ça c’était en 2003, et l’album est sorti en 2004. Internet a eu un effet fou-droyant ! Il n’y avait pas Internet chez tous les gens, la plupart n’avaient pas d’ordinateur, ils passaient chez leurs potes qui avaient un ordinateur ou alors quand ils passaient chez Sony, ils montaient au label pour voir le clip. Il y a vraiment eu un buzz, le titre n’était dis-ponible nulle part et qu’en vinyle. Il n’y avait pas encore ITunes à cette époque, il n’y avait même pas e-compil. Donc le titre tu ne pou-vais pas l’avoir, il n’y avait pas de player où tu pouvais écouter les sons en MP3. Donc le titre tu pouvais l’écouter sur Génération, on l’avait envoyé aux blacklists aussi. Après on a réédité le vinyle plus tard, mais, à la base, on l’avait tiré à cinq cents exemplaires. Si tu enlèves les deux cents exemplaires que tu envoies aux DJs, aux médias etc… bah il en reste trois cents. C’était en rupture de stock en deux, trois jours. Après, voilà des exemples de stratégies, il y en a eu quelques-unes ensuite. Après, c’est vrai, quand Sky-blog est arrivé à la fin des années 1990, c’est le premier réseau social mondial, puis, ils se sont fait détrôner quand Facebook est arrivé. Même MySpace n’avait pas réussi à niquer Skyblog tu vois. Jusqu’à 2008 Skyblog c’était énormissime ! En 2006, TF1 voulait racheter Skyrock, et ils n’ont pas pu racheter Skyrock à cause du prix de Skyrock.com. C’était le premier site français, c’était devant le site de TF1, devant le site de Coca, devant Yahoo, de-vant tout, laisse tomber !Après, j’ai travaillé sur le deuxième et troi-sième album de La Fouine et à l’époque quand on a fait le deuxième, c’était vraiment pour donner du contenu etc… J’ai créé tous ses profils, réseaux sociaux, Skyblog, Face-book, Myspace. Au début, quand les gens écrivaient à La Fouine, c’était moi qui répon-dais. Ça le faisait chier mais après, il l’a très, très, bien pris. Je faisais même les articles SecondLife de mes artistes (haha). Moi, à l’époque avant que je parte, en 2008 de chez Sony, je bossais sur le troisième al-bum « Mes repères » de La Fouine. J’avais dit à ses tourneurs de l’époque, Mazava Prod, de filmer la tournée en province, et c’est là où il y a eu la série « Lourde de Fou » sur Skyblog. Ça été filmé pour ça. En gros, c’était

Page 73: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

soixante jours, soixante nuits avec La Fouine, tu rentrais dans son quotidien, dans son in-timité, c’était un peu nouveau en France. C’était uploadé sur Youtube et on commu-niquait sur Skyblog, car il fallait augmenter les statistiques de Skyblog. Laurent Bouneau regardait beaucoup les statistiques de Sky-blog.com et de Skyrock.com car c’était lui le responsable de ces plateformes, et c’est aussi un thermomètre pour lui. Comme La Fouine, son premier album n’avait pas mar-ché de dingue, il a fait trente mille exem-plaires, le deuxième album, malgré le fait que l’on ait eu quatre gros singles, a fait à peine soixante-dix mille exemplaires, toutes ventes comprises. Dans les discussions que j’avais avec Bouneau, il doutait un peu du po-tentiel commercial de La Fouine, et moi mon objectif était de dire on fait toute notre com-munication sur Skyblog, toute la promo, et ça a marché ! Le premier mois où on a lancé la promo, je me rappelle on a fait soixante-quinze mille visiteurs uniques sur le mois. Je me suis souvenu d’une conversation un peu métaphysique sur Internet avec Bouneau, il disait que les cimetières de demain ce serait les Skyblogs et les Myspaces, et les gens di-raient : « Va voir comment vivait ton ancêtre », car tu as des photos, des vidéos, tu as plus besoin d’aller sur la tombe, tu retournes sur le profil, ça te fait penser à la personne. Il y a un côté mystique comme ça, la conversation était très intéressante. C’était le début des réseaux sociaux, et je n’avais pas été aussi loin dans la réflexion, j’avais une vision très outil de travail. Je n’avais pas encore en tête la puissance sociétale du truc.

Et les maisons de disques n’avaient pas une volonté de créer leur propre plateforme so-ciale ?

Bah c’est compliqué, car les maisons de disques ce sont des multinationales et les politiques des majors sont en partie définies à l’international, à la maison mère. Quand il s’agit de gros enjeux, que l’on appelle à l’époque, des enjeux de télédistribution, ça ne s’appelait pas encore le digital, bah à un moment donné, tu pouvais pas faire n’im-porte quoi, il te fallait des autorisations hié-rarchiques, il n’y avait pas trop de prises de risques. Moi, je pense avoir fait les premières sonne-ries de téléphone en major sur les artistes, ce qui a été quand même le premier gros

marché du digital, et ça été fait sur Willy Denzey. Je voulais déjà le faire pour 113 mais on n’avait pas pu le faire. Ce qui me rendait dingue à l’époque, car quand j’achetais R.A.P, Groove, Radikal, je voyais des pages de pubs de 123Multimédia où ils faisaient toutes les sonneries de téléphone en polyphonie, c’est-à-dire en qualité de merde. Alors que nous, on pouvait faire des sonneries en qualité master mais on ne pouvait pas le faire car les guidelines n’étaient pas encore définies à l’international. Et puis, quand tu voulais faire des sonneries de téléphone c’était très com-pliqué car il fallait faire appel à des sous-trai-tants comme Muziweb etc… Il y a beaucoup de choses que l’on ne métrait pas. Finale-ment, j’ai réussi à faire ma première cam-pagne de sonneries de téléphone sur Willy Denzey, intégralement payée par SFR ou Orange et Fun Tv, et en deux mois, on a ven-du trois cents mille sonneries de téléphone. Le coût d’une sonnerie de téléphone, c’était trois euros et quelque le SMS surtaxé, bah tu fais le compte, tu te faisais vingt millions d’euros. A partir de là, chez Sony on s’était dit : dès que l’on fait de gros singles et bien on fait des sonneries de téléphone avec. Quand tu sortais l’album, sur le sticker tu avais les infos pour renvoyer le SMS, et parfois tu avais même des sonneries exclusives. Mais c’est un marché qui a très vite disparu parce que les Smartphones sont arrivés et tu pouvais définir un des sons de ton téléphone en son-nerie. Les gens ne se sont pas rendu compte de la vitesse à laquelle les choses ont évolué, quand j’ai commencé la musique on n’avait pas Internet, on n’avait pas de téléphone por-table, on faisait tout à la main.

Vous qui êtes vous-même manager com-ment avez-vous vécu la transformation di-gitale de la promotion du rap ?

Bah ça aide, ça rend le marché un peu plus fou, et puis tu ne sais pas vraiment, car dans le digital tu peux gruger sur les vues, sur les ventes etc… On est abreuvé d’informations, Internet est devenu un immense supermar-ché où il faut réussir à trouver son chemin. Le défi d’un produit, de l’artiste, c’est de réussir à capter les gens, c’est réussir à mettre des lumières pour faire venir les gens, ça c’est la première étape. La deuxième étape c’est que les gens s’arrêtent, la troisième étape c’est qu’ils rentrent et la quatrième étape, c’est qu’ils ne veulent pas repartir. Donc voi-

là, c’est de réussir à faire son chemin, par le biais artistique ou par le biais des idées.

Y a-t-il eu une fracture ou était-ce une longue évolution ? Y a-t-il eu un avant et un après web 2.0 ?

Non ça s’est fait progressivement.Par exemple, en 1999, le business affaire de Small, c’était Ludovic Pouilly, qui est un des boss de Deezer. Je me souviens, il faisait si-gner des avenants à tous nos artistes pour rajouter dans les contrats que la musique pouvait se vendre de manière immatérielle. Donc, avant même que l’Internet arrive, c’était des problématiques mises sur la table par l’International, les Etats-Unis et le Japon, car le capital principal c’était le Japon, et la direction générale c’était les Etats-Unis.

Y a-t-il eu des rapprochements avec des acteurs du web 2.0 pour la promotion d’ar-tistes ? (Avec des blogs, des sites d’actus, des plateformes musicales, avec les plate-formes réseaux sociaux)

Tu as les plateformes et tu as les médias, et quand je dis médias, j’inclus les blogs. En fait, à un moment donné, tu as besoin d’exposi-tion, tu as besoin d’être montré donc tu fais des partenariats, soit avec des acteurs qui ont de l’audience, soit avec des acteurs qui peuvent te financer des campagnes, qui vont te donner de l’audience ou qui pourront te montrer au plus grand nombre. Donc oui, tu es en contact avec des acteurs comme You-tube. Youtube, c’est à la fois un média et à la fois un distributeur, car tu monétises ton compteur de vues, c’est un acteur au même titre que la Fnac. Ils ne vendent pas ton pro-duit sous la même forme, mais tu achètes un service. Youtube te permet de visionner gra-tuitement des contenus vidéo et finance ce service par de la pub que l’on nous impose. L’intérêt de ces plateformes c’est que tu peux créer des communautés et tu peux les nourrir. Ceux qui sont très forts là-dedans, ce sont les humoristes, ils ont des millions de personnes abonnées à leurs chaînes, et s’ils savent bien la gérer, il y a potentielle-ment des millions de personnes susceptibles de voir leurs vidéos. Et comme c’est un outil promotionnel, ils cultivent leur univers, leur cotte, par ce côté-là, et en même temps, ça génère leur business, c’est comme une chaîne de télé.

Une chaîne de télé, tu payes une redevance pour les chaines publiques, mais de ma-nière générale tu regardes gratuitement les chaînes en échange de regarder de la publi-cité. On va vers de la fausse gratuité, c’est pour ça que tous les gens qui arrivent avec des ser-vices payants je n’y crois pas trop. Les gens ont d’une part pas envie de payer et d’autre part, ils sont tellement sollicités, si tu com-plexifies le truc, c’est mort. Il y aura peut-être un jour quelqu’un qui prouvera le contraire, mais tous les acteurs qui sont venus avec un truc payant, bah ils se sont plantés.

Justement, vos artistes vous les placez sur toutes les plateformes de streaming free-mium ?

Oui, sans exception ! Après, je ne suis pas manager, mais pour les gros artistes tu donnes d’abord l’exclusivité à une plateforme et après, tu distribues la musique aux autres. Comme pour une chaîne de télé, tu donnes d’abord l’exclusivité à une chaîne de musique comme M6 Music ou MCM un jour avant de l’envoyer aux autres, tu communiques sur le fait que tu vas diffuser en exclusivité à telle heure sur telle chaîne et bien là c’est pareil. C’est des endroits où tu vas consommer mais c’est également des médias.

Quelles sont les différences majeures qui ont bouleversé le circuit de promotion clas-sique?

Avant, pour avoir accès aux gros médias, t’avais quand même beaucoup plus de chance de le faire quand tu étais en major que main-tenant où tout le monde peut le faire. Du coup, ça a beaucoup déséquilibré le marché, parce que maintenant ce sont les artistes qui font eux-mêmes leur développement, leur buzz. Les majors arrivent et choisissent, je carica-ture un peu mais c’est ça. C’est comme si un patron de label, c’était une sorte de courtier en bourse, il surveille un peu le marché, il re-garde quelles sont les valeurs qui montent et après, il va définir celles qu’il a envie d’ache-ter et quel est le meilleur moment pour les acheter, et au meilleur prix avant de se le faire piquer par quelqu’un d’autre. Mais ce sont les artistes eux-mêmes qui font monter leur valeur. La FF quand on les a signés à l’époque, les gens ne connaissaient que « Bad Boys de

Page 74: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Marseille » et la réputation qu’ils avaient sur scène, et après, il y a eu le titre « Sans ré-mission » sur la mixtape « Opération Coup de poing » qui a renfoncé le truc mais il n’y avait rien d’autre. On ne pouvait pas savoir si l’album « Si Dieu le veut » allait marcher. Je me souviens que le patron m’avait demandé si on pouvait en tirer dix mille, moi je lui avais dit quarante mille, et sur la vie de la pro-motion de l’album, on a fini à plus de deux cents mille exemplaires et je pense qu’il doit être proche des cinq cents mille exemplaires maintenant. Jamais à l’époque on aurait pen-sé faire autant, après c’était une époque un peu charnière, car c’est le premier groupe « Skyrock ». C’était quelques mois après que Skyrock se soit positionné sur le rap. Le rap qui marchait à l’époque c’était NTM, Solaar, qui étaient déjà installés, mais sinon en 1994-1995 c’était du rap très cross-over, très immi-gré à l’époque. Mais à ce moment-là, ce type de rap on ne savait pas si ça allait plaire. La FF, ils étaient considérés comme hardcore, et quand l’album est sorti, on a eu une émis-sion « Planète Rap » qui était la deuxième émission « Planète Rap », un truc comme ça. D’ailleurs la première émission « Planète Rap » filmée c’était avec la FF pour Marginale musique, c’est fou, non ?

Laurent Bouneau a programmé ensuite « Sans rémission » mais il ne l’a pas joué long-temps, juste quelques semaines. Après, on n’a pas eu de radio, du coup, on l’a fait tourner en blacklist, on a fait des tournées en province et c’est quand il y a eu le concert au Bataclan, dix mois après, c’était un concert de malade, que le lendemain le titre « Sans rémission » rentrait sur Skyrock et sur plein d’émissions. Nous, on sentait que c’était un hymne, mais c’est vrai que c’était dur à l’époque, pour la plupart de gens qui n’étaient pas forcément des amateurs des premières heures de rap français, de sentir l’énorme potentiel du titre. Pareil, quand on a signé 113, jamais j’aurais pensé que l’on aurait fait quatre cents mille exemplaires. Pour moi l’objectif c’était de faire cent mille, tu vois. On balance « Hold Up » c’était notre titre street, il n’a pas de clip, on l’a fait rentrer sur Skyrock et on a fait cent mille exemplaires en un mois. C’est à ce mo-ment-là que l’on a décidé de sortir « Tonton du bled » et bien on est monté à deux-cent cinquante mille exemplaires. C’était une pé-riode très émouvante, on ne se rendait pas compte de l’énorme potentiel. Le seul qui

avait des grosses ventes jusqu’à présent, c’était Solaar. Je me rappelle de discussions que l’on avait entre maisons de disques spécialisées rap, Sony, Barclay, Hostile et Warner avec les Format People, et bien on se disait que quand on faisait cent mille exemplaires on était trop contents de dingue ! Cent mille c’était disque d’or à l’époque, trois cents mille c’était pla-tine, double platine à six cents mille exem-plaires et diamant à un million. On savait qu’il y avait du potentiel, mais on ne savait pas à quel point.

Aujourd’hui le budget alloué à la communi-cation des artistes est plus ou moins impor-tant?

Il est moins important, avant quand tu faisais un clip, en tout cas en major, à part cas excep-tionnel, quand on a commencé à tourner en DV -car ça coûtait moins cher-, tu n’avais pas un clip à moins de deux cents mille francs, soit trente mille euros. Egalement pour les spots publicitaires, ils coûtaient beaucoup plus cher. Ça coûtait cher de sortir un disque, si tu faisais trois clips, tu en avais pour cinq cents mille francs, soit quatre-vingt mille eu-ros. Le clip « Art de rue » de la FF, il a coûté cinq cents mille francs, c’est deux jours de tournage, c’est plusieurs endroits, c’est des décors fabriqués, de la pellicule en 35 mm. Maintenant, le prix d’un clip c’est entre zéro et deux mille euros, avec cinquante mille eu-ros tu peux faire toute ta promotion, le mar-keting inclus.

Comment percevez-vous l’importance des médias sociaux pour les artistes rap ? Et pour leur manager ? Pour quels usages et dans quels buts ?

Un média pour informer et donner envie. La force et la faiblesse d’aujourd’hui c’est que tu peux définir une stratégie mais ce n’est plus les artistes qui gèrent ce truc-là, donc ça te décharge de ce travail là, ça c’est l’aspect positif. L’aspect négatif, c’est que parfois, ils font ça sur un coup de tête, du coup il n’y a pas forcément la définition d’une stratégie à laquelle ils se tiennent. Il y a beaucoup de communication par réaction aussi. On ne peut pas voir du positif partout, mais Inter-net s’utilise comme tu utilisais la presse ou la radio, pour informer, pour faire connaître et pour faire envie. Tout simplement.

Vous multipliez les supports ?

Oui tu es obligé, il y a une telle compétition qu’il faut être présent le plus partout, de la meilleure manière possible et le plus long-temps possible. Après, il y a des choses im-prévisibles, tu ne peux jamais savoir pourquoi un titre ne marche pas car parfois c’est super qualitatif et ça ne marche pas et des projets auxquels tu crois moyen, ça prend de ma-nière démesurée.

Le disque dans sa forme physique a-t-il toujours la même valeur pour vous ? Ima-ginez-vous un jour (proche ou lointain) ne sortir que des albums digitaux ?

Il a plus de valeur, ça va devenir un objet rare, de collectionneur et de fétichiste. Le peu de gens qui auront des vinyles ce sera des objets qui auront énormément de valeur. D’un point de vue général, sur l’ensemble des consom-mateurs, ça n’aura pas beaucoup de valeur, mais sur une liste particulière ça aura deux fois plus de valeur. Mais c’est un processus super long, soit tu prends beaucoup d’avance pour pouvoir sortir en même temps que le di-gital, soit tu le sors bien après. Mais ça donne un côté intéressant, ça permet de donner une seconde vie à l’album mais c’est quand même plus compliqué qu’avant.

A votre avis dans quelle mesure le schéma de réussite américain de la musique rap a influencé le modèle de musique rap fran-çaise sur les réseaux sociaux ?

Oui, ils influencent tout le monde, à partir du moment où tu veux réussir tu regardes où sont les grandes stars. Même les gros mé-dias c’est américain, tu es influencé sans t’en rendre compte.

Vous présentez de nouveaux outils ?

Non, je pense que la révolution digitale c’est la dernière grande révolution médias et de société, après ça va être de l’optimisation et de l’amélioration de ce que l’on a déjà. Je pense que les grosses améliorations qu’il va y avoir, c’est le développement de la VR (virtual reality). On a besoin de créer des besoins, du coup, on est obligé d’être dans l’amélioration et la nouveauté.

Où cherchez et trouvez-vous la nouveauté rap?

Sur Youtube, ou sinon je demande à des jeunes ce qu’ils écoutent. La nuance jeune-ancien c’est la meilleure formule, sinon je suis sur des blogs spéciali-sés et sur Soundcloud.

Comment pensez-vous que le rap va évo-luer ces prochaines années ?

Je pense qu’il va se radicaliser de plus en plus. Le rap hardcore va être de plus en plus hardcore, le rap festif va être plus festif, il va y avoir de plus en plus de fusions avec d’autres styles de musiques. Tous les styles de rap vont continuer à exister mais de nouveaux vont être créés. Mais dans tous les styles de musique, on est dans une société de plus en plus dure, donc normal que la musique se ra-dicalise ; tout ce qui se passe dans la société ça se reflète sur la culture et donc sur la mu-sique, tu ne t’en rends pas forcément compte sur le coup, plus à posteriori.

Parlerons toujours de culture Hip-Hop ?

Elle existera toujours, il y aura toujours des breakers, le street art, le djing. Les indépendants ont toujours fait des scores incroyables et ça continuera. L’indé d’aujourd’hui a encore plus d’oppor-tunités qu’avant. Le Hip-Hop d’aujourd’hui ça reste la débrouillardise et ça influence la sphère rap Hip-Hop. JUL par exemple, il ne se proclame pas Hip-Hop mais il est carré-ment Hip-Hop, il s’est débrouillé tout seul pour réussir. Aujourd’hui, il n’y a plus autant de projets Hip-Hop qu’avant, ils ne sont pas exposés pareil, il faut les chercher ailleurs. La variété d’aujourd’hui c’est la musique ur-baine qui la fait, alors pour des projets très Hip-Hop, il faut aller les chercher ailleurs que sur les médias classiques. Par exemple, je pense que Soundcloud va beaucoup faire en ce sens, car c’est là où toutes les nou-veautés sortent en gratuit.

Page 75: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

INTERVIEW FRED MUSA

rap, c’était les premières compiles de « Rap Attitude » et Lionel D avec le morceau « Y’a pas de problèmes », en 1986, de mémoire, à vérifier.

Justement, comment ces titres se diffu-saient à cette époque ?

Sur vinyle surtout, les titres sortaient beau-coup en vinyles et en maxi vinyles, c’était beaucoup ça le marché à l’époque. « Rap Attitude » pour le coup, était aussi sorti en CD au début des années 1990. Solaar aussi, il ne faut pas l’oublier, je te parle en termes de popularité, car tu avais IAM, Assassin, mais tu avais aussi Solaar qui pour moi a été le mec qui a poussé les portes et cassé les fe-nêtres pour montrer cette musique au plus large public et au plus large auditoire. Solaar était important, tout comme paradoxalement un mec comme Benny B et cela peut paraître fou quand tu réécoutes du Benny B car à l’époque, il était beaucoup critiqué. Mais c’est quand même un mec qui apporte, avec So-laar, cette musique au plus grand nombre de personnes.

D’après-vous, y a-t-il eu en France un code moral (par rapport à la définition donnée par Bambataa, agir positivement et avec conscience) dans la culture Hip-Hop et plus particulièrement dans le rap ?

Au début, c’était très marqué sur les dan-seurs et quelques artistes, d’ailleurs Solaar c’était pareil, c’était le maître mot de Solaar: « Peace, Unity and Love and havin’ Fun » c’était un peu le slogan. Il y avait même Al-liance Ethnik qui avait fait une chanson là- dessus. Tu as eu cette époque Zulu Nation en France.

Et aujourd’hui ?

Après, tout dépend. Si c’est un mec qui sort de nulle part et qui arrive à faire de l’argent avec sa musique, on reste dans le truc de Bambataa si tu fais quelque chose de positif pour ta « communauté », même si je n’aime pas ce terme, et que tu l’exposes au plus grand public. On reste dans la même dé-marche. Evidemment, cela correspond à une époque, maintenant on est arrivé dans un autre système. On nous reproche beaucoup d’avoir variétisé cette musique, mais on n’a rien variétisé du tout ! Tu regardes ce qu’il se

passe aux Etats-Unis : ok, on a le « pouvoir Skyrock » mais on n’a pas le pouvoir de dire aux Américains de faire leurs morceaux avec des refrains. Moi, les premiers morceaux avec des refrains chantés par des nanas, c’est aux Etats-Unis, que je les entends pour la première fois, mais ce n’est pas Skyrock qui a appelé les Américains en leur deman-dant de chanter. On dépend avant tout des acteurs de cet univers.

Aujourd’hui à vos yeux quelle est la valeur de la culture Hip-Hop en France ? Comment se traduit-elle ?

Je crois qu’il y a toujours un mouvement Hip-Hop mais par la danse et je crois que ça tou-jours été le cas en fait. Il y a pu avoir un peu ce mouvement par le rap, un peu au début, comme avec Lionel D. Ceux qui défendent aujourd’hui le temple Hip-Hop ce sont les danseurs et ça a toujours été les danseurs. On a pu l’observer à une époque dans le rap, peut-être aussi dans le djing, comme avec Dee Nasty qui a été introduit par Afrika Bam-bataa, mais sinon, c’est vraiment la danse plus que le rap.

Les artistes que vous rencontrez via vos émissions se proclament-ils du mouvement Hip-Hop ?

Non, je pense que maintenant c’est même dépassé pour certains. Quand tu dis le terme Hip-Hop à la nouvelle génération, ils ne savent pas concrètement ce que c’est. Tu leur demanderais ce qu’il y a comme branche dans le Hip-Hop, je ne suis pas sûr qu’ils te répondent « il y a la danse, le rap, le graff, le djing … » Je pense que c’est un peu lunaire, eux, ils font du rap ou alors ils font de la mu-sique tout court, et de plus en plus, c’est ça. Mais même aux Etats-Unis tu peux prendre des mecs de la nouvelle génération je ne suis pas persuadé qu’ils sauraient aussi te ré-pondre.

Le rap s’est-il détaché et est-il devenu indé-pendant du mouvement Hip-Hop ?

Je pense qu’il a toujours été indépendant honnêtement. Il y a eu des artistes comme NTM qui étaient Hip-Hop, c’était une bande de graffeurs et de danseurs, ils englobaient toutes ses composantes. Avec le fait de rap-per ils ont entretenu ça pendant quelques

Animateur radio sur Skyrock (Planète Rap)

Pouvez-vous me retracer votre parcours ?

J’ai commencé la radio très jeune à quinze piges, parce que, à l’époque, même si c’était il n’y a pas si longtemps que ça, il n’y avait pas tous ces médias comme Internet. La seule manière de s’échapper un peu quand il n’y avait qu’un seul poste de télé à la maison c’était d’écouter la radio. C’est un média tel-lement proche de tout, tellement accessible tellement gratuit par rapport à tous les autres médias ! Là, il suffit juste d’un poste de radio et tu as une multitude de chaines différentes. Donc voilà, j’ai toujours aimé ce média. J’ai commencé à en faire très tôt, à quatorze, quinze piges en radio associative bénévole et puis un jour, je me suis incrusté ici (Sky-rock) en 1992. À la base, je devais juste faire un essai d’une semaine et tu vois, j’y suis tou-jours vingt-quatre ans après ! J’ai commencé comme assistant sur tous les créneaux ho-raires que personne ne voulait : la nuit, les dimanches de cinq à sept heures du mat, et de fil en aiguille, on commence à te proposer des choses comme faire de l’antenne, no-tamment avec Tabatha Cash en 1994. Elle est considérée comme celle qui a amené le rap sur Skyrock, ce qui est vrai. Mais à l’époque, elle n’écoutait que du rap américain. On fait donc une émission ensemble pendant un an et ensuite, en 1996, en concordance avec ce qui se passe en politique : il y a la loi Tou-bon en 1994 qui passe et qui impose à toutes les radios de passer 40% de chanson fran-çaise, et parmi ces 40% il fallait que 20% ou 25% soit de nouveaux talents -les nouveaux talents étant les artistes ou groupes n’ayant pas obtenu de disque d’or, selon les critères de l’époque-. En 1995-1996, quand tu fais le panorama de quelle musique peut toucher les jeunes et qui fait du bruit et bien tu n’en as pas cinquante mille. Tu as le rap qui ar-rive déjà à la deuxième génération. Fin des années 1980, tu as une première génération avec IAM, NTM, Assassin et puis, tu as une deuxième génération en 1995-1996 qui com-

mence à s’activer avec Time Bomb, le 113, l’équipe Mafia K’1 Fry, la FF, le Secteur A en 1998. Il y a une réelle concordance à l’époque avec la politique qui est menée pour diffuser 40% de chanson française et quelque chose qui nous est imposé sur les radios. Tout le monde gueule dans les radios d’ailleurs à cette époque, mais cela va s’avérer être une réelle force pour Skyrock, car Skyrock sera la première radio, à partir de ce moment-là, à se positionner à un niveau national sur cette musique et à la défendre. Donc, à ce moment-là, on décide en septembre 1996, de lancer « Planète Rap » et en janvier 1998, une version, telle qu’on la connaît mainte-nant, avec un artiste qui reste pendant une semaine, le premier artiste étant Busta Flex qui inaugura cette nouvelle formule.

Quels sont vos premiers souvenirs ou le dé-clic qui vous a amené à la culture Hip-Hop ?

J’ai découvert la culture Hip-Hop par une nana qui s’appelle Nina Carine que j’ai ren-contrée à la radio dans laquelle je travaillais avant Skyrock. C’était une radio qui ne jouait que du funk, c’était : « Voltage ». Pas du tout le même format que l’on peut connaître maintenant, c’était la première radio dans la-quelle j’ai commencé en 1989 et Nina c’était une danseuse. Mon réel premier contact avec le Hip-Hop c’était avec l’émission de Sidney : « H.I.P H.O.P » à la télé, et ensuite, avec Nina Carine qui me montrait les pas de danse que j’essayais de reproduire. A cette époque, je commençais vraiment à m’intéresser à cette culture et Nina m’emmenait dans beaucoup d’événements Sound Systèmes. Elle trainait avec le Posse 501 qui était le posse de Mc So-laar, où il y avait aussi Menelik et Melaaz qui était, je crois, copine avec Nina, du coup, je commence à découvrir cet univers par Nina. Je te parle de ça on se situe au début des années 1990, il y avait une grande tendance du tag, du graff, de la danse et en termes de

Page 76: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

albums mais la plupart des artistes rap ont débuté après tout ce mouvement-là. Le mouvement Hip-Hop, à la base, c’était fait pour faire danser les gens, c’était festif, puis il a été politisé mais le rap n’a jamais eu de mission particulière.

En 2016, que signifie le rap pour vous ? Pou-vez-vous citer, selon les valeurs clef du rap en 2016, son « ADN » en quelque sorte (mots que vous associez systématiquement au rap?)

Aujourd’hui et à titre personnel, je dirais : « une victoire ». Une victoire, car quand on a commencé à diffuser du rap en 1996 à l’échelle nationale, je peux te dire que l’on s’en ait pris plein la gueule de la part des annonceurs qui ne voulaient pas être asso-ciés au rap. On nous a souvent reproché que Skyrock, radio commerciale, se faisait du blé sur le dos du rap, mais je peux te dire qu’il y a eu deux, trois années très difficiles ici à Skyrock où quand le format est parti sur le rap, plein d’annonceurs nous disaient : « Ja-mais de notre vie on investira sur cette radio de « sauvageons ! ». » Et on devait faire face à ça, donc la victoire est que maintenant, cette musique tu l’entends partout et n’importe où. Moi je suis content, même si cela ne plait pas à certains acteurs de cette musique, de voir justement cette musique passer dans les émissions de 20h30 à la télé ou illustrer des publicités. D’ailleurs, le truc le plus magni-fique pour moi c’est le cas d’école Lacoste. J’ai un souvenir à l’époque, en 1998, avec Arsenik, où Lacoste devenait fou et avait même porté plainte car les gars utilisaient l’image Lacoste. Et maintenant, quand je vois que dans la dernière pub Lacoste ils utilisent le son de Grand Master Flash « The Message » ça me fait doucement rigoler. C’est dans ce sens-là que je dis « Victoire !», c’est vraiment ça ! On est parti d’un truc vraiment fermé et on a aidé ce mouvement, cette musique, à ac-céder à une marche plus haute, et ce, bien sûr, grâce à l’aide d’artistes brillants.

Notre société et les contestations ont éga-lement évolué, d’après vous, aujourd’hui, quelles sont les motivations pour faire de la musique rap ?

Aujourd’hui c’est ça qui est excitant dans cette musique, c’est qu’il n’y a jamais eu dans le rap un panel aussi large. Si tu as

envie d’écouter du rap conscient tu as des groupes comme la Rumeur, qui existe tou-jours, comme Kery James, comme Medine, ou encore, comme Keny Arkana, et, à l’autre bout, tu as du Black M, du Maître Gims qui sont issus du rap mais qui tendent plus vers de la pop urbaine. Il y a vraiment un panel riche. Il y a aussi des artistes comme L’En-tourage ou Panama Bende qui sont plus sûrs de l’exercice de style. En tout cas, pour l’au-diteur il n’y a jamais eu autant de choix. C’est pour ça, pour revenir à tout à l’heure, je ne te dirais pas trois mots, mais bien un : « Vic-toire ! » car c’est la victoire de tout ça. Ça a été un long chemin, mais cette musique s’est imposée à part entière, et quoi que l’on dise, elle continue de vivre. On est un pays avec de l’écriture et du texte et on va chercher ça et ça se reflète complétement dans le rap.

Pouvez-vous brièvement me raconter l’his-toire de Skyrock et d’Internet ? Par quoi cela a-t-il commencé ? Et aujourd’hui com-ment cela a-t-il évolué ?

Skyrock a toujours eu un regard avant-gar-diste là-dessus. À la fin des années 1990, il y a eu les Skyblogs qui sont arrivés et les Sky-blogs Music. Il y a plusieurs artistes d’ailleurs qui ont commencé à diffuser leurs musiques sur les Skyblogs comme Niro et Maître Gims. Cela est dû au côté visionnaire de Skyrock et de Pierre Bellanger, son fondateur, d’avoir une vision d’Internet. Skyrock n’est pas un groupe média, c’est un groupe indépendant qui a l’aide du Crédit Agricole. Mais face aux autres groupes médias, il a fallu très vite trou-ver un avantage et sentir cette montée d’In-ternet et cela a commencé principalement avec les Skyblogs. Depuis, Skyrock a toujours eu ce développement d’Internet. Maintenant, on est beaucoup sur les applis comme Yaks, où tu peux envoyer ton humeur du jour avec une petite photo ou encore CashBack, où tu peux te faire rembourser des achats grâce à des partenariats. Par rapport à « Planète Rap » aussi. Aujourd’hui, toutes les radios font des émissions filmées, mais nous, déjà à l’époque du modem, -fin des années 1990- on diffusait l’émission filmée. Il y avait une ca-méra qui filmait le studio et tu pouvais suivre l’émission à partir du web. Aujourd’hui, le studio est équipé de plusieurs caméras dont une centrale qui filme en 360°.

Pensez-vous un jour aller vers les nouvelles technologies comme la réalité virtuelle par exemple ?

Oui, on voulait d’ailleurs la tester récemment dans une émission de « Planète Rap » mais on n’a pas encore trouvé l’usage, il faut vrai-ment savoir apporter un plus. Pour le mo-ment on ne l’a pas encore, mais ça fait partie des réflexions. Les années 2000 sont marquées par le lan-cement de la blogosphère « Skyblog » qui comptabilise en 2005 trois millions et demi de blogs soit 20% des blogs français et 10% des blogs mondiaux

Cette blogosphère avait-elle pour objec-tif de représenter la communauté Hip-Hop Française en ligne ?

C’est quoi la question ? Qu’est-ce que la com-munauté Hip-Hop ? Quand tu es un mass-mé-dia comme Skyrock c’est très compliqué de n’être représentatif que d’une « communau-té ». Evidemment, si la communauté Hip-Hop adhère à ce que l’on propose et bien je ne leur souhaite que la bienvenue, mais on ne fait pas une appli pour une communauté. Nous, on essaie de faire des choses larges, on s’adresse au plus grand nombre. On peut plutôt dire que nous sommes la communauté Skyrock. Tu sais il y a plein de gens qui se disent appartenir à la communauté Hip-Hop et qui sont anti-Skyrock, qui ont pu dire des choses vraiment hardcore sur nous. Et pour-tant, un des maîtres mots du Hip-Hop c’est « le respect » alors je me questionne beaucoup sur ce qu’est la définition du Hip-Hop et la re-présentation de la communauté Hip-Hop.

Les Skyblogs sont-ils toujours actifs ?

Ce n’est plus la grande époque. Des acteurs comme Facebook ont, depuis, repris le des-sus mais oui, les Skyblogs sont toujours ac-tifs

Cet espace était plutôt destiné à vos audi-teurs ou aux artistes ?

Surtout aux auditeurs, mais on s’est rendu compte, à un moment donné, qu’il y avait une forte demande de la part des artistes qui vou-laient poster leurs morceaux de rap. Du coup, on a créé les Skyblogs Music, car en paral-lèle, il y avait Myspace. Cela a créé une envie

chez les artistes et provoqué une demande en ce sens.

Avez-vous repéré des artistes grâce à cet espace d’interaction ?

Oui, comme Kenza Farah, Maître Gims et quelques-uns. Ce qu’a vraiment apporté Internet dans le rap, c’est que si tu prends le rap à l’époque des années 1990 c’était quelque chose de très parisien et marseillais -il y avait un axe Pa-ris-Marseille assez fermé-, et là, Internet a mis le compteur à zéro là-dessus. Tu peux être dans n’importe quel coin de France et du monde, faire un morceau de rap et le poster et les compteurs sont remis à zéro. C’est à toi de voir après ce qu’il se passe autour de tes morceaux, le nombre de vues etc… Inter-net a vraiment été une chance pour ça, avant quand tu étais un rappeur et que tu ne venais pas de Paris, il fallait trouver le bon studio, l’artiste qui voulait bien te faire poser sur sa mixtape… C’était un sacré boulot. Le boulot maintenant quand tu rappes, c’est d’enregis-trer ton morceau avec ton home studio à la maison et de le balancer sur Internet. Et si tu es bon, ça marche pour toi !

Quelle est la stratégie de communication online de Skyrock ? Est-elle différente que celle appliquée pour la radio ?

Skyrock.com peut avoir des opérations de communication différentes mais de manière générale, le site reprend vraiment l’univers artistique de la radio, il n’y a pas de grosses différences.

Y a-t-il des artistes seulement diffusés via le portail web ou est-ce juste un canal sup-plémentaire de promotion pour les artistes déjà représentés sur les ondes FM ?

Non, on n’a qu’un seul programme. C’est le même sur le site et sur la radio. On a une playlist vraiment serrée, ce qui peut en frus-trer plus d’un, mais quand tu vois le nombre de sorties de nouveautés par jour, on n’a pas d’autres choix que d’être sélectifs et res-treints.

Page 77: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Comment vos émissions ont-elles évolué avec Internet ?

Internet pour « Planète Rap » c’est un vrai un frein ! Avant quand tu venais à « Planète Rap » c’était pour présenter ton album, une ou deux semaines avant sa sortie. Maintenant, avec Internet ce n’est plus possible, il n’y a plus d’exclusivité, les titres sont déjà sortis sur Internet, soit par choix délibéré de l’ar-tiste, soit parce qu’il a été fuité. La force de « Planète Rap » c’est les free styles et les lives, d’où l’investissement dans la vidéo qui répond aussi à une demande des utilisateurs qui sont grands consommateurs de vidéos. Là du coup c’est de l’inédit, aujourd’hui, on s’adapte, on demande à l’artiste de plutôt faire du live que de présenter son projet. Il faut savoir garder une force d’attraction pour l’émission. On travaille beaucoup avec les ar-tistes en amont pour essayer de trouver du contenu inédit à proposer à nos auditeurs. C’est aussi bien pour l’artiste que pour nous. Nous on est content pour notre audience et l’artiste est content car ça lui donne une autre exposition pour ses ventes, c’est un vrai échange, ça ne va pas que dans un sens. La consommation d’écoute a vraiment chan-gé. Avant, tu attendais l’album, tu l’écoutais entièrement, tu avais limite besoin du livret pour regarder les noms des artistes figurant en featuring, maintenant tu consommes juste un morceau et tu passes à un autre artiste et à un autre morceau. C’est du picorage. Pour durer aujourd’hui c’est un vrai travail. Quand tu prends l’exemple de Alonzo des Psy4, lui, il a connu l’époque où tu devais faire des mixtapes pour rester dans le game, et bien, aujourd’hui, pour durer, il sort trois ou quatre albums par an. Il a compris que les modes de consommation et les publics ont changé, tu dois produire plus et plus vite. Booba -mon meilleur ami de Miami (ah !ah !)- c’est pareil, il était là dans les années 1990 et pour durer il a travaillé son image longtemps.

Comment exploitez-vous Internet dans la promotion de vos émissions ? Avez-vous une ligne éditoriale ?

J’essaie juste de ne jamais faire de mal à personne, car parfois, quand tu fais de l’hu-mour de façon anodine, tu peux vraiment blesser les gens donc c’est ça ma ligne édi-toriale, ne pas blesser les gens inutilement. Je pense que l’on est dans une société qui est

en changement et avec beaucoup de conflits, j’essaie d’avoir une ligne éditoriale qui tend à être médiateur, enfin qui favorise l’écoute de chacun et non de foncer tête baissée dans la bagarre.

Quelles sont les différences majeures qui ont bouleversé le circuit de promotion clas-sique avec Internet ?

Avant, dans le rap précisément, il fallait que tu fasses tes preuves, que tu trouves des scènes, que tu trouves un Dj qui te mette sur une mix-tape, éventuellement un ou deux featurings qui te mettaient en lumière et ensuite, l’étape d’après était de trouver la radio qui allait te diffuser. Maintenant, la scène vient souvent après, mais je pense qu’elle est vitale pour un artiste rap. Avant, ça pouvait être accessoire, mais aujourd’hui la rencontre avec le public est vitale pour durer dans le temps. C’est vrai que la partie buzz-Internet est très im-portante, il faut travailler ton image très vite pour pouvoir faire découvrir ton univers, avoir un clip très vite. Regarde des mecs comme MHD qui sont arrivés avec le terme « afro-trap ». Ce n’est pas neuf l’afro-trap, il y a des groupes comme Biso na Biso qui en faisaient déjà à l’époque. Ça ne s’appelait pas afro-trap mais c’était un mélange de sonorités africaines avec du Hip-Hop. MHD s’est posi-tionné là-dessus et il a très vite compris qu’il fallait qu’il crée des clips, des pas de danse et tout ça fait partie de l’univers indispensable d’un rappeur. C’est super important quand tu veux faire une carrière. Ensuite, vient l’étape radio et après la télé. Tu as différentes étapes mais elles se sont inversées avec Internet. Et il est vraiment indispensable pour un artiste de faire de la scène.

Quels sont les types d’interactions que vous avez ?

Réponse aux commentaires positifs mais plus du tout aux violences gratuites. Contrai-rement à la rencontre réelle, les réseaux so-ciaux manquent parfois de bienveillance et je n’ai pas envie de rentrer dans ce système-là.

Avez-vous ressenti une fracture entre pré et post web 2.0 dans le rap ? Quels sont été les apports du web dans la musique rap ?

Je n’ai pas ressenti de vraie fracture, je sens que depuis quelques années Internet a un

réel impact sur la vente de disques. Mais quand tu prends du recul, quand tu fais deux millions de vues sur Youtube, ça revient à faire huit passages en playlist sur Skyrock. On a un quart d’heure moyen, sur toute une journée, qui représente trois cents mille auditeurs. C’est à dire qu’à n’importe quel moment de la journée, tu te branches sur Skyrock, tu as trois cents mille auditeurs ga-rantis qui t’écoutent. Ce qui fait qu’à un mo-ment, tu as trois millions cinq personnes qui t’écoutent chaque jour ! Donc si tu es diffusé toutes les heures et demie il te faut seule-ment huit passages pour avoir en moyenne trois millions de vues. Donc voilà, le rapport entre mass-média et Internet est là. Et puis sur Youtube, combien de vues uniques cela représente ? Car nous, ce que l’on garantit ce sont des auditeurs uniques et il te faut huit passages sur Skyrock pour les atteindre. Je ne sens pas de fracture, mais c’est sûr qu’en tant qu’artiste tu dois te poser les bonnes questions et réfléchir à quel univers tu vas créer sur le web.

Comment percevez-vous l’importance des médias sociaux pour les artistes rap ?

C’est une manière de diffuser ta musique en plus, d’être repéré par des maisons de disques, de développer artistiquement ce que tu as en termes de visuel plus que sonore.Par contre, oui, il faut faire attention. Inter-net est une sorte de tribunal, tout le monde est juge de tout le monde, mais par rapport à ce que cela t’apporte, c’est minime. Moi, cela m’a permis de découvrir des artistes du monde entier, d’écouter des choses diffé-rentes du monde entier, d’avoir des contacts à l’autre bout du monde et d’échanger. Par rapport aux réseaux sociaux, je pense que l’on n’en est qu’au début. Je pense que quand les artistes commencent à construire une carrière dans le temps, de plus en plus ils devront aller face to face avec leurs fans base. Ils créeront leurs propres applications mais il faut à chaque fois proposer quelque chose d’inédit. Qu’est-ce que l’on a en plus en venant chercher ton application ? Ça c’est l’avenir des artistes, comme développer eux- même leurs émoticônes, leurs filtres snapchat, créer leurs univers avec leurs propres applications.

Comment abordez-vous les nouveaux outils 2.0 dans la perspective du lancement d’un nouvel album ? D’une tournée ? Quelles sont les nouvelles stratégies de promotion et de communication ?

Je crée des rendez-vous, je me sers des ré-seaux sociaux seulement pour faire la promo de mes émissions. J’adapte ma communica-tion selon la notoriété de l’artiste. Si un ar-tiste a une grande notoriété, je vais faire plus de tweets avant l’émission, si un artiste a une plus petite notoriété, je vais plutôt développer la communication après qu’il ait fait son live dans l’émission. A ce moment-là je vais le « multi-diffuser » sur tous mes supports. Un jeune artiste a plus besoin d’exposer ce qu’il fait, plutôt qu’être juste mentionné comme étant un artiste pas encore super connu que je reçois. Par contre, si je mets une vidéo en disant : « Voilà, c’est cet artiste là que je re-çois cette semaine dans l’émission, regardez ce qu’il fait ! » je trouve que c’est plus percu-tant, la communication des réseaux sociaux je l’adapte à la notoriété de l’artiste.

En quoi le schéma de production artistique de la musique rap a-t-il été modifié avec l’avènement du web 2.0 ?

L’avènement du home studio c’est la vraie différence. Avant, c’était très cher ou alors pour y avoir accès gratuitement il fallait ve-nir entre trois heures et cinq heures du ma-tin. Mais maintenant, regarde des artistes comme JUL, il fait son rap, il fait ses prods, et il fait tout ça en pleins cœur d’une forêt mar-seillaise ! Pour être un peu isolé, il prend son ordi, son micro, il branche tout ça dans sa cabane et il enregistre. Le web 2.0 a permis d’avoir accès à une base de données, d’effets, de logiciels… Même les plus gros artistes enregistrent de leur chambre d’hôtel. C’est une vraie révolution de pouvoir enregistrer n’importe où et à n’importe quel moment ! Je discutais avec Nekfeu qui me disait qu’après Feu Tour, il est parti à Los Angeles avec ses copains louer une villa pour se reposer et ils enregistraient dans le salon avec juste un micro. Ça existait dans les années 1970-1980 des artistes qui tentaient des expériences. Mais, il fallait tirer des câbles, les sortir d’un studio et ça demandait un volume de maté-riel impressionnant. Aujourd’hui, tu as juste besoin d’un micro, d’une petite boîte à effets et tu fais ça n’importe où.

Page 78: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Pour les producteurs en France aussi, il y a une vraie reconnaissance. Il n’y a jamais eu autant de producteurs qui se sont installés aux Etats-Unis ou tout simplement qui ont travaillé aux Etats-Unis. Avant on était en ad-miration devant les prods américaines, main-tenant ce sont les Américains qui demandent au Français de venir bosser avec eux.

Selon vous, existe-t-il une corrélation entre culture 2.0 et culture Hip-Hop ?

Il y a beaucoup de ressemblances. C’est quand même moins artisanal que la culture Hip-Hop, là il te faut quand même un accès à Internet, avoir un ordinateur.Les mecs de l’époque Hip-Hop, dans leur approche, étaient quand même plus respec-tueux que la nouvelle génération.

A votre avis, dans quelle mesure le schéma de réussite américain de la musique rap a influencé le modèle de musique rap fran-çaise sur les réseaux sociaux ?

Quand tu es un artiste français, tu as du mal à dire que tu écoutes d’autres artistes fran-çais, alors forcément tu t’imprègnes encore beaucoup de la culture américaine comme des Future, des Wizz, des Schoolboy Q. A l’époque, même si les projets arrivaient plus tard, il y avait une vraie fascination du genre Hip-Hop américain. On disait toujours qu’ils avaient quinze, vingt ans d’avance sur nous. Aujourd’hui, je trouve que l’écart s’est vrai-ment réduit. Bien sûr, ils peuvent encore avoir quelques temps d’avance, c’est le cas par exemple avec une Beyoncé qui va sortir un album comme ça, spontanément sans prévenir personne. Ça on ne l’a pas encore eu dans la scène Hip-Hop française, mais je pense que ça va bientôt arriver. Un Booba va nous balancer un nouvel album au réveil sans qu’il ne prévienne personne ! Mais je pense qu’il n’y a plus autant de décalage et que jus-tement, c’est très lié au web 2.0 ce côté mon-dialisation des échanges.

Où cherchez-vous la nouveauté ?

Via ce que l’on m’envoie. Il y a toujours des artistes qui m’envoient de l’exclusivité. C’est principalement ce que je reçois, et sinon, je fouille beaucoup, je vais sur plein de sites, je regarde ce qu’ils font, ce qu’ils apportent. Il ne faut pas se leurrer, il n’y a pas des pé-

pites tous les jours. Justement il y a beau-coup d’artistes, rappeurs, chanteurs, mais tu as très peu de stars, dans le bon sens du terme : ceux qui restent dans la durée. Il y en a très peu.

Qu’appréciez-vous ou qu’est-ce qui vous émeut spécialement dans le rap ?

J’apprécie beaucoup ce côté « bande son » d’une génération. Quand on parle de PNL, SCH, MHD, c’est marrant, ce sont tous des noms à trois lettres. Ils traduisent quand même la société telle quelle est. Quand tu observes cette nouvelle jeunesse, elle n’a jamais été aussi désabusée de tout. Avant, quand tu demandais aux jeunes de quinze, seize ans ce qu’ils voulaient faire, la majo-rité avait une idée plus ou moins précise de ce qu’ils voulaient devenir. Aujourd’hui, c’est assez terrible, ils sont désabusés. Le rap-port s’est inversé, tu en as un ou deux qui savent de façon sûre ce qu’ils veulent faire de leur vie et la majorité qui ne sait pas. Et tu as, quelque part dans les morceaux, cet es-prit-là. Cela peut se traduire par des MHD qui apportent un côté festif qui pourrait ressem-bler à une invitation à : « On oublie tout ça, on fait la fête, on danse ! » ou alors, à l’opposé, des trucs plus sombres comme PNL, avec une ambiance planante et désabusée de la société, en disant : « Je m’en bats les couilles de tout et moi je vends du shit ! ». Dans la façon de raconter les choses, je trouve que cette musique, quoiqu’on en dise, elle cor-respond à la bande son d’une génération

Comment pensez-vous que le rap va évo-luer ces prochaines années ?

J’espère que l’on reviendra sur une bande son plus positive et moins désabusée, que l’on aura des critiques de la société mais aussi avec un avenir. C’est ce que je sens de moins en moins dans le rap d’aujourd’hui. Et cela voudra dire que la société ira un peu mieux. C’est surtout cela qui est inquiétant, ce sont les divisons entre les gens. Tu te demandes vraiment quand tout ça va s’arrêter. Il n’y a pas une journée sans qu’il n’y ait pas une division de quelque chose, les gens passent leur temps à se diviser, voir à se foutre sur la gueule.

Parlerons toujours de rap Hip-Hop ?

Bien sûr ! Le Hip-Hop vit à travers la danse et je pense que la danse Hip-Hop a révolutionné notre société. Quand tu vois qu’elle est reprise jusqu’à l’opéra dans certaines chorégraphies ! La danse Hip-Hop est à l’origine de trop de trucs aujourd’hui. Tu vois des pas de danse Hip-Hop partout ! Comme Christine and the Queen, elle n’est pas Hip-Hop, mais ses cho-régraphies sont carrément Hip-Hop. La vraie victoire du Hip-Hop elle est via la danse. Pour avoir animé des émissions de danse Hip-Hop sur France O, je peux dire qu’il y a un vrai état d’esprit Hip-Hop contrairement au rap où il y a une concurrence exacerbée. Ça va chauffer très vite etc.… alors que dans la danse, il y a une concurrence, mais ça reste un état d’es-prit très positif.

Page 79: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

INTERVIEW CYANURE Rappeur / Graffeur / (ATK)

A vos débuts dans le rap, quels étaient vos outils de communication ?

Quand j’ai commencé à faire du rap, Inter-net n’existait pas, enfin si ça existait mais ce n’était pas du tout utilisé, ce n’était pas du tout grand public. On était des artisans, on faisait notre promotion en indépendants. On impri-mait nos flyers, on distribuait nous même les flyers pour nos concerts et nos sorties d’al-bums, on contactait des fanzines, des mecs qui étaient chez eux et qui imprimaient eux-mêmes leurs fanzines et les photocopiaient eux-mêmes ou alors ils passaient par un imprimeur. Pour nous Internet ce n’était pas du tout quelque chose que l’on utilisait. En-suite, à la fin des années 1990, Internet s’est développé un peu plus. À l’époque c’était des modems 56K, donc vraiment, par rapport à 1G c’est vingt fois moins puissant. Les pages web c’était que du texte, un peu de photos, des vidéos, et encore ! Donc à ce moment-là, ce qui m’a fait découvrir Internet, c’est l’émis-sion de Teki Latex qui s’appelait « Grek Frite » qui était diffusée un mercredi sur deux sur Canal Web, qui était la première chaine mon-diale qui distribuait du stream en direct. La qualité n’était pas terrible, mais en tout cas c’était mon premier contact avec Internet et avec le fait de se dire que c’était un vecteur de diffusion. A l’époque, il y avait des espèces de forums dans lesquels tu pouvais laisser des messages et attendre que quelqu’un te ré-ponde. Il n’y avait pas vraiment de discussion instantanée, sauf sur certaines chambres de discussions qui étaient des chambres à thèmes. Par exemple, il y avait une chambre rap français où il y avait trente personnes connectées qui faisaient des discussions croisées, où tout le monde intervenait dans tous les sens. C’était les balbutiements, et cela semblait assez compliqué de s’en servir. Comme vecteur, à l’époque, il y avait les pre-miers E-mule, les premiers téléchargements illégaux ; quand tu voulais télécharger un al-bum il fallait que tu y passes la nuit et tout.

Aujourd’hui, cela semble désuet, car c’est ins-tantané mais avant ce n’était vraiment pas ça. Après, petit à petit, Internet s’est développé et l’on a vu autour de nous des groupes l’utiliser. Avec ATK, le groupe s’est dissout avant l’arri-vée d’Internet chez les gens donc, on n’a pas eu à avoir à réfléchir à ce problème

Pour vous, aujourd’hui, comment la culture Hip-Hop vit-elle en France ? Comment se tra-duit-elle et vit-elle à travers ses disciplines ?

Nous, avant de rapper et quand on a commen-cé à découvrir le rap, c’était très compliqué de se procurer un disque. Il y avait quelques ma-gasins spécialisés et dans ces magasins, il n’y avait pas de rap français, il devait y avoir trois, quatre disques maxi, un projet de Dee Nasty, un projet de Nec Plus Ultra, de Rapsonic, mais il n’y avait pas énormément de choses. Ensuite au début des années 1990 le rap a explosé, et là, tu avais vraiment le rayon rap français à la Fnac, tu avais vraiment un point d’ancrage où tu pouvais trouver du son. Il y avait des émis-sions de radio aussi, il y en avait une tous les soirs, avant il y avait aussi des émissions de radio mais elles n’émettaient pas forcément sur des grands périmètres, et encore je te dis on avait de la chance d’être à Paris. Pour les gens en province, s’il n’y avait pas une Fnac près de chez eux, la musique n’était pas ac-cessible facilement. Je pense que l’explosion du rap qu’il y a eu à cette époque, qui était une explosion relative avant l’arrivée de Skyrock, était confinée. Tout le monde n’y avait pas ac-cès. Par exemple, quand tu avais des potes qui partaient à New York et qui te rapportaient des cassettes, du son, des vinyles, la culture se fai-sait de bouche à oreille, très, très souvent.

Aujourd’hui, le rap est hyper populaire, il a réussi à traverser les âges. En fait, ça a sou-vent été annoncé comme une musique de mode, dont on n’allait plus entendre parler.

L’air de rien, ça reste la plus grosse vente de musique tout secteur confondu. Donc ça reste quelque chose de populaire et de cultu-rel. Les générations d’aujourd’hui sont nées dans le rap, je pense que des groupes comme 1995, ça a vraiment été leur culture, ils sont nés dedans. Nous, on est né dans une autre musique, on a choisi le rap. Aujourd’hui, tu peux vraiment avoir quelqu’un qui est né de-dans et qui a vu les choses évoluer depuis ses débuts, du coup je trouve ça très positif. Ce qui est positif aussi aujourd’hui c’est qu’il y a des courants. Il y a eu des courants avant, mais c’était des courants uniques. Par exemple, tu avais le rap ego trip mais tout le monde fai-sait de l’ego trip, après tu as eu le rap caill-ra -« racaille » en verlan- et là tout le monde faisait du rap caill-ra etc... Aujourd’hui tu peux tout trouver, tu as le rap à thème, tu as le rap ego-trip, tu as du rap caill-ra, tu as du rap très connoté musique africaine, tu as du choix ! Et d’autant plus de choix, car avec Internet en l’occurrence, tu peux rester chez toi, tu n’as plus besoin de te déplacer à la Fnac, ni d’aller en concert, tu as toutes les vidéos et pages Facebook des artistes que tu suis qui sont chez toi. La différence avec hier, c’est qu’avant, tu pouvais te balader dans la rue, quand il y avait un mec sapé Hip-Hop tu le regardais, si tu prenais le métro avec lui, à moitié, tu l’espionnais et à la fin tu allais lui parler. Il y avait vraiment un contact très hu-main mais aussi parce qu’on l’était très peu. Aujourd’hui, il y a plus de gens, beaucoup plus d’artistes et beaucoup plus d’entrées sur le rap. Finalement, avant on était peu à rapper, mais ceux qui rappaient le faisaient avec le cœur et l’envie et si tu t’intéressais à la musique tu pouvais trouver les gens finale-ment. Aujourd’hui, c’est très accessible pour rapper mais il y a beaucoup de rappeurs, donc quand tu es un artiste c’est difficile d’émerger. Avant, il n’y avait pas beaucoup de créneaux pour émerger, c’était ou tu sortais ton disque ou tu passais en radio, et il y avait deux trois radios, si tu passais sur ces radios tu étais tout de suite connu mais dans un mi-crocosme. Aujourd’hui, les parcours et les chemins ne sont pas les mêmes, j’ai vu des groupes qui remplissent des Olympia et c’est leur premier concert. Nous, il fallait faire vingt concerts avec dix personnes devant pour se faire connaître. Aujourd’hui le circuit est très court, tu peux remplir un Zénith sans jamais avoir fait de scène avant.

En ce sens, la scène n’est-elle pas encore plus importante aujourd’hui ? Bah je pense oui, que la scène est plus im-portante. Enfin c’est pas qu’elle est plus im-portante c’est qu’elle est différente. Il y a des gens qui pourront faire leurs vidéos sur You-tube et être des rappeurs de chambre et avoir des millions de vues peut-être. Après, pour durer, oui il faut faire de la scène, car les gens grandissent et évoluent, et il faut savoir évoluer avec eux et si tu ne restes que sur Internet à faire des vidéos Youtube, demain tu vas être écrasé par un autre mec qui fait des vidéos sur Youtube. En fait, les gens sont beaucoup moins fidèles. Avant, tu avais vrai-ment des fans, des mecs qui connaissaient toute la discographie et qui te suivaient vrai-ment. Aujourd’hui, les mecs regardent la vi-déo qui marche. Il y a une vidéo qui marche, tu as fait un super free style, ok c’est super, mais demain il y a un mec qui fera un autre super freestyle et les gens ne seront pas for-cément fidèles à ce que tu fais. Aujourd’hui, pour un petit rappeur qui commence dans sa chambre, effectivement il faudra qu’il évolue, qu’il soit créatif et qu’il aille à la rencontre des gens. Ces schémas vont tellement vite que ce qui est vrai aujourd’hui ne sera pas forcément vrai demain.

Quelle a été votre initiation à la culture Hip-Hop ? C’est marrant, j’ai réécouté, il n’y a pas très longtemps, un morceau qui a été fait par un mec qui s’appelle Danny sur lequel j’ai posé, c’est un titre qui s’appelle : « Hip Hop For Ever », et je raconte que je ne me souviens pas que quand j’ai aimé le Hip-Hop ça s’ap-pelait du Hip-Hop. Sur le Hip-Hop, en 1984, il y avait une émission qui s’appelait « H.I.P H.O.P » mais tout ce qu’il s’est passé après, j’ai aimé sans savoir comment ça s’appe-lait. J’ai aimé le graffiti sans savoir que ça s’appelait du graffiti, j’ai aimé entendre des scratchs sans savoir que ça s’appelait du scratch. On prenait la chose brute, on n’ai-mait pas ça parce que ça appartenait à telle ou telle culture. Tu zappais sur la radio, tu aimais, tu n’aimais pas, mais on n’avait pas de référence. Aujourd’hui, étant donné que c’est quelque chose de culturel, tu as une référence. Tu sauras que c’est parce que tu aimes bien NTM que tu vas jauger ton appré-ciation sur tel morceau, nous on n’avait pas

Page 80: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

de moyen de comparaison. C’était nouveau.J’ai découvert le rap américain par mes frères, mais j’ai un pote une fois qui m’a ra-mené une cassette avec du rap français, et là j’ai vraiment aimé. Pour trouver du rap français à cette époque, c’était compliqué. Il y avait une émission de radio qui s’appelait « Deenastyle » qui était animée par Lionel D et Dee Nasty sur Radio Nova, le dimanche de 22h à pas d’heure. Le lendemain j’avais école, donc en général j’écoutais dans le noir ou je faisais tourner une cassette car les free styles de rap français c’était vers 23H30 vers la fin de l’émission. Donc voilà, pour pouvoir écouter du rap français, fallait être branché et laisser tourner les cassettes. Il y avait vrai-ment une recherche.

Quand vous avez commencé à faire du rap, vous ne vous êtes pas dit que vous partici-piez à un mouvement quelconque ?

Je suis d’abord venu à l’écriture avant de venir au rap. Après avoir vu la première dif-fusion du clip « Thriller » de Michael Jack-son dans « Les enfants du rock », j’avais 8 ans, j’ai écrit une chanson. Ça m’a donné envie d’écrire, et ce qui m’a plu avec le rap, c’était de moi-même écrire. Ma porte d’en-trée avec le rap, c’était l’écriture. Au départ, je n’avais pas l’impression de participer à un mouvement mais plutôt d’observer un mou-vement. Au collège j’écoutais NTM et Solaar qui pour moi appartenaient déjà à une autre génération. Ils étaient inatteignables, je les observais et jamais je ne me disais que j’al-lais faire ça. Pour moi c’étaient les premiers, c’étaient les patrons et moi j’étais un suiveur. Alors que non, on était seulement en 1989 et des dizaines d’années de rap allaient suivre. Je sortais dans la rue je voyais des tags, il y avait la petite ceinture avec plein de graffs, je voyais des mecs sapés, du coup pendant deux ans j’ai écrit chez moi, quasiment sans rap-per. J’écoutais les rappeurs de Radio Nova et je calquais mon écriture sur ce que j’enten-dais, je le chantonnais à voix basse mais je ne le rappais jamais devant les gens. Plus le temps passait, plus j’observais les gars dans le quartier qui faisaient leurs trucs, mais ils me semblaient toujours inaccessibles, car moi j’étais le petit « blanc » et je n’avais au-cun pote qui pratiquait où qui appartenait à cet univers-là. Moi à cette époque j’avais 13 ans et tu ne vas pas aborder un mec de 18 ans comme ça, tu es tout de suite en position de

faiblesse. Mais un jour, sur le terrain de bas-ket, je rencontre deux mecs qui sont Freko, et le frère de Fredy K : Axis, et ils me disent qu’ils ont un groupe et on devient potes et c’est à ce moment-là que j’ai eu l’impres-sion de participer à un truc car je rejoignais un groupe. Eux, ils avaient leurs connexions, ils connaissent des gars d’autres lycées qui rappaient pas vraiment mais qui aimaient ça, donc on se met à trainer ensemble. C’est drôle, car à l’époque quand tu avais un groupe de rap, bah tu avais tes danseurs à côté. On se calait sur ce qui est devenu la Coulée Verte. Pendant que l’on rappait il y avait des mecs qui dansaient. Il y avait un vrai truc mélan-gé Hip-Hop, pas seulement rap, mais un vrai truc Hip-Hop et là, effectivement on se disait que l’on participait à un truc. Quand tu croi-sais un autre rappeur tu lui faisais écouter tes morceaux et vice versa, tu faisais partie de quelque chose, mais un peu sous le man-teau. A l’époque, les gens n’aimaient pas le rap, ils écoutaient beaucoup de dance, de la techno, on n’était pas majoritaire. Le mouvement Hip-Hop, on est rentré de-dans en même temps qu’il évoluait, c’est-à-dire que quand nous on rappait dans notre coin et que personne ne nous connaissait, on n’avait pas l’impression de participer à un mouvement. On voyait qu’il y avait un mouve-ment car on l’observait, il y avait des concerts qui se faisaient, on voyait des graffs, mais on n’avait pas l’impression d’être dedans. Pour être dedans, il fallait être acteur de quelque chose, et nous, mis à part écrire des textes et les rapper, on n’était pas acteurs. Après, nos premiers enregistrements c’était à l’époque incroyable ! Ce n’est pas comme aujourd’hui, où tu as un micro et une carte son, non, nous il nous fallait genre trois mille francs pour louer un studio, c’était un grand événement ! Et bien ça nous a permis de faire nos pre-miers concerts, et là, on a commencé à croi-ser des mecs qui nous ressemblaient et ce de manière récurrente, et c’est là où on s’est rendu compte que l’on faisait partie d’un mouvement. On s’est senti acteurs et on avait des choses à montrer, ça c’était en 1993. En 1995, c’était un grand mouvement, partout où on passait, dans notre quartier on rappait tous ensemble, quand on allait à Châtelet tu avais des magasins identifiés, LTD, SOUND Record, tout le monde trainait là-bas. Quand tu arrivais, tu sentais qu’il y avait du moove, tu sentais qu’il se passait quelque chose. Quand tu croisais un mec, il te disait : « Viens,

on fait un featuring ! ». Quand tu faisais un concert, tu faisais forcément des rencontres qui te proposaient un autre concert, un fea-turing ou de poser sur une mixtape. Il y avait une vraie émulsion de créatifs qui faisaient plein de choses, que ce soit des fanzines, des mixtapes, des soirées, des concerts. Là on sentait qu’il y avait un vrai mouvement.On faisait un concert par semaine, surtout à Paris et sa banlieue, après un petit peu en dehors : à Orléans, au Havre... A l’époque, on n’a pas trop fait les grandes villes, Marseille, Lyon, mais c’est tout, c’était des trucs à l’ar-rache. On n’avait pas de tourneur, on faisait des concerts parce que l’on avait des potes qui connaissaient des mecs. On fraudait le train, on dormait dans des cages d’esca-liers... C’était marrant, c’était une vraie aven-ture humaine. Vous en parliez entre vous de ce mouve-ment?

Oui, on ne parlait que de ça d’ailleurs. Mais quand on parlait du mouvement on était très autocentré sur nous et nos potes, je crois que l’on ne calculait pas la portée sur le public. Et surtout nous ATK, par exemple, « Hepta-gone » est un peu considéré comme un des disques qui peut faire référence parmi 40 disques, car il est sorti en 1998 et que c’était une grosse année du Hip-Hop. Sur le coup, on ne savait pas en fait, on ne savait pas parce qu’il n’y avait pas Internet, donc on voyait des gens qui nous connaissaient mais parce que l’on venait de Paris. On ne pensait pas que cela s’exportait plus loin. C’est sûr que pour ça Internet, a permis d’exporter tout plus fa-cilement.

Avez-vous pu observer les phénomènes communautaires de fans de rap et leurs re-lations avec les artistes ? D’après vous, est-ce important pour un artiste d’être sur ces réseaux ?

Aujourd’hui, c’est un vecteur très impor-tant, ça brûle les étapes. C’est-à-dire que quelqu’un peut commencer son rap sérieu-sement, avec Internet et un micro chez lui et des vidéos. Tout ça, ça va être son premier vecteur, sans avoir à mettre un pied dans la rue, sans avoir à rencontrer des gens. Il suffit d’une connexion et après il faut que ta vidéo se balade et pour ça les réseaux sociaux c’est hyper important ! La nouvelle génération,

on l’a justement bien vue avec 1995, maî-trise beaucoup mieux que nous l’image. La première vidéo du groupe 1995 que j’ai vue, c’était quand NekFeu rappe dans la laverie, il y a un vrai rap technique qui est lié à un vrai scénario et à des images, et ça, c’est un truc que la nouvelle génération a bien compris. Ils allient vraiment l’image au son. Et c’est assez incroyable !

Aujourd’hui, tout passe par l’image, il y a une surmédiatisation de tout, et ce problème de surmédiatisation c’est la fidélité des gens. Les gens sont très volatiles, ils consomment. Ils consomment, beaucoup d’images, beau-coup de choses, sans aller en profondeur pour découvrir un artiste en particulier. Au-jourd’hui, tu ne peux plus sortir un son sans que tu fasses un clip, ça va avec. On découvre ton son par le clip, si ce n’est pas un titre qui est sur ton album. Alors qu’avant, pour faire un clip il te fallait 500 000 francs, soit 80 000 euros, ce n’était pas le même rapport. Tout est devenu beaucoup plus populaire, ce qui est positif. Il y a du bon et du mauvais, par exemple, avec la surmédiatisation tu as des artistes qui ne sont pas bons et qui sont ultra exposés, il n’y a pas de barrage, il n’y a pas de contrôle de qualité.

A l’époque, quelles étaient vos motivations pour sortir un album ?

Pourquoi on a fait notre premier disque ? Le premier truc c’est qu’à la base, on était ATK, on était plus d’une vingtaine et on s’est sépa-ré, et ensuite on n’était plus que sept. Tous les autres nous disaient : « ATK c’est mort ! », donc on a fait notre premier disque pour un peu exister. A l’époque, pour sortir un disque il fallait louer un studio, payer un pressage, il fallait en vouloir ! Et la deuxième raison, qui en fait aurait été la première, si l’on ne s’était pas séparé, c’était de sortir un disque pour scratcher nos voix. On voulait qu’il y ait un DJ qui puisse scratcher nos voix. C’était une des raisons fondamentales pour laquelle on a sorti un disque. Aujourd’hui, tu le fais avec un logiciel qui scratche ta voix, c’est rien. Mais avant, pour nous c’était un rêve qu’un DJ passe ton disque sur des enceintes super fort dans une soirée et qu’il scratche ton pré-nom... Aujourd’hui, c’est un truc super accessible, mais avant, c’était vraiment un rêve et c’est pour ça que l’on a sorti l’album, pour être

Page 81: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

scratchés et pour exister. Il n’y a pas eu de but lucratif. Quand on a sorti « Heptagone » à l’époque, il y avait déjà Skyrock qui bastonnait pas mal, il y avait de grandes écoles, tu avais le Secteur A, les formats My People, en gros tu avais des écoles, des crews d’anciens. Nous on sortait, on n’avait pas d’argent, pas de promos, pas de trucs. On s’est dit si l’on en vend 2000, - dans ma tête je me disais, on en vend 5000-, on sera contents et finalement assez rapidement on en a vendu plus. Après, on est un groupe de sept, il n’y a pas tant d’argent que ça et la partie financière est quelque chose que, malheureusement, on n’a jamais pris au sérieux. Toutes les compiles que l’on a faites, tous les trucs où l’on nous invitait on ne demandait jamais d’argent. Les premiers concerts que l’on a fait on ne de-mandait pas d’argent, on était contents, on nous invitait, ou alors, on allait voir des gens qui nous aimaient bien, on n’allait pas leur demander de l’argent, on sortait de Paris c’était cool. Pour nous, en tant qu’ATK, en solo il y a peut-être d’autres sons de cloches, mais l’aspect lucratif n’a jamais été un vec-teur. On l’a toujours fait par pur plaisir, et moi j’ai toujours eu un travail à côté.

D’après-vous quelle est l’importance de la diffusion de la musique gratuite, dans le mouvement Hip-Hop et sur Internet ?

A l’époque, notre album était vendu 130 francs c’est genre 19, 20 euros, ce qui est déjà cher, mais cette même valeur était beaucoup plus élevée à l’époque. A un moment don-né, notre maison de disques ne nous payait plus car ils avaient des problèmes. Du coup, on a dit aux gens de télécharger notre mu-sique, je préfère que notre musique circule, car 130 francs je trouve ça cher. La musique distribuée gratuitement je ne trouve pas ça juste car derrière il y a un travail, et que ce n’est jamais complètement gratuit. Il y a toujours quelqu’un qui malgré tout va se faire de l’argent sur ta musique. Imagine : si ta musique elle est sur Youtube et que tu peux l’écouter gratuitement, toi tu ne vas pas toucher d’argent, le gars qui a mis ta vidéo sur Youtube ne va peut-être pas toucher de l’argent non plus, mais Youtube, derrière, va vendre de la pub, qui va, même si toi tu la dif-fuses gratuitement, quand même leur créer une rentrée d’argent. C’est ça qui me pose problème, c’est qu’à un moment donné, ma musique dans l’absolu, c’est quelque chose

qui se paye, je serais d’accord pour la don-ner si personne ne se fait de l’argent derrière et sans mon accord. Après c’est un travail, quand tu écoutes de la musique c’est un plai-sir et bien ça se monnaye, c’est normal de se faire rémunérer. Il y a différents modèles économiques qui existent, et que tu sois en indépendant ou en maison de disques les enjeux ne sont pas les mêmes. La SACEM, chaque année, se retrouve avec de l’argent qui n’a pas été distribué, qui n’a pas été réclamé, ils répartissent cet argent pour les copies privées et le piratage, mais selon les ventes des artistes. L’argent est redistribué selon les ventes d’albums, si un artiste représente 20% des ventes, il bé-néficiera de 20% de redevances. Les groupes indépendants qui sont le plus touchés par le piratage, les redevances ne leurs sont pas reversées car ils correspondent à des mi-cro-ventes. Il y a des systèmes qui sont très bien pour les grands artistes, d’autres très bien pour les indépendants, je ne pense pas que Rihanna veut donner en libre de droits sa musique, alors qu’un indépendant va peut-être vouloir que sa musique circule plus faci-lement et donc plus gratuitement.

D’après-vous, les artistes rap peuvent-ils se suffire d’Internet comme moyen de pro-motion / communication ? Quel rôle reste à jouer pour les médias traditionnels ?

Je pense qu’il y a eu une grosse évolution. C’est-à-dire qu’hier pour vendre, passer à la télé était très important pour toucher un public de masse, passer à la radio était en-suite important. Aujourd’hui, passer à la télé c’est bien, mais ce n’est plus aussi important, la radio reste encore très importante, mais Internet est le média pour exploser le plus rapidement possible. Par contre, je ne pense pas que cela puisse se suffire, tout dépend de ta configuration. Un artiste indépendant qui va plaire sur Internet, cela va lui suffire, un artiste un peu plus gros aura besoin de sup-port radio. Internet ça touche des gens iso-lés dans leur maison. Un artiste qui veut se développer un peu plus, aura comme vecteur de diffusion la radio, qui est un vecteur un peu plus de masse. Avec la radio tu touches 10 000, 100 000 personnes d’un coup, avec Internet il faut que chaque personne aille se connecter sur ton truc.

Le clip n’est-il pas en train de devenir un nouveau support média ?

Oui, tu ne sors pas un titre comme ça, tu sors un clip directement. Les images sont des vecteurs importants, elles véhiculent ton univers, ta propre image, c’est sûr que le clip est un média en soi. Le clip peut se retrouver en télé, mais je pense que lorsque l’on fait un clip aujourd’hui, on pense à Internet avant tout.

D’après vous le rap bénéficie-t-il d’une meilleure image sur les réseaux sociaux ?

Il n’a pas forcément une meilleure image, car aujourd’hui encore, quand tu dis à quelqu’un que tu fais du rap, il y en aura forcément un qui te fera « yo yo yo » avec l’imitation des doigts, et qui te diras « moi j’aime pas le rap ». Il est plus ancré culturellement, mais il fait toujours encore un peu peur. Aujourd’hui, il y a un grand écart entre les artistes que l’on peut qualifier de rappeurs. On englobe beaucoup de choses sous le mot rap, on va jusqu’à impliquer le slam par exemple. Mal-gré tout, je pense que le mot rap reste un mot dur pour les gens. Je pense que la définition du rap pour les gens, c’est quelque chose de très ghettoïsant, de très violent, de nanas en bikini, de flingues et de drogues. Car quand on en parle dans les médias, ce que l’on en retient c’est : « Oh regardez ! Un clip avec des gamins de 13 ans et des kalashs ! » C’est ce qui fait les gros titres sensation-nels. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus d’ar-tistes qui ont accès aux médias par rapport à hier mais je ne pense pas que la plupart des gens ont une image positive du rap. Je pense que le rap souffre toujours d’une image né-gative. Après, il ne l’a pas volé non plus cette mauvaise image, elle ne sort pas de nulle part. Il y a vraiment des mecs qui font des clips qui montrent qu’ils vendent de la drogue en la pointant avec des armes, c’est une par-tie du rap, mais ce n’est pas que le rap ...

Après, sur Internet, les réseaux communau-taires sur les réseaux sociaux vont aider à classifier le rap. Il y a des profils qui se des-sinent. J’ai des potes par exemple, qui vont partager que des clips de rap caill-ra, il y en a d’autres qui ne vont partager que des clips de rap à thème un peu intelligents. Avec In-ternet, tu as plus de points de chutes dans les communautés. Mon flux d’actualités

Facebook ne ressemble pas du tout au flux d’actualités de quelqu’un d’autre, donc on est quand même plus isolés.

Vous rappez toujours ?

Oui, je rapperai toujours ! Je rappe depuis mes 13 ans, ça fait 26 ans, ça fait un tiers de ma vie sans rapper et deux tiers de ma vie en rappant ! Pour moi, il y a un côté très théra-pie dans le rap, où tu peux écrire des choses que tu ne dis pas, tu peux mettre un peu tes idées au clair, il y a un besoin d’expression qui existe et qui sera toujours là, dans l’écri-ture en tout cas.

Et vous pratiquez d’autres disciplines ?

Je griffonne sur mes cahiers d’écoliers de-puis que j’ai 13 ans, il y a vingt ans j’ai dû faire deux, trois graffs. J’ai toujours été un gros passionné de graffitis, et là, je m’y suis mis depuis un peu plus d’un an. Aujourd’hui, il y a des mecs qui rappent, il y a des mecs qui graffent mais de manière complètement in-dépendante, notre génération est plus touche à tout. J’ai commencé à faire de la danse, à breaker à 8 ans, j’aimais bien ça, après j’ai fait du beatbox, après j’ai fait du rap et main-tenant du graff. Notre génération, c’est vrai-ment une génération qui baigne dans cette culture. Booba, c’était un danseur, Koma il fait du graff, NTM ils font du graff, Fabe aus-si. Des mecs comme JP Manova, ils s’enre-gistrent, ils écrivent leurs textes, ils mixent et font aussi leurs propres prods. Il y a un côté dans le Hip-Hop où tu es pluridisciplinaire.

Aujourd’hui, entre anciens, y a-t-il une forme de respect particulier entre vous ?

Il y avait quand même des clans qui étaient très en guerre à l’époque. Mais nous, on n’était pas dans un clan et donc il y avait une forme de respect déjà entre nous. Mais au-jourd’hui on se respecte d’autant plus, d’être là. Avant, on pouvait avec des clashs, une cer-taine animosité entre groupe et aujourd’hui, on a un point en commun et il est historique. Quand tu rencontres un ancien, tu te remé-mores tel ou tel concert, ou tel ou tel maga-sin, et quand tu as ça en point en commun avec quelqu’un, tu as effectivement une es-pèce de respect. Je pense que les échanges restent quand même en cercles fermés, chaque rappeur va écouter ses potes, les

Page 82: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

membres de leur crew et c’est tout. Le rap d’aujourd’hui est malgré tout bien représenté, il y a eu un creux de la vague à un moment donné, et ce, même dans le rap grand public. Un mec comme Nekfeu, dans les morceaux qu’ils passent à la radio, ils sont très bien techniquement, et bien ce ni-veau de technique, sur les ondes grand pu-blic, tu ne le trouvais pas il y a 15 ou 20 ans, même si tu avais NTM et tout ça...

Quels sont les changements profonds dans la pratique du rap ?

La différence, elle est dans la vitesse du par-cours, entre la première fois où tu poses ton stylo sur une feuille et le moment où tu vas sortir ton disque. C’est tant mieux pour cette nouvelle génération qui est dedans et qui est à fond. J’ai envie de dire que dans la façon de faire du rap il n’y a pas de différence, il y a de plus en plus de très bons rappeurs, avec beaucoup de technique. Il y a des écritures super techniques.

D’après vous, vers où le rap va-t-il évoluer ces prochaines années ?

Le rap peut évoluer en terme musical, en terme d’écriture, il y aura toujours des mecs qui feront des textes à thèmes, des textes plus posés, etc. Je ne connais pas tous les styles de rap dans le détail, mais j’observe qu’il y a du rap un peu plus communautaire qui se développe comme l’afro-trap. Cette musique plus communautaire grâce au rap s’exporte plus facilement et devient plus po-pulaire, elle s’ouvre à d’autres communautés que la communauté d’origine, et c’est une évolution du rap. La première fois que j’ai écouté PNL j’étais égaré et une fois que tu es dans le délire tu te dis qu’ils apportent leur truc, un truc nou-veau. Le rap je ne sais pas comment il va évoluer ni vers quoi il va aller, il n’en reste pas moins que quand tu écoutes de l’afro-trap, PNL ou SCH, que tu fais écouter à quelqu’un qui connaît la musique rap de loin il te dira : « C’est du rap ! ». Il y a une base et ça évoluera après.

Parlera-t-on toujours de rap Hip-Hop ?

Avant on me disait : « J’aime pas le rap mais j’aime le Hip-Hop ». Le Hip-Hop, ça reste

la culture qui englobe le rap, qui englobe le graffiti, qui englobe la danse et les DJs, on parlera toujours de Hip-Hop et de rap dans le Hip-Hop. On en parlera d’autant plus, que maintenant c’est historique. Aujourd’hui c’est dans la culture, il y a des musées, il y a le centre culturel de Hip-Hop qui ouvre à Châ-telet-Les Halles, il y a des musées qui font des rétrospectives sur le graff et le Hip-Hop. Tous les chorégraphes les plus connus dans le Hip-Hop travaillent avec les opéras du monde entier. Il y a toujours eu des cours de danse Hip-Hop et il y en aura toujours. Maintenant c’est vraiment culturel. C’est une musique que tout le monde pensait enterrer rapidement, et c’est une musique aujourd’hui qui perdure. Avant, tu rentrais dans le rap de manière culturelle, tu rentrais dans le rap par ton en-vironnement et parce que tu avais envie de faire du rap. Tu ne rappais pas pour l’argent, quand nous on a commencé, il n’y avait pas d’exemples de rappeurs qui en vivaient. Au-jourd’hui, pour quelqu’un qui veut faire du rap, il a plein de portes d’entrées. Il peut ren-trer dans le rap en disant qu’il veut faire du rap pour gagner de l’argent, pour avoir des likes et des partages, et pourquoi pas pour attirer des meufs –« femmes » en verlan - . Avant, tu pouvais te le dire, mais quand tu rentrais dans le rap, tu étais marginal. Je me souviens quand j’allais en vacances et que je disais que j’écoutais du rap on se foutait de ma gueule, car quand tu écoutais du rap tu étais marginal. Maintenant, tu dis que tu fais du rap ou que tu écoutes du rap tu es à la mode. C’est drôle car je voyais une vidéo de free style d’une radio qui s’appelle GRUNT que j’aime beaucoup, en général c’est des free styles de qualité, et bien malgré tout, malgré la qualité, il y a quelque chose qui n’est pas naturel, les gars qui rappent ont une attitude, ils savent qu’ils sont filmés, ils ont du look. Le gars, dès qu’il va commencer à rapper, il va mettre ses lunettes noires, il ne va pas regarder la caméra, il va rouler un joint de manière nonchalante, il va mettre sa ca-puche. A l’époque c’était pas du tout ça la ra-dio, c’était pas pour nous montrer. Il n’y avait qu’un seul micro, on avait la rage, on était dix autour du micro, on jouait des coudes pour atteindre le micro. Aujourd’hui il y a un vrai calcul de l’image, dans la vidéo qu’il n’y avait pas avant. Il y a très peu de naturel dans la manière d’être, ils s’observent plus, non pas pour être différents mais pour être pareils fi-

nalement. Il y a eu des époques où l’on a dit il y a des clones, l’époque Time Bomb, avec les X-mens, il y a plein de rappeurs qui venaient rapper à la radio car ils rappaient comme les X-mens. Là tu sens que le groupe 1995 a créé une grosse lignée de clones, même si eux-mêmes peuvent être des clones de gé-nérations d’avant mais c’est plus des inspi-rations, des références. Tu sens qu’il y a de gros mouvements, même si il y a des écoles différentes, des NekFeu, il y en a 10 000 ! Au-jourd’hui, tu sens que le mec va vouloir faire du rap, soit pour ressembler à quelqu’un d’autre et rentrer dans les codes, ou vouloir être très différent, mais dans les deux cas, il voudra qu’on le regarde. La nouvelle géné-ration a besoin de références visuelles plus que cognitives et la différence entre deux rappeurs se fera sur son univers visuel. L’image avant tu l’avais que sur toi, avec tes sapes, mais ce n’était pas fait pour t’exposer, c’était juste pour les gars que tu allais croi-ser en soirée. Aujourd’hui, tout ça manque de spontanéité et de naturel. Pensez-vous que le disque physique va dis-paraître ?

Pour ma génération c’est important que tu sortes un album, de le sortir en physique. Si-non, tu as l’impression de n’avoir rien fait. La première fois que l’on a reçu notre vinyle on était fou. Le CD c’est pareil, quand tu achetais un CD tout le monde regardait les dédicaces. C’était vraiment un gros truc. Je me souviens, quand j’étais petit, et que j’achetais les cas-settes des Lionel D, je regardais les dédi-caces pour savoir qui était potes avec qui, et t’espérais les voir sur un prochain morceau ensemble. Tout ça racontait vraiment une histoire, aujourd’hui, tu sors un album qu’en digital, pour ma génération c’est comme si t’avais rien fait. Il te faut un objet, pour avoir du concret. Si demain on te dit Internet n’existe plus, il y a 80% des mecs qui font du rap qui arrêtent de rapper.

Quel rapport avez-vous avec Internet ? Que pensez-vous de la surexposition indivi-duelle?

Bah, je suis super addict ! Je suis sur plein de plateformes mais je publie très peu. Sur Instagram je poste des photos de graffs et de rencontres.

C’est drôle, car nous avec ATK, on ne nous reconnaît que depuis six, sept ans, avant personne ne savait quelles étaient trop nos gueules. On n’avait pas fait de clip, sur les po-chettes il n’y avait pas nos têtes, aujourd’hui sur les réseaux sociaux les gens se starifient sur tous leurs profils. C’est très autocentré, c’est pour ça que je poste très peu. Avant d’avoir une page avec mon pseudo « Cyanure », j’avais une page avec mon nom perso, et il y a encore beaucoup de gens qui me suivent par rapport à la musique mais qui me suivent avec ma page perso, et c’est un peu difficile. Sur Twitter j’ai aussi deux comptes distincts et, pareil, c’est un peu difficile de montrer la frontière pour les gens

Page 83: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

chargement illégal. Il faut savoir que les maisons de disques ne sont pas toujours en phase avec la ré-alité. Elles voient le public de loin, elles ne connaissent pas vraiment les modes de consommation de leurs publics. Il y a eu un petit décalage de quelques années entre la migration de leurs publics cibles sur Internet et leurs modes de promotions traditionnels.

Pensez-vous que Skyrock et sa plateforme de « skyblog » ont impulsé le rap français sur la toile 2.0 ?

Oui d’une certaine manière, ce fût un premier pas pour les artistes d’être visibles sur Inter-net. C’était un point de contact direct avec les fans, c’était simple, clair et facile à gérer. Ça a permis à certains petits artistes de se faire connaître comme Kenza Farah par exemple. Et pour ceux qui étaient déjà en place, ça leur donnait un moyen de communiquer en temps réel, d’organiser des jeux concours, de diffuser des petites vidéos directement pour leurs fans. C’est un peu les précurseurs des réseaux sociaux, une première étape, un pre-mier contact avec le web.

Vous qui êtes journaliste comment vi-vez-vous la transformation digitale de la presse rap ? Quelles sont les différences ? Est-elle plus impactant ?

Ce qui a vraiment changé c’est la relation avec le temps réel, les réactions à chaud, l’immédiateté. Tout va beaucoup plus vite. Tu as un clip, un titre qui sort, tu as trois jours au maximum pour en parler. A la grande époque de la presse écrite, tu pouvais te per-mettre beaucoup plus de temps, comme six mois, un an. Aujourd’hui, on a besoin de plus de matière, plus de contenu pour en parler immédiatement et exister plus longtemps. Les médias traditionnels s’intéressaient à un seul type de rap, ils étaient peu intéressés par les rappeurs underground ou de niches. Avec Internet, tout le monde a sa place. In-ternet a permis de diversifier la scène rap mais aussi l’espace médiatique accordé aux rappeurs. Il y a une réelle pluralité dans les idées, les opinions. D’un point de vue journa-listique, Internet permet une certaine liberté, cela a permis à des passionnés de prendre la parole. On peut dire que cela a permis de diversifier les plumes, de renouveler le jour-nalisme.

Pensez-vous qu’Internet a permis d’avoir un esprit plus critique dans le journalisme rap ?

Ça dépend des sites et des journalistes, In-ternet permet une liberté et sûrement un esprit plus critique. Mais les modèles de la presse écrite se retrouvent sur Internet, si tu es un média indépendant et conscient tu peux dire ce que tu veux. A l’inverse, si tu es un média qui a des intérêts avec des artistes ou des maisons de disques tu as intérêt à ne pas être trop critique. Je pense que cela dépend des intérêts de chacun. Il faut savoir jongler à travers les blogs spécialisés indépendants et les sites qui font autorité.

Parlez-moi de la ligne éditoriale sur les ré-seaux sociaux ? Quelles sont ses particula-rités ? Les posts qui marchent le mieux ?

Non pas de ligne éditoriale particulière, j’écris surtout à l’instinct.

Comment considérez-vous Twitter pour les artistes ? La prise de parole, l’exercice de style, le choix des mots des rappeurs sur la toile ? Sont-ils une nouvelle forme de rap ?

Pour les artistes ce n’est pas la même ryth-mique dans l’écriture, ça se rapproche oui, dans la recherche de la bonne punchline. Il y a des artistes qui utilisent les réseaux so-ciaux aussi pour se clasher comme dans le rap. Certains s’en servent pour tester des punchlines comme un brouillon, pour voir comment leur communauté réagit avant de l’intégrer dans un texte. Mais il y a beaucoup d’artistes qui ne gèrent pas leurs comptes tout seuls, il y a souvent quelqu’un qui s’en occupe pour eux. Tout comme la périodicité de leurs publications, certains publient tous les jours, d’autres seu-lement pour diffuser de l’actualité ponctuel-lement.

Comment percevez-vous l’importance des médias sociaux pour les artistes rap ? Pour quels usages et dans quels buts ?

C’est un vecteur de communication impor-tant avec son public. C’est un moyen facile de se faire de la publicité, de faire tourner son actualité. Se faire connaître sans être sur les réseaux sociaux pourrait être vraiment com-pliqué pour un artiste.

INTERVIEW GENONO Journaliste et animateur radio / expert en rap

Vous avez vécu l’évolution et l’histoire de la culture Hip-Hop en France. Aujourd’hui comment la définiriez-vous ?

Question pas facile, super large.

Oui je vais m’expliquer mieux, je m’inter-roge et me demande si la culture Hip Hop française et moderne englobe les mêmes disciplines qu’à son émergence ou s’il y a justement des disciplines qui ont disparu ?

Aujourd’hui, il y a une discipline qui a plus percé c’est le rap, c’est le rap qui représente le plus le Hip-Hop en France.Le graff, le djing et le break dance sont de-venus des disciplines de niche, il y a seule-ment quelques passionnés qui les pratiquent encore et ce n’est ni le grand public ni une majorité.

Y a-t-il eu en France un code moral dans la culture Hip-Hop et plus particulièrement dans le rap? Pour être plus précise, Bam-bataa prônait un mouvement pacifiste et po-sitif, les acteurs du Hip-Hop devaient créer en ce sens.

Oui et non, jamais de consensus à l’échelle de tout le mouvement. Il y a eu une période au début des années 90 où le rap devait être politisé, mais pas forcément positif. Il était même plutôt déprimant, par exemple avec le morceau de NTM, « Appuie sur la gâchette ». C’était un morceau pas du tout positif, plutôt à caractère suicidaire. Au fur et à mesure du temps, les messages dans le rap conscient ont disparu. Aujourd’hui, nous sommes dans une démarche de matérialisme et d’indivi-dualisme, il n’y a pas de code à respecter.

Notre société et les contestations ont éga-lement évolué, d’après vous, aujourd’hui, quelles sont les motivations pour faire de la musique rap ?

Comme je le disais, le rap s’est individualisé, chacun fait son rap de son côté. Globalement, les motivations sont l’argent, le nombre de vues et le moment de gloire, mais il reste quand même une catégorie de rappeurs dont les motivations restent la pas-sion et le plaisir. Faire de la musique rap, c’est un vrai moyen de faire des thunes, de se montrer dans les clips. Leurs motivations sont en phase avec notre société : les codes de consommation sont différents, on écoute la musique diffé-remment. Aujourd’hui, on n’a pas envie de se prendre la tête sur des thèmes sociaux que l’on vit déjà au quotidien. On a envie de se di-vertir, pas de se prendre la tête. Et puis, la jeunesse se désintéresse complétement de la politique cela se reflète forcement dans le rap.

D’après-vous comment le rap a atterri sur Internet ? Via quel support ?

C’est arrivé petit à petit, avec des sites spé-cialisés comme Booska-p et N-Da-Hood. Ils étaient précurseurs. Les grands médias choisissaient les rappeurs qui méritaient d’être valorisés ou non et c’était sporadique, avec Internet c’est différent. C’est un moyen de mettre en avant certaines cultures de niches. N-DA-HOOD a beaucoup fait en ce sens, ils parlaient d’artistes dont on ne par-lait pas ailleurs. Aujourd’hui, c’est le meilleur moyen pour les artistes de se faire connaître. Les maisons de disques se sont longtemps méfié d’Inter-net, elles se sont rendu compte plus tard que c’était un passage obligatoire et un réel avan-tage pour elles.

Quand vous dîtes longtemps ? Pouvez-vous situer une période ?

Dans les années 2009-2010, à l’époque où les artistes faisaient des pétitions contre le télé-

Page 84: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Justement, pensez-vous que les artistes peuvent se suffire d’Internet comme seul moyen de communication / promotion ?

Oui, il y’a d’ailleurs deux bon exemples : le groupe PNL a décidé justement de s’affran-chir complétement des médias traditionnels. Ils refusent toute interview et n’ont fait au-cune promotion publicitaire. Ils ont réussi à faire parler d’eux dans le monde entier, tous les médias leur courent après alors que le schéma classique serait plutôt le contraire, les artistes qui courent après une reconnais-sance médiatique. Ils ont réussi un impres-sionnant retournement de situation. L’autre exemple, c’est Booba, il prouve vraiment que l’on peut se faire connaître sans le support des masses médias. Il refuse de participer à des émissions de télévision populaires. Déjà, à l’époque, il refusait de participer à « Pla-nète Rap » et pourtant il réussissait à vendre autant d’albums, voire plus, qu’un artiste qui avait participé à l’émission. Il a montré que l’on pouvait s’en passer et a beaucoup contri-bué à faire passer ce message auprès des jeunes artistes, notamment avec sa plate-forme OKLM. Booba est en train de boulever-ser le rapport média-rappeur, il est considé-ré comme un animal médiatique, il s’empare de parts de marché, ce qui n’est pas son ter-ritoire de base.

Trouvez-vous que le rap a une meilleure image sur les médias sociaux que sur les médias traditionnels ?

Oui et non, dans les médias traditionnels le rap a une image très caricaturale, on ne parle jamais de faits très glorieux, les journalistes s’attardent sur les faits divers et les clashs. Parallèlement, il existe une certaine ambi-valence dans les réseaux sociaux, ils pro-voquent beaucoup de réactions, de débats et de moqueries. On exprime tout ce que l’on a dans la tête et on se cache derrière un avatar. Les réseaux sociaux font ressortir des pen-sées qui ne sortiraient pas normalement

Pour vous, mobilité rime-t-elle avec urba-nité ? Y a-t-il une similarité entre culture web 2.0 et culture Hip-Hop ?

Oui, à l’émergence d’Internet en France, c’était un sujet tabou, on regardait ce réseau du coin de l’œil. C’était un truc destiné à un groupe d’initiés ultra geek. L’arrivée du rap

en France a vécu un peu la même chose, le rap vivait à travers un groupe restreint. Inter-net a permis d’aller vers des références poin-tues, mais à la base, seulement une poignée de personnes écoutaient du rap. Maintenant, tout le monde en écoute et tout le monde est sur Internet. La culture web a également une image jeune, c’est une culture en perpétuelle évolution comme la musique rap. C’est une analogie pertinente.

Comment considérez-vous Youtube ?

C’est le Saint Graal des rappeurs, il corres-pond à l’évolution d’Internet. C’est le moyen de communication principal des rappeurs. Aujourd’hui on regarde plus le nombre de vues que le nombre de ventes d’albums. You-tube a également permis de démocratiser le clip. Avant c’était une vraie galère, cela de-mandait beaucoup de temps, d’investisse-ment et c’était souvent compliqué à produire. Aujourd’hui, avec un 5D et 24h devant soit c’est assez facile à réaliser. Aujourd’hui il est certain qu’un artiste rap ne peut se passer de clip.

A votre avis dans quelle mesure le schéma de réussite américain de la musique rap a influencé le modèle de musique rap fran-çaise sur les réseaux sociaux ?

Oui, c’est certain que le rap français reproduit le rap américain, mais cela depuis le départ, consciemment ou pas. Mais je pense que si les artistes rap américains n’avaient pas sai-si les opportunités qu’offrent les médias so-ciaux, les rappeurs français, eux, les auraient saisies quand même. C’est un fonctionne-ment logique : les rappeurs vont là où leurs publics se trouvent. Quand SnapChat est sor-ti, les Français y étaient six mois après. Ça a toujours été comme ça, on a toujours eu un peu de retard. Mais Internet a permis de ré-duire justement cet écart dans l’adoption des modes de communication ainsi que dans « le copier-coller » des productions américaines. Internet permet une certaine forme d’indé-pendance et les artistes peuvent s’affranchir plus facilement des maisons de disques, se lancer dans l’autoproduction et laisser vivre leur propre créativité.

En quoi le schéma de production artistique de la musique rap a-t-il été modifié avec l’avènement du web 2.0 ?

Avec la révolution d’Internet les rappeurs et les beatmakers ont eu accès quasi gratui-tement à des outils qui étaient très coûteux dans les années 1990. Aujourd’hui, il est facile de cracker un logiciel et de se produire des outils de production à moindre coût : c’est la démocratisation des home-studios. L’évolu-tion de la technologie a bouleversé la créa-tion musicale avec l’arrivée de l’auto tune par exemple. Tout se fait par traitement infor-matique, de manière beaucoup plus simple. Même constat avec la productivité des ar-tistes, ils font leurs morceaux en quelques heures et le balancent directement sur Inter-net. Il suffit de regarder le cas de JUL, il écrit un morceau avec ses fans avec Persicope en live, produit le morceau dans la foulée et le balance sur Internet dans la même journée. Graadur n’aurait jamais percé sans Internet. Le réseau accélère les choses, c’est deve-nu ultra instantané. Les artistes travaillent plus vite, ça amène des productions qui se ressemblent plus aussi. Mais ça permet aux artistes de beaucoup plus expérimenter, ça leur laisse une marge de manœuvre plus large. Il n’y a pas forcément un directeur ar-tistique derrière qui formate la création ar-tistique. Si un titre marche tant mieux, mais s’il ne marche pas, il se fait vite oublier aussi. L’artiste est vraiment libre de faire ce qu’il veut. Le manque de diversité est peut-être inhérent à la productivité des artistes.

Comment pensez-vous que le rap va évoluer ces prochaines années ? Parlerons-nous toujours de rap Hip-Hop ?

Le rap en train de se fondre dans le paysage musical global, il y a moins de frontières entre les genres, il est plus général et moins spécialisé. Le rap reste en constante évolution et se mé-lange à d’autres courants. Le Hip-Hop ne veut plus rien dire aujourd’hui, la culture Hip-Hop tend à disparaître et à se globaliser.

Le rap va se diversifier et se diviser en sous-genres comme la trap, le drill, le cloud rap. D’un côté le rap va se globaliser, se populari-ser, et de l’autre côté, il va se compartimen-ter et aller vers des sous-genres de rap.

Cette évolution correspond à l’évolution natu-relle des choses et des courants musicaux, à partir du moment où il a été accepté par les mœurs, il perd ses codes sociaux et moraux. Je pense que le rap reste tout de même un vecteur d’expression important pour la jeu-nesse

Page 85: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

INTERVIEW TETZWO

influencés par l’image que l’on voulait ren-voyer. C’est-à-dire que l’on pouvait être très complaisants avec certains artistes et peut-être moins avec d’autres. Parce que, mine de rien, on était assez jeunes tous à l’époque et cela créait forcément beaucoup de débats sur nos articles.

Vous aviez mis en place une ligne édito-riale?

Non, il n’y avait pas vraiment de ligne édito-riale figée. Moi je suis devenu rédacteur en chef du site car j’étais le plus actif, j’étais celui qui écrivait le plus, et j’avais la volonté de faire des mises à jour quotidiennes et ça, c’était un peu nouveau. Les sites de l’époque n’étaient pas très professionnels, on faisait une mise à jour quand on voulait. En une se-maine on pouvait mettre à jour cinq fois le site, et l’autre semaine, il ne se passait rien. On se retrouvait dans ce genre de situation, car on n’avait pas prévu d’articles, on n’avait rien planifié, on n’avait rien en stock ou alors parce qu’il n’y avait pas d’actualité. Je me suis donc mis à planifier des mises à jour quotidiennes. Je faisais un planning, je dé-finissais quel article devait être écrit à telle période, à quel moment on le publiait, je pré-voyais d’avoir toujours trois ou quatre articles en stock au cas où on en aurait besoin, quand il y avait un trou d’actualité par exemple. On n’avait pas vraiment de ligne éditoriale, mais on s’engageait beaucoup à faire des articles avec des avis critiques, on n’hésitait pas à dire quand un truc ne nous plaisait pas, ou quand on ne l’aimait pas. Ce genre de parti-pris c’est rare, à part le cinéma qui se l’autorise, aujourd’hui, que ce soit en musique ou autre, c’est très rare, dans les magazines d’avoir un vrai aspect critique sur un sujet. Après, les thèmes que l’on traitait c’était rap français, rap américain. Ce que l’on ai-mait en priorité et ce que l’on sentait, c’est ce que l’on devait traiter absolument, quitte à ce que cela ne nous plaise pas ! Du coup, on était plus critique. Il y avait différents formats d’interviews : écrit et vidéo. Les vidéos on les hébergeait directement sur notre serveur, on les mettait en « mpeg » et elles étaient direc-tement téléchargeables. Tu pouvais les lire aussi, il y avait un format qui s’appelait le real media qui était un format de streaming. Dans les interviews vidéo que l’on faisait, on les « cutaient » énormément car elles étaient très lourdes, mais on avait enregistré quelques

freestyles et impros de rappeurs que l’on mettait en téléchargement libre, ce qui donne un attrait supplémentaire. À cette époque d’Internet, on était beaucoup dans le télé-chargeable et le fait de posséder les choses. La musique aujourd’hui on l’écoute, on la stream et on est content, on considère qu’on l’a. Avant, avec le mp3, on considérait que l’on avait la musique quand on avait un fichier. On avait quelque chose à donner aux gens et les gens, en venant sur notre site, avaient, eux, l’impression de récupérer quelque chose. C’est quelque chose que je voulais pousser mais que l’on n’a pas pu ou très peu pu faire au final. Niveau vidéo, on était limité par nos disponibilités par rapport à qui on pouvait enregistrer. Niveau mp3, moi ce que je fai-sais, c’est que j’étais associé à Ekivok, qui est une boutique de sapes qui existe encore au-jourd’hui, j’allais là-bas toutes les semaines le vendredi soir, et je récupérais trois, quatre mixtapes que je chroniquais. Ces mixtapes, en fait, étaient en format masterisé mp3, le mec de la boutique avait lui aussi son site In-ternet, et pour vendre ses mixtapes il mettait un extrait. Pour lui c’était trop pénible de rip-per des cassettes audio alors il demandait les masters sur CD aux DJs des mixtapes, en-suite il en prenait des extraits. Il mettait sou-vent le deuxième meilleur morceau de la tape en ligne, pour lui c’était une façon de donner envie d’acheter. Du coup, ces morceaux-là étaient, entre guillemets, libres de droit, ce n’était pas vrai en réalité, mais dans le deal il pouvait mettre un des morceaux en ligne. Du coup dans l’idée, il me refilait les masters et parfois je demandais aux artistes s’ils étaient d’accord que je mette le morceau en ligne et l’on se contentait d’avoir une autorisation par mail qui disait oui.

Pour vous aujourd’hui quelle est la place de la culture Hip-Hop en France ?

Pour moi aujourd’hui elle s’est beaucoup éteinte. C’est un peu un cliché, mais ce n’est pas compliqué, quand tu regardes les pre-mières prestations live des rappeurs français il y avait toujours des danseurs derrières, aujourd’hui où vois-tu des danseurs sur scène ? Tu n’en vois pratiquement plus, par-fois ils invitaient des graffeurs à peindre des murs sur scène, tu ne vois plus ça. Déjà au-jourd’hui, la culture Hip-Hop est très divisée, le dénominateur commun à tous c’est le rap, un breaker va écouter du rap, un graffeur va

Ancien rédacteur en chef pour lehiphop.com

Pouvez-vous brièvement vous présenter, nous retracer votre parcours ?

Alors moi, mon vrai prénom c’est Pascal Dinh, j’ai officié sur Internet sous le blaze (sy-nonyme en argot de « nom » ou « prénom » ou des deux réunis) de Tstuso à la base, et c’est devenu Tetzwo avec le temps. J’ai com-mencé par faire des sites Internet en 1998, j’ai fait mon premier petit site, on n’appelait pas ça blog à l’époque, mais j’avais ma page per-so où je commençais à faire des chroniques de rap français. En 1999, j’ai été approché par un gars qui avait l’ambition de faire un premier webzine sur Internet, un gros web-zine. Il avait rassemblé une équipe de qua-torze, quinze personnes, qu’il avait ciblées, qu’il avait repérées sur Internet, pour monter ensemble un gros site Internet. L’idée c’était de faire du rédactionnel et de l’éditorial, donc c’était des chroniques, des interviews. L’idée était également de présenter le rap français à l’étranger donc on avait pour idée de tra-duire tous nos articles en anglais. On a eu de longs débats sur le nom du site, pour finale-ment arriver à « lehiphop.com ». On a choisi le nom le plus simple, on a pris un « .com » car le «.fr » coûtait trop cher. On a monté très vite le site. Au début on était quinze, et entre le début où l’idée est née et le moment où cela s’est fait on n’était plus que dix. Le site s’est fait très rapidement en six mois, peut-être, on a lancé « lehiphop.com » l’été 2000. On était affilié à Loud Records, à cette époque du web il y avait ce que l’on appelait « les web rings », c’était des associations de sites In-ternet où, sous un même thème, tu avais une sorte de bannière qui tournait et qui faisait la promotion des autres sites affiliés au réseau. Comme une régie publicitaire mais avec des sites Internet. C’était un échange de bons procédés avec d’autres sites, on savait, déjà à l’époque, que pour avoir du trafic et de la visi-bilité il fallait faire de l’affiliation. Nous, notre bannière elle apparaissait sur tous les autres sites qui étaient associés à ce « web ring »

du Loud Records qui était le label du Wu-Tang. Ils ont aimé notre site Internet, ils ont aimé notre nom de domaine surtout, il y avait le mot « hip-hop » dedans, alors forcément, on avait un certain avantage par rapport à d’autres concurrents français de l’époque, qui étaient 99BPM, Académie HH ou encore Hip-Hop sexions, même s’il y avait le mot « hip-hop » aussi pour le coup. Quand le site est sorti à l’été 2000, on a fait trois millions de visites, quasiment que des visiteurs uniques, le premier mois. Une grosse majorité était des visiteurs anglophones précisément amé-ricains, et pourtant le site était uniquement en français à ce moment-là. A mon avis, ils venaient une seule fois et ils repartaient aussi vite. Deux, trois ans après, c’était la fin des « web rings ». On a quitté celui de Loud Records et on est devenu, entre guillemets, indépendants.Pour survivre, on a établi d’autres modèles économiques, même si les « web rings » ne faisaient pas de rentrées d’argent, on a dû quand même réfléchir à d’autres systèmes économiques car un site c’est quand même un coût. Votre site présentait-il des fonctionnalités du web 2.0, comme la possibilité d’interagir avec les rédacteurs via des commentaires ?

Les utilisateurs pouvaient interagir mais uni-quement sous forme de forum. C’est à dire qu’à chaque fois que l’on publiait un article, on postait dans le forum un topic, un su-jet reprenant le titre de l’article, et les gens interagissaient dedans. Les visiteurs et les rédacteurs étaient sous pseudonymes, cela permettait d’échanger librement. Nous on était accessibles, il y avait des débats qui étaient créés par rapport à des avis sur cer-tains albums. Avec le temps, je me rends compte que finalement on se mettait facile-ment dans une posture où l’on devient vite démago. C’est vraiment venu avec le temps de donner notre vrai avis et de ne pas être

Page 86: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

écouter du rap, mais un rappeur ne va pas forcément danser, ou avoir un blaze qu’il va pouvoir lettrer. Il y a plein de rappeurs pour lesquels le lettrage c’est autre chose, ils y ont même peut-être jamais pensé de leur vie à lettrer un blaze. Avant, les rappeurs ils choi-sissaient leur nom en fonction du lettrage s’il était cool ou pas ; Befa, pour Fabe, Kool Shen, Joey Starr, c’étaient des blazes qu’ils graffaient. C’est pour ça qu’ils ont choisi ces noms, car en lettrage ils arrivaient à avoir des trucs sympas. C’est un truc qui s’est vache-ment perdu. A l’époque, personnellement, j’étais mal à l’aise d’avoir un site qui s’appe-lait le hiphop.com, dans le sens où pour moi on usurpait un peu le nom car on ne parlait que de rap. On a parlé un peu de danse, on a peut-être fait un article sur le graff, puis par la suite je me suis quand même décom-plexé par rapport à ça et par rapport au sens que le Hip-Hop avait pour moi. Je me suis dit que j’avais un peu le sentiment d’œuvrer pour cette culture, ok je ne pratiquais aucune discipline, mais je la ralliais à un média qui en parlait car cela nous intéressait. En soi, dans l’esprit, j’étais acteur, on était une asso-ciation, on s’impliquait beaucoup et ça nous prenait beaucoup de temps perso, c’était un vrai travail.

Aujourd’hui, c’est triste à dire, mais la culture Hip-Hop a perdu de son enthousiasme et s’est résolu à être une culture de banlieue. « Le peace, unity & havin fun » n’existe que pour les anciens, il n’y a que les anciens qui ont connu ça. Les gens touchent à cette culture, j’ai envie de dire culture rap par une discipline ou une autre mais ils n’ont pas for-cément conscience que cela forme un tout. Ils n’ont aucune idée des valeurs qui sont vé-hiculées : l’entraide, la compétition... On le voit dans le graff, ceux qui se mettent à graf-fer par-dessus d’autres graffs par exemple, dans la culture Hip-Hop c’est un terrible manque de respect. Il y a des gens qui dé-barquent et qui ne connaissent pas les codes.La danse, je pense que c’est un milieu qui est resté très pur car il y a encore les battles, il y a encore l’aspect compétition, l’aspect inno-vation. Il y a un côté très authentique, même s’il y a un aspect récupération par les comé-dies musicales ou tout simplement par la té-lévision. On a mis du moonwalk un peu par-tout, pourquoi pas après tout, on a bien mis du rap n’importe où, comme dans des spots de pubs télévisés.

Après, la manière de faire du rap reste en-core Hip-Hop, par rapport à cette recherche d’innovation aussi, aux Etats-Unis les gars redoublent d’efforts pour être plus percu-tants, plus performants, que ce soit dans la promotion ou dans la création. Quand tu as Kanye West qui modifie son album une fois qu’il est sorti, personne n’avait jamais fait ça avant, là il s’avère que c’est un rappeur, il est totalement dans une démarche créative et positive. S’il considère que son album est améliorable, il l’améliore.

D’après vous, le rap s’est-il détaché du mouvement Hip-Hop ?

Le rap c’est la discipline qui a été le plus vulgarisée. A partir du moment où le rap est rentré en radio, il est devenu indépendant. C’est comme le football, c’est le sport le plus populaire car c’est le sport le plus simple d’accès. Aujourd’hui tu ne vas jamais tomber par hasard sur une compétition de break à la télévision. Par contre, tu vas tomber par ha-sard sur du rap à la télé, ou dans les trans-ports en commun ou quand tu attends chez le dentiste.

Le rap a t-il respecté un code « arbitraire » à ses débuts ? Si oui, aujourd’hui quelle en serait son évolution ?

Le rap a connu des courants comme tous les courants musicaux, il y a eu plusieurs cou-rants populaires selon les époques : le south rap, le son d’Atlanta, le son de New York, le son de Los Angeles... Il y a des tendances, et dans le rap s’il y a un seul code qui doit ré-gir son identité, pour moi c’est la métrique, c’est le flow de l’artiste, c’est le respect des mesures. Après, le rap peut prendre plein de différentes formes, on voit que les schémas évoluent, mais parce que la musique évolue aussi. Quand la musique évolue tu ne peux pas rapper de la même manière. Les cou-rants vont et viennent, il y a de l’évolution, il y a des retours en arrière. Il y a des tas de gens qui poussent dans un tas de directions, ça part dans tous les sens et je trouve ça super comme ça ! C’est comme quand on a entendu Mafia Trece rapper sur de la gui-tare électrique il y a quelques années, sur du gros rock. Aux Etats-Unis, RUN DMC l’avait déjà fait, mais en France j’avais jamais en-tendu encore quelqu’un faire ça, personne n’avait osé encore. Bon personnellement j’ai-

mais pas, mais c’était osé, c’est bien qu’ils l’aient fait. Donc voilà pour moi dans le rap il n’y a pas de code, le rap c’est toujours du rap, peu importe la forme qu’il prend. Au-jourd’hui, le rap a aussi beaucoup changé car on ne sample plus. C’est pour des questions de coût, car quand tu samples tu dois payer des droits, et plus ton morceau a du succès, plus tu vas payer des droits dessus. IAM en a fait les frais avec « Ce soir on vous met le feu », ils pensaient que c’était une chanson po-pulaire de stade, ils entendaient ça au stade du Vélodrome, ils l’ont donc samplé et utilisé dans leur titre. Il s’est avéré que c’était une reprise d’un morceau existant, quand ils l’ont sorti en single et qu’il a fait des passages ra-dios, ils ont dû raquer à mort ! Je pense que tout ce qu’ils ont gagné avec l’album « Ombre et Lumière » ils l’ont reperdu en droits pour ce morceau.

Pouvez-vous me citer trois mots que vous associeriez systématiquement au rap ?

Les aspects qui pour moi priment sont : « la performance », « la compétition » et « la variété de choix ». La performance c’est par rapport au flow, il faut que ça kicke, que ce soit percutant. Par exemple, quand tu en-tends un truc et que tu as envie de le rapper et bien, si tu arrives à te caler sur le flow du rappeur dès le premier coup, bah tu rayes le mot performance. Si tout le monde peut le faire, certes il faut avoir l’idée, mais s’il n’y a pas de recherche de performance ça diminue beaucoup la valeur de base du rap. La représentation du rap d’aujourd’hui, c’est que c’est la musique la plus populaire, c’est la musique numéro un en France, c’est la musique la plus écoutée par les jeunes et représentée par tous les milieux sociaux. Pendant longtemps, c’était une musique qui était réservée soit à des passionnés soit à des jeunes de banlieues. Les premiers fans de cette musique que l’on a observés sur les premières émissions de rap de Dee Nasty, c’était des Stomy Bugsy, des Rockin’ Squat, des Joey Starr qui sont tous devenus rappeurs par la suite. Voilà, on savait tous que c’était des jeunes de banlieues et c’était pas une musique qui parlait à monsieur tout le monde. Aujourd’hui, on peut voir des mé-nagères écouter du Gradur : « Je fais des pompes, je fais des pompes ! ». Voilà, c’est rigolo de voir ce que c’est devenu. Ensuite, c’est aussi une musique qui s’est vachement

décomplexée par rapport à ce qu’elle repré-sentait à ses débuts, c’est à dire le sample, la funk, la soul ... Aujourd’hui, on voit que l’on peut apporter d’autres influence, de la mu-sique afro, comme MHD par exemple, lui il assume complétement son univers. Cela amène de la créativité, de la nouveauté, c’est très positif. Après, le fait que le rap soit deve-nu aussi ouvert et populaire, ça a également apporté du négatif, c’est devenu parfois une musique débilitante pour certains. Le champ lexical des rappeurs d’aujourd’hui ne vole pas haut. Il y a eu une étude aux Etats-Unis qui a été faite sur le sujet, ils ont analysé tous les tubes qui sont arrivés numéro un des ventes de disques sur une période donnée, et ils sont arrivés au constat que les textes ne dépassaient pas le niveau d’un enfant de CE2 en termes de mots utilisés. Plus tu t’adresses à un public de masse et populaire, moins tes textes sont recherchés. On l’a bien vu avec Skyrock. Ils le savent pertinemment, les maisons de disques, avaient en cahier des charges pour passer sur Skyrock, d’être compréhensibles par le plus grand nombre, il faut que ce soit simple à comprendre. Pour ce faire, on enlevait tous les mots compliqués des textes. Ce n’est même pas : tu découvres une première version de l’album et ensuite une version simplifiée à la radio, non, c’est la version de l’album qui est déjà autocensurée et déjà réécrite pour passer gentiment en ra-dio. De base, le discours on l’a simplifié. Si on prend les premiers textes d’un rappeur qui rappe depuis dix, vingt ans et qu’on les com-pare à ses textes d’aujourd’hui, je suis qua-siment sûr que le discours est plus simpli-fié. Booba, par exemple, c’est flagrant, il est passé de textes extrêmement acides, avec une vraie verve et avec beaucoup d’image-rie, à aujourd’hui, où il ne fait même plus de phrases. C’est des bouts de phrases, il colle trois, quatre sujets ensemble qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Et ils font tous ça, et c’est en ça que cela devient mongol. On a perdu le sens, on a perdu la volonté de dire quelque chose.

Après, les rappeurs ne sont pas que fautifs, le discours des années 1990 a lassé les gens, déjà parce que le public vieillit, les acteurs et le public ont vieilli. Là où l’on aimait avoir quelque chose de contestataire quand on était plus jeune, en grandissant, on n’a plus eu ce besoin. On a eu envie de réfléchir par nous-mêmes, on n’a plus eu besoin de ça, on

Page 87: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

a fait nos expériences, on a fait nos trucs et on a peut-être plus envie d’avoir quelqu’un qui conteste à notre place. La nouvelle géné-ration, elle, n’a pas été éduquée à ça et elle est arrivée avec des rappeurs qui étaient déjà décomplexés par rapport à ça.

La société et les contestations ayant ainsi évolué, aujourd’hui, d’après vous, quelles sont les nouvelles motivations pour faire du rap ?

C’est la musique la plus abordable, c’est la musique la plus simple à produire, c’est la musique où c’est le plus simple d’improviser quelque chose. C’est grâce aux réseaux so-ciaux, à toutes les plateformes d’écoute, de downloads et ainsi grâce à toute la visibilité et les possibilités qu’offre YouTube. Aujourd’hui réaliser un clip c’est très facile, on fait bien des films de cinéma avec des GoPros, bah on fait aussi des clips avec des GoPros qui coûtent deux cent euros. Les logiciels, ça se cracke, c’est gratuit pour beaucoup. Avant les mecs étaient passionnés, ils recherchaient une passion, ils réclamaient rien derrière. Ils rappaient pour le plaisir de rapper, ils brea-kaient pour le plaisir de breaker. La généra-tion d’aujourd’hui a grandi avec la télé réalité et l’instantanéité, donc la renommée facile. Faire des millions de vues, ça parle aux gens, c’est limite palpable, donc ils vont chercher ça, ils vont chercher leur quart d’heure de gloire, et le rap c’est un moyen simple de le faire. Du moins c’est l’illusion que cela donne, mais dans la réalité, il y a des milliers de rappeurs qui font des sons, et de temps en temps il y a un poisson qui saute du banc de poissons et qui va se faire repérer. Même un anonyme peut faire cinquante millions de vues sur YouTube. Après, tu gagnes bien ta vie avec des vidéos YouTube : tu gagnes 1 euro pour milles vues. Quand tu vois des PNL qui affichent des compteurs de vues à quarante-six millions de vues, tu divises par mille, tu te dis ça fait des thunes, ça fait grave des thunes ! Tu comprends mieux la motiva-tion des artistes de faire de bons clips.

D’après vous comment et quand le rap est arrivé sur l’Internet ?

Il est arrivé en même temps qu’Internet, moi je suis arrivé sur le web en 2000, je faisais mon premier site de rap en 1999 et mon pre-mier site tout court en 1998. Je n’étais pas

prescripteur à l’époque, je n’avais pas l’ADSL, j’avais un vieux modem. Mais je pense que dès qu’Internet est arrivé à la maison, il y a des gens qui ont fait des sites de rap. Le rap est une passion, à cette époque tu avais en-vie d’en parler, il y avait très peu de médias, il y avait quelques magazines comme l’Af-fiche, Radikal, RER, Groove, Digital Hip-Hop qui étaient des magazines de musique black, ragga, zouk, rap. Et il y avait les radios et quelques émissions de télé, mais c’est tout. Les sites qui sont apparus fin des années 1990 étaient comme le mouvement, très pa-risiens, on se connaissait tous.

Quelles ont été les évolutions dans le web journalisme avec l’avènement des réseaux sociaux ?

Aujourd’hui, il y a beaucoup de choses qui ont changé avec le web 2.0, avec YouTube et les autres plateformes. Les habitudes des utilisateurs ont beaucoup changé, au même titre que la musique qui se consomme en échantillons, on n’écoute plus d’album en entier, les gens n’aiment plus lire, les gens ne font plus l’effort de lire des articles très longs ou des interviews de vingt pages. Aujourd’hui, les gens sont très consommateurs de vidéos, tu vois sur ton flux d’actualité, les informations sont présentées sous forme de courtes vidéos. Le fait de fil-mer les interviews te permet aujourd’hui de capter plus de vues, et te permet, derrière, de récupérer un peu d’argent là-dessus. Autre point, quand tu as une vidéo sur YouTube ou DailyMotion, il est très simple de la partager. Nous, à l’époque, les gens arrivaient sur notre site soit par le bouche à oreille, soit par Goo-gle, soit par un lien qu’ils avaient trouvé. Au-jourd’hui, tu ne tapes plus l’URL directement d’un site Internet, tu passes par des postes de Facebook. Les webmagazines aujourd’hui ont leurs fans pages et postent leurs articles dessus, ils ont plus de trafic via les fans pages que via le lien du site. Tu te garantis plus de visibilité en postant ton article sur Facebook que juste en étant posté sur le site. Un site qui a vraiment connu cette transformation là c’est « l’abcdr du son ». À l’époque, ils ne faisaient que du rédactionnel et maintenant, ils font des émissions vidéo. Voilà, l’impact du web 2.0 sur le web journalisme, c’est que ça a permis d’augmenter les visites sur les sites et ça a tué un peu l’éditorial. Aujourd’hui, la forme du message, la forme d’écriture, la

forme de ce que l’on veut dire doit être beau-coup plus réfléchie. Si nous, le « hiphop.com », on avait dû continuer l’aventure, il aurait fallu sûrement complètement transformer le format et investir, d’autant plus, de temps et d’argent, il aurait fallu suivre de nouveaux co-des. Pour quelqu’un qui aime écrire comme moi, je pense que je trouverais ça frustrant.

Pour vous cela a été une transformation longue ou y a-t-il eu une fracture pré et post web 2.0 dans la presse on-line ?

Je pense qu’il y a eu une vraie fracture, au point que maintenant, certains sites ne font pratiquement que de la vidéo. Ils envoient quelques courts articles de temps en temps, mais sinon, ils ne génèrent globalement que de la vidéo. Après, je pense que l’on a toujours les mêmes problématiques et les mêmes en-jeux par rapport aux régies publicités. Le web 2.0 n’a pas permis encore aux médias de s’af-franchir des annonceurs.

D’après vous quelles sont les opportunités et les contraintes qu’apportent les réseaux sociaux à la communication entre artistes et fans ?

Cela apporte de la proximité et tout un tas d’échanges. Sur Twitter et Instagram, les utilisateurs qui te suivent s’attendent à avoir du contenu. Si l’artiste en face n’est pas ex-pansif, par exemple Fabe, imagine Fabe, au-jourd’hui, il est sur Instagram, il ne va pra-tiquement jamais rien poster et personne ne va le suivre. En face, tu prends un gars comme Gradur, qui se prend en photo quand il fait des pompes, pendant qu’il boit un cock-tail dans un bar, il prend en photo ses pieds, il prend sa nouvelle paire de baskets, bah, les gens le suivent en masse. A un moment don-né, quand tu es sur les réseaux sociaux tu es obligé de donner plein de choses aux gens en permanence. Même Booba aujourd’hui il s’y met, il se prend en photo avec une peluche sur la tête, il se prend en vidéo en train de faire le gamin, c’est hallucinant de voir ça ! La manière de s’adresser aux gens a beaucoup changé. Après c’est vicieux car Twitter c’est limité à 140 caractères, tu ne peux pas faire de grandes tirades, ni raconter ta vie en dé-tails. Tout à l’heure, je te disais que le rap se « mongolise », c’est que parfois, quand tu re-gardes sur les réseaux sociaux, il y a certains artistes qui se ridiculisent complètement. Ils

ne comprennent pas la portée de ce qu’ils disent. Aujourd’hui, même dans les médias ou en politique, tout ce que tu dis sur Twitter c’est comme si tu le disais devant un parquet de journalistes, ça a la même valeur. Les fi-gures publiques ont du mal avec ça, et tant qu’ils n’auront pas compris qu’il faut mettre une certaine distance entre toi et les fans qui te suivent sur Instagram, Twitter ou autre, il va y avoir des erreurs de communication, des vrais drames !Mais en face, les utilisateurs sont très de-mandeurs d’entertainment, ils attendent que tu publies tes photos de vacances, des sel-fies, des photos de burgers, ils recherchent une réelle proximité, une similarité avec toi. Le public rap reste un public jeune, il se ras-semble beaucoup. Le public jeune aime réa-gir, pour lui, il y a un aspect ludique. Je pense que le public rap est plus actif sur les réseaux sociaux parce qu’il est jeune justement. Les jeunes, souvent, vont observer le nombre de like sur une vidéo avant de se décider s’ils l’aiment ou pas. Ils aiment participer aux mo-ments populaires, même si c’est une photo de chat. Ça a très, très vite un effet boule de neige.

Il y a un phénomène qui est très intéressant : dans les années 2000, le grand truc c’était la fierté de son département ; tous les rappeurs débarquaient avec leur numéro de départe-ment, on peut même citer Casey qui avait dit : « Si tu n’as pas d’autre fierté que le numéro de ton département, lâche l’affaire ! », un truc comme ça. C’est un truc qu’aujourd’hui tu ne vois plus du tout, on ne représente plus un espace défini, on est rentré dans un truc plus global, plus mondial. On s’attaque plutôt à un large public, le public d’Internet plutôt qu’à son département ou à son quartier. Internet pour ça a vraiment apporté une ouverture sur les territoires d’interactions qui étaient établis entre le public et les artistes. Tout est beaucoup plus vaste ! Maintenant, quand tu sors un album, tu ne sors pas juste un album. Les rappeurs de la nouvelle génération, s’au-toproduisent, ils se créent des fans pages, une chaîne YouTube, ils se créent un univers qu’ils inondent sur les réseaux sociaux. Dès le début, ils sont très conscients des enjeux de la diffusion. Ce n’est pas juste : comment je vais faire ma musique ? C’est : comment je vais créer ma communauté et comment je vais communiquer avec elle ? Je trouve que les rappeurs en sont vraiment conscients.

Page 88: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

D’après vous, la culture web 2.0 de partage et de participation collective œuvre-t-elle pour le rap ?

OHHLA.com, Original Hip-Hop Lyrics Ar-chives, était un site énorme de textes de rap, tu retrouvais tous les artistes, tous les albums. Tu pouvais participer, tu soumettais ton fichier, qui devait respecter une certaine convention, et les administrateurs décidaient ou pas de le mettre en ligne. Grâce à ça, tu trouvais tous les textes de rap. Rap Génius c’est la version 2.0 de OHHLA, c’est la même chose, sauf que c’est plus participatif car tu peux mettre des annotations, des anecdotes, expliquer des textes et donner des contextes. C’est modéré et bien foutu et les artistes ajoutent eux-mêmes les annotations. Les textes de rap sont bourrés de références, il y a beaucoup d’argot, beaucoup d’éléments très locaux qui ont besoin d’être expliqués. Le rap est avant tout une musique de texte et de messages. Il y a l’équivalent de quatre textes de chanson française pour un texte de rap, alors tu as besoin d’explications. Rap Genius, œuvre beaucoup pour ça pour la compréhen-sion de la culture rap.

D’après vous, les rappeurs peuvent-ils se substituer aux médias traditionnels pour exister ?

Oui, complétement, et c’est ce qui est en train de se passer. Il y a deux exemples, JUL et PNL : c’est les deux qui cartonnent en termes de ventes, qui cartonnent en termes de vues et qui ont réussi à faire venir les mé-dias à eux. Maintenant, Skyrock passe aussi sur ses ondes des indépendants et pas que des gars en maison de disques. Tu vois aussi des gars comme Booba, en indépendant, qui crée sa propre plateforme, sa propre radio, son réseau social. Les réseaux, hors circuits classiques, sont en train de se faire. Mais je pense que tu ne pourras bientôt plus lut-ter contre YouTube, Soundcloud, Spotify, et Deezer.

D’après vous, quelle direction le rap va-t-il prendre ces prochaines années ?

Il y a plus de vingt ans maintenant, la majorité des gens pensait que le rap ne durerait pas dix ans, que c’était une musique de jeunes, de mode. Le constat est que vingt-cinq ans plus tard, le rap est toujours là et plus fort que

jamais ! C’est une musique qui a vécu plein de changements et qui a surfé sur toutes les transformations de la société. Le web 2.0 in-clus et il se l’est approprié, il vit avec. C’était une musique qui était vouée à mourir avec le temps et finalement, elle ne fait que se transformer continuellement. Le rap devient purement sociétal. C’est une musique qui était très codée à la base et qui le devient de moins en moins. Elle s’adapte beaucoup à la société et plus elle s’adaptera, plus elle du-rera longtemps. Après, est-ce-que c’est bien ou pas ? C’est à voir, car si elle se transforme et qu’elle s’éloigne vraiment de ses valeurs initiales, je ne sais pas ce qu’elle deviendra. Aujourd’hui le rap ne véhicule déjà plus trop ces valeurs initiales et ne véhicule pas assez le message positif, c’est dommage, surtout en ces temps où la société aurait besoin d’un peu d’humilité. Il y a des rappeurs comme Lino et Youssoupha qui sont en faveur du rassemblement, ils ont délaissé la compé-tition, ils sont contents et respectueux pour leurs pairs qui réussissent, ils sont grave dans l’entraide et tout ça montre bien que la culture Hip-Hop se perpétue. Après, ces pa-roles là, ce ne sont pas celles qui sont le plus relayées sur les médias sociaux et c’est dom-mage. Pour que le rap garde son esprit, il faut aussi que le public rap s’ouvre et que le rap s’ouvre aussi à plus de positivité.

Page 89: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

INTERVIEW HUGO FERRANDIS Rédacteur en chef à thebackpackerz.com

Pour vous aujourd’hui quelle est la place de la culture Hip-Hop en France ?

Je pense qu’en France la culture Hip-Hop a pris une très grande place. Je pense que l’image du Hip-Hop est en train de beaucoup changer. C’est un peu cliché, mais jusqu’à aujourd’hui le grand public avait une image du rap de banlieue, un peu agressive. Au-jourd’hui, il y a plein de rappeurs qui sont arrivés avec des styles un peu plus doux, des paroles qui changent, un peu de théma-tique, qui ne sont pas que dans la violence. En termes de succès musical, j’ai un peu l’im-pression que le Hip-Hop est devenu la pop d’aujourd’hui, pas seulement en France mais dans le monde. Personnellement, je ne me permettrais pas de cracher sur des artistes cross-over comme Drake, ils permettent tout de même de faire parler de la culture à un grand nombre. Quand tu prends le classe-ment des meilleurs tubes, tu en as la moitié c’est du Hip-Hop, et je me dis que ces ar-tistes ont contribué à ouvrir une porte dans cette culture à une plus grande audience. Il y a beaucoup de gens qui découvrent un style de musique grâce à un titre mainstream et ensuite, quand tu t’y intéresses, tu tires le fil, et tu découvres qu’il y a plein d’autres choses et qu’il y a plus de subtilité. C’est grâce aux artistes mainstream que l’on parle aussi plus de Hip-Hop dans les médias et que son image s’est popularisée au sein de la société. L’exemple du moment c’est le centre Hip-Hop « La Place » qui a ouvert à Chatelet les Halles, et là, tu te dis que la mairie de Paris a investi dans un lieu de 2000m2 consacré uni-quement à la culture Hip-Hop en plein cœur de Paris. C’est un des signes qui montrent que cette culture est valorisée et n’est plus une sous-culture underground.

D’après vous le rap s’est-il détaché du mou-vement Hip-Hop pour devenir complète-ment indépendant ?

Aujourd’hui, les gens ce qu’ils kiffent dans le Hip-Hop ce sont les chansons. Le rap est beaucoup plus médiatisé que les autres dis-ciplines, les gens quand ils vont voir des ar-tistes rap en concert, ils y vont pour l’artiste, pas pour voir du graffiti ou de la danse. Je ne pense pas que dans les artistes rap d’aujourd’hui il y en a beaucoup qui associent le Hip-Hop au rap. Il n’y a plus beaucoup d’ar-tistes à la KRS One, qui invoquent à chaque fois l’histoire du Hip-Hop, qui vont mettre en valeur leur Dj, qui vont inviter des danseurs sur scène. Après, je ne sais pas si tous les artistes d’aujourd’hui portent en eux cette culture Hip-Hop, je ne sais pas si c’est parce qu’ils ne savent pas comment les mettre en valeur ou si c’est parce qu’ils les considèrent moins. Mais, c’est certain que le rap reste la grosse locomotive de la culture Hip-Hop et que tout ce qui gravite autour ça reste un peu dans l’ombre du rap. C’est un fait difficile à nier. Je me demande aujourd’hui si ce n’est pas finalement plus les institutions qui portent cette culture plutôt que ses acteurs. Je m’ex-plique, tous les festivals, les événements organisés par les villes, invitent en tête d’affiche des artistes rap, mais au-delà des concerts, ils organisent plein d’activités au-tour : il y a de la danse, des performances ar-tistiques de graff, des cours, il y a du gaming, des expositions. J’ai l’impression, ouais, que c’est plus les institutions qui sont chargées de promouvoir toute la culture Hip-Hop dans son ensemble. Les médias aussi, enfin la presse spécialisée Hip-Hop, ne va pas parler que de rap, elle va parler de danse, d’expos, etc...

Comment définiriez-vous le rap aujourd’hui en France ? Quelle en est votre représen-tation ?

C’est le genre le plus dynamique, le plus in-novant et le plus malléable. Si tu le compares à d’autres styles de musique c’est le seul qui

a autant d’identités. C’est dans l’ADN du rap d’aller puiser dans plein d’autres styles de musique, grâce au sampling, grâce à ses in-fluences world music, soul, jazz, funk... C’est dans son ADN, il ingurgite les influences de chaque décennie, il évolue tout le temps. C’est dur de se lasser dans le rap, il y a tou-jours de nouvelles tendances, de nouveaux styles bien ou pas bien, mais c’est toujours différent. C’est bien le signe que ce n’est pas une culture qui se meure mais qui se renou-velle sans cesse. C’est comme une langue vivante par rapport à une langue morte, une langue vivante c’est une langue qui va avoir de nouveau mots, de nouvelles expressions qui évoluent avec le temps, elle va avoir un argot, un jargon. Contrairement à une langue morte qui n’a jamais évolué et que l’on ou-blie. Je trouve que les mots qui définissent le mieux le rap en ce moment c’est « dyna-mique », « innovant » et « évolutif ».

Le rap a-t-il respecté un code « arbitraire » à ses débuts ? Si oui, aujourd’hui quelle en serait son évolution ?

Globalement, je pense que le rap était perçu comme quelque chose de très contestataire et politisé. Aujourd’hui, il y a toujours des ar-tistes qui font ce style de rap mais je pense que la majorité se sont détachés justement de ce côté là, je n’ai jamais pensé qu’un artiste devait être un porte-parole d’un mouvement politique, j’ai toujours préféré la partie artis-tique, la musique, la mélodie et les instru-mentales. Je ne pense pas que cela doit être dans la check-list du bon rappeur d’avoir un message politique. Je pense qu’il y a eu des évolutions dans le business de la musique et de la culture Hip-Hop. Aujourd’hui les mecs n’ont pas forcément envie de se prendre la tête sur le message à passer à la jeunesse française. Ce n’est pas pour autant qu’ils ne vont parler que de trucs superficiels, comme se taper des putes et rouler en grosses ba-gnoles. Je pense qu’ils sont plus préoccupés à faire de la bonne musique, à faire danser les gens et se faire kiffer en soirée. Ils vont plutôt faire oublier les problèmes de la vie réelle, plutôt que des les rappeler dans leurs textes. Personnellement, la musique, je la vois plus comme un truc pour s’évader que comme un truc qui me ramène aux réalités et aux merdes ambiantes. On est overdo-sé d’informations aujourd’hui, on n’a plus besoin que les rappeurs nous expliquent ce

qu’il se passe dans le monde. Avec Internet et les réseaux sociaux on y est déjà beaucoup confronté.

D’après vous comment le rap est-il arrivé sur Internet ? Et quelle en est sa place ?

Je pense que les débuts ça a dû arriver avec les blogs, début 2000. Il y avait plein de blogs qui commençaient à fleurir partout. Ils faisaient comme ce que l’on fait nous aujourd’hui, ils tenaient un peu le rôle de sélecteurs qui t’ai-daient à faire le tri dans tout ce qui sortait ; ils ne sélectionnaient que le meilleur. Après il y a eu toutes les plateformes de téléchar-gement, type E-mule. J’ai toujours vu le télé-chargement comme un moyen de découvrir de nouvelles choses, pour moi, au départ, le format idéal c’est de télécharger illégale-ment l’album d’un artiste car tu ne le connais pas et que tu as besoin de te faire une idée et après, si tu aimes, tu deviens fan et pour le soutenir tu lui achètes l’album. Mais aller lâcher quinze balles dans un truc que tu ne connais pas trop ça me semble aujourd’hui désuet. Du coup, je pense que c’est aussi plus les fans de rap qui ont amené le rap sur Internet. J’ai l’impression que les artistes ont eu un peu de mal à comprendre l’importance des réseaux sociaux et de comment s’en ser-vir. J’ai l’impression qu’ils commencent tout juste maintenant, il y a deux trois ans, je n’ai pas l’impression que les artistes ont vu le truc comme des early adopters, à prendre conscience de la digitalisation, à réfléchir comment communiquer sur Twitter ou Face-book. C’est plutôt en voyant les autres faire qu’ils ont appris. Quand ils ont vu les grosses communautés de followers et l’engouement sur les vidéos que cela générait, ils ont com-mencé à s’y mettre, mais c’était il y a vrai-ment pas longtemps. Il y a plusieurs évolu-tions dans la manière de communiquer, il y a eu la radio, les émissions de télé, et les clips de rap qui étaient ultra importants, et le temps que les artistes comprennent que la télé ça marchait plus, ça a mis du temps. Il y a pleins d’artistes qui n’ont pas réussi à prendre le tournant et qui aujourd’hui doivent sûrement beaucoup galérer à faire connaître leurs projets.

Page 90: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

Quelles sont les différences que vous per-cevez entre un format webzine comme le vôtre et un format papier ? Quelles sont les opportunités que le web vous a apportées ?

La plus grosse différence entre les deux, c’est la temporalité, par définition un truc papier tu ne peux pas réagir à chaud. Donc, ta ligne éditoriale ça va être des gros dossiers, des analyses, tu prends un peu de recul sur les événements. Nous, je pense que l’on a essayé de faire un format un peu cross over, entre les deux. On fait des articles format papier mais adaptés aux codes du web. Car on aime beaucoup les deux, on réfléchit en ce moment à l’idée de sortir une version papier, et on se rend bien compte que c’est deux métiers différents. Mais, ouais, la temporalité c’est la grande différence, quand il y a un album qui sort, si tu mets plus de trois jours à en parler, ta communauté elle sera déjà passé à autre chose, aura déjà eu l’information par un autre site média. Pour un magazine papier c’est techniquement impossible de faire face à ça. Mais pour moi, les deux devraient être compatibles tu devrais te servir du web pour être au courant des dernières nouveautés et acheter ton magazine pour avoir des articles plus poussés, plus analysés, avoir un vrai tra-vail journalistique. Sur le web, les webmaga-zines ne sont pas considérés comme du vrai journalisme, et je trouve dommage qu’il y ait si peu de presse magazine qui ait survécu à cette révolution digitale. Pour moi ce que tu trouves en papier tu ne le trouves pas sur le web et vice versa. Ça devrait simplement être complémentaire.

Après, en tant que web rédacteur, ce qui guide beaucoup notre écriture c’est les gui-delines de Google sur les bonnes pratiques du référencement naturel. On a fait un gros travail de référencement naturel, nos ar-ticles sont tous Google Friendly, c’est pour ça que la structure du texte doit respecter des règles : il faut qu’il y ait le mot clé dès le début, dans ton titre. Il faut ensuite que tu le retrouves dans le chapeau, il faut que l’article fasse au moins trois cents mots, il te faut tous tes intertitres, les H2 et il faut que les images soient bien renommées. Ce travail fait que sur plein de requêtes on se retrouve dans les premières pages. C’est la différence majeure entre l’écriture papier et l’écriture web. Si l’on veut que nos articles soient un peu lus -mine de rien le trafic Google il re-

présente chez nous 40% du trafic-, on se doit de bien calibrer nos articles. Pareil, on fait pas mal de rebonds sur d’autres articles du même thème, on pratique les méthodes du backlinking pour augmenter le trafic. Toute la structure de nos articles est pensée pour l’analyse des robots Google. Après, il ne faut pas que ces contraintes impactent trop néga-tivement le sens ou la qualité de ton article mais bon, il paraît que c’est dans la contrainte que réside la créativité. Si tu es libre à 100%, finalement tu es moins créatif que si tu es dans la contrainte. Le reste du trafic de notre site c’est environs 50% de réseaux sociaux et 10% de trafic direct, mais nous, dans un idéal on aimerait avoir plus de trafic via Google et moins via les réseaux sociaux. Par rapport à la longue traine, ton trafic est plus qualifié s’il vient de Google car les utilisateurs trouvent spécifiquement ce qu’ils recherchaient. Les réseaux sociaux apportent encore plus de contraintes, il faut que tu arrives à packager ton article, il faut que tu conçoives un titre dif-férent et accrocheur pour que les gens aient envie de cliquer. Toutes les problématiques de Rich Organic Facebook baissent chaque année, le système te force à être de plus en plus engageant dans tes postes car si tu ne récoltes pas assez d’interaction, il arrête de pousser tes postes dans le flux d’actualité de tes fans et tu touches moins de gens. C’est encore plus contraignant que Google, si tu fais des postes plats qui ne récoltent pas de likes, l’algorithme Facebook va interpréter ça comme une page qui n‘intéresse pas assez de gens alors il va baisser sa visibilité.

Aujourd’hui quand tu écris un article, tu ne penses pas seulement à l’article mais éga-lement à tout ce qui va permettre de le dif-fuser. Tu penses l’article comme un produit à 360°. C’est à dire que quand je me décide d’écrire sur un sujet, je pense directement, avant même de l’écrire, à comment il va vivre sur le site, quel design il va avoir, comment il va vivre sur les réseaux sociaux, comment il va être référencé sur Google, comment on va pouvoir le packager, le marketer si on le pousse en newsletter, aux partenariats. Je ne pense pas juste au sujet mais vraiment à comment il va s’inscrire à travers le site et sur les réseaux sociaux. Je trouve ça très sti-mulant de voir nos articles comme des pro-duits, qui vont avoir tout un cycle de vie mar-keting. Il faut savoir capter l’attention tout le temps, un article va paraître super stylé pour

un habitué de ton site mais si tu n’arrives pas à accrocher quelqu’un qui ne te connaît pas forcément ou qui ne te suit que sur Face-book, bah tu vas perdre quasiment 50% de ton trafic. Aujourd’hui, tout doit avoir l’air pro, comme on veut se donner une image de qua-lité, et non d’un blog fait dans sa chambre, tous les articles, du site aux réseaux sociaux, doivent être professionnels.

Avez-vous observé des heures de forte au-dience comme sur les médias traditionnels?

Aujourd’hui, tu peux croiser les pics d’au-dience des utilisateurs Facebook avec tes audiences perso, celles de ta fan page. Sur Facebook en général tu as des pics le ma-tin, quand les gens se lèvent, entre 7h et 9h du matin, ensuite tu as un pic vers 13H et en-suite, un gros pic à 15H et le dernier est à 21H après le prime time.

Quelle est votre utilisation des réseaux so-ciaux dans l’animation de votre fanpage ?

C’est 50% du push d’articles et 50% de pur community-management, c’est à dire inte-ragir avec ta fan base. C’est leur donner du contenu qui n’a pas forcément pour objectif de driver du trafic sur site. C’est un moyen d‘animer ta communauté, d’échanger avec elle, c’est lui donner du contenu gratuit qui va lui donner envie de le partager avec ses potes. C’est grâce à cette partie-là, qui est du pur engagement, où tu récoltes du partage et du like, lorsque tu publies des pushs d’ar-ticles, que tu vas être le mieux diffusé car tu auras fait tout ce travail en amont d’engager ta communauté. C’est une espèce de cercle vertueux qui fait que l’un sert l’autre. Il y a des sites ou des médias qui ont un peu oublié la partie engagement, qui ne font que du push trafic, ils oublient que les réseaux sociaux c’est avant tout pour se détendre, rigoler avec ses amis, c’est ça à la base le réseau social. Si tu es une marque et que tu ne pousses que de la réduction, tu vas avoir zéro engagement et zéro fan. Alors que si tu arrives à trouver le bon équilibre entre la promotion de tes produits, de tes articles et l’interaction avec ta communauté, c’est là où tu es le plus ga-gnant.

Réalisez-vous ce même travail d’engage-ment sur les plateformes vidéo ?

On a une chaîne YouTube mais elle est rare-ment mise à jour, on publie nos interviews vidéo. Le format vidéo demande malgré tout plus de temps de travail, mais c’est un format sur lequel j’aimerais beaucoup que l’on pro-gresse. Ce n’est pas un scoop de dire que le format vidéo explose, et j’aimerais bien que l’on réalise dans l’avenir des émissions en plateau ou avoir des chroniques à la manière des YouTubeurs, qui à la place de proposer une lecture l’article soit raconté.

Quelle est l’importance des réseaux sociaux pour les artistes ?

Les artistes se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient plus faire sans, et tu sens que même les anciens, ceux de la vieille école sont aussi aujourd’hui sur les réseaux so-ciaux. C’est comme les médias, tu vois bien ceux qui savent s’en servir et ceux qui pu-blient une fois tous les six mois pour dire aux gens d’aller acheter leur album sur ITunes. Ceux qui vont se sentir un peu plus proches de leur communauté et qui vont montrer leur vie quotidienne, des enregistrements en studios, des moments un peu plus exclusifs, quand l’album sort, ils en parlent aussi, bah c’est eux qui marchent le mieux. Versus ceux qui voient ça comme un canal purement com-mercial et un espace de plus pour pousser un lien de téléchargement. Les Américains sont très forts pour ça, tu regardes Beyonce qui la veille au soir de sortir son nouvel al-bum secret, sort une sorte de long métrage mystérieux, le lendemain elle te sort un al-bum sans que personne ne s’y attende. C’est fou ! Ils ont gardé le secret jusqu’au bout. Ça crée un événement. Pareil, on a fait un article sur Kanye West : « Kayne West a-t-il inven-té le release sans fin ?» où il voit son album comme une œuvre d’art évolutive, tu as ache-té l’album en mars tu le rachètes en juin c’est plus du tout le même, c’est très innovant et forcément ça créer de l’engouement. Pensez-vous aujourd’hui, avec l’avènement du web 2.0, que la communication prime sur la performance artistique des artistes ?

Oui, clairement, les mecs qui arrivent super bien à gérer le côté hype, marketing, souvent arrivent à vendre plus de disques grâce à ça ; versus un mec qui va avoir un pur album mais qui ne sait pas le promouvoir. C’est un peu le reflet de la hype ambiante de la so-

Page 91: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

ciété, dès qu’il y a un produit bien marketé, un bon univers, des bons influenceurs qui le soutiennent, bah il marche super bien. C’est pareil pour la musique, les jeunes se font beaucoup influencés par la hype des ré-seaux sociaux, parfois j’ai l’impression qu’ils se forcent à aimer un artiste car il y a beau-coup d’engouement autour. Mais je ne sais pas s’ils aiment la profondeur musicale de ce qu’ils écoutent. Je ne sais pas s’ils aiment ça parce que ça passe vingt mille fois à la radio ou s’ils écoutent ça parce qu’ils aiment vrai-ment. La musique c’est toujours le reflet de la société, l’image et l’univers qu’elle dégage sont primordiaux pour son succès, c’est le package qu’il y a autour qui fait son succès. D’après vous, aujourd’hui, un artiste peut-il réussir à exister sans un support média-tique traditionnel et se suffire d’Internet ?

Non, impossible ! Effectivement, tu peux dif-fuser ta musique gratuitement, créer du buzz autour d’une sortie, être bien relayé par les médias, vendre quelques albums. Mais je pense que le schéma pour exister et vendre aujourd’hui, c’est qu’il faut que tu tournes énormément, faire beaucoup de concerts dans l’année. La place de la scène est cen-trale, je perçois la sortie d’un l’album comme un appât pour justifier une tournée. Prati-quement chaque sortie d’album est divisée en deux parties : l’annonce de l’album et l’annonce de la tournée, et souvent la tour-née s’appelle comme le nom de l’album. Les artistes aujourd’hui sortent des albums pour justifier une tournée, mais ça ne m’étonne pas, c’est un peu devenu le seul moyen pour eux d’être rémunérés de leur travail. Il ne faut pas se cacher, aujourd’hui les gens écoutent de la musique gratuitement ou en payant neuf euros un abonnement sur des plate-formes d’écoute, ils n’achètent plus que les albums qu’ils aiment. Par contre, les gens se déplacent toujours en concert et se déplace-ront toujours en concert. Tu peux faire toute la partie gratuite et te faire connaître sur In-ternet, si tu te débrouilles bien. Tu peux te faire un nom en utilisant bien Internet mais après il faut tourner. Avant, il y avait des ar-tistes qui ne faisaient que du studio, qui ne se produisaient jamais et qui pourtant vendaient autant d’albums qu’un mec qui faisait de la scène. Aujourd’hui il me paraît compliqué de vouloir se lancer dans le rap sans imaginer de monter sur scène.

Le support web, par sa gratuité, vous per-met-t-il d’être plus libre dans votre écri-ture et donc plus critique qu’une presse pa-pier qui vit grâce à une régie pub?

Tout dépend de ton niveau d’indépendance, il y a aussi des webmagazines qui sont affiliés à des régies publicitaires, et qui sont complé-tement des plateformes de communication, des labels d’artistes. Tout dépend de ta ligne éditoriale aussi, nous par exemple, on n’aime pas forcément démonter un artiste. Comme de base, le journalisme ce n’est pas notre métier, on préfère écrire sur des artistes qui nous plaisent. Notre but est de présenter aux lecteurs les meilleurs albums et titres qui sont sortis, après on ne va pas leur donner tous 18/20. Quand on s’autorise à être cri-tique, c’est lorsque l’on attendait un artiste, un album et que par contre, là il nous déçoit. Genre, cet album il nous en parlait depuis six mois, on l’attendait tellement, on pensait qu’il allait être incroyable et en fait il est car-rément nul à chier, bah là, on va en parler. C’est plus sur le côté décevant, mais on ne va pas le détruire non plus. J’imagine que quand tu es un gros média, tu dois recevoir énor-mément d’albums de différents labels pour que tu les chroniques, ces labels t’invitent à des scenic sessions, à des release parties, tu es invité aux concerts, aux festivals, là je me dis que ça doit être compliqué d’être critique, quand les majors te mettent bien. Les réseaux sociaux ont, par contre, permis aux utilisateurs d’avoir une tribune qu’ils n’avaient pas avec la presse papier. A part envoyer des courriers, ils n’avaient pas d’im-pact avec les réseaux sociaux et cela s’est complétement inversé. Le rapport de force est inversé, que ce soit dans la musique ou avec les marques globalement. Un mau-vais commentaire qui va se viraliser sur des places publiques comme Twitter peut être très dangereux pour une marque ou une fi-gure publique.

Avez-vous constaté des comportements « Hip-Hop » par les utilisateurs de ces ré-seaux sociaux ?

Sur Twitter, un peu, c’est un peu le concours de à qui aura la meilleure des punchlines, quand il y a un truc qui fait le buzz, c’est tou-jours la recherche de la phrase la plus drôle, la plus percutante, qui se fera un maximum retweeter. C’est aussi à double sens, tu te

rends compte que les rappeurs aussi, dans la construction de leurs paroles, ils réflé-chissent à des tournures qui sont faites pour être reprises sur des accroches Facebook. Les médias américains ne communiquent aujourd’hui que par des paroles de rappeurs pour annoncer une information, type « no new friends » de Drake. Je lisais une interview d’un mec qui a beaucoup travaillé en studio avec Kanye West et il racontait que lorsque Kanye écrivait, il réfléchissait beaucoup à ce que les Américains appellent des tricks, c’est des gimmiks, des phrases qui vont sortir du lot et qui vont te rester dans la tête. Et donc, ouais, il racontait que Kanye West avait bien compris ça et qu’il faisait super attention à ce que dans toutes ses chansons il y ait des phrases que toi, en tant qu’auditeur, tu puisses réutiliser dans ton langage quotidien et l’utiliser sur les réseaux sociaux.

D’après vous, quel est le poids de l’influence du rap américain sur le rap français ?

Autant, c’était quasiment du « copier-coller », aujourd’hui, les rappeurs se créer leurs propres styles, ils arrêtent de regarder ail-leurs, et maintenant c’est les Américains qui s’inspirent des petits Français. Quand je vois des producteurs comme Astronaute qui se retrouvent à faire des prods pour Ken-drick Lamar, je me dis que l’on sait créer notre propre univers, des styles qui nous res-semblent plus. Je trouve ça très positif pour le rap français. Et puis il y a plein de nouvelles scènes, comme notamment la scène belge, qui émergent et qui font des trucs super bien.

Où cherchez-vous la nouveauté rap ?

J’utilise un outil qui s’appelle Feedly, c’est un agrégateur de contenu web, un flux RSS modernisé. J’ai référencé des tonnes de sites et l’outil me donne les mises à jour des ac-tualités, que je consulte plusieurs fois dans la journée. D’après vous comment le rap va-t-il évoluer ces prochaines années ? Parlerons-nous toujours de rap Hip-Hop ?

J’ai l’impression que le rap est un peu un aspirateur à plein de cultures, d’influences. Je pense qu’il va évoluer encore. D’un point de vue musical, le rap s’est déjà beaucoup éloigné de ses premières sonorités « boom-

bap». Aujourd’hui les prods sont plus sur une tendance beat music, électro. Les rappeurs vont devenir de plus en plus tout-terrain, sur des formats plus cross over. Ce sera des gars qui pourront à la fois kicker sur des sons à l’ancienne, « boom-bap », et à la fois sur de la trap et le résultat sera toujours stylé. C’est un peu le reflet de la société, faut savoir tou-cher à tout dans nos métiers du web c’est ça aussi, faut savoir toucher à du design, à de l’UX, aux réseaux sociaux, au code etc… C’est pareil pour les rappeurs, ils vont devoir savoir tout faire. Regarde maintenant, les rappeurs ils font leurs prods eux-mêmes, ils ont leur home studio à la maison, ils écrivent leurs textes et enregistrent. Tu observes quand même qu’il n’y a que les rappeurs qui arrivent à aussi bien s’adapter à toutes les époques, qui restent innovants et qui durent dans le temps. Les artistes ar-rivent complètement à saisir leur époque.

Page 92: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

INTERVIEW MADREY AKA L.REY

saient qu’ils avaient envie de le faire. Au dé-but, ils partaient en Espagne, maintenant ils partent à Dubaï. C’est vraiment que ça, c’est du fric. Les jeunes footballeurs qui viennent des quartiers, ils n’écoutent que du rap et ils vont où en vacances ? Bah à Dubaï, c’est du fric.

C’est une forme d’opportunisme ?

Non je ne pense pas, le rap ce sera toujours la poésie des quartiers, ce sera toujours ça. Ça sera toujours une musique d’immigrés et de quartiers défavorisés.

Aujourd’hui, on est tellement confronté à ça, à l’argent. On est les enfants de la crise, ça se reflète forcément dans la musique. Dans les années 90, ils avaient d’autres problèmes, il y avait un âge d’or, mais nous aussi on est train de vivre un âge d’or qui est lié au monde de 2016. Un monde de plus en plus apocalyp-tique et de plus en plus chaotique en termes de politique, de société, de thune, de guerre et de tout ça. Ça ne peut qu’engendrer de la création, une lignée de mecs qui ont des choses à raconter. On est tous tellement in-fluencés par ce système de thune, donc les jeunes ne peuvent que se représenter là-de-dans : dans la belle voiture, dans le voyage à Dubaï et dans les sapes. C’est un paradoxe de dingue. Le monde de 2016 c’est que des paradoxes et de plus en plus extrêmes et les rappeurs symbolisent ça. Ils sont au cœur du paradoxe. Quand tu as Nuit Debout pendant cinq mois Place de la République, tu ne ver-ras pas de jeunes de quartiers, ils ne sont pas allés les chercher à Aubervilliers ou autre. Alors que c’est eux qui sont dans le paradoxe, c’est les jeunes de quartiers qui sont au cœur des problèmes : d’immigration, d’intégration, de chômage, d’urbanisme.

Et en même temps, aujourd’hui les mecs sont gagnants des choses accomplies par les générations d’avant. En un mois, un mec il va sortir son truc. PNL ça fait quoi ? Un an, un an et demi qu’on les voit. Bah ils ont pété les scores, tout seuls, en indépendants. Leur message est simple et il est dit de base c’est « Peace N’Lové », (Lové : synonyme de « thune », argent, en argot des banlieues) : « Paix et Argent » tout de suite on est dedans. C’est le Hip-Hop 2016, c’est pour ça qu’ils ont pété les scores, car ils ont été très simples, c’est la sobriété du message : « Voilà, nous

c’est quoi la représentation du monde de 2016 ? C’est juste ça : du fric et la paix ». Et il y aura toujours des mecs engagés aussi. Regarde Kery James, il est toujours là, et c’est bien.

Pour vous Internet-a-t-il joué un rôle dans cette représentation du monde ?

Oui, voilà, nous on est la génération Internet, donc Internet c’est ça aussi, c’est le chaos. Internet c’est quoi ? C’est une arme pour certains, pour d’autres c’est un outil, pour d’autres c’est de la merde. On a accès à l’ar-chive de l’Humanité tout entière. C’est à dire qu’en une semaine, tu peux apprendre tout ce que tu veux, et l’archive de tout et de tout le monde. Regarde, avec les réseaux sociaux, Instagram, dans cinquante ans tu pourras avoir accès aux archives de vie de n’importe qui. Chacun se fait son archive, son propre In-ternet. Encore plus les jeunes d’aujourd’hui, ceux de 14 ans, ils sont encore plus là-dedans que nous. On y est déjà bien, mais eux, c’est leur vie. Il y a plus de télé, c’est Facebook, Twitter, Instagram et basta !

Comment avez-vous été confronté juste-ment à cette culture Hip-Hop ?

Par le graff, par le tag, par la rue tout sim-plement. C’est traîner dans la rue, c’est avoir eu des parents qui me laissaient sortir tard, je faisais du skate et je rencontrais des gens dans la rue. A partir du moment où tu te prends tes premiers coups de pression, tes premières bagarres, tes premiers contrôles de police, et bah c’est bon, tu es dans la street. Du coup, tu apprends et comprends plein de trucs, après tu imagines quand c’est ton quotidien et que c’est dans les quartiers, c’est encore plus fort et plus dur. Après, c’est aussi peut-être le fait que je sois toujours en mouvement.

Dans vos premières heures de création, vous étiez dans une démarche de progres-sion sur le temps sans forcément diffuser, ou, avez-vous, dès le départ, partagé et dif-fusé vos créations ?

Non, j’étais vite dans la diffusion, car j’avais des idées de projets et j’avais envie de m’ins-crire là-dedans, dans le monde de la musique et dans l’image qu’il y a autour de ça. Il y avait déjà Internet, j’ai découvert Face-book en même temps que je faisais du son.

Dj et beatmaker / Hip-Hop - House

Comment êtes-vous arrivé à la musique ?

Mon parcours c’est rien et plein de trucs à la fois. J’ai commencé par faire des percus-sions, de la batterie dans des groupes. Au lycée j’ai commencé à produire des beats, des instrumentales bien Hip-Hop, Trip-Hop. J’étais branché à fond Massive Attak, les trucs Anglais. J’ai fait des trucs pour quelques rappeurs, et en même temps, j’ai commencé l’Electro, la House, la Techno. J’ai toujours eu le désir d’explorer des styles que j’apprécie.

Vous sentez-vous Hip-Hop ? Que cela signi-fie – t-il pour vous ?

Oui, bah c’est ça, c’est respecter le dogme, si bien sûr il y en a un. C’est le partage, l’amitié avant tout, c’est la rue. C’est tout un tas de trucs, c’est le respect, c’est l’apprentissage.

Pensez-vous qu’il y a une vraie culture Hip-Hop en France ?

Aujourd’hui pour moi, le Hip-Hop c’est le courant le plus populaire. De tous les cou-rants musicaux, c’est le Hip-Hop le plus po-pulaire. Les accords de base sont moins mis en avant, mais c’est quand même le courant le plus répandu.

Trouvez-vous qu’il vit par autre chose que par ses disciplines de base ?

Le Hip-Hop c’est déjà avoir la curiosité de ce qui se fait. Tout est Hip-Hop. Ce n’est plus un simple mouvement c’est un système tout en-tier, avec des sous-systèmes.

Le rap est-il devenu indépendant ?

Son évolution est logique par rapport à l’évo-lution du système capitaliste. Et le Hip-Hop a toujours été lié à l’image dès le départ, et à son image. Que ce soit dans le graff, dans

son nom à soi, à l’égo trip dans le rap, à son corps dans la danse… Dans la rue, être vu, c’est aussi être reconnu pour exister. Donc l’image c’est primordial, vu qu’aujourd’hui, au fil des décennies, on est arrivé dans une ère complétement de multimédia et de com-munication. C’est ça l’avènement du Hip-Hop, et c’est pour ça qu’il est devenu encore plus populaire et encore plus répandu. Il y a tout un tas d’acteurs qui travaillent pour ça.

Que signifie le rap pour vous aujourd’hui, en France ?

La bicrave, et la luxure. C’est un pote à moi qui a travaillé là-dessus, il a fait son mémoire justement sur le côté luxe dans le rap. Si jus-tement on veut lier ça au courant Baroque et à l’histoire de l’art, il y a tout un truc sur montrer ce que l’on n’aura jamais, reven-diquer ce que l’on n’a pas. En tout cas, ce que je vois dans le rap français aujourd’hui, c’est voilà le côté bicrave et l’image que l’on renvoie. Il y a aussi le côté populaire main-tenant, aujourd’hui on est certain que c’est à la mode. C’est à la mode, mais c’est à la mode des ghettos. Nous autres, on est quand même les blancs des classes moyennes, et c’est nous qui réfléchissons à ça, c’est toi qui fais ton mémoire là-dessus, c’est moi qui vais te parler de ça. Mais si tu demandes à des gars en bas de tours en pleine banlieue ce qu’ils en pensent, ils auront sûrement une autre opinion. Car c’est complètement autre chose, et là, c’est nous qui y réfléchissons, ça montre bien à quel point c’est accessible. Aujourd’hui, tout le monde kiffe le Hip-Hop. Il y a un vrai truc autour de la thune qui est encore plus fort qu’avant. Maintenant, il n’y a que ça qui compte. C’est pour ça que je dis bicrave, mais surtout les thunes, on fait ça pour le biff. PNL c’est ça, c’est sous-en-tendu, mais le message c’est : « On galère, mais progressivement, on galère de moins en moins, et maintenant on galère plus, on est au soleil et on mange du Nutella ». Ils di-

Page 93: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

J’avais envie de partager des choses avec les gens, j’avais envie que l’on me donne des re-tours. Il n’y avait pas grand monde au début, mes amis autour de moi, j’ai jamais été à fond non plus sur les réseaux sociaux, les gens ne viennent pas à toi comme ça, en claquant des doigts. Mais à 16 ans, je postais déjà mes sons sur BandCamp, même avant j’avais un Myspace, pour moi c’était évident qu’Inter-net devait servir à ça. Après, c’est un autre débat, avec les photos, la musique comment tu diffuses ton truc. Là, ça va faire trois ans que je diffuse plus rien, je me suis dit : « J’arrête, si je veux que ça marche vraiment, je vais trouver un label et sortir des disques ». C’est ce qui a fait que ça a marché pour moi, de pouvoir faire des lives, commencer à être DJ, c’est pour ça que je voulais sortir des disques : pour pouvoir les jouer sur vinyle et que les autres DJ passent mes vinyles. J’ai commencé à être dans le monde des DJ il y a seulement quatre ans. Avant si, j’étais DJ, à 12 ans j’étais DJ, mais ce n’était vraiment pas pareil ...

Finalement, vous avez entrepris un par-cours plus classique ?

Bah oui, avec Internet tu es tout seul. Si tu n’as pas des potes qui relaient vraiment tes trucs et qu’il n’y a pas des gens qui viennent vers toi et qui t’aident à relayer des infos sur Internet, bah tu vas pas aller très loin, même si tu fais de la très bonne musique. La scène aujourd’hui est tellement saturée, il y a tel-lement de gens qui font du son, qui sont DJ, qui font des trucs. Il y a des gars qui font des trucs de ouf et ils sont pas forcément recon-nus car Internet c’est immense.

Et pour durer, que conseillez-vous ?

Bah c’est vraiment différent pour plein de gens. Moi, mon expérience elle ne réussira peut-être pas à quelqu’un d’autre. Mais dans le milieu du Hip-Hop je le vois bien, la plu-part des Mixtapes elles sont gratuites et c’est sur Internet et la majorité des choses sont accessibles et gratuites. Alors que tu vois, l’impression d’un vinyle, un EP, avec quatre titres dessus ça te coûte 1500 euros à faire, après tu le vends 10 ou 15 balles, c’est de la carotte. Et en même temps, c’est plus niché, ce n’est pas au-devant de la scène. Là, j’ai fait imprimer un disque mais je ne le vends pas, je le distribue aux gens comme si j’avais

fait une mixtape mais sauf qu’il y a du biff en jeu. C’est beaucoup moins accessible tout de suite. Ce n’est pas du tout la même dé-marche, et c’est dommage, encore une fois c’est un paradoxe. Car là, l’album c’est un truc super ghetto, c’est de la ghetto-house, avec du footwork derrière, ça vient de Chica-go, c’est pas du tout démocratisé, ça vient des quartiers afro-américains, c’est une danse. Même là-bas c’est pas du tout connu, ça fait 10 ans que ça existe, y’a les gens branchés qui connaissent et pourtant c’est vraiment ghetto. Et tout ça, c’était gratuit à la base, je l’ai découvert sur Youtube, ce n’est pas sur disque.

Aujourd’hui c’est peut-être plus la dé-marche qui est Hip-Hop que le produit ?

Aujourd’hui, les codes ont été éclatés, même PNL est censé être underground. La question de l’underground et du mainstream est deve-nue compliquée. Avant c’était soit tu étais sur une niche soit tu étais au-devant de la scène et maintenant, c’est plus flou. Il y a beau-coup de figures qui sont sur les deux à la fois : mainstream et underground. Aujourd’hui, c’est comment manier les deux sphères dans lesquelles tu te positionnes. Dans tous les cas tu es indépendant, tu es underground mais les choses et les événements vont ame-ner ton truc à un niveau mainstream. Aujourd’hui, tout peut être mainstream tout l’underground peut être mainstream et in-versement. Il n’y a plus vraiment de distinc-tion. Regarde Kery James c’est un pur in-dépendant et pourtant il est mainstream, il passe en radio mass média. Même, regarde White Stripes, c’est archi-underground, c’est du rock garage de Détroit, bah c’est devenu un hymne repris par le monde entier dans les matches de football, c’est incroyable !Tous les gars qui font du rap sont under-ground pour moi : PNL, JUL. Il y’a pas plus underground que JUL, sauf que lui c’est des millions de vues sur Internet, et des millions d’albums vendus et tu l’entends dans toutes les radios. Alors ses prods sont vachement commerciales, ça sonne mains-tream.Aujourd’hui, c’est une question qui se pose encore plus je trouve, tu vas avoir des radios indépendantes qui vont essayer de défendre des mecs indés, et qui vont critiquer des gars comme JUL etc… car ils ont percé, et pour-tant, il n’y a pas plus indés que ces rappeurs-

là à la base. En même temps, il y a d’autres artistes qui vont faire de la hype , du rap soit disant underground, mais il n’y a rien d’in-dé là-dedans, c’est la troisième sphère. Y’a trois sphères : indé, mainstream et hype et dès que c’est hype, ça perd son côté Hip Hop, c’est quand il s’agit de mode. C’est quand tu arrives en galerie d’art ou chez Colette. A partir de ce moment-là, c’est mort, là c’est que tu as atteints le « dark side », le système élitiste. Il y a tout plein de labels qui font de l’underground et que l’on qualifie de hype mais pour moi, ça ne l’est pas. Ce n’est pas parce que tu fais un truc de niche que tu es hype, c’est plus : quelle est ta posture ? Moi, je suis un mec hype, je sors des cassettes, des vinyles, mais je suis un vrai mec hype. C’est plus : comment tu te positionnes et la posture que tu as par rapport à ces sphères et dans le monde réel ? Quelle est ton attitude par rapport à ces sphères dans lesquelles tu es obligé d’appartenir pour que ton art existe ? C’est vraiment ta posture qui fait tout. Com-ment tu vas garder ton état d’esprit ?Et les mecs qui réussissent, c’est ceux qui savent qui ils sont, où ils vont et qui restent fidèles à ce qu’ils étaient au début. Peut-être que dans cinq ans PNL on n’enten-dra plus parler d’eux, on ne sait pas. Regarde leur concert à WE LOVE GREEN Festival, bah il n’y avait que des blancs de la sphère hyphe qui étaient là qui ont payé 49 euros leur place, c’est pas une critique, c’est un constat. Il n’y avait pas de mecs des cités devant PNL à WE LOVE GREEN. C’est la mu-sique populaire mainstream, hype.

En tant qu’artiste, créer un réel univers est-il devenu primordial ?

Non, ça a toujours été le cas, ça a toujours été pareil, tout le monde développe son image naturellement. Les mecs qui ne le font pas naturellement, ce sont ceux qui n’arrive-ront pas à rester sur la durée, ils y arriveront un an à tout péter. 1995 ça été ça : du rap old school. C’est revenu à la mode car nous, on est une génération de l’Internet et le rap des années 2000, personne ne kiffait, alors revenir sur des sonorités plus boom-bap, ça a tout de suite plu, et tous les jeunes se sont mis à réécouter des sons à l’ancienne. Principalement des jeunes blancs de classe moyenne. Les 1995 sont arrivés, ils ont fait trop d’un coup. Au bout du premier, deuxième clip, j’ai senti que c’était des bons rappeurs,

mais toute l’image et tout le truc qui allaient derrière, les passages à la télé c’est devenu trop d’un coup. C’est une grosse question d’exposition aussi. Faut savoir jauger ton ex-position. Regarde PNL, ils ne s’exposent pas, très peu, et ça fait la différence. On est dans l’ère de la communication, on a des outils en main, et il y a tout un apprentissage à faire si tu veux faire les choses correctement. Pour les artistes, c’est fou tous les outils que l’on a à notre disposition. Personnellement, pour moi c’est pareil, je ne veux pas m’exposer parce que, en développant un truc un peu mystérieux, je garde du recul sur les choses. Je dois avoir dix albums prêts dans mon or-dinateur et je n’ai jamais rien sorti depuis cinq ans, les seuls trucs que je sors c’est de la house sur vinyle sur des petits labels, c’est tout. En sachant ça, je me dis que ce sera deux fois plus fort dans dix ans. Et pour le moment, personne ne sait qui je suis, mon blaze personne ne sait qui est derrière. De manière générale, les artistes postent trente mille choses sur les réseaux sociaux, des vidéos d’eux en train de faire de la musique dans leur studio, ils sont surexposés.

Parce que aujourd’hui, tous les beatmakers qui font de la production de musique, c’est du Hip-Hop, et dans le Hip-Hop, je rentre tout, la House, la Pop, les instrus, tout ce qui se fait en termes de production de musique, ça rentre dans le Hip-Hop, dans le courant. En fait c’est une manière de communiquer qui fait que tu es Hip-Hop. Comment tu com-muniques sur ta musique. Pour moi, tous les labels sont Hip-Hop ou communiquent sur leurs projets à la manière Hip-Hop, dans le sens indépendant et dans le sens cru, au sens brut.

La sphère web 2.0 et ses échanges vous ont-ils apporté de nouvelles opportunités artistiques ?

Oui, mais j’ai très vite arrêté, j’ai sen-ti que c’était que du fake. Moi, j’ai des amis proches, des vrais amis, qui ne sont pas for-cément dans la musique, mais j’ai toujours eu de meilleures expériences, fortes et plus intéressante avec des amis, des amis dans la vraie vie plutôt que sur les réseaux so-ciaux. J’ai toujours fait des choses plus in-téressantes comme ça. Tout ce que j’ai fait, je l’ai entrepris dans la vie réelle. Sur Inter-net, quand j’ai commencé à faire du rap, il y

Page 94: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

avait des petits groupes, comme 75 Sessions, j’ai voulu rentrer en contact avec eux, car je voulais rencontrer des rappeurs, je n’en connaissais pas dans mon entourage, ou pas beaucoup. Plutôt que de me faire chier à de-mander à mes potes de me faire rencontrer tel ou tel gars, bah sur Internet tu pouvais les contacter directement. Au final, c’était pourri, j’ai juste eu des mails et rien ne se faisait. Il y a un mec qui est venu chez moi et je ne le connaissais pas, on ne s’entendait pas, c’était bizarre. Et le contre-exemple, c’est que j’avais une pote, c’était une meuf du quartier que tout le monde connaissait, c’est elle qui a managé Guizmo quand il n’avait pas de label. Elle était tout le temps avec lui, ils étaient tout le temps dans le 18ieme et elle savait que je faisais des prods. Du coup, elle m’a deman-dé si j’étais chaud pour faire des prods pour son premier album. Ils sont venus chez moi, on a écouté plein de trucs et ils faisaient leur choix. On a enregistré en studio sur deux trois prods et c’était grave cool, c’était sincère. On a eu un bon rapport, on ne vient pas du tout du même monde, peu importe, juste la ren-contre. C’est la famille, tu vois, ce genre de relations c’est la famille, quand tu rencontres les gens en vrai et que les choses se passent vite, simplement et spontanément tout d’un coup tu as l’impression que c’est des amis, et ça devient des amis par la suite si tu en as envie.

D’où l’importance, aujourd’hui d’autant plus, de rencontrer son public ? Je ne sais pas trop. Regarde PNL, ils ont fait trois concerts en un an et pourtant quand ils sortent un truc tout le monde est au taquet. C’est de la musique 2.0 aussi, la musique est virtuelle, ce n’est plus que de l’image, ce n’est plus qu’une fenêtre Youtube maintenant dans le Hip-Hop. Donc, je ne sais pas trop. Après, moi c’est différent, je fais des DJ sets, et je trouve ça chanmé. Dans la musique, faire un DJ set c’est de la bombe, les gens ne le savent pas forcément, mais c’est génial quand un DJ passe des supers sons en soi-rée. Et d’autant plus, si c’est quelqu’un, c’est cool. Je le rencontre vraiment mon public et lui, il me rencontre aussi. C’est important, mais ce n’est pas la même sphère. PNL, ils ne font pas de DJ sets toutes les semaines. Je ne sais pas pourquoi je ne parle que de PNL, je ne prends qu’eux comme exemple, parce qu’eux, je pense, c’est vraiment le groupe qui

a tout pété cette année. Ils ont réussi à tout représenter simplement et humblement, et d’un coup ça fait du bien. C’est ça, je pense, qui fait un peu la différence aussi, c’est l’hu-milité qu’il y a derrière. Tu sens que les mecs derrière ils ne se prennent pas trop la tête. Il y en a plein d’autres, des rappeurs, mais c’est que de l’égo, c’est n’importe quoi ! Parfois, je me demande si ce n’est pas de l’homosexua-lité frustrée, la culture du corps, « mes mus-cles, ma gueule, ma bite », mais si tu donnes ça à un psy, il t’analyse ça et il te dit que tu es gay, y’a pas de honte à être gay loin de ça.

Communiquez-vous sur les réseaux sociaux pour l’annonce d’une date, d’un nouvel EP ?

Oui, c’est le principal moyen de communi-cation. Avant, c’était des flyers, aujourd’hui, c’est un post Internet.

Avez-vous la volonté d’exploiter la nouvelle technologie pour créer votre propre plate-forme, espace représentant de votre uni-vers?

Je le fais en collectif avec deux potes, mais c’est plus un projet éditorial. C’est de la mi-croédition, ça rentre dans la musique. J’ai fait des propositions de cassettes etc… car ça rentrait dans cette démarche. Mais si j’ai envie, ouais, je créerai mon site Internet avec toute une image de ouf. Gorillaz c’est ça, il a créé tout un univers gigantesque avec des personnages, des trucs et on ne sait pas qui c’est derrière, on sait que c’est un gars avec son équipe, mais on sait surtout que c’est une image.

L’importance des médias sociaux pour les artistes rap ?

Ouais c’est important, c’est vivre avec son temps.

Et s’émanciper des mass-médias ?

Oui tu peux, c’est un choix. Soit c’est un choix volontaire sur lequel tu peux travailler et faire en sorte que ça marche, comme je fais moi, chacun sa démarche tu vois. Sur le long terme, j’ai envie d’ancrer dans un truc plus mystérieux, plus mystique, plus discret aussi, parce que c’est comme ça que je suis. Et il y a aussi des gars qui font de la musique avec aucune ambition de se montrer. Il y a aussi

aujourd’hui une grosse question d’égo et tout ce que l’on reproche aujourd’hui aux Fran-çais de pourquoi le pays il est comme ça, et on est un peuple de merde, avec une politique de merde, et tout un tas de trucs de merde. C’est parce qu’on est un pays d’égo tu vois, on a tous trop d’égo. Tu pars aux Pays-Bas ou en Belgique, tous les gens sont trop gentils. Bah, c’est juste qu’ils n’ont pas le même rapport à eux même et à leur égo. En France, c’est ça que j’ai constaté, entre nous, les jeunes là, on est tous mal à l’aise, tout le temps dans le malaise, tout le temps, tout le temps ! On fait la fête, mais c’est de la merde, il y a de bonnes ambiances, mais il y a toujours plein de gens qui sont obligés de faire du spec-tacle, de se montrer, de s’embrouiller, qui n’ont plus d’humilité. Je pense que l’humilité s’est perdue et je ne sais pas si c’est propre à notre époque et à notre pays, mais ça fait qu’il y a des rappeurs qui débarquent et qui émergent et qui apparaissent plus humbles avec moins d’égo. Je pense à PNL, mais je pense aussi à Damso qui est Belge pour le coup, il a tout pété. Booba c’est pareil, il n’a que de l’égo, mais au fond, il a de l’humilité. Même MHD, tout d’un coup c’est plus mo-deste, c’est plus sincère.

Pensez-vous que le disque physique va re-prendre de la valeur ?

Il n’y a pas beaucoup de supports alors oui il existera toujours. Après, c’est qu’une ques-tion de marché. Le PNL, l’album, tu l’achètes. Moi, j’ai un attachement particulier au disque vinyle aussi. J’ai mes classiques, j’ai mon Lu-natic en double album sur vinyle, mais c’est parce que c’est un truc de collectionneur. Les gars du quartier ils n’achètent pas d’albums, ça se passe sur Youtube. Les jeunes télé-chargent les mixtapes, ils se les échangent. C’est nous, les classes moyennes, qui ache-tons les albums, ça ne touche pas les mêmes gens.

Les artistes rap sont-ils encore influencés par les rappeurs américains ?

Bah oui, c’est pour ça, comme je le disais au début, l’évolution logique de la musique, du rap et du Hip-Hop en France, c’est la même que celle aux Etats-Unis. C’est que, de toute façon en France, c’est ça aussi notre pro-blème, on est branché sur la fréquence US, il n’y a pas d’autre fréquence que celle des

USA. C’est quand même de la merde, c’est ce qui montre qu’on est bien encore en pleine guerre froide, l’Europe, les Etats-Unis et de l’autre côté, tu as la Russie, la Chine et voi-là ! Et le reste du monde, on n’en parle pas. C’est triste à dire, mais c’est comme ça. Franchement moi ça me désole, mais voi-là c’est comme ça ! C’est les Etats-Unis qui font la tendance, c’est pas les Etats-Unis, on dit : c’est les States, mais en réalité, c’est les quartiers afro-américains qui font ce que l’on récupère, en tout temps, quelques soit le courant musical. C’est pour ça que les gens ne font jamais forcément le rapprochement jusqu’au bout, car sinon, ça nous fait remon-ter jusqu’à l’esclavage et à ce putain de truc qui est la colonisation. Tu peux résoudre le problème de la globalisation en 2016 juste en écoutant du rap. En allant jusqu’au bout de la démarche et en fait, on arrive en Afrique.

Vous ne voulez pas alors utilisez les mass-médias?

C’est compliqué car je questionne trop de choses en musique pour répondre à ça, mais j’écoute plein de trucs. Je ne sais pas où me positionner, j’ai le problème de ne pas savoir où me mettre. Hier, j’écoutais Nova en tra-vaillant avec un pote, et là, j’entends un mor-ceau à moi, c’est de la House, du coup c’est trop cool. Je ne savais pas, car c’est un mor-ceau qui n’est pas inscrit à la SASEM, il n’est même pas déposé, il est libre de droit, tu peux faire ce que tu veux avec. Le truc, c’est que c’est le seul morceau qui a fait le buzz, et les gens ne me connaissent que par ce mor-ceau. C’est de la merde, moi ça me saoule. Bon, c’est bien car je suis reconnu pour ce que j’ai fait et ce que je suis, mais pas pour ce que je fais là. Moi, mon flippe, c’est que maintenant, que j’ai un peu un public, ou du moins des gens qui font tourner le morceau en radio, c’est qu’il y’a quand même des gens qui l’écoutent, bah je ne sais pas s’ils vont me suivre plus tard, car ils n’ont en tête qu’un seul titre.

Je me questionne là, pour un premier album, sur comment je vais faire cohérence avec tout un tas de trucs que j’ai fait et j’aimerais bien le montrer. Il y a des choses que j’ai vraiment envie de faire écouter et de pondre sur un album, format long. Là, je travaille sur la sélection, et après, je me questionne sur la communication. Comment valoriser mon

Page 95: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

projet ? Dans quelle sphère ? Gratuit pas gra-tuit ? Internet pas Internet ? Vidéo, pas vidéo ? C’est ces questions-là qui prennent de plus en plus d’importance quand tu es confronté aux réseaux sociaux et à ce qui se passe sur Internet. En vrai, si je n’étais pas sur Inter-net, que je ne regardais pas Internet, je ferais mon truc juste pour moi, comme j’en ai en-vie, selon mon moment et le mettrais sur un disque et basta. Sans clip sans rien. Les gens s’ils veulent faire des clips, ils font des clips, moi j’aurais pas la patience d’entreprendre. Déjà j’ai eu la patience d’entreprendre des trucs comme ça, mais ça m’a saoulé. Mais là, j’ai aussi envie de sortir en gratuit des sons Hip-Hop. J’avais fait une tape il y a long-temps qui avait marché, entre guillemets, car j’avais grave bossé. Elle s’appelle Paz y Amor Vol 1. Je l’avais mise sur BandCamp, tu pouvais la télécharger gratuitement, j’en avais gravée et distribuée à la main, ça avait marché, mais j’avais fait grave de la pub sur Facebook. Tous mes amis je leur faisais des grands messages pour qu’ils partagent en expliquant que c’était mon premier projet et tout. Ça c’était en 2012, là on est en 2016, ce serait marrant que je sorte le Vol 2. Je les ai là les morceaux, je pourrais les sortir, mais c’est des gros morceaux, des grosses prods, alors est-ce que je le fais gratuit ? Oui non ? Qui va l’écouter ? Personne ? Je ne sais pas, c’est que des questions que je pose. Si je mets mes sons sur Internet, c’est pour les faire écouter, à mes potes mais aussi aux gens. Mais ce n’est pas pour faire des thunes ou diffuser en masse, c’est juste pour avoir une autre plateforme qu’Itunes. Je n’ai ja-mais pensé à faire le buzz.Là, j’ai fait un remix de PNL, j’ai envie de le mettre sur Youtube, ça c’est le Hip-Hop ! Moi je fais de la House, et je leur mets de la House sur le son PNL : Mad Rey Edit. Et ça, je me dis c’est pour triper, je l’ai fait sur mon canapé avec mon coloc et mon ordi, mais je me dis que ça peut peut-être faire un buzz, de deux semaines mais ça peut être drôle, juste je kiffe PNL et j’ai rigolé à le faire.

Il y a aussi cette question-là aujourd’hui, c’est la rapidité, la rapidité d’apprentissage avec Internet et la rapidité de productivité et de production. Elle est énorme ! Regarde JUL, il a sorti huit albums en deux ans. Au-jourd’hui, tu produis de plus en plus vite, c’est acharné, les logiciels, les technologies modernes peuvent te permettre de faire des

instrumentales en cinq minutes et du coup ça va vite. Et plus ça va vite, plus les gens en re-veulent. Quand les gens ont un public, après ils attendent que tu sortes un truc. PNL, ils sortent un clip tous les mois, tous les deux mois, avec des moyens de ouf. C’est pour ça que moi j’aime bien cultiver l’inverse de ça, en me disant que ça marche aussi. Notre nouvelle génération s’est confrontée à tout plein de questions et de nouveaux doutes avec Internet. Et il y a de plus en plus de pen-seurs, maintenant on est encore plus pen-seurs avec toutes ces nouvelles informations. On questionne forcément plus de choses. C’est des milliards d’infos à ingurgiter, à di-gérer et à essayer de mettre du sens là- de-dans, à rechercher des repères là-dedans, c’est difficile. Chaque jour avec Internet on est de plus en plus confronté à des vérités, au chaos du monde, ça entraine des paradoxes, à l’image de la société.

Vers où le rap va-t-il aller ces prochaines années ?

Je pense que cela va tendre vers la cinéma-tographie. Je pense que cela s’intègrera plus dans le cinéma à l’avenir, dans les films, vers plus de culture. C’est juste que quand tu re-gardes les clips, ils sont tellement réalisés avec des techniques et des idées que cela de-vient du cinéma. Pour ça aujourd’hui, le Hip-Hop c’est du cinéma, ça tend à aller vers le cinéma. À l’avenir, on aura plus de films de rappeurs. Morsaï il a fait ça, il a fait un film, ultra ghetto mais on tend vers ça. Le rap il tend de plus en plus à aller vers le cinéma. Car c’est ça tout est faux, sauf le mec qui a écrit le texte, l’image derrière c’est que du faux. Le rap ne peut pas être en galerie, ni en exposition, ça peut être que sur un disque. Soit sur Internet, soit dans un film. C’est pour ça que l’on a des clips de ouf, c’est des courts-métrages. C’est de plus en plus ciné-matographique. Même les instrumentales derrière, c’est super cinématographique, avec des airs très sombres. Je ne sais pas trop quelle forme ça va prendre, mais le rap est devenu la variété cinématographique.

Tout va se jouer sur la communication, si tu bombardes et inondes à un grand, grand nombre de monde ta musique, il y a des chances que ça marche et tu as pas besoin d’argent.

Page 96: Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015