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Don Bosco annonce le premier départ des Soeurs missionnaires pour l'Amérique Le 8 septembre - fête de la Sainte Vierge et premier samedi - la décision de Don Bosco pour un premier départ des Filles de Marie-Auxiliatrice pour l'Amérique est communiquée à la communauté: leur destination sera l'Uruguay. A l'annonce de la belle nouvelle, un hymne de joie s'élève de tous les coeurs. Toutes sont reconnaissantes à la Madone pour le choix qu'elle a voulu faire de si pauvres filles à lancer à travers l'océan, pour le rachat de tant d'âmes assoiffées de lumière, de bien, de vie éternelle. Mais une si grande joie est atténuée par une autre nouvelle: Don Costamagna a été choisi lui aussi pour les missions d'Amérique! Lui-même écrit à ce sujet: «Après avoir obtenu le premier départ de Soeurs missionnaires, le théologien Cagliero a également obtenu de déloger le «benêt» de Mornèse pour accompagner les Soeurs à Montevideo. C'est ainsi que se termine la triste histoire: Isaac en route vers le mont Moriah»! Si chaque Soeur voudrait être du nombre des missionnaires, c'est avec beaucoup de raison qu'elle voudrait faire partie du groupe conduit par le directeur, mais la Mère répète le passage d'une lettre qui exprime clairement la pensée de Don Bosco: «Que celles qui désirent se consacrer aux missions étrangères, pour coopérer avec les Salésiens au salut des âmes, et particulièrement des filles, fassent leur demande par écrit: on choisira ensuite! ». C'est une compétition générale pour cette demande et chacune s'exprime dans les termes les plus convaincants, espérant être parmi celles qui seront choisies. Avec le retour de Don Costamagna à Mornèse, après le Chapitre général, 4 l'étude de l'espagnol s'intensifie dans la maison. Quelques-unes se consacrent aussi au français, parce que la fondation[p. 283]de Saint-Cyr, en France, est désormais proche, et on travaille à préparer le nécessaire pour celles qui vont partir. Pour l'instant, l'écho de l'affaire connue de l'école communale où un Salésien et une Soeur institutrice 5 prêtent leur concours est encore vivant à Mornèse. Quelqu'un, qui garde au coeur l'ancienne rancune envers Don Bosco, insinue des hypothèses et des considérations plutôt pessimistes: ces prêtres et ces nonnes de Don Bosco font si vite à déménager ou à mourir!... Et l'administration communale perd de son autorité à leur céder renseignement et à permettre que celui-ci soit exercé dans le collège même! «Nous, taisons-nous et prions - dit la Mère quand on lui en fait la confidence. - La Madone et Don Bosco savent tout, nous avons confiance en eux, demeurons en paix». Les premières missionnaires Le 27 septembre, on communique finalement le nom de celles qui ont été choisies pour l'Amérique: Soeur Angela Vallese de Lu, directrice du groupe chanceux; Soeur Jeanne Borgna, native de Buenos Aires, Soeur Angela Cassulo de Castelletto d'Orba, Soeur Angela Denegri de Mornèse, Soeur Thérèse Gedda de Pecco (Turin), Soeur Thérèse Mazzarello dite Baroni. Ces dernières s'occupent aussitôt d'obtenir de leurs familles l'autorisation requise, car c'est le désir de Don Bosco que les parents participent en totale et chrétienne adhésion au nouveau et plus grand sacrifice de leurs enfants et à leur mérite. Départ de Don Costamagna Le 28, Don Costamagna fait, avec un effort extraordinaire, sa conférence d'adieu à la communauté, en développant les points suivants: le monde sous les pieds, dans le coeur toujours Jésus, dans la 4 Annexe n° 18. 5 Annexe n° 19.

Don bosco annonce le premier départ des soeurs missionnaires

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Don Bosco annonce le premier départ des Soeurs missionnaires pour l'Amérique

Le 8 septembre - fête de la Sainte Vierge et premier samedi - la décision de Don Bosco pour un

premier départ des Filles de Marie-Auxiliatrice pour l'Amérique est communiquée à la

communauté: leur destination sera l'Uruguay.

A l'annonce de la belle nouvelle, un hymne de joie s'élève de tous les coeurs. Toutes sont

reconnaissantes à la Madone pour le choix qu'elle a voulu faire de si pauvres filles à lancer à travers

l'océan, pour le rachat de tant d'âmes assoiffées de lumière, de bien, de vie éternelle.

Mais une si grande joie est atténuée par une autre nouvelle: Don Costamagna a été choisi lui aussi

pour les missions d'Amérique!

Lui-même écrit à ce sujet: «Après avoir obtenu le premier départ de Soeurs missionnaires, le

théologien Cagliero a également obtenu de déloger le «benêt» de Mornèse pour accompagner les

Soeurs à Montevideo. C'est ainsi que se termine la triste histoire: Isaac en route vers le mont

Moriah»!

Si chaque Soeur voudrait être du nombre des missionnaires, c'est avec beaucoup de raison qu'elle

voudrait faire partie du groupe conduit par le directeur, mais la Mère répète le passage d'une lettre

qui exprime clairement la pensée de Don Bosco: «Que celles qui désirent se consacrer aux missions

étrangères, pour coopérer avec les Salésiens au salut des âmes, et particulièrement des filles, fassent

leur demande par écrit: on choisira ensuite! ».

C'est une compétition générale pour cette demande et chacune s'exprime dans les termes les plus

convaincants, espérant être parmi celles qui seront choisies.

Avec le retour de Don Costamagna à Mornèse, après le Chapitre général,4 l'étude de l'espagnol

s'intensifie dans la maison. Quelques-unes se consacrent aussi au français, parce que la fondation[p.

283]de Saint-Cyr, en France, est désormais proche, et on travaille à préparer le nécessaire pour

celles qui vont partir.

Pour l'instant, l'écho de l'affaire connue de l'école communale où un Salésien et une Soeur

institutrice5 prêtent leur concours est encore vivant à Mornèse. Quelqu'un, qui garde au coeur

l'ancienne rancune envers Don Bosco, insinue des hypothèses et des considérations plutôt

pessimistes: ces prêtres et ces nonnes de Don Bosco font si vite à déménager ou à mourir!... Et

l'administration communale perd de son autorité à leur céder renseignement et à permettre que

celui-ci soit exercé dans le collège même!

«Nous, taisons-nous et prions - dit la Mère quand on lui en fait la confidence. - La Madone et Don

Bosco savent tout, nous avons confiance en eux, demeurons en paix».

Les premières missionnaires

Le 27 septembre, on communique finalement le nom de celles qui ont été choisies pour l'Amérique:

Soeur Angela Vallese de Lu, directrice du groupe chanceux; Soeur Jeanne Borgna, native de

Buenos Aires, Soeur Angela Cassulo de Castelletto d'Orba, Soeur Angela Denegri de Mornèse,

Soeur Thérèse Gedda de Pecco (Turin), Soeur Thérèse Mazzarello dite Baroni.

Ces dernières s'occupent aussitôt d'obtenir de leurs familles l'autorisation requise, car c'est le désir

de Don Bosco que les parents participent en totale et chrétienne adhésion au nouveau et plus grand

sacrifice de leurs enfants et à leur mérite.

Départ de Don Costamagna

Le 28, Don Costamagna fait, avec un effort extraordinaire, sa conférence d'adieu à la communauté,

en développant les points suivants: le monde sous les pieds, dans le coeur toujours Jésus, dans la

4 Annexe n° 18. 5 Annexe n° 19.

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tête, l'éternité.

Que chacune soit une copie vivante de la sainte Règle, la voie la plus courte pour aller au Ciel est

l'obéissance, prier les uns pour les autres, pour nous retrouver tous ensemble, un jour, au Paradis.

Le lendemain, samedi 29, il part pour Turin, et de là pour Caramagna pour saluer sa maman.

Plus qu'un départ, le sien est une fuite. Son coeur ne supporte pas de faire et de recevoir des

salutations d'adieu. Il laisse écrit sur les humbles pages de chronique: «Aujourd'hui, c'est le jour du

détachement: que le Seigneur me donne la force de faire en tout sa sainte volonté, et moi, après

avoir chanté avec Job: Sicut Domino placuit, ita factum est. Sit nomen Domini benedictum (Job I,

verset 21), je fais le premier pas et donne le triste adieu à cette sainte maison où, pendant trois ans et

plus, la miséricorde de Dieu a voulu me mettre sous les yeux tant de bons exemples, dont je n'ai pas

profité.

Adieu, donc!

«Je pars pour l'Amérique

mais non pas que je ne t'oublie:

je m'en vais, mais mon coeur reste ici...

Mes Soeurs, adieu!

«D'au-delà du vaste océan,

en priant le Dieu souverain,

je vous aurai toujours

gravées dans l'âme...

Mes Soeurs, adieu!

Don Santiago Costamagna!»

Les soeurs ont les larmes aux yeux, et le coeur reconnaissant, elles prient pour lui.[p. 287]

Compétition d'humilité pour le voyage à Rome

Le 9 étant le jour fixé pour l'audience pontificale, ceux qui partent devront se trouver à Rome dès la

veille. Les Soeurs missionnaires quitteront donc Mornèse dans la soirée du 6. Il est donc temps de

décider qui les accompagnera.

La Mère, souffrant alors de son rhumatisme aigu à la tête avec de violents maux d'oreilles, ne

pouvant y aller, ce sort reviendrait à Mère Pétronille; mais celle-ci, qui n'a jamais voyagé, cède sa

place à Mère Emilia Mosca, qui est plus apte; mais Mère Emilia - qui irait à Rome en volant - est

peinée de voir que les missionnaires ne seraient confiées qu'à elle seule.

Dans cette belle compétition d'humilité, la Mère dit résolue: «J'y vais: cela me revient et le Seigneur

y pensera». Et sans écouter les conseils de la prudence humaine, elle se prépare à partir.

Cérémonie d'adieu

Des six missionnaires qui partent deux seulement iront à Rome comme déléguées pour recevoir la

bénédiction du Saint Père: c'est ce que les conditions économiques imposent.

Puisque Soeur Angèle Vallese et Soeur Jeanne Borgna ne reviendront pas à Mornèse et resteront à

Gênes pour l'embarquement, Don Lemoyne fait le nécessaire pour une cérémonie d'adieu, comme

cela se fait à Turin pour les Salésiens. Aussi l'après midi du mardi 6, la petite chapelle est-elle

bondée de parents et d'amis. On chante les vêpres, comme dans les grandes solennités; puis font

suite les paroles d'adieu et d'encouragement que le bon directeur adresse à celles qui s'en vont et à

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celles qui restent, en recommandant à toutes de prier les unes pour les autres, afin de conserver

l'esprit d'union et de charité.

Après la bénédiction du Saint-Sacrement, vient le chant, en chœur, des prières pour les voyageurs.

A la fin, la Mère se lève et se dirige vers la sortie. Les Sœurs [p. 288] la suivent, tout en laissant

libre cours aux larmes, qui ont été refoulées jusqu’alors.

Tous pleurent et se pressent pour dire encore un mot à leur fille, à leur soeur, a leur maîtresse, à

leurs amies. Les missionnaires sont si sereines dans le sacrifice des affections les plus chères que les

parents, bien qu’en pleurant, les bénissent et remercient Dieu de leur avoir accordé un si grand don.

La Mère et les missionnaires partent de Mornèse à Rome

Le soir, la Mère et les deux missionnaires quittent Mornèse pour se rendre à Sampierdarena et se

joindre aux Salésiens qui vont à Rome.

Elles passent la nuit chez les bonnes dames qui s’occupent de la lingerie et de la cuisine de cet

hospice, où elles sont si bien reçues. Quelle joie pour Sœur Vallese d’y trouver aussi Don Cagliero,

qu’elle n’avait pas encore vu, depuis son retour d’Amérique !

Au souper, alors qu’on prend les derniers arrangements pour le voyage, Mère Mazzarello dit à Don

Cagliero : « Monsieur le directeur, ne vous semble-t-il pas qu’en allant à Rome je vais faire perdre

de l’estime pour l’Institut ? Le Saint-Père croira voir, dans la Supérieure générale, une Sœur

instruite, et il n’aura devant lui qu’une pauvre ignorante ».

Don Cagliero sourit et il encourage la Mère à y aller malgré tout. Puis, tourné vers les deux Sœurs

et les autres présents, y compris Don Costamagna et Don Paul Albera, directeur de la maison, il dit

a mi-voix : « Retenons la leçon ».

Le lendemain, on part pour Rome, en compagnie de Don Jean Cagliero.[p. 289]

A Rome

Arrivés à Rome, on trouve une bonne hospitalité à l'hospice des pèlerins, dans des appartements

séparés pour les Salésiens et pour les Soeurs, mais ils ne trouvent rien à manger, parce que l'hospice

n'offre qu'un seul repas à deux heures de l'après-midi.

Comment faire? Les Salésiens ont faim! Les Soeurs ne disent rien, mais... Mère Mazzarello, sans

craindre l'obscurité ni les nouveautés de Rome, prend avec elle Soeur Borgna et, comme si elle était

à Mornèse, va dans les magasins les plus proches s'approvisionner de fruits, de pain et de fromage,

pour tout le monde.

Le matin suivant - vendredi 9 - levées tôt, bien reposées, les Soeurs assistent à plusieurs messes

dans la chapelle de l'hospice, ensuite un peu de déjeuner, et en route pour visiter la Basilique de

Saint-Pierre, avant de monter les escaliers du Vatican pour l'audience pontificale.

Vers midi, tous sont dans l'attente du Saint-Père.

Précédé d'un groupe de gendarmes, de gardes pontificaux et de prélats, voici le Pape, porté sur la

«sedia gestatoria». Son visage porte les traces de la souffrance, à cause de sa santé fortement

secouée.

Saisissant l'occasion de la dédicace de la Basilique de Latran, dont c'est le jour anniversaire, le

Saint-Père parle de la bonté de l'Eglise envers ses fils obéissants et de la sévérité de Dieu envers les

fils rebelles qui ne veulent pas la reconnaître comme Mère.

Il parle longuement de Don Bosco et de la grande grâce d'être les fils et les filles d'un si grand père.

Il montre sa satisfaction et aussi sa surprise d'apprendre que tout le groupe prosterné à ses pieds

demande la bénédiction papale pour partir ensuite dans les missions d'Amérique, et il demande à

Don Cagliero: «Où Don Bosco prend-il tous ces gens-là?».

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- Sainteté, c'est la divine Providence qui les lui envoie. Le Pape joint les mains, lève les yeux au ciel

et s'écrie: «Oh, divine Providence! ".[p. 290]

A ce moment, Mère Mazzarello, émue et humble, dit tout doucement sans quitter des yeux la

vénérée figure de Pie IX: «O Seigneur, bénissez votre Vicaire!».

Don Cagliero présente ensuite la Supérieure générale des Filles de Marie-Auxiliatrice. Le Saint-

Père la félicite ainsi que les Soeurs. Il ajoute avec tendresse qu'elles ont de la chance et que le

Seigneur les bénit parce qu'elles sont les filles de Don Bosco; qu'elles vont avoir, elles aussi, un

vaste champ de travail évangélique et que, véritablement soucieuses et aimantes, elles feront

beaucoup de bien en préservant du mal beaucoup de jeunes filles négligées par leurs parents; que

dans les missions elles sauveront beaucoup de pauvres sauvages en leur apprenant à connaître Dieu,

à l'aimer et à le servir sur terre, pour le rejoindre au ciel.

Il termine par sa bénédiction: «Mes bons fils et mes bonnes filles, que notre Bénédiction

Apostolique descende sur vous, sur vos pères et mères et vos parents, sur vos confrères et consœurs,

afin que s'étendent la gloire de Dieu, le bien de l'Eglise et le salut des âmes. Au nom du Père, du

Fils et du Saint-Esprit. Amen!».

Le Pape admet ensuite tous ceux qui sont présents à baiser le saint anneau.

Aux deux missionnaires, il laisse comme souvenir d'être comme les grandes vasques des fontaines,

qui reçoivent l'eau et la reversent au profit de tous: c'est-à-dire des vasques de vertu et de savoir, au

profit de leurs semblables. Et après avoir posé ses deux mains sur la tête de chacune, il ajoute

paternellement: «Que Dieu vous bénisse, afin que vous puissiez faire beaucoup, beaucoup de

bien!».

Les missionnaires sont émues et émerveillées. La Mère ne parle pas: toute son âme est recueillie

dans ses yeux, et même à la sortie, quand les Soeurs lui demandent avec insistance son impression,

elle dit seulement son admiration pour la grande bonté du Pape.

Puis, en hâte, on se dirige vers l'hospice pour le dîner. Elles sont attendues par la voiture mise à leur

disposition par un coopérateur pour les visites à Rome, en compagnie du confrère Musso, maître

cordonnier et néo-missionnaire.[p. 291]

L'après-midi, tous vont ensemble aux catacombes de saint Callixte. Bien qu'à Rome le climat soit

ordinairement plutôt tempéré, la fraîcheur se fait aussi sentir, et la pauvre Mère, que les

rhumatismes ne laissent pas en paix un seul instant, s'est enveloppée la tête de son châle.

Pendant la visite des catacombes, elle s'aperçoit que l'abbé salésien Charles Pane, tremble de froid à

la suite d'une crise de fièvre paludéenne qui l'afflige depuis des mois. La Mère enlève alors son

châle et le présente tout simplement à l'abbé en le priant de vouloir s'en servir pour éviter une plus

grave maladie.

Le pauvre fiévreux s'en défend un peu, mais il est obligé d'accepter sur les insistances de la Mère,

pour avoir chaud.

Le châle change donc de propriétaire, et les Soeurs regardent avec peine la Mère qui souffre. Celle-

ci sourit à ses filles, sort de sa poche un petit foulard de soie noire à rayures violettes, s'en couvre la

tête malade, et ne l'enlève plus lorsqu'elles sortent dans Rome.

Rentrées à l'hospice, vers la tombée du jour, la Mère pense que les Salésiens et les Soeurs

prendraient volontiers un casse croûte. Elle va de nouveau avec Soeur Borgna faire des achats,

pourvoyant aussi pour le petit déjeuner. C'est ainsi que les rues voisines de l'hospice voient une

supérieure générale, la tête recouverte d'un petit foulard noir et violet, chargée de pain et de fruits.

Elle ne pense pas à elle, toutes ses sollicitudes et ses attentions sont pour les autres. Heureusement

qu'à l'hospice il y a des oreillers pour donner un certain bien-être à sa pauvre tête malade. A

Mornèse, elle n'en dispose pas! Quand le rhumatisme l'assaille et que ses oreilles la font beaucoup

souffrir, elle se contente d'un petit escabeau en bois pour tenir soulevée sa tête endolorie. Si

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quelqu'une va lui chercher quelque chose de moins dur, elle s'empresse de dire: «Non, cela me

suffit, nous sommes des pauvres! ».

Les jours qui restent sont consacrés aux visites à la Basilique et aux monuments de la Rome

chrétienne.

Elles ont même la chance d'assister, à saint Jean-de-Latran, à la consécration de quelques évêques et

d'assister à une messe en chant grégorien. La Mère sait tirer de tout des motifs de dévotion [p. 292]

filiale pour le Pape, de vénération profonde pour les saints apôtres et martyrs, qui précisément à

Rome ont confessé Jésus-Christ, en versant leur sang pour la foi, et devant tant de trésors d'art et de

religion, elle s'écrie souvent: «Comme le Paradis sera beau! ».

Attente et arrivée à Sampierdarena

Le soir du 12, on repart en train pour Gênes et, le lendemain 13, on arrive à Sampierdarena.

N'y trouvant pas les autres venues de Mornèse, la Mère craint quelque malheur.

Mais elles arrivent enfin en compagnie de Mère Emilia Mosca et de Mère Henriette Sorbone.

- Pourquoi si tard?..

«Nous serions venues hier soir, si, dès l'aube, nous n'en avions pas été empêchées d'abord par un

brouillard très épais qui empêchait de voir à quelques mètres de distance, et ensuite par une pluie

diluvienne et continue qui inondait toutes les routes; et enfin, un vent si terrible au point de rendre

inutiles toutes nos insistances. Mère Pétronille et le directeur n'ont pas voulu que nous partions.

Alors, puisque le temps pressait, on a essayé d'avoir une voiture pour arriver au moins à Ovada, y

passer la nuit et repartir tôt ce matin.

Mais personne n'a voulu bouger par ce temps-là, et à aucun prix. Tout le monde disait que c'était

aller au-devant de la mort. Il fallait cependant partir, au moins pendant la nuit. Qu'a fait Mère

économe? Elle s'est fait prêter un char avec des bœufs et l'a fait venir sous le portique. Puis, avec de

grosses baguettes très bien liées ensemble et placées en arc sur le char, elle a formé une espèce de

pavillon en cousant sur les arcs de bonnes couvertures rembourrées qui, tombant de part et d'autre,

formaient une voiture d'un nouveau genre, mais commode et solide, avec des chaises et de la paille

pour sièges. Nous mettre en route sans l'essayer,[p. 293] non; alors, certaines d'entre nous sont

entrées dans la nouvelle arche de Noé; d'autres se sont munies de lanternes et, en chantant des

hymnes à la Madone, elles ont entouré le char à l'essai. Une belle récréation qui, vu le soir

exceptionnel, dura jusqu'à 10 heures et demie. Ensuite, prières et toutes au repos: nous aussi, mais

pour peu de temps.

La pluie continuait sans interruption et le directeur ne savait que décider. Ce char était un abri trop

faible contre un tel déluge du ciel. La pluie qui tombait à verse pouvait facilement le soulever de

terre et le jeter qui sait où; dans la meilleure des hypothèses, le pas trop lent des bœufs nous aurait

probablement fait rater le train.

C'est alors qu'arriva le secrétaire Traverso. Ayant appris notre embarras, il se présenta pour

transporter, à l'aube, sur son cabriolet la Soeur la plus faible qui ne résisterait pas à la marche.

C'était déjà quelque chose!

A minuit, nous nous levons et nous allons à la chapelle pour prier et faire la sainte communion. Il

n'y a pas de temps à perdre. Il pleut toujours, mais non plus avec la violence d'avant. Après avoir

salué en silence notre belle maison de Mornèse et Mornèse lui-même, et après avoir encore reçu une

bénédiction du directeur, nous allumons les lanternes et nous nous mettons en route.

Un brave coopérateur salésien vient à notre rencontre et nous dit: «Me voici! Je viens vous

accompagner. N'ayez pas peur et vous, Monsieur le directeur, soyez tranquille, je connais les routes

et nous nous en tirerons sans danger».

Nous sommes parties avec ce nouvel archange saint Raphaël, réellement au courant et sûr, et, à

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l'aube, nous avons été rejointes par le cabriolet. Et maintenant, nous voilà ici.

Mais comme ils sont bons les coopérateurs salésiens! Dites-le, Mère, à Don Bosco. Ils nous ont

aussi tiré d'affaire pour les passeports, et n'ont épargné leurs pas ni à Novi, ni à Gênes! ».

A l'hospice, tout le monde est affairé pour les missionnaires et pour l'arrivée de Don Bosco, et les

Soeurs s'affairent aussi pour préparer et emballer tout ce qui pourra être nécessaire pour la

célébration de la sainte messe sur le navire.[p. 294]

L'Image de l'Auxiliatrice part aussi avec les missionnaires

Avant que Don Costamagna ne quitte Mornèse, le tableau de Marie Auxiliatrice, celui que Don

Pestarino lui-même s'était fait offrir et bénir par Don Bosco pour sa chère petite église, avait disparu

de la chapelle du collège.

C'était une des premières et rares reproductions de la Madone du Valdocco, la première image qui

avait représenté aux «Filles» la divine inspiratrice de l'œuvre salésienne. Toutes avaient pensé que

le directeur l'avait emportée dans la maison Carante pour se consoler devant l'Auxiliatrice de la

peine que le départ lui causait, et on en attendait une prompte restitution. Don Costamagna la remet

maintenant à Soeur Thérèse Mazzarello, avec l'ordre de ne la céder à personne, de la lui garder

jusqu'à l'arrivée en terre américaine, parce qu'il compte la porter à sa nouvelle destination et la

conserver en souvenir de Mornèse. Qui peut l'en empêcher? D'autre part, les missionnaires aussi

s'en réjouissent, et elles conservent le tableau comme un précieux dépôt, quasi comme un talisman.

Peu après, alors qu'elles sont toutes autour des supérieures pour ces derniers moments d'adieu, Don

Cagliero se présente avec une autre belle peinture sur toile: Marie Auxiliatrice, qui tient dans ses

bras un gracieux Enfant Jésus souriant. «Je l'ai volé dans la sacristie du Valdocco - dit-il en

plaisantant - je l'ai volé pour vous. Il a été peint par un monsieur qui souffrait des yeux et qui était

sur le point de devenir aveugle. Il a eu recours à Don Bosco qui, après avoir guidé pendant un

moment le pinceau sur la toile, l'a béni. Depuis lors, le malade s'est trouvé parfaitement guéri et il

nous a fait cadeau de cette Madone si belle».

C'est donc un tableau miraculeux: rien que de le voir est une cause de joie!

Don Bosco l'a béni et il l'envoie aux missionnaires.

«Emportez-le avec vous, et que la Madone vous bénisse et vous accompagne durant le long

voyage».[p. 295]

Souvenirs, bénédictions, larmes d'adieu

L'heure du repos venue, la chambre qui a servi il y a quelques jours pour celles qui partaient à

Rome doit suffire pour toutes les neuf. Il n'y a que deux lits, mais on met deux matelas par terre et

elles s'arrangent comme elles peuvent, en quittant seulement leur habit et leurs chaussures. Aucune

ne dort: ce sont les dernières heures à passer ensemble.

Le matin du 14, mercredi, Don Bosco célèbre très tôt. Puis, il confesse les missionnaires qui se

présentent pour une dernière absolution et un dernier souvenir.

Soeur Jeanne Borgna, comme pour chasser ses larmes, dès qu'elle est hors de l'église, dit au milieu

du groupe silencieux et recueilli: «Le bon Père m'a dit: Souvenez-vous que vous allez en Amérique

pour faire la guerre au péché. Et aussi: Vous direz trois Angele Dei, tous les jours, durant le voyage

jusqu'à destination. Ne vous semble-t-il pas que c'est une belle pénitence pour mes gros péchés?».

Au dehors, il pleut et le vent souffle, et cependant, à neuf heures et demie, les Soeurs et les

Salésiens se trouvent sur le navire. Mère Mazzarello visite cabine après cabine, couchette après

couchette, pour se rendre compte que rien ne manque de ce qui puisse soulager les Soeurs des

incommodités du voyage. Puis, comme si le coeur éprouvait encore le besoin de se donner et de se

donner encore à ces filles qu'elle pense ne plus revoir, elle s'entretient avec chacune en particulier,

parle à toutes ensemble, s'arrange pour les conduire elle-même là où se trouve Don Bosco, pour

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qu'il leur répète une de ses paroles si efficaces. Don Bosco sourit, parle, réconforte, pendant que

Don Cagliero essaie de les maintenir toutes joyeuses par la promesse de poignées d'âmes et celle

d'un prochain au revoir. Mais, finalement, il faut descendre. L'ordre a été répété - pour les non

voyageurs - de quitter le navire: il faut obéir.

Les Salésiens et les Soeurs s'agenouillent autour de Don Bosco, et le Père lève la main pour les

bénir.

On regrette de ne pouvoir disposer d'un appareil photographique. Mais on sait aussi qu'une fois

encore s'élèverait la voix [p. 296] de Don Costamagna pour répéter, comme aux jours de son départ

de Mornèse, quand on lui proposait de faire photographier les Soeurs missionnaires: «Oui, oui, pour

quand nous serons cinq mètres sous terre!...».

Les yeux du Fondateur sont pleins de larmes, il se hâte vers l'échelle pour essuyer, sans être vu, les

pleurs qu'il ne peut retenir et sa main tremble tellement qu'en remettant son mouchoir en poche il le

laisse tomber. Alors, très leste, Soeur Borgna le lui remplace par un autre fraîchement lavé, tandis

qu'elle baise pieusement celui qui est baigné des larmes du Père. Elle sait que ce sont les larmes

d'un saint. Ce mouchoir essuiera ensuite des larmes en Amérique...

La Mère aussi donne son dernier adieu. Les Soeurs répondent par un cri réprimé: «Mère, Mère!»;

elle est déjà au bas de l'échelle, elle met déjà le pied dans la barquette où les deux soeurs qui

l'accompagnent sont montées et l'attendent.

Tout le monde s'est mis en place; on prend le large sur les flots agités, le vent emporte le chapeau de

Don Bosco. Heureusement, Mère Emilia, attentive à chaque mouvement du supérieur, réussit à le

saisir alors qu'il effleure déjà l'eau.

Du haut du pont, le groupe ému salue. Don Bosco jette un dernier long regard, Mère Mazzarello

retient avec peine ses larmes. Don Cagliero voudrait dire une plaisanterie pour détendre

l'atmosphère, mais il n'y parvient pas.

«Je veux aimer Marie»

A un certain moment, arrive de la mer une onde sonore. C'est Don Costamagna au piano, qui

accompagne le chœur des missionnaires: «Je veux aimer Marie». Le chant se perd au loin.

Doux souvenir! Le jour où Don Costamagna le composait à Mornèse, comme il n'y avait pas

d'instrument dans la maison Carante, il s'était arrêté à la sacristie, et là, il essayait et répétait sur

l'harmonium, les premières notes surtout, qui ne voulaient pas venir: «Je veux aimer Marie»... La

maison était tellement inondée [p. 297] par ce son, qu'à l'ouvroir on ne pouvait s'entendre qu'en

élevant la voix. La Mère qui, tout en travaillant, parlait aux postulantes et aux novices, avait changé

de place plusieurs fois, mais cette ritournelle: «Je veux aimer Marie» semblait la poursuivre partout.

A la fin, avec le plus doux sourire et une expression d'impatience subtile, elle avait dit: «Allez un

peu dire à Monsieur le directeur que non seulement lui veut aimer Marie mais que nous voulons

l'aimer nous aussi. Et qu'il reste tranquille!...».

«Père, est-ce que J'irai en Amérique?»

Le retour à Sampierdarena est silencieux, parce qu'on comprend bien que le coeur de ceux qui

restent est sur le navire avec le coeur de ceux qui s'en vont.

Tous montés dans le même tram, Don Bosco dit en souriant, à la sortie d'un petit tunnel: «Comme

on comprend que nous sommes faits pour la lumière».

Alors, Mère Mazzarello, suivant sa propre pensée, lui demande:

- Père, est-ce que j'irai en Amérique?

- Vous? Vous y irez quand j'irai moi!

Le sujet aiguise les désirs des deux jeunes compagnes de Mère Mazzarello, et Mère Emilia

Page 8: Don bosco annonce le premier départ des soeurs missionnaires

demande à son tour:

- Et moi, Père, est-ce que j'irai?

Don Bosco répond à voix basse quelque chose qui échappe aux autres, et aussitôt Mère Henriette

dit:

- Et moi, Père?

- Vous? Nous vous enverrons dans les Indes.

Oui, vous vous sauverez et elles se sauveront...!

Avant de repartir, la Mère et les deux Soeurs vont encore revoir [p. 298]Don Bosco. Mère Emilia,

qui est restée un instant seule avec le Père lui demande une confiance filiale: «Est-ce que Je me

sauverai?».

Après avoir réfléchi un instant, Don Bosco répond: «Oui, vous vous sauverez». Et après un autre

moment de réflexion, il ajoute: «Vous n'irez pas seule au Paradis, mais toutes les Filles de Marie-

Auxiliatrice qui mourront dans l'Institut, et aussi tous leurs parents jusqu’à la 4e génération»: «Et

après un autre moment: «Et elles se sauveront aussi toutes les pensionnaires qui mourront dans nos

maisons».

Si les missionnaires avaient entendu cette consolante assurance, elles auraient encore plus joui du

sacrifice qu'elles offraient au Seigneur, mais elles le sauront, elles le sauront elles aussi grâce aux

premières lettres qui partiront de Mornèse pour l'Amérique.

Premières nouvelles du voyage

Novembre s'achève avec de bonnes nouvelles des missionnaires, qui sont à l'escale du Détroit de

Gibraltar.

Elles ont subi les premiers ennuis de la mer démontée, mais sans être privées de la communion

quotidienne. Elles ont assisté à la messe de précepte que Don Costamagna a célébrée sur le pont et à

laquelle ont aussi assisté les passagers catholiques du Savoie.

Grâce à la courtoisie de certains messieurs, presque tous espagnols, elles sont passées en première

classe vers la poupe, où elles sont plus libres de se récréer et de s'entretenir entre elles avec la joie

habituelle de Mornèse. Quelques bonnes dames se sont déjà approchées d'elles, et tous les jours -

plusieurs fois par jour -.elles peuvent se trouver au milieu des petits enfants, les réjouir par quelques

jeux, les occuper à un petit travail et, surtout, les catéchiser.

Lorsqu'elles se retirent, le soir, dans le petit salon laissé à leur disposition, et qu'elles entonnent les

cantiques de Mornèse, spécialement le Solchiamo un mare infido... - nous sillonnons une [p. 299]

mer perfide, les voyageurs forment un groupe au-dehors pour écouter le chant à la Vierge bénie.

Au milieu des attentions générales et bienveillantes dont elles sont l'objet, elles sentent qu'elles ont

avec elles tous les coeurs restés au pays. Alors, se ranime l'espérance d'un grand bien dans leur

«terre promise»! Que de chaleureuses salutations pour la Mère, les consœurs, les chers parents!

Quel désir d'être rappelées dans les prières de tous et spécialement du saint Fondateur et Père Don

Bosco.6

6 De la lettre de Don Costamagna à Don Bosco du 19 novembre 1877, cf. «Bollettino salesiano. gennaio 1878, p. 3

(original aux Arch. Centr. Salés.).