2011 Marc Lebiez_Qui Était Adorno?_QL Fév

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Qui était Adorno?QL

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  • 18

    PHILOSOPHIE

    peut avoir une droite dcomplexe. Les Franaispensent lexemple de Guy Mollet entre Suezet Alger.

    Ds lors quAdorno apparat comme rfrenceoblige dans nombre de discours (para)philoso-phiques et que lon ne peut parler desthtique,en particulier musicale, sans que son nomsimpose, il serait bon que lon puisse savoir silon se rfre alors quelque chose de tangibleou seulement telle formule puise ici quuneautre, rencontre aurait contredite. Lorsque lenom de Heidegger se trouve cit, que ce soit avecfaveur ou pour le vilipender, chacun sait peuprs de quoi il est question. Non que la pensede Heidegger serait daccs facile mais lemassif se repre assez aisment, y compris dansce quil peut avoir de droutant. SagissantdAdorno, les articles en magasin sont dunetonnante diversit.

    Quoiquil le dise de faon plus aimable, GillesMoutot est sensible cette difficult. Cest dail-leurs ce qui le conduit rdiger plus de650 pages la recherche de cette unit, dont ilmontre bien ce quelle a de problmatique pourle co-auteur, avec Horkheimer, de la Dialectiquede la raison qui devait conduire la thoriecritique dans limpasse . Il manie la litote

    lorsquil constate que lon nest pas sr de lasignification que prend , propos dAdorno, ladjectif thorique . Plutt que de saventu-rer rechercher une unit absente entre le col-laborateur de Horkheimer avant-guerre et lepenseur quasi officiel de la RFA des annessoixante, Gilles Moutot cherche chapper cette dichotomie manifestement strile en sinterrogeant sur la relation quAdorno entendtablir entre le programme de la dialectiquengative et celui dune thorie critique de lasocit . Lhypothse de travail est alors quelvolution dAdorno ait moins consist danseffacement pur et simple que dans un long travailde redfinition de lide et donc de lusage de la thorie (et, solidairement, de la critique) .Cest bien poser le problme.

    La manire de le traiter nest pas moins satis-faisante. L o la tentation aurait pu tre grandede procder selon une ligne biblio-chronolo-gique, ou bien dnoncer ex cathedra les tenantset aboutissants dun systme dont chacun voitquil chappe la saisie, Gilles Moutot consacreune demi-douzaine dessais des thmes( Fantasmagories , carts de lart , Survivances ) qui sont autant doccasionsde confronter la pense dAdorno celle depenseurs qui peuvent lui tre proches, commeBenjamin ou Horkheimer, ou adverses, commePopper ou Heidegger. Sans doute tablit-il unecertaine continuit entre ces essais mais, en nh-sitant pas marquer les carts, il ne cherche pas susciter lillusion dune cohrence dont ilmesure ce quelle aurait dartificiel.

    Beaucoup ont crit sur tel ou tel pan dudiscours adornien ; Gilles Moutot tente de rendrejustice lensemble de luvre. La mthodequil a choisie tait sans doute la plus adquate ce projet et sa ralisation mrite tous lesloges.

    Schnberg, dont la situation amricaine navaitrien denviable, en fut profondment bless,de mme quErnst Bloch, quAdorno avaitprtendu aider durant lexil mais dune manireperue comme humiliante. Il ne sagit pas desavoir si lon juge le personnage sympathique ounon : ds lors que lon se trouve devantquelquun qui est connu comme philosophe, laquestion de la cohrence de sa pense prend uneimportance que lon ne saurait tenir pour ngli-geable. Si cet homme ne sait pas lui-mme quiil est, comment le saisirions-nous ? Les formulesnergiques grce auxquelles il est cit dansnombre de dbats comme celle sur ce qui seraitdevenu impossible aprs Auschwitz ren-voient-elles, ne serait-ce que pour leur auteur, quelque pense vritable ? Quelle est au justeleur rsonance pour lui ?

    Adorno na rien dun Kierkegaard ou dunStendhal jouant avec humour de la pseudonymie.Celle-ci pourrait aussi sexpliquer comme unemanire de distinguer les registres sur la plura-lit desquels un auteur peut vouloir jouer. Ouencore comme marque dune coupure nette entredeux moments de la rflexion. Rien de tel ici,avec ce qui nest dailleurs pas pseudonymiemais un changement de signature, lequel pourraittout au plus tre compar celui des cinastesallemands amricanisant leur nom lorsquilssinstallent Hollywood ceci prs quAdornone sonne pas plus amricain que Wiesengrund.Linsaisissabilit qui en rsulte sans doute pourlui-mme en premier lieu jette le doute surlpaisseur et la solidit dune pense laboredans ces conditions. On se demande quel poidsil accorde lui-mme aux formules quil assnesur ce ton dfinitif bien fait pour asseoir uneclbrit. De fait, il parvient faire figure demonument intellectuel de lAllemagne daprs-guerre. Un peu lquivalent pour le champ phi-losophique de ce que Thomas Mann a pu repr-senter dans le champ de la littrature ceci prsquAdorno na pas cess de tenir un discours de gauche .

    Pour autant que la politique est en jeu danslaffaire, le problme dpasse la personnedAdorno pour apparatre constitutif de la social-dmocratie, cette conjonction dun discoursrvolutionnaire et dune pratique politique quina pas toujours grand-chose envier celle que

    Qui tait Adorno ?

    MARC LEBIEZ

    Lentreprise de chercher dgager lunit de luvre dAdornoprsente une utilit toute particulire sagissant dun auteur pour le moinsdifficile saisir. Son nom mme est glissant, entre son patronyme et le nomde sa mre. Le vigoureux critique de la bourgeoisie appelle la police contreles tudiants soixante-huitards ; lapologiste de Schnberg aide ThomasMann montrer le caractre diabolique de la musique atonale.

    GILLES MOUTOTESSAI SUR ADORNOPayot, coll. Critique de la politique , 658 p., 27,50

    ADORNO SA TABLE DE

    TRAVAIL, LOS ANGELES,

    1943