Dieu, le cerveau et le coeur?

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Tomber amoureux, une histoire d’atomes crochus ? Ou quand la neurologie et la génétique se mêlent de nos passions.

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20 – DU 9 AU 15 MARS 2010 – www.jpost.fr

SOCIÉTÉ

Judy Siegel-ItzkovitchJudy Siegel-ItzkovitchPhotos : Ariel Jerozolimski

Cela se produit descentaines de fois parjour, la plupart dutemps dans l’après-midi ou en soirée.

Dans des endroits aussi variés queles lobbies d’hôtels, les bancs desjardins publics ou autres lieux àl’abri des regards. Si vous n’êtes pasdans la confidence, vous n’y ferezmême pas attention : la rencontrearrangée, ces fameux “blind dates”chez ces jeunes orthodoxesmodernes désireux de se marier.Un garçon, une fille. Ils ne seconnaissent pas, ont justeéchangé quelques mots par télé-phone en préparation de leurpremière rencontre, ou ont étérapidement “briefés” sur leurpotentielle moitié par un mem-bre de la famille, un ami, unrabbin, ou souvent par un spécia-liste de l’union des couples. Cetterencontre arrangée porte un nom :le shiddoukh et celui qui en est àl’initiative : le shaddkhan.

Pour les traditiona-listes ou leso r t h o d o x e sm o d e r n e s ,Cupidon nefrappe pas àl ’ a v e u g l e t t edans les bars, lesfêtes, ou aux arrêtsde bus. Car pour cesprétendants à la vie à deux,l’objectif à atteindre est autre-ment sacré : nulle question de flirtou de moments volés. Ceux qui selancent dans le jeu des rencontres,dès 20 ans ou parfois même avant,ont un objectif : parvenir à lahouppa (dais nuptial), aussi vite quepossible.

Selon la tradition, 40 jours avantla naissance, Dieu choisitpour chaque futurnouveau-né sonzivoug ou beshert :sa moitié. Latrouver estune tâcheréputée aussidifficile quede fendre lamer Rouge.Quels sontdonc lesressorts psycho-logiques, sociaux etmême biologiques quiaboutissent à cette décisionultime ?

Quand science et religionfont bon ménage

Ce phénomène est au centre dela série télévisée Srougim sur lachaîne YES. Mais personnen’était allé aussi proche de lavérité avant les travaux universi-

taires d’une jeune femme ortho-doxe de 27 ans, jolie de surcroît,mais toujours célibataire. Sontravail de mémoire : un mélanged’interviews avec ces candidatsau mariage et d’études plus scien-tifiques sur les neurotransmet-teurs et les hormones. RachelLangford a fait ses études secon-daires au lycée religieux pourfilles de Petah Tikva. Elle vittoujours dans la maison familialede Bnei Brak. Ses recherches ont

débouché sur un pavé enhébreu de 138

pages nomméNassikh Al SousLavan (Unprince sur son

cheval blanc),disponible sur la

toile à l’adresse :www.rachelilangford.com.

Elle y relate les “blind dates”de 11 femmes célibataires et reli-gieuses et agrémente sa recherchede ses propres expériences. Lestémoignages sont entrecoupés dechapitres scientifiques qui tententd’expliquer l’influence des méca-

nismes du cerveau surnos choix amou-

reux. Langfordn’a pas seule-ment étudiédes candidatesultra-ortho-

doxes aumariage mais

aussi des jeunesfemmes pratiquantes

avec des origines, des écoleset un style variés, du Bnei Akiva

au mouvement de jeunesse Ezra. L’auteure, étudiante entre l’Uni-

versité hébraïque et l’école médi-cale d’Hadassah, a elle-même unparcours intéressant. Rien nela prédestinait auxtubes de laboratoire :

elle est issue

d ’ u n efamille d’ar-tistes, membres dushow-biz. Rachel avécu une enfance tradi-tionnelle baignée dans lareligion et entrecoupée debalades à cheval.

Une image déjà construitedu conjoint idéal

Dans son ouvrage, ellecommence par balayer les idéesreçues. Loin des conversations exis-tentialistes sur le sens de la vie, lesrencontres parmi les religieux sontsouvent assez superficielles. Denombreuses jeunes femmes prati-quantes écourteront la conversa-tion si le partenaire potentiel porteses tsitsit par-dessus son pantalon(ou non) ; a une barbe (ou non) ;porte un jean ; des scandales avecdes chaussettes (ou non) ; vit dansune implantation (ou non) ; porteune large (ou trop petite) kippa ;présente une différence d’âge tropgrande ; étudie à la yeshiva (ounon) ; a servi dans l’armée (ounon) ; ou possède une voiture et unappartement personnel (ou non).En parallèle, beaucoup de jeuneshommes religieux vont rejeter uneépouse potentielle au motif qu’ellene paraît pas suffisamment saineet bien proportionnée, si ellepossède un appartement ou unevoiture (ou non), si elle a desidées de gauche, si elle va cacherses cheveux de manière “adé-quate” après le mariage, si lesmanches de son pull sont assezlongues et les ourlets de sa jupecorrects, si elle est plus âgée quelui, etc. Autant de scénarios quede personnalités. Les critères sontquelque peu différents parmi lesultra-orthodoxes mais en géné-ral, ils décident de se marier trèsvite, après seulement quelquesrendez-vous. Chez les Hassidim,les futurs époux ne se reverrontalors plus jusqu’au mariage.

Attention aux ratés !

Rachel Langford débuteson ouvrage avec une

scène révélatrice dansune Oulpena (sémi-

naire pour jeunesfilles) : la nouvelles’est répanduequ’une élève dePremière étaitfiancée. Lesprofesseurs et le

principal de l’éta-blissement ne sont

pas favorables à cettepratique. Les jeunes

filles ne sont pas censéesse fiancer avant leur

diplôme ou même avant la finde leur service national. Mais la

perspective d’être bientôt mariée etrapidement enceinte donne defacto à la jeune fille de 17 ans unprestige parmi ses camarades.“Comme c’est romantique”,clament ses camarades en cœur.Pour ces jeunes filles religieuses, semarier est le but suprême de lafemme.

Puis Langford passe aux

rencontres arrangées. Elle présentetoutes les situations à la premièrepersonne du singulier mais uneseule l’implique directement. Lasienne, lors d’une randonnéeéquestre.

L’auteur a une plume pleined’humour et un talent certainpour livrer tous les détails.Comme cette anecdote où le jeunehomme a disparu du banc alorsque la fille regardait furtivementdans une autre direction. Elle lecherche longtemps avant de leretrouver caché derrière un arbre.Embarrassé, ce dernier expliquequ’un chien s’était approché tropprès du banc et que depuis l’agres-sion de son frère, il avait unephobie. Autre histoire : lors d’unrendez-vous, le jeune hommeinsiste pour marcher quelqueskilomètres jusqu’à un “endroitparfait pour discuter”. Mais la filles’embourbe dans un cheminboueux qui soudainement setransforme en marécage. Commele manuel de conduite exclut toutcontact physique, le garçon ne seprécipite pas pour lui prêter assis-tance, et contemple la scène,impuissant. La fille réussit à s’ex-traire de la boue, après avoirtrébuché. Comment, dès lors,poursuivre un shiddoukh avec desvêtements crasseux.

Dopamine, adrénaline,endorphine : cocktail explosif

L’étudiante s’est rendue à “plu-sieurs dizaines” de rencontresdepuis qu’elle a achevé son servicenational. Elle en tire une conclu-sion : une intense pression socialepour se marier aussi vite quepossible : “J’ai découvert qu’elle nevenait pas seulement de l’extérieur

mais également du cerveau”,explique-t-elle en transition pouraboutir à la partie purement scien-tifique du phénomène. Parexemple, lorsqu’une femme sentle visage d’un bébé ou sa peau, soncerveau est affecté par une phéro-mone, un signal chimique quicommande une réponse naturelle.“Son cerveau lui dit qu’elle veutdevenir mère.”

Certains parfums contiennentdu ylang ylang, qui affecte lecerveau et peut déclencher uneconnexion émotionnelle. Dans unchapitre de son livre, l’auteurexplique également qu’une jeunefemme, au milieu de son cyclemenstruel, a tendance alors àdevenir compétitive.

Quant aux aspirations roman-tiques, elles peuvent activer l’acti-vité cérébrale par une forte concen-tration de neurotransmetteurscomme la dopamine, qui produitde l’adrénaline et de la noradréna-line. D’où une sensation d’eu-phorie, d’insomnie, d’hyperacti-vité. Par ailleurs, selon des étudescanadiennes publiées l’an dernier,la croyance en Dieu est un bonremède contre l’anxiété.

Néanmoins, la course au mari ouà l’épouse idéale est source destress. Ceux qui ne rencontrent pas“l’élu” dans les mouvements dejeunesse ont besoin d’autres occa-sions. Certains endroits proposentainsi des cours de Torah pourhommes et femmes sans sépara-tion physique. Un exemple àsuivre pour Langford. Elle conclutson livre par une exhortation :“Laissez-nous choisir notre voiepour trouver l’âme sœur.” Assezdes pressions extérieures, lecerveau s’en charge déjà bien suffi-samment. ■

Tomber amoureux, une histoire d’atomes crochus ? Ou quandla neurologie et la génétique se mêlent de nos passions

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