En plein coeur

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  • 8/8/2019 En plein coeur

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    Dimanche 18 mai 2008 7 18 /05 /2008 18:38

    Pnlope Pnlope , de Simon Abkarian (critiquedOlivier Pansieri), Thtre national de Chaillot Parishttp://lestroiscoups.over-blog.com/article-19674965.html

    En plein cur Javais ma petite ide en allant Chaillot. Simon Abkarian, pour moi, ctait dj

    un roi : linoubliable Agamemnon des Atrides , spectacle en quatre partiesmont par Ariane Mnouchkine en 1990. Pareil pour ses comparses : Katy,

    Sarajeanne, Georges, Jocelyn, John , comme il les appelle, que javais dj vusdans beaucoup de belles choses Euripide, Eschyle donc ; mais aussi Shakespeare,Tchekhov, Gombrowicz, Evguni Schwarz Eh bien, l, ils jouent de lAbkarian,et cest presque mieux. Quajouter ?

    Maintenant je sais pourquoi je vais au thtre voir des neries : des chefs duvremassacrs, des pensums prtentieux. Pour voir a : la grce.Pnlope Pnlope , crit, jou et mont par Simon Abkarian et ses potes dans la salle minuscule (et bourre craquer) de Chaillot, est une totale russite. Merci Ariel Goldenberg, son directeurencore pour quelques mois, davoir programm cette merveille.

    Le gnie est toujours simple. Au dpart, donc, une ide simple : Et si Ulysse, ctaitmoi ? , sest dit Simon Abkarian. Lui, cest--dire quelquun qui reviendrait de laguerre. Aujourdhui, dans son le paisible de pcheurs. Dinah attend le retour de sonUlysse : lias, parti depuis vingt ans faire son devoir . Leur fils Thos parti, lui, sa

    recherche revient ce jour-l. Comme nous sommes au thtre (et danslOdysse ), sonpre aussi revient ce jour-l, mais incognito. Il a jug plus sage de prendre, en effet,lapparence dun simple mendiant. Sa Dinah faisant de plus en plus lobjet desconvoitises, il a bien fait. Parmi les prtendants, le plus vil et complexe Ante, une bteblesse, donc dangereuse.

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    Parlons dabord de lcrivain, puisquil y en a un. Un vrai texte de thtre : dense et pardon, les filles qui a des couilles. Extraits de la pice, pauvres tmoins de lmotionnorme qui sen dgage sur scne. Dinah, au voisinage, notamment masculin : Je suisrveille, encore debout, vous mentendez, les btes ? Dinah est toujours l ! Toujourspas creve, Dinah. Je vous souhaite tous une excrable journe, puisse-t-elle vousengloutir jusquau dernier ! Plus loin, la mre lias : Les hommes de ce village nesont plus des hommes Un troupeau de culs offerts au monde. Avec leurs groinsplongs dans leur propre merde, ils font mine de chercher un chemin quils auraientperdu. Thos : Je veux devenir photographe de guerre. Son pre lias : Alors, tuauras toujours du travail. Ante sur la tombe du grand-pre : O est-t-il, ton lias ?Rponds ! Pourquoi ne rentre-t-il pas, le hros des lgendes perdues ? Si tu le croiseschez les morts, dis-lui que demain je vais baiser sa femme. Abkarian, cest dabordune langue : rauque et image, bouillonnante comme un torrent de mots, mais prcisecomme une flche. Elle vous atteint en plein cur.

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    Il se trouve que jai une mre qui a vcu au Liban et une grand-mre Tunis. Mais,

    mme sans cela, on y est ! Que ce soit Dinah (Catherine Schaub-Abkarian), faisant sesimprcations avant de conclure par un voil aussi machinal quinou. Ou le fantmede la mre (Georges Bigot), obsdante raseuse qui distille son fiel. Ou la desse de laConscience (Sarajeanne Drillaud), aussi sexy quintransigeante. Ou Ante (JohnArnold), le collabo de cette paix, quau fond il mprise. Ou Thos (JocelynLagarrigue), le fils partag entre son besoin de justice et celui de tourner la page. Ou sonpre lias (Simon Abkarian), qui sest jur lui-mme quil ne tuerait plus. Ils sont touscriants de vrit ; admirables dinvention, de violence, en un mot dart.

    Quelle joie de voir ces animaux-l , comme disait Molire, sbattre en toute libertdans leur espace naturel : une dramaturgie qui tient debout. Pas une seconde, celle-ci neflchit. Pas mme quand le metteur en scne, qui vaut le pote, sautorise une imageaussi heureuse quinoubliable. Et a arrive souvent. Larrive dUlysse, pardon dlias,par exemple. Son premier contact avec la patrie : sa mre morte qui tient, drisoire, uneombrelle en loques. Ensuite, ces morts et ces vivants qui parlent entre eux, comme lispar une chane invisible. Le spectre du pre dlias, qui lui apparat, tel un Hamlet de

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    midi, par la seule grce dune incroyable mtamorphose du visage maternel. Puis leport, empli de vacarme, avec ce dialogue de sourds, proprement parler, entre pre etfils. Lincroyable diatribe dAnte sur la volupt dtre un salaud, le vrai vainqueur detoute guerre.

    Une tragdie, donc. Et une belle ! Qui en respecte, la lettre, les difficults et leprincipe : quel que soit le choix du personnage, les consquences en seront terribles.Sauf que, ici, cest pratiquement le cas pourtous les personnages, y compris unedivinit et un spectre, tous deux dune telle piti bourrue pour le genre humain quils

    mritent de lui appartenir. Cest l que Simon Abkarian fait preuve non seulement dunegrande originalit, mais encore dune rare tendresse. Un grand homme de thtre,doubl dun grand cur. Tandis que sa Pnlope et son Ulysse rapprennent danserensemble, gauches comme des mmes, je pleure comme une madeleine et applaudis tout rompre. Je ne suis pas le seul : il y aura cinq rappels !

    Olivier Pansieri

    Les Trois Coups

    www.lestroiscoups.com

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