Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité difficile

Preview:

Citation preview

Bulletin du centre d’étudesmédiévales d’Auxerre |BUCEMA16  (2012)Varia

................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Eliana Magnani et Daniel Russo

Histoire, philosophie, iconographie,humanités numériques : uneinterdisciplinarité difficile................................................................................................................................................................................................................................................................................................

AvertissementLe contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive del'éditeur.Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sousréserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,l'auteur et la référence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législationen vigueur en France.

Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'éditionélectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Référence électroniqueEliana Magnani et Daniel Russo, « Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : uneinterdisciplinarité difficile », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA [En ligne], 16 | 2012, misen ligne le 05 décembre 2012, consulté le 12 février 2013. URL : http://cem.revues.org/12285 ; DOI : 10.4000/cem.12285

Éditeur : Centre d'études médiévales Saint-Germain d'Auxerrehttp://cem.revues.orghttp://www.revues.org

Document accessible en ligne sur :http://cem.revues.org/12285Document généré automatiquement le 12 février 2013. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'éditionpapier.© Tous droits réservés

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 2

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

Eliana Magnani et Daniel Russo

Histoire, philosophie, iconographie,humanités numériques : uneinterdisciplinarité difficile

1 L’invitation à visiter du point de vue d’historiens médiévistes l’œuvre de Pierre Hadot(1922-2010), à partir de la notion des « exercices spirituels », qui est au centre de sa pensée,nous a conduits à réaliser une série d’opérations, qui, rétrospectivement, donnent matière àréfléchir sur la pratique de l’interdisciplinarité 1. Une pratique que, dans nos travaux respectifs,nous cherchons à faire valoir, mais qui ne va pas sans difficultés, tant la prégnance disciplinaireest également à l’œuvre dans cette démarche et dans le dialogue instauré entre disciplines 2.

2 Nous partons donc de cet exemple concret de recherche, exposons le cheminement adopté etles enseignements à tirer. Après la mise en contexte de l’autonomisation de l’expression des« exercices spirituels » au XXe siècle, nous suivons dans la documentation médiévale deuxapproches complémentaires  : celle de l’enquête lexicale menée dans les œuvres d’auteursecclésiastiques antérieurs à 1200, en nous servant notamment de l’interrogation informatiséede la Patrologie latine, puis celle de l’analyse de cas dans la « tradition » iconographique du« portrait d’auteur », en prenant en compte les miniatures de la Bible de Saint-Bénigne deDijon  3. Ces approches visent à se débarrasser de la convention d’une soi-disant « relationentre les textes et les images », pour faire porter l’interrogation sur les structures qui doiventêtre dégagées, depuis les éléments lexicaux et depuis les agencements figuratifs.

3 En pratiquant ici cet «  exercice  », du double côté de l’iconographie et des humanitésnumériques, dans la perspective d’une démarche historienne, nous voudrions poser laquestion de l’interdisciplinarité en vis-à-vis d’un parcours philosophique : ses conditions, sespossibilités, ses développements. La notion des « exercices spirituels » étant elle-même ancréedans le postulat d’une continuité entre l’Antiquité et le Moyen Âge, qui demeure du restepurement analogique, nous examinons de façon critique cette hypothèse et les notions sanscesse mises en avant de « la tradition » et « des influences ».

Contextualiser les « exercices spirituels »4 Pierre Hadot, philosophe et historien de la philosophie antique, a occupé la chaire d’histoire

de la pensée hellénistique et romaine au Collège de France de 1982 à 1991 4. Son parcourspersonnel et intellectuel, sur lequel il est revenu en détail dans un livre d’entretiens paru en2001 5, l’a conduit de la philosophie métaphysique et mystique, à laquelle il s’était consacrépendant ses années de prêtrise (1942-1952), à l’histoire et à la philologie, auxquelles il se formeet pratique ensuite, dans le cadre de différents postes occupés au CNRS (1949-1964), puis entant que directeur d’études à l’École pratique des hautes études (Ve section, patristique latine).Ses travaux d’éditeur, de traducteur et de commentateur d’auteurs antiques et tardo-antiques– Marius Victorinus (300 ?-382 ?)  6, Plotin (205-270)  7, Ambroise de Milan (340 ?-397)  8,Marc Aurèle (121-180)  9, entre autres – nourrissent sa réflexion sur le mouvement de lapensée antique, de la philosophie gréco-romaine au christianisme, du IVe siècle av. J.-C. auVIe siècle apr. J.-C., réflexion dont il fait la synthèse en 1995 dans Qu’est-ce que la philosophieantique ? 10.

5 Selon Pierre Hadot, la philosophie antique n’est pas un discours théorique mais un « modede vie », où discours et pratique ne sont pas dissociés. « Absorbé » par le christianisme, enpassant par le monachisme tardo-antique, ce « modèle » aurait quand même subsisté ensuitejusqu’à nos jours, malgré la rupture que Pierre Hadot attribue à la scolastique, au XIIIe siècle,qui aurait signé le « divorce » entre le mode de vie et le discours philosophique. La notion quisert de fil conducteur et de démonstration à ces postulats est la notion d’« exercices spirituels »,explicitée dans un article publié en 1977 («  Exercices spirituels  »), repris dans le recueilde textes paru en 1981 (Exercices spirituels et philosophie antique)  11. Hadot développe et

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 3

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

amplifie alors une idée avancée par Paul Rabbow, dans un ouvrage publié en 1954  12, quiutilisait l’intitulé du célèbre libellum d’Ignace de Loyola (1491-1556), Exercitia spiritualia(1548) 13, pour désigner, à l’époque impériale, un « système pédagogique », une « technologie »pour contrôler la vie à travers une éthique pratique. Pierre Hadot considère, à son tour, lesExercitia spiritualia d’Ignace de Loyola, comme « (…) une version chrétienne d’une traditiongréco-romaine (…) », dont il entend «  (…) montrer l’ampleur », car, d’après lui, «  (…) lanotion et le terme d’exercitium spirituale sont attestés dans l’ancien christianisme latin et ilscorrespondent à l’askesis du christianisme grec (…) ». Et cette askesis, il faut l’entendre « (…)non pas comme ascétisme, mais comme pratique d’exercices spirituels (…) »  14. Il analysealors l’askesis à travers quatre apprentissages, à vivre, à dialoguer, à mourir et à lire. Dansle premier, le ressort essentiel est celui de la conversion qui « (…) bouleverse toute la vie,qui change l’être de celui qui l’accomplit (…) » 15 : la philosophie est donc, « (…) en premierlieu, une thérapeutique des passions (…)  », liée à la «  (…) transformation profonde de lamanière de voir et d’être de l’individu. Les exercices spirituels auront précisément pour objet laréalisation de cette transformation 16. » Est opéré un changement total de vision sur les choses,qui, de la « vision humaine » passe à une « vision naturelle » pour préciser comment chaque« événement » survient selon une perspective universelle, celle de la « nature universelle » :car, si la philosophie est un « exercice spirituel », la physique l’est tout autant 17.

6 En revenant plus tard, mais sans changer de point de vue, sur ce qu’il entendait commele moment de rupture de la philosophie comme mode de vie, Pierre Hadot explique, àl’aide du livre de Juliusz Domański (1927-) qu’il préface  18, que c’est dans le cadre desuniversités médiévales, où s’est développée la scolastique au XIIIe  siècle, que s’opère la«  théorisation  » de la philosophie comprise désormais comme un discours séparé d’unmode de vie. La «  philosophie devient la servante de la théologie  », aidant simplement à« élucider des problèmes théologiques », alors que la théologie assume le rôle de « sagessesupérieure » 19. Hadot nuance, cependant, ses propos antérieurs en pointant que la redécouvertede la philosophie comme mode de vie s’esquisse elle aussi dans les universités médiévales.On comprend très vite, toutefois, que l’enjeu pour lui se situe ailleurs – il s’agit d’une questionmorale – et que, à travers les universités médiévales, il s’agit aussi de critiquer l’enseignementde la philosophie « théorique » dans les universités contemporaines, conçue pour former « aumétier de clerc ou de professeur », à l’inverse de la « philosophie comme mode de vie », quivise à former « au métier d’homme » à travers les exercices spirituels, c’est-à-dire à traversle « travail de soi sur soi » 20.

7 L’emprunt par Pierre Hadot de la notion d’«  exercices spirituels  » doit être compris dansle contexte de la double opération intellectuelle dont elle a été l’objet, de l’abstraction del’expression ignacienne et de son historicisation rétrospective.

8 En projetant les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola sur la philosophie antique, PaulRabbow avait lancé l’idée d’une unité des pratiques méditatives païennes et chrétiennes, et crééainsi, par analogie, une abstraction pour lire les textes d’Épicure, de Sénèque, de Plutarque,d’Épictète et de Marc Aurèle 21. Cette projection/abstraction, qui semble alors nouvelle, a étéreçue différemment selon qu’on ait accepté ou non son opérabilité. D’un côté, certains auteurstrouvent l’analogie injustifiée, considérant qu’aucune évidence dans les textes permet depostuler une connexion directe entre les pratiques anciennes et chrétiennes 22 ; d’un autre côté,cette analogie sera élevée comme un nouveau paradigme qu’il sera question de perfectionner,d’amplifier. Pierre Hadot, à la suite de son épouse, Ilsetraut Hadot 23, va emprunter cette voieen proposant dans le deuxième chapitre du recueil d’articles de 1981, « Exercices spirituelsantiques et “philosophie chrétienne” », la construction d’une continuité entre la philosophieantique et le christianisme – ou l’« absorption de la philosophia par le christianisme » –, enpassant par les mouvements monastiques des premiers siècles du christianisme 24.

9 En développant la théorie de Rabbow, Pierre Hadot, élevé « dans les jupes de l’Église » 25,n’ignorait pas le mouvement contemporain de la constitution progressive d’une théologiespirituelle – ou théologie mystique, ou théologie ascétique – comme discipline au seindes institutions romaines, ce qui avait conduit à la création de l’Istituto di spiritualità à

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 4

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

l’intérieur de la Pontificia università gregoriana en 1958  26, et s’était traduit, entre autres,par l’historicisation rétrospective et l’autonomisation des « exercices spirituels » de Loyola.L’un des premiers jalons de cette autre opération intellectuelle se retrouve dans un courtarticle du jésuite Ludwig Hertling (1895-1980)  27, de 1933, contenant le répertoire desauteurs du haut Moyen Âge ayant employé, avant de Loyola, l’expression «  exercicesspirituels  », au singulier ou au pluriel, en particulier dans des récits hagiographiques  28.Selon Hertling, les expressions exercitium spirituale et exercitia spiritualia désignent dansces textes « les actions qui composent et régissent la vie ascétique », dans un sens pas trèséloigné de la première annotation d’Ignace de Loyola : « (…) quod hoc nomine exercitiorumspiritualium intelligitur quilibet modus examinandi conscientiam, meditandi, contemplandi,orandi vocaliter et mentaliter, et aliarum operationum spiritualium (…)  ». De Loyola etses Exercices sont placés ainsi dans une longue lignée de spirituels et de saints. Un secondjalon important est la transformation de l’expression « exercices spirituels » en une formuleautonome à travers son emploi, pour la première fois, comme entrée d’un dictionnaireencyclopédique, en l’occurrence dans le tome 4 du Dictionnaire de spiritualité publié en 1961.L’entreprise monumentale du Dictionnaire de spiritualité. Ascétique et mystique. Doctrine ethistoire a été conçue en 1928 et a été publiée entre 1932 et 1995, sous la responsabilité dela Compagnie de Jésus. Dans la longue notice rédigée par Jean Leclercq (1911-1993), moinebénédictin, professeur à la Gregoriana, par le jésuite André Rayez, par le rédemptoriste PierreDebongnie et par Charles Schmerber, la notion d’«  exercices spirituels » est inscrite dansl’histoire des écrits et des pratiques chrétiennes, depuis l’Antiquité jusqu’au XXe siècle 29. JeanLeclercq, auteur du chapitre dédié à l’Antiquité et au haut Moyen Âge, rappelle en philologue,les « sens profanes » d’un terme, exercitium, qui ne figure qu’une seule fois dans la Bible,et dont l’acception, celle d’une «  action qui exige effort  », dans le domaine de «  l’œuvreà faire  » et de «  la réflexion  », a très tôt revêtu une connotation militaire. C’est d’aborddans cette nuance de « lutte » qu’exercitium aurait été, selon lui, employé dans la patristiquechrétienne, pour rendre compte de l’« effort qu’exige la vie spirituelle », de l’ascèse. L’enjeude l’inscription des « exercices spirituels » dans l’histoire du christianisme, « aux origines »,est ici idéologiquement important, car, aux lendemains de la seconde guerre mondiale et à laveille de Vatican II, il s’agit de confondre les « exercices spirituels » ainsi historicisés avec les« exercices de piété », qui concernent aussi bien le magistère des prêtres que la place des laïcsdans l’Église. L’introduction de l’article l’énonce clairement : les termes exercitium, exercitiaet exercitatio désignent les pratiques de la vie spirituelle depuis les premiers siècles et ontune histoire très homogène, tandis qu’au Moyen Âge les expressions exercitium spirituale,exercitia spiritualia viennent à désigner des « exercices de piété » ; c’est à ces exercices depiété, depuis l’encyclique Mediator Dei de Pie XII, de 1947 – « L’ensemble du culte quel’Église rend à Dieu doit être à la fois intérieur et extérieur » –, que les dix dernières pagesde la notice sont dédiées.

10 L’utilisation par Pierre Hadot de la notion d’« exercices spirituels » pour essayer de traduirela pratique philosophique de l’Antiquité (mais pas seulement), n’est donc pas un choixanodin. Elle s’inscrit dans ce double mouvement de surinvestissement des ecclésiastiques, desthéologiens et des historiens de la philosophie dans la création d’un universel atemporel pourrendre compte d’attentes morales, tout à fait contemporaines. Du reste, toute une générationde chercheurs est traversée par les mêmes préoccupations  qui agitent ce qu’on nommaitalors le champ des sciences humaines  : en histoire, Lucien Febvre (1878-1956)  30  ; eniconographie, André Grabar (1896-1990), lecteur de Ferdinand de Saussure (1857-1913) etde ses observations sur les «  faits linguistiques », dont il s’inspira pour décrire les «  faitsiconographiques » 31 ; en esthétique, Edgar de Bruyne (1898-1959) 32 ; en linguistique, ÉmileBenveniste (1902-1976) 33 ; en histoire des arts, Jean Seznec (1905-1983) et Jean Adhémar(1908-1987)  34  ; en histoire de la littérature antique, Pierre Courcelle (1912-1980), auquelPierre Hadot dédiait précisément son livre de 1981 35.

11 Au titre d’une simple incise, nous mesurons ici l’étendue du contraste entre l’approche dePierre Hadot et la recherche philosophique, qui, aujourd’hui, considère le monachisme tardo-

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 5

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

antique et médiéval comme une expérience en soi, propre à faire émerger de nouveauxconcepts. Nous pensons en particulier au concept « forme-de-vie », que Giorgio Agamben(1942-) a développé en interrogeant la relation qui peut s’établir entre la règle et la viemonastique (regula et vita), et qui rend compte d’une « zone d’indifférenciation » aussi entrerègle et forme de vie, c’est-à-dire, d’une communauté en deçà du droit, dont la structure seraitconsubstantielle à ses normes plutôt que mise en forme par elles – ce ne serait pas la règle quicréerait la forme de vie, mais plutôt la forme de vie qui créerait la règle ; la transformationde toute la vie en un office divin (liturgie) étant l’expansion maximale de la normativitémonastique aux moindres détails de la vie 36.

Tester les « exercices spirituels ». Les mots12 Une fois précisé le contexte dans lequel la notion d’« exercices spirituels » émerge comme une

formule autonome, il reste à penser dans quelle mesure elle aurait été effectivement opératoirepour l’historien médiéviste, qui dispose aujourd’hui d’outils et de méthodes de recherchedifférents de ceux utilisés par les auteurs du Dictionnaire de spiritualité ou par Pierre Hadot.La masse des textes médiévaux numérisés interrogés à l’aide de logiciels réalisant la recherchede cooccurrences, l’affichage par mot-clé, par distribution chronologique et par fréquence,autorise la lecture de milliers de documents en déplaçant l’attention du texte vers les différenteséchelles, plus petites ou plus grandes, des unités lexicales 37.

13 Après avoir effectué la recherche inversée dans les dictionnaires électroniques du latinmédiéval  38 et dans la Vulgate  39, nous avons réalisé l’expérience autour du terme latinexercitium dans l’ensemble des volumes de la Patrologie latine 40, interrogée avec le logicielPhiloLogic 41. Il s’agissait d’abord de repérer les principales cooccurrences de la troncatureexerciti*, ensuite de vérifier la répartition chronologique des deux cooccurrences exerciti*+ vertu* et exerciti* + spiritual*, enfin celle de l’expression ignacienne exercitia spiritualia.Outre les mots de la pratique et ceux des valeurs monastiques, ces recherches préliminairespointent surtout vers le XIIe siècle.

14 Réunissant environ 5 645 documents latins d’auteurs chrétiens antérieurs à 1200, de Tertullien(ca. 150/160-ca. 220) à Innocent III (1160-1216), la Patrologie contient environ 105 millionsde mots. L’interrogation de la troncature exerciti* ne donne que 3 291 occurrences répartiesdans 949 œuvres 42.Tab. 1 – Principales cooccurrences de exerciti*.

15 Le tableau 1 des lemmes des principales cooccurrences, dans un rayon de cinq mots avantet après exerciti*, indique qu’il est le plus souvent associé à virtus, ensuite à bonum opus,et à spiritalis. Suivent une série de termes qui composent, avec les précédents, le champsémantique de la vie consacrée à Dieu – labor ; studium ; vita ; religio ; pietas ; disciplina ;humilitas  ; conversatio  ; lectio  ; coelestis  ; contemplatio  ; justitia –, de même que desantonymes qui renvoient au passage (conversatio) d’un terme à l’autre de pôles opposés  :

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 6

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

vitium/virtus ; caro-corpus/spiritalis. Une autre série de lemmes relève du contexte formulaire,c’est-à-dire les mots cooccurrents qui proviennent d’un passage de la Bible. Missus, rex,homicida, perdo font partie de Matthieu 22, 7 dans la parabole du festin de noces  43. Lacooccurrence militia se situe dans ce champ sémantique martial d’exercitium, champ quidevient central dans le monachisme médiéval  44. Corpus et pietas peuvent, quant à eux,renvoyer à 1 Timothée 4, 7-8 45, passage paulinien qui servira de fondement à la distinctionentre exercices corporels et exercices de piété  46, distinction qui ouvre à la déclinaisonépithétique d’exercitium.

16 D’un point de vue chronologique, l’essai de répartition de deux cooccurrences, exerciti*+ vertu* – la plus fréquente dans les textes de la Patrologie latine – et exerciti* + spiritual*,indique que les deux cooccurrences sont actives aux mêmes moments : au IVe, au IXe, au XIe

et surtout au XIIe siècle (tab. 2 et graph. 1).Tab. 2 – Cooccurrences par siècle.

Graph. 1 – Cooccurrences par siècle.

17 Or, tous ces moments coïncident avec des mouvements monastiques importants. Le IVe siècleest la période d’épanouissement du premier monachisme, sur lequel se penchent les Pèresgrecs et latins. Le IXe siècle est l’époque de la réforme monastique carolingienne, qui entenduniformiser le mode de vie des communautés par l’imposition de la règle bénédictine. LesXIe et XIIe sont les siècles des débuts puis du développement de la réforme ecclésiastique dite« grégorienne » et du « nouveau monachisme » imprégné d’un fort ascétisme, dont l’enjeusociétal était de bien distinguer les sphères ecclésiastiques et laïques.

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 7

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

18 L’enquête dans la Patrologie latine sur le syntagme précis exercitia spiritualia, qui a étéutilisé par Ignace de Loyola pour nommer son libellum, confirme pour l’emploi de ces termesla centralité du XIIe siècle. L’expression n’apparaît que 25 fois, mais 23 mentions datent duXIIe siècle. À part un anonyme du VIe siècle 47 et Dunstan de Cantorbéry (ca. 909-980), abbé etarchevêque du Xe siècle 48, les autres mentions proviennent surtout des auteurs issus du nouveaumonachisme  : les cisterciens Bernard de Clairvaux (ca. 1090-1153)  49, Aelred de Rielvaux(1110-1166/1167) 50 et Arnoul de Bohéries († ca. 1140) ? 51 ; le chartreux Bernard de Portes(† ca. 1156/1159)  52  ; le victorin Richard de Saint-Victor (ca. 1110-1173)  53  ; le bénédictinréformateur Guillaume de Saint-Thierry (ca. 1085-1148) 54 ; le poète et théologien Pierre deBlois (ca. 1130/1135-1211/1212) 55 ; en plus de deux ouvrages anonymes du XIIe siècle 56. Lelexicogramme (graph. 2), issu de l’ensemble des paragraphes contenant l’expression, permetde visualiser les mots exercitia et spiritualia conjugués avec un troisième terme, corporalia 57.Graph. 2 – Lexicogramme. Exercitia spiritualia dans la Patrologie latine.

19 Outre l’écho avec la première épître à Timothée 4, 7-8, l’opposition chair/esprit renvoiedans le contexte monastique non seulement au combat premier de la vie monastique,mais aussi aux vifs débats qui jalonnent la période sur la nature du Christ et le réalismeeucharistique, sa présence en chair lors de la communion. La recrudescence même de l’emploid’exercitia amène à restituer, par ailleurs, son acception militaire comme référence propre aumonachisme : les moines se pensent en tant que guerriers, milites Christi, et cette identité, dansune société rendue de plus en plus martiale et référée au divin, se construit dans l’échangeconstant avec les laïcs porteurs d’armes.

20 Par rapport aux «  exercices spirituels  » tels que les pose Pierre Hadot, de la continuitéchrétienne de la pratique philosophique tardo-antique à la rupture entre theologia etphilosophia qu’il localise au XIIIe  siècle, au moment de la scolastique, ou par rapport à laconstruction vectorisée de l’Antiquité chrétienne jusqu’au XXe siècle, dans la notice « exercicesspirituels  » du Dictionnaire de spiritualité, la recherche préliminaire dans une masseconsidérable de textes, qu’il faudra approfondir et élargir au-delà de 1200, soulève plusieursquestions. Pour commencer, étant donné la très faible fréquence d’occurrences, il semble

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 8

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

difficile de soutenir, historiquement, une centralité de l’expression « exercices spirituels »avant son élaboration ignacienne. L’enquête préliminaire ayant pointé le XIIe  siècle et lenouveau monachisme, le passage tardo-antique doit être repensé. Il faudra aussi considérer laconcomitance entre les débuts de la scolastique et la première cristallisation des cooccurrencesde exerciti* +  spiritual* et de exerciti* +  vertu*, dans les milieux monastiques, et nousinterroger sur le contenu de leurs prolongements possibles au XIIIe siècle, et au-delà, dans descourants spirituels et mystiques – des ordres mendiants aux confréries laïques, en passant parles béguinages, par exemple.

Tester les « exercices spirituels ». La « tradition »iconographique du « portrait d’auteur »

21 Avant même que l’enquête sur les mots dans la Patrologie latine ait circonscrit le XIIe siècle etle nouveau monachisme, comme le moment chronologique d’une première cristallisation del’association entre le substantif exercitia et l’adjectif spiritualia (mais aussi corporalia), nousavions pensé que la notion des « exercices spirituels » de Pierre Hadot, d’un point de vue desressources iconographiques, serait à confronter avec les productions monastiques du XIIe siècle,afin de critiquer les idées passe-partout de « tradition » et d’« influence » antique. Car c’estalors qu’émerge une nouveauté, celle de la figuration du champ, campus, du fond de l’image,qui nous semblait obliger à reconsidérer, voire dépasser, la catégorie dès lors problématiquede la continuité du « portrait d’auteur » gréco-romain. Au même moment, en effet, le champ,campus, peint à l’intérieur du livre, puis dans l’initiale figurée, devient d’un emploi assezcourant pour désigner le « fond de l’image », en étroite association avec l’instance qui institueces commandes et ces réalisations d’envergure, l’Église et tout son appareil de discours. Àl’issue d’une analyse trop brève et qui se termine maladroitement dans le symbolisme, JeanWirth a pointé l’attention vers cette articulation neuve 58. À partir d’une autre position, maisencore avec une formation très différente de celle de Pierre Hadot, comme nous l’avons notéprécédemment, des philosophes se sont montrés intéressés par ce problème de figuration, celuide l’implicite d’une présence, parfois en relation d’essence avec la reformulation monastiquedes formes de vie et le développement d’une ontologie autre qui traverse l’imaginaire et son« champ » 59.

22 Pierre Hadot est, certes, à situer selon de tout autres perspectives, les « exercices spirituels »conduisant à la transformation de l’être du sujet qui s’exerce «  spirituellement  » sur lui-même 60. Plusieurs traits circonscrivent les étapes de la transformation. Certains de ces traitsrelèvent de l’attention, et sont du côté de la méditation et du souvenir de ce qui est ; d’autres,de l’intellect, et soulignent la part importante prise par la lecture, l’audition, la recherche,l’examen approfondi de soi, au cours de tout le processus décrit qui n’est autre que celui-làmême de la vie psychique ; d’autres encore, de l’action sur soi mettant en valeur la maîtrise desoi, l’accomplissement des devoirs, l’indifférence aux choses indifférentes, dans le vocabulairede Sénèque (4 av. J.-C.-65 apr. J.-C..)  ; d’autres enfin, des exercices pratiques qui étaientdestinés à susciter des habitudes. Pierre Hadot fait surgir des catégories qui explicitent toutle pan de l’imaginaire saisi, analysé, sous l’angle de la phénoménologie de la vie psychiqueet, en bien des points de son analyse, il répond à des questions posées par Jean-Paul Sartre,surtout dans L’imaginaire. Psychologie phénoménologique de l’imagination 61. C’est aussi parlà qu’il pourrait être rapproché, dans un rapport analogique toutefois, de la situation médiévaledans ce qu’elle a de plus extérieurement accessible.

23 Le champ d’expression iconographique choisi s’avère, à cet égard, pertinent pour une premièresérie d’observations à des moments d’affirmation de cette idée de « renaissance » de l’antiqueet de reformulation de tout le vocabulaire des signes visuels et textuels du fonds monastiqued’inspiration carolingienne 62. Le XIIe siècle fut, par excellence, l’époque de toutes les rupturesdans tous les domaines de la société, y compris dans la manière d’envisager celle-ci commeun ensemble composé de tous ses éléments reliés entre eux et au tout. Dans bien des cas,les moines furent au premier rang des changements. Les monastères devinrent en quelquesorte les laboratoires au centre des nouvelles expériences qui servirent, souvent, de bases

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 9

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

aux transformations sociales. Nous citerons l’exemple du livre et, dans le livre monastique,l’exemple de l’image de « l’auteur monastique » en train d’écrire, reprenant et, en même temps,reformulant de fond en comble le champ du « portrait d’auteur » gréco-romain, puis tardo-antique 63. Sur les miniatures de la Bible de Saint-Bénigne de Dijon, une abbaye possédant sansdoute un scriptorium monastique dans la refonte de l’an Mil, sous l’abbatiat de Guillaume deVolpiano (962-1031, abbé de 990 à 1001 ?), et en rapport au XIIe siècle avec le scriptorium deCîteaux, saint Jérôme (ca. 347-420) incarna, c’est-à-dire donna le support de son personnagede moine traducteur de la Bible, aux formes et aux figures de l’« auteur » monastique montréen plein exercice de son labeur qui serait, aussi, un « exercice spirituel », dans la « tradition »de ces autres exercices qu’étudiait Pierre Hadot 64. Autour du deuxième quart du XIIe siècle, surles feuillets de la Bible composée pour une grande abbaye, le moine Jérôme appliqué à traduireles textes saints de l’hébreu au latin signe le « portrait de l’auteur » inspiré par le Verbe deDieu et participant à la construction de l’Église.

24 Voyons quelques exemples de ces procédés sur les fonds des quatre initiales peintes etmontrant dans la Bible choisie tout le travail effectué par le(s) scribe(s) sur le « champ ». Aufeuillet 6r°, au cœur de la lettrine D (fig. 1), Jérôme est figuré tout à la fois comme l’objet etle sujet de l’enluminure, le destinataire de l’échange de lettre avec Desiderius et l’autorité àlaquelle est soumise une question de traduction 65.

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 10

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

Fig. 1 – Bible de Saint-Bénigne de Dijon, DIJON, Bibliothèque municipale, ms. 2, fol. 6r°, initialeD, 2e quart du XIIe siècle ? (source : enluminures.culture.fr).

25 Il émerge du champ comme une figure, autrement dit comme une forme imaginée à partirde l’entrelacs du végétal qui la configure, tant à partir de la jonction des deux feuillesd’acanthe ouvertes, disposées en un mouvement inversé l’une par rapport à l’autre, qu’à partiraussi de leurs ramifications et de leurs boutons  : entre autres, le(s) scribe(s) insiste(nt) surl’emplacement de la tête de saint Jérôme par la peinture d’un bouton végétal terminant lafeuille d’acanthe du haut, juste au-dessus de sa tête, tout auprès de la tonsure, la soulignantdavantage. Plus avant, au feuillet 100r°, Jérôme est assis à l’intérieur du cartouche qui formele montant de la lettre initiale U (fig. 2) : il a suspendu son écriture, il a la main droite poséesur la joue et, de l’autre main, il tient une plume d’oie posée à plat sur le bi-feuillet doré ducodex sur ses genoux.

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 11

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

Fig. 2 – Bible de Saint-Bénigne de Dijon, op. cit., fol. 100r°, initiale U.

26 Nimbé, l’auteur monastique est contenu dans son support, la lettrine qui lui sert d’attribut-présentoir et le dévoile au cours d’un instant de méditation, d’observation également, sur cequi se passe à l’intérieur de l’initiale : un mélange de tiges et de feuilles, s’achevant parfois enfleurs écloses et paraissant l’image de ce qui est tout agitation dans le corps même de l’initiale.Le fond est peint à la feuille d’or 66. Tout l’intérieur supporte des feuilles et des fleurs en voluteset en rinceaux qui ont été déposées en boucles sécantes les unes par rapport aux autres. Uneforme intérieure est alors décrite toute de luxuriance végétale, objectivée pour être présentéeau regard, maîtrisée, pour ainsi dire domptée par la figure de l’auteur mise à part et renduedans le manuscrit par saint Jérôme. Au feuillet 235r°, dans l’initiale C, au début du Prologueau Livre de Job, Jérôme est encore une fois assis en auteur enseignant et domptant le corps dela lettrine, les pieds sur l’escabeau à même le cou de l’animal (fig. 3).

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 12

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

Fig. 3 – Bible de Saint-Bénigne de Dijon, op. cit., fol. 235r°, initiale C.

27 La lettre suscite un contexte d’une grande richesse puisqu’elle associe en elle-même, et entreses différentes parties, les registres de l’animal et du végétal, en promouvant tout en haut dela hiérarchie, ainsi du même coup instituée, l’humain au cœur de l’animal et au centre dela composition, dominant toutes les autres parties, voire les transformant en les insérant auxautres figures de la présentation : l’auteur monastique est campé dans sa lettrine comme uneautorité qui structure et ordonne, par rapport à elle, les formes environnantes 67. Plus loin dansles feuillets, au verso du feuillet 288, dans le Prologue composé par saint Jérôme au Livre deSalomon, l’auteur est présenté tout entier sur le fond peint à la feuille d’or, en lieu et place duvégétal, et il s’est imposé comme l’exemplaire achevé de l’humain, c’est-à-dire du moine ausommet de la société des hommes, à l’exclusion des autres règnes, y compris du règne animal(fig. 4) 68.

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 13

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

Fig. 4 – Bible de Saint-Bénigne de Dijon, op. cit., fol. 288v°, initiale C.

28 C’est du travail intérieur à la lettrine, donc du travail de l’artiste, qu’est suscitée la figure del’auteur peu à peu saisie sur un fond de présentation, ce champ, qui, tout à la fois, l’inscritdans un processus dynamique de création, le produit aux regards et lui confère sa pertinencepar rapport à l’affirmation de l’auteur monastique, l’homme de l’Église et l’homme parexcellence. Les traités et les différents autres textes contemporains rejoignent ces pratiques,ils ne les fondent absolument pas. Et le symbolisme architectural n’agit qu’après coup, tel unargument supplémentaire qui viendrait s’ajouter, pour mieux la rendre perceptible aux sens,à l’ecclésiologie qui est en train de s’écrire 69. Les reformulations du XIIe siècle sont aussi lesmarques d’une recomposition de toute la création universelle au cœur de laquelle est installéle moine.

29 À l’inverse de la perspective «  internaliste  » de Pierre Hadot, dans ces formulationsiconographiques, le labeur, l’exercice du traducteur – qui est aussi un exercice detransformation –, la méditation, sont inscrits en articulation active avec ce qui se trouvedans le champ. Nous pourrions voir ici encore une expression de la triade structurelleexercitia, spiritualia, corporalia, la transformation/traduction se déclinant à l’intérieur d’un

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 14

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

ensemble articulé intérieur/extérieur dans le monde, pas en dehors de lui. Mais essayer de fairecorrespondre les images aux mots dégagés des textes n’est plus une solution, si elle ne l’ajamais été. Les images pointent aussi vers un rapport qui dépasse celui du moine aux prisesavec son intériorité et son extériorité, avec son esprit et son corps, c’est-à-dire avec tout ce quis’étend au-delà de lui-même. Ainsi visualisées, les images pointent vers le réseau matériel desfigures qui saturent le « fond de l’image » ou, mieux, vers le réseau dans lequel Jérôme estsaisi, inscrit à son tour dans le champ de ce qui est montré par l’artiste en son travail.

Exercices d’auto-réflexivité. Les réflexes disciplinaires 70

30 Moins que les conclusions « objectives » de notre enquête, c’est aussi la manière que nousavons choisi de traiter, en historiens, de la notion des « exercices spirituels », qui doit retenirnotre attention. Travailler sur une notion qu’on veut historiquement attester, inscrite dans lacontinuité du temps, mais dont les bases historiques ne sont pas effectivement démontrées,nous a causé d’emblée des difficultés. Devant une généralisation de prime abord inconfortable,le réflexe a été de l’inscrire dans le temps : comment l’expression répandue par le libellumd’Ignace de Loyola au milieu du XVIe  siècle avait-elle été surinvestie au XXe  siècle dansdes contextes précis ? Le test par l’étude des mots et de l’iconographie a conduit à repérerun moment particulier, le nouveau monachisme du XIIe  siècle, puis a invalidé l’idée d’unepermanence ou d’une « origine » tardo-antique et, par conséquent, a fait ressortir les limitesmêmes de toute généralisation, en particulier de celle avancée par Pierre Hadot. Sur le fond, etpour différentes raisons, celui-ci défendait la philosophie face à la théologie comme « sagessesupérieure », en traitant de l’histoire à très grands coups de pinceaux sans s’arrêter au noyaudu XIIe siècle. Dès lors, et selon notre approche, nous avons voulu établir un autre ordre enmettant en avant précisément l’histoire. L’exercice de l’interdisciplinarité a toutefois renforcéla disciplinarité, ici en l’occurrence et par nos choix délibérés, l’histoire. Nous poserons doncla question de savoir à quel(s) niveau(x) de formulation et d’abstraction nous placer pourpratiquer une interdisciplinarité. Est-il suffisant de postuler un objet commun – « l’homme »,«  les choses », «  la société », «  les sociétés » –, tout aussi susceptible de généralisation ?Un début de réponse pourrait consister à se défaire des paradigmes mous et à construire desconcepts solides. Le « modèle », ou encore le « modèle antique », bien que largement accepté àla suite d’un large consensus fondé, en apparence, sur le sens commun, ne résiste, par exemple,ni à un effort de contextualisation, ni à un effort de critique théorique. De même, les notionstoutes prêtes du «  portrait d’auteur  » et de la «  tradition  », sans omettre celle bien faciledu «  symbolisme  », ne résistent pas davantage à une analyse suivie des œuvres prises encompte, depuis les conditions de leur fabrication jusqu’au regard posé sur les savoir-faire etles maîtrises techniques dont elles résultent.

31 Il nous est apparu également que procéder par analogie – les philosophes antiques, les moinesau Moyen Âge, les jésuites bien après, et d’autres acteurs ensuite – ne faisait que renforcer etjustifier le jeu des projections contemporaines sur le passé. C’est à dessein alors que, pour lesdeux approches développées, nous n’avons pas pensé en termes de « relation » entre « texteet image », bien au contraire, et que nous avons donc essayé de pointer certains éléments duproblème qui pourraient s’avérer structurels, ou structurants, et constituer une base plus solidepour une réflexion conceptuelle.

32 Ce sont là quelques jalons dans une recherche plus ample, en cours de construction.

Reçu : 4 octobre 2012 – Accepté : 4 novembre 2012

Notes

1 Nous remercions François Athané de nous avoir invités à intervenir lors de la journée d’études enhommage à Pierre Hadot, «  Vivre la philosophie  », organisée par l’Association des professeurs dephilosophie de l’enseignement public (APPEP) et le Centre international d’études de la philosophiefrançaise contemporaine de l’École normale supérieure (CIEPFC), qui s’est tenue à Paris, le 16 juin2012. Nous empruntons à l’article issu de cette intervention certains des développements de cet essai :

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 15

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

E. MAGNANI et D. RUSSO, « Exercices spirituels, études de mots, expériences d’images : réflexions surl’exemple du Moyen Âge », L’enseignement philosophique, Revue de l’APPEP, 63/1 (2012), p. 48-61.2 À titre d’exemple, nous renvoyons à D.  RUSSO, «  Penser en interdisciplinarité dans une UMR desciences humaines et sociales (2007-2011) », Bucema, 15 (2011), p. 305-318 [http://cem.revues.org/index12112.html] et à E. MAGNANI (dir.), Don et sciences sociales. Théories et pratiques croisées, Dijon,2007.3 DIJON, Bibliothèque municipale, ms. 2. Notre étude porte, en particulier, sur les initiales figuréesaux feuillets 6r° [D], 100r° [U], 235r° [C] et 288v° [C]. Sur le manuscrit et sa datation autour dudeuxième quart du XIIe siècle, Y. ZALUSKA, L’enluminure et le Scriptorium de Cîteaux au XIIe siècle,Cîteaux, 1989, p. 144-147, notice 88, p. 262-263, et « Annexe II », p. 276-277, et Y. ZALUSKA, collab.M.-F. DAMONGEOT, F. SAULNIER et G. LANOË, Manuscrits enluminés de Dijon, Paris, 1991 (Corpus desmanuscrits enluminés des collections publiques des départements, 1). Mise en situation dans l’histoire,C. M. MALONE, Saint-Bénigne de Dijon en l’an Mil. Totius Galliae Basilicis Mirabilior. Interprétationpolitique, liturgique et théologique, Turnhout, 2009 (Disciplina monastica, 5).4 C’est par l’entremise de Michel Foucault (1926-1984), qui s’intéresse alors à la vie comme « réel dela philosophie », que Pierre Hadot se présenta au Collège de France. Pierre Hadot est revenu sur leursrapports divergents dans P. HADOT, La philosophie comme manière de vivre. Entretiens avec J. Carlieret A. I. Davidson, Paris, 2001, p. 215-217. Pour les rapprochements possibles entre les deux pensées,voir, par exemple, T. FLYNN, « Philosophy as a way of life : Foucault and Hadot », Philosophy and socialcriticism, 31/5-6 (2005), p. 609-622 ; D. LORENZINI, « La vie comme “réel” de la philosophie. Cavell,Foucault, Hadot et les techniques de l’ordinaire », in S. LAUGIER (dir.), La voix et la vertu. Variétés duperfectionnisme moral. Éthique et philosophie morale, Paris, 2010, p. 469-487.5 P. HADOT, La philosophie…, op. cit. Sur le parcours de P. Hadot, voir Ph. HOFFMANN, « Pierre Hadot(1922-2010) », Annuaire EPHE, Sciences religieuses, 119 (20102011), p. XXXIII-XLII.6 VICTORIN L’AFRICAIN, Traités théologiques sur la Trinité. 1-2, texte établi par P. HENRY, intro., trad. etnotes par P. HADOT, Paris, 1960 (Sources chrétiennes, 68-69) ; P. HADOT, Porphyre et Victorinus. Paris,1968 ; ID., Marius Victorinus : recherches sur sa vie et ses œuvres, Paris, 1971.7 P. HADOT, Plotin ou la simplicité du regard, Paris, 1963, 19972 ; P. HADOT (dir.), Les écrits de Plotin[Ennéades], Paris, 1988, 19912 et 19943.8 AMBROISE DE MILAN, Apologie de David, intro., texte latin, notes et index par P. HADOT, trad. parM. CORDIER, Paris, 1977 (Sources chrétiennes, 239).9 P. HADOT, La citadelle intérieure : introduction aux « Pensées » de Marc Aurèle, Paris, 1992 ; MARCAURÈLE, Écrits pour lui-même, texte et trad. par P. HADOT, avec la collab. de C. LUNA, Paris, 1998.10 P. HADOT, Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Paris, 1995.11 P. HADOT, « Exercices spirituels », Annuaire de la Ve section de l’École pratique des hautes études, 84(1975-1976), 1977, p. 25-70, repris dans ID., Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, 1981 (19872,19933), recueil d’articles, 1, p. 13-58. Nous utilisons, dans les citations ci-dessous, l’édition de 1987.12 P. RABBOW, Seelenführung. Methodik der Exerzitien in der Antike, Munich, 1954.13 I.  DE LOYOLA, Exercitia spiritualia. Auctore S.  Ignatio de Loyola. Andreas Frusius latine vertit.Praemittuntur Annotationes quaedam aliquid adferentes intelligentiae ad Exercitia spiritualia, Rome,1548 (voir Monumenta ignatiana. Series 2a Exercitia spiritualia S. Ignatii de Loyola et eorum directoria.Nova editio, Rome, Institutum historicum Societatis Iesu, 1969).14 P. HADOT, « Exercices spirituels », op. cit., p. 14-15.15 P. HADOT, « Exercices spirituels », ibid., p. 15-16 ; ID., « Epistrophè et Metanoia dans l’histoire de laphilosophie », in Actes du XIe Congrès international de philosophie, Bruxelles, 1953, t. 12, p. 31-36.16 P. HADOT, « Exercices spirituels », ibid., p. 16, p. 17.17 P.  HADOT, «  Exercices spirituels  », ibid., p.  17  ; ID., «  La physique comme exercice spirituel oupessimisme et optimisme chez Marc-Aurèle », Revue de théologie et de philosophie, 1972, p. 225-239 ;repris dans Exercices spirituels…, op. cit., p.  119-133. Pour une approche plus développée de cesquestions, en particulier de la « nature », ID., Le voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de nature, Paris,2004, en part. chap. 2, « De la Phusis à la nature » (p. 35-45). Sur la vision et la problématique développéedu « regard », ID., Plotin ou la simplicité du regard, Paris, 1963 (« La recherche de l’absolu »), 19972, enpart. chap. 2 (« Niveaux du moi », p. 23-45), 4 (« Amour », p. 105-106) et 6 (« Douceur », p. 156-157).Selon une étude historique des niveaux du moi et de la « vision », pour une autre problématique du« regard », G. SIMON, Le regard, l’être et l’apparence dans l’optique de l’Antiquité, Paris, 1988 ; ID.,Sciences et savoirs aux XVIe et XVIIe  siècles, Lille, 1996, sur les conséquences de tout ce mouvementd’idées pour la vision et pour la définition du regard par la modernité.18 J. DOMAŃSKI, La philosophie, théorie ou manière de vivre ? Les controverses de l’Antiquité à laRenaissance, préface de P. HADOT, Paris/Fribourg, 1996 (Vestigia. Pensée antique et médiévale, 18).

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 16

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

19 P.  HADOT, Qu’est-ce que la philosophie antique  ?, op. cit., chap. X («  Le christianisme commephilosophie révélée », p. 355-378) et XI (« Disparitions et réapparitions de la conception antique de laphilosophie », p. 379-407), ici p. 381-382. Voir aussi ID., La philosophie…, op. cit., p. 182-185.20 P. HADOT, La philosophie…, ibid., p. 390-391 et 396.21 P. RABBOW, Seelenführung…, op. cit.22 Voir G. LUCK (1926-), « Review of Paul Rabbow, Seelenführung. Methodik der Exerzitien in derAntike », in ID., Ancient Pathways and Hidden Pursuits : Religion, Morals, and Magic in the AncientWorld, Ann Arbor, 2000, p. 35-38 [repris de Gnomon, 28 (1956), p. 268-271] ; R. J. NEWMAN, « Cotidiemeditare. Theory and Practice of the meditatio in Imperial Stoicism », in W. HAASE et H. TEMPORINI(dir.), Aufstieg und Niedergang des römischen Welt. Geschichte und Kultur Roms im Spiegel der neuerenForschung, Berlin/New York, 1989, t. 2, bd. 36/3, p. 1473-1517, ici p. 1476-1477, n. 6.23 I. HADOT, Seneca und die griechisch-römische Tradition der Seelenleitung, Berlin, 1969. Une listedes comptes rendus de cet ouvrage est donnée dans la bibliographie établie par F.-R. CHAUMARTIN,« Quarante ans de recherche sur les œuvres philosophiques de Sénèque (Bibliographie 1945-1985) », inW. HAASE et H. TEMPORINI (dir.), Aufstieg und Niedergang…, ibid., p. 1546-1605, ici p. 1555.24 P.  HADOT, «  Exercices spirituels antiques et “philosophie chrétienne”  », dans ID., Exercicesspirituels…, op. cit., p. 59-74.25 Il s’agit du titre du premier chapitre de ses entretiens, La philosophie…, op. cit., p. 17-60.26 M. RUIZ JURADO, S. J., « El instituto de espiritualidad de la Gregoriana desde su nacimiento a nuestrosdías. Su aporte a la teología espiritual », Gregorianum, 90/2 (2009), p. 358-370.27 M.  RUIZ JURADO, «  El instituto de espiritualidad de la Gregoriana…  », ibid., p.  362-363 (surL. Hertling).28 L. HERTLING, S.  J., « De usu nominis exercitiorum spiritualium ante S. P. Ignatium », ArchivumHistoricum Societatis Iesu, 2 (1933), p. 316-318. L. Hertling, qui va enseigner à la Gregoriana à partir de1936, avait publié auparavant Lehrbuch des aszetischen Theologie (Innsbruck, 1930) et Das geistlicheLeben (Vienne, 1933), puis Theologia ascetica, cursus brevior (Rome, 1939 et 1944). Les auteursqui avaient traité des origines des Exercices spirituels d’Ignace de Loyola, auparavant, n’avaient pasrecherché, à notre connaissance, jusqu’au haut Moyen Âge.29 «  Exercices spirituels  » par J.  LECLERCQ (1911-1993), A.  RAYEZ, P.  DEBONGNIE et C.  SCHMERBER,Dictionnaire de spiritualité. Ascétique et mystique. Doctrine et histoire, t. 4, Paris, 1961, col. 1902-1949.Ce dictionnaire est consultable en ligne [http://www.dictionnairedespiritualite.com]. L’entrée « exercicesspirituels » ne figure pas dans des dictionnaires ecclésiastiques antérieurs ; elle est absente, par exemple,du Dictionnaire de théologie catholique, A. VACANT et E. MANGENOT (dir.), Paris, 1902-1950, 15 tomes.Elle figure, cependant, dans les dictionnaires postérieurs, comme le Theologische Realenzyklopädie,G. MÜLLER, H. BALZ et G. KRAUSE (dir.), vol. 10, Berlin/New York, 1982, entrée « Exerzitien » par J. E.VERCRUYSSE, S. J., et M. SEITZ, p. 698-707 ou comme le Dizionario Enciclopedico di Spiritualità, t. 2,E.  ANCILLI et Pontificio Istituto di Spiritualità del Teresianum (dir.), Rome, 1990, entrée «  Esercizispirituali », par I. IPARRAGUIRRE, S. J., p. 911-918 ; dans les deux cas, les articles se concentrent sur lesExercices d’Ignace de Loyola et leur postérité, en renvoyant, pour la rétrospective historique, à l’article,devenu référence, du Dictionnaire de spiritualité.30 L. FEBVRE, La religion de François Rabelais. Le problème de l’incroyance au XVIe siècle, Paris, 1947.31 A. GRABAR, Les voies de la création en iconographie chrétienne. Antiquité, Moyen Âge, (Princeton,1968), publ. en fr. Paris, 1979 (19942), pour une synthèse de ses idées sur ces « continuités » de l’Antiquitévers le Moyen Âge qu’il exprimait dès la thèse sur L’Empereur dans l’art byzantin. Recherches surl’art officiel de l’Empire d’Orient, Paris, 1936 (Publications de la Faculté des lettres de l’université deStrasbourg, 75). Voir le compte rendu de L. Marcel dans la Revue belge de philologie et d’histoire, 16/3-4(1937), p. 763-769. Contre la thèse des continuités et fondant tout son raisonnement sur les « ruptures »entre Antiquité gréco-romaine et Antiquité chrétienne, haut Moyen Âge, TH. F. MATTHEWS, The Clashof Gods. A Reinterpretation of Early Christian Art, Princeton, 1993 (19952 ; 19993) ; compte rendu etdiscussion par D. Russo, Revue de l’art, 106 (1994), p. 97-98. Pour une présentation de l’ensemble del’œuvre de Grabar, M. G. MUZJ, Un maître pour l’art chrétien, André Grabar. Iconographie et Théologie,Paris, 2005.32 En particulier, Ed. DE BRUYNE, Études d’esthétique médiévale, 3 vol., Bruges, 1946, t.  1, «  Lesfondateurs  »  ; «  La civilisation carolingienne  ». Voir R.  HEYNICKX, «  Le chantier de la tradition.Réflexions d’Edgar De Bruyne sur la culture moderne pendant l’entre-deux guerres  : possibilités etlimites du néo-thomisme  », Revue d’histoire ecclésiastique, 100/2 (2005), p.  519-545  ; pour unediscussion, D.  RUSSO, «  Les lectures de l’art sacré en France et en Europe au tournant des années1880-1920. Autour du “médiévalisme” », in F. CHAUBET (dir.), Catholicisme et monde moderne aux XIXe

et XXe siècles. Autour du “Modernisme”, Dijon, 2008, p. 91-102.33 Voir É. BENVENISTE, Dernières leçons. Collège de France (1968-1969), éd. et prés. par J.-C.. COQUETet I. FENOGLIO, préface par J. KRISTEVA, postface par T. TODOROV, Paris, 2012.

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 17

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

34 Voir les travaux pionniers, à leur époque  : J.  SEZNEC, La survivance des dieux antiques. Latradition mythologique et sa place dans l’humanisme et dans l’art de la Renaissance, Londres, 1939,19402 ; trad. en angl. [USA] par B. SESSIONS, New York, 1954 ; publ. en France, Paris, 1980, 19942 ;J. ADHÉMAR, Influences antiques dans l’art du Moyen Âge français. Recherches sur les sources et lesthèmes d’inspiration, Londres, 1937 ; publ. en France, Paris, 2000 (c’est nous qui soulignons).35 P.  COURCELLE, Connais-toi toi-même, Paris, 1975, entre autres ouvrages sur Virgile et sur saintAugustin. Pierre Courcelle, mais aussi Jean Seznec et Jean Adhémar, dépendent beaucoup de W. JAEGER(1888-1961), Paideia, (3 vol., Berlin, 1933-1947), trad. en fr. par A. et S. DEVYVER, Paris, 1964, 19882,qui faisait reposer l’éducation et les moyens de la transmission des savoirs (l’agora, le gymnase, lerouleau) sur une conception de l’universel : voir Livre 1, chap. 9, « La spéculation philosophique : ladécouverte de l’ordre universel », en part. p. 186-226 de la trad. fr (c’est nous qui soulignons).36 G.  AGAMBEN, De la très haute pauvreté. Règles et forme de vie. Homo sacer IV, 1, trad. fr. parJ.  GAYRAUD, Paris, 2011. Voir aussi E.  COCCIA, «  Regula et vita. Il diritto monastico e la regolafrancescana », Medioevo e Rinascimento, 20 (2006), p. 97-147.37 F. MORETTI, « Conjectures on wolrd literature », New Left Review, 1 (2000), p. 54-68, ici p. 57, etID., Graphes, cartes et arbres. Modèles abstraits pour une autre histoire de la littérature, Londres/NewYork, 2005, trad. fr. E. DOBENESQUE, Paris, 2008.38 En particulier dans Mediae latinitatis lexicon minus, par J.  F. NIERMEYER, Leiden, 19761 (CD-ROM). Le mot français « exercice » est utilisé dans 21 entrées pour traduire des mots désignant, entreautres, l’exercice d’une fonction (bajulus ; comes) ; d’un droit, d’un pouvoir, d’une activité (honor ;legatio ; mansura…) ; la gestion, l’administration (administratio ; gestus) ; l’école ; l’étude, la formation,l’exercice intellectuel  ; l’exercice spirituel (gymnasium/gignasium - gr.). Le mot latin exercitium esttraduit par maniement ; travail ; pratique morale, ascèse, exercice spirituel ; épreuve, tourment ; œuvrelittéraire, exercice de rhétorique ; affaire, occupation.39   http://www.intratext.com/IXT/LAT0001/_INDEX.HTM. La Vulgate contient 626  928 mots.Exercitium et ses dérivés sont très peu usités dans la Vulgate  : huit hapax (dans Genèse 34, 10  ; IIParalipomènes 19, 6 ; I Timothée 4, 8 ; Hébreux 12, 11 et 5, 14 ; II Pierre 2, 14 ; II Maccabées 15,12 et 4, 14) et un seul mot récurrent dix fois, exercitus, dans son acception militaire et d’armée (Josué10, 5 ; Judith 2, 8 ; 5, 27 et 7, 1 ; Psaumes 43, 10 ; 59, 12 et 107, 12 ; I Maccabées 10, 36 et 12, 43 ;Matthieu 22, 7).40 Patrologiae cursus completus omnium SS. Patrum, doctorum scriptorumque ecclesiasticorum siveLatinorum, sive Graecorum. Patrologia Latina, publ. par J. P. Migne (1800-1875) entre 1844 et 1855 ;217 volumes.41 Le logiciel libre PhiloLogic a été développé par Mark Olsen et son équipe à l’université de Chicago[http://philologic.uchicago.edu/]. Nous remercions Alain Guerreau et Nicolas Perreux pour leur aide àl’installation. Sur l’analyse sémantique appliquée aux textes médiévaux voir, notamment, A. GUERREAU,L’avenir d’un passé incertain. Quelle histoire du Moyen Âge au XXIe siècle ?, Paris, 2001, p. 191-237,et ID., « Le champ sémantique de l’espace dans la Vita de saint Maïeul (Cluny, début du XIe siècle) »,Journal des savants, 1997, p. 363-419.42 Voici les 16 formes retrouvées, suivies de leur fréquence : exerciti (13), exercitia (519), exercitiaque(1), exercitibus (396), exercitibusque (5), exercitii (204), exercitiis (409), exercitio (837), exercitione(1), exercitionem (1), exercitior (2), exercitiorum (36), exercitis (3), exercitium (860), exercitiumque (3),exercitius (1).43 Matth. 22, 7 : Rex autem cum audisset iratus est et missis exercitibus suis perdidit homicidas illoset civitatem illorum succendit (« Le roi se mit en colère ; il envoya ses troupes, fit périr ces assassinset incendia leur ville »).44 K. ALLEN SMITH, War and the Making of Medieval Monastic Culture, Woodbridge, 2011.45 I Tim. 4, 7-8 : Exerce autem teipsum ad pietatem. Nam corporalis exercitatio ad modicum utilis est,pietas autem ad omnia utilis est (« Exerce-toi plutôt à la piété. L’exercice corporel, en effet, est utile àpeu de chose, tandis que la piété, elle, est utile à tout »).46 « Exercices spirituels », Dictionnaire de spiritualité, op. cit., col. 1904.47 De praedestinatione et gratia, éd. PL 45, col. 1671 (texte pseudo-augustinien).48 Regularis concordia monachorum Anglicae nationis (éd. PL 137, col. 490C). Voir The monasticagreement of the monks and nuns of the English nation drawn up at the Synod of Winchester by St.Dunstan, St. Ethelwold, and others, éd. trad. Dom Th. SYMONS, s. l., 1953.49 In festo S. Andreae apostoli ; Sermones de diversis ; Sententiae (éd. PL 183, col. 512A, 638C et 749C).Voir Sancti Bernardi Opera, éd. J. LECLERCQ et H. M. ROCHAIS, Rome, 1957-1977 (Sermones in natalisancti Andreae, 1968, t. 5, p. 427-440, sermo 2, p. 438 ; Sermo de altitudine et bassitudine cordis, 1968,t. 5, p. 214-216, p. 215 ; Sententiae, 1972, t. 6, 2, p. 7-255, sententia 7, p. 9).

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 18

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

50 Sermones de tempore ; Speculum charitatis ; Compendium speculi charitatis (éd. PL 195, col. 360C,535B, 608A et 626B). Voir AELREDUS RIEUALLENSIS, Sermones I – LXXXIV, éd. G. RACITI, Corpuschristianorum. Continuatio medievalis, 2A, Turnhout, 1989, Sermo 21  ; ID., De speculo caritatis, éd.C.H. TALBOT, Corpus christianorum. Continuatio medievalis, 1, Turnhout, 1971, p. 5-161, lib. 1, cap.31 ; lib. 3, cap. 34 ; ID., Compendium speculi caritatis, ibid., p. 175-238, cap. 7.51 Octo puncta perfectionis assequendae (éd. PL 184, col. 1181D et 1186A). Voir M. DELCOGLIANO,« Cistercian Monasticism in the Silver Age : Two Texts on Pratical Advice », Cistercian Studies Quaterly,45/4 (2010), p. 421-452 qui considère ce texte comme étant l’œuvre d’un auteur cistercien anonyme,datant de la fin du XIIe ou du début du XIIIe siècle.52 Epistolae, 254 (éd. PL 153, col. 893D). Voir Lettres des premiers chartreux  : (II) les moines dePortes, Bernard, Jean, Étienne, texte critique, trad. et notes par « un chartreux », Paris, 1980 (Sourceschrétiennes, 274), p. 56.53 De differentia sacrificii Abrahae a sacrificio B. Mariae Virginis ; De eruditione hominis interioris(éd. PL 196, col. 1048D, 1242D, 1249C et 1304B).54 Expositio altera super Cantica canticorum (éd. PL 180, col.  546C)  ; Epistola, 310 (éd. PL 184,col. 322B et 326A). Voir GUILLAUME DE SAINT-THIERRY, Exposé sur le Cantique des cantiques, textelatin, intro. et notes J. M. DECHANET, trad. fr. M. DUMONTIER, Paris, 1962 (Sources chrétiennes, 82),p. 400 ; ID., Un traité de la vie solitaire. Lettre aux frères du Mont-Dieu (Epistola ad Fratres de MonteDei), into., trad. et notes M. M. DAVY, Paris, 1946 (Études de philosophie médiévale, 29), p. 175 et § 42et 57.55 De confessione sacramentali (éd. PL 207, col. 1087D).56 Opusculum in verba : Ad quid venisti ? (éd. PL 184, col. 1191A) ; Vitis mystica (éd. PL 184, col. 653Det 659C) [textes pseudo-bernardins].57 Lexicogramme réalisé avec le logiciel TreeCloud.org [http://www2.lirmm.fr].58 J. WIRTH, L’image à l’époque romane, Paris, 1999, en part. chap. 3, « La restructuration de l’image »,« L’image et le champ », (p. 183-191), en citant Adam le Prémontré et son traité De triplici Tabernaculo(1180-1181), pars. 2, éd. PL 198, col. 683-744, mais en le projetant ensuite dans une construction desymbolisme architectural qui renverrait, plus ou moins, au fondement christique de la composition.59 Nous pensons, en particulier, à G. AGAMBEN, Le règne et la gloire : pour une généalogie théologiquede l’économie et du gouvernement. Homo sacer, II, 2 (trad. fr. J. GAYRAUD et M. RUEFF, Paris, 2008),qui revient sur les symboles des cérémoniaux du pouvoir, du trône, de la couronne, de la pourpre, desfaisceaux romains, et qui s’interroge sur le problème de la généalogie inédite des formes et de la fonctiondu consensus, et de ses supports, dans des sociétés à différents moments de leur histoire. Nous renvoyonségalement à ID., Opus Dei, Archéologie de l’office, Homo sacer, V (trad. fr. M. RUEFF, Paris, 2012), quiscrute les racines du nouveau paradigme ontologique inventé par l’Église, à partir des phases successivesde réforme, pour offrir à l’action humaine un pôle d’attraction étendu et constant, fait sans précédentdont la portée fut considérable sur la culture séculaire de l’Occident.60 P. HADOT, « Exercices spirituels », op. cit.61 J.-P.  SARTRE (1905-1980), L’imaginaire. Psychologie phénoménologique de l’imagination, Paris,1940 ; 19482 ; réimpr. 1980. Sur ces parallèles, P. HADOT, La philosophie…, op. cit., en part. chap. 6(« Le discours philosophique comme exercice spirituel », p. 144-158), 7 (« La philosophie comme vieet comme quête de la sagesse », p. 159-193) et 8 (« De Socrate à Foucault. Une longue tradition »,p. 194-228).62 Première enquête d’envergure sur ces «  séries de faits », le travail d’E. DE BRUYNE (1898-1959),Études d’esthétique médiévale…, op. cit., en part. t. 1 (Les fondateurs. La civilisation carolingienne).Sur l’arrière-plan du travail de DE BRUYNE, la période de crise des années 1900-1920, R. HEYNICKX, « Lechantier de la tradition… », op. cit. Sur la reprise d’un prétendu fonds carolingien de « séries de signes »,visuels et textuels, et sur la vie de ces « traditions » dans la longue durée, voir A. GRABAR, Les voies dela création en iconographie…, op. cit. Bien sûr, un cadre général idéaliste a été tracé par E. PANOFSKY(1892-1968), La perspective comme forme symbolique et autres essais, trad. fr. des essais écrits de 1915 à1932 sous la dir. de G. Ballange, Paris, 1975 ; discussion de la conception panofskyenne de la renaissancede l’antique, et surtout du classique, dans l’art médiéval, et situation dans sa vision « humaniste » large,culturelle, par C. LANDAUER, « Erwin Panofsky and the Renascence of the Renaissance », RenaissanceQuarterly, 47/2 (1994), p. 255-281.63 Discussion du mot « champ », introduit jadis par Meyer Schapiro (1904-1996), et de son emploidans l’analyse de la peinture ou de l’enluminure, antique comme médiévale, par J.-C. BAILLY, Le champmimétique, Paris, 2005, en part. « Définitions du champ » (p. 13-64).64 Voir V. GAZEAU et M. GOULLET, Guillaume de Volpiano. Un réformateur en son temps (962-1031),Vita domini Wilhelmi, de Raoul Glaber, Caen, 2008 (compte rendu dans Bucema, 9 (2009) [http://cem.revues.org/index11151.html]). C. M. MALONE, Saint-Bénigne de Dijon…, op. cit., en part. chap. 3(Réforme et Renovatio, p. 94-113) sur la réforme à Saint-Bénigne autour de l’an Mil. Sur les mécanismes

Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques : une interdisciplinarité diffi (...) 19

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 16 | 2012

en jeu et les réactualisations en séries qui s’opérèrent alors comme autant de réarticulations, voir toujoursG.  DUBY (1919-1996), L’an Mil, Paris, 1974, 19852, en part. chap. 3 («  Le visible et l’invisible  »,p. 63-102), 7 (« Nouvelle Alliance », p. 181-202) et 8 (« L’essor », p. 203-226). Pour la discussion autourdu scriptorium de Cîteaux, Y. ZALUSKA, L’enluminure et le scriptorium de Cîteaux…, op. cit., en part.p. 144-147 et Annexe II, p. 276-277.65 Bible de Saint-Bénigne de Dijon : DIJON, Bibliothèque municipale, ms. 2, fol. 6r°, initiale D, début duPrologue de saint Jérôme au Pentateuque. Le texte inscrit est : Desiderii mei desideratas accepi epistulas,qui quodam praesagio futurorum cum Danihele sortibus est nomen, obsecrantis ut translatum in latinamlinguam de hebraeo sermone Pentateuchum nostrorum auribus traderem (…).66 Ibidem, fol. 100r°, initiale U, début de la Préface au Livre des Rois par saint Jérôme. Le texte quise développe est : Viginti et duas esse literas apud Hebraeos, Syrorum quoque et Chaldeorum linguatestatur, quae hebraeae magna ex parte confinis est ; nam et ipsi viginti duo elementa habent eodemsono, sed diversis caracteribus (…).67 Ibidem, fol. 235r°, initiale C, début du Prologue par saint Jérôme, supportant le texte : Cogor persingulos Scripturae divinae libros adversariorum respondere maledictis/ qui interpretationem meam(…).68 Ibidem, fol. 288v°, initiale C, début du Prologue au Livre de Salomon, et texte inscrit : Cromatio etHeliodoro episcopis Hieronymus (…).69 Selon une approche d’histoire de «  la scène  » et de sa progressive distinction des architectureschrétiennes, telle celle du Tabernacle, St. Lojkine réintroduit le symbolisme des formes et des figuresde la pensée par le biais de la métaphore architecturale, dans « De l’allégorie à la scène : la Vierge-Tabernacle », in B. PEREZ-JEAN et P. EICHEL-LOJKINE (dir.), L’allégorie de l’Antiquité à la Renaissance,Paris, 2004, p. 509-531. Pour une remise en situation historique, à partir de l’examen d’un groupe detextes du XIIe  siècle, au moment charnière de la construction d’une ecclésiologie redynamisée par laréforme de l’Église, voir D. IOGNA-PRAT, « Édification personnelle et construction ecclésiale », in B. M.BEDOS-REZAK et D.  IOGNA-PRAT (dir.), L’individu au Moyen Âge. Individuation et individualisationavant la modernité, Paris, 2005, p.  247-269 et 350-359, en part. p.  252-258 («  La “fabrique” duTabernacle »).70 Sur le balancement entre l’interdisciplinaire et le disciplinaire, voir les travaux réunis par G. ORIGGIet F. DARBELLAY, Repenser l’interdisciplinarité, Genève, 2010.

Pour citer cet article

Référence électronique

Eliana Magnani et Daniel Russo, « Histoire, philosophie, iconographie, humanités numériques :une interdisciplinarité difficile », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA[En ligne], 16 | 2012, mis en ligne le 05 décembre 2012, consulté le 12 février 2013. URL : http://cem.revues.org/12285 ; DOI : 10.4000/cem.12285

À propos des auteurs

Eliana MagnaniCNRS/Artehis-UMR 6298Daniel RussoUniversité de Bourgogne/Artehis-UMR 6298/IUF

Droits d’auteur

© Tous droits réservés

Entrées d’index

Index de mots-clés : interdisciplinarité, Pierre Hadot, exercices spirituels