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histoire byzantine racontant les guerres de justinien
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CHAPITRE PREMIER.I. L'auteur propose son dessein, l'utilit de
son ouvrage, et la fidlit avec laquelle il y a travaill. Il compare
la manire de faire la guerre de son temps avec celle des Anciens.1.
PROCOPE de Csare a crit les Guerres que l'Empereur Justinien a
faites contre les Barbares, tant en Orient qu'en Occident, de peur
que le temps n'ensevelt dans l'oubli, et ne ruint dans la mmoire
des hommes ces exploits signals, dont il est persuad que le
souvenir sera trs utile au sicle prtent, et aux sicles venir,
toutes les fois que la suite des annes ramnera sur le thtre du
monde de pareilles aventures. Les exemples tirs de l'Histoire
peuvent, sans doute, servir beaucoup ceux qui ont envie
d'entreprendre des guerres, et de donner des batailles, puisqu'ils
leur marquent les succs qu'ils en peuvent attendre, en leur mettant
devant les yeux ceux qu'ont eu de semblables entreprises. Il a cru
aussi tre plus capable que nul autre de ce travail, par la seule
raison qu'ayant t du conseil de Blisaire, il a vu comment les
choses se sont passes. De plus, il sait que comme les figures
conviennent aux discours d'loquence, et la fable la posie ; de mme
la vrit est propre l'Histoire. C'est pourquoi il n'a rien dissimul
des fautes de ses amis, mais il a rapport avec une entire fidlit,
et dans la vrit la plus exacte, ce que chacun a fait de bien oun de
mal.
2. Si l'on prend la peine de considrer ces guerres avec soin, on
reconnatra que jamais il ne s'est vu tant de grandeur de courage,
ni tant d'actions hroques. Il est certain que toutes celles dont
nous avons entendu parler, n'ont rien de si merveilleux, si ce
n'est que que quelqu'un de ceux qui liront cet ouvrage affecte de
donner l'avantage l'Antiquit, et se persuade qu'il ne se peut plus
rien faire en notre temps qui mrite d'tre admir. Quelques-uns
appellent, par raillerie, nos soldats des arbaltriers, et rservent
pour les anciens les noms de gens arms de boucliers ; et de
combattants de pied ferme. Ils ne sauraient croire que cette
ancienne vertu soit descendue jusqu' nous. En quoi il est visible
qu'ils font des juges peu clairs, et peu quitables, puis qu'ils ne
prennent pas garde que les archers d'Homre auxquels ce titre tait
donn par quelque sorte d'injure, n'avaient ni chevaux, ni javelots,
ni boucliers, ni aucunes armes dfensives ; qu'ils ne faisaient la
guerre qu' pied, et qu'ils taient obligs de se couvrir du bouclier
de leurs compagnons, ou de se cacher derrire quelque minence; d'o
il leur tait impossible de s'enfuir, et de poursuivre les fuyards.
Ils n'osaient tenir la campagne ; et leur manire de combattre
ressemblait plutt un brigandage, qu' une guerre. Outre ce que je
viens de dire, ils tiraient si mal de l'arc, que leurs coups taient
sans force, et ne pouvaient faire que de lgres blessures. Au
contraire, nos gens de trait ne vont point au combat sans tre
couverts de cuirasses, et de cuissards. Ils portent des flches
attaches au ct droit, et l'pe au ct gauche; Quelques-uns ont une
javeline sur l'paule, et un bouclier sans anse, duquel ils se
couvrent la tte. Ils font si bons hommes de cheval, qu'ils tirent
de tous cots en courant, et frappent leur ennemi, soit qu'il les
poursuive, ou qu'il s'enfuie. Ils lvent leur arc jusqu' la hauteur
du front, et bandant la corde jusqu' ce qu'elle leur touche
l'oreille droite, ils poussent leurs traits avec une telle violence
qu'ils percent tout ce qu'ils rencontrent, sans qu'il y ait de
boucliers, n'y de cuirasses qui y puissent rsister. Cependant, ceux
dont je parle, ne faisant aucune rflexion sur toutes ces choses,
n'ont de l'admiration., et du respect que pour les sicles passs, et
comptent pour rien ce que les modernes ont invent de nouveau pour
perfectionner les arts. Cela n'empche pas toutefois, qu'il ne se
soit fait des actions fort considrables dans ces dernires guerres.
Je commencerai par celles des Romains et des Mdes, desquelles les
succs ont t fort diffrents. Mais auparavant je reprendrai les
choies d'un peu plus haut.CHAPITRE II.I Testament de l'empereur
Arcadius, par lequel il nommait Isdigerde roi de Perse pour tuteur
de son fils Thodose. 2. Isdigerde accepte la. tutelle, et s'en
acquitte avec une merveilleuse fidlit. 3 . Varnane son successeur
entre sur les terres de l'empereur. 4. Anatolius gnral de l'arme
romaine, va au devant de lui, et en obtient la paix.1. L'EMPEREUR
Arcadius se sentant proche de sa dernire heure, dans
Constantinople, et voyant que son fils Thodose tait encore enfant,
se trouva en peine touchant ce qu'il pourrait faire de plus
avantageux pour l'intrt de son tat, et pour celui de ce jeune
prince. D'un ct, il craignait d'tre cause de sa ruine en lui
donnant un compagnon l'Empire, et que ce ne fut lui donner un
ennemi revtu de l'autorit royale ; et de l'autre, il apprhendait
que s'il le laissait seul sur le trne, plusieurs prissent le temps
de son bas ge pour conjurer contre lui, pour s'en dfaire, et pour
usurper la souveraine puissance. Ce qui augmentait sa dfiance, tait
qu'il n'avait aucun parent Constantinople, qui pt tre son tuteur,
et qu'il n'y avait pas lieu d'esprer que son oncle Honorius acceptt
cette charge, cause du mauvais tat o taient ds lors les affaires
d'Italie. Les Mdes ne lui donnaient pas moins d'inquitude, quand il
venait penser que ces Barbares ne manqueraient pas de faire aux
Romains tous les maux possibles. Bien qu'il n'et qu'un esprit fort
mdiocre, nanmoins, dans cette perplexit, soit qu'il suivt le
conseil de quelque homme habile, ou qu'il ft inspir de Dieu, il
prit un avis qui sauva son fils, et son Empire. Par son testament
il nomma son fils Thodose son successeur, et lui donna pour tuteur
Isdigerde roi de Perse, le conjurant par des prires ardentes de
conserver le royaume son pupille. Aprs avoir ainsi dispos des
affaires de son tat et de sa famille, il mourut.2.. Ds auparavant
Isdigerde avait la rputation d'tre un prince gnreux. Mais alors il
donna des marques d'une vertu tout fait rare, et digne des plus
grands loges. Il eut un tel respect pour la dernire volont
d'Arcadius, qu'il entretint la paix avec les Romains et qu'il
conserva l'Empire Thodose. Il crivit au Snat qu'il acceptait la
tutelle, et qu'il dclarerait la guerre ceux qui entreprendraient
quelque chose contre les intrts de son pupille.3. Comme Thodose
tait dj homme fait, et qu'Isdigerde tait mort de maladie, Vararane
son successeur entra avec une puissante arme sur les terres des
Romains, sans y exercer toutefois aucun acte d'hostilit. Voici
comment cela se passa.4. Thodose envoya au devant de lui Anatolius
gnral de l'arme romaine dans l'Orient. D'abord qu'il vit l'arme des
Perses il descendit de cheval, et marcha seul pied. Vararane
l'ayant aperu, demanda ceux qui taient prsents, qui il tait. Ils
rpondirent, que c'tait le chef de l'arme Romaine. Le roi de Perse
touch du respect que lui rendait cet ambassadeur, tourna aussitt la
bride de son cheval, et fut suivi de toute sa nation. Quand il fut
arriv sur ses terres, il l'accueillit humainement, et lui accorda
la paix la condition qu'il la lui demandait, qui tait que ni l'une,
ni l'autre des nations, ne btirait de nouvelles forteresses sur la
frontire. Ce qui ayant t rsolu, les deux princes gouvernrent leurs
tats, chacun comme il leur plt.CHAPITRE III.1. Prose fait la guerre
aux Nephtalites. 2. Description des moeurs de ces peuples. 3. Prose
tombe dans une embuscade. 4. Eusbe ambassadeur de l'empereur Znon
l'avertit par un conte ingnieux, du pril o il tait. 5. Le roi des
Nephtalites lui sauve la vie. 6. Il l'adore extrieurement, et par
le conseil de ses Mages, il rapporte intrieurement l'adoration au
Soleil.1. QUELQUE temps aprs, Prose roi des Perses entreprit la
guerre contrles Nephtalites pour le dfense de ses frontires, et
leva contre eux une arme trs considrable.2. Ces peuples sont
compris sous le nom des Huns, bien qu'ils n'aient aucun commerce
avec les Huns qui nous sont connus, et que bien loin d'tre leurs
voisins, ils le soient des Perses du cot du Septentrion proche
d'une petite ville nomme Gorgo. Ils prennent souvent les armes au
sujet de leurs limites ; car ils ne sont pas errants comme les
autres, mais ils sont tablis dans un bon pays, d'o ils ne forcent
jamais, et ils ne font pas mme d'irruption sur nos terres, si ce
n'est quelquefois avec les Mdes. Il n'y a qu'eux de tous les Huns
qui soient blancs de visage, et qui n'y aient rien de difforme. Ils
se conduisent aussi d'une faon bien diffrente de celle des autres,
et ils ne mnent pas comme eux une vie semblable celle des btes.
Leur tat est monarchique, et gouvern par de bonnes lois. Ils ne
gardent pas moins d'quit et de justice dans les traits qu'ils sont
entre eux, et avec les trangers, que les Romains, et tous les
autres peuples du monde. Les plus riches choisissent jusqu' vingt,
et quelquefois davantage de leurs amis, qui ils donnent leur table,
et l'usage de tous leurs biens ; mais quand un de ces hommes riches
meurt, la coutume est, que tous les amis qu'il a choisis soient
enterrs tous vivants avec lui dans son tombeau.3. Lorsque Prose
marcha contre les Nephialites, il avait sa fuite un ambassadeur de
l'empereur Znon, nomm Eusbe. Les Nephtalites firent semblant
d'apprhender la venue de leurs ennemis, et s'enfuirent dans un lieu
tout environn de montagnes entrecoupes, et couvertes de forts. Il
paraissait au milieu un chemin assez large, mais qui n'avait point
d'issue, et qui se terminait ce cercle de montagnes. Prose
poursuivait tmrairement les ennemis, sans songer qu'il tait sur
leurs terres, et sans se dfier d'aucun pige. Un fort petit nombre
de Huns fuyaient devant lui : les autres s'taient cachs dans les
lieux les plus pais, et les plus embarrasss, afin de venir charger
son arme, lorsqu'elle se serait engage si avant dans cette chane de
montagnes, qu'elle ne pourrait plus s'en retirer. Les Mdes ne
s'aperurent du danger, que quand il fut tout vident, mais le
respect qu'ils avaient pour Prose, les empcha de tmoigner leur
crainte; si bien qu'ils prirent Eusbe d'avertir le roi du pril dont
ils taient menacs, et de l'exhorter de pourvoir plutt leur scurit,
que de faire paratre de la hardiesse hors de raison.4. Eusbe ayant
aborde le roi, ne lui proposa pas nment la chose mais il commena
son discours par le rcit d'une fable.Un lion, dit-il, ayant un jour
rencontr un bouc qui blait, et qui tait attach un endroit lev,
voulut y sauter, pour dvorer une si borne proie ; mais au lieu de
l'attraper il tomba lui-mme dans une fosse trs profonde, qui avait
t faite exprs par le matre du bouc, de telle sorte que l'entre en
tait fort troite, creuse en rond, et sans issue.
Quand Prose et entendu ce discours, il commena apprhender de s'tre
engag trop avant pour son malheur la poursuite des ennemis, et il
s'arrta pour dlibrer sur ce qu'il y avait faire. Cependant, les
Huns venaient par derrire, et s'emparaient des pas des montagnes
pour lui empcher la retraite. Alors les Mdes reconnaissant le
danger extrme o ils taient, dplorrent leur misre,et perdirent toute
esprance.5. Le Roi des Nephtalites envola quelques-uns de ses gens
reprocher Prose la tmrit, qui le faisait prir si honteusement avec
toute sa nation, et lui offrir de leur sauver la vie tous, s'il
voulait se prosterner devant lui, l'adorer comme son Seigneur, et
promettre avec serment que les Perses ne feraient jamais la guerre
aux Nephtalites. Prose demanda aux Mages qui taent sa fuite, s'il
devait accepter les conditions qui lui taient offertes. Les Mages
rpondirent qu' l'gard du serment, il pouvait le concevoir comme il
lui plairait ; mais qu'au reste, il fallait user d'adresse, et
tromper l'ennemi : Que la coutume de leur pays tant d'adorer tous
les matins le Soleil levant, il devait prendre ce temps-l pour
aller trouver le roi des Nephtalites, se jeter terre pour adorer le
Soleil, et viter par ce moyen la honte, et le reproche d'avoir ador
son ennemi.6. Il fit le serment, et se prosterna de la manire que
les Mages le lui avaient conseill. Puis il s'en retourna en son
pays, fort aise d'avoir sauv son arme.CHAPITRE IV.I. Seconde
expdition de Prose. 2. Stratagme des Nephtalites. 3. Dfaite des
Perses. 4. Histoire d'une Perse de Prose. 5. Loi publie l'occasion
de cette dfaite. 6.Cavade le plus jeune des fis de Prose succde son
royaume.1. INCONTINENT aprs, se souciant fort peu de son serment,
il rsolut de se venger. Il assembla donc une puissante arme de
Perses, et d'autres peuples ses allis, mena avec lui tous ses fils
au nombre de trente, et n'en laissa qu'un seul nomm Cavade, qui
n'tait pas encore en ge d'aller la guerre. Lorsque les Nehptalites
apprirent ces grands prparatifs, ils entrrent dans une furieuse
colre d'avoir t tromps par leurs ennemis, et accusrent leur roi
d'avoir trahi les intrts de l'tat. Ce Prince ne faisant que rire de
ces accusations, leur demanda, si c'tait les terres, les armes, ou
les finances, qu'il avait livres aux Mdes. Non, rpondirent-ils,
mais c'est l'occasion dont toutes les autres choses dpendent. Ils
offrirent nanmoins, d'aller au devant des ennemis : mais le roi les
retint, parce qu'il n'avait point reu de nouvelles de leur marche,
et qu'ils taient encore dans leur pays. Voici cependant ce qu'il
fit.2. Il commanda de creuser un foss d'une largeur, et d'une
profondeur extraordinaire, dans une vaste campagne par o les Perses
devaient passer pour venir sur les terres des Nephtalites, et il ne
laissa qu'un espace dans le milieu, tel qu'il le fallait pour
passer de front dix hommes cheval. Ensuite, il fit couvrir le foss
avec des roseaux, et de la terre, et avertit ceux des siens qui
devaient aller battre la campagne de serrer leurs rangs, et de
marcher lentement lorsqu'ils seraient arrivs l'espace qui avait t
laiss pour leur servir de passage, et de prendre garde de ne pas
tomber dans le foss. Il fit aussi attacher au haut de son tendard
le sceau par lequel Prose s'tait parjur. Tant qu'il sut que les
ennemis taient encore dans leur pays il demeura en repos ; mais du
moment qu'il apprit de ses espions qu'ils taient aux environs de
Gorgo, qui est la dernire de leurs villes, et qu'ils approchaient
de ses terres, il se plaa au del du foss avec la plus grande partie
de ses troupes, et en fit avancer une petite partie, avec ordre de
ne faire que se montrer, et s'en revenir l'instant, et de se
souvenir de l'avis qu'il leur avait donn touchant le partage.
Ceux-ci ne manqurent pas d'excuter ce qui leur avait t command, de
serrer leurs rangs quand ils furent proche du foss, et de rejoindre
l'arme.3. Les Perses qui ne le dfiaient de rien, et qui couraient
toute bride au milieu de la campagne, tombrent dans le prcipice,
tant ceux qui venaient les premiers, que ceux qui marchaient aprs.
Car comme ils poursuivaient les fuyards avec grande ardeur, ils ne
s'apercevaient pas de la chute de ceux qui allaient devant eux, et
tombant dessus avec leurs chevaux, ils les tuaient, et se tuaient
aussi eux-mmes. Prose fut envelopp dans le mme malheur avec tous
ses enfants. On dit qu'en tombant, il jeta une perle d'une
extraordinaire grosseur qu'il avait l'oreille gauche, afin que
personne ne la portt aprs lui. C'tait une pice d'une merveilleuse
beaut, et aucun prince n'en avait jamais eu de pareille. Pour moi,
cette histoire ne me parat pas croyable. Il me semble que dans une
telle conjoncture, Prose ne pouvait songer qu'au danger o il se
trouvait et je me persuaderais plutt qu'il aurait eu l'oreille
dchire dans une telle confusion, et que la perle se serait perdue.
L'Empereur fit ce qu'il pt pour l'acheter des Nephtalites : mais ce
fut en vain. Car ces Barbares ne la purent trouver, quelque peine
qu'ils prissent la chercher. Quelques-uns disent qu'ils la
trouvrent, mais qu'ils en supposrent une autre qu'ils vendirent
Cavade. Il ne sera pas mal propos de rapporter en cet endroit ce
que les Perses racontent de cette perle : Le rcit n'en sera pas
dsagrable.4. Ils disent qu'elle tait sur les bords de la mer
persique dans un poisson, qui entr'ouvrant sa coquille faisait voir
dans le milieu le plus bel objet du monde ; car jamais on n'en
avait vu d'une blancheur si admirable, et d'une grosseur si
extraordinaire. Un chien marin d'une prodigieuse grandeur prenait
tant de plaisir la regarder, qu'il la suivait jour et nuit, lorsque
press par la faim il tait contraint de repatre, il se jetait sur
quelque proie, et aprs l'avoir dvore il retournait incontinent
jouir de la vue d'un si charmant objet. Ils ajoutent, qu'un pcheur
observa tout ceci ; mais que la crainte du chien l'empchant de rien
hasarder, il le contenta de l'aller dire Prose,qui cont l'instant
un violent dsir de possder cette perle, usant de toutes sortes de
caresses, et de promesses pour obliger le pcheur la conqurir. On
dit que ne pouvant rsister de si fortes instances il lui parla en
ces termes.Seigneur, les hommes aiment bien l'argent, ils aiment
encore mieux la vie, mais ils aiment par dessus tout leurs enfants.
La violence de cette passion les porte a tout entreprendre, et tout
oser. J'espre vaincre le chien marin, et vous rendre matre de la
perle. Que si je puis y russir, je serai riche toute ma vie; car je
ne doute point qu'tant le roi des rois comme vous tes, vous ne me
donniez d'amples rcompenses. Mais quand vous ne m'en donneriez
point, je serais assez satisfait avoir rendu service mon prince. Si
ma destine est de servir de proie ce monstre, il sera de votre bont
de rcompenser mes enfants de la perte qu'ils auront faite de leur
pre. Ainsi, la mort mme me sera utile, et votre libralit n'en sera
pas moins glorieuse. En faisant du bien met enfants, vous m'en
serez moi mme. Il est vrai que je ne serai plus en tat de le
ressentir: mais il n'est pas moins vrai aussi qu'il n'y a point de
bienfaits si sincres, que ceux, que l'on accorde la mmoire des
morts qui ne les peuvent plus reconnatre.Ayant parl peu prs de
cette sorte, il s'en alla l'endroit o la perle avait accoutum
d'tre, et o le chien marin avait accoutum de la garder. Il s'assit
sur un rocher pour attendre le temps qu'elle ne serait plus garde
avec tant de soin. Le chien s'tant un peu dtourn pour manger une
proie qu'il avait prise, le pcheur l'endroit la perle, la prit, et
se hta de gagner le bord. Mais dans ce mme moment, tant poursuivi,
il la jeta ceux qui l'attendaient terre, et il ft atteint par le
chien marin qui le tua. Ceux qui reurent la perle sur le rivage, la
portrent au Roi, et lui racontrent comment tout s'tait pass. Voil
ce que les Perses disent de cette perle. Je reprends malmenant la
suite de mon Histoire.Ce fut ainsi que prit Prose et toute l'arme
des Perses : ceux qui ne tombrent pas dans le foss, tant tombs
entre les mains des ennemis.5. Depuis ce temps-l, ils firent une
loi, par laquelle il leur tait dfendu de poursuivre un ennemi sur
les terres, quand mme il s'enfuirait en droute.6. Ceux qui
n'avaient pas suivi Prose dans cette guerre, lurent Cavade pour
leur Roi, le seul qui tait rest de tous ses enfants. Alors les
Perses furent tributaires des Nephtalites jusqu' ce que Cavade
rtablit les affaires de son royaume, et se dlivra de ce joug.
Cependant, les Perses demeurrent deux ans dans cette honteuse
sujtion.CHAPITRE V.1. Cavade publie une loi pour rendre toutes les
femmes communes. 2. Il est dpos par ses sujets, qui lisent Blase en
fa place, et l'enferment dans le fort de l'oubli. 3. Origine de ce
nom. 4. Fin tragique d'Arsace, roi d'Armnie.[1] CAVADE se servant
de son pouvoir pour exercer toutes sortes de violences, introduist
dans l'tat plusieurs nouveauts dangereuses, et entre autres il fit
publier une loi pour rendre toutes les femmes communes.2. Les
Perses ne pouvant plus souffrir une si grande infamie, se
soulevrent contre lui, le dposrent, l'enfermrent dans une troite
prison, et lurent en sa place Blase frre de Prose. Ce dernier
n'avait point laiss d'autre enfant mle que Cavade, comme je l'ai dj
dit : Et il n'tait pas permis d'lever un particulier la dignit
royale, sinon lorsqu'il n'y avait plus personne de la famille des
Rois. Aussitt que Blase eut pris en main le gouvernement, il
assembla les principaux d'entre les Perses pour dlibrer de ce que
l'on ferait de Cavade. Il y eut plusieurs opinions diffrentes. La
plupart taient d'avis de lui conserver la vie. Un des plus
considrables nomm Gusanastade qui avait une charge de Charanange,
c'est dire, de commandant des troupes d'une province frontire, et
voisine des Nephtalites, s'avana au milieu de l'assemble, et
montrant un petit couteau dont les Perses ont accoutum de rogner
leurs ongles, il dit :Ce couteau suffit pour l'affaire sur laquelle
nom dlibrons, mais si vous diffrez longtemps, vingt mille hommes
des mieux arms ne seront pas capables de la terminer.Il voulait
faire entendre par ce discours, que s'ils ne se dfaisaient
promptement de Cavade, il leur donnerait beaucoup de peine.
Nanmoins, ils eurent horreur de tremper leurs mains dans le sang
royal, et se contentrent d'ordonner qu'il serait mis dans le chteau
de l'oubli.3. Il y a une loi qui dfend fous peine de la vie, de
parler de ceux qui y sont enferms, et mme de nommer leur nom,
l'histoire d'Armnie rend raison de l'imposition de ce nom, et
remarque par quelle rencontre l'on contrevint une fois cette loi.
Voici ce qu'elle en rapporte :4. Il y eut autrefois une guerre
opinitre qui dura trente-deux ans entre les Perses et les Armniens,
tandis que ceux-ci taient commands par Arsace descendu des
Arsacides, et ceux-l par Pacurius. La continuation de cette guerre
causait une infinit de maux ces deux peuples, mais surtout aux
Armniens. Leur dfiance mutuelle tait venue tel point, qu'ils
n'osaient plus s'envoyer d'ambassadeurs. Les Perses ayant
entrepris, dans le mme temps, une autre guerre contre un certain
peuple voisin de l'Armnie, les Armniens, pour tmoigner leur
affection envers les Perses, et le dsir d'avoir la paix avec eux,
rsolurent de faire irruption sur les terres de ces Barbares, et
ayant donn avis aux Perses de leur dessein, ils firent passer ces
misrables par le tranchant de l'pe, sans distinction de sexe, ni
d'ge. Pacurius, ravi de cette expdition, envoya prier Arsace de le
venir voir. Il le reut trs civilement, et le traita comme son frre,
et son gal. Ensuite, il lui fit promettre avec serment et lui
promit aussi de mme, que les Perses et les Armniens
entretiendraient une paix inviolable: aprs quoi il le renvoya;
Arsace fut accus, peu de temps aprs, d'avoir form de nouveaux
projets de guerre. Pacurius ajoutant foi cette accusation, le
manda, comme pour tenir conseil sur les affaires publiques. Arsace
le vint trouver incontinent accompagn des plus braves hommes qui
fussent parmi les Armniens, et entre autres de Basicius qu'il avait
choisi cause de la grandeur de son courage, et de la sagesse de sa
conduite pour commander les troupes, et pour prsider ses conseils.
Pacurius leur reprocha tous deux leur trahison, et d'avoir viol
leur ferment presque aussitt qu'ils l'avaient fait. Ils nirent
constamment le crime dont il les accusait. Il les fit mettre
d'abord dans une honteuse prison ; puis il consulta les Mages
touchant ce qu'il en devait ordonner. Les Mages rpondirent que l'on
ne les pouvait condamner, puisqu'ils n'avouaient rien, et qu'ils
n'taient pas convaincus; mais qu'ils lui donneraient un moyen de
forcer Arsace se dnoncer soi-mme. Que pour cela, il n'y avait qu'
couvrir la surface de sa tente avec de la terre, dont une moiti ft
tire du pays des Armniens, et l'autre de celui des Perses. Quand
cela et t excut, les Mages firent quelques crmonies de leur art,
dans toute l'tendue de la terne, et dirent au Roi qu'il s'y proment
avec Arsace, et qu'en se promenant, il l'accust d'avoir contrevenu
aux traits : Qu'il fallait qu'ils fussent prsents tout ce qui se
dirait de part et d'autre. Pacurius ayant mand Arsace, le promena
avec lui dans la tente, en la prsence des Mages, et lui demanda,
pourquoi il avait viol son serment, et tch de jeter les Perses, et
les Armniens dans de nouvelles misres. Tandis qu'Arsace parla sur
la terre qui avait t tire de la Perse, il nia tout ce qui lui tait
impos, et assura qu'il tait toujours demeur attach aux intrts de
Pacurius. Mais lorsqu'en parlant il arriva au milieu de la tente,
et qu'il toucha la terre d'Armnie, soudain, comme s'il et t violent
par je ne sais quelle puissance, il changea de langage, et menaa
hautement de se venger ds qu'il en aurait le pouvoir. Il continua
les menaces tant qu'il marcha sur la terre d'Armnie ; mais aussitt
qu'il fut revenu sur celle des Perses, il devint soumis Pacurius,
et lui parla avec des termes pleins d'honneur, et de respect. Quand
il retourna sur la terre d'Armnie il recommena les menaces ; et
ayant plusieurs fois chang de la sorte, il dcouvrit ce qu'il avait
dans le cur. Alors les Mages le condamnrent comme un violateur de
ses promesses, et comme un parjure. Pacurius commanda d'corcher
Basicius, de remplir la peau de paille et de l'attacher un arbre :
Pour ce qui est d'Arsace comme il n'tait pas permis de le faire
mourir, cause qu'il tait de la maison royale, il le mit dans la
prison de l'oubli. Il arriva dans le mme temps, qu'un certain
Armnien, ami intime d'Arsace, et qui l'avait suivi dans la Perse,
combattit si vaillamment contre les Barbares, et se signala de
telle sorte en prsence de Pacurius, qu'il contribua beaucoup la
victoire des Perses. Pacurius lui promit en rcompense tout ce qu'il
lui voudrait demander. Il lui demanda permission de servir Arsace
un jour entier de la manire qu'il lui plairait. Le Roi eut un
extrme dplaisir de le voir oblig de violer une loi aussi ancienne
qu'tait celle du chteau de l'oubli. Nanmoins, pour ne pas manquer l
parole, il consentit ce que lui demandent l'Armnien, qui alla
aussitt dans le chteau de l'oubli, o il salua Arsace. Ils
s'embrassrent si troitement, en mlant les larmes que chacun d'eux
versait sur le mauvais tat de leur fortune, qu'ils furent quelque
temps sans pouvoir se sparer. Mais enfin, quand ils furent las de
pleurer, l'Armnien lava Arsace, le couvrit d'un habit royal, et le
plaa sur un lit magnifique. Arsace fit ensuite un festin fort
superbe, et qui avait tout l'clat, et toute la pompe de son
ancienne grandeur. Il entendit pendant le repas divers discours,
qui lui plurent extrmement. Ce charmant entretien et la bonne chre
ayant dur la plus grande partie de la nuit, les convives se
sparrent fort satisfaits d'un si agrable divertissement. On
rapporte qu'Arsace dit alors, qu'aprs s'tre si bien rjoui dans la
compagnie du plus cher de ses amis, il ne pouvait plus supporter
les outrages de la fortune; et qu'il se tua d'un couteau qu'il
avait pris exprs sur la table. L'Histoire des Armniens tmoigne
qu'il mourut de cette sorte, et qu'en cette occasion l'on
contrevint la loi qui est tablie parmi les Perses touchant le
chteau de l'oubli. Il faut retourner maintenant au sujet que
j'avais quitt.CHAPITRE VI.I. Cavade s'chappe de prison sous les
habits de sa femme. 2.. Se retire chez les Nephtalites et y lve une
arme pour se rtablir dans son royaume. 3. Fait crever les yeux
Blase. Fait mourir Gusanastade, et donne sa charge de Charanange
Adergudambade, et celle d'Arastudaransalane Sose.1. La femme de
Cavade avait un soin particulier de lui pendant sa prison, et lui
portait toutes les choses dont il avait besoin. Comme elle tait
extrmement belle, le capitaine du chteau en devint amoureux, et lui
fit connatre sa passion, Cavade commanda sa femme de lui accorder
tout ce qu'il dsirerait ; de sorte qu'en ayant joui, et la
jouissance ayant augment son amour, il lui permit d'entrer dans la
prison, et d'en sortir quand il lui plairait. Il y avait parmi les
Perses un galant homme nomm Sose, ami intime de Cavade qui ne
bougeait des environs du chteau pour pier l'occasion de le sauver,
et qui lui avait fait dire par sa femme, qu'il l'attendait avec des
chevaux tous prts pour ce dessein. Lorsque la nuit fut venue,
Cavade persuada fa femme de lui donner ses habits, de prendre les
siens, et de demeurer en sa place dans la prison. Il sortit par
cette adresse, et passa au milieu des gardes qui crurent que c'tait
sa femme. Quand ils la virent le lendemain assise dans la prison,
et vtue des habits de son mari, ils s'imaginrent que c'tait lui, et
ils demeurrent dans cette opinion durant plusieurs jours, pendant
lesquels il eut le loisir de s'loigner. Je ne saurais dire au vrai
ce qui arriva la femme, lorsque la tromperie fut dcouverte, ni de
quelle manire elle eu fut punie, parce que les Perses n'en
conviennent pas. C'est pourquoi je n'en parlerai point.
2.. Cavade accompagn de Sose, arriva sans tre dcouvert dans le pays
des Nephtalites, o ayant. pous la fille du Roi, et lev de
puissantes troupes, il revint en Perse, et y jeta une telle terreur
de ses armes que ses ennemis n'osrent paratre. Comme il tait dans
une province dont Gusanastade tait gouverneur, il lui chappa de
dire, qu'il en donnerait le gouvernement celui qui viendrait le
premier, ce jour-l, se soumettre lui. A peine avait-il prononc
cette parole, qu'il s'en repentit cause de la loi qui dfend aux
Perses d'ter une charge d'une famille, pour la donner un tranger :
Et il apprhendait d'tre l'alli de quelqu'un qui ne ft pas parent du
gouverneur, et d'tre oblig de contrevenir la loi pour satisfaire sa
promesse. Comme il avait l'esprit occup de cette pense, il se
prsenta lui une heureuse occasion d'accomplir en mme temps l'une et
l'autre. Adergudombade parent de Gusanistade jeune homme renomm
pour sa valeur, vint le premier se prosterner devant lui, pour
l'adorer en qualit de Roi, et pour l''assurer de la fidlit de ses
services.3. Cavade se rendit ensuite matre du royaume, et ayant
pris Blase, lui fit perdre la vue de la manire que les Perses ont
accoutum de la faire perdre aux criminels, en leur versant de
l'huile bouillante dans les yeux, ou bien en les leur perant avec
un fer chaud. Il le mit depuis en prison, aprs qu'il et rgn deux
ans.4. Pour ce qui est de Gusanstade il le fit mourir, et donna sa
charge de Charanange Adergudombade son parent. Il donna celle
d'Adrastudaran salana, c'est dire, de chef de tous les officiers de
la Justice, et de la Guerre Sose, qui fut tout ensemble et le
premier, et le seul qui reut cet honneur, aucun autre ne l'ayant
reu ni avant lui, ni depuis. Comme Cavade tait fort habile, il n'et
pas de peine conserver le royaume qu'il avait conquis.CHAPITRE
VII.1. Cavade entreprend la guerre contre les Romains, pour se
venger de ce que l'Empereur Anastase avait refus de lui prter de
l'argent. 2. Il assige la ville d'Admide. 3. La. surprend par un
endroit mal gard par des moines la nuit d'aprs une fte. 4. Furieux
carnage des habitants, apais par la sage remontrance qu'un prtre
fit au vainqueur.1. COMME Cavade devait de l'argent au Roi des
Nephtalites, et qu'il n'avait pas de quoi le payer, il en voulut.
emprunter d'Anastase, qui consulta sur cette affaire quelques-uns
de ses amis, dont l'avis fut, qu'il n'tait pas propos qu'il lui en
prtt, et qu'il contribut de ses finances fortifier l'alliance de
ses ennemis, entre lesquels il avait plutt intrt de jeter des
semences de division. Ce fut pour cet unique sujet que Cavade se
rsolut de faire la guerre aux Romains, et que sans la leur avoir
dclare, il descendit sur les terres des Armniens, et y faisant
toute sorte de dgts, entra dans la Msopotamie jusqu' la ville
d'Amide, o il mit le sige durant les plus grandes rigueurs de
l'hiver. Bien que les habitants, surpris au milieu de la paix,
n'eussent ni troupes, ni provisions, ils ne voulurent pas toutefois
se rendre: mais ils le prparrent une dfense plus vigoureuse, que
l'on ne l'et jamais os esprer.Il y avait parmi les Syriens, un
homme de rare vertu nomme Jacques, qui tait perptuellement occup
aux exercices de la pit, et qui pour y vaquer uniquement, s'tait
renferm il y avait dj longtemps dans un petit endroit du territoire
des Endisiens, loign seulement d'une lieue de la ville d'Amide.
Quelques personnes du pays, pour favoriser un si louable dessein,
avaient fait une clture sa cellule avec grilles, dont les barreaux
n'taient pas si prs prs, que ceux qui le venaient visiter ne
pussent aisment le voir, et lui parler au travers: Ils l'avaient
aussi couverte d'un petit toit pour la garantir des pluies, des
neiges, et ds autres injures de l'air. L il endurait avec une
patience merveilleuse les incommodits du chaud, et du froid : ne
vivait que de lgumes, et s'abstenait quelquefois, durant plusieurs
jours de toute sorte de nourriture.. Quelques Nephtalites qui
battaient la campagne, l'ayant aperu se mirent en devoir de tirer
sur lui ; mais leurs mains demeurrent comme attaches leur arc, et
prives de tout mouvement. Le bruit d'un si grand miracle s'tant
rpandu dans l'arme, et tant venu jusqu'aux oreilles de Cavade, il
voulut en tre lui-mme spectateur. Il le vit avec un extrme
tonnement, et pria Jacques d'avoir la bont de pardonner aux
Barbares. Le saint solitaire les dlivra l'instant de leur mal, par
une seule parole. Alors, Cavade lui offrit de lui donner tout ce
qu'il dsirerait, et se vanta follement de ne lui rien refuser,
s'imaginant qu'il lui demanderait de l'argent. Mais il ne lui
demanda que la sret de ceux qui se rfugieraient chez lui ; ce que
Cavade lui accorda par des lettres qu'il fit expdier. Quand cela
fut su dans le pays, plusieurs s'y retirrent et y conservrent leur
vie, et leurs biens. Voila ce qui regarde ce fait-la.2. Cavade
poursuivait cependant le sige, et battait divers endroits des
murailles avec des bliers, dont les assigs tchaient de rompre le
coup par des pices de bois, qu'ils opposaient en travers. Il
continua toujours la batterie jusqu' ce qu'il reconnut qu'elle tait
inutile, et qu'aprs plusieurs attaques redoubles, la muraille tait
aussi entire qu'avant le sige, tant elle avait t solidement btie.
Renonant donc ce dessein, il en forma un autre, qui fut d'lever une
plate-forme plus haute que les travaux. Les habitants firent une
mine contre la plate-forme, et tirrent une grande quantit de terre
par dessous, sans qu'il en part rien au dehors. Les Perses y
montaient sans crainte, et en tiraient incessamment contre la
ville. Un jour qu'ils y taient accourus en plus grande foule que de
coutume, la plate-forme tomba soudain, et presque tous ceux qui s'y
trouvrent furent envelopps sous les ruines. Cavade troubl d'un si
fcheux succs, rsolut de lever le sige, et publia la retraite pour
le lendemain. Alors, les assigs, dlivrs du danger, commencrent
railler les Perses, et quelques femmes publiques eurent l'impudence
de lever leurs jupes pour montrer Cavade ce qu'il n'est pas honnte
de regarder. Les Mages ayant remarqu cette action, empchrent la
leve du sige, et assurrent que c'tait une marque que bientt les
assigs dcouvriraient ce qu'ils avaient de plus cach.3. Quelques
jours aprs, un certain Perse ayant aperu proche d'une tour l'entre
d"une vieille mine mal rebouche, et couverte seulement d'un tas de
cailloux, il y entra seul durant la nuit, et alla jusques dans la
ville. Le lendemain il en donna avis Cavade, qui la nuit suivante y
fit apporter des chelles, et y alla avec un petit nombre de les
gens. En cette occasion, Ia fortune lui fut merveilleusement
favorable. La tour, qui touchait la mine, tait garde cette nuit-l
par ceux d'entre les chrtiens., qui font profession de vivre avec
une plus grande svrit que les autres, et qui sont communment appels
Moines. Le jour prcdent ils avaient clbre une fte, que l'on
solennise tous les ans, et soit qu'ils fussent fatigus du travail,
ou qu'ils eussent plus bu,et plus mang que d'ordinaire, quand la
nuit fut venue, ils se laissrent tellement accabler du sommeil,
qu'ils n'entendirent rien de tout ce qui se passait. Les Perses
tant entrs l'un aprs l'autre par la mine, montrent dans la tour, et
turent tous les moines qu'ils y trouvrent encore endormis. Cavade
en ayant t averti, commanda l'instant de dresser les chelles ; mais
comme il tait dj grand jour, ceux qui gardaient la tour voisine
vinrent au secours. On combattit en cette rencontre avec beaucoup
d'ardeur. Les Amideniens, qui avaient l'avantage du nombre, avaient
tu d'abord plusieurs de leurs ennemis, et semblaient tre hors de
danger, lorsque Cavade tenant l'pe nue la main, pressa ses soldats
de monter aux chelles, et fit tuer sur le champ tous ceux qui
voulaient descendre : ce qui fut cause que les Perses prirent la
place de force, aprs qu'elle eut soutenu quatre-vingts jours de
sige.4. On fit un grand carnage des habitants, jusqu' ce que Cavade
tant entr dans la ville un prtre fort g prit la libert de lui
remontrer, que ce n'tait pas une action digue d'un roi, que de
maltraiter des vaincus. Le roi encore tout transport de colre, lui
rpondit :Pourquoi avez-vous tenu si longtemps contre mon arme ?
C'est, rpliqua-t-il, que Dieu voulait que vous vous rendissiez
matre de cette ville par la force de vos armes, et non pas par un
effet de notre choix.Cavade, adouci par ces paroles, d-fendit de
tuer davantage. Il abandonna nanmoins tout au pillage, et donna ses
soldats les Perses qui avaient t faits prisonniers, aprs en avoir
rserv un petit nombre des plus apparents. Il y laissa mille hommes
eu garnison, dont il donna le commandement Glone, Persan de nation,
il y laissa aussi quelques pauvres misrables pour porter aux Perses
les provisions qui leur seraient ncessaires. Il ramena ensuite son
arme, et ses prisonniers. Certes, il eut pour eux une bont toute
royale, de leur permettre de retourner en leur pays. L'empereur
Anastase leur donna aussi des marques de sa libralit, en leur
remettant pour l'espace de sept ans tous les impts que la ville
avait accoutum de payer, et en comblant, en particulier, et en
gnral, les habitants de tant de bienfaits, qu'ils eurent sujet
d'oublier toutes leurs disgrces ; mais ce ne fut pourtant que
longtemps aprs.CHAPITRE VIII.1. LA multitude des commandants de
l'arme Romaine, et leur mauvaise intelligence. 2. Appion trsorier
de l'arme. 3 . Fuite honteuse d'Areobinde. 4. Dfaite de Patrice, et
d'Hypatius. 4. Irruption de Celer dans le pays des Arzamniens.1. Ds
que l'Empereur Anastase apprit la nouvelle du sige d'Amide, il y
envoya des troupes considrables, avec un tel nombre de commandants,
que chaque brigade avoir le sie. Il y avait quatre gnraux d'arme,
savoir ; Areobinde chef des armes d'Orient, gendre d'Olibrius, qui
avait autrefois possd l'Empire d'Occident; Celer capitaine, ou
comme les Romains l'appellent, Matre des Gardes, Patrice, Phrygien
de nation ; Hypatius neveu d'Auguste. Ces deux derniers taient
capitaines des compagnies de Constantinople. A ces quatre qui
avaient le commandement gnral, plusieurs autres s'taient joints :
comme Justin qui succda depuis Anastase ; Pacriciole ; Vitalien,
qui voulut peu aprs usurper l'autorit souveraine ; Pharesmane,
Colque de nation, excellent homme de guerre; Godidicle, et Sbesas,
Gots, qui n'avaient pas voulu suivre Thodoric quand il passa de
Thrace en Italie; & plusieurs autres vaillants hommes. Jamais
les Romains n'ont lev, ni devant, ni depuis, une arme si
considrable contre les Perses. Elle ne marchait pas en un seul
corps, parce que les chefs avaient voulu conduire leurs troupes
sparment.2. Appion gyptien en tait trsorier. C'tait un des
principaux ornements du Snat, un homme vigilant et exact, et qui
Anastase avait fait l'honneur de l'associer par lettres l'Empire,
afin de lui donner une plus grande autorit dans l'administration
des Finances.Comme il avait fallu beaucoup de temps pour lever une
arme aussi nombreuse que celle-l, et qu'elle n'avait pu marcher qu'
trs petites journes, elle ne rencontra plus l'ennemi sur les terres
de l'Empire. Il s'tait content d'y faire le dgt, et s'tait retir
avec un riche butin. Aucun des chefs ne voulut entreprendre le sige
d'Amide parce qu'ils apprirent que ceux qui la gardaient, y avaient
port des provisions en abondance, Ils aimrent mieux aller fourrager
les terres des Perses. Leurs forces n'taient pas nanmoins
unies,mais ils marchaient et campaient chacun part. Cavade, qui
tait proche, en ayant en avis, s'avana en diligence vers les
frontires. Les Romains ne croyaient pas qu'il ment toutes ses
troupes. Ils croyaient que ce n'tat qu'un parti. Areobinde tait
camp dans les terres des Arzameniens deux journes de Constantine ;
Patrice et Hypatius dans un lieu nomm Siphrios, qui n'est qu'
trente-cinq stades d'Amide : Celer n'tat pas encore arriv.3. Quand
Areobinde apprit que Cavade venait avec toute son arme, il
abandonna le camp, et s'enfuit Constantine avec les siens.
Incontinent aprs, les Perses survinrent, qui trouvant le camp
abandonne, le pillrent, et marchrent l'heure mme contre les autres
troupes romaines. Patrice et Hypatius avaient rencontr, dans le mme
temps, huit cents Nephtalites spars du reste de l'arme, et les
avaient taills en pices ; de sorte qu'enfls d'un si heureux succs,
et se tenant moins sur leurs gardes, ils avaient mis bas leurs
armes et se prparaient manger. Proche du lieu o ils taient, il y
avait un ruisseau o ils lavaient les viandes, et o quelques-uns se
baignaient. Cavade apprit cependant la dfaite des Nephtalites, et
cela le fit marcher en plus grande diligence.
4. Quand il vit l'eau du ruisseau trouble, il jugea bien d'o cela
procdait, et s'assura que l'ennemi n'tait pas en tat de lui
rsister. Il commanda donc de doubler le pas, et surprit les Romains
mangeant, et sans armes. Bien loin de soutenir le choc des Perses,
ils n'essayrent pas seulement de se dfendre ; mais ils prirent tous
la fuite. Les uns furent poursuivis, et tus ; les autres gagnrent
une colline, de laquelle ils se prcipitrent. On dit que personne
n'en chapa que Patrice et Hypatius, qui ds le commencement avaient
trouv moyen de se sauver.Cavade ayant reu nouvelle que les Huns
faisaient irruption sur ses terres, mena toutes ses troupes contre
eux et leur fit longtemps la guerre dans le Septentrion. Sur ces
entrefaites, l'autre arme Romaine arriva; mais elle n'excuta
pourtant rien de remarquable, parce qu'elle n'tait pas conduite par
un seul gnral, mais qu'elle avait divers chefs, qui taient de
divers avis, et qui ne pouvaient jamais ni former, ni excuter aucun
dessein d'un commun consentement.5. Celer ayant fait passer son
arme le fleuve Nymphius, qui coule proche de Martiropolis, et qui
est a trois cens stades d'Arnide, entra dans le pays des
Arzamniens, le fourragea, et s'en revint.CHAPITRE IX.1. Les Romains
assigent Amide. 2. Le gouverneur de cette ville est attir par un
paysan dans une embuscade. 3. Son fis, pour le venger, brle l'glise
de S. Simon. 4. Les Romains prennent la ville par argent, 5. Grande
abstinence des Perses. 6. Trve de sept ans.1. AREOBINDE revint
ensuite Constantinople par l'ordre de l'Empereur, et les autres
chefs allrent au milieu de l'hiver mettre le sige devant Amide. Ils
firent divers efforts pour l'emporter par assaut, mais toujours
inutilement. Ils l'eussent prise par famine, si les chefs mal
informs de la ncessit des assigs, et lasss des plaintes que les
soldats faisaient de la longueur du sige, et de l'incommodit de la
saison, et menacs de quelque secours de la part des Perses, ne se
fussent pas si fort hts de se retirer. Les habitants n'avaient plus
de ressource. Ils cachaient nanmoins leur disette avec grand soin,
et ils faisaient semblant d'tre dans l'abondance, afin de ne se
rendre qu' des conditions raisonnables, et de retourner avec
honneur dans leur pays. Il se fit donc un trait, par lequel il fut
arrt, que les Perles toucheraient mille livres et qu'ils cderaient
la ville aux Romains. Ce fut le fils de Glone qui toucha cette
somme, et qui de la manire que je le vais raconter. rendit la
place, son pre tant mort ds auparavant.2. Pendant que les Romains
taient camps devant la ville d'Amide, un paysan qui avait accoutum
d'y entrer secrtement, et d'y porter du pain, des fruits, et &
des volailles, qu'il vendait chrement Glone, vint trouver Patice,
et lui offrit de loi mettre Glone entre les mains, avec deux cents
Perses, s'il voulait lui assurer quelque rcompense. Patrice lui
promit tout ce qu'il voudrait. Ce paysan s'en alla l'heure mme,
dans la ville, et ayant dchir ses habits, et faisant semblant de
pleurer, et d'arracher ses cheveux, aborda Glone par ces
paroles.Comme j'apportais les vivres que j'avais pu ramasser, j'ai
t attaqu par des voleurs, qui me les ont pris et qui m'ont donn
plusieurs coups. Ce sont des soldats romains qui exercent ce
brigandage et ces violences, envers les pauvres gens de la
campagne, sur qui ils dchargent la colre qu'ils n'oseraient faire
paratre contre des gens de guerre. Je vous donnerai, si vous voulez
une belle occasion de nous venger, et de vous venger vous-mme. Vous
n'avez qu' aller demain la chasse, aux environs de la ville, elle
ne manquera pas de vous russir heureusement.Glone ajoutant foi ce
discours du paysan lui demanda combien il croyait qu'il fallt de
soldats pour donner la chasse ces voleurs. Le paysan rpondit que
cinquante ne feraient que trop suffisants, parce qu'il ne les avait
jamais rencontrs en plus grand nombre que de cinq; mais que pour
n'tre surpris d'aucun accident, il ferait bien d'en prendre cent,
et que quand il en prendrait deux cents il ne ferait pas mal, et
que ce qu'il aurait de trop ne serait pas prjudiciable. Glone
choisit deux cents cavaliers, et commanda au paysan de lui servir
de guide. Le paysan lui dit, qu'il croit plus propos qu'il courut
devant pour dcouvrir la campagne ; que quand il verrait les
Romains, il viendrait l'avertir de sortir sur eux. Glone ayant
approuv ce dessein, le paysan alla droit Patrice, lui raconter ce
qu'il avait fait. Patrice choisit deux mille hommes, dont il donna
le commandement deux de ses gardes, et les envoya avec le paysan,
qui les ayant placs en embuscade dans un fond rempli de bois, et de
marais, proche d'un bourg nomm Thialasame, quarante stades d'Amide,
courut pour dire Glone, que l'occasion tait venue de faire une
bonne prise, et le mena avec ses deux cents hommes. Quand il les
eut conduits au del de l'endroit o tait place l'embuscade, il eut
l'adresse de se drober si finement, que ni Glone, ni ses gens, ne
s'en aperurent point ; de sorte qu'il alla faire sortir les Romains
du lieu o il les avait fait cacher, et leur montra l'ennemi. Quand
les Perses les virent venir droit eux, ils furent fort tonns d'une
rencontre si imprvue, et ne savaient quoi se dterminer dans une
telle surprise. Ils lie pouvaient ni reculer, parce que le chemin
tait bouch par les ennemis, ni avancer, parce qu'ils n'avaient
devant eux que des terres de l'Empire. Ils se rangrent donc en
bataille le mieux qu'il leur fut possible ; mais ils furent accabls
par le nombre, et taills en pices.3. Le fils de Glone outr de
douleur de n'avoir pu secourir son pre, brla l'glise de S. Simon o
il tait mort. Jamais ni Glone, ni Cavade, ni aucun autre, n'avait
ruin aucune maison ni par le fer, ni par le feu, ni dans Amide, ni
aux environs. Reprenons maintenant la suite de ntre Histoire.4. Les
Romains regagnrent Amide par argent, deux ans aprs que les Perses
s'en furent rendus les matres.5. Quand ils furent dedans, ils
reconnurent leur peu de courage, et l'incroyable abstinence de
leurs ennemis. Car par la supputation qu'ils firent da la quantit
des vivres, qui taient demeurs, et des Barbares qui taient sortis,
ils trouvrent que les assigs n'eussent eu que pour sept jours de
provisions, bien que Glone et son fils ne leur en eussent distribu
durant un long temps que beaucoup moins qu'il n'en faut pour vivre
commodment. Pour ce qui est des Romains, qui taient dans la ville,
ils ne leur fournissaient aucune chose durant le sige comme je l'ai
dj dit, de sorte qu'ils furent contraints de prendre, pour se
nourrir, des choses, dont les hommes n'ont pas accoutum d'user, et
qu'ils se trouvrent rduits la cruelle ncessit de se manger les uns
les autres. Les Chefs reconnaissant tant de circonstances si
surprenantes, reprochaient aux soldats de n'avoir pas voulu
souffrir constamment les fatigues du sige pour rduire la ville, et
pour prendre Glone, son fils, et tant de personnages si
considrables parmi les Perses, et d'avoir souill la gloire du nom
Romain par une tache aussi honteuse que celle d'avoir achet
Amide.6. Comme la guerre continuait aprs cela avec les Huns, les
Perses firent une trve de sept ans avec les Romains, par
l'entremise de Celer, et d'Aspebede. Les deux peuples retirrent
ensuite leurs troupes. Voil comment se termina cette guerre. Je
raconterai maintenant ce qui arriva aux portes Caspiennes.CHAPITRE
X.1. Description des portes Caspiennes 2. Ambazuce offre de les
vendre l'Empereur Anastase, qui refuse de les acheter. 3. Cavade
s'en empare aprs la mort d'Ambrazuce. 4. Anastase fait une ville du
bourg de Dara, et lui donne son nom. 5. Il enferme de murailles la
ville de Theodosiopolis.1. LE mont Tauros assis dans la Cilicie,
s'tend premirement dans la Cappadoce, l'Armnie, la Persarmenie,
l'Albanie, l'Ibrie, et dans d'autres pays habitez, tant par
quelques peuples libres, que par d'autres peuples soumis
l'obissance des Perses. Il occupe un vaste espace et crot une
largeur, et une hauteur tout fait extraordinaire. Quand on a pass
les frontires de l'Ibrie, on trouve un chemin fort troit, et long
de cinquante stades, qui se termine une montagne escarpe, et
inaccessible, et qui pour toute issue n'a qu'une porte, faite par
les mains de la nature ; que l'on appelle de toute anciennet, la
porte Caspienne. De l, on dcouvre une large campagne o il y a de
l'eau en abondance, et qui est fort propre nourrir des chevaux.
C'est en cet endroit que les Huns habitent, d'o ils s'tendent
jusqu'aux Palus Motides. Lorsque pour faire irruption sur les
terres des Perses, ou sur les ntres, ils sortent par la porte, dont
je viens de parler, avec d'excellente cavalerie, ils n'ont point de
dtours prendre, ni de lieux hauts, et bas traverser, si ce n'est ce
passage de cinquante stades qui aboutit l'Ibrie. Quand ils prennent
d'autres chemins, ils y trouvent d'tranges fatigues et ils sont
obligs de quitter leurs chevaux, de faire divers circuits, et de
descendre par des prcipices. Alexandre fils de Philipe, ayant
autrefois considr l'assiette de ce lieu, y btit des portes, et une
citadelle, qui aprs avoir t possds par divers matres, ont enfin
appartenu Ambazuce, Hun de nation, intime ami des Romains.2. Cet
Ambazuce tant arriv une extrme vieillesse, et se sentant proche de
la dernire heure, envoya offrir Anastase de les lui livrer,
moyennant une somme d'argent qu'il demandent pour rcompense. Cet
Empereur qui n'avait pas accoutum de rien faire lgrement,
considrant qu'il lui serait malais d'entretenir une garnison dans
un pays dsert et strile, et loign, remercia Ambazuce de sa bonne
volont, et n'accepta point son offre.3. Ambazuce tant mort bientt
aprs de maladie, Cavade chassa ses fils, et prit les portes
Caspiennes.4. Aprs la conclusion de la trve, l'empereur Anastase
fit fortifier le bourg de Dara, et en fit une ville trs belle,
qu'il appela de son nom. Elle est distante de Nisbe de
quatre-vingts dix-huit stades et d'environ dix-huit des limites des
deux Empires. La guerre des Huns empcha les Perses de s'opposer
autant qu'ils le dsiraient la fortification de cette place ; mais
aussitt que Cavade l'eut termine, il ennoya se plaindre aux Romains
de ce qu'au mpris des traits, ils avaient bti une ville sur la
frontire. L'Empereur Anastase employa les menaces, les prires, et
encore plus l'argent, pour apaiser Cavade, et pour arrter ses
plaintes.Il fit aussi dans l'Armnie sur les frontires de la
Persarmnie, d'un ancien village que Thodose n'avait lev que de nom
la dignit de ville, en l'appelant Theodosopolis, une autre ville
gale celle de Dara, l'entoura de fortes murailles, et la mit en tat
d'incommoder autant les Perses, que l'autre les commodait, tant
toutes deux fort propres faire des courses sur leurs terres.
CHAPITRE XI.
1. Justin succde Anastase. 2.. Cavade dlibre sur le choix d'un
successeur. 3. La loi des Perses exclut du royaume ceux qui ont
quelque dfaut naturel. 4. Cavade propose Justin d'adopter son fils
Cosroez. 5. Discours judicieux de Proclus sur le sujet de cette
adoption. 6. Assemble des ambassadeurs des deux tats, qui se
sparent sans rien conclure.7. Haine de Cosroez contre les Romains.
8. Mort funeste de Sose. 9. Coutume des Perses d'exposer les corps
morts. 10. Rufin accuse Hypatius devant l'empereur.1. ANASTASE tant
mort, Justin lui succda Empire, tous ses proches en ayant t exclus,
bien qu'ils fussent en grand nombre, et de grand mrite.2. Cavade
commena alors s'inquiter, et craindre qu'aprs sa mort, les Perses
n'apportaient un pareil changement la succession de ses tats, au
prjudice de ses enfant. Il ne lui tait pas possible d'en choisir un
d'eux, sans trouver de grandes oppositions son choix. Coase tait
appel par la loi la couronne comme tant l'an, mais Cavade ne
souhaitait pas qu'il y arrivt et il se dclarait, en ce point,
contre la coutume du pays, et contre l'ordre de la nature.3. Zamez
qui qui tait le second, n'y pouvait prtendre, cause qu'il avait
perdu un il, et que les lois des Perses ne permettent pas de mettre
la souveraine puissance entre les mains d'une personne qui ai ou ce
dfaut, ou un autre. Cavade aimait plus que tous ses enfants
Cosroez, qu'il avait eu de la fille d'Aspebede ; mais comme il
voyait que Zamez tait chri par les Perses, cause de la grandeur de
son courage, et des autres excellentes qualits qui le rendaient
recommandable, il apprhendait qu'il ne se soulevassent, et qu'ils
ne commissent quelque attentat contre sa famille.4. Il ne trouva
point de meilleur expdiant, pour sortir de cet embarras, que de
remettre aux Romains les prtentions qu'il avait contre eux, parce
qu'elles pouvaient exciter l'avenir de nouvelles guerres; mais ce
fut condition que Justin adopterait Cosroez. Comme il voyait que
c'tait l'unique moyen de se maintenir dans la paisible possession
de son Empire, il envoya Constantinople des ambassadeurs pour ce
sujet, et les chargea d'une lettre dont voici les termes.Vous savez
que j'ai reu plusieurs injures des Romains : j'ai rsolu, nanmoins
de les oublier, n'y ayant point de victoire, et si glorieuse que
celle que l'on remporte, quand on abandonne une partie de ses
intrts en faveur de ses amis ; lors mme que l'on a la justice pour
les maintenir, je vous demande une grce en rcompense, qui est, que
nous contrarions une alliance qui nous unisse, et qui unisse aussi
tous nos sujets par les liens d'une affection mutuelle, et qui les
comble de l'abondance de tous les biens que produit la paix. Je
dsire, pour ce sujet, que vous adoptiez mon fils Cosroez, que je
dclare successeur de mon royaume.5. La lecture de cette lettre
donna une grande joie Justin, et son neveu Justinien, que tout le
monde regardait comme le futur hritier de l'Empire. On travaillait
dj l'affaire, et l'on dressait l'acte de l'adoption, selon la
disposition des lois romaines ; lorsque Proclus s'y opposa. C'tait
un clbre magistrat du conseil de l'Empereur, qui exerait la charge
de Questeur avec une grande rputation de vertu, et d'intgrit. Il ne
faisait pas volontiers de nouvelles lois, et n'aimait pas aussi
changer celles qu'il trouvait tablies. N'tant donc point d'avis de
cette adoption, il en parla de cette sorte.Je n'ai pas accoutum de
me porter des nouveauts, et je les apprhende d'autant plus que je
sais combien elles sont dangereuses. Mais quand je serais plus
hardi que je ne suis de mon naturel entreprendre de pareilles
affaires, il me semble que je devrais tre plus retenu dans
celle-ci, et craindre davantage la tempte qu'elle peut mouvoir. Je
pense que nous ne cherchons ici qu'une couleur honnte pour livrer
l'Empire aux Perses, qui n'en cherchent point pour couvrir
l'intention qu'ils ont de nous l'enlever. Il l'avouent, ils la
dclarent. Le dessein qu'ils ont de tromper parat dans la simplicit
qu'ils affectent, et dans la libert avec laquelle ils font leur
demande. Vous avez tous deux le principal intrt de vous opposer
fortement aux prtentions de ces Barbares: Vous, Csar, afin de n'tre
pas le dernier des empereurs ; et vous, Justinien, afin de ne pas
vous exclure de le devenir. Il y a des tromperies caches avec tant
d'art, qu'il est malais de les dcouvrir ; mais la seule proportion
des Perses suffit pour en faire voir l'injustice, et pour montrer
qu'ils ne promettent rien moins que de rendre Cosroez hritier par
adoption de la succession de l'Empire. Je vous prie de suivre ce
raisonnement. Le bien des Perses appartient naturellement aux
enfants: Les lois qui touchant d'autres sujets sont fort
diffrentes, et souvent mme fort contraires, selon le gnie de
diffrentes nations, s'accordent en ce point par toute la terre, que
les enfants succdent aux possessions de le leurs pres. Si vous
avouez une fois cette vrit, il faudra que vous admettiez toutes les
suites.6 . Voil ce que dit ProcIus. Ses raisons furent gotes par
l'Empereur, et par Justinien, qui dlibrrent en particulier sur ce
qu'ils avaient faire. Cependant, Cavade crivit une seconde lettre
Justin, par laquelle il le pria de lui envoyer des ambassadeurs,
pour arrter les articles de la paix, et de lui mander de quelle
manire il souhaitait de faire l'adoption. Alors, Proclus rsista a
l'entreprise des Perses, avec encore plus de vigueur qu'auparavant,
et la rendit plus odieuse en faisant voir trs clairement qu'elle
tendait l'usurpation de l'Empire. Son avis tait, que l'on ft la
paix le plus tt que l'on pourrait, et que l'on dputt vers Cavade
des premiers de l'tat, pour la conclure. Que s'il leur demandent en
quelle forme l'on avait rsolu de faire l'adoption de Cosroez, ils
lui rpondirent, que les Romains n'avaient pas accoutum d'adopter
les Barbares par crit, mais par les armes. La rsolution ayant t
prise de suivre son avis, Justin donna l'audience de cong aux
ambassadeurs des Perses, et les assura qu'ils seraient bientt
suivis des siens. La lettre qu'il crivit Cavade contenait la mme
chose.7. On choisit, de la part des Romains, un neveu de l'Empereur
Anastase, nomm Hypatius, qui tait Patrice, et Gnral des troupes
d'Orient ; et Rufin, aussi Patrice, qui tait fils de Silvain, et
d'une maison fort connue Cosroez. On dputa, de la part des Perses,
Sose, qui tait lev en dignit, et Mbode. Tous ces ambassadeurs
s'assemblrent dans un lieu qui spar les deux tats, et confrrent
touchant les moyens de terminer les diffrents, et de conclure la
paix. Cosroez vint jusqu'au Tigre deux journes de Nisibe dans le
dessein de venir a Constantinople lorsque la paix serait conclue.
Entre tout ce qui fut dit de part et d'autre par les prtentions
diffrentes des deux Empires, Sose dit, que les Romains retenaient
injustement la Colchide, et qu'ils l'avaient usurpe sur les Perses,
qui elle appartenait. Ces paroles mirent en colre les Romains, qui
ne pouvaient souffrir que l'on voult leur disputer la possession
paisible de cette province. Quand ils dirent, ensuite, que
l'adoption de Cosroez se devait faire de la manire que se fait
l'adoption des Barbares, les Perses le trouvrent insupportable ; ce
qui fut cause qu'ils se sparrent sans rien faire.8. Cosroez s'en
retourna fort indign de ce qui s'tait pass et protestant hautement
de s'en venger.9. Mthode accusa bientt aprs Sose, devant Cavade,
d'avoir contre l'intention de son matre, ml le discours de la
Lazique dans les confrences, dans le dessein d'en loigner la
conclusion, et d'en avoir communiqu secrtement avec Hypatius, qui
n'tant pas bien affectionn au service de Justin avait aussi travers
les propositions de la paix, et de l'adoption. Les ennemis de Sos
formrent diverses autres accusations contre lui, devant un Snat que
l'envie, et non pas la justice avait assembl. Le pouvoir qu'il
s'tait acquis leur donnait une jalousie extrme, et la violence de
son naturel une aversion implacable. Il faut demeurer d'accord
qu'il aimait la justice, et qu'il tait incapable de se laisser
corrompre par argent. Mais il faut avouer aussi qu'il avait un
orgueil qui surpassait l'orgueil de tous les autres hommes. Quoi
que ce vice ft fort familier aux grands de la Perse,les ennemis de
Sose prtendaient qu'il l'avait port plus loin qu'il ne semblait
qu'il pt aller. Ses accusateurs ajoutaient aux crimes, dont je
viens de parler, qu'il mprisait les lois du pays, qu'il adorait
certaines divinits trangres, et qu'au lieu d'exposer le corps de sa
femme, selon la coutume des Perses, il l'avait fait enterrer. Les
juges le condamnrent la mort. Cavade fit semblant de le regretter
comme son ami; mais il ne lui accorda point de grce, et il couvrit
sa mauvaise volont d'une fausse image de respect pour les lois.
Cependant, il lui tait redevable et de la vie, et de l'Empire.
Ainsi mourut Sose. Sa dignit finit avec lui, comme elle y avait
commenc. Et il n'y eut plus d'Adrastadaransalane.10. Rufin dnona
pareillement Hypatius l'Empereur, qui le priva de sa charge, et fit
donner la question quelques-uns de ses domestiques ; mais n'ayant
point tir de preuve, il n'ordonna point d'autre peine.
CHAPITRE XII.1. Confins de l'Ibrie. 2. Cavade veut contraindre
les Ibriens embrasser sa religion. 3. Ils implorent le secours de
Justin, qui envoie Proclus Bosphore faire des leves. 4. Boez est
lev par Cavade la dignit de Varise. 5. Belisaire et Sittas gardes
de Justinien dans leur jeunesse. 6. Narsez et Aratius prennent le
parti des Romains. 7. Procope donn Blisaire pour lui servir de
conseil.1. BIEN que Cavade souhaitt fort de faire irruption sur les
terres des Romains, il ne le put, cause d'un empchement qui fut
tel. Les Ibriens habitent dans l'Asie auprs des portes Caspiennes,
dont ils font borns du ct du Septentrion. Du ct de l'Occident ils
sont borns par la Colchide, et du ct de l'Orient par la Perse. Ils
sont possession de la religion chrtienne, et en gardent aussi
exactement les lois saintes, qu'aucun autre peuple qui nous soit
connu.2. Comme il y a longtemps qu'ils sont soumis l'obissance des
Perses, Cavade s'avisa alors de les forcer d'embrasser sa religion,
et il commanda leur Roi Gyrgene de se conformer aux coutumes des
Perses, et surtout de lie plus enterrer les morts, mais de les
exposer aux chiens, et aux oiseaux.3. Gyrgene fut oblig d'implorer
la protection de l'Empereur Justin, et de le conjurer de ne le pas
laisser opprimer par les Perses. Il le lui promit volontiers, et
envoya Probus Patrice et neveu de l'Empereur Anastase, avec de
l'argent pour lever des Huns Bospore, qui est une ville maritime,
que ceux qui naviguent sur le Pont-Euxin ont leur gauche. Elle est
vingt journes de Chersone qui est la dernire de l'Empire Romain. Le
pays qui est entre ces deux villes appartient aux Huns. Il
appartenait autrefois aux habitants de Bospore, qui pour lors
taient souverains; mais ils le font fournis depuis la puissance de
Justin. Probus en tant revenu sans rien faire, envoya Pierre dans
la Lazique avec quelques troupes de Huns pour secourir Gyrgene.4.
En mme temps, Cavade dpcha contre ce Prince une arme considrable,
dont il donna le commandement un Perse nomm Boez, qui tait lev la
dignit de Varise. Gyrgene n'ayant reu qu'un faible secours, et ne
se voyant pas assez fort pour attendre l'arrive des Perses, se
retira dans la Lazique, et y emmena les premiers et les plus
apparents de son tat, ses proches, la Reine sa femme, et ses
enfants, dont l'an se nommait Peranius. Quand ils furent arrivs aux
frontires des Laziens, ils s'arrtrent, et se crrent en sret, cause
de l'assiette du lieu, et de l difficult des passages, que les
Perses ne purent vaincre eu effet. Les Ibriens allrent ensuite
Constantinople, o Pierre fut aussi rappel par l'Empereur, qui
voyant que les Laziens refusaient de garder leurs frontires, y
envoya des troupes sous la conduite d'Irene. Quand on a pass les
limites de l'Ibrie, on trouve sur les terres des Laziens, deux
forts desquels on a toujours confi la garde aux habitants, qui
vivent dans une extrme misre. Le pays ne produit ni bl, ni vin, ni
aucune autre nourriture, et l'on n'y en peut porter que de fort
loin sur le dos des hommes. Les Laziens qui y vivaient se
contentaient de pain de millet. l'Empereur en ta la garde ceux du
pays, et y mit une garnison qui d'abord les Laziens portrent des
vivres, mais dans la suite, ils s'en lassrent : ainsi, les deux
forts furent abandonns par les Romains, et occups par les Pertes.
Voil ce qui se passa dans le pays des Laziens.5. Les Romains tant
entrs sous la conduite de Sitta, et de Blisaire dans la Persarmenie
y firent un grand dgt, et en emmenrent un nombre incroyable de
prisonniers. Ces deux capitaines taient tous deux gardes de
Justinien qui fut depuis associ l'Empire par Justin, et ils
paraissaient alors dans la premire fleur de leur jeunesse.6. Les
Romains firent une seconde irruption dans l'Armnie, o ils
rencontrrent contre leur attente Narsez, et Aratius, avec qui ils
en vinrent aux mains. Peu de tems aprs, ces deux hommes passrent
dans le parti des Romains et suivirent Blisaire en Italie: mais
pour lors ils remportrent quelque petit avantage sur lui, et sur
Sitta. Une autre arme romaine commande par Licelaire qui tait natif
de Thrace entra dans le pays des Nisbites ; mais ce chef s'enfut
sans tre poursuivi des ennemis. Il perdit sa charge pour punition
de cette lchet.7. Blisaire fut tabli chef des troupes qui taient
Dara. Ce fut alors que Procope auteur de cette Histoire lui fut
donn pour lui servir de conseil.
CHAPITRE XIII.1. Justinien succde Justin, et envoie Blisaire
pour btir un fort sur la frontire. 2. Les Perses surviennent et
dfont les Romains. 3.. Blisaire est fait gnral des troupes
d'Orient. 4. L'arme romaine range en bataille. 5. Combats
singuliers.1. JUSTIN mourut peu de temps aprs, et laissa l'entire
possession de l'empire son neveu Justinien qui commanda aussitt
Blisaire d'lever un fort dans le territoire de Mindone, proche de
la frontire des des Perses, au ct gauche du chemin par o l'on ra
Nisible. Blisaire excutait cet ordre avec une diligence
extraordinaire, et y employait tant de mains que l'ouvrage tait dj
fort avanc, lorsque les Perses envoyrent dire, que si l'on ne
l'abandonnait, ils l'arrteraient bientt par des effets, et non pas
par des paroles. Comme Blisaire n'avait pas assez de forces pour
leur rsister, l'Empereur y envoya d'autres troupes conduites par
Cutzez, et par Buzez, qui commandaient alors les compagnies du Mont
Liban. C'taient deux frres, originaires de la Thrace, qui emports
par l'ardeur de la jeunesse n'allaient pas au combat avec assez de
prudence.2.. Les Perses et les Romains coururent vers le fort, les
uns pour en chasser les ouvriers, et les autres pour les soutenir.
Le combat fut trs opinitre de part et d'autre ; mais enfin les
Romains furent vaincus et perdirent un grand nombre des leurs sur
la place, il y en eut aussi plusieurs, qui furent emmens
prisonniers en Perse, et condamns tenir prison perptuelle. Cutzez
eut le malheur d'tre de ce nombre. Comme le fort tait abandonne' il
fut ais aux Perses de le raser.3. Justinien cra, peu de temps aprs,
Blisaire gnral des troupes d'Orient, et lui commanda de marcher
contre les Perses. Il leva donc une puissante arme, et alla Dara, o
Ermogne, qui tait matre des Offices, et qui avait t conseiller de
Vitalien, dans le temps qu'il tait en mauvaise intelligence avec
Anastase, arriva aussi pour donner conjointement avec lui les
ordres ncessaires la conduite des troupes. De plus, l'Empereur
nomma Rufin ambassadeur vers les Perses, et lui commanda de
demeurer jusqu' nouvel ordre Ierapolis, qui est une ville assise
sur le bord de l'Euphrate. Tandis que de part et d'autre, on
portait diverses paroles de paix, il arriva soudain nouvelle, que
les Perses allaient entrer sur les terres des Romains, et qu'ils
voulaient prendre par assaut la ville de Dara. Blisaire et Ermogne
rangrent l'instant leurs troupes en bataille, et creusrent un jet
de pierre de la ville, l'endroit qui est vis vis de Nisibe, un foss
profond, o ils laissrent par intervalle diverses entres et sorties.
Ils ne creusrent pas ce foss en ligne droite, mais d'une autre
manire, que j'expliquerai ici. Il tait en ligne droite par le
milieu, et continu par les deux bouts suivant deux lignes
perpendiculaires, la fin de chacune desquelles il tait encore tir
en ligne droite, qui de chaque ct s'tendait bien loin dans la
campagne. L'arme des Perses tait campe dans le territoire
d'Ammodium vingt stades de la ville de Dara. Pityase, et Baresmane
surnomm le Louche, taient deux capitaines qui commandaient sous un
gnral nomm Perose, qui tait lev la dignit de Mirrane, comme parlent
les Perses. Ce Prose envoya avertir Blisaire de tenir le bain prt
pour le lendemain, parce qu'il se voulait baigner dans la ville de
Dara. Cela obligea les Romains se prparer au combat.4. Quand ils
virent, ds la pointe du jour, que les Perses s'approchaient, ils se
rangrent en cet ordre. Buzez, suivi d'un bon nombre de cavalerie,
et Pharas Erulien, suivi de trois cents Eruliens, se placrent entre
le ct gauche du foss, et une minence voisine. Sunicas et Augan
Massagtes, suivis de six cents cavaliers, taient la gauche de
ceux-ci l'angle que formait la rencontre de l'aile, et du ct gauche
du foss ; afin de pouvoir secourir Buzez et Pharas, au cas qu'ils
vinssent plier. L'autre aile tait dispose dans le mme ordre.
L'extrmit du ct droit tait borde d'une grande troupe de cavalerie,
commande par Jean fils de Nictas, par Marcelle, et pat Cyrille,
auxquels Germain & Dorothe s'taient joints. Il y avait l'angle
droit six cents hommes de cavalerie, commands par Simas et par
Ascan Massagtes, afin que si Jean lchait le pied, ils fondissent
sur le dos des ennemis. Toute la cavalerie, l'Infanterie taient
places au devant du foss. Blisaire et Ermogne taient derrire
l'avant-garde. C'est ainsi qu'tait range l'arme Romaine, qui n'tait
compose que de vingt-cinq mille hommes, au lieu que celle des
Perses tait de quarante mille. La pointe de leur arme tait troite.
Comme ils admiraient le bel ordre des troupes Romaines, ils ne
savaient par o les attaquer ; et ainsi l'on ne commenait le combat
ni de ct, ni d'autre.Un parti de Cavalerie le dtacha de l'aile
gauche sur le soir, et vint attaquer Buzez et Pharas, qui s'tant un
peu retirs, ne furent pas poursuivis par les Perses, cause de la
crainte qu'ils eurent d'tre envelopps. Alors, les Romains qui
fuyaient, revinrent eux-mmes la charge ; mais les Perses se
retirrent et rejoignirent leur arme. Buzez et Pharas reprirent
pareillement la place qu'ils avoient quitte. Il y eut sept Perse
tus en cette rencontre, desquels le corps demeurrent en la
possession des Romains.5. Comme les deux armes gardaient leurs
rang; et se tenaient en repos, un jeune Perse s'avana cheval, et
demanda s'il y avait quelqu'un qui voult se battre contre lui, seul
seul. Personne n'osait courir ce hasard. Il n'y eut qu'un
domestique de Buzez nomm Andr, qui s'y offrit. Il n'avait jamais
fait le mtier de soldat, mais il avait t matre de athltes dans
Constantinople, d'o il tirait sa naissance ; et il ne suivait alors
l'arme, que parce qu'on lui avait donn le soin des bains de Buzez.
Il n'y eut dis-je, que celui-l qui fut assez hardi pour accepter le
dfi, sans que son matre, ni aucun autre Je lucommandt. Il courut
donc droit au Barbare, avant qu'il et seulement song ce qu'il avait
faire, lui donna un coup de javelot dans l'estomac, dont il tomba
de cheval, le coucha ensuite par terre, et lui coupa la tte comme
une victime. L'arme romaine jetait cependant de grands cris de
joie. Les Perses irrits de ce mauvais succs, firent partit un autre
cavalier qui tait des plus hardis, et qui surpassait la taille des
nommes ordinaires. Il n'tait pas comme l'autre dans la fleur de sa
jeunesse, mais il avait dj quelques cheveux gris. Il s'approcha
donc de l'arme romaine et en remuant le fouet, dont il se servait
cheval, il demanda si quelqu'un voulait accepter le combat. Comme
pas un ne se prsentait, Andr part encore, sans le dire personne, et
nonobstant la dfense qu'Ermogne lui en avait faite. Ils sgnalren
tous deux leur courage en se battant avec leurs lances, dont les
coups faisaient un grand bruit sur leurs cuirasses. Les chevaux
s'tant heurts la tte l'un contre l'autre avec une extrme violence,
tombrent et jetrent leurs hommes bas. Chacun s'efforant de se
relever, le Perse ne pt le faire si vite, cause de la masse de son
corps, et de la pesanteur de ses armes. Andr, que son art rendait
plus agile, frappa son ennemi, comme il tait appuy sur son genou,
et le tua sur le champ. Alors, il s'leva de la ville, et de l'arme
romaine, un plus grand cri qu' la premire victoire. Comme la nuit
approchait, les Perses s'en retournrent au territoire d Ammodium,
et les
Romains rentrrent dans Dara.
CHAPITRE XIV.
I. Lettres de Blisaire au Mirrane et les rponses. 2. Harangues des
chefs. 3. Disposition de l'arme des Perses. . 4. Bataille mmorable.
5. Victoire des Romains.1. Le lendemain, il arriva aux Perses un
renfort de mille soldats tirs de la ville de Visibe. Blisaire et
Ermogne crivirent de cette sorte au Mirrane.Il n'y a personne, pour
peu qu'il ait de raison qui ne reconnaisse que la paix est le plus
grand de tous les biens, et que celui qui la rompt, cause beaucoup
de maux ceux de son pays, et aux trangers. Il est du devoir d'un
bon gnral de la conclure le plus tt qu'il lui est possible. Quand
vous vous tes aviss de commencer la guerre sans en avoir le sujet,
les deux nations taient en bonne intelligence. Les deux Empereurs
n'avaient que des penses d'amiti.: leurs ambassadeurs taient prt de
confrer ; et tout le monde s'attendait qu'ils termineraient
heureusement les diffrents. Vous avez dissip cette esprance, en
faisant soudain des courses sur nos terres. Ce serait une action de
grande prudence, que de retirer vos troupes, de ne pas empcher le
bien qui peut natre de la conscience du trait, et de ne pas attirer
sur vous les maux qui peuvent procder de la continuation de la
guerre.Le Mirrane rpondit cette lettre en ces termes :Je serais
assez dispos satisfaire tout ce que vous dsirez., et excuter tout
ce qui est contenu dans votre lettre lettre, si elle venait d'une
autre part que de la vtre. Mais comme vous tes en possession de
donner de telles paroles, et mme de les confirmer, par les plus
saints tous les serments, sans nanmoins en faire voir les effets,
nous sommes obligs, de nous tenir sous les armes pour n'tre pas
toujours exposs de pareilles allusions. Sachez donc que vous ne
devez vous attendre qu' la guerre, et que nous sommes rsolus de
mourir ici, ou d'y vieillir, jusqu' ce que nous ayons obtenu la
justice qui nous est due.Blisaire crivit encore au Mirrane la
lettre qui suit.Il ne faut pas tant vous en faire accroire, ni
former contre nous tant de vains reproches. C'est avec vrit que
nous assurons que l'ambassadeur Rufin arrivera dans peu de jours,
et le temps fera paratre la sincrit de nos paroles. Mais puisque
vous dsirez si opinitrement la guerre, vous nous verrez rangs en
bon ordre, pour vous combattre ; et nous nous persuadons que Dieu
nom favorisera de sa protection, parce qu'il aime autant la douceur
avec nous dsirons la paix, qu'il dteste la fiert avec laque/le vous
la rejetiez.. En nous rangeant en bataille, nous attacherons au
haut de nos enseignes les lettres qui auront t crites de part et
d'autre sur ce sujet.Le Mirrane rpliqua encore par crit en ces
termes.Le secours de nos Dieux ne nous manquera pas aussi dans
cette guerre. C'est sous leurs auspices que nous prtendons vous
livrer demain la bataille, et nous rendre matres de la ville de
Dara. Faites en forte que nous y trouvions le bain et le dner
prt.Aprs que Blisaire eut lu cette lettre, il se prpara au combat2.
Le Mirrane assembla le lendemain ses troupes et leur parla de cette
sorte :Je sais bien que le courage qui anime les Perses dans les
dangers, ne procde pas des harangues de leurs chefs, mais de leur
propre vertu et d'une louable pudeur, qui leur est inspire par la
prsence de leurs compagnons. Mais parce que je vois qu'il s'excite
parmi vous quelque sorte de murmure, sur ce que les Romains, qui
n'allaient autrefois que tumultuairement au combat, s'y sont
prsents la dernire fois en bon ordre, et ont soutenu l'effort de
vos armes : J'ai cru qu'il tait propos de vous avertir, de ne vous
pas laisser surprendre par une fausse opinion de leur valeur, et de
ne vous pas imaginer que le courage et l'exprience leur soient
venus en un instant. Ils ont si fort apprhend notre prsence, qu'ils
n'ont os se ranger en bataille, qu'ils n'eussent un foss devant
eux, et ce foss ne les a pas rendus assez hardis pour nous
attaquer. Il se vantent nanmoins d'avoir eu un succs qui a surpass
leur esprance, cause seulement qu'ils ont vit le combat, et qu'ils
se font mis couvert dans leur ville ; comme si c'tait une grande
merveille de n'tre pas vaincu, lorsque l'on n'a os combattre. Quand
il en faudra venir aux mains, l'apprhension et le manqu d'exprience
les jetteront dans la confusion, comme de coutume. Voil l'tat o
sont les ennemis. Pour ce qui est de vous, faites, je vaut prie,
rflexion sur le jugement que le Roi des Rois fera de vtre conduite
et sur la honte du chtiment dont il punirait votre lchet, si vous
dgnriez, en cette occasion de l'ancienne vertu des Perses.Le
Mirrane ayant parl de la sorte, mena son arme contre l'ennemi.
Blisaire et Ermogne ayant aussi conduit les Romains hors de la
ville, leur parlrent en ces termes :Vous avez, reconnu dans la
dernire rencontre, que les Perses ne sont ni invincibles, ni
immortels. Tout le monde demeure d'accord que vous les surpassez en
valeur, et qu'ils n'ont sur vous que l'avantage de la discipline.
Il vous sera ais de vous corriger de ce dfaut, puisque la raison
toute seule suffit l'homme, pour remdier aux maux qui viennent du
dedans de lui-mme, au lieu qu'il n'y a point de prcaution qui le
pusse garantir des injures de la fortune. C'est pourquoi si vous
suivez, les ordres de vos chefs, vous remporterez assurment la
victoire. Les ennemis ne se fient qu'en votre dsordre. tez, leur
cette esprance, et ils n'auront pas un meilleur succs qu'en la
dernire journe. Le nombre par o ils croient se rendre formidables,
est tout fait digne de mpris. Leur infanterie n'est qu'une
multitude de misrables paysans, qui ne suivent l'arme que pour
remuer la terre, pour dpouiller les morts, et pour servir de
soldats. Ils n'ont pas mme d'armes offensives ; ils. n'ont que de
grands boucliers pour parer les coups. C'est pourquoi non seulement
vous aurez de l'avantage sur eux, si vous voulez, vous conduire en
gens de cur, mais aussi vous les mettrez, en tat de ne plus revenir
sur nos terres.Blisaire et Ermogne ayant parl de la sorte, et
voyant que l'ennemi commenait avancer, rangrent leur arme de la mme
faon que le jour prcdent. Les Barbares s'tant approchs, s'arrtrent
vis vis d'eux.3. Le Mirrane n'opposa aux Romains que la moiti de
ses troupes, et laissa l'autre moiti derrire afin d'avoir toujours
des gens frais, qui vinssent combattre tour tour un ennemi fatigu.
Pour ce qui est de la lgion appelles l'immortelle, il lui commanda
de demeurer en repos, jusqu' ce qu'il lui donnt ordre de marcher.
Il se mit la tte du corps de bataille, donna Pitvase le
commandement de l'aile droite, et Baresmane celui de l'aile gauche.
Les deux armes tant ranges de cette sorte, Pharas vint trouver
Blisaire et Ermogne, et leur dit.Il me semble que si je demeure ici
avec les Eruliens, je n'y pourrai rien faire de considrable ; au
lieu que si j'allais me cacher dans un vallon qui est proche, et
que je gagnasse la colline, et qu'ensuite je vinsse fondre sur les
Perses, lorsqu'ils seront dans la plus grande chaleur du combat, je
les incommoderait fort notablement.Cet avis plt Blisaire, Pharas
alla l'excuter.4. Le combat ne fut commenc avant midi ni par l'un,
ni par l'autre des partis ; mais il le fut incontinent aprs par les
Perses. La raison qui le fit diffrer si longtemps, fut que ces
Barbares ne mangeant que le soir, au lieu que les Romains mangent
ds le matin, ceux-ci espraient ne pas trouver une forte rsistance
en des gens affaiblis par un long jene. Ils se battirent d'abord
coups de flches, dont l'air fut couvert comme d'une paisse nue.
Plusieurs demeurrent sur la place de ct, et d'autre. Les Perses
lanaient une plus grande quantit de traits, cause qu'ils ne
combattaient qu'alternativement, et que ceux qui se retiraient,
taient relevs par d'autres, sans que les Romains s'en aperussent.
L'effet n'en fut pas nanmoins considrable, parce que le vent, qui
tait contraire aux Perses, rompait la force du coup.Quand les
flches furent puises, ils commencrent se servir de leurs lances. Ce
fut alors que la mle fut furieuse. L'aile gauche des Romains fut
fort endommage en cette rencontre par les Cadisiniens, qui taient
sous Pityase, et qui mirent les autres en fuite. Sunicas et Augan
fondirent sur ceux-ci. Pharas y fondit le premier avec ses trois
cens Eruliens, qui se signalrent contre les Cadisiniens, et les
obligrent de quitter leurs rangs, et de reculer.Quand les Romains
virent que les Barbares lchaient le pied, ils se rallirent, et en
firent un grand carnage. Il y en eut pour le moins trois mille de
l'aile droite qui furent tus sur le champ. Les autres se sauvret
aisment, et rejoignirent le corps de leur arme, sans tre poursuivis
par les Romains. Voila ce qui se passa alors.Le Mirrane fit passer
l'aile gauche la lgion immortelle, et quelques autres troupes, de
quoi Blisaire et Ermogne s'tant aperus, ils firent aussi passer
l'aile droite Sunicas et Augan avec six cents hommes. Simas et
Alain y taient ds auparavant. On plaa encore derrire eux une grande
partie des troupes de Blisaire. Les troupes qui taient l'aile
gauche, sous la conduite de Baresmane, attaqurent les Romains qui
taient vis vis d'eux, et qui ne pouvant soutenir un si grand choc,
prirent la fuite. Alors ceux qui avaient t placs au coin du foss et
derrire, fondirent avec furie sur les Perses, les rompirent, et en
poussrent la plus grande partie au ct droit, et le reste au ct
gauche, o le trouva l'enseigne de Baresmane, qui fut tu d'un coup
de lance par Sunicas. Lorsque les Perses, qui taient les premiers
poursuivre les fuyards, reconnurent le danger, ils abandonnrent la
poursuite, pour venir au secours de leurs compagnons; mais ils se
trouvrent eux-mmes attaqus de deux cts, parce que les fuyards
revinrent la charge. La lgion immortelle, et d'autres troupes des
Perses ayant vu l'enseigne par terre, y accoururent avec
Baresmane.5. Les Romains vinrent au devant d'eux, et entre les
autres Sunicas, qui porta un coup Baresmane, dont il tomba de
cheval, et mourut. Les Barbares abattus d'un si fcheux accident,
perdirent courage, et prirent honteusement la fuite. Les Romains
les entourrent et en turent jusqu' cinq mille. Les deux armes
changrent entirement de place, l'une en se retirant, et l'autre en
la poursuivant. Dans cette droute, la plupart de l'infanterie des
Perses jetrent leurs boucliers, et ne gardant plus d'ordre furent
misrablement assomms. Les Romains ne poursuivirent pas fort loin
les vaincus. Ils en furent empchs par Blisaire, et par Ermogne, qui
apprhendrent que les Perses, presss par la ncessit ne retournassent
la charge contre ceux qui les pousseraient tmrairement. Ils se
contentrent de conserver la victoire qu'ils avaient remporte, en
demeurant matres du champ de bataille. Ce fut ainsi que se sparrent
les deux partis, Les Perses n'osrent plus livrer de combat. Il n'y
eut depuis que de lgres escarmouches, o les Romains n'eurent point
de dsavantage. Voil tous les exploits qui se firent dans la
Msopotamie.
CHAPITRE XV.1. Cavade envoie une arme en Armnie, 2. Les Perses sont dfaits deux fois. 3. Description du pays, et des moeurs des Traniens. 4. Les Romains prennent sur les Perses les forts de Bolon et de Pharangion. 5. Narsez et Aratius embrassent le parti des Romains.1. CAVADE envoya dans la partie de l'Armnie qui relve des Romains une autre arme compose de Persarrnniens, et de Sunites, qui sont voisins des Alains. Trois mille Huns appelez Sabeiriens, qui sont des peuples fort belliqueux, se joignirent eux.Mermeroez, Perse de Nation, qui commandait toutes ces troupes, s'tant camp trois journes de Thodosiopolis, le prparait attaquer les ennemis.Dorothe, qui tait fort prudent, et fort expriment dans la guerre, avait alors le gouvernement de l'Armnie. Sitta y commandait les troupes. Il avait command autrefois celles de Constantinople. A la premire nouvelle que ces chefs apprirent de l'arrive des ennemis dans la Persarmnie, ils choisirent deux soldats des gardes pour en aller reconnatre au vrai, le nombre et les forces. Ces deux soldats s'taient glisss adroitement dans le camp des Barbares, et aprs y avoir tout considr trs exactement, ils se retiraient, lorsqu'ils furent rencontrs par les Huns. L'un d'eux, nomm Dagaris fut pris et charg de chanes. L'autre s'chappa, et rapporta fidlement tout ce qu'il avait remarqu.2. Les gnraux commandrent l'instant aux soldats de prendre les armes, et de courir vers le camp des ennemis. Les Barbares, surpris d'une irruption si soudaine, n'osrent se mettre en dfense, et ne songrent qu' s'enfuir. Les Romains s'en retournrent, aprs en avoir tu un grand nombre, et avoir pill le camp.Mermeroez ayant ensuite amass toutes ses troupes, entra dans le pays des Romains, qu'il trouva camps dans le territoire d'Octabe cinquante-six stades d'une petite ville nomme Satala, qui est assise dans une plaine toute entoure de collines. Sitta s'alla mettre en embuscade derrire une de ces collines, avec mille hommes, et ordonna Dorothe de se tenir dans la ville, cause que n'ayant que quinze mille combattants, ils n'osaient paratre la campagne, o les ennemis taient au nombre de trente mille. Le lendemain, comme les Barbares taient dj proche des murailles, et qu'ils commenaient les investir, ils virent les Romains qui descendaient d'une hauteur, et qui venaient droit eux. La poussire qui couvrait l'air, leur fit voir le nombre plus grand qu'il n'tait, et les obligea de quitter le sige, et de serrer leurs rangs. Cependant les Romains arrivent, et s'tant spars en deux bandes, attaquent vigoureusement les Barbares. Ceux de la ville surviennent au mme moment, les chargent avec vigueur, et les contraignent de lcher le pied. Il est vrai nanmoins, que comme ils avaient l'avantage du nombre, leur droute ne fut pas telle, qu'ils ne fissent toujours quelque rsistance, et qu'ils ne disputassent la victoire. Comme ils taient tous cheval, ils faisaient de frquentes courses, et revenaient souvent la charge les uns sur les autres. Un capitaine, nomm Florentius, qui tait de Thrace, se signala en cette occasion ; car s'tant jet au milieu des ennemis, il renversa leur enseigne, et comme il se voulait retirer, il fut taill sur le champ en pices. Ce fut lui cependant, qui par une action si hardie, donna la victoire aux Romains. En effet, quand les Barbares ne virent plus leur tendard, ils furent saisis d'un tel tonnement, qu'ils se retirrent en dsordre, et avec perte considrable. Le lendemain ils partirent pour s'en retourner dans leur pays. Les Romains ne les poursuivirent pas. Ils crurent que ce leur tait assez de gloire de leur avoir fait fournir sur leurs terres, les maux dont j'ai parl ci-devant, et de les avoir encore obligs, en cette rencontre, d'abandonner le sige qu'ils voulaient faire.Les Romains tenaient alors dans la Persarmnie deux forts, Bolon et Pharangion, qui avaient autrefois appartenu aux Perses, et dont ils avaient tir de l'or, qu'ils portaient leur Roi. Les Tzanieus, anciens habitants d'un petit pays renferm dans les limites de l'Empire romain, perdirent un peu auparavant la libert. Voici comment la chose arriva.3. Lorsqu'on va d'Armnie en Persarmnie, l'on a au ct droit le Mont Taurus, qui s'tend jusqu'en Ibrie, et en d'autres pays voisins. Il y a au ct gauche un long chemin, dont la pente est douce, et de hautes montagnes qui font couvertes de neiges en toute saisons. C'est de ces montgnes que le Phaze a sa source, et d'o il va arroser la Colchide. Ce pays a t de tout temps habit par les Tzaniens, appels autrefois Saniens ; peuple barbare, et qui ne dpendait de personne. Comme leur terre tait strile, et leur manire de vivre sauvage, ils ne subsistaient que de ce qu'ils pillaient dans l'Empire. L'Empereur leur donnait chaque anne une certaine somme d'argent afin d'arrter leurs courses ; mais se souciant fort peu de leurs serments, ils ne laissaient pas de venir jusqu' la mer, et de voler des Armniens et des Romains. Il faisaient de promptes et de soudaines irruptions, et se retiraient aussitt dans leur pays. Quand ils taient rencontrs la campagne, ils couraient risque d'tre battus ; mais l'assiette des lieux tait telle, qu'ils ne pouvaient tre pris. Sitta les ayant autrefois dfaits par les armes, acheva de les conqurir par ses caresses. Ils ont depuis adouci la rudesse de leurs murs, en s'enrlant parmi les Romains, et en les servant dans les guerres. Ils ont aussi embrass la religion chrtienne. Voil ce que j'avais dire leur gard.Quand on a pass la frontire de ces peuples, on trouve une valle fort profonde, et pleine de prcipices, laquelle s'tend jusqu'au Mont Caucase. Elle est extrmement peuple, et elle produit des vignes, et des arbres fruitiers en grande abondance. Il y a un espace d'environ trois journes de chemin qui relve des Romains. Le reste fait partie des frontires des Persarmniens. C'est l qu'il y a des mines d'or, dont Cavade avait donn la direction un homme du pays nomm Simon.4. Comme il vit que la guerre s'chauffait entre les Romains et les Perses, il prit rsolution de frustrer le Roi du tribut qu'il lui devait de ces mines. Il passa donc dans le parti des Romains, et leur livra le fort de Pharangion ; mais la charge qu'il ne leur donnerait rien de l'or qu'il en droit. Ils consentirent volontiers cette condition, et furent assez contents d'ter leurs ennemis un revenu si considrable. Pour les
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