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RESEAU DES SCIENCES
ECONOMIQUES, HUMAINES ET
SOCIALES D’ECOFOR
ENTRE DYNAMIQUES ET MUTATIONS, QUELLES VOIES POUR LA FORET ET LE BOIS ?
ACTES DU COLLOQUE
11 janvier 2018
Auditorium Marie-Curie du CNRS, Paris
2
Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
Sommaire
QUELQUES IMPRESSIONS ISSUES DU COLLOQUE 4
Jean-Luc PEYRON 4
SESSION 1 | MUTATIONS ET DYNAMIQUES À L’ŒUVRE 6
MUTATIONS DES PRATIQUES ET DES PAYSAGES FORESTIERS DANS UN DOMAINE NATIONAL : 7
CHAMBORD, DE LA CHASSE AU TOURISME DE NATURE 7
Amélie ROBERT et Sylvie SERVAIN 7
LES COMPTES DE LA FORÊT FRANÇAISE : UN OUTIL DE DÉTECTION ET DE SUIVI DES MUTATIONS ET DYNAMIQUES DE LA FILIÈRE FORÊT-
BOIS ? 10
Claire MONTAGNÉ-HUCK, Alexandra NIEDZWIEDZ 10
DE LA VALIDATION DES MODÈLES DE SIMULATION BIOÉCONOMIQUES DANS LE SECTEUR FORESTIER 13
Ahmed BARKAOUI 13
UNE ANALYSE MICRO-ÉCONOMIQUE DU SECTEUR FORÊT-BOIS FRANÇAIS 17
Enrico DE MONTE, Anne-Laure LEVET 17
PATRIMOINES PRODUCTIFS ET DÉVELOPPEMENT DE LA BIORAFFINERIE : LES MUTATIONS DE LA FILIÈRE FORÊT BOIS DU MASSIF
LANDAIS 22
Aliénor DE ROUFFIGNAC 22
APRÈS LA CATASTROPHE, LE CHANGEMENT DANS LA CONTINUITÉ ? 26
Philippe DEUFFIC, Vincent BANOS 26
SESSION 2 | DES APPROCHES DIVERSES POUR DES OBJECTIFS MULTIPLES 30
L’ADAPTATION AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES, UN RISQUE POUR LA MULTIFONCTIONNALITÉ DES FORÊTS ? 31
Timothée FOUQUERAY, Antoine CHARPENTIER, Michel TROMMETTER and Nathalie FRASCARIA-LACOSTE 31
L’ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE COMME NOUVEAU BUSINESS MODEL POUR LES FILIÈRES BOIS-PAPIER, LE CAS DE GREEN VALLEY 34
Robin MOLINIER, Elisabeth LE NET 34
D'UNE FORÊT APPRÉHENDÉE PAR LES SENS, À DES BOISEMENTS ÉVALUÉS PAR LES SCIENCES ; QUELLE GOUVERNANCE POUR NOTRE
ENVIRONNEMENT FORESTIER ? 36
Laure SUBIRANA 36
ENJEUX LIÉS AUX REPRÉSENTATIONS SOCIALES DE LA FORÊT DANS NOS SOCIÉTÉS URBANISÉES 42
Christine FARCY 42
DÉMARCHES TERRITORIALES POUR ACCOMPAGNER LES CHANGEMENTS EN FORESTERIE 45
Patrice A. HAROU 45
3
Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
Sommaire, suite
SESSION 3 | LE PARI TERRITORIAL 50
LA FILIÈRE FORÊT-BOIS À L’AUNE DU PARI TERRITORIAL 51
Jonathan LENGLET 51
MOBILISATION SUPPLÉMENTAIRE DE BOIS ET ACCEPTATION SOCIALE. 54
RETOUR SUR UNE EXPÉRIENCE PARTICIPATIVE EN MORVAN 54
Seydou HAIDARA, Nicolas AURY, Sylvie LARDON 54
BLOCAGES ET CHANGEMENTS DANS LA MOBILISATION DU BOIS DU SUD-EST DE LA FRANCE 58
Yves POSS 58
LES MUTATIONS DANS LA GOUVERNANCE DE LA FORÊT ET DE LA FILIÈRE BOIS 62
Etienne POURCHER 62
PIONNIÈRE SANS LE SAVOIR : LA FORÊT À L’HEURE DE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE. ANALYSE EXPLORATOIRE DES POTENTIELS EN ALSACE
67
Antoine TABOURDEAU, Marie SEVENET, Anne-Christine EILLER 67
LA MULTIFONCTIONNALITÉ DES FORÊTS MISE EN JEU 71
Claire PLANCHAT-HÉRY, Sylvie LARDON, Marie-Caroline DETROZ 71
TRANSITION ÉCOLOGIQUE, PLANS CLIMAT, PROTECTION DES SOURCES D’EAU POTABLE : QUEL APPORT DE L’EXTENSION DES
BOISEMENTS POUR LES TERRITOIRES : EXEMPLES EN POITOU-CHARENTES 74
Mohamed TAABNI 74
SESSION 4 | PRATIQUES ET OUTILS DE GESTION DU CHANGEMENT 79
LE BOIS BÛCHE UNE OPPORTUNITÉ POUR LA FORÊT DE DEMAIN 80
Olivier LEROY, Etienne GRÉSILLON 80
FORMATION ET DYNAMIQUE DES PRIX DES BOIS EN FRANCE : ANALYSES STATISTIQUES ET AIDE À LA DÉCISION DANS UN CONTEXTE EN
MUTATION 81
Benoît GÉNÉRÉ et Hanitra RAKOTOARISON 81
UNE DOSE DE SCIENCES DE LA NATURE, UN SOUPÇON DE SCIENCES SOCIALES, SAUPOUDRER LE TOUT D’UNE GOUVERNANCE
CONCERTÉE… LES INGRÉDIENTS DU PROJET « FORÊTS VIGIES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE » 85
Julie MARSAUD 85
LE COMPORTEMENT DES PROPRIÉTAIRES FORESTIERS PRIVÉS FRANÇAIS: PREMIERS RÉSULTATS DES ENQUÊTES NATIONALES RÉSOFOP
2011-2015 86
Mihai TIVADAR 86
RECYCLAGE DES CENDRES EN FRANCE : UNE ENQUÊTE AUPRÈS DES PROPRIÉTAIRES FORESTIERS PRIVÉS 88
Jens ABILDTRUP, Anne STENGER 88
LA GESTION DU CHANGEMENT DANS LES ORGANISATIONS COMPLEXES : L’APPROCHE DE LA STRATÉGIE COMME PRATIQUE DANS LE
CAS DU CONTRAT D’OBJECTIFS ET DE PERFORMANCE 2016-2020 DE L’OFFICE NATIONAL DES FORÊTS 92
Nathalie CAROL 92
LA FABRIQUE DES CURRICULA, COMPOSANT DES MUTATIONS DE LA FORESTERIE. 96
Jean-Paul GUYON 96
LE PROCESSUS D'INSTITUTIONNALISATION DES ENJEUX CARBONE DANS LA FILIÈRE FORÊT-BOIS 99
Zoé GINTER 99
Quelques impressions issues du colloque
Jean-Luc PEYRON
Les écosystèmes forestiers évoluent d’abord par leur dynamique propre, ensuite sous l’effet de perturbations
naturelles ou anthropiques, enfin en raison des mesures qui en découlent de manière spontanée ou
institutionnelle en matière d’usage et de gestion des forêts. L’histoire est riche d’évolutions et réorientations et
les nombreux défis actuels que doivent relever les forêts en convoquent de nouvelles. La connaissance est au
cœur de ces évolutions constatées ou à organiser ; du point de vue des sciences économiques, humaines et
sociales elle peut s’organiser en quatre grandes questions successives.
Quels constats peut-on faire en matière de mutations et dynamiques à l’œuvre ?
Les déterminants de ces évolutions ou changements sont nombreux : développement de l’urbanisation, du
tertiaire, de la mondialisation et de l’information ; émissions industrielles et changements de l’utilisation des
terres ; conséquences pour le climat et la biodiversité ; mise en place de réponses politiques fondées sur la
transition énergétique, la bioéconomie et les paiements pour services environnementaux, la protection de la
biodiversité... Ces mutations sont analysées à travers des sources multiples de données : cartes, données
macroéconomiques, données de secteur, d’entreprises, voire relatives à des lots de bois mis en vente,
comptes-rendus d’entretiens... On note cependant une difficulté à saisir les évolutions dans la durée (le suivi à
long terme est une gageure) et à produire une vision intégrée préparant les actions à entreprendre.
Quelles approches sont utilisées pour mieux intégrer, justement, la multifonctionnalité des forêts, voire la
réinterroger ?
La gamme d’approches présentées est ouverte depuis l’écologie industrielle jusqu’à l’analyse des
représentations sociales en passant par la façon dont le changement climatique modifie la perception de la
multifonctionnalité. Les attentes sociales évoluent et engagent à faire évoluer la sylviculture. Mais dans quelle
mesure faut-il le faire ou, au contraire, peut-on influer sur des attentes sociales, certes, légitimes mais
imparfaitement informées ? La question de l’échelle d’approche est également majeure pour la prise en
compte de la multifonctionnalité (de la parcelle au territoire), pour la considération de certaines fonctions (par
exemple la fixation du carbone), pour recommander des actions (réduire l’âge l’exploitation est possible sur
une parcelle mais un vœu pieu à large échelle dans l’état du taux de prélèvement de bois dans les forêts
françaises).
L’approche territoriale est-elle la plus appropriée pour raisonner et mettre en œuvre les mutations ?
Elle est largement vue comme une modalité d’action pour aller vers une économie plus durable, circulaire,
privilégiant les circuits courts et de proximité. Elle conduit à mettre l’accent sur une gouvernance fondée sur
des plateformes d’échange, des jeux d’acteurs et des instruments tels que les chartes forestières de territoire,
les plans de développement de massif, les plans d’approvisionnement territoriaux...
Intégrer les diverses stratégies relatives à l’énergie, à la forêt, à l’eau, au changement climatique est un enjeu
de territoire. Mais les stratégies ne peuvent rester confinées au territoire : elles s’interfacent avec les logiques
sectorielles, les initiatives privées, les territoires voisins et l’échelon national. Ce n’est pas non plus parce qu’on
se place au niveau du territoire que tous les conflits disparaissent. Enfin, le curseur entre logiques nationale et
territoriales n’a certainement pas basculé définitivement vers le territoire et l’échelon national reste
prépondérant.
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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
Quelles pratiques et quels outils du changement ?
Bien que le bois continue à constituer le principal revenu de la forêt, ce qui peut être vu comme une rigidité, on
note une volonté de mieux intégrer le changement dans les pratiques. L’élaboration de plans d’action locaux
fondés sur des analyses multicritères et prospectives pour identifier les enjeux et nourrir des scénarios y
contribue incontestablement. La formation est un outil incontournable pour autant qu’elle sache elle-même
évoluer. Le développement de la labellisation ou des paiements pour services environnementaux est égale-
ment facteurs de progrès. Mais la question du changement des pratiques est encore peu effective dans le
monde forestier. On remarque aussi un manque de profondeur temporelle de bon nombre d’analyses qui
privilégient souvent soit des raisonnements à courte échéance soit au contraire à très long terme, en omettant
donc la question de la transition vers le long terme et du traitement de l’incertitude associée.
En conclusion, beaucoup de travail reste à accomplir pour prendre en compte à leur juste valeur les mutations
et à les provoquer pour mieux répondre aux changements auxquels la forêt doit faire face. Des démarches
prospectives véritablement adaptées au problème forestier sont nécessaires pour préparer les bonnes
décisions. Pour appliquer ces dernières, il faut encore réfléchir aux méthodes de gestion du changement
considérées non pas pour elles - mêmes mais en lien direct et concret avec les besoins du secteur.
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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
SESSION 1 | MUTATIONS ET DYNAMIQUES À L’ŒUVRE
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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
Mutations des pratiques et des paysages forestiers dans un domaine national :
Chambord, de la chasse au tourisme de nature
Amélie ROBERT1 et Sylvie SERVAIN
2
UMR CITERES 1 Université de Tours
2 INSA Centre Val de Loire
En France, le Domaine national de Chambord est connu pour être un domaine de chasse, à l’image des forêts
environnantes de Sologne, où cette pratique domine, guidant la gestion qui en est faite, marquant les
paysages, notamment à travers les engrillagements (Carrelet Baltzinger, 2016). Nous nous sommes intéressés à
ce domaine, dans le cadre d’un programme de recherche interdisciplinaire, visant à identifier le rôle des
ongulés dans le fonctionnement de l’écosystème et les services rendus à Chambord1. L’objectif de notre étude
était plus particulièrement de retracer l’évolution des paysages et des pratiques, à des échelles emboîtées, du
domaine aux parcelles de relevés (réalisés par des collègues pédologues et écologues), tout en le resituant
dans son environnement solognot. Dans le cadre de la présente contribution, nous nous intéressons aux
pratiques à l’échelle du domaine, afin d’interroger leur rôle comme facteur de dynamique des paysages. Parmi
ces pratiques, la chasse occupe une place particulière à l’heure actuelle mais surtout d’un point de vue
historique : elle marque le domaine. Quelles dynamiques forestières a-t-elle engendré ? N’y a-t-il pas d’autres
facteurs de dynamique, d’autres pratiques ? Après une présentation des sources que nous avons mobilisées
pour notre étude, nous verrons que la chasse a guidé les dynamiques forestières dans le domaine, depuis sa
création au XVIe siècle mais que, depuis les années 1950, le poids de la chasse s’est amoindri, parallèlement à la
stabilisation de la superficie forestière et surtout, récemment, face à l’apparition de nouveaux enjeux.
Approche méthodologique et sources mobilisées
Le Domaine national de Chambord est un terrain d’étude fort bien documenté. De nombreuses sources
scripturales nous offrent une connaissance détaillée des pratiques et de leurs évolutions. Ce sont les données
d’archives du domaine, auxquelles s’ajoutent la littérature et notamment l’ouvrage de J. Thoreau (1975), qui
fut chef du Service forestier et cynégétique de Chambord : il livre, dans cet ouvrage, de précieux témoignages
sur l’histoire du domaine, de son fonctionnement et des pratiques qui y ont été conduites. Des sources
iconographiques (peintures, tapisseries, gravures, cartes), qui peuvent être anciennes, complètent la
connaissance. Pour la période plus récente, nous avons aussi eu recours aux observations in situ et à la
littérature grise (brochures).
En nous renseignant sur les pratiques et leurs évolutions, les sources scripturales nous ont notamment aidés à
identifier les événements majeurs à l’échelle du domaine et, en fonction de ceux-ci, à choisir des dates clés qui
devaient faire l’objet d’états des lieux de l’occupation des sols. Parmi ces événements, nous pouvons
mentionner, en 1524, le début de la construction du mur qui encercle le domaine. Une fois les dates clés
choisies, encore fallait-il s’assurer que nous disposions de données exploitables ce qui a amené à une
adaptation des dates clés choisies a priori. Malgré leur grand nombre, les sources sont en effet plus lacunaires
à mesure qu’on remonte le passé – comme cela est le cas le plus souvent, pour d’autres terrains. Afin de
1 Ce projet, intitulé Costaud (Contribution des OnguléS au foncTionnement de l’écosystème et AUx services rendus à
ChamborD – 2016-2019), est financé par la Région Centre Val de Loire et est porté par l’Irstea.
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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
réaliser une série de cartographies, nous avons pris le parti de nous focaliser sur les sources spatialisées, à
savoir les cartes et plans et, pour la période plus récente, les photographies aériennes et les bases de données
vectorielles. Ces sources peuvent toutefois présenter des limites : dans certains cas, leur fiabilité peut
apparaître contestable et elles se révèlent peu précises. Ainsi ce n’est qu’à partir de 1949, avec la carte dressée
par J. Thoreau, que l’on dispose d’une connaissance précise de la répartition des peuplements forestiers. Pour
autant, l’analyse de ces sources révèle des résultats notables, permettant de faire le lien entre pratiques et
dynamiques forestières. Elle nous confirme notamment que, depuis le XVIe siècle, la chasse a guidé les
dynamiques forestières.
Résultats
1. Depuis le XVIe, des dynamiques guidées par la chasse
Chambord est historiquement marqué par la chasse. Avant même la construction du château (en 1519), le
territoire est en effet une zone de chasse reconnue et, d’emblée, lorsque le parc est créé et cerné de murs (à
partir de 1524), l’objectif est d’en faire un espace à vocation cynégétique (Thoreau, 1975). Mais, à cette
époque, la forêt n’occupe qu’une superficie restreinte, surtout dans la partie méridionale, « ne représenta[nt]
même pas la moitié de la surface du domaine » (ibid.), au profit de l’agriculture et des landes. Différents états
des lieux ont été dressés, notamment en 1785, 1857 et 1949 et ils confirment qu’une dynamique majeure est à
l’œuvre au cours du XIXe siècle : la progression de la forêt, au détriment de ces deux autres classes
d’occupation des sols, les landes et les cultures. Cette dynamique, que l’on retrouve plus largement en Sologne,
est à mettre en lien avec les plantations qui débutent dans le domaine dès 1821. Elle doit aussi l’être avec la
chasse. Celle-ci marque en effet les paysages. Si la forêt est emmurée, engrillagée, c’est avant tout pour
conserver le gibier dans l’enceinte du domaine. Par la suite, après la construction du mur, la place de la chasse
dans le domaine est confortée.
Depuis les années 1950, la superficie forestière est demeurée relativement stable. On peut toutefois noter
localement la présence de zones restreintes où la forêt a progressé au détriment des landes et des cultures.
Elle a aussi régressé, en d’autres zones, au profit de landes et surtout de prairies à gibier, ce qui témoigne du
fait que la chasse continue d’être un facteur de dynamique, de marquer les paysages au sein du domaine. Mais
de nouveaux enjeux se sont peu à peu développés.
2. Depuis les années 1950, de nouveaux enjeux : préservation de la biodiversité et essor du tourisme
de nature
Depuis les années 1950, la superficie forestière est demeurée stable. Les paysages continuent d’être marqués
par la chasse, notamment à travers l’apparition de prairies à gibier. Pour autant, si on s’intéresse aux
peuplements, on constate que les taillis sous futaie ont régressé au profit des futaies, notamment en raison des
reboisements qui, à cette époque, se font surtout en utilisant des résineux. Or, en Sologne, le taillis est associé
à la chasse ; M. Bénédeau, O. Nougarède et A. Cabanettes (1992) évoquent le « taillis solognot [qui est] plus
voué à la chasse qu’à la production de bois ». Aux côtés des pratiques cynégétiques, d’autres enjeux sont
apparus, faisant évoluer aussi la gestion de la forêt.
Site classé dès 1923, le Domaine national de Chambord est devenu réserve nationale de chasse et de faune
sauvage en 1947 et, depuis 2006-2007, il figure parmi les sites Natura 2000 : sa gestion évolue de ce fait vers
une plus grande prise en compte de la biodiversité et de la nécessité d’œuvrer à sa préservation. Depuis
plusieurs années, notamment depuis sa transformation en EPIC (établissement public industriel et commercial -
2005), le domaine s’est tourné vers le tourisme de nature, ce qui a aussi engendré de nouvelles activités
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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
récréatives en son sein. Il propose en effet désormais aux visiteurs de « découvrir le parc » (site internet du
domaine2), dans la zone ouverte au public, d’ailleurs récemment étendue, ou dans la réserve même (lors de
visites en 4x4). Les touristes sont ainsi invités à observer et comprendre la faune sauvage (cervidés, sangliers
mais également oiseaux) et la flore. Les aménagements (miradors, panneaux d’information) créés le long de la
« grande promenade », circuit ouvert au public en 2017, visent ce même objectif. Il faut souligner que celle-ci a
été tracée pour donner aux visiteurs un aperçu de la diversité paysagère du domaine, tout en permettant un
accès facilité aux abords du château. Ces nouvelles activités influencent la gestion forestière, en faveur surtout
de la faune : il s’agit de maintenir des populations nombreuses pour « faciliter l’observation par le public »
(Direction de la Chasse et de la Forêt, citée par Q. Chaban, 2016), ce qui a une incidence aussi sur la forêt, la
manière dont elle est gérée mais avec peu de changements, sur ce point, par rapport à la chasse, puisqu’elle
requérait déjà des populations nombreuses.
Conclusion
Depuis la création du domaine, les dynamiques forestières au sein de ses murs sont guidées par la chasse,
pratiquée dans un but récréatif. Elle continue de marquer aujourd’hui encore les paysages mais de nouveaux
enjeux sont apparus : protection de la biodiversité et essor du tourisme de nature. Dans ce cas-ci toutefois, les
objectifs restent les mêmes que pour la chasse, puisqu’il s’agit de conserver des populations animales
nombreuses. Ces buts sont difficilement compatibles avec la production de bois, qui ne peut dès lors être que
secondaire. Ainsi, si la forêt de Chambord ne fait pas exception au sein de la Sologne, par l’importance de la
chasse, elle se démarque en revanche à l’échelle nationale en n’étant pas dédiée à la production de bois. Pour
autant, elle n’est pas monofonctionnelle et elle est fortement gérée. Ceci la rapproche des autres forêts
françaises qui doivent, elles aussi, intégrer les activités récréatives, d’autant plus aujourd’hui où on assiste à
une véritable « fièvre verte » perceptible au sein de la société (Decelle et al., 2007). Ainsi, l’étude des mutations
connues par le Domaine national de Chambord au cours de son histoire peut être porteuse de leçons pour les
autres forêts et la manière dont elles devront être gérées.
Bibliographie
Bénédeau, M., Nougarède, O. et Cabanettes, A., 1992, « Histoire et sylviculture aujourd’hui : l’exemple des taillis de la forêt
de Lamotte-Beuvron en Sologne », Norois, t. 39, n° 153, p. 57-80.
Carrelet Baltzinger, M., 2016, Political ecology des engrillagements de Sologne - Tentative de défragmentation du paysage
écologique, politique et disciplinaire, Thèse de doctorat, Agrosystèmes, Ecosystèmes et Environnement, sous la direction de
M. Deconchat et A. Marell, Université de Toulouse, 2016, 359 p.
Chaban, Q., 2016, Domaine National de Chambord et tourisme de Nature. Le cas de l’espèce comme outil de développement
pour le tourisme de nature à Chambord, Mémoire de Master 1 de géographie, sous la direction de Jean Louis Yengué,
Université de Tours, 127 p.
Decelle S., Panassier C. et Pinchart, A., 2007, La Nature dans la ville. Synthèse, Millénaire – Le Centre Ressources
Prospectives du Grand Lyon, Lyon, 23 p.
Thoreau, J., 1975, Chambord rendez-vous de chasse, Paris, Librairie des Champs-Élysées, 288 p.
2 https://www.chambord.org, consulté le 09/01/2018
Les comptes de la forêt française : un outil de détection et de suivi des mutations et dynamiques de la filière forêt-bois ?
Claire MONTAGNE-HUCK, Alexandra NIEDZWIEDZ
UMR Bureau d'Economie Théorique et Appliquée (BETA), Université de Strasbourg, CNRS, Université de
Lorraine, INRA, AgroParisTech
Initiés à la fin des années 1990, les comptes de la forêt sont un ensemble de comptes satellites de la
comptabilité nationale. Ils font annuellement l’objet d’un rapportage européen commandité par EUROSTAT et
réalisé pour la France par AgroParisTech et l’IGN (Institut national de l'information géographique et forestière)
sous l’égide du SDES (Service de la donnée et des études statistiques du ministère de la transition écologique et
solidaire), en collaboration avec le SSP (Service de la statistique et de la prospective du ministère de
l’agriculture et de l’alimentation).
Les tableaux qui constituent ces comptes de la forêt (voir Figure 1) permettent d’apprécier et d’analyser les
principaux agrégats environnementaux et économiques de la filière forêt bois, en unités physiques et
monétaires. Le premier volet s’intéresse au patrimoine forestier et aux surfaces susceptibles de porter de la
biomasse ligneuse (forêt de production et autres terres). La ressource est suivie en surface et en volume (bois
fort total) : les stocks et les flux, physiques et monétaires, permettent de réaliser un bilan annuel
environnemental et économique des ressources forestières françaises ainsi que le bilan du stockage de carbone
en forêt. Le second volet des comptes de la forêt est directement lié à la comptabilité nationale. Il présente les
traditionnels agrégats économiques (Production, Consommation Intermédiaire, Valeur Ajoutée, Formation
Brute de Capital Fixe, Emploi) pour le secteur forêt-bois, avec pour atout supplémentaire d’offrir une
contrepartie physique aux données monétaires d’emplois et de ressources. Ces agrégats comptables
permettent une analyse fine des activités sylvicoles. Si les tableaux européens sur l’aval de la filière sont
restreints aux bois bruts, AgroParisTech, à la demande du SDES, fait un véritable effort de mise en cohérence
des différentes sources dans des tableaux emplois-ressources ventilés par branche et par produit. Pour cela,
des méthodes spécifiques sont mises en œuvre notamment pour le calcul de la valeur du fonds forestier, pour
le calcul du prix moyen de la récolte ou encore pour désagréger la comptabilité nationale à un niveau d’activité
satisfaisant. Les comptes de la forêt offrent ainsi une information détaillée mieux adaptée à la filière forêt-bois
que ne peut l’être la comptabilité nationale qui demeure très agrégée.
FIGURE 1
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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
L’analyse des comptes français de la forêt pour la période 2007-2014 montre notamment :
Une progression constante des surfaces forestières (+0,6%/an) et des volumes sur pied (+1,3%/an)
couplée à des prix élevés des terres et du bois, reflétant l’intérêt économique et écologique du bois.
La valeur totale des forêts de production atteint 6420 €/ha en 2014, dont plus de 20% correspondent
au fonds forestier seul.
Un basculement des usages. La part du bois énergie atteint 50% de la récolte totale en 2014, en
considérant que l’autoconsommation est entièrement du bois de feu. Le bois d’œuvre ne représente
plus que 51% des bois commercialisés (32% dans la récolte totale) contre 60% en 2007 (36% de la
récolte totale en 2007). En intégrant le prix des bois ne passant pas sur le marché, la valeur moyenne
d’un mètre cube bord de route est de 46,4 € en 2014 (soit un redressement +23% depuis 2010). Le
renchérissement du bois énergie permet même de dépasser le prix moyen de 2007 (40,8 €/m3).
Des consommations intermédiaires qui diminuent plus vite que la production (respectivement -16%
contre -13% entre 2007 et 2014). Ainsi, la baisse de valeur ajoutée de la filière sur la période est
maîtrisée (-6% en sept ans).
La valeur ajoutée de la filière bois ne pèse plus que pour 0,6% dans le PIB national. C’est l’amont de la
filière qui semble le mieux se porter, puisque seule la valeur ajoutée de la sylviculture/exploitation
forestière est en progression, pour atteindre 212€/ha en 2014 (781€/ha pour l’ensemble de la filière).
Les industries de seconde transformation ont produit plus de 20 millions de tonnes de produits
dérivés du bois et du papier-carton en 2014. Les déchets bois sont mieux valorisés puisque leur
consommation a été multipliée par 2,7 sur la période étudiée.
Les comptes de la forêt sont utilisés pour renseigner les indicateurs économiques commandités par Eurostat en
complément des statistiques forestières (JFSQ, Fra, SoEF) et présentent un potentiel fort pour l’analyse de la
filière forêt-bois et le suivi des politiques publiques. Outre la publication des résultats des comptes de la forêt
par Eurostat dans sa base de données (http://ec.europa.eu/eurostat/web/forestry/data/database), les travaux
français sur le sujet font régulièrement l’objet de présentations dans des colloques nationaux ou
internationaux ou des réunions professionnelles, et de publications dans des revues scientifiques, rapports
techniques ou documents de travail.
Références
Kurtek O., Niedzwiedz A., Montagné-Huck C. 2018. Les comptes de la forêt : un outil de suivi de la forêt française (2007-
2014). Commissariat Général au Développement Durable, Datalab. A paraître.
Niedzwiedz A., Piton B., Colin A. 2017. European Forest Accounts - Années 2013 et 2014. Rapport méthodologique [Phase
5]. Convention MEDDE/SOeS-LEF-IGN-MAAF/SSP 2016. Mai 2017. 51p.
Niedzwiedz A., Piton B., Colin A. 2016. European Forest Accounts - Années 2013 et 2014. Note de méthode [Phase 2].
Convention MEDDE/SOeS-LEF-IGN-MAAF/SSP 2016. Novembre 2016. 37p.
Niedzwiedz, A., Montagné-Huck, C. 2016. « Past, present, and futur of forest accounting: an overview of the French
experience », Poster présenté à ICAS VII, Rome, octobre 2016.
Niedzwiedz A., Montagné-Huck C. 2015. Past, present, and future of forest accounting: an overview of the French
experience. Annals of Forest Science, 72(1):1-7. DOI 10.1007/s13595-014-0410-4
Niedzwiedz A., 2015. « Que sont devenus les comptes économiques de la forêt ? », 2ème séminaire EFESE, Paris, décembre
2015
Niedzwiedz A., 2014. « Les comptes intégrés environnementaux et économiques de la forêt française », 1er séminaire
EFESE, Paris, mai 2014
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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
Niedzwiedz A., Montagné-Huck C., Colin A. 2013. Comptes intégrés environnementaux et économiques de la forêt
française. Méthodologie pour la période 2007-2010. Commissariat Général au Développement Durable / Service de
l'Observation et des Statistiques. Document de travail n°15. Octobre 2013. 72p
Montagné C., Niedzwiedz A. 2010. Comptes intégrés économiques et environnementaux de la forêt en France - Première
Partie et Seconde Partie. Revue Forestière Française vol. LXII n°5 2010. p. 541-550 et vol. LXII n°6 2010. p. 625-640.
Montagné, C. ; Niedzwiedz, A. ; Stenger, A. 2009. Les comptes de la forêt française: un outil d'évaluation intégré des biens
et services (marchands et non marchands) fournis par la forêt. INRA Sciences Sociales Recherches en Economie et
Sociologie Rurales. 2009, (5) : 1-4.
Montagné, C. ; Niedzwiedz, A. 2007. Evaluation économique des bénéfices marchands et non marchands de la forêt
française. Forêt Entreprise. (176) : 30-33.
De la validation des modèles de simulation bioéconomiques dans le secteur forestier
Ahmed BARKAOUI
UMR Bureau d'Economie Théorique et Appliquée (BETA), INRA, AgroParisTech
Les modèles de simulation contribuent à la compréhension des dynamiques et mutations du secteur forêt bois.
Ces modèles ont été largement utilisés dans l’élaboration des politiques forestières en Amérique et en Europe
à partir du milieu du XXème siècle. Le traitement des questions de recherche actuelles nécessitent l’élaboration
de modèles multidisciplinaires de plus en plus complexes. Dans ce contexte, il se pose la question de la
crédibilité et de la validation et de ces modèles. Dans cette communication, nous précisons la problématique
de la validation et nous exposons les procédures qui peuvent être utilisées dans les modèles bioéconomiques
du secteur forestier.
Introduction
Les modèles de la simulation sectorielle sont utilisés depuis les années 70 dans l’élaboration des politiques de
gestion de la ressource forestière aux Etats-Unis d’Amérique et certains pays européens ayant un secteur
forestier important. Adams et Haynes [1] ont détaillé l’expérience américaine dans la modélisation sectorielle
et son rôle dans l’élaboration et le suivi des politiques. On constate, cependant, que sur 590 pages de leur
publication sur les modèles utilisés, seules quelques pages sont consacrées à la validation. Ce constat de sous-
utilisation des procédures de validation dans la simulation en sciences économiques par rapport à la simulation
en sciences physiques, par exemple, s’explique par la spécificité des sciences économiques et ses méthodes [2],
[3] et par le fait que la pratique de la simulation en économie est relativement récente [4].
La littérature sur la validation des modèles de simulation est assez éclatée sur plusieurs champs scientifiques
disciplinaires ; ce qui peut être une source de confusions sémantiques ou conceptuelles. Les procédures et
tests de la validation des modèles de simulation ont été développés essentiellement en ingénierie et dans les
disciplines scientifiques qui procèdent par l’expérimentation et l’inférence inductive. En économie et en
sciences sociales, même si des débats épistémologiques sur le sujet ont toujours existés, la pratique des
procédures de validation n’a pas connu le même intérêt. Cependant, le renouveau de la modélisation
macroéconomique des années quatre-vingt et la montée en puissance des moyens de calcul sur ordinateur ont
favorisé la construction de modèles plus autonomes nécessitant une démarche de validation et de vérification
[5].
Le paradigme de la validation
Les procédures et tests de validation sont actuellement pratiquées dans le cadre d’un paradigme qui relie la
validation au processus de développement du modèle [6], [7], [8], [9], [10]. Ce paradigme distingue (voir
graphique 1) la validation conceptuelle qui relie la conception du modèle à la théorie et la validation
opérationnelle qui assure, à l’aide de méthodes statistiques, que les résultats des simulations sont conformes
au comportement réel du système modélisé. Comme les modèles ne sont que des représentations simplifiées
et imparfaites d’un système complexe, il n’existe pas une validation opérationnelle unique et intrinsèque3. Ce
constat a au moins deux conséquences limitatives dans la pratique de la validation : i) la nécessité de choisir
des procédures de validation opérationnelle pertinentes par rapport à l’objet modélisé dans un consensus
disciplinaire ; ii) l’arbitrage entre le coût de la validation et la valeur de l’utilisation du modèle : le coût marginal
de la validation peut dépasser l’utilité marginale du modèle.
3 Le succès dans une série de tests augmente la confiance dans le modèle, mais n’asserte pas que le modèle est valide
(Forrester et Senge, 1980).
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La sélection des procédures de la validation opérationnelle dépend en premier lieu de l’observabilité du
système étudié [10]. Dans un système observable et reproductible, les procédures de la validation
opérationnelle seront basées sur des comparaisons entre les simulations et les données collectées à l’aide de
tests statistiques ou de graphiques. A l’inverse, dans un système complexe non reproductible (un système
économique ou système forestier) les procédures de la validation opérationnelle ne peuvent être basées que
sur l’exploration du comportement du modèle à l’aide de méthodes numériques. En économie, ces techniques
sont peu utilisées bien que leur intérêt est soulevé et reconnu par des économistes ([11], [12]) et par des
philosophe de la science qui s’intéressent aux sciences économiques [3].
Les techniques d’exploration du comportement d’un modèle
Importance des facteurs d’entrée.
L’information sur l’importance des facteurs d’entrée d’un modèle dans la variabilité des variables de sortie
permet de conforter le choix de ces facteurs ou de détecter d’éventuelles contradictions avec la théorie sous-
jacente au modèle. Dans la phase de construction du modèle, elle constitue un moyen de développement et de
simplification. La méthode de Morris est une procédure peu couteuse en simulations qui est utilisée à ce
propos. Elle est basée sur une discrétisation de l’espace des facteurs et un échantillonnage particulier constitué
par des trajectoires avec un nombre fixe de tirages aléatoires. L’importance d’un facteur est mesurée par la
variation moyenne de la sortie du modèle sur ces trajectoires aléatoires.
Les indices de sensibilité globale des facteurs et de leurs interactions
L’objectif d’un indice de sensibilité globale des facteurs est de quantifier l’influence des variables d’entrée du
modèle et de leur interaction sur la variabilité des variables de sortie. Dans le cadre de la validation
opérationnelle, les indices de sensibilité permettent d’appréhender le comportement du modèle et sa
vraisemblance avec le système modélisé en repérant les entrées les plus influentes et celles qui interagissent
entre elles. Ils permettent également de concentrer l’effort de calibration sur les paramètres les plus influents
et définir les variables de contrôle les plus importantes.
L’analyse d’incertitude
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L’incertitude sur les entrées d’un modèle se propage dans les variables sorties. L’analyse d’incertitude permet
de mesurer le niveau d’incertitude sur les sorties du modèle induit par le niveau d’incertitude sur les entrées.
Cette information apporte des renseignements utiles dans l’évaluation des résultats du modèle. Elle permet de
définir des intervalles de confiance pour les sorties du modèles ou des probabilités de dépassement de certains
seuils. L’analyse d’incertitude peut être utilisée pour les paramètres incertains du modèle comme pour les
variables exogènes.
Le problème inverse : méthodes bayésiennes de calibration
Le problème inverse consiste à exploiter les observations disponibles pour analyser l’incertitude sur les
paramètres dans le but de la réduire. L’approche bayésien de la calibration a connu un développement
remarquable ces dernières décennies. Elle permet l’estimation des paramètres inconnus conditionnée par les
observations réelles sur les systèmes modélisés.
Conclusion
Les procédures de validation par l’exploration des modèles sont des outils très puissants pour assurer la
pertinence des résultats des simulations obtenus à partir des modèles bioéconomiques du secteur forestier.
Ces procédures font appel à des techniques statistiques qui peuvent nécessiter des moyens de calcul
importants et limitants dans le cas de certains grands modèles. Les développements récents des procédures
qui utilisent des émulateurs4 peuvent réduire considérablement le temps de calcul [13], [14]. Ces procédures
sont, cependant, encore en développement entre spécialistes en statistiques et ne sont pas facilement
disponibles pour les économistes modélisateurs.
Bibliographie
[1] D. M. Adams et R. W. Haynes, Resource and Market Projections for Forest Policy Development: Twenty-five Years
of Experience with the US RPA Timber Assessment. Springer Science & Business Media, 2007.
[2] G. B. Kleindorfer, L. O’Neill, et R. Ganeshan, « Validation in Simulation: Various Positions in the Philosophy of
Science », Manag. Sci., vol. 44, no 8, p. 1087‑1099, 1998.
[3] A. Lehtinen et J. Kuorikoski, « Computing the perfect model: Why do economists shun simulation? », Philos. Sci.,
vol. 74, no 3, p. 304–329, 2007.
[4] Maurice Godelier, « Les Méthodes de simulation en économie; document destiné aux membres du Collège pour la
préparation de l’étude; 1966 », 30-sept-1966. [En ligne]. Disponible sur: http://unesdoc.unesco.org/Ulis/cgi-
bin/ulis.pl?catno=156101&set=0057FC5B52_1_336&database=Use&gp=0&lin=1&ll=1. [Consulté le: 06-nov-2017].
[5] M. Armatte et A. Dahan Dalmedico, « Modèles et modélisations, 1950-2000 : Nouvelles pratiques, nouveaux
enjeux / Models and modeling, 1950-2000 : New practices, new implications », Rev. Hist. Sci., vol. 57, no 2, p. 243‑303,
2004.
[6] Schlesinger Stewart, « Terminology for model credibility », SIMULATION, vol. 32, no 3, p. 103‑104, mars 1979.
[7] L. W. Schruben, « Establishing the credibility of simulations », SIMULATION, vol. 34, no 3, p. 101‑105, mars 1980.
[8] R. G. Sargent, « An Assessment Procedure and a Set of Criteria for Use in the Evaluation of “Computerized Models
and Computer-Based Modelling Tools”. », SYRACUSE UNIV N Y DEPT OF INDUSTRIAL ENGINEERING AND OPERATIONS
RESEARCH, SYRACUSE UNIV N Y DEPT OF INDUSTRIAL ENGINEERING AND OPERATIONS RESEARCH, WP-80-016, févr. 1981.
[9] M. S. Martis, « Validation of simulation based models: a theoretical outlook », Electron. J. Bus. Res. Methods, vol.
4, no 1, p. 39–46, 2006.
4 Un émulateur est une approximation statistique d’un modèle de simulation complexe.
16
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[10] R. G. Sargent, « Verification and validation of simulation models », J. Simul., vol. 7, no 1, p. 12–24, 2013.
[11] E. E. Leamer, « Sensitivity Analyses Would Help », Am. Econ. Rev., vol. 75, no 3, p. 308‑313, 1985.
[12] D. J. Pannell, « Sensitivity analysis of normative economic models: theoretical framework and practical
strategies », Agric. Econ. J. Int. Assoc. Agric. Econ., vol. 16, no 2.
[13] J. E. Oakley et A. O’Hagan, « Probabilistic sensitivity analysis of complex models: a Bayesian approach », J. R. Stat.
Soc. Ser. B Stat. Methodol., vol. 66, no 3, p. 751–769, 2004.
Une analyse micro-économique du secteur forêt-bois français
Enrico DE MONTE, Anne-Laure LEVET
Pôle Environnement, Economie, Bio-Ressources, FCBA
Contexte et enjeux
La filière forêt-bois connaît depuis plusieurs années des évolutions importantes de la demande tant en volume,
qu’en caractéristiques. Le processus de transition énergétique, engagé depuis plusieurs années et réaffirmé par
la loi de transition énergétique du 17 août 2015, se traduit par des objectifs de développement des énergies
renouvelables, qui doivent représenter 23 % de la consommation énergétique en France en 2020 et 32 % en
2030 (au lieu de 14,2 % en 2013). Gisement clé pour l’atteinte de ces objectifs, le bois-énergie s’est déjà
fortement développé depuis une dizaine d’années avec, par exemple, la multiplication par 5 entre 2005 et 2016
de la commercialisation en volume de connexes de scieries destinés à la production d’énergie. Parallèlement,
l’usage du bois connaît un certain essor dans la construction, selon les segments de marché, et est soutenu par
les pouvoirs publics. Enfin, d’autres changements structurels sont également à l’œuvre ces dernières années et
peuvent impacter l’équilibre des industries du bois, comme le développement du numérique et des objets
connectés, qui entraîne une baisse de la demande en papier journal ou magazines, ainsi que l’avènement de
marchés de produits bio-sourcés (fibres, chimie).
Problématique et objectifs
Les évolutions de la demande interrogent la structure, les échanges et la compétitivité de la filière pour y
répondre. Il existe peu de travaux dans la littérature sur la compréhension de la structure économique de
l’outil industriel des secteurs forêt-bois ainsi que sur le rôle des différents facteurs de production dans la
dynamique de performance des entreprises. La modélisation économique s’est jusqu’à présent plutôt
concentrée sur l’analyse de l’équilibre en amont entre l’offre et la demande de bois à travers des modèles
d’équilibre partiels (FFSM, EFI-GTM, GFPM…). Pour pallier ces manques, ce projet de recherche a pour objectif
d’améliorer à travers la modélisation la représentation économique des industries de transformation du bois. Il
s’agit également de développer un outil de simulation permettant de comprendre les interactions entre les
secteurs de la filière et d’analyser les impacts de changements de la demande.
La première étape de ce travail consiste à formaliser les fonctions de production et de coûts et à les estimer de
façon empirique à l’aide de données observées. Les résultats présentés ici portent sur les statistiques
descriptives en termes de dynamique d’utilisation des facteurs de production, d’évolution de la productivité et
de dynamiques d’entrée et sorties de marché.
Méthodes
Le périmètre de l’étude concerne la filière bois industrielle comprenant principalement les secteurs de la 1ère
et
de la 2ème
transformation. Il s’agit plus précisément des secteurs 16 (Travail du bois), 17 (Pâte, papiers-cartons)
et 31 (Meubles), décomposés en plusieurs sous-secteurs dans le schéma ci-dessous.
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Code NAF :
Interconnexionpar la demande interindustrielle :
2è
me
Tran
sfo
rmat
ion
1è
re
Tran
sfo
rmat
ion
L’o
ffre
de
b
ois L’industrie du bois
Secteur industriel :
Panneaux à base de
bois
Sciages et connexes
Bois-énergie
Pâte à papier
Bois d’œuvre
Bois d’industrie
Offre de bois
Reste du
monde
Consommateur final Déchets bois
Construction /
Structure
Second œuvre
(portes, fenêtres…)
Autres Travail du bois
Palettes, caisses-palettes
Tonnellerie
Meubles
Papier
Papiers-cartons
16 17
16
16
16
31
17
SCHEMA DE LA FILIERE FORET-BOIS INDUSTRIELLE
Pour ces trois secteurs d’activité, les variables des facteurs de production : capital, travail et consommations
intermédiaires ont été construites, de façon à estimer la fonction de coûts et la demande d’inputs selon les
relations suivantes :
Y = f(L, K, M)
Avec L = travail ; K = capital ; M = consommations intermédiaires et Y = production
Et
C = Wl Wl + Wk Xk + Wm Xm
Avec C = coût total ; W = prix d’un facteur et X = quantité d’un facteur
Les données utilisées pour réaliser les estimations sont principalement les données du compte de résultat
(chiffre d’affaires, valeur ajoutée, consommations intermédiaires, salaires…) et du bilan (investissements…)
fournies par l’enquête ESANE de l’INSEE (données FARE). L’accès aux données individuelles d’entreprises via la
procédure du Comité du secret permet de travailler sur un échantillon de plus de 51 000 observations pour la
période 2009-2014.
Résultats
Evolution du nombre d’entreprises
Le nombre d’entreprises pour l’ensemble des secteurs 16,17 et 31 a diminué de plus de 18 % entre 2009 et
2014. La baisse est plus marquée pour les petites entreprises (moins de 10 salariés). De même, elle est plus
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forte pour le secteur du meuble (- 32,2 %) que pour les secteurs du travail du bois (- 8,7 %) et de la pâte,
papiers-cartons (- 8,2 %). Les sorties de marché ont surtout eu lieu dans les années post-2008 (on compte 6 fois
plus de sorties en 2009 qu’en 2014), du fait de la crise financière et économique. A l’inverse, les entrées sur le
marché sont plus élevées en 2014 qu’en 2009 mais n’ont pas permis de compenser les nombreuses sorties
enregistrées dans les 1ères années post-crise.
Nombre d’entreprises par rapport à la taille
Sector Year 1 2 3 4 5 6 Total
All 2009 6694 1214 1026 326 203 101 9564
All 2014 5266 1077 908 276 192 89 7808
All Change -21.33 -11.29 -11.5 -15.34 -5.42 -11.88 -18.36
16 2009 3172 674 505 122 64 18 4555
16 2014 2898 620 450 115 57 17 4157
16 Change -8.64 -8.01 -10.89 -5.74 -10.94 -5.56 -8.74
17 2009 384 187 244 106 89 61 1071
17 2014 329 185 232 94 85 58 983
17 Change -14.32 -1.07 -4.92 -11.32 -4.49 -4.92 -8.22
31 2009 3138 353 277 98 50 22 3938
31 2014 2039 272 226 67 50 14 2668
31 Change -35.02 -22.95 -18.41 -31.63 0 -36.36 -32.25
Taille des entreprises:
1 : [1, 10] salariés ; 2 : [11, 20] salariés; 3 : [21:50] salariés; 4: [51:100] salariés; 5 : [101:250] salariés; 6 :
[250:5000] salariés;
Source : données FARE / INSEE – calculs FCBA
Utilisation des facteurs de production
Le graphique ci-dessous montre une baisse sensible de la demande du facteur travail sur l’ensemble des
secteurs étudiés (16-17-31) sur la période 2009-2014, alors que la production diminue moins fortement. A
l’inverse, la demande en capital augmente, ce qui peut refléter une capitalisation croissante de la structure de
production (automatisation…).
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Distribution de la production
La distribution de la production montre une forte hétérogénéité selon la taille des entreprises. Le dernier
quantile produit 10 fois plus en moyenne que le 1er
quantile. Les grandes entreprises produisent la majorité de
la production totale.
Quantiles de Production
sector Year y_25 y_50 y_75
all 2009 1.46 4.14 14.59
all 2014 1.76 5.02 17.88
16 2009 1.89 5.2 15.16
16 2014 1.93 5.31 16.05
17 2009 6.66 23.39 72.55
17 2014 8.88 27.24 86.78
31 2009 1.07 2.19 6.61
31 2014 1.32 2.83 8.56
Source : données FARE / INSEE – calculs FCBA
Evolution de la productivité
Une forte hétérogénéité est également observée sur le niveau de la productivité globale des facteurs. La
représentation graphique ci-dessous montre que les entreprises de grande taille (classe 6) sont beaucoup plus
productives que les petites entreprises, cette tendance étant relativement stable entre 2009 et 2014. Elle peut
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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
constituer un élément pour expliquer la capacité de survie plus faible en moyenne des petites entreprises par
rapport aux plus grandes.
Source : données FARE / INSEE – calculs FCBA
Patrimoines productifs et développement de la bioraffinerie : Les mutations de la filière forêt bois du massif landais
Aliénor DE ROUFFIGNAC
IRSTEA Bordeaux - Laboratoire REGARDS - Université de Reims Champagne Ardenne URCA
Depuis quelques années, le développement des bioraffineries, notamment forestières, est favorisé par des
dynamiques multi échelles (NWBC 2012). Le contexte du changement climatique, de la bioéconomie et de la
transition énergétique, qui affirme la nécessité de substituer les matières fossiles par des matières
renouvelables, est le socle macroéconomique de cet engouement grandissant pour la chimie du bois (Tissot-
Colle and Jouzel 2013). Intrinsèquement à la filière forêt bois, c’est dans un contexte de déclin de l’industrie
papetière que certaines usines tendent à diversifier leurs activités industrielles en développant le secteur de la
bioraffinerie en tant que brique complémentaire au complexe industriel en place (Kamm and Kamm 2004). La
bioraffinerie représente également pour les entrepreneurs une opportunité de se positionner sur les marchés
émergents de la chimie verte, favorisé par divers programmes de financements publics.
A l’heure actuelle, il existe trois types de bioraffinerie forestière susceptibles de venir se développer
considérablement au sein de la filière.
La bioraffinerie de type I est une bioraffinerie ex nihilo à la production unique (de biocarburant, ou
d’extractibles) (Clark and Deswarte 2015).
La bioraffinerie dite intégrée, Integrated Products Biorefinery (IFBR), (ou de type II) consiste à
implanter des unités de production de bioraffinage dans les usines de pâtes et papiers (Wising and
Stuart 2006)
La bioraffinerie de type III serait capable quant à elle de produire indifféremment des biocarburants ou
des produits chimiques à partir de diverses sources d’approvisionnement lignocellulosique (Clark and
Deswarte 2015).
Traditionnellement basé sur un modèle d’économie circulaire, la filière forêt bois semble structurée en un
espace institutionnel autour de trois sous-filières (bois d’œuvre, bois d’industrie, bois énergie) interconnectés
entre elles par des déchets de production pour les uns, qui deviennent des ressources pour les autres (FCBA
2015). L’émergence de ces nouveaux modèles industriels de bioraffineries lignocellulosiques mettent
potentiellement sous tension cette structure traditionnelle. L’enjeu de cette recherche consiste à analyser les
mutations potentielles de la filière forêt, associée au développement de la bioraffinerie. Ces mutations
s’opèrent à travers les stratégies d’intégration de la bioraffinerie au sein des différents sous-espaces et
maillons de la chaîne de valeur bois-forêt, dont nous cherchons à en déterminer les impacts.
Les mutations de la filière forêt bois émergent en différents espaces d’actions, dont les spécificités dépendent
des territoires dans lesquels ils prennent place et des tissus d’acteurs qui les portent. L’évolution de ces
espaces d’actions est alors assujettie aux logiques –souvent divergentes- des acteurs qui manipulent ces
espaces de manière à porter les stratégies des firmes ou des secteurs auxquels ils sont associés. La mise en
perspective de ces différentes stratégies d’actions nous permet d’expliquer les dynamiques de la filière forêt
bois et les problématiques liées à la double optique d’usage et de conservation de la ressource forestière ; on
fonde ici notre analyse sur l’existence de patrimoines productifs collectifs (Vivien et Nieddu 2014), ancrés
territorialement, que des acteurs cherchent à projeter dans le futur (Barrère et Nieddu 2014).
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Afin de mener à bien cette étude, nous avons réalisé une étude empirique de 4 terrains (2 principaux, 2
périphériques ; en France et au Québec) impactés par le développement de la bioraffinerie forestière. Une
revue de littérature académique et une revue de presse a été réalisée pour chacun des 4 terrains, puis des
entretiens semi directifs ont été menés dans le territoire de la Tuque (Québec) et dans celui du massif landais.
Afin de pouvoir rendre compte de la diversité des stratégies de la bioraffinerie forestière au sein du massif
landais, nous avons identifié les différents sous-espaces de la filière forêt progressivement investis par les
acteurs porteurs de projets de bioraffinerie, ainsi que les différents leviers mobilisés à travers le temps pour y
parvenir. Enfin nous avons cherché quels en étaient les impacts tangibles en termes de flux de biomasse.
Le massif landais accueille aujourd’hui trois usines de bioraffinerie forestière. L’entreprise DRT, construite en
1932, vend des dérivés terpéniques extraits à partir de résine de pin. Son implantation à Vielle Saint Girons
coïncide avec la crise résinière française de 1930 qui s’est traduite par le déclin de l’activité de gemmage, avec
un prix de la résine en forte baisse (Guinaudeau 1961, Papy 1973, Esparon and Guyon 2017). L’entreprise
bénéficiait également d’un lien étroit avec l’Institut du pin, un laboratoire de chimie appliquée à la résine, créé
en 1899 à Bordeaux (Krasnod bski 2016). Plus tard en 1980, Biolandes s’installe à Le Sen au cœur des Landes
afin de distiller les aiguilles de pin maritime. L’entreprise familiale se démarque technologiquement en
déposant un brevet en 1987 sur le procédé d’hydrodistillation en continu5, destiné à la production d’huiles
essentielles à échelle industrielle (Coutiere 1990). Enfin, suite au déclin de l’industrie papetière, le groupe Saint
Gobain décide de fermer son usine de Tartas au bisulfite en 1994. Quelques mois plus tard, Tembec -dont
l’usine mère est également une usine papetière au bisulfite transformée en bioraffinerie dans les années 80-
décide de racheter l’infrastructure et de la convertir progressivement en bioraffinerie. En pleine expansion,
Tembec possède les capacités d’investissements mais surtout le savoir-faire et l’expérience nécessaire à cette
conversion.
Tembec s’est donc positionné sur le secteur des pâtes et papiers au niveau très spécifique de la mutation
d’infrastructures fonctionnant au bisulfite. Plus récemment en novembre 2017, Tembec a été officiellement
racheté par le groupe américain Rayonier, leader dans la cellulose de haute pureté. Cette stratégie de fusion
acquisition a permis à Tembec de renforcer leur position en aval de la filière forêt bois, sur le marché global des
celluloses de spécialité. Dans le cas contraire, l’entreprise Biolandes adopte une stratégie d’intégration
verticale de la filière forêt bois vers l’amont, en rachetant la scierie de Servary en 2011, tandis que DRT se
positionne sur une logique d’écologie industrielle en développant un procédé de fractionnement du Tall oil6.
Afin d’intégrer davantage la filière forêt bois landaise, Biolandes et DRT s’associent en mars 2014 et créent la
société de holding ATTIS 2, en partenariat avec le crédit agricole et BpiFrance7. Quelques mois plus tard, ATTIS
2 devient actionnaire majoritaire du groupe Gascogne, avec à sa tête, la nomination de Dominique Coutières le
fondateur de Biolandes. Le groupe Gascogne, né avec la construction de l’usine papetière de Mimizan en 1925,
a intégré verticalement la filière forêt bois dès 1975 et déclare aujourd’hui exploiter l’ensemble du pin
maritime depuis la souche jusqu’aux aiguilles.
Concernant les flux d’approvisionnement, la recherche de proximité avec la ressource en pin maritime ou
résine qui ont motivé la construction des usines de bioraffinerie n’est plus d’actualité. Avec l’arrêt progressif de
l’activité économique de gemmage dans le massif landais, DRT a dû développer un réseau
d’approvisionnement externe au territoire, en se procurant de la résine dans le monde entier. De même pour
Biolandes, qui a rapidement diversifié sa distillation d’aiguilles de pin avec la fabrication d’huile essentielles de
5 Procédé d’extraction ou de séparation de substances organiques par entrainement à la vapeur des molécules volatiles. 6 Liqueur noire, déchet issu de la fabrication de la pâte à papier kraft
7 Présidée par la caisse des dépôts, BpiFrance est une banque publique d’investissement et de développement des entreprises.
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plantes exotiques. Quant à Tembec, le rachat de l’usine papetière lui a permis d’en récupérer le réseau
d’approvisionnement initial. Cependant, l’approvisionnement en bois, notamment en connexes de scierie, n’est
pas figée. En fonction de la disponibilité de la ressource et de la fluctuation des prix, Tembec réajuste ses
achats en se procurant près de la moitié de ses connexes à des scieries espagnoles.
De ces trois bioraffineries émerge néanmoins une stratégie commune récente de quelques années. Appuyée
par des financements publics délivrés dans le cadre de la transition énergétique, chaque infrastructure possède
désormais une chaudière à biomasse qui permet au complexe industriel d’être dans une logique
d’autosuffisance en énergie verte, voir de revendre des surplus en électricité grâce à la construction d’une
turbine de cogénération (Tembec et DRT), ce qui participe au développement de la filière bois énergie dans les
Landes.
Au vu de ces éléments, il est possible d’affirmer que des mutations portées par les acteurs de la bioraffinerie
sont bien à l’œuvre au sein de la filière forêt landaise. Cependant, il s’agit de mutations invisibles, dans la
mesure où elles n’impactent pas les flux de biomasses de manière significative. En grande partie externe au
territoire du massif Landais, l’approvisionnement des bioraffineries extractibles se positionnent sur une
ressource non concurrentielle au tissu industriel de la filière forêt locale, tandis que Tembec a hérité du réseau
d’approvisionnement initial de l’usine papetière que l’entreprise a racheté. Seule la stratégie de chaudière à
biomasse interne au complexe industriel serait susceptible de rajouter une pression supplémentaire sur la
ressource en bois du massif landais. Mais cette stratégie n’est pas inhérente à la bioraffinerie et concerne
également l’ensemble du secteur de l’industrie papetière. Cette croissance du secteur bois énergie porté par la
transition énergétique dans le massif landais a conduit à plusieurs recherches -notamment sur l’exploitation
des souches- et témoigne d’une stratégie industrielle de création de ressources spécifiques unique en France,
communes aux secteurs de la bioraffinerie en partenariat avec l’industrie papetière (Banos et Dehez 2017).
Il convient donc de s’interroger sur la nature des mutations apportées spécifiquement par la bioraffinerie.
Davantage structurelles, financières et organisationnelles, ces mutations invisibles dépendent bien de
patrimoines productifs territorialisés sur le temps long. A partir de la mobilisation de savoir-faire socio
techniques, d’infrastructures existantes et de stratégies financières ou de propriétés intellectuelles, les acteurs
porteurs de la bioraffinerie ont su s’adapter à un contexte territorial mouvant. Ils ont diversifiés leur
production et se sont positionnés sur des marchés locaux comme sur les marchés émergents de la chimie
verte. L’encastrement des filières forêt chimie et énergie nous amène alors à nous poser cette la question des
répercussions des secteurs en amont des filières forêt bois à l’échelle locale, et de la gouvernance de la
ressource naturelle, base commune à ces différents secteurs.
Bibliographie Banos, V., & Dehez, J. (2017). Le bois-énergie dans la tempête, entre innovation et captation? Les nouvelles ressources de la
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Après la catastrophe, le changement dans la continuité ?
Philippe DEUFFIC, Vincent BANOS
Irstea Bordeaux
Contexte et problématique
Après des catastrophes naturelles de grande ampleur, victimes et décideurs publics – affirment généralement
haut et fort que plus rien ne sera comme avant et qu’ils mettront tout en œuvre pour que la crise ne se répète
pas. En forêt aussi ce type de discours volontaristes a été porté notamment après les tempêtes de 1999 et
2009 ou la sécheresse de 2003. Pour certains la crise qui suit ces événements extrêmes serait même propice à
des changements de pratiques (Banos et Dehez, 2017; Keskitalo et al., 2015 ; Lawrence, 2017 ). Pour d’autres,
la crise pousserait au contraire à se retrancher sur des itinéraires déjà connus plutôt que de rajouter un risque
supplémentaire à une situation déjà compliquée à gérer (Deuffic, 2015; Lidskog et Sjödin, 2014 ). La présente
réflexion vise à contribuer à ce débat sur les relations entre événements climatiques extrêmes (ECE) et
changements de pratique sylvicoles à partir de deux cas d’études empiriques.
Terrains d’études, matériel et méthodes
Le premier cas d’étude choisi est le massif des Landes de Gascogne où la tempête Klaus de 2009 a renversé
223 000 ha de pin maritime (45 Mm). Nous avons réalisé des enquêtes qualitatives auprès des propriétaires
forestiers (n=39) en 2009 puis en 2013 (n=36) et une enquête quantitative en 2015 (n=432). Le second cas
d’étude se situe dans le Pays de Sault, plateau de 68 000 ha boisé à 40% de sapins. En 2003, cette zone de
sapinière méridionale a subi de plein fouet une sécheresse sévère qui s’est prolongée jusqu’en 2007. Près de
5 500 ha de sapins ont été atteints et 93 000 m3 de bois de sapins ont été perdus. Pour étudier cette crise,
nous avons réalisé des enquêtes qualitatives en 2016 (n=41). Le dispositif méthodologique déployé permet une
approche comparée et diachronique relativement originale.
Résultats
1) Gestion de crise, le temps de l’émotion et des questionnements
Dans le cas de la tempête Klaus, les propriétaires forestiers sont d’abord passés par une phase d’abattement.
Ce sentiment était d’autant plus fort que les informations relayées par leurs porte-paroles sur la mise en place
du plan chablis ne portaient pas forcément à l’optimisme. Les propriétaires forestiers ne disposaient pas non
plus d’explications rationnelles permettant d’expliquer cette fréquence décennale et anormale des tempêtes.
La tentative de limiter l’imputation des causes à la seule force du vent étant vite écartée, les propriétaires
forestiers sont alors passés à une phase de critiques promouvant des solutions en rupture avec les itinéraires
passés (abandon de l’entretien par rouleau landais, baisse du nombre d’éclaircie, extension des plantations de
pin taeda, valorisation des chênes et des robiniers, introduction d’autres essences, etc). Même non validées
techniquement, l’expression de cette diversité de solutions permettaient au propriétaire forestier d’entrevoir
une sortie de crise et donc d’envisager l’avenir de manière plus optimiste.
Dans le Pays de Sault, les enquêtés témoignent avoir vécu la sécheresse de 2003 comme un événement moins
brutal, moins immédiat et étalé dans le temps. Les sapins ont séché sur pied mais de façon très hétérogène et
les dégâts étaient dispersés dans l’espace. Certains enquêtés avouent cependant avoir cédé à un moment de
panique car des dépérissements de cette ampleur n’avaient pas été constatés depuis plus de 50 ans. Les
propriétaires forestiers ont alors tenté de tirer le maximum de valeur des arbres. Mais en baissant la densité à
27
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l’hectare, les récoltes anticipées ont diminué l’ambiance forestière et accentué la spirale du desséchement
fatale aux sapins restants. Elles ont aussi contribué à augmenter les stocks de bois sur le marché et accentué la
chute des cours.
2) Gestion de crise, le temps de la raison et des experts
Après le nettoyage des parcelles, les professionnels de la filière se sont positionnés très vite dans l’espace
public et ils ont mobilisé un large soutien pour mettre à l’agenda politique la question de la reconstitution du
massif landais. Pour faire valoir la nécessité de reboiser aussi vite que possible, les acteurs industriels ont
notamment dramatisé les risques de pénurie de bois (Laffite et Lerat, 2009). Ces actions, qui se sont traduites
par la mise en place du plan chablis (489 millions d’euros), n’ont pas conduit à renverser la table sur le plan des
itinéraires sylvicoles. Appuyées par les projections à dire d’experts sur le développement du bois-énergie, elles
ont même eu plutôt tendance à conforter les orientations productives engagées depuis plusieurs années déjà,
à savoir la production de bois d’industrie destinés à la papeterie, à la trituration, l’emballage, etc.
Dans le Pays de Sault, le sapin, longtemps plébiscité et favorisé par les forestiers, est apparu comme une
essence toujours d’actualité mais en sursis et que les experts locaux déconseillaient dans toute une série de
situations stationnelles considérées comme limite. Ils ont aussi promu une « gestion dynamique » des
peuplements de sapin (raccourcissement de la rotation de 140 à 100 ans) et valorisé l’introduction du cèdre
(CRPF Languedoc Roussillon, 2016).
3) Dix après, le constat d’un retour aux routines ?
Dans le massif landais, 10 ans après la crise, 198 000 ha de forêts ont été nettoyés et 192 000 ha sont prévus à
la plantation. Mais alors que des pistes de réflexion avaient été évoquées visant à introduire une plus grande
diversité d’essence, 95% des reboisements ont été réalisés à base de pin maritime. Si la clause biodiversité a
permis de préserver voire de planter des essences feuillus peu productives, l’essentiel de la diversification –
soit moins de 5% des surfaces – s’est faite en pin taeda, robinier, voire eucalyptus.
Dans le Pays de Sault, certains propriétaires forestiers se rappellent que des préconisations techniques se sont
révélées après coup de fausses bonnes idées telles que la baisse des densités à l’hectare où l’éradication des
buis. Les propriétaires forestiers sont alors revenus aux régimes d’éclaircies antérieures et ont décidé de ne
plus éradiquer totalement les buis dans les sapinières. S’ils n’éprouvent pas de regret vis-à-vis de ces essais,
estimant que l’expérimentation et le droit à l’erreur font partie de leur activité, ils se montrent désormais
prudents et reviennent souvent à des modes de gestion connus et aux risques maîtrisés.
4) Des changements à la marge
Malgré des réticences à changer leur mode de gestion forestière, les propriétaires forestiers ont réalisé des
changements de pratiques significatifs sur les deux terrains :
le raccourcissement des rotations : dans le massif des Landes de Gascogne, 39% des propriétaires
forestiers landais envisagent désormais comme premier choix d’itinéraire des rotations à 45 voire 35
ans, et 14% des rotations inférieures à 35 ans (Brahic et Deuffic, 2017). Dans le Pays de Sault, les
raccourcissements à 100 ans sont envisagés mais pas en deçà des 80 ans. Si les propriétaires forestiers
les plus actifs adhèrent à cette stratégie, certains redoutent que «le terme « dynamique » ne rime
avec intensification et que seule la maximisation de la croissance soit favorisée aux dépens des autres
services écosystémiques ;
Bois énergie et souches : dans le massif landais, la part de propriétaires forestiers qui a vendu du bois
énergie a bondi après la tempête de 2009 puisque 29 % des propriétaires ont vendu du BE à la suite de
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cet événement alors qu’ils n’étaient que 10 % avant la tempête (Brahic et Deuffic, 2017). Le bois
énergie constitue pour eux un moyen de couvrir des besoins de trésorerie à court terme et une
possibilité de répartir les risques économiques sur différents types de marché. La tempête a
également accéléré l’extraction des souches en facilitant l’expérimentation et la mise en marché
(Banos et Dehez, 2017). De nombreux propriétaires ont tenté l’expérience, d’autant que des aides
publiques ont permis de les extraire à moindres frais. Mais les propriétaires s’interrogent toutefois sur
le juste prix de ces souches, ce que la situation exceptionnelle (tempête et accès aux aides) a quelque
peu faussé ;
Les changements d’essences : en Pays de Sault, les changements techniques les plus importants ont
été réalisés sur les parcelles où la régénération naturelle n’a pu se faire. Dans ce cas, des plantations
artificielles de cèdre de l’Atlas ont été réalisées mais ces plantations requièrent des investissements de
départ très élevés, de l’ordre de 5 000€/ha. Seuls les propriétaires les mieux dotés en capital financier
peuvent se permettre ce genre de plantations. Or prendre ce genre de décisions constitue un pari
difficile à relever au lendemain d’un épisode de dépérissement.
Discussion-conclusion
Tout en envisageant un large éventail de possible, les propriétaires forestiers se sont rapidement tournés vers
des personnes ressources connues pour atténuer leurs incertitudes. Leur position d’expert ont conféré à ces
personnes une autorité épistémique, c'est-à-dire une légitimité à décrire, définir et expliquer la réalité (Gieryn,
1999). Cette position d’autorité et le fait qu’elles soient souvent les seules ressources disponibles leur a permis
de conforter et de « naturaliser » des trajectoires déjà pensé par ailleurs. Et même si des discours critiques ont
pu remettre en cause momentanément leur expertise, ces avis contraires ont été peu entendus et peu
présents dans les arènes de débats. De fait, les experts « déjà-là » sont restés les principaux référents et ils ont
négociés les solutions dans des arènes de débats discrètes (Gilbert et Henry, 2012), rappelant à l’occasion que
l’essentiel du tissu industriel était configuré pour transformer du pin maritime ou du sapin et que les
débouchés et les marchés immédiatement accessibles l’étaient pour ces essences et pour un certain type de
bois (bois moyen). Ce type de discours n’a pas contribué à ce que les propriétaires forestiers prennent des
risques économiques ni à tester des itinéraires originaux. De plus la crise n’étant pas un moment propice pour
la réflexion « sur table ou au bureau » (Lidskog et Sjödin, 2014), la plupart des experts et des professionnels du
secteur ont pu proposer des solutions prêtes à l’emploi, immédiatement mobilisables et déjà plus ou moins
testées sur des sites expérimentaux à l’image des souches dans le massif landais (Banos et Dehez, 2017) ou des
plantations dans le Pays de Sault. Ils laissaient ainsi entrevoir aux victimes une porte de sortie dans laquelle il
est facile de s’engouffrer. Enfin, les arguments vantant la sécurité, voire la réversibilité de ces itinéraires ou
nom de la stratégie dite « sans regret » ont renforcé les convictions des propriétaires forestiers comme quoi,
certes ces itinéraires avaient certes failli mais que c’était encore ce qui se faisait de mieux. Pour autant, on
n’assiste pas non plus à une adhésion aveugle à tout ce que les experts proposent en matière de solution. On
voit ainsi que l’adhésion des propriétaires forestiers aux itinéraires les plus « révolutionnaires » comme les
itinéraires à courte rotation ou les peuplements semi dédiées est très faible. Choisir ces itinéraires est un risque
que très peu de propriétaires sont prêts à prendre en situation de crise et ce malgré l’autorité épistémique
qu’ils peuvent conférer aux experts.
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Bibliographie
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SESSION 2 | DES APPROCHES DIVERSES POUR DES OBJECTIFS
MULTIPLES
L’adaptation aux changements climatiques, un risque pour la multifonctionnalité des forêts ?
Timothée FOUQUERAY1, Antoine CHARPENTIER
2, Michel TROMMETTER
3 and Nathalie FRASCARIA-LACOSTE
1
1 Unité Ecologie, Systématique et Evolution (ESE), AgroParisTech, CNRS, Universités Paris-Sud et Paris-Saclay
2Master Bioterre, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
3Laboratoire d'Economie Appliquée de Grenoble (GAEL), INRA, CNRS, Grenoble INP, Université Grenoble Alpes
Contexte
Les forêts françaises sont de facto des espaces multifonctionnels : habitats naturels, espaces productifs,
récréatifs, patrimoniaux, etc. Ce principe de multifonctionnalité est par ailleurs inscrit dans le code forestier et
les programmes nationaux et régionaux de la forêt et du bois.
Les réponses à apporter aux changements climatiques en forêt, quant à elles, sont détaillées dans de (très)
nombreuses politiques publiques : plan national d’adaptation au changement climatique, stratégie nationale
bas-carbone, stratégie nationale pour la biodiversité, … Bien que les mentions de l’adaptation n’excluent pas la
multifonctionnalité, les objectifs des politiques publiques conservent une approche « par fonction » de
l’adaptation. Ces travaux s’inscrivent dans la thèse interdisciplinaire de Timothée Fouqueray, et ont constitué le
stage de deuxième année de master Bioterre d’Antoine Charpentier.
Enjeux
Mener une prospective sur ce que font (ou pas) les forestiers pour s’adapter. Compléter la connaissance des
discours sur ce que l’on doit faire (politiques publiques) et ce que l’on pourrait faire (études scientifiques).
Problématique
Les adaptations1 mises en place ou prévues sont-elles un risque pour la multifonctionnalité des forêts ?
Méthode
Nous avons voulu observer les options d’adaptation retenues par les forestiers, tout en privilégiant leur liberté
de parole et leurs préoccupations. Ainsi, nous avons privilégié les dires d’acteurs par entretiens semi-dirigés,
analysés thématiquement en s’appuyant sur le logiciel Sonal. Afin de rendre compte de visions contrastées en
termes d’histoire sylvicole et d’itinéraires de gestion, nous avons retenu les Vosges du Nord et les Landes de
Gascogne pour réaliser l’enquête. Les zones d’étude sont en outre deux parcs naturels régionaux (la Fédération
des PNR étant partenaire du projet de recherche-action). Finalement, ce sont 14 entretiens dans les Vosges et
13 dans les Landes (durée : 1h à 5h30) qui nous auront permis de rencontrer des propriétaires privés,
gestionnaires, experts forestiers, conseillers municipaux ou maires, personnels de l’ONF, des CRPF et des
Chambres d’agriculture. Nous les remercions chaleureusement pour le temps qu’ils nous accordé.
Résultats
* Sur les 27 entretiens, 97 mentions d’adaptation ont été relevées (elles étaient soit explicitées comme de
l’adaptation par la personne interviewée, soit non-explicitées mais correspondant à des actions d’adaptation
citées dans la littérature). La moitié est déjà opérationnelle.
1 Il s’agit donc bien de comprendre l’adaptation en son sens stratégique (ce que font les humains pour répondre à leurs
objectifs) et non pas biologiques/évolutifs/darwiniens.
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* Ces 97 adaptations peuvent être regroupées selon leurs modes d’adaptation. Exemples (non-exhaustifs) :
- adaptations techniques/sur les essences (migration assistée, mélanges d’essences, …) - adaptations économiques sur les débouchés du bois (réponse à la demande en bois-énergie,
étalement temporel des risques climatiques via des contrats d’approvisionnement, …) ou diversification économique des usages forestiers (diversification avec tourisme vert, vente de droits de récolte de champignons, …)
- adaptations concernant l’environnement physico-chimique des parcelles (plantations orientées selon les couloirs de vent pour diminuer la prise face aux tempêtes, sous-solage pour favoriser l’exploration racinaire du sol face aux sécheresses, …)
* Les adaptations recensées visent plus à modifier la foresterie en intervenant sur les forêts (mélange
d’essence, raccourcissement des révolutions, etc.) que sur les systèmes socio-économiques (via des assurances,
changement d’usages des sols, développement de la R&D, etc.).
* Si l’on regarde la fonction prioritairement visée comme étant à adapter, on obtient la table suivante (les
nombres correspondent aux occurrences de chacune des fonctions dans les mentions d’adaptation recensées.
Ex : sur 97 adaptations mentionnées en entretien, 63 ont pour objectif l’adaptation de la production de bois
uniquement.) :
Production
bois
Non
précisé
Usage
des
sols
Production
bois &
biodiversité
Production
bois,
biodiversité
&
patrimoine
Aspects
récréatifs Biodiversité
Erosion
sol Patrimoine
Santé
humaine
Total
général
63 14 8 4 3 1 97
* L’intégration de la biodiversité dans l’adaptation semblant faible, il convient d’analyser à quelle échelle elle
est pensée (spatialement et « concrètement ») :
ÉCHELLE SPATIALE Individu Parcelle Commune Massif (Inter-)Nationale
Adaptations prévues pour… 1 62 5 26 3
ÉCHELLE « INTÉGRATION DE LA
BIODIVERSITÉ » Par la biodiversité Par et pour la biodiversité Pour la biodiversité NA
Adaptations effectuées… 57 11 9 20
Conclusions
Le grand nombre d’adaptations mentionnées et opérationnelles confirme la prise en compte par le secteur
forestier de l’adaptation au changement climatique.
Les adaptations mentionnées par les interviewés sont majoritairement techniques et visent bien plus
l’adaptation de la production de bois que l’accueil du public ou la conservation de la biodiversité. Peu de
réflexions portent sur l’adaptation des aspects récréatifs – peut-être car le besoin est faible de les faire évoluer
du fait des changements climatiques. L’adaptation visant à conserver la biodiversité est fortement dépendante
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des fonctions de production du bois ou des fonctions paysagères/patrimoniales. Ainsi, l’adaptation aux
changements climatiques remet en question les objectifs de multifonctionnalité des forêts.
Le fait que les interviewés s’adaptent par la biodiversité (profil « utilitariste ») plutôt que pour elle (profil
« conservationniste2 ») souligne cette remise en question de l’équilibre production de bois/biodiversité dans
l’implémentation de terrain de l’adaptation. Ceci étant, un tel angle d’approche explicite l’importance que
prend la biodiversité pour chacun des interviewés quel que soit leur profil.
Il semble ainsi que les formes concrètes de l’adaptation aux changements climatiques de notre étude3, en
grossissant (fortement !) le trait, se concentrent sur le maintien de la production de bois avec une vision à la
parcelle, technique, interventionniste. La diversité du vivant en forêt est majoritairement comprise dans son
acceptation utilitariste. Les garde-fous pour sa conservation sont les blocages historiques de la forêt : faible
rentabilité du bois, faible accessibilité des parcelles, fragmentation de la propriété privée. Surmonter ces
blocages afin de répondre aux objectifs de mobilisation du bois tels qu’énoncés dans les politiques publiques
(ex : renouvellement en 2018 de la stratégie nationale bas-carbone) met en risque la stabilité à long-terme des
écosystèmes et des usages en découlant. Les auteurs se proposent d’explorer comment surmonter ces
blocages dans la suite des travaux de la thèse se proposent, via un jeu de rôle.
Une nuance néanmoins pour conclure : des interviewés travaillant pour des missions de services publics (ex :
municipalités, ONF, …) ainsi que certains interviewés du secteur privé tiennent un discours bien plus
systémique, à l’échelle du massif. En particulier, ils s’efforcent de ne pas remettre en cause des principes de
base en écologie forestière (connectivité des habitats, hétérogénéité des âges ou des essences, …) nécessaires
au maintien à long-terme de l’équilibre multifonctionnel entre fonctions productives et fonctions de
conservation de la biodiversité.
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2
Ex : se baser sur les mélanges d’essences, privilégier des ennemis naturels type mésange pour lutter contre les chenilles processionnaires, … 3 Nous insistons ici à nouveau sur les limites méthodologiques de notre étude, et en particulier les contraintes de temps qui
ont limité le nombre d’entretiens et de terrains.
L’écologie industrielle comme nouveau business model pour les filières bois-papier, le cas de Green Valley
Robin MOLINIER1, Elisabeth LE NET
2
1CEA Paris Saclay, I-tésé et CentraleSupélec, Laboratoire génie industriel
2CEA Paris Saclay, I-tésé
Contexte
L’écologie industrielle (E.I) propose d’opérationnaliser le développement durable en invitant à la
reconsidération de la notion de ressource. L’E.I en tant que paradigme offre des représentations et est à
l’origine d’outils permettant d’identifier et de caractériser des écosystèmes industriels par les échanges
matériels et énergétiques entre des ensembles issus des activités humaines et la biosphère. La réconciliation
des dimensions environnementales et de soutenabilité économique par la coopération inter-organisationnelle
autour de synergies (symbiose écoindustrielle) en est la réalisation dans des systèmes productifs en
fonctionnement.
Les symbioses écoindustrielles sont basées sur deux catégories de mise en synergie impliquant des acteurs-
décideurs (l’écoparc industriel) : synergies de substitution et celles de mutualisation.
Les premières proposent d’utiliser des matières alors considérées comme déchets ou de l’énergie fatale pour
remplacer l’usage de ressources vierges. Pour les secondes, c’est l’usage des capacités des équipements qui est
au cœur de relations symbiotiques par son intensification conduisant dès lors à une plus grande efficacité du
système productif. La mise en place effective de ces modes de fonctionnement requiert l’engagement des
acteurs-décideurs concernés afin de réaliser ces potentiels d’amélioration.
Enjeux
Une revue de la littérature indique que la réalisation effective des potentiels de symbiose à l’échelle
d’écosystèmes industriels reste mesurée. En effet seuls 25 écoparcs « en fonctionnement » sont étudiés en
détail dans la littérature, ce qui pose la question de cas non encore « découverts » et « référencés » d’écoparcs
industriels.
En effet l’application systématique de business model de symbiose industrielle pose des problèmes tant les
spécificités des besoins qualitatifs (cahier des charges) et quantitatifs (profils de charges) peuvent être en
inadéquation quand il s’agit de valoriser un déchet ou de rassembler des profils d’usage sur une infrastructure
commune. La proposition de valeur étant dépendante de la comparaison avec un fonctionnement opérationnel
standard, des risques existent donc.
Néanmoins, concernant les filières industrielles en relation avec la forêt (bois, papier) plusieurs cas dans la
littérature attestent de la réussite des symbioses à la fois de mutualisation et de substitution, notamment dans
les pays scandinaves.
L’écologie industrielle peut donc permettre de repenser le business model de ces filières le concept ayant fait
ses preuves et ce notamment en France, avec un cas d’écoparc industriel : la Green Valley. Nous avons étudié
la genèse, le déploiement et les perspectives, apportant ainsi un nouveau cas d’écoparc industriel en
fonctionnement dans la littérature.
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Problématique
Notre étude de l’écoparc Green Valley en Lorraine propose une description et une mise en perspective de ce
cas français par rapport aux leçons déjà tirées dans la littérature sur le développement d’écoparcs dans le
monde. Cette analyse vise à éclairer au moyen d’un cas d’étude, les facteurs impactant le déploiement de
synergies avec une focale sur le secteur bois-papier.
Méthode
Pour conduire notre étude de cas, nous procédons par une revue de la littérature institutionnelle, de la presse ,
informations qui sont du domaine public. Ensuite pour approfondir les mécanismes à l’œuvre dans le processus
de réalisation des symbioses, des visites de site incluant des entretiens avec des équipes projet et le directeur
des Achats, ainsi que les porteurs publics associés à la démarche ont été conduits.
Résultats
D’après l’étude des écoparcs existants dans le secteur bois-papier, des formes récurrentes de mise en symbiose
émergent. On trouve des synergies de substitution « matière-énergie » de type combustibles (résidus bois,
liqueur noire, boues STEP) vers des centrales à cogenération et également des flux « matière-matière »
concernant les cendres de combustion qui sont utilisées pour produire des ciments ou fertilisants.
Vis-à-vis des synergies de mutualisation, on observe un recours aux centrales à cogénération assurant des
fonctions de production et de traitement. Plus précisément, il s’agit de fourniture vapeur/chaleur aux usines du
site et réseaux de chaleur, accompagnée de la vente d’électricité. L’autre infrastructure régulièrement
mutualisée est la STEP du site assurant aussi traitement et production. Le service de traitement des effluents
est donc commun (usines et municipalités) puis des boues sont générées pour être réutilisées. En termes
organisationnels, la dynamique de développement suit un modèle de type « self organization » avec portage
par un acteur central (« anchor tenant ») dont le but est de maintenir ses activités dans un contexte global
difficile. Le cas de la Green Valley est emblématique à plusieurs égards. Premièrement, au niveau des synergies
réalisées mobilisant les mêmes équipements mutualisés (centrale à cogénération, STEP, parc à bois) dont les
déchets sont réutilisés en « interne » (vapeur fatale d’un acteur vers un autre, combustion des déchets bois et
boues) voire transformés sur site pour alimenter un réseau « externe » (électricité produite par cogénération,
injection de biométhane). En termes organisationnels, le processus suit le même mode à savoir un portage par
un acteur industriel central (la papeterie NorskeSkog Golbey) qui structure un ensemble de relations
contractuelles de long terme avec d’autres acteurs de proximité (Pavatex, unité de production de panneaux
verts, pour le flux de vapeur fatale, la municipalité, les réseaux électricité et gaz). La stratégie industrielle
(Norske Skog) se mêle a des politiques publiques (appels d’offre CRE, règlementations sur les polluants) pour
aboutir à des projets concrets. Une originalité du cas est un projet de valorisation d’une capacité résiduelle
existante (fourniture vapeur) qui offre un exemple saillant de l’historicité (« path dependence ») qui caractérise
l’émergence des projets de symbiose dans les contextes locaux.
Pour conclure, l’E.I permet d’identifier les modalités et les conditions de réalisation de transformation qu’ont
pu engager des industries, notamment l’industrie papetière. Cette dernière, par différentes stratégies autour
du concept d’écoparc, peut se transformer et trouver de nouvelles opportunités, de nouveaux business
models, notamment par la voie de la bioraffinerie.
D'une forêt appréhendée par les sens, à des boisements évalués par les sciences ; quelle gouvernance pour notre environnement forestier ?
Laure SUBIRANA
Dans un contexte de mondialisation des échanges marchands, de demande énergétique mondiale
croissante et de changements climatiques, la place de la forêt dans notre civilisation n'a rien d'évident. Peut-
on imaginer le futur de la forêt, le futur de la sylviculture, sans questionner nos relations passées avec le
milieu forestier ?
En reprenant les mécanismes archaïques qui nous permettent d'appréhender le Monde et donc les forêts,
aussi bien de manière individuelle que collective, j'interrogerai les fonctionnements actuels mis en œuvre lors
des prises de décision. En d'autres termes : dans un contexte où les chiffres semblent prendre le pouvoir sur
notre sensibilité profonde, je propose de questionner cette évidence.
Reprenons les choses à leur début :
Notre ancêtre, l'Homme du Paléolithique est un animal omnivore, tout à la fois prédateur et proie. Sa survie est
directement liée à sa perception du monde par ses 5 sens. Dans le milieu forestier qui est le sien, il voit, sent,
entend, touche et goûte la forêt à chaque instant et tout au long de sa vie. Les sentiments, en particulier celui
de sécurité, sont alimentés par cette perception.
Sa survie est directement liée à la richesse de son environnement en nourriture, à la richesse de son
environnement en abris naturels ou en matériaux pour se construire un abri. Elle est également liée à la survie
de sa tribu.
Ainsi, l'ensemble de ses comportements, individuels et sociaux, est guidé par la crainte de manquer de
nourriture et/ou de la protection du groupe, que ce soit pour lui ou pour sa descendance.
En d'autres termes : l'ensemble de ses comportements est guidé par l'instinct de survie. Celui-ci se décline à
partir de l'inné :
L'instinct, inné, est guidé par les 5 sens.
Il permet la survie de l'individu.
La culture, acquise par l'éducation est fortement lié à l'instinct. Elle permet la vie du groupe.
Depuis le néolithique et la progressive spécialisation des tâches au sein du groupe, l'éducation a donné
naissance à l'instruction. L'instruction, permet l'acquisition des connaissances académiques par un
apprentissage conscientisé et actif. Elle est fortement liée à la culture bien qu'elle permette de comprendre et
d'analyser le monde au-delà du cercle culturel.
Au quotidien, ces trois fonctions qui font notre personnalité, s'activent simultanément, avec un impact
différent sur nos prises de décision.
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instruction
culture
instinct
Avoir faim
(rend possible de manger n'importe
quoi dans les cas extrêmes)
Connaître les produits
comestibles habituels dans sa
culture d'origine, savoir les
préparer
équilibre
alimentaire
Prenons l'exemple de l'alimentation :
On constate que la notion
d'équilibre alimentaire acquise par
le biais de l'instruction, est ce qui
pèsera le moins dans la prise de
décision concernant la nourriture.
D'une manière générale, en cas de
conflit ou de crise, les repères
théoriques (instruction) sont ceux
qui "sautent" les premiers. Les
repères culturels sont plus solides,
mais en cas de très grosse difficulté,
seul l'instinct guidera les choix.
Nos ancêtres connaissent
parfaitement leur environnement,
"leur" forêt, car ils ont conscience
d'en faire partie. Ils savent intuitivement et culturellement (shamanisme) que si l'équilibre de leur
environnement est rompu, ils en seront les premières victimes (disparition des plantes vivrières, du gibier et
des possibilités de s'abriter).
Ainsi, pour la gestion de leur* territoire (*leur n'étant pas dans le sens de "posséder", mais plutôt "de faire
partie"), ces hommes, prennent les décisions pour assurer la pérennité de leur tribu, c'est à dire d'eux mêmes,
de leurs enfants et ... de leur environnement puisque tout cela est lié. Ils connaissent parfaitement à court,
moyen et long terme, l'impact qu'aura sur leur vie, la coupe d'un ou plusieurs arbres.
Aujourd'hui :
Aujourd'hui, nous sommes plus nombreux, notre société a changé, quoiqu'à l'échelle géologique, il n'y a pas si
longtemps de cela que les tribus ont disparu... pour autant qu'elles aient disparu...
En 2018, nous espérons tous avoir :
de quoi manger,
de quoi se sentir en sécurité,
de quoi assurer notre avenir et celui de nos enfants.
Et nous savons, théoriquement, que notre avenir est lié à la qualité de notre environnement naturel.
Théoriquement parce que ce savoir n'est plus vécu, n'est plus ressenti par nos 5 sens comme nos ancêtres le
ressentaient. Il n'est pas davantage vécu culturellement si ce n'est dans l'imaginaire collectif (contes et
légendes). Il est du domaine de l'instruction, il est intellectualisé, il est scientifique.
Pourtant, nous percevons le monde avec les mêmes moyens biologiques que nos ancêtres mais ce n'est plus le
même monde. Notre perception, n'est plus très forestière. Notre regard ne se perd pas dans les branches à
longueur d'année, notre odorat n'a pas accès dans les couloirs du métro aux fragrances des sous bois, notre
ouie nous prévient davantage de l'approche d'un véhicule que de celle d'un chevreuil, notre corps éprouve le
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contact du plastique plus souvent que celui de l'herbe et notre alimentation (animale ou végétale) n'a pas
souvent vécu sous les frondaisons (pour autant qu'elle ait vécu).
Aujourd'hui, notre instinct atavique (boire, manger, sécurité, lien social, etc...) nous aide à survivre dans un
monde urbain.
Concrètement, d'une forêt homogène et "cadre de vie", connue par tous et utilisée par tous dans un objectif
commun à tous, nous sommes passés au fil des siècles à une forêt multiple, lieu de détente, source de
matière première, réserve de biodiversité, terreau de multiples imaginaires...
Soit en un même lieu, mais pour des publics différents.
Soit, et de plus en plus souvent, en des lieux distincts et spécialisés.
C'est ainsi que sont apparues :
- les forêts urbaines, grands parcs de détente pour citadins stressés,
- les forêts de production telles les plantations des Landes,
- les forêts en réserve intégrale pour la biosphère.
- etc...
Dès lors, peut-on s'entendre avec des partenaires pour la gestion d'un espace forestier ?
Simplifions, caricaturons, en prenant trois types de décisionnaires :
o le "jurassien"
o le "parisien"
o le "landais"
culture fondée sur la
proximité avec la nature instruction qui vise à
exploiter en préservant
Le "jurassien"
Parcours physiquement
sa forêt.
C'est un héritage familial
qu'il souhaite
transmettre.
Elle a toujours été gérée
en "forêt jardinée"
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culture qui accède à la nature par le biais de
l'imaginaire instruction qui vise à exploiter en
gardant bonne conscience
Le "parisien"
Il a construit sa vision de
la forêt par l'imaginaire.
culture utilisant la nature
source de matériaux instruction visant à
optimiser les rendements
Le "landais"
La forêt n'a de sens que
dans la mesure où elle
fournit du bois, de la
même façon
qu'autrefois, les Landes
produisaient du mouton.
3 instincts identiques
3 visions culturelles différentes de ce qu'est la forêt.
3 approches académiques différentes de ce qu'apporte la forêt.
En réunion, ces écoles de pensée d'origines culturelles, sociales, économiques éthiques, historiques (etc...)
différentes, ont bien du mal à trouver des points d'entente communs à tous.
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Les données chiffrées, que l'on pourrait croire irréfutables, sont utilisées par les uns et par les autres pour
défendre leurs positions.
Les lois, règlements, directives, schémas, contrats (etc...) élaborés pour cadrer les prises de décision, ne
satisfont personnes et se contredisent suffisamment pour qu'on puisse leur faire dire une chose et son
contraire.
Malgré tout, les écoles de pensée académiques peuvent parfois permettre de trouver une position commune
(généralement à la marge, ou sans contrainte d'engagement).
Les cultures, elles, sont difficilement négociables. On ne remet pas en cause
facilement ce qui nous a construit.
Quant au cœur de ce qui nous anime, notre instinct de survie, si nous
avons tous le même, nous ne le partageons pas : il est parfaitement
incapable de prendre en compte ce qui nous est extérieur.
Il permet juste à chacun d'entre nous de se battre pour se défendre,
défendre ses idées, défendre ses intérêts... défendre ce qui lui permet
de vivre.
Zone d'accord possible dans les
domaines de l'instruction.
Mais plus on est nombreux,
plus la zone d'entente
(intersection) se réduit.
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De la pertinence des territoires :
La notion de "territoire" est de plus en plus présente dans les questions de gouvernance. En effet on sent bien,
intuitivement, que c'est à une échelle réduite que les décisions se prennent (comme le faisaient nos ancêtres
sur leur territoire).
Il faudrait développer, ici, toute une analyse des processus de gouvernance. Nous ne pouvons pas le faire dans
le cadre de cette présentation, aussi nous nous contenterons de constater que la notion de territoire, si elle
avait un sens concret et physique pour nos ancêtres, est aujourd'hui devenue une notion indéfinissable car trop
diversement définie :
Le territoire du néolithique, est devenu imaginaire dans le sens qu'il nous faut l'imaginer et ce, sur plusieurs
échelles (!) :
mon jardin,
la France,
le Massif,
la collectivité territoriale,
l'Europe,
la forêt dont j'ai hérité,
la Grande Région,
la commune...
La Planète elle même étant le territoire de notre Humanité globalisée.
Constamment, nous faisons référence à l'une ou l'autre de ces échelles territoriales.
Quant à notre psychologie conçue depuis des centaines de millénaires pour s'épanouir dans une tribu
(territoire social), elle doit s'efforcer de s'adapter à l'éclatement de la société en catégories sociales, en filières
professionnelles, en groupes idéologiques, en clubs d'activités. De fait, nous ne vivons et ne voyons plus les
mêmes choses que nos voisins. La Mondialisation, cette abstraction qui remplit matériellement notre lieu de
vie privé, rajoute à la difficulté de s'imaginer un territoire de référence.
Quelle gouvernance ?
Physiquement et psychologiquement, notre fonctionnement primitif est mis à rude épreuve.
Quels risques notre instinct fait-il peser sur l'avenir des forêts ?
Les chiffres et les lois ne sont peut-être pas les moteurs de nos prises de décisions.
Quelles réponses nos intelligences, individuelle et collective, peuvent-elles apporter ?
Conscients de nos limites, il nous faut interroger nos références et surtout, nos objectifs, voire notre objectif...
Enjeux liés aux représentations sociales de la forêt dans nos sociétés urbanisées
Christine FARCY
Université de Louvain (UCL)
La communication ne se réfère pas à un projet de recherche spécifique mais synthétise et discute divers
résultats.
1. Introduction
La communication s’intéresse aux paradoxes inhérents à l’évolution de la représentation sociale dominante de
la forêt au sein du grand public, dans nos sociétés urbanisées. Volontairement, elle s’extrait du monde forestier
et des groupes de pression pour se mettre à l’écoute de la société, et se distingue des études portées par le
secteur via le prisme de « l’acceptabilité des coupes » jugé par trop unidirectionnel (Farcy et al. 2018a).
Un bref rappel est fait de la définition de la représentation sociale par Moscovici en 1963 : « Connaissances de
sens commun partagées par une communauté ou un groupe social », et des développements ultérieurs du
concept par les sphères scientifiques de la psychologie sociale, l’anthropologie, la sociologie, l’ethnologie ou les
sciences de la communication. L’inscription fréquente des méthodologies de recherche associées, dans le cadre
de la théorie ancrée (Glaser et Strauss 1967) est également soulignée.
2. Résultats
L’analyse de l’évolution des représentations sociales de la forêt montre un fond commun à toutes les époques
qui constitue une forme de mythologie inconsciente (De Smedt et al. 2016) :
- Espace chargé de puissances divines, lieu de mystère et de révélation
- On s’y perd, on y trouve sa voie, on s’y retrouve
- Pour y accéder il faut être fort: chasseur, prêtre, roi ou … brigand
- Espace inhospitalier et menaçant que l’on traverse
- Espace initiatique
L’image dominante de la forêt longtemps ancrée et véhiculée est celle d’un décor lointain, d’un milieu à part,
autocentré, fonctionnant en autonomie par rapport à la société, encadrée par le « forestier » qui est en le
propriétaire symbolique et qui en gère le destin.
Aujourd’hui, trois drivers sociétaux externes puissants et amenés à durer, l’urbanisation de la société, la
tertiairisation de l’économie et la globalisation (Farcy et al. 2016 ; Farcy et al. 2018b) influencent une
représentation sociale de la forêt forgée par les médias, virtuelle, immatérielle et distante. La forêt devient un
sujet sensible pour le grand public avec de nombreuses significations sentimentales, un rapport affectif, un
refus de voir des arbres « tués ». Elle s’appuie sur la rareté d’une chose précieuse potentiellement menacée
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par les activités humaines, devient un territoire tabou, préservé des agressions de la vie moderne, avec une
population urbaine qui devient une partie prenante vigilante.
La communication qui souhaite mettre en exergue la coexistence de plusieurs niveaux de paradoxes, s’appuie
sur les résultats de diverses études convergentes pour illustrer certains clivages profonds entre la société et le
secteur, tout en faisant émerger de possibles éléments de rapprochement. Elle montre également par
quelques exemples comment les médias s’appuient sur les représentations dominantes et les renforcent.
3. Discussion
La discussion s’articule autour de trois axes dont les principaux éléments sont listés ci-dessous.
3.1. La question de la communication sur la forêt (Dereix et al. 2016 ; De Smedt et al. 2016 ; Matagne 2017 ;
Matagne et Fastrez 2018)
- Assumer la complexité et ne pas recourir à une communication simpliste, unidirectionnelle et centrée sur
le message (balistique)
- Mettre l’accent sur les compétences médiatiques du récepteur plutôt que sur le message
- Instaurer l’éducation aux médias dans l’enseignement primaire et secondaire
3.2. Le positionnement du forestier (Farcy et al. 2018a)
- Pendant longtemps, le forestier a été dans une posture de propriétaire symbolique de la forêt ; il est
aujourd’hui remis en cause et est par trop sur la défensive
- Besoin d’évoluer de gestionnaire de la forêt … à gestionnaire des relations entre l’homme et la forêt
- Importance de mettre la gestion durable des forêts au service de questions et problèmes concrets qui se
posent à la société plutôt que brandir le concept comme un étendard
- Il est temps de revoir le sens du métier et son code déontologique dans le monde d’aujourd’hui, très
éloigné de celui au sein duquel il s’est initialement forgé
3.3. Quelques postures en termes de recherche/action (Farcy et al. 2018a)
- Nécessité de prendre acte de l'existence et de la force de conviction des représentations si l'on souhaite
mener une action vis-à-vis du grand public
- Besoin de comprendre en profondeur: remontée en force de la valeur symbolique de la forêt dans un
monde menaçant ?
- Concept de représentation sociale particulièrement intéressant à approfondir en particulier grâce à son
lien avec les pratiques et la communication, et sa structure conceptuelle en deux couches (noyau et
périphérie)
- Besoin d’aller chercher les experts ailleurs (sciences politiques, sciences de la communication, psychologie
sociale, …) et de les intéresser aux questions forestières
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4. Conclusion
En guise de conclusion, la communication annonce le lancement d’un programme de recherche 2018-2022,
« L’appel de la forêt » qui se penchera sur l’étude de la résilience des représentations sociales de la forêt en
Wallonie, à Bruxelles, en France et au Luxembourg, mettra en place un observatoire médiatique de la forêt et
envisagera l’art comme médiateur. Appel est lancé aux collègues intéressés.
Références
Dereix, C., Farcy, C., Lormant, F. (Eds)., 2016. Forêt et Communication. Héritage, représentations et défis. Paris:
L’Harmattan.
De Smedt, T., Fastrez, P., Matagne, J. and C. Farcy. 2016. Les recommandations du programme en matière de
communication. In Forêt et Communication. Héritage, représentations et défis, eds. Dereix, C., Farcy, C. and F. Lormant,
381-391. Paris: L’Harmattan.
Farcy, C., de camino, R., Martinez de Arano, I. and E. Rojas. 2016. External drivers of changes challenging forestry. Political
and social issues at stake. In: Ecological Forest Management Handbook (Applied Ecology and Environmental
Management), ed. G. Larocque, 87-105, Taylor and Francis Group/CRC Press.
Farcy, C., Nail, S., Granet, A. M., Matagne, J., Baudry, O. and E. Rametsteiner. 2018a. Toward a social representation of
forest by Western urbanized. In Forestry in the Midst of Global Change, eds. Farcy, C. et al. Taylor and Francis Groupe /
CRC Press, In Press.
Farcy, C., Martinez de Arana, I. and E. Rojas. 2018b. Forestry in the Midst of Global Change. Taylor and Francis Group / CRC
Press, In Press.
Glaser, B. G. and A. L. Strauss. 1967. The discovery of grounded theory. Strategies for qualitative research. Chicago: Aldine.
Matagne, J. 2017. Littératie médiatique et environnement. Évaluation de l’autonomie cognitive des jeunes envers les
médias traitant des forêts. PhD diss., University of Louvain.
Matagne, J. and P. Fastrez. 2018. Communicating to support the comprehension of forest-related issues by non-expert
audiences. In Forestry in the Midst of Global Change, eds. Farcy, C. et al. Taylor and Francis Groupe / CRC Press, In
Press.
Moscovici, S. 1963. Attitudes and opinions. Annual Review of Psychology 14:231-260.
Démarches territoriales pour accompagner les changements en foresterie
Patrice A. HAROU
The Pinchot Institute, Washington DC AgroParisTech et Université de Lorraine, BETA, Strasbourg
Contexte
Europe 20201 présente une vision de l'économie sociale de marché européenne pour le 21ème siècle avec trois
priorités qui se renforcent mutuellement : (1) Croissance intelligente : développer une économie basée sur la
connaissance et l'innovation (2) Croissance durable : promouvoir une utilisation plus efficace des ressources et
une économie plus durable et compétitive et (3) Croissance inclusive : favoriser une économie à fort taux
d'emploi assurant la cohésion sociale et territoriale. La foresterie a un rôle à jouer dans la mise en œuvre d'un
tel programme. Cet article se concentre sur les aspects territoriaux de cette vision et, en particulier, sur la
manière dont les forêts pourraient être mieux intégrées dans l’aménagement du territoire et les plans
d'utilisation des sols. Les plans doivent être réactifs aux changements, comme le changement climatique.
L’Europe compte aussi la forêt privée dans l’aménagement du territoire pour remplir les promesses de l’accord
de Paris2. Divers instruments forestiers existent pour mettre en œuvre un plan d'utilisation des terres dans un
aménagement du territoire bien conçu.
Enjeux de l’aménagement du territoire
Au niveau mondial, les 17 objectifs de développement durable (ODD)3 fournissent une bonne référence pour
envisager l'orientation future des changements dans le domaine de l'agriculture, de l'eau et de la foresterie et
de leurs industries connexes. Les systèmes de ressources naturelles à l'horizon 2030 rencontreront un certain
nombre de défis avec des rendements agricoles plafonnant alors que la population sous-alimentée atteindra 3
milliards de personnes et les institutions internationales qui devraient s'en occuper ne peuvent pas faire grand-
chose sans la participation du secteur privé. D'ici 2030, environ 200 millions d'hectares de terres agricoles
supplémentaires pourraient être nécessaires et nécessiteront des investissements importants (BSDC, 2016)4.
Cela devrait entrainer une migration de population importante.
Au niveau européen, l'Europe 2020 invite à réorienter les politiques industrielles et foncières selon la stratégie
de croissance intelligente, durable et inclusive. Une synergie entre l'utilisation des terres, les infrastructures, et
l'industrie devraient être organisée avec plus de facilite et d’efficience grâce aux nouvelles innovations
technologiques. La politique agricole commune de l'UE évolue ce qui aura aussi un impact important sur
l'utilisation des terres.
1 EU 2010, A strategy for smart, sustainable and inclusive growth
http://ec.europa.eu/eu2020/pdf/COMPLET%20EN%20BARROSO%20%20%20007%20-%20Europe%202020%20-%20EN%20version.pdf 2 http://www.cepf-eu.org/sites/default/files/CEPF%20position%20on%20the%20LULUCF%20proposal_Jan%202017.pdf
3 UNDP Sustainable Development Goals
http://www.undp.org/content/dam/undp/library/corporate/brochure/SDGs_Booklet_Web_En.pdf UNDP The 2030 Agenda for Sustainable Development https://sustainabledevelopment.un.org/content/documents/21252030%20Agenda%20for%20Sustainable%20Development%20web.pdf 4Business and Sustainable Development Commission, BSDC, 2016 http://s3.amazonaws.com/aws-bsdc/Valuing-SDG-Food-
Ag-Prize-Paper.pdf
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Au niveau national, les stratégies de croissance différeront en fonction de l'avantage comparatif de chaque
pays et de ses régions. En utilisant le principe de subsidiarité, les pays de l'UE adapteront la stratégie de
croissance UE 2020.
Pour planifier une utilisation judicieuse des terres, il est important de nous projeter, nous et les prochaines
générations, dans le futur. La tendance du changement de population est clairement urbaine. Ceci pourrait
faciliter le développement économique en offrant un meilleur accès à la santé, à l'éducation et à de nombreux
autres services difficilement accessibles dans les zones rurales des pays en transition.
Cependant, des changements importants se produisent aussi dans les campagnes (Kool Hass, 2017). Dans ces
changements de nos campagnes, l’importance de la forêt dans l’aménagement du territoire pour le
développement durable est accrue en ce qu’elle produit non seulement des grumes, une ressource naturelle,
renouvelable, biodégradable et nécessitant relativement peu d’énergie pour être transformée en produits finis,
mais aussi des services dont une banque de biodiversité et la fixation du carbone ne sont pas des moindres.
La problématique de l’aménagement du territoire
Comment pouvons-nous adapter l'utilisation des terres à ces nouvelles tendances et comment pouvons-nous
établir les nouvelles priorités dans l'utilisation du territoire ? Comment les terres forestières et leur gestion
devraient-elles évoluer pour assurer le développement économique durable et le bien-être de toutes les
parties prenantes ? Comment gérer efficacement le territoire et y distribuer optimalement tous les secteurs de
l’économie tout en cherchant une synergie entre eux ?
La planification de l'utilisation des terres en zones rurales est définie par la FAO5 comme « …une procédure
systématique et itérative mise en œuvre pour créer un environnement propice au développement durable des
ressources foncières répondant aux besoins et aux demandes des populations…». L’habilité les parties
prenantes a interchanger leurs points de vue est essentiel pour assurer que la forêt réponde à ses besoins.
La Foret dans la planification de l’utilisation des terres
L'attribution d'une méthode particulière pour mieux intégrer la foresterie dans l’utilisation des terres et assurer
la durabilité et l'adaptabilité des forêts, n'est pas recommandée compte tenu des diverses spécificités des
forêts, des types de gestion et des contextes dans lesquels la planification durable est mise en œuvre.
Cependant, une Approche Paysage (AP) est particulièrement adaptée pour les écosystèmes forestiers et
l’aménagement des ressources naturelles. Ces approches fournissent des outils et des concepts pour planifier
l’utilisation des terres respectant les objectifs sociaux, économiques et environnementaux lors de l'évaluation
des différentes alternatives de l'utilisation du sol. Différentes AP existent. Ce type d'approche tente de concilier
les compromis en matière d'environnement et de développement (Sayer, 2009)6 et a évolué ensuite a.vec une
nouvelle dimension sociale (Laurence, 2010)7. Cette d’approche reconnait trois composantes (Banque
mondiale, 2016)8..
5 The future of our land--Facing the challenge. Guidelines for integrated planning for sustainable management of land
resources. http://www.fao.org/docrep/004/x3810e/x3810e00.htm 6 Sayer JA. Reconciling conservation and development: Are landscapes the answer? Biotropica. 2009;41(6):649–652.
7 Lawrence A, editor, 2010. Taking Stock of Nature. Cambridge, UK: Cambridge Univ Press
8 Gray, Erin; Henninger, Norbert Eugen; Reij, Chris; Winterbottom, Robert; Agostini, Paola. 2016. Integrated landscape approaches for Africa’s drylands (English). A World Bank study. Washington, D.C.: World Bank Group. http://documents.worldbank.org/curated/en/233231472186605673/Integrated-landscape-approaches-for-Africa-s-drylands
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Table 1 Composantes de la gestion intégrée du paysage (BM, 2016 adapté de Sayer 2013).
Buts et objectifs multiples de l’AP Planification et gestion adaptatives Action concertée et engagement
des PP
(1) Point d'entrée des
préoccupations communes
(4) Planification adaptative et
gestion / apprentissage continu
(7) Multiples intervenants
(2) Échelles multiples (5) Surveillance participative et
conviviale
(8) Logique de changement
négociée et transparente
(3) Multifonctionnalité (6) Résilience (9) Clarification des droits et
responsabilités
(10) Capacité des parties prenantes
renforcée
Ces trois composantes sont liées respectivement à la définition des objectifs, à la planification et à la gestion
adaptatives, et au partenariat des parties prenantes. Le point d'entrée (encadré 1) devrait être d'établir une
perception partagée par les parties prenantes du paysage futur souhaité en identifiant des buts et des objectifs
multiples en tenant dûment compte des spécificités biophysiques et temporelles à différentes échelles
d'interventions (encadré 2). La multifonctionnalité (encadré 3) du paysage devrait être reconnue pour refléter
la diversité des écosystèmes et les besoins des différentes parties prenantes (PP).
En ce qui concerne la composante de planification et de gestion adaptative, vise à optimiser les synergies et
réduire les compromis négatifs entre les utilisations. Les parties prenantes surveillent régulièrement les succès
et les défis des choix d'utilisation des terres, apprennent en cours de route et permettent des réponses rapides
pour gérer les risques (encadré 4). Ce suivi participatif et convivial (encadré 5) fournit des mécanismes de
rétroaction permettant une gestion adaptative qui devrait assurer la résilience (encadré 6) du paysage.
Le troisième volet se concentre sur les aspects institutionnels des approches et couvre la collaboration et
l'engagement global des parties prenantes. Toutes les parties prenantes doivent être impliquées et la
coordination doit être mise en place pour promouvoir une action collective (encadré 7). Tous les changements
durant la mise en œuvre du plan devraient être négociés suivant la logique de changement convenue (encadre
8). Les droits et les responsabilités de chaque groupe de parties prenantes doivent être clarifiés (encadré 9).
L'approche vise à renforcer en faisant la capacité des parties prenantes, learning by doing (encadré 10). Ces 10
principes sont repris en plus de détail par Sayer et al. 2013.
L’approche économique classique, analyse de secteur identifiants des investissements ordonnés par priorités
dans un budget, est complémentaire à l’AP décrite ici (Harou, 2018)9. Les investissements contraires à l’analyse
économique (pas financière) mais choisis suite à un compromis entre les parties prenantes, ont un cout
d’opportunité. L’étude économique permet de choisir entre les différentes alternatives mutuellement
exclusives d’utilisation des sols. Elle permet aussi d’établir un éventuel cout d’opportunité des alternatives
moins efficientes choisies lors d’une décision collégiale transparente et bien comprise par tous.
9 Harou P.A. 2018 (in Press) Framing investments in forestry service. In Farcy Ch. Et al. eds. Forestry in the midst of changes.
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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
Instruments pour intégrer les forêts dans le territoire
Une fois un plan établi, sa mise en œuvre devrait suivre rapidement pour ne pas perdre le dynamisme du
processus et des personnes impliquées. De nombreux instruments existent en foresterie pour guider la gestion
des forêts sur les terres privées (Harou, 198910
et Cubbage et al. 201411
). Il est difficile de classer
l'aménagement du territoire comme un instrument de commande et contrôle (CC). Ce n'est pas non plus un
instrument économique en soi. Cette approche consiste en un processus d'organisation du territoire qui assure
un écosystème et une économie plus durables grâce à un consensus des parties prenantes et une adaptabilité
aux changements
En France, de nouveaux instruments sont apparus pour mettre en œuvre cette approche paysage en foresterie
: La Chartre Forestière, la Forêt d'Exception, les Communes Forestières, le Plan d'Exploitation Concerté
Territorial et d'autres (ECOFOR)12
. Les initiatives indirectes au niveau des produits forestiers ont également dû
envisager un plan d'utilisation des terres suite à des politiques d’investissements partiellement subventionnés
dans les industries forestières françaises: les 1000 chaudières à bois, les 100 bâtiments publics en bois et les
plans d’approvisionnement des industries en grumes chevauchant des terres publiques et privées. Cependant,
le processus territorial est encore trop hiérarchique selon certains (Sergent, 201713
), et ne laisse donc pas assez
d'initiative aux parties prenantes locales.
Au niveau mondial, la nécessité de restaurer les écosystèmes forestiers dans une optique utilitaire à amener
différentes institutions UN, académiques, banques de développement et Organisations non-gouvernementales
à créer un réseau proactif dans ce domaine : The Global Partnership on Forest and Landscape Restoration
(GPFLR)14
. Le but commun de ces partenaires est de restaurer les écosystèmes forestiers disparus ou dégradés
avec les territoires qui les entourent en utilisant précisément l’AP décrite ici. Différents exemples de la mise en
place de cette approche se trouve sur leur site, le cas du Rwanda illustre bien l’approche proposée (Osten et al.
2018)15
.
Dans les pays en développement, l'Agence Française de Développement et la Banque mondiale ont mis en
œuvre l'approche paysage dans des pays écologiquement instables où la désertification menace la population,
comme dans les pays sahéliens. Une bonne revue est faite de la mise en œuvre de l'approche paysagère dans «
Approches Paysagères Intégrées pour les Zones Arides d’Afrique16
» mais avec des références aussi d'autres
régions ayant des conditions climatiques similaires dans le monde.
Les principaux enseignements tirés des pays au nord comme au sud sont que cette approche est d’autant plus
efficace que la cohésion sociale est élevée dans ce pays ou territoire. L'approche de Gestion Terroirs Villageois
ont été à la base de nombreux projets dans les années 80 dans tout le Sahel. Les résultats montrent que des
projets identiques dans différents pays, le Burkina et le Niger par exemple, mais aussi au sein d'un même pays,
10
Harou, P.A.1989 “Forestry Taxes and Subsidies for Integrated Land Use”. In Whitby M.C and P.J.Dawson .Land Use for Agriculture, Forestry and Rural Development. Proceedings of the 20th Symposium of the European Association of Agricultural Economists (EAAE) July 1989. Newcastle upon Tyne, England. P.86-93. 11
Cubbage F., P.A. Harou and E. Sills. 2007. Policy Instruments to Enhance Multi-functional Forest Management J. of Forest Policy and Economics. Vol. (9): 833-851. 12
Ecofor 2017. Approches territorialisées des usages de la foret http://docs.gipecofor.org/public/Reseau_SEHS_Recueil_des_resumes_vf.pdf 13
Sergent A. 2017. Pourquoi la politique forestière française ne veut pas du territoire Revue Forestière Française LXIX-2-2017 : 99-108 14
http://www.forestlandscaperestoration.org/about-partnership 15
Oesten C., A. Uzamukunda and H. Runhaar, 2018. Strategies for achieving environmental policy integration at the landscape level. A framework illustrated with an analysis of landscape governance in Rwanda. Environmental Science and Policy 83 (2018) 63–70 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1462901117306986 16
World Bank 2017 op.cit.
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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
pouvaient donner des résultats radicalement différents. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la région la
plus aride pouvait faire souvent mieux que celle qui bénéficiait d’une plus grande pluviométrie. La dimension
de résilience est ancrée dans la culture de la population vivant dans un environnement plus difficile.
Ces résultats indiquent que l'aspect participatif de l'approche territoriale est primordial pour son succès. Il va
sans dire que plus la cohésion sociale des communautés vivant sur un territoire est élevée, plus le processus
participatif est susceptible d'être efficient et de pouvoir se faire avec un cout de transaction bas. L'un des
meilleurs aménagements du territoire en Europe pourrait bien être en Suisse, où la culture de la vie
communautaire est bien développée. Ce n’est pas un hasard.
Conclusion
L'instrument d'aménagement du territoire et l'approche paysage tels que décrits ici devraient permettre
d'intégrer tous les aspects du développement économique durable dans le temps et l'espace entre tous les
secteurs d'une économie, y compris le secteur forestier. L'approche est bien adaptée pour aborder les
changements futurs et l'incertitude concernant l'utilisation des terres forestières si elle est appliquée de
manière véritablement participative, adaptative et dynamique.
La recherche dans ce domaine est nécessaire pour rendre compte de la mise en œuvre de l'approche de
l'utilisation intégrée des terres forestières dans le territoire en termes plus quantitatifs. Les nouvelles
technologies cartographiques et de manipulation de base de données gigantesques facilitent le travail du
géographe, du planificateur et de l’analyste qui offre plus détaillées que jamais les différentes alternatives de
l’utilisation des sols. La synthèse des expériences acquises dans les différentes approches d'intégration des
forêts dans l'aménagement du territoire en Europe devrait être encouragée par les fonds de recherches
destinés au secteur forestier et aux corridors de biodiversité européens.
La filière forêt-bois à l’aune du pari territorial
Jonathan LENGLET
LERFoB, AgroParisTech, INRA, F-54000, Nancy, France
Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, LADYSS
La filière forêt-bois se trouve actuellement confrontée à des changements rapides, d’échelles et de natures
différentes : attentes sociétales en évolution, marchés du bois globalisés, politique forestière ambigüe… Ces
facteurs de transformation structurelle perturbent la régularité du système productif, l’équilibre politique mais
réinterroge aussi les articulations filière-territoire. Si ces dynamiques globales laissent présager d’un secteur en
lente conversion vers une économie « déterritorialisée », une analyse des changements observés sur le terrain
met en évidence d’autres voies de réaction et d’adaptation mobilisant localement les acteurs et leur territoire.
La notion de territoire est désormais largement mobilisée dans les discours, tant des décideurs publics qu’au
sein des différents secteurs économiques. Le secteur forestier n’échappe pas à la règle. Nous cherchons ici à
comprendre l’importance stratégique de ce recours et les interrogations que cela soulève en termes
d’approches renouvelées de la filière forêt-bois.
L’accroissement considérable des mobilités, à la fois des personnes, des capitaux mais aussi des connaissances,
a engendré une perte de cohésion fonctionnelle et symbolique au sein des territoires. C’est en réaction à cette
forme de dilution dans la mondialisation que surviennent remises en cause et propositions d’adaptation.
Depuis l’avènement de ce qui semble se dessiner comme une période post-fordiste, la recherche de territoires
supposés évaporés au profit de la mondialisation émerge comme moyen de reprendre les clés du
développement local et régional (Pecqueur, 2007; Torre et Filippi, 2005). L’objectif poursuivi dans notre analyse
de la filière forêt-bois est de décrypter les processus d’adaptation mis en place par ses acteurs, à la fois dans un
contexte mondialisé et de multiplication des formes d’action territoriale. Nous proposons à cet effet une
approche renouvelée de trois clés de lecture pour la filière forêt-bois : les ressources, l’innovation et le
territoire comme modalité de l’action.
Elargir la conception classique des ressources forestières permet de tenir compte des initiatives de valorisation
locale et de la réappropriation de ces ressources par les acteurs territoriaux. La ressource est un élément
fondamental du processus de création de valeur. Elle peut être définie comme la rencontre entre un objet et
un système de production dédié, activé par un réseau d’acteur opérant à des fins stratégiques (Kebir, 2006).
Les ressources sont pour partie matérielles mais aussi largement symboliques, permettant aux acteurs de miser
sur une forme alternative d’économie de la différenciation. Ainsi, un processus de requalification peut
permettre la transformation d’une partie de la production en ressource spécifique via l’activation d’actifs
territoriaux (facteurs culturels, historiques, savoir-faire). Miser sur la spécification donne les moyens aux
acteurs de contrarier les flux nationalisants ou extra-nationalisants et d’opérer un recentrage local motivé par
une logique territoriale stratégique. L’activation d’une ressource spécifique s’inscrit dans un développement à
plusieurs phases (révélation, élargissement, développement, renouvellement), engendré par une synergie
entre processus cognitifs, relationnels et organisationnels, liant les acteurs à l’objet dans un premier temps,
puis, entre eux-mêmes (Janin et al. 2015). Ces considérations amènent à envisager le territoire comme un
véritable moteur de spécification car il fournit d’une part le liant nécessaire à l’activation des proximités
géographiques, relationnelles et institutionnelles (génératrices de réseaux d’acteurs) mais aussi le cadre
d’émergence des actifs de spécification. Le récent engouement pour la recherche de l’origine des produits et
de leur traçabilité dans la filière témoigne de cette bifurcation dans les processus de valorisation des ressources
forestières. Pour de nombreux acteurs, la labellisation est désormais appréhendée comme un outil à part
entière, permettant de contrecarrer la déconnexion entre production et consommation et ainsi de s’extraire de
52
Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
l’anonymat des marchés ouverts. Groupés autour de marques territoriales, collectives, de certification produit
ou d’AOC les acteurs développement une base argumentaire d’ordre technique, esthétique ou historique
permettant de légitimer leur spécificité produit. Si la démarche porte ses fruits dans le domaine
agroalimentaire, elle soulève néanmoins la question de la pertinence des processus de patrimonialisation1 dans
le cas de produits bois qui ne constituent pas, à priori, des repères identificatoires marqués (Muchnik, 2011).
De plus, les initiatives de requalification misant sur une logique de labellisation peuvent être génératrices de
tensions entre territoires et entre acteurs. Lorsque la requalification s’opère à destination de l’extérieur du
territoire, dans une démarche d’ouverture, de rayonnement, la question des moyens alloués à cette
spécification est la plus prégnante. A l’inverse, lorsque la démarche s’inscrit dans une logique de fermeture
(restriction d’accès aux marchés et aux appels d’offres), les désaccords s’expriment sur les finalités de l’action.
Si les territoires sont largement mobilisés comme autant de leviers de réappropriation des ressources, ils
peuvent aussi jouer un rôle catalytique dans les processus d’innovation durable. Les innovations durables sont
conçues comme les outils dont se dotent les acteurs économiques pour opérer une transition vers une
durabilité renforcée (Kebir et al., 2017). Elles associent pleinement les facteurs environnementaux et sociaux à
un objectif d’amélioration de la compétitivité dans une logique d’encastrement territorial. Ainsi les innovations
durables sont à la fois source d’amélioration des performances productives, notamment environnementales,
mais aussi génératrices d’externalités positives à large spectre, jouant directement un rôle dans la construction
territoriale. Dans le secteur de la construction, les programmes de soutien à la réalisation de bâtiments en bois
local sont un exemple parlant de la mise en pratique de ces innovations sous forme de projets de
démonstration (Späth et Rohracher, 2012). Ces projets impulsés au niveau local – parfois portés par des
fédérations nationales comme dans le cas du programme « 100 Constructions publiques en Bois Local » de la
FNCOFOR – sont efficaces pour attirer l’attention médiatique, les efforts d’une recherche dédiés mais aussi les
financements, principalement publics, et ce en dépit de l’utilisé fonctionnelle du prototype. Ce dernier point
peut s’avérer conflictuel et freiner voire empêcher la légitimation de l’action, préalable à sa généralisation.
Néanmoins les phases de conflit ne sont pas toujours préjudiciables et constituent de bons indicateurs de la
réticence au changement d’un territoire ou d’un secteur particulier. Ces tensions offrent aussi de réelles
opportunités de mise en débat des perspectives de développement et constituent une forme d’apprentissage
de la gouvernance au niveau local qui parfois peut s’avérer insuffisamment développée.
Les questions de gouvernance permettent par ailleurs de décentrer le niveau d’analyse classique, national ou
international, pour mieux appréhender les dynamiques locales d’appropriation des enjeux forêt-bois. On
observe ainsi une multiplication des formes de gouvernance territoriale ayant pour objectif l’implémentation
d’ensembles de règles et de routines prévalant dans le cadre de la gestion de projets thématiques (Leloup,
Moyart, et Pecqueur, 2005). La création de nombreux fonds de plantations forestiers locaux, publics ou privés,
et fonctionnant de manière très diversifiée en est l’un des témoins. D’autres projets à plus large échelle comme
le portefeuille « Feel Wood » du programme Interreg France-Wallonie-Vaanderen de l’Union Européenne
proposent le déploiement d’actions transfrontalières pour, notamment, le développement d’une filière bois en
circuit court et le soutien au reboisement en résineux et peupliers de la région. La multiplication de ces actions,
à plus forte raison sur des thématiques peu portées par les politiques publiques, interrogent l’approche
fonctionnaliste d’une filière forêt-bois calquée sur le découpage politico-administratif national comme seul
cadre de l’action (Berzi, 2017).
Si ces propositions plaident pour une vision renouvelée du rôle des territoires – non plus comme simple
support ou réceptacle d’actions par nature a-territoriales mais bien comme porteurs de nouveaux modèles
1 On pourra nuancer et utilement compléter ce point par la lecture de la communication de Christine Farcy à ce même
colloque : « Représentations sociales des forêts dans les sociétés urbanisées ».
53
Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
économiques – cette perspective ne doit pas pour autant éluder les limites de la démarche. Ainsi, le recours au
territoire peut s’avérer délétère lorsqu’il exacerbe les clivages institutionnels en interne et qu’il oppose
logiques territoriales et sectorielles. La difficile intégration de la composante territoriale dans la politique
forestière nationale et les tensions au sein de la FNB en sont des exemples (Sergent, 2017). Le risque
intrinsèque d’invocations incompatibles du territoire (ouverture contre enfermement) représente lui aussi une
menace pour la viabilité des projets, le développent des territoires, du secteur et le renforcement de leur
durabilité à moyen terme. Enfin, la vigilance doit prévaloir lors de la promotion d’approches méso contre
l’émergence d’une certaine forme de « territorialisme méthodologique » (Scholte, 2000) qui retirerait au
territoire forestier son caractère dynamique de projet politique et social et l’isolerait des processus globaux
desquels il est fondamentalement dépendant. Ainsi, il apparait primordial de renvoyer la rhétorique territoriale
à son inscription dans une négociation multi-échelles, entre acteurs du secteur forestier mais aussi – et
désormais au-delà – vers les attentes d’une société en changement.
Eléments de bibliographie
Berzi, M. (2017) « The Cross-Border Reterritorialization Concept Revisited: The Territorialist Approach Applied to the Case
of Cerdanya on the French-Spanish Border ». European Planning Studies no
25 (9), pp. 1575-1596.
Janin, C., Peyrache-Gadeau, V., Landel, P-A., Perron, L., Lapostolle, D., et Pecqueur, B. (2015) « L’approche par les
ressources : pour une vision renouvelée des rapports entre économie et territoire ». In Partenariats pour le développement
territorial, Torre, A. et Vollet, D., pp. 149-163.
Kebir, L. (2006) « Ressource et développement régional, quels enjeux ? » Revue d’Économie Régionale & Urbaine, no
5,
pp.701-723.
Kebir, L., Crevoisier, O., Costa, P., et Peyrache-Gadeau, V. (2017) Sustainable innovation and regional development:
rethinking innovative milieus. New horizons in regional science. Cheltenham, UK: Edward Elgar Publishing, 267 p.
Leloup, F., Moyart, L.. et Pecqueur, B. (2005) « La gouvernance territoriale comme nouveau mode de coordination
territoriale ? » Géographie, économie, société no
7 (4), pp. 321‑31
Muchnik, J. (2011) « Introduction: Ancrage et identité territoriale des systèmes agroalimentaires localisés ». Économie
rurale. Agricultures, alimentations, territoires, no
322, pp.4–10.
Pecqueur, B. (2007) « L’économie territoriale : une autre analyse de la globalisation ». L'Économie politique, no
33 (1), pp.
41‑52.
Scholte, J-A. (2007), Globalization: A critical introduction, Palgrave Macmillan, 384 p.
Sergent, A. (2017), « Pourquoi la politique forestière française ne veut pas du territoire ». Revue Forestière Française, no 69,
pp. 99‑109.
Späth, P., et Rohracher, H. (2012), « Local Demonstrations for Global Transitions—Dynamics across Governance Levels
Fostering Socio-Technical Regime Change Towards Sustainability ». European Planning Studies, no
20 (3), pp.461‑79.
Torre, A., et Filippi, M. (2005), « Les mutations à l’oeuvre dans les mondes ruraux et leurs impacts sur l’organisation de
l’espace ». In Proximités et changements socio-économiques dans les mondes ruraux, Filippi, M. et Torre, A., Un point sur.
Paris: INRA, pp. 1‑36.
Mobilisation supplémentaire de bois et acceptation sociale.
Retour sur une expérience participative en Morvan
Seydou HAIDARA1, Nicolas AURY
2, Sylvie LARDON
3
1 AgroParisTech, Clermont-Ferrand
2 DRAAF Bourgogne-Franche-Comté, Dijon
3INRA & AgroParisTech, UMR Territoires, Clermont-Ferrand (Auteur correspondant)
Contexte et problématique
En Bourgogne-Franche-Comté, la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF),
le Conseil régional et l'interprofession ont entrepris la rédaction d'un document stratégique de filière
dénommé « Contrat forêt-Bois Bourgogne-France-Comté » pour la période 2017- 2027. Ce document est la
déclinaison du programme national forêt-bois (PNRB) et du contrat stratégique de la filière. L’objectif principal
est la mobilisation supplémentaire de bois à l’horizon 2028 en fixant des priorités environnementales et
sociales à plus de 1 324 000 m3 annuel contre une récolte actuelle de 759 000 m3. Dans ce cadre, la DRAAF a
souhaité mener une réflexion sur l’acceptabilité sociale des travaux forestiers pour atteindre les objectifs de
prélèvements visés par le Contrat Forêt-Bois sur un territoire ciblé, le Parc naturel régional du Morvan. Nous
analysons les représentations de la forêt par les acteurs du Morvan, les relations entre les acteurs et les
propositions d’action pour une gouvernance partagée de la forêt morvandelle dans ce contexte de mutation.
Méthode
Le PNR du Morvan
Situé au cœur de la Bourgogne, le PNR du Morvan s’étend sur une superficie de 281 400 hectares avec une
couverture forestière d’environ 48 % du territoire. Le Morvan approvisionne Paris en bois de chauffage par
flottage pendant la période du XVIe et la fin du XIXème siècle, ce qui met les forêts morvandelles à forte
contribution. Au sortir de la seconde guerre mondiale, l’État mettra en place une politique volontariste de
reboisement en résineux, pour répondre aux besoins de la nouvelle économie majoritairement tournée vers
une production de bois d’œuvre. La dépréciation de la valeur des bois feuillus, l’enfrichement des terres
agricoles et l’avantage économique de nouvelles essences de résineux ont influencé le succès de cette politique
dans le Morvan. Les reboisements se font presque exclusivement en résineux notamment en Douglas ; ils
représentent aujourd’hui 50 % de la surface forestière dans le Morvan et arrivent à maturité dans certains
secteurs.
Itinéraire méthodologique
Nous avons réalisé des entretiens semi-directifs auprès de trente-cinq acteurs professionnels ou institutionnels
(DREAL, experts forestiers, coopératives forestières, associations protectrices de l’environnement, société
forestière) et d’acteurs locaux (élus, propriétaires, touristes) des communes d’Anost, Gouloux, Montsauches-
les-Settons, Ouroux-en-Morvan et Villapourçon. Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits puis soumis à
une analyse de contenu des discours (Negura, 2006). Elle consiste en la lecture des entretiens, l'identification
de mots clés puis leur regroupement pour dégager les dissemblances et ressemblances et les différentes idées
véhiculées. Cela nous a permis de catégoriser les différentes visions que les acteurs ont de l'espace forestier et
de donner un sens à leurs discours.
Nous avons également organisé deux ateliers participatifs dans les communes d’Anost et de Montsauche-les-
Settons, qui ont réuni au total 60 personnes issues du monde forestier, ainsi que des associations, des élus et
des habitants. Nous avons utilisé la méthodologie du « jeu de territoire » (Lardon, 2013). C’est un jeu
d’expression visant à construire une vision partagée des dynamiques et des enjeux du territoire. Il facilite la
55
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participation des différents acteurs et l’implication dans l’action collective. Il se joue en trois étapes : un
diagnostic partagé des principales structures et dynamiques du territoire, des scénarios d’évolution relatifs aux
enjeux identifiés, des pistes d’action à mettre en œuvre collectivement.
Résultats
1. Les représentations de la forêt
Une représentation sociale correspond à la construction mentale d’un objet perçu dans la réalité, avec toutes
les influences liées à la perception et à la sphère socioculturelle et professionnelle de chacun (Moscovici, 1984).
Quatre types de représentations liées à la forêt sont apparues.
La Forêt source d’activité économique et pourvoyeuse d’emplois locaux
C’est la représentation que se fait un grand nombre de professionnels de la filière bois. L’acteur développe avec
la forêt une relation basée sur la pratique de son activité professionnelle. Cette représentation de la forêt a été
soutenue par plusieurs groupes d'acteurs, notamment les interprofessions et l’association des entrepreneurs
de travaux forestiers. Cependant, ils montrent également un intérêt pour la gestion durable des ressources.
La Forêt de feuillus, réservoir de biodiversité
Cette représentation de la forêt est partagée par les associations environnementales qui s’opposent à la
sylviculture pratiquée dans le Morvan, tournée vers une monoculture de conifères avec une courte rotation
d'environ 40 ans, qui transforme les forêts en usines à bois. Ce type d’exploitation conduit au lessivage des sols
après les coupes, à l’écrasement de sources par les gros engins, avec des impacts sur l’eau et le paysage. Ces
acteurs prônent une diversification des essences, des classes d’âges et surtout le maintien des feuillus qui
étaient dominants auparavant, pour la préservation de la biodiversité et de l’équilibre de l’espace forestier. Ils
considèrent les forêts feuillues comme le poumon vert du Morvan, productrices de carbone, et aussi comme
une arme efficace dans la lutte contre le changement climatique.
La Forêt, élément du cadre de vie
La présence de gros engins dans la forêt, ainsi que le bruit occasionné et le transport du bois, sont associés à
l'exploitation forestière et semblent déranger un certain nombre d'habitants notamment les touristes et les
néo-ruraux. Ils considèrent la forêt comme un lieu de pratique récréative, ou encore un lieu de nature, en ne
tenant pas compte de l'aspect économique. Ils considèrent le forestier comme un destructeur de la forêt. Ainsi,
les coupes à blanc sur les collines et les quantités de bois sorties de la forêt leur semblent choquantes.
La Forêt, patrimoine à préserver et à transmettre
Les propriétaires forestiers privés accordent un regard esthétique à la forêt, ainsi ils développent un lien fort
souvent entre eux et la forêt, car elle est légataire d'une histoire familiale. La gestion patrimoniale est une
gestion dite raisonnée et durable de la forêt qui consiste en l'amélioration des arbres par l'élagage, des coupes
d’éclaircie, l'amélioration des infrastructures comme des pistes forestières, le drainage des cours d'eau, afin de
récolter les bois mûrs, tout en assurant leur renouvellement, soit naturellement ou soit par plantation.
2. Les interactions autour de la forêt
Nous distinguons trois types de relation entre les acteurs autour de la forêt dans le Morvan.
- Relation professionnelle :
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Les acteurs institutionnels de la gestion de la forêt (DRAAF, CRPF, PNR du Morvan) se consultent sur les
questions importantes qui concernent la gestion forestière. L’interaction entre le CRPF et les propriétaires
forestiers est une relation professionnelle, qui consiste à accompagner les propriétaires privés dans le
développement et l'orientation de la gestion des forêts : agrément des plans et des règlements de gestion,
adoption des méthodes de sylviculture favorable à une gestion durable par la formation et la vulgarisation.
- Relation de confiance :
L’objectif du PNR du Morvan, qui est l'aspect environnemental, plus particulièrement la préservation des
feuillus et la limitation des coupes à blanc dans la forêt, lui permet d’entretenir des rapports de confiance avec
les associations protectrices de l’environnement. Par ailleurs, les professionnels de la filière bois et les agents
de l’État entretiennent un rapport professionnel basé sur la confiance, qui s’explique par les objectifs de
mobilisation supplémentaire de bois.
- Relation de méfiance :
Celle-ci met en évidence l’opposition des objectifs des différents groupes sur la gestion forestière. Ainsi, les
associations environnementales percevront la DRAAF, les interprofessions de la filière bois, le CRPF… comme
des institutions moins dignes de confiance. Cette relation de méfiance est aussi celle qui caractérise le rapport
des interprofessions et du PNR du Morvan. Les premiers reprochent aux seconds de s’éloigner des principes
d’un parc, qui consiste à ''protéger et développer le territoire'' en lieu et place d’opter pour une limitation des
coupes et d’être de plus en plus proche des associations environnementales.
3. Les propositions d’action pour le futur des forêts morvandelles
Le jeu de territoire a révélé la coexistence de modèles de développement pour le territoire (Hervieu et
Purseigle, 2015) et les difficultés de l’action collective, entre acteurs institutionnels, professionnels et locaux
(Crozier et Friedberg, 1977). Plusieurs propositions actions ont néanmoins été énoncées lors de ces ateliers et
débattues à la restitution. Elles concernent les aspects suivants :
Société et forêt : Ces propositions d’action mettent en évidence le lien entre la société et la forêt, pour contrer
le manque de confiance entre les acteurs de la filière et les pouvoirs publics. Ces actions nécessitent de mieux
communiquer sur la forêt et de la filière forêt-bois auprès du grand public et les messages peuvent être très
divers : préservation de la nature, des paysages, siège d'une activité économique, etc. Elles encouragent les
groupements forestiers et le partage de l’espace.
Sylviculture : Ces propositions visent à faire évoluer la sylviculture par l'incitation (formation, information,
incitation financière, etc...) et par la contrainte (interdiction, réglementation…), pour un meilleur équilibre
feuillus-résineux.
Agriculture et politique : Au-delà de l’aspect forestier, les acteurs ont mis un accent particulier sur les aspects
agricoles (Diversifier et redynamiser l’agriculture, Promouvoir une agriculture paysanne, respectueuse de
l’environnement et rémunératrice, Encourager l’agroforesterie) et politiques (Changer les lois ou transformer le
PNR en PN).
Les pistes d’action proposées ont été mises en regard des actions menées, prévues ou à explorer par les
politiques publiques. Les idées à approfondir sont : mieux communiquer sur les activités de la forêt auprès des
jeunes, des élus et des populations, favoriser la réappropriation de la forêt par les habitants et d’instituer une
gouvernance qui associe plus la population, accompagner un projet de développement territorial intégrant
forêt, agriculture et tourisme,…
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Conclusion
La forêt n’est pas qu’une réserve de bois, elle revêt aussi une dimension sociale. Elle constitue une ressource
pour les sociétés (biodiversité, lutte contre le changement climatique et ressource d'approvisionnement) et
plusieurs pratiques s'y croisent. Les représentations sociales de la forêt que se font les acteurs, sont cruciales
dans la compréhension des jeux d'acteurs dans un contexte de mutation.
Les leçons tirées de cette étude, tant sur les conditions d’usage des démarches participatives que sur les
modalités d’acceptabilité sociale des dynamiques forestières seront utiles à l’accompagnement des territoires
de projets dans la région Bourgogne Franche-Comté.
Références bibliographiques
Crozier M et Freidberg E. 1977. L'acteur et le système, les contraintes de l'action collectives. Paris, Éditions du Seuil,
Collection Sociologie politique, 478 p.
Depraz S, Cornec U et Grabski-Kieron U. (dir) 2015. Acceptation sociale et développement des territoires. ENS Éditions. p
178
Hervieu B. et Purseigle F., 2015. The sociology of agricultural worlds: from a sociology of change to a sociology of
coexistence. Revue d’Études en Agriculture et Environnement / Volume 96 / Issue 01 / March 2015, pp 59 – 90. DOI:
10.4074/S1966960715001058, Published online: 17 June 2015
Lardon S., 2013. Developing a territorial project. The « territory game », a coordination tool for local stakeholders, FaçSADe,
Research results, No 2013 / 38, 4p.
Negura L., 2006. L’analyse de contenu dans l’étude des représentations sociales, sociologies. [En ligne], URL :
sociologie.revue.org/index993.html. Consulté le 08/07/2017.
Moscovici S., 1984. Psychologie Sociale. Paris PUF, 640p.
Blocages et changements dans la mobilisation du bois du Sud-Est de la France
Yves POSS
AgroParisTech Clermont Ferrand, PNR de Millevaches, PNR du Livradois Forez
La mobilisation du bois dans le Sud Est de la France est en pleine évolution. Le système semblait figé, mais une
rupture est apparue, ces dernières années, liée à l’irruption du bois énergie pour des centrales collectives ou
industrielles, et une organisation nouvelle s’instaure, avec l’émergence de « terrains de vie ».
Cet aperçu s’est inspiré de la nouvelle économie institutionnelle, notamment du livre d’Elinor Ostrom « pour
une nouvelle approche des ressources naturelles »1.
1- Une forêt régionale mal mise en valeur
Depuis plus de quarante ans, la région Provence Alpes Côte d’Azur est importatrice nette de bois d’industrie-
bois énergie : résineux rouges pour l’usine de pâte à papier de Tarascon sur Rhône (1 150 000 tonnes/an2), et
bûches de feuillus pour les foyers ouverts des Marseillais. Mais elle envoie des grumes résineuses de ses
régions alpines vers Rhône-Alpes ou vers l’Italie.
De fait, cette région vivait avec la confrontation de deux quasi monopoles, de vente pour l’Office national des
forêts, d’achat pour Tarascon, avec une sous exploitation globale. La ressource en bois d’œuvre y connaît une
valorisation non optimale, avec des débouchés éloignés ou des établissements qui n’étaient guère
performants : les scieurs locaux qui « craignent un comportement opportuniste de la part de leur fournisseur,
peuvent être découragés d’investir. Le passage à la bio-économie implique un changement simultané d’un
grand nombre d’acteurs, et donc une capacité de coordination qui nécessite soit une propension à la
coopération, soit une garantie de la puissance publique suffisamment efficace »3. La position dominante de
l’acheteur pour l’usine de pâte à papier a pu aussi décourager la concurrence. L’arbre des causes de cette sous-
exploitation régionale n’a pas été instruit, peut-être par suite de la présence des représentants de cet acheteur
principal dans les divers think tanks régionaux et nationaux …
Avec le temps, la forêt provençale s’est étendue, les arbres ont grossi, et ces disponibilités grandissantes ont
été révélées par l’inventaire forestier. Ces disponibilités technico-économiques ne forment pas une offre : la
cellule biomasse de Marseille a été consciente de la tension sur la collecte de la ressource, entre le potentiel
existant dans les forêts, et les intentions de mise en marché : elle a exprimé sa réticence, pour le moins, vis à
vis d’une utilisation industrielle du bois énergie. Car les chiffres de disponibilités peuvent être trompeurs : les
rémanents contribuent au maintien des sols forestiers en bon état : ils ne sont guère « offerts ». Quelque 50 %
du bois d’industrie-bois énergie seraient liés à la récolte de bois d’œuvre4 : on ne collecte guère les houppiers
avant que le tronc soit coupé. De plus, le débit des grumes génère des « produits connexes de scierie », qui
1 Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs, pour une nouvelle approche des ressources naturelles, De Boeck éd.,
Louvain-la-Neuve, 2010, 301 p. 2 Fibre excellence, présentation, http://www.fibre-excellence.fr/fibre-excellence-tarascon.php#approvisionnement_bois,
consulté le 27 février 2018. 3 Jean-Marc Callois, De l’importance d’une prise en compte des aspects sociaux et institutionnels dans la mobilisation de la
biomasse à finalité énergétique. Innovations Agronomiques, INRA, 2017,54 (janvier), pp. 31-39.
4 IGN/fcba, Disponibilités forestières pour l’énergie et les matériaux à l’horizon 2035, 2016, annexe 15, p. 28,
http://inventaire-forestier.ign.fr/spip/spip.php?rubrique204, consulté le 27 février 2017.
59
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contribuent à alimenter les usines et les centrales. S’il n’y a pas de débouchés suffisants pour les bois d’œuvre,
ou en cas d’exportation de grumes, les disponibilités annoncées en BIBE sont gonflées.
Il est toujours pertinent de privilégier la transformation locale du bois d’œuvre. « Pourtant, les politiques
actuelles, comme le Plan national forêt bois, semblent tourner le dos à la valorisation de ces interactions,
privilégiant des approches par filières cloisonnées »5
2 – L’irruption de nouveaux acheteurs de bois, et les tensions générées
Ces dernières années, des débouchés nouveaux sont apparus.
Une scierie moderne s’implante dans le Var, pour des grumes résineuses issues tant des Alpes maritimes que
du Var et de Haute Provence.
Et, sur la foi de l’inventaire forestier, les incitations publiques en faveur du bois énergie ont contribué à
l’installation de chauffages collectifs au bois, d’une part, et d’autre part de centrales thermiques, à Brignoles
(consommation de 180 000 t/an de biomasse), et par reconversion, à Gardanne (consommation totale de 850
000 t/an de biomasse). De nouveaux opérateurs s’installent : ce sont soit les collectivités, sur des ressources de
niche, locales, soit des énergéticiens, avec une approche plus globale.
Pour la région Provence Alpes Côte d’Azur, en mettant en regard les dernières données, précisant les unités et
les incertitudes, la récolte annoncée pour le centrale de Gardanne serait de l’ordre du vingtième du volume
stocké annuellement, 90 000 tonnes6 pour 1,9 millions de tonnes de gain en capital ligneux
7. Le bois serait là,
en forêt. Mais pas l’offre, pas les habitudes, pas l’organisation d’une sylviculture adaptée.
Ce qui a soulevé « le dilemme entre un modèle de développement territorialisé basé sur un maillage de petites
unités, par opposition au déploiement de filières industrielles recherchant les économies d’échelle (et avec, a
priori, moins de retombées directes sur les territoires fournissant la ressource) »8.Le Fonds chaleur finançait les
chaudières collectives, et la Commission de régulation de l’énergie les centrales thermiques. Il n’est pas évident
que la ponction sur la ressource ait été concertée entre eux.
Craignant des conséquences négatives de cette récolte pour les forêts méditerranéennes, diverses entités, y
compris collectivités publiques, ont voulu arrêter le projet de Gardanne. Elles ont saisi le Tribunal administratif
de Marseille : celui-ci, par décision du 8 juin 2017, a prononcé l’annulation de l’autorisation d’exploiter, compte
tenu de l’insuffisance de l’étude d’impact :
- eu égard à l’importance des prélèvements en bois forestier, qui devraient représenter à terme, 35 %
du gisement forestier disponible dans un rayon de 250 km autour de la centrale, les conditions
d’approvisionnement en bois forestier constituent un élément essentiel de l’exploitation,
- l’étude d’impact est insuffisante dès lors qu’elle ne comporte pas d’analyse des effets « indirects et
permanents » sur les zones de prélèvement en bois ;
5 Marc Deconchat et al., Les forêts dans les territoires agricoles : nouveaux atouts d’une relation bénéfique, Colloque
Approches territorialisées des usages de la forêt, 2017, p. 12. N.B. : ici, « plan » doit être lu comme « programme ». 6 Pascal Charoy, Pédagogie dans les forêts de Gardanne, in la forêt privée, n° 350, juillet-août 2017, encart de la p. 42
7 IGN, Portrait forestier de treize régions, in l’if, n° 37, avril 2016, p. 13, https://inventaire-
forestier.ign.fr/IMG/pdf/IF_37.pdf, consulté le 27 février 2018. 8 Jean-Marc Callois, Des chaufferies bois collectives aux bio-raffineries : quelle territorialisation de la bio-économie ?,
Colloque Approches territorialisées de la forêt, 2017, p. 6.
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- cette insuffisance de l’étude d’impact a eu pour effet de nuire à l’information complète de la
population, au stade de l’enquête publique, et a été de nature à exercer une influence sur la décision de
l’autorité administrative.
L’État a interjeté appel de cette décision, et le Préfet a pris un arrêté provisoire pour autoriser la poursuite de
l’exploitation, à échéance fin du premier trimestre 2018, dans l’attente de la décision de justice.
Pour poursuivre son exploitation, l’industriel est invité à élargir son étude d’impact à 17 départements,
« territoire défini par les entités dont il dépend.»9
3 – L’émergence de nouveaux partenariats ?
Dans ce contexte incertain, de nouveaux comportements émergent, et des initiatives nouvelles seraient
possibles. La centrale finance « simultanément 28 projets dans le cadre d’un soutien à l’expérimentation et à
l’innovation, et (…) travaille à la structuration de la filière forêt bois »10
L’administration semble découvrir que « la gestion forestière durable est encore sous représentée dans la
région, seules 40% des forêts privées de 25 ha et plus bénéficient d’un PSG »11. CRPF et Fransylva s’engagent
dans « une pédagogie de terrain »12
pour faire admettre l’exploitation forestière : alors que la gestion
forestière de Provence Alpes Côte d’Azur semblait en avant garde dans un cadre post industriel, privilégiant les
services et les aménités forestières, elle semble assumer les contraintes d’une société hyper-industrielle13
, où
le respect de l’environnement et des services rendus doit aller de pair avec une utilisation optimisée des
ressources du sol. Car « en faisant des choix sur les modèles de production des bio-ressources, on touche à
l’environnement direct des habitants, pas seulement ceux qui exploitent ou ceux qui transforment les
produits »14
Dans le Gard, émerge un partenariat entre les propriétaires forestiers et les utilisateurs de la ressource, Uniper
ou Fibre excellence, pour une mise en valeur de la châtaigneraie dépérissante : les acheteurs de bois
contribuent financièrement aux indispensables plantations.
À Gardanne, la complémentarité entre le bois d’œuvre et le bois énergie pourrait se concrétiser par
l’installation d’une scierie sur le parc à bois de la centrale thermique : « aujourd’hui, il s’agit de marier
production de sciage, énergie, granulés, chimie ».15
Cela s’inscrit dans un processus récursif16
essayant de
construire une démarche intégrée entre la diversité de la ressource, en dimensions et qualités, les techniques
de transformation, et les débouchés acquis, existants ou potentiels.
9 Bruno Latour, La mondialisation fait-elle un monde habitable ?, in Territoire 2040 : prospective périurbaine et autres
fabriques de territoires, La Documentation française éd., Paris, 2010, pp. 9-18. 10
Pascal Charoy, Pédagogie dans les forêts de Gardanne, in la forêt privée, n°350 de juillet- -août 2017, p. 41. 11
Bernard Rérat, d’après DREAL Provence Alpes Côte d’Azur, 2015, in La forêt privée, n° 358, novembre décembre 2017, p. 54. 12
Pascal Charoy, Les opérations de pédagogie n’ont pas suffi à convaincre les opposants à la centrale de Gardanne, in la forêt privée, n° 358 , novembre décembre 2017, p. 52. 13
Pierre Veltz, La société hyperindustrielle, La république des idées, Éd. du Seuil, Paris, 2017, 128 p. 14
Jean-Marc Callois, Optimiser la capacité productive des espaces ruraux : l’opportunité de la bioéconomie, in René Souchon, Ruralité, quel avenir ?, Éd. de l’Aube, 2017, p. 116. 15
Fédération nationale du bois, Revendications de la FNB, zoom, in le Bois international, 23-30 décembre 2017, p. 14. 16
Edgar Morin, la Méthode, in la Nature de la Nature, Éd. du Seuil, Paris, 1977, p. 259
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La centrale thermique de Gardanne est une causalité externe17
. Son impact a dépassé le seuil de tolérance de
l’organisation de la filière bois dans le Sud Est de la France : des territoires, des terrains de vie18
se découvrent
comme des entités capables de générer des processus d’innovation. Ils ont perçu les changements qui se
produisent ailleurs, ils réalisent des projets pour s’y adapter, et pour stimuler ainsi les activités économiques
dans les régions où ils sont localisés : « les ressources naturelles n’existent pas, il n’y a que des ressources
construites ! 19
»
En pratique, comment vont évoluer les forêts du Sud Est de la France ?
Selon les choix régionaux qui seront faits, de simple collecte du bois énergie, ou d’une gestion forestière
ménageant peuplements, paysages et milieux, ces terrains de vie sauront-ils réfléchir sur l’organisation pour
construire une organisation nouvelle ? Il s’agit de dépasser les systèmes de production pour devenir des
systèmes d’engendrement20
, tels que les décrit Bruno Latour, autrement dit des « systèmes substantiels dotés
d’autonomie, ayant la capacité de percevoir, d’imaginer et de mettre en œuvre leur propre
développement »21
?
L’irruption de la centrale de Gardanne pourrait ouvrir vers une meilleure gestion des forêts du Sud-Est de la
France, en imposant de nouvelles relations, de nouvelles pratiques des acteurs forestiers.
L’avenir est ouvert…
17
Edgar Morin, ib., p. 353. 18
Bruno Latour, Où atterrir, Comment s’orienter en politique, Éd. la Découverte, Paris, 2017, p. 120. 19
Olivier Crevoisier, Ressources, et territoires, : construction, concepts et théories, présentation lors du colloque « Dynamiques des ressources territoriales », Clermont-Ferrand, 20 février 2008. 20
Bruno Latour, ib ., pp. 106-125 21
Olivier Crevoisier & Ariane Muller, Évolution économique d ea filière bois. Une analyse par les milieux innovateurs, in Économie rurale, 1998, 248, pp. 29-37
Les mutations dans la gouvernance de la forêt et de la filière bois
Etienne POURCHER
EP Conseil et stratégie
1. Une gouvernance historique qui se diversifie
Autrefois essentiellement patrimoniale, pour l’Etat et les communes forestières, la forêt devient de plus en plus
un territoire de projets dans les domaines économiques, sociaux et environnementaux.
Historiquement, la gouvernance forestière réside dans la relation propriétaire/gestionnaire.
Cette gouvernance simple entre un propriétaire Etat/Commune/Particulier et un gestionnaire est aujourd’hui
réinterrogée à la lumière de nouveaux acteurs et de nouvelles compétences, notamment en lien avec la
multifonctionnalité des forêts : matière première d’une filière économique, puits de carbone et réserve de
biodiversité, terre de récréation...
2. Des modifications législatives récentes
Entre la commune et l’Etat, traditionnels décideurs forestiers, de nombreuses strates territoriales sont
apparues dont il était devenu urgent de clarifier et répartir les compétences. Dans ces lois récentes, de
nombreuses dispositions concernent la gestion des forêts.
Loi de Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles (MAPTAM)
La Région devient cheffe de file pour l'exercice des compétences relatives notamment à l'aménagement et au
développement durable du territoire, la protection de la biodiversité, au climat, à la qualité de l'air et à
l'énergie, au développement économique…
Loi Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe)
La région élabore un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation
et un schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires.
Loi Transition énergétique
La loi instaure une Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) et une Stratégie Nationale et un Schéma
Régional Biomasse sont instaurés
Loi Biodiversité
La création d’une Agence française de la biodiversité (AFB).
3. Des compétences nouvelles
Ces nouveaux champs de compétences créent des légitimités nouvelles en matière forestière : le couple
propriétaire/gestionnaire a bien sûr la légitimité patrimoniale mais faire vivre une filière économique et des
emplois en est une autre qui dépasse les intérêts directs du propriétaire ; au-delà, un projet de territoire,
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autour de la forêt, privilégiant l’un de ses aspects en lien avec les aspirations de ses habitants peut relever
d’une autre légitimité. Enfin, un projet de société donnant à la forêt ses trois dimensions économique,
environnementale et sociétale relève de l’intérêt général.
4. La montée de l’intercommunalité
Le développement rapide de l'intercommunalité à fiscalité propre a conduit à la création de nombreuses
communautés de communes de petite taille, imposant aux communes un échelon, supérieur par la taille, qui a
été encore renforcé récemment : La loi NOTRe a porté à 15 000 habitants leur seuil minimal de population.
Ainsi, près de 40 % des établissements publics de coopération internationale (EPCI) à fiscalité propre ont été
supprimés fin 2016.
Ce renforcement de l’échelon supra communal s’est doublé d’un renforcement de ses compétences : La loi
NOTRe prévoit de nouveaux transferts des communes membres vers les cinterco : en matière
de développement économique de Promotion du tourisme de gestion des milieux aquatiques et prévention
contre les inondations (GEMAPI) …
En matière forestière, il n’y a pas de transfert du patrimoine des communes vers l’intercommunalité ;
cependant les modalités de gestion forestière touchant l’accueil du public et le tourisme,
l’environnement/biodiversité, … sont de plus en plus traités au niveau intercommunal.
5. Le fait Régional
L’échelon Régional a lui aussi pris une dimension nouvelle avec le découpage des 12 nouvelles Régions
françaises par fusion de régions existantes au 1er
janvier 2016. Cette évolution en taille s’est elle aussi couplée
d’un renforcement des compétences.
La Région devient la collectivité territoriale responsable sur son territoire du développement économique, ainsi
que de l’élaboration de deux schémas majeurs prospectifs, couvrant les deux volets du développement
économique :
Le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII)
Le schéma régional d’aménagement de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET).
La montée en puissance des Régions n’est pas neutre dans la gouvernance forestière, tant pour le dynamisme
de la filière bois et le soutien à ses acteurs, de la première transformation aux usages les plus aboutis, que pour
la place de la forêt dans l’aménagement du territoire.
6. Forêt et démocratie participative
Le citoyen souhaite être de plus en plus impliqué dans la gouvernance et les choix démocratique de notre pays.
L’ordonnance du 3 août 2016 élargit le champ de la participation amont du public :
La participation (débat public et concertation) englobe désormais des plans et programmes et non plus
seulement des projets ;
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La concertation préalable concerne également des projets, plans et programmes ne donnant pas lieu à
saisine (automatique ou facultative) de la CNDP dès lors qu’ils sont néanmoins assujettis à une évaluation
environnementale ;
Il est par ailleurs créé un droit d’initiative citoyenne permettant de saisir la CNDP ou, pour certains
projets, de réclamer l’organisation d’une concertation préalable.
Citoyens, associations, riverains… utilisent de nouveaux moyens comme les réseaux sociaux, les interventions
citoyennes (pétitions…), les commissions consultatives, voire l’occupation de zones.
Les attentes sociales sont fortes, notamment pour la forêt avec l’urbanisation qui crée une demande de nature
donc d’accueil du public, le changement climatique qui pousse au stockage du carbone et à la substitution
d’énergies renouvelables aux énergies traditionnelles… La gestion traditionnelle des forêts en est parfois
transformée (acceptation des coupes rases) de même que les projets portés par d’autres acteurs que les
gestionnaires (projet de chaufferie bois, de parc de loisirs…).
7. Une nouvelle gouvernance forestière
Multiplicité d’acteurs
Le Maître d’Ouvrage n’est plus systématiquement celui qui a la compétence : ainsi un Maire qui fera venir une
scierie dans sa commune même si le financement public viendra principalement des collectivités compétentes
en matière économique comme la Région ou le Département.
Les activités induites par l’implication dans un projet par exemple de développement local sont devenues
extrêmement variées, de plus en plus complexes, et impliquant une diversité toujours plus grande d’acteurs.
De nouveaux lieux de gouvernance
i) Nationaux
En matière de développement économique, la loi d’avenir a introduit un Programme National de la Forêt et du
Bois (PNFB) décliné en programmes régionaux (PRFB) Le PNFB été co-construit avec les acteurs de la filière. Il
définit la politique forestière française publique et privée, des dix prochaines années. Il vise à augmenter la
récolte de bois tout en assurant le renouvellement de la forêt et à préparer les forêts françaises aux
changements climatiques.
Au sein du Conseil National de l’Industrie, le Comité Stratégique de Filière Bois a été installé. Le contrat de
filière a été signé le 16 décembre 2014 et définit une stratégie à long terme qui traduit les engagements
conjoints de l’Etat, des régions et des acteurs professionnels en veillant à l’équilibre des différents usages du
bois dans les politiques publiques.
La loi transition énergétique a instauré une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui fixe les
objectifs suivants pour 2018 et 2023 au plan national : 12.000 kilotonnes d'équivalent pétrole (13.000 ktep en
2023) pour la production de chaleur à partir de biomasse dont 7,4 Mtep issus de la consommation bois des
ménages (8,6 millions de logements) en 2018 et 540 mégawatts (790 MW en 2023) de puissance installée pour
la production d'électricité à partir de bois-énergie.
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Le schéma régional biomasse doit également prendre en compte les objectifs, orientations et indicateurs fixés
par la stratégie nationale de mobilisation de la biomasse.
ii) Régionaux
La loi NOTRe a instauré un Schéma Régional de Développement Economique, d’Innovation et
d’Internationalisation. et crée l'obligation pour les nouvelles régions de produire un SRADDET (ou schéma
régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires). Le SRADDET fusionne
plusieurs documents sectoriels dont le « Schéma régional biomasse ».
L’enjeu de ces schémas régionaux d’aménagement du territoire est de positionner la forêt là où les territoires
veulent qu’elle soit dans 20 ans.
iii) Infra-régionaux
SCOT
Les Schémas de Cohérence Territoriale (SCoT) sont l’outil de conception et de mise en œuvre d’une
planification stratégique intercommunale, il est destiné à servir de cadre de référence pour les différentes
politiques sectorielles. Il en assure la cohérence. Certains SCOT (comme celui d’Epinal dans les Vosges) ont un
volet expressément forestier.
Chartes forestières de territoires
Portée par une collectivité, la charte forestière de territoire rassemble tous les acteurs d'un territoire qui
définissent un programme d'actions pour valoriser leurs espaces forestiers. Elle prend en compte tous les
usages de la forêt : économique, environnemental et social.
Une charte forestière de territoire (CFT) est un document d’orientation, qui peut cependant être décliné en
conventions entre gestionnaire forestier et tiers.
En 2016, 140 CFT ont été signées, 5 millions d’hectares soit plus d'un tiers de la forêt métropolitaine, aussi bien
publique que privée.
Les parcs naturels
Dans les territoires infrarégionaux, il faut également citer les Parcs qui ont leurs propres chartes. Ce sont
également des espaces de projets pour les forêts, avec leur gouvernance propre, très liée aux Régions.
TEP-CV
Un territoire à énergie positive pour la croissance verte (TEP-CV) est un territoire d’excellence de la transition
énergétique et écologique. La collectivité propose un programme global pour un nouveau modèle de
développement, plus sobre et plus économe.
Ces territoires portent donc une ambition et des projets qui concernent souvent la forêt : construction bois,
bois énergie, réserves de biodiversité, recyclage au sein de la filière bois, sensibilisation…
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Conclusion
Ce nouveau paysage des compétences et lieux de gouvernance sont stratégiques pour la forêt qui doit se
projeter, au-delà de ses relations traditionnelles avec les communes et l’Etat, vers l’intercommunalité et les
Régions :
Les Régions pilotent les filières économiques dont celle de la forêt et du bois, l’aménagement du territoire donc
la vision à 20 ans de la place des forêts dans le territoire régional ; elles définissent la trajectoire de la transition
énergétique dont la forêt est un des éléments clés.
Ces différents enjeux ne se posent pas dans les mêmes termes dans les différentes régions. C’est là que sera
particulièrement utile la prise en compte des spécificités régionales et inter régionales.
A la forêt de se saisir des opportunités que ces mutations de la gouvernance lui procurent !
Pionnière sans le savoir : la forêt à l’heure de l’économie circulaire. Analyse exploratoire des potentiels en Alsace
Antoine TABOURDEAU1, Marie SEVENET
1, Anne-Christine EILLER²
1 European Institute for Energy Research (EIFER) groupes « Énergie, transition, marchés, environnement » et
« Villes intelligentes et durables »
² EDF R&D, EDF Lab Paris Saclay, Groupe Économie et Stratégie de l’Énergie
Introduction
Le travail présenté ici vise à identifier les potentiels en économie circulaire pour la filière bois autour de la
commune de Sélestat en Alsace. Il a été mené dans le cadre d’un accord de recherche entre la ville de Sélestat,
EDF Direction Régionale Grand-Est et EIFER, ce dernier apportant son expertise dans l’accompagnement de
réflexions de planification énergétique en lien avec le développement économique du territoire.
1. Contexte
Avec l’essor du bois-énergie, les chutes de bois en scierie sont requalifiées en sous-produits et réutilisées pour
des chaufferies : des exemples de recyclage et récupération pour alimenter une chaufferie directement sur site
sont observables pour des scieries de toutes tailles. Ces cas d’économie circulaire, bien que n’en portant pas le
nom, rendent doublement pertinent l’analyse du potentiel en économie circulaire de la filière : premièrement
pour bien coordonner le bois-énergie avec les autres usages bois ; deuxièmement pour appuyer les collectivités
qui accordent une attention grandissante à la valorisation de leurs ressources dans un contexte de restriction
budgétaire et alors que l’ancrage territorial des chaufferies demeure un enjeu important (Dehez et Banos,
2017). À cet égard, les expérimentations bois constituent des retours d’expérience précurseurs.
Le périmètre de l’étude (
figure 2) est à la fois celui de l’ancienne région Alsace (départements du Haut-Rhin et Bas-Rhin), dont la
structure forestière et industrielle demeure particulière malgré la fusion des régions, et celui des zones
forestières proches de Sélestat (notamment le massif montagneux des Vosges, à cheval entre les départements
du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et des Vosges).
FIGURE 2 : COUVERT FORESTIER DE LA ZONE D‘ETUDE
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L’Alsace se distingue du reste de la France par une forêt majoritairement publique et bien exploitée : c’est donc
dans l’utilisation des sous-produits que résident les possibilités de développement, d’autant plus nombreuses
que l’ancienne région accueille une concentration exceptionnelle d’industries du bois : environ
3 100 établissements (INSEE, 2015, sur des données de 2011), ce qui représente environ 20 000 emplois
(salariés et non-salariés) dans la première et deuxième transformation, le bois d’industrie, la gestion et
l’exploitation forestière.
2. Cadre théorique
Le concept d’économie circulaire est l’héritier de théories remontant aux années 1960 et mises à l’agenda
politique depuis les années 1990 (Lazarevic et Valve, 2017). Récemment, le lobbying de plusieurs groupes en
faveur d’une stratégie nationale et européenne – notamment la fondation Ellen MacArthur (2013) – a conduit
décideurs et industriels à la prendre au sérieux. C’est donc un concept fondateur, riche de perspectives et
résonant avec les efforts actuels des collectivités comme des industries pour limiter les impacts
environnementaux, améliorer l’efficacité de leurs processus et valoriser économiquement des services
écosystémiques.
Au lieu de considérer les déchets comme des produits fatals, l’économie circulaire les qualifie de sous-produits
pouvant faire l’objet d’une valorisation économique en boucle fermée. Elle véhicule trois actions (Ghisellini et
al., 2016) : la réduction, c’est-à-dire la minimisation des besoins en matières premières, la réutilisation et enfin
le recyclage (qui concentre actuellement le plus d’efforts). Quatre principaux objectifs sont visés à travers elles
(Lazarevic et Valve, 2017) : la réalisation de cycles fermés de flux de matériaux, la transition de la
consommation vers l’usage1 (c’est-à-dire le passage à une économie de services), le découplage entre
croissance économique et consommation des ressources et le retour de la compétitivité.
3. Méthode
Ce travail s’appuie sur des entretiens réalisés d’avril à septembre 2017. Leur objectif était d’éclairer de
potentiels conflits d’usage locaux et d’identifier les vecteurs locaux en matière d’économie circulaire. Le panel
d’acteurs rencontrés est restreint (8 acteurs) du fait du caractère exploratoire de ce travail mais il balaie la
majorité des représentants des parties prenantes de la région, de l’amont à l’aval de la filière : interprofession,
fournisseurs de bois-énergie, collectivités, accompagnateur tel que la Fédération nationale des communes
forestières (FNCOFOR), ainsi qu’un chercheur en économie forestière.
4. Résultats et potentiels identifiés
4.1 Bousculement des gisements secondaires entre bois-énergie et bois d’industrie
En Alsace, depuis une dizaine d’années, le déclin des papetiers et producteurs de panneaux et la montée en
puissance de la transition énergétique ont réorienté une partie du gisement des sous-produits vers le bois-
énergie. Ainsi, entre 2012 et 2014 dans le « Grand Nord Est » (Alsace, Bourgogne, Champagne-Ardenne,
Franche-Comté, Lorraine et Picardie), une activité plus faible des scieries a fait baisser la production de
connexes de la 1ère
transformation (FIBOIS, 2016). En parallèle, davantage de ces connexes (en volume et
proportions) ont été valorisés sous forme de bois-énergie.
1 Par exemple : louer ou emprunter une perceuse plutôt que d’en acheter une
69
Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
Depuis 2007, la demande en bois-énergie a augmenté de 30 %, conduisant les industries du bois d’industrie à
élargir leur périmètre d’approvisionnement. Aujourd’hui, cette tension s’est apaisée, plusieurs sites industriels
(Depalor, UPM Stracel) ont fermé et des chaufferies bois ont capté les volumes de bois ainsi libérés. Selon
l’interprofession, les connexes représentent actuellement entre 450 000 tonnes et 600 000 tonnes, dont 55 %
sont désormais consacrés à l’énergie et 37 % à l’industrie.
4.2 Un marché saturé, analysé de façon contrastée
Actuellement, l’offre en bois-énergie excède la demande, sans qu’il soit clairement identifié s’il s’agit d’une
capacité structurelle ou conjoncturelle. D’un côté, certains acteurs estiment que cette saturation est avant tout
conjoncturelle, liée à une succession d’hivers doux et au prix bas des autres énergies qui détourne les acteurs
du bois-énergie, mais que peu de gisements supplémentaires sont mobilisables. Toutefois, quelques nouvelles
grandes chaufferies restent envisageables, dont l’approvisionnement proviendrait :
‒ soit d’un report d’approvisionnement d’industries du bois d’industrie ou de petites chaufferies, les
fournisseurs de bois-énergie préférant quelques gros clients aux demandes homogénéisées plutôt
qu’une multitude de petits aux besoins hétérogènes,
‒ soit de territoires moins saturés : Allemagne, Champagne-Ardenne ou Massif central.
De l’autre côté, d’autres acteurs estiment que les gisements sont loin d’être exploités au maximum et qu’il est
concevable d’augmenter largement le nombre de grosses chaufferies.
4.3 À l’aval, la construction bois : un marché en essor
L’essor de techniques comme le lamellé-croisé permet des immeubles de grande hauteur (IGH). Au-delà, la
construction bois se développe aussi pour des bâtiments de plus petites dimensions et des logements
individuels. Cependant on ne note pas d’augmentation significative des réalisations (seulement 10 % environ
des maisons individuelles sont construites en bois actuellement), notamment à cause du contexte économique
toujours difficile. Toutefois, les acteurs estiment que ce potentiel pourrait être activé. La rénovation présente
aussi un potentiel de développement complémentaire.
La principale difficulté réside dans le coût des bâtiments, qui nécessite de convaincre individuellement les
clients. Jusqu’ici, les constructions se réalisent surtout dans le haut de gamme, d’où un prix moyen élevé.
Toutefois, selon les informations et les retours mentionnés pendant les entretiens, une comparaison par
gamme de bâtiment indiquerait un coût plus proche d’un bâtiment classique de même qualité. Les
constructeurs souhaitent de ce fait se diriger vers des commandes plus simples pour réduire les prix et lever
ces réticences. Des acteurs de taille, notamment des promoteurs d’envergure nationale, des cabinets
d’architecte et des maîtres d’œuvre montrent un intérêt croissant pour la construction en bois.
La commande publique représente un vecteur fort pour les bâtiments bois, qui sont cohérents avec des projets
de valorisation spécifique du bois local et dont la valorisation entraîne par cascade l’augmentation des sous-
produits.
70
Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
Conclusion
En Alsace, le gisement de bois traditionnellement utilisé par les industriels du bois d’industrie a
progressivement été capté par le bois-énergie depuis quelques années, à la fois à cause de la montée en
puissance de ce dernier et du déclin de certaines industries. Actuellement, l’offre excède la demande sans qu’il
ne soit clairement identifié s’il s’agisse d’une capacité structurelle ou bien conjoncturelle.
À cet égard, l’économie circulaire propose des schémas pour intégrer dans un même cadre les
différents usages et fonctions du bois et coordonner le partage des gisements. À rebours, la filière bois fournit
un exemple précurseur de logiques assimilables à l’économie circulaire, avec une amélioration de l’efficacité de
l’utilisation des ressources via la mise en marché d’un sous-produit. Le souci des impacts environnementaux
constitue un autre aspect à valoriser dans des partenariats avec des acteurs extérieurs à la filière (collectivités,
des entreprises d’autres secteurs, etc.).
Enfin, la construction bois constitue un marché émergent et attractif avec l’arrivée de nouveaux acteurs
industriels et qui profite de la généralisation progressive de nouvelles capacités techniques (lamellé-croisé)
ainsi que d’un cadre législatif plus favorable. Enjeux de construction et enjeux énergétiques sont liés par leur
inscription dans des opérations d’aménagements de haute qualité soucieuses des performances énergétiques.
Il s’agit de plus d’un levier important auprès des collectivités soucieuses de valoriser des ressources et des
emplois locaux, ainsi que de lutter contre les précarités, notamment énergétique.
Références bibliographiques
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Géographie, économie, société, 19(1), 109-131.
FIBOIS. (2016). Actualisation de l'observatoire de la production et de la consommation de la ressource bois en Alsace -
rapport final.
Ghisellini, P., Cialani, C. et Ulgiati, S. (2016). A review on circular economy: the expected transition to a balanced interplay
of environmental and economic systems. Journal of Cleaner Production, 114, 11-32. doi:
https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2015.09.007
INSEE (2015). Plus de 20 000 emplois dans la filière forêt-bois en Alsace. INSEE Analyses.
Lazarevic, D. et Valve, H. (2017). Narrating expectations for the circular economy: Towards a common and contested
European transition. Energy Research & Social Science, 31(Supplement C), 60-69. doi:
https://doi.org/10.1016/j.erss.2017.05.006
MacArthur, E. (2013). Towards the circular economy. J. Ind. Ecol, 23-44.
La multifonctionnalité des forêts mise en jeu
Claire PLANCHAT-HERY1, Sylvie LARDON
2, Marie-Caroline DETROZ
3
1Agence "Vous Etes D'Ici" et UMR Territoires Clermont-Ferrand, France
2 INRA & AgroParisTech, UMR Territoires Clermont-Ferrand, France 3
ASBL Ressources Naturelles Développement, Marloie, Belgique
1. Une première initiative en Wallonie
Dans le cadre du projet "Valorisation multifonctionnelle des massifs forestiers en Wallonie", le Gouvernement
Wallon a adopté en 2008 un plan stratégique de valorisation touristique des massifs forestiers et, depuis 2010,
sa volonté est d’inscrire le développement de la fonction récréative des Forêts d’Ardenne. C’est ainsi que la
Grande Forêt de Saint-Hubert (48500 ha ; 5% de la forêt wallonne) a pu bénéficier d’un projet expérimental de
charte forestière de territoire (CFT) en vue de maintenir ou développer les diverses fonctions de la forêt et de
transposer le concept de multifonctionnalité.
A l’image des CFT issues de la Loi d’orientation forestière de 2001 en France, la future charte de la Forêt de St-
Hubert vise à être un outil contractuel au service d’un territoire, qui permet de valoriser la ressource locale et
multifonctionnelle que constitue sa forêt dans une optique de développement durable. Cette charte porte
aussi bien sur la forêt publique (61% du massif) que privée (31%, 2947 propriétaires forestiers, Detroz, Warzée,
2017). L’ASBL Ressources Naturelles et Développement (RND) a piloté la réflexion sur la mise en place de la
CFT, pour mobiliser une diversité d’acteurs afin de faire émerger des projets et de déclencher des
investissements localement. Elle a souhaité être accompagnée par AgroParisTech Centre de Clermont-Ferrand
et le bureau d’étude Vous Etes D’Ici, à partir de la mise en œuvre du Jeu de territoire (Lardon, 2013). Eprouvé
depuis une quinzaine d’années, il s’agit d’un jeu d'expression qui vise à co-construire une vision partagée des
enjeux d'un territoire et à proposer des actions collectives.
2. Une construction multi-acteurs de la charte
Les diverses expériences de mise en œuvre des CFT en France ont révélé les controverses des dispositifs de
concertation des multiples acteurs de la forêt qui visent à faire vivre « harmonieusement » sur un même
espace les fonctions économiques, écologiques et sociales (Candau, Deuffic 2009). Face aux attentes, parfois
changeantes au cours du temps, des différents acteurs de la forêt, le manque de concertation génère des
frustrations importantes et des antagonismes.
La mise en place d’une concertation à divers moments de la construction de la CFT vise à ne pas reproduire un
dispositif d’action publique classique, mais à améliorer la cohérence et la légitimité des divers points de vue
dans les instances de débat pour un public le plus large possible. L’hypothèse mise en avant ici est que ces
débats donnent lieu à un moment privilégié de rapprochement des différentes “visions du monde” des acteurs
pour qu’ils partagent un même avenir. Ils sont donc tout autant l’occasion que le moyen pour des acteurs
d’horizons divers de travailler ensemble, afin de coordonner leurs actions (Lardon, Piveteau 2005) pour
appliquer le concept de multifonctionnalité.
3. Du Jeu de territoire à la mise en jeu des actions
L’action collective de construction de la charte s’est réalisée sur 15 mois, coordonnée par un comité de
pilotage. Ce comité était composé des représentants des communes, du Ministère, de la forêt publique et
privée, des associations environnementales et sociales, représentants économiques, de la chasse, de la pêche
et de la population. L’Université de Gembloux a également apporté son soutien (apport de connaissances,
observation participante des ateliers). Les autres acteurs techniques, les habitants et les visiteurs ont été
rencontrés lors d’interviews et via les ateliers.
72
Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
Inspirée par le Jeu de territoire développé sur la gestion intégrée de la forêt dans le Vercors, dans le cadre du
projet "FORGECO" (Lardon et al., 2016), l’ASBL RND a souhaité développer ce dispositif pour faciliter la
participation des acteurs de la forêt de St-Hubert en mobilisant les représentations spatiales en tant que
supports de description, d’analyse et de médiation. Un itinéraire méthodologique, co-construit avec RND,
combine quatre étapes jusqu’à la co-rédaction de la charte: 1. Le « Jeu de territoire » pour construire une
vision partagée de la forêt et définir ensemble les axes stratégiques d’action ; 2. Un atelier « Paysages en
actions » organisant une visite et des jeux depuis le terrain pour affiner ces axes ; 3. Des entretiens auprès des
propriétaires privés, des habitants et des visiteurs pour recueillir leurs représentations et engagements en
faveur de la multifonctionnalité ; 4. Un atelier « une charte sur la table » qui combine un outil d’animation basé
sur les cartes mentales et la technique du World Café afin de finaliser la co-construction de la CFT et
l’élaboration d’un programme d’actions pluriannuel partagé à proposer à la validation du Comité de pilotage.
4. Principaux résultats
L’objectif de réaliser une CFT « à la française » en vue d’optimiser la fonction récréative, mais aussi d’y assurer
les différentes fonctions de la forêt, nécessitait de mettre en place une démarche évitant de passer
directement de l’état des lieux aux propositions d’actions.
Un des premiers bénéfices du Jeu de territoire a été la rencontre, pour la première fois, des représentants des
principales fonctions de la forêt. Les acteurs ont été eux-mêmes surpris d’un dialogue possible sans conflits, car
les oppositions ont pu être débattues, localisées sur des représentations spatiales et exposées à tous. Ainsi
quatre scénarii ont été dessinés donnant lieu à 9 axes stratégiques : le tourisme, la communication et la
pédagogie, une économie durable, de qualité et circulaire (filières forestières, agricoles, … et autres secteurs),
la chasse, la gestion des espaces forestiers et des équilibres entre les espaces en lien avec l’urbanisation du
territoire, une gestion foncière et juridique, les énergie(s) et les enjeux écologiques. Le second dispositif
participatif axé sur le paysage a permis de compléter les stratégies autour de la gestion des cours d’eau, de
l’articulation des échelles d’actions et des politiques et dispositifs de financement locaux et nationaux, de
considérer les valeurs sociales, symboliques et paysagères de la forêt et de valoriser les autres produits issus de
l’espace forestier qui ne sont pas du bois (miel, plantes médicinales, etc.). Ces axes et les objectifs stratégiques
ont été reformulés pour être adaptés à un canevas de charte, et l’intégralité des actions, apparues aux ateliers,
est aujourd’hui reprise dans le projet de charte.
Le second résultat porte sur les bénéfices d’une démarche progressive, c’est-à-dire articulant l’intérêt
particulier à l’intérêt collectif, et qui alimente, par l’intermédiaire de la représentation spatiale prospective (ici
via les cartes de scénarii du Jeu de territoire, ou via les jeux des visites paysagères), une réflexion partagée sur
les impacts sociaux, affectifs mais aussi techniques, que pourrait avoir la modification des éléments spatiaux et
territoriaux. Par le fait que certains objets spatiaux (comme les sentiers forestiers) étaient par exemple relatifs
à une propriété privée, les propriétaires, les touristes et les chasseurs ont pu se repérer sur le territoire (usages
de cet objet) et reconnaître l’intérêt de prendre en compte sa gestion comme élément pour la charte forestière
(le sentier devient un moyen de discuter publiquement de la dimension collective de diverses fonctions de la
forêt de St-Hubert). Si les acteurs du territoire ont accepté de réaliser une représentation spatiale en commun
de leur vision de la multifonctionnalité de la forêt, c'est à partir de ces éléments dessinés que s’est tissé un
rapport sensible au territoire que les acteurs ont souhaité transmettre à la collectivité pour la charte. Ces
représentations spatiales sont une image des actions et des stratégies que les acteurs soutiennent au présent
mais aussi au futur.
Un troisième résultat porte sur la mise en évidence des informations et des orientations de gestion à
différentes échelles de perception du territoire (de la parcelle à la région Wallonne, voire l’échelle européenne,
pour la gestion de la maladie du hêtre ou les techniques de plantation en lien avec le changement climatique).
L’usage de différents modes de visualisation graphique, entre une vue synoptique, via le Jeu de territoire et
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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018
tangentielle, via les visites paysagères, contribue à transmettre des informations différentes et leur
combinaison permet d’enrichir ces informations (Planchat, 2011).
Ainsi les divers dispositifs participatifs, via l’itinéraire méthodologique mis en œuvre, a abouti à une conduite
du changement articulant deux grands types de démarches couramment menées : celle, descendante,
principalement élaborée par les techniciens des services avec le risque de passer à côté des intérêts des acteurs
locaux et celle, ascendante, émanant de ces derniers, qui peuvent omettre des contraintes réglementaires ou
des considérations d’intérêt général. L’itinéraire méthodologique place les acteurs en capacité de contribuer à
la conception du projet de leur territoire, du fait même des décalages qu’ils proposent : raisonner sur l’espace
pour aborder le territoire, se projeter dans le futur pour mieux maîtriser le présent, apprendre collectivement
pour agir. Ils génèrent de nouvelles idées et s’intègrent dans les processus en cours, par la construction
progressive d’un référentiel commun (Moquay et al., 2005). Ainsi la rencontre entre des propriétaires forestiers
publics et privés a mis en avant des points de convergence et de complémentarité entre la forêt publique et la
forêt privée au bénéfice du développement territorial.
6. Un dispositif reproductible
Cette démarche de recherche-action est reproductible sur d’autres territoires qui souhaiteraient mettre en
place une CFT. Cette reproductibilité concerne tout d’abord les praticiens de l’aménagement. Elle leur apporte
une méthodologie pour l’implication d’acteurs divers ayant diverses échelles d’actions pour un même
territoire. Elle aide à l’énonciation et à la spatialisation d’objectifs stratégiques et de résultats à porter
collectivement en articulant ce qui ressort des normes réglementaires du collectif et des enjeux individuels des
acteurs. Si les actions et les normes à respecter pour mettre en œuvre la notion de multifonctionnalité de la
forêt ne sont pas précisées dans la loi (Candau, Deuffic, 2009), notre démarche a l’avantage de donner à voir
localement ce que signifie ce concept et comment, via les axes stratégiques, le mettre en œuvre « au mieux ».
La reproductibilité s’applique aussi à la recherche en tant que dispositif d’accompagnement des acteurs pour
les aider à construire une vision partagée et spatialisée des enjeux d'un territoire, un engagement des acteurs
qui ne se connaissaient pas ou ne travaillaient pas ensemble, une stratégie partagée, une définition et une
localisation des actions collectives, en vue d’une montée en compétences du « faire ensemble ».
Références
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paradoxe, VertigO, Hors série 6, nov. 2009, [En ligne]
Detroz M. C., Warzée P., 2017. Charte forestière de territoire sur les communes de Libin- Saint-Hubert-Tellin-Libramont –
Etat des Lieux, Marloie, Ressources Naturelles Développement – asbl – septembre 2017
Lardon S., Bouchaud M., Cordonnier T., 2016. Combiner modélisation des chercheurs et participation des acteurs pour une
gouvernance intégrée de la foret dans le territoire. Le « jeu de territoire Vercors ». In Farcy C., Huybens N. (eds.), Forêts et
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Lardon S., Piveteau V., 2005. Méthodologie de diagnostic pour le projet de territoire : une approche par les modèles
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Moquay P., Lardon S., Marcelpoil E., Piveteau V., 2005. Contribution des représentations spatiales à la proximité
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Planchat C., 2011. The prospective Vision: Integrating the Farmers’ Point of View into French and Belgian Local Planning. In
Michael Jones and Marie Stenseke, The European Landscape Convention: Challenges of Participation, Springer, Netherlands,
pp 175-198
Transition écologique, Plans climat, protection des sources d’eau potable : quel apport de l’extension des boisements pour les territoires : Exemples en Poitou-Charentes
Mohamed TAABNI
Université de Poitiers
Laboratoire RURALITES
Introduction et contexte
L’implication des territoires dans le cadre Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) se
traduit par l’élaboration et l’adoption de Plans Climat Air Energie Territoriaux (PCAET) élargi à partir de 2018
aux Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) de plus de 20 000 habitant de plus de
50 000 habitants. Le Schéma Régional Climat Air Énergie de l’ex Région Poitou-Charentes, adopté en 2011
fixait un objectif ambitieux de réduction des consommations d'énergies de 38 % à l'horizon en 2050. Le PCAET
document-cadre de la politique énergé que et clima que de la collec vité est un projet territorial de
développement durable dont la nalité est la lu e contre le changement clima que et l’adapta on du territoire
(avec des objectifs quantitatifs : réduction facteur 4 pour le volet énergé que, la préserva on de la
biodiversité, la préserva on des ressources en eau) le renforcement du stockage de carbone sur le territoire
(dans la végéta on, les sols…). La loi n° 2009-967 du 3 août 2009 (dite loi Grenelle 1 de l’environnement)
instaure la création de la Trame verte et bleue. Aussi bien dans le cadre de cette Trame que pour la
séquestration du carbone ou les énergies renouvelables, les boisements et les corridors boisés occupent une
place majeure.
Les territoires sont confrontés non seulement aux risques de réduction des disponibilités en eau induites par le
dérèglement climatique mais également par la dégradation de la qualité des ressources actuelles par les
pollutions diffuses (nitrates et pesticides). 410 captages ont du ainsi être abandonnés en Poitou-Charentes.
Les Grenelle 1 et 2 de l’Environnement ont ainsi défini la liste par Région, des captages d’eau prioritaire pour
l’alimentation humaine pour lesquelles des mesures de protection doivent être prises pour les préserver et
sécuriser l’approvisionnement.
Les territoires en « transition » énergétiques et écologiques doivent donc mettre en œuvre des politiques
énergétiques et écologiques intégrées pour limiter les effets du changement climatique. L’EPCI est
coordinateur de la transition énergétique sur le territoire. Il doit animer et coordonner les actions du PCAET sur
le territoire. Cette contribution analyse la place qu’occupe le recours aux boisements dans le cadre de la
protection des captages prioritaires pour l’eau d’alimentation en eau potable dans l’ex région Poitou-
Charentes.
Les enjeux
Les eaux de surface et souterraines de la Région Poitou-Charentes sont affectées dans leur quasi-totalité
par les pollutions diffuses (pesticides, nitrates…) d’origine agricole. Environ 85% du territoire est classé en
« zone vulnérable » (zones à teneur en nitrate approchant le seuil de 50 mg/l). « En Poitou-Charentes, avec les
politiques déjà engagées en 2004, il a été estimé que quatre masses d'eau sur cinq risqueraient de ne pas
atteindre le bon état sur l'ensemble de la Région en 2015 » (ORE, 2017b). Démarrés en 1994, les premiers
programmes de réduction des pollutions diffuses agricoles, tels que le Programme de Maîtrise des Pollutions
d’Origine Agricoles (PMPOA), les programmes Ecophyto 1 (2005-2012) et Ecophyto 2 (2012-2018), ont ciblé les
agriculteurs, les collectivités et les particuliers, mais sans viser spécifiquement les captages d’eau potable (ORE,
2011).
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La dégradation de la qualité de la ressource (nitrates, pesticides) est de loin le premier motif d’abandon de 410
captages entre 1970 à 2010 en Poitou-Charentes en 30 ans (BRGM, 2014, PRPC, 2015).
Le Grenelle 2 a débouché sur la détermination des captages prioritaires pour l’alimentation en eau
potable en vue de délimiter leurs bassins d'alimentation sur la base d'un diagnostic territorial des pressions
agricoles et non agricoles. Définis comme prioritaires au sein SDAGE, ces aires d'alimentation de captages ont
été identifiés en Poitou-Charentes suivant un processus de concertation locale et multi-partenariale, sur la base
du caractère stratégique de la ressource et de son état à l’égard des pollutions diffuses précitées. Cette
politique est menée dans le cadre de la démarche dite « Re-Sources », initiée par la Région depuis 1999 et
effective depuis 2005.
Problématique et démarche de protection des captages d’eau en Poitou-Charentes
La réglementation impose la protection du périmètre immédiat du captage par le biais de la déclaration
d’utilité publique (DUP) pour expropriation et acquisition par l’organisme producteur d’eau (le Syndicat d’eau,
la municipalité ou l’EPCI) de la surface autour du point de captage à protéger.
La détermination des zones sensibles à la pollution par les nitrates et pesticides (à la suite de l’étude
préalable diagnostic de vulnérabilité) débouche sur la délimitation du périmètre de protection rapproché (PPR)
du bassin d’alimentation de captage (BAC) qui peut représenter de quelques dizaines à plusieurs centaines
d’hectares dans le cas de captage à partir d’aquifère (voire des milliers quant le prélèvement se fait à partir
d’une rivière). Il constitue l’aspect le plus compliqué et le plus sujet à conflits entre agriculteurs et collectivités
territoriales. Le classement de toutes les nappes souterraines du Poitou-Charentes en « Zone Soumise à
Contraintes Environnementales, ZSCE » permet au préfet de prendre des arrêtés de DUP pour exproprier les
propriétaires des parcelles situées dans le périmètre de protection rapproché, s’il le juge indispensable à
l’application de mesures de protection. Cette mesure est très rarement choisie par le préfet. La négociation et
la concertation sont préconisées. La protection des périmètres rapprochés et éloignés passe par la
contractualisation des parties avec l’adoption du « Contrat territorial de bassins d’alimentation des captages ».
Le programme partenarial Re-Sources, associe l’Etat, la Région Poitou-Charentes puis la Nouvelle
Aquitaine, les Agences de l’eau Loire Bretagne et Adour Garonne, les Conseils départementaux, et les Chambre
régionale d’agriculture et 24 collectivités productrices d’eau potable autour d’une convention qui est
renouvelée pour 7 ans depuis 1999. Elle passe par la contractualisation des parties avec l’adoption du contrat
territorial de bassins d’alimentation des captages (BAC). Le contrat territorial intègre également un autre
programme initié au niveau des collectivités locales dans le cadre du Plan Régional pour la Réduction des
Pesticides (GRAP). L’objectif principal est l’accompagnement des agriculteurs pour un changement des
pratiques (voire la conversion au bio) pour optimiser et réduire l’usage de l’azote ainsi que pour limiter voire
supprimer le recours aux pesticides sur les BAC.
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Fig. 1. Carte des bassins d’alimentation de captages prioritaires (source Région Poitou-Charentes, 2014)
Ces programmes s’articulent autour de la maitrise foncière (après étude d’impact, enquête publique…)
au niveau du périmètre de protection immédiat (PPI) et du périmètre de protection rapproché (PPR). Les
programmes de protection des captages consistent à accompagner les agriculteurs en vue de l’adoption de
pratiques culturales plus respectueuses de l’environnement, mettre en place des boisements et haies, de les
aider à la conversion à l’agriculture biologique.
La forêt et le bois sont aujourd’hui des éléments majeurs de la lu e contre le réchau ement clima que.
Une forêt en pleine croissance peut absorber de 11 à 37 tonnes de CO2 par hectare et par an. Le stock de
carbone de la biomasse est plus élevé en forêt que pour des prairies ou des friches. Les projets de boisement
peuvent intégrer également la protec on de la biodiversité à travers les Trames vertes et bleues et la protection
des captages. Le PCAET document-cadre de la collec vité est un projet territorial qui doit intégrer tous les
enjeux environnementaux locaux. L’ex Région Poitou-Charentes avait voté en 2007 une ligne budgétaire pour
subventionner les actions de « Boisement de terres agricoles », elle permettait aux collectivités, associations,
propriétaires privés, établissements publics, d’en bénéficier.
Résultats
Notre enquête montre que les PPI de tous les captages prioritaires listés sont en maitrise foncière
(suite à des DUP) par les producteurs d’eau. En Poitou-Charentes, on dénombre 71 « captages Grenelle » qui
font l’objet d’une démarche Re-Sources en 2015, avec application de programmes d’actions pour leur
protection (ORE, 2017b).
Sur la période 2007-20013 le coût du programme s’est élevé à 45 millions d’euros, dont 10 millions pour
la mise en œuvre du programme d’actions et 35 millions pour le développement d’une agriculture
respectueuse de l’environnement.
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Pour protéger les périmètres de protection immédiat des captages prioritaires, 228 hectares ont été
acquis par les municipalités et organismes producteurs d’eau, moins de la moitié de cette surface a été
boisée, le reste laissé en herbe.
La situation pour les périmètres de protection rapprochés est très variable d’un bassin à l’autre mais dans
l’ensemble les acquisitions foncières sont limitées.. A quelques exceptions près, les acquisitions sont très
faibles voire nulles.
En 2005, la ville de La Rochelle (Charente Maritime) a acquis par préemption plusieurs dizaines
d’hectares pour protéger les captages. 50 ha de terres agricoles l’ont été pour la protec on du périmètre
rapproché du captage de l’Aunis, à la suite du départ en retraite d’un agriculteur. Les 2 ha les plus proches du
point de captage (PPI) ont été reboisés, 18 ha ont été remis en herbe en partenariat avec la Ligue de Protec on
des Oiseaux (LPO) pour favoriser le développement de la faune et la flore locale. Les 30 ha restants ont été mis
à disposi on de deux agriculteurs biologiques (céréales et luzerne) avec des baux environnementaux
(conven on de mise à disposi on avec la SAFER, avec des clauses environnementales, qui signe les contrats
avec les exploitants). Sur 3 captages en Charente Maritime, (Fraise-Bois Boulard et Varaize), 14 autres hectares
avaient été acquis, dont 6,5 ha ont fait l'objet de plantations de boisements denses, le reste en loué à un
agriculteur avec un cahier de charges strict.
En Deux Sèvres le Syndicat d'eau de Lezay a acquis et boisé 7,5 ha pour la protection du forage de
Croix Rivet à Chenay.
Les difficultés et blocages persistent cependant à l’image du captage prioritaire de Fleury (département de la
Vienne) alimentant la ville de Poi ers. Depuis 2010 la communauté urbaine de Grand Poi ers a end que la
SAFER cède les 7 hectares de parcelles agricoles qui entourent le captage d’eau de Fleury situé dans la
commune de Lavausseau. Selon le président de Grand Poi ers, l’acquisi on de ces terrains perme rait «
d’assurer une meilleure protec on de la ressource en eau de la communauté urbaine », notamment en
contrôlant le risque de pollu on aux nitrates. Grand Poitiers a inves 1,8million d’€ dans un disposi f de
traitement des pes cides par charbon ac f à l’usine de Bellejouanne. Les relevés réguliers é ectués par
l’Agence Régionale de Santé indiquent que ce taux a eint la limite du seuil autorisé de 50mg/l.
La SAFER de son côté invoque pour expliquer son efus la rareté du foncier agricole, et l’envolée des
prix à l’hectare. Les agriculteurs rechignent de céder des hectares et d’être contraints au respect d’un cahier
de charge plus strict dans leurs pratiques.
Le Centre Régional de la Propriété Forestière promeut le CRPF auprès des acteurs concernées : l'agroforesterie
et le boisement en plein des parcelles d'autre part, selon des critères adaptés à chaque périmètre et en
complémentarité avec l’extension des parcelles en agriculture biologique.
Les résultats des actions du programme Re-Sources depuis son lancement effectif en 2005, au ni veau
des captages d’eau souterraines prioritaires sont encore loin des objectifs en termes de reconquête de la
qualité de l’eau. La teneur en nitrates demeure encore élevée au vu des résultats d’analyse de l’Agence
régionale de santé. Cela est du autant à des facteurs d’inertie des polluants dans le sol, qu’au maintien de
l’agriculture conventionnelle, qu’à la faiblesse des surface en herbe ou boisées dans le cadres des périmètres
de protection rapprochée. Les difficultés d’acquisition de foncier pour cette protection s’expliquent par la
concurrence d’usage du sol et la volonté des préfets de ne pas provoquer de situations conflictuelles.
Bibliographie ORACLE, 2014 : État des lieux sur le changement climatique et ses incidences agricoles en région Poitou-Charentes. ORACLE
(Observatoire Régional sur l’Agriculture et le Changement cLimatiquE), 103 p.
ORE, 2011 : Nitrates et pesticides dans l’eau destinée à la consommation humaine. Les dossiers de l’environnement en Poitou-Charentes, ORE (Observatoire Régional de l’Environnement Poitou-Charentes), n° 4, 18 p.
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ORE, 2014 : La gestion des prélèvements d’eau en Poitou-Charentes. ORE (Observatoire Régional de l’Environnement Poitou-Charentes), 4 p.
ORE, 2017a : http://usages.eau-poitou-charentes.org/Usage-et-consequences,24.html, (l’eau et son usage en Poitou-Charentes), ORE (Observatoire Régional de l’Environnement Poitou-Charentes).
ORE, 2017b : http://www.eau-poitou-charentes.org/, ORE (Observatoire Régional de l’Environnement Poitou-Charentes).
PRPC, 2012 : Schéma Régional Climat Air Énergie Poitou-Charentes (SRCAE). Préfecture de la Région Poitou-Charentes, 117 p.
PRPC, 2015 : Programme Re-Sources, agir pour l’eau potable en Poitou-Charentes. Préfecture de la Région Poitou-Charentes, 27 p.
Le bois bûche une opportunité pour la forêt de demain
Olivier LEROY, Etienne GRESILLON
Laboratoire Ladyss, Université Paris-Diderot
Le bois de feu, ou bois de chauffage est l’un des plus vieux moyens de production de chaleur et d’énergie. Son
utilisation a façonné les paysages, les forêts et pris une place importante dans les sociétés et économies
passées. Il connaît un regain d’intérêt avec la transition énergétique à travers des produits transformés
(granulés), la mise en place de réseaux de chaleur collectifs (piscine, école, etc..) et une volonté politique
d’augmenter la part d’énergie renouvelable dans le mix énergétique français et européen. Ces différents cas
font déjà l’objet de recherches intéressantes par différentes disciplines. Dans ce mix énergétique, l’utilisation
par les ménages de bois sous formes de bûches reste élevée (autour des 30 millions de m3 de bois), fluctuant
selon les sources et les années. Ce volume est proche de celui de la production en bois d’œuvre et bois
d’industrie. Il correspondrait à 6,9 Mtep soit plus de 16% de la production du parc nucléaire français. Malgré
ces chiffres, cet usage par les ménages a été assez peu étudié à des échelles locales. En partenariat avec le Parc
Naturel Régional de la Haute vallée de Chevreuse, nous avons été, à l’aide d’une petite équipe de géographes,
ethnologues et économistes lauréats en 2016 à un projet PTT (Paysages, Territoires, Transitions) de recherche-
action du Ministère de la Transition écologique et solidaire. Il s’agit de mieux appréhender à la fois les
consommateurs et les producteurs (catégories pouvant se chevaucher dans le cadre de l’autoconsommation)
utilisant cette ressource sur le PNR. Qui sont ces consommateurs, qu’elles sont leurs motivations pour utiliser
le bois bûches ? Qui sont les acteurs économiques formels ou informels ? Comment s’organise cette activité ?
Des premières études menées à partir d’un questionnaire auquel 173 personnes ont répondu montrent que les
consommateurs sont sensibles d’abord aux aspects économiques. Le bois reste une énergie moins chère que
ses alternatives et les consommateurs sont prêts à diminuer ce faible coût en coupant et débitant les bûches.
Ensuite les usagers sont sensibles aux aspects symboliques et esthétiques du feu qui offre une chaleur plus
agréable. Pour d’autres encore le choix du bois bûche est corrélé avec son ancrage territorial, forestier et offre
une image plus écologique de la ressource. Du côté des producteurs, l’équipe a effectué 25 entretiens semi
directif avec des vendeurs professionnels à temps pleins et des vendeurs plus occasionnels (agriculteur, ETF,
paysagiste, etc) qui ont un accès à la ressource par leurs activités et profitent d’un petit revenu
complémentaire apporté par le bois. Au-delà des professions se sont souvent des trajectoires de vie qui
amènent à choisir cette activité. Leurs logiques sont différentes d’un acteur à l’autre et ils nous semblent
difficiles de les cataloguer dans une filière uniforme. Au final notre travail montre que le bois bûche est bien
plus que de l’énergie. Dans les perceptions des habitants et ses professionnels, ces bûches sont très fortement
associées à la forêt. Pour les forestiers est-ce une carte à jouer pour renouer avec ces usagers ? Pour les
pouvoirs publics comment agir sur ce secteur, favoriser les pratiques vertueuses ?
Formation et dynamique des prix des bois en France : Analyses statistiques et aide à la décision dans un contexte en mutation
Benoît GENERE et Hanitra RAKOTOARISON
Office National des Forêts
Introduction : contexte, enjeux et objectifs
Le bois constitue le principal revenu des forêts. Sa demande et son prix varient fortement selon les essences, la
qualité des bois, les territoires, les pratiques sylvicoles, la conjoncture et d’autres facteurs.
L’ONF vend environ 12 millions de m3 de bois par an pour plus de 500 millions d’euros : 2/3 en vente publique
et 1/3 en vente de gré à gré, surtout pour des contrats d’approvisionnement en pleine croissance.
Pour optimiser les ventes publiques de bois et la négociation des contrats d’approvisionnement, il est
nécessaire de comprendre la formation des prix des bois et d’anticiper leurs évolutions. C’est pourquoi des
études statistiques sont conduites avec l’aide de stagiaires : Alianore Descours, AgroParisTech, en 2016 et
Manon Montagner, ENSAE, en 2017. Les meilleurs modèles explicatifs et prédictifs sont recherchés. Nous
développons successivement deux parties complémentaires :
1) L’analyse des ventes publiques pour mieux estimer la demande et les prix des bois
2) La prévision de prix en appui aux contrats d’approvisionnement
Première partie : analyse des ventes publiques
En vente publique, les prix de vente, le nombre d’offres et le taux d’invendus renseignent sur les conditions de
marché. De mi-2016 à mi-2017, période de quasi-stabilité des prix, l’ONF a conduit une étude statistique à
partir d’une base de données élaborée comprenant les caractéristiques d’environ 20.000 lots de bois proposés,
totalisant près de 7 millions de m3.
L’essence majoritaire (dont les tiges représentent plus de 50% du volume total) de loin la plus demandée par
les marchés est le chêne avec un prix moyen cinq fois plus fort que les pins et trois à quatre fois plus que le
hêtre ou le sapin-épicéa. Le nombre d’offres en chêne est particulièrement élevé et son faible taux d’invendu
renforce son exceptionnelle valeur économique, utile aux choix sylvicoles.
Un focus est réalisé sur l’estimation des prix des lots vendus en bloc et sur pied, très majoritaires.
Outre l’essence dominante, les principales variables de caractérisation des lots sont :
- La date de vente (Trimestre T1 à T4) et son lieu (Direction territoriale DT : AURA Auvergne-Rhône-Alpes, BFC
Bourgogne-Franche-Comté, COA Centre-Ouest-Aquitaine, GEST Grand-Est, MMED Midi-Méditerranée),
- des caractéristiques de la forêt (Propriétaire commune ou domaine ; certification PEFC oui ou non),
- la composition du lot (Volume total en m3 VOLTOT ; Essences en pourcentage % CHE chêne, SAPEPI sapin-
épicéa dont TxEPI taux d’épicéa, PIN pins sylvestre, maritime ou autre ; qualité merrain- tranchage avec PQUAL
en %,
- des informations sylvicoles : Type de peuplement et de coupe (COUPE : IRR futaie irrégulière, AMEL
amélioration, REGE régénération, AUTRE) ; Volume/ha (VOLHA) ; Volume unitaire moyen en m3 (VUM)
Nous utilisons des modèles de régression linéaire multiple pour expliquer le prix en €/m3 de chaque lot de bois
(noté PU).
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Nous considérons un modèle de la forme PU=Xβ+ε, où X=(1,X1,….,Xk) est le vecteur des variables explicatives, β
celui des coefficients du modèle et ε celui des résidus. Nous faisons les hypothèses classiques d’un modèle de
régression linéaire basé sur le moindre carré ordinaire.
Résultats
Tableau 1 : Coefficients des modèles explicatifs des prix des lots de bois en bloc et sur pied
Les références de base (témoin) par variable explicative sont les suivantes :
T=3ème trimestre (T3), DT=Bourgogne Franche-Comté (BFC) ; PROP=communes (CO) ; PEFC=non certifié (N) ;
COUPE=coupes d’amélioration (AMEL) ; PIN=pin maritime (PM)
Les résultats se lisent de la façon suivante : un fond de plus en plus rouge indique un effet très négatif de la
modalité, alors que le bleu s’intensifie avec un effet positif croissant. Les valeurs indiquées donnent la variation
de prix en €/m3 par rapport à la référence de base choisie : ainsi, pour les lots de chêne, dans la 1ère colonne
du tableau 1, le prix au m3 gagne en moyenne 44,78 €/m3 lorsque le VUM des chênes du lot augmente d’1 m3.
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En dernière ligne du tableau, le coefficient R2 est excellent pour le chêne et pour les pins, mais bien moindre
pour le sapin-épicéa.
Le prix est très lié au VUM, mais la puissance et la forme de la relation varient selon l’essence : linéaire pour le
chêne et le hêtre, plus prononcée pour le chêne, logarithmique pour le sapin-épicéa et polynomiale pour les
pins.
De même, le prix varie fortement avec la localisation géographique : pour le chêne, le hêtre et le sapin-épicéa,
il est meilleur dans l’Est de la France (DT BFC témoin et GEST) que dans le Sud (DT MMED et AURA) et même
dans le Centre-Ouest (DT COA), toutes choses étant égales par ailleurs (notamment à qualité et VUM égaux).
Dans le cas des pins, le maritime se vend beaucoup plus cher que les autres pins quand il est dans le massif
landais (DT=LNA : +14,88€/m3) et beaucoup moins cher ailleurs (témoin PM : -6,88€/m3 sur PS et -6,68€/m3
sur AUTRE).
Au niveau temporel, le prix du chêne et du hêtre est meilleur au 3e trimestre (témoin) qu’au premier semestre
(T1-T2). Ceci coïncide avec le début des grandes ventes d’automne, objet d’une forte publicité nationale, et
avec des bois sur sol portant, contrairement à ceux vendus au 1er
semestre.
Le prix croît aussi avec la pureté pour les lots de chêne (%CHE), de sapin-épicéa (%SAP-EPI) et de pin (%PIN). En
raison d’une valeur plus forte, le taux de chêne améliore le prix du hêtre, le sapin-épicéa celui des pins, et la
proportion d’épicéa (TxEPI) celui du mélange sapin-épicéa.
Un prix accru est également mis en évidence pour le chêne avec la qualité du bois, la phase de régénération, la
certification PEFC. A l’inverse, on note des prix amoindris au sein des peuplements irréguliers de chêne et de
hêtre, ainsi qu’en forêt domaniale pour le hêtre (moindre demande).
Deuxième partie : Prévision de prix en appui aux contrats d’approvisionnement
Comment anticiper l’évolution des prix au début puis aux révisions d’un contrat pluriannuel ? En étudiant et
modélisant des séries temporelles de prix, soit avec des variables explicatives, soit par un lissage temporel
comme nous le présentons ici.
Pour prévoir le prix des bois, nous utilisons des séries temporelles trimestrielles de prix par essence. La
modélisation temporelle est mise en œuvre sur les observations de 2004-T3 à 2017-T2, soit 13 années, pour
prévoir les 6 trimestres suivants de 2017-T3 à 2018-T4.
Nous modélisons séparément les prix et les volumes du bois d’oeuvre de 4 essences majeures (chêne, hêtre,
sapin-épicéa et pin sylvestre), pour les 2 modes de vente en bois façonné et bois sur pied.
La modélisation d’une série temporelle se fait en quatre étapes : 1) calcul des coefficients saisonniers
multiplicatifs de chaque série; 2) calcul de la tendance d’évolution de la série temporelle suivant le modèle de
lissage de Holt 3) prévision de la série sur les périodes futures 4) validation. Depuis deux trimestres, nous
faisons la comparaison entre prévisions du modèle et observation réelle des ventes.
Le modèle de Holt (1957) s’écrit de la manière suivante : X(t+h)CVS
=(a1t*h+a0t)
où X(t+h)CVS
est la série temporelle étudiée (prix unitaire ou volume trimestriel par essence) corrigée des
variations saisonnières, h la période où la prévision est effectuée en nombre de trimestres, a1t la pente de la
tendance, et a0t la moyenne de la série. Contrairement à un modèle de régression linéaire simple, les
coefficients de ce modèle sont variables dans le temps suivant un lissage exponentiel ajusté avec les
historiques des ventes.
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Résultats
Comme le montre la figure 1 pour le chêne façonné, le modèle de Holt (courbe grise) suit bien les mouvements
des prix réels (courbe orange). Sur les 4 derniers trimestres, les deux séries sont très proches, indiquant une
bonne qualité du modèle. En effet, les erreurs d’un modèle temporel s’évaluent sur les dernières périodes car
les coefficients se calculent par auto-apprentissage des mouvements du marché. Le modèle de Holt donne des
résultats plus proches de la réalité qu’un modèle de régression linéaire (tracé bleu clair) ou une série de
moyenne mobile (courbe bleue foncée). Les prévisions 2017 T3 à 2018 T4 (en jaune) semblent indiquer une
hausse de prix pour 2018, en plus des effets saisonniers. Ces prévisions sont-elles fiables ? En comparant
l’ensemble des prévisions et des observations sur les 4 essences et les 2 modes de vente, la précision obtenue
sur 2 nouveaux trimestres est satisfaisante, avec un écart de -4 %: au T3 2017 et de +2 % au T4 2017.
Figure 1 : Exemple de prévisions sur les prix du chêne en bois façonné
Conclusions
L’analyse des ventes publiques en bois sur pied confirme un lien fort entre le prix et le volume unitaire moyen,
mais la forme de la relation diffère entre les essences (Rakotoarison et al, 2015). Elle montre aussi des liens
entre prix et localisation géographique, type de sylviculture, qualité des bois… Ces modèles explicatifs peuvent
aider à estimer le prix des lots et orienter la stratégie de vente.
La deuxième partie de cet article a permis de modéliser les évolutions temporelles des ventes de bois, par une
méthode de lissage exponentiel. Ce modèle a donné une bonne qualité de prévision et doit pouvoir aider aux
négociations dans les contrats d’approvisionnement.
Bibliographie
Holt C.C., 1957. Forecasting Trends and Seasonals by Exponentially Weighted Averages, Carnegie Institute of Technology,
Pittsburgh Office of Naval Research memorandum n° 52.
Rakotoarison H. et al., 2015. Plantations résineuses en conditions forestières : Analyse économique des itinéraires dédiés et
semi-dédiés pour augmenter la production de bois. Rev For Fr, n°67 (6) 515-538.
Une dose de sciences de la nature, un soupçon de sciences sociales, saupoudrer le tout d’une gouvernance concertée… Les ingrédients du projet « Forêts vigies du changement
climatique »
Julie MARSAUD
France Nature Environnement
En forêt, les principes de gestion durable sont énoncés, les organismes techniques produisent guides de
bonnes pratiques et recommandations, les chercheurs font progresser les connaissances et les citoyens sont
attachés aux forêts sous de multiples aspects (symbolique, culturel, sensible, récréatif, etc.). Les acteurs
institutionnels forestiers jouent leur rôle d’influence sur les politiques publiques et les journalistes s’intéressent
au devenir des forêts, aux pressions auxquelles elles sont soumises, etc. On peut donc supposer que tous les
ingrédients de la « gestion multifonctionnelle des forêts » sont connus et pris en charge pleinement, que les
enjeux – ce qui se joue, ce qui est à gagner ou à perdre – sont partagés, les orientations discutées à partir de
fondements scientifiques et qu’un consensus s’établit pour tenter de répondre à la question : « quels objectifs,
demain, pour les forêts ? » Pourtant, pour France Nature Environnement, il y a du chemin entre cette liste
d’ingrédients et une recette véritablement « mitonnée », et ce chemin mérite que l’on s’y attarde. C’est dans
cette perspective qu’avec la Fédération Nationale des Communes Forestières, nous avons conçu début 2017 un
projet de recherche-action, intitulé « Forêts vigies : pour des acteurs de territoire conscients des enjeux liés aux
effets du changement climatique et impliqués dans la recherche de solutions concertées ». Ses objectifs :
mettre en place un réseau de forêts « vigies du changement climatique », assis sur des processus participatifs
et concertés, faisant appel aux données des sciences de la nature et intégrant une évaluation par des
chercheurs en sciences sociales. Les forêts vigies procèdent de l’idée que pour bien anticiper et prendre en
charge le changement climatique en forêt, les apports de ces disciplines doivent se conjuguer afin de dépasser
les limites des débats habituels entre acteurs d’une part, et le constat des risques, inquiétudes et impuissance
face aux effets du changement climatique sur les forêts d’autre part. Par des méthodes itératives de dialogue
territorial, ce projet vise la constitution de modèles méthodologiques susceptibles d’être appliqués plus
généralement dans les processus de concertation territoriale ayant à traiter des problématiques complexes et
nécessitant une appropriation par les acteurs face au changement. S’il parvient à dépasser le stade d’esquisse,
nous espérons que le projet « Forêts vigies du changement climatique » puisse constituer une nouvelle «
recette » au menu des réflexions sur l’avenir des forêts et de leur gestion face au changement climatique.
L’objectif de la présentation est de mettre en débat les éléments de ce projet, d’en enrichir la méthodologie et
d’identifier de possibles ponts avec d’autres travaux de recherche, en cours ou projetés.
Le comportement des propriétaires forestiers privés français: premiers résultats des enquêtes nationales Résofop 2011-2015
Mihai TIVADAR
Université Grenoble – Alpes, Irstea, UR Lessem
Dans un contexte de transition énergétique, la ressource bois, une source régénérable, semble insuffisamment
exploitée, notamment par les propriétaires privées. Par exemple en France, 74% des surfaces forestières sont
privées, dont seulement 56% des propriétaires récoltants. Une des causes la plus souvent citée est le fait que la
propriété forestière privée française est extrêmement morcelée: (environ 3,5 millions propriétaires), ce qui
implique des petites superficies et des coûts d’exploitation élevés. Mais, les mécanismes qui expliquent les
choix des propriétaires forestiers privés sont beaucoup plus complexes, avec des facteurs de décisions
spécifiques : consommation d’aménités naturelles, valeur patrimoniale, etc.
Basée sur les données des enquêtes nationales Résofop 2011 et 2015, réalisées auprès des propriétaires
forestiers privés en France, notre étude analyse le comportement des propriétaires privés non-industriels par
rapport à la coupe du bois, en fonction de leurs caractéristiques sociodémographiques (CSP, diplôme, âge…) et
des caractéristiques disponibles de leur propriété (superficie, mode d’obtention, durée de la propriété,
documents de gestion, etc.). Ces données ont été complétées par les prix moyens annuels du bois pour la
période 2007-2015, disponible sur l’Observatoire économique France Bois Forêt. Pour analyser le rôle des
facteurs économiques locaux, nous utilisons la base de données Sirene (2017). En s’inspirant de la classification
des établissements de la filière bois en fonction du codage NAF de Caurla (2012), nous avons agrégés les
établissements et les salariés de la filière bois locale au niveau départemental (le niveau spatial disponible dans
les enquêtes Résofop), en les classant entre les différentes composantes de la filière bois : production,
première transformation et deuxième transformation.
Plusieurs modèles de choix discrets (estimations en forme réduite) ont été testés afin d’identifier les facteurs
qui ont un impact significatif sur les choix des propriétaires. Ces modèles différèrent par rapport à la variable
expliquée (coupe précédente, coupe prévue, coupe en total) et l’année de l’enquête (2011, 2015 et global).
Les résultats obtenus montrent que les caractéristiques sociodémographiques jouent un rôle significatif sur le
comportement des propriétaires forestiers privés et donc toute politique en matière devrait tenir compte de
ces éléments. Certains attributs sont des facteurs positifs sur la probabilité d’exploitation (être cadre ou
agriculteur, être diplômé). Au contraire, l’âge du propriétaire est un véritable frein à la coupe, surtout dans un
contexte de vieillissement de la population propriétaire. Le modèle confirme également les résultats obtenus
antérieurement dans la littérature théorique et empirique et identifie l’impact du revenu, du prix du bois et de
la superficie des propriétés. De plus, le modèle mets en évidence aussi l’impact de la présence d’un plan de
gestion, avec un effet positif fort notamment pour les PSG et CBPS. On constate que l’effet local est plus faible
qu’attendu, avec des spécificités identifiées au niveau de région forestière et estimation de l’impact de la filière
bois locale.
Malgré ces résultats, le pouvoir explicatif des modèles est relativement modeste. Une limite importante est le
fait qu’on ne connait pas les caractéristiques forestières et géographiques des parcelles : accessibilité (altitude,
pente, déserte) et potentiel économique (stock disponible et structure de la forêt). C’est pour cette raison
qu’une nouvelle enquête locale sera administrée auprès des propriétaires forestiers des trois parcs (PNR
Chartreuse, PNR Bauges et PNR Pilat). Cette nouvelle enquête aura un focus sur les parcelles, définies comme
population d’étude, et pas sur les propriétaires comme les enquêtes précédentes, ce qui nous permettra de la
croiser avec des données issues d’autres sources géographiques (modèles numériques de terrain, inventaire
forestier, données LIDAR, etc.).
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Pour finaliser l’analyse nationale du comportement des propriétaires forestiers, quelques étapes restent à
faire. D’abord il s’agit de la finalisation du modèle « sociodémographique » basé sur les enquêtes Résofop par
l’amélioration de la qualité des variables de filière locale (utilisation des données historiques) et du prix du bois
(variabilité géographique) et tester un modèle « pseudo-dynamique », avec une modélisation en deux étapes
(coupe passée – intention à couper). Egalement on envisage le développement des modèles « complets » pour
chaque année d’enquête par l’introduction des variables explicatives spécifiques à chaque enquête et la
modélisation des choix plus complexes (logit emboité). Enfin, pour estimer le rôle des facteurs geo-forestiers,
pratiquement ignorés dans le modèle sociodémographique, nous allons développer d’un modèle pur
« forestier », basé sur les données IGN – inventaire forestier national.
Recyclage des cendres en France : Une enquête auprès des propriétaires forestiers privés
Jens ABILDTRUP, Anne STENGER
Bureau d'Economie Théorique et Appliquée (BETA), INRA
Contexte et enjeux
Le bois est un matériau renouvelable et recyclable avec de multiples usages : construction, ameublement,
emballage, papier-carton, chimie verte et énergie. Le développement de la production renouvelable de
chaleur à partir de la biomasse bois fait partie des objectifs nationaux (par exemple, des aides destinées à
l’habitat collectif peuvent être accordées aux collectivités et aux entreprises qui s’équipent en chaudières à
combustion bois)
Grâce aux fonds publics, la consommation de plaquettes forestières en France double actuellement tous les 2
ans, et ce rythme doit se poursuivre à l’horizon 2020. Cette consommation s’accompagne d’une production
croissante de cendres, résidu ultime de la combustion du bois.
Les cendres contiennent des éléments minéraux nutritifs et présentent des propriétés d’amendement et de
fertilisant reconnues en agriculture. En France, le cadre réglementaire actuel permet un épandage agricole
mais n’autorise pas encore l’épandage de cendres en forêt. Certains pays pratiquent cependant ces épandages
en forêt avec un recul de plusieurs années (Suède, Finlande par exemple). Ces expériences montrent que, dans
certaines conditions, des apports raisonnés de cendres pourraient permettre d’améliorer la productivité et la
santé des peuplements forestiers.
Cette étude fait partie du projet de recherche « REcolte des menus boiS en forêt : Potentiel, Impact et
Remédiation par Epandage de cendres » (RESPIRE), financé par ADEME. L’objectif de ce projet est d’évaluer
l’intérêt et les conséquences du recyclage des cendres par épandage en forêt. De telles recherches sont
nécessaires pour concevoir une éventuelle évolution de la réglementation en faveur de la valorisation des
cendres. Cette étude consiste à recueillir la perception des propriétaires et des gestionnaires de la forêt quant
à l’utilisation de cendres dans leurs forêts.
Méthode
Nous avons mené une enquête auprès des propriétaires forestiers français. Nous avons ciblé les membres des
trois coopératives de propriétaires forestiers français situés principalement dans l'Ouest de la France (Nord et
Sud) ainsi que dans le Centre: COFOROUEST, UNISILVA et CFBL. L'une des principales raisons de cibler les
membres des coopératives forestières est que les membres d'une coopérative forestière ont généralement une
gestion forestière active et sont donc des utilisateurs potentiels du recyclage des cendres.
Le questionnaire comprenait des questions sur (i) l'attitude des propriétaires forestiers vis-à-vis du recyclage
des cendres, (ii) les caractéristiques des propriétaires forestiers et (iii) les caractéristiques de leurs forêts.
Cependant, l'élément principal du questionnaire était une expérience de choix où les répondants devaient
choisir six fois entre trois scénarios pour le recyclage des cendres (voir la figure 1). Les scénarios étaient
caractérisés par les attributs décrits dans le tableau 1.
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Figure 1. Choix du scénario préféré: “« Que vous ayez coupé du bois ou bien que vous prévoyiez d’en couper,
imaginez ici la possibilité d’épandre des cendres. Après avoir examiné attentivement les scénarios d’un groupe,
nous vous demandons d’indiquer le scénario que vous préférez ».
Tableau 1 Attributs décrivant les scénarios
Attributs Description des niveaux Explications
Impact sur la productivité
0 % d’augmentation de production de bois (Apports compensatoires après exploitation, maintien de la fertilité)
5 % d’augmentation de production de bois 10 % d’augmentation de production de bois 15 % d’augmentation de production de bois
Les expérimentations montrent que l’impact des cendres sur la production de bois est variable selon la quantité et la qualité des cendres (forme, granulation, enrichissement,…) et du peuplement (sol, essences,…). % ici appliqué au volume total de bois durant la durée de révolution. Les cendres utilisées dans les scenarios proviennent exclusivement des chaufferies bois et ne contiennent pas de métaux lourds
Materiel d’epandage
Terrestre (type tracteur équipé) Aérien (type hélicoptère avec trémie)
L’épandage par voie terrestre nécessite un réseau d’accès et de cloisonnement bien implanté. Il exige des conditions de sols portants pour limiter les risques de tassement, contrairement à l’épandage par hélicoptère.
Provenance des cendres
Origine locale Pas de restriction géographique
Origine locale signifie que les cendres ne proviennent que des industries locales (circuit de recyclage court)
Coût net d’un épandage
0 euro/ha
100 euros/ha
300 euros/ha
500 euros/ha
La somme des coûts pour le dossier technique, l’achat des cendres, le transport et l'épandage déduction faite de subvention potentielle pour un épandage par cycle de production sur un peuplement
Les données de l'enquête ont été recueillies au moyen d'une plateforme de sondage en ligne et d'une enquête
postale. Une invitation à participer au questionnaire a été envoyée aux membres des coopératives par courrier
électronique de novembre à décembre 2016. Le courriel comportait un lien vers l'enquête en ligne. Dans le cas
de CFBL, 528 membres ont reçu une version papier de la question incluant une lettre de retour car CFBL n'avait
pas d'adresse électronique de tous les membres
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Résultats
Nous avons obtenu 195 questionnaires complétés. Cependant, 211 répondants ont effectué l'expérience de
choix et ces réponses ont pu être utilisées pour les estimations (taux de réponse de 3,7%). Ce faible taux de
réponse doit être gardé à l'esprit lors de l'interprétation des résultats.
Une première question a consisté à demander dans quelle mesure le répondant considérerait l'épandage des
cendres dans leur forêt s’il était autorisé en France. En général, les propriétaires forestiers de notre échantillon
ont été positifs vis-à-vis du recyclage des cendres (Tableau 2).Tableau 2 : « Si à l'avenir, les conditions
techniques, économiques et réglementaires permettent d’épandre les cendres en forêt, seriez-vous prêt à le
faire? »
Réponse %
Définitivement non 1,44
Plutôt non 5,26
Plutôt oui 57,42
Définitivement oui 30,14
Je ne sais pas 5.74
Les résultats de l'expérience de choix sont analysés en appliquant un modèle d'utilité aléatoire (McFadden
1974). Comme prévu, nous constatons qu'il est plus probable qu'un propriétaire de forêt adopte le recyclage
des cendres si cela améliore la productivité de la forêt. En moyenne, les propriétaires forestiers préfèrent les
cendres produites localement ainsi que l'épandage terrestre. Plus le coût est élevé, moins le propriétaire
forestier choisira le recyclage des cendres. Le Tableau 3 montre le consentement à payer (CAP) marginal pour
différents attributs de scénario. Nous voyons qu'un propriétaire forestier moyen dans notre échantillon est
prêt à payer 10 € / ha pour une augmentation de 1% de la productivité de la forêt suite à l'épandage de
cendres. De plus, nous constatons qu'il y a un CAP négatif pour l'épandage par hélicoptère par rapport à
l'utilisation d'un tracteur. Les propriétaires forestiers paieront près de 50 € / ha pour avoir des cendres
produites localement. Enfin, nous constatons qu'il existe en moyenne un CAP positif pour l'utilisation des
cendres, qui ne dépend pas des caractéristiques utilisées pour décrire les scénarios. Une analyse plus
approfondie (Abildtrup et al., 2018) montre que 1) les propriétaires forestiers ayant une partie importante de
la forêt de conifères ont un CAP plus élevé pour le recyclage des cendres, 2) les propriétaires forestiers qui ont
la protection de la nature comme objectif principal de gestion ont un CAP plus élevé pour le circuit de
recyclage, et 3)il y a une hétérogénéité importante parmi les propriétaires par rapport à l'acceptabilité du
recyclage des cendres.
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Tableau 3 : Résultats de l'expérience de choix: Consentement à Payer (CAP) marginal
Attributs
CAP
(Euros/ha)
erreur
standard P>|z|
1% d’augmentation de production de bois 10.39 1.89 0.000
Aérien (hélicoptère) versus Terrestre (Tracteur) -83.48 17.53 0.000
Circuit de recyclage court 49.09 16.05 0.000
CAP pour recyclage des cendres indépendant des attributs 186.94 25.35 0.000
211 propriétaires, 1266 choix
Bibliographie
Abildtrup, J., Saint-André, L. , Stenger-, A (2018). French forest owners’ stated preferences for ash-recycling – A discrete
choice experiment. Working paper in preparation. BETA, Nancy
Louviere, J. and G. Woodworth (1983), ‘Design and Analysis of Simulated Consumer Choice’, Journal of Marketing Research
20, 350–367
McFadden, D. L. (1974). Conditional Logit Analysis of Qualitative Choice Behavior. In P. Zarembka (Ed.), Frontiers in
Econometrics (pp. 105–142). NEW YORK: Academic Press
La gestion du changement dans les organisations complexes : l’approche de la stratégie comme pratique dans le cas du Contrat d’Objectifs et de Performance 2016-2020 de
l’Office National des Forêts
Nathalie CAROL
Centre Européen de Recherche en Économie Financière et Gestion des Entreprises (CEREFIGE) / UMR Silva
Université de Lorraine
L’Office national des forêts face aux enjeux d’une économie écologique et sociale
L’Office National des Forêts (ONF), établissement public à caractère industriel et commercial, est un acteur-clé
dans la mise en œuvre de la politique forestière sur l’ensemble du territoire français. Unique gestionnaire des
forêts publiques, propriétés de l'état et des collectivités locales, il doit relever le quadruple défi d’adapter ses
pratiques de gestion aux incertitudes climatiques, de répondre aux besoins de la filière en approvisionnement,
de satisfaire les attentes récréatives du public tout en préservant la biodiversité des forêts. Une nouvelle feuille
de route a été adoptée le 7 mars 2016 conjointement avec la Fédération Nationale des Communes Forestières
et l'Etat : le contrat d’objectifs et de performance (COP) 2016-2020. Plusieurs axes prioritaires ont été fixés
parmi lesquels « accroître la mobilisation du bois au bénéfice de la filière et de l’emploi » (axe 1).
Ce choix stratégique suscite parmi son personnel sinon une opposition virulente du moins de vives
préoccupations quant à une gestion forestière dominée par une logique de rentabilité : la forêt publique ne
serait-elle pas sacrifiée sur l’autel de la productivité et de la marchandisation ? La rentabilité n’est-elle pas
nuisible à l’intérêt général ? Il est pourtant clairement établi dans ce contrat que la satisfaction des attentes de
la filière est conditionnée au respect des principes d’une gestion durable (COP 2016-2020 de l’ONF, p.6).
Comment en ce cas comprendre la désunion ou l’incertitude autour de mesures visant à concilier les exigences
environnementales avec la rentabilité? Comment cette juxtaposition de deux objectifs non hiérarchisés est-elle
finalement perçue par les agents ? Comment les interprétations se construisent-elles ? Quels sont les actions
qu’elles induisent et leur impact sur la stratégie de l’ONF ?
Le sensemaking, une approche interactive de la dynamique organisationnelle
La théorie du sensemaking élaborée par Karl E. Weick (1936-) peut apporter des éléments de réponse aux
questions posées. La construction collective de sens s’opérerait dans « des cycles de comportements interreliés
» (Autissier et al., 2006), autrement dit, dans des interactions communicatives en situation. C’est en
interagissant que les acteurs organisationnels s’accorderaient sur les interprétations possibles de la situation et
les actions à mener. L’action organisée ne reposerait toutefois pas nécessairement sur une vision similaire des
objectifs mais sur une représentation partagée des moyens à mettre œuvre pour satisfaire les intérêts
personnels.
Le sensemaking comporterait sept propriétés (Weick, 1995) :
1. Il est ancré dans la construction identitaire
La définition de la situation est fonction de l’image de soi qui doit être auprès des autres
2. Il est rétrospectif
L’action fournit les matériaux de base qui sont ensuite interprétés dans les interactions
3. Il promulgue des environnements sensés
Le sens résulte d’une relation établie entre les données de la situation présente et les cartes cognitives issues de l’expérience, de l’apprentissage et des interactions
4. C’est un processus social C’est dans l’interaction que se construit le sens de l’action
5. Il est continu Le sensemaking ne commence ni ne s’arrête
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6. Il met l’accent et est conduit par l’extraction d’indices
Les indices qui sont filtrés, classés puis traités proviennent de stimuli perçus comme inattendus
7. Il est conduit par la recherche de plausibilité plutôt que l’exactitude
La plausibilité est suffisamment crédible pour assurer l’engagement dans l’action
Si le sensemaking fournit des ressources utiles pour saisir la construction collective de sens à l’ONF, ses
concepts sont faiblement articulés entre eux et difficiles à tester empiriquement. Aussi, la strategy-as-practice
est proposée comme approche complémentaire.
La strategy-as-practice: une stratégie qui se fabrique plutôt qu’une stratégie qui se décide
En plein essor dans les sciences du management depuis les années 2000, la strategy-as-practice appréhende la
stratégie non pas comme quelque chose qu'une organisation possède mais comme quelque chose que ses
membres font (Golsorkhi, 2015). Elle oriente alors le regard vers les acteurs, leurs actions, leurs interactions
mais également le contexte dans lequel s’établissent les micro-actions stratégiques. Le faire stratégique pour,
en l’occurrence, construire du sens, s’articulerait empiriquement autour de trois piliers (Goy, 2009):
Pour Balogun et al., (2006), la recherche empirique doit privilégier la liaison entre deux foyers dominants :
pratique-pratiques ; pratique-praticiens ; pratiques-praticiens. La construction collective de sens dans les
interactions nous amène inévitablement à considérer les praticiens. Le rôle des cadres intermédiaires entendus
comme « le coordinateur entre les activités quotidiennes des unités et les activités stratégiques de la hiérarchie
» (Vogler et al., 2006, p.114) est aujourd’hui difficilement appréhendable dans la littérature: sont-ils une simple
courroie de transmission ou des créateurs de sens agissant en partenaire de l’équipe dirigeante? Pour éclairer
cette question, le responsable d’Unité Territoriale (RUT), premier niveau de management opérationnel, en
charge d’animer et de coordonner la gestion forestière dans un périmètre prédéfini est proposé pour l’analyse.
L’intérêt porté à la construction collective de sens ne peut également se soustraire d’une analyse des pratiques
au sein desquels s’établissent les micro-interactions. Les opérations de martelage1 ont alors été identifiées
comme une occasion potentiellement propice aux activités de sensemaking.
Aussi, pour expliquer et comprendre les préoccupations voire les oppositions que suscitent en interne la
nouvelle orientation stratégique de l’ONF, nous proposons d’interroger le rôle et les pratiques des RUT dans
la construction collective de sens.
1 Le martelage consiste à désigner collectivement les arbres et les tiges qui seront coupés par les ouvriers bûcherons. L’objectif est double :
renouveler le capital forestier et approvisionner l’industrie du bois et de l’énergie.
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La région Grand Est, couverte à 59% de forêts publiques, premier producteur national de bois, constituera le
terrain privilégié de l’étude.
Les propositions qui guideront le recueil et d’analyse des données sont les suivantes :
- les RUT sont des « praticiens » clefs du sens stratégique ;
- le sens de la stratégie se construit dans les interactions en situation de martelage ;
- les praticiens sont porteurs de multiples identités et subjectivités ;
- cette pluralité est à l’origine de contradictions dans les pratiques stratégiques.
Une approche qualitative de la création collective du sens à l’ONF
Une étude de cas pour appréhender la complexité du faire stratégique
Comme le souligne F. Allard-Poesi, « parce qu’il s’accomplit dans un contexte d’interactions avec le réel et les
autres toujours particulier, parce qu’il est transformé à mesure des incertitudes et problèmes concrets
rencontrés (…) parce qu’il est adapté aux finalités des acteurs (…), le faire stratégique est toujours situé, et, en
ce sens, singulier ». Le point d’entrée le plus adapté apparaît donc être l’étude de cas privilégiant les approches
ethnographique et longitudinale (Gavard-Perret et al., 2012). L’étude de cas sera donc privilégiée pour analyser
le rôle et les pratiques des RUT dans la construction collective de sens.
La collecte des données : l’entretien semi-directif et l’observation participante
Le projet de connaissance porte sur les significations sociales autour de l’axe 1 du COP 2016-2020 construites
par les acteurs agissant et interagissant. Le chercheur doit alors se placer « au plus près des situations dans
lesquelles se déroulent ces actions et interactions, soit qu’il les reconstitue (historien), les observe
(observation, observation participante) ou qu’il agisse de concert avec les acteurs étudiés (recherche-action) »
(Dumez, 2013, p.7). Les principales méthodes de recueil des données seront alors l’entretien semi-directif et
l’observation participante.
Une dizaine d’entretiens auprès de RUT sera réalisée au cours de la phase exploratoire afin de tester la
pertinence des premières propositions de recherche et faire émerger de nouvelles pistes de réflexion. Cet
échantillon sera réduit dans la phase principale d’enquête et élargi en fonction des premiers résultats aux
techniciens forestiers, chefs de service, directeurs d’agence, etc. L’observation participante portera pour sa
part sur deux types de pratiques : production (martelage, management) et ressources humaines (dispositifs et
outils d’accompagnement dans les fonctions de manager).
L’office national des Forêts, une ambition scientifique porteuse pour l’avenir Ce projet de recherche vise à établir un lien entre un phénomène observé (ce qui doit être expliqué) et ses
causes plausibles (ce qui explique) (Dumez, 2013). Outre sa visée compréhensive, il cherche à éprouver sur un
terrain original la théorie du sensemaking ainsi que l’approche de la strategy-as-practice dont le nombre de
travaux empiriques confirmant sa validité reste relativement limité (Balogun et al., 2006). Enfin, en réhabilitant
l’humain dans la fabrique de la stratégie, cette étude permettra de répondre aux intérêts de la direction
générale de l’ONF pour des solutions plus pratiques à même de les accompagner dans la mise en œuvre de leur
stratégie. Plus précisément, les livrables attendus sont les suivants :
- outils de gestion permettant d’assurer un meilleur alignement entre la stratégie et sa mise en œuvre ;
- programme opérationnel d’accompagnement au changement.
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Bibliographie Autissier, D, G Koenig, and F Bensebaa. 2006. Les Défis Du Sensemaking En Entreprise: Karl E. Weick et Les Sciences de Gestion. Economica. Balogun, J., Jarzabkowski, P., Seidl, D. (2006) Stratégie comme pratique: recentrage de la recherche en management stratégique, In La fabrique de la stratégie une perspective multidimensionnelle. Vuibert, Paris Dumez, H. 2013. Méthodologie de la recherche qualitative : les 10 questions clés de la démarche compréhensive, Paris, France : Vuibert, 240p. Gavard-Perret, M-L., Gotteland, D., Haon, C., Jolivet, A., (2012) Méthodologie de la recherche en sciences de gestion : réussir son mémoire ou sa thèse, Paris, France : Pearson, 2
èmeédition
ONF (2016) Contrat D’objectifs et de Performance 2016-2020. http://www.onf.fr/outils/breves/20160307-152755-686963/++files++/ Vogler, E, Rouzies, A., (2006) Les cadres intermédiaires fabriquent aussi la stratégie in D. Golsorkhi (Eds), La fabrique de la stratégie. Une approche multidimensionnelle : 109-128. Paris :Vuibert Weick, K E. 1995. Sensemaking in Organizations. SAGE Publications.
La fabrique des curricula, composant des mutations de la foresterie.
Jean-Paul GUYON
Université de Nancy
Fabriquer des curricula innovants pour les bâtisseurs des voies nouvelles de la foresterie en France
La question de la fabrique de curricula et de cursus dynamiques, originaux, innovants, globalisants et donc
attractifs en formation initiale comme en formation tout au long de la vie est une donnée fondamentale
d’accompagnement de la mutation actuelle de la foresterie. Les travaux de Philippe Aghion et Elie Cohen,
montrent que le capital humain et le niveau d'éducation sont devenus les leviers essentiels de la croissance,
avant même les ressources matérielles et financières. Le secteur industriel français forêt bois n’a pas encore
développé cette capacité. Ce qui est en cause c’est le mode de fabrique des curricula dans l’enseignement
supérieur. Il est de plus en plus demandé, notamment par les étudiants et les professionnels que les curricula
visent à des compétences élargies et à une lisibilité à l’international. Toutes les carrières aujourd’hui ne sont
plus rectilignes, ni totalement consacrées à la thématique de formation initiale, un ingénieur en foresterie peut
avoir ou vouloir, durant sa carrière, des parcours qui font appels à d’autres disciplines que celle de sa formation
initiale, ou avoir des compétences dans plusieurs disciplines. Il faut donc inclure ces changements dans la
construction d’une formation supérieure répondant à ces besoins et demandes.
Les réponses aux questions que posent les mutations de la foresterie seront traitées par les cadres du secteur
forestier formés dès aujourd’hui. Il en va de notre capacité à innover pour relever le défi du recyclage
permanent des compétences dans un monde de libre circulation des savoirs et de management par la super
intelligence artificielle, celle des systèmes doués de subjectivité, ou encore l’intelligence artificielle restreinte,
celle des systèmes capables d’égaler ou excéder l’intelligence humaine (C. Malabou). Ce qui replace au cœur
des formations supérieures la question des compétences et des pratiques des Enseignant-chercheurs ainsi que
celle de leur formation, notamment pendant le parcours de thèse.
Innover, mutualiser, internationaliser pour répondre aux attentes des étudiants et des professionnels,
l’exemple de XYLOSUP
La plateforme d’enseignement supérieur en foresterie initiée au début des années 2000, labelisé initiative
d’excellence en 2012 par l’université de Bordeaux a pour objectif de proposer des enseignements qui
répondent aux attentes des étudiants et du réseau d’acteurs d’un secteur forestier industriel en déclin depuis
des décennies. Le dispositif pédagogique structure les curricula en faisant interagir les acteurs qui les
produisent, les promeuvent et les mettent en œuvre. Les spécificités de cette plateforme visent à combler les
manques dans l’enseignement forestier supérieur. Ces manques concernent les liens entre formation à la forêt
et formation aux produits biens et services de la forêt, ainsi que les liens entre formation initiale et formation
continue. Les innovations dans ces conditions sont : i) un curricula de la foresterie, c’est-à-dire d’un manageur
forestier dont les compétences s’étendent autant dans le management forestier que dans le mangement de
tous les produits, biens et services de la forêt, et, ii) des promotions d’étudiants de formations différentes -
ingénieurs, masters, formation continue, étrangers- qui suivent, pour un temps, le même parcours avec des
adaptations spécifiques en fonction de leurs attendus. Enfin, il s’agit aussi de confronter les curricula des
doctorants à la réalité des compétences demandées en entreprise. Bien que des améliorations aient été
apportées par les écoles doctorales ces 2 dernières décennies dans les parcours de thèse, les entreprises ne
croient pas majoritairement aux docteurs. En cause, la confidentialité d’information sur les travaux de thèse et
les compétences que la formation par la recherche donne pendant le parcours de thèse qui sont éloignées de
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celles requises dans le cadre de l’entreprise. Il y a donc nécessité de repenser le mode de fabrique des sujets et
projets de thèse en dehors de l’entre soi des chercheurs et enseignants-chercheurs. Les pratiques de recherche
qui associent les sciences participatives (F. Houllier, INRA, 2016) s’adressent explicitement à la communauté
éducative.
Le dispositif de la plateforme Xylosup associe fondations (Université de Bordeaux, fondation de France),
entreprises qui participent au développement des curricula (via un pôle de compétitivité), organismes de
recherche et de développement, administrations et associations d’utilisateurs. Les critères de ces curricula
sont : interdisciplinarité et décloisonnement des disciplines, cohortes d’étudiants de cursus et de pays
différents, formations diplômantes tout au long de la vie, double diplôme, enseignements en ligne et de
terrain, par compétences à partir des connaissances scientifiques et des savoirs empiriques pour des diplômes
qui forment à la complexité et la globalisation des managements en foresterie aujourd’hui. Au niveau
international et quelles que soient les disciplines, les 4 indicateurs du succès de l’attraction des formations
pour les étudiants sont : la présence d’une grande métropole, l’enseignement par la pratique,
l’accompagnement par un fort encadrement des étudiants et enfin un important marketing. Ces critères ne
sont pas tous toujours réunis, en même temps, dans les pôles d’enseignement et de recherche en France.
Impliquer tous les acteurs dans toutes les étapes de la construction des curricula
La nécessité de proposer une diversité de parcours adaptée et adaptable à la demande des candidats à la
formation et à la concurrence internationale, nous conduit à proposer une redéfinition des curricula dans les
domaines de la foresterie à deux échelles : celle des territoires forestiers régionaux et celle de l’identité
européenne, portée par les universités. Le Canada, rayonnant et attractif sur la scène internationale en matière
de formation -notamment en foresterie- peut servir d’exemple.
Les gouvernances doivent également s’inspirer des modèles économiques mis en place depuis des années dans
d’autres secteurs industriels comme, par exemple, ceux de l’industrie aéronautique (MIMAUSA, Aerocampus)
ou encore, du secteur médical optique (PYLA). Ces exemples s’appuient sur un réseau structuré d’écoles, de
laboratoires de recherche, d’instituts techniques de développement, d’organismes de gestion et d’entreprises
innovantes. Le secteur forestier français possède tous les éléments pour la création d’un tel réseau d’acteurs, à
condition que les curricula cessent d’être un enjeu de luttes de pouvoir pour devenir l’expression des multiples
intelligences collectives qui existent dans la foresterie française.
5 propositions pour accompagner les nécessaires mutations de la formation supérieure en foresterie
Création d’un conseil national des curricula de l’enseignement supérieur (formations initiales et continues) en
foresterie (qui inclus un collège d’étudiants) de BAC+2 à BAC +8 cette instance pourrait être porté par
Agreenium.
Concertation entre toutes les formations en foresterie (de Bac + 5 à Bac +8) GE et Universités, pour une
politique de définition et d’évaluation des curricula et une lisibilité à l’international de l’enseignement en
Foresterie en France dans le but de créer un Institut de la Foresterie Française.
Fabrique des curricula par tous les acteurs de la foresterie, pour une évolution des compétences tout au long de
la carrière et une participation de tous les acteurs à l’innovation dans la fabrique des curricula.
Création d’un modèle économique pour l’enseignement en Foresterie sur la base d’un financement
Europe/Etat/Région/Métropole/Professionnels/Fondations/ Etudiants.
Communication à l’international notamment en Europe (via l’EFI et l’IUFRO) autour de l’enseignement
supérieur en foresterie en France.
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Où et comment agir pour dynamiser et moderniser les curricula
Les critères des curricula (mobilité, connaissances, compétences, financement et environnement) doivent se
définir avec des stratégies adaptées (diversité et mixité des parcours notamment) aux territoires
géographiques pertinents (métropole, régions, communauté de communes, département, fondations, Europe)
selon la spécificité de ces territoires. Une action spécifique doit permettre de faire entrer les doctorants dans
les entreprises. La généralisation des doubles diplômes (foret-bois, foret-économie, ou encore forêt-
environnement) ainsi que des formations diplômantes lors du recyclage des compétences est aussi une
priorité.
La réussite d’une telle entreprise passe par le développement d’actions dans les domaines de l’intelligence
collective et la création d’un réseau de valeurs de l’enseignement supérieur en foresterie.
Le secteur forestier français possède tous les éléments pour la création d’un tel réseau de valeur forestière
élargi, à condition que les curricula cessent d’être un enjeu de luttes de pouvoir pour devenir l’expression des
multiples intelligences collectives qui existent dans la foresterie française.
Le processus d'institutionnalisation des enjeux carbone dans la filière Forêt-bois
Zoé GINTER
Irstea
Le changement climatique apparait comme un enjeu central autour duquel se mobilisent de plus en plus
d’acteurs publics et privés. Au cœur de ce référentiel, le carbone forestier est reconnu comme un élément
important du processus de régulation des émissions de gaz à effet de serre (GES). A titre d’exemple, la forêt
séquestre à l’échelle mondiale 9,5 Gt CO2éq.d’émissions nettes de GES par an, l’équivalent de 30 % des
émissions. En parallèle, on observe depuis une quinzaine d’années la multiplication des outils de comptabilité
environnementale, et notamment carbone. Cette comptabilité carbone répond ainsi à deux objectifs
principaux :
1) Comme outil de pilotage interne à une entité (entreprise, collectivité…), il est mobilisé afin de réduire
l’empreinte environnementale (par le biais d’innovation de process par exemple).
2) et/ou L’outils permet de valoriser une filière ou un produit jugé vertueux sur le plan
environnemental, parce que peu émetteur de GES. Dans ce cas, la comptabilité carbone peut par exemple
permettre l’obtention d’un label qui distinguera l’entreprise ou un produit d’un autre. Ce qui peut être un
facteur de compétitivité sur certains marchés.
La contribution proposée a permis de présenter les résultats d’une recherche en cours dans le cadre du projet
TERFICA1 qui s’intéresse aux rapports entre stratégie carbone des entreprises et stratégie de filière à
l’échelle territoriale afin de comprendre les déterminants de l’adoption d’une comptabilité carbone. Plus
précisément, cette intervention en mobilisant une approche combinant économie politique et sociologie
politique, entend décrire et analyser les différentes facettes et modalités de l’institutionnalisation des enjeux
carbones dans les pratiques de gouvernement de l’industrie du bois. Cette étude se base sur un travail
d’enquête empirique approfondie (par entretien et observation), et plusieurs initiatives ont été analysées.
La globalisation des enjeux climatiques et l’émergence de nouveaux marchés offrent des opportunités
multiples que la filière forêt bois peine néanmoins à saisir. Lorsqu’on s’intéresse aux stratégies carbone des
entreprises, plusieurs variables sont à prendre en compte et expliquent l’appropriation de la comptabilité
carbone par les industriels (taille et segment de l’entreprise, structuration du marché, ancrage territorial…).
Nous avons pu constater qu’il existe bien diverses approches et registres qui justifient l’appropriation des
comptabilités carbone au sein des stratégies d’entreprises.
Nous observons de multiples usages de ces outils qui s’inscrivent dans des logiques d’isomorphisme, de
légitimation, d’affichage ou encore au sein de stratégie RSE. Ces logiques se superposant par moment, elles
convergent le plus souvent vers un objectif de compétitivité pour la filière. Si l’outil de comptabilité carbone
apparait comme un construit socio-technique, nous voyons surtout que celui-ci n’est ni stabilisé ni clos, tant
son usage au sein de la filière traduit des approches différenciées du carbone. C’est pourquoi il nous semble
plus approprié de parler de ‘tactique carbone’ dans le cas des entreprises de la filière forêt bois.
Parallèlement, la régulation du secteur de la construction et l’évaluation de la performance environnementale
du bâtiment souligne le constat d’une tendance à la normalisation des pratiques via des dispositifs
techniques pensés en faveur du développement durable. L’enjeu, dans le cadre de la politique de transition
1 Le projet TERFICA (Territoire et filière forêt-bois : la stratégie carbone comme interface) a été élaboré en réponse à l’appel à projet Carbone financé par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) (2016-2019). Il est coordonné par le bureau d’étude APESA. Il implique également l’IRSTEA et la cellule Set -transfert du laboratoire PASSAGES.
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bas carbone est alors d’améliorer la performance énergétique et bas carbone des bâtiments neufs, ce qui
pourrait inciter indirectement le recours à des matériaux bois. Pourtant, la part de marché du bois dans la
construction reste aujourd’hui marginale. Une stratégie de mise en visibilité des atouts du bois construction
pour la lutte contre le changement climatique (à la fois par l’effet de stockage et de substitution) peine à
émerger. Nous n’observons pas encore de banalisation de la construction bois, qui semble relever davantage
d’un « acte militant » ou d’un « effet de mode ». La filière forêt bois s’est longtemps reposée sur ses acquis et a
tardé à intégrer pleinement la dimension environnementale dans ses activités.
Nous observons aujourd’hui l’émergence de dynamiques collectives autour de la publicisation des enjeux
carbone dans la construction, qui pourraient représenter une opportunité sans précédent pour le
positionnement de la filière sur les marchés. Le travail politique mené par les professionnels de la filière reste
néanmoins fragmenté, et c’est principalement des modalités de régulation telles que la commande publique
qui participent indirectement à l’institutionnalisation d’un registre discursif ‘carbone’. La régulation du secteur
du bâtiment dès les années 1990 a toutefois permis de positionner le bois construction comme ‘précurseur’ au
sein de la filière en ce qui concerne la prise en compte des enjeux environnementaux. Plusieurs éléments
expliquent cette trajectoire, notamment les évolutions réglementaires en matière d’impact environnemental et
le rôle de la commande publique.
A travers cette étude, nous avons cherché à montrer que la construction de la question carbone peut être
controversée et qu’elle fait l’objet d’une publicisation dispersée. Cela s’explique à la fois par le positionnement
de la problématique carbone à l’intersection entre politique forestière, politique environnementale et politique
industrielle, mais également parce que le carbone est mis en politique par un ensemble d’acteurs. La
problématique carbone, transversale, se traduit alors dans des secteurs ayant leur fonctionnement propre. Que
ce soit à l’échelle de la filière ou du territoire, la construction d’une stratégie carbone est aussi circonscrite par
l’environnement institutionnel et les cadres de régulation pré existants (réglementation du bâtiment, finance
carbone, formes de la concurrence…). On observe alors une diffusion en filigrane, une institutionnalisation en
accordéon, mais surtout des formes différenciées du ‘changement de pratique’.
S’il existe bien des dynamiques collectives et un travail politique autour de la comptabilité carbone, ceux-ci
rencontrent un ensemble de barrières techniques et politiques. Toutefois, ces dynamiques traduisent une
reconfiguration des stratégies collectives et individuelles face à des environnements politiques, institutionnels
et économiques changeants. Les enjeux carbones sont révélateurs des mutations qui traversent la filière mais
aussi de ses problématiques (approvisionnement, financement…). Le carbone offre en cela des pistes de
recherche intéressantes.
Actes du colloque
« Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois ? »
organisé par le réseau de chercheurs en sciences économiques, humaines et sociales du GIP Ecofor
Coordination
Anaïs Jallais
Francis de Morogues
GIP Ecofor
Photo de couverture
©Jean-Luc Peyron
Contact
Sehs[at]gip-ecofor.org
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