24
Rencontre organisée par l’Institut national de la recherche agronomique dans le cadre du Salon international de l’agriculture Mardi 28 février 2012 RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS Salle Lyra Hall 7 Parc des expositions de Paris Porte de Versailles Photos : © Inra C o l l o q u e L’agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la volatilité des prix

L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

Rencontre organisée par l’Institut national

de la recherche agronomique

dans le cadre

du Salon international de l’agriculture

Mardi 28 février 2012

RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS

Salle Lyra • Hall 7Parc des expositions de Paris • Porte de Versailles P

hoto

s : ©

Inra

C o l l o q u e

L’agriculture face aux aléas :de la variabilité du climat

à la volatilité des prix

Page 2: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

P r o g r a m m e d u c o l l o q u e

Introductionpar Marion Guillou, Présidente directrice générale de l’Inra

Présentation généraleu La montée des aléas en agriculture : Pourquoi ? Comment y faire face ?

Par Jean-François Soussana, Directeur scientifique environnement de l’Inra (co-auteur : Hervé Guyomard,

Directeur scientifique agriculture de l'Inra)

u Accroissement des performances et réduction de la sensibilité aux conditions du milieu : les apports de la génétique

par Christian Huyghe, Directeur scientifique adjoint agriculture de l’Inra (co-auteur : Carole Caranta, Chef du département

génétique et amélioration des plantes, Inra PACA)

u Diversifier les systèmes de culture pour concilier performance et résilience ?

par Eric Justes, UMR Agrosystèmes et développement territorial, Inra Toulouse (co-auteur : Philippe Debaecke, UMR

Agrosystèmes et développement terrItorial, Inra Toulouse)

u Concevoir des innovations pour adapter les élevages d’herbivores à la variabilité et au changement climatique

par Michel Duru, UMR Agrosystèmes et développement territorial, Inra Toulouse

u Observer pour prévenir et gérer les aléas par Gérard Morice, Directeur délégué, Arvalis Institut du végétal

Table ronde et questions à la rechercheDaniel Chéron, Directeur général, Limagrain

Angélique Delahaye, Présidente, Légumes de France

Joël Merceron, Directeur général, Institut de l’Elevage

Pause

14h

14h10

14h25

15h10

15h55

Séquence I • Quel compromis entre performance et résilience ?

u La volatilité des prix des produits agricoles : une analyse historique

par Marilyne Huchet-Bourdon, UMR Structures et marchés agricoles, ressources et territoires, Agrocampus Ouest Rennes

u Conséquences de la volatilité des prix des produits agricoles et des facteurs de production pour les exploitations

agricoles françaises

par Vincent Chatellier, Unité Laboratoire d'études et de recherches en économie, Inra Angers-Nantes

u Quels mécanismes de régulation face à la variabilité du climat et à la volatilité des prix ?

par Jean Cordier, Unité Structures et marchés agricoles, ressources et territoires, Agrocampus Ouest Rennes

(co-auteur : Alexandre Gohin, Unité Structures et marchés agricoles, ressources et territoires, Agrocampus Ouest Rennes)

u Analyse des propositions internationales et communautaires en matière de stabilisation des marchés

par Hervé Guyomard, Directeur scientifique agriculture de l’Inra

Table ronde et questions à la rechercheStéphane Gin, Directeur Assurance Agricole et Professionnels, Groupama

Catherine Moreddu, Analyste des politiques agricoles, OCDE

Didier Nedelec, Directeur d’InVivo Marchés des grains, InVivo

Conclusionpar François Houllier, Directeur général délégué de l’Inra

Séquence II • La volatilité des marchés et sa régulation

17h15

18h

16h15

Page 3: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

Les systèmes agricoles sont sensibles à des aléas (climatiques, économiques, sanitaires, etc…)qui affectent leurs performances. Comment combiner performance (économique, sociale etenvironnementale) et résilience aux aléas ? Un système agricole est jugé performant s’il per-met d’atteindre régulièrement une production (rendement, qualité) de bon niveau, en mobili-sant le moins possible d’intrants et en générant peu d’externalités négatives, assurant ainsi àla fois un revenu agricole et une durabilité environnementale. La résilience dépend de la capa-cité d’un système à restaurer un état d’équilibre après une perturbation.

L’évolution des aléas climatiques a récemment été évaluée par le GIEC* (GroupeIntergouvernemental d’Experts sur le Climat). En Europe, la fréquence des journées très froidesa diminué depuis 1950, mais le nombre de journées exceptionnellement chaudes a significati-vement augmenté. Dans le sud de l’Europe, les sécheresses climatiques se sont renforcées à lafois en fréquence et en intensité. Cette tendance devrait s’accentuer d’ici à la fin du siècle. EnFrance, des vagues de chaleur rencontrées à notre époque tous les 20 ans devraient revenir tousles deux à cinq ans et s’accompagner d’un renforcement de la composante climatique (nom-bre de jours consécutifs sans précipitation) et de la composante édaphique (faible teneur eneau du sol) de la sécheresse. En revanche, la fréquence de retour d’épisodes de précipitationsintenses ne devrait varier significativement.

Avec des températures dépassant de 6°C les normales saisonnières et des déficits de pluviomé-trie atteignant 300 mm, la sécheresse et la canicule de l’été 2003 ont entraîné en France métro-politaine une réduction de 30 % des productions de maïs grain et de fourrages, de 25 % pourl’arboriculture fruitière et de 20 % environ pour le blé et pour d’autres productions végétales.Les dommages non assurés pour le secteur agricole ont été estimés à 4 milliards d’Euros pourla France et à 13 milliards d’Euros pour l’Europe. La sécheresse du printemps 2011 a généré desdommages importants pour la production fourragère et les élevages herbagers. Toutes les pro-jections indiquent qu’indépendamment des efforts de réduction souhaitables des émissionsde gaz à effet de serre, de tels aléas climatiques se reproduiront plus souvent que par le passé.

Au niveau mondial, le nombre d’étés plus chauds et plus secs pourrait fortement augmenterdans les 40 prochaines années avec pour conséquences une production agricole plus variable,des prix plus volatils et des modifications des flux commerciaux.

La résilience des systèmes agricoles à de tels aléas dépend à la fois de facteurs biotechniques etde facteurs socio-économiques. La première partie de ce colloque illustrera les apports de lagénétique, de l’agronomie et de l’élevage à la construction d’un compromis entre performanceet résilience en agriculture. Quatre pistes seront évoquées : la construction et le déploiementd’innovations génétiques, la diversification des systèmes de culture, la transformation des systèmes d’élevage grâce à des approches participatives et le développement de réseaux d’observation.

La volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires est à la fois une caractéristique fon-damentale des marchés agricoles et l’une des principales sources de risque pour la sécurité ali-mentaire. Les variations de prix peuvent avoir des incidences importantes, tant sur l'affectationdes ressources que sur le bien-être des consommateurs et des producteurs. Au cours des cinqdernières années, la volatilité des prix des produits agricoles et des facteurs de production a eu un impact significatif sur l’évolution interannuelle des revenus des différentes catégories d’exploitations agricoles françaises. Plusieurs pistes susceptibles de renforcer la compétitivitéfuture de l’agriculture française dans ce contexte de volatilité accrue seront évoquées.

Enfin, une analyse des propositions internationales et communautaires en matière de stabili-sation des marchés sera présentée : plan d’action du G20, adopté en 2011, sur la volatilité desprix alimentaires et agricoles à l’échelle de la planète ; mesures proposées par la Commissioneuropéenne en matière de lutte contre la volatilité des prix agricoles dans l’Union européennedans le cadre du projet de PAC de l’après 2013. �

JEAN-FRANÇOISSOUSSANA,HERVÉ GUYOMARD• Inra, Collège de direction, 147, rue de l’Université75338 Paris Cedex 07

[email protected]@paris.inra.fr

La montée des aléas en agriculture :Pourquoi ? Comment y faire face ?

RENCONTRESSIA 2012

* IPCC, 2011: Summary for Policymakers. In: Intergovernmental Panelon Climate Change SpecialReport on Managing theRisks of Extreme Events and Disasters to AdvanceClimate ChangeAdaptation.

Page 4: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

L’accroissement des performances agronomiques par l’utilisation de l’amélioration géné-tique est un enjeu majeur pour toutes les filières de production dans un contexte derecherche de la meilleure compétitivité et simultanément de la nécessaire réduction desimpacts environnementaux négatifs. Le déploiement de systèmes innovants requiert aussiqu’ils soient peu sensibles aux conditions de milieu et résistants face aux aléas. Ceci contri-bue à favoriser l’adoption des innovations en diminuant le risque. En termes statistiques,ceci consiste à augmenter la valeur moyenne et à réduire la variance.

En raison des pas de temps de l’amélioration génétique, tant animale que végétale, lesaléas pris en compte relèvent du temps longs. Dans cette réflexion, nous nous concentre-rons sur les aléas liés au climat en montrant comment les effets du changement climatiquesont pris en compte en amélioration génétique. Si la température est un élément impor-tant pour la production animale et végétale, le régime hydrique (pluviométrie et évapo-transpiration), la nutrition minérale (efficience d’utilisation des intrants tels l’azote) oul’adaptation aux teneurs atmosphériques accrues en CO2 constituent également des ciblesclé pour l’amélioration génétique des plantes. Nous analyserons aussi comment l’amélio-ration génétique contribue à la construction de résistances génétiques durables aux bioa-gresseurs des cultures et des élevages, c’est-à-dire des systèmes permettant de limiterl’émergence de souches de bioagresseurs adaptées aux gènes de résistance.

Différents leviers peuvent être mobilisés par l’amélioration génétique pour accroître lesperformances tout en réduisant la sensibilité aux conditions de milieu. Il s’agit toutd’abord d’exploiter la diversité génétique au sein de l’espèce cible. Dans le cas des végétaux,la diversité génétique des espèces apparentées est fréquemment utilisée en croisement.On peut également avoir recours à des biotechnologies pour générer une diversité nouvelleen ayant recours, par exemple, à la mutagénèse ou à la transgénèse.

Les méthodes de sélection connaissent aujourd’hui une évolution profonde en raisond’abord de la meilleure connaissance des génomes et de leur expression. L’utilisation demarqueurs moléculaires nombreux et répartis sur l’ensemble du génome permet de loca-liser les zones du génome impliquées dans le déterminisme d’un grand croissant de carac-tères d’intérêt, tandis que l’accès à la séquence complète du génome d’un nombre croissantd’espèces permet d’identifier les gènes responsables des variations phénotypiques obser-vées. Les nouveaux outils de la génomique (e.g., le séquençage à haut débit) facilitent lasélection assistée par marqueurs et ouvrent la voie à la sélection génomique. En accélérantle processus de sélection, mais aussi en prenant en compte simultanément de nombreuxcaractères dont ceux impliqués dans l’adaptation au milieu, cette évolution des méthodesde sélection permet de créer des génotypes plus performants et mieux adaptés à unegamme accrue de conditions de milieux. De plus, l’évolution des méthodes permettrad’élargir l’offre de variétés chez les végétaux et de reproducteurs chez les animaux. Ceci estdéjà observé en sélection de bovins laitiers. Aujourd’hui, ceci n’est possible que surquelques espèces majeures car il faut disposer des génotypes et des phénotypes pour ungrand nombre d’individus et son utilisation sur un grand nombre d’espèces ou de races(pour les espèces animales) constituent un réel défi, aussi bien pour la recherche que pourles opérateurs économiques.

CHRISTIAN HUYGHE 1,CAROLE CARANTA2

• 1. InraCollège de direction147 rue de l’Université75338 Paris Cedex 07

[email protected]

• 2. InraDépartement de Génétique et d'Amélioration des Plantesroute de Saint-Cyr78026 Versailles Cedex

[email protected]

Accroissement des performances et réduction de la sensibilité aux conditions du milieu : les apports de la génétique

RENCONTRESSIA 2012

•••

Page 5: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

RENCONTRESSIA 2012

Alors qu’un génotypage fin peut être conduit sur des milliers d’individus, animaux et végé-taux, les analyses phénotypiques, fondement de l’exploitation de la diversité génétique, ontactuellement besoin de développements technologiques et méthodologiques pour garderleur pertinence avec des débits compatibles avec la génétique quantitative et la sélectiongénomique. Ceci est particulièrement vrai pour l’analyse des interactions Génotype xEnvironnement x Pratiques, nécessaires aux recherches sur la productivité et la toléranceaux stress multiples.

La résistance aux conditions de milieu peut être traduite dans l’interaction Génotype xEnvironnement x Pratiques. Cette interaction tend à représenter une part plus grande de lavariation observée chez les espèces végétales, car les environnements sont plus divers et lagamme de conduites souvent plus large. Les méthodes statistiques et la modélisation per-mettent d’identifier les génotypes adaptés à une large gamme de conditions, mais aussi depréciser les covariables environnementales qui structurent la population de génotypes. Lacompréhension des processus qui expliquent les variations observées requiert une inter-disciplinarité forte avec les spécialistes des systèmes de production, les physiologistes et lespathologistes.

L’amélioration génétique animale et végétale doit également être réfléchie à l’échelle de lapopulation des plantes ou d’animaux. Ainsi, tant chez les animaux que chez les végétaux,la diversité génétique au sein de la population cultivée ou élevée doit être prise en compte.Chez les végétaux, à l’exemple du blé, il a été démontré que la culture en mélange de varié-tés ayant des gènes de résistance différents permettait une résistance améliorée aux bioa-gresseurs sans préjudice en termes de performances. Une observation semblable a été faitesur des troupeaux caprins où l’augmentation de la variance au sein de l’élevage réduitl’aléa. Chez les végétaux, il est également possible de travailler à l’échelle de la commu-nauté interspécifique, en particulier pour réduire la pression parasitaire et exploiter lesphénomènes de complémentarité et de facilitation.

L’amélioration des performances et la résistance aux conditions de milieu sont au cœur desrecherches et des partenariats des départements de génétique tant animale que végétale.Il est donc impossible de couvrir l’exhaustivité de tous les projets en cours. Au cours de cetexposé, des exemples illustreront l’utilisation de l’amélioration génétique animale et végé-tale pour l’amélioration des performances et de la résistance aux aléas.

En conclusion, l’amélioration génétique constitue un levier majeur, tant en production ani-male que végétale, pour concilier une amélioration des performances tout en réduisant lasensibilité aux conditions de milieu. La construction de ces innovations génétiques et leurdéploiement nécessite d’intégrer et de faire évoluer les conditions d’utilisation, pourconstruire de nouveaux équilibres sociotechniques. �

•••

Page 6: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

IntroductionDepuis toujours, les fluctuations du climat et du contexte économique créent des incerti-tudes qui pèsent sur l'agriculture et peuvent compromettre la durabilité des exploitationsagricoles dans certaines conditions. La variabilité du climat intervient sur la disponibilitéen ressources en eau et minérales et donc sur la croissance des plantes. Elle impacte aussifortement la composante biotique du champ cultivé (adventices, maladies, parasites…) etles conditions de réalisation des interventions techniques (jours disponibles). Depuis tou-jours, les agriculteurs font face à ces aléas, en s’adaptant de façon stratégique par le choixd’espèces et de variétés, et de façon tactique par l'adaptation de leurs itinéraires tech-niques. Différentes stratégies peuvent être mises en œuvre pour pallier les aléas clima-tiques, notamment en augmentant le recours à l’irrigation (création d’infrastructures d’ir-rigation ou raccordement à un réseau) ou en optimisant la gestion de la ressource par destechniques performantes (agriculture et irrigation de précision). Nous avons choisi de nepas développer la présentation de ces options techniques mais de focaliser notre analysesur le potentiel offert par une diversification des ressources végétales en vue de concilierperformance et résilience des systèmes de culture.

Dans ce contexte, un système de culture est jugé performant s’il permet d’atteindre régu-lièrement une production (rendement, qualité) de bon niveau, en mobilisant le moins pos-sible d’intrants et en générant peu d’externalités négatives, assurant ainsi à la fois unrevenu agricole et une durabilité environnementale satisfaisants.

Folke et al. (2002) définissent la résilience comme la capacité d’un écosystème, ici un agro-système, à maintenir le niveau de services écosystémiques (« intrants », « produits » et« bien public ») désiré face à un environnement changeant. Par extension, juger de la rési-lience d’un système de culture consiste à évaluer sa capacité à maintenir les services éco-systémiques malgré les perturbations apportées par le changement climatique et decontexte économique (prix de l’énergie, des intrants, volatilité des prix de vente,…).

On peut considérer alors que la résilience d’un système s'apprécie par le maintien des ser-vices attendus (ou la vitesse de retour à ces mêmes services) durant « La traversée desaléas », et qu'elle est un critère important de l’évaluation d’un système de culture.

Les agriculteurs peuvent mobiliser plusieurs types de leviers pour s’adapter « en continu »ou faire face à des ruptures plus brutales :

1) des leviers naturels, consistant à préserver ou amplifier les capacités de résilience del'agro-écosystéme (avec un recours aux principes de l’écologie)

2) des leviers « artificiels » via les interventions techniques consistant à prévenir ou corri-ger les effets des fluctuations de contexte (ingénierie agronomique et organisation desmarchés largement développées depuis 40 ans)

3) des leviers de gestion (outils pour construire et faire évoluer une stratégie d'adaptation).

Récemment, pour développer une ingénierie agro-écologique appliquant des concepts del’écologie à la production agricole, le concept d’intensification écologique des systèmes deculture (Griffon, 2007) a été proposé en France comme une voie pour concilier performanceagronomique et économique et durabilité de l’agriculture face aux changements globaux.La diversification des cultures en est un pilier, contribuant à la capacité de résilience dessystèmes de production. Par rapport aux systèmes simplifiés, la gestion d’une diversité decultures requiert de la part des agriculteurs et de leurs conseillers plus de connaissancessur le fonctionnement des agro-écosystèmes, une meilleure maîtrise technique du systèmede culture et un sens de l’observation accru.

ERIC JUSTES,PHILIPPE DEBAEKE,JEAN-MARIE NOLOT • InraUMR Agrosystèmes et développement territorial chemin de Borde-Rouge31326 Castanet-Tolosan Cedex

[email protected]

[email protected]

[email protected]

Diversifier les systèmes de culture pour concilier performance et résilience ?

RENCONTRESSIA 2012

•••

Page 7: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

Pistes à explorer pour diversifier les systèmes de cultureL'agronomie a depuis longtemps étudié et conseillé la diversité dans les systèmes de cul-ture. La mise en œuvre de cette option a cependant régulièrement régressé, le contexte éco-nomique et l’évolution technique ayant conduit à une spécialisation des systèmes de pro-duction agricoles : la diversité des espèces cultivées dans les systèmes de grande culture estsouvent réduite, et le nombre des exploitations conduites en polyculture-élevage, dont la diversité d’espèces cultivées est généralement plus large qu’en système de grandes cultures, a considérablement diminué. Face aux changements globaux, la recherche d'unemeilleure résilience incite à envisager de nouveau l'intérêt de la diversité, sans pour autantfaire un simple « retour en arrière ». La diversification confère plus de flexibilité et permetd’accroître la stabilité de la production agricole et des services écosystémiques face auxaléas climatiques. En restant dans le cadre de systèmes de grande culture, diversifier lesproductions permettrait néanmoins de i) répartir les risques, ii) réduire les risques parasi-taires, iii) réduire les intrants et améliorer leur efficience, iv) étaler les travaux, v) participerà l’organisation d’un paysage pour un usage multifonctionnel. Nous traiterons ci-aprèsquatre pistes de diversification.

1. Diversifier les cultures en adaptant l’assolement au niveau de l’exploitation agricole.L’agriculteur dispose d’un panier d’espèces et de variétés pour construire son assolement.L’assolement est adapté de façon à « optimiser » l'usage des ressources disponibles, qu’ellessoient naturelles (apportées par le sol, le climat, le recyclage de biomasse, …), ou exogènes(eau d'irrigation, intrants chimiques, amendements, …). Toutefois, la taille du panier d’es-pèces peut être réduite si le nombre de débouchés est limité ou sans valorisation de niche.Deux niveaux de diversification peuvent être utilisés :

- diversification des espèces. Par exemple, si la ressource en eau est incertaine ou son prixélevé, ou/et que le prix des intrants s'envole ou que celui des cultures stagne (prix devente) et des conditions pédoclimatiques de l’exploitation agricole sont peu favorables, lepanier doit s’enrichir de cultures esquivant le stress hydrique, tolérant à un défaut d’irri-gation, ou peu exigeantes en charges de culture.

- diversification des variétés (précocité, sensibilité aux maladies…). Plus la gamme de typesvariétaux est large, plus le risque, dû aux accidents climatiques par nature imprévisible(gel, échaudage, épidémies…), sera réparti et rendu plus supportable dans une exploita-tion agricole.

2. Diversifier la composition des couverts cultivés.Au sein d’une même parcelle, le mélange de plusieurs variétés ou espèces peut permettred’accroître la résilience face aux aléas climatiques et bénéficier de différents atouts, via lestechniques suivantes :

- mélanger les variétés pour valoriser la complémentarité de résistances aux maladies :cette technique a montré depuis longtemps son efficacité en blé tendre mais aussi en vergers ;

- associer plusieurs espèces dans la même parcelle (cultures associées à graines ou prairiesà flore complexe) : de nombreux travaux ont montré qu’elle permet de valoriser les res-sources du milieu par complémentarité de niche et facilitation entre types de plantes (parexemple, associer une céréale exigeante en azote et une légumineuse fixatrice d’azote).

3. Diversifier les cultures dans le temps : la rotationCette méthode est sans doute la plus souvent citée comme moyen d’améliorer la résiliencedes systèmes de culture. La rotation de cultures réduit la sélection d’adventices spécialiséset de pathogènes résistants qui peuvent survenir rapidement dans une monoculture. Unerotation longue et diversifiée (alternant cycles culturaux d'été et d'hiver, type d’enracine-ment, types botaniques et types d'enracinement différents…) permet des ruptures efficacesdans l’accomplissement des cycles parasitaires : les stocks d'inoculum ou d'adventices peu-vent ainsi rester faible et le risque d'explosions parasitaires être suffisamment réduit pourque l'objectif de réduction de l'usage des pesticides soit envisageable. Ainsi, réduire la fréquence dans la rotation des oléoprotéagineux (tournesol, colza, pois…) réduit le risqued’apparition du sclerotinia dans les sols réceptifs.

RENCONTRESSIA 2012

•••

Page 8: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

Enfin, les cultures intermédiaires (en période d’interculture) composées d’espèces et devariétés différentes des cultures de vente peuvent rendre divers services écosystémiques(fertilité en azote, stockage du carbone, piège à nitrate, réduction de l’érosion hydrique,réduction des adventices, lutte contre certains nématodes ou champignons telluriques,…).Obligation réglementaire pour couvrir les sols en automne, les cultures intermédiaires sontégalement un moyen d’intensification écologique qu’il convient de mieux exploiter.

4. Diversifier les variétés et les cultures au niveau du paysageCette dernière solution peut permettre de réduire les infestations de bioagresseurs (parexemple en évitant d’associer inoculum et cultures sensibles), mais aussi de protéger laqualité de l’eau et des sols. Ceci consiste par exemple à organiser au mieux la localisationdes cultures dans un bassin versant pour s’assurer que les flux polluants soient interceptéspar d’autres couverts avant d’atteindre les zones de captage, ou à valoriser les espacesnaturels entre parcelles en faveur des auxiliaires des cultures.

Les outils disponibles pour optimiser conjointement performance et résilience.Les évaluations expérimentales sont lourdes et coûteuses, car elles doivent être réaliséessur le temps long afin d’évaluer les différentes solutions face à la variabilité climatique etd'apprécier les effets cumulatifs et temps nécessaires à l'atteinte de nouveaux équilibres.Pour ne pas avoir à attendre longtemps les conclusions de tels essais, il peut être utile d’uti-liser également des modèles de simulation pour évaluer conjointement performance tech-nico-économique et résilience des systèmes de culture, sous de larges gammes de situa-tions pédo-climatiques, permettant en particulier d'explorer diverses hypothèses dechangement climatique. Par exemple, les modèles de culture peuvent permettre d’évaluerles performances de variétés précoces et tardives en fonction de la variabilité climatiqueactuelle mais aussi de changements plus drastiques (élévation des températures et duCO2, accroissement des épisodes de sécheresse) (cf. Livre Vert produit à la suite de l’ANRClimator en 2010). Combinés à des modèles économiques stochastiques qui permettent deprendre en compte la variabilité du prix des intrants et des récoltes, ces modèles permet-tent de simuler la performance de divers systèmes de culture sous divers contextes d'incer-titude climatique et économique, et de proposer pour chaque contexte le meilleur panierde cultures (cf. expertise INRA sur l’agriculture et la sécheresse en 2006).

En guise de conclusionLa diversification des espèces et variétés est théoriquement un moyen efficace pour conci-lier performance et résilience des systèmes de culture face aux aléas climatiques et à lavolatilité des prix, car elle répartit les risques sur plusieurs cultures ou variétés aux exi-gences contrastées, et combine au sein de couverts ou d’assolements des cultures ou varié-tés assurant une gamme de services écosystémiques. Vieux concept, son actualisation neva cependant pas de soi et de nombreux travaux sont encore nécessaires pour optimiser etmaitriser les modifications de pratiques envisageables. D'ores et déjà, la question de ladiversification avec un objectif d’intensification écologique de l’agriculture renouvelle laréflexion des agronomes pour concilier des travaux de recherche génériques et la nécessitéd’adaptations locales des concepts.

Toutefois, la diversification des cultures et des variétés n’est pas toujours compatible avecl’organisation actuelle des filières qui se sont spécialisées pour accroître leur efficience éco-nomique. Ainsi des verrous existent tout au long de la filière : du sélectionneur au transfor-mateur, en passant par le collecteur mais aussi le producteur. En conséquence, il reste àanalyser si une diversification poussée peut être valorisée au-delà de marchés de niche etvoir comment faire évoluer l’organisation des filières. Par ailleurs, la problématique de lagestion coordonnée des territoires (par exemple pour la gestion des résistances variétales)et la mise en place d’une organisation spatiale des systèmes de culture constituent un véri-table défi socio-économique, aussi bien pour la recherche agronomique et que pour tousles acteurs de l’agriculture. �

RENCONTRESSIA 2012

•••

Page 9: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

Le changement climatique maintenant avéré se caractérise par une élévation régulière destempératures sur les trente dernières années. Dans le Sud de la France par exemple, l’aug-mentation des températures a été de 1,5°C. L’évapotranspiration annuelle a augmenté de20 % (soit de plus de 100 mm), et cette élévation n’est pas compensée par la pluviométriequi est restée stable bien que très variable entre années (Lelièvre 2011). Ces évolutionsdevraient se poursuivre au minimum au même rythme avec, vraisemblablement, unaccroissement de la variabilité inter annuelle. Ces changements affecteront la productiondes fourrages et donc les systèmes d’élevage d’herbivores qui devront s’adapter à uncontexte toujours plus contraignant : au changement climatique s’ajoute la raréfaction del’énergie fossile et ce, dans un environnement économique incertain.

Dans ce contexte, il est indispensable de renforcer la résilience des systèmes d’élevage,c'est-à-dire leur capacité à conserver leur intégrité et à perdurer malgré le stress climatiqueet les perturbations économiques. Cette résilience concerne aussi bien le système d’élevagedans son ensemble que les entités biologiques qui le composent (prairies et animaux).Dans le premier cas, il s’agit de renforcer les capacités d’anticipation et de planification deséleveurs de façon à maintenir l’intégrité des exploitations en s’adaptant, voire en se trans-formant. Dans le second cas, la résilience repose sur la capacité des entités biologiques àretrouver leur état initial après un stress ou ne pas subir des transformations irréversiblesqui ne permettraient plus d’assurer les fonctions prévues. Au-delà des composantes biolo-giques, il faut donc tenir compte des composantes humaines gestionnaires et organisa-tionnelles. Enfin, et c’est là la difficulté principale pour concevoir des adaptations appro-priées, les impacts des changements de l’environnement diffèrent d’une région à l’autre. Ilsdépendent de la localisation géographique des élevages, des types de production (lait,viande…) et de la conduite de l’élevage. En conséquence, les adaptations à promouvoir neseront pas les mêmes partout en France.

Renforcer les capacités d’adaptation des systèmes d’élevage face au changement clima-tique nécessite donc d’évaluer leur vulnérabilité. Il convient d’abord de caractériser àl’échelle des petites régions naturelles la pression exercée par le climat, notamment entermes de production fourragère : ainsi sera quantifiée l’exposition des systèmes à uneéchelle géographique fine. Il importe ensuite d’analyser pour un même niveau d’expositionla sensibilité de différents systèmes d’élevage à la variabilité et au changement climatiquede façon à identifier les modes d’organisation et de gestion qui permettent le maintien desperformances. Cette évaluation faite, l’étape suivante consiste à concevoir des adaptationsafin de rendre les systèmes moins vulnérables. Pour faire face à la grande diversité decontextes (sol, climat, types d’élevage), une méthode de conception innovante, reposant surla combinaison de connaissances scientifiques et expertes, est ici utilisée pour concevoirdes systèmes localement adaptés.

Caractérisation de la vulnérabilité des systèmes d’élevageExposition des systèmes d’élevage au changement et à la variabilité climatiqueLes seules données météorologiques passées ou futures ne peuvent suffire à renseigner surles contraintes qui se sont exercées et s’exerceront plus encore demain sur les élevages her-bivores. Par exemple, elles ne peuvent renseigner sur les effets conjugués de l’augmenta-tion des températures et de la sécheresse. C’est une simulation de la production fourra-gère, à l’échelle des saisons, pour les années passées et futures, qui permet de mieux cernerles impacts en termes de gestion, par exemple en calculant les changements dans les durées des périodes où l’affouragement est nécessaire (hiver et été), et en estimant les quantités de fourrages récoltables une fois le prélèvement au pâturage assuré. Ces calculs sont réalisés sur de longues séries climatiques pour caractériser l’exposition des sys-tèmes d’élevage à la variabilité et au changement climatique. Il est ainsi possible

MICHEL DURU • InraUMR Agrosystèmes et développement territorial chemin de Borde-Rouge31326 Castanet-Tolosan Cedex

[email protected]

Concevoir des innovations pour adapter les élevages d’herbivores à la variabilité et au changement climatique

RENCONTRESSIA 2012

•••

Page 10: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

(Sautier et al 2011): (i) de caractériser les années selon la durée des périodes hivernale etestivale, et ainsi d’identifier les années exceptionnelles ; (ii) de détecter s’il y a eu des évo-lutions significatives dans le passé ou s’il y en a d’attendues dans le futur; (iii) d’examinersi les contrastes entre saisons se sont amplifiés, et s’ils s’amplifieront. On montre ainsiqu’au cours des 30 dernières années en Midi Pyrénées, selon la région considérée, la production fourragère est restée en moyenne stable ou a diminué, et que la durée de la période estivale avec une croissance de l’herbe nulle ou faible a significativement augmentée.

Sensibilité des systèmes d’élevage et de ses composantes au changement climatique et stratégies d’adaptationLes enquêtes et les bases de données fournissent des enseignements sur la manière dontles élevages se sont adaptés sur le temps long à la variabilité et au changement climatique.Il est possible d’identifier les systèmes pour lesquels les performances ont été les moinsvariables entre années et de comprendre les modes d’organisation qui ont permis de résis-ter et/ou récupérer des effets des sécheresses, par exemple. Plusieurs stratégies permettentde s’adapter à la variabilité climatique (Nettier et al 2011) :

- l’évitement : en agissant directement ou indirectement sur les causes de l’aléa, le plussouvent en artificialisant le milieu (par exemple via l’irrigation) ;

- le contournement : en se plaçant hors de portée de l’aléa via l’emploi d’espèces fourra-gères peu sensibles à la sécheresse, l’utilisation de races d’animaux rustiques ou le « sur-dimensionnement » des surfaces allouées à l’alimentation du troupeau ;

- la réaction : en agissant rapidement aux effets de l’aléa, par exemple en divisant le trou-peau en lots plus petits de sorte à mieux profiter d'une diversité de petites surfaces ;

- l’atténuation : en diversifiant les ressources pour diminuer les risques aux échelles de laparcelle (création de prairies multi-spécifiques associant des espèces ayant des aptitudesdifférentes pour prélever et utiliser l’eau et les nutriments) ; de l’exploitation (combinai-son de différents types de prairies, de races, d’espèces animales, voire en associant la poly-culture et l’élevage) ; d’une petite région (création de réseaux d'échanges d'information etde ressources).

L’adaptation au changement climatique nécessite de réviser ces stratégies, par exemple endéveloppant le pâturage en hiver, en déplaçant les périodes de mises bas des animaux pourfaire correspondre la période de forts besoins alimentaires des animaux à la plus grandedisponibilité en ressources fourragères, etc. Leur mise en œuvre demande parfois d’appro-fondir la connaissance de la réponse des prairies semées ou naturelles aux changements,non seulement en moyenne mais aussi face aux évènements extrêmes. Pour les prairiessemées, il s’agit de définir les espèces et les variétés les plus adaptées ; pour les prairies per-manentes, d’analyser si l’adaptabilité naturelle des écosystèmes sur la base du niveau dediversité génétique des populations sera suffisamment rapide.

Renforcer les capacités d’adaptation des systèmes d’élevageNombre de solutions pour renforcer la résilience des systèmes d’élevage sont connues (cf.supra). Une difficulté essentielle est de savoir lesquelles sont les plus appropriées pour telou tel système dans tel ou tel contexte. La modélisation du système d’élevage qui combinela simulation des processus biophysiques (la production d’herbe, son ingestion et sa trans-formation en lait ; les émissions de gaz à effet de serre) et la simulation des décisions stra-tégiques, tactiques et opérationnelles, permet d’effectuer des expérimentations virtuellespour explorer un ensemble de performances (Chardon et al. 2007 ; Martin et al 2011a). Cesmodèles permettent aux chercheurs de comparer différents scénarios à l’échelle régionaleou supra, pour évaluer ex ante différents types d’impacts. Néanmoins, ils sont trop com-plexes pour être utilisés directement par des éleveurs ou même leurs conseillers afin dedéfinir des adaptations à validité locale. C’est pourquoi une méthode d’auto-apprentissageappelée « rami fourrager » couplant des modèles simples à une approche participative

•••

•••

RENCONTRESSIA 2012

Page 11: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

a été mise au point pour faciliter l’accès des utilisateurs à ces notions. Le « rami fourrager »se présente comme un jeu de plateau (Martin et al 2011b) qui comprend :

- des supports informatifs mettant les joueurs en situation, en reproduisant de manièresimplifiée un ou plusieurs aspects de leur environnement (par exemple le climat passé oufutur et ses conséquences sur le niveau et la distribution saisonnière de la pousse del’herbe) ;

- des supports interactifs constitués de cartes pour représenter les rations des animaux, debaguettes pour représenter mensuellement la quantité de biomasse disponible selon leclimat du site étudié. Ces supports facilement manipulables permettent aux joueurs dereproduire rapidement certains aspects de leur activité et de prendre des décisions vir-tuelles en rapport avec l’environnement présenté. Les éleveurs peuvent laisser libre coursà leur imagination tout en prenant en compte des contraintes d’organisation du travailpour concevoir des systèmes innovants. Les arguments qu’ils avancent pour motiver leurschoix et leurs préférences sont à leurs tours riches d’enseignements pour orienter desrecherches à caractère plus analytique. L’évaluation des systèmes conçus par des modèlessimples au cours du jeu facilite le travail itératif. Les discussions autour du processus deconception permettent de préciser les modalités de gestion des systèmes d’élevageconçus, et de discuter de leur faisabilité compte tenu des contraintes sur l’utilisation dessurfaces, la disponibilité de la main d’œuvre, etc. Pratiqué à plusieurs, le jeu contribue àstimuler le partage des connaissances entre participants et permet l'apprentissage pourl'adaptation des systèmes agricoles à de nouveaux enjeux. �

•••

RENCONTRESSIA 2012

Page 12: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

Dans cette intervention centrée sur les grandes cultures, on considère deux approchescomplémentaires permettant de limiter les impacts des aléas liés principalement, demanière directe ou indirecte, au climat : - Les décisions qui peuvent être prises avant le semis et qui mobilisent des connaissances oudes modèles, et qui le plus souvent utilisent des approches fréquentielles ou probabilistes ;

- Les décisions tactiques mises en œuvre par les acteurs en temps quasi réel et qui permet-tent un ajustement des techniques face aux niveaux de risques présents à l’échelle de laparcelle cultivée.

Ces deux approches complémentaires pour les producteurs sont illustrées au travers deplusieurs exemples.

S’agissant du premier point, la stratégie d’esquive et d’évitement est développé sur deuxespèce, le blé et le maïs, qui compte tenu de leurs spécificités (potentiede ren dement, pro-grès génétique, sensibilité aux aléas climatique sensibilité aux facteurs climatiques) nousont amenés à développer des stratégies distinctes. Les méthodes qui permettent au pro-ducteur de faire un choix adapté en termes de précocité variétale et de date de semisconstituent une démarche classique en agronomie. Mais aujourd’hui, avec, d’une part,l’augmentation de la variabilité interannuelle et spatiale du climat (avec l’occurrence dephénomènes extrêmes mettant en jeu des paramètres de nature également variable) et, ,avec le réchauffement climatique d’autre part, les méthodes et les connaissances doiventévoluer pour y faire face. S’agissant des aléas interannuels, le fait que le producteur cultiveplusieurs variétés constituent un atout pour proposer des combinaisons de variétés capa-bles de conforter cette stratégie d’esquive pour le futur. En parallèle, le réchauffement cli-matique nous impose d’identifier rapidement les stratégies gagnantes en termes de traitsgénétiques à améliorer en priorité. Dans le cas de l’adaptation du blé, on démontre parexemple que le facteur le plus rapidement limitant de la production sera les fortes tempé-ratures au cours du remplissage et que l’amélioration de la tolérance à la canicule de seu-lement un degré constitue une priorité. En deuxième, vient l’esquive via une phénologieadaptée qui devra se traduire par la construction de rythmes de développement innovantpour les variétés futures.

Il est évident que l’augmentation de la variabilité interannuelle du climat renforce demanière indéniable l’intérêt des outils d’aide à la décision capables de prendre en chargeles conditions propres à l’année au niveau de la parcelle.

Ainsi les réseaux d’observations avec un maillage suffisant comme par exemple celui duBulletin de Santé du Végétal constituent un atout précieux pour décrire la présence desbioagresseurs, les niveaux de risque associés ainsi que les phénomènes émergents ou enexpansion. Certaines de ces observations peuvent être prédites et couplées à des modèles :modèles de développement des cultures, modèles épidémiologiques pour donner lieu à despréconisations en termes de choix tactiques de protection. De même, les aléas inhérentsaux différents postes du bilan prévisionnel de l’azote (minéralisation, coefficient d’utilisa-tion, croissance du peuplement…) peuvent être pris en charge par des indicateurs plantesrelevés ou estimés par des modèles. Le déploiement de ces outils et de leurs services à largeéchelle est aujourd’hui permis grâce notamment à des innovations technologiques main-tenant largement mobilisées et opérationnelles, comme par exemple la télédétection et lessystèmes de transmission de l’information. �

GÉRARD MORICE • Comité de directionARVALIS - Institut du végétal3, rue Joseph et Marie Hackin75116 Paris

[email protected]

Observer pour prévenir et gérer les aléasApplication à la gestion des risquesen grandes cultures

RENCONTRESSIA 2012

Page 13: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

La volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires est au cœur des préoccupations.Plusieurs raisons justifient de s’y intéresser. C’est une caractéristique fondamentale desmarchés agricoles et une des principales sources de risque dans le commerce internationaldes produits agricoles. C’est un des principaux risques susceptibles de compromettre lasécurité alimentaire dans de nombreux pays pauvres de par son impact sur l'accès despopulations les plus vulnérables à la nourriture. Les variations de prix peuvent avoir desincidences importantes, tant sur l'affectation des ressources que sur le bien-être desconsommateurs et des producteurs. Il est donc important de savoir comment la volatilitédes prix évolue afin d’aider les décideurs à élaborer des politiques plus appropriées et lesacteurs du marché à mieux s’adapter à ces phénomènes. Cette question a été mise àl’agenda du G20 en 2011.

La variabilité des prix mondiaux des produits agricoles observée durant la période 2006-09(notre période d’étude) - une flambée des prix alimentaires (2006-08) suivie d’une chutesoudaine des prix mondiaux de certains produits alimentaires, notamment céréaliers etlaitiers, après le premier semestre de 20081 - a relancé le débat sur les causes et les consé-quences de variations de prix aussi brusques et prononcées. Du côté de l'offre, le sous-investissement dans l'agriculture ainsi que les bas niveaux des stocks de produits de basesont souvent cités comme des facteurs contributifs. Du côté de la demande, la croissanceéconomique rapide des pays asiatiques, en particulier de la Chine, est souvent invoquée. Enoutre, les changements intervenus dans l'utilisation de produits végétaux alimentaires, liésà la production croissante de biocarburants, constituent un nouveau facteur déterminant.D'autres facteurs macroéconomiques et financiers sont perçus comme exerçant uneinfluence négative sur la stabilité des prix des produits agricoles, notamment les variationsdu prix du pétrole et les changements des cours des monnaies. Les autres facteurs invoquésincluent le changement climatique et les politiques commerciales adoptées unilatérale-ment par des pays exportateurs et importateurs. Certains facteurs sont controverséscomme le rôle de la spéculation.

Objectif et méthodeL'objectif de ce travail n'est pas d'entrer dans les débats sur les causes et les conséquencesde la volatilité des prix. L’étude est centrée sur une analyse statistique de l'ampleur de lavolatilité des prix des produits agricoles. Beaucoup ont le sentiment que cette volatilités'est accrue sur ces dernières années. La question posée est alors de déterminer, à partir dedonnées de prix internationaux de produits agricoles sur longue période, si la volatilité desprix agricoles est plus élevée aujourd’hui que par le passé.

Certains auteurs ont déjà cherché à mesurer la volatilité des prix agricoles (Balcombe(2009), Gilbert et Morgan (2010))2. Les résultats peuvent être influencés par certains critèrespropres à chaque analyse, comme le choix de la période étudiée, la fréquence des observa-tions de prix analysées, la mesure de la volatilité utilisée, etc.

Cette étude s'efforce d'élargir le champ des recherches moyennant une analyse statistiqueapprofondie de la volatilité des prix au cours des cinquante dernières années pour unegamme étendue de produits agricoles. Elle a un double objectif : (a) analyser la volatilitéhistorique des prix agricoles sur la période allant de janvier 1957 à février 2010 ; l’étudeporte sur des séries mensuelles de prix internationaux de huit produits agricoles végétaux,animaux et transformés (viande bovine, beurre, maïs, riz, huile de soja, sucre, blé tendre etpoudre de lait entier) ; trois mesures de volatilité sont utilisées (l’écart-type des prix en dif-férences premières, le coefficient de variation et le coefficient de variation corrigé) ainsi quetrois sources de données (FMI, CNUCED, AGLINK)3 et ; (b) explorer les liens avec le prix dedeux produits essentiels à l’activité agricole, à savoir le pétrole brut et les engrais, ainsi quel’impact du taux de change du dollar américain. Des coefficients de corrélation sont

MARILYNEHUCHET-BOURDON • InraUMR Structures et marchésagricoles, ressources et territoires - AgroCampus Ouest,65 rue de St Brieuc35042 Rennes Cedex

[email protected]

La volatilité des prix des produits agricoles : une analyse historique

RENCONTRESSIA 2012

•••

1. Notons qu’une nouvellehausse des cours mondiauxdes produits agricoles a étéenregistrée de juillet 2010 àmars 2011 en raison defacteurs climatiques enparticulier avant d’observerun nouveau recul.

2. Balcombe K. (2009), Thenature and determinants ofvolatility in agriculturalprices: an empirical studyfrom 1962-2008, Rapportpour l’ONU pourl’alimentation etl’agriculture.Gilbert C. et Morgan C.W.(2010), Has food pricevolatility risen?, Conférence“Methods to Analyse PriceVolatility”, Seville, Espagne,28-29 Janvier 2010.

3. FMI : Fond MonétaireInternational, CNUCED :Conférence des NationsUnies sur le Commerce et leDéveloppement; AGLINK :modèle dynamique del'offre et de la demande desproduits agricoles sur lesmarchés mondiaux mis aupoint par l'OCDE.

Page 14: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

calculés et des tests de causalité de Granger sont menés pour déterminer s’il existe une relation de cause à effet entre les variations des prix du pétrole brut, des prix desengrais ou du taux de change euro-dollar, et les variations des prix des produits agricolesici analysés.

Analyse globaleUn examen des indices des prix des produits agricoles confirme le bas niveau moyen desprix mondiaux des produits agricoles de 1957 à 1972. De fortes hausses sont intervenuesdurant la période 2006-08, mais aussi lors de périodes antérieures, les plus prononcéesayant eu lieu dans les années 1970. Pour la plupart des produits, les épisodes de prix élevésdes cinquante dernières années ont obéi un même schéma : une envolée, suivie d’une fortebaisse. En outre, la hausse de l’indice des prix mondiaux des produits de base s’est produitedans un contexte de hausse générale de la quasi-totalité des prix des matières premières,en particulier le pétrole et les métaux.

Pour autant, l'analyse montre que la volatilité des prix agricoles n'a pas suivi de tendancegénérale à la hausse au cours des cinquante dernières années. S'agissant de l'épisode d'en-volée et d'effondrement des prix agricoles 2006-2009, l’analyse montre que la volatilité desprix a été plus forte que pendant les années 1990, sans être nécessairement supérieure àce qu'elle avait été dans les années 1970, avec deux exceptions notables compte tenu del’importance des deux produits dans les rations alimentaires, notamment dans les payspauvres : le blé et le riz.

L’analyse ne révèle pas de différence significative entre les différentes sources de donnéesde prix, ni entre les diverses mesures de la volatilité utilisées. On retrouve cette absence dedifférence que les calculs soient effectués en euros ou en dollars américains. La périodicitédes observations des prix mondiaux s’est révélée importante du point de vue de la mesurede la volatilité, les séries mensuelles de prix affichant une plus forte volatilité que les sériesannuelles.

Des spécificités propres à chaque produitL’étude révèle aussi des hétérogénéités pour au moins certains des produits agricolesétudiés.

Les tests sur les moyennes et les variances effectués à partir de la volatilité mesurée parl'écart-type des prix en différences premières confirment tous deux que les niveaux devolatilité des prix de la viande bovine et du sucre ont été plus bas ces dernières années quedans les années 1970.

Au cours de la période 2006-09, les tests de moyenne prouvent que la volatilité a été plusforte que dans les années 1990 pour l’ensemble des produits, et plus forte que dans lesannées 1970 pour le maïs, le blé et le riz. La volatilité des prix de l'huile de soja et des pro-duits laitiers est en particulier plus élevée sur les dernières années relativement auxannées 1990 d’après les tests de variance.

Relations entre prix agricoles et prix des intrants (pétrole et engrais minéraux)

Il existe des liens entre les prix du pétrole et les cours des produits agricoles du fait descoûts de production dans des agricultures à forte intensité énergétique et, plus récem-ment, du fait d’une utilisation accrue des matières premières agricoles pour la productionde biocarburants.

L’analyse statistique révèle que les corrélations augmentent au cours du temps avec lahausse générale des prix : elles sont plus fortes dans les années 1970 et 2000 que dans lesannées 1990. Sur la décennie actuelle, les produits agricoles ayant la plus forte corrélationavec le prix du pétrole, si l’on se base sur des données mensuelles, sont le beurre, la poudrede lait entier et l’huile de soja. Dans le cas de données annuelles, les produits les plus for-tement corrélés au pétrole sont le maïs, la poudre de lait entier, le blé et le beurre. Les moinscorrélés au pétrole sont toujours la viande bovine et le sucre.

•••

•••

RENCONTRESSIA 2012

Page 15: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

La corrélation entre le prix du pétrole et le prix des engrais se révèle particulièrement pro-noncée dans les années 2000. Cette étude confirme aussi de fortes corrélations entre descatégories de prix de certains produits agricoles, tels que la poudre de lait entier et lebeurre, le maïs et le blé, le maïs et l’huile de soja ainsi que le blé et l’huile de soja.

Enfin, l’analyse de causalité portant sur l'ensemble de la période suggère que des relationsde cause à effet relient plus particulièrement le pétrole et le taux de change euro-dollar àla viande bovine, au beurre et au sucre. Toutefois, rien ne permet d’affirmer que ces facteursont une plus grande incidence sur l’accroissement au cours du temps de la volatilité desprix des différents produits étudiés. Rien n’indique non plus que les effets du taux dechange sur la volatilité des prix des produits sont sensiblement différents si les prix sontmesurés non pas en dollars des Etats-Unis, mais en euros.

Tous ces résultats statistiques doivent être interprétés avec prudence compte-tenu de l’évo-lution du contexte international. A mesure que les marchés nationaux deviennent de plusen plus interconnectés, les chocs économiques sur les marchés mondiaux peuvent se réper-cuter plus rapidement qu'auparavant. Les prix intérieurs peuvent ainsi accuser une volati-lité qui affecterait les revenus des producteurs agricoles, en particulier ceux des pays endéveloppement. Les résultats statistiques révèlent que la volatilité des prix est aujourd’huisupérieure à celle des années 1990. Dans ce contexte, il y a tout lieu de penser que les auto-rités et les parties prenantes rencontrent de nouveaux défis liés à la volatilité des prix etaux échanges agricoles, et qu’elles devraient coordonner leurs réponses politiques afin destabiliser les revenus des producteurs agricoles. �

•••

RENCONTRESSIA 2012

Page 16: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

Au cours des cinq dernières années, la volatilité des prix des produits agricoles et des fac-teurs de production a eu un impact significatif sur l’évolution interannuelle des revenusdes différentes catégories d’exploitations agricoles, tant en France que dans l’ensemble desEtats membres de l’Union européenne (UE). Cette volatilité des prix a déjà donné lieu à denombreuses analyses économiques approfondies pour en déterminer les causes et/oupour promouvoir de nouveaux instruments susceptibles de l’enrayer ; elle a eu un impactparticulièrement intense sur les revenus des agriculteurs, au point parfois de masquer leseffets des stratégies que ces derniers ont développé (gains de productivité, améliorationdes performances techniques, gestion plus rigoureuse des investissements, etc.). En outre,cette volatilité a contribué, pour un secteur productif donné, à accentuer les différentiels derevenus préexistants entre exploitations ; les unités les moins efficaces dans l’utilisationdes intrants ont, en effet, enregistré des contre-performances notoires, parfois mêmefatales. Si l’augmentation importante du prix de certains intrants est économiquementdommageable à court terme, elle pourrait aussi inciter de nombreux agriculteurs à recou-rir à des pratiques agricoles plus autonomes ou, du moins, à intégrer davantage la questionde l’efficacité économique des intrants utilisés. Dans un cadre où une augmentation ten-dancielle du prix de l’énergie est attendue, cette orientation est souhaitable dans unelogique de compétitivité et de durabilité à long terme ; sa vigueur d’adoption dépendracependant fortement de l’évolution concomitante des prix des produits agricoles. Ainsi,lorsque la conjoncture des prix est très satisfaisante, les agriculteurs cherchent souvent àmaximiser les volumes produits et le chiffre d’affaires de l’entreprise, en privilégiant desstratégies techniques déjà éprouvées, quitte à être parfois un peu moins exigeants auniveau des coûts unitaires de production. L’accentuation de la volatilité croisée des prix desproduits et des intrants peut, in fine, avoir un impact négatif sur la propension des agricul-teurs à s’engager dans la voie de systèmes techniques innovants.

En France, d’après les statistiques du Service de la Statistique et de la Prospective (SSP) duMinistère en charge de l’agriculture, issues du Réseau d’Information Comptable Agricole(RICA) et des comptes nationaux par catégories d’exploitation, le résultat courant avantimpôt (RCAI) par actif non salarié est passé, toutes orientations de production confondues,d’un indice 100 en 2000 à 129 en 2007 (meilleure année de la décennie), pour ensuite redes-cendre à 56 en 2009 (moins bonne année de la décennie) et enfin remonter à près de 120en 2010 et 2011. Les oscillations de prix ont été si importantes pour certains produits agri-coles que seul un raisonnement basé sur des moyennes pluriannuelles permet de donnerde la profondeur et du sens aux comparaisons effectuées entre secteurs productifs. Laconjoncture des prix a eu un impact essentiel pour les exploitations spécialisées encéréales et en oléoprotéagineux : le RCAI par actif non salarié est, en effet, passé d’un indice206 en 2007 (sur une base 100 en 2000), à seulement 36 en 2009 puis 120 en 2011. Pour lesexploitations laitières spécialisées, les variations ont également été substantielles (indice122 en 2007, 54 en 2009 et 140 en 2011), surtout si on les compare à la situation qui préva-lait jusqu’alors (en raison du caractère stabilisant pour les prix que confère une gestion del’offre par des quotas). Pour les exploitations spécialisées en viande bovine et en viande por-cine, c’est moins la variabilité du revenu qui doit être soulignée que la faiblesse de sonniveau moyen sur les cinq dernières années. Ces exploitations ont surtout été fragiliséespar une envolée des coûts de production, notamment dans le secteur porcin où les chargesen aliments (dont les prix ont fortement progressé) représentent une part déterminantedes coûts de production totaux. Dans le secteur de la volaille, la situation des revenus a, enrevanche, été plus favorable dans la mesure où la hausse des coûts de production a étémieux transférée sur le prix de vente des produits finaux aux consommateurs (dans un

VINCENT CHATELLIER • Inra, UR Laboratoire d’études et de recherches en économierue de la Géraudière44316 Nantes Cedex 3

[email protected]

Conséquences de la volatilité des prix des produits agricoles et des facteurs de productionpour les exploitations agricoles françaises

RENCONTRESSIA 2012

•••

Page 17: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

contexte où la crise économique invite à une consommation accrue de volailles au détri-ment d’autres viandes, plus chères). Les revenus observés en maraîchage, en horticulture eten arboriculture ont, eux aussi, été particulièrement bas au cours de la période récente.

Outre le prix de vente des produits agricoles, la forte volatilité des revenus tient donc aussià l’augmentation des coûts unitaires de production. Pour illustrer ce propos, l'indice desprix d'achat des moyens de production agricole (IPAMPA) est couramment utilisé car il per-met de suivre l’évolution des prix des biens et des services utilisés par les agriculteurs fran-çais. D’après l’indice général IPAMPA, le prix moyen des intrants est passé d’un indice 100en 2005 à un indice 127 en 2011, soit une progression de 27 points en six ans, alors que celle-ci n’avait été que de 10 points entre 2000 et 2005. Parmi les différents intrants, l’augmen-tation a été particulièrement forte pour les engrais et amendements (indice 100 en 2005,189 en 2008 et 159 en 2011), les aliments pour animaux (indice 145 en 2011) et l’énergie(indice 158 en 2011). Les hausses ont été plus modestes (i.e. conformes à la tendance de longterme) pour les biens d’investissement (indice 116 en 2011), les semences et plants (indice122 en 2011), les produits de protection des cultures (indice 107 en 2011) et les produits et ser-vices vétérinaires (indice 115 en 2011). Cette forte augmentation du prix des intrants àlaquelle les agriculteurs doivent faire face est finalement peu perceptible au niveau desconsommateurs pour deux raisons principales : les biens agricoles de base ne représententqu’une faible part de la valeur des produits alimentaires finis ; les centrales d’achat, parti-culièrement concentrées, exercent une forte pression commerciale sur les industrielsagroalimentaires qui doivent alors internaliser une partie des effets de la volatilité.

La sensibilité des différentes catégories d’exploitations à l’augmentation du prix desintrants n’a pas été homogène en fonction, principalement, de la structure initiale descoûts de production, du degré d’efficacité économique dans l’utilisation des intrants et deschoix techniques opérés. Comme nous l’avons montré dans un travail récent ciblé sur ladépendance des exploitations agricoles françaises et européennes aux engrais1, certainescatégories d’exploitations d’élevage ont modifié leurs comportements techniques enréduisant leurs achats d’engrais minéraux et/ou en privilégiant davantage les engraisorganiques. Pour les exploitations spécialisées en céréales, l’impact de la hausse du prix desengrais a, en revanche, été plus directe car elles ne disposaient évidemment pas des mêmesmarges de manœuvre.

La forte volatilité des prix agricoles et des coûts de production, cumulée au risque d’unetendance haussière à long terme du prix de l’énergie, a sûrement des incidences négatives,encore difficilement quantifiables à ce jour, sur l’attractivité du métier auprès des jeunesgénérations (et donc sur la compétitivité de demain). Elle est aussi susceptible de fragiliserles stratégies d’innovations dans certaines filières où les acteurs préféreraient, avant de s’yengager pleinement, bénéficier de plus de stabilité et de visibilité. Dans un tel cadre écono-mique, quelques préconisations peuvent être suggérées pour optimiser la compétitivitéfuture de l’agriculture française :

- Favoriser la mise en œuvre de techniques agricoles innovantes dans les exploitations pouraugmenter leur degré d’autonomie et leur permettre de réduire les utilisations d’intrants(engrais, carburant, etc.) sans impacter négativement leur productivité. Ces changements,qui ne pourront être efficacement envisagés que moyennant des transitions assez longuesdans le temps, exigeront aussi une capacité d’organisation collective pour favoriser le croi-sement des expériences de terrain, capitaliser les acquis et, surtout, divulguer les pratiquesgagnantes. Dans cette réflexion, il convient surtout de ne pas sous-estimer l’existence decertaines résistances aux changements, notamment lorsque la conjoncture des prix estfavorable. Il importe aussi de bien considérer que ces transitions techniques exigent, d’unepart, une forte implication des entreprises (notamment les coopératives) qui interagissentavec les exploitations et, d’autre part, une intégration croissante de ces nouvelles dimen-sions dans les organismes de recherche et d’enseignement.

•••

1. Lecuyer B., 2011.Agriculture, énergie etvolatilité des prix :contribution aux réflexionsengagées par le GroupeTerrena dans le cadre del’AEI (AgricultureEcologiquement Intensive),Mémoire d’ingénieur (ACO)réalisé à l’INRA (UR 1134 – LERECO), 82 p.

Lecuyer B., Chatellier V.,Daniel K, 2012. Les engraisminéraux dans lesexploitations agricolesfrançaises et européennes.Article soumis à EconomieRurale, 10 p.

•••

RENCONTRESSIA 2012

Page 18: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

- Considérer avec plus d’intérêt que par le passé la question de la diversification des pro-ductions agricoles dans une même exploitation ou dans un même territoire. Si la diversi-fication productive a souvent été considérée comme une stratégie peu compatible avecl’obtention d’une performance économique optimale (contrairement à la spécialisationqui favorise une meilleure technicité), force est de constater que les exploitations diversi-fiées ont souvent mieux traversé la période récente. La diversification productive permet,d’une part, de limiter les risques économiques liés à une mauvaise conjoncture de prixpour un produit particulier et, d’autre part, d’optimiser les éventuelles complémentaritésentre productions (exemples : utilisation des déjections animales pour fertiliser les sols ;valorisation des productions végétales dans l’alimentation des animaux, etc.). A l’échelled’un territoire, et dans la perspective d’une hypothétique rareté future des engrais, un telconstat doit nous interroger sur la manière d’associer au mieux les productions animaleset végétales2. La spécialisation régionale des activités agricoles, favorisée par les logiqueséconomiques à l’œuvre (concentration des opérateurs industriels, valorisation des avan-tages comparatifs, etc.), pourrait, en effet, avoir quelques contreparties négatives à longterme.

- Renforcer les pratiques contractuelles tout au long des filières agroalimentaires. Lacontractualisation entre les agriculteurs et les industriels de l’agroalimentaire ne consti-tue pas une protection à l’égard des fluctuations de prix, car celles-ci resteront largementdépendantes des équilibres entre l’offre et la demande à une échelle internationale. Ellepeut néanmoins offrir un cadre économique plus sécurisant et permettre le développe-ment de stratégies partagées de conquêtes de marchés (comme, par exemple, au traversde l’instauration d’un système de prix différenciés dans le secteur laitier pour la périodepost-2015). Pour limiter les incidences d’une variation excessive du coût de l’alimentationanimale pour les éleveurs, il semble opportun, à la lumière d’un engagement conclu enFrance en mai 2011, que les pouvoirs publics incitent tous les opérateurs d’une mêmefilière à s’entendre sur les conditions d’un éventuel transfert de ces variations de prix surles prix des produits finis achetés par les consommateurs. La difficulté de ce type d’enga-gement réside souvent dans les conditions techniques de son application et dans le faitque les distributeurs peuvent, le cas échéant, préférer des biens importés à plus bas prix.

- Réviser les conditions d’application de la politique fiscale de façon à encourager prioritai-rement les investissements qui contribuent à l’amélioration de l’efficacité économiquedes exploitations (et moins à l’accumulation, parfois superflue, d’immobilisations corpo-relles, dont souvent les tracteurs).

- Réformer la Politique agricole commune (PAC), sur la base des propositions de la Commission européenne d’octobre 2011, en créant de nouveaux instruments (réorien-tation des aides découplées, allocation de fonds dédiés à la gestion des crises, ciblage decrédits sur l’innovation, etc.) qui soient ambitieux (budgétairement) et propices au déve-loppement d’une agriculture productive, économe en intrants et respectueuse de l’envi-ronnement3. �

•••

2. Chatellier V., Dupraz P., 2012. Politiques et dynamique des systèmesde production : commentconcilier défi alimentaire,compétitivité etenvironnement ? A paraître dans Agronomie,Environnement et Société,11 p.

3. Chatellier V., GuyomardH., 2012. Les propositionslégislatives européennes deréforme de la PAC (octobre2011) : premiers élémentsd’analyse. A paraître dans INRASciences sociales, 8 p.

RENCONTRESSIA 2012

Page 19: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

La problématiqueLe secteur agricole fait face à de multiples risques et incertitudes, d’origine exogène (clima-tique, sanitaire, qualité…) ou endogène (anticipation de prix des produits agricoles, tauxd’intérêt, taux de change…) au fonctionnement des marchés. Ces risques et incertitudespeuvent entraîner une forte variabilité du résultat économique agricole et à l’extrême,conduire à la faillite d’entreprises agricoles. Ces dernières années, ces différentes sources derisques et d’incertitudes ont participé à l’augmentation des anticipations de volatilités decourt terme et long terme des prix mondiaux des principaux produits agricoles, et à l’aug-mentation de leur niveau.

Toutefois, l’accroissement de la volatilité de ces prix n’est pas récent dès lors qu’elle est cal-culée à partir de l’indicateur de la volatilité implicite et non de l’indicateur de la volatilitéhistorique. Comme son nom l’indique, la volatilité historique est basée sur les variationspassées des prix effectivement observées. Isolément, elle est d’une utilité modérée pourprédire les évolutions futures des prix car elle n’incorpore pas les informations sur lesconditions actuelles et futures des marchés. Ce qui est le cas de la volatilité implicite qui estbasée sur le prix des options1 échangées sur les marchés financiers. Cette volatilité impli-cite correspond ainsi à l’estimation réelle par les agents économiques de la volatilité futuredes prix car elle s’appuie sur les dépenses/recettes effectives des acheteurs/vendeurs d’op-tions. Les volatilités implicites des prix du blé, du maïs et du soja (calculées à partir descotations du Chicago Mercantile Exchange, premier marché à terme au monde pour lesproduits agricoles) ont plus que doublé sur la période 1990-2007, passant d’environ 10 % à25 %. Entre 2007 et 2009, elles ont cru jusqu’à 35 % pour redescendre à environ 30% en 2010.

En d’autres termes, la volatilité « utile » des prix agricoles sur les marchés financiers a for-tement augmenté pendant près de 20 ans avant la campagne 2007/2008 sans pour autantsusciter, du moins à notre connaissance, de fortes inquiétudes quant au fonctionnementde ces marchés et leur développement. Au contraire, le rapport 2008 de la BanqueMondiale pour une agriculture au service du développement prône, parmi d’autres solu-tions, l’utilisation de ces marchés pour gérer la volatilité des prix agricoles.

Plus que l’augmentation de leur volatilité implicite2, c’est l’augmentation des prix mon-diaux de nombreux produits agricoles lors de la campagne 2007/2008 qui a véritablementdéclenché ce qu’il est communément appelé une crise alimentaire avec des émeutes de lafaim dans des pays importateurs nets de denrées alimentaires et corrélativement, des déci-sions politiques nationales non coordonnées sur le plan international pour limiter leshausses sur les marchés domestiques. C’est d’ailleurs une, si ce n’est la spécificité des mar-chés agricoles relativement aux autres marchés : les gouvernements ne peuvent pas nepas intervenir sur leurs marchés face à des craintes de pénurie domestique, même si cetteintervention isolée conduit à aggraver très probablement le problème ailleurs. En effet, lanécessité de se nourrir et surtout l’argument de la sécurité alimentaire nationale a tou-jours induit des mesures politiques locales. Cette situation perdurera : il n’est pas réalistede penser que les gouvernements n’interviendront plus face à une « menace » pour l’ali-mentation de leur population.

De nombreux débats/travaux ont été conduits sur les causes de cette flambée des prix etdes solutions pour y faire face. Parmi la diversité des solutions proposées par les milieuxacadémiques et professionnels, la régulation physique des marchés agricoles, notammentpar des stocks stabilisateurs internationaux, n’a pas été retenue par les membres du G20lors de la présidence française de 20113, probablement suite aux conclusions du rapportcommandé aux organismes internationaux4. Cette régulation physique reste néanmoinsencore soutenue dans plusieurs instances nationales (par exemple, le Comité Economique,Social et Environnemental en France) et internationales (par exemple, le panel

JEAN CORDIERALEXANDRE GOHIN • Inra, UMR Structures etmarchés agricoles, ressources et territoires - AgroCampus Ouest,4 allée Adolphe Bobierre35011 Rennes Cedex

[email protected]@rennes.inra.fr

Quels mécanismes de régulation face à la variabilité du climat et à la volatilité des prix ?

RENCONTRESSIA 2012

•••

1. Les options sont des droitsd’achat ou de vente deproduits agricoles à des prixd’exercice fixés. La valeur dela prime payée parl’acheteur de l’option auvendeur incorpore le risquefutur perçu par les deuxparties. Le contrat est établilorsque les anticipations devolatilité futures sontidentiques. On déduit ainsila volatilité anticipée par lesacteurs de la valeur desprimes d’options négociéssur les marchés à terme.Cette volatilité déduite estdite implicite.

2. L’augmentation de lavolatilité historique parcontre n’est généralementpas validée par les auteurs,ou du moins les résultatsdépendent des périodes deréférence choisies.

3. Le G20 recommandecependant la constitutionde stocks d’urgence pré-positionnés dans desrégions à faibleinfrastructure logistique.

4. La rédaction de cerapport, coordonnée par laFAO et l'OCDE, a étéeffectuée de manièrecollaborative par la FAO, leFIDA, le FMI, l’OCDE, laCNUCED, le PAM, la Banquemondiale, l'OMC, l'IFPRI etl'Équipe spéciale desNations Unies

Page 20: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition). Par contraste, lesrecommandations du G20 insistent sur la nécessité d’améliorer le fonctionnement desmarchés financiers agricoles. Plus précisément, il est reconnu que des marchés financiersagricoles régulés de façon appropriée et transparents sont essentiels au bon fonctionne-ment des marchés physiques, que ces marchés financiers facilitent le processus de décou-verte des prix et permettent aux acteurs du marché de gérer leurs risques par diversifica-tion ou transfert. Mais un meilleur fonctionnement et une meilleure transparence desmarchés financiers agricoles (organisés d’une part, de gré à gré - dits OTC- d’autre part)sont jugés nécessaires afin de prévenir et de faire face aux défaillances de marché, auxmanipulations croisées et à la désorganisation des marchés.

Une question majeure de recherche est alors de savoir s’il est possible d’améliorer le fonc-tionnement des marchés de gestion des risques, que ce soient des marchés d’assurancepour des risques de production ou des marchés financiers pour des risques de prix. Danscette perspective, nous synthétisons ici les principaux points de notre analyse sur les mar-chés financiers, tout en reconnaissant immédiatement qu’ils ne peuvent pas exister pourtoutes les activités (marchés physiques trop étroits ou discontinus comme pour les fruits etlégumes, par exemple) et que d’autres solutions peuvent être mobilisées (diversificationphysique des productions, épargne de précaution, recours au crédit, par exemple).

AnalysePuisque l’activité agricole est soumise à de multiples sources de risques et d’incertitudes,les marchés agricoles seront toujours volatils. On peut certes essayer de diminuer cettevolatilité, par exemple par des investissements productifs adéquats, c'est-à-dire contenantdes formes de flexibilité, mais il restera toujours une volatilité « naturelle et endogène »des prix agricoles. Il faut donc offrir aux acteurs économiques les moyens de gérer lesconséquences de cette volatilité. L’enjeu majeur pour les agents économiques est de pou-voir accéder à l’information sur les niveaux des prix et leurs volatilités, deux signaux éco-nomiques cruciaux, et ainsi prendre les bonnes décisions économiques pour leur entre-prise de production ou de transformation. Il faut donc créer ou maintenir des prix et desvolatilités de référence qui soient de qualité, ce qui passe par des marchés à terme effi-cients, c'est-à-dire qui reflètent toute l’information disponible, publique et même privée.

L’efficience de ces marchés nécessite de la liquidité - ce qui suppose de nombreux opéra-teurs - de sorte que les informations des agents économiques soient agrégées dans les prixdes contrats à terme et des options. Si la liquidité n’est pas suffisante, l’information appor-tée par les marchés à terme a une probabilité plus élevée d’être manipulable. C’est d’ail-leurs dans l’intérêt propre des bourses d’échange d’éviter ces fraudes et manipulations pardes abus de position dominante. Elles s’assurent ainsi de la participation des agents écono-miques voulant couvrir leur risque physique sur ces marchés. Ce problème potentiel demanipulations est connu depuis la création des marchés à terme il y a plus de 150 ansmaintenant. Il explique en partie l’existence d’instances de surveillance, comme laCommodity Futures Trading Commission (CFTC) aux Etats-Unis, qui segmentent les opéra-teurs et s’assurent de l’absence de position dominante. Les bourses d’échange ont égale-ment tout intérêt à éviter un risque de défaut des agents participant aux marchés à terme,c'est-à-dire des contrats non exécutés par le vendeur ou par l’acheteur, qui pourrait entraî-ner des variations aberrantes de prix. C’est par la gestion des garanties (marges initiales,limites de variations journalières, appels de marge) qu’elles préviennent ce risque dedéfaut. La question qui se pose est de savoir si ces mécanismes privés de « régulation » desmarchés financiers sont suffisants. C’est l’objet d’un vieux et récurrent débat autour de l’ef-ficience des marchés à terme qui renait donc aujourd’hui.

Notre contribution à cette question majeure part du double constat suivant. Nous assis-tons en parallèle, d’une part, à une forte augmentation des échanges sur les marchés degré à gré (OTC), et, d’autre part, à une forte participation d’agents dit non commerciaux

•••

•••

RENCONTRESSIA 2012

Page 21: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

sur les marchés organisés et OTC (spéculateurs dans le langage commun, investisseurs enfinance). La forte augmentation des échanges sur les marchés de gré à gré entre des opéra-teurs physiques est utile et ne doit pas être contrainte sans justification économique fon-dée. En effet, les besoins propres en couverture des agents économiques en général, desagriculteurs en particulier, ne peuvent pas toujours correspondre aux caractéristiques descontrats négociés sur les marchés à terme. Il est donc nécessaire qu’un marché de gré à grése développe parallèlement, ce qui permet aux agents de gérer leur risque idiosyncratique(c'est-à-dire le risque original de l’entreprise dans son contexte économique) tandis que lapartie systémique du risque est portée sur les marchés à terme. C’est aussi par une inter-médiation innovante (des coopératives, des entreprises de négoce, des institutions finan-cières et d’assurance, des sociétés spécialisées …) qu’apparaissent de nouveaux contratsstructurés (par exemple, prix moyens élargis avec des lissages sur plus deux ans, garantiessur marge à l’hectare ou à l’animal) répondant aux besoins des acteurs économiques decouvrir leurs risques prix des produits et des intrants. La transparence requise aujourd’huisur ces marchés (une des recommandations du G20) est certes nécessaire pour y prévenirun risque systémique, mais elle ne fournit pas de règles pour le contrôler et le limiter. Larecherche doit y conduire par la conception de règles adaptatives. Nous pensons qu’aupréalable de nouvelles segmentations d’opérateurs (en particulier pour la catégorie ditedes « spéculateurs » dont les pratiques d’investissement sont variées – portefeuille enalpha ou en beta par exemple -) doivent être créées pour disposer d’une information agré-gée pertinente. Nous pensons aussi que l’étude des modes de transfert de risque en chaine(comme dans le jeu du mistigri) sur les marchés organisés, les marchés OTC voire les mar-chés physiques ou sur les marchés secondaires de réassurance est fondamentale. Ces règlesdoivent être suffisamment anticipatives et adaptatives car il ne faut pas négliger la rapi-dité de réaction des marchés, c'est-à-dire la réaction des agents économiques auxcontraintes et règles qui leur sont imposées. Il ne faut pas omettre non plus que cettetransparence a un coût certain qu’il convient de mettre en face des bénéfices espérés.

Quant à la participation de nouveaux acteurs non commerciaux, c’est incontestablementun fait nouveau depuis une dizaine d’années. On assiste en effet à un développement trèsrapide des investissements par de nouveaux types d’opérateurs utilisant des instrumentsnouveaux. Une controverse s’est développée sur la responsabilité des nouveaux fonds d’in-vestissement. Nous développons des travaux théoriques et empiriques sur cette contro-verse (Cordier et Gohin 2011 ; Gohin et Cordier 2011), travaux dont il est possible, à ce stadede leur développement, de résumer ainsi. Le travail théorique reprend les cadres d’analysequi ont été mobilisés dans la littérature économique pour examiner l’existence de spécula-tion déstabilisatrice et au final néfaste économiquement5. L’intuition économique de cerésultat est que les spéculateurs introduisent des informations nouvelles qui empêchentles agents économiques de prendre leurs décisions de stockage / déstockage uniquementà partir d’information sur les fondamentaux d’offre et de demande. Nous avons adapté cescadres à l’agriculture en considérant qu’en plus des stockeurs, les agriculteurs eux-aussiréagissent aux signaux transmis par les marchés à terme. Nous trouvons alors un effetpositif des positions spéculatives sur les décisions de production qui surcompense l’effetnégatif de ces positions sur les décisions de stockage. La conclusion de ce travail est doncqu’à moyen terme (au-delà d’une campagne), une spéculation déstabilisatrice est peu pro-bable, sauf à penser que l’offre agricole est complètement indépendante des prix. Le travailempirique se focalise sur les impacts à court terme (jour / semaine / mois) de ces nouveauxopérateurs qui agissent essentiellement à travers d’indices, donc sur plusieurs marchés àterme simultanément. Nous avons d’abord testé la relation directe entre les flux de capita-lisation et les prix à terme en croisant les matières premières et les indices. Nous avonsensuite testé la relation transitive entre les flux de capitalisation et les variations de posi-tion à terme suivie de la relation entre ces variations de position et les variations de prix à terme. Nous observons un impact à court terme des fonds sur les prix, mais essentielle-ment croisé entre matières premières ou lié aux fonds indiciels, c'est-à-dire par

•••

•••

5. Stein J.C. (1987).Informational Externalitiesand Welfare-ReducingSpeculation. Journal ofPolitical Economy, 95(6),1123-1145

RENCONTRESSIA 2012

Page 22: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

exemple l’impact d’une variation de capitalisation d’un fonds pétrole sur une variation deprix à terme du maïs. Une conclusion de ce travail est qu’une régulation « classique » delimites de position spéculative, par exemple limiter les positions des « spéculateurs » dumaïs pour contrôler le prix du maïs, serait donc au mieux sans effet à court terme.

PerspectivesLes marchés financiers agricoles (à terme et de gré à gré) ont été créés par les opérateurséconomiques (négoce, coopératives agricoles, industries alimentaires, …) pour satisfaireleurs besoins de couverture et d’information. Même s’ils sont régulièrement décriés, cesmarchés demeureront à l’avenir une des principales solutions de gestion des risques agri-coles. Les faits majeurs nouveaux, croissance des outils sur le marché OTC et croissance dela participation des non-professionnels « agricoles » à la formation des prix de référence,relancent les débats sur leur efficience à court et moyen terme et corrélativement le rôleéventuel de l’intervention publique. Les nouveaux efforts de transparence récemmententrepris aux Etats-Unis et aussi dans l’Union européenne offrent des perspectives nou-velles de travaux de recherche sur ces questions fondamentales. Le nécessaire accès despays en développement aux marchés du risque est également un enjeu économiquemajeur. L éloignement géographique des marchés à terme de référence, la mauvaise trans-mission des prix sur le marché local liée aux disfonctionnements des marchés physiqueslocaux mais aussi au risque de change posent des problèmes spécifiques au développe-ment du marché OTC. Cette dimension du problème, soulevée par le G20, nécessiterecherches et actions spécifiques. �

•••

RéférencesCordier J., Gohin A. (2011).Quel impact des nouveauxspéculateurs sur les prixagricoles ? Une analyseempirique des fondsd’investissement.Communication aux 5e

Journées de Recherches enSciences Sociales, SFER-INRA-CIRAD, Dijon(travaux bénéficiant d’unfinancement spécifique dePLURIAGRI).

Gohin A., Cordier J. (2011).Commodity Index Fundsand Food Price Swings:Conditions of causality. En révision.

RENCONTRESSIA 2012

Page 23: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

L’indice FAO mensuel nominal des prix mondiaux des produits alimentaires, base 100 en2002-2004, était de 211 en décembre 2011, soit une baisse de 12 points (-5,4 %) relativementà son niveau de décembre 2010. En dépit d’une contraction continue sur le second semes-tre de l’année 2011, l’indice annuel a été de 228 points en 2011, soit une hausse de 43 points(+23,2 %) relativement à son niveau de l’année 2010. Supérieur de 20 points (+9,6 %) au picde l’année 2008, ce niveau annuel de 228 correspond à un record depuis que la FAO a com-mencé à enregistrer les prix internationaux des produits alimentaires en 1990. Il s’agit làd’un niveau record depuis 1990 non seulement en termes nominaux, mais aussi en termesréels. Plus généralement, les observations suggèrent une tendance à la hausse des prixmondiaux des produits alimentaires, aussi bien en termes nominaux qu’en termes réels,depuis le début de la décennie 2000 après une période de baisse de 2,5 années (de mi-1997au début de l’année 2000) qui avait suivi 4 années de stagnation (1990-1993) et 3,5 annéesde croissance (du début des années 1994 à la mi-1997). Elles suggèrent également une vola-tilité accrue, en termes nominaux et réels, sur les toutes dernières années (2007-2011) rela-tivement à la période 1990-2006. L’indice mensuel qui était de 131 en décembre 2006 aatteint 150 en juin 2007 et 187 en décembre 2007 ; la hausse s’est poursuivie pendant le pre-mier trimestre de l’année 2008 avec des augmentations de 4,2 % en janvier, 8,0 % enfévrier et 1,1 % en mars ; stable pendant le printemps de l’année 2008, l’indice a amorcé unfort déclin à compter du mois de juillet de sorte que le niveau atteint en décembre 2008était égal à celui observé à la mi-juin de l’année 2007, 19 mois plus tôt ; il est reparti à lahausse à compter du début de l’année 2009 pour atteindre le niveau plafond de 238 enfévrier 2011, mois à partir duquel il a entamé un nouveau repli. Les variations à la hausse età la baisse ont été plus importantes encore pour certains postes, notamment les céréales,les oléagineux et les produits laitiers.

Faut-il déduire de l’analyse des chiffres que les prix mondiaux des produits alimentaires etagricoles sont désormais sur un trend à la hausse, en rupture avec la tendance au mini-mum séculaire observée depuis le début du xxe siècle ? Faut-il également conclure qu’àl’instar des années les plus récentes, ils sont et seront également plus volatils ? Nombreuxsont les observateurs qui pensent que tel sera le cas. Nombreuses également sont les ana-lyses, projections et prévisions, qui concluent à la persistance de prix agricoles élevés sur lemoyen terme. Faute d’outils de modélisation adaptés, nettement plus rares sont les ana-lyses qui permettraient de prédire quelle sera leur volatilité sur les prochaines années. Quoiqu’il se passe en réalité, la croyance en des prix agricoles et alimentaires durablement vola-tils est suffisamment forte pour la mise à l’agenda politique de la question, plus spécifique-ment de la question de la lutte contre une volatilité excessive des prix agricoles et alimen-taires. Et quoi qu’il se passe en réalité, la flambée 2007-08 des prix agricoles et alimentaireset ses conséquences - augmentation du nombre de personnes souffrant de la faim de 100millions en une seule année, émeutes de la faim dans de nombreux pays en développe-ment, réactions désordonnées des états qui par des actions unilatérales de blocage desexportations ou d’encouragement des importations ont aggravé la situation, etc. - légiti-ment, si besoin était, l’intervention des pouvoirs publics pour éviter que, les mêmes causesproduisant les mêmes effets, l’insupportable n’ait plus lieu.

Dans ce contexte général, l’intervention commencera par une présentation du Plan d’action du G20, adopté en 2011, sur la volatilité des prix alimentaires et agricoles à l’échellede la planète. Au-delà de la description de son contenu et des premières mesures d’ores etdéjà mises en œuvre, on cherchera à apprécier dans quelle mesure ce plan est, ou non, à lahauteur des enjeux. Il s’agira en particulier d’apprécier si certains déterminants au mini-mum potentiels de la volatilité n’auraient pas été sous-estimés au risque de rendre l’en-semble du plan moins efficace.

HERVÉ GUYOMARD • InraCollège de direction147, rue de l’Université75338 Paris Cedex 07

[email protected]

Analyse des propositions internationales et communautaires en matière de stabilisation des marchés

RENCONTRESSIA 2012 •••

Page 24: L'agriculture face aux aléas : de la variabilité du climat à la ...docs.gip-ecofor.org/libre/INRA_Agriculture-climat_2012.pdfLa volatilité des prix des produits agricoles et alimentaires

Dans un second temps, l’intervention portera sur les mesures proposées en octobre 2011par la Commission européenne en matière de lutte contre la volatilité des prix agricolesdans l’Union européenne et ses effets, mesures présentées dans la cadre du projet dePolitique agricole commune (PAC) de l’après 2013. Ici, l’objectif est principalement, si ce n’estexclusivement, de limiter les effets contraires liés à une volatilité excessive des prix des pro-duits agricoles, des cours des facteurs de production et in fine des revenus, pour les produc-teurs agricoles. Ces mesures seront analysées à la double lumière de leur pertinence et deleur efficacité. �

•••

RENCONTRESSIA 2012