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RESEAU DES SCIENCES ECONOMIQUES, HUMAINES ET SOCIALES D’ECOFOR ENTRE DYNAMIQUES ET MUTATIONS, QUELLES VOIES POUR LA FORET ET LE BOIS ? ACTES DU COLLOQUE 11 janvier 2018 Auditorium Marie-Curie du CNRS, Paris

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RESEAU DES SCIENCES

ECONOMIQUES, HUMAINES ET

SOCIALES D’ECOFOR

ENTRE DYNAMIQUES ET MUTATIONS, QUELLES VOIES POUR LA FORET ET LE BOIS ?

ACTES DU COLLOQUE

11 janvier 2018

Auditorium Marie-Curie du CNRS, Paris

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Sommaire

QUELQUES IMPRESSIONS ISSUES DU COLLOQUE 4

Jean-Luc PEYRON 4

SESSION 1 | MUTATIONS ET DYNAMIQUES À L’ŒUVRE 6

MUTATIONS DES PRATIQUES ET DES PAYSAGES FORESTIERS DANS UN DOMAINE NATIONAL : 7

CHAMBORD, DE LA CHASSE AU TOURISME DE NATURE 7

Amélie ROBERT et Sylvie SERVAIN 7

LES COMPTES DE LA FORÊT FRANÇAISE : UN OUTIL DE DÉTECTION ET DE SUIVI DES MUTATIONS ET DYNAMIQUES DE LA FILIÈRE FORÊT-

BOIS ? 10

Claire MONTAGNÉ-HUCK, Alexandra NIEDZWIEDZ 10

DE LA VALIDATION DES MODÈLES DE SIMULATION BIOÉCONOMIQUES DANS LE SECTEUR FORESTIER 13

Ahmed BARKAOUI 13

UNE ANALYSE MICRO-ÉCONOMIQUE DU SECTEUR FORÊT-BOIS FRANÇAIS 17

Enrico DE MONTE, Anne-Laure LEVET 17

PATRIMOINES PRODUCTIFS ET DÉVELOPPEMENT DE LA BIORAFFINERIE : LES MUTATIONS DE LA FILIÈRE FORÊT BOIS DU MASSIF

LANDAIS 22

Aliénor DE ROUFFIGNAC 22

APRÈS LA CATASTROPHE, LE CHANGEMENT DANS LA CONTINUITÉ ? 26

Philippe DEUFFIC, Vincent BANOS 26

SESSION 2 | DES APPROCHES DIVERSES POUR DES OBJECTIFS MULTIPLES 30

L’ADAPTATION AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES, UN RISQUE POUR LA MULTIFONCTIONNALITÉ DES FORÊTS ? 31

Timothée FOUQUERAY, Antoine CHARPENTIER, Michel TROMMETTER and Nathalie FRASCARIA-LACOSTE 31

L’ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE COMME NOUVEAU BUSINESS MODEL POUR LES FILIÈRES BOIS-PAPIER, LE CAS DE GREEN VALLEY 34

Robin MOLINIER, Elisabeth LE NET 34

D'UNE FORÊT APPRÉHENDÉE PAR LES SENS, À DES BOISEMENTS ÉVALUÉS PAR LES SCIENCES ; QUELLE GOUVERNANCE POUR NOTRE

ENVIRONNEMENT FORESTIER ? 36

Laure SUBIRANA 36

ENJEUX LIÉS AUX REPRÉSENTATIONS SOCIALES DE LA FORÊT DANS NOS SOCIÉTÉS URBANISÉES 42

Christine FARCY 42

DÉMARCHES TERRITORIALES POUR ACCOMPAGNER LES CHANGEMENTS EN FORESTERIE 45

Patrice A. HAROU 45

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Sommaire, suite

SESSION 3 | LE PARI TERRITORIAL 50

LA FILIÈRE FORÊT-BOIS À L’AUNE DU PARI TERRITORIAL 51

Jonathan LENGLET 51

MOBILISATION SUPPLÉMENTAIRE DE BOIS ET ACCEPTATION SOCIALE. 54

RETOUR SUR UNE EXPÉRIENCE PARTICIPATIVE EN MORVAN 54

Seydou HAIDARA, Nicolas AURY, Sylvie LARDON 54

BLOCAGES ET CHANGEMENTS DANS LA MOBILISATION DU BOIS DU SUD-EST DE LA FRANCE 58

Yves POSS 58

LES MUTATIONS DANS LA GOUVERNANCE DE LA FORÊT ET DE LA FILIÈRE BOIS 62

Etienne POURCHER 62

PIONNIÈRE SANS LE SAVOIR : LA FORÊT À L’HEURE DE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE. ANALYSE EXPLORATOIRE DES POTENTIELS EN ALSACE

67

Antoine TABOURDEAU, Marie SEVENET, Anne-Christine EILLER 67

LA MULTIFONCTIONNALITÉ DES FORÊTS MISE EN JEU 71

Claire PLANCHAT-HÉRY, Sylvie LARDON, Marie-Caroline DETROZ 71

TRANSITION ÉCOLOGIQUE, PLANS CLIMAT, PROTECTION DES SOURCES D’EAU POTABLE : QUEL APPORT DE L’EXTENSION DES

BOISEMENTS POUR LES TERRITOIRES : EXEMPLES EN POITOU-CHARENTES 74

Mohamed TAABNI 74

SESSION 4 | PRATIQUES ET OUTILS DE GESTION DU CHANGEMENT 79

LE BOIS BÛCHE UNE OPPORTUNITÉ POUR LA FORÊT DE DEMAIN 80

Olivier LEROY, Etienne GRÉSILLON 80

FORMATION ET DYNAMIQUE DES PRIX DES BOIS EN FRANCE : ANALYSES STATISTIQUES ET AIDE À LA DÉCISION DANS UN CONTEXTE EN

MUTATION 81

Benoît GÉNÉRÉ et Hanitra RAKOTOARISON 81

UNE DOSE DE SCIENCES DE LA NATURE, UN SOUPÇON DE SCIENCES SOCIALES, SAUPOUDRER LE TOUT D’UNE GOUVERNANCE

CONCERTÉE… LES INGRÉDIENTS DU PROJET « FORÊTS VIGIES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE » 85

Julie MARSAUD 85

LE COMPORTEMENT DES PROPRIÉTAIRES FORESTIERS PRIVÉS FRANÇAIS: PREMIERS RÉSULTATS DES ENQUÊTES NATIONALES RÉSOFOP

2011-2015 86

Mihai TIVADAR 86

RECYCLAGE DES CENDRES EN FRANCE : UNE ENQUÊTE AUPRÈS DES PROPRIÉTAIRES FORESTIERS PRIVÉS 88

Jens ABILDTRUP, Anne STENGER 88

LA GESTION DU CHANGEMENT DANS LES ORGANISATIONS COMPLEXES : L’APPROCHE DE LA STRATÉGIE COMME PRATIQUE DANS LE

CAS DU CONTRAT D’OBJECTIFS ET DE PERFORMANCE 2016-2020 DE L’OFFICE NATIONAL DES FORÊTS 92

Nathalie CAROL 92

LA FABRIQUE DES CURRICULA, COMPOSANT DES MUTATIONS DE LA FORESTERIE. 96

Jean-Paul GUYON 96

LE PROCESSUS D'INSTITUTIONNALISATION DES ENJEUX CARBONE DANS LA FILIÈRE FORÊT-BOIS 99

Zoé GINTER 99

Quelques impressions issues du colloque

Jean-Luc PEYRON

Les écosystèmes forestiers évoluent d’abord par leur dynamique propre, ensuite sous l’effet de perturbations

naturelles ou anthropiques, enfin en raison des mesures qui en découlent de manière spontanée ou

institutionnelle en matière d’usage et de gestion des forêts. L’histoire est riche d’évolutions et réorientations et

les nombreux défis actuels que doivent relever les forêts en convoquent de nouvelles. La connaissance est au

cœur de ces évolutions constatées ou à organiser ; du point de vue des sciences économiques, humaines et

sociales elle peut s’organiser en quatre grandes questions successives.

Quels constats peut-on faire en matière de mutations et dynamiques à l’œuvre ?

Les déterminants de ces évolutions ou changements sont nombreux : développement de l’urbanisation, du

tertiaire, de la mondialisation et de l’information ; émissions industrielles et changements de l’utilisation des

terres ; conséquences pour le climat et la biodiversité ; mise en place de réponses politiques fondées sur la

transition énergétique, la bioéconomie et les paiements pour services environnementaux, la protection de la

biodiversité... Ces mutations sont analysées à travers des sources multiples de données : cartes, données

macroéconomiques, données de secteur, d’entreprises, voire relatives à des lots de bois mis en vente,

comptes-rendus d’entretiens... On note cependant une difficulté à saisir les évolutions dans la durée (le suivi à

long terme est une gageure) et à produire une vision intégrée préparant les actions à entreprendre.

Quelles approches sont utilisées pour mieux intégrer, justement, la multifonctionnalité des forêts, voire la

réinterroger ?

La gamme d’approches présentées est ouverte depuis l’écologie industrielle jusqu’à l’analyse des

représentations sociales en passant par la façon dont le changement climatique modifie la perception de la

multifonctionnalité. Les attentes sociales évoluent et engagent à faire évoluer la sylviculture. Mais dans quelle

mesure faut-il le faire ou, au contraire, peut-on influer sur des attentes sociales, certes, légitimes mais

imparfaitement informées ? La question de l’échelle d’approche est également majeure pour la prise en

compte de la multifonctionnalité (de la parcelle au territoire), pour la considération de certaines fonctions (par

exemple la fixation du carbone), pour recommander des actions (réduire l’âge l’exploitation est possible sur

une parcelle mais un vœu pieu à large échelle dans l’état du taux de prélèvement de bois dans les forêts

françaises).

L’approche territoriale est-elle la plus appropriée pour raisonner et mettre en œuvre les mutations ?

Elle est largement vue comme une modalité d’action pour aller vers une économie plus durable, circulaire,

privilégiant les circuits courts et de proximité. Elle conduit à mettre l’accent sur une gouvernance fondée sur

des plateformes d’échange, des jeux d’acteurs et des instruments tels que les chartes forestières de territoire,

les plans de développement de massif, les plans d’approvisionnement territoriaux...

Intégrer les diverses stratégies relatives à l’énergie, à la forêt, à l’eau, au changement climatique est un enjeu

de territoire. Mais les stratégies ne peuvent rester confinées au territoire : elles s’interfacent avec les logiques

sectorielles, les initiatives privées, les territoires voisins et l’échelon national. Ce n’est pas non plus parce qu’on

se place au niveau du territoire que tous les conflits disparaissent. Enfin, le curseur entre logiques nationale et

territoriales n’a certainement pas basculé définitivement vers le territoire et l’échelon national reste

prépondérant.

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Quelles pratiques et quels outils du changement ?

Bien que le bois continue à constituer le principal revenu de la forêt, ce qui peut être vu comme une rigidité, on

note une volonté de mieux intégrer le changement dans les pratiques. L’élaboration de plans d’action locaux

fondés sur des analyses multicritères et prospectives pour identifier les enjeux et nourrir des scénarios y

contribue incontestablement. La formation est un outil incontournable pour autant qu’elle sache elle-même

évoluer. Le développement de la labellisation ou des paiements pour services environnementaux est égale-

ment facteurs de progrès. Mais la question du changement des pratiques est encore peu effective dans le

monde forestier. On remarque aussi un manque de profondeur temporelle de bon nombre d’analyses qui

privilégient souvent soit des raisonnements à courte échéance soit au contraire à très long terme, en omettant

donc la question de la transition vers le long terme et du traitement de l’incertitude associée.

En conclusion, beaucoup de travail reste à accomplir pour prendre en compte à leur juste valeur les mutations

et à les provoquer pour mieux répondre aux changements auxquels la forêt doit faire face. Des démarches

prospectives véritablement adaptées au problème forestier sont nécessaires pour préparer les bonnes

décisions. Pour appliquer ces dernières, il faut encore réfléchir aux méthodes de gestion du changement

considérées non pas pour elles - mêmes mais en lien direct et concret avec les besoins du secteur.

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SESSION 1 | MUTATIONS ET DYNAMIQUES À L’ŒUVRE

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Mutations des pratiques et des paysages forestiers dans un domaine national :

Chambord, de la chasse au tourisme de nature

Amélie ROBERT1 et Sylvie SERVAIN

2

UMR CITERES 1 Université de Tours

2 INSA Centre Val de Loire

En France, le Domaine national de Chambord est connu pour être un domaine de chasse, à l’image des forêts

environnantes de Sologne, où cette pratique domine, guidant la gestion qui en est faite, marquant les

paysages, notamment à travers les engrillagements (Carrelet Baltzinger, 2016). Nous nous sommes intéressés à

ce domaine, dans le cadre d’un programme de recherche interdisciplinaire, visant à identifier le rôle des

ongulés dans le fonctionnement de l’écosystème et les services rendus à Chambord1. L’objectif de notre étude

était plus particulièrement de retracer l’évolution des paysages et des pratiques, à des échelles emboîtées, du

domaine aux parcelles de relevés (réalisés par des collègues pédologues et écologues), tout en le resituant

dans son environnement solognot. Dans le cadre de la présente contribution, nous nous intéressons aux

pratiques à l’échelle du domaine, afin d’interroger leur rôle comme facteur de dynamique des paysages. Parmi

ces pratiques, la chasse occupe une place particulière à l’heure actuelle mais surtout d’un point de vue

historique : elle marque le domaine. Quelles dynamiques forestières a-t-elle engendré ? N’y a-t-il pas d’autres

facteurs de dynamique, d’autres pratiques ? Après une présentation des sources que nous avons mobilisées

pour notre étude, nous verrons que la chasse a guidé les dynamiques forestières dans le domaine, depuis sa

création au XVIe siècle mais que, depuis les années 1950, le poids de la chasse s’est amoindri, parallèlement à la

stabilisation de la superficie forestière et surtout, récemment, face à l’apparition de nouveaux enjeux.

Approche méthodologique et sources mobilisées

Le Domaine national de Chambord est un terrain d’étude fort bien documenté. De nombreuses sources

scripturales nous offrent une connaissance détaillée des pratiques et de leurs évolutions. Ce sont les données

d’archives du domaine, auxquelles s’ajoutent la littérature et notamment l’ouvrage de J. Thoreau (1975), qui

fut chef du Service forestier et cynégétique de Chambord : il livre, dans cet ouvrage, de précieux témoignages

sur l’histoire du domaine, de son fonctionnement et des pratiques qui y ont été conduites. Des sources

iconographiques (peintures, tapisseries, gravures, cartes), qui peuvent être anciennes, complètent la

connaissance. Pour la période plus récente, nous avons aussi eu recours aux observations in situ et à la

littérature grise (brochures).

En nous renseignant sur les pratiques et leurs évolutions, les sources scripturales nous ont notamment aidés à

identifier les événements majeurs à l’échelle du domaine et, en fonction de ceux-ci, à choisir des dates clés qui

devaient faire l’objet d’états des lieux de l’occupation des sols. Parmi ces événements, nous pouvons

mentionner, en 1524, le début de la construction du mur qui encercle le domaine. Une fois les dates clés

choisies, encore fallait-il s’assurer que nous disposions de données exploitables ce qui a amené à une

adaptation des dates clés choisies a priori. Malgré leur grand nombre, les sources sont en effet plus lacunaires

à mesure qu’on remonte le passé – comme cela est le cas le plus souvent, pour d’autres terrains. Afin de

1 Ce projet, intitulé Costaud (Contribution des OnguléS au foncTionnement de l’écosystème et AUx services rendus à

ChamborD – 2016-2019), est financé par la Région Centre Val de Loire et est porté par l’Irstea.

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réaliser une série de cartographies, nous avons pris le parti de nous focaliser sur les sources spatialisées, à

savoir les cartes et plans et, pour la période plus récente, les photographies aériennes et les bases de données

vectorielles. Ces sources peuvent toutefois présenter des limites : dans certains cas, leur fiabilité peut

apparaître contestable et elles se révèlent peu précises. Ainsi ce n’est qu’à partir de 1949, avec la carte dressée

par J. Thoreau, que l’on dispose d’une connaissance précise de la répartition des peuplements forestiers. Pour

autant, l’analyse de ces sources révèle des résultats notables, permettant de faire le lien entre pratiques et

dynamiques forestières. Elle nous confirme notamment que, depuis le XVIe siècle, la chasse a guidé les

dynamiques forestières.

Résultats

1. Depuis le XVIe, des dynamiques guidées par la chasse

Chambord est historiquement marqué par la chasse. Avant même la construction du château (en 1519), le

territoire est en effet une zone de chasse reconnue et, d’emblée, lorsque le parc est créé et cerné de murs (à

partir de 1524), l’objectif est d’en faire un espace à vocation cynégétique (Thoreau, 1975). Mais, à cette

époque, la forêt n’occupe qu’une superficie restreinte, surtout dans la partie méridionale, « ne représenta[nt]

même pas la moitié de la surface du domaine » (ibid.), au profit de l’agriculture et des landes. Différents états

des lieux ont été dressés, notamment en 1785, 1857 et 1949 et ils confirment qu’une dynamique majeure est à

l’œuvre au cours du XIXe siècle : la progression de la forêt, au détriment de ces deux autres classes

d’occupation des sols, les landes et les cultures. Cette dynamique, que l’on retrouve plus largement en Sologne,

est à mettre en lien avec les plantations qui débutent dans le domaine dès 1821. Elle doit aussi l’être avec la

chasse. Celle-ci marque en effet les paysages. Si la forêt est emmurée, engrillagée, c’est avant tout pour

conserver le gibier dans l’enceinte du domaine. Par la suite, après la construction du mur, la place de la chasse

dans le domaine est confortée.

Depuis les années 1950, la superficie forestière est demeurée relativement stable. On peut toutefois noter

localement la présence de zones restreintes où la forêt a progressé au détriment des landes et des cultures.

Elle a aussi régressé, en d’autres zones, au profit de landes et surtout de prairies à gibier, ce qui témoigne du

fait que la chasse continue d’être un facteur de dynamique, de marquer les paysages au sein du domaine. Mais

de nouveaux enjeux se sont peu à peu développés.

2. Depuis les années 1950, de nouveaux enjeux : préservation de la biodiversité et essor du tourisme

de nature

Depuis les années 1950, la superficie forestière est demeurée stable. Les paysages continuent d’être marqués

par la chasse, notamment à travers l’apparition de prairies à gibier. Pour autant, si on s’intéresse aux

peuplements, on constate que les taillis sous futaie ont régressé au profit des futaies, notamment en raison des

reboisements qui, à cette époque, se font surtout en utilisant des résineux. Or, en Sologne, le taillis est associé

à la chasse ; M. Bénédeau, O. Nougarède et A. Cabanettes (1992) évoquent le « taillis solognot [qui est] plus

voué à la chasse qu’à la production de bois ». Aux côtés des pratiques cynégétiques, d’autres enjeux sont

apparus, faisant évoluer aussi la gestion de la forêt.

Site classé dès 1923, le Domaine national de Chambord est devenu réserve nationale de chasse et de faune

sauvage en 1947 et, depuis 2006-2007, il figure parmi les sites Natura 2000 : sa gestion évolue de ce fait vers

une plus grande prise en compte de la biodiversité et de la nécessité d’œuvrer à sa préservation. Depuis

plusieurs années, notamment depuis sa transformation en EPIC (établissement public industriel et commercial -

2005), le domaine s’est tourné vers le tourisme de nature, ce qui a aussi engendré de nouvelles activités

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récréatives en son sein. Il propose en effet désormais aux visiteurs de « découvrir le parc » (site internet du

domaine2), dans la zone ouverte au public, d’ailleurs récemment étendue, ou dans la réserve même (lors de

visites en 4x4). Les touristes sont ainsi invités à observer et comprendre la faune sauvage (cervidés, sangliers

mais également oiseaux) et la flore. Les aménagements (miradors, panneaux d’information) créés le long de la

« grande promenade », circuit ouvert au public en 2017, visent ce même objectif. Il faut souligner que celle-ci a

été tracée pour donner aux visiteurs un aperçu de la diversité paysagère du domaine, tout en permettant un

accès facilité aux abords du château. Ces nouvelles activités influencent la gestion forestière, en faveur surtout

de la faune : il s’agit de maintenir des populations nombreuses pour « faciliter l’observation par le public »

(Direction de la Chasse et de la Forêt, citée par Q. Chaban, 2016), ce qui a une incidence aussi sur la forêt, la

manière dont elle est gérée mais avec peu de changements, sur ce point, par rapport à la chasse, puisqu’elle

requérait déjà des populations nombreuses.

Conclusion

Depuis la création du domaine, les dynamiques forestières au sein de ses murs sont guidées par la chasse,

pratiquée dans un but récréatif. Elle continue de marquer aujourd’hui encore les paysages mais de nouveaux

enjeux sont apparus : protection de la biodiversité et essor du tourisme de nature. Dans ce cas-ci toutefois, les

objectifs restent les mêmes que pour la chasse, puisqu’il s’agit de conserver des populations animales

nombreuses. Ces buts sont difficilement compatibles avec la production de bois, qui ne peut dès lors être que

secondaire. Ainsi, si la forêt de Chambord ne fait pas exception au sein de la Sologne, par l’importance de la

chasse, elle se démarque en revanche à l’échelle nationale en n’étant pas dédiée à la production de bois. Pour

autant, elle n’est pas monofonctionnelle et elle est fortement gérée. Ceci la rapproche des autres forêts

françaises qui doivent, elles aussi, intégrer les activités récréatives, d’autant plus aujourd’hui où on assiste à

une véritable « fièvre verte » perceptible au sein de la société (Decelle et al., 2007). Ainsi, l’étude des mutations

connues par le Domaine national de Chambord au cours de son histoire peut être porteuse de leçons pour les

autres forêts et la manière dont elles devront être gérées.

Bibliographie

Bénédeau, M., Nougarède, O. et Cabanettes, A., 1992, « Histoire et sylviculture aujourd’hui : l’exemple des taillis de la forêt

de Lamotte-Beuvron en Sologne », Norois, t. 39, n° 153, p. 57-80.

Carrelet Baltzinger, M., 2016, Political ecology des engrillagements de Sologne - Tentative de défragmentation du paysage

écologique, politique et disciplinaire, Thèse de doctorat, Agrosystèmes, Ecosystèmes et Environnement, sous la direction de

M. Deconchat et A. Marell, Université de Toulouse, 2016, 359 p.

Chaban, Q., 2016, Domaine National de Chambord et tourisme de Nature. Le cas de l’espèce comme outil de développement

pour le tourisme de nature à Chambord, Mémoire de Master 1 de géographie, sous la direction de Jean Louis Yengué,

Université de Tours, 127 p.

Decelle S., Panassier C. et Pinchart, A., 2007, La Nature dans la ville. Synthèse, Millénaire – Le Centre Ressources

Prospectives du Grand Lyon, Lyon, 23 p.

Thoreau, J., 1975, Chambord rendez-vous de chasse, Paris, Librairie des Champs-Élysées, 288 p.

2 https://www.chambord.org, consulté le 09/01/2018

Les comptes de la forêt française : un outil de détection et de suivi des mutations et dynamiques de la filière forêt-bois ?

Claire MONTAGNE-HUCK, Alexandra NIEDZWIEDZ

UMR Bureau d'Economie Théorique et Appliquée (BETA), Université de Strasbourg, CNRS, Université de

Lorraine, INRA, AgroParisTech

Initiés à la fin des années 1990, les comptes de la forêt sont un ensemble de comptes satellites de la

comptabilité nationale. Ils font annuellement l’objet d’un rapportage européen commandité par EUROSTAT et

réalisé pour la France par AgroParisTech et l’IGN (Institut national de l'information géographique et forestière)

sous l’égide du SDES (Service de la donnée et des études statistiques du ministère de la transition écologique et

solidaire), en collaboration avec le SSP (Service de la statistique et de la prospective du ministère de

l’agriculture et de l’alimentation).

Les tableaux qui constituent ces comptes de la forêt (voir Figure 1) permettent d’apprécier et d’analyser les

principaux agrégats environnementaux et économiques de la filière forêt bois, en unités physiques et

monétaires. Le premier volet s’intéresse au patrimoine forestier et aux surfaces susceptibles de porter de la

biomasse ligneuse (forêt de production et autres terres). La ressource est suivie en surface et en volume (bois

fort total) : les stocks et les flux, physiques et monétaires, permettent de réaliser un bilan annuel

environnemental et économique des ressources forestières françaises ainsi que le bilan du stockage de carbone

en forêt. Le second volet des comptes de la forêt est directement lié à la comptabilité nationale. Il présente les

traditionnels agrégats économiques (Production, Consommation Intermédiaire, Valeur Ajoutée, Formation

Brute de Capital Fixe, Emploi) pour le secteur forêt-bois, avec pour atout supplémentaire d’offrir une

contrepartie physique aux données monétaires d’emplois et de ressources. Ces agrégats comptables

permettent une analyse fine des activités sylvicoles. Si les tableaux européens sur l’aval de la filière sont

restreints aux bois bruts, AgroParisTech, à la demande du SDES, fait un véritable effort de mise en cohérence

des différentes sources dans des tableaux emplois-ressources ventilés par branche et par produit. Pour cela,

des méthodes spécifiques sont mises en œuvre notamment pour le calcul de la valeur du fonds forestier, pour

le calcul du prix moyen de la récolte ou encore pour désagréger la comptabilité nationale à un niveau d’activité

satisfaisant. Les comptes de la forêt offrent ainsi une information détaillée mieux adaptée à la filière forêt-bois

que ne peut l’être la comptabilité nationale qui demeure très agrégée.

FIGURE 1

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L’analyse des comptes français de la forêt pour la période 2007-2014 montre notamment :

Une progression constante des surfaces forestières (+0,6%/an) et des volumes sur pied (+1,3%/an)

couplée à des prix élevés des terres et du bois, reflétant l’intérêt économique et écologique du bois.

La valeur totale des forêts de production atteint 6420 €/ha en 2014, dont plus de 20% correspondent

au fonds forestier seul.

Un basculement des usages. La part du bois énergie atteint 50% de la récolte totale en 2014, en

considérant que l’autoconsommation est entièrement du bois de feu. Le bois d’œuvre ne représente

plus que 51% des bois commercialisés (32% dans la récolte totale) contre 60% en 2007 (36% de la

récolte totale en 2007). En intégrant le prix des bois ne passant pas sur le marché, la valeur moyenne

d’un mètre cube bord de route est de 46,4 € en 2014 (soit un redressement +23% depuis 2010). Le

renchérissement du bois énergie permet même de dépasser le prix moyen de 2007 (40,8 €/m3).

Des consommations intermédiaires qui diminuent plus vite que la production (respectivement -16%

contre -13% entre 2007 et 2014). Ainsi, la baisse de valeur ajoutée de la filière sur la période est

maîtrisée (-6% en sept ans).

La valeur ajoutée de la filière bois ne pèse plus que pour 0,6% dans le PIB national. C’est l’amont de la

filière qui semble le mieux se porter, puisque seule la valeur ajoutée de la sylviculture/exploitation

forestière est en progression, pour atteindre 212€/ha en 2014 (781€/ha pour l’ensemble de la filière).

Les industries de seconde transformation ont produit plus de 20 millions de tonnes de produits

dérivés du bois et du papier-carton en 2014. Les déchets bois sont mieux valorisés puisque leur

consommation a été multipliée par 2,7 sur la période étudiée.

Les comptes de la forêt sont utilisés pour renseigner les indicateurs économiques commandités par Eurostat en

complément des statistiques forestières (JFSQ, Fra, SoEF) et présentent un potentiel fort pour l’analyse de la

filière forêt-bois et le suivi des politiques publiques. Outre la publication des résultats des comptes de la forêt

par Eurostat dans sa base de données (http://ec.europa.eu/eurostat/web/forestry/data/database), les travaux

français sur le sujet font régulièrement l’objet de présentations dans des colloques nationaux ou

internationaux ou des réunions professionnelles, et de publications dans des revues scientifiques, rapports

techniques ou documents de travail.

Références

Kurtek O., Niedzwiedz A., Montagné-Huck C. 2018. Les comptes de la forêt : un outil de suivi de la forêt française (2007-

2014). Commissariat Général au Développement Durable, Datalab. A paraître.

Niedzwiedz A., Piton B., Colin A. 2017. European Forest Accounts - Années 2013 et 2014. Rapport méthodologique [Phase

5]. Convention MEDDE/SOeS-LEF-IGN-MAAF/SSP 2016. Mai 2017. 51p.

Niedzwiedz A., Piton B., Colin A. 2016. European Forest Accounts - Années 2013 et 2014. Note de méthode [Phase 2].

Convention MEDDE/SOeS-LEF-IGN-MAAF/SSP 2016. Novembre 2016. 37p.

Niedzwiedz, A., Montagné-Huck, C. 2016. « Past, present, and futur of forest accounting: an overview of the French

experience », Poster présenté à ICAS VII, Rome, octobre 2016.

Niedzwiedz A., Montagné-Huck C. 2015. Past, present, and future of forest accounting: an overview of the French

experience. Annals of Forest Science, 72(1):1-7. DOI 10.1007/s13595-014-0410-4

Niedzwiedz A., 2015. « Que sont devenus les comptes économiques de la forêt ? », 2ème séminaire EFESE, Paris, décembre

2015

Niedzwiedz A., 2014. « Les comptes intégrés environnementaux et économiques de la forêt française », 1er séminaire

EFESE, Paris, mai 2014

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Niedzwiedz A., Montagné-Huck C., Colin A. 2013. Comptes intégrés environnementaux et économiques de la forêt

française. Méthodologie pour la période 2007-2010. Commissariat Général au Développement Durable / Service de

l'Observation et des Statistiques. Document de travail n°15. Octobre 2013. 72p

Montagné C., Niedzwiedz A. 2010. Comptes intégrés économiques et environnementaux de la forêt en France - Première

Partie et Seconde Partie. Revue Forestière Française vol. LXII n°5 2010. p. 541-550 et vol. LXII n°6 2010. p. 625-640.

Montagné, C. ; Niedzwiedz, A. ; Stenger, A. 2009. Les comptes de la forêt française: un outil d'évaluation intégré des biens

et services (marchands et non marchands) fournis par la forêt. INRA Sciences Sociales Recherches en Economie et

Sociologie Rurales. 2009, (5) : 1-4.

Montagné, C. ; Niedzwiedz, A. 2007. Evaluation économique des bénéfices marchands et non marchands de la forêt

française. Forêt Entreprise. (176) : 30-33.

De la validation des modèles de simulation bioéconomiques dans le secteur forestier

Ahmed BARKAOUI

UMR Bureau d'Economie Théorique et Appliquée (BETA), INRA, AgroParisTech

Les modèles de simulation contribuent à la compréhension des dynamiques et mutations du secteur forêt bois.

Ces modèles ont été largement utilisés dans l’élaboration des politiques forestières en Amérique et en Europe

à partir du milieu du XXème siècle. Le traitement des questions de recherche actuelles nécessitent l’élaboration

de modèles multidisciplinaires de plus en plus complexes. Dans ce contexte, il se pose la question de la

crédibilité et de la validation et de ces modèles. Dans cette communication, nous précisons la problématique

de la validation et nous exposons les procédures qui peuvent être utilisées dans les modèles bioéconomiques

du secteur forestier.

Introduction

Les modèles de la simulation sectorielle sont utilisés depuis les années 70 dans l’élaboration des politiques de

gestion de la ressource forestière aux Etats-Unis d’Amérique et certains pays européens ayant un secteur

forestier important. Adams et Haynes [1] ont détaillé l’expérience américaine dans la modélisation sectorielle

et son rôle dans l’élaboration et le suivi des politiques. On constate, cependant, que sur 590 pages de leur

publication sur les modèles utilisés, seules quelques pages sont consacrées à la validation. Ce constat de sous-

utilisation des procédures de validation dans la simulation en sciences économiques par rapport à la simulation

en sciences physiques, par exemple, s’explique par la spécificité des sciences économiques et ses méthodes [2],

[3] et par le fait que la pratique de la simulation en économie est relativement récente [4].

La littérature sur la validation des modèles de simulation est assez éclatée sur plusieurs champs scientifiques

disciplinaires ; ce qui peut être une source de confusions sémantiques ou conceptuelles. Les procédures et

tests de la validation des modèles de simulation ont été développés essentiellement en ingénierie et dans les

disciplines scientifiques qui procèdent par l’expérimentation et l’inférence inductive. En économie et en

sciences sociales, même si des débats épistémologiques sur le sujet ont toujours existés, la pratique des

procédures de validation n’a pas connu le même intérêt. Cependant, le renouveau de la modélisation

macroéconomique des années quatre-vingt et la montée en puissance des moyens de calcul sur ordinateur ont

favorisé la construction de modèles plus autonomes nécessitant une démarche de validation et de vérification

[5].

Le paradigme de la validation

Les procédures et tests de validation sont actuellement pratiquées dans le cadre d’un paradigme qui relie la

validation au processus de développement du modèle [6], [7], [8], [9], [10]. Ce paradigme distingue (voir

graphique 1) la validation conceptuelle qui relie la conception du modèle à la théorie et la validation

opérationnelle qui assure, à l’aide de méthodes statistiques, que les résultats des simulations sont conformes

au comportement réel du système modélisé. Comme les modèles ne sont que des représentations simplifiées

et imparfaites d’un système complexe, il n’existe pas une validation opérationnelle unique et intrinsèque3. Ce

constat a au moins deux conséquences limitatives dans la pratique de la validation : i) la nécessité de choisir

des procédures de validation opérationnelle pertinentes par rapport à l’objet modélisé dans un consensus

disciplinaire ; ii) l’arbitrage entre le coût de la validation et la valeur de l’utilisation du modèle : le coût marginal

de la validation peut dépasser l’utilité marginale du modèle.

3 Le succès dans une série de tests augmente la confiance dans le modèle, mais n’asserte pas que le modèle est valide

(Forrester et Senge, 1980).

14

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La sélection des procédures de la validation opérationnelle dépend en premier lieu de l’observabilité du

système étudié [10]. Dans un système observable et reproductible, les procédures de la validation

opérationnelle seront basées sur des comparaisons entre les simulations et les données collectées à l’aide de

tests statistiques ou de graphiques. A l’inverse, dans un système complexe non reproductible (un système

économique ou système forestier) les procédures de la validation opérationnelle ne peuvent être basées que

sur l’exploration du comportement du modèle à l’aide de méthodes numériques. En économie, ces techniques

sont peu utilisées bien que leur intérêt est soulevé et reconnu par des économistes ([11], [12]) et par des

philosophe de la science qui s’intéressent aux sciences économiques [3].

Les techniques d’exploration du comportement d’un modèle

Importance des facteurs d’entrée.

L’information sur l’importance des facteurs d’entrée d’un modèle dans la variabilité des variables de sortie

permet de conforter le choix de ces facteurs ou de détecter d’éventuelles contradictions avec la théorie sous-

jacente au modèle. Dans la phase de construction du modèle, elle constitue un moyen de développement et de

simplification. La méthode de Morris est une procédure peu couteuse en simulations qui est utilisée à ce

propos. Elle est basée sur une discrétisation de l’espace des facteurs et un échantillonnage particulier constitué

par des trajectoires avec un nombre fixe de tirages aléatoires. L’importance d’un facteur est mesurée par la

variation moyenne de la sortie du modèle sur ces trajectoires aléatoires.

Les indices de sensibilité globale des facteurs et de leurs interactions

L’objectif d’un indice de sensibilité globale des facteurs est de quantifier l’influence des variables d’entrée du

modèle et de leur interaction sur la variabilité des variables de sortie. Dans le cadre de la validation

opérationnelle, les indices de sensibilité permettent d’appréhender le comportement du modèle et sa

vraisemblance avec le système modélisé en repérant les entrées les plus influentes et celles qui interagissent

entre elles. Ils permettent également de concentrer l’effort de calibration sur les paramètres les plus influents

et définir les variables de contrôle les plus importantes.

L’analyse d’incertitude

15

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L’incertitude sur les entrées d’un modèle se propage dans les variables sorties. L’analyse d’incertitude permet

de mesurer le niveau d’incertitude sur les sorties du modèle induit par le niveau d’incertitude sur les entrées.

Cette information apporte des renseignements utiles dans l’évaluation des résultats du modèle. Elle permet de

définir des intervalles de confiance pour les sorties du modèles ou des probabilités de dépassement de certains

seuils. L’analyse d’incertitude peut être utilisée pour les paramètres incertains du modèle comme pour les

variables exogènes.

Le problème inverse : méthodes bayésiennes de calibration

Le problème inverse consiste à exploiter les observations disponibles pour analyser l’incertitude sur les

paramètres dans le but de la réduire. L’approche bayésien de la calibration a connu un développement

remarquable ces dernières décennies. Elle permet l’estimation des paramètres inconnus conditionnée par les

observations réelles sur les systèmes modélisés.

Conclusion

Les procédures de validation par l’exploration des modèles sont des outils très puissants pour assurer la

pertinence des résultats des simulations obtenus à partir des modèles bioéconomiques du secteur forestier.

Ces procédures font appel à des techniques statistiques qui peuvent nécessiter des moyens de calcul

importants et limitants dans le cas de certains grands modèles. Les développements récents des procédures

qui utilisent des émulateurs4 peuvent réduire considérablement le temps de calcul [13], [14]. Ces procédures

sont, cependant, encore en développement entre spécialistes en statistiques et ne sont pas facilement

disponibles pour les économistes modélisateurs.

Bibliographie

[1] D. M. Adams et R. W. Haynes, Resource and Market Projections for Forest Policy Development: Twenty-five Years

of Experience with the US RPA Timber Assessment. Springer Science & Business Media, 2007.

[2] G. B. Kleindorfer, L. O’Neill, et R. Ganeshan, « Validation in Simulation: Various Positions in the Philosophy of

Science », Manag. Sci., vol. 44, no 8, p. 1087‑1099, 1998.

[3] A. Lehtinen et J. Kuorikoski, « Computing the perfect model: Why do economists shun simulation? », Philos. Sci.,

vol. 74, no 3, p. 304–329, 2007.

[4] Maurice Godelier, « Les Méthodes de simulation en économie; document destiné aux membres du Collège pour la

préparation de l’étude; 1966 », 30-sept-1966. [En ligne]. Disponible sur: http://unesdoc.unesco.org/Ulis/cgi-

bin/ulis.pl?catno=156101&set=0057FC5B52_1_336&database=Use&gp=0&lin=1&ll=1. [Consulté le: 06-nov-2017].

[5] M. Armatte et A. Dahan Dalmedico, « Modèles et modélisations, 1950-2000 : Nouvelles pratiques, nouveaux

enjeux / Models and modeling, 1950-2000 : New practices, new implications », Rev. Hist. Sci., vol. 57, no 2, p. 243‑303,

2004.

[6] Schlesinger Stewart, « Terminology for model credibility », SIMULATION, vol. 32, no 3, p. 103‑104, mars 1979.

[7] L. W. Schruben, « Establishing the credibility of simulations », SIMULATION, vol. 34, no 3, p. 101‑105, mars 1980.

[8] R. G. Sargent, « An Assessment Procedure and a Set of Criteria for Use in the Evaluation of “Computerized Models

and Computer-Based Modelling Tools”. », SYRACUSE UNIV N Y DEPT OF INDUSTRIAL ENGINEERING AND OPERATIONS

RESEARCH, SYRACUSE UNIV N Y DEPT OF INDUSTRIAL ENGINEERING AND OPERATIONS RESEARCH, WP-80-016, févr. 1981.

[9] M. S. Martis, « Validation of simulation based models: a theoretical outlook », Electron. J. Bus. Res. Methods, vol.

4, no 1, p. 39–46, 2006.

4 Un émulateur est une approximation statistique d’un modèle de simulation complexe.

16

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

[10] R. G. Sargent, « Verification and validation of simulation models », J. Simul., vol. 7, no 1, p. 12–24, 2013.

[11] E. E. Leamer, « Sensitivity Analyses Would Help », Am. Econ. Rev., vol. 75, no 3, p. 308‑313, 1985.

[12] D. J. Pannell, « Sensitivity analysis of normative economic models: theoretical framework and practical

strategies », Agric. Econ. J. Int. Assoc. Agric. Econ., vol. 16, no 2.

[13] J. E. Oakley et A. O’Hagan, « Probabilistic sensitivity analysis of complex models: a Bayesian approach », J. R. Stat.

Soc. Ser. B Stat. Methodol., vol. 66, no 3, p. 751–769, 2004.

Une analyse micro-économique du secteur forêt-bois français

Enrico DE MONTE, Anne-Laure LEVET

Pôle Environnement, Economie, Bio-Ressources, FCBA

Contexte et enjeux

La filière forêt-bois connaît depuis plusieurs années des évolutions importantes de la demande tant en volume,

qu’en caractéristiques. Le processus de transition énergétique, engagé depuis plusieurs années et réaffirmé par

la loi de transition énergétique du 17 août 2015, se traduit par des objectifs de développement des énergies

renouvelables, qui doivent représenter 23 % de la consommation énergétique en France en 2020 et 32 % en

2030 (au lieu de 14,2 % en 2013). Gisement clé pour l’atteinte de ces objectifs, le bois-énergie s’est déjà

fortement développé depuis une dizaine d’années avec, par exemple, la multiplication par 5 entre 2005 et 2016

de la commercialisation en volume de connexes de scieries destinés à la production d’énergie. Parallèlement,

l’usage du bois connaît un certain essor dans la construction, selon les segments de marché, et est soutenu par

les pouvoirs publics. Enfin, d’autres changements structurels sont également à l’œuvre ces dernières années et

peuvent impacter l’équilibre des industries du bois, comme le développement du numérique et des objets

connectés, qui entraîne une baisse de la demande en papier journal ou magazines, ainsi que l’avènement de

marchés de produits bio-sourcés (fibres, chimie).

Problématique et objectifs

Les évolutions de la demande interrogent la structure, les échanges et la compétitivité de la filière pour y

répondre. Il existe peu de travaux dans la littérature sur la compréhension de la structure économique de

l’outil industriel des secteurs forêt-bois ainsi que sur le rôle des différents facteurs de production dans la

dynamique de performance des entreprises. La modélisation économique s’est jusqu’à présent plutôt

concentrée sur l’analyse de l’équilibre en amont entre l’offre et la demande de bois à travers des modèles

d’équilibre partiels (FFSM, EFI-GTM, GFPM…). Pour pallier ces manques, ce projet de recherche a pour objectif

d’améliorer à travers la modélisation la représentation économique des industries de transformation du bois. Il

s’agit également de développer un outil de simulation permettant de comprendre les interactions entre les

secteurs de la filière et d’analyser les impacts de changements de la demande.

La première étape de ce travail consiste à formaliser les fonctions de production et de coûts et à les estimer de

façon empirique à l’aide de données observées. Les résultats présentés ici portent sur les statistiques

descriptives en termes de dynamique d’utilisation des facteurs de production, d’évolution de la productivité et

de dynamiques d’entrée et sorties de marché.

Méthodes

Le périmètre de l’étude concerne la filière bois industrielle comprenant principalement les secteurs de la 1ère

et

de la 2ème

transformation. Il s’agit plus précisément des secteurs 16 (Travail du bois), 17 (Pâte, papiers-cartons)

et 31 (Meubles), décomposés en plusieurs sous-secteurs dans le schéma ci-dessous.

18

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Code NAF :

Interconnexionpar la demande interindustrielle :

me

Tran

sfo

rmat

ion

re

Tran

sfo

rmat

ion

L’o

ffre

de

b

ois L’industrie du bois

Secteur industriel :

Panneaux à base de

bois

Sciages et connexes

Bois-énergie

Pâte à papier

Bois d’œuvre

Bois d’industrie

Offre de bois

Reste du

monde

Consommateur final Déchets bois

Construction /

Structure

Second œuvre

(portes, fenêtres…)

Autres Travail du bois

Palettes, caisses-palettes

Tonnellerie

Meubles

Papier

Papiers-cartons

16 17

16

16

16

31

17

SCHEMA DE LA FILIERE FORET-BOIS INDUSTRIELLE

Pour ces trois secteurs d’activité, les variables des facteurs de production : capital, travail et consommations

intermédiaires ont été construites, de façon à estimer la fonction de coûts et la demande d’inputs selon les

relations suivantes :

Y = f(L, K, M)

Avec L = travail ; K = capital ; M = consommations intermédiaires et Y = production

Et

C = Wl Wl + Wk Xk + Wm Xm

Avec C = coût total ; W = prix d’un facteur et X = quantité d’un facteur

Les données utilisées pour réaliser les estimations sont principalement les données du compte de résultat

(chiffre d’affaires, valeur ajoutée, consommations intermédiaires, salaires…) et du bilan (investissements…)

fournies par l’enquête ESANE de l’INSEE (données FARE). L’accès aux données individuelles d’entreprises via la

procédure du Comité du secret permet de travailler sur un échantillon de plus de 51 000 observations pour la

période 2009-2014.

Résultats

Evolution du nombre d’entreprises

Le nombre d’entreprises pour l’ensemble des secteurs 16,17 et 31 a diminué de plus de 18 % entre 2009 et

2014. La baisse est plus marquée pour les petites entreprises (moins de 10 salariés). De même, elle est plus

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forte pour le secteur du meuble (- 32,2 %) que pour les secteurs du travail du bois (- 8,7 %) et de la pâte,

papiers-cartons (- 8,2 %). Les sorties de marché ont surtout eu lieu dans les années post-2008 (on compte 6 fois

plus de sorties en 2009 qu’en 2014), du fait de la crise financière et économique. A l’inverse, les entrées sur le

marché sont plus élevées en 2014 qu’en 2009 mais n’ont pas permis de compenser les nombreuses sorties

enregistrées dans les 1ères années post-crise.

Nombre d’entreprises par rapport à la taille

Sector Year 1 2 3 4 5 6 Total

All 2009 6694 1214 1026 326 203 101 9564

All 2014 5266 1077 908 276 192 89 7808

All Change -21.33 -11.29 -11.5 -15.34 -5.42 -11.88 -18.36

16 2009 3172 674 505 122 64 18 4555

16 2014 2898 620 450 115 57 17 4157

16 Change -8.64 -8.01 -10.89 -5.74 -10.94 -5.56 -8.74

17 2009 384 187 244 106 89 61 1071

17 2014 329 185 232 94 85 58 983

17 Change -14.32 -1.07 -4.92 -11.32 -4.49 -4.92 -8.22

31 2009 3138 353 277 98 50 22 3938

31 2014 2039 272 226 67 50 14 2668

31 Change -35.02 -22.95 -18.41 -31.63 0 -36.36 -32.25

Taille des entreprises:

1 : [1, 10] salariés ; 2 : [11, 20] salariés; 3 : [21:50] salariés; 4: [51:100] salariés; 5 : [101:250] salariés; 6 :

[250:5000] salariés;

Source : données FARE / INSEE – calculs FCBA

Utilisation des facteurs de production

Le graphique ci-dessous montre une baisse sensible de la demande du facteur travail sur l’ensemble des

secteurs étudiés (16-17-31) sur la période 2009-2014, alors que la production diminue moins fortement. A

l’inverse, la demande en capital augmente, ce qui peut refléter une capitalisation croissante de la structure de

production (automatisation…).

20

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Distribution de la production

La distribution de la production montre une forte hétérogénéité selon la taille des entreprises. Le dernier

quantile produit 10 fois plus en moyenne que le 1er

quantile. Les grandes entreprises produisent la majorité de

la production totale.

Quantiles de Production

sector Year y_25 y_50 y_75

all 2009 1.46 4.14 14.59

all 2014 1.76 5.02 17.88

16 2009 1.89 5.2 15.16

16 2014 1.93 5.31 16.05

17 2009 6.66 23.39 72.55

17 2014 8.88 27.24 86.78

31 2009 1.07 2.19 6.61

31 2014 1.32 2.83 8.56

Source : données FARE / INSEE – calculs FCBA

Evolution de la productivité

Une forte hétérogénéité est également observée sur le niveau de la productivité globale des facteurs. La

représentation graphique ci-dessous montre que les entreprises de grande taille (classe 6) sont beaucoup plus

productives que les petites entreprises, cette tendance étant relativement stable entre 2009 et 2014. Elle peut

21

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

constituer un élément pour expliquer la capacité de survie plus faible en moyenne des petites entreprises par

rapport aux plus grandes.

Source : données FARE / INSEE – calculs FCBA

Patrimoines productifs et développement de la bioraffinerie : Les mutations de la filière forêt bois du massif landais

Aliénor DE ROUFFIGNAC

IRSTEA Bordeaux - Laboratoire REGARDS - Université de Reims Champagne Ardenne URCA

Depuis quelques années, le développement des bioraffineries, notamment forestières, est favorisé par des

dynamiques multi échelles (NWBC 2012). Le contexte du changement climatique, de la bioéconomie et de la

transition énergétique, qui affirme la nécessité de substituer les matières fossiles par des matières

renouvelables, est le socle macroéconomique de cet engouement grandissant pour la chimie du bois (Tissot-

Colle and Jouzel 2013). Intrinsèquement à la filière forêt bois, c’est dans un contexte de déclin de l’industrie

papetière que certaines usines tendent à diversifier leurs activités industrielles en développant le secteur de la

bioraffinerie en tant que brique complémentaire au complexe industriel en place (Kamm and Kamm 2004). La

bioraffinerie représente également pour les entrepreneurs une opportunité de se positionner sur les marchés

émergents de la chimie verte, favorisé par divers programmes de financements publics.

A l’heure actuelle, il existe trois types de bioraffinerie forestière susceptibles de venir se développer

considérablement au sein de la filière.

La bioraffinerie de type I est une bioraffinerie ex nihilo à la production unique (de biocarburant, ou

d’extractibles) (Clark and Deswarte 2015).

La bioraffinerie dite intégrée, Integrated Products Biorefinery (IFBR), (ou de type II) consiste à

implanter des unités de production de bioraffinage dans les usines de pâtes et papiers (Wising and

Stuart 2006)

La bioraffinerie de type III serait capable quant à elle de produire indifféremment des biocarburants ou

des produits chimiques à partir de diverses sources d’approvisionnement lignocellulosique (Clark and

Deswarte 2015).

Traditionnellement basé sur un modèle d’économie circulaire, la filière forêt bois semble structurée en un

espace institutionnel autour de trois sous-filières (bois d’œuvre, bois d’industrie, bois énergie) interconnectés

entre elles par des déchets de production pour les uns, qui deviennent des ressources pour les autres (FCBA

2015). L’émergence de ces nouveaux modèles industriels de bioraffineries lignocellulosiques mettent

potentiellement sous tension cette structure traditionnelle. L’enjeu de cette recherche consiste à analyser les

mutations potentielles de la filière forêt, associée au développement de la bioraffinerie. Ces mutations

s’opèrent à travers les stratégies d’intégration de la bioraffinerie au sein des différents sous-espaces et

maillons de la chaîne de valeur bois-forêt, dont nous cherchons à en déterminer les impacts.

Les mutations de la filière forêt bois émergent en différents espaces d’actions, dont les spécificités dépendent

des territoires dans lesquels ils prennent place et des tissus d’acteurs qui les portent. L’évolution de ces

espaces d’actions est alors assujettie aux logiques –souvent divergentes- des acteurs qui manipulent ces

espaces de manière à porter les stratégies des firmes ou des secteurs auxquels ils sont associés. La mise en

perspective de ces différentes stratégies d’actions nous permet d’expliquer les dynamiques de la filière forêt

bois et les problématiques liées à la double optique d’usage et de conservation de la ressource forestière ; on

fonde ici notre analyse sur l’existence de patrimoines productifs collectifs (Vivien et Nieddu 2014), ancrés

territorialement, que des acteurs cherchent à projeter dans le futur (Barrère et Nieddu 2014).

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Afin de mener à bien cette étude, nous avons réalisé une étude empirique de 4 terrains (2 principaux, 2

périphériques ; en France et au Québec) impactés par le développement de la bioraffinerie forestière. Une

revue de littérature académique et une revue de presse a été réalisée pour chacun des 4 terrains, puis des

entretiens semi directifs ont été menés dans le territoire de la Tuque (Québec) et dans celui du massif landais.

Afin de pouvoir rendre compte de la diversité des stratégies de la bioraffinerie forestière au sein du massif

landais, nous avons identifié les différents sous-espaces de la filière forêt progressivement investis par les

acteurs porteurs de projets de bioraffinerie, ainsi que les différents leviers mobilisés à travers le temps pour y

parvenir. Enfin nous avons cherché quels en étaient les impacts tangibles en termes de flux de biomasse.

Le massif landais accueille aujourd’hui trois usines de bioraffinerie forestière. L’entreprise DRT, construite en

1932, vend des dérivés terpéniques extraits à partir de résine de pin. Son implantation à Vielle Saint Girons

coïncide avec la crise résinière française de 1930 qui s’est traduite par le déclin de l’activité de gemmage, avec

un prix de la résine en forte baisse (Guinaudeau 1961, Papy 1973, Esparon and Guyon 2017). L’entreprise

bénéficiait également d’un lien étroit avec l’Institut du pin, un laboratoire de chimie appliquée à la résine, créé

en 1899 à Bordeaux (Krasnod bski 2016). Plus tard en 1980, Biolandes s’installe à Le Sen au cœur des Landes

afin de distiller les aiguilles de pin maritime. L’entreprise familiale se démarque technologiquement en

déposant un brevet en 1987 sur le procédé d’hydrodistillation en continu5, destiné à la production d’huiles

essentielles à échelle industrielle (Coutiere 1990). Enfin, suite au déclin de l’industrie papetière, le groupe Saint

Gobain décide de fermer son usine de Tartas au bisulfite en 1994. Quelques mois plus tard, Tembec -dont

l’usine mère est également une usine papetière au bisulfite transformée en bioraffinerie dans les années 80-

décide de racheter l’infrastructure et de la convertir progressivement en bioraffinerie. En pleine expansion,

Tembec possède les capacités d’investissements mais surtout le savoir-faire et l’expérience nécessaire à cette

conversion.

Tembec s’est donc positionné sur le secteur des pâtes et papiers au niveau très spécifique de la mutation

d’infrastructures fonctionnant au bisulfite. Plus récemment en novembre 2017, Tembec a été officiellement

racheté par le groupe américain Rayonier, leader dans la cellulose de haute pureté. Cette stratégie de fusion

acquisition a permis à Tembec de renforcer leur position en aval de la filière forêt bois, sur le marché global des

celluloses de spécialité. Dans le cas contraire, l’entreprise Biolandes adopte une stratégie d’intégration

verticale de la filière forêt bois vers l’amont, en rachetant la scierie de Servary en 2011, tandis que DRT se

positionne sur une logique d’écologie industrielle en développant un procédé de fractionnement du Tall oil6.

Afin d’intégrer davantage la filière forêt bois landaise, Biolandes et DRT s’associent en mars 2014 et créent la

société de holding ATTIS 2, en partenariat avec le crédit agricole et BpiFrance7. Quelques mois plus tard, ATTIS

2 devient actionnaire majoritaire du groupe Gascogne, avec à sa tête, la nomination de Dominique Coutières le

fondateur de Biolandes. Le groupe Gascogne, né avec la construction de l’usine papetière de Mimizan en 1925,

a intégré verticalement la filière forêt bois dès 1975 et déclare aujourd’hui exploiter l’ensemble du pin

maritime depuis la souche jusqu’aux aiguilles.

Concernant les flux d’approvisionnement, la recherche de proximité avec la ressource en pin maritime ou

résine qui ont motivé la construction des usines de bioraffinerie n’est plus d’actualité. Avec l’arrêt progressif de

l’activité économique de gemmage dans le massif landais, DRT a dû développer un réseau

d’approvisionnement externe au territoire, en se procurant de la résine dans le monde entier. De même pour

Biolandes, qui a rapidement diversifié sa distillation d’aiguilles de pin avec la fabrication d’huile essentielles de

5 Procédé d’extraction ou de séparation de substances organiques par entrainement à la vapeur des molécules volatiles. 6 Liqueur noire, déchet issu de la fabrication de la pâte à papier kraft

7 Présidée par la caisse des dépôts, BpiFrance est une banque publique d’investissement et de développement des entreprises.

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plantes exotiques. Quant à Tembec, le rachat de l’usine papetière lui a permis d’en récupérer le réseau

d’approvisionnement initial. Cependant, l’approvisionnement en bois, notamment en connexes de scierie, n’est

pas figée. En fonction de la disponibilité de la ressource et de la fluctuation des prix, Tembec réajuste ses

achats en se procurant près de la moitié de ses connexes à des scieries espagnoles.

De ces trois bioraffineries émerge néanmoins une stratégie commune récente de quelques années. Appuyée

par des financements publics délivrés dans le cadre de la transition énergétique, chaque infrastructure possède

désormais une chaudière à biomasse qui permet au complexe industriel d’être dans une logique

d’autosuffisance en énergie verte, voir de revendre des surplus en électricité grâce à la construction d’une

turbine de cogénération (Tembec et DRT), ce qui participe au développement de la filière bois énergie dans les

Landes.

Au vu de ces éléments, il est possible d’affirmer que des mutations portées par les acteurs de la bioraffinerie

sont bien à l’œuvre au sein de la filière forêt landaise. Cependant, il s’agit de mutations invisibles, dans la

mesure où elles n’impactent pas les flux de biomasses de manière significative. En grande partie externe au

territoire du massif Landais, l’approvisionnement des bioraffineries extractibles se positionnent sur une

ressource non concurrentielle au tissu industriel de la filière forêt locale, tandis que Tembec a hérité du réseau

d’approvisionnement initial de l’usine papetière que l’entreprise a racheté. Seule la stratégie de chaudière à

biomasse interne au complexe industriel serait susceptible de rajouter une pression supplémentaire sur la

ressource en bois du massif landais. Mais cette stratégie n’est pas inhérente à la bioraffinerie et concerne

également l’ensemble du secteur de l’industrie papetière. Cette croissance du secteur bois énergie porté par la

transition énergétique dans le massif landais a conduit à plusieurs recherches -notamment sur l’exploitation

des souches- et témoigne d’une stratégie industrielle de création de ressources spécifiques unique en France,

communes aux secteurs de la bioraffinerie en partenariat avec l’industrie papetière (Banos et Dehez 2017).

Il convient donc de s’interroger sur la nature des mutations apportées spécifiquement par la bioraffinerie.

Davantage structurelles, financières et organisationnelles, ces mutations invisibles dépendent bien de

patrimoines productifs territorialisés sur le temps long. A partir de la mobilisation de savoir-faire socio

techniques, d’infrastructures existantes et de stratégies financières ou de propriétés intellectuelles, les acteurs

porteurs de la bioraffinerie ont su s’adapter à un contexte territorial mouvant. Ils ont diversifiés leur

production et se sont positionnés sur des marchés locaux comme sur les marchés émergents de la chimie

verte. L’encastrement des filières forêt chimie et énergie nous amène alors à nous poser cette la question des

répercussions des secteurs en amont des filières forêt bois à l’échelle locale, et de la gouvernance de la

ressource naturelle, base commune à ces différents secteurs.

Bibliographie Banos, V., & Dehez, J. (2017). Le bois-énergie dans la tempête, entre innovation et captation? Les nouvelles ressources de la

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Après la catastrophe, le changement dans la continuité ?

Philippe DEUFFIC, Vincent BANOS

Irstea Bordeaux

Contexte et problématique

Après des catastrophes naturelles de grande ampleur, victimes et décideurs publics – affirment généralement

haut et fort que plus rien ne sera comme avant et qu’ils mettront tout en œuvre pour que la crise ne se répète

pas. En forêt aussi ce type de discours volontaristes a été porté notamment après les tempêtes de 1999 et

2009 ou la sécheresse de 2003. Pour certains la crise qui suit ces événements extrêmes serait même propice à

des changements de pratiques (Banos et Dehez, 2017; Keskitalo et al., 2015 ; Lawrence, 2017 ). Pour d’autres,

la crise pousserait au contraire à se retrancher sur des itinéraires déjà connus plutôt que de rajouter un risque

supplémentaire à une situation déjà compliquée à gérer (Deuffic, 2015; Lidskog et Sjödin, 2014 ). La présente

réflexion vise à contribuer à ce débat sur les relations entre événements climatiques extrêmes (ECE) et

changements de pratique sylvicoles à partir de deux cas d’études empiriques.

Terrains d’études, matériel et méthodes

Le premier cas d’étude choisi est le massif des Landes de Gascogne où la tempête Klaus de 2009 a renversé

223 000 ha de pin maritime (45 Mm). Nous avons réalisé des enquêtes qualitatives auprès des propriétaires

forestiers (n=39) en 2009 puis en 2013 (n=36) et une enquête quantitative en 2015 (n=432). Le second cas

d’étude se situe dans le Pays de Sault, plateau de 68 000 ha boisé à 40% de sapins. En 2003, cette zone de

sapinière méridionale a subi de plein fouet une sécheresse sévère qui s’est prolongée jusqu’en 2007. Près de

5 500 ha de sapins ont été atteints et 93 000 m3 de bois de sapins ont été perdus. Pour étudier cette crise,

nous avons réalisé des enquêtes qualitatives en 2016 (n=41). Le dispositif méthodologique déployé permet une

approche comparée et diachronique relativement originale.

Résultats

1) Gestion de crise, le temps de l’émotion et des questionnements

Dans le cas de la tempête Klaus, les propriétaires forestiers sont d’abord passés par une phase d’abattement.

Ce sentiment était d’autant plus fort que les informations relayées par leurs porte-paroles sur la mise en place

du plan chablis ne portaient pas forcément à l’optimisme. Les propriétaires forestiers ne disposaient pas non

plus d’explications rationnelles permettant d’expliquer cette fréquence décennale et anormale des tempêtes.

La tentative de limiter l’imputation des causes à la seule force du vent étant vite écartée, les propriétaires

forestiers sont alors passés à une phase de critiques promouvant des solutions en rupture avec les itinéraires

passés (abandon de l’entretien par rouleau landais, baisse du nombre d’éclaircie, extension des plantations de

pin taeda, valorisation des chênes et des robiniers, introduction d’autres essences, etc). Même non validées

techniquement, l’expression de cette diversité de solutions permettaient au propriétaire forestier d’entrevoir

une sortie de crise et donc d’envisager l’avenir de manière plus optimiste.

Dans le Pays de Sault, les enquêtés témoignent avoir vécu la sécheresse de 2003 comme un événement moins

brutal, moins immédiat et étalé dans le temps. Les sapins ont séché sur pied mais de façon très hétérogène et

les dégâts étaient dispersés dans l’espace. Certains enquêtés avouent cependant avoir cédé à un moment de

panique car des dépérissements de cette ampleur n’avaient pas été constatés depuis plus de 50 ans. Les

propriétaires forestiers ont alors tenté de tirer le maximum de valeur des arbres. Mais en baissant la densité à

27

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l’hectare, les récoltes anticipées ont diminué l’ambiance forestière et accentué la spirale du desséchement

fatale aux sapins restants. Elles ont aussi contribué à augmenter les stocks de bois sur le marché et accentué la

chute des cours.

2) Gestion de crise, le temps de la raison et des experts

Après le nettoyage des parcelles, les professionnels de la filière se sont positionnés très vite dans l’espace

public et ils ont mobilisé un large soutien pour mettre à l’agenda politique la question de la reconstitution du

massif landais. Pour faire valoir la nécessité de reboiser aussi vite que possible, les acteurs industriels ont

notamment dramatisé les risques de pénurie de bois (Laffite et Lerat, 2009). Ces actions, qui se sont traduites

par la mise en place du plan chablis (489 millions d’euros), n’ont pas conduit à renverser la table sur le plan des

itinéraires sylvicoles. Appuyées par les projections à dire d’experts sur le développement du bois-énergie, elles

ont même eu plutôt tendance à conforter les orientations productives engagées depuis plusieurs années déjà,

à savoir la production de bois d’industrie destinés à la papeterie, à la trituration, l’emballage, etc.

Dans le Pays de Sault, le sapin, longtemps plébiscité et favorisé par les forestiers, est apparu comme une

essence toujours d’actualité mais en sursis et que les experts locaux déconseillaient dans toute une série de

situations stationnelles considérées comme limite. Ils ont aussi promu une « gestion dynamique » des

peuplements de sapin (raccourcissement de la rotation de 140 à 100 ans) et valorisé l’introduction du cèdre

(CRPF Languedoc Roussillon, 2016).

3) Dix après, le constat d’un retour aux routines ?

Dans le massif landais, 10 ans après la crise, 198 000 ha de forêts ont été nettoyés et 192 000 ha sont prévus à

la plantation. Mais alors que des pistes de réflexion avaient été évoquées visant à introduire une plus grande

diversité d’essence, 95% des reboisements ont été réalisés à base de pin maritime. Si la clause biodiversité a

permis de préserver voire de planter des essences feuillus peu productives, l’essentiel de la diversification –

soit moins de 5% des surfaces – s’est faite en pin taeda, robinier, voire eucalyptus.

Dans le Pays de Sault, certains propriétaires forestiers se rappellent que des préconisations techniques se sont

révélées après coup de fausses bonnes idées telles que la baisse des densités à l’hectare où l’éradication des

buis. Les propriétaires forestiers sont alors revenus aux régimes d’éclaircies antérieures et ont décidé de ne

plus éradiquer totalement les buis dans les sapinières. S’ils n’éprouvent pas de regret vis-à-vis de ces essais,

estimant que l’expérimentation et le droit à l’erreur font partie de leur activité, ils se montrent désormais

prudents et reviennent souvent à des modes de gestion connus et aux risques maîtrisés.

4) Des changements à la marge

Malgré des réticences à changer leur mode de gestion forestière, les propriétaires forestiers ont réalisé des

changements de pratiques significatifs sur les deux terrains :

le raccourcissement des rotations : dans le massif des Landes de Gascogne, 39% des propriétaires

forestiers landais envisagent désormais comme premier choix d’itinéraire des rotations à 45 voire 35

ans, et 14% des rotations inférieures à 35 ans (Brahic et Deuffic, 2017). Dans le Pays de Sault, les

raccourcissements à 100 ans sont envisagés mais pas en deçà des 80 ans. Si les propriétaires forestiers

les plus actifs adhèrent à cette stratégie, certains redoutent que «le terme « dynamique » ne rime

avec intensification et que seule la maximisation de la croissance soit favorisée aux dépens des autres

services écosystémiques ;

Bois énergie et souches : dans le massif landais, la part de propriétaires forestiers qui a vendu du bois

énergie a bondi après la tempête de 2009 puisque 29 % des propriétaires ont vendu du BE à la suite de

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cet événement alors qu’ils n’étaient que 10 % avant la tempête (Brahic et Deuffic, 2017). Le bois

énergie constitue pour eux un moyen de couvrir des besoins de trésorerie à court terme et une

possibilité de répartir les risques économiques sur différents types de marché. La tempête a

également accéléré l’extraction des souches en facilitant l’expérimentation et la mise en marché

(Banos et Dehez, 2017). De nombreux propriétaires ont tenté l’expérience, d’autant que des aides

publiques ont permis de les extraire à moindres frais. Mais les propriétaires s’interrogent toutefois sur

le juste prix de ces souches, ce que la situation exceptionnelle (tempête et accès aux aides) a quelque

peu faussé ;

Les changements d’essences : en Pays de Sault, les changements techniques les plus importants ont

été réalisés sur les parcelles où la régénération naturelle n’a pu se faire. Dans ce cas, des plantations

artificielles de cèdre de l’Atlas ont été réalisées mais ces plantations requièrent des investissements de

départ très élevés, de l’ordre de 5 000€/ha. Seuls les propriétaires les mieux dotés en capital financier

peuvent se permettre ce genre de plantations. Or prendre ce genre de décisions constitue un pari

difficile à relever au lendemain d’un épisode de dépérissement.

Discussion-conclusion

Tout en envisageant un large éventail de possible, les propriétaires forestiers se sont rapidement tournés vers

des personnes ressources connues pour atténuer leurs incertitudes. Leur position d’expert ont conféré à ces

personnes une autorité épistémique, c'est-à-dire une légitimité à décrire, définir et expliquer la réalité (Gieryn,

1999). Cette position d’autorité et le fait qu’elles soient souvent les seules ressources disponibles leur a permis

de conforter et de « naturaliser » des trajectoires déjà pensé par ailleurs. Et même si des discours critiques ont

pu remettre en cause momentanément leur expertise, ces avis contraires ont été peu entendus et peu

présents dans les arènes de débats. De fait, les experts « déjà-là » sont restés les principaux référents et ils ont

négociés les solutions dans des arènes de débats discrètes (Gilbert et Henry, 2012), rappelant à l’occasion que

l’essentiel du tissu industriel était configuré pour transformer du pin maritime ou du sapin et que les

débouchés et les marchés immédiatement accessibles l’étaient pour ces essences et pour un certain type de

bois (bois moyen). Ce type de discours n’a pas contribué à ce que les propriétaires forestiers prennent des

risques économiques ni à tester des itinéraires originaux. De plus la crise n’étant pas un moment propice pour

la réflexion « sur table ou au bureau » (Lidskog et Sjödin, 2014), la plupart des experts et des professionnels du

secteur ont pu proposer des solutions prêtes à l’emploi, immédiatement mobilisables et déjà plus ou moins

testées sur des sites expérimentaux à l’image des souches dans le massif landais (Banos et Dehez, 2017) ou des

plantations dans le Pays de Sault. Ils laissaient ainsi entrevoir aux victimes une porte de sortie dans laquelle il

est facile de s’engouffrer. Enfin, les arguments vantant la sécurité, voire la réversibilité de ces itinéraires ou

nom de la stratégie dite « sans regret » ont renforcé les convictions des propriétaires forestiers comme quoi,

certes ces itinéraires avaient certes failli mais que c’était encore ce qui se faisait de mieux. Pour autant, on

n’assiste pas non plus à une adhésion aveugle à tout ce que les experts proposent en matière de solution. On

voit ainsi que l’adhésion des propriétaires forestiers aux itinéraires les plus « révolutionnaires » comme les

itinéraires à courte rotation ou les peuplements semi dédiées est très faible. Choisir ces itinéraires est un risque

que très peu de propriétaires sont prêts à prendre en situation de crise et ce malgré l’autorité épistémique

qu’ils peuvent conférer aux experts.

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Bibliographie

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

SESSION 2 | DES APPROCHES DIVERSES POUR DES OBJECTIFS

MULTIPLES

L’adaptation aux changements climatiques, un risque pour la multifonctionnalité des forêts ?

Timothée FOUQUERAY1, Antoine CHARPENTIER

2, Michel TROMMETTER

3 and Nathalie FRASCARIA-LACOSTE

1

1 Unité Ecologie, Systématique et Evolution (ESE), AgroParisTech, CNRS, Universités Paris-Sud et Paris-Saclay

2Master Bioterre, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

3Laboratoire d'Economie Appliquée de Grenoble (GAEL), INRA, CNRS, Grenoble INP, Université Grenoble Alpes

Contexte

Les forêts françaises sont de facto des espaces multifonctionnels : habitats naturels, espaces productifs,

récréatifs, patrimoniaux, etc. Ce principe de multifonctionnalité est par ailleurs inscrit dans le code forestier et

les programmes nationaux et régionaux de la forêt et du bois.

Les réponses à apporter aux changements climatiques en forêt, quant à elles, sont détaillées dans de (très)

nombreuses politiques publiques : plan national d’adaptation au changement climatique, stratégie nationale

bas-carbone, stratégie nationale pour la biodiversité, … Bien que les mentions de l’adaptation n’excluent pas la

multifonctionnalité, les objectifs des politiques publiques conservent une approche « par fonction » de

l’adaptation. Ces travaux s’inscrivent dans la thèse interdisciplinaire de Timothée Fouqueray, et ont constitué le

stage de deuxième année de master Bioterre d’Antoine Charpentier.

Enjeux

Mener une prospective sur ce que font (ou pas) les forestiers pour s’adapter. Compléter la connaissance des

discours sur ce que l’on doit faire (politiques publiques) et ce que l’on pourrait faire (études scientifiques).

Problématique

Les adaptations1 mises en place ou prévues sont-elles un risque pour la multifonctionnalité des forêts ?

Méthode

Nous avons voulu observer les options d’adaptation retenues par les forestiers, tout en privilégiant leur liberté

de parole et leurs préoccupations. Ainsi, nous avons privilégié les dires d’acteurs par entretiens semi-dirigés,

analysés thématiquement en s’appuyant sur le logiciel Sonal. Afin de rendre compte de visions contrastées en

termes d’histoire sylvicole et d’itinéraires de gestion, nous avons retenu les Vosges du Nord et les Landes de

Gascogne pour réaliser l’enquête. Les zones d’étude sont en outre deux parcs naturels régionaux (la Fédération

des PNR étant partenaire du projet de recherche-action). Finalement, ce sont 14 entretiens dans les Vosges et

13 dans les Landes (durée : 1h à 5h30) qui nous auront permis de rencontrer des propriétaires privés,

gestionnaires, experts forestiers, conseillers municipaux ou maires, personnels de l’ONF, des CRPF et des

Chambres d’agriculture. Nous les remercions chaleureusement pour le temps qu’ils nous accordé.

Résultats

* Sur les 27 entretiens, 97 mentions d’adaptation ont été relevées (elles étaient soit explicitées comme de

l’adaptation par la personne interviewée, soit non-explicitées mais correspondant à des actions d’adaptation

citées dans la littérature). La moitié est déjà opérationnelle.

1 Il s’agit donc bien de comprendre l’adaptation en son sens stratégique (ce que font les humains pour répondre à leurs

objectifs) et non pas biologiques/évolutifs/darwiniens.

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

* Ces 97 adaptations peuvent être regroupées selon leurs modes d’adaptation. Exemples (non-exhaustifs) :

- adaptations techniques/sur les essences (migration assistée, mélanges d’essences, …) - adaptations économiques sur les débouchés du bois (réponse à la demande en bois-énergie,

étalement temporel des risques climatiques via des contrats d’approvisionnement, …) ou diversification économique des usages forestiers (diversification avec tourisme vert, vente de droits de récolte de champignons, …)

- adaptations concernant l’environnement physico-chimique des parcelles (plantations orientées selon les couloirs de vent pour diminuer la prise face aux tempêtes, sous-solage pour favoriser l’exploration racinaire du sol face aux sécheresses, …)

* Les adaptations recensées visent plus à modifier la foresterie en intervenant sur les forêts (mélange

d’essence, raccourcissement des révolutions, etc.) que sur les systèmes socio-économiques (via des assurances,

changement d’usages des sols, développement de la R&D, etc.).

* Si l’on regarde la fonction prioritairement visée comme étant à adapter, on obtient la table suivante (les

nombres correspondent aux occurrences de chacune des fonctions dans les mentions d’adaptation recensées.

Ex : sur 97 adaptations mentionnées en entretien, 63 ont pour objectif l’adaptation de la production de bois

uniquement.) :

Production

bois

Non

précisé

Usage

des

sols

Production

bois &

biodiversité

Production

bois,

biodiversité

&

patrimoine

Aspects

récréatifs Biodiversité

Erosion

sol Patrimoine

Santé

humaine

Total

général

63 14 8 4 3 1 97

* L’intégration de la biodiversité dans l’adaptation semblant faible, il convient d’analyser à quelle échelle elle

est pensée (spatialement et « concrètement ») :

ÉCHELLE SPATIALE Individu Parcelle Commune Massif (Inter-)Nationale

Adaptations prévues pour… 1 62 5 26 3

ÉCHELLE « INTÉGRATION DE LA

BIODIVERSITÉ » Par la biodiversité Par et pour la biodiversité Pour la biodiversité NA

Adaptations effectuées… 57 11 9 20

Conclusions

Le grand nombre d’adaptations mentionnées et opérationnelles confirme la prise en compte par le secteur

forestier de l’adaptation au changement climatique.

Les adaptations mentionnées par les interviewés sont majoritairement techniques et visent bien plus

l’adaptation de la production de bois que l’accueil du public ou la conservation de la biodiversité. Peu de

réflexions portent sur l’adaptation des aspects récréatifs – peut-être car le besoin est faible de les faire évoluer

du fait des changements climatiques. L’adaptation visant à conserver la biodiversité est fortement dépendante

33

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

des fonctions de production du bois ou des fonctions paysagères/patrimoniales. Ainsi, l’adaptation aux

changements climatiques remet en question les objectifs de multifonctionnalité des forêts.

Le fait que les interviewés s’adaptent par la biodiversité (profil « utilitariste ») plutôt que pour elle (profil

« conservationniste2 ») souligne cette remise en question de l’équilibre production de bois/biodiversité dans

l’implémentation de terrain de l’adaptation. Ceci étant, un tel angle d’approche explicite l’importance que

prend la biodiversité pour chacun des interviewés quel que soit leur profil.

Il semble ainsi que les formes concrètes de l’adaptation aux changements climatiques de notre étude3, en

grossissant (fortement !) le trait, se concentrent sur le maintien de la production de bois avec une vision à la

parcelle, technique, interventionniste. La diversité du vivant en forêt est majoritairement comprise dans son

acceptation utilitariste. Les garde-fous pour sa conservation sont les blocages historiques de la forêt : faible

rentabilité du bois, faible accessibilité des parcelles, fragmentation de la propriété privée. Surmonter ces

blocages afin de répondre aux objectifs de mobilisation du bois tels qu’énoncés dans les politiques publiques

(ex : renouvellement en 2018 de la stratégie nationale bas-carbone) met en risque la stabilité à long-terme des

écosystèmes et des usages en découlant. Les auteurs se proposent d’explorer comment surmonter ces

blocages dans la suite des travaux de la thèse se proposent, via un jeu de rôle.

Une nuance néanmoins pour conclure : des interviewés travaillant pour des missions de services publics (ex :

municipalités, ONF, …) ainsi que certains interviewés du secteur privé tiennent un discours bien plus

systémique, à l’échelle du massif. En particulier, ils s’efforcent de ne pas remettre en cause des principes de

base en écologie forestière (connectivité des habitats, hétérogénéité des âges ou des essences, …) nécessaires

au maintien à long-terme de l’équilibre multifonctionnel entre fonctions productives et fonctions de

conservation de la biodiversité.

Une bibliographie lacunaire et arbitraire

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2

Ex : se baser sur les mélanges d’essences, privilégier des ennemis naturels type mésange pour lutter contre les chenilles processionnaires, … 3 Nous insistons ici à nouveau sur les limites méthodologiques de notre étude, et en particulier les contraintes de temps qui

ont limité le nombre d’entretiens et de terrains.

L’écologie industrielle comme nouveau business model pour les filières bois-papier, le cas de Green Valley

Robin MOLINIER1, Elisabeth LE NET

2

1CEA Paris Saclay, I-tésé et CentraleSupélec, Laboratoire génie industriel

2CEA Paris Saclay, I-tésé

Contexte

L’écologie industrielle (E.I) propose d’opérationnaliser le développement durable en invitant à la

reconsidération de la notion de ressource. L’E.I en tant que paradigme offre des représentations et est à

l’origine d’outils permettant d’identifier et de caractériser des écosystèmes industriels par les échanges

matériels et énergétiques entre des ensembles issus des activités humaines et la biosphère. La réconciliation

des dimensions environnementales et de soutenabilité économique par la coopération inter-organisationnelle

autour de synergies (symbiose écoindustrielle) en est la réalisation dans des systèmes productifs en

fonctionnement.

Les symbioses écoindustrielles sont basées sur deux catégories de mise en synergie impliquant des acteurs-

décideurs (l’écoparc industriel) : synergies de substitution et celles de mutualisation.

Les premières proposent d’utiliser des matières alors considérées comme déchets ou de l’énergie fatale pour

remplacer l’usage de ressources vierges. Pour les secondes, c’est l’usage des capacités des équipements qui est

au cœur de relations symbiotiques par son intensification conduisant dès lors à une plus grande efficacité du

système productif. La mise en place effective de ces modes de fonctionnement requiert l’engagement des

acteurs-décideurs concernés afin de réaliser ces potentiels d’amélioration.

Enjeux

Une revue de la littérature indique que la réalisation effective des potentiels de symbiose à l’échelle

d’écosystèmes industriels reste mesurée. En effet seuls 25 écoparcs « en fonctionnement » sont étudiés en

détail dans la littérature, ce qui pose la question de cas non encore « découverts » et « référencés » d’écoparcs

industriels.

En effet l’application systématique de business model de symbiose industrielle pose des problèmes tant les

spécificités des besoins qualitatifs (cahier des charges) et quantitatifs (profils de charges) peuvent être en

inadéquation quand il s’agit de valoriser un déchet ou de rassembler des profils d’usage sur une infrastructure

commune. La proposition de valeur étant dépendante de la comparaison avec un fonctionnement opérationnel

standard, des risques existent donc.

Néanmoins, concernant les filières industrielles en relation avec la forêt (bois, papier) plusieurs cas dans la

littérature attestent de la réussite des symbioses à la fois de mutualisation et de substitution, notamment dans

les pays scandinaves.

L’écologie industrielle peut donc permettre de repenser le business model de ces filières le concept ayant fait

ses preuves et ce notamment en France, avec un cas d’écoparc industriel : la Green Valley. Nous avons étudié

la genèse, le déploiement et les perspectives, apportant ainsi un nouveau cas d’écoparc industriel en

fonctionnement dans la littérature.

35

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Problématique

Notre étude de l’écoparc Green Valley en Lorraine propose une description et une mise en perspective de ce

cas français par rapport aux leçons déjà tirées dans la littérature sur le développement d’écoparcs dans le

monde. Cette analyse vise à éclairer au moyen d’un cas d’étude, les facteurs impactant le déploiement de

synergies avec une focale sur le secteur bois-papier.

Méthode

Pour conduire notre étude de cas, nous procédons par une revue de la littérature institutionnelle, de la presse ,

informations qui sont du domaine public. Ensuite pour approfondir les mécanismes à l’œuvre dans le processus

de réalisation des symbioses, des visites de site incluant des entretiens avec des équipes projet et le directeur

des Achats, ainsi que les porteurs publics associés à la démarche ont été conduits.

Résultats

D’après l’étude des écoparcs existants dans le secteur bois-papier, des formes récurrentes de mise en symbiose

émergent. On trouve des synergies de substitution « matière-énergie » de type combustibles (résidus bois,

liqueur noire, boues STEP) vers des centrales à cogenération et également des flux « matière-matière »

concernant les cendres de combustion qui sont utilisées pour produire des ciments ou fertilisants.

Vis-à-vis des synergies de mutualisation, on observe un recours aux centrales à cogénération assurant des

fonctions de production et de traitement. Plus précisément, il s’agit de fourniture vapeur/chaleur aux usines du

site et réseaux de chaleur, accompagnée de la vente d’électricité. L’autre infrastructure régulièrement

mutualisée est la STEP du site assurant aussi traitement et production. Le service de traitement des effluents

est donc commun (usines et municipalités) puis des boues sont générées pour être réutilisées. En termes

organisationnels, la dynamique de développement suit un modèle de type « self organization » avec portage

par un acteur central (« anchor tenant ») dont le but est de maintenir ses activités dans un contexte global

difficile. Le cas de la Green Valley est emblématique à plusieurs égards. Premièrement, au niveau des synergies

réalisées mobilisant les mêmes équipements mutualisés (centrale à cogénération, STEP, parc à bois) dont les

déchets sont réutilisés en « interne » (vapeur fatale d’un acteur vers un autre, combustion des déchets bois et

boues) voire transformés sur site pour alimenter un réseau « externe » (électricité produite par cogénération,

injection de biométhane). En termes organisationnels, le processus suit le même mode à savoir un portage par

un acteur industriel central (la papeterie NorskeSkog Golbey) qui structure un ensemble de relations

contractuelles de long terme avec d’autres acteurs de proximité (Pavatex, unité de production de panneaux

verts, pour le flux de vapeur fatale, la municipalité, les réseaux électricité et gaz). La stratégie industrielle

(Norske Skog) se mêle a des politiques publiques (appels d’offre CRE, règlementations sur les polluants) pour

aboutir à des projets concrets. Une originalité du cas est un projet de valorisation d’une capacité résiduelle

existante (fourniture vapeur) qui offre un exemple saillant de l’historicité (« path dependence ») qui caractérise

l’émergence des projets de symbiose dans les contextes locaux.

Pour conclure, l’E.I permet d’identifier les modalités et les conditions de réalisation de transformation qu’ont

pu engager des industries, notamment l’industrie papetière. Cette dernière, par différentes stratégies autour

du concept d’écoparc, peut se transformer et trouver de nouvelles opportunités, de nouveaux business

models, notamment par la voie de la bioraffinerie.

D'une forêt appréhendée par les sens, à des boisements évalués par les sciences ; quelle gouvernance pour notre environnement forestier ?

Laure SUBIRANA

Dans un contexte de mondialisation des échanges marchands, de demande énergétique mondiale

croissante et de changements climatiques, la place de la forêt dans notre civilisation n'a rien d'évident. Peut-

on imaginer le futur de la forêt, le futur de la sylviculture, sans questionner nos relations passées avec le

milieu forestier ?

En reprenant les mécanismes archaïques qui nous permettent d'appréhender le Monde et donc les forêts,

aussi bien de manière individuelle que collective, j'interrogerai les fonctionnements actuels mis en œuvre lors

des prises de décision. En d'autres termes : dans un contexte où les chiffres semblent prendre le pouvoir sur

notre sensibilité profonde, je propose de questionner cette évidence.

Reprenons les choses à leur début :

Notre ancêtre, l'Homme du Paléolithique est un animal omnivore, tout à la fois prédateur et proie. Sa survie est

directement liée à sa perception du monde par ses 5 sens. Dans le milieu forestier qui est le sien, il voit, sent,

entend, touche et goûte la forêt à chaque instant et tout au long de sa vie. Les sentiments, en particulier celui

de sécurité, sont alimentés par cette perception.

Sa survie est directement liée à la richesse de son environnement en nourriture, à la richesse de son

environnement en abris naturels ou en matériaux pour se construire un abri. Elle est également liée à la survie

de sa tribu.

Ainsi, l'ensemble de ses comportements, individuels et sociaux, est guidé par la crainte de manquer de

nourriture et/ou de la protection du groupe, que ce soit pour lui ou pour sa descendance.

En d'autres termes : l'ensemble de ses comportements est guidé par l'instinct de survie. Celui-ci se décline à

partir de l'inné :

L'instinct, inné, est guidé par les 5 sens.

Il permet la survie de l'individu.

La culture, acquise par l'éducation est fortement lié à l'instinct. Elle permet la vie du groupe.

Depuis le néolithique et la progressive spécialisation des tâches au sein du groupe, l'éducation a donné

naissance à l'instruction. L'instruction, permet l'acquisition des connaissances académiques par un

apprentissage conscientisé et actif. Elle est fortement liée à la culture bien qu'elle permette de comprendre et

d'analyser le monde au-delà du cercle culturel.

Au quotidien, ces trois fonctions qui font notre personnalité, s'activent simultanément, avec un impact

différent sur nos prises de décision.

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

instruction

culture

instinct

Avoir faim

(rend possible de manger n'importe

quoi dans les cas extrêmes)

Connaître les produits

comestibles habituels dans sa

culture d'origine, savoir les

préparer

équilibre

alimentaire

Prenons l'exemple de l'alimentation :

On constate que la notion

d'équilibre alimentaire acquise par

le biais de l'instruction, est ce qui

pèsera le moins dans la prise de

décision concernant la nourriture.

D'une manière générale, en cas de

conflit ou de crise, les repères

théoriques (instruction) sont ceux

qui "sautent" les premiers. Les

repères culturels sont plus solides,

mais en cas de très grosse difficulté,

seul l'instinct guidera les choix.

Nos ancêtres connaissent

parfaitement leur environnement,

"leur" forêt, car ils ont conscience

d'en faire partie. Ils savent intuitivement et culturellement (shamanisme) que si l'équilibre de leur

environnement est rompu, ils en seront les premières victimes (disparition des plantes vivrières, du gibier et

des possibilités de s'abriter).

Ainsi, pour la gestion de leur* territoire (*leur n'étant pas dans le sens de "posséder", mais plutôt "de faire

partie"), ces hommes, prennent les décisions pour assurer la pérennité de leur tribu, c'est à dire d'eux mêmes,

de leurs enfants et ... de leur environnement puisque tout cela est lié. Ils connaissent parfaitement à court,

moyen et long terme, l'impact qu'aura sur leur vie, la coupe d'un ou plusieurs arbres.

Aujourd'hui :

Aujourd'hui, nous sommes plus nombreux, notre société a changé, quoiqu'à l'échelle géologique, il n'y a pas si

longtemps de cela que les tribus ont disparu... pour autant qu'elles aient disparu...

En 2018, nous espérons tous avoir :

de quoi manger,

de quoi se sentir en sécurité,

de quoi assurer notre avenir et celui de nos enfants.

Et nous savons, théoriquement, que notre avenir est lié à la qualité de notre environnement naturel.

Théoriquement parce que ce savoir n'est plus vécu, n'est plus ressenti par nos 5 sens comme nos ancêtres le

ressentaient. Il n'est pas davantage vécu culturellement si ce n'est dans l'imaginaire collectif (contes et

légendes). Il est du domaine de l'instruction, il est intellectualisé, il est scientifique.

Pourtant, nous percevons le monde avec les mêmes moyens biologiques que nos ancêtres mais ce n'est plus le

même monde. Notre perception, n'est plus très forestière. Notre regard ne se perd pas dans les branches à

longueur d'année, notre odorat n'a pas accès dans les couloirs du métro aux fragrances des sous bois, notre

ouie nous prévient davantage de l'approche d'un véhicule que de celle d'un chevreuil, notre corps éprouve le

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

contact du plastique plus souvent que celui de l'herbe et notre alimentation (animale ou végétale) n'a pas

souvent vécu sous les frondaisons (pour autant qu'elle ait vécu).

Aujourd'hui, notre instinct atavique (boire, manger, sécurité, lien social, etc...) nous aide à survivre dans un

monde urbain.

Concrètement, d'une forêt homogène et "cadre de vie", connue par tous et utilisée par tous dans un objectif

commun à tous, nous sommes passés au fil des siècles à une forêt multiple, lieu de détente, source de

matière première, réserve de biodiversité, terreau de multiples imaginaires...

Soit en un même lieu, mais pour des publics différents.

Soit, et de plus en plus souvent, en des lieux distincts et spécialisés.

C'est ainsi que sont apparues :

- les forêts urbaines, grands parcs de détente pour citadins stressés,

- les forêts de production telles les plantations des Landes,

- les forêts en réserve intégrale pour la biosphère.

- etc...

Dès lors, peut-on s'entendre avec des partenaires pour la gestion d'un espace forestier ?

Simplifions, caricaturons, en prenant trois types de décisionnaires :

o le "jurassien"

o le "parisien"

o le "landais"

culture fondée sur la

proximité avec la nature instruction qui vise à

exploiter en préservant

Le "jurassien"

Parcours physiquement

sa forêt.

C'est un héritage familial

qu'il souhaite

transmettre.

Elle a toujours été gérée

en "forêt jardinée"

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

culture qui accède à la nature par le biais de

l'imaginaire instruction qui vise à exploiter en

gardant bonne conscience

Le "parisien"

Il a construit sa vision de

la forêt par l'imaginaire.

culture utilisant la nature

source de matériaux instruction visant à

optimiser les rendements

Le "landais"

La forêt n'a de sens que

dans la mesure où elle

fournit du bois, de la

même façon

qu'autrefois, les Landes

produisaient du mouton.

3 instincts identiques

3 visions culturelles différentes de ce qu'est la forêt.

3 approches académiques différentes de ce qu'apporte la forêt.

En réunion, ces écoles de pensée d'origines culturelles, sociales, économiques éthiques, historiques (etc...)

différentes, ont bien du mal à trouver des points d'entente communs à tous.

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Les données chiffrées, que l'on pourrait croire irréfutables, sont utilisées par les uns et par les autres pour

défendre leurs positions.

Les lois, règlements, directives, schémas, contrats (etc...) élaborés pour cadrer les prises de décision, ne

satisfont personnes et se contredisent suffisamment pour qu'on puisse leur faire dire une chose et son

contraire.

Malgré tout, les écoles de pensée académiques peuvent parfois permettre de trouver une position commune

(généralement à la marge, ou sans contrainte d'engagement).

Les cultures, elles, sont difficilement négociables. On ne remet pas en cause

facilement ce qui nous a construit.

Quant au cœur de ce qui nous anime, notre instinct de survie, si nous

avons tous le même, nous ne le partageons pas : il est parfaitement

incapable de prendre en compte ce qui nous est extérieur.

Il permet juste à chacun d'entre nous de se battre pour se défendre,

défendre ses idées, défendre ses intérêts... défendre ce qui lui permet

de vivre.

Zone d'accord possible dans les

domaines de l'instruction.

Mais plus on est nombreux,

plus la zone d'entente

(intersection) se réduit.

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

De la pertinence des territoires :

La notion de "territoire" est de plus en plus présente dans les questions de gouvernance. En effet on sent bien,

intuitivement, que c'est à une échelle réduite que les décisions se prennent (comme le faisaient nos ancêtres

sur leur territoire).

Il faudrait développer, ici, toute une analyse des processus de gouvernance. Nous ne pouvons pas le faire dans

le cadre de cette présentation, aussi nous nous contenterons de constater que la notion de territoire, si elle

avait un sens concret et physique pour nos ancêtres, est aujourd'hui devenue une notion indéfinissable car trop

diversement définie :

Le territoire du néolithique, est devenu imaginaire dans le sens qu'il nous faut l'imaginer et ce, sur plusieurs

échelles (!) :

mon jardin,

la France,

le Massif,

la collectivité territoriale,

l'Europe,

la forêt dont j'ai hérité,

la Grande Région,

la commune...

La Planète elle même étant le territoire de notre Humanité globalisée.

Constamment, nous faisons référence à l'une ou l'autre de ces échelles territoriales.

Quant à notre psychologie conçue depuis des centaines de millénaires pour s'épanouir dans une tribu

(territoire social), elle doit s'efforcer de s'adapter à l'éclatement de la société en catégories sociales, en filières

professionnelles, en groupes idéologiques, en clubs d'activités. De fait, nous ne vivons et ne voyons plus les

mêmes choses que nos voisins. La Mondialisation, cette abstraction qui remplit matériellement notre lieu de

vie privé, rajoute à la difficulté de s'imaginer un territoire de référence.

Quelle gouvernance ?

Physiquement et psychologiquement, notre fonctionnement primitif est mis à rude épreuve.

Quels risques notre instinct fait-il peser sur l'avenir des forêts ?

Les chiffres et les lois ne sont peut-être pas les moteurs de nos prises de décisions.

Quelles réponses nos intelligences, individuelle et collective, peuvent-elles apporter ?

Conscients de nos limites, il nous faut interroger nos références et surtout, nos objectifs, voire notre objectif...

Enjeux liés aux représentations sociales de la forêt dans nos sociétés urbanisées

Christine FARCY

Université de Louvain (UCL)

La communication ne se réfère pas à un projet de recherche spécifique mais synthétise et discute divers

résultats.

1. Introduction

La communication s’intéresse aux paradoxes inhérents à l’évolution de la représentation sociale dominante de

la forêt au sein du grand public, dans nos sociétés urbanisées. Volontairement, elle s’extrait du monde forestier

et des groupes de pression pour se mettre à l’écoute de la société, et se distingue des études portées par le

secteur via le prisme de « l’acceptabilité des coupes » jugé par trop unidirectionnel (Farcy et al. 2018a).

Un bref rappel est fait de la définition de la représentation sociale par Moscovici en 1963 : « Connaissances de

sens commun partagées par une communauté ou un groupe social », et des développements ultérieurs du

concept par les sphères scientifiques de la psychologie sociale, l’anthropologie, la sociologie, l’ethnologie ou les

sciences de la communication. L’inscription fréquente des méthodologies de recherche associées, dans le cadre

de la théorie ancrée (Glaser et Strauss 1967) est également soulignée.

2. Résultats

L’analyse de l’évolution des représentations sociales de la forêt montre un fond commun à toutes les époques

qui constitue une forme de mythologie inconsciente (De Smedt et al. 2016) :

- Espace chargé de puissances divines, lieu de mystère et de révélation

- On s’y perd, on y trouve sa voie, on s’y retrouve

- Pour y accéder il faut être fort: chasseur, prêtre, roi ou … brigand

- Espace inhospitalier et menaçant que l’on traverse

- Espace initiatique

L’image dominante de la forêt longtemps ancrée et véhiculée est celle d’un décor lointain, d’un milieu à part,

autocentré, fonctionnant en autonomie par rapport à la société, encadrée par le « forestier » qui est en le

propriétaire symbolique et qui en gère le destin.

Aujourd’hui, trois drivers sociétaux externes puissants et amenés à durer, l’urbanisation de la société, la

tertiairisation de l’économie et la globalisation (Farcy et al. 2016 ; Farcy et al. 2018b) influencent une

représentation sociale de la forêt forgée par les médias, virtuelle, immatérielle et distante. La forêt devient un

sujet sensible pour le grand public avec de nombreuses significations sentimentales, un rapport affectif, un

refus de voir des arbres « tués ». Elle s’appuie sur la rareté d’une chose précieuse potentiellement menacée

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

par les activités humaines, devient un territoire tabou, préservé des agressions de la vie moderne, avec une

population urbaine qui devient une partie prenante vigilante.

La communication qui souhaite mettre en exergue la coexistence de plusieurs niveaux de paradoxes, s’appuie

sur les résultats de diverses études convergentes pour illustrer certains clivages profonds entre la société et le

secteur, tout en faisant émerger de possibles éléments de rapprochement. Elle montre également par

quelques exemples comment les médias s’appuient sur les représentations dominantes et les renforcent.

3. Discussion

La discussion s’articule autour de trois axes dont les principaux éléments sont listés ci-dessous.

3.1. La question de la communication sur la forêt (Dereix et al. 2016 ; De Smedt et al. 2016 ; Matagne 2017 ;

Matagne et Fastrez 2018)

- Assumer la complexité et ne pas recourir à une communication simpliste, unidirectionnelle et centrée sur

le message (balistique)

- Mettre l’accent sur les compétences médiatiques du récepteur plutôt que sur le message

- Instaurer l’éducation aux médias dans l’enseignement primaire et secondaire

3.2. Le positionnement du forestier (Farcy et al. 2018a)

- Pendant longtemps, le forestier a été dans une posture de propriétaire symbolique de la forêt ; il est

aujourd’hui remis en cause et est par trop sur la défensive

- Besoin d’évoluer de gestionnaire de la forêt … à gestionnaire des relations entre l’homme et la forêt

- Importance de mettre la gestion durable des forêts au service de questions et problèmes concrets qui se

posent à la société plutôt que brandir le concept comme un étendard

- Il est temps de revoir le sens du métier et son code déontologique dans le monde d’aujourd’hui, très

éloigné de celui au sein duquel il s’est initialement forgé

3.3. Quelques postures en termes de recherche/action (Farcy et al. 2018a)

- Nécessité de prendre acte de l'existence et de la force de conviction des représentations si l'on souhaite

mener une action vis-à-vis du grand public

- Besoin de comprendre en profondeur: remontée en force de la valeur symbolique de la forêt dans un

monde menaçant ?

- Concept de représentation sociale particulièrement intéressant à approfondir en particulier grâce à son

lien avec les pratiques et la communication, et sa structure conceptuelle en deux couches (noyau et

périphérie)

- Besoin d’aller chercher les experts ailleurs (sciences politiques, sciences de la communication, psychologie

sociale, …) et de les intéresser aux questions forestières

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

4. Conclusion

En guise de conclusion, la communication annonce le lancement d’un programme de recherche 2018-2022,

« L’appel de la forêt » qui se penchera sur l’étude de la résilience des représentations sociales de la forêt en

Wallonie, à Bruxelles, en France et au Luxembourg, mettra en place un observatoire médiatique de la forêt et

envisagera l’art comme médiateur. Appel est lancé aux collègues intéressés.

Références

Dereix, C., Farcy, C., Lormant, F. (Eds)., 2016. Forêt et Communication. Héritage, représentations et défis. Paris:

L’Harmattan.

De Smedt, T., Fastrez, P., Matagne, J. and C. Farcy. 2016. Les recommandations du programme en matière de

communication. In Forêt et Communication. Héritage, représentations et défis, eds. Dereix, C., Farcy, C. and F. Lormant,

381-391. Paris: L’Harmattan.

Farcy, C., de camino, R., Martinez de Arano, I. and E. Rojas. 2016. External drivers of changes challenging forestry. Political

and social issues at stake. In: Ecological Forest Management Handbook (Applied Ecology and Environmental

Management), ed. G. Larocque, 87-105, Taylor and Francis Group/CRC Press.

Farcy, C., Nail, S., Granet, A. M., Matagne, J., Baudry, O. and E. Rametsteiner. 2018a. Toward a social representation of

forest by Western urbanized. In Forestry in the Midst of Global Change, eds. Farcy, C. et al. Taylor and Francis Groupe /

CRC Press, In Press.

Farcy, C., Martinez de Arana, I. and E. Rojas. 2018b. Forestry in the Midst of Global Change. Taylor and Francis Group / CRC

Press, In Press.

Glaser, B. G. and A. L. Strauss. 1967. The discovery of grounded theory. Strategies for qualitative research. Chicago: Aldine.

Matagne, J. 2017. Littératie médiatique et environnement. Évaluation de l’autonomie cognitive des jeunes envers les

médias traitant des forêts. PhD diss., University of Louvain.

Matagne, J. and P. Fastrez. 2018. Communicating to support the comprehension of forest-related issues by non-expert

audiences. In Forestry in the Midst of Global Change, eds. Farcy, C. et al. Taylor and Francis Groupe / CRC Press, In

Press.

Moscovici, S. 1963. Attitudes and opinions. Annual Review of Psychology 14:231-260.

Démarches territoriales pour accompagner les changements en foresterie

Patrice A. HAROU

The Pinchot Institute, Washington DC AgroParisTech et Université de Lorraine, BETA, Strasbourg

Contexte

Europe 20201 présente une vision de l'économie sociale de marché européenne pour le 21ème siècle avec trois

priorités qui se renforcent mutuellement : (1) Croissance intelligente : développer une économie basée sur la

connaissance et l'innovation (2) Croissance durable : promouvoir une utilisation plus efficace des ressources et

une économie plus durable et compétitive et (3) Croissance inclusive : favoriser une économie à fort taux

d'emploi assurant la cohésion sociale et territoriale. La foresterie a un rôle à jouer dans la mise en œuvre d'un

tel programme. Cet article se concentre sur les aspects territoriaux de cette vision et, en particulier, sur la

manière dont les forêts pourraient être mieux intégrées dans l’aménagement du territoire et les plans

d'utilisation des sols. Les plans doivent être réactifs aux changements, comme le changement climatique.

L’Europe compte aussi la forêt privée dans l’aménagement du territoire pour remplir les promesses de l’accord

de Paris2. Divers instruments forestiers existent pour mettre en œuvre un plan d'utilisation des terres dans un

aménagement du territoire bien conçu.

Enjeux de l’aménagement du territoire

Au niveau mondial, les 17 objectifs de développement durable (ODD)3 fournissent une bonne référence pour

envisager l'orientation future des changements dans le domaine de l'agriculture, de l'eau et de la foresterie et

de leurs industries connexes. Les systèmes de ressources naturelles à l'horizon 2030 rencontreront un certain

nombre de défis avec des rendements agricoles plafonnant alors que la population sous-alimentée atteindra 3

milliards de personnes et les institutions internationales qui devraient s'en occuper ne peuvent pas faire grand-

chose sans la participation du secteur privé. D'ici 2030, environ 200 millions d'hectares de terres agricoles

supplémentaires pourraient être nécessaires et nécessiteront des investissements importants (BSDC, 2016)4.

Cela devrait entrainer une migration de population importante.

Au niveau européen, l'Europe 2020 invite à réorienter les politiques industrielles et foncières selon la stratégie

de croissance intelligente, durable et inclusive. Une synergie entre l'utilisation des terres, les infrastructures, et

l'industrie devraient être organisée avec plus de facilite et d’efficience grâce aux nouvelles innovations

technologiques. La politique agricole commune de l'UE évolue ce qui aura aussi un impact important sur

l'utilisation des terres.

1 EU 2010, A strategy for smart, sustainable and inclusive growth

http://ec.europa.eu/eu2020/pdf/COMPLET%20EN%20BARROSO%20%20%20007%20-%20Europe%202020%20-%20EN%20version.pdf 2 http://www.cepf-eu.org/sites/default/files/CEPF%20position%20on%20the%20LULUCF%20proposal_Jan%202017.pdf

3 UNDP Sustainable Development Goals

http://www.undp.org/content/dam/undp/library/corporate/brochure/SDGs_Booklet_Web_En.pdf UNDP The 2030 Agenda for Sustainable Development https://sustainabledevelopment.un.org/content/documents/21252030%20Agenda%20for%20Sustainable%20Development%20web.pdf 4Business and Sustainable Development Commission, BSDC, 2016 http://s3.amazonaws.com/aws-bsdc/Valuing-SDG-Food-

Ag-Prize-Paper.pdf

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Au niveau national, les stratégies de croissance différeront en fonction de l'avantage comparatif de chaque

pays et de ses régions. En utilisant le principe de subsidiarité, les pays de l'UE adapteront la stratégie de

croissance UE 2020.

Pour planifier une utilisation judicieuse des terres, il est important de nous projeter, nous et les prochaines

générations, dans le futur. La tendance du changement de population est clairement urbaine. Ceci pourrait

faciliter le développement économique en offrant un meilleur accès à la santé, à l'éducation et à de nombreux

autres services difficilement accessibles dans les zones rurales des pays en transition.

Cependant, des changements importants se produisent aussi dans les campagnes (Kool Hass, 2017). Dans ces

changements de nos campagnes, l’importance de la forêt dans l’aménagement du territoire pour le

développement durable est accrue en ce qu’elle produit non seulement des grumes, une ressource naturelle,

renouvelable, biodégradable et nécessitant relativement peu d’énergie pour être transformée en produits finis,

mais aussi des services dont une banque de biodiversité et la fixation du carbone ne sont pas des moindres.

La problématique de l’aménagement du territoire

Comment pouvons-nous adapter l'utilisation des terres à ces nouvelles tendances et comment pouvons-nous

établir les nouvelles priorités dans l'utilisation du territoire ? Comment les terres forestières et leur gestion

devraient-elles évoluer pour assurer le développement économique durable et le bien-être de toutes les

parties prenantes ? Comment gérer efficacement le territoire et y distribuer optimalement tous les secteurs de

l’économie tout en cherchant une synergie entre eux ?

La planification de l'utilisation des terres en zones rurales est définie par la FAO5 comme « …une procédure

systématique et itérative mise en œuvre pour créer un environnement propice au développement durable des

ressources foncières répondant aux besoins et aux demandes des populations…». L’habilité les parties

prenantes a interchanger leurs points de vue est essentiel pour assurer que la forêt réponde à ses besoins.

La Foret dans la planification de l’utilisation des terres

L'attribution d'une méthode particulière pour mieux intégrer la foresterie dans l’utilisation des terres et assurer

la durabilité et l'adaptabilité des forêts, n'est pas recommandée compte tenu des diverses spécificités des

forêts, des types de gestion et des contextes dans lesquels la planification durable est mise en œuvre.

Cependant, une Approche Paysage (AP) est particulièrement adaptée pour les écosystèmes forestiers et

l’aménagement des ressources naturelles. Ces approches fournissent des outils et des concepts pour planifier

l’utilisation des terres respectant les objectifs sociaux, économiques et environnementaux lors de l'évaluation

des différentes alternatives de l'utilisation du sol. Différentes AP existent. Ce type d'approche tente de concilier

les compromis en matière d'environnement et de développement (Sayer, 2009)6 et a évolué ensuite a.vec une

nouvelle dimension sociale (Laurence, 2010)7. Cette d’approche reconnait trois composantes (Banque

mondiale, 2016)8..

5 The future of our land--Facing the challenge. Guidelines for integrated planning for sustainable management of land

resources. http://www.fao.org/docrep/004/x3810e/x3810e00.htm 6 Sayer JA. Reconciling conservation and development: Are landscapes the answer? Biotropica. 2009;41(6):649–652.

7 Lawrence A, editor, 2010. Taking Stock of Nature. Cambridge, UK: Cambridge Univ Press

8 Gray, Erin; Henninger, Norbert Eugen; Reij, Chris; Winterbottom, Robert; Agostini, Paola. 2016. Integrated landscape approaches for Africa’s drylands (English). A World Bank study. Washington, D.C.: World Bank Group. http://documents.worldbank.org/curated/en/233231472186605673/Integrated-landscape-approaches-for-Africa-s-drylands

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Table 1 Composantes de la gestion intégrée du paysage (BM, 2016 adapté de Sayer 2013).

Buts et objectifs multiples de l’AP Planification et gestion adaptatives Action concertée et engagement

des PP

(1) Point d'entrée des

préoccupations communes

(4) Planification adaptative et

gestion / apprentissage continu

(7) Multiples intervenants

(2) Échelles multiples (5) Surveillance participative et

conviviale

(8) Logique de changement

négociée et transparente

(3) Multifonctionnalité (6) Résilience (9) Clarification des droits et

responsabilités

(10) Capacité des parties prenantes

renforcée

Ces trois composantes sont liées respectivement à la définition des objectifs, à la planification et à la gestion

adaptatives, et au partenariat des parties prenantes. Le point d'entrée (encadré 1) devrait être d'établir une

perception partagée par les parties prenantes du paysage futur souhaité en identifiant des buts et des objectifs

multiples en tenant dûment compte des spécificités biophysiques et temporelles à différentes échelles

d'interventions (encadré 2). La multifonctionnalité (encadré 3) du paysage devrait être reconnue pour refléter

la diversité des écosystèmes et les besoins des différentes parties prenantes (PP).

En ce qui concerne la composante de planification et de gestion adaptative, vise à optimiser les synergies et

réduire les compromis négatifs entre les utilisations. Les parties prenantes surveillent régulièrement les succès

et les défis des choix d'utilisation des terres, apprennent en cours de route et permettent des réponses rapides

pour gérer les risques (encadré 4). Ce suivi participatif et convivial (encadré 5) fournit des mécanismes de

rétroaction permettant une gestion adaptative qui devrait assurer la résilience (encadré 6) du paysage.

Le troisième volet se concentre sur les aspects institutionnels des approches et couvre la collaboration et

l'engagement global des parties prenantes. Toutes les parties prenantes doivent être impliquées et la

coordination doit être mise en place pour promouvoir une action collective (encadré 7). Tous les changements

durant la mise en œuvre du plan devraient être négociés suivant la logique de changement convenue (encadre

8). Les droits et les responsabilités de chaque groupe de parties prenantes doivent être clarifiés (encadré 9).

L'approche vise à renforcer en faisant la capacité des parties prenantes, learning by doing (encadré 10). Ces 10

principes sont repris en plus de détail par Sayer et al. 2013.

L’approche économique classique, analyse de secteur identifiants des investissements ordonnés par priorités

dans un budget, est complémentaire à l’AP décrite ici (Harou, 2018)9. Les investissements contraires à l’analyse

économique (pas financière) mais choisis suite à un compromis entre les parties prenantes, ont un cout

d’opportunité. L’étude économique permet de choisir entre les différentes alternatives mutuellement

exclusives d’utilisation des sols. Elle permet aussi d’établir un éventuel cout d’opportunité des alternatives

moins efficientes choisies lors d’une décision collégiale transparente et bien comprise par tous.

9 Harou P.A. 2018 (in Press) Framing investments in forestry service. In Farcy Ch. Et al. eds. Forestry in the midst of changes.

48

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Instruments pour intégrer les forêts dans le territoire

Une fois un plan établi, sa mise en œuvre devrait suivre rapidement pour ne pas perdre le dynamisme du

processus et des personnes impliquées. De nombreux instruments existent en foresterie pour guider la gestion

des forêts sur les terres privées (Harou, 198910

et Cubbage et al. 201411

). Il est difficile de classer

l'aménagement du territoire comme un instrument de commande et contrôle (CC). Ce n'est pas non plus un

instrument économique en soi. Cette approche consiste en un processus d'organisation du territoire qui assure

un écosystème et une économie plus durables grâce à un consensus des parties prenantes et une adaptabilité

aux changements

En France, de nouveaux instruments sont apparus pour mettre en œuvre cette approche paysage en foresterie

: La Chartre Forestière, la Forêt d'Exception, les Communes Forestières, le Plan d'Exploitation Concerté

Territorial et d'autres (ECOFOR)12

. Les initiatives indirectes au niveau des produits forestiers ont également dû

envisager un plan d'utilisation des terres suite à des politiques d’investissements partiellement subventionnés

dans les industries forestières françaises: les 1000 chaudières à bois, les 100 bâtiments publics en bois et les

plans d’approvisionnement des industries en grumes chevauchant des terres publiques et privées. Cependant,

le processus territorial est encore trop hiérarchique selon certains (Sergent, 201713

), et ne laisse donc pas assez

d'initiative aux parties prenantes locales.

Au niveau mondial, la nécessité de restaurer les écosystèmes forestiers dans une optique utilitaire à amener

différentes institutions UN, académiques, banques de développement et Organisations non-gouvernementales

à créer un réseau proactif dans ce domaine : The Global Partnership on Forest and Landscape Restoration

(GPFLR)14

. Le but commun de ces partenaires est de restaurer les écosystèmes forestiers disparus ou dégradés

avec les territoires qui les entourent en utilisant précisément l’AP décrite ici. Différents exemples de la mise en

place de cette approche se trouve sur leur site, le cas du Rwanda illustre bien l’approche proposée (Osten et al.

2018)15

.

Dans les pays en développement, l'Agence Française de Développement et la Banque mondiale ont mis en

œuvre l'approche paysage dans des pays écologiquement instables où la désertification menace la population,

comme dans les pays sahéliens. Une bonne revue est faite de la mise en œuvre de l'approche paysagère dans «

Approches Paysagères Intégrées pour les Zones Arides d’Afrique16

» mais avec des références aussi d'autres

régions ayant des conditions climatiques similaires dans le monde.

Les principaux enseignements tirés des pays au nord comme au sud sont que cette approche est d’autant plus

efficace que la cohésion sociale est élevée dans ce pays ou territoire. L'approche de Gestion Terroirs Villageois

ont été à la base de nombreux projets dans les années 80 dans tout le Sahel. Les résultats montrent que des

projets identiques dans différents pays, le Burkina et le Niger par exemple, mais aussi au sein d'un même pays,

10

Harou, P.A.1989 “Forestry Taxes and Subsidies for Integrated Land Use”. In Whitby M.C and P.J.Dawson .Land Use for Agriculture, Forestry and Rural Development. Proceedings of the 20th Symposium of the European Association of Agricultural Economists (EAAE) July 1989. Newcastle upon Tyne, England. P.86-93. 11

Cubbage F., P.A. Harou and E. Sills. 2007. Policy Instruments to Enhance Multi-functional Forest Management J. of Forest Policy and Economics. Vol. (9): 833-851. 12

Ecofor 2017. Approches territorialisées des usages de la foret http://docs.gipecofor.org/public/Reseau_SEHS_Recueil_des_resumes_vf.pdf 13

Sergent A. 2017. Pourquoi la politique forestière française ne veut pas du territoire Revue Forestière Française LXIX-2-2017 : 99-108 14

http://www.forestlandscaperestoration.org/about-partnership 15

Oesten C., A. Uzamukunda and H. Runhaar, 2018. Strategies for achieving environmental policy integration at the landscape level. A framework illustrated with an analysis of landscape governance in Rwanda. Environmental Science and Policy 83 (2018) 63–70 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1462901117306986 16

World Bank 2017 op.cit.

49

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

pouvaient donner des résultats radicalement différents. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la région la

plus aride pouvait faire souvent mieux que celle qui bénéficiait d’une plus grande pluviométrie. La dimension

de résilience est ancrée dans la culture de la population vivant dans un environnement plus difficile.

Ces résultats indiquent que l'aspect participatif de l'approche territoriale est primordial pour son succès. Il va

sans dire que plus la cohésion sociale des communautés vivant sur un territoire est élevée, plus le processus

participatif est susceptible d'être efficient et de pouvoir se faire avec un cout de transaction bas. L'un des

meilleurs aménagements du territoire en Europe pourrait bien être en Suisse, où la culture de la vie

communautaire est bien développée. Ce n’est pas un hasard.

Conclusion

L'instrument d'aménagement du territoire et l'approche paysage tels que décrits ici devraient permettre

d'intégrer tous les aspects du développement économique durable dans le temps et l'espace entre tous les

secteurs d'une économie, y compris le secteur forestier. L'approche est bien adaptée pour aborder les

changements futurs et l'incertitude concernant l'utilisation des terres forestières si elle est appliquée de

manière véritablement participative, adaptative et dynamique.

La recherche dans ce domaine est nécessaire pour rendre compte de la mise en œuvre de l'approche de

l'utilisation intégrée des terres forestières dans le territoire en termes plus quantitatifs. Les nouvelles

technologies cartographiques et de manipulation de base de données gigantesques facilitent le travail du

géographe, du planificateur et de l’analyste qui offre plus détaillées que jamais les différentes alternatives de

l’utilisation des sols. La synthèse des expériences acquises dans les différentes approches d'intégration des

forêts dans l'aménagement du territoire en Europe devrait être encouragée par les fonds de recherches

destinés au secteur forestier et aux corridors de biodiversité européens.

SESSION 3 | LE PARI TERRITORIAL

La filière forêt-bois à l’aune du pari territorial

Jonathan LENGLET

LERFoB, AgroParisTech, INRA, F-54000, Nancy, France

Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, LADYSS

La filière forêt-bois se trouve actuellement confrontée à des changements rapides, d’échelles et de natures

différentes : attentes sociétales en évolution, marchés du bois globalisés, politique forestière ambigüe… Ces

facteurs de transformation structurelle perturbent la régularité du système productif, l’équilibre politique mais

réinterroge aussi les articulations filière-territoire. Si ces dynamiques globales laissent présager d’un secteur en

lente conversion vers une économie « déterritorialisée », une analyse des changements observés sur le terrain

met en évidence d’autres voies de réaction et d’adaptation mobilisant localement les acteurs et leur territoire.

La notion de territoire est désormais largement mobilisée dans les discours, tant des décideurs publics qu’au

sein des différents secteurs économiques. Le secteur forestier n’échappe pas à la règle. Nous cherchons ici à

comprendre l’importance stratégique de ce recours et les interrogations que cela soulève en termes

d’approches renouvelées de la filière forêt-bois.

L’accroissement considérable des mobilités, à la fois des personnes, des capitaux mais aussi des connaissances,

a engendré une perte de cohésion fonctionnelle et symbolique au sein des territoires. C’est en réaction à cette

forme de dilution dans la mondialisation que surviennent remises en cause et propositions d’adaptation.

Depuis l’avènement de ce qui semble se dessiner comme une période post-fordiste, la recherche de territoires

supposés évaporés au profit de la mondialisation émerge comme moyen de reprendre les clés du

développement local et régional (Pecqueur, 2007; Torre et Filippi, 2005). L’objectif poursuivi dans notre analyse

de la filière forêt-bois est de décrypter les processus d’adaptation mis en place par ses acteurs, à la fois dans un

contexte mondialisé et de multiplication des formes d’action territoriale. Nous proposons à cet effet une

approche renouvelée de trois clés de lecture pour la filière forêt-bois : les ressources, l’innovation et le

territoire comme modalité de l’action.

Elargir la conception classique des ressources forestières permet de tenir compte des initiatives de valorisation

locale et de la réappropriation de ces ressources par les acteurs territoriaux. La ressource est un élément

fondamental du processus de création de valeur. Elle peut être définie comme la rencontre entre un objet et

un système de production dédié, activé par un réseau d’acteur opérant à des fins stratégiques (Kebir, 2006).

Les ressources sont pour partie matérielles mais aussi largement symboliques, permettant aux acteurs de miser

sur une forme alternative d’économie de la différenciation. Ainsi, un processus de requalification peut

permettre la transformation d’une partie de la production en ressource spécifique via l’activation d’actifs

territoriaux (facteurs culturels, historiques, savoir-faire). Miser sur la spécification donne les moyens aux

acteurs de contrarier les flux nationalisants ou extra-nationalisants et d’opérer un recentrage local motivé par

une logique territoriale stratégique. L’activation d’une ressource spécifique s’inscrit dans un développement à

plusieurs phases (révélation, élargissement, développement, renouvellement), engendré par une synergie

entre processus cognitifs, relationnels et organisationnels, liant les acteurs à l’objet dans un premier temps,

puis, entre eux-mêmes (Janin et al. 2015). Ces considérations amènent à envisager le territoire comme un

véritable moteur de spécification car il fournit d’une part le liant nécessaire à l’activation des proximités

géographiques, relationnelles et institutionnelles (génératrices de réseaux d’acteurs) mais aussi le cadre

d’émergence des actifs de spécification. Le récent engouement pour la recherche de l’origine des produits et

de leur traçabilité dans la filière témoigne de cette bifurcation dans les processus de valorisation des ressources

forestières. Pour de nombreux acteurs, la labellisation est désormais appréhendée comme un outil à part

entière, permettant de contrecarrer la déconnexion entre production et consommation et ainsi de s’extraire de

52

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

l’anonymat des marchés ouverts. Groupés autour de marques territoriales, collectives, de certification produit

ou d’AOC les acteurs développement une base argumentaire d’ordre technique, esthétique ou historique

permettant de légitimer leur spécificité produit. Si la démarche porte ses fruits dans le domaine

agroalimentaire, elle soulève néanmoins la question de la pertinence des processus de patrimonialisation1 dans

le cas de produits bois qui ne constituent pas, à priori, des repères identificatoires marqués (Muchnik, 2011).

De plus, les initiatives de requalification misant sur une logique de labellisation peuvent être génératrices de

tensions entre territoires et entre acteurs. Lorsque la requalification s’opère à destination de l’extérieur du

territoire, dans une démarche d’ouverture, de rayonnement, la question des moyens alloués à cette

spécification est la plus prégnante. A l’inverse, lorsque la démarche s’inscrit dans une logique de fermeture

(restriction d’accès aux marchés et aux appels d’offres), les désaccords s’expriment sur les finalités de l’action.

Si les territoires sont largement mobilisés comme autant de leviers de réappropriation des ressources, ils

peuvent aussi jouer un rôle catalytique dans les processus d’innovation durable. Les innovations durables sont

conçues comme les outils dont se dotent les acteurs économiques pour opérer une transition vers une

durabilité renforcée (Kebir et al., 2017). Elles associent pleinement les facteurs environnementaux et sociaux à

un objectif d’amélioration de la compétitivité dans une logique d’encastrement territorial. Ainsi les innovations

durables sont à la fois source d’amélioration des performances productives, notamment environnementales,

mais aussi génératrices d’externalités positives à large spectre, jouant directement un rôle dans la construction

territoriale. Dans le secteur de la construction, les programmes de soutien à la réalisation de bâtiments en bois

local sont un exemple parlant de la mise en pratique de ces innovations sous forme de projets de

démonstration (Späth et Rohracher, 2012). Ces projets impulsés au niveau local – parfois portés par des

fédérations nationales comme dans le cas du programme « 100 Constructions publiques en Bois Local » de la

FNCOFOR – sont efficaces pour attirer l’attention médiatique, les efforts d’une recherche dédiés mais aussi les

financements, principalement publics, et ce en dépit de l’utilisé fonctionnelle du prototype. Ce dernier point

peut s’avérer conflictuel et freiner voire empêcher la légitimation de l’action, préalable à sa généralisation.

Néanmoins les phases de conflit ne sont pas toujours préjudiciables et constituent de bons indicateurs de la

réticence au changement d’un territoire ou d’un secteur particulier. Ces tensions offrent aussi de réelles

opportunités de mise en débat des perspectives de développement et constituent une forme d’apprentissage

de la gouvernance au niveau local qui parfois peut s’avérer insuffisamment développée.

Les questions de gouvernance permettent par ailleurs de décentrer le niveau d’analyse classique, national ou

international, pour mieux appréhender les dynamiques locales d’appropriation des enjeux forêt-bois. On

observe ainsi une multiplication des formes de gouvernance territoriale ayant pour objectif l’implémentation

d’ensembles de règles et de routines prévalant dans le cadre de la gestion de projets thématiques (Leloup,

Moyart, et Pecqueur, 2005). La création de nombreux fonds de plantations forestiers locaux, publics ou privés,

et fonctionnant de manière très diversifiée en est l’un des témoins. D’autres projets à plus large échelle comme

le portefeuille « Feel Wood » du programme Interreg France-Wallonie-Vaanderen de l’Union Européenne

proposent le déploiement d’actions transfrontalières pour, notamment, le développement d’une filière bois en

circuit court et le soutien au reboisement en résineux et peupliers de la région. La multiplication de ces actions,

à plus forte raison sur des thématiques peu portées par les politiques publiques, interrogent l’approche

fonctionnaliste d’une filière forêt-bois calquée sur le découpage politico-administratif national comme seul

cadre de l’action (Berzi, 2017).

Si ces propositions plaident pour une vision renouvelée du rôle des territoires – non plus comme simple

support ou réceptacle d’actions par nature a-territoriales mais bien comme porteurs de nouveaux modèles

1 On pourra nuancer et utilement compléter ce point par la lecture de la communication de Christine Farcy à ce même

colloque : « Représentations sociales des forêts dans les sociétés urbanisées ».

53

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

économiques – cette perspective ne doit pas pour autant éluder les limites de la démarche. Ainsi, le recours au

territoire peut s’avérer délétère lorsqu’il exacerbe les clivages institutionnels en interne et qu’il oppose

logiques territoriales et sectorielles. La difficile intégration de la composante territoriale dans la politique

forestière nationale et les tensions au sein de la FNB en sont des exemples (Sergent, 2017). Le risque

intrinsèque d’invocations incompatibles du territoire (ouverture contre enfermement) représente lui aussi une

menace pour la viabilité des projets, le développent des territoires, du secteur et le renforcement de leur

durabilité à moyen terme. Enfin, la vigilance doit prévaloir lors de la promotion d’approches méso contre

l’émergence d’une certaine forme de « territorialisme méthodologique » (Scholte, 2000) qui retirerait au

territoire forestier son caractère dynamique de projet politique et social et l’isolerait des processus globaux

desquels il est fondamentalement dépendant. Ainsi, il apparait primordial de renvoyer la rhétorique territoriale

à son inscription dans une négociation multi-échelles, entre acteurs du secteur forestier mais aussi – et

désormais au-delà – vers les attentes d’une société en changement.

Eléments de bibliographie

Berzi, M. (2017) « The Cross-Border Reterritorialization Concept Revisited: The Territorialist Approach Applied to the Case

of Cerdanya on the French-Spanish Border ». European Planning Studies no

25 (9), pp. 1575-1596.

Janin, C., Peyrache-Gadeau, V., Landel, P-A., Perron, L., Lapostolle, D., et Pecqueur, B. (2015) « L’approche par les

ressources : pour une vision renouvelée des rapports entre économie et territoire ». In Partenariats pour le développement

territorial, Torre, A. et Vollet, D., pp. 149-163.

Kebir, L. (2006) « Ressource et développement régional, quels enjeux ? » Revue d’Économie Régionale & Urbaine, no

5,

pp.701-723.

Kebir, L., Crevoisier, O., Costa, P., et Peyrache-Gadeau, V. (2017) Sustainable innovation and regional development:

rethinking innovative milieus. New horizons in regional science. Cheltenham, UK: Edward Elgar Publishing, 267 p.

Leloup, F., Moyart, L.. et Pecqueur, B. (2005) « La gouvernance territoriale comme nouveau mode de coordination

territoriale ? » Géographie, économie, société no

7 (4), pp. 321‑31

Muchnik, J. (2011) « Introduction: Ancrage et identité territoriale des systèmes agroalimentaires localisés ». Économie

rurale. Agricultures, alimentations, territoires, no

322, pp.4–10.

Pecqueur, B. (2007) « L’économie territoriale : une autre analyse de la globalisation ». L'Économie politique, no

33 (1), pp.

41‑52.

Scholte, J-A. (2007), Globalization: A critical introduction, Palgrave Macmillan, 384 p.

Sergent, A. (2017), « Pourquoi la politique forestière française ne veut pas du territoire ». Revue Forestière Française, no 69,

pp. 99‑109.

Späth, P., et Rohracher, H. (2012), « Local Demonstrations for Global Transitions—Dynamics across Governance Levels

Fostering Socio-Technical Regime Change Towards Sustainability ». European Planning Studies, no

20 (3), pp.461‑79.

Torre, A., et Filippi, M. (2005), « Les mutations à l’oeuvre dans les mondes ruraux et leurs impacts sur l’organisation de

l’espace ». In Proximités et changements socio-économiques dans les mondes ruraux, Filippi, M. et Torre, A., Un point sur.

Paris: INRA, pp. 1‑36.

Mobilisation supplémentaire de bois et acceptation sociale.

Retour sur une expérience participative en Morvan

Seydou HAIDARA1, Nicolas AURY

2, Sylvie LARDON

3

1 AgroParisTech, Clermont-Ferrand

2 DRAAF Bourgogne-Franche-Comté, Dijon

3INRA & AgroParisTech, UMR Territoires, Clermont-Ferrand (Auteur correspondant)

Contexte et problématique

En Bourgogne-Franche-Comté, la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF),

le Conseil régional et l'interprofession ont entrepris la rédaction d'un document stratégique de filière

dénommé « Contrat forêt-Bois Bourgogne-France-Comté » pour la période 2017- 2027. Ce document est la

déclinaison du programme national forêt-bois (PNRB) et du contrat stratégique de la filière. L’objectif principal

est la mobilisation supplémentaire de bois à l’horizon 2028 en fixant des priorités environnementales et

sociales à plus de 1 324 000 m3 annuel contre une récolte actuelle de 759 000 m3. Dans ce cadre, la DRAAF a

souhaité mener une réflexion sur l’acceptabilité sociale des travaux forestiers pour atteindre les objectifs de

prélèvements visés par le Contrat Forêt-Bois sur un territoire ciblé, le Parc naturel régional du Morvan. Nous

analysons les représentations de la forêt par les acteurs du Morvan, les relations entre les acteurs et les

propositions d’action pour une gouvernance partagée de la forêt morvandelle dans ce contexte de mutation.

Méthode

Le PNR du Morvan

Situé au cœur de la Bourgogne, le PNR du Morvan s’étend sur une superficie de 281 400 hectares avec une

couverture forestière d’environ 48 % du territoire. Le Morvan approvisionne Paris en bois de chauffage par

flottage pendant la période du XVIe et la fin du XIXème siècle, ce qui met les forêts morvandelles à forte

contribution. Au sortir de la seconde guerre mondiale, l’État mettra en place une politique volontariste de

reboisement en résineux, pour répondre aux besoins de la nouvelle économie majoritairement tournée vers

une production de bois d’œuvre. La dépréciation de la valeur des bois feuillus, l’enfrichement des terres

agricoles et l’avantage économique de nouvelles essences de résineux ont influencé le succès de cette politique

dans le Morvan. Les reboisements se font presque exclusivement en résineux notamment en Douglas ; ils

représentent aujourd’hui 50 % de la surface forestière dans le Morvan et arrivent à maturité dans certains

secteurs.

Itinéraire méthodologique

Nous avons réalisé des entretiens semi-directifs auprès de trente-cinq acteurs professionnels ou institutionnels

(DREAL, experts forestiers, coopératives forestières, associations protectrices de l’environnement, société

forestière) et d’acteurs locaux (élus, propriétaires, touristes) des communes d’Anost, Gouloux, Montsauches-

les-Settons, Ouroux-en-Morvan et Villapourçon. Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits puis soumis à

une analyse de contenu des discours (Negura, 2006). Elle consiste en la lecture des entretiens, l'identification

de mots clés puis leur regroupement pour dégager les dissemblances et ressemblances et les différentes idées

véhiculées. Cela nous a permis de catégoriser les différentes visions que les acteurs ont de l'espace forestier et

de donner un sens à leurs discours.

Nous avons également organisé deux ateliers participatifs dans les communes d’Anost et de Montsauche-les-

Settons, qui ont réuni au total 60 personnes issues du monde forestier, ainsi que des associations, des élus et

des habitants. Nous avons utilisé la méthodologie du « jeu de territoire » (Lardon, 2013). C’est un jeu

d’expression visant à construire une vision partagée des dynamiques et des enjeux du territoire. Il facilite la

55

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

participation des différents acteurs et l’implication dans l’action collective. Il se joue en trois étapes : un

diagnostic partagé des principales structures et dynamiques du territoire, des scénarios d’évolution relatifs aux

enjeux identifiés, des pistes d’action à mettre en œuvre collectivement.

Résultats

1. Les représentations de la forêt

Une représentation sociale correspond à la construction mentale d’un objet perçu dans la réalité, avec toutes

les influences liées à la perception et à la sphère socioculturelle et professionnelle de chacun (Moscovici, 1984).

Quatre types de représentations liées à la forêt sont apparues.

La Forêt source d’activité économique et pourvoyeuse d’emplois locaux

C’est la représentation que se fait un grand nombre de professionnels de la filière bois. L’acteur développe avec

la forêt une relation basée sur la pratique de son activité professionnelle. Cette représentation de la forêt a été

soutenue par plusieurs groupes d'acteurs, notamment les interprofessions et l’association des entrepreneurs

de travaux forestiers. Cependant, ils montrent également un intérêt pour la gestion durable des ressources.

La Forêt de feuillus, réservoir de biodiversité

Cette représentation de la forêt est partagée par les associations environnementales qui s’opposent à la

sylviculture pratiquée dans le Morvan, tournée vers une monoculture de conifères avec une courte rotation

d'environ 40 ans, qui transforme les forêts en usines à bois. Ce type d’exploitation conduit au lessivage des sols

après les coupes, à l’écrasement de sources par les gros engins, avec des impacts sur l’eau et le paysage. Ces

acteurs prônent une diversification des essences, des classes d’âges et surtout le maintien des feuillus qui

étaient dominants auparavant, pour la préservation de la biodiversité et de l’équilibre de l’espace forestier. Ils

considèrent les forêts feuillues comme le poumon vert du Morvan, productrices de carbone, et aussi comme

une arme efficace dans la lutte contre le changement climatique.

La Forêt, élément du cadre de vie

La présence de gros engins dans la forêt, ainsi que le bruit occasionné et le transport du bois, sont associés à

l'exploitation forestière et semblent déranger un certain nombre d'habitants notamment les touristes et les

néo-ruraux. Ils considèrent la forêt comme un lieu de pratique récréative, ou encore un lieu de nature, en ne

tenant pas compte de l'aspect économique. Ils considèrent le forestier comme un destructeur de la forêt. Ainsi,

les coupes à blanc sur les collines et les quantités de bois sorties de la forêt leur semblent choquantes.

La Forêt, patrimoine à préserver et à transmettre

Les propriétaires forestiers privés accordent un regard esthétique à la forêt, ainsi ils développent un lien fort

souvent entre eux et la forêt, car elle est légataire d'une histoire familiale. La gestion patrimoniale est une

gestion dite raisonnée et durable de la forêt qui consiste en l'amélioration des arbres par l'élagage, des coupes

d’éclaircie, l'amélioration des infrastructures comme des pistes forestières, le drainage des cours d'eau, afin de

récolter les bois mûrs, tout en assurant leur renouvellement, soit naturellement ou soit par plantation.

2. Les interactions autour de la forêt

Nous distinguons trois types de relation entre les acteurs autour de la forêt dans le Morvan.

- Relation professionnelle :

56

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Les acteurs institutionnels de la gestion de la forêt (DRAAF, CRPF, PNR du Morvan) se consultent sur les

questions importantes qui concernent la gestion forestière. L’interaction entre le CRPF et les propriétaires

forestiers est une relation professionnelle, qui consiste à accompagner les propriétaires privés dans le

développement et l'orientation de la gestion des forêts : agrément des plans et des règlements de gestion,

adoption des méthodes de sylviculture favorable à une gestion durable par la formation et la vulgarisation.

- Relation de confiance :

L’objectif du PNR du Morvan, qui est l'aspect environnemental, plus particulièrement la préservation des

feuillus et la limitation des coupes à blanc dans la forêt, lui permet d’entretenir des rapports de confiance avec

les associations protectrices de l’environnement. Par ailleurs, les professionnels de la filière bois et les agents

de l’État entretiennent un rapport professionnel basé sur la confiance, qui s’explique par les objectifs de

mobilisation supplémentaire de bois.

- Relation de méfiance :

Celle-ci met en évidence l’opposition des objectifs des différents groupes sur la gestion forestière. Ainsi, les

associations environnementales percevront la DRAAF, les interprofessions de la filière bois, le CRPF… comme

des institutions moins dignes de confiance. Cette relation de méfiance est aussi celle qui caractérise le rapport

des interprofessions et du PNR du Morvan. Les premiers reprochent aux seconds de s’éloigner des principes

d’un parc, qui consiste à ''protéger et développer le territoire'' en lieu et place d’opter pour une limitation des

coupes et d’être de plus en plus proche des associations environnementales.

3. Les propositions d’action pour le futur des forêts morvandelles

Le jeu de territoire a révélé la coexistence de modèles de développement pour le territoire (Hervieu et

Purseigle, 2015) et les difficultés de l’action collective, entre acteurs institutionnels, professionnels et locaux

(Crozier et Friedberg, 1977). Plusieurs propositions actions ont néanmoins été énoncées lors de ces ateliers et

débattues à la restitution. Elles concernent les aspects suivants :

Société et forêt : Ces propositions d’action mettent en évidence le lien entre la société et la forêt, pour contrer

le manque de confiance entre les acteurs de la filière et les pouvoirs publics. Ces actions nécessitent de mieux

communiquer sur la forêt et de la filière forêt-bois auprès du grand public et les messages peuvent être très

divers : préservation de la nature, des paysages, siège d'une activité économique, etc. Elles encouragent les

groupements forestiers et le partage de l’espace.

Sylviculture : Ces propositions visent à faire évoluer la sylviculture par l'incitation (formation, information,

incitation financière, etc...) et par la contrainte (interdiction, réglementation…), pour un meilleur équilibre

feuillus-résineux.

Agriculture et politique : Au-delà de l’aspect forestier, les acteurs ont mis un accent particulier sur les aspects

agricoles (Diversifier et redynamiser l’agriculture, Promouvoir une agriculture paysanne, respectueuse de

l’environnement et rémunératrice, Encourager l’agroforesterie) et politiques (Changer les lois ou transformer le

PNR en PN).

Les pistes d’action proposées ont été mises en regard des actions menées, prévues ou à explorer par les

politiques publiques. Les idées à approfondir sont : mieux communiquer sur les activités de la forêt auprès des

jeunes, des élus et des populations, favoriser la réappropriation de la forêt par les habitants et d’instituer une

gouvernance qui associe plus la population, accompagner un projet de développement territorial intégrant

forêt, agriculture et tourisme,…

57

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Conclusion

La forêt n’est pas qu’une réserve de bois, elle revêt aussi une dimension sociale. Elle constitue une ressource

pour les sociétés (biodiversité, lutte contre le changement climatique et ressource d'approvisionnement) et

plusieurs pratiques s'y croisent. Les représentations sociales de la forêt que se font les acteurs, sont cruciales

dans la compréhension des jeux d'acteurs dans un contexte de mutation.

Les leçons tirées de cette étude, tant sur les conditions d’usage des démarches participatives que sur les

modalités d’acceptabilité sociale des dynamiques forestières seront utiles à l’accompagnement des territoires

de projets dans la région Bourgogne Franche-Comté.

Références bibliographiques

Crozier M et Freidberg E. 1977. L'acteur et le système, les contraintes de l'action collectives. Paris, Éditions du Seuil,

Collection Sociologie politique, 478 p.

Depraz S, Cornec U et Grabski-Kieron U. (dir) 2015. Acceptation sociale et développement des territoires. ENS Éditions. p

178

Hervieu B. et Purseigle F., 2015. The sociology of agricultural worlds: from a sociology of change to a sociology of

coexistence. Revue d’Études en Agriculture et Environnement / Volume 96 / Issue 01 / March 2015, pp 59 – 90. DOI:

10.4074/S1966960715001058, Published online: 17 June 2015

Lardon S., 2013. Developing a territorial project. The « territory game », a coordination tool for local stakeholders, FaçSADe,

Research results, No 2013 / 38, 4p.

Negura L., 2006. L’analyse de contenu dans l’étude des représentations sociales, sociologies. [En ligne], URL :

sociologie.revue.org/index993.html. Consulté le 08/07/2017.

Moscovici S., 1984. Psychologie Sociale. Paris PUF, 640p.

Blocages et changements dans la mobilisation du bois du Sud-Est de la France

Yves POSS

AgroParisTech Clermont Ferrand, PNR de Millevaches, PNR du Livradois Forez

La mobilisation du bois dans le Sud Est de la France est en pleine évolution. Le système semblait figé, mais une

rupture est apparue, ces dernières années, liée à l’irruption du bois énergie pour des centrales collectives ou

industrielles, et une organisation nouvelle s’instaure, avec l’émergence de « terrains de vie ».

Cet aperçu s’est inspiré de la nouvelle économie institutionnelle, notamment du livre d’Elinor Ostrom « pour

une nouvelle approche des ressources naturelles »1.

1- Une forêt régionale mal mise en valeur

Depuis plus de quarante ans, la région Provence Alpes Côte d’Azur est importatrice nette de bois d’industrie-

bois énergie : résineux rouges pour l’usine de pâte à papier de Tarascon sur Rhône (1 150 000 tonnes/an2), et

bûches de feuillus pour les foyers ouverts des Marseillais. Mais elle envoie des grumes résineuses de ses

régions alpines vers Rhône-Alpes ou vers l’Italie.

De fait, cette région vivait avec la confrontation de deux quasi monopoles, de vente pour l’Office national des

forêts, d’achat pour Tarascon, avec une sous exploitation globale. La ressource en bois d’œuvre y connaît une

valorisation non optimale, avec des débouchés éloignés ou des établissements qui n’étaient guère

performants : les scieurs locaux qui « craignent un comportement opportuniste de la part de leur fournisseur,

peuvent être découragés d’investir. Le passage à la bio-économie implique un changement simultané d’un

grand nombre d’acteurs, et donc une capacité de coordination qui nécessite soit une propension à la

coopération, soit une garantie de la puissance publique suffisamment efficace »3. La position dominante de

l’acheteur pour l’usine de pâte à papier a pu aussi décourager la concurrence. L’arbre des causes de cette sous-

exploitation régionale n’a pas été instruit, peut-être par suite de la présence des représentants de cet acheteur

principal dans les divers think tanks régionaux et nationaux …

Avec le temps, la forêt provençale s’est étendue, les arbres ont grossi, et ces disponibilités grandissantes ont

été révélées par l’inventaire forestier. Ces disponibilités technico-économiques ne forment pas une offre : la

cellule biomasse de Marseille a été consciente de la tension sur la collecte de la ressource, entre le potentiel

existant dans les forêts, et les intentions de mise en marché : elle a exprimé sa réticence, pour le moins, vis à

vis d’une utilisation industrielle du bois énergie. Car les chiffres de disponibilités peuvent être trompeurs : les

rémanents contribuent au maintien des sols forestiers en bon état : ils ne sont guère « offerts ». Quelque 50 %

du bois d’industrie-bois énergie seraient liés à la récolte de bois d’œuvre4 : on ne collecte guère les houppiers

avant que le tronc soit coupé. De plus, le débit des grumes génère des « produits connexes de scierie », qui

1 Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs, pour une nouvelle approche des ressources naturelles, De Boeck éd.,

Louvain-la-Neuve, 2010, 301 p. 2 Fibre excellence, présentation, http://www.fibre-excellence.fr/fibre-excellence-tarascon.php#approvisionnement_bois,

consulté le 27 février 2018. 3 Jean-Marc Callois, De l’importance d’une prise en compte des aspects sociaux et institutionnels dans la mobilisation de la

biomasse à finalité énergétique. Innovations Agronomiques, INRA, 2017,54 (janvier), pp. 31-39.

4 IGN/fcba, Disponibilités forestières pour l’énergie et les matériaux à l’horizon 2035, 2016, annexe 15, p. 28,

http://inventaire-forestier.ign.fr/spip/spip.php?rubrique204, consulté le 27 février 2017.

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

contribuent à alimenter les usines et les centrales. S’il n’y a pas de débouchés suffisants pour les bois d’œuvre,

ou en cas d’exportation de grumes, les disponibilités annoncées en BIBE sont gonflées.

Il est toujours pertinent de privilégier la transformation locale du bois d’œuvre. « Pourtant, les politiques

actuelles, comme le Plan national forêt bois, semblent tourner le dos à la valorisation de ces interactions,

privilégiant des approches par filières cloisonnées »5

2 – L’irruption de nouveaux acheteurs de bois, et les tensions générées

Ces dernières années, des débouchés nouveaux sont apparus.

Une scierie moderne s’implante dans le Var, pour des grumes résineuses issues tant des Alpes maritimes que

du Var et de Haute Provence.

Et, sur la foi de l’inventaire forestier, les incitations publiques en faveur du bois énergie ont contribué à

l’installation de chauffages collectifs au bois, d’une part, et d’autre part de centrales thermiques, à Brignoles

(consommation de 180 000 t/an de biomasse), et par reconversion, à Gardanne (consommation totale de 850

000 t/an de biomasse). De nouveaux opérateurs s’installent : ce sont soit les collectivités, sur des ressources de

niche, locales, soit des énergéticiens, avec une approche plus globale.

Pour la région Provence Alpes Côte d’Azur, en mettant en regard les dernières données, précisant les unités et

les incertitudes, la récolte annoncée pour le centrale de Gardanne serait de l’ordre du vingtième du volume

stocké annuellement, 90 000 tonnes6 pour 1,9 millions de tonnes de gain en capital ligneux

7. Le bois serait là,

en forêt. Mais pas l’offre, pas les habitudes, pas l’organisation d’une sylviculture adaptée.

Ce qui a soulevé « le dilemme entre un modèle de développement territorialisé basé sur un maillage de petites

unités, par opposition au déploiement de filières industrielles recherchant les économies d’échelle (et avec, a

priori, moins de retombées directes sur les territoires fournissant la ressource) »8.Le Fonds chaleur finançait les

chaudières collectives, et la Commission de régulation de l’énergie les centrales thermiques. Il n’est pas évident

que la ponction sur la ressource ait été concertée entre eux.

Craignant des conséquences négatives de cette récolte pour les forêts méditerranéennes, diverses entités, y

compris collectivités publiques, ont voulu arrêter le projet de Gardanne. Elles ont saisi le Tribunal administratif

de Marseille : celui-ci, par décision du 8 juin 2017, a prononcé l’annulation de l’autorisation d’exploiter, compte

tenu de l’insuffisance de l’étude d’impact :

- eu égard à l’importance des prélèvements en bois forestier, qui devraient représenter à terme, 35 %

du gisement forestier disponible dans un rayon de 250 km autour de la centrale, les conditions

d’approvisionnement en bois forestier constituent un élément essentiel de l’exploitation,

- l’étude d’impact est insuffisante dès lors qu’elle ne comporte pas d’analyse des effets « indirects et

permanents » sur les zones de prélèvement en bois ;

5 Marc Deconchat et al., Les forêts dans les territoires agricoles : nouveaux atouts d’une relation bénéfique, Colloque

Approches territorialisées des usages de la forêt, 2017, p. 12. N.B. : ici, « plan » doit être lu comme « programme ». 6 Pascal Charoy, Pédagogie dans les forêts de Gardanne, in la forêt privée, n° 350, juillet-août 2017, encart de la p. 42

7 IGN, Portrait forestier de treize régions, in l’if, n° 37, avril 2016, p. 13, https://inventaire-

forestier.ign.fr/IMG/pdf/IF_37.pdf, consulté le 27 février 2018. 8 Jean-Marc Callois, Des chaufferies bois collectives aux bio-raffineries : quelle territorialisation de la bio-économie ?,

Colloque Approches territorialisées de la forêt, 2017, p. 6.

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

- cette insuffisance de l’étude d’impact a eu pour effet de nuire à l’information complète de la

population, au stade de l’enquête publique, et a été de nature à exercer une influence sur la décision de

l’autorité administrative.

L’État a interjeté appel de cette décision, et le Préfet a pris un arrêté provisoire pour autoriser la poursuite de

l’exploitation, à échéance fin du premier trimestre 2018, dans l’attente de la décision de justice.

Pour poursuivre son exploitation, l’industriel est invité à élargir son étude d’impact à 17 départements,

« territoire défini par les entités dont il dépend.»9

3 – L’émergence de nouveaux partenariats ?

Dans ce contexte incertain, de nouveaux comportements émergent, et des initiatives nouvelles seraient

possibles. La centrale finance « simultanément 28 projets dans le cadre d’un soutien à l’expérimentation et à

l’innovation, et (…) travaille à la structuration de la filière forêt bois »10

L’administration semble découvrir que « la gestion forestière durable est encore sous représentée dans la

région, seules 40% des forêts privées de 25 ha et plus bénéficient d’un PSG »11. CRPF et Fransylva s’engagent

dans « une pédagogie de terrain »12

pour faire admettre l’exploitation forestière : alors que la gestion

forestière de Provence Alpes Côte d’Azur semblait en avant garde dans un cadre post industriel, privilégiant les

services et les aménités forestières, elle semble assumer les contraintes d’une société hyper-industrielle13

, où

le respect de l’environnement et des services rendus doit aller de pair avec une utilisation optimisée des

ressources du sol. Car « en faisant des choix sur les modèles de production des bio-ressources, on touche à

l’environnement direct des habitants, pas seulement ceux qui exploitent ou ceux qui transforment les

produits »14

Dans le Gard, émerge un partenariat entre les propriétaires forestiers et les utilisateurs de la ressource, Uniper

ou Fibre excellence, pour une mise en valeur de la châtaigneraie dépérissante : les acheteurs de bois

contribuent financièrement aux indispensables plantations.

À Gardanne, la complémentarité entre le bois d’œuvre et le bois énergie pourrait se concrétiser par

l’installation d’une scierie sur le parc à bois de la centrale thermique : « aujourd’hui, il s’agit de marier

production de sciage, énergie, granulés, chimie ».15

Cela s’inscrit dans un processus récursif16

essayant de

construire une démarche intégrée entre la diversité de la ressource, en dimensions et qualités, les techniques

de transformation, et les débouchés acquis, existants ou potentiels.

9 Bruno Latour, La mondialisation fait-elle un monde habitable ?, in Territoire 2040 : prospective périurbaine et autres

fabriques de territoires, La Documentation française éd., Paris, 2010, pp. 9-18. 10

Pascal Charoy, Pédagogie dans les forêts de Gardanne, in la forêt privée, n°350 de juillet- -août 2017, p. 41. 11

Bernard Rérat, d’après DREAL Provence Alpes Côte d’Azur, 2015, in La forêt privée, n° 358, novembre décembre 2017, p. 54. 12

Pascal Charoy, Les opérations de pédagogie n’ont pas suffi à convaincre les opposants à la centrale de Gardanne, in la forêt privée, n° 358 , novembre décembre 2017, p. 52. 13

Pierre Veltz, La société hyperindustrielle, La république des idées, Éd. du Seuil, Paris, 2017, 128 p. 14

Jean-Marc Callois, Optimiser la capacité productive des espaces ruraux : l’opportunité de la bioéconomie, in René Souchon, Ruralité, quel avenir ?, Éd. de l’Aube, 2017, p. 116. 15

Fédération nationale du bois, Revendications de la FNB, zoom, in le Bois international, 23-30 décembre 2017, p. 14. 16

Edgar Morin, la Méthode, in la Nature de la Nature, Éd. du Seuil, Paris, 1977, p. 259

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

La centrale thermique de Gardanne est une causalité externe17

. Son impact a dépassé le seuil de tolérance de

l’organisation de la filière bois dans le Sud Est de la France : des territoires, des terrains de vie18

se découvrent

comme des entités capables de générer des processus d’innovation. Ils ont perçu les changements qui se

produisent ailleurs, ils réalisent des projets pour s’y adapter, et pour stimuler ainsi les activités économiques

dans les régions où ils sont localisés : « les ressources naturelles n’existent pas, il n’y a que des ressources

construites ! 19

»

En pratique, comment vont évoluer les forêts du Sud Est de la France ?

Selon les choix régionaux qui seront faits, de simple collecte du bois énergie, ou d’une gestion forestière

ménageant peuplements, paysages et milieux, ces terrains de vie sauront-ils réfléchir sur l’organisation pour

construire une organisation nouvelle ? Il s’agit de dépasser les systèmes de production pour devenir des

systèmes d’engendrement20

, tels que les décrit Bruno Latour, autrement dit des « systèmes substantiels dotés

d’autonomie, ayant la capacité de percevoir, d’imaginer et de mettre en œuvre leur propre

développement »21

?

L’irruption de la centrale de Gardanne pourrait ouvrir vers une meilleure gestion des forêts du Sud-Est de la

France, en imposant de nouvelles relations, de nouvelles pratiques des acteurs forestiers.

L’avenir est ouvert…

17

Edgar Morin, ib., p. 353. 18

Bruno Latour, Où atterrir, Comment s’orienter en politique, Éd. la Découverte, Paris, 2017, p. 120. 19

Olivier Crevoisier, Ressources, et territoires, : construction, concepts et théories, présentation lors du colloque « Dynamiques des ressources territoriales », Clermont-Ferrand, 20 février 2008. 20

Bruno Latour, ib ., pp. 106-125 21

Olivier Crevoisier & Ariane Muller, Évolution économique d ea filière bois. Une analyse par les milieux innovateurs, in Économie rurale, 1998, 248, pp. 29-37

Les mutations dans la gouvernance de la forêt et de la filière bois

Etienne POURCHER

EP Conseil et stratégie

1. Une gouvernance historique qui se diversifie

Autrefois essentiellement patrimoniale, pour l’Etat et les communes forestières, la forêt devient de plus en plus

un territoire de projets dans les domaines économiques, sociaux et environnementaux.

Historiquement, la gouvernance forestière réside dans la relation propriétaire/gestionnaire.

Cette gouvernance simple entre un propriétaire Etat/Commune/Particulier et un gestionnaire est aujourd’hui

réinterrogée à la lumière de nouveaux acteurs et de nouvelles compétences, notamment en lien avec la

multifonctionnalité des forêts : matière première d’une filière économique, puits de carbone et réserve de

biodiversité, terre de récréation...

2. Des modifications législatives récentes

Entre la commune et l’Etat, traditionnels décideurs forestiers, de nombreuses strates territoriales sont

apparues dont il était devenu urgent de clarifier et répartir les compétences. Dans ces lois récentes, de

nombreuses dispositions concernent la gestion des forêts.

Loi de Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles (MAPTAM)

La Région devient cheffe de file pour l'exercice des compétences relatives notamment à l'aménagement et au

développement durable du territoire, la protection de la biodiversité, au climat, à la qualité de l'air et à

l'énergie, au développement économique…

Loi Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe)

La région élabore un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation

et un schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires.

Loi Transition énergétique

La loi instaure une Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) et une Stratégie Nationale et un Schéma

Régional Biomasse sont instaurés

Loi Biodiversité

La création d’une Agence française de la biodiversité (AFB).

3. Des compétences nouvelles

Ces nouveaux champs de compétences créent des légitimités nouvelles en matière forestière : le couple

propriétaire/gestionnaire a bien sûr la légitimité patrimoniale mais faire vivre une filière économique et des

emplois en est une autre qui dépasse les intérêts directs du propriétaire ; au-delà, un projet de territoire,

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

autour de la forêt, privilégiant l’un de ses aspects en lien avec les aspirations de ses habitants peut relever

d’une autre légitimité. Enfin, un projet de société donnant à la forêt ses trois dimensions économique,

environnementale et sociétale relève de l’intérêt général.

4. La montée de l’intercommunalité

Le développement rapide de l'intercommunalité à fiscalité propre a conduit à la création de nombreuses

communautés de communes de petite taille, imposant aux communes un échelon, supérieur par la taille, qui a

été encore renforcé récemment : La loi NOTRe a porté à 15 000 habitants leur seuil minimal de population.

Ainsi, près de 40 % des établissements publics de coopération internationale (EPCI) à fiscalité propre ont été

supprimés fin 2016.

Ce renforcement de l’échelon supra communal s’est doublé d’un renforcement de ses compétences : La loi

NOTRe prévoit de nouveaux transferts des communes membres vers les cinterco : en matière

de développement économique de Promotion du tourisme de gestion des milieux aquatiques et prévention

contre les inondations (GEMAPI) …

En matière forestière, il n’y a pas de transfert du patrimoine des communes vers l’intercommunalité ;

cependant les modalités de gestion forestière touchant l’accueil du public et le tourisme,

l’environnement/biodiversité, … sont de plus en plus traités au niveau intercommunal.

5. Le fait Régional

L’échelon Régional a lui aussi pris une dimension nouvelle avec le découpage des 12 nouvelles Régions

françaises par fusion de régions existantes au 1er

janvier 2016. Cette évolution en taille s’est elle aussi couplée

d’un renforcement des compétences.

La Région devient la collectivité territoriale responsable sur son territoire du développement économique, ainsi

que de l’élaboration de deux schémas majeurs prospectifs, couvrant les deux volets du développement

économique :

Le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII)

Le schéma régional d’aménagement de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET).

La montée en puissance des Régions n’est pas neutre dans la gouvernance forestière, tant pour le dynamisme

de la filière bois et le soutien à ses acteurs, de la première transformation aux usages les plus aboutis, que pour

la place de la forêt dans l’aménagement du territoire.

6. Forêt et démocratie participative

Le citoyen souhaite être de plus en plus impliqué dans la gouvernance et les choix démocratique de notre pays.

L’ordonnance du 3 août 2016 élargit le champ de la participation amont du public :

La participation (débat public et concertation) englobe désormais des plans et programmes et non plus

seulement des projets ;

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

La concertation préalable concerne également des projets, plans et programmes ne donnant pas lieu à

saisine (automatique ou facultative) de la CNDP dès lors qu’ils sont néanmoins assujettis à une évaluation

environnementale ;

Il est par ailleurs créé un droit d’initiative citoyenne permettant de saisir la CNDP ou, pour certains

projets, de réclamer l’organisation d’une concertation préalable.

Citoyens, associations, riverains… utilisent de nouveaux moyens comme les réseaux sociaux, les interventions

citoyennes (pétitions…), les commissions consultatives, voire l’occupation de zones.

Les attentes sociales sont fortes, notamment pour la forêt avec l’urbanisation qui crée une demande de nature

donc d’accueil du public, le changement climatique qui pousse au stockage du carbone et à la substitution

d’énergies renouvelables aux énergies traditionnelles… La gestion traditionnelle des forêts en est parfois

transformée (acceptation des coupes rases) de même que les projets portés par d’autres acteurs que les

gestionnaires (projet de chaufferie bois, de parc de loisirs…).

7. Une nouvelle gouvernance forestière

Multiplicité d’acteurs

Le Maître d’Ouvrage n’est plus systématiquement celui qui a la compétence : ainsi un Maire qui fera venir une

scierie dans sa commune même si le financement public viendra principalement des collectivités compétentes

en matière économique comme la Région ou le Département.

Les activités induites par l’implication dans un projet par exemple de développement local sont devenues

extrêmement variées, de plus en plus complexes, et impliquant une diversité toujours plus grande d’acteurs.

De nouveaux lieux de gouvernance

i) Nationaux

En matière de développement économique, la loi d’avenir a introduit un Programme National de la Forêt et du

Bois (PNFB) décliné en programmes régionaux (PRFB) Le PNFB été co-construit avec les acteurs de la filière. Il

définit la politique forestière française publique et privée, des dix prochaines années. Il vise à augmenter la

récolte de bois tout en assurant le renouvellement de la forêt et à préparer les forêts françaises aux

changements climatiques.

Au sein du Conseil National de l’Industrie, le Comité Stratégique de Filière Bois a été installé. Le contrat de

filière a été signé le 16 décembre 2014 et définit une stratégie à long terme qui traduit les engagements

conjoints de l’Etat, des régions et des acteurs professionnels en veillant à l’équilibre des différents usages du

bois dans les politiques publiques.

La loi transition énergétique a instauré une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui fixe les

objectifs suivants pour 2018 et 2023 au plan national : 12.000 kilotonnes d'équivalent pétrole (13.000 ktep en

2023) pour la production de chaleur à partir de biomasse dont 7,4 Mtep issus de la consommation bois des

ménages (8,6 millions de logements) en 2018 et 540 mégawatts (790 MW en 2023) de puissance installée pour

la production d'électricité à partir de bois-énergie.

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Le schéma régional biomasse doit également prendre en compte les objectifs, orientations et indicateurs fixés

par la stratégie nationale de mobilisation de la biomasse.

ii) Régionaux

La loi NOTRe a instauré un Schéma Régional de Développement Economique, d’Innovation et

d’Internationalisation. et crée l'obligation pour les nouvelles régions de produire un SRADDET (ou schéma

régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires). Le SRADDET fusionne

plusieurs documents sectoriels dont le « Schéma régional biomasse ».

L’enjeu de ces schémas régionaux d’aménagement du territoire est de positionner la forêt là où les territoires

veulent qu’elle soit dans 20 ans.

iii) Infra-régionaux

SCOT

Les Schémas de Cohérence Territoriale (SCoT) sont l’outil de conception et de mise en œuvre d’une

planification stratégique intercommunale, il est destiné à servir de cadre de référence pour les différentes

politiques sectorielles. Il en assure la cohérence. Certains SCOT (comme celui d’Epinal dans les Vosges) ont un

volet expressément forestier.

Chartes forestières de territoires

Portée par une collectivité, la charte forestière de territoire rassemble tous les acteurs d'un territoire qui

définissent un programme d'actions pour valoriser leurs espaces forestiers. Elle prend en compte tous les

usages de la forêt : économique, environnemental et social.

Une charte forestière de territoire (CFT) est un document d’orientation, qui peut cependant être décliné en

conventions entre gestionnaire forestier et tiers.

En 2016, 140 CFT ont été signées, 5 millions d’hectares soit plus d'un tiers de la forêt métropolitaine, aussi bien

publique que privée.

Les parcs naturels

Dans les territoires infrarégionaux, il faut également citer les Parcs qui ont leurs propres chartes. Ce sont

également des espaces de projets pour les forêts, avec leur gouvernance propre, très liée aux Régions.

TEP-CV

Un territoire à énergie positive pour la croissance verte (TEP-CV) est un territoire d’excellence de la transition

énergétique et écologique. La collectivité propose un programme global pour un nouveau modèle de

développement, plus sobre et plus économe.

Ces territoires portent donc une ambition et des projets qui concernent souvent la forêt : construction bois,

bois énergie, réserves de biodiversité, recyclage au sein de la filière bois, sensibilisation…

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Conclusion

Ce nouveau paysage des compétences et lieux de gouvernance sont stratégiques pour la forêt qui doit se

projeter, au-delà de ses relations traditionnelles avec les communes et l’Etat, vers l’intercommunalité et les

Régions :

Les Régions pilotent les filières économiques dont celle de la forêt et du bois, l’aménagement du territoire donc

la vision à 20 ans de la place des forêts dans le territoire régional ; elles définissent la trajectoire de la transition

énergétique dont la forêt est un des éléments clés.

Ces différents enjeux ne se posent pas dans les mêmes termes dans les différentes régions. C’est là que sera

particulièrement utile la prise en compte des spécificités régionales et inter régionales.

A la forêt de se saisir des opportunités que ces mutations de la gouvernance lui procurent !

Pionnière sans le savoir : la forêt à l’heure de l’économie circulaire. Analyse exploratoire des potentiels en Alsace

Antoine TABOURDEAU1, Marie SEVENET

1, Anne-Christine EILLER²

1 European Institute for Energy Research (EIFER) groupes « Énergie, transition, marchés, environnement » et

« Villes intelligentes et durables »

² EDF R&D, EDF Lab Paris Saclay, Groupe Économie et Stratégie de l’Énergie

Introduction

Le travail présenté ici vise à identifier les potentiels en économie circulaire pour la filière bois autour de la

commune de Sélestat en Alsace. Il a été mené dans le cadre d’un accord de recherche entre la ville de Sélestat,

EDF Direction Régionale Grand-Est et EIFER, ce dernier apportant son expertise dans l’accompagnement de

réflexions de planification énergétique en lien avec le développement économique du territoire.

1. Contexte

Avec l’essor du bois-énergie, les chutes de bois en scierie sont requalifiées en sous-produits et réutilisées pour

des chaufferies : des exemples de recyclage et récupération pour alimenter une chaufferie directement sur site

sont observables pour des scieries de toutes tailles. Ces cas d’économie circulaire, bien que n’en portant pas le

nom, rendent doublement pertinent l’analyse du potentiel en économie circulaire de la filière : premièrement

pour bien coordonner le bois-énergie avec les autres usages bois ; deuxièmement pour appuyer les collectivités

qui accordent une attention grandissante à la valorisation de leurs ressources dans un contexte de restriction

budgétaire et alors que l’ancrage territorial des chaufferies demeure un enjeu important (Dehez et Banos,

2017). À cet égard, les expérimentations bois constituent des retours d’expérience précurseurs.

Le périmètre de l’étude (

figure 2) est à la fois celui de l’ancienne région Alsace (départements du Haut-Rhin et Bas-Rhin), dont la

structure forestière et industrielle demeure particulière malgré la fusion des régions, et celui des zones

forestières proches de Sélestat (notamment le massif montagneux des Vosges, à cheval entre les départements

du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et des Vosges).

FIGURE 2 : COUVERT FORESTIER DE LA ZONE D‘ETUDE

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

L’Alsace se distingue du reste de la France par une forêt majoritairement publique et bien exploitée : c’est donc

dans l’utilisation des sous-produits que résident les possibilités de développement, d’autant plus nombreuses

que l’ancienne région accueille une concentration exceptionnelle d’industries du bois : environ

3 100 établissements (INSEE, 2015, sur des données de 2011), ce qui représente environ 20 000 emplois

(salariés et non-salariés) dans la première et deuxième transformation, le bois d’industrie, la gestion et

l’exploitation forestière.

2. Cadre théorique

Le concept d’économie circulaire est l’héritier de théories remontant aux années 1960 et mises à l’agenda

politique depuis les années 1990 (Lazarevic et Valve, 2017). Récemment, le lobbying de plusieurs groupes en

faveur d’une stratégie nationale et européenne – notamment la fondation Ellen MacArthur (2013) – a conduit

décideurs et industriels à la prendre au sérieux. C’est donc un concept fondateur, riche de perspectives et

résonant avec les efforts actuels des collectivités comme des industries pour limiter les impacts

environnementaux, améliorer l’efficacité de leurs processus et valoriser économiquement des services

écosystémiques.

Au lieu de considérer les déchets comme des produits fatals, l’économie circulaire les qualifie de sous-produits

pouvant faire l’objet d’une valorisation économique en boucle fermée. Elle véhicule trois actions (Ghisellini et

al., 2016) : la réduction, c’est-à-dire la minimisation des besoins en matières premières, la réutilisation et enfin

le recyclage (qui concentre actuellement le plus d’efforts). Quatre principaux objectifs sont visés à travers elles

(Lazarevic et Valve, 2017) : la réalisation de cycles fermés de flux de matériaux, la transition de la

consommation vers l’usage1 (c’est-à-dire le passage à une économie de services), le découplage entre

croissance économique et consommation des ressources et le retour de la compétitivité.

3. Méthode

Ce travail s’appuie sur des entretiens réalisés d’avril à septembre 2017. Leur objectif était d’éclairer de

potentiels conflits d’usage locaux et d’identifier les vecteurs locaux en matière d’économie circulaire. Le panel

d’acteurs rencontrés est restreint (8 acteurs) du fait du caractère exploratoire de ce travail mais il balaie la

majorité des représentants des parties prenantes de la région, de l’amont à l’aval de la filière : interprofession,

fournisseurs de bois-énergie, collectivités, accompagnateur tel que la Fédération nationale des communes

forestières (FNCOFOR), ainsi qu’un chercheur en économie forestière.

4. Résultats et potentiels identifiés

4.1 Bousculement des gisements secondaires entre bois-énergie et bois d’industrie

En Alsace, depuis une dizaine d’années, le déclin des papetiers et producteurs de panneaux et la montée en

puissance de la transition énergétique ont réorienté une partie du gisement des sous-produits vers le bois-

énergie. Ainsi, entre 2012 et 2014 dans le « Grand Nord Est » (Alsace, Bourgogne, Champagne-Ardenne,

Franche-Comté, Lorraine et Picardie), une activité plus faible des scieries a fait baisser la production de

connexes de la 1ère

transformation (FIBOIS, 2016). En parallèle, davantage de ces connexes (en volume et

proportions) ont été valorisés sous forme de bois-énergie.

1 Par exemple : louer ou emprunter une perceuse plutôt que d’en acheter une

69

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Depuis 2007, la demande en bois-énergie a augmenté de 30 %, conduisant les industries du bois d’industrie à

élargir leur périmètre d’approvisionnement. Aujourd’hui, cette tension s’est apaisée, plusieurs sites industriels

(Depalor, UPM Stracel) ont fermé et des chaufferies bois ont capté les volumes de bois ainsi libérés. Selon

l’interprofession, les connexes représentent actuellement entre 450 000 tonnes et 600 000 tonnes, dont 55 %

sont désormais consacrés à l’énergie et 37 % à l’industrie.

4.2 Un marché saturé, analysé de façon contrastée

Actuellement, l’offre en bois-énergie excède la demande, sans qu’il soit clairement identifié s’il s’agit d’une

capacité structurelle ou conjoncturelle. D’un côté, certains acteurs estiment que cette saturation est avant tout

conjoncturelle, liée à une succession d’hivers doux et au prix bas des autres énergies qui détourne les acteurs

du bois-énergie, mais que peu de gisements supplémentaires sont mobilisables. Toutefois, quelques nouvelles

grandes chaufferies restent envisageables, dont l’approvisionnement proviendrait :

‒ soit d’un report d’approvisionnement d’industries du bois d’industrie ou de petites chaufferies, les

fournisseurs de bois-énergie préférant quelques gros clients aux demandes homogénéisées plutôt

qu’une multitude de petits aux besoins hétérogènes,

‒ soit de territoires moins saturés : Allemagne, Champagne-Ardenne ou Massif central.

De l’autre côté, d’autres acteurs estiment que les gisements sont loin d’être exploités au maximum et qu’il est

concevable d’augmenter largement le nombre de grosses chaufferies.

4.3 À l’aval, la construction bois : un marché en essor

L’essor de techniques comme le lamellé-croisé permet des immeubles de grande hauteur (IGH). Au-delà, la

construction bois se développe aussi pour des bâtiments de plus petites dimensions et des logements

individuels. Cependant on ne note pas d’augmentation significative des réalisations (seulement 10 % environ

des maisons individuelles sont construites en bois actuellement), notamment à cause du contexte économique

toujours difficile. Toutefois, les acteurs estiment que ce potentiel pourrait être activé. La rénovation présente

aussi un potentiel de développement complémentaire.

La principale difficulté réside dans le coût des bâtiments, qui nécessite de convaincre individuellement les

clients. Jusqu’ici, les constructions se réalisent surtout dans le haut de gamme, d’où un prix moyen élevé.

Toutefois, selon les informations et les retours mentionnés pendant les entretiens, une comparaison par

gamme de bâtiment indiquerait un coût plus proche d’un bâtiment classique de même qualité. Les

constructeurs souhaitent de ce fait se diriger vers des commandes plus simples pour réduire les prix et lever

ces réticences. Des acteurs de taille, notamment des promoteurs d’envergure nationale, des cabinets

d’architecte et des maîtres d’œuvre montrent un intérêt croissant pour la construction en bois.

La commande publique représente un vecteur fort pour les bâtiments bois, qui sont cohérents avec des projets

de valorisation spécifique du bois local et dont la valorisation entraîne par cascade l’augmentation des sous-

produits.

70

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Conclusion

En Alsace, le gisement de bois traditionnellement utilisé par les industriels du bois d’industrie a

progressivement été capté par le bois-énergie depuis quelques années, à la fois à cause de la montée en

puissance de ce dernier et du déclin de certaines industries. Actuellement, l’offre excède la demande sans qu’il

ne soit clairement identifié s’il s’agisse d’une capacité structurelle ou bien conjoncturelle.

À cet égard, l’économie circulaire propose des schémas pour intégrer dans un même cadre les

différents usages et fonctions du bois et coordonner le partage des gisements. À rebours, la filière bois fournit

un exemple précurseur de logiques assimilables à l’économie circulaire, avec une amélioration de l’efficacité de

l’utilisation des ressources via la mise en marché d’un sous-produit. Le souci des impacts environnementaux

constitue un autre aspect à valoriser dans des partenariats avec des acteurs extérieurs à la filière (collectivités,

des entreprises d’autres secteurs, etc.).

Enfin, la construction bois constitue un marché émergent et attractif avec l’arrivée de nouveaux acteurs

industriels et qui profite de la généralisation progressive de nouvelles capacités techniques (lamellé-croisé)

ainsi que d’un cadre législatif plus favorable. Enjeux de construction et enjeux énergétiques sont liés par leur

inscription dans des opérations d’aménagements de haute qualité soucieuses des performances énergétiques.

Il s’agit de plus d’un levier important auprès des collectivités soucieuses de valoriser des ressources et des

emplois locaux, ainsi que de lutter contre les précarités, notamment énergétique.

Références bibliographiques

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Géographie, économie, société, 19(1), 109-131.

FIBOIS. (2016). Actualisation de l'observatoire de la production et de la consommation de la ressource bois en Alsace -

rapport final.

Ghisellini, P., Cialani, C. et Ulgiati, S. (2016). A review on circular economy: the expected transition to a balanced interplay

of environmental and economic systems. Journal of Cleaner Production, 114, 11-32. doi:

https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2015.09.007

INSEE (2015). Plus de 20 000 emplois dans la filière forêt-bois en Alsace. INSEE Analyses.

Lazarevic, D. et Valve, H. (2017). Narrating expectations for the circular economy: Towards a common and contested

European transition. Energy Research & Social Science, 31(Supplement C), 60-69. doi:

https://doi.org/10.1016/j.erss.2017.05.006

MacArthur, E. (2013). Towards the circular economy. J. Ind. Ecol, 23-44.

La multifonctionnalité des forêts mise en jeu

Claire PLANCHAT-HERY1, Sylvie LARDON

2, Marie-Caroline DETROZ

3

1Agence "Vous Etes D'Ici" et UMR Territoires Clermont-Ferrand, France

2 INRA & AgroParisTech, UMR Territoires Clermont-Ferrand, France 3

ASBL Ressources Naturelles Développement, Marloie, Belgique

1. Une première initiative en Wallonie

Dans le cadre du projet "Valorisation multifonctionnelle des massifs forestiers en Wallonie", le Gouvernement

Wallon a adopté en 2008 un plan stratégique de valorisation touristique des massifs forestiers et, depuis 2010,

sa volonté est d’inscrire le développement de la fonction récréative des Forêts d’Ardenne. C’est ainsi que la

Grande Forêt de Saint-Hubert (48500 ha ; 5% de la forêt wallonne) a pu bénéficier d’un projet expérimental de

charte forestière de territoire (CFT) en vue de maintenir ou développer les diverses fonctions de la forêt et de

transposer le concept de multifonctionnalité.

A l’image des CFT issues de la Loi d’orientation forestière de 2001 en France, la future charte de la Forêt de St-

Hubert vise à être un outil contractuel au service d’un territoire, qui permet de valoriser la ressource locale et

multifonctionnelle que constitue sa forêt dans une optique de développement durable. Cette charte porte

aussi bien sur la forêt publique (61% du massif) que privée (31%, 2947 propriétaires forestiers, Detroz, Warzée,

2017). L’ASBL Ressources Naturelles et Développement (RND) a piloté la réflexion sur la mise en place de la

CFT, pour mobiliser une diversité d’acteurs afin de faire émerger des projets et de déclencher des

investissements localement. Elle a souhaité être accompagnée par AgroParisTech Centre de Clermont-Ferrand

et le bureau d’étude Vous Etes D’Ici, à partir de la mise en œuvre du Jeu de territoire (Lardon, 2013). Eprouvé

depuis une quinzaine d’années, il s’agit d’un jeu d'expression qui vise à co-construire une vision partagée des

enjeux d'un territoire et à proposer des actions collectives.

2. Une construction multi-acteurs de la charte

Les diverses expériences de mise en œuvre des CFT en France ont révélé les controverses des dispositifs de

concertation des multiples acteurs de la forêt qui visent à faire vivre « harmonieusement » sur un même

espace les fonctions économiques, écologiques et sociales (Candau, Deuffic 2009). Face aux attentes, parfois

changeantes au cours du temps, des différents acteurs de la forêt, le manque de concertation génère des

frustrations importantes et des antagonismes.

La mise en place d’une concertation à divers moments de la construction de la CFT vise à ne pas reproduire un

dispositif d’action publique classique, mais à améliorer la cohérence et la légitimité des divers points de vue

dans les instances de débat pour un public le plus large possible. L’hypothèse mise en avant ici est que ces

débats donnent lieu à un moment privilégié de rapprochement des différentes “visions du monde” des acteurs

pour qu’ils partagent un même avenir. Ils sont donc tout autant l’occasion que le moyen pour des acteurs

d’horizons divers de travailler ensemble, afin de coordonner leurs actions (Lardon, Piveteau 2005) pour

appliquer le concept de multifonctionnalité.

3. Du Jeu de territoire à la mise en jeu des actions

L’action collective de construction de la charte s’est réalisée sur 15 mois, coordonnée par un comité de

pilotage. Ce comité était composé des représentants des communes, du Ministère, de la forêt publique et

privée, des associations environnementales et sociales, représentants économiques, de la chasse, de la pêche

et de la population. L’Université de Gembloux a également apporté son soutien (apport de connaissances,

observation participante des ateliers). Les autres acteurs techniques, les habitants et les visiteurs ont été

rencontrés lors d’interviews et via les ateliers.

72

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Inspirée par le Jeu de territoire développé sur la gestion intégrée de la forêt dans le Vercors, dans le cadre du

projet "FORGECO" (Lardon et al., 2016), l’ASBL RND a souhaité développer ce dispositif pour faciliter la

participation des acteurs de la forêt de St-Hubert en mobilisant les représentations spatiales en tant que

supports de description, d’analyse et de médiation. Un itinéraire méthodologique, co-construit avec RND,

combine quatre étapes jusqu’à la co-rédaction de la charte: 1. Le « Jeu de territoire » pour construire une

vision partagée de la forêt et définir ensemble les axes stratégiques d’action ; 2. Un atelier « Paysages en

actions » organisant une visite et des jeux depuis le terrain pour affiner ces axes ; 3. Des entretiens auprès des

propriétaires privés, des habitants et des visiteurs pour recueillir leurs représentations et engagements en

faveur de la multifonctionnalité ; 4. Un atelier « une charte sur la table » qui combine un outil d’animation basé

sur les cartes mentales et la technique du World Café afin de finaliser la co-construction de la CFT et

l’élaboration d’un programme d’actions pluriannuel partagé à proposer à la validation du Comité de pilotage.

4. Principaux résultats

L’objectif de réaliser une CFT « à la française » en vue d’optimiser la fonction récréative, mais aussi d’y assurer

les différentes fonctions de la forêt, nécessitait de mettre en place une démarche évitant de passer

directement de l’état des lieux aux propositions d’actions.

Un des premiers bénéfices du Jeu de territoire a été la rencontre, pour la première fois, des représentants des

principales fonctions de la forêt. Les acteurs ont été eux-mêmes surpris d’un dialogue possible sans conflits, car

les oppositions ont pu être débattues, localisées sur des représentations spatiales et exposées à tous. Ainsi

quatre scénarii ont été dessinés donnant lieu à 9 axes stratégiques : le tourisme, la communication et la

pédagogie, une économie durable, de qualité et circulaire (filières forestières, agricoles, … et autres secteurs),

la chasse, la gestion des espaces forestiers et des équilibres entre les espaces en lien avec l’urbanisation du

territoire, une gestion foncière et juridique, les énergie(s) et les enjeux écologiques. Le second dispositif

participatif axé sur le paysage a permis de compléter les stratégies autour de la gestion des cours d’eau, de

l’articulation des échelles d’actions et des politiques et dispositifs de financement locaux et nationaux, de

considérer les valeurs sociales, symboliques et paysagères de la forêt et de valoriser les autres produits issus de

l’espace forestier qui ne sont pas du bois (miel, plantes médicinales, etc.). Ces axes et les objectifs stratégiques

ont été reformulés pour être adaptés à un canevas de charte, et l’intégralité des actions, apparues aux ateliers,

est aujourd’hui reprise dans le projet de charte.

Le second résultat porte sur les bénéfices d’une démarche progressive, c’est-à-dire articulant l’intérêt

particulier à l’intérêt collectif, et qui alimente, par l’intermédiaire de la représentation spatiale prospective (ici

via les cartes de scénarii du Jeu de territoire, ou via les jeux des visites paysagères), une réflexion partagée sur

les impacts sociaux, affectifs mais aussi techniques, que pourrait avoir la modification des éléments spatiaux et

territoriaux. Par le fait que certains objets spatiaux (comme les sentiers forestiers) étaient par exemple relatifs

à une propriété privée, les propriétaires, les touristes et les chasseurs ont pu se repérer sur le territoire (usages

de cet objet) et reconnaître l’intérêt de prendre en compte sa gestion comme élément pour la charte forestière

(le sentier devient un moyen de discuter publiquement de la dimension collective de diverses fonctions de la

forêt de St-Hubert). Si les acteurs du territoire ont accepté de réaliser une représentation spatiale en commun

de leur vision de la multifonctionnalité de la forêt, c'est à partir de ces éléments dessinés que s’est tissé un

rapport sensible au territoire que les acteurs ont souhaité transmettre à la collectivité pour la charte. Ces

représentations spatiales sont une image des actions et des stratégies que les acteurs soutiennent au présent

mais aussi au futur.

Un troisième résultat porte sur la mise en évidence des informations et des orientations de gestion à

différentes échelles de perception du territoire (de la parcelle à la région Wallonne, voire l’échelle européenne,

pour la gestion de la maladie du hêtre ou les techniques de plantation en lien avec le changement climatique).

L’usage de différents modes de visualisation graphique, entre une vue synoptique, via le Jeu de territoire et

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

tangentielle, via les visites paysagères, contribue à transmettre des informations différentes et leur

combinaison permet d’enrichir ces informations (Planchat, 2011).

Ainsi les divers dispositifs participatifs, via l’itinéraire méthodologique mis en œuvre, a abouti à une conduite

du changement articulant deux grands types de démarches couramment menées : celle, descendante,

principalement élaborée par les techniciens des services avec le risque de passer à côté des intérêts des acteurs

locaux et celle, ascendante, émanant de ces derniers, qui peuvent omettre des contraintes réglementaires ou

des considérations d’intérêt général. L’itinéraire méthodologique place les acteurs en capacité de contribuer à

la conception du projet de leur territoire, du fait même des décalages qu’ils proposent : raisonner sur l’espace

pour aborder le territoire, se projeter dans le futur pour mieux maîtriser le présent, apprendre collectivement

pour agir. Ils génèrent de nouvelles idées et s’intègrent dans les processus en cours, par la construction

progressive d’un référentiel commun (Moquay et al., 2005). Ainsi la rencontre entre des propriétaires forestiers

publics et privés a mis en avant des points de convergence et de complémentarité entre la forêt publique et la

forêt privée au bénéfice du développement territorial.

6. Un dispositif reproductible

Cette démarche de recherche-action est reproductible sur d’autres territoires qui souhaiteraient mettre en

place une CFT. Cette reproductibilité concerne tout d’abord les praticiens de l’aménagement. Elle leur apporte

une méthodologie pour l’implication d’acteurs divers ayant diverses échelles d’actions pour un même

territoire. Elle aide à l’énonciation et à la spatialisation d’objectifs stratégiques et de résultats à porter

collectivement en articulant ce qui ressort des normes réglementaires du collectif et des enjeux individuels des

acteurs. Si les actions et les normes à respecter pour mettre en œuvre la notion de multifonctionnalité de la

forêt ne sont pas précisées dans la loi (Candau, Deuffic, 2009), notre démarche a l’avantage de donner à voir

localement ce que signifie ce concept et comment, via les axes stratégiques, le mettre en œuvre « au mieux ».

La reproductibilité s’applique aussi à la recherche en tant que dispositif d’accompagnement des acteurs pour

les aider à construire une vision partagée et spatialisée des enjeux d'un territoire, un engagement des acteurs

qui ne se connaissaient pas ou ne travaillaient pas ensemble, une stratégie partagée, une définition et une

localisation des actions collectives, en vue d’une montée en compétences du « faire ensemble ».

Références

Candau J., Deuffic P., 2009. Une concertation restreinte pour définir l’intérêt général des espaces forestiers. Regard sur un

paradoxe, VertigO, Hors série 6, nov. 2009, [En ligne]

Detroz M. C., Warzée P., 2017. Charte forestière de territoire sur les communes de Libin- Saint-Hubert-Tellin-Libramont –

Etat des Lieux, Marloie, Ressources Naturelles Développement – asbl – septembre 2017

Lardon S., Bouchaud M., Cordonnier T., 2016. Combiner modélisation des chercheurs et participation des acteurs pour une

gouvernance intégrée de la foret dans le territoire. Le « jeu de territoire Vercors ». In Farcy C., Huybens N. (eds.), Forêts et

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spatiaux, Géocarrefour, vol. 80/2 | 2005, 75-90.

Moquay P., Lardon S., Marcelpoil E., Piveteau V., 2005. Contribution des représentations spatiales à la proximité

institutionnelle, in Torre A. et Filippi M. (eds), Proximités et Changements socio-économiques dans les mondes ruraux,

Editions de l'INRA, Collection “Un point sur”, 322 p.

Planchat C., 2011. The prospective Vision: Integrating the Farmers’ Point of View into French and Belgian Local Planning. In

Michael Jones and Marie Stenseke, The European Landscape Convention: Challenges of Participation, Springer, Netherlands,

pp 175-198

Transition écologique, Plans climat, protection des sources d’eau potable : quel apport de l’extension des boisements pour les territoires : Exemples en Poitou-Charentes

Mohamed TAABNI

Université de Poitiers

Laboratoire RURALITES

Introduction et contexte

L’implication des territoires dans le cadre Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) se

traduit par l’élaboration et l’adoption de Plans Climat Air Energie Territoriaux (PCAET) élargi à partir de 2018

aux Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) de plus de 20 000 habitant de plus de

50 000 habitants. Le Schéma Régional Climat Air Énergie de l’ex Région Poitou-Charentes, adopté en 2011

fixait un objectif ambitieux de réduction des consommations d'énergies de 38 % à l'horizon en 2050. Le PCAET

document-cadre de la politique énergé que et clima que de la collec vité est un projet territorial de

développement durable dont la nalité est la lu e contre le changement clima que et l’adapta on du territoire

(avec des objectifs quantitatifs : réduction facteur 4 pour le volet énergé que, la préserva on de la

biodiversité, la préserva on des ressources en eau) le renforcement du stockage de carbone sur le territoire

(dans la végéta on, les sols…). La loi n° 2009-967 du 3 août 2009 (dite loi Grenelle 1 de l’environnement)

instaure la création de la Trame verte et bleue. Aussi bien dans le cadre de cette Trame que pour la

séquestration du carbone ou les énergies renouvelables, les boisements et les corridors boisés occupent une

place majeure.

Les territoires sont confrontés non seulement aux risques de réduction des disponibilités en eau induites par le

dérèglement climatique mais également par la dégradation de la qualité des ressources actuelles par les

pollutions diffuses (nitrates et pesticides). 410 captages ont du ainsi être abandonnés en Poitou-Charentes.

Les Grenelle 1 et 2 de l’Environnement ont ainsi défini la liste par Région, des captages d’eau prioritaire pour

l’alimentation humaine pour lesquelles des mesures de protection doivent être prises pour les préserver et

sécuriser l’approvisionnement.

Les territoires en « transition » énergétiques et écologiques doivent donc mettre en œuvre des politiques

énergétiques et écologiques intégrées pour limiter les effets du changement climatique. L’EPCI est

coordinateur de la transition énergétique sur le territoire. Il doit animer et coordonner les actions du PCAET sur

le territoire. Cette contribution analyse la place qu’occupe le recours aux boisements dans le cadre de la

protection des captages prioritaires pour l’eau d’alimentation en eau potable dans l’ex région Poitou-

Charentes.

Les enjeux

Les eaux de surface et souterraines de la Région Poitou-Charentes sont affectées dans leur quasi-totalité

par les pollutions diffuses (pesticides, nitrates…) d’origine agricole. Environ 85% du territoire est classé en

« zone vulnérable » (zones à teneur en nitrate approchant le seuil de 50 mg/l). « En Poitou-Charentes, avec les

politiques déjà engagées en 2004, il a été estimé que quatre masses d'eau sur cinq risqueraient de ne pas

atteindre le bon état sur l'ensemble de la Région en 2015 » (ORE, 2017b). Démarrés en 1994, les premiers

programmes de réduction des pollutions diffuses agricoles, tels que le Programme de Maîtrise des Pollutions

d’Origine Agricoles (PMPOA), les programmes Ecophyto 1 (2005-2012) et Ecophyto 2 (2012-2018), ont ciblé les

agriculteurs, les collectivités et les particuliers, mais sans viser spécifiquement les captages d’eau potable (ORE,

2011).

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

La dégradation de la qualité de la ressource (nitrates, pesticides) est de loin le premier motif d’abandon de 410

captages entre 1970 à 2010 en Poitou-Charentes en 30 ans (BRGM, 2014, PRPC, 2015).

Le Grenelle 2 a débouché sur la détermination des captages prioritaires pour l’alimentation en eau

potable en vue de délimiter leurs bassins d'alimentation sur la base d'un diagnostic territorial des pressions

agricoles et non agricoles. Définis comme prioritaires au sein SDAGE, ces aires d'alimentation de captages ont

été identifiés en Poitou-Charentes suivant un processus de concertation locale et multi-partenariale, sur la base

du caractère stratégique de la ressource et de son état à l’égard des pollutions diffuses précitées. Cette

politique est menée dans le cadre de la démarche dite « Re-Sources », initiée par la Région depuis 1999 et

effective depuis 2005.

Problématique et démarche de protection des captages d’eau en Poitou-Charentes

La réglementation impose la protection du périmètre immédiat du captage par le biais de la déclaration

d’utilité publique (DUP) pour expropriation et acquisition par l’organisme producteur d’eau (le Syndicat d’eau,

la municipalité ou l’EPCI) de la surface autour du point de captage à protéger.

La détermination des zones sensibles à la pollution par les nitrates et pesticides (à la suite de l’étude

préalable diagnostic de vulnérabilité) débouche sur la délimitation du périmètre de protection rapproché (PPR)

du bassin d’alimentation de captage (BAC) qui peut représenter de quelques dizaines à plusieurs centaines

d’hectares dans le cas de captage à partir d’aquifère (voire des milliers quant le prélèvement se fait à partir

d’une rivière). Il constitue l’aspect le plus compliqué et le plus sujet à conflits entre agriculteurs et collectivités

territoriales. Le classement de toutes les nappes souterraines du Poitou-Charentes en « Zone Soumise à

Contraintes Environnementales, ZSCE » permet au préfet de prendre des arrêtés de DUP pour exproprier les

propriétaires des parcelles situées dans le périmètre de protection rapproché, s’il le juge indispensable à

l’application de mesures de protection. Cette mesure est très rarement choisie par le préfet. La négociation et

la concertation sont préconisées. La protection des périmètres rapprochés et éloignés passe par la

contractualisation des parties avec l’adoption du « Contrat territorial de bassins d’alimentation des captages ».

Le programme partenarial Re-Sources, associe l’Etat, la Région Poitou-Charentes puis la Nouvelle

Aquitaine, les Agences de l’eau Loire Bretagne et Adour Garonne, les Conseils départementaux, et les Chambre

régionale d’agriculture et 24 collectivités productrices d’eau potable autour d’une convention qui est

renouvelée pour 7 ans depuis 1999. Elle passe par la contractualisation des parties avec l’adoption du contrat

territorial de bassins d’alimentation des captages (BAC). Le contrat territorial intègre également un autre

programme initié au niveau des collectivités locales dans le cadre du Plan Régional pour la Réduction des

Pesticides (GRAP). L’objectif principal est l’accompagnement des agriculteurs pour un changement des

pratiques (voire la conversion au bio) pour optimiser et réduire l’usage de l’azote ainsi que pour limiter voire

supprimer le recours aux pesticides sur les BAC.

76

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Fig. 1. Carte des bassins d’alimentation de captages prioritaires (source Région Poitou-Charentes, 2014)

Ces programmes s’articulent autour de la maitrise foncière (après étude d’impact, enquête publique…)

au niveau du périmètre de protection immédiat (PPI) et du périmètre de protection rapproché (PPR). Les

programmes de protection des captages consistent à accompagner les agriculteurs en vue de l’adoption de

pratiques culturales plus respectueuses de l’environnement, mettre en place des boisements et haies, de les

aider à la conversion à l’agriculture biologique.

La forêt et le bois sont aujourd’hui des éléments majeurs de la lu e contre le réchau ement clima que.

Une forêt en pleine croissance peut absorber de 11 à 37 tonnes de CO2 par hectare et par an. Le stock de

carbone de la biomasse est plus élevé en forêt que pour des prairies ou des friches. Les projets de boisement

peuvent intégrer également la protec on de la biodiversité à travers les Trames vertes et bleues et la protection

des captages. Le PCAET document-cadre de la collec vité est un projet territorial qui doit intégrer tous les

enjeux environnementaux locaux. L’ex Région Poitou-Charentes avait voté en 2007 une ligne budgétaire pour

subventionner les actions de « Boisement de terres agricoles », elle permettait aux collectivités, associations,

propriétaires privés, établissements publics, d’en bénéficier.

Résultats

Notre enquête montre que les PPI de tous les captages prioritaires listés sont en maitrise foncière

(suite à des DUP) par les producteurs d’eau. En Poitou-Charentes, on dénombre 71 « captages Grenelle » qui

font l’objet d’une démarche Re-Sources en 2015, avec application de programmes d’actions pour leur

protection (ORE, 2017b).

Sur la période 2007-20013 le coût du programme s’est élevé à 45 millions d’euros, dont 10 millions pour

la mise en œuvre du programme d’actions et 35 millions pour le développement d’une agriculture

respectueuse de l’environnement.

77

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Pour protéger les périmètres de protection immédiat des captages prioritaires, 228 hectares ont été

acquis par les municipalités et organismes producteurs d’eau, moins de la moitié de cette surface a été

boisée, le reste laissé en herbe.

La situation pour les périmètres de protection rapprochés est très variable d’un bassin à l’autre mais dans

l’ensemble les acquisitions foncières sont limitées.. A quelques exceptions près, les acquisitions sont très

faibles voire nulles.

En 2005, la ville de La Rochelle (Charente Maritime) a acquis par préemption plusieurs dizaines

d’hectares pour protéger les captages. 50 ha de terres agricoles l’ont été pour la protec on du périmètre

rapproché du captage de l’Aunis, à la suite du départ en retraite d’un agriculteur. Les 2 ha les plus proches du

point de captage (PPI) ont été reboisés, 18 ha ont été remis en herbe en partenariat avec la Ligue de Protec on

des Oiseaux (LPO) pour favoriser le développement de la faune et la flore locale. Les 30 ha restants ont été mis

à disposi on de deux agriculteurs biologiques (céréales et luzerne) avec des baux environnementaux

(conven on de mise à disposi on avec la SAFER, avec des clauses environnementales, qui signe les contrats

avec les exploitants). Sur 3 captages en Charente Maritime, (Fraise-Bois Boulard et Varaize), 14 autres hectares

avaient été acquis, dont 6,5 ha ont fait l'objet de plantations de boisements denses, le reste en loué à un

agriculteur avec un cahier de charges strict.

En Deux Sèvres le Syndicat d'eau de Lezay a acquis et boisé 7,5 ha pour la protection du forage de

Croix Rivet à Chenay.

Les difficultés et blocages persistent cependant à l’image du captage prioritaire de Fleury (département de la

Vienne) alimentant la ville de Poi ers. Depuis 2010 la communauté urbaine de Grand Poi ers a end que la

SAFER cède les 7 hectares de parcelles agricoles qui entourent le captage d’eau de Fleury situé dans la

commune de Lavausseau. Selon le président de Grand Poi ers, l’acquisi on de ces terrains perme rait «

d’assurer une meilleure protec on de la ressource en eau de la communauté urbaine », notamment en

contrôlant le risque de pollu on aux nitrates. Grand Poitiers a inves 1,8million d’€ dans un disposi f de

traitement des pes cides par charbon ac f à l’usine de Bellejouanne. Les relevés réguliers é ectués par

l’Agence Régionale de Santé indiquent que ce taux a eint la limite du seuil autorisé de 50mg/l.

La SAFER de son côté invoque pour expliquer son efus la rareté du foncier agricole, et l’envolée des

prix à l’hectare. Les agriculteurs rechignent de céder des hectares et d’être contraints au respect d’un cahier

de charge plus strict dans leurs pratiques.

Le Centre Régional de la Propriété Forestière promeut le CRPF auprès des acteurs concernées : l'agroforesterie

et le boisement en plein des parcelles d'autre part, selon des critères adaptés à chaque périmètre et en

complémentarité avec l’extension des parcelles en agriculture biologique.

Les résultats des actions du programme Re-Sources depuis son lancement effectif en 2005, au ni veau

des captages d’eau souterraines prioritaires sont encore loin des objectifs en termes de reconquête de la

qualité de l’eau. La teneur en nitrates demeure encore élevée au vu des résultats d’analyse de l’Agence

régionale de santé. Cela est du autant à des facteurs d’inertie des polluants dans le sol, qu’au maintien de

l’agriculture conventionnelle, qu’à la faiblesse des surface en herbe ou boisées dans le cadres des périmètres

de protection rapprochée. Les difficultés d’acquisition de foncier pour cette protection s’expliquent par la

concurrence d’usage du sol et la volonté des préfets de ne pas provoquer de situations conflictuelles.

Bibliographie ORACLE, 2014 : État des lieux sur le changement climatique et ses incidences agricoles en région Poitou-Charentes. ORACLE

(Observatoire Régional sur l’Agriculture et le Changement cLimatiquE), 103 p.

ORE, 2011 : Nitrates et pesticides dans l’eau destinée à la consommation humaine. Les dossiers de l’environnement en Poitou-Charentes, ORE (Observatoire Régional de l’Environnement Poitou-Charentes), n° 4, 18 p.

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

ORE, 2014 : La gestion des prélèvements d’eau en Poitou-Charentes. ORE (Observatoire Régional de l’Environnement Poitou-Charentes), 4 p.

ORE, 2017a : http://usages.eau-poitou-charentes.org/Usage-et-consequences,24.html, (l’eau et son usage en Poitou-Charentes), ORE (Observatoire Régional de l’Environnement Poitou-Charentes).

ORE, 2017b : http://www.eau-poitou-charentes.org/, ORE (Observatoire Régional de l’Environnement Poitou-Charentes).

PRPC, 2012 : Schéma Régional Climat Air Énergie Poitou-Charentes (SRCAE). Préfecture de la Région Poitou-Charentes, 117 p.

PRPC, 2015 : Programme Re-Sources, agir pour l’eau potable en Poitou-Charentes. Préfecture de la Région Poitou-Charentes, 27 p.

SESSION 4 | PRATIQUES ET OUTILS DE GESTION DU

CHANGEMENT

Le bois bûche une opportunité pour la forêt de demain

Olivier LEROY, Etienne GRESILLON

Laboratoire Ladyss, Université Paris-Diderot

Le bois de feu, ou bois de chauffage est l’un des plus vieux moyens de production de chaleur et d’énergie. Son

utilisation a façonné les paysages, les forêts et pris une place importante dans les sociétés et économies

passées. Il connaît un regain d’intérêt avec la transition énergétique à travers des produits transformés

(granulés), la mise en place de réseaux de chaleur collectifs (piscine, école, etc..) et une volonté politique

d’augmenter la part d’énergie renouvelable dans le mix énergétique français et européen. Ces différents cas

font déjà l’objet de recherches intéressantes par différentes disciplines. Dans ce mix énergétique, l’utilisation

par les ménages de bois sous formes de bûches reste élevée (autour des 30 millions de m3 de bois), fluctuant

selon les sources et les années. Ce volume est proche de celui de la production en bois d’œuvre et bois

d’industrie. Il correspondrait à 6,9 Mtep soit plus de 16% de la production du parc nucléaire français. Malgré

ces chiffres, cet usage par les ménages a été assez peu étudié à des échelles locales. En partenariat avec le Parc

Naturel Régional de la Haute vallée de Chevreuse, nous avons été, à l’aide d’une petite équipe de géographes,

ethnologues et économistes lauréats en 2016 à un projet PTT (Paysages, Territoires, Transitions) de recherche-

action du Ministère de la Transition écologique et solidaire. Il s’agit de mieux appréhender à la fois les

consommateurs et les producteurs (catégories pouvant se chevaucher dans le cadre de l’autoconsommation)

utilisant cette ressource sur le PNR. Qui sont ces consommateurs, qu’elles sont leurs motivations pour utiliser

le bois bûches ? Qui sont les acteurs économiques formels ou informels ? Comment s’organise cette activité ?

Des premières études menées à partir d’un questionnaire auquel 173 personnes ont répondu montrent que les

consommateurs sont sensibles d’abord aux aspects économiques. Le bois reste une énergie moins chère que

ses alternatives et les consommateurs sont prêts à diminuer ce faible coût en coupant et débitant les bûches.

Ensuite les usagers sont sensibles aux aspects symboliques et esthétiques du feu qui offre une chaleur plus

agréable. Pour d’autres encore le choix du bois bûche est corrélé avec son ancrage territorial, forestier et offre

une image plus écologique de la ressource. Du côté des producteurs, l’équipe a effectué 25 entretiens semi

directif avec des vendeurs professionnels à temps pleins et des vendeurs plus occasionnels (agriculteur, ETF,

paysagiste, etc) qui ont un accès à la ressource par leurs activités et profitent d’un petit revenu

complémentaire apporté par le bois. Au-delà des professions se sont souvent des trajectoires de vie qui

amènent à choisir cette activité. Leurs logiques sont différentes d’un acteur à l’autre et ils nous semblent

difficiles de les cataloguer dans une filière uniforme. Au final notre travail montre que le bois bûche est bien

plus que de l’énergie. Dans les perceptions des habitants et ses professionnels, ces bûches sont très fortement

associées à la forêt. Pour les forestiers est-ce une carte à jouer pour renouer avec ces usagers ? Pour les

pouvoirs publics comment agir sur ce secteur, favoriser les pratiques vertueuses ?

Formation et dynamique des prix des bois en France : Analyses statistiques et aide à la décision dans un contexte en mutation

Benoît GENERE et Hanitra RAKOTOARISON

Office National des Forêts

Introduction : contexte, enjeux et objectifs

Le bois constitue le principal revenu des forêts. Sa demande et son prix varient fortement selon les essences, la

qualité des bois, les territoires, les pratiques sylvicoles, la conjoncture et d’autres facteurs.

L’ONF vend environ 12 millions de m3 de bois par an pour plus de 500 millions d’euros : 2/3 en vente publique

et 1/3 en vente de gré à gré, surtout pour des contrats d’approvisionnement en pleine croissance.

Pour optimiser les ventes publiques de bois et la négociation des contrats d’approvisionnement, il est

nécessaire de comprendre la formation des prix des bois et d’anticiper leurs évolutions. C’est pourquoi des

études statistiques sont conduites avec l’aide de stagiaires : Alianore Descours, AgroParisTech, en 2016 et

Manon Montagner, ENSAE, en 2017. Les meilleurs modèles explicatifs et prédictifs sont recherchés. Nous

développons successivement deux parties complémentaires :

1) L’analyse des ventes publiques pour mieux estimer la demande et les prix des bois

2) La prévision de prix en appui aux contrats d’approvisionnement

Première partie : analyse des ventes publiques

En vente publique, les prix de vente, le nombre d’offres et le taux d’invendus renseignent sur les conditions de

marché. De mi-2016 à mi-2017, période de quasi-stabilité des prix, l’ONF a conduit une étude statistique à

partir d’une base de données élaborée comprenant les caractéristiques d’environ 20.000 lots de bois proposés,

totalisant près de 7 millions de m3.

L’essence majoritaire (dont les tiges représentent plus de 50% du volume total) de loin la plus demandée par

les marchés est le chêne avec un prix moyen cinq fois plus fort que les pins et trois à quatre fois plus que le

hêtre ou le sapin-épicéa. Le nombre d’offres en chêne est particulièrement élevé et son faible taux d’invendu

renforce son exceptionnelle valeur économique, utile aux choix sylvicoles.

Un focus est réalisé sur l’estimation des prix des lots vendus en bloc et sur pied, très majoritaires.

Outre l’essence dominante, les principales variables de caractérisation des lots sont :

- La date de vente (Trimestre T1 à T4) et son lieu (Direction territoriale DT : AURA Auvergne-Rhône-Alpes, BFC

Bourgogne-Franche-Comté, COA Centre-Ouest-Aquitaine, GEST Grand-Est, MMED Midi-Méditerranée),

- des caractéristiques de la forêt (Propriétaire commune ou domaine ; certification PEFC oui ou non),

- la composition du lot (Volume total en m3 VOLTOT ; Essences en pourcentage % CHE chêne, SAPEPI sapin-

épicéa dont TxEPI taux d’épicéa, PIN pins sylvestre, maritime ou autre ; qualité merrain- tranchage avec PQUAL

en %,

- des informations sylvicoles : Type de peuplement et de coupe (COUPE : IRR futaie irrégulière, AMEL

amélioration, REGE régénération, AUTRE) ; Volume/ha (VOLHA) ; Volume unitaire moyen en m3 (VUM)

Nous utilisons des modèles de régression linéaire multiple pour expliquer le prix en €/m3 de chaque lot de bois

(noté PU).

82

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Nous considérons un modèle de la forme PU=Xβ+ε, où X=(1,X1,….,Xk) est le vecteur des variables explicatives, β

celui des coefficients du modèle et ε celui des résidus. Nous faisons les hypothèses classiques d’un modèle de

régression linéaire basé sur le moindre carré ordinaire.

Résultats

Tableau 1 : Coefficients des modèles explicatifs des prix des lots de bois en bloc et sur pied

Les références de base (témoin) par variable explicative sont les suivantes :

T=3ème trimestre (T3), DT=Bourgogne Franche-Comté (BFC) ; PROP=communes (CO) ; PEFC=non certifié (N) ;

COUPE=coupes d’amélioration (AMEL) ; PIN=pin maritime (PM)

Les résultats se lisent de la façon suivante : un fond de plus en plus rouge indique un effet très négatif de la

modalité, alors que le bleu s’intensifie avec un effet positif croissant. Les valeurs indiquées donnent la variation

de prix en €/m3 par rapport à la référence de base choisie : ainsi, pour les lots de chêne, dans la 1ère colonne

du tableau 1, le prix au m3 gagne en moyenne 44,78 €/m3 lorsque le VUM des chênes du lot augmente d’1 m3.

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En dernière ligne du tableau, le coefficient R2 est excellent pour le chêne et pour les pins, mais bien moindre

pour le sapin-épicéa.

Le prix est très lié au VUM, mais la puissance et la forme de la relation varient selon l’essence : linéaire pour le

chêne et le hêtre, plus prononcée pour le chêne, logarithmique pour le sapin-épicéa et polynomiale pour les

pins.

De même, le prix varie fortement avec la localisation géographique : pour le chêne, le hêtre et le sapin-épicéa,

il est meilleur dans l’Est de la France (DT BFC témoin et GEST) que dans le Sud (DT MMED et AURA) et même

dans le Centre-Ouest (DT COA), toutes choses étant égales par ailleurs (notamment à qualité et VUM égaux).

Dans le cas des pins, le maritime se vend beaucoup plus cher que les autres pins quand il est dans le massif

landais (DT=LNA : +14,88€/m3) et beaucoup moins cher ailleurs (témoin PM : -6,88€/m3 sur PS et -6,68€/m3

sur AUTRE).

Au niveau temporel, le prix du chêne et du hêtre est meilleur au 3e trimestre (témoin) qu’au premier semestre

(T1-T2). Ceci coïncide avec le début des grandes ventes d’automne, objet d’une forte publicité nationale, et

avec des bois sur sol portant, contrairement à ceux vendus au 1er

semestre.

Le prix croît aussi avec la pureté pour les lots de chêne (%CHE), de sapin-épicéa (%SAP-EPI) et de pin (%PIN). En

raison d’une valeur plus forte, le taux de chêne améliore le prix du hêtre, le sapin-épicéa celui des pins, et la

proportion d’épicéa (TxEPI) celui du mélange sapin-épicéa.

Un prix accru est également mis en évidence pour le chêne avec la qualité du bois, la phase de régénération, la

certification PEFC. A l’inverse, on note des prix amoindris au sein des peuplements irréguliers de chêne et de

hêtre, ainsi qu’en forêt domaniale pour le hêtre (moindre demande).

Deuxième partie : Prévision de prix en appui aux contrats d’approvisionnement

Comment anticiper l’évolution des prix au début puis aux révisions d’un contrat pluriannuel ? En étudiant et

modélisant des séries temporelles de prix, soit avec des variables explicatives, soit par un lissage temporel

comme nous le présentons ici.

Pour prévoir le prix des bois, nous utilisons des séries temporelles trimestrielles de prix par essence. La

modélisation temporelle est mise en œuvre sur les observations de 2004-T3 à 2017-T2, soit 13 années, pour

prévoir les 6 trimestres suivants de 2017-T3 à 2018-T4.

Nous modélisons séparément les prix et les volumes du bois d’oeuvre de 4 essences majeures (chêne, hêtre,

sapin-épicéa et pin sylvestre), pour les 2 modes de vente en bois façonné et bois sur pied.

La modélisation d’une série temporelle se fait en quatre étapes : 1) calcul des coefficients saisonniers

multiplicatifs de chaque série; 2) calcul de la tendance d’évolution de la série temporelle suivant le modèle de

lissage de Holt 3) prévision de la série sur les périodes futures 4) validation. Depuis deux trimestres, nous

faisons la comparaison entre prévisions du modèle et observation réelle des ventes.

Le modèle de Holt (1957) s’écrit de la manière suivante : X(t+h)CVS

=(a1t*h+a0t)

où X(t+h)CVS

est la série temporelle étudiée (prix unitaire ou volume trimestriel par essence) corrigée des

variations saisonnières, h la période où la prévision est effectuée en nombre de trimestres, a1t la pente de la

tendance, et a0t la moyenne de la série. Contrairement à un modèle de régression linéaire simple, les

coefficients de ce modèle sont variables dans le temps suivant un lissage exponentiel ajusté avec les

historiques des ventes.

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Résultats

Comme le montre la figure 1 pour le chêne façonné, le modèle de Holt (courbe grise) suit bien les mouvements

des prix réels (courbe orange). Sur les 4 derniers trimestres, les deux séries sont très proches, indiquant une

bonne qualité du modèle. En effet, les erreurs d’un modèle temporel s’évaluent sur les dernières périodes car

les coefficients se calculent par auto-apprentissage des mouvements du marché. Le modèle de Holt donne des

résultats plus proches de la réalité qu’un modèle de régression linéaire (tracé bleu clair) ou une série de

moyenne mobile (courbe bleue foncée). Les prévisions 2017 T3 à 2018 T4 (en jaune) semblent indiquer une

hausse de prix pour 2018, en plus des effets saisonniers. Ces prévisions sont-elles fiables ? En comparant

l’ensemble des prévisions et des observations sur les 4 essences et les 2 modes de vente, la précision obtenue

sur 2 nouveaux trimestres est satisfaisante, avec un écart de -4 %: au T3 2017 et de +2 % au T4 2017.

Figure 1 : Exemple de prévisions sur les prix du chêne en bois façonné

Conclusions

L’analyse des ventes publiques en bois sur pied confirme un lien fort entre le prix et le volume unitaire moyen,

mais la forme de la relation diffère entre les essences (Rakotoarison et al, 2015). Elle montre aussi des liens

entre prix et localisation géographique, type de sylviculture, qualité des bois… Ces modèles explicatifs peuvent

aider à estimer le prix des lots et orienter la stratégie de vente.

La deuxième partie de cet article a permis de modéliser les évolutions temporelles des ventes de bois, par une

méthode de lissage exponentiel. Ce modèle a donné une bonne qualité de prévision et doit pouvoir aider aux

négociations dans les contrats d’approvisionnement.

Bibliographie

Holt C.C., 1957. Forecasting Trends and Seasonals by Exponentially Weighted Averages, Carnegie Institute of Technology,

Pittsburgh Office of Naval Research memorandum n° 52.

Rakotoarison H. et al., 2015. Plantations résineuses en conditions forestières : Analyse économique des itinéraires dédiés et

semi-dédiés pour augmenter la production de bois. Rev For Fr, n°67 (6) 515-538.

Une dose de sciences de la nature, un soupçon de sciences sociales, saupoudrer le tout d’une gouvernance concertée… Les ingrédients du projet « Forêts vigies du changement

climatique »

Julie MARSAUD

France Nature Environnement

En forêt, les principes de gestion durable sont énoncés, les organismes techniques produisent guides de

bonnes pratiques et recommandations, les chercheurs font progresser les connaissances et les citoyens sont

attachés aux forêts sous de multiples aspects (symbolique, culturel, sensible, récréatif, etc.). Les acteurs

institutionnels forestiers jouent leur rôle d’influence sur les politiques publiques et les journalistes s’intéressent

au devenir des forêts, aux pressions auxquelles elles sont soumises, etc. On peut donc supposer que tous les

ingrédients de la « gestion multifonctionnelle des forêts » sont connus et pris en charge pleinement, que les

enjeux – ce qui se joue, ce qui est à gagner ou à perdre – sont partagés, les orientations discutées à partir de

fondements scientifiques et qu’un consensus s’établit pour tenter de répondre à la question : « quels objectifs,

demain, pour les forêts ? » Pourtant, pour France Nature Environnement, il y a du chemin entre cette liste

d’ingrédients et une recette véritablement « mitonnée », et ce chemin mérite que l’on s’y attarde. C’est dans

cette perspective qu’avec la Fédération Nationale des Communes Forestières, nous avons conçu début 2017 un

projet de recherche-action, intitulé « Forêts vigies : pour des acteurs de territoire conscients des enjeux liés aux

effets du changement climatique et impliqués dans la recherche de solutions concertées ». Ses objectifs :

mettre en place un réseau de forêts « vigies du changement climatique », assis sur des processus participatifs

et concertés, faisant appel aux données des sciences de la nature et intégrant une évaluation par des

chercheurs en sciences sociales. Les forêts vigies procèdent de l’idée que pour bien anticiper et prendre en

charge le changement climatique en forêt, les apports de ces disciplines doivent se conjuguer afin de dépasser

les limites des débats habituels entre acteurs d’une part, et le constat des risques, inquiétudes et impuissance

face aux effets du changement climatique sur les forêts d’autre part. Par des méthodes itératives de dialogue

territorial, ce projet vise la constitution de modèles méthodologiques susceptibles d’être appliqués plus

généralement dans les processus de concertation territoriale ayant à traiter des problématiques complexes et

nécessitant une appropriation par les acteurs face au changement. S’il parvient à dépasser le stade d’esquisse,

nous espérons que le projet « Forêts vigies du changement climatique » puisse constituer une nouvelle «

recette » au menu des réflexions sur l’avenir des forêts et de leur gestion face au changement climatique.

L’objectif de la présentation est de mettre en débat les éléments de ce projet, d’en enrichir la méthodologie et

d’identifier de possibles ponts avec d’autres travaux de recherche, en cours ou projetés.

Le comportement des propriétaires forestiers privés français: premiers résultats des enquêtes nationales Résofop 2011-2015

Mihai TIVADAR

Université Grenoble – Alpes, Irstea, UR Lessem

Dans un contexte de transition énergétique, la ressource bois, une source régénérable, semble insuffisamment

exploitée, notamment par les propriétaires privées. Par exemple en France, 74% des surfaces forestières sont

privées, dont seulement 56% des propriétaires récoltants. Une des causes la plus souvent citée est le fait que la

propriété forestière privée française est extrêmement morcelée: (environ 3,5 millions propriétaires), ce qui

implique des petites superficies et des coûts d’exploitation élevés. Mais, les mécanismes qui expliquent les

choix des propriétaires forestiers privés sont beaucoup plus complexes, avec des facteurs de décisions

spécifiques : consommation d’aménités naturelles, valeur patrimoniale, etc.

Basée sur les données des enquêtes nationales Résofop 2011 et 2015, réalisées auprès des propriétaires

forestiers privés en France, notre étude analyse le comportement des propriétaires privés non-industriels par

rapport à la coupe du bois, en fonction de leurs caractéristiques sociodémographiques (CSP, diplôme, âge…) et

des caractéristiques disponibles de leur propriété (superficie, mode d’obtention, durée de la propriété,

documents de gestion, etc.). Ces données ont été complétées par les prix moyens annuels du bois pour la

période 2007-2015, disponible sur l’Observatoire économique France Bois Forêt. Pour analyser le rôle des

facteurs économiques locaux, nous utilisons la base de données Sirene (2017). En s’inspirant de la classification

des établissements de la filière bois en fonction du codage NAF de Caurla (2012), nous avons agrégés les

établissements et les salariés de la filière bois locale au niveau départemental (le niveau spatial disponible dans

les enquêtes Résofop), en les classant entre les différentes composantes de la filière bois : production,

première transformation et deuxième transformation.

Plusieurs modèles de choix discrets (estimations en forme réduite) ont été testés afin d’identifier les facteurs

qui ont un impact significatif sur les choix des propriétaires. Ces modèles différèrent par rapport à la variable

expliquée (coupe précédente, coupe prévue, coupe en total) et l’année de l’enquête (2011, 2015 et global).

Les résultats obtenus montrent que les caractéristiques sociodémographiques jouent un rôle significatif sur le

comportement des propriétaires forestiers privés et donc toute politique en matière devrait tenir compte de

ces éléments. Certains attributs sont des facteurs positifs sur la probabilité d’exploitation (être cadre ou

agriculteur, être diplômé). Au contraire, l’âge du propriétaire est un véritable frein à la coupe, surtout dans un

contexte de vieillissement de la population propriétaire. Le modèle confirme également les résultats obtenus

antérieurement dans la littérature théorique et empirique et identifie l’impact du revenu, du prix du bois et de

la superficie des propriétés. De plus, le modèle mets en évidence aussi l’impact de la présence d’un plan de

gestion, avec un effet positif fort notamment pour les PSG et CBPS. On constate que l’effet local est plus faible

qu’attendu, avec des spécificités identifiées au niveau de région forestière et estimation de l’impact de la filière

bois locale.

Malgré ces résultats, le pouvoir explicatif des modèles est relativement modeste. Une limite importante est le

fait qu’on ne connait pas les caractéristiques forestières et géographiques des parcelles : accessibilité (altitude,

pente, déserte) et potentiel économique (stock disponible et structure de la forêt). C’est pour cette raison

qu’une nouvelle enquête locale sera administrée auprès des propriétaires forestiers des trois parcs (PNR

Chartreuse, PNR Bauges et PNR Pilat). Cette nouvelle enquête aura un focus sur les parcelles, définies comme

population d’étude, et pas sur les propriétaires comme les enquêtes précédentes, ce qui nous permettra de la

croiser avec des données issues d’autres sources géographiques (modèles numériques de terrain, inventaire

forestier, données LIDAR, etc.).

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Pour finaliser l’analyse nationale du comportement des propriétaires forestiers, quelques étapes restent à

faire. D’abord il s’agit de la finalisation du modèle « sociodémographique » basé sur les enquêtes Résofop par

l’amélioration de la qualité des variables de filière locale (utilisation des données historiques) et du prix du bois

(variabilité géographique) et tester un modèle « pseudo-dynamique », avec une modélisation en deux étapes

(coupe passée – intention à couper). Egalement on envisage le développement des modèles « complets » pour

chaque année d’enquête par l’introduction des variables explicatives spécifiques à chaque enquête et la

modélisation des choix plus complexes (logit emboité). Enfin, pour estimer le rôle des facteurs geo-forestiers,

pratiquement ignorés dans le modèle sociodémographique, nous allons développer d’un modèle pur

« forestier », basé sur les données IGN – inventaire forestier national.

Recyclage des cendres en France : Une enquête auprès des propriétaires forestiers privés

Jens ABILDTRUP, Anne STENGER

Bureau d'Economie Théorique et Appliquée (BETA), INRA

Contexte et enjeux

Le bois est un matériau renouvelable et recyclable avec de multiples usages : construction, ameublement,

emballage, papier-carton, chimie verte et énergie. Le développement de la production renouvelable de

chaleur à partir de la biomasse bois fait partie des objectifs nationaux (par exemple, des aides destinées à

l’habitat collectif peuvent être accordées aux collectivités et aux entreprises qui s’équipent en chaudières à

combustion bois)

Grâce aux fonds publics, la consommation de plaquettes forestières en France double actuellement tous les 2

ans, et ce rythme doit se poursuivre à l’horizon 2020. Cette consommation s’accompagne d’une production

croissante de cendres, résidu ultime de la combustion du bois.

Les cendres contiennent des éléments minéraux nutritifs et présentent des propriétés d’amendement et de

fertilisant reconnues en agriculture. En France, le cadre réglementaire actuel permet un épandage agricole

mais n’autorise pas encore l’épandage de cendres en forêt. Certains pays pratiquent cependant ces épandages

en forêt avec un recul de plusieurs années (Suède, Finlande par exemple). Ces expériences montrent que, dans

certaines conditions, des apports raisonnés de cendres pourraient permettre d’améliorer la productivité et la

santé des peuplements forestiers.

Cette étude fait partie du projet de recherche « REcolte des menus boiS en forêt : Potentiel, Impact et

Remédiation par Epandage de cendres » (RESPIRE), financé par ADEME. L’objectif de ce projet est d’évaluer

l’intérêt et les conséquences du recyclage des cendres par épandage en forêt. De telles recherches sont

nécessaires pour concevoir une éventuelle évolution de la réglementation en faveur de la valorisation des

cendres. Cette étude consiste à recueillir la perception des propriétaires et des gestionnaires de la forêt quant

à l’utilisation de cendres dans leurs forêts.

Méthode

Nous avons mené une enquête auprès des propriétaires forestiers français. Nous avons ciblé les membres des

trois coopératives de propriétaires forestiers français situés principalement dans l'Ouest de la France (Nord et

Sud) ainsi que dans le Centre: COFOROUEST, UNISILVA et CFBL. L'une des principales raisons de cibler les

membres des coopératives forestières est que les membres d'une coopérative forestière ont généralement une

gestion forestière active et sont donc des utilisateurs potentiels du recyclage des cendres.

Le questionnaire comprenait des questions sur (i) l'attitude des propriétaires forestiers vis-à-vis du recyclage

des cendres, (ii) les caractéristiques des propriétaires forestiers et (iii) les caractéristiques de leurs forêts.

Cependant, l'élément principal du questionnaire était une expérience de choix où les répondants devaient

choisir six fois entre trois scénarios pour le recyclage des cendres (voir la figure 1). Les scénarios étaient

caractérisés par les attributs décrits dans le tableau 1.

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Figure 1. Choix du scénario préféré: “« Que vous ayez coupé du bois ou bien que vous prévoyiez d’en couper,

imaginez ici la possibilité d’épandre des cendres. Après avoir examiné attentivement les scénarios d’un groupe,

nous vous demandons d’indiquer le scénario que vous préférez ».

Tableau 1 Attributs décrivant les scénarios

Attributs Description des niveaux Explications

Impact sur la productivité

0 % d’augmentation de production de bois (Apports compensatoires après exploitation, maintien de la fertilité)

5 % d’augmentation de production de bois 10 % d’augmentation de production de bois 15 % d’augmentation de production de bois

Les expérimentations montrent que l’impact des cendres sur la production de bois est variable selon la quantité et la qualité des cendres (forme, granulation, enrichissement,…) et du peuplement (sol, essences,…). % ici appliqué au volume total de bois durant la durée de révolution. Les cendres utilisées dans les scenarios proviennent exclusivement des chaufferies bois et ne contiennent pas de métaux lourds

Materiel d’epandage

Terrestre (type tracteur équipé) Aérien (type hélicoptère avec trémie)

L’épandage par voie terrestre nécessite un réseau d’accès et de cloisonnement bien implanté. Il exige des conditions de sols portants pour limiter les risques de tassement, contrairement à l’épandage par hélicoptère.

Provenance des cendres

Origine locale Pas de restriction géographique

Origine locale signifie que les cendres ne proviennent que des industries locales (circuit de recyclage court)

Coût net d’un épandage

0 euro/ha

100 euros/ha

300 euros/ha

500 euros/ha

La somme des coûts pour le dossier technique, l’achat des cendres, le transport et l'épandage déduction faite de subvention potentielle pour un épandage par cycle de production sur un peuplement

Les données de l'enquête ont été recueillies au moyen d'une plateforme de sondage en ligne et d'une enquête

postale. Une invitation à participer au questionnaire a été envoyée aux membres des coopératives par courrier

électronique de novembre à décembre 2016. Le courriel comportait un lien vers l'enquête en ligne. Dans le cas

de CFBL, 528 membres ont reçu une version papier de la question incluant une lettre de retour car CFBL n'avait

pas d'adresse électronique de tous les membres

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Résultats

Nous avons obtenu 195 questionnaires complétés. Cependant, 211 répondants ont effectué l'expérience de

choix et ces réponses ont pu être utilisées pour les estimations (taux de réponse de 3,7%). Ce faible taux de

réponse doit être gardé à l'esprit lors de l'interprétation des résultats.

Une première question a consisté à demander dans quelle mesure le répondant considérerait l'épandage des

cendres dans leur forêt s’il était autorisé en France. En général, les propriétaires forestiers de notre échantillon

ont été positifs vis-à-vis du recyclage des cendres (Tableau 2).Tableau 2 : « Si à l'avenir, les conditions

techniques, économiques et réglementaires permettent d’épandre les cendres en forêt, seriez-vous prêt à le

faire? »

Réponse %

Définitivement non 1,44

Plutôt non 5,26

Plutôt oui 57,42

Définitivement oui 30,14

Je ne sais pas 5.74

Les résultats de l'expérience de choix sont analysés en appliquant un modèle d'utilité aléatoire (McFadden

1974). Comme prévu, nous constatons qu'il est plus probable qu'un propriétaire de forêt adopte le recyclage

des cendres si cela améliore la productivité de la forêt. En moyenne, les propriétaires forestiers préfèrent les

cendres produites localement ainsi que l'épandage terrestre. Plus le coût est élevé, moins le propriétaire

forestier choisira le recyclage des cendres. Le Tableau 3 montre le consentement à payer (CAP) marginal pour

différents attributs de scénario. Nous voyons qu'un propriétaire forestier moyen dans notre échantillon est

prêt à payer 10 € / ha pour une augmentation de 1% de la productivité de la forêt suite à l'épandage de

cendres. De plus, nous constatons qu'il y a un CAP négatif pour l'épandage par hélicoptère par rapport à

l'utilisation d'un tracteur. Les propriétaires forestiers paieront près de 50 € / ha pour avoir des cendres

produites localement. Enfin, nous constatons qu'il existe en moyenne un CAP positif pour l'utilisation des

cendres, qui ne dépend pas des caractéristiques utilisées pour décrire les scénarios. Une analyse plus

approfondie (Abildtrup et al., 2018) montre que 1) les propriétaires forestiers ayant une partie importante de

la forêt de conifères ont un CAP plus élevé pour le recyclage des cendres, 2) les propriétaires forestiers qui ont

la protection de la nature comme objectif principal de gestion ont un CAP plus élevé pour le circuit de

recyclage, et 3)il y a une hétérogénéité importante parmi les propriétaires par rapport à l'acceptabilité du

recyclage des cendres.

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Tableau 3 : Résultats de l'expérience de choix: Consentement à Payer (CAP) marginal

Attributs

CAP

(Euros/ha)

erreur

standard P>|z|

1% d’augmentation de production de bois 10.39 1.89 0.000

Aérien (hélicoptère) versus Terrestre (Tracteur) -83.48 17.53 0.000

Circuit de recyclage court 49.09 16.05 0.000

CAP pour recyclage des cendres indépendant des attributs 186.94 25.35 0.000

211 propriétaires, 1266 choix

Bibliographie

Abildtrup, J., Saint-André, L. , Stenger-, A (2018). French forest owners’ stated preferences for ash-recycling – A discrete

choice experiment. Working paper in preparation. BETA, Nancy

Louviere, J. and G. Woodworth (1983), ‘Design and Analysis of Simulated Consumer Choice’, Journal of Marketing Research

20, 350–367

McFadden, D. L. (1974). Conditional Logit Analysis of Qualitative Choice Behavior. In P. Zarembka (Ed.), Frontiers in

Econometrics (pp. 105–142). NEW YORK: Academic Press

La gestion du changement dans les organisations complexes : l’approche de la stratégie comme pratique dans le cas du Contrat d’Objectifs et de Performance 2016-2020 de

l’Office National des Forêts

Nathalie CAROL

Centre Européen de Recherche en Économie Financière et Gestion des Entreprises (CEREFIGE) / UMR Silva

Université de Lorraine

L’Office national des forêts face aux enjeux d’une économie écologique et sociale

L’Office National des Forêts (ONF), établissement public à caractère industriel et commercial, est un acteur-clé

dans la mise en œuvre de la politique forestière sur l’ensemble du territoire français. Unique gestionnaire des

forêts publiques, propriétés de l'état et des collectivités locales, il doit relever le quadruple défi d’adapter ses

pratiques de gestion aux incertitudes climatiques, de répondre aux besoins de la filière en approvisionnement,

de satisfaire les attentes récréatives du public tout en préservant la biodiversité des forêts. Une nouvelle feuille

de route a été adoptée le 7 mars 2016 conjointement avec la Fédération Nationale des Communes Forestières

et l'Etat : le contrat d’objectifs et de performance (COP) 2016-2020. Plusieurs axes prioritaires ont été fixés

parmi lesquels « accroître la mobilisation du bois au bénéfice de la filière et de l’emploi » (axe 1).

Ce choix stratégique suscite parmi son personnel sinon une opposition virulente du moins de vives

préoccupations quant à une gestion forestière dominée par une logique de rentabilité : la forêt publique ne

serait-elle pas sacrifiée sur l’autel de la productivité et de la marchandisation ? La rentabilité n’est-elle pas

nuisible à l’intérêt général ? Il est pourtant clairement établi dans ce contrat que la satisfaction des attentes de

la filière est conditionnée au respect des principes d’une gestion durable (COP 2016-2020 de l’ONF, p.6).

Comment en ce cas comprendre la désunion ou l’incertitude autour de mesures visant à concilier les exigences

environnementales avec la rentabilité? Comment cette juxtaposition de deux objectifs non hiérarchisés est-elle

finalement perçue par les agents ? Comment les interprétations se construisent-elles ? Quels sont les actions

qu’elles induisent et leur impact sur la stratégie de l’ONF ?

Le sensemaking, une approche interactive de la dynamique organisationnelle

La théorie du sensemaking élaborée par Karl E. Weick (1936-) peut apporter des éléments de réponse aux

questions posées. La construction collective de sens s’opérerait dans « des cycles de comportements interreliés

» (Autissier et al., 2006), autrement dit, dans des interactions communicatives en situation. C’est en

interagissant que les acteurs organisationnels s’accorderaient sur les interprétations possibles de la situation et

les actions à mener. L’action organisée ne reposerait toutefois pas nécessairement sur une vision similaire des

objectifs mais sur une représentation partagée des moyens à mettre œuvre pour satisfaire les intérêts

personnels.

Le sensemaking comporterait sept propriétés (Weick, 1995) :

1. Il est ancré dans la construction identitaire

La définition de la situation est fonction de l’image de soi qui doit être auprès des autres

2. Il est rétrospectif

L’action fournit les matériaux de base qui sont ensuite interprétés dans les interactions

3. Il promulgue des environnements sensés

Le sens résulte d’une relation établie entre les données de la situation présente et les cartes cognitives issues de l’expérience, de l’apprentissage et des interactions

4. C’est un processus social C’est dans l’interaction que se construit le sens de l’action

5. Il est continu Le sensemaking ne commence ni ne s’arrête

93

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

6. Il met l’accent et est conduit par l’extraction d’indices

Les indices qui sont filtrés, classés puis traités proviennent de stimuli perçus comme inattendus

7. Il est conduit par la recherche de plausibilité plutôt que l’exactitude

La plausibilité est suffisamment crédible pour assurer l’engagement dans l’action

Si le sensemaking fournit des ressources utiles pour saisir la construction collective de sens à l’ONF, ses

concepts sont faiblement articulés entre eux et difficiles à tester empiriquement. Aussi, la strategy-as-practice

est proposée comme approche complémentaire.

La strategy-as-practice: une stratégie qui se fabrique plutôt qu’une stratégie qui se décide

En plein essor dans les sciences du management depuis les années 2000, la strategy-as-practice appréhende la

stratégie non pas comme quelque chose qu'une organisation possède mais comme quelque chose que ses

membres font (Golsorkhi, 2015). Elle oriente alors le regard vers les acteurs, leurs actions, leurs interactions

mais également le contexte dans lequel s’établissent les micro-actions stratégiques. Le faire stratégique pour,

en l’occurrence, construire du sens, s’articulerait empiriquement autour de trois piliers (Goy, 2009):

Pour Balogun et al., (2006), la recherche empirique doit privilégier la liaison entre deux foyers dominants :

pratique-pratiques ; pratique-praticiens ; pratiques-praticiens. La construction collective de sens dans les

interactions nous amène inévitablement à considérer les praticiens. Le rôle des cadres intermédiaires entendus

comme « le coordinateur entre les activités quotidiennes des unités et les activités stratégiques de la hiérarchie

» (Vogler et al., 2006, p.114) est aujourd’hui difficilement appréhendable dans la littérature: sont-ils une simple

courroie de transmission ou des créateurs de sens agissant en partenaire de l’équipe dirigeante? Pour éclairer

cette question, le responsable d’Unité Territoriale (RUT), premier niveau de management opérationnel, en

charge d’animer et de coordonner la gestion forestière dans un périmètre prédéfini est proposé pour l’analyse.

L’intérêt porté à la construction collective de sens ne peut également se soustraire d’une analyse des pratiques

au sein desquels s’établissent les micro-interactions. Les opérations de martelage1 ont alors été identifiées

comme une occasion potentiellement propice aux activités de sensemaking.

Aussi, pour expliquer et comprendre les préoccupations voire les oppositions que suscitent en interne la

nouvelle orientation stratégique de l’ONF, nous proposons d’interroger le rôle et les pratiques des RUT dans

la construction collective de sens.

1 Le martelage consiste à désigner collectivement les arbres et les tiges qui seront coupés par les ouvriers bûcherons. L’objectif est double :

renouveler le capital forestier et approvisionner l’industrie du bois et de l’énergie.

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La région Grand Est, couverte à 59% de forêts publiques, premier producteur national de bois, constituera le

terrain privilégié de l’étude.

Les propositions qui guideront le recueil et d’analyse des données sont les suivantes :

- les RUT sont des « praticiens » clefs du sens stratégique ;

- le sens de la stratégie se construit dans les interactions en situation de martelage ;

- les praticiens sont porteurs de multiples identités et subjectivités ;

- cette pluralité est à l’origine de contradictions dans les pratiques stratégiques.

Une approche qualitative de la création collective du sens à l’ONF

Une étude de cas pour appréhender la complexité du faire stratégique

Comme le souligne F. Allard-Poesi, « parce qu’il s’accomplit dans un contexte d’interactions avec le réel et les

autres toujours particulier, parce qu’il est transformé à mesure des incertitudes et problèmes concrets

rencontrés (…) parce qu’il est adapté aux finalités des acteurs (…), le faire stratégique est toujours situé, et, en

ce sens, singulier ». Le point d’entrée le plus adapté apparaît donc être l’étude de cas privilégiant les approches

ethnographique et longitudinale (Gavard-Perret et al., 2012). L’étude de cas sera donc privilégiée pour analyser

le rôle et les pratiques des RUT dans la construction collective de sens.

La collecte des données : l’entretien semi-directif et l’observation participante

Le projet de connaissance porte sur les significations sociales autour de l’axe 1 du COP 2016-2020 construites

par les acteurs agissant et interagissant. Le chercheur doit alors se placer « au plus près des situations dans

lesquelles se déroulent ces actions et interactions, soit qu’il les reconstitue (historien), les observe

(observation, observation participante) ou qu’il agisse de concert avec les acteurs étudiés (recherche-action) »

(Dumez, 2013, p.7). Les principales méthodes de recueil des données seront alors l’entretien semi-directif et

l’observation participante.

Une dizaine d’entretiens auprès de RUT sera réalisée au cours de la phase exploratoire afin de tester la

pertinence des premières propositions de recherche et faire émerger de nouvelles pistes de réflexion. Cet

échantillon sera réduit dans la phase principale d’enquête et élargi en fonction des premiers résultats aux

techniciens forestiers, chefs de service, directeurs d’agence, etc. L’observation participante portera pour sa

part sur deux types de pratiques : production (martelage, management) et ressources humaines (dispositifs et

outils d’accompagnement dans les fonctions de manager).

L’office national des Forêts, une ambition scientifique porteuse pour l’avenir Ce projet de recherche vise à établir un lien entre un phénomène observé (ce qui doit être expliqué) et ses

causes plausibles (ce qui explique) (Dumez, 2013). Outre sa visée compréhensive, il cherche à éprouver sur un

terrain original la théorie du sensemaking ainsi que l’approche de la strategy-as-practice dont le nombre de

travaux empiriques confirmant sa validité reste relativement limité (Balogun et al., 2006). Enfin, en réhabilitant

l’humain dans la fabrique de la stratégie, cette étude permettra de répondre aux intérêts de la direction

générale de l’ONF pour des solutions plus pratiques à même de les accompagner dans la mise en œuvre de leur

stratégie. Plus précisément, les livrables attendus sont les suivants :

- outils de gestion permettant d’assurer un meilleur alignement entre la stratégie et sa mise en œuvre ;

- programme opérationnel d’accompagnement au changement.

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Bibliographie Autissier, D, G Koenig, and F Bensebaa. 2006. Les Défis Du Sensemaking En Entreprise: Karl E. Weick et Les Sciences de Gestion. Economica. Balogun, J., Jarzabkowski, P., Seidl, D. (2006) Stratégie comme pratique: recentrage de la recherche en management stratégique, In La fabrique de la stratégie une perspective multidimensionnelle. Vuibert, Paris Dumez, H. 2013. Méthodologie de la recherche qualitative : les 10 questions clés de la démarche compréhensive, Paris, France : Vuibert, 240p. Gavard-Perret, M-L., Gotteland, D., Haon, C., Jolivet, A., (2012) Méthodologie de la recherche en sciences de gestion : réussir son mémoire ou sa thèse, Paris, France : Pearson, 2

èmeédition

ONF (2016) Contrat D’objectifs et de Performance 2016-2020. http://www.onf.fr/outils/breves/20160307-152755-686963/++files++/ Vogler, E, Rouzies, A., (2006) Les cadres intermédiaires fabriquent aussi la stratégie in D. Golsorkhi (Eds), La fabrique de la stratégie. Une approche multidimensionnelle : 109-128. Paris :Vuibert Weick, K E. 1995. Sensemaking in Organizations. SAGE Publications.

La fabrique des curricula, composant des mutations de la foresterie.

Jean-Paul GUYON

Université de Nancy

Fabriquer des curricula innovants pour les bâtisseurs des voies nouvelles de la foresterie en France

La question de la fabrique de curricula et de cursus dynamiques, originaux, innovants, globalisants et donc

attractifs en formation initiale comme en formation tout au long de la vie est une donnée fondamentale

d’accompagnement de la mutation actuelle de la foresterie. Les travaux de Philippe Aghion et Elie Cohen,

montrent que le capital humain et le niveau d'éducation sont devenus les leviers essentiels de la croissance,

avant même les ressources matérielles et financières. Le secteur industriel français forêt bois n’a pas encore

développé cette capacité. Ce qui est en cause c’est le mode de fabrique des curricula dans l’enseignement

supérieur. Il est de plus en plus demandé, notamment par les étudiants et les professionnels que les curricula

visent à des compétences élargies et à une lisibilité à l’international. Toutes les carrières aujourd’hui ne sont

plus rectilignes, ni totalement consacrées à la thématique de formation initiale, un ingénieur en foresterie peut

avoir ou vouloir, durant sa carrière, des parcours qui font appels à d’autres disciplines que celle de sa formation

initiale, ou avoir des compétences dans plusieurs disciplines. Il faut donc inclure ces changements dans la

construction d’une formation supérieure répondant à ces besoins et demandes.

Les réponses aux questions que posent les mutations de la foresterie seront traitées par les cadres du secteur

forestier formés dès aujourd’hui. Il en va de notre capacité à innover pour relever le défi du recyclage

permanent des compétences dans un monde de libre circulation des savoirs et de management par la super

intelligence artificielle, celle des systèmes doués de subjectivité, ou encore l’intelligence artificielle restreinte,

celle des systèmes capables d’égaler ou excéder l’intelligence humaine (C. Malabou). Ce qui replace au cœur

des formations supérieures la question des compétences et des pratiques des Enseignant-chercheurs ainsi que

celle de leur formation, notamment pendant le parcours de thèse.

Innover, mutualiser, internationaliser pour répondre aux attentes des étudiants et des professionnels,

l’exemple de XYLOSUP

La plateforme d’enseignement supérieur en foresterie initiée au début des années 2000, labelisé initiative

d’excellence en 2012 par l’université de Bordeaux a pour objectif de proposer des enseignements qui

répondent aux attentes des étudiants et du réseau d’acteurs d’un secteur forestier industriel en déclin depuis

des décennies. Le dispositif pédagogique structure les curricula en faisant interagir les acteurs qui les

produisent, les promeuvent et les mettent en œuvre. Les spécificités de cette plateforme visent à combler les

manques dans l’enseignement forestier supérieur. Ces manques concernent les liens entre formation à la forêt

et formation aux produits biens et services de la forêt, ainsi que les liens entre formation initiale et formation

continue. Les innovations dans ces conditions sont : i) un curricula de la foresterie, c’est-à-dire d’un manageur

forestier dont les compétences s’étendent autant dans le management forestier que dans le mangement de

tous les produits, biens et services de la forêt, et, ii) des promotions d’étudiants de formations différentes -

ingénieurs, masters, formation continue, étrangers- qui suivent, pour un temps, le même parcours avec des

adaptations spécifiques en fonction de leurs attendus. Enfin, il s’agit aussi de confronter les curricula des

doctorants à la réalité des compétences demandées en entreprise. Bien que des améliorations aient été

apportées par les écoles doctorales ces 2 dernières décennies dans les parcours de thèse, les entreprises ne

croient pas majoritairement aux docteurs. En cause, la confidentialité d’information sur les travaux de thèse et

les compétences que la formation par la recherche donne pendant le parcours de thèse qui sont éloignées de

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Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

celles requises dans le cadre de l’entreprise. Il y a donc nécessité de repenser le mode de fabrique des sujets et

projets de thèse en dehors de l’entre soi des chercheurs et enseignants-chercheurs. Les pratiques de recherche

qui associent les sciences participatives (F. Houllier, INRA, 2016) s’adressent explicitement à la communauté

éducative.

Le dispositif de la plateforme Xylosup associe fondations (Université de Bordeaux, fondation de France),

entreprises qui participent au développement des curricula (via un pôle de compétitivité), organismes de

recherche et de développement, administrations et associations d’utilisateurs. Les critères de ces curricula

sont : interdisciplinarité et décloisonnement des disciplines, cohortes d’étudiants de cursus et de pays

différents, formations diplômantes tout au long de la vie, double diplôme, enseignements en ligne et de

terrain, par compétences à partir des connaissances scientifiques et des savoirs empiriques pour des diplômes

qui forment à la complexité et la globalisation des managements en foresterie aujourd’hui. Au niveau

international et quelles que soient les disciplines, les 4 indicateurs du succès de l’attraction des formations

pour les étudiants sont : la présence d’une grande métropole, l’enseignement par la pratique,

l’accompagnement par un fort encadrement des étudiants et enfin un important marketing. Ces critères ne

sont pas tous toujours réunis, en même temps, dans les pôles d’enseignement et de recherche en France.

Impliquer tous les acteurs dans toutes les étapes de la construction des curricula

La nécessité de proposer une diversité de parcours adaptée et adaptable à la demande des candidats à la

formation et à la concurrence internationale, nous conduit à proposer une redéfinition des curricula dans les

domaines de la foresterie à deux échelles : celle des territoires forestiers régionaux et celle de l’identité

européenne, portée par les universités. Le Canada, rayonnant et attractif sur la scène internationale en matière

de formation -notamment en foresterie- peut servir d’exemple.

Les gouvernances doivent également s’inspirer des modèles économiques mis en place depuis des années dans

d’autres secteurs industriels comme, par exemple, ceux de l’industrie aéronautique (MIMAUSA, Aerocampus)

ou encore, du secteur médical optique (PYLA). Ces exemples s’appuient sur un réseau structuré d’écoles, de

laboratoires de recherche, d’instituts techniques de développement, d’organismes de gestion et d’entreprises

innovantes. Le secteur forestier français possède tous les éléments pour la création d’un tel réseau d’acteurs, à

condition que les curricula cessent d’être un enjeu de luttes de pouvoir pour devenir l’expression des multiples

intelligences collectives qui existent dans la foresterie française.

5 propositions pour accompagner les nécessaires mutations de la formation supérieure en foresterie

Création d’un conseil national des curricula de l’enseignement supérieur (formations initiales et continues) en

foresterie (qui inclus un collège d’étudiants) de BAC+2 à BAC +8 cette instance pourrait être porté par

Agreenium.

Concertation entre toutes les formations en foresterie (de Bac + 5 à Bac +8) GE et Universités, pour une

politique de définition et d’évaluation des curricula et une lisibilité à l’international de l’enseignement en

Foresterie en France dans le but de créer un Institut de la Foresterie Française.

Fabrique des curricula par tous les acteurs de la foresterie, pour une évolution des compétences tout au long de

la carrière et une participation de tous les acteurs à l’innovation dans la fabrique des curricula.

Création d’un modèle économique pour l’enseignement en Foresterie sur la base d’un financement

Europe/Etat/Région/Métropole/Professionnels/Fondations/ Etudiants.

Communication à l’international notamment en Europe (via l’EFI et l’IUFRO) autour de l’enseignement

supérieur en foresterie en France.

98

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

Où et comment agir pour dynamiser et moderniser les curricula

Les critères des curricula (mobilité, connaissances, compétences, financement et environnement) doivent se

définir avec des stratégies adaptées (diversité et mixité des parcours notamment) aux territoires

géographiques pertinents (métropole, régions, communauté de communes, département, fondations, Europe)

selon la spécificité de ces territoires. Une action spécifique doit permettre de faire entrer les doctorants dans

les entreprises. La généralisation des doubles diplômes (foret-bois, foret-économie, ou encore forêt-

environnement) ainsi que des formations diplômantes lors du recyclage des compétences est aussi une

priorité.

La réussite d’une telle entreprise passe par le développement d’actions dans les domaines de l’intelligence

collective et la création d’un réseau de valeurs de l’enseignement supérieur en foresterie.

Le secteur forestier français possède tous les éléments pour la création d’un tel réseau de valeur forestière

élargi, à condition que les curricula cessent d’être un enjeu de luttes de pouvoir pour devenir l’expression des

multiples intelligences collectives qui existent dans la foresterie française.

Le processus d'institutionnalisation des enjeux carbone dans la filière Forêt-bois

Zoé GINTER

Irstea

Le changement climatique apparait comme un enjeu central autour duquel se mobilisent de plus en plus

d’acteurs publics et privés. Au cœur de ce référentiel, le carbone forestier est reconnu comme un élément

important du processus de régulation des émissions de gaz à effet de serre (GES). A titre d’exemple, la forêt

séquestre à l’échelle mondiale 9,5 Gt CO2éq.d’émissions nettes de GES par an, l’équivalent de 30 % des

émissions. En parallèle, on observe depuis une quinzaine d’années la multiplication des outils de comptabilité

environnementale, et notamment carbone. Cette comptabilité carbone répond ainsi à deux objectifs

principaux :

1) Comme outil de pilotage interne à une entité (entreprise, collectivité…), il est mobilisé afin de réduire

l’empreinte environnementale (par le biais d’innovation de process par exemple).

2) et/ou L’outils permet de valoriser une filière ou un produit jugé vertueux sur le plan

environnemental, parce que peu émetteur de GES. Dans ce cas, la comptabilité carbone peut par exemple

permettre l’obtention d’un label qui distinguera l’entreprise ou un produit d’un autre. Ce qui peut être un

facteur de compétitivité sur certains marchés.

La contribution proposée a permis de présenter les résultats d’une recherche en cours dans le cadre du projet

TERFICA1 qui s’intéresse aux rapports entre stratégie carbone des entreprises et stratégie de filière à

l’échelle territoriale afin de comprendre les déterminants de l’adoption d’une comptabilité carbone. Plus

précisément, cette intervention en mobilisant une approche combinant économie politique et sociologie

politique, entend décrire et analyser les différentes facettes et modalités de l’institutionnalisation des enjeux

carbones dans les pratiques de gouvernement de l’industrie du bois. Cette étude se base sur un travail

d’enquête empirique approfondie (par entretien et observation), et plusieurs initiatives ont été analysées.

La globalisation des enjeux climatiques et l’émergence de nouveaux marchés offrent des opportunités

multiples que la filière forêt bois peine néanmoins à saisir. Lorsqu’on s’intéresse aux stratégies carbone des

entreprises, plusieurs variables sont à prendre en compte et expliquent l’appropriation de la comptabilité

carbone par les industriels (taille et segment de l’entreprise, structuration du marché, ancrage territorial…).

Nous avons pu constater qu’il existe bien diverses approches et registres qui justifient l’appropriation des

comptabilités carbone au sein des stratégies d’entreprises.

Nous observons de multiples usages de ces outils qui s’inscrivent dans des logiques d’isomorphisme, de

légitimation, d’affichage ou encore au sein de stratégie RSE. Ces logiques se superposant par moment, elles

convergent le plus souvent vers un objectif de compétitivité pour la filière. Si l’outil de comptabilité carbone

apparait comme un construit socio-technique, nous voyons surtout que celui-ci n’est ni stabilisé ni clos, tant

son usage au sein de la filière traduit des approches différenciées du carbone. C’est pourquoi il nous semble

plus approprié de parler de ‘tactique carbone’ dans le cas des entreprises de la filière forêt bois.

Parallèlement, la régulation du secteur de la construction et l’évaluation de la performance environnementale

du bâtiment souligne le constat d’une tendance à la normalisation des pratiques via des dispositifs

techniques pensés en faveur du développement durable. L’enjeu, dans le cadre de la politique de transition

1 Le projet TERFICA (Territoire et filière forêt-bois : la stratégie carbone comme interface) a été élaboré en réponse à l’appel à projet Carbone financé par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) (2016-2019). Il est coordonné par le bureau d’étude APESA. Il implique également l’IRSTEA et la cellule Set -transfert du laboratoire PASSAGES.

100

Réseau SEHS du GIP Ecofor –Actes du Colloque « Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois » - 2018

bas carbone est alors d’améliorer la performance énergétique et bas carbone des bâtiments neufs, ce qui

pourrait inciter indirectement le recours à des matériaux bois. Pourtant, la part de marché du bois dans la

construction reste aujourd’hui marginale. Une stratégie de mise en visibilité des atouts du bois construction

pour la lutte contre le changement climatique (à la fois par l’effet de stockage et de substitution) peine à

émerger. Nous n’observons pas encore de banalisation de la construction bois, qui semble relever davantage

d’un « acte militant » ou d’un « effet de mode ». La filière forêt bois s’est longtemps reposée sur ses acquis et a

tardé à intégrer pleinement la dimension environnementale dans ses activités.

Nous observons aujourd’hui l’émergence de dynamiques collectives autour de la publicisation des enjeux

carbone dans la construction, qui pourraient représenter une opportunité sans précédent pour le

positionnement de la filière sur les marchés. Le travail politique mené par les professionnels de la filière reste

néanmoins fragmenté, et c’est principalement des modalités de régulation telles que la commande publique

qui participent indirectement à l’institutionnalisation d’un registre discursif ‘carbone’. La régulation du secteur

du bâtiment dès les années 1990 a toutefois permis de positionner le bois construction comme ‘précurseur’ au

sein de la filière en ce qui concerne la prise en compte des enjeux environnementaux. Plusieurs éléments

expliquent cette trajectoire, notamment les évolutions réglementaires en matière d’impact environnemental et

le rôle de la commande publique.

A travers cette étude, nous avons cherché à montrer que la construction de la question carbone peut être

controversée et qu’elle fait l’objet d’une publicisation dispersée. Cela s’explique à la fois par le positionnement

de la problématique carbone à l’intersection entre politique forestière, politique environnementale et politique

industrielle, mais également parce que le carbone est mis en politique par un ensemble d’acteurs. La

problématique carbone, transversale, se traduit alors dans des secteurs ayant leur fonctionnement propre. Que

ce soit à l’échelle de la filière ou du territoire, la construction d’une stratégie carbone est aussi circonscrite par

l’environnement institutionnel et les cadres de régulation pré existants (réglementation du bâtiment, finance

carbone, formes de la concurrence…). On observe alors une diffusion en filigrane, une institutionnalisation en

accordéon, mais surtout des formes différenciées du ‘changement de pratique’.

S’il existe bien des dynamiques collectives et un travail politique autour de la comptabilité carbone, ceux-ci

rencontrent un ensemble de barrières techniques et politiques. Toutefois, ces dynamiques traduisent une

reconfiguration des stratégies collectives et individuelles face à des environnements politiques, institutionnels

et économiques changeants. Les enjeux carbones sont révélateurs des mutations qui traversent la filière mais

aussi de ses problématiques (approvisionnement, financement…). Le carbone offre en cela des pistes de

recherche intéressantes.

Actes du colloque

« Entre dynamiques et mutations, quelles voies pour la forêt et le bois ? »

organisé par le réseau de chercheurs en sciences économiques, humaines et sociales du GIP Ecofor

Coordination

Anaïs Jallais

Francis de Morogues

GIP Ecofor

Photo de couverture

©Jean-Luc Peyron

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