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© Naren Keita, 2019
Survie et croissance des boutures de Salix sous divers régimes hydriques dans une perspective de
stabilisation des berges par génie végétal - Approche expérimentale établie dans le but d'améliorer les connaissances et les pratiques du génie végétal
Mémoire
Naren Keita
Maîtrise en biologie végétale - avec mémoire
Maître ès sciences (M. Sc.)
Québec, Canada
Survie et croissance des boutures de Salix sous
divers régimes hydriques dans une perspective de
stabilisation de berges par génie végétal
Approche expérimentale établie dans le but d’améliorer les
connaissances et les pratiques du génie végétal
Mémoire
NAREN KEITA
Sous la direction de :
Monique Poulin, directrice de recherche
André Evette, codirecteur de recherche
ii
Résumé
Le dynamisme des cours d’eau peut avoir des effets dévastateurs sur les infrastructures à
proximité et la stabilisation des berges. L’enrochement a longtemps été utilisé comme
technique d’aménagement des berges, jusqu’à une période récente où le génie végétal a été
reconnu comme une technique de replacement. Toutefois, les connaissances sont limitées
concernant la réponse des espèces pionnières des zones riveraines soumises à différents
régimes hydriques. Dans le cadre de la présente étude, la survie et la croissance végétative
des boutures de saule (Salix) sous divers régimes hydriques ont été étudiées. Les résultats
indiquent un taux de survie supérieur à 88% pour l’ensemble des trois espèces, peu importe
le régime hydrique. Les trois espèces testées, soit S. discolor, S. eriocephala et S. interior,
ont présenté une bonne tolérance au stress hydrique, bien que S. eriocephala ait produit la
plus grande biomasse aérienne et racinaire des trois espèces. La présente étude jette ainsi
les premières bases pour assurer une bonne utilisation de ces espèces dans les ouvrages à
partir des techniques de génie végétal. Sur la base de la présente étude, l’usage de ces
espèces et plus particulièrement du S. eriocephala pourrait contribuer à la réussite des
projets de génie végétal pour la stabilisation des berges au Québec.
iii
Table des matières
Résumé ................................................................................................................................ ii
Table des matières .............................................................................................................. iii
Liste des tableaux ................................................................................................................ v
Liste des figures .................................................................................................................. vi
Remerciements .................................................................................................................. vii
Avant-propos ...................................................................................................................... ix
Introduction : ....................................................................................................................... 1
CHAPTER 1 ........................................................................................................................ 9
1.1 Résumé ................................................................................................................ 10
1.2 Introduction ......................................................................................................... 11
1.3 Méthode .............................................................................................................. 14
1.3.1 Design expérimental ........................................................................................ 14
1.3.2 Mise en place des traitements.......................................................................... 15
1.3.2.1 Récolte des boutures ................................................................................ 15
1.3.2.2 Plantation des boutures ............................................................................ 17
1.3.3 Application des traitements de régimes hydriques .......................................... 17
1.3.3.1 Traitement en conditions à la capacité au champ .................................... 17
1.3.3.2 Traitement en conditions de sécheresse ................................................... 18
1.3.3.3 Traitement en conditions d’inondation .................................................... 18
1.3.4 Conditions de croissance ................................................................................. 18
1.3.5 Suivi ................................................................................................................ 19
1.3.5.1 Conditions hydriques du substrat de sol .................................................. 19
1.3.6 Variables réponses correspondant à la croissance........................................... 20
1.3.7 Analyse des données ....................................................................................... 21
1.4 Résultats .............................................................................................................. 21
1.4.1 Survie des saules ............................................................................................. 21
1.4.2 Croissance des saules ...................................................................................... 21
1.4.2.1 Longueur racinaire ................................................................................... 21
1.4.2.2 Production de biomasse ........................................................................... 23
1.4.2.3 Volume racinaire ...................................................................................... 27
1.5 Discussion ........................................................................................................... 29
1.5.1 Effet des régimes hydriques ............................................................................ 29
1.5.2 Variation entre les espèces .............................................................................. 31
iv
1.6 Remerciements .................................................................................................... 33
Conclusions .................................................................................................................... 34
Bibliographies ................................................................................................................ 35
v
Liste des tableaux
Tableau 1 : Les techniques de génie végétal pour la stabilisation des berges. ................................... 6 Tableau 2 : Origine de 36 boutures de S. discolor, S. eriocephala et S. interior collectées. ........... 16 Tableau 3 : Effet du régime hydrique et du type d’espèce sur la longueur racinaire totale. ........... 23 Tableau 4 : Effet du régime hydrique sur les biomasses aériennes, racinaires, totales et ratio de
biomase sèche des trois espèces (S. discolor, S.eriocephala, S.interior) sous trois régimes
hydriques…. ................................................................................................................................................ 26 Tableau 5 : Effet du régime hydrique sur le volume racinaire des trois espèces (S. discolor,
S.eriocephala, S.interior) sous trois régimes hydriques, soit en conditions de sécheresse, de
capacité au champ et d’inondation ..................................................................................................... 28
vi
Liste des figures
Figure 1. A. Disposition des six sacs de sable dans chacune des parcelles principales correspondant
à un régime hydrique; B. Exemple d’un bac contenant six sacs (en sous-parcelles) avec chacun un
échantillon de chacune des trois espèces de saules (total de six boutures par bac) ; C. Exemple d’un
bloc avec les trois régimes hydriques. ............................................................................................ 15
Figure 2. Dispositif expérimental établi dans la serre haute performance . .................................. 19
Figure 3. Suivi de la condition hydrique du substrat de sol pour les trois traitements hydriques . 20
Figure 4. Longueur racinaire totale en fonction des régimes hydriques et en fonction des espèces
de Saules......................................................................................................................................... 22
Figure 5. Biomasse aérienne totale (A), racinaire (B), aérienne/racinaire (C) et totale (D).. ........ 25
Figure 6. Volume moyen des racines en fonction des espèces (A), et des diamètres (B).. . ......... 27
vii
Remerciements
Je remercie chaleureusement ma directrice de recherche Mme Monique Poulin, professeure
et chercheure au Département de phytologie de la Faculté des Sciences de l’Agriculture et
de l’Alimentation pour son encadrement émérite dans ma formation scientifique et au-delà
du cadre professionnel. Son dynamisme et sa rigueur pour la recherche m’ont permis de
développer des compétences remarquables tout au long de mon parcours à l’Université
Laval. J’ai été très sensible à son sens d’humanisme et à l’originalité de ses initiatives. Par
sa présence et son accompagnement, je n’ai jamais senti le poids de la distance avec les
miens qui se trouvent à des milliers de kilomètres du Canada.
Je tiens aussi à remercier sincèrement mon codirecteur, M. André Evette . Je vous remercie
beaucoup pour vos conseils, votre disponibilité, et votre support durant mon parcours de
maîtrise au programme de biologie végétale.
Je voudrais remercier chaleureusement Maxime Tisserant pour son appui et sa contribution
sans faille à la réussite de mes cours et de mon intégration à l’Université Laval. Mes
remerciements vont aussi à Sandrine Hogue-Hugron, Léo Jeanne Paquin, Jean François
Rioux et à Jérôme Cimon-Morin pour leurs précieux appuis et conseils.
Je remercie Dr Steeve Pépin professeur au Département des Sols et de génie
agroalimentaire, Cintia Racine (étudiante au doctorat de Sylvio Demers) et Isabelle
Clermont pour leur contribution à la réussite de mon expérimentation, notamment via leur
aide dans l’apprentissage de la manipulation de l’appareil TDR (évalue la constance
diélectrique du sol).
Je tiens aussi à remercier Audrey Auclair, Jennifer Brodeur, Pierre Mathieu Charest, Daniel
Campeau, Marie-Michèle Thibaudeau et Hélène Servais, tous les membres du projet de
formation pour la sécurité alimentaire au Mali pour leurs accompagnements irréprochables
et l’Affaire Mondiale Canada de m’avoir offert la bourse d’études et pour m’avoir donnée
l’opportunité de réaliser l’un de mes rêves le plus précieux, qui était de venir poursuivre
mes études supérieures au CANADA.
viii
Finalement, je voudrais exprimer toute ma reconnaissance à mes parents Seriba KEITA et
Safiatou Doumbia, mon mari Ousmane Z TRAORÉ et ma famille à Québec Lansénou
KEITA et Bintou CISSÉ qui m’ont apporté un soutien moral sans faille tout au long de
cette aventure.
ix
Avant-propos
Le présent mémoire se divise en deux principales sections. La première section représente
l’introduction générale. Elle consistait à l’élaborer un cadre conceptuel en lien avec la
stabilisation des berges par la technique de génie végétal et à traiter la capacité de
bouturages de Salix soumis à différents régimes hydriques. La section a été rédigée sur la
base des connaissances existantes dans la littérature en rapport avec le sujet de recherche.
Pour cette section, exclusivement théorique, je me suis inspirée des expériences des études
antérieures, afin de pouvoir identifier dans un premier temps, la problématique liée à la
pratique du génie végétal, ensuite d’identifier les limites de la recherche sur le sujet. Ainsi,
cela nous a permis de pouvoir développer la question de recherche, dont la réponse apporte
sa part de contribution à certains problèmes rencontrés dans les projets de génie végétal.
Pour cela, nous nous sommes inspirés des études faites en Europe, en Amérique du Nord,
aux États-Unis et au Mexique. Monique Poulin (directrice de recherche), André Evette
(codirecteur) et Maxime Tisserant (étudiant au doctorat dans le laboratoire de Monique
Poulin) m’ont recommandé plusieurs articles et ouvrages qui traitent de mon sujet de
recherche.
La deuxième section a été rédigée sous forme d’article. Je suis l’auteure principale.
L’article présenté au chapitre 1 est intitulé « Survie et croissance des boutures de Salix sous
divers régimes hydriques dans une perspective de stabilisation des berges par de génie
végétal». Pour cet article, j’ai cherché les populations naturelles de saules et effectué la
collecte des boutures sur le terrain à l’automne 2017. Aussi, j’ai élaboré et mis en place le
dispositif expérimental et procédé à la prise de données durant l’expérimentation. J’ai
effectué les analyses statistiques et rédigé le manuscrit. Les deux coauteurs, Monique
Poulin et André Evette ont contribué à l’élaboration du protocole de recherche, au choix
des espèces, à l’élaboration du dispositif expérimental, au suivi de l’expérience et à la
révision du manuscrit. Aussi Maxime Tisserant a pleinement contribué à toutes les étapes
de la présente étude. Enfin, Sandrine Hogue-Hugron (professionnelle de recherche) a
contribué à la révision du manuscrit.
1
Introduction :
Cadre conceptuel de la stabilisation des berges par la
technique de génie végétal
2
Problématique
Les cours d’eau sont des milieux très complexes et se distinguent par un état d’équilibre non
statique (Choné, 2013). Cela indique que les cours d’eau sont des milieux très dynamiques et
peuvent occuper dans le temps différentes zones en migrant dans leur plaine d’inondation
(Marcoux-Viel, 2015). Cette variabilité spatiale s’accompagne d’une variabilité temporelle
des débits, notamment au cours du cycle hydrologique annuel. Par exemple, le chenal
d’écoulement d’eau perceptible en période estivale disparait complètement au printemps à
cause des effets de la crue causée par la fonte des glaces et des neiges. La dynamique naturelle
des cours d’eau, bien qu’elle soit souhaitable pour la diversité des habitats riverains et la
recharge solide, peut représenter un risque pour la sécurité de la population localisée à
proximité. C’est pourquoi la prise en compte des milieux riverains et de tout l’espace de
liberté des rivières est capitale (Gagnon, 2007). Elle permet d’assurer la résilience des berges
des cours d’eau et d’amoindrir les risques sur les infrastructures (Biron et al., 2013).
Par ailleurs, les populations humaines vivant près des cours d’eau ne cessent d’augmenter.
Les raisons de cette densité près des cours d’eau sont assez nombreuses : la présence de la
ressource en eau, les services écosystémiques offerts par les milieux riverains et l’étalement
urbain (Klein, 1979). Ce dernier favorise une augmentation des surfaces imperméables par le
développement des infrastructures routières et des constructions immobilières. La localisation
des routes et des infrastructures à proximité des rivières amène des besoins en stabilisation de
berges afin d’assurer la sécurité publique.
Le génie civil a longtemps été admis comme la méthode traditionnelle d’aménagement des
berges des cours d’eau, afin d’éviter leur érosion et assurer leur stabilisation. Le génie civil se
base sur l’utilisation de matériaux inertes (l'enrochement de pierre, chaussée en béton, gabions
de roche, cloisons en acier, béton ou aluminium) comme moyens de protection des berges
contre les phénomènes érosifs des sols dans les milieux riverains. L’avantage des techniques
de génie civil réside notamment dans leur forte potentialité de résistance mécanique et leur
capacité à stabiliser les berges, juste après l’établissement de l’ouvrage (Li & Eddleman,
3
2002). Au Québec, la technique de génie civil est utilisée très fréquemment et son application
est de plus en plus critiquée puisque les ouvrages de génie civil créent un effet de structure
artificielle le long des cours d’eau (Paquette, 2010), menant à une dénaturalisation du paysage
qui se trouve appauvri en végétation et en fonctions écologiques (Cavaille et al., 2013). Selon
la Société de la faune et des parcs du Québec (2003), le recours aux techniques de génie civil
n’est valable uniquement que lorsque le contexte l’impose. Il est maintenant reconnu que le
recours aux matières végétales constitue une solution de remplacement socio-économique et
écologiquement viable (Rey et al., 2004).
4
Définition du génie végétal et historique
Le génie végétal est l’une des composantes du génie biologique (Labonne et al., 2007). Il se
caractérise par les techniques utilisant les capacités morphologiques et fonctionnelles de la
couverture végétale, pour des fins de protection et conservation des berges des milieux
riverains (Rey, 2004). Il s’agit notamment des parties aériennes et souterraines de certaines
espèces riveraines, qui maintiennent le sol face aux contraintes mécaniques érosives exercées
par l’eau. La pratique du génie végétal existe depuis des temps immémoriaux. Depuis des
siècles, les ouvrages de génie ont été réalisés en Chine et en Rome antique (Frossard & Evette,
2009). À cette époque, le recours aux techniques de génie végétal reposait essentiellement sur
les nécessités économiques et sociales auxquelles faisaient face les populations établies près
des rives. Par exemple en France, pendant très longtemps, les populations se servaient des
techniques de génie végétal afin de résoudre des problématiques d’érosions torrentielles
pouvant menacer la sécurité de la population humaine riveraine. Aussi, elles permettaient de
renforcer la stabilité des infrastructures (routes, maison) contre les problèmes d’érosion
(Labonne et al., 2007).
Aujourd’hui, le génie végétal est utilisé dans une perspective de vision encore plus large. En
effet, l’une des raisons principales qui justifient son usage concerne les services écologiques
offerts par les végétaux (Kuzovkina & Volk, 2009). Il existe dans la littérature plusieurs
références, qui ont évoqué les avantages offerts par le génie végétal. Notamment, sur le plan
écologique, les végétaux servent de filtre et permettent de prévenir la pollution diffuse en
provenance des surfaces agricoles situées à proximité des cours d’eau. Ainsi, ils contribuent
à la purification de la qualité de l’eau. De plus, les végétaux riverains participent à
l’augmentation et au maintien de la biodiversité. Aussi, ils jouent des fonctions de corridor
écologique et alimentent en énergie les petits cours d’eau . Enfin sur le plan social, les
paysages végétalisés des milieux riverains offrent un espace de loisirs (marche, ornithologie)
au service des personnes vivant à proximité des berges (Dufour & González, 2019). Les
végétaux utilisés dans les ouvrages de génie végétal maintiennent les sols contre les différentes
formes de dégradation (l’action des glaces, la pression du courant d’eau, etc.). Ils agissent à
deux niveaux pour contrer les phénomènes d’érosion. D’une part, ils empêchent l’ablation du
substrat en retenant le sol, d’autre part, ils diminuent la vitesse de l’eau en augmentant la
5
rugosité et favorisent la sédimentation, en retenant les sédiments érodés plus en amont (Rey
et al, 2004). Selon une étude comparative entre des surfaces diversement végétalisées, le
niveau de l’érosion devient très élevé dans les zones presque dénudées (partiellement
végétalisées) par rapport aux zones végétalisées (Reid et al., 1999). Autrement dit, le niveau
de l’érosion décroît en fonction de l’augmentation de la couverture végétale (Battany &
Grismer, 2000). Le génie végétal est ainsi reconnu comme une technique dont la fonction de
stabilisation des berges augmente avec le temps suite au développement de la végétation.
Les techniques du génie végétal
Selon la problématique, différents types de stabilisation sont envisageables pour prévenir
l’érosion et protéger les infrastructures situées à proximité de la berge (Labonne et al., 2007).
Chaque type de stabilisation peut faire appel à plusieurs techniques de génie végétal (Tableau
1). Les différentes techniques de génie végétal présentées ont été sélectionnées en fonction de
leur résistance face aux contraintes hydriques et de leurs fonctions de protection contre
l’érosion (Tableau 1). Les précisions ou descriptions font référence à des données de guides
pratiques sur les techniques de génie végétal dans le Tableau
6
Tableau 1 Les techniques de génie végétal pour la stabilisation des berges.
Type de stabilisation Ouvrages de génie végétal Fonction de protection
Stabilisation du fond du lit
Les Garnissages des branches Ralentissent l’écoulement de l’eau, captent les sédiments et évitent leur
transport par érosion hydrique.
Les barrages en caissons
végétalisés
Prévient l’érosion post installation de l’ouvrage en bloquant le fond du lit et les
berges du cours d’eau.
Les barrages en fascinages
Prévention contre le courant du fond du cours d’eau
Les barrages en clayonnages Prévention contre le courant du fond du cours d’eau
Stabilisation des berges
Les plantations Empêche l’érosion des berges par les parties aériennes et racinaires des
plantes sollicitées par l’érosion hydrique
Le bouturage
Utilisé pour protéger les rivages des cours d’eau à travers une bouture
ligneuse d’une espèce pionnière des milieux riverains et ayant une forte
capacité de production de biomasse racinaire et aérienne
Lit de plants et plançons
Utilisé pour les stabilisations rapides avec une pénétration des racines très
profondes
Tressage Protège les pieds de berges à faible hauteur soit maximum 40cm. Il donne un
effet de mur végétal après installation.
Fascine Généralement accompagnée d’autres techniques de protection, elle est
adaptée à la protection des niches d’érosion tout au long du cours d’eau
Peigne Empêche les sapements de berge et les arrachements de niches, elle a un effet
immédiat de stabilisation
Les techniques combinées ou
techniques mixtes
Les végétaux et les pierres combinés ensemble agissent comme des supports
pour le substrat de sol
Canalisation de l’eau
Les épis en fascines
Les saucissons (fascine de gros
diamètres associant terre, pierre
et branches de saules)
Permettent d’orienter la circulation des cours d’eau vers un écoulement
rectiligne. Il réduit aussi les méandres du cours d’eau. Ces techniques qui
conduisent à l’artificialisation des milieux sont aujourd’hui en désuétude
Adapté de Labonne et al, 2007) ; (Rey, 2004) ; (LACHAT, 1994) et (Ministère du développement, de l’environnement et des parcs, 2005)
7
Génie végétal et le génie civil
Le génie végétal comme le génie civil sont deux approches de stabilisation des berges avec
des particularités et spécificités bien différentes. Le choix entre les deux approches dépend
fortement de la condition écologique du milieu à stabiliser (Frossard & Evette, 2009). Par
exemple, pour certains profils de cours d’eau avec des contraintes mécaniques très élevées,
l’usage du génie végétal pour la stabilisation des berges sera difficile, voire impossible.
Alors, le recours à l’approche par le génie civil peut être recommandé. Le génie civil permet
donc de stabiliser les berges lorsque les méthodes de génie végétal sont inappropriées.
Les méthodes du génie civil visent une stabilisation immédiate, c’est-à-dire dès
l’établissement de l’ouvrage (Li & Eddleman, 2002). Cela est important dans les situations
où les besoins de stabilisation sont urgents (assurance immédiate de la sécurité des riverains
face à la crue). Quant au génie végétal, la fonction de stabilisation n’est pas immédiate et
dépend très fortement de la conservation du matériel végétal utilisé et de sa capacité de
développement végétatif dans le temps (production des racines et des feuilles). Mais
toutefois, la pratique du génie végétal présente plusieurs avantages. Ces avantages sont
d’ordre écologique (améliorer la biodiversité, les fonctions de corridor, la dépollution, la
fertilité du sol), physiologique (production de l’oxygène pendant la photosynthèse,
absorption de l’eau par les racines) et physique (effet d’ancrage du système racinaire, et frein
à l’écoulement plus effet tapis des parties aériennes) (Frossard & Evette, 2009). Aussi, les
solutions offertes par les techniques du génie végétal voient leur résistance mécanique
augmenter avec le temps. Cette augmentation graduelle de la résistance fait que les végétaux
arrivent à préserver les berges dans un état proche du naturel, tout en bloquant l’érosion et
en captant les sédiments (Ministère du Développement, de l’Environnement et des Parcs,
2005). Contrairement au génie végétal pour lequel les fonctions de stabilisation sont
assurées par les végétaux eux-mêmes, le génie civil n’utilise que les propriétés physiques
des matériaux inertes qui le composent pour stabiliser les berges des milieux riverains. Ainsi,
dans le cas du génie civil, les performances de la structure diminuent dans le temps, alors
que celles du génie végétal croissent dans le temps. Ainsi, au-delà de ses avantages, le génie
civil peut présenter des limites dans son usage. Cela implique que, le génie végétal a des
8
avantages multiples souvent supérieurs au génie civil à savoir la stabilisation durable des
berges, la consolidation des substrats de sol par les racines, la captation des sédiments (Lee
et al., 1998), les effets positifs sur la biodiversité et les fonctions écologiques associées
contribuant au caractère naturel des sites.
Parmi les facteurs qui limitent le développement du génie végétal, nous trouvons : l’intensité
de la pente (trop escarpée), du débit ou des vagues (Rey et al., 2004). A cela peut s’ajouter
aussi la variation des régimes hydriques des cours d’eau, qui représente un enjeu majeur pour
l’application des techniques de génie végétal (Markus-Michalczyk et al., 2016). Ces
contraintes hydriques peuvent se manifester par des sècheresses estivales ou par des
inondations printanières, ces deux processus ont des influences très marquées sur la survie
et la croissance végétative des espèces végétales utilisées à des fins de stabilisation (Doffo
et al., 2017). La tolérance à la sécheresse est essentielle pour la survie des espèces utilisées
durant la période estivale, surtout pendant les premières périodes de végétation. De même,
les inondations printanières peuvent noyer les plantes pendant le début de leur cycle de
végétation. Le rôle crucial des processus de sécheresse et d’inondation sur la réussite des
ouvrages de génie végétal souligne ainsi la pertinence de travailler au développement des
connaissances des propriétés biologiques, physiologiques et mécaniques des espèces
riveraines face aux variations de stress hydrique (Kuzovkina & Volk, 2009).
Objectif et hypothèse de recherche
La présente étude a pour objectif d’enrichir les connaissances sur la survie et la croissance
des boutures de ces trois espèces soumises à différents stress hydriques, dans une perspective
d’application au domaine du génie végétal. J’ai ainsi émis l’hypothèse que la tolérance au
stress hydrique d’inondation et de sécheresse entre les espèces différera en fonction de leur
répartition dans le gradient de pente en milieu naturel. Ainsi, je prédis que S. eriocephala,
qui se trouve sur tout le gradient de pente en milieu naturel, aura une plus grande tolérance
à tous les régimes hydriques alors que le régime d’inondation sera favorable au S. interior et
le régime de sécheresse au S. discolor, qui poussent respectivement en bas et en haut de
berge.
9
CHAPTER 1
Survie et croissance des boutures de Salix sous divers régimes
hydriques dans une perspective de stabilisation des berges par
génie végétal
10
1.1 Résumé
Les zones riveraines sont soumises à une large variation de régimes hydriques. Ce
changement de régime hydrique peut être un facteur limitant l’établissement des boutures de
certaines espèces de Salix en condition d’inondation (en période de crue) ou de sécheresse
(en période d’étiage) dans les ouvrages de génie végétal. Or, les connaissances sur la
résistance au stress hydrique des espèces de Salix utilisées dans les ouvrages de génie végétal
sont limitées. Afin d’enrichir les connaissances sur la capacité de reprise et de
développement végétatif de trois espèces de Salix largement répandues en milieu riverain au
Québec et très utilisées en génie végétal, nous avons établi un dispositif expérimental en
tiroirs en serre à l’Université Laval comportant trois traitements hydriques (i) capacité au
champ (pendant toute l’expérience à la suite de la période d’acclimatation), (ii) inondation
(submersion totale pendant deux semaines suivie d’une semaine à la capacité au champ)
répétée quatre fois (iii) sécheresse ( arrosage une fois par semaine). Des mesures de longueur
racinaire, de biomasse aérienne et racinaire ont été prises après 3 mois. Les trois espèces ont
présenté une forte capacité de reprise (supérieur à 88 % de survie). Il n’y avait pas d’effet du
stress hydrique sur la production de biomasse racinaire pour les trois espèces, mais pour S.
interior la longueur racinaire a été favorisée en conditions d’inondation par rapport aux deux
autres conditions. S. eriocephala a produit une biomasse totale 3,14 fois plus élevée que ne
l’a fait S. discolor et 1,85 fois plus grande que S. interior. Les trois espèces ont présenté une
certaine tolérance aux deux types de stress. Néanmoins, entre les trois espèces, S.
eriocephala a présenté une plus grande tolérance au stress hydrique puisqu’il a produit en
général la plus grande racinaires ainsi que les plus fortes biomasses.
Mots clés : Stress hydriques, Salix, génie végétal, stabilisation des berges,
11
1.2 Introduction
Plusieurs espèces de la famille des Salicacées sont des plantes pionnières associées aux
écosystèmes riverains (Doffo et al., 2017). Elles sont adaptées au régime de perturbation par
les crues, notamment grâce à leur capacité à produire de nombreuses graines voyageant par
le vent et sur l’eau, leur conférant un bon potentiel d’établissement sur les rives en absence
de compétition (Karrenberg et al., 2002). Ces mêmes espèces sont de plus en plus utilisées
dans les projets de génie végétal pour la stabilisation des berges de cours d’eau grâce à leur
grande reprise après bouturage, particulièrement pour le genre Salix (Bergeron & Roy, 1985;
Francis et al., 2005). Elles sont ainsi utilisées dans plusieurs techniques de génie végétal,
soit en tressage ou en fascines ainsi que dans des matelas de branches afin de protéger la
berge contre l’érosion, assurant ainsi la stabilité des infrastructures adjacentes ( Michalczyk
et al., 2016). Plusieurs raisons permettent de justifier l’utilisation des espèces de Salix dans
les projets de génie végétal. Entre autres, certaines espèces sont pourvues d’un réseau
racinaire allant jusqu’à 1,3 m de profondeur (Kopp et al., 2001) et elles peuvent ainsi
stabiliser le sol en profondeur (Dimitriou & Aronsson, 2005). Les saules disposent aussi
d’une grande capacité de production végétative assurant un établissement rapide (Plante,
2012).
Le choix des espèces de Salix à utiliser dans les ouvrages de génie végétal doit tenir compte
de la tolérance de chaque espèce aux conditions très variables dans le temps et au sein du
gradient de pente dans le talus riverain. La survie et la croissance des boutures de saules
peuvent en effet être affectées par l’alternance de périodes de crue et d’étiage et les espèces
sélectionnées doivent pouvoir résister aux forces tractrices de l’eau et aux conditions
anoxiques en période de crue, mais également pouvoir tolérer des conditions de sécheresse
en période d’étiage. Ces régimes de perturbations (arrachement de la biomasse) et de stress
(anoxie et sécheresse) seront différents entre le bas et le haut de talus. Le choix des espèces
devra ainsi tenir compte de la hauteur à laquelle elles seront implantées dans le talus lors de
l’instauration d’un ouvrage de génie végétal (Garssen et al., 2014). Le choix des espèces est
donc un facteur important influençant le succès des techniques de génie végétal et l’usage
d’espèces non adaptées ou mal positionnées dans le talus peut induire un échec d’instauration
des ouvrages (Bernatchez et al., 2008).
12
Quelques études réalisées en Europe et aux États-Unis et portant sur la stabilisation des
berges par la technique de génie végétal ont porté sur l’effet des conditions hydriques sur la
survie et les caractéristiques morphologiques des boutures de certaines espèces de peupliers
et de Salix (Castagni, 2017; Lavaine, 2013; Parent et al., 2008). Ces études ont permis
d’identifier quatre espèces de saules, S. alba, S. elaeagnos, S. triandra pour l’Europe et S.
nigra pour les États-Unis, qui possèdent des caractéristiques d’intérêt pour le génie végétal,
notamment leur haut potentiel de propagation végétative. Au Québec, bien que le génie
végétal soit en essor depuis quelques décennies, peu de travaux ont porté sur l’identification
d’espèces adaptées aux variations du régime hydrique et sur les caractéristiques
morphologiques et anatomiques des espèces de saules dans les ouvrages de génie végétal.
Les travaux expérimentaux de Castagni (2017) ont traité de trois espèces largement
répandues en milieux naturels au Québec, soit S. eriocephala, S. interior et Cornus
stolonifera. Toutefois, d’autres espèces de Salix non considérées dans ces travaux colonisent
naturellement des zones riveraines des cours d’eau au Québec et pourraient être des espèces
potentielles à exploiter dans les ouvrages de génie végétal pour la stabilisation des berges.
L’effet du stress hydrique (sécheresse et inondation) sur la croissance et la survie des espèces
de Salix a été abordé dans plusieurs études (Imada et al., 2008; Li et al., 2004). Par exemple,
le manque de tolérance de certaines espèces de saules au stress de sécheresse serait dû à leur
taux de transpiration élevé et à la faible capacité du xylème à remplir ses fonctions à la suite
d’une réduction du contenu en eau du sol (Wikberg & Ogren, 2004). Aussi, la production de
biomasse aérienne est directement reliée à l’activité du potentiel de conductance stomatique.
Or, l’effet du stress hydrique de sécheresse induit une augmentation de l’évapotranspiration,
qui peut affecter négativement ce potentiel de conductance stomatique (Waldren et al,1987)
et réduire par conséquent la biomasse produite. De plus, la durée du stress de sécheresse peut
ralentir la croissance et compromettre la survie des individus de saule (Nakai & Kisanuki,
2011). Selon Nakai & Kisanuki (2011), au-delà de trois semaines consécutives en condition
de sécheresse, la conductance stomatique est deux fois plus faible que celle en condition de
capacité au champ. En revanche, le manque de tolérance des saules aux conditions
d’inondation serait associé à la réduction du taux d’oxygène dans le sol qui crée des
13
conditions anaérobies compromettant la croissance des racines (Francis et al, 2005). Une
inondation au-delà de 28 jours provoque une réduction considérable du potentiel
d’oxydoréduction (Jackson & Attwood, 1996), qui se caractérise par une diminution de la
quantité d’oxygène dans le sol. Un ralentissement de la croissance est possible après une
période de 20 jours d’inondation (Imada et al., 2008; Imada et al., 2010).
Certaines espèces ont développé des mécanismes d’adaptation leur permettant de survivre
en conditions de stress hydrique, en attendant le retour de conditions adéquates. Par exemple,
un abaissement du niveau d’eau du sol peut induire le développement progressif des racines
en profondeur dans le sol pour résister à la sècheresse (Pezeshki et al, 1998 ; Wikberg &
Ogren, 2004). En revanche, face au stress d’inondation (Li et al, 2004; Sennerby-forsse &
Zsuffa, 1995) certaines espèces tolèrent les conditions anaérobies grâce au développement
de lenticelles hypertrophiées (pores favorisant les échanges d’oxygène) en surface de la zone
racinaire et à la formation de nouvelles racines adventives (Nakai & Kisanuki, 2011). Cela
implique que certaines espèces de Salix disposent des caractéristiques physiologiques
d’intérêt qui pourraient être exploitées en génie végétal en plus des caractéristiques
morphologiques.
Pour la présente étude, nous avons ciblé trois espèces de saules très répandues en Amérique
du Nord et plus particulièrement dans les milieux riverains au Québec: S. discolor, S.
eriocephala et le S. interior (Argus, 2010). Le choix de ces espèces repose, d’une part, sur
leurs caractéristiques morphologiques qui en font des candidates intéressantes pour le génie
végétal. En effet, les trois espèces produisent de la biomasse en grande quantité (Kuzovkina
& Volk, 2009) et possèdent une capacité de reprise élevée à partir d’une bouture (supérieur
à 84%; Castagni, 2017). D’autre part, ces trois espèces ont une répartition naturelle différente
dans le talus riverain. En effet, chacune des trois espèces occupe une position distincte qui
reflète probablement leur capacité de tolérance aux conditions de stress hydrique (anoxie et
sécheresse (Pezeshki et al, 2007). Ainsi, une espèce comme le S. discolor qui est présente en
haut de talus devrait montrer une tolérance plus élevée pour les conditions de sécheresse et
inversement, le S. interior typique du bas de talus devrait être plus tolérante aux conditions
d’inondation (Nakai & Kisanuki, 2011). S. eriocephala, représente une espèce plus
généraliste et se trouve dans tout le gradient de pente du talus, et devrait présenter une plus
grande tolérance aux deux conditions hydriques. L’objectif de cette étude est donc d’évaluer
14
la réponse de ces trois espèces de saules à trois régimes hydriques différents, soit de
sécheresse, de capacité au champ et d’inondation, dans des conditions contrôlées en serre.
1.3 Méthode
1.3.1 Design expérimental
Nous avons évalué la survie et la croissance de trois espèces de saules, soit S.discolor,
S.eriocephala, S.interior, à partir de boutures soumises à trois régimes hydriques. Un
dispositif expérimental en tiroirs a été mis en place dans le complexe de serre de haute
performance de l’Université Laval à l’hiver 2018, pour une durée de trois mois (05 février
au 05 mai). Trois régimes hydriques ont été testés en parcelles principales soit la sécheresse,
la capacité au champ et l’inondation, alors que les trois espèces de saules ont été établies en
sous-parcelles. Chaque régime hydrique était appliqué à un bac (110 cm longueur x 72 cm
de largeur x 100 cm (profondeur) contenant six sacs de sable de 30 L (35,6 cm x 29,8 cm)
dans lesquels une bouture a été plantée, pour un total de deux boutures de chacune des trois
espèces par bac. Les bacs étaient munis d’un système de drainage qui permettait de contrôler
le niveau d’eau. Les bacs ont été disposés en blocs de façon à tenir compte des variations de
température et d’humidité dues à la présence du chauffage et de l’orientation du brumisateur
dans la serre (Figure 1 et 2).
15
Figure 1. A. Disposition des six sacs de sable dans chacune des parcelles principales
correspondant à un régime hydrique; B. Exemple d’un bac contenant six sacs (en sous-
parcelles) avec chacun un échantillon de chacune des trois espèces de saules (total de six
boutures par bac) ; C. Exemple d’un bloc avec les trois régimes hydriques.
1.3.2 Mise en place des traitements
1.3.2.1 Récolte des boutures
Les boutures des trois espèces de saules ont été collectées dans la région de la Capitale
nationale en novembre 2017, moment où les plantes étaient en dormance et dépourvues
de feuilles. Les boutures ont été récoltées dans des populations naturelles en milieux
riverains. Quatre populations avaient été préalablement sélectionnées au cours de l’été
en fonction de la présence d’au moins une espèce, parfois jusqu’à la totalité des trois
espèces. Au total, 12 plants mères ont été choisis pour chacune des trois espèces. Pour
chaque plant mère (arbuste de saule), trois boutures de bois dormant ont été récoltées
(Tableau 2). Les boutures mesuraient en moyenne 25 cm de longueur avec ± 0,6 cm de
diamètre. Seuls les rameaux de l’année ont servi à la récolte des boutures compte tenu
de leur quantité réduite en lignine qui leur confère une capacité de reprise plus élevée
A B
C
16
que pour les rameaux plus âgés. Pour chacune des trois espèces, 36 boutures ont été
récoltées (12 plants mères x 3 boutures), pour un total de 108 boutures. Dans le but
d’assurer la survie optimale des boutures, elles ont été immédiatement placées dans des
sacs sous vide et gardées au froid à -4°C jusqu’au début de l’expérience (période
d’entreposage de 2 mois).
Tableau 2 Origine de 36 boutures de S. discolor, S. eriocephala et S. interior collectées.
Espèces Populations Nbre
Boutures/ pied
mère
S. discolor
Plein air Sainte Foy
Rivière Cap Rouge
Pointe St-Vallier
Trait Carré
12/4
6 /2
12 /4
6/2
S. eriocephala
Plein air Sainte Foy
Rivière Cap Rouge
Parc chaudière
Trait carré
15/5
6/2
9/3
6/2
S. interior
Plein air Sainte Foy
Parc du Berger
Parc chaudière
Rivière St-Charles
3/9
3/1
6/2
18/6
17
1.3.2.2 Plantation des boutures
Avant l’instauration de l’expérimentation en serre, les boutures ont été submergées dans
l’eau 24 heures afin d’assurer leur hydratation et d’optimiser l’émergence des parties
aériennes et racinaires (Edwards et al., 1976; Pezeshki et al., 2007). Le diamètre de chaque
bouture a été mesuré à l’aide d’un vernier électronique. Ensuite, le 5 février 2019, elles ont
été transplantées dans un substrat de sable (densité apparente : 1,47 g; densité réelle : 2,66
g) contenu dans des sacs de tissus perméables à l’eau. Les deux tiers de la longueur de
chaque bouture occupaient la partie souterraine et le reste consistait en la partie hors sol, qui
comportait au moins trois bourgeons. Dans le but de maximiser la survie, les boutures ont
été soumises à des conditions optimales de croissance (correspondant au régime hydrique de
capacité au champ) durant une période d’acclimatation d’un mois. À la suite de l’expression
de quelques symptômes de carence observés un mois après installation, les boutures ont été
fertilisées avec 500 ml de NPK (20-20-20) liquide (pour chaque volume de pot
correspondant à 50 ml). Les doses étaient faibles, afin de ne pas stimuler la croissance des
boutures, mais simplement d’assurer leur établissement.
1.3.3 Application des traitements de régimes hydriques
À la suite de la période d’acclimatation d’un mois, les boutures des espèces du S. discolor,
S. eriocephala et du S. interior ont été soumises aux trois régimes hydriques. Les traitements
hydriques appliqués étaient inspirés de Castagni (2017) et Lavaine (2013).
1.3.3.1 Traitement en conditions à la capacité au champ
Le volume d’eau requis pour l’irrigation des boutures à la capacité au champ a été déterminé
grâce aux notions agronomiques. La quantité à la capacité au champ correspond au volume
d’eau dans le sol après 48 heures à la suite de la submersion totale du substrat de sol (Fortin,
2016). Concrètement, trois sacs de sable sec sans bouture ont été placés en submersion totale
dans un des bacs munis du système de drainage qui permettait de contrôler le niveau d’eau.
Au bout de 48 heures, toute l’eau de gravité s’était écoulée et le poids du substrat de sable
des sacs humides a alors été évalué. Le volume d’eau dans le sol correspondait à la différence
entre le poids du substrat de sol humide et le poids du substrat de sol sec déterminé a priori.
Les boutures placées en condition de capacité au champ étaient irriguées aux deux jours. La
18
quantité d’eau ajoutée était fonction du besoin en eau à la capacité au champ, soit un niveau
d’eau qui variait entre 3 à 4 litres correspondant au 30% de volume d’eau du sac de sable.
1.3.3.2 Traitement en conditions de sécheresse
Pour le traitement en conditions de sécheresse, les substrats étaient soumis à un contenu en
eau du sol très faible, en deçà du seuil optimal pour la croissance des plantes, mais au-dessus
du seuil du point de flétrissement (la réserve en eau du sol qui n’est pas utilisable par la
plante). Pour ce traitement les boutures étaient irriguées une seule fois par semaine avec un
volume d’eau de 1 à 2 litres par irrigation soit 15 % du volume d’eau du sac de sable
(Castagni, 2017).
1.3.3.3 Traitement en conditions d’inondation
Pour le traitement en conditions d’inondation, le niveau d’eau dans le sol était maintenu à
5 cm au-dessus de la surface du substrat durant une période de deux semaines. L’eau du bac
était ensuite évacuée et les boutures soumises aux conditions de capacité au champ pendant
une semaine. Ce cycle fut répété quatre fois durant la période d’expérimentation soit un
intervalle de 7 jours.
1.3.4 Conditions de croissance
Pendant toute la période de l’expérimentation, la température de l’air de la serre était toujours
supérieure à 17,0 °C avec un maximum de jour de 28,0 °C. La moyenne était de 23,5 °C.
L’humidité relative dans la serre était supérieure à 35%, avec une humidité maximum de
75% le jour et de 78% la nuit soit une moyenne hebdomadaire de 57,8%. Enfin, le
rayonnement photosynthétique actif (Photosynthèses actives Radiation; PAR) de jour étaient
supérieur à 6 mol/m2 avec un maximum était de 45 mol/m2et, pour une moyenne totale de
22 mol/m2.
19
Figure 2. Dispositif expérimental établi dans la serre haute performance de l’Université
LAVAL, 2575 rue Marie-Fitzbach, Québec.
1.3.5 Suivi
1.3.5.1 Conditions hydriques du substrat de sol
La teneur en eau volumique du substrat de sol était suivie tous les deux jours, dans le but de
maintenir les niveaux d’eau correspondant à la capacité au champ et à la sécheresse. En
effet, la masse sèche du substrat de sol initialement établie au début de l’expérience, le
volume du sol et la teneur en eau du sol, ont servi de paramètres de base, afin de pouvoir
vérifier la teneur en eau volumique du sol à l’instant T. La teneur en eau du sol dans les trois
régimes hydriques a été déterminée grâce à un TDR (“Time Domain Reflectometry” /
Réflectomètre temporel), muni de trois sondes de 15 cm. Les sondes émettent des ondes
électromagnétiques faisant des mouvements circulaires (entre le substrat de sol et l’appareil)
et permettent de déterminer la constance diélectrique du sol. La constance diélectrique du
sol permet par la suite d’évaluer la teneur en eau du sol, grâce à une équation standard
préalablement établie par Topp (Take et al, 2007 ) Dans le cadre de la présente étude, seules
les teneurs en eau volumique des traitements hydriques de capacité au champ et de
sécheresse ont été évaluées; celle associée au traitement d’inondation n’a pas été considérée
20
puisque le sol était saturé en eau. Le but de ce dernier traitement était justement de mettre
les boutures dans une condition de submersion totale pendant une semaine suivie d’une
période de drainage. Durant la durée de l’expérience, la teneur en eau moyenne à la capacité
au champ était de 10% alors que celle en conditions de sécheresse était de 6%, ces teneurs
pouvant varier au cours de la période de l’expérimentation (Figure 3). Toutefois, compte
tenu de la condition climatique de la serre, il était difficile d’atteindre le point de
flétrissement temporaire (manque d’eau dans le sol) en tension.
Figure 3. Suivi de la condition hydrique du substrat de sol pour les trois hydrique (
traitements capacité au champ et à la sécheresse).
1.3.6 Variables réponses correspondant à la croissance
Aux termes de l’expérimentation, les boutures ont été soigneusement retirées du substrat et
séparées en parties aérienne (feuilles et tiges) et souterraine (racines). Les différentes parties
ont été séchées dans une étuve à 105 °C jusqu’à poids constant (48 heures). La biomasse
aérienne et racinaire ainsi que la biomasse totale ont par la suite été déterminées avec une
balance de précision. Le ratio du poids sec des feuilles versus celui des racines a aussi été
calculé. Enfin les données racinaires (longueur racinaire totale et le volume racinaire) ont
été déterminées à l’aide d’un scanner WinRhizo. Dans le but d’effectuer le balayage (scan),
les racines de chaque bouture ont été préalablement nettoyées avec de l’eau, détachées des
0
0,05
0,1
0,15
0,2
0,25
0,3
Ten
eur
en e
au v
olu
me
( cm
3.c
m-3
)
Sécheresse Capacité au champ
21
parties aériennes puis trempées dans une solution à colorant rouge pour une période de deux
heures. Ensuite les racines (par bouture) ont été déposées sur le plateau pour les balayer.
1.3.7 Analyse des données
Nous avons testé l’effet des traitements sur la survie des boutures et les diverses mesures de
croissance à l’aide d’une analyse de variance (ANOVA), dans laquelle, dans laquelle les
régimes hydriques initialement mesurés en début d’expérience ont été considérés comme
variables explicatives et la biomasse initiale des bouture, et la longueur des boutures (20 cm)
en covariable. Les différences significatives étaient considérées à P < 0,05. L’homogénéité
et la normalité de la variance ont aussi été vérifiées. Le logiciel d’analyse statistique SAS
(version 9.4) a été utilisé pour l’analyse des variables réponses suivi d’un test de
comparaisons multiples LSD a posteriori (Fisher's least significant différence).
1.4 Résultats
1.4.1 Survie des saules
Les boutures ont montré un établissement efficace, avec un taux de survie très élevé
(supérieur à 88%) pour l’ensemble des trois espèces, quel que soit le régime hydrique
considéré. En effet, toutes les boutures de S. eriocephala se sont établies, alors que celles de
S. discolor ont montré un taux de survie variant de 88% (en conditions de sècheresse) à 94%
(inondation) et celles de S. interior un taux entre 97% (sécheresse et capacité au champ) et
100% (inondation).
1.4.2 Croissance des saules
1.4.2.1 Longueur racinaire
L’influence du régime hydrique sur la croissance en longueur des racines variait entre les
espèces (interaction espèces*traitements significatifs; Tableau 3, Figure 4). Généralement la
longueur racinaire maximale a été produite par le S. eriocephala alors que la longueur
minimale a été produite par le S.interior. Le S. discolor présentait une longueur racinaire
intermédiaire à celle des autres espèces en condition de sécheresse et similaire à celle de S.
eriocephala en condition de capacité au champ et de celle de S. interior en condition
d’inondation. Pour S. eriocephala, les conditions d’inondation ont mené à une longueur
22
racinaire plus faible par rapport à celle obtenue en condition de capacité au champ alors que
les résultats inverses ont été trouvés pour S. interior (Figure 4). La longueur racinaire de S.
discolor ne variait pas entre les régimes hydriques.
Figure 4. Longueur racinaire totale en fonction des régimes hydriques et en fonction des
espèces. Les barres indiquent l’erreur type de la moyenne, les différentes lettres indiquent
une différence significative à α = 0,05 entre les espèces (lettres minuscules) et entre les
traitements (lettres majuscules), selon le test de comparaison multiple LSD.
23
Tableau 3 Effet du régime hydrique et du type d’espèce sur la longueur racinaire totale. Les
espèces testées étaient S. discolor, S. eriocephala et le S. interior sous trois régimes
hydriques, soit en conditions de sécheresse, de capacité au champ et d’inondation.
Sources
de variation
Degré de liberté ? Longueur des racines
F P
Bloc 5 -
Régimes hydriques
Erreur A
2
10
0,51 0,61
Espèces 2
52,82 0,001*
Espèces* Régimes hydriques
4
3,32 0,04*
Erreur B 30 -
Total (UE)
Erreur échantillonnage
Total échantillonnage
53
54
107
-
-
-
Le signe « * » indique une différence statistique à α = 0,05.
UE = Unité expérimentale
1.4.2.2 Production de biomasse
Les différents régimes hydriques n’ont pas eu d’impact sur la production de biomasse, que
ce soit la biomasse aérienne, racinaire ou totale. Toutefois, la biomasse variait entre les
espèces, pour toutes les parties de la plante (Tableau 4). Le S. discolor est l’espèce ayant
produit le moins de biomasses aériennes alors que le S. eriocephala a produit une biomasse
aérienne la plus forte, soit 3,5 et 1,6 fois plus élevée respectivement que celle de S. discolor
et S. interior (figure 5.A). D’autre part, la plus faible biomasse racinaire a été produite par
le S. interior, soit 2,8 fois moins de biomasse aérienne celle produite par le S. eriocephala et
1,3 fois inférieure à la biomasse produite par le S. discolor (Figure 5.B). Le ratio de biomasse
(aérienne sur racinaire) différait également entre les espèces : le S. interior a produit 4,3 fois
plus de biomasse aérienne que de biomasse racinaire (Figure 5.D) alors que le S. eriocephala
a produit environ 2,5 fois plus de biomasse aérienne que racinaire. La production de
24
biomasse du S. discolor était quasiment équivalente pour les feuilles et les racines, résultant
en un ratio respectivement 2 fois et 3 fois inférieur à celui du S. interior et S. eriocephala
(Figure 5.C).
Par ailleurs, la biomasse des feuilles et des tiges, qui constitue la biomasse aérienne, était
presque identique chez le S. eriocephala (respectivement 55% et 45 %), comparativement
aux S. interior et S. discolor pour lesquels la biomasse des feuilles était 2 fois supérieure à
celle de la tige (Figure 5.A).
25
Figure 5. Biomasse aérienne totale (A), racinaire (B), aérienne/racinaire (C) et totale (D).
Les barres représentent la moyenne de biomasse pour chaque espèce de saule ± l’erreur type.
Les lettres minuscules indiquent les différences significatives à α = 0,05.
26
Tableau 4 Effet du régime hydrique sur les biomasses aériennes, racinaires, totales et ratio
de la biomasse sèche des trois espèces ( S. discolor, S. eriocephala et S. interior) sous trois
régimes hydriques, soit en conditions de sécheresse, de capacité au champ et d’inondation.
Sources
Variation Degrés
de liberté
Feuilles
F
P
Tiges
F
P
Aérienne
F
P
Racinaire
F
P
Totale
F
P
Ratio
F
P
Bloc 5 - - - - -
R.h. 2
Erreur A 10
Espèces 2
1,75
0,22
-
18,67
0,0027*
0,30
0,86
0,28
0,75
-
36,62
<,0001*
0,60
0,66
0,52
0,60
- 25,80 0,001*
0,23
0,91
0,59
0,57
-
20,32
<.0001*
1,25
0,32
31,32
0,27
-
31,32
0,001*
0,57
0,68
0,05
0,95
-
39,12
0,001*
Erreur B 30 - - - - - -
Total (UE) 53
Erreur échant 54
Total échéant 107
- - - - -
Le signe « * » indique la source de différence statistique à α = 0.05. Avec le test de Fisher et un LSD
means a posteriori pour identifier la différence significative entre les moyennes. (ns : Non significatif.
R.h. : régimes hydriques, B : Biomasse et échant : Échantillonnage.
Espèces *R.h 4
0,44
0,77
27
1.4.2.3 Volume racinaire
Pour tous les diamètres racinaires confondus, le volume racinaire du S. eriocephala était près
de deux fois supérieur à celui du S. discolor et S. interior (Figure 6.A). Le volume racinaire
des trois espèces étudiées n’a pas été influencé par la variation des régimes hydriques
(Tableau 5). Toutefois, il variait entre les espèces et en fonction du diamètre des racines
(racines fines, moyennes, grosses). Par ailleurs, peu importe l’espèce, les racines fines (1,46
cm³) ont produit la plus grande partie du volume racinaire (67%), suivi par les racines de
diamètre moyen (25%), alors que la plus faible proportion du volume racinaire (8%) était
attribuable aux plus grosses racines (Figure 6.B).
Figure 6. Volume moyen des racines en fonction des espèces (A), et des diamètres (B). Les
barres d’erreur indiquent l’erreur type de la moyenne. dis : S. discolor, eri : S. eriocephala,
et in : S. interior. Les moyennes ayant des lettres différentes sont statistiquement différentes
à α = 0,05.
28
Tableau 5 Effet du régime hydrique sur le volume racinaire des trois espèces S. discolor, S.
eriocephala et S. interior sous trois régimes hydriques, soit en conditions de sécheresse, de
capacité au champ et d’inondation.
Variables Degrés de
liberté
indépendante
Volume racinaire
F. value P. value
Bloc 5 - -
R.h. 2
0,67 0,53
Espèces 2
Erreur A 20
Grosseur 2
Espèces*R.h. 4
Grosseur *Espèces 4
Grosseur *R.h. 4
Grosseur*Espèces*R.h. 2
Erreur B 30
7,77 0,0006*
- -
45,25 <,0001*
0,50 0,74
1.,59 0,17
0,66 0,62
0,63 0,75
Total (UE) 75
Erreur échant 32
Total échant 107
- -
Le signe « * » indique une différence statistique à α = 0,05.
29
1.5 Discussion
1.5.1 Effet des régimes hydriques
Contrairement à notre hypothèse, la majorité des variables de croissance n’ont pas été
influencées par les régimes hydriques. En effet, seule la longueur racinaire a réagi à l’effet
du régime hydrique, avec une réponse variable selon l’espèce. Les deux espèces associées au
haut et milieu de talus (S. discolor et S. eriocephala) ont présenté des longueurs racinaires
similaires, plus faibles en condition d’inondation comparativement aux conditions de
sécheresse ou de capacité au champ alors que S. interior a montré un comportement
contraire : les conditions d’inondation ont favorisé des racines plus longues chez cette espèce
de bas de talus. Ce résultat contraste avec la littérature. En effet, plusieurs études ont montré
que la longueur racinaire et la biomasse racinaire étaient influencées négativement par les
conditions de sécheresse et d’inondation ( Parent et al., 2008; Pezeshki et al., 1998; Wikbergi
& ögreni, 2007). En revanche, ces études ont généralement porté sur des espèces de Salix
hybrides ainsi qu’une espèce de Salix présentant une tolérance certaine à l’inondation
(S. nigra). Elles sont toutes des espèces arbustives et se localisent à différents niveaux de
talus en milieux naturels.
Selon Glinski (1994), la condition d’inondation provoque une réduction de concentration
d’oxygène dans le sol créant ainsi une condition anaérobique qui limiterait la croissance
racinaire et, à la longue, celle de la plante entière. Elle empêche ainsi une bonne aération des
racines, surtout les racines fines, qui alimentent la plante en eau et en éléments nutritifs
(Imada et al., 2008). Ce sont probablement ces mécanismes qui expliquent pourquoi le S.
eriocephala a présenté dans cette étude, une longueur racinaire réduite en condition
d’inondation par rapport à la condition de capacité au champ. Toutefois, certaines espèces,
comme le S. interior et le S. discolor, ont développé des mécanismes d’adaptation leur
permettant de mieux résister à l’inondation avant le rétablissement de la condition idéale à
leur croissance (Parent et al., 2008; Pezeshki et al., 2007). Parmi ces mécanismes, le plus
connu est le développement des nouvelles racines adventives fines au niveau de la partie
supérieure de la zone racinaire. Ces racines étant mieux aérées que celles localisées plus
profondément dans le sol, elles assurent la survie et la croissance de la plante pendant toute
30
la période d’inondation (Teresa et al., 2013). Toutefois, nous avons comparé la biomasse et
longueur racinaire des racines fines, moyennes et grosses, en fonction de trois zones dans le
sol sans trouver de différence significative : les espèces testées n’ont pas produit plus de
racines fines dans la partie supérieure (résultats non présentés). Un autre mécanisme
d’adaptation à l’inondation chez les saules consiste à accroître leur surface foliaire (Doffo et
al., 2017). Cela permet d’augmenter la quantité de stomates afin de maximiser la captation
d’oxygène dans l’air, en compensation du manque d’oxygène dans le sol généré par
l’inondation. La durée ou les conditions d’expérimentation présentées ici n’ont pas permis
d’observer une telle réponse chez les trois espèces de saules testées.
Pour sa part, le stress de sécheresse a pour effet de diminuer l’activité photosynthétique et la
conductance stomatique, ce qui peut entraîner une diminution de la croissance de la plante
(Beyschlag et al., 1990). Effectivement, la diminution du contenu en eau du sol en deçà du
point de flétrissement temporaire (moins de 5% pour un sol sableux) et qui correspond à une
sécheresse modérée peut réduire le potentiel photosynthétique de 25 % au-delà de 21 jours
de sècheresse (Ambrose et al., 2015) par rapport à la condition de capacité au champ.
Toutefois, l’effet du stress de sécheresse n’affecte pas de la même façon les biomasses
aérienne et racinaire : la sécheresse a généralement un effet rapide sur la croissance des
racines, alors que cet effet est plus long à se faire sentir au niveau de la croissance des parties
aériennes (Li et al., 2004). Cela s’explique par la présence de réserve d’eau (eau facilement
utilisable) que la plante peut utiliser lorsque le stress hydrique commence à se faire sentir.
Dans le cadre de cette étude, l’absence de réponse pour toutes les variables de croissance au
stress hydrique de sécheresse s’explique par le fait que nous n’avons pas réussi à créer des
conditions assez « sèches ». En effet, le point de flétrissement n’a jamais pu être atteint en
raison de la difficulté de drainer entièrement les bacs et de l’humidité relative élevée dans la
serre (nécessaire à une autre expérience simultanément à la nôtre). De façon générale, nous
estimons que l’absence de réponse des différentes variables de croissance aux stress
hydriques est probablement due en grande partie à la durée de l’expérience qui n’a été que
de deux mois. En effet, d’autres études qui ont pu constater les effets des stress hydriques sur
la production des variables de croissances s’échelonnaient sur une durée de trois mois (Imada
et al., 2008) et une année (Ambrose et al., 2015).
31
1.5.2 Variation entre les espèces
S. eriocephala . La biomasse la plus importante de toutes les trois espèces a été produite par
le S. eriocephala. Ce résultat peut en partie s’expliquer par la dominance plus prononcée du
primordium apical chez cette espèce comparée aux primordium latéraux (Doffo et al., 2017).
Au niveau du primordium apical se produit une hormone de croissance appelé auxine,
favorisant la croissance verticale d’où l’émergence de nouvelles tiges de façon régulière et
rapide (Lapointe, 2007). Le S.interior qui dispose de la même caractéristique a cependant
produit deux fois moins de biomasses aériennes que le S.eriocephala. Il reste que c’est
l’espèce n’ayant pas de dominance du primordium apical, le S.discolor, qui a produit la plus
faible biomasse et même de 4 et 1,5 fois inférieure à celle produite par le S. eriocephala et S.
interior. Ce résultat concorde avec une autre étude dans laquelle les auteurs ont constaté que
le S.eriocephala a produit une biomasse et une longueur racinaire nettement supérieure au
S.interior et le S.discolor.
S. discolor. La plus petite biomasse des trois espèces a été produite par le S. discolor. Aussi,
selon les observations faites au cours de la période de l’expérimentation, la reprise fut très
lente chez cette espèce en comparaison avec les deux autres espèces. Nous attribuons ce
résultat au manque de tolérance de cette espèce à s’établir dans un sol moins fertile, comme
le sable (Mosseler & Major, 2014). Nous n’avons apporté dans le cadre de notre étude qu’une
très petite dose de fertilisant une seule fois (500 mL de NPK 20-20-20 liquide), ce qui n’était
probablement pas suffisant pour stimuler la croissance de la biomasse pour cette espèce.
Par ailleurs, les stress hydriques n’ont pas eu d’effet sur la longueur racinaire du S.discolor,
ce qui ne concorde pas avec l’écologie de l’espèce qui colonise préférentiellement les hauts
de talus (Mosseler et al., 2017). Toutefois, nous pouvons constater une certaine tendance à
avoir une longueur racinaire moins élevée en conditions d’inondation pour le S. discolor,
quoique les différences n’étaient pas significatives. Il est aussi possible qu’il puisse pousser
en sol inondé, mais qu’il tolère moins bien la compétition dans ces conditions, ce qui
expliquerait sa plus grande abondance en milieu plus sec comme le haut de talus.
S.interior. Le S.interior a produit une biomasse intermédiaire à celle des deux autres espèces.
Tout comme le S. eriocephala, il possède une dominance plus prononcée du primordium
32
apical (Doffo et al., 2017; Wikbergi & Ögreni, 2007). Toutefois, cette espèce est celle ayant
produit le plus de biomasse aérienne par rapport à sa biomasse racinaire : elle a montré un
ratio biomasse aérienne/racinaire 1,7 et 3,15 fois plus élevé que S.eriocephala et S.discolor.
Nous attribuons ce résultat au fait que les conditions expérimentales de notre étude n’ont pas
permis au système racinaire de se déployer pleinement puisque chez cette espèce, les racines
se développent à l’horizontale (Mosseler & Major, 2015). Les racines des boutures du S.
interior étaient ici soumises à un espace assez restreint ne favorisant pas leur développement
maximal comme en milieu naturel où des colonies de S. interior peuvent se développer à la
suite de longues ramifications racinaires issues des racines de base (Hilty, 2017). Nous avons
tout de même trouvé une plus grande longueur racinaire chez le S.interior en conditions
d’inondation comparativement aux conditions de sécheresse et de capacité au champ, ce qui
correspond au fait que le S.interior colonise principalement les berges des rivières et les
plaines inondables (Doffo et al., 2017). Cette espèce est confinée aux habitats riverains dans
la majeure partie de l’Amérique du Nord où elle est d’ailleurs utilisée pour la stabilisation
des milieux perturbés (Cerrillo et al., 2013).
33
1.6 Remerciements
Cette étude a été financée par la bourse d’études de Naren KEITA et les subventions de
recherches de Monique Poulin. Nous voulons remercier le Projet de Formation pour la
Sécurité Alimentaire au Mali (FASAM ) pour l’appui financier. Nous remercions aussi tous
les assistants de recherche du Département de phytologie ainsi que celle du Département des
sols et de génie agroalimentaire de la Faculté des Sciences de l’Agriculture et de
l’Alimentation de l’Université Laval qui a participé à cette étude. Nous sommes
reconnaissantes à Hélène Crépeau pour les conseils pour les analyses statistiques.
34
Conclusions
La présente étude a permis d’approfondir les connaissances concernant la capacité
d’établissement et de croissance des boutures du S. eriocephala, S. discolor et le S. interior
sous différents régimes hydriques. En effet, les trois espèces testées, soit S. discolor,
S. eriocephala et S. interior ont une tolérance certaine au stress hydrique, ayant eu des taux
de reprise élevés sous les trois régimes hydriques. Néanmoins, des trois espèces, le
S. eriocephala est celle ayant montré le meilleur potentiel pour produire de longues racines
sous les trois régimes hydriques. S. interior en revanche, est la seule espèce pour laquelle la
longueur racinaire fut favorisée en conditions d’inondation par rapport aux deux autres
conditions, même si cette longueur restait inférieure à celle mesurée pour S. eriocephala. Le
S. eriocephala a aussi montré la plus grande production de biomasse, tant aérienne que
racinaire, ce qui en fait une espèce à privilégier dans les ouvrages de génie végétal.
Bien que le S. discolor ait montré les plus faibles productions de biomasse aérienne et
racinaire, son ratio biomasse aérienne versus racinaire était celui le plus bas, ce qui indique
son fort potentiel à s’ancrer dans le substrat et ainsi stabiliser le sol. Enfin, le S.interior a
montré clairement sa capacité d’adaptation aux conditions d’inondation, ayant produit des
racines plus longues qu’en conditions de sécheresse ou de capacité au champ. Cette espèce
serait ainsi bien adaptée au bas de talus et serait à préconiser en pied de berge dans les
ouvrages de génie végétal. La plupart des études portant sur le génie végétal ont utilisé
d’autres espèces de Salix, telles que : S. nigra, S. viminalis ou S. elaeagnos (Fillion et al,
2009; Turhan & Serdar, 2013; Van Splunder et al, 1995). Très peu d’études ont porté sur les
espèces étudiées ici. Notre étude jette ainsi les premières bases pour assurer une bonne
utilisation de ces espèces dans les ouvrages de stabilisation de berges à partir des techniques
de génie végétal. Cela est particulièrement vrai pour le Québec, où la pratique du génie
végétal regorge de défis.
35
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