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  • 7/26/2019 Le Problme Des Stratgies Du Traduire

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    Article

    Le problme des stratgies du traduire

    Jerzy BrzozowskiMeta : journal des traducteurs / Meta: Translators' Journal , vol. 53, n 4, 2008, p. 765-781.

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    URI:http://id.erudit.org/iderudit/019646ar

    DOI: 10.7202/019646ar Note : les rgles d'criture des rfrences bibliographiques peuvent varier selon les diffrents domaines du savoir.

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    Meta LIII, 4, 2008

    Le problme des stratgies du traduire*

    jerzy brzozowski

    Universit Jagellonne, Cracovie, Pologue [email protected]

    RSUM

    Le concept de stratgies du traduire, si largement employ, est confus, ce que montrentaussi bien les dnitions courantes que lusage quen font des spcialistes, y compris lesplus renomms. Lauteur postule un retour aux sources ncessaire, et une nouvelle miseau point du problme.

    Une stratgie ne peut tre que consciente et globale. Pas de choix conscient, pas de

    stratgie, donc, et cest ce que la pratique dmontre : lcriture de la traduction est consi-dre souvent peu systmatique, et pour cause. En fait, en ce qui a trait aux choix strat-giques, ct de quelques facteurs conscients, il existe autant de facteurs de choixsubconscients, qui interfrent avec ceux-l. Le rsultat est un amalgame qui altre unevision stratgique du traduire, un degr variable, toujours dnir dans un cas prcis.

    Le niveau stratgique reste en lien assez troit avec un niveau subordonn, celui des techniques de traduction , qui coincident assez souvent avec les universaux du tra-duire , parmi lesquels se trouvent de nombreuses gures de traduction . Tout chan-gement au niveau du message original opr dans la traduction nest pas gure toutefois.Lusage de la notion de gure ne parat justi que l o nous sommes capables dednir la nature et les consquences du changement, ou autrement dit, sa valeur fonc-

    tionnelle.ABSTRACT

    The very notion of translation strategies, so popular in Translation Studies, lacks preci-sion, as can be seen in widespread denitions, including those used by the most respect-able specialists in the eld. The author of this paper suggests returning to the basicmeaning of this notion and subsequently, reconsidering its scope. A strategy, the author argues, must be global and conscious. If there is no awareness,there is no strategy, as shown in practice. Translation-writing has sometimes been judgedas non-systematic. In fact, at the strategic choice level, there are some conscious andsome unconscious factors, which interfere with each other. As a result, a strategic vision

    is distorted to a degree which remains to be dened in each specic case. The connection of the strategic level with a lower level, that of techniques of trans-lation, often designated by universals, in which many gures are found, is to bestudied carefully. However, not every shift in the message deserves to be called a gureof translation. For a shift to constitute a gure of translation, it is necessary to deneits function and the impact it has on the message.

    MOTS-CLS/KEYWORDS

    stratgies du traduire, universaux, gures de traduction, potique de la traduction

    Le terme de stratgie de traduction est un des prfrs des spcialistes en traduc-tologie. outefois, contrairement ce quon pourrait croire, cest un des concepts lesmoins ables et il a introduit dans notre champ dtudes une certaine confusion.Notre propos est de contribuer remettre un peu dordre dans cette confusion et de

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    situer le concept de stratgie par rapport deux autres trs en vogue, ceux des uni- versaux de traduction et des gures de traduction.

    Dans le prsent article, nous allons nous occuper uniquement des stratgiescentres sur le produit ( product oriented strategies), celles qui, notre avis, semblent

    les plus problmatiques. De plus, nous nallons pas nous occuper cette fois (et cela, contrecur) des stratgies de choix du texte traduire (cf. oury 1978), certes impor-tantes, surtout dans la perspective de la potique historique de la traduction.

    Commenons par les dnitions qui sont la base de lusage actuel de ce mot. Laplus ancienne semble tre celle de Krings (1986), adopte par Chesterman dans sesouvrages de 1997 et 20051, et comme on verra plus loin par plusieurs autres auteurs.La voici dans la traduction anglaise de Englund-Dimitrova (daprs Jsklinen2005) :

    A translatorpotentially conscious plans for solving concrete translation problems in

    the frameork of a concrete translation task.Jsklinen (1993 ; 2005) propose, de son ct, la dnition suivante :

    Tey are a set of (loosely formulated) rules or principles which a translator uses to reachthe goals determined by the translating situation in the most effective way ;global strategies refer to the translators general principles and modes of action ;local strat-egies refer to specic activities in relation to the translators problem-solving anddecision making.

    Dans les deux dnitions, nous avons soulign les termes qui, pour nous, sont labase des malentendus qui ont suivi. Le mot stratgie mme, utilis dans le contextedes sciences humaines, nest quune mtaphore, sa provenance est de toute videncemilitaire. Jsklinen utilise lappui la dnition que fournit leCollins CobuildE-Dictionary:

    1. A strategy is a general plan or set of plans intended to achieve something, especiallyover a long period.2. Strategy is the art of planning the best way to gain an advantage success.

    Nous omettons les exemples fournis par le dictionnaire, et la fois, nous nous per-mettons de souligner le fragment qui a visiblement sduit Jsklinen, tout en faisantremarquer que la dnition de Collins non seulement relgue la signication militairedu concept au deuxime plan, mais de plus, que cette partie de la dnition est trs vague, ce qui permet notre auteur de surenchrir : a set o ( loosely ormulated)rules or principles .

    Seulement, voil : il ny a pas que le dictionnaireCollins, nombre dautres existent,y compris sur Internet. Le dictionnaireOneLook, qui synthtise les donnes dune vingtaine de dictionnaires en ligne en la matire qui nous intresse, dit ce qui suit :

    the branch of military science dealing with military command and the planningand conduct of a war an elaborated and systematic plan o action

    LeWebster en ligne va dans le mme sens, mais dune faon encore plus explicite :3. aplan o action encompassing the methods to beadopted rom beginning to endo a task or endeavor, ocussing on the general methods ; contrasted with tactics,

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    which is a plan for accomplishing subgoals of lesser extent than the primary goal. Tus,a strategy is a plan for winning a war, and a tactic is a plan for winning a battle.

    Ajoutons que lePetit Robertet le dictionnaire espagnol de la Real Academia Espaola vont dans le mme sens (en privilgiant ltymologie militaire du terme), et que plu-sieurs autres font le contraire (comme le brsilien Aurelio ou le polonaisSownik poprawnej polszczyznyPWN), ce qui signie que le manque de rigueur nest pas si rare,et mme que la tendance actuelle est peut-tre privilgier les acceptions courantes etnon militaires du terme stratgie . Cela expliquerait en partie le fait quil ny ait paseu, jusqu prsent, de pression unicatrice pour ce qui concerne la notion de stratgiedu traduire, dautant plus que ltat desprit de la majorit de nos collgues ne semblepas vraiment favoriser la recherche de ce qui est susceptible dunir nos efforts, commele suggre le dbat rcent sur shared ground in S (arget 14-1 et prcdents).

    Est-il tellement important de chercher le noyau dur de la signication de ce

    terme, au lieu de nous rsigner suivre la majorit (est-il cependant prouv de quelct elle se situe) ? Nous croyons que oui, et ce nest pas au nom de principes, maisen considrant les fruits qua apports une certaine nonchalance dans lusage du mot stratgie dans les textes traductologiques rcents. Voici quelques exemples :

    []lexical simplication operates according to six priciples orstrategies [] thoseprinciples are : use of superordinate terms when there are no equivalent hyponyms []approximation of the concepts expressed in the source language text, use of common-level or familiar synonyms [] use of the circomlocutions instead of conceptuallymatching high-level words or expressions []

    the explicitation hypothesis [] posits that the rise in the level of explicitnessobserved in translated texts and in the written work of 2nd language learners may be auniversalstrategy inherent in any process of language mediation. (Laviosa 1998 : 288-289 ; cest nous qui soulignons J. B.)

    Cette citation provient du chapitre consacr aux universaux de la traduction, dela prestigieuseranslation Studies Encyclopedia. Celle qui suit fait partie de la prfacedu non moins prestigieux volumeranslation Universals. Do they exist ? publi en2004 par les ditions Benjamins :

    [Papai] suggests a connection between variousexplicitation strategies(e.g. lexicalrepetition, addition of conjunctions, lling in ellipsis) and simplication anotheralleged universal of translation. (Mauranen, Kujamki [eds.] 2004 : 7)

    Nous nous bornerons ces deux exemples, quoique dautres, peut-tre moinsfrappants, soient examiner, p. ex. chez Halverson (2003 : 220) ; et il en existe sansdoute plusieurs autres. Une chose est manifeste : les auteurs cits ne se font pas tropde souci de prciser en quoi les stratgies diffrent des universaux . Les stratgiespeuvent se situer au niveau subordonn celui des universaux cest le cas des sixgures ( stratgies ) qui illustrent le principe de simplication chez Laviosa etMauranen-Kujamki. Mais le contraire est aussi possible : dans la deuxime citationde Laviosa, lhypothse de lexplicitation est considre comme principe universelqui organise peut-tre tous les cas de communication auxquels participe activementune langue trangre.

    Ce manque de rigueur de la dlimitation des niveaux sur lesquels agissentles concepts en question nest pas nouveau. Il est visible dans les treize tendances

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    dformantes de Berman (1985), une premire tentative dtablir un systme des universaux de traduction : la clarication chez cet auteur, en fait, identique lexplicitation est un corollaire de la rationalisation (Berman 1985 : 70) ; la des-truction des sytmatismes , laquelle concourent, selon lauteur, rationalisation,

    clarication et allongement (Berman 1985 : 78), se situe donc, de toute vidence,au-dessus de la rationalisation qui, pour sa part, a t dnie comme principe gn-rateur de la clarication. Dans la classication de Berman, on dcle donc troisniveaux possibles et distincts sur lesquels se manifestent les tendances dfor-mantes . Notons dores et dj la position prpondrante de la tendance appelle parBerman la destruction des systmatismes .

    Nous croyons que la classication de Berman a t sous-estime par les traduc-tologues les plus connus. Chesterman, dont les travaux sont pour nous une sourcedinspiration constante, traite Berman dune faon quelque peu cavalire dans sonarticle de 2004 (Chesterman 2004 : 36-37 et passim), mme sil a raison de soulignerson normativisme, que lauteur franais abandonnerait dailleurs dans son dernierlivre (Berman 1995). Mais dautre part, le mme Chesterman semble sinspirer par-tiellement de Berman quand il fait la distinction entre les oprations quil nomme techniques et les autres, quil appelle shifs (modications ou carts) :

    Many of the traditional names for shi s overlap with names given to techniques []but the two should be conceptually separate. [] what we can teach are textual tech-niques and problem solving strategies [] A shi may represent the solution to aproblem (i.e. the result of a strategy), the result of a routine technique, or indeed theconsequence of a misunderstanding, an unsuccessful strategy or a badly chosen tech-

    nique. Some shi s are therefore justiable (in a given task context), others are less so.As we know, all translations manifest shi s. (Chesterman 2005 : 27)

    out dabord, la notion d carts (shifs) non justiables concide avec celle detendances dformantes de Berman. Mais dautre part, lusage des techniques , quiparfois concident avec les carts (en fait, certaines tendances dformantes ou universaux ), semble subordonn ladoption dune stratgie.

    Nous allons rcapituler brivement ce qui a t dit jusqu prsent. Les dnitionsdes dictionnaires que nous prfrons celui deCollins dterminent la stratgiecomme un plan bien labor daction, mener du dbut jusqu la n, et qui focalise

    les mthodes gnrales (en opposition une tactique, qui vise la rsolution des pro-blmes ponctuels dune action plus vaste). Do notre conclusion : la stratgie ne peuttre que consciente (et non potentiellement consciente ), de plus, elle doit treglobale (et non locale)2. Pas de conscience du traducteur, donc, pas de stratgie.

    Il faut demander, par consquent, combien de fois le terme de stratgie, dnide la sorte, correspond quelque chose de bien rel ? Chesterman admet, ci-dessus,la possiblit quun traducteur adopte une stratgie inadquate. Berman va plus loinen proclamant que lcriture-de-la-traduction est non stratgique par sa nature :

    Mene fond, lanalyse dun original et de sa traduction montrerait que lcriture-de-la-traduction esta-systmatique, comme celle de ces nophytes dont les lecteurs desmaisons ddition rejettent les textes ds la premire page. Sauf que, dans le cas de latraduction, cette a-systmaticit reste cache, dissimule par ce quireste de la syst-maticit de loriginal. (Berman 1985 : 78)

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    Il faudrait peut-tre nuancer cette prise de position plutt catgorique. En quoiconsisterait cette a-systmaticit ? oury suggre, par exemple, que lon peut satten-dre avec une forte probabilit quun jeune adepte privilgie les choix lexicaux etphrasologiques, au dtriment des niveaux suprieurs du texte, comme la syntaxe et

    la cohsion ( oury 2004 : 26-27), ce quun professionnel expriment ferait moinsprobablement ; cette hypothse montre la ngligence (ou lignorance ?) de lune desides de la carte (basic map) de Holmes, lorsquil parle, entre autres, sur le plandes tudes descriptives/partielles, du rank restricted . Mais en fait, nous croyonsque toutes les restrictions de Holmes sont censes inuencer (positivement oungativement !) les choix stratgiques du traducteur, ct de quelques autres facteurspossibles. Avant de discuter ce problme, nous croyons utile, voire ncessaire, de nousinterroger encore sur la nature de la stratgie du traducteur.

    Venuti, dans son article de laRoutledge Encyclopedia o S consacr au problmedes stratgies, dit ceci :

    [] the many different strategies that have emerged since antiquity can perhaps bedivided into two large categories. [] Strategies in producing translations inevitablyemerge in response to domestic cultural situatios. But some are deliberately domesti-cating in their handling of the foreign text, while others can be described as foreigniz-ing []. (Venuti 1998 : 240)

    Cela parat vident. outefois, si nous passons en revue les procds susceptiblesde gurer dans ces deux grands groupes, en mettant du ct de la domestication desstratgies bien connues dadaptation ou dimitation, et quelques autres, plus rcem-ment dnies, comme la traduction indirecte de Vinay et Darbelnet, lquivalencedynamique de Nida, la covert translation de House ou la mtatraduction dEtkind,et du ct de lexotisation, les procds de la traduction directe de Vinay et Darbelnet, voire le dcentrement de Meschonnic3, nous restons un peu sur notre faim. La situa-tion ne change pas vraiment si nous ajoutons cette liste la modernisation oularchasation, en admettant quelles forment une sous-catgorie part4. oury, dansson article dj cit, nous met en garde contre le niveau de gnralisation excessif quibanalise le problme tudi ( oury 2004 : 20) : nous craignons que ce soit justementle cas de la liste ci-dessus.

    En fait, aprs avoir considr les objections formules, nous croyons que la stra-

    tgie de traduire une uvre donne est une recette unique5

    , qui ne se rpte pas,mme si, en termes dune potique historique du traduire, nous sommes capables dereconnatre la griffe , ou la potique personnelle dun traducteur comme CharlesBaudelaire ou Yves Bonnefoy (et tant dautres). La stratgie serait donc une sommede dcisions qui dpendent de plusieurs facteurs qui inuencent nos choix, consciem-ment ou non. La pression des facteurs subconscients est responsable du fait que lesstratgies ne sont que rarement pures : cest la leon quil faut tirer des propos deBerman sur la-systmaticit de lcriture-de-la-traduction ; en cas limite, il ny a paslieu de parler dune stratgie, soit que le traducteur na pas song en tablir une,soit quil est inconsquent, soit que, pour quelque autre motif, il a chou dans lamise en uvre de son projet : la tactique ruine la stratgie. La bataille densemblegagne sur la carte est perdue en dtail sur les coteaux , remarquait Paul Valry, citpar lePetit Robert la rubrique stratgie .

    Pourtant, il est exagr, croyons-nous, de proclamer une fois pour toutes, linstar de Berman, que lcriture-de-la-traduction esta-systmatique. notre avis,

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    il ny a pas ici dopposition binaire, les frontires du concept sont permables, et lonpeut aisment reprsenter ce phnomne sur lexemple dun verre deau que nouscommandons dans un caf. Les possibilits sont en simpliant les suivantes :

    1 2 3 4

    Si le garon nous apporte le verre 1 ou 2, tout va bien. Sil apporte le verre 3, nousallons penser : bon, il a d trbucher au passage et quelques gouttes ont t perdues,mais nalement, a passe. Sil nous apporte le verre 4, nous allons probablement dire : Je vous ai demand un verre deau. Cecinest pas un verre deau. De mme pourla stratgie : dans de rares cas, nous pouvons admirer la rigueur (stratgique) de lamthode arrte par un traducteur ; dans de plus nombreux cas, nous allons admet-tre que le traducteur agit dune manire cohrente, qui dvoile une pense stratgi-que ; dans dautres, de loin les plus frquents, nous dirons quil agit dune manirenon stratgique, intuitive, en changeant certains principes conducteurs au gr desalas du texte.

    En ce qui a trait aux choix stratgiques, linterfrence des facteurs conscients etinconscients conduit donc un certain rsultat nal, quil reste, dans chaque cas, dnir. Nous croyons que cest un mcanisme patent ; le problme qui reste ouvertest la liste des facteurs qui concourent ce rsultat nal. Nous proposerons ci-dessousune liste qui nous semble assez bien fonde ; toutefois, un autre problme se prsente.Nous avons parl de la confusion fcheuse des niveaux lorsquon parle des strat-gies et universaux , techniques ou tendances dformantes . Il parat urgent,avant quon fasse un prochain pas, de trancher cette question.

    Lissue que nous adopterons a t propose par Halverson (2003). Elle propose, pour les S en gnral, et la recherche sur les universaux en particulier (Halverson2003 : 230-231, trad. J. B.), le cadre conceptuel des degrs de gnralisation formulpar Cro , dans lequel chaque assertion donne est une explication dune gnrali-sation du niveau infrieur, mais en mme temps, une description comparativement une gnralisation du niveau suprieur (Cro 1990 : 258 ; cit dans Halverson 2003,trad. J. B.).

    Lessentiel de la classication propose est dni comme suit (Cro 1990 : 247 ;cit dans Halverson 2003 : 231) :

    Te rst level is the lowest, the level of observation, that is what constitutes the basicfacts of language. [] the second level is actually a set of levels, the levels of internalgeneralization. Te third is that of external generalization, at which the linguist invokes

    concepts from psychology, biology and other realms outside the structure of thelanguage.

    En adoptant ce cadre gnral, nous dirons quau niveau I, celui de base, se situenttoutes les modications du message dtectables. Elles peuvent donner lieu desgnralisations du niveau II selon des critres divers : p. ex. purement formel

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    (Chesterman 1997) ou fonctionnel, qui prend nanmoins en considration des carac-tristiques formelles (telle est notre position, cf. : Brzozowski 2007). Nous devonsformuler ici une remarque qui nous parat fondamentale : tout changement au niveaudu message original opr dans la traduction nest pas gure6. Lusage de la notion

    de gure ne parat justi que l o nous sommes capables de dnir la nature et lesconsquences du changement, ou, autrement dit, sa valeur fonctionnelle.Le niveau II est celui des universaux ou tendances , techniques ou gu-

    res . Les dnominations diffrentes couvrent dans plusieurs cas les mmes phno-mnes (cf. Chesterman 2005 : 27, voir ci-dessus) ; cest le cas, pour ne donner quunexemple, de la simplication chez Laviosa, et de lappauvrissement quantitatif et/ouqualitatif de Berman. Les gnralisations internes peuvent se situer aux niveauxdiffrents (larationalisation de Berman engendre, en effet, plusieurs autres tendencesquil commente) et adopter des critres qui retent des caractristiques complmen-taires des mmes phnomnes : lestendances d ormantes sont au fond la mme choseque lesuniversaux , mais pour ces derniers, ce qui est mis en relief, cest leur caractrercurrent, indpendant des langues et des individus, tandis que pour les premires,un jugement de valeur (ngatif) simpose implictement. Lestechniques, qui dansnotre optique seraient un synonyme des gures, se rclament implicitement des autressources thoriques (la linguistique applique au lieu de la rhtorique).

    Finalement, le niveau III, celui de lexplication externe, sera celui des dcisionsstratgiques, dont la combinaison est cense donner comme rsultat une stratgie(ou non-stratgie) en question. Ces facteurs seront ordonns en groupes qui vont, parordre dgressif, des plus conscients aux moins conscients. Lordre des facteurs dans

    les groupes, dans notre intention, nest pas, non plus, arbitraire : ils apparaissent parordre dimportance relative. ous ces facteurs sont, en fait, bien connus ; ils ont tpuiss dans les ouvrages de Meschonnic (1973), Holmes (1978), Gutt (1991), Reiss(1976 ; 1984 ; 1984/1991) Vermeer (1982 ; 1984/1991 ; 1989) oury (1978 ; 1981 ; 1995),Berman (1985), Chevalier et Delport (1996), Halverson (2003). La liste se prsentecomme suit :

    Le niveau III des choix stratgiques

    1) Facteurs des choix conscients (ou stratgiquesstricto sensu)a) Medium (canal de communication)b) ype de textec) Problme ou relevanced) Skopose) raditionf) Diffrences des cultures et des systmes linguistiques de L.O. et L.A. (area restric-ted de Holmes)g) emps (de la cration du texte en L.O.)h) Les niveaux du texte (rank restricted de Holmes)

    2) Facteurs dpendants de linconscient collectif : criture idologique passive a) Rationalisationb) Orthonymie

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    3) Facteurs cognitifsa) Saillance cognitive dans le rseau(pression des catgories prototypiques et des schmas du niveau suprieur)b) Anthropocentrisme

    4) Idiosyncrasies idologiques et esthtiques du traducteurCertains de ces facteurs, largement connus, dispensent de commentaire.

    En fait, nous avons retenu tous les facteurs (restrictions ) du niveau de base dudiagramme de Holmes ( partial theories ). Nous commenons, comme lui, par lemdium (ou canal de communication), et pour cause : selon quil sagisse de traduc-tion crite ou orale, on emploie des techniques bien diffrentes et thorises de longuedate. Il est vrai que les crits des fondatrices de la thorie interprtative (Seleskovitchet Lederer 1993) laissent limpression que lambition des auteurs tait de donner une

    thorie universelle, applicable tous les types de messages. En fait, dans le cas detextes crits, elle ne sapplique correctement quaux textes dinformation gnrale(General Language ranslation de Snell-Hornby) ; dans dautres cas de textes crits,elle dbouche sur les tendances dformantes . Par contre, lutilisation de cettethorie pour la traduction des messages oraux (spcialit de lESI ) donne dexcel-lents rsultats.

    Nous croyons toutefois, avec Snell-Hornby, que le second facteur prpondrantest le type de texte (cf. Snell-Hornby 1988 : 32 ; le niveau B de son diagramme ext-type and relevant criteria or translation ). Selon le type de texte en question si cest un texte littraire, notamment , nous faisons valoir le facteur suivant, celuidu problme (ironie, humour, sublime, mtaphores obsdantes, guration cache,etc.) quil faut dabord identier. Pour ce qui est de textes littraires, nous souscri- vons lopinion de Meschonnic que, dans les situations les plus courantes ( la tra-duction ordinaire ), rgne lignorance de la potique, cest dire de la notion mmede systme [] cest l quil faut passer de la philologie la potique, du sens au modede signier (Meschonnic 1998 : 27-28). La thorie de larelevance de Gutt va dans lemme sens que lidentication de ce qui est lessentiel dans le mode de signier duntexte donn.

    Dans le cas dun texte utilitaire, ce sont les besoins de celui qui va en faire usage

    qui prdominent, le but ouskopos de la traduction ; nous ne pouvons pas entrer icien dtail dans le problme thique que pose le choix entre la recherche derelevance et ladquation auskopos,la chose tant archiconnue, tout comme les points 1f, 1g,1h, qui compltent le diagramme de Holmes.

    Le facteur 1e se rfre aux normes concept introduit dans la traductologie paroury (1978 ; 1995) et comment rcemment par Hermans (1995 ; 1996 ; 1999). Leterme plus englobant de tradition de traduction ( linstar de la tradition littraire,mais loin de sassimiler cette dernire) est courant en Europe centrale (cf. Vodicka,Popovic, Mukarovsk, wich). Lemploi du concept de tradition suggre la fois lamultiplicit des sources institutionnelles des normes, et leur historicit, fonde sur lantinomie dialectique entre son caractre impratif et une force potentielle, rgu-latrice, qui implique la violation de la norme (Mukarovski 1970 : 69-70 ; cit danswich 1976 : 375, trad. J. B.). Dautre part, il est clair que, dans ce paragraphe, onparle des normes fortes (basic et secondary norms de oury) ; toutefois, ce

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    qui est important ici, cest moins le degr de leur acceptation dans une communautlinguistique/culturelle donne que le caractre conscient et institutionnalis decette acceptation (Hermans 1995 : 9-10). Les conventions que Hermans tient considrer comme une catgorie part vont apparatre dans le point suivant.

    Ce qui nous intresse dans la notion de conventions, cest leur immersion danslinconscient social, leur emprise sur nos intelligences, puisque tant de lordre delhabitus : Although conventions do not presupose explicit agreement betweenindividuals, they still act as generally accepted social constraints on behaviour , critHermans en commentant les dnitions de Lewis (Hermans 1996 : 30). En effet, lesfacteurs qui interviennent dans le point 2 sont de lordre du subconscient social.

    Dans le cas de lcriture idologique passive , il sagit en fait de la somme desides reues et des conventions et modes linguistiques dune poque donne, dansun milieu donn (ou autrement : un horizon dattente donn). Cette adquationaux attentes les plus typiques des lecteurs conduit la traduction culturelle accom-pagne de sa propre mconnaissance (Meschonnic 1973 : 308). Le mcanisme estdonc trs gnral, on peut admettre quil englobe les modes linguistiques et littrai-res du moment, mais aussi des mcanismes plus spciques, comme la rationalisationet lorthonymie.

    La rationalisation ouvre la liste des treize tendances dformantes de Berman,qui sont souvent son corollaire7. Elle repose sur une ide toute faite de ce quest (ou doit tre ) un texte qui change de destinateur, le systme premier se confrontantau gnie de la langue darrive. Ce gnie est, entre autres dnitions possibles(cf. rabant 2000), une somme dhabitudes langagires, cette part irrchie, auto-

    matique [] ce quil y a de strotyp dans notre parole (Brzozowski 2003 : 45).Dans le cas de la rationalisation, ce qui est affect en premier lieu, ce sont les struc-tures syntaxiques de loriginal :

    La rationalisation re-compose les phrases et squences de phrases de manire lesarranger selon une certaine ide de lordre dun discours. (Berman 1985 : 69)

    Lorthonymie, pour sa part, agit principalement au niveau du lexique :Pour tous les rfrents usuels dune culture, la langue dispose dune appellation qui vient immdiatement lesprit de la communaut. Cette dnomination immdiate seradite lorthonyme.(Pottier 1987 : 45 ; cit dans Chevalier 1996b : 90).

    Le concept lanc par Pottier a t adopt en traductologie par Chevalier. Enparlant des carts non ncessaires dune littralit tout fait possible, il observe :

    [le traducteur] dbouche sur une expression plus conforme lusage habituel de lalangue darrive que le tour originellement retenu par lauteur ne ltait par rapport lusage habituel de sa propre langue. [] Cette manire usuelle, naturelle, tradition-nelle, de dire telle ou telle exprience, cette faon daller tout droit aux choses, on peutla nommer orthonymie. (Chevalier 1996a : 74)

    Parmi les facteurs cognitifs, le point I.3.a est le fruit de lanalyse des mcanismes

    psycholinguistiques, notamment de celui de lasymtrie de lorganisation cognitive,mene fond dans larticle important de Halverson (2003). Ci-dessous, nous adoptonsles suggestions de Halverson quant linuence dcisive de tel ou autre facteur surles universaux du niveau II. En outre, nous nous permettons de joindre la listedes facteurs cognitifs, sans doute trop exigu pour les spcialistes de linguistique

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    cognitive, la perspective anthropocentrique vis--vis du monde que nous adoptonsdans la structuration linguistique8. Ce mcanisme nous semble responsable dunegure de traduction analyse par Chevalier, le changement du sujet .

    Finalement, au ple oppos celui des choix conscients, nous avons les pures

    idiosyncrasies du traducteur ( oury 1978/1995 ; 2000 : 199), qui sont lgion.Il est temps de passer au niveau II, celui des universaux. Dans le tableau ci- dessous, nous en prsentons quelques-uns (qui, selon les cas, peuvent tre considrscomme techniques ou tendances dformantes ), en commenant par les plusunanimement reconnus et les mieux dcrits pour arriver, nalement, deux can-didats ce statut. La liste vient essentiellement deRoutledge Encyclopedia oranslation Studies (Laviosa 1998), elle est revue la lumire des conclusions deHalverson et, dans une certaine mesure, des auteurs du volumeranslation Universals :do they exist ?(Mauranen, Kujamki [eds.], 2004). Il est noter que ce qui nous int-resse ici, ce ne sont nullement les preuves de lexistence plus ou moins patente desuniversaux (lois ou simples tendances ?), mais les conditions dune telle existence :elles viennent du niveau stratgique qui est important pour nous. Sandra Halverson(2003 : 233) a dit trs justement :

    [] cognitive salience in a network will not be an absolute predictor of translationchoices. Other factors may override the gravitational pull described here in any givencase.

    Il sagit prcisment de montrer quand et comment ces autres facteurs peuvententrer en jeu. Au niveau II, il nous a donc paru intressant de marquer, entre paren-thses, les facteurs du niveau III correspondants : 1b, par exemple, est le type de texte,2b, la rationalisation). Nous avons essay, ici encore, de les ordonner selon leurimportance relative.

    Voici le tableau (provisoire !) du niveau II :

    Le niveau II des universaux / techniques du traduire

    1. Explicitation (1b, 1c, 1d 2a 3a)2. Simplication syntactique (1a, 1b, 1d 2a 3a)3. Gnralisation (3a 1a, 1b, 1f)4. Simplication smantique (1a 2a 3a)5. Normalisation ou conventionalisation(1e, 2b, 2a 3a)6. Interfrence ou transfert (1b, 3b 1f, 1d, 1c)7. Changement du sujet (3b 3a)8. Exagration des caractristiques stylistiques de loriginal (1c, 1e 2a 3a)9. Brouillement de perspective textuelle (1h 3a)

    Nous allons commenter, dans la suite, quelques cas et corrlations indiqus ci-dessus.

    Lexplicitation est, de loin, la technique la plus rpandue9

    . Chez Berman, elleprend le nom de clarication, et lauteur dajouter : Certes, la clarication est inh-rente la traduction, dans la mesure otout acte de traduire est explicitant (Berman1985 : 70). Nous avons vu une telle opinion dans le fragment cit de Laviosa (1998 :289), elle vient en fait du classique Afer Babel de George Steiner (1975/1992 : 291)10.

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    Ses gures (du niveau I) sont, entre autres, les rptitions lexicales, laddition desconjonctions, le remplissage des ellipses (Laviosa 1998 : 289) ; Berman ajoute cetteliste le passage (en principe blmable) de la polysmie la monosmie et la traductionparaphrasante ou explicative.

    Sur le plan stratgique, nous voyons que certains types de textes dans lesquelsla fonction informative domine (p. ex. les textes scientiques), aussi bien que certainsproblmes (p. ex. les diffrences culturelles importantes) dans les textes destins un type de public dtermin (p. ex. la jeunesse), invitent utiliser la technique dex-plicitation (p. ex. sous forme de traduction explicative). Mais cette tendance peut tre,dans dautres cas, le fruit de la rationalisation qui, en remplissant des ellipses, ouen tranchant pour la monosmie, vise rendre clair ce qui ne lest pas et ne veutpas ltre dans loriginal (Berman 1985 : 71).

    Pour la simplication syntaxique, nous avons les gures suivantes : division desphrases trs longues en plusieurs plus courtes, linarisation de la syntaxe (liminationdes phrases incises et/ou des niveaux successifs de subordination). Cela peut tre une vertu, notamment dans linterprtariat : en effet, nous enseignons nos lvesplusieurs techniques dlimination des redondances, de synthse, de simplication.Ces techniques peuvent tre galement utiles dans ladaptation des textes de presse.outefois, dans la traduction littraire, le traducteurrationalise : il faut liminerdans la traduction franaise la lourdeur originale du style de Dostoevski (Meschonnic1973 : 317 et Berman 1985 : 69), aussi bien quil faut simplier les phrases intermi-nables de Proust pour le lecteur polonais (Brzozowski 2004 : 25). Ces procds tanten premier lieu de nature socioculturelle, le problme de la saillance cognitive dans

    le rseau nous parat moins prsent ici.La situation nous semble diffrente dans le cas de la gnralisation, o des termesplus vaguement gnraux apparaissent au lieu des hyponymes prcis tendancefcheuse dans les textes spcialiss surtout (juridiques, scientiques, techniques),ou bien, le lexique courant apparat au lieu des vocables du niveau plus officiel, voiresoutenu. Comprendre, ici, signie aussi, parfois, excuser : l analyse de Halversonmontre assez bien le mcanisme de ce phnomne, et il est clair quun interprte qui,press par le manque de temps, succombe ce mcanisme, ne le fait pas exprs. Ilest relever aussi que les diffrences culturelleslargo sensu (et, par consquent,labsence de certains vocables dans la langue cible) jouent ici un rle considrable.Ajoutons, nalement, que dans la terminologie de Berman, le phnomne en ques-tion conduit lappauvrissement quantitatif (et, en consquent, qualitatif).

    La simplication smantique est prsente par Halverson comme corollaire dela gnralisation. outefois, dans la traduction de cabine, cest encore une techniqueque nous enseignons en pleine conscience, quand il sagit dliminer des rptitionsou redondances. Dans la pratique de traduction littraire (ou, surtout, de correctionchez un diteur), cest la rationalisation qui prdomine, comme la trs bien dmon-tr Berman pour llimination des redondances voulues par lauteur de loriginal,y compris les rptitions. Un autre procd dcel par Berman, et actif ici, serait

    l homognisation . Mais pour dautres phnomnes de cette catgorie, comme laprsence plus marque dans le texte traduit des vocables grammaticaux au lieudes lexmes de sens , et des vocables plus frquents, au dtriment de ceux plus raresdans la langue cible, il est assez clair que la saillance cognitive dans le rseau seraitlagent prpondrant.

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    Pour la normalisation, ou conventionalisation, elle touche la ponctuation, leschoix lexicaux, le style, les structures phrastiques et lorganisation textuelle . Latendance est de ramener tout vers la conventionalit textuelle approuve par lepublic cible (Vanderauwera 1985 ; cit dans Laviosa 1998 : 289).

    En ralit, il sagit de deux choses distinctes. La normalisation suggre lobis-sance aux normes rdactionnelles de la langue cible. Nous avons rang lobissanceaux normes parmi les facteurs des choix conscients, une chose vidente pour quel-quun qui a(urait) pass dix ans comme correcteur et lecteur dans une grande maisonddition. La situation parat claire pour la ponctuation et certaines normes stylisti-ques scolaires, du type : on ne doit pas commencer une phrase par une conjonctionon ne doit pas rpter le sujet ou lobjet direct Et lon passe imperceptiblement desnormes primaires (en polonais, par exemple, la ponctuation est quasiment gram-maticalise), vers les normes secondaires de oury, tous les a ne sonne pas bienen franais (polonais, nnois, etc.). Cest l que la conventionalisation commence :au niveau III, nous avons dsign comme responsable de ce genre de phnomnes,lorthonymie.

    Il faut toutefois remarquer que lorthonymie apparat toujours ct de la saillance cognitive dans le rseau . Ne serait-ce pas un autre aspect du mme ph-nomne, un cas particulier de la saillance cognitive ? La rponse reste pour nousngative, puisquil sagit dune dterminante socioculturelle, et non psychologique ;il faut donc admettre que les deux facteurs se compltent. oujours est-il que laprsence de ce mcanisme peut apporter des dgts importants (cest le cas de lamauvaise analyse du problme dans un texte littraire surtout quand celui de dpart

    nest pas orthonymique dans la langue source) ou, selon un type de texte dter-min, aucuns dgts perceptibles (dans les textes non littraires, notamment). Dansla terminologie dAntoine Berman, nous aurions ici affaire lennoblissement (lesmarques stylistiques conventionnelles de poticit dans un pome, par exemple),la destruction des rythmes (au niveau de la ponctuation) et la destruction des locu-tions (due lusage des phrasologismes quivalents qui existent dj dans la languecible).

    Si le statut de lexagration des caractristiques de la langue cible reste encoreincertain, puisque les conclusions des investigations empiriques donnent des rsultatscontradictoires ( irkonnen-Condit 2001 ; Mauranen 2000 ; cit dans Halverson 2003 :222), le cas nous parat plus clair pour linterfrence linguistique ou transfert ( oury 1995), surtout avec larticle rcent dAnna Mauranen, qui apporte des donnesempiriques encourageantes (Mauranen 2004). Il semble que deux cas de gure seprsentent ici : lun concerne une interfrence pure et simple , l o le traducteur,ou surtout linterprte (cf. Schlesinger 1995), na pas le temps de parfaire son choix.Lautre srie est constitue par les cas dintraduisibilit, soit de nature culturelle lecalque ou lemprunt tant un procd commode et (trop ?) largement utilis par lestraducteurs des textes spcialiss. Si, dautre part, nous adoptions la classication deMauranen : Examples of the latter [interference] would be collocations or other

    combinations which break no obvious rule of the L but are simply not found inoriginal texts (Mauranen 2004 : 80), il faudrait considrer comme un effet de lin-terfrence toutes sortes de nologismes crs sous la pression de la traductologie,surtout les cas de ces trouvailles merveilleuses dues uniquement lcriture-de- traduction dont parle Antoine Berman (Berman 1995 : 66).

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    Le changement du sujet, candidat fort , nos yeux, au statut duniversel, a tdcrit par Chevalier de la manire suivante :

    Ltre dsign par le mot que le traducteur, dans une phrase, a choisi de porter au postede sujet est toujours dans lexprience dot dune activit. Il exerce sur un autre uneforce ; il lui impose une transformation ou fait natre en lui un lment nouveau ; bref,il dveloppe une puissance dont on exhibe les effets (Chevalier, Delport 1996 : 31).

    Le dveloppement de lauteur, qui remarque : [] un mme critre peut meservir la dnition de lagent et de lanim [] (ibidem) nous renvoie directement la catgorie de lanthropocentrisme .

    Dans un cas extrme, cela peut donner la modication suivante :So the boat was lef to dri down the stream as it would.Alice laissadonc lesquif driver au l de leau. (Lewis Carroll/Henri Parisot, inidem,p. 29)

    outefois, lauteur montre toute une gamme de nuances de ce phnomne, sur-tout dans lautre article de ce volume, raduction et littralit : de la subjectivitdans les traductions de Madame Bovary ; ses exemples conrment que dautres casde gure sont envisageables qui montrent la gradation possible dans le passage delinanim vers lanim.

    Nous revenons Berman pour hasarder la promotion dun autrecandidat austatut duniversel, lexagration des caractristiques stylistiques de loriginal , avectrois tendances quil dcrit : lennoblissement ( une r-criture, un exercice de style partir et aux dpens de loriginal ) ou son envers, et complment : la vulgari-sation, qui pour les passages de loriginal jugs populaires [consiste en] le recoursaveugle un pseudo-argot [] (Berman 1985 : 73), ainsi que lexotisation desrseaux langagiers vernaculaires , qui souligne ( en rajoute pour faire plus vrai ) le vernaculaire partir dune image strotype de celui-ci (Berman 1985 : 79). Lauteurde LAuberge du lointainparle de limpossibilit dimiter lelun ardo de Buenos Airespar largot de Paris (ibidem) ; cependant, pour les couples de cultures proches (go-graphiquement, du moins), il y a souvent une certaine tradition traductive, qui offreles modles de singer la langue du voisin. Lexagration, ici, parat frquente,comme pour dautres types de style marqu. Notre exprience pdagogique et dito-riale rejoint les suggestions de Berman dans le sens suivant : il parat que lexagrationdes caractristiques dun style (humour, style soutenu, langage parl) tend tre laplus frquente, surtout chez les traducteurs peu expriments, qui prfrent le trop au pas assez .

    Le problme, ici, est que les travaux exprimentaux dans ce sens, sur les corpusreprsentatifs, nont pas t encore faits et, tout comme pour un autre universel prsum, indiqu par Gideon oury (lhypothse quun jeune adepte va privilgier leschoix au niveau du lexique et de la phrasologie, au dtriment des niveaux suprieursdu texte), les problmes techniques pour mener une telle investigation paraissentintimidants, vu la complexit du corpus envisag. Pour le candidat de oury, quel-ques exemples dcrits que nous connaissons (Snell-Hornby 1988 : 72-77 ; abakowska1995 : 38-39) suggrent que le problme en question peut concerner tout aussi biendes traducteurs chevronns ; abakowska-professeur analyse sous ce biais le travailde abakowska-traductrice, juge en Pologne excellente, et couronne de quelquesprix. Cela veut dire, sans doute, que le problme est encore mal tudi, et nexiste pas,

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    pour ainsi dire, dans la conscience collective des critiques et traducteurs. En guisede preuve supplmentaire, remarquons que le facteur III.1h (rank restricted deHolmes) napparat au niveau II quune fois, son importance (nglige) tant respon-sable seulement de la tendance II.9 que nous nous sommes permis dappeler le

    brouillement de perspective textuelle.

    Conclusion

    Lambition du prsent article tait de mettre un peu plus dordre dans la matireplutt confuse des stratgies de la traduction. Le dveloppement concernant la rela-tion de celles-ci avec les universaux de la traduction nous a sembl un prolongementncessaire de cette mise au point ; le tableau qui en rsulte pousse quelques rexionsqui invitent peut-tre une recherche ultrieure.

    Remarquons, dabord, que certains facteurs du niveau III sont bien plus largementreprsents (sauf erreur dinterprtation de notre part) que ceux du niveau II. Celaconcerne surtout la saillance cognitive dans le rseau, facteur coresponsable de tousles universaux tudis, mais qui ne parat primordial que deux foix. Le type de texteet le canal de communication ( medium ) apparaissent, pour le moins, aussi inuentsdans quelques cas. Et mme plus : la prsence dun facteur determin du niveau IIIdans la position privilgie nous semble un distinctif de l universel en question. Laprsence de la saillance cognitive, omniprsente, serait donc une condition ncessairede lexistence dun universel (le garant de sa rptitivit), et dautres facteurs dci-deraient de sadifferentia specica ? Cest fort possible ; cela nempche que plusieurs

    facteurs senglobent ou se chevauchent. Est-ce la faute de dnitions dfectueuses, ousagit-il de la qualit intrinsque de la matire complexe qui nous occupe, le ou( uzziness ) des catgories naturelles, comme diraient les cognitivistes ? Cela reste prouver ; nous serions enclin chercher du ct des dnitions, et cest une raison deplus pour que le tableau prsent ci-dessus reste ouvert.

    Il reste encore la question des facteurs sous-reprsents dans ce tableau. Sagit-ilde la moindre importance effective dun tel facteur, ou plutt de sa mconnaissance ?Ici encore, la rponse ne saurait tre dnitive sans la recherche exprimentale sur lescorpus. Une chose nous parat incontestable : le fait quun facteur reste sous-estim(ou clairement : est jug moins important) est une donne objectivehic et nunc, celarete un certain tat desprit, il fait partie de lhorizon cognitif de notre poque.

    NOTES* Cette recherche a t mene grce au soutien du Ministre de lducation du Brsil (CAPES) ; une

    premire version de ce texte a t prsente devant le public de lInstitut de Lettres de lUniversitFdrale de Porto Alegre (UFRGS) en novembre 2005.

    1. Dans son ouvrage de 2005, Chesterman, fort propos, fait la rvision de ses vues de 1997, notam-ment pour ce qui est de la classication de plusieurs procds de traduction comme stratgies : ilretient cette appellation pour les cas quil qualie de basic problem-solving sense, as a plan thatis implemented in a given context (Chesterman 2005 : 26-27). Cela signie toutefois quil main-

    tient la dnition gnrale de Krings et une partie, discutable pour nous, de celle de RiitaJsklinen, acceptant les stratgies locales .2. Le concept de stratgie locale serait admis uniquement dans les cas o un fragment de texte traduire

    prsente unautre type de texte. Des cas pareils sont nombreux : cf. un pome, une lettre ou un frag-ment darticle dun journal cit dans le texte dun roman. outefois, nous considrons quun fragmentcit, par sa nature, est un texte part entire, qui demande une stratgie part entire.

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    3. En dpit de la traduction rcente de sesPropositions pour une potique de la traduction(dans arget ,en 2003), luvre de Meschonnic reste mal connue du public non francophone. Un des exemplesforts de cette mconnaissance est la vogue de translators invisibility , concept attribu gnrale-ment Lawrence Venuti. Fort bien ; cependant, Henri Meschonnic a crit en 1973, entre autres : Lanotion de transparence avec son corollaire moralis, la modestie du traducteur qui sefface

    appartient lopinion, comme ignorance thorique et mconnaissance propre lidologie qui nese connat pas elle-mme. On lui oppose la traduction comme rnonciation spcique dun sujethistorique, interaction de deux potiques,dcentrement []. Le dcentrement est un rapport textuelentre deux textes dans deux langues-cultures jusque dans la structure linguistique de la langue []lannexion est leffacement de ce rapport, lillusion du naturel [] (Meschonnic 1973 : 307-308).

    4. En principe, on peut les inscrire dans les grandes catgories de domestication (modernisation) ouexotisation (archasation). Ce qui joue en leur faveur, cest le caractre conscient dune telle dci-sion ; ce qui reste voir, cest la ralisation dune telle dcision, fort souvent inconsquente.

    5. Evidemment, cette remarque nest valable que pour les uvres littraires. Les documents banalset rptitifs un permis de conduire, un acte de naissance sont traduits, sauf la premire fois, laide des techniques routinires dont parle Chesterman (voir supra).

    6. Nous ne sommes donc pas daccord avec les dnitions de Delport et Chevalier contenues dansLhorlogerie de Saint Jrme (pp. 46, 51 et 74) dans un dtail signicatif : la dnition outegure suppose la possibilit dune expression neutre de la rfrence, lexpression dont ellescarte prcisment pour se constituer en gure (p. 51) ne nous semble pas fausse, maisincom- plte ; en fait, elle ne fait pas de distinction entre des erreurs manifestes de la traduction et descarts rsultant dune stratgie traductive consciente (des techniques de Chesterman) et desmarques dune crativit du traducteur, dont le travail, selon Steiner, est parfois ce miroir qui nese borne pas rter, mais qui engendre sa propre lumire.

    7. Parmi les tendances dformantes qui rsulteraient de la rationalisation, nous pouvons nommer laclarication, lennoblissement, la destruction des locutions.

    8. Cf. le chapitre 1.2 du manuel europenCognitive Exploration o Language and Linguistics (Dirvenet Vespor 1998).

    9. Le travail rcent de iina Puurtinen na pas, semble-t-il, apport de preuvesa contrario (cf.Kujamki 2004 : 7).

    10. Te translator must actualize the implicit sense, the denotative, connotative, illative, intentio-nal, associative range of signications which are implicit in the original, but which it leaves unde-clared or only partly declared, simply because the native auditor or reader has an immediateunderstanding of them. [] Tus the mechanics of translation are primarily explicative, theyexplicate, (or, strictly speaking, explicitate) [] Because explication is additive, because it doesnot merely restate the original unit bust must create an illustrative context, a eld of actualizedand perceptible ramication, translations are inationary (Steiner 1975/1992 : 291).

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