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Jean-René Ladmiral Traduire : théorèmes pour la traduction gallimard

Traduire - Jean Rene Ladmiral

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Tradução.

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  • Jean-Ren Ladmiral

    Traduire : thormes pour la traduction

    gallimard

  • 3 LA PROBLMATIQUE DE LOBJECTION PRJUDICIELLE

    1. Le problme

    1.1. La philosophie de Fobjection

    Singulirement, quand il sagit de traduction, la rflexion commence d abord par sinterroger sur la possibilit mme de cette pratique quelle prend pour objet; bien plus, la tendance lourdement prdominante est de conclure limpossibilit thorique de traduire! C est l un paradoxe bien trange et, semble-t-il, tout fait propre la traduction. Imagine-t-on une autre activit humaine comparable par son importance, son tendue, sa prennit, voir nier son existence en droit, au mpris des ralits quotidiennement constatables en fait? Dmontrera- t-on, par exemple, quil nous est impossible de marcher?

    A vrai dire, il sest bien trouv, ce que lon rapporte, certains philosophes anciens pour nier le mouvement (et, par l, le fait quon pt marcher). On connat le paradoxe d Achille et de la tortue : dans linstant o, d un bond, Achille atteint le point o se trouvait la tortue, celle-ci vient de se transporter un peu plus loin, et Achille doit faire un nouveau bond pour la rattraper, mais encore une fois elle aura avanc, et ainsi de suite linfini. Voil pourquoi Achille, immobile grands pas , ne rattrapera jamais le plus lent des animaux.

    Tel est lun des quatre arguments de Znon dEle contre la possibilit du mouvement : sophisme intellectuellement scanda-

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  • leux ou, plutt, un peu risible. En fait, ce paradoxe nest pas une absurdit pure et simple, c est un raisonnement par labsurde qui prend son sens dans le cadre d une controverse philosophique sur le mouvement, elle-mme subordonne une discussion mtaphysique plus fondamentale o llatisme prend parti pour lEtre contre le Devenir, pour la pense contre les sens. Sur cette dispute d'coles philosophiques, il ny a pas lieu ici de stendre plus longtemps; elle prend seulement pour nous valeur d indice, plusieurs titres.

    D abord, bien y regarder, largument de Znon ne fait que rendre plus clatante encore la mme contradiction entre thorie et pratique, entre les possibilits du discours et les ralits du monde, entre la pense et laction, laquelle on se trouve confront propos de la traduction tout en donnant cette contradiction, cette absurdit , des lettres de noblesse littraires et mtaphysiques par la rfrence la tradition philosophique de lAntiquit. Dans lun et lautre cas, lesprit semble prouver un malin plaisir se prendre au pige de son propre discours. Le thoricien senferme dans une prison de purs concepts et il se coupe de la pratique dont il entend traiter. Sagissant ici d une rflexion sur les problmes de la traduction, on a affaire en loccurrence ce que nous appelons la problmatique de l objection prjudicielle (cf. sup. , p. 76).

    Avant mme de pratiquer la traduction, on prjuge de sa possibilit, en tranchant par la ngative, comme le faisait Znon pour le mouvement. Il y a beaucoup de similitude entre les deux problmes. Lobjection prjudicielle est une sorte d latisme tendant dmontrer limpossibilit du mouvement traduisant. Dans les deux cas, la contradiction est fondamentale : comment (et pourquoi!) prouver que quelque chose est impossible? Ne faut-il pas avoir alors dfini ce quelque chose, en sappuyant sur les ralits auxquelles il renvoie? Or, qui peut le plus peut le moins, et ce qui est de lordre du rel sa place dans lempire des possibles, a fortiori. Comment parler srieusement de la traduction ft-ce pour dire quelle est impraticable sans lavoir, prcisment, pratique?

    Il faut avoir sans doute des raisons bien importantes pour

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  • quen posant que la traduction est impossible, on ose ainsi braver la logique et le bon sens. Tant en ce qui concerne lobjection prjudicielle la traduction que largument de Znon contre le mouvement, cest l lindice quils sont lcho dautre chose : de tels raisonnements renvoient en fait des problmatiques autres et plus gnrales, qui n apparaissent pas directement comme telles mais qui commandent largumentation mise en uvre. Ainsi, les paradoxes de Znon ne sont pas intelligibles en eux-mmes, ils ne sont que des consquences drives, des corollaires dcoulant de la philosophie de lEtre professe par les Elates. De mme, la problmatique de lobjection prjudicielle ne renvoie pas seulement, ni mme sans doute principalement, aux difficults de la traduction, qui sont relles; elle nest que le contre-coup d une attitude intellectuelle d ensemble, elle a sa place assigne dans le cadre dun champ idologique qui lui donne son sens et lexplique.

    1.2. La traduction impossible?

    Au reste, lobjection prjudicielle ne date pas dhier. Cest un trs vieux dbat, en effet, de savoir si la traduction est possible Il y a l toute une tradition intellectuelle, et celui quon saccorde gnralement pour considrer comme le spcialiste franais reconnu en matire de thorie de la traduction, Georges Mounin, sest fait lcho de ce dbat traditionnel. Dans son premier livre de traductologue , joliment intitul Les belles infidles (G. Mounin, 1955), il accumule tmoignages et citations dont il a fait une ample moisson tout au long de lhistoire littraire.

    Ce petit volume est puis depuis fort longtemps et il est bien regrettable quil ne soit pas rdit. Son criture littraire ne doit pas faire illusion : on y trouve lessentiel des thmes fondamentaux que G. Mounin dveloppera ensuite dans ses travaux ultrieurs. Pour notre part, nous sommes enclin y voir en fait son meilleur livre et le prfrer ses Problmes thoriques de la traduction (G. Mounin, 1963); cest en tout cas un petit livre extrmement suggestif, par lequel doit commencer toute bibliographie sur la traduction. Le fait quil soit puis nous a amen multiplier les citations et tenter au maximum

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  • den restituer la substance. Ainsi la critique que nous faisons ici des arguments quil expose devient-elle parfois prtexte les exposer, pour compenser en quelque sorte labsence du livre.

    La prsente tude se dveloppe donc partir de Georges Mounin, la fois dans la mesure o il parat juste de partir de ses travaux, cest--dire de commencer par eux, mais aussi d aller au-del... D entre de jeu, et en quelque sorte tout simplement , il pose la question qui va prsider toute son argumentation et dominer lensemble du livre : La traduction est-elle possible? (cest le titre de son premier chapitre).

    D emble, le problme se pose dans les termes d un divorce entre ceux quil appelle les thoriciens de limpossibilit et la ralit effective d une pratique traduisante sculaire. Cette contradiction fondamentale, dj note, qui met en uvre une dialectique boiteuse du possible (ou, plutt, de limpossible) et du rel correspond en fait une forme de division du travail, critiquable comme telle. Ce ne sont pas les mmes personnages qui thorisent (limpossibilit) et qui traduisent; il y a ceux qui parlent et ceux qui font. Ce clivage est particulirement net en traduction. La plbe, voire le proltariat des traducteurs sur le terrain est maintenu lcart de la contemplation thorique. Cette dernire est lapanage dune aristocratie de linguistes qui philosophent sur la traduction, dont ils n ont pas la pratique (1) soit pour expliquer ce quil faut faire, soit justement pour dmontrer au contraire quon ne peut rien faire de bien bon...!

    Il existe toute une longue tradition qui veut que traduire soit impossible (G. Mounin, 1955, p. 8). Il se produit toujours de nouvelles moutures dune seule et mme thorie de 1 intra- ductibilit , plus ou moins modifie au fil des sicles, et le

    (1) Personnellement, lauteur de ces lignes a pris le parti et le pari de rcuser cette dichotomie inepte et dtre la fois thoricien et praticien de la traduction (cf. sup.. pp. 7 sqq., 18 et inf, p. 216 sqq.). Nous rcusons de mme le clivage, tout aussi litaire, qui met 'aristocratie des prfaciers et commentateurs au-dessus des traducteurs quils parasitent et voudraient voir cantonns dans le rle de domestiques muets et anonymes..

  • moindre paradoxe nest pas que lexistence depuis toujours de traducteurs qui traduisent reste peu prs sans influence contre cette thorie (ibid., p. 7). Et pourtant, avant toute thorie, il a bien fallu de tout temps quon traduist. La traduction est une activit humaine universelle, dans le temps comme dans lespace ; elle a t ncessaire toutes les poques et le mythe de la Tour de Babel donne aussi la mesure de son anciennet (cf. sup., p. 11 sq.). Disons, pour filer en quelque sorte la mtaphore des belles infidles propose par G. Mounin, que le mtier de traducteur est bel et bien lun des plus vieux mtiers du monde...

    1.3. La traduction contradictoire...

    Cette anciennet mme est significative; c est elle qui fait problme. Comment se fait-il quautant de bons esprits, dont certains ont t eux-mmes traducteurs loccasion (mme sils semblent loublier en se faisant thoriciens), aient comme dlibrment ignor les vidences d une pratique qui remonte la nuit des temps? Comment se fait-il que se rptent les avatars d une thorie de limpossibilit ct d une pratique qui ne cesse de lui infliger dmenti sur dmenti? Q uest-ce que cela veut dire? Le fait qu en matire de traduction thorie et pratique aient deux histoires parallles, en contradiction lune avec lautre, mrite d tre expliqu.

    Il y a l ce quon appellera une antinomie, comme disent les philosophes, cest--dire quil est possible de faire la dmonstration tout aussi bien de la thse que de lantithse. La traduction est impossible, et/ou : Tout est traduisible (cf. sup., p. 76 sqq.).

    Ce problme de lintraduisibilit faut-il vraiment parler d intraductibilit (G. Mounin, 1955, p. 7 et passim) ? est mme une antinomie fondamentale de la traduction qui se rpercute, au niveau de la pratique traduisante, dans les termes opposs d une alternative, elle-mme antinomique : faut-il traduire prs du texte ou loin du texte? Traduction littrale ou traduction littraire (dite libre ); la fidlit ou llgance; la lettre ou lesprit... L encore, ce sont les deux ples d une mme

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  • alternative, indfiniment rebaptiss, qui scandent lhistoire de la traduction (cf. sup., p. 14 sqq.). Ces diffrentes oppositions sont autant de modifications de la mme antinomie fondamentale; elles sont elles-mmes proprement antinomiques dans la mesure o, en toute rigueur, il ne peut tre question de choisir entre les deux termes : il fau t satisfaire l simultanment deux exigences apparemment contradictoires, et qui sont en fait les deux faces dune seule et mme, double, exigence. II faut la fois la fidlit et llgance, lesprit et la lettre...

    La thorie de la traduction, ou traductologie , est pleine de ces couples d opposs qui rpercutent ou reproduisent une structure fondamentalement antinomique. Au-del de la division du travail qu'on vient de mentionner, entre une aristocratie d esthtes et un proltariat de traducteurs, il sagit en l'occurrence plus fondamentalement de la tension contradictoire qui dfinit le rapport entre thorie et pratique (cf. inf., p. 114).

    Si lon en reste ce niveau dabstraction, qui est celui d un topos traditionnel de la philosophie, on pourra dire quentre ces deux ples opposs il existe une relation dialectique. Tout le monde en conviendra. Mais concrtement, de quoi sagit-il?

    2. Une triple argumentation contre la traduction

    2.0. Du Bellay en Mounin

    Sur le fait massivement vident que la traduction est possible pratiquement, puisquon ne cesse de traduire, point nest besoin dpiloguer. Ce terme-l de lopposition ne fait pas problme, c est sur lautre terme quil y a lieu de sinterroger : une fois constate la possibilit de la pratique, quoi revient cette thorie de limpossibilit que, paralllement, on ne cesse de faire? Quels sont ces arguments thoriques si forts quils conduisent braver les vidences de la pratique et en renier les enseignements?

    On stonne un peu de voir quun spcialiste comme G. Mounin en revienne lui-mme cette sorte de degr zro de

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  • la rflexion sur la traduction et quil prenne tellement au srieux ce problme de l'impossibilit thorique de traduire. Comme on la vu, il commence ou recommence , aprs tant d autres, par poser cette sempiternelle question. Il vient ainsi, dans un premier temps au moins, alimenter la problmatique de lobjection prjudicielle.

    Citant abondamment Joachim du Bellay, dans le premier chapitre des Belles infidles, G. Mounin (1955, pp. 8-17 et passim) distingue trois types d arguments contre la traduction : polmiques, historiques et proprement thoriques. Dans la Dfense et illustration de la langue franaise, dont il est signataire, du Bellay consacre en effet trois chapitres aux problmes que pose plus ou moins directement la traduction : correspondant peu prs aux trois types d arguments mentionns, ce sont respectivement les chapitres VI, IV et V du premier livre. On remarquera la rfrence la tradition littraire bien ancienne de la Pliade, qui se situe lorigine mme de notre langue et tmoigne, encore une fois, de lanciennet du dbat auquel fait cho G. Mounin (cf. in f, p. 104).

    2.1. Des arguments polmiques

    Ce sont d abord des arguments polmiques contre la traduction qui sont invoqus. Lesdits arguments reviennent se plaindre des mauvaises traductions et des mauvais traducteurs. Cest le fameux traduttore traditore; et la langue qui est encore celle de du Bellay permet de faire en franais aussi le jeu de mot connu de litalien : Que dirais-je d aucuns, vraiment mieux dignes dtre appels traditeurs que traducteurs? .

    Sur le sujet, certains bons esprits sont intarissables. Dans les sphres universitaires, particulirement, on se plaint volontiers de la mauvaise qualit des traductions. On dtecte des contresens et on y va de sa petite retouche personnelle, prsente bien sr comme essentielle lintelligence du texte. Il suffit de penser la rvolution terminologique qui a travers (boulevers?) les milieux psychanalytiques parisiens, il ny a pas si longtemps, et au terme de laquelle il ne peut plus tre question de traduire le

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  • Trieb freudien autrement que par pulsion alors que des dcennies d ignorantisme staient contentes de parler d'instinct... (cf. inf., p. 253).

    On se plat corriger tel ou tel dtail dune traduction prsent comme dfectueux, et quon a tendance monter en pingle, non sans faire talage de pdantisme, plutt que de culture. Bien plus, ceux qui se permettent l de venir mettre leur grain de sel , pour ainsi dire, sont gnralement tout fait incapables de faire la traduction quils se payent le ridicule de critiquer, voire d reinter . Quant leurs suggestions pour amliorer la traduction , souvent elles ne sont pas d 'un intrt vident, pour le moins, quand ce ne sont pas de vritables erreurs... Ainsi, on drangera lconomie dlicate de la traduction accomplie, on y introduira ses bvues personnelles procdant d une surestimation du poids smantique du concept tranger traduire, d un scrupule tymologisant hors de propos, etc. Ce ne sont le plus souvent que des manifcs d intellectuels, des tics de pdagos (2).

    Cela dit, inversement, il est difficile de nier que toutes les traductions ne sont pas excellentes tant sen faut! et particulirement en ce qui concerne les textes difficiles de la psychanalyse, de la philosophie ou des sciences humaines en gnral. Un grand philosophe, obscur et profond, comme Hegel ou Heidegger, par exemple, pose son traducteur des problmes d interprtation presque insolubles, et lon comprend ds lors quil soit propos plusieurs traductions diffrentes et que ces dernires deviennent un enjeu de controverses dans la discussion philosophique, comme autant de versions diffrentes dun mme texte originel ressortissant chacune une interprtation spcifique. Au vrai, il sagit alors moins de contresens proprement dits que de points de vue divergents, d interprtations contestes (cf. inf., p. 230 sqq., etc.).

    (2) Cf. sup.. p. 58 (et inf., p. 227 sq.). On notera que depuis peu les pages littraires de la Presse (mme de bon niveau) sont gagnes par cette mode irresponsable de critiquer des traductions mme excellentes.

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  • Mais d une faon gnrale, et sans aller jusque-l, il est vrai aussi que les arguments polmiques contre la traduction trouvent aisment se nourrir d exemples. Il est malheureuse* ment trop facile de collectionner les perles de traduction. On peut mme runir les lments d un sottisier comme cela se fait dans une grande maison parisienne ditant une collection de romans policiers (romans noirs ) bien connue, dont la plupart des titres sont traduits de lamricain comme on dit maintenant (3)...

    Tout cela nest pas nouveau et ne tire pas consquence. Ort a toujours connu ces impatiences devant de mauvaises traductions. Mais il ny a l rien qui rende plus convaincante lobjection prjudicielle; au contraire, il est mme possible dy voir un contre-argument. Si lon croit devoir fustiger les mauvais traducteurs, cest quil y en a de bons, ergo la traduction est possible.

    Les dfauts de traduction sont imputs un dficit chez le traducteur. Quand on polmique contre les mauvais traducteurs, le reproche principal et de beaucoup le plus frquent quon leur fait, cest d ignorer leur langue-source ou langue de dpart (LD), la langue partir de laquelle ils traduisent. Ainsi propos des traductions de la Bible en franais par exemple, Henri Meschon- nic, dont ce n est pourtant pas l le propos, a des formules violentes comme : Si vous ne savez pas lhbreu, traduisez autre chose (1973, p. 417). Il serait trop facile de multiplier les exemples. Contentons-nous pour finir de citer le billet savoureux, sur le gnral Staff paru rcemment dans le journal Le Monde, sous la plume de Pierre Vidal-Naquet (1974, p. 16) :

    Cest un gnral peu connu dans lhistoire. II fait pourtant des apparitions assez frquentes dans certains ouvrages historiques.

    Ainsi, dans le livre rcemment traduit de lamricain dAdam B. Ulam, les Bolcheviks. Ouvrons lindex : le gnral Staff y figure, aved

    (3) On trouve mme des livres traduits du brsilien . A quand les livres traduits de laustralien ou du no-zlandais, de lgyptien, du. marocain ou du syrien, de lautrichien ou mme de Test-allemand et pourquoi pas! du canadien, du suisse ou du belge?...

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  • renvoi aux pages 317, 352, 363, entre Maria Spiridova (sic pour Spiridonova), qui fut leader du parti socialiste rvolutionnaire de gauche, et Joseph Staline. A la page 317, nous apprenons quen Galicie autrichienne les socialistes polonais prparaient le combat contre la Russie de connivence avec le gnral StafT . Aucun douttf possible, il sagit dun gnral autrichien. A la page 352, on lit que depuis le dbut de la guerre, le gouvernement imprial allemand et le gnral Staff taient conscients du parti quils pouvaient tirer du mouvement rvolutionnaire russe . Cest donc un gnral allemand. Enfin, page 363, on nous explique qu'il tait difficile, en 1917, au gouvernement provisoire et au gnral Staff de signer une paix spare. Voici notre gnral devenu russe.

    trange gnral qui ne possde pas de prnom et dont les dplacements dans lespace sont remarquables. Il a tout de mme cette particularit de napparatre que dans des ouvrages traduits de langlais ou de lamricain. Mais sans doute aura-t-on dj reconnu sa vritable identit : l'tat major gnral (general StaJJ).

    Certes, la traduction nest pas une chose facile , comme lauteur la bonne grce de le reconnatre. Mais conclurons-nous avec lui il faudrait quand mme tuer le gnral Staff!

    2.2. Des arguments historiques

    Cet exemple, historique (sagissant d'une bvue trouve dans la traduction d un livre d'histoire, et... faisant date en quelque sorte, puisquelle a retenu lattention du chroniqueur), pourra servir de transition et permettre de passer des arguments polmiques aux arguments historiques quinvoque G. Mounin contre la traduction. Au reste, le passage est insensible des premiers aux seconds, au point quon a un peu limpression quils sont distingus les uns des autres en vertu d un souci dont la rhtorique nest pas absente... De mme, en bon littraire, G. Mounin continue d invoquer lombre de du Bellay.

    Si les arguments polmiques contre la traduction ont t de toutes les poques, en ralit ce sont dj souvent des arguments lis des circonstances historiques dtermines (G. Mounin, 1955, p. 10). Quand Montesquieu anantit le traducteur, d une phrase sans rplique si vous traduisez

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  • toujours, on ne vous traduira jamais ! il sagit en fait d'un argument dat (p. 12) : cest parce que, comme du Bellay prs de deux sicles plus tt, il veut quon se consacre une uvre de cration contemporaine, au lieu de sen tenir la seule traduction (voire limitation) des chefs-duvre dune Antiquit juge indpassable. Chez Montesquieu, cest une prise de position en continuit avec la Querelle des Anciens et des Modernes, pour les seconds et contre les premiers. Chez le pote de la Pliade quest du Bellay, dix ans aprs led it de Villers- Cotterts (1539) instituant le franais comme langue d tat, cest un pari pour notre langue, il sagit de dfendre les droits de la langue franaise et de lillustrer par une littrature nationale originale contre le latin et contre son produit de remplacement, la traduction (p. 15). Or G. Mounin citait l Montesquieu (p. 11 sqq.) au titre des arguments polmiques et, ici, du Bellay (p. 13 sqq.) au titre des arguments historiques.

    Plus gnralement, il rend compte de la diatribe de du Bellay contre la traduction (et les mauvais traducteurs) en la resituant dans le cadre des circonstances historiques de la Renaissance. On assistait alors en effet un gonflement subit de la demande en matire de traductions particulirement en ce qui concerne la traduction des textes grecs. Pratiquement, le grec (ancien) tait alors une langue compltement oublie ; d o une floraison de traducteurs improviss et incomptents. C est ainsi quappa- rat le personnage du pdant calabrais , locuteur de lun des isolats linguistiques rsiduels du Mezzogiorno italien o sest maintenu un patois issu du grec rappelons que la Grande Grce avait t le nom donn lensemble des colonies hellniques installes, au V e sicle avant Jsus-Christ, dans la partie sud-orientale de la pninsule. L encore (p. 10 sq.), largument polmique contre la traduction renvoie des circonstances historiques dtermines.

    2.3. Des arguments thoriques

    Il y a donc, selon G. Mounin. un ensemble d arguments historiques trs solides contre la traduction; mais si, avec du

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  • Bellay, on sen tenait l, on naurait que des raisons particulires une priode historique trs limite (p. 14 sq.) pour argumenter contre la traduction. O r il en existe d autres, autrement srieuses, des raisons thoriques. Toujours lombre de du Bellay, G. Mounin prsente en quelque sorte une troisime corbeille d'arguments. Quels sont ces arguments thoriques contre la traduction ?

    Paraphrasant le pote, lauteur des Belles mfidles prcise quchappent la traduction les vrais moyens du style, de l'loquence et de la posie 1 locution comme dit aussi du Bellay car ces moyens sont intraduisibles (p. 15). Le mot est lch : il y a de lintraduisible dans le langage, ou plutt : dans les langues, dans chacune langue . Il y a un rsidu d intraduisibilit dont aucun traducteur, bon ou mauvais, ne pourra triompher. Pire, il ne sagit pas d une frange intraduisible qui resterait secondaire ou minoritaire : c est lessentiel, pour un pote, qui ne pourra pas tre traduit, savoir toute la dimension potique du langage prcisment.

    Du coup, lobjection prjudicielle voit son champ d application se restreindre, mais en mme temps elle trouve l un socle thorique qui vient renforcer singulirement son assiette. La question La traduction est-elle possible? fait place la question Peut-on traduire la posie? lune et lautre sous- entendant que la rponse est ngative.

    La posie sera intraduisible, donc. Il faudra se faire une raison. Lobjection prjudicielle nous amnera faire la part du feu

    ... si lon peut dire cette mtaphore aux relents dautodaf a quelque chose dun sacrilge pour lhomme de plume un peu superstitieux. Au reste, nous sommes rest l au cur de notre sujet : du moment quon est traduit, on nest pas brl disait Voltaire, cest--dire quil subsistera en fait toujours au moins un exemplaire de la traduction sinon du texte original, car on aura ainsi multipli ses chances dchapper la destruction, quil sagisse de la destruction par le feu des livres mis lindex pour des raisons religieuses, politiques ou raciales . quil s'agisse des livres qui ne se vendent pas et que lditeur dcide de mettre au pilon, ou quil sagisse simplement de la critique rongeuse des souris . d'un manuscrit perdu, etc. Cest

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  • bien, en loccurrence, ce qui a failli arriver linnocent Neveu de Rameau de Diderot, quon na longtemps connu qu travers la traduction allemande de Goethe (4)!

    Mais il est des textes de nature diffrente, dont il est tout fait possible et lgitime d entreprendre la traduction. Ainsi, selon du Bellay auquel G. Mounin ne manque pas une occasion de donner la parole, toutes les Sciences se peuvent fidlement traduire en franais. On pourra donc lire toute la littrature scientifique dans des traductions, sans problme disons : toute la littrature scientifique et technique. Heureusement quon le peut, dailleurs, parce quil le faut bien; il n est bien videmment pas raisonnable d imaginer que chacun apprenne toutes les langues o il se publie des choses intressantes. Cela fait dj beaucoup de textes traduisibles , au sens de textes qui sont traduire.

    Cela en fait mme tellement quil y en a un trs grand nombre qui attendent (et attendront encore longtemps) d tre traduits, au point que largument se met jouer dans l'autre sens : actuellement, on le sait, il n est pas possible un chercheur, un technicien, un quelconque utilisateur de la science, d'attendre que soient traduits tous les livres et a fortiori les articles de recherche scientifique dont il voudrait prendre connaissance. Il y a l un goulot d tranglement de la traduction (5), qui pousse certains publier leurs travaux directement en anglais, considr comme langue universelle. Il est clair qu terme, cette solution condamne la traduction, quelle la fait disparatre et met les

    (4) Cest le problme des rtro-traductions (Rckbersetzungen) qui trouve ici une belle illustration, autre que pdagogique (cf. sup., p. 46, etc.).

    (5) C'est notamment pour matriser ce type de problme qu'ont t entreprises les recherches sur la T.A. (traduction automatique). Les machines traduire ne sont vrai dire pas pour demain; et la fonction essentielle qui leur est assigne sera la documentation automatique ce seront des machines explorer l'imprim, des machines prospecter les dserts de la bibliographie, des machines survoler l'ocan d'encre o se noie tout chercheur (G. Mounin. 1976, p. 267)

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  • traducteurs au chmage, et ce nest pas l le seul aspect pernicieux d un tel incendie linguistique (cf. sup., p. 39 sq.). D o un retournement de largument : force dtre traduisibles, d'tre nombreux traduire et mme innombrables, les textes scientifiques ne pourraient plus tre traduits effectivement; ils deviendraient ainsi, de fait, intraduisibles... par excs (de traduisibilit).

    Mais invoquer, comme nous sommes en train de le faire, les problmes contemporains de mise jour dune documentation scientifique multilingue loccasion dune citation de du Bellay, voil bien ce quon appelle un anachronisme. N est-ce pas lindice que toutes les Sciences de du Bellay ne sont pas nos sd

  • football; d o la dialectique dune argumentation sur deux fronts.

    C est ainsi que, dans ces textes que G. Mounin cite comme arguments contre la traduction, on assiste un renversement d alliances : aprs avoir utilis la traduction comme allie contre le latin, du Bellay se retourne contre elle pour dfendre la littrature franaise (p. 14). Dans un premier temps, il stait fait lavocat de la traduction car, reconnat-il, toutes les Sciences se peuvent fidlement traduire en franais; et c est seulement dans un second temps quil condamne ce tant louable labeur de traduire , ds lors quil sagit des potes.

    Quoi quil en soit du contenu de largumentation elle-mme, voil encore une interfrence entre les diffrents types d arguments distingus par G. Mounin, cette fois-ci entre les arguments thoriques et les arguments historiques : elle vient sajouter aux autres, dj notes plus haut plusieurs reprises. D une faon gnrale, il y a un glissement incessant, presque insensible, d un type d arguments lautre qui amne finalement penser que la classification propose par G. Mounin est artificielle, car les arguments invoqus ny entrent que difficilement. On a un peu limpression que ces diffrents types d arguments sont distingus les uns des autres en vertu d un souci essentiellement rhtorique pour que soit sauvegard le fameux plan en trois parties classique de toute dissertation franaise. L encore, G. Mounin se montre bon littraire...

    Son got pour les triades satteste encore loccasion de lopposition mtaphorique quil nous propose entre verres transparents et verres colors selon que le texte-cible est plus ou moins loin du texte-source, selon que la traduction francise pour nous le texte original ou qu'elle vise nous dpayser (G. Mounin, 1955, p. 109 sqq.). En effet, il pense devoir alors distribuer cette opposition selon trois axes possibles de distance entre texte-source et texte-cible : il opre une distinction ternaire, selon que cette distance renvoie des colorations propres aux langues en prsence, ou une coloration historique du sicle dont nous vient le texte traduire, ou enfin la couleur locale qui tient aux diffrences existant entre civilisations (cf. aussi inf. p. 142 sqq.).

    Ds lors quon entreprend de faire le bilan de ces divers

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  • arguments contre la traduction, la premire chose souligner, c est donc que la triade de G. Mounin est certes plaisante pour lesprit, lgamment expose et surtout nourrie d exemples nombreux, intressants et bien choisis, mais quelle est boiteuse; la seconde, qui est directement corrlative de la premire, cest que le statut des dits arguments historiques est tout fait problmatique.

    Il est en effet excessivement difficile de les distinguer des autres. On les a vu, pour ainsi dire, envahir de substance historique le chapitre (le sous-chapitre) des arguments polmiques contre la traduction . Il savre quils investissent aussi les arguments thoriques eux-mmes : non seulement, on vient de le voir, lopposition entre sciences et posie remonte une argumentation historiquement date chez du Bellay, qui anticipe donc sur les arguments thoriques exposs ensuite; mais encore, c est dans lhistoire de la traduction que G. Mounin puise les arguments thoriques contre la traduction quil invoque, pour sa part, la suite du pocte. Si lon en croit G. Mounin, aprs du Bellay, tous n ont fait que rtrcir lart de traduire leurs petits soucis d poque (p. 17). Chacun a fait le procs historique d une langue traductrice donne (p. 19). Chaque traducteur sexcuse et vraie ou fausse modestie souligne combien il est encore loin d avoir rendu les vritables beauts de loriginal en le traduisant en franais, dans cette langue qui sy prte si peu...

    3.2. Traduction et histoire

    3.2.1. Fondamentalement, cest le principe mme de ces arguments dits historiques, par opposition aux autres, qui doit tre mis en cause. Certes, les problmes, quels quils soient, se posent toujours en termes historiques, dans les termes d une poque historique dtermine, savoir dans les termes de lpoque o ils se posent : cest vident, cest un truisme. Mais cela ne veut pas dire que ces problmes soient essentiellement historiques, quils soient les problmes d une poque. Ils peuvent se re-poser diffrentes poques, dans des termes plus ou moins varis, sans changer de nature.

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  • Quand par exemple G. Mounin invoque la diatribe de du Bellay contre les mauvais traducteurs, titre d argument polmique contre la traduction, il savre trs vite que cette diatribe contre les traditeurs est en fait dicte par des circonstances historiques trs identifiables (p. 11). Mais, vrai dire, cette demande accrue de traductions en raison d un afflux de lecteurs nouveaux (p. 10), et en raison aussi de la multiplication des langues et des cultures dont on traduit les uvres, voil encore une situation trs exactement contemporaine; les mmes causes produisant les mmes effets, elle contribue aussi de nos jours susciter une invasion de mauvais traducteurs en venant sajouter aux raisons principales, qui sont d ordre conomique et tiennent au statut dfavoris du traducteur dans notre socit. Autrement dit : largument polmique en question est historiquement dat, cest un argument historique ; mais il tend tre en fait de tous les temps, il est en fin de compte rra/whistorique.

    De mme, sagissant d arguments thoriques contre la traduction, G. Mounin multiplie les exemples tirs d poques historiques diffrentes. Il nen reste pas moins que cest toujours la mme ide d une idiosyncrasie des langues, censes incommensurables les unes aux autres, quon retrouve larrire-plan. Limits au franais, langue dans laquelle est traduite telle ou telle uvre dune littrature trangre, les exemples cits sont tous dats : d o, apparemment, une historicisation du problme. En fait, quand Madame Dacier invoque la biensance requise en franais pour dulcorer les grossirets et vulgarits d Homre, quand Rivarol fait subir un sort analogue Dante (6), quand Montaigne souligne le danger quil y a

    (6) Lorsquon est pauvre et dlicat, il convient d'tre sobre , cette formule la franaise que G. Mounin (1955. p. 22) a trouve chez Rivarol illustre en mme temps ce que nous appelons le conservatisme linguistique du traducteur (cf. inf. p. 225). D'une faon gnrale, c'est l qu'il y aurait lieu de thmatiser le concept de langue-culture propos par H. Meschonmc (1973, p. 308 et passim) et celui de prlangue, ici littraire, que nous lui prfrons (cf. inf.. p. 178 sq).

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  • traduire un chef-duvre de lAntiquit dans un idiome plus faible , comme lest notre langue, notre vulgaire dans tous ces cas, on peut bien dire comme G. Mounin que cest le procs historique d une langue traductrice donne qui est fait, mais ce procs est le mme travers les diffrentes poques o lon est all chercher les pices qui permettent de linstruire (7). Aussi ne mrite-t-il d tre appel historique quau regard des circonstances successives au sein desquelles il sexemplifie : lhistoire n en modifie pas les donnes profondes.

    En dernire analyse, cest le back-ground culturel du fonctionnement linguistique qui est en jeu; et le franais reprsente cet gard un exemple sans doute privilgi, avec toutes ses restrictions sociales lusage de la langue, tous ces usages qui ont scand son histoire... littraire. Mais au-del d une langue particulire et de son histoire propre, Les belles infidles ne font l que nous donner quelques variantes dates sur le thme de ltemelle problmatique de lobjection prjudicielle comme le dit encore, ailleurs, G. Mounin lui-mme : richesse merveilleuse de toutes les langues de dpart, pauvret incurable de toutes les langues darrive (G. Mounin, 1972, p. 376). Une telle galerie de confidences-aveux de traducteurs, glanes au long de lhistoire littraire, voil qui ne suffit pas alimenter une argumentation proprement thorique contre la traduction, quand bien mme on y ajoute une numration des comparaisons plus ou moins suggestives qui ont t faites entre loriginal et sa traduction (8). Mais on nen tire pas non plus pour autant d argument rellement historique.

    (7) Lentreprise thorique d'un H. Meschonnic est plus radicale, qui thmatise la traduction comme aventure historique dun sujet (1973, p 307); pour lui, l'intraduisible est social et historique, non mtaphysique (ibid., p. 309). Pour une illustration concrte et pratique des problmes poss par la dimension historique de l'activit traduisante, cf. inf., p. 238.

    (8) Tout en marquant nettement que comparaison nest pas raison, on retiendra la belle image reprise de Benedetto Croce. A len croire, fournir une traduction, c est donner un amoureux une autre femme en change de celle quil aime : une femme quivalente, ou,

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  • rLes arguments polmiques aussi bien que les arguments

    historiques sont de toutes les poques, avec des motivations historiques assez diverses , comme le reconnat G. Mou- nin (1955, p. 9), ce qui revient dire que leur historicisation ne touche pas lessentiel. Si largument a quelque valeur, sil a un sens pour nous, cest quil a une solidit propre, laquelle vient seulement sajouter un remplissement historique, d occasion, qui lui apporte le contenu concret des exemples dont il se nourrit. Sinon, ce compte-l, tout argument serait un argument historique.

    3.2.2. Et si c est d abord au sein des arguments polmiques et thoriques, en analysant leur dimension historique, que jusqu prsent nous sommes all critiquer le principe mme des arguments historiques contre la traduction, c est parce que ces derniers sont vanescents. Non seulement, ils semblent rejoindre les autres types d arguments et ce nest en fait qu une apparence superficielle, comme il vient d tre montr en dtail. Mais surtout, en eux-mmes, ils se rduisent la plus simple expression : dans le texte des Belles infidles, il leur revient tout juste deux pages (pp. 13-15) alors que ce nest pas moins de cinq pages quoccupent les arguments polmiques, dont la logique parat bien simple exposer, voire mme simpliste, puisquil sagit seulement d une critique des mauvais traducteurs; quant aux arguments thoriques, G. Mounin leur consacre beaucoup plus de dix pages.

    Bien plus, dans ces deux pages, au cur mme desdits arguments historiques, on ne trouve gure la matire d une vritable argumentation contre la traduction . Il ny a l rien qui taye lobjection prjudicielle faite la possibilit mme de traduire, dont on se rappellera quelle est la problmatique dont procde le livre de G. Mounin en posant d emble la question La traduction est-elle possible? . A vrai dire, la possibilit, lexistence, voire seulement la qualit ou la fidlit des traduc-

    lun dans lautre, semblable; mais lamoureux est amoureux de celle-ci justement, et non pas de ses quivalents (cit. in G. Mounin, 1955, p. 25).

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  • tions ne sont pas en cause. Au lieu d une argumentation, cest dune profession de foi militante quil sagit; et cest proprement politique quelle mrite de sappeler, plutt qu historique .

    G. Mounin fait cho un combat idologique, dont lchance se rpte d une poque lautre mais aussi d une communaut linguistique et culturelle lautre; il indique une prise de position volontariste et polmique, lune des positions en prsence, celle qui refuse les traductions car elles seraient censes faire obstacle au dveloppement d une littrature originale. On a tt fait de retourner 1 argument , et cest presque ce que fait G. Mounin quand il voque quelques pages plus loin le ptrarquisme, dont il est vrai quil est lorigine mme de notre littrature nationale, et nommment le ptrarquisme de Joachim du Bellay, lun des meilleurs (9). La traduction aide une langue vivre, voire mme natre, comme le montre lexemple de la Bible de Luther pour lallemand; la traduction est maintenant lune des conditions pour la survie des langues. Au niveau de ses richesses stylistiques, les traductions ouvrent mme la langue des tonalits nouvelles, exotiques, dont une littrature originale pourra faire ds lors son profit (10). Tout cela est sans doute, il est vrai, bien plus vident de nos jours quau temps de du Bellay : c est en ce sens, en ce sens seulement, quil y a l quelque chose comme un lment d argumentation historique.

    Il reste que, d une faon gnrale, le bilan des arguments historiques invoqus par Les belles infidles est en fin de compte ngatif, ou plutt nul. C est si vrai que quand G. Mounin entreprend son tour dargumenter contre du Bellay, contre ses

    (9) G. Mounin (1955), p. 68 on touche l la question du continuum traduction-adaptation-imitation qui est un topos de la tradition rhtorique, et dont on notera que les potes de la Pliade, et en particulier J. du Bellay, en sont lillustration lorigine mme de notre littrature nationale (cf. sup.. p. 15).

    (10) Cela nchappe pas G. Mounin (1955, p. 142) qui voque le ton-traduction et, par exemple, le cas d Apollinaire introduisant dans la littrature franaise originale une tonalit qui rappelle les traductions ( verres colors ).

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  • arguments contre la traduction, ce n'est absolument pas leur limitation historique qu'il met en avant. Si la problmatique de l'objection prjudicielle ntait quun dbat d'historiens, si la traduction elle-mme tait analyse en tant que phnomne historique, il suffirait de montrer que les donnes d'alors se sont renouveles et qu'actuellement les problmes se posent en des termes diffrents.

    En fait, l encore, en bon littraire, G. Mounin cultive la rhtorique universitaire. Avant de nous montrer pourquoi et dans quelle mesure la traduction est possible , comment traduire ainsi sintitulent les deux autres chapitres-parties de son livre il fait un long dtour par des positions contraires aux siennes, dveloppant complaisamment toute une premire partie contre la traduction, quitte y mnager ce que Pascal appelle des fausses fentres dans lordonnance argumentative d un trait. Les arguments historiques contre la traduction ne sont pas dpasss : il n'y a pas darguments historiques contre la traduction.

    En dpit de ses propres dngations, G. Mounin nous parat encore trop prisonnier de la problmatique de lobjection prjudicielle, qui est finalement une vieille histoire. Encore une vieille histoire, elle aussi, cette dichotomie qui fait un sort d exception la posie et loppose aux sciences? L'histoire, en tout cas, est elle-mme une dimension du problme, une fois pos dans les termes contemporains de la science linguistique , lors mme que les dits arguments historiques invoqus par les Belles infidles ne... trompent plus personne.

    4. Science et posie

    4.1. Une thorie dualiste

    Ds lors que se trouverait ainsi rcuse largumentation dite historique, et puisque les arguments polmiques, on la vu, se rduisent peu de chose, cest--dire un pur et simple mouvement dhumeur contre les tcherons et donc une

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  • impatience qui laisse intact le principe de la traduction elle- mme, il ne resterait que les arguments thoriques contre la traduction encore le pluriel nest-il pas de mise puisquaussi bien cest d un seul argument quil sagit en dfinitive : une fois campe lopposition entre science et posie, on se contente de vouer les potes aux mystres, aux prestiges, mais aussi aux tabous de lintraduisible. Par contre, on admet que les sciences pourront subir le traitement qui les fera passer d une langue lautre, elles seront soumises la traduction.

    A supposer quon souscrive largumentation dont les Belles infidles se font lcho, lalternative propose nous fournit-elle le point de dpart d une thorie gnrale de la traduction? Il y a de lintraduisible, et il y a du traduisible : d un ct la posie, de lautre la science. Science et posie. Et le reste?

    En fait, il n y a pas de reste! Car il faut entendre les deux termes de cette opposition en un sens largi, de sorte quils tendent couvrir lensemble des formes de discours possibles. On aurait donc l deux types discursifs ou langagiers fondamentaux, qui vrai dire restent dfinir.

    Il y a mise en place dun dualisme, d une dichotomie opposant la posie, intraduisible, ce qui n est pas elle et reste traduisible, cest--dire la prose, le discours non littraire... Ainsi restreinte et non plus gnralise, devenue limite mthodologique et non plus tabou mtaphysique dune antinomie, lobjection prjudicielle implique une thorie linguistique discon- tinuiste. Elle opre une coupure entre deux modles d criture spcifiques, entre deux types discursifs : on pourra parler ce propos de coupure littraire, par analogie avec la coupure pistmologique opposant science et idologie, mise lhonneur il y a quelques annes par le marxisme althussrien.

    Encore conviendrait-il de dfinir les termes de lopposition. Comme nous en avons fait plus haut la remarque, il est proprement anachronique d assimiler ce que sont pour nous les sciences et ce que du Bellay pouvait bien appeler ainsi... Quant la posie , il faudra aussi dterminer ce qu'on entend par l.

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  • 4.2. Traduire les sciences

    Et d abord, de quelles Sciences sagit-il? Il faut en loccurrence dilater considrablement le concept. Pour rpondre la question, le traducteur de philosophie allemande quest aussi lauteur de ces lignes est tent de se retourner vers sa pratique traduisante et de passer par lintermdiaire du terme allemand correspondant. Or le mot allemand Wissenschaft, qu'on traduit gnralement par le franais science, a en fait un sens beaucoup plus large, tellement plus large quon peut presque parler d un sens diffrent (11). En franais, il sagit d un concept bien prcis qui dsigne un savoir cumulatif et structur, satisfaisant aux exigences de la mthode exprimentale et de la formalisation logico-mathmatique; cest une catgorie pist- mologique. En allemand, est Wissenschaft tout savoir ayant une mthodologie propre et dfinie, et de fait tout savoir enracin dans linstitution universitaire; cest plutt une catgorie historique ou socio-culturelle, voire une catgorie socio-professionnelle. A la limite mme, chez certains auteurs encore contemporains comme Heidegger, la thologie est une Wissenschaft.

    Allons encore un peu plus loin, dans le temps et non plus seulement dans lespace; si lon veut encore se servir de la traduction comme fil conducteur, cest au latin scientia quil faut penser. D ailleurs, en latin d Eglise aussi, la thologie est Science, scientia sacra. En franais, dans un franais dj un peu surann il est vrai, on appelle (peut-tre faudrait-il dire : on appelait) la logique, lesthtique et mme la morale des sciences normatives . C est en ce sens ancien, et non au sens strict, en loccurrence anachronique, de la recherche scientifique moderne (cf. sup., p. 98), que du Bellay emploie le mot videmment : Science est alors synonyme de tout savoir organis, faisant par exemple lobjet d un expos argumentatif et d un enseignement systmatique. On aura not au reste qu'il y a eu rcemment un rlargissement de sens du mot, renouant en

    (II) Sur ces questions de smantique et d pistmologie, cf. J.-R. Ladmiral (1971), p. 163 sq. et passim (et cf. inf.. p. 256).

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  • quelque sorte avec le smantisme ancien : on parle de sciences conomiques et mme, dernirement, de sciences juridiques , voire de science de la littrature ... Gageons quen franais aussi, la thorie de la traduction ou traductologie (dont traite le prsent ouvrage) sappellera bientt une science comme en allemand (bersetzungsw'issenschaft), et en anglais (Science o f Translation (12))...

    En ce sens largi, la philosophie est science et donc traduisible. Plus gnralement, cest aussi le cas de tout discours informatif, de tout discours vhiculant du savoir, des connaissances, cest--dire des informations et sassignant comme finalit premire (sinon toujours tout fait exclusive) la transmission de ces informations cest le cas de tout ce qui n est pas la posie. C est donc elle quil faudrait dfinir : puisque, en fin de compte, on aurait d un ct la posie et, de lautre, le reste. Science et posie, il est vrai que ces deux termes sentendent en des sens largis. Pour le concept de science, on la vu, cela peut aller jusqu recouvrir tout ce qui nest pas la posie; cest donc elle, cest la posie quil faudrait dfinir. Ds lors, cest une stylistique, une potique de la traduction quil y a lieu de satteler.

    4.3. Quest-ce que la littrature?

    4.3.1. La question est donc : quentend-on ici par posie et quels sont ces potes auxquels du Bellay dcourage les traducteurs de sattaquer? Il ne sagit pas en loccurrence seulement de la posie au sens troit et formel des pices crites en vers. Et, si du Bellay pense dabord aux auteurs qui se plient au mtre d une versification, comme Homre, Virgile ou Ptrarque, on n en devra pas moins entendre le mot en un sens plus large : pote est ici synonyme d 'crivain.

    Toujours littraire, cest en se rfugiant derrire Joseph Bdier que G. Mounin (1955, p. 28) nous fournit cette paraphrase explicite de du Bellay : il s'agit de ne traduire, pote ou

    (12) Cest le titre du livre de E A Nida (1964) Toward a Science oj Translating.

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  • prosateur, aucun bon crivain . L aussi, il nest pas inutile d'emprunter le dtour de la traduction elle-mme, entre le franais et lallemand : le vritable quivalent, selon lesprit, du franais crivain e?t en allemand le mot Dichter, prcisment, mme si la lettre sa re-traduction (Rckbersetzung) donnerait plutt le terme franais de pote . Kafka est un Dichter, par exemple : cest un trs grand crivain, voire un pote ...

    Est intraduisible la posie au sens de la Littrature, avec ou sans majuscule, au sens de ce quon appelait jadis les belles lettres (et, encore une fois, nous montrerons ici le bout d une oreille de traducteur en signalant quon parle en allemand de Belletristik). C est de toute la littrature quil sagit, dont la posie nest que la plus fine pointe, la mieux reprsentative, en quelque sorte le point d incandescence littraire, en mme temps que la forme d criture vivante et historiquement lordre du jour au temps de du Bellay comme lest peut-tre de nos jours la chanson en langue franaise, et comme cest encore le cas en Russie pour la posie elle-mme.

    Il est bien difficile de donner une vritable dfinition, au sens propre d une saisie de lessence en comprhension; on se contentera que soit indique lextension de tout un essaim de formes littraires. Nous n allons pas proposer ici une thorie de la littrature ou, pour parler comme H. Meschonnic (1973), une thorie de la littrarit , une pistmologic de lcriture .

    Risquer une dfinition de la posie, ce serait aussi se rallier ncessairement une formule limitative, en prenant parti dans le cadre dun dbat plus ou moins acadmique o sont opposes des interprtations diffrentes engageant immanquablement des pralables philosophiques qui les dpassent. Ce serait faire un choix et privilgier tel ou tel aspect du phnomne potique, tout en acceptant corrlativement certaines scotomisations ngligeant telle ou telle plage de lespace littraire.

    4.3.2. Ce serait nous engager dans un dbat immense qui finirait par absorber notre propos : dans un dbat sculaire, ternel , dont nous ne saurions imaginer que nous puissions le trancher, voire seulement y apporter des lumires nouvelles. Et puis le traducteur quest aussi lauteur de ces lignes sest

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  • essentiellement consacr aux textes thoriques de la philosophie et des sciences humaines. Sans que lui chappe la dimension littraire authentique que reclent parfois ces textes, et sans quil chappe non plus lui-mme aux difficults quil y a alors les traduire..., force lui est bien d avouer quil recule un peu devant la posie, sinon devant la Littrature.

    Il y a presque de loutrecuidance, un enthousiasme encore bien juvnile, professer une vritable esthtique littraire. Les crivains ne donnent eux-mmes si souvent limpression de cder cette tentation de lesprit de systme que parce quon se mprend sans doute sur leurs intentions : il ne sagit pas tant de btir une esthtique littraire universelle que de se forger une morale d criture usage personnel.

    Le traducteur, qui est aussi un praticien de lcriture, plusieurs crans au-dessous si lon veut, se pose des problmes de praticien. Il voit la littrature par le petit bout de la lorgnette, travers un miroir grossissant les dtails quil lui faut vaincre tant bien que mal les uns aprs les autres.

    Lcrivain peut simposer loption dune thorie esthtique, par excs, pour aller au bout de certaines virtualits quil sent en lui. Le traducteur est amen quant lui se linterdire, par dfaut, car il lui faut tre disponible au discours de lAutre, l mme peut-tre o il lattend le moins. Ce nest pas lui qui met en uvre les effets d une cration originale, il lui appartient surtout de ne pas les manquer : il est donc oblig une attention tous azimuts et, autant que faire se peut, sans a priori esthtique; il doit tre prt toute ventualit, prt stonner de tout et ne rien laisser perdre.

    C est pourquoi lesthtique, minimaliste, que pourra se donner le traducteur sera une esthtique de lcoute et de la rceptivit. Ce ne sera pas un monument thorique bien ordonn et hirarchis, mais une rhapsodie (comme disait Kant) de thormes disjoints que laffrontement continu la tourmente incessante dune pratique toujours renouvele empche de sorganiser en un tout harmonieux.

    Toutes ces raisons pour justifier notre timidit en matire d esthtique littraire, de potique : c est que cette absti

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  • nence thorique est un enseignement de la pratique! Le traducteur en nous vient dmystifier le philosophe que nous sommes aussi par ailleurs. La prudence du praticien vient modrer les tentations que nous pourrions avoir en tant quuniversitaire, en tant quenseignant de philosophie et en tant que linguiste, de cder au pathos de la Thorie. Mais la pratique de la traduction ne se laisse pas si facilement perdre de vue. Avec ses difficults accumules et multiples, petites ou grandes, elle se rappelle lattention de celui qui voudrait lescamoter en lui substituant la belle ordonnance des ides, les belles paroles d'une thorie. Sauf bien sr rester un thoricien sans pratique, en vertu de la division du travail dnonce plus haut (cf. sup., p. 88)!

    4.3.3. Au reste, G. Mounin sabstient lui-mme, fort sagement, de nous proposer une thorie de la littrature, en quelque sorte sa potique de la traduction. Dans Les Belles infidles, il se montre trs prudent et se contente d exhiber quelques exemples de traduction russie (dont, au demeurant, certains sont discutables). Cette timidit thorique se fait courageuse, pour ainsi dire, quand G. M ounin dans un texte peu connu des lecteurs franais parce quil la publi directement en italien (G. Mounin, 1965) et quil n en existe pas de (re-)traduction en franais donne des lments de ce quon pourrait appeler une potique ngative, linstar de la thologie ngative .

    La thologie ngative, on le sait, procde de lhumilit impartie aux hommes face aux perfections divines, elle ne se risque pas dire ce quest Dieu, elle ne fait que lapprocher indirectement et de loin travers un discours de la ngation; en effet, Dieu nest rien de ce que notre petitesse et notre finitude peuvent nous laisser penser de Lui. D une faon un peu comparable mutatis mutandis G. Mounin sen tient nous dire ce que est pas la posie.

    Ce ne sont pas les mots eux-mmes, sauf rduire la posie un arsenal de brocante verbale puisant aux ressources faciles d un vocabulaire noble , ou mythologique, ou dit potique ... Encore moins sagit-il pour le traducteur de rester fidle la forme grammaticale : ce niveau-l, lexactitude

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  • aveugle et mcanique fait violence au texte (G. Mounin, 1965, p. 127). Bien traduire un pome, ce nest pas non plus respecter une fidlit mcanique au style (?) de loriginal. Il ne sagit mme pas de fidlit musicale! G. Mounin ne craint pas disons de battre en brche cette tarte la crme ..., de contester cette ide reue, pourtant dveloppe par tant d autres et depuis si longtemps, et laquelle sattarde encore un pote et un homme de rflexion comme Valry.

    Aprs cette hcatombe dmystificatoire rpudiant ces fausses fidlits en matire de traduction potique, G. Mounin en revient lun de ces bons truismes, la vrit ternelle et indestructible, qui ont le seul mrite de pointer lindex dans la direction de la difficult : la fidlit dans la traduction dun texte lyrique..., cest la fidlit la posie de ce texte (G. Mounin, 1965, p. 129). On ne peut pas mieux dire : la posie est posie! ou encore : elle nest pas autre chose que ce quelle est... Certes, il est facile d ironiser sur cette tautologie, que les ciseaux de la citation permettent de faire merger du livre de G. Mounin; on en tirera la leon quil revient au traducteur la tche difficile d 'identifier pratiquement, dans le travail de son criture-cible, les moyens proprement mis en uvre par la posie du texte-source. Encore une fois, le traducteur r-nonce un texte qui n est pas loriginal (G. Mounin, 1955, p. 7) mais, en cela, il savre co-auteur ou rcrivain .

    5. Conclusions

    5.0. La conclusion qui se dgage des pages quon vient de lire est ouverte, cest--dire quelle n en est pas une; et elle est multiple, cest--dire quelle nest pas une...

    5.1. Tout d abord, de lensemble des arguments contre la traduction mis en scne par G. Mounin, il nen reste quun : largument thorique , consistant opposer Sciences et posie. Il semblerait donc qu'on dt seulement dfinir une esthtique, une stylistique productive, une potique pour la traduction. Mais, on vient de le voir, un tel programme est trop

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  • ambitieux pour le praticien et mme peut-tre pour le thoricien de la traduction. Nous allons nous contenter quant nous de l'aborder latralement, en traitant du problme des connotations (cf. inf., p. 115 sqq.).

    5.2. Mais il faut souligner que les Sciences de du Bellay dont il a t question recouvrent un domaine trs large et que, mme l, la traduction ne saurait se rduire un simple transcodage, ne posant que des problmes terminologiques. Il y aura lieu de dvelopper une thorie de la traduction philosophique notamment; quant aux sciences humaines, concernes elles aussi en loccurrence, elles ressortissent elles-mmes un modle du discours thorique qui oppose la traduction des obstacles spcifiques. C est ce double domaine que se rfre essentiellement notre pratique de traducteur et nous allons en dgager quelques exemples pour les discuter (cf. inf., p. 216 sqq.). D une faon gnrale, il nest nullement acquis que le dualisme isolant la posie du reste soit une thorie suffisante pour la traductologie.

    5.3. Quant lobjection prjudicielle elle-mme nous la comparions un nouvel latisme, attach dmontrer limpossibilit du mouvement traduisant (cf. sup., p. 85 sqq.), eh bien! il est possible d y rpondre comme Diogne, qui prouvait le mouvement en marchant... Et la ralit sculaire de la pratique traduisante serait dj une rponse suffisante mais ce qui est en jeu dans cette discussion, cest la persistance d un acadmisme, quon pourra appeler aussi littraire ou thologique , en mauvaise part et de faon polmique : cest lattitude qui consiste dshistoriciser les problmes thoriques pour les situer dans une ternit idale qui se prte d inpuisables variations rhtoriques. Sous-jacent, il y a l le prjug quon a affaire quelque chose qui est de lordre du mystre et dont llucidation ne saurait vritablement progresser. Ainsi pour G. Mounin, qui se montre en cela bon littraire encore une fois, tout est dans du Bellay pour ainsi dire. Et il est cet gard significatif que sa thorie de la traduction procde d un truisme (la traduction nest pas loriginal) et dbouche sur un autre truisme (la posie est la posie).

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  • 5.4. Enfin, si G. Mounin nous apparat encore trop prisonnier de lobjection prjudicielle (13), cest pour ne stre pas confront concrtement, cest--dire pratiquement, au problme des rapports entre thorie et pratique : c est ce quoi nous nous sommes essay (14).

    (13) Il nest que de feuilleter (par exemple) les Problmes.... cf. G. Mounin (1963), pp. 8 sq., 143, 168, 170, 191, 223, 251, 269, voire pp. 93. 187, 241 et surtout p. 271 sqq.!

    (14) Cf. inf., pp. 211 sqq., 162 et 116 sq., 189 sq., 184 sq., 193, 200. cf. sup. , p. 18...

  • Jean-Ren LadmiralTraduire : thormes pour la traduction

    Dans le m onde moderne, la traduction est partout. Mais d .im