1
« Le Singe et le Léopard », dans Les Fables, troisième fable du Livre IX, Jean de La Fontaine, 1678. LE SINGE ET LE LEOPARD Le Singe avec le Léopard Gagnaient de l’argent à la foire Ils affichaient chacun à part. L’un d’eux disait : Messieurs, mon mérite et ma gloire Sont connus en bon lieu ; le Roi m’a voulu voir ; Et si je meurs il veut avoir Un manchon de ma peau ; tant elle est bigarrée, Pleine de taches, marquetée, Et vergetée, et mouchetée. La bigarrure plaît ; partant chacun le vit. Mais ce fut bientôt fait, bientôt chacun sortit. Le Singe de sa part disait : Venez de grâce, Venez messieurs. Je fais cent tours de passe-passe. Cette diversité dont on vous parle tant, Mon voisin Léopard l’a sur soi seulement ; Moi, je l’ai dans l’esprit : votre serviteur Gille, Cousin et gendre de Bertrand, Singe du Pape en son vivant, Tout fraîchement en cette ville Arrive en trois bateaux, exprès pour vous parler; Car il parle, on l’entend ; il sait danser, baller, Faire des tours de toute sorte, Passer en des cerceaux; et le tout pour six blancs ! Non messieurs, pour un sou; si vous n’êtes contents Nous rendrons à chacun son argent à la porte. Le Singe avait raison; ce n’est pas sur l’habit Que la diversité me plaît, c’est dans l’esprit L’une fournit toujours des choses agréables ; L’autre en moins d’un moment lasse les regardants. Ô ! que de grands Seigneurs, au Léopard semblables, N’ont que l’habit pour tous talents ! Doc n°1 « Le Renard et la Panthère », dans Fables, Ésope, traduction, VII-VI ème siècle ACN. LE RENARD ET LA PANTHÈRE Le renard et la panthère contestaient de leur beauté. La panthère vantait à tous coups la variété de son pelage. Le renard prenant la parole dit : « Combien je suis plus beau que toi, moi qui suis varié, non de corps, mais d’esprit. » Cette fable montre que les ornements de l’esprit sont préférables à la beauté du corps. Doc n°2 Vidéo résumant la fable par l’école Georges Méliès. Doc n°3 Gravure de la fable par Gustave Doré pour illustrer un recueil, XIX ème siècle. Le « Gille » Doc n°6 Définition du substantif « Gille » dans le CNRTL Extraits d’encyclopédies sur la « ménagerie ambulante » : les animaux de Foires. Doc n°4 « Ménagerie ambulante » sur Wikipédia Doc n°5 Exposition Bnf « Les arts du cirque », « Ménagerie » Doc n°8 - « L’imagination », dans Pensées, Fragment 361, Blaise Pascal, 1670. Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s'emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire. Et si les médecins n'avaient des soutanes et des mules et que les docteurs n'eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n'auraient dupé le monde, qui ne peut résister à cette montre si authentique. S'ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n'auraient que faire de bonnets carrés. La majesté de ces sciences serait assez vénérable d'elle même. Mais n'ayant que des sciences imaginaires il faut qu'ils prennent ces vains instruments, qui frappent l'imagination, à laquelle ils ont affaire. Et par là en effet ils attirent le respect. Les seuls gens de guerre ne se sont pas déguisés de la sorte, parce qu'en effet leur part est plus essentielle. Ils s'établissent par la force, les autres par grimace. C'est ainsi que nos rois n'ont pas recherché ces déguisements. Ils ne se sont pas masqués d'habits extraordinaires pour paraître tels, mais ils se sont accompagnés de gardes, de hallebardes. Ces troupes armées qui n'ont de mains et de force que pour eux, les trompettes et les tambours qui marchent au devant et ces légions qui les environnent font trembler les plus fermes. Ils n'ont pas l'habit seulement, ils ont la force. Il faudrait avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le Grand Seigneur environné, dans son superbe Sérail, de quarante mille janissaires. Nous ne pouvons pas seulement voir un avocat en soutane et le bonnet en tête sans une opinion avantageuse de sa suffisance. L'imagination dispose de tout. Elle fait la beauté, la justice et le bonheur qui est le tout du monde. Je voudrais de bon cœur voir le livre italien dont je ne connais que le titre, qui vaut lui seul bien des livres, Dell' opinione regina del mondo. J'y souscris sans le connaître, sauf le mal, s'il y en a. Voilà à peu près les effets de cette faculté trompeuse, qui semble nous être donnée exprès pour nous induire à une erreur nécessaire. Textes échos de La Fontaine Sur la diversité - Conte « Diversité, c’est ma devise ! » Sur l’apparence « Songe d’un habitant du Mogol » (Moine en enfer, Vizir au paradis) Proverbe populaire : « L’habit ne fait pas le moine » Sur la satire de la cour Fables avec le lion et les courtisans flatteurs (renards, loups) Système de noblesse sous Louis XIV « Les grands seigneurs » sont les plus grands nobles courtisans, proches du roi, flatteurs et vivant dans le luxe. Cette expression de « seigneur » vient des restes du système fédoal : les seigneurs administraient les régions pour le roi, ils prélevaient l’impôt de leurs vassaux pour el roi. Mais La Fontaine leur reproche de ne pas avoir « d’esprit », recherché dans les salons littéraires. « Vivre en grand seigneur » : vivre magnifiquement, avec luxe. Doc n°9 Brève biographie de La Fontaine Doc n°10 Secret d’histoire sur La Fontaine

« Le Singe et le Léopard », dans Les Fables, troisième

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: « Le Singe et le Léopard », dans Les Fables, troisième

« Le Singe et le Léopard », dans Les Fables, troisième fable du Livre IX, Jean de La Fontaine, 1678.

LE SINGE ET LE LEOPARD

Le Singe avec le Léopard

Gagnaient de l’argent à la foire

Ils affichaient chacun à part.

L’un d’eux disait : Messieurs, mon mérite et ma gloire

Sont connus en bon lieu ; le Roi m’a voulu voir ;

Et si je meurs il veut avoir

Un manchon de ma peau ; tant elle est bigarrée,

Pleine de taches, marquetée,

Et vergetée, et mouchetée.

La bigarrure plaît ; partant chacun le vit.

Mais ce fut bientôt fait, bientôt chacun sortit.

Le Singe de sa part disait : Venez de grâce,

Venez messieurs. Je fais cent tours de passe-passe.

Cette diversité dont on vous parle tant,

Mon voisin Léopard l’a sur soi seulement ;

Moi, je l’ai dans l’esprit : votre serviteur Gille,

Cousin et gendre de Bertrand,

Singe du Pape en son vivant,

Tout fraîchement en cette ville

Arrive en trois bateaux, exprès pour vous parler;

Car il parle, on l’entend ; il sait danser, baller,

Faire des tours de toute sorte,

Passer en des cerceaux; et le tout pour six blancs !

Non messieurs, pour un sou; si vous n’êtes contents

Nous rendrons à chacun son argent à la porte.

Le Singe avait raison; ce n’est pas sur l’habit

Que la diversité me plaît, c’est dans l’esprit

L’une fournit toujours des choses agréables ;

L’autre en moins d’un moment lasse les regardants.

Ô ! que de grands Seigneurs, au Léopard semblables,

N’ont que l’habit pour tous talents !

Doc n°1 – « Le Renard et la Panthère », dans Fables, Ésope, traduction, VII-VIème

siècle ACN.

LE RENARD ET LA PANTHÈRE

Le renard et la panthère contestaient de leur beauté. La panthère vantait à tous coups la variété de son pelage. Le renard prenant la parole dit : « Combien je suis plus beau que toi, moi qui suis varié, non de corps, mais d’esprit. »

Cette fable montre que les ornements de l’esprit sont préférables à la beauté du corps.

Doc n°2 – Vidéo résumant la

fable par l’école Georges Méliès.

Doc n°3 – Gravure de la fable par Gustave Doré pour illustrer un recueil, XIXème

siècle.

Le « Gille »

Doc n°6 – Définition du substantif « Gille » dans le CNRTL

Extraits d’encyclopédies sur la « ménagerie ambulante » : les animaux de

Foires.

Doc n°4 – « Ménagerie ambulante » sur Wikipédia

Doc n°5 – Exposition Bnf « Les arts du cirque », « Ménagerie »

Doc n°8 - « L’imagination », dans Pensées, Fragment 361, Blaise Pascal, 1670.

Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines

dont ils s'emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet

appareil auguste était fort nécessaire. Et si les médecins n'avaient des soutanes et des

mules et que les docteurs n'eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de

quatre parties, jamais ils n'auraient dupé le monde, qui ne peut résister à cette montre si

authentique. S'ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de

guérir, ils n'auraient que faire de bonnets carrés. La majesté de ces sciences serait assez

vénérable d'elle même. Mais n'ayant que des sciences imaginaires il faut qu'ils prennent

ces vains instruments, qui frappent l'imagination, à laquelle ils ont affaire. Et par là en

effet ils attirent le respect.

Les seuls gens de guerre ne se sont pas déguisés de la sorte, parce qu'en effet leur

part est plus essentielle. Ils s'établissent par la force, les autres par grimace.

C'est ainsi que nos rois n'ont pas recherché ces déguisements. Ils ne se sont pas

masqués d'habits extraordinaires pour paraître tels, mais ils se sont accompagnés de

gardes, de hallebardes. Ces troupes armées qui n'ont de mains et de force que pour eux,

les trompettes et les tambours qui marchent au devant et ces légions qui les environnent

font trembler les plus fermes. Ils n'ont pas l'habit seulement, ils ont la force. Il faudrait

avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le Grand Seigneur

environné, dans son superbe Sérail, de quarante mille janissaires.

Nous ne pouvons pas seulement voir un avocat en soutane et le bonnet en tête

sans une opinion avantageuse de sa suffisance.

L'imagination dispose de tout. Elle fait la beauté, la justice et le bonheur qui est le

tout du monde.

Je voudrais de bon cœur voir le livre italien dont je ne connais que le titre, qui

vaut lui seul bien des livres, Dell' opinione regina del mondo. J'y souscris sans le connaître,

sauf le mal, s'il y en a.

Voilà à peu près les effets de cette faculté trompeuse, qui semble nous être

donnée exprès pour nous induire à une erreur nécessaire.

Textes échos de La Fontaine

Sur la diversité - Conte « Diversité, c’est ma devise ! »

Sur l’apparence – « Songe d’un habitant du Mogol » (Moine en enfer, Vizir au paradis)

Proverbe populaire : « L’habit ne fait pas le moine »

Sur la satire de la cour – Fables avec le lion et les courtisans flatteurs (renards, loups)

Système de noblesse sous Louis XIV

« Les grands seigneurs » sont les plus grands nobles courtisans,

proches du roi, flatteurs et vivant dans le luxe. Cette expression de

« seigneur » vient des restes du système fédoal : les seigneurs

administraient les régions pour le roi, ils prélevaient l’impôt de leurs

vassaux pour el roi. Mais La Fontaine leur reproche de ne pas avoir

« d’esprit », recherché dans les salons littéraires.

« Vivre en grand seigneur » : vivre magnifiquement, avec luxe.

Doc n°9 – Brève biographie de La Fontaine

Doc n°10 – Secret d’histoire sur La Fontaine