49

µ } o o - ufe-electricite.frufe-electricite.fr/IMG/pdf/actes_colloque_ufe_22102013.pdf · Bonjour à toutes et à tous. Bienvenue à ce colloque qui s’impose au fil du temps comme

  • Upload
    leliem

  • View
    216

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Actes du colloque

Allocution

Robert DURDILLYPrésident de l’Union Française de l’Electricité

Bonjour à toutes et à tous.

Bienvenue à ce colloque qui s’impose au fil du temps comme l’un des temps forts de notre pro-fession. Vous êtes très nombreux, preuve de votre intérêt pour les travaux que nous conduisons et du rôle que peut jouer l’UFE en France comme au niveau européen.

Ce colloque se tient à un moment particulier où de nombreux questionnements s’expriment sur la politique énergétique européenne et ses différents instruments dont les résultats ne sont, à l’évidence, pas à la hauteur des attentes. L’UFE a déjà contribué à cette réflexion. Nous avons réalisé une brochure qui identifie cinq grands défis à relever et formule six recommandations. Elle vous a été remise à votre arrivée.Je tiens à avoir une pensée pour Jean-François Raux, dont le fils a eu un accident très grave durant le week-end. Je tenais à lui transmettre, en votre nom à tous, un message de solidarité et d’amitié, et lui tirer un coup de chapeau, à lui, l’instigateur de ce colloque et le remercier tout particulièrement pour son implication.

C’est évidemment avec plaisir et honneur que je re-viens cette année, dans ce lieu d’échanges mais dans une période chahutée où la question énergétique est devenue une question stratégique et où le poids de l’électricité dans les facteurs de production devient de plus en plus important. Nous devons nous posi-tionner dans l’équation que certains pays ont choisi de régler de manière très drastique. Nous devons réfléchir avec précaution aux conséquences de nos choix. C’est le déterminant de la communication qui se joue. C’est également la question fondamentale de l’indépendance énergétique de notre pays que nous construisons. Ce sont enfin des enjeux de ba-lance commerciale et de capacité à financer notre économie.

Le facteur énergétique a donné lieu à une grande conférence environnementale. Nous sommes en train de dégager des axes politiques avec le Président et le Premier ministre. L’Europe est née dans le do-maine énergétique mais l’Europe de l’énergie n’existe pas. Les traités CECA et EURATOM étaient fondés sur le principe de liberté. Or, nous nous trouvons au-jourd’hui face à un millefeuille de textes. Il n’existe pas une mais des politiques qui constituent des contraintes additionnées sans orientation commune. Ceci présente une difficulté pour nous, ministres de l’énergie, lorsque nous discutons avec l’Union euro-péenne. A force de prendre des décisions contraires à notre industrie, nous délocalisons de plus en plus et alors même que la France constitue l’un des pays les moins polluants du monde. Cette situation, nous la devons à la rente nucléaire. Nous devons prendre des décisions pour protéger l’émergence de ces pro-ductions mais nous affichons, en Europe, un front divisé. Nous ne parvenons pas à convenir ensemble de ces orientations.

Nous avons fait le choix de défendre nos intérêts in-dustriels et nos coûts de production. Nous travaillons également sur le terrain de la sobriété énergétique. Nous pouvons économiser l’énergie. Tel est le sens des plans industriels que j’ai présentés le 12 sep-tembre dernier. Dans ces 34 plans, nous avons effec-tué des choix prioritaires pour la nation, les énergies renouvelables, les réseaux intelligents, les usines du futur, etc. Il s’agit d’abord d’un choix unitaire en France, faute d’unité en Europe. Les industriels et l’Etat doivent construire une équipe de France qui tire profit de choix politiques cohérents pour donner un avenir à nos industries. A nous d’être au rendez-vous de cette vague d’innovations technologiques et de mutations des énergies.

Nous devons opérer des choix cohérents pour éviter que l’Union européenne nous désavantage vis-à-vis du reste du monde. Nous avons indiqué à la Commis-saire à l’environnement que nous ne souhaitions pas augmenter le poids sur les émissions de CO2 dans notre pays. Nous délocalisons les lieux de production hors d’Europe et nous consommons le CO2 produit par les autres. Cela doit cesser. L’émission de CO2 décroît mais la quantité de CO2 dans les produits que nous consommons augmente. Nous devons faire entrer le CO2 dans la comptabilité des échanges, une pratique parfaitement en ligne avec les principes du commerce international. Nous ne pouvons, Français, rester les seuls bons élèves de la Communauté inter-nationale.

Je tiens à vous féliciter pour ces débats. Dans cette affaire délicate, nous avons besoin de parler et de nous comprendre les uns les autres. Je vous remercie donc d’avoir organisé ces échanges.

Ouverture

Arnaud MONTEBOURGMinistre du Redressement productif

La vision du secteur électrique européen

Dr Johannes TEYSSENPrésident d’EURELECTRIC et Président d’E.ON

Merci, Monsieur le Ministre, Chers invités,

En tant que Président d’EURELECTRIC, l’Association Européenne des 28 associations d’utilities, c’est un grand honneur pour moi que de pouvoir vous parler ici, aujourd’hui, à Paris. J’ai énormément de respect pour la France, mais je suis conscient, aussi, de l’art de la diplomatie française.

Ainsi, lorsque la maison brûle, il faut appeler au feu, et la diplomatie, il faut la mettre de côté.

En tant que responsable d’EURELECTRIC, j’ai cette obligation, aujourd’hui, d’être franc : dans l’intérêt des clients européens ; dans l’intérêt de nos utilities qui ont travaillé dur pendant des décennies pour veil-ler à ce que les prix de l’électricité restent abordables.

Le titre de ma présentation était une nouvelle vision pour la politique européenne en matière d’énergie. Mais une vision doit être basée sur des faits et sur la réalité, pas uniquement sur de bonnes intentions, sinon cela ne suffit pas, et ce n’est plus une vision, c’est une illusion.

Les deux observations que je fais sur la réalité euro-péenne en matière d’énergie sont les suivantes :

Les consommateurs européens sont confrontés à des augmentations de prix de l’énergie continues. Ceci étant, il est vrai que les prix, au niveau des échanges baissent, et pourtant, pour les consommateurs, ils augmentent.

Les Etats Unis profitent d’une énergie peu chère et les américains la payent 50% de moins chez eux com-parativement à la moyenne européenne. Pourquoi cette situation ? La difficulté provient des surcoûts entre production et consommation. Chez moi, en Allemagne, par exemple, les électrons coûtent moins

de 4 centimes/kilowattheure, mais il y a un surcoût de 6,3 centimes sur chaque kilowattheure qui vient s’additionner aux 4 centimes. Si je vivais dans une maison où mes coûts étaient plus élevés que mon loyer, je déménagerai ! En réalité, les électriciens n’étant plus rémunérés correctement, la fiabilité de la fourniture d’électricité se dégrade en permanence et se trouve maintenant à son plus bas niveau la fin de la deuxième guerre mondiale en Europe. Pour-quoi en sommes-nous arrivés là ?

Eh bien, nous voyons des centrales nucléaires et thermiques qui ferment, soit pour des raisons poli-tiques, soit parce qu’elles ne sont plus rentables. On voit des volumes croissants de flux énergétiques entre les différentes frontières. Or, plus personne ne sait que faire de cette énergie produite par le vent, la lumière. Nous devons redistribuer cette énergie et c’est pour cela que les prix augmentent pour les consommateurs.

De plus, la production énergétique en Europe de-vient de moins en moins « propre », ceci dit entre parenthèses. Quand les acteurs industriels font des efforts pour réduire les émissions de CO2, ils ne sont pas rémunérés, alors que les consommateurs, eux, paient des milliards pour soutenir le développement des énergies renouvelables. Pourquoi est-ce qu’une partie de notre énergie est plus chère, moins fiable et que le reste nous le laissons devenir plus polluant en mélangeant le propre et le polluant, le tout de-venant plus cher, plus polluant, moins fiable ? Qui gagne ? pas le consommateur, pas les entreprises. Eux s’inquiètent, eux voient que leur contrepartie est une énergie moins chère, des usines chimiques ouvrent leurs portes aux Etats-Unis et ce malgré leurs niveaux d’efficacité.

Les utilities sont les grandes perdantes de cette si-tuation. On a ainsi vu récemment un titre de journal « 500 milliards d’€ perdus par les utilities euro-péennes ». De ce fait, de nombreux investisseurs disent maintenant que la production énergétique même conduite de façon efficace n’est plus rentable et ils privilégient donc les autres utilities. Notre sec-teur est ainsi assimilé aux « mauvaises banques ». Mesdames, Messieurs, ces mauvaises banques ne sont pas toxiques ! Elles ne tuent personne ! Elles créent de la valeur pour nos populations, mais elles sont traitées comme de « mauvaises banques », comme de mauvais actifs.

Ce ne sont même pas les renouvelables qui gagnent : dans certains pays comme en Espagne, en Italie, ils doivent faire face à des mesures rétroactives ; les en-gagements ne sont plus respectés parce que les déci-deurs politiques redoutent que les consommateurs ne puissent plus payer.

On a vu des entreprises solaires qui ont fait faillite en Europe, car on a financé la vague chinoise, en ou-bliant les innovations européennes !

Or, si ni les consommateurs, ni les entreprises, ni les utilities, ni les renouvelables ne gagnent, alors, le plus grand perdant, c’est la société dans son ensemble, c’est notre nation, l’Europe.

Nous parlons de nos systèmes énergétiques, pas de burger ! Si je décrivais un tel environnement et que c’était une entreprise privée, si le paysage était si dé-primant alors l’entreprise serait vendue, on fermerait ses portes. Mais nous, citoyens européens, nous ne pouvons pas déclarer faillite parce que c’est la base même de notre bien-être. C’est au cœur de tout ce qui se passe dans nos sociétés, nous ne pouvons pas continuer à gérer la situation de la sorte.

Nous, citoyens européens, nos décideurs politiques à Bruxelles et dans les 28 capitales telles que Paris, les leaders d’entreprises, les responsables d’asso-ciations, nous devons affronter la situation, nous devons nous remonter les manches, et nous devons résoudre les problèmes dès maintenant.

L’initiative lancée par dix présidents d’entreprises européennes, elles disent la même chose que ce que nous disons. Bien sûr, c’est plus facile de prendre des décisions à 10 qu’à 28, mais je ne vois pas une diffé-rence si énorme.

Nous avons proposé quelques ingrédients du re- mède : les renouvelables feront partie de la solution ; les renouvelables feront partie d’un monde meilleur, je n’en ai aucun doute.

Mais nous devons les traiter comme des adultes. Ces énergies renouvelables ne sont plus des enfants et pourtant, nous les traitons encore comme des bébés !

C’était bien de s’en occuper lorsqu’il s’agissait encore d’un développement à naître mais, maintenant, les renouvelables sont importantes, ont grandi, et on les protège encore de la réalité ! De cette façon, nous allons les tuer ! Nous devons intégrer les renouve-lables dans le marché, elles doivent prendre leur part de responsabilité pour proposer des prix abordables. Les programmes de soutien doivent, petit à petit, être éliminés.

J’ai beaucoup apprécié votre discours, Monsieur le Ministre : il nous faut une réforme de l’ETS. Le CO2 doit avoir un prix conséquent et il nous faut éviter d’exporter la production du CO2, puis la réimporter un petit peu plus tard.

Il nous faut, très clairement, une réforme de cette politique avec des défis clairs, des objectifs clairs qui créent les conditions appropriées pour réformer notre situation.

Une telle réforme est urgente, elle doit se faire immé-diatement, il nous reste quelques jours à Bruxelles pour prendre la décision finale et j’espère que l’en-semble des gouvernements réussiront à se parler, réussiront à prendre des décisions pour que ce soit fait avant les élections.

Ceci dit, les gouvernements comme le mien doivent prendre position, le parlement se rassemble pour la première fois chez nous ; peut-être qu’ils voudront, enfin, abandonner notre position qui est celle… de ne pas en avoir une !

Cela ne signifie pas qu’il n’y aura pas de traitement spécifique pour certaines industries sur les normes, par exemple, énergétiques, mais juste parce qu’il faut une protection pour certaines industries chimiques etc … ne signifie pas qu’il ne faut rien faire du tout ; il faut faire les choses justes et lancer les réformes justes.

Nous devons moderniser nos réseaux, les réseaux in-telligents, les réseaux efficaces. De plus, il faut que les réseaux reflètent les coûts réels. Personne ne devrait pouvoir éviter le système, pour éviter les coûts qui y sont liés. Dans de nombreuses nations, les foyers, les entreprises se lancent dans l’auto-génération, ce n’est ni efficace bien souvent, ni environnemental, ni écologique. Ils ignorent tout simplement le système et cela ne peut perdurer.

Il a toujours été moins cher de distiller son propre al-cool plutôt que de payer l’impôt sur l’alcool ; ce n’est

pas nouveau, mais ce n’est pas juste : chacun doit contribuer aux coûts d’ensemble.

Nous devons accepter aussi la vraie valeur de la fia-bilité de l’apport énergétique, nous devons donc accepter qu’il nous faut une puissance, une éner-gie fiable, même lorsque le temps est maussade où lorsque il n’y a pas de vent.

Les prix abordables, un apport fiable pour chacun, qui ne soit pas juste un luxe pour les plus riches, voi-là encore une situation faisable en Europe même si nous avons perdu tant d’années. Ce ne sera possible, cependant, que si les politiques se lancent, de façon efficace, dans la transformation énergétique abor-dable.

Que devons-nous faire alors ?

Eh bien, nous devons décider s’il s’agit là de quelque chose de national ou d’européen. Nous devons déci-der si nous nous lançons dans un marché réglementé par les administrations ou si nous pouvons utiliser des solutions basées sur le marché. Nous devons décider si nous voulons lancer des réformes de court terme tous les 6 mois pour réparer les petits incidents, ou si nous voulons lancer un cadre de réformes de moyen, long termes qui nous occupent pendant les 10-15 années à venir.

Nous avons vu suffisamment de problèmes à Bruxelles et dans les différentes capitales ; les Etats membres, ensemble, pourront réussir ; chaque pays peut bloquer l’autre à Bruxelles. Les Etats membres peuvent dire « écoutez, il s’agit d’un choix national donc, on ne peut pas faire grand-chose à Bruxelles » et Bruxelles peut dire « quoi que vous fassiez vous devez être en ligne avec le marché libre et donc vous ne pouvez rien faire ». Ceci est négatif, et les Etats en ce moment utilisent leur pouvoir négatif ; mais ce n’est pas productif, nous devons nous aligner.

Bruxelles nous critique et dit que ce sont les Etats membres qui ont pris les mauvaises décisions, l’Alle-magne, l’Espagne, je ne sais pas qui d’autre encore : il faut les pointer du doigt. Moi, je dis qu’il faut poin-ter tout le monde du doigt, parce que c’est vous qui avez ouvert la boite de Pandore avec vos objectifs de renouvelables, vous avez encouragé les gens à tracer leur propre chemin et c’est ce qu’ils ont fait. Maintenant, il s’agit de les faire revenir dans la voie commune, vous avez donc aussi votre part de res-ponsabilité en matière d’ETS, par exemple. Mais je suis d’accord avec Bruxelles : les Etats membres, eux aussi, doivent s’aligner, doivent mettre fin à la frag-mentation, et doivent se mettre d’accord, au moins, sur des stratégies fondamentales.

Il est donc temps d’aller au-delà des frontières pour trouver des solutions et cesser de critiquer simple-ment les autres.

Nous fêtons le 50ème anniversaire du traité de l’Ely-sée qui est à la base, je pense, de l’intégration euro-péenne ; nos deux pays, Allemagne, France, doivent encore une fois prendre des initiatives pour revita-liser la coopération industrielle pour lancer l’inno-vation et pour permettre à l’énergie d’être à la base d’un meilleur avenir. Pour l’industrie de l’électricité, cela signifie devenir une possibilité d’investissement, pouvoir surmonter leurs problèmes d’infrastruc-tures, et lever des fonds pour améliorer les systèmes.

La compétitivité, le marché, doivent faire partie de ce cadre pour vraiment permettre l’entreprenariat et l’efficacité. Ceci peut s’appliquer à différentes par-ties du secteur, il y a davantage de marges de ma-nœuvre en matière de partenariat, de créativité. Les interventions publiques ne doivent être lancées que lorsqu’elles sont obligatoires, et elles doivent être cohérentes dans les différents pays européens.

Nous devons donc coordonner nos initiatives euro-péennes.

Je suis convaincu que nous pouvons commencer entre autre par l’ETS, l’ETS qui pourrait être un signe de l’Europe qui montre que les Etats membres sont prêts à avancer.

Dans certaines régions plus centrales, un système de récompenses pourrait être créé.

Je pense que la France et l’Allemagne sont telle-ment interconnectées, sont tellement liées qu’avec le Forum des autres pays du Benelux nous pourrions créer un cadre d’actions, un cadre pour la création d’un meilleur système énergétique. A l’heure ac-tuelle, alors que l’Allemagne crée son nouveau gou-vernement, et que nous réglons quelques problèmes internes, la contrepartie d’une grande coalition en Allemagne pourrait être l’équivalent d’une grande coalition en France pour faire avancer les choses.

Je fais appel à vous pour mettre en place un groupe de travail au niveau gouvernemental, à Paris et à Ber-lin, pour explorer la faisabilité d’un éventuel aligne-ment entre la France et l’Allemagne.

Je parle-là de cette création d’un système de récom-pense de marchés, les discussions qu’il y a en France et en Allemagne ne sont pas si différentes. Certes, il y a des différences, la France a un problème moins régional que l’Allemagne, c’est vrai, mais je pense que nous pouvons trouver une solution commune si la France et l’Allemagne avancent ensemble, et

montrent qu’elles ont la volonté de lancer des ré-formes. Alors, je pense que les étapes suivantes en matière de renouvelables suivront.

J’espère, et je fais appel aux autorités françaises, et je fais appel à vous, interlocuteurs de l’industrie, pour lancer ce débat, lancer cette procédure de dis-cussions. Invitez votre gouvernement à parler avec le gouvernement allemand ! Comment lancer la ré-forme et comment mettre fin à ces problèmes éner-gétiques européens et comment lancer une réforme efficace pour que nous ayons un système plus écolo-gique, moins cher, plus compétitif ?

Comment faire en sorte que l’énergie soit disponible

aux foyers, aux entreprises, et éviter de délocaliser nos emplois ?

Comment créer une énergie meilleure ?

Je vous remercie et j’espère que cette conférence sera utile. Merci.

L’électricité au cœur de l’économie de demain

Pierre GATTAZPrésident du MEDEF

Mesdames et Messieurs, bonjour. Je commencerai par un constat implacable. Notre pays connaît de graves difficultés économiques alors que notre parte-naire allemand surperforme. Face à cela, nous pour-rions nous désespérer et baisser les bras, ou nous battre. Tel est le choix que nous avons opéré.

Nous avons récemment lancé un programme de ré-novation pour une France qui gagne à l’horizon 2020. Il s’agit d’expliquer ce que nous sommes capables d’accomplir et de nous projeter. Sans entreprise flo-rissante, sans entrepreneur motivé et reconnu, notre pays n’a plus d’avenir. Pour créer de l’emploi, il faut de la croissance. Pour connaître la croissance, il faut des entreprises compétitives. Pour que les entreprises se montrent compétitives, la France doit constituer un terreau efficace. Pour créer durablement de l’emploi, il faut rendre nos entreprises compétitives et faire en sorte qu’elles n’aient pas peur de créer de l’emploi. Dans ce débat, la question énergétique se révèle cen-trale. Les filières énergétiques représentent des vec-teurs de croissance, de compétitivité, d’innovation et de création d’emploi. L’électricité constitue le moteur énergétique de la révolution numérique. L’électricité développe en outre de nouvelles opportunités et le secteur électrique français compte aujourd’hui les leaders mondiaux. Il apparaît donc primordial d’ac-compagner cette industrie.

Le débat sur la transition énergétique s’est tenu du-rant un an et devrait se traduire par une loi dans les prochaines semaines. Pour le MEDEF, toute politique énergétique doit être posée à l’aune de trois objectifs : la compétitivité des entreprises électriques, la créa-tion de croissance pour les filières énergétiques et la lutte contre le changement climatique.

La compétitivité des entreprises électriques suppose une sécurité d’approvisionnement et une qualité

constante de l’énergie fournie. Pour certains sec-teurs, comme la chimie, le caoutchouc ou le plas-tique, l’énergie peut représenter jusqu’à 70 % de la valeur ajoutée. Au-delà du coût, aucune économie moderne ne peut accepter de rupture d’approvision-nement.

L’emploi et l’ambition économique doivent être pla-cés au cœur de la stratégie de notre pays. Le secteur de l’énergie en France compte des leaders mondiaux dans tous les domaines. Nous possédons l’une des fi-lières les mieux structurées et les plus performantes du monde. Il apparaîtrait gênant que le débat se tra-duise par un affaiblissement de notre secteur dans le monde. Toute annonce officielle contribuant à vé-hiculer un doute fort sur l’importance du nucléaire tend à limiter ses performances à l’exportation alors que les marchés internationaux présentent une im-portance capitale pour la filière. De la même façon, le signal envoyé par les pouvoirs publics français en matière de gaz de schiste se révèle très risqué pour un secteur performant. Donnons-nous au moins la possibilité de réfléchir. Si, dans les années 1960, nous avions écouté les opposants, nous n’aurions pas connu l’émergence de géants comme ELF Aquitaine.

La France se trouve déjà en pointe en matière de lutte contre le changement climatique. Elle reste l’une des moins émettrices de gaz à effet de serre puisqu’elle ne représente que 1 % des émissions mondiales. Il convient d’établir clairement les objectifs en matière de lutte contre le changement climatique tant les ob-jectifs actuels peuvent paraître contradictoires. La dé-marche de transition énergétique doit être pensée au niveau européen voire mondial. L’exemple allemand d’une annonce prématurée de sortie du nucléaire s’est avéré instructif. Notre pays doit éviter de repro-duire cette erreur. Nous n’en avons pas les moyens.

L’Europe fait face à une fragmentation du marché in-térieur de l’énergie qui engendre un risque en matière de sécurité d’approvisionnement. Neuf grands éner-géticiens se sont dernièrement inquiétés. L’Union européenne doit assurer une véritable coordination et replacer la compétitivité, la sécurité et la relance durable du marché du CO2 au cœur de ses priorités. Il nous faut penser notre stratégie au niveau euro-péen et une coopération avec l’Allemagne s’avère pri-mordiale. Notre future loi doit intégrer une transition énergétique pragmatique. Montrons-nous ambitieux tout en restant réalistes. Le MEDEF s’est toujours op-posé à l’objectif de division par deux des émissions de gaz à effet de serre car elle signerait l’arrêt de la croissance voire engendrerait la récession. L’annonce d’une réduction de 30 % de la consommation des hy-drocarbures paraît tout aussi dangereuse. Gardons en tête que les énergies fossiles continueront d’occu-per une part importante dans notre mix énergétique. Plusieurs mesures s’orientent dans la bonne direc-

tion mais nous devons nous assurer que les outils bénéficient de ces mesures. Privilégions les solutions les plus efficaces en fonction de la situation. La sélec-tion des filières doit répondre à différents critères, dont l’implication de plusieurs industries et le déve-loppement pérenne d’emplois qualifiés. La question du coût et du financement de cette transition reste également ouverte. Le Gouvernement a annoncé une conférence nationale. Le MEDEF entend y parti-ciper activement.

La transition énergétique peut constituer une chance formidable et une opportunité de croissance.

Le MEDEF et toutes les entreprises sont mobilisés. Le pragmatisme et la raison doivent l’emporter. J’es-père que nous pourrons nous appuyer sur ce débat important. Il en va de notre futur. Le MEDEF sera très attentif sur ce projet et nous tiendrons un discours de pédagogie mais aussi de vérité.

Table ronde

L’Europe de l’énergie à la croisée des chemins

Participent à la table ronde :

Dominique AUVERLOT, Chef du département Développement Durable, CGSP

Jean-Louis BAL, Président de SER

Michel CREMIEUX, Président d’ENEL France

Anne-Malorie GERON, Chef d’Unité Marchés, EURELECTRIC

Philippe TORRION, Directeur Optimisation Amont Aval et Trading, EDF

Wolfram VOGEL, Director Public Affairs & Communication, EPEXSPOT

Les débats sont animés par Arnaud FLEURY, Journaliste économique.

Les grands choix et les grandes étapes de la construction de l’Europe de l’énergie et du climat

Arnaud FLEURY : Une somme de contraintes additionnées, des choix cloison-nés voire des décisions irraisonnées, tels sont les éléments qui ont engendré la situation actuelle. Cette crise est-elle due à une conjoncture mal aisée ou à un market design inadéquat ?

Anne-Malorie GERON : Les crises s’avèrent multiples. La crise économique de 2008 a entraîné un ralentissement de la production et une baisse de la demande mais surtout une crise de l’intermittence dont nous n’avons pas suf-fisamment pris la mesure. L’arrivée des énergies renouvelables a changé fonda-mentalement la donne et nous n’avons pas pris en compte le fait que chaque KWh d’énergie renouvelable exigeait la création de capacités de réserve.

Arnaud FLEURY : Les objectifs du « 3x20 » semblaient positifs. Or, ils appa-raissent in fine difficilement conciliables.

Philippe TORRION : Le problème ne tient pas aux objectifs mais à la possibilité de les respecter dans une situation de crise. Nous ne nous sommes pas adaptés à la crise. Je ne connais pas d’autre exemple où, dans un marché en surcapa-cité, l’on continue d’injecter de nouvelles capacités en les subventionnant. Les énergies renouvelables continuent de se développer. Le système doit s’adapter. En cas de surcapacité de production, il faut arrêter d’investir dans la production de nouvelles capacités. Pour créer un choc, il conviendrait de stopper ces pro-ductions et d’augmenter le prix du CO2 à un niveau proche de celui du charbon.

Arnaud FLEURY : Quel est le point de vue de l’énergéticien italien sur l’Europe de l’énergie ?

Michel CREMIEUX : ENEL s’est joint au signal d’alarme de GDF Suez et nous sommes en parfait accord avec M. Teyssen. Ce dernier s’est montré très clair : il faut relancer le marché du CO2. MM. Montebourg et Gattaz sont restés en revanche plus prudents. Le MEDEF doit fixer une position claire sur le CO2. Il s’agit d’une condition essentielle pour remettre le système sur les rails.

Arnaud FLEURY : Le retour de la croissance ne pourrait-il pas remédier à la situation ?

Michel CREMIEUX : La situation actuelle résulte de trois facteurs : l’effondre-ment du marché du CO2, le développement des énergies renouvelables et la crise, qui a constitué un facteur aggravant. Nous devons réagir aujourd’hui plus vite qu’aux débuts de la crise.

Dominique AUVERLOT : Le constat se révèle a priori très simple. Le « Paquet Energie » demande une forte proportion d’énergies renouvelables dans notre mix énergétique alors que le gaz de schiste fait entrer sur le marché une grande quantité de charbon à très bas prix. Or, tous les Etats membres ne se trouvent pas forcément dans la même situation. Les acteurs eux-mêmes tiennent des positions différentes. Certains ne prennent pas en compte la nouvelle donne. Parmi les bons exemples, le régulateur anglais, pressentant les difficultés à ve-nir, s’est engagé à agir avec nous. Le problème provient aujourd’hui de l’Union européenne. Nous avons rencontré les représentants des trois DG. La Com-mission semble être à notre écoute mais estime qu’il n’est pas urgent d’agir et souligne que les Etats membres n’ont pas mené à son terme le marché euro-péen de l’électricité. Toute solution qui pourrait être envisagée devrait donc rester transitoire. Face à cela, il faut faire intervenir des économistes de diffé-rents pays, porter le rapport auprès de notre Premier ministre et de Bruxelles et espérer une réaction de l’Europe.

Anne-Malorie GERON, Chef d’Unité Marchés, EURELECTRIC

Michel CREMIEU, Président ENEL France

Arnaud FLEURY : Le marché a parfois affiché des prix négatifs alors que le consommateur paie toujours plus cher son électricité. Pouvez-vous nous don-ner votre sentiment en tant qu’opérateur sur un marché qui fonctionne ?

Wolfram VOGEL : Je tiens à féliciter l’UFE pour avoir parfaitement intégré la dimension européenne dans ce colloque. L’Europe de l’énergie se trouve à la croisée des chemins. La bourse de l’électricité constitue un succès pour obtenir un signal prix qui optimise toute la chaîne de valeur énergétique. Cette mission d’optimisation fonctionne bien. Nous représentons une plate-forme neutre et nous rendons transparente toute distorsion. Les prix négatifs ne constituent pas une anomalie du marché. Une augmentation de la production en Belgique ou en Allemagne affecte forcément les prix en France.

Arnaud FLEURY : S’agissant des énergies renouvelables, avons-nous agi trop fort et trop rapidement ?

Jean-Louis BAL : Tel n’a pas été le cas en France. Ne perdons pas de vue l’ob-jectif final de lutte contre les émissions de CO2. Inclure un objectif spécifique aux énergies renouvelables semblait plutôt logique dans ce cadre. Le marché électrique européen est aujourd’hui perturbé par trois éléments : la faiblesse de la demande, un charbon à faible coût et les énergies renouvelables. Or, ces dernières constituaient de loin le facteur le plus prévisible. Faut-il agir sur les énergies renouvelables alors qu’elles restent un moyen efficace pour réduire le niveau des émissions de CO2 ? J’ai vu que nous partagions le constat de la nécessité de relever le prix du CO2 pour lui donner un vrai prix. Nos politiques donnent-elles toutefois la priorité à la réduction des émissions de CO2 ? Ce ne sont certainement pas les 25 TWh produits en énergie renouvelable chaque année qui ont pu occasionner cet effet perturbateur.

Anne-Malorie GERON : Il faut reconnaître que les politiques n’ont pas été pensées en cohérence. La France s’est attachée à promouvoir les énergies renouvelables au niveau national, de manière non coordonnée, avec des systèmes de subvention rémunérant de manière trop importante le produc-teur et en oubliant la nécessité de produire des réserves. Le marché est en train de s’adapter à cette nouvelle donne mais la problématique de l’intermit-tence n’est toujours pas intégrée tant par la Commission européenne que par les Etats membres. La solution doit être européenne et non nationale. Une réflexion s’est ouverte sur la notion de capacité. La proposition de conduire une démarche commune entre la France et l’Allemagne constitue une avancée mais tout reste à faire sur l’intermittence.

Arnaud FLEURY : Les Allemands sont-ils prêts à vous suivre alors que le char-bon se révèle abondant et peu onéreux dans leur pays ?

Anne-Malorie GERON : Nous avons atteint les limites de ce que le consom-mateur peut payer. Il faut ouvrir à nouveau le débat dans une optique euro-péenne.

Philippe TORRION : Les prix négatifs ne sont pas dus aux énergies renouve-lables mais celles-ci viennent augmenter les périodes où des prix négatifs peuvent apparaître et causer un dysfonctionnement. Les énergies renouve-lables doivent être confrontées aux règles du marché. Le problème provient surtout des volumes. La crise économique constitue sans doute le facteur prépondérant de cette situation. Or, une crise économique exige de s’adapter. Mais ni la Commission européenne, ni les Etats membres n’ont su opérer cette adaptation.

Dominique AUVERLOT Chef du département Développement Durable, CGSP

Wolfram VOGEL Director Public Affairs & Communication, EPEXSPOT

Arnaud FLEURY : Certaines filières ont-elles trop profité d’un effet d’aubaine ?

Philippe TORRION : Le photovoltaïque reste la filière qui coûte le plus cher et qui rend le service le plus réduit. Nous devons traiter ce problème d’autant que les sommes investies sont engagées pour vingt ans. En France, nous devrions at-teindre 9 milliards d’euros d’investissements dans quelques années. Le couplage des marchés permet de faire en sorte que la dernière centrale mise en place se trouve en haut du merit order. Le tarif réglementé doit refléter les coûts mais ce n’est pas cela qui va changer la donne. Il faut traiter le problème principal.

Arnaud FLEURY : Partagez-vous ce point de vue ?

Michel CREMIEUX : Je pense que le développement de l’énergie renouvelable n’était pas prédictible. Personne ne pouvait prévoir que les coûts du photovol-taïque se réduiraient de 25 % en quelques années. Il en est de même sur l’éolien. Il reste des marges importantes de progrès sur ces filières et il faut poursuivre le soutien à la recherche et développement en matière d’énergies renouvelables, poursuivre la recherche sur le stockage qui compense la volatilité de ces énergies et mettre en place un marché de capacités pour que les centrales de back-up deviennent rentables.

Arnaud FLEURY : Vous lancez un cri d’alarme pour une filière aujourd’hui sinistrée.

Jean-Louis BAL : Je pense que ce développement s’avérait complètement prévi-sible. Le récent rapport de la Commission européenne affiche d’ailleurs des résul-tats parfaitement en ligne avec les prévisions. L’extraordinaire baisse des coûts des installations restait, en revanche, très difficile à anticiper. Comment relancer les énergies renouvelables en veillant à suivre les recommandations du Président de la République qui souhaite revisiter les mécanismes de soutien pour favoriser la création de champions industriels ? Nous disposons aujourd’hui d’industriels capables de réussir à l’exportation.

Arnaud FLEURY : Il ne faut donc pas sacrifier nos filières en France. Il reste donc de la place dans notre pays pour les énergies renouvelables quand le marché allemand est plutôt saturé.

Jean-Louis BAL : Cela ne doit pas nous empêcher de repenser les mécanismes de subvention des énergies renouvelables pour qu’ils deviennent plus conformes aux mécanismes de marché. Il existe plusieurs pistes. Nous devons nous atteler à définir la meilleure solution.

Arnaud FLEURY : Que faut-il faire face à ces prix négatifs ?

Wolfram VOGEL : Le market design actuel a été conçu voilà 10-15 ans. Il n’existe pas de solution miracle. Nous devons poursuivre le couplage de marché en favo-risant les capacités de transport aux interconnexions. Ceci exige une coopération entre les 13 gestionnaires de réseau, les 4 bourses européennes et tous les régu-lateurs nationaux. Ce projet, d’une très grande complexité, devrait s’achever dans quelques mois et couvrir 75 % du marché de l’électricité. Nous sommes engagés dans la bonne voie et d’autres pays, en Espagne ou en Europe de l’Est, devraient suivre en 2014. L’Allemagne devrait conduire une réforme des énergies renouve-lables. Si leur part atteint 35 % dans la production d’électricité, elles doivent être responsabilisées dans le signal prix. A défaut, cela ne servira à rien.

Arnaud FLEURY : Quelles solutions pourrions-nous développer au niveau européen ?

Dominique AUVERLOT : Nous manquons tout d’abord d’un outil de prévision de la situation à un ou deux ans. La Commission possède-t-elle des instruments de prévision traçant la réaction des acteurs en fonction de la base ? C’est sur ce sujet qu’il faut travailler en coordination avec l’ENTSO-E. Nous menons au CGSP

Philippe TORRION Directeur Optimisation Amont Aval et Trading, EDF

une réflexion sur l’Europe à l’horizon des dix prochaines années. Pour la pre-mière fois, l’Europe ne constitue plus un facteur d’espoir mais d’incertitude. L’incertitude politique a gagné le secteur de l’énergie. Il faut redéfinir un mar-ché de l’électricité qui fonctionne. Or, pour l’instant le message ne passe pas. Une deuxième solution consisterait à favoriser le couple franco-allemand qui convergerait sur un certain nombre de solutions. Enfin, une dernière solution résiderait dans le fait de laisser chaque Etat mettre en place des dispositifs qui s’harmonisent avec ceux de ses voisins. Parmi ces solutions, je privilégierai la première.

Arnaud FLEURY : Vous avez souvent souligné que l’Europe de l’énergie ne fonctionne pas notamment à cause de la fermeture du marché français.

Michel CREMIEUX : Une partie du marché de fourniture de l’électricité a été ouvert et les coûts ont depuis fortement baissé. La concurrence a donc engen-dré un effet positif sur le marché français. Sur les concessions hydrauliques, des hésitations demeurent. Au Royaume-Uni, EDF vient de remporter un énorme succès.

Arnaud FLEURY : Pensez-vous que ces éléments pèsent sur les difficultés de construction d’une Europe de l’énergie ?

Michel CREMIEUX : Oui. L’Europe constitue notre marché domestique mais la France reste à part.

Philippe TORRION : La concurrence peut s’avérer vraiment efficace en aval. Les prix doivent refléter les coûts. Si nous continuons de développer de nouvelles capacités, il faut en maîtriser les volumes en passant par des appels d’offres. Ceux-ci permettraient de cadrer les volumes en les orientant vers l’innova-tion pour préparer l’avenir et le moment où le parc de production devra être renouvelé.

Jean-Louis BAL : Nous sommes en phase : il faudra certainement faire évoluer les systèmes de soutien aux énergies renouvelables. Nous disposons toutefois d’un peu plus de temps en France qu’en Allemagne. Ces évolutions pourraient survenir dans 4 ou 5 ans. Faut-il passer par des appels d’offres ? Ils existent déjà dans les secteurs de l’éolien offshore ou du photovoltaïque. Nous sou-haitons que ces appels d’offres fassent l’objet d’une programmation sur plusieurs années afin de donner une visibilité aux industriels. Nous pourrions également envisager un appel d’offres dans l’éolien terrestre pour rattraper notre retard. La réflexion est en cours au sein de notre syndicat. Nous avons bien pris en compte le souhait du Président de la République de revisiter les énergies renouvelables.

Arnaud FLEURY : Ces évolutions peuvent représenter une opportunité pour la profession.

Anne-Malorie GERON : Le secteur traverse une crise sans précédent. La situa-tion capitalistique du secteur se révèle très préoccupante. Il ne faut toutefois pas verser dans un pessimisme excessif car des opportunités s’ouvrent à nous. Des décisions très claires doivent être prises par les pouvoirs publics nationaux et européens. Sans décision, l’industrie est vouée à un avenir très sombre. Les opportunités peuvent s’avérer importantes pour les industries qui sauront anticiper les changements de demain et s’adapter.

Jean-Louis BAL, Président de SER

Table ronde

Un modèle de marché de l’électricité innovant

Quels objectifs et quelles pistes pour une réforme du système électrique européen ?

Participent à la table ronde :

Pierre-Marie ABADIE, Directeur de la Direction de l’Energie, DGEC

Bruno BENSASSON, Directeur Energie France, GDF Suez

Pierre BORNARD, Vice-Président du Directoire de RTE, Membre du Conseil d’administration ENTSO-E

Christian BUCHEL, DGA – ERDF, DSO Ambassador, EURELECTRIC, Vice-Président EDSO4SG

Stephan KOHLER, Président Directeur Général DENA

Fabien ROQUES, Senior Vice-Président, COMPASS LEXECON

Les débats sont animés par Arnaud FLEURY, Journaliste économique.

Arnaud FLEURY : Des réflexions ont été engagées entre la DENA et l’UFE pour avancer sur des pistes communes et tenter de sortir de l’impasse. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Stephan KOHLER : Je pense que le problème que nous rencontrons en Alle-magne avec le développement des énergies renouvelables n’a pas encore été pleinement reconnu. Il se révèle beaucoup plus dramatique que nous le pensons. Le Gouvernement a fixé pour objectif une part d’énergies renou-velables de 35 % dans notre mix mais, avec la loi actuelle, nous devrions atteindre une part de 48 % d’ici 2020. C’est surtout l’organisation de ces éner-gies renouvelables qui pose problème. La loi actuelle veut que ces énergies se développent sans prendre en compte le marché. Quiconque veut installer une éolienne ou un panneau photovoltaïque bénéficie de la priorité dans l’injection et se trouve rémunéré durant 25 ans. Nous devons désormais orga-niser ces énergies renouvelables. Pour cela, nous avons besoin d’un système d’appel d’offres et les producteurs d’énergies renouvelables doivent veiller à la disponibilité des réseaux. Nous sommes en train de produire du photovol-taïque sans même pouvoir l’utiliser. Ce défi s’impose à nous, en Allemagne comme en France. En Europe, les investisseurs disposent d’une grande liberté d’action. Quiconque peut investir en Allemagne mais le système d’appel d’offres devra exiger l’intégration dans le marché. Nos énergies renouvelables se développent fortement mais les réseaux ne peuvent pas suivre. Nous devons agir en commun avec la France. Tel est l’objectif de la convention que nous avons signée avec l’UFE. Je ne suis pas pleinement d’accord sur le fait que nous disposions de surcapacités. Il se produit des moments, en hiver, où les capacités se révèlent insuffisantes. Nous avons besoin de mettre en place un marché de capacités en Europe et développer des réseaux intelligents.

Pierre-Marie ABADIE : Nous devons agir sur trois grands axes. Avant le marché de l’électricité, il faut commencer par travailler le marché du carbone. Sans cela, nous pourrions opérer des choix insoutenables. Si nous poussons ce marché, nous sortirons les productions les plus anciennes et les plus pol-luantes. Il nous faut adapter le design de marché à un besoin de puissance, en construisant un marché de capacités. Tous les pays connaissent des pro-blèmes de puissance. Nous plaidons donc pour une approche multilatérale. Au-delà de la réforme du marché, il faut également réformer les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables.

Arnaud FLEURY : CO2, marché de capacités et réforme du soutien aux éner-gies renouvelables, telles sont les bases du problème. Avons-nous dégagé des pistes intéressantes ?

Pierre BORNARD : Un modèle de marché s’appuie sur un système physique, qui respire à l’échelle de la seconde. Faire du commerce sur ce système se révèle ingérable. Nous le transformons pour qu’il devienne intelligible des commer-çants. Le système actuel a été fondé sur l’état du système électrique en l’an 2000, lorsqu’il s’avérait sur-capacitaire. Il existait alors peu d’énergies renou-velables et aucune subvention n’était versée. Aujourd’hui, il faut revenir au système physique tel qu’il a évolué pour reconstruire un modèle de marché.

Arnaud FLEURY : Le système à la française peut-il servir de modèle ?

Pierre BORNARD : Je le pense. Il est fondé sur des principes très simples. Une mécanique de base autour de la certification des capacités et de leur gestion me paraît transposable. On pense toujours à la capacité de production. Or nous nous trouvons face à un défi fondamental, nommé en France « effacement ». Le mécanisme de capacité mis en place en France permet cet effacement.

Pierre-Marie ABADIE, Directeur de la Direction de l’Energie, DGEC

Stephan KOHLER, Président Directeur Général DENA

Arnaud FLEURY : Ce marché peut-il être transposé ailleurs ?

Bruno BENSASSON : La création d’un marché de capacité constitue une néces-sité. Jusqu’à présent, rien dans l’organisation des marchés ne garantissait que les objectifs politiques de sécurité d’approvisionnement puissent se réaliser. Ce marché s’avère à la fois utile et nécessaire. Nous sommes en train de le construire. Il doit s’inscrire dans une perspective européenne et intégrer le fait que des congestions peuvent survenir aux points d’interconnexion.

Arnaud FLEURY : Trois experts ont été missionnés pour aborder les probléma-tiques et dégager des solutions. En quoi le marché de capacité peut-il appor-ter, sur le long terme, un signal prix intéressant ?

Fabien ROQUES : Dans ce rapport, nous avons choisi de revenir aux fonda-mentaux. Le produit électricité comporte deux dimensions importantes : la dimension géographique et la dimension temporelle. L’électricité que nous consommons aujourd’hui a pu être vendue voilà trois ans comme hier, à des conditions très différentes. Le marché de l’électricité représente une sé-quence de marché. C’est l’élément fondamental qui doit guider la refondation du modèle cible européen, celui défini par le passé se révélant aujourd’hui obsolète. La capacité constitue l’un des maillons de la chaîne mais il n’est pas le seul. Dans cette chaîne temporelle qui va du long terme au jour d’avant et au court terme, il manque des pièces. Nous avons très bien réussi la coordi-nation des bourses européennes sur le jour J-1 mais nous n’avons pas réussi à créer des signaux prix sur le long terme et le très court terme. Il faut désor-mais travailler sur ces deux volets.

Arnaud FLEURY : Quel serait l’apport de ce marché de capacité en France ?

Christian BUCHEL : Il existe plus de 3 000 distributeurs en Europe. Lorsque le marché s’est ouvert, l’Europe a cru qu’en mettant les distributeurs en concur-rence, le marché se régulerait. Personne n’a alors évoqué la logistique du réseau. Or, cette logistique n’a pas suivi, tant sur le réseau de transport que sur le réseau de distribution. Le marché de capacité pourrait constituer une solution à condition que nous investissions massivement dans les réseaux de distribution. En France, plus de quatre milliards d’euros sont investis chaque année dans les réseaux. Le marché de capacité doit aussi s’intéresser au réseau de distribution, qui évolue tout autant. Nous représentons également des acteurs de ce système. En France, sur 100 % des énergies renouvelables produites, seul un tiers remonte dans le réseau de transport. La fonction de distributeur évolue. Nous élevons notre voix en Europe pour souligner le rôle majeur de la distribution dans le fonctionnement du marché.

Arnaud FLEURY : Entre 100 à 110 milliards d’euros pourraient être investis d’ici 2030.

Christian BUCHEL : Nous n’en sommes sans doute pas loin.

Arnaud FLEURY : Notre modèle peut-il trouver un écho chez les Allemands ?

Pierre-Marie ABADIE : Un débat intense s’est noué en Allemagne. Nous dispo-sons du modèle le plus compatible avec le système européen et le plus trans-posable pour traiter les problèmes suivant la nature spécifique de chaque région. Nous devons néanmoins améliorer notre compréhension collective du risque d’approvisionnement et faire comprendre à tous que le système pro-posé par la France ne vise pas à sauver les centrales à gaz mais à fournir de la puissance.

Bruno BENSASSON, Directeur Energie France, GDF Suez

Fabien ROQUES, Senior Vice-Président, COMPASS LEXECON

Arnaud FLEURY : Le modèle français pourrait-il bénéficier à l’Allemagne ?

Stephan KOHLER : Je pense que les marchés de capacité prévus en France se trouvent également à la base de nos réflexions en Allemagne. Ce marché doit être ouvert du point de vue technologique. Il ne doit pas uniquement miser sur la production mais intégrer la demande et les technologies de stockage. Enfin, ce marché doit s’avérer européen dans son accès. C’est là peut-être que réside notre différence avec la France, où le marché de capacité reste très fortement orienté vers le niveau national.

Arnaud FLEURY : Comment éviter que les énergies renouvelables entraînent une congestion ?

Bruno BENSASSON : Nous étudions la possibilité de postuler avec nos cen-trales à gaz françaises en Allemagne. Il ne s’agit pas de sauver coûte que coûte les CCGT mais d’en souligner les mérites. La France doit faire face à un sujet de pointe. Il apparaît nécessaire de ne pas accentuer ce problème. GDF Suez constitue l’un des premiers acteurs des énergies renouvelables en France. Nous estimons que le système doit évoluer. Nous devons d’abord considérer que c’est un sujet de long terme sur les quantités voulues, déterminer s’il convient de lancer des appels d’offres ou mettre en place un guichet unique et s’il faut exposer les énergies renouvelables au prix de marché. Les mêmes outils peuvent être vus comme un accélérateur ou un frein des énergies renou-velables. La question des quantités se révèle extrêmement politique. Elle doit être examinée de manière différente suivant les pays. Certains ont déjà atteint ou dépassé l’objectif des « 3x20 ». Pour les autres, cet objectif s’impose tou-jours. Les appels d’offres présentent certains mérites mais ont également un coût. Ils doivent donc s’appliquer à certaines technologies mais pas de manière unique. Le prix de marché permet de corriger quelques aberrations. Il permet sans doute aussi de mieux programmer les actions de maintenance. Tant que nous poursuivons des objectifs de quantité, nous restons sur une apparence de prix de marché. Si nous exposons les énergies renouvelables à un prix de marché en conservant les primes, le prix pour la collectivité augmentera.

Pierre BORNARD : La question des volumes se révèle éminemment politique. Nous devons nous accommoder des décisions et les mettre en œuvre. Je tiens toutefois à corriger quelques idées reçues. La situation très grave de l’indus-trie me semble dramatisée.

Arnaud FLEURY : L’étude de Cap Gemini ne se montre pas très optimiste.

Pierre BORNARD : Un blackout peut se produire à tout moment. Nous parlons ici non pas de blackout mais de rationnement. Les distributeurs font tourner la pénurie. Ne cédons pas à la panique. La variabilité des énergies renouve-lables s’avère en outre bien plus faible que l’aléa de température en hiver.

Arnaud FLEURY : Quelle solution rationnelle permettrait de réformer les éner-gies renouvelables ?

Fabien ROQUES : Tous ces sujets présentent le point commun de nécessiter une approche dynamique. Le problème que nous devons gérer aujourd’hui n’est pas forcément celui que nous devrons gérer dans dix ans. Si nous nous inscrivons dans une perspective dynamique, nos problèmes vont converger d’ici dix ans. Trouver des solutions communes paraît donc important. Pour gérer la transition, les énergies renouvelables doivent être exposées au risque de prix dans les marchés. La décision d’investissement dans les énergies re-nouvelables doit également devenir concurrentielle. Mais, dans une perspec-tive dynamique, les énergies renouvelables ne posent-elles pas un problème

Pierre BORNARD, Vice-Président du Directoire, RTE, Membre du Conseil d’administration ENTSO-E

plus important ? Nos marchés électriques sont fondés sur les coûts variables. Quand, en 2025, les énergies variables domineront, nous atteindrons néces-sairement les limites de ce système. Parmi les solutions que nous explorons, nous pensons qu’il faut faire en sorte que les produits de court terme conver-gent pour une construction de long terme.

Arnaud FLEURY : Quelles sont les pistes d’ERDF en la matière ?

Christian BUCHEL : Nous sommes convaincus qu’en développant les techno-logies nouvelles et en nouant une coopération plus forte des régulateurs en Europe, nous pourrions mieux intégrer les énergies renouvelables et rappro-cher la production des énergies renouvelables des lieux de consommation. Des pays ont développé des dispositifs qui s’assurent que le système de régu-lation oblige les auto-producteurs à contribuer à l’ensemble du système. La flexibilité sur le réseau basse tension contribuera très significativement dans l’avenir.

Arnaud FLEURY : La DGEC lance une consultation sur les énergies renouve-lables. Que pouvons-nous en attendre ?

Pierre-Marie ABADIE : La transition va prendre du temps. Il faut commencer à réfléchir dès aujourd’hui. Quatre pistes peuvent être explorées. Nous allons lancer une consultation sur le diagnostic et les grands outils. Il faut par ail-leurs poursuivre la réflexion sur l’intégration dans les réseaux. Nous devons également réfléchir au défi de l’autoconsommation et au développement du photovoltaïque dans ce cadre. Ceci posera le problème du dimensionnement du réseau. Nous allons envoyer un document à l’ensemble des acteurs du secteur afin qu’ils réagissent. Pour l’autoconsommation, nous organiserons plutôt une concertation pour nous assurer de traiter toutes les questions.

Arnaud FLEURY : En Allemagne, quelle décision pourrait s’imposer sur les énergies renouvelables ?

Stephan KOHLER : En Allemagne, nous discutons beaucoup de l’évolution ulté-rieure du marché du CO2. Celui-ci ne permet pas aujourd’hui de résoudre les problèmes auxquels nous devons faire face. Le prix du CO2 devrait atteindre 35 euros pour assurer la rentabilité du système. Nous devons nous fixer des objectifs très précis pour le CO2 d’ici 2030, en discutant notamment avec la Pologne, qui soutient pour l’instant une position très différente.

Arnaud FLEURY : Faut-il fixer un prix plancher du CO2 pour éviter que la situa-tion actuelle ne se reproduise ?

Bruno BENSASSON : La régulation peut s’opérer par les prix ou par les quan-tités. En matière de CO2, nous avons fixé des quantités, en espérant que le marché donnerait les bons signaux. Or tel n’a pas été le cas. Lorsque vous fixez des quantités, vous pouvez vous tromper. Nous pourrions lancer des appels d’offres, développant une concurrence non plus par le marché mais pour le marché. Le Brésil fonctionne ainsi. En matière de CO2, nous sommes encore loin du compte. Nous pouvons articuler les deux outils avec un corri-dor à l’intérieur duquel le prix du CO2 pourrait varier. Il s’agit toutefois d’une question éminemment politique. Les trois objectifs de la politique énergé-tique se révèlent tous légitimes mais il est faux de penser qu’ils s’orientent toujours dans le même sens. Une valeur de 35 euros ne me choquerait pas.

Pierre BORNARD : Les différentes temporalités de ce système électrique sont souvent oubliées. Lorsque de tels dispositifs sont conçus, leurs principes fon-damentaux doivent s’inscrire dans le long terme mais leur mise en œuvre doit rester flexible, pour éviter d’aboutir à une impasse.

Christian BUCHEL, DGA – ERDF, DSO Ambassador, EURELECTRIC, Vice-Président EDSO4SG

Arnaud FLEURY : Un prix pourrait-il faire consensus ?

Fabien ROQUES : Si nous souhaitons rétablir un signal prix, nous avons tout intérêt à fixer un prix du CO2 élevé. Cette réforme présente également un caractère critique en raison des erreurs commises sur le marché du CO2, qui cristallisent toute notre politique. Le problème fondamental résulte encore du manque de cohérence. Si nous réussissons, nous pourrons estimer que l’Europe s’engage dans la bonne voie.

Christian BUCHEL : ERDF et les distributeurs s’attachent à rendre possible de nouveaux marchés qui permettent aux consommateurs de consommer moins.

Arnaud FLEURY : Nous avons noté une certaine convergence mais il reste une question politique.

Stephan KOHLER : La politique énergétique constitue un enjeu mais je pense que les points de vue que nous avons évoqués ici concordent pour une large part. Nous devons, en Allemagne, dépasser la dimension idéologique et reve-nir aux bases. Le défi qui se pose à nous consiste à inscrire le développement des énergies renouvelables dans le marché et structurer ce développement de telle façon que nous disposions d’un système intelligent reposant sur une optimisation globale et non partielle. Nous conduisons aujourd’hui différents programmes que nous devons intégrer.

Intervention

Henri PROGLIO Président d’EDF Vice-Président d’EURELECTRIC

Arnaud FLEURY : Partagez-vous le constat d’impasse ?

Je n’aime pas le terme d’impasse car le seul moyen d’en sortir consiste à faire marche arrière.

Arnaud FLEURY : Que préconiseriez-vous ? Quelles seraient les actions prioritaires pour sortir ce secteur de la déprime ?

Il n’existe pas d’Europe de l’énergie. L’ Allemagne conduit sa politique, la France conduit sa politique, chaque Etat agit suivant ses propres intérêts, pour son propre compte. Parler d’Europe de l’énergie au-jourd’hui constitue un défi inouï. Il faudrait d’abord tenter de faire converger les politiques. Par ailleurs, les subventions distribuées de manière inconsidé-rée ont détruit la logique de marché. Aucun inves-tissement n’est désormais possible dans cet univers puisqu’aucun ne s’avère rentable. Or, de nombreuses installations physiques arrivent en fin de vie. Au Royaume-Uni, les installations se révélaient an-ciennes et les prolongations arrivaient à leur terme. Le pays devait trouver des moyens pour rentabiliser des installations que le marché ne parvenait pas à rentabiliser. Chaque pays, pris individuellement, peut trouver des solutions. Il faut s’attacher à les faire converger.

Arnaud FLEURY : Nous nous trouvions, lors du pré-cédent colloque, au début de la transition énergé-tique. Ce débat a été clôturé par le Président de la République. Pensez-vous avoir été entendus ? Quel est votre avis sur le point de sortie envisagé par les pouvoirs publics ? Pensez-vous que la loi reprendra une grande partie de ce débat ?

Cela n’est pas certain. La plupart des éléments du débat continuent de soulever des discussions. La démographie demeure la seule certitude et marque la différence de la France à l’égard des autres pays d’Europe. La France reste le seul pays européen dont

la population continue de croître. Elle comptera ainsi 6 millions de personnes supplémentaires en 2020. La part d’électricité par foyer va donc augmenter mal-gré les économies d’énergie qu’il conviendra de réa-liser. Les particuliers consommeront plus d’électricité en 2020. Pour les industries, la consommation est liée à la croissance et au PIB. Je suis de ceux qui pen-sent que nous n’avons pas de raison de désespérer. Même si nous conservons 50 % d’énergie nucléaire et si la part de l’hydraulique passe de 10 à 12 %, il nous manque encore 40 % à trouver. Nous pouvons aisément nous interroger sur les énergies à dévelop-per. Toutes les nouvelles énergies devront s’avérer plus locales et plus réparties sur le territoire. Cette nouvelle donne exigera de faire évoluer le système, en assurant sa compétitivité constante pour garan-tir le niveau de vie et la compétitivité industrielle de notre territoire.

Arnaud FLEURY : Quels sont les objectifs d’EDF dans ce cadre ?

Les objectifs pour EDF se révèlent nombreux. En France, nous devons adapter nos systèmes de pro-duction et de distribution. Nous devons également faire face à des enjeux technologiques puisqu’il faut faire vivre les installations sur le long terme. Enfin, nous devons gérer des enjeux industriels, liés aux in-vestissements considérables nécessaires pour notre évolution.

Arnaud FLEURY : Qu’en est-il de l’EPR ?

L’EPR de Flamanville est en cours de construction. Nous tiendrons le budget et les délais. Le reste relève de l’international. Pour maintenir les 50 % de produc-tion nucléaire, l’avenir de notre parc nucléaire passe aussi par la refondation de notre parc mais ce n’est pas pour demain.

Panorama des transitions énergétiques engagées en Europe

Emmanuel AUTIERAssocié en charge du secteur Energie et UtilitiesBearing Point

Robert DURDILLYPrésident UFE

Robert DURDILLY : Nous avons largement évoqué les difficultés auxquelles était confrontée la politique eu-ropéenne. Différents pays européens ont engagé des réflexions sur leur transition énergétique. Il nous est donc apparu intéressant, alors que la France s’engage dans cette démarche, d’examiner les cas étrangers.

Emmanuel AUTIER : En Allemagne, la transition éner-gétique se révèle quelque peu paradoxale. L’Alle-magne s’est résolument engagée dans une réforme de son mix énergétique. Des objectifs particulière-ment ambitieux ont été fixés. La décision de sortir totalement du nucléaire a été présentée comme un acte formel mais toute médaille a son revers. Tous les experts s’accordent à penser qu’un tel boule-versement se heurte à des défis technologiques et financiers importants. Cette évolution exigera la mo-bilisation de moyens financiers colossaux. La sortie du nucléaire et le développement des énergies re-nouvelables exige des investissements forts dans des énergies carbonées. La production d’énergie fossile a augmenté de 15 TWh. L’économie allemande est ainsi devenue l’une des plus carbonées. Le charbon tend à représenter la première énergie consommée au monde, comme l’a souligné le rapport du GIEC. Si les tarifs des grandes entreprises restent pour l’ins-tant stables car conventionnées, le prix supporté par les ménages suit une courbe largement ascendante.

Arnaud FLEURY : Retrouvons-nous ces paradoxes dans d’autres pays ?

Emmanuel AUTIER : L’Allemagne ne possède pas le monopole du paradoxe. Le Danemark présente l’une des électricités les plus carbonées d’Europe, du fait de la place prépondérante du charbon pour pallier l’intermittence et la variabilité des énergies renou-velables. Le paysage danois est également marqué par sa forte dépendance vis-à-vis de ses voisins. Cet exemple démontre l’impossibilité de penser la tran-sition énergétique isolément dans un contexte très interconnecté.

Arnaud FLEURY : L’Espagne n’illustre-t-elle pas un exemple plus réussi, avec un impact maîtrisé sur les prix de l’énergie ?

Emmanuel AUTIER : L’Espagne constitue un cas à part. Elle a suivi a priori un chemin semblable à l’Alle-magne. Le Gouvernement a néanmoins pris des déci-sions importantes, en soutenant le développement des énergies renouvelables sans autoriser les four-nisseurs à répercuter les hausses de prix nécessaires, entraînant une titrisation massive des écarts entre les coûts réels et les tarifs autorisés par l’Etat. La crise a fait voler en éclats toutes les illusions créées

par ce modèle. Le pays et ses opérateurs électriques font aujourd’hui face à une situation extrêmement critique et les tarifs ont subi une hausse notable pour dépasser désormais largement la moyenne euro-péenne. Il paraît illusoire de vouloir traiter la transi-tion énergétique sans prendre en compte la réalité économique.

Le Royaume-Uni affiche, quant à lui, une transition énergétique atypique. Le Gouvernement britannique a clairement affiché sa volonté de soutenir toutes les productions d’énergie décarbonées sans parti pris vis-à-vis du nucléaire. Le mécanisme du « contract for difference » garantit un revenu prévisible tout en laissant jouer les principes du marché. La loi prévoit également un marché de capacité fonctionnant sur la base de productions centralisées. Dans la tendance européenne de sortie du nucléaire, le Royaume-Uni a souvent réaffirmé sa volonté de maintenir celui-ci dans son mix énergétique. Les deux nouveaux réac-teurs permettront à eux seuls de garantir 7 % de la production d’électricité du pays. Le Royaume-Uni a ainsi pu réaliser une belle performance dans sa lutte contre les émissions des gaz à effet de serre et cette évolution ne s’est pas opérée au détriment du prix, qui demeure inférieur à la moyenne européenne.

Robert DURDILLY : Les différences entre ces pays s’avèrent frappantes. Or, les choix d’un pays pro-duisent nécessairement des effets au-delà du terri-toire national. Il ne faut pas se tromper dans le débat et imaginer que la transition énergétique se résu-merait à une opposition entre nucléaire et énergies renouvelables. La lutte contre le CO2 demeure le pre-mier objectif et l’urgence climatique doit être mise en avant. La France importe beaucoup de pétrole, cause de 61 % de ses émissions. Il faut, par ailleurs, essayer d’évaluer en amont les conséquences des décisions envisagées. Nous ne pouvons dé-corréler les politiques conduites des réalités économiques et des données industrielles. Il convient également de renforcer la coopération entre les Etats et les acteurs du système et de conduire une approche systémique car chaque composante influe sur la performance énergétique d’un pays. Enfin, il faut faire preuve de beaucoup de bonne volonté face à ces évolutions, en réalisant un pilotage pragmatique qui tienne compte des réalités économiques et des opportunités qui se présentent.

Table ronde

Demande d’énergie, d’électricité et efficacité énergétique

Evolution de la demande d’énergie en volume et en structure Facteurs clés

Participent à la table ronde :

Fabien CHONE, Directeur Général Délégué, DIRECT ENERGIE

Pierre DUCRET, Président Directeur Général, CDC Climat

Benjamin GALLEZOT, Adjoint au Directeur Général de la compétitivité, de l’industrie et des services, DGCIS

Loïc HEUZE, Trésorier IGNES, Directeur des Relations extérieures DELTA DORE

Bruno LECHEVIN, Président ADEME

Les débats sont animés par Arnaud FLEURY, Journaliste économique.

Arnaud FLEURY : L’UFE, dans sa dernière étude, a traité de manière approfon-die la demande d’énergie à travers trois facteurs importants : la demande de la population, les transferts d’usages et la poursuite de la demande en termes de nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’UFE conclut que la demande va augmenter de manière continue. Comment, en ce cas, parvenir à diviser par deux la consommation d’énergie ?

Bruno LECHEVIN : Dans le cadre du débat sur la transition énergétique, l’ADEME a travaillé sur des scénarios de prospective énergétique aux horizons 2030, 2040 et 2050. Ces scénarios permettent d’identifier une voie derrière le facteur 4. Nous savons que des aléas vont se produire d’ici là et que la situa-tion ne sera pas forcément celle que les scénarios prévoient. Il reste possible d’atteindre ce facteur 4 en diminuant par deux notre consommation d’énergie et en développant massivement les énergies renouvelables, pour atteindre jusqu’à 55 % du mix en 2030, en faisant de l’efficacité énergétique une priorité absolue.

Arnaud FLEURY : Ce cadre a été repris par le Président de la République lors de la conférence environnementale.

Bruno LECHEVIN : Le débat est ouvert mais un cap a été fixé par le Président. Il convient de ne pas l’oublier.

Arnaud FLEURY : L’UFE a prévu une augmentation croissante de la demande, qui devrait s’opérer au profit de l’électricité.

Bruno LECHEVIN : La plupart des acteurs envisagent une augmentation de la part de l’électricité dans l’énergie pour des usages performants (pompes à chaleur, promotion du ferroviaire, véhicules électriques) mais nous envi-sageons une baisse des volumes en valeur absolue du fait de la division par deux de la consommation d’énergie globale. La croissance de la consom-mation d’énergie ne constitue pas un phénomène inéluctable dans une démarche de croissance durable. Il faut se projeter dans une société qui apprend à mieux consommer.

Arnaud FLEURY : Comment la DGCIS interprète-t-elle ces scénarios ?

Benjamin GALLEZOT : Dans l’examen de la demande, il convient de ne pas se focaliser sur la France. La demande adressée à la production française concer-nera à la fois les besoins domestiques et les besoins d’exportation. Nous devons promouvoir l’efficacité énergétique. Cela ne signifie pas pour autant que nous devons réduire notre production. Des solutions techniques existent dès aujourd’hui en matière d’efficacité énergétique. Il s’agit de les diffuser et les combiner dans un système électrique. Elles s’avèrent nombreuses et s’adressent à la construction comme à la gestion de la consommation. Dans les 34 plans industriels figurent deux plans spécifiques sur les réseaux intelli-gents et l’efficacité énergétique mais également des plans connexes, notam-ment sur le Big Data. Or, nous disposons de champions mondiaux dans tous ces domaines. Nous possédons donc tous les moyens pour montrer l’exemple et projeter ces technologies à l’exportation. Nos homologues évoluent très vite mais nous bénéficions d’atouts très importants. Il ne faut pas non plus ou-blier les industriels consommateurs qui doivent gérer une problématique de concurrence dans le cadre de la transition énergétique. Si l’on n’y prend pas garde, nous risquons de subir une triple peine. Il est dans l’intérêt du système électrique de conserver ces industries.

Bruno LECHEVIN, Président ADEME

Arnaud FLEURY : La consommation des foyers explose avec les nouvelles tech-nologies de l’information et de la communication.

Fabien CHONE : Le débat sur le Facteur 4 ne me satisfait pas. Définir un objec-tif chiffré à un certain horizon revient à se fermer des opportunités. Il existe des bonnes et des mauvaises consommations d’électricité. Il faut s’efforcer de développer les transferts d’usages. Nous savons que les énergies renouve-lables vont se développer. Nous devons donc passer d’une logique où l’offre s’adapte à la demande à la logique inverse où la demande s’adapte à l’offre. Les chauffe-eau, les véhicules électriques présentent l’avantage de s’adapter, grâce aux nouvelles technologies. Nous devons pouvoir développer une effi-cacité énergétique active.

Arnaud FLEURY : Quel est votre point de vue sur les certificats d’économie d’énergie ? Que faire concrètement pour améliorer l’efficacité énergétique passive ?

Fabien CHONE : Le rapport de la Cour des comptes reste quand même mitigé. Il note en effet que personne n’a encore pu démontrer la pertinence de ces certificats. Ce dispositif se révèle très efficace dans les entreprises mais il n’agit pas dans le secteur des particuliers. En tant que fournisseurs, nous avons la responsabilité de promouvoir l’efficacité énergétique. Nous fixer des obligations et faire porter sur nous les investissements ne constitue sans doute pas la démarche la plus efficace. La France doit déterminer, d’ici le mois de décembre, comment transposer la directive européenne «efficacité éner-gétique». Elle doit choisir entre 2 options : - réaliser ses engagement seulement à travers un système d’obligations repo-sant uniquement sur les distributeurs et/ou les fournisseurs d’énergie (article 7.1 de la directive) c’est-à-dire au travers du dispositif actuel des certificats d’économies d’énergie - combiner ce mécanisme avec d’autres mesures de politiques publiques (article 7.9 de la directive) comme les normes, la fiscalité , les labels, le tiers finance-ment de la CDC….

Nous souhaitons que le pays s’oriente vers cette seconde option.

Arnaud FLEURY : Le Président de la République a abaissé le taux de TVA à 5,5 % pour les travaux. Vous proposez, en parallèle, la création d’un Fonds national de garantie pour régler les problèmes de financement de la rénovation.

Pierre DUCRET : Nous devions répondre à une question simple : comment financer 7,5 milliards d’euros d’investissements par an dans le logement privé ? Nous avons formulé des réponses très classiques. Il n’existe pas de miracle. Les économies d’énergie ne peuvent compenser qu’une partie des investissements. Il faut tenir compte des revenus des ménages et réintroduire les banques au cœur du crédit. Les finances publiques doivent également être préservées de l’accroissement du rythme des dépenses. Réservons ces dépenses à ceux pour qui elles s’avèrent absolument nécessaires. Offrir des prêts aux classes moyennes constituerait une solution satisfaisante. Nous proposons un fonds de garantie afin que des prêts sans bonification soient accordés. Ce système de garantie pourrait être alimenté à l’intérieur de la contrainte qui s’impose aux distributeurs d’énergie au titre de la directive européenne. Cette solution paraît réalisable, surtout si la transposition choisie laisse plus de libertés dans les dispositifs mis en place.

Loïc HEUZE : Il n’est pas question d’opposer efficacité passive et active. Il faut mêler les deux. Une maison ne doit pas être laissée à la dérive. Ne réaliser qu’une gestion passive produit un effet rebond. Le pilotage s’avère indispensable.

Pierre DUCRET, Président Directeur Général CDC Climat

Benjamin GALLEZOT Adjoint au Directeur Géné-ral de la compétitivité, de l’industrie et des services DGCIS

Arnaud FLEURY : Comment pouvons-nous améliorer la gestion active ?

Loïc HEUZE : Les solutions existent. Elles sont sur le marché depuis longtemps. Elles ont évolué grâce aux nouvelles technologies mais n’entraînent aucune révolution. IGNES dispose déjà de solutions toutes prêtes. Les installateurs de proximité ont pour rôle d’aider les clients. La question du devis reste néan-moins un problème et l’inquiétude pousse à l’inaction.

Arnaud FLEURY : Linky apportera-t-il une réelle amélioration ?

Bruno LECHEVIN : Le temps du consommateur passif qui n’a pas le temps et paie les factures sans se poser de question est fini. Le consommateur bénéfi-ciera désormais d’une plus grande liberté dans ses choix et ses usages. Linky se révèle fondamental pour le développement des smart grids. Je m’étonne toutefois que la logique n’ait pas été poussée à son terme, en rendant le compteur totalement communiquant. Les conclusions du groupe de travail étaient fondées sur la nécessité d’offrir au consommateur une information en temps réel. Je ne comprends pas que cela n’ait pas été effectué, d’autant que l’espace est prévu et que cette mesure a suscité un consensus.

Arnaud FLEURY : Que faut-il faire ?

Benjamin GALLEZOT : Il faut segmenter les sujets de l’efficacité énergétique. Chez les particuliers, ces sujets font appel à des millions de décisions indi-viduelles. Dans les filières, nous devons relever un défi de massification des procédés d’efficacité énergétique, avec des enjeux de formation et des enjeux systémiques majeurs et très compliqués à mettre en œuvre. Dans le milieu industriel, une incitation pourrait sans doute favoriser le développement de l’efficacité énergétique.

Arnaud FLEURY : L’industrie française a-t-elle compris les enjeux ?

Benjamin GALLEZOT : Les acteurs doivent dialoguer entre eux pour proposer des offres. Un effort doit être consenti pour la diffusion des techniques.

Arnaud FLEURY : Le consommateur est-il prêt ? Votre système propose-t-il le micro-effacement chez les consommateurs ?

Fabien CHONE : Tout le monde s’accorde à dire que les solutions technolo-giques existent mais qu’elles ne se développent pas. Transformer le consom-mateur en « consomm-acteur » ne s’invente pas. Le fournisseur représente le maillon entre le client qui souhaite de la simplicité et un système de plus en plus complexe. Or, Direct Energie ne dispose toujours pas de l’espace écono-mique pour proposer de nouvelles offres et investir dans l’innovation. Nous nous trouvons dans un ciseau tarifaire. Sur le marché de masse, nous bénéfi-cierons, à partir d’août 2014, d’un marché totalement ouvert. C’est la raison pour laquelle nous travaillons sur « Modelec », un projet lancé dans le cadre d’un appel à projets de l’ADEME, et nous souhaitons transformer à terme ce prototype en nouvelle offre.

Arnaud FLEURY : Doit-on définir une obligation de travaux ? Que proposeriez-vous en rénovation active et passive ?

Pierre DUCRET : Si notre objectif consiste à accélérer la rénovation thermique à un rythme de 500 000 logements par an, nous ne pouvons faire l’économie d’un « signal norme ». Nous devons toutefois trouver la façon la plus habile et la moins coercitive d’envoyer ce signal, en faisant comprendre aux proprié-taires que la valeur de leur bien dépendra de la conformité de celui-ci avec des normes de performance thermique. Il s’agit de modifier les comporte-ments d’investissement pour les orienter vers la transition énergétique. Je

Loïc HEUZE, Trésorier IGNES, Directeur des Relations extérieures, DELTA DORE

Fabien CHONE, Directeur Général Délégué, DIRECT ENERGIE

pense qu’une bonne partie des évolutions liées à la transition énergétique vont se jouer dans les territoires. La Caisse des Dépôts et Consignations a pour rôle d’accompagner les territoires. Les questions sur les énergies renou-velables vont affluer. Nous sommes prêts à nous engager dans ces expérimen-tations avec audace.

Arnaud FLEURY : Ne nous engageons-nous pas dans une démarche de dé-croissance ?

Bruno LECHEVIN : Non. L’ADEME n’est pas un chantre de la décroissance. Nos scénarios envisagent des pertes d’emploi mais en promeuvent de nouveaux, dans d’autres secteurs. Le plan de rénovation inscrit la transition énergétique dans l’immédiat. Je suis plus favorable à l’idée de stimulation massive que d’obligation. Si nous réussissons cette opération, nous enregistrerons des gains économiques et ferons adhérer les Français. Un dispositif sans précé-dent a été mis en place, déclinant sur le terrain l’orientation politique. Nous gagnerons cette bataille si tous les acteurs sont alignés.

Loïc HEUZE : Nous avons reçu de bonnes et de mauvaises nouvelles. La disparition du CIDD de la loi de finances constitue une mauvaise nouvelle. DELTA DORE a été choisi avec Point P pour prendre part à une filière, mais la campagne actuelle aborde encore davantage le passif que l’actif. Nous devons veiller à mieux communiquer car les solutions actives présentent en général un faible coût.

La Cour des comptes a publié son rapport à la fin du mois de juillet. La Cour a souhaité inscrire à son pro-gramme de contrôle la politique de développement des énergies renouvelables mais elle n’a pas à se pro-noncer sur les objectifs de cette politique ni même sur les moyens que la France s’est donnés pour les atteindre. Il entre en revanche dans sa mission de donner une information aux citoyens et un avis sur le bilan de cette politique, d’éclairer les choix à venir et les moyens engagés pour tenir ces objectifs. Nous ne constituons pas un acteur de la transition énergé-tique mais pouvons éclairer le débat. Nous pouvons par ailleurs dégager des pistes d’économies et formu-ler quelques recommandations.

Nous avons employé la même logique sur les coûts de la filière électronucléaire. Nous nous sommes entou-rés d’un comité d’appui, avons consulté l’ensemble des acteurs et nous sommes appuyés sur une dizaine de travaux de nos rapporteurs. Cet exercice a exigé entre 800 et 1 000 jours de travail. Nous n’avons tou-tefois pas abordé le sujet des biocarburants, déjà évoqué en janvier 2012.

La Cour a, dans son rapport, formulé quatre mes-sages :

- La France se situe aujourd’hui dans la moyenne des Etats européens pour la part des énergies renouve-lables dans sa consommation d’énergie ;

- En 2008, la France s’est fixée des objectifs particu-lièrement ambitieux ;

- Le coût de l’énergie devrait se révéler de plus en plus important pour le consommateur et nous de-vons redoubler d’efforts pour le contenir ;

- L’action pour lever les obstacles non financiers s’avère tout aussi importante que les efforts financiers.

La France, avec 13,1 % d’énergies renouvelables dans son mix énergétique se situe dans la moyenne des Etats européens. Elle figure parmi les pays les moins émetteurs de carbone et son prix d’électricité s’avère sensiblement inférieur aux autres Etats euro-péens. La Cour souligne que la situation favorable de la France reflète des développements très anciens. Partant d’une bonne base, la France a enregistré des résultats tout à fait appréciables jusqu’en 2011. Ce-pendant, les objectifs n’ont pas été entièrement at-teints et ses efforts peuvent apparaître relativement modestes en comparaison d’autres pays européens, en particulier l’Allemagne. La France fait partie des quatre Etats qui devront accomplir les efforts les plus importants d’ici 2020. Le supplément de production représentera six à sept fois la production réalisée entre 2010 et 2011.

L’atteinte de ces objectifs présente un coût significa-tif qui mériterait d’être relevé. Les nouvelles installa-tions d’EPR devraient afficher un prix de 80-90 euros le MWh. Certaines filières renouvelables se trouvent déjà dans la moyenne du marché. Les parcs éoliens en mer, en revanche, apparaissent encore onéreux et le coût de l’électricité solaire, qui varie entre 100 et 700 euros le MWh, reste problématique. Il apparaît néanmoins difficile de se fonder sur ces seules don-nées. A ces coûts, il convient d’ajouter le coût d’inté-gration du réseau électrique, à hauteur de 5-6 mil-liards d’euros. Le système d’aide peut probablement évoluer. Il prend aujourd’hui cinq formes, notamment le Fonds chaleur de l’ADEME que nous approuvons. Ce Fonds chaleur offre en effet un bon rapport qua-lité-prix. Nous avons tenté de comparer les aides à la recherche publique dans les autres pays. Les aides atteignent, en France, un niveau relativement bas de 300 millions d’euros par an, soit bien moins que les

Présentation du Rapport public de la Cour des Comptes sur la politique de développement des ENR

Henri PAULConseiller Maître de la Cour des Comptes

Allemands, les Japonais ou les Américains.

Au total, le coût complet aux énergies renouvelables a dépassé 14 milliards d’euros. Le coût pour le fu-tur s’élèvera, rien que pour la CSPE, à 40 milliards d’euros d’ici 2020. Il convient d’ajouter à celui-ci le coût des mesures fiscales. Nous proposons donc une meilleure maîtrise des dispositifs d’aide. Nous nous concentrons également sur les emplois, consta-tant que les créations se sont révélées bien moins importantes que prévu. Si certaines filières se sont bien constituées, des décisions doivent encore être prises pour mieux intégrer ces paramètres d’emploi et s’appuyer sur des filières structurées. Nous propo-sons également que des arbitrages s’opèrent entre les filières pour protéger les plus efficientes.

Nous avons formulé quelques critiques vis-à-vis de l’administration. L’absence de visibilité sur les mesures et les politiques est pointée quasi-systématiquement par la Cour. Ce manque de visibilité s’explique aussi, en matière énergétique, par les tâtonnements des

pouvoirs publics. Notre critique ne se révèle toute-fois pas aussi virulente que dans d’autres domaines. Nous avons quand même noté un bon élan et une tendance positive même si nous estimons qu’il reste des efforts à consentir du point de vue financier et non financier. De ce point de vue, il convient notam-ment de lever des obstacles juridiques et sociétaux. Il faut également associer les collectivités territoriales, qui restent aujourd’hui un peu à l’écart, et valoriser les bénéfices environnementaux. Les énergies renou-velables ne peuvent, enfin, se développer que dans le cadre d’une maîtrise de la consommation.

En conclusion, l’effort supplémentaire représente 15 millions d’euros. Sans un meilleur ciblage des aides, sans de meilleures structures, sans des choix publics, nous ne parviendrons pas à tenir ces objectifs pour 2020. La Cour produira d’ici la fin de l’année deux autres rapports sur le plan Energie-Climat et sur les certificats d’énergie.

Table ronde

Quel mix électrique à long terme et quel chemin pour l’atteindre ?

Comment se donner le temps de réussir une évolution du mix de production électrique ?

Participent à la table ronde :

Yves GIRAUD, Directeur Economie de la Production et Stratégie Industrielle, EDF

Antoine PELLION, Chef du bureau de la production électrique, DGEC

Anne PANALBA, Présidente FRANCE HYDRO ELECTRICITE

Olivier SALA, Directeur Général, CEG

Jean-Baptiste SEJOURNE, Directeur Délégué de la Branche Energie, GDF Suez

Les débats sont animés par Arnaud FLEURY, Journaliste économique.

Arnaud FLEURY : Quelle est votre appréciation sur le mix ?

Yves GIRAUD : Le mix se révèle déjà très dé-carboné mais EDF n’a pas de préférence en la matière puisque nous savons tout faire. Nous sommes les leaders européens des énergies renouvelables. En France, nous possédons une longueur d’avance avec le nucléaire et le thermique à flamme.

Jean-Baptiste SEJOURNE : Le nucléaire constitue forcément un atout. Nous avons besoin de moyens de semi-base et devons développer les énergies renouvelables. Dans les années à venir, nous devrons conserver une présence nucléaire forte et prévoir l’ouverture de l’aval et de l’amont bien davantage qu’ils ne le sont aujourd’hui. Il existe toute une palette d’énergies renouve-lables. Il faut identifier les moyens les plus proches aujourd’hui de la com-pétitivité. Tel est le cas de l’hydraulique et de l’éolien terrestre. A côté des questions de moyen terme, nous devons également traiter des sujets de court terme. Dans cette filière, par exemple, le développement se trouve aujourd’hui presque à l’arrêt. Des mesures très simples pourraient être prises pour relancer ce développement. Dans des domaines où l’ambition reste à construire, il faut prendre tout de suite les bonnes décisions, en lançant des filières. La régulation s’effectuera naturellement, avec des volumes limités. L’impact sur la facture du consommateur se révélera donc très faible.

Arnaud FLEURY : GEG est connue comme une entreprise locale mais votre production développe un mix peu connu. Quelle est votre stratégie dans l’évo-lution de ce mix ?

Olivier SALA : GEG est un énergéticien local, une société d’économie mixte pro-priété de la ville de Grenoble, qui mène une activité historique de distribution et qui développe, depuis dix ans, la production. GEG constitue avant tout un acteur de production décentralisée. De nombreuses collectivités locales sou-haitent aujourd’hui s’engager plus avant dans les questions énergétiques, en particulier dans les domaines de la production. Une part de plus en plus impor-tante de cette production va être réalisée de manière décentralisée, au plus proche des citoyens et des territoires. S’agissant des énergies renouvelables, il conviendra de trouver un nouvel équilibre. Il n’existe aucune raison pour tout laisser en attente. Cet équilibre doit ménager le cadre national et une prise en compte fine de la réalité des territoires. Les collectivités commencent à se des-siner un rôle plus important. Nous nous engageons dans un monde de l’énergie moins centralisé, dans lequel les citoyens seront appelés à jouer un rôle. Les énergies renouvelables ne doivent pas être remises en cause même si elles pourraient faire l’objet d’optimisations. Leur place dans le mix énergétique relève d’une ambition politique plus que de questions techniques. Développer les énergies renouvelables sur le long terme présente quand même une cer-taine rationalité puisque ces énergies vont, au fil du temps, se révéler de plus en plus compétitives et, à long terme, prendre de plus en plus de place.

Arnaud FLEURY : Quelle ligne stratégique de long terme la DGEC a-t-elle développée ?

Antoine PELLION : Il faut bâtir une vision de long terme, à un horizon 2050. Le mix électrique ne s’apparente pas uniquement au mix de production. Il recouvre également la demande et les réseaux. Dans la problématique du CO2, l’électricité ne représente qu’une part de l’énergie, qu’il faut traiter avec le reste. Pour définir un cadre régulatoire, il convient d’évoquer le CO2 et le risque sur le système électrique. En termes de régulation, le marché de l’élec-tricité joue un rôle de régularisation. Les codes réseaux revêtent également une grande importance. Ce cadre, indépendamment des choix qui peuvent

Olivier SALA, Directeur Général, CEG

Jean-Baptiste SEJOURNE, Directeur Délégué de la Branche Energie, GDF Suez

s’opérer, se révèle absolument fondamental. Il faut ensuite piloter l’évolution. Pour ce faire, nous devons nous poser une première question sur les volumes. L’Etat dispose de nombreux outils sur les nouvelles capacités mises sur le marché. Le débat a fait émerger plusieurs questions. Comment réguler les problématiques d’autoconsommation ? Faut-il mettre en place des permis d’énergie ? La deuxième question à se poser porte sur les réseaux, la respon-sabilisation des acteurs et le portage des coûts. Les territoires doivent jouer un rôle important dans la production et la consommation. Enfin, se pose la question de la soutenabilité économique et financière d’un tel système, dont le coût ne doit pas s’avérer trop élevé pour le consommateur.

Yves GIRAUD : Il paraît pertinent de faire évoluer le mix mais n’oublions pas le parc existant. Le parc nucléaire existant affiche aujourd’hui un coût de 50 euros le kWh. Il n’existe rien de moins onéreux.

Arnaud FLEURY : L’Etat va publier prochainement une étude sur le potentiel de 3 TWh dégagé dans la petite hydroélectricité, une électricité rentable, peu coûteuse et disposant d’une forte capacité de développement.

Anne PENALBA : S’intéresser à l’hydroélectricité s’avère très intéressant. Elle présente en effet de fortes capacités de développement. Elle constitue aussi une énergie qui permet aux autres énergies renouvelables de se développer. Elle joue un peu le rôle de « grande sœur » pour celles-ci. L’hydroélectricité continuera de tenir une place importante dans le mix électrique et elle pos-sède un potentiel de développement non négligeable, à hauteur de 11,7 TWh. Nous possédons 2 TWh de capacité hydroélectrique et devrions atteindre 3 TWh à l’horizon 2020. Nous devons toutefois veiller à ne pas faire régresser notre parc existant. La transition énergétique est déjà en cours puisque 450 MW se trouvent actuellement sur le marché. Nous pouvons intégrer le marché mais ne nous précipitez pas sur un marché qui n’offre aucune rentabilité. Il faut d’abord adapter le marché aux énergies renouvelables. Cette période de crise nous incite par ailleurs à examiner nos installations d’une autre façon. Nous souhaitons faire évoluer nos centrales pour qu’elles deviennent les par-tenaires des réseaux de distribution. Nous avons sans doute un rôle à jouer dans l’effacement. Nous pouvons investir dans nos centrales mais nous ne dis-posons pas de capacités d’investissement illimitées. Les demandes que nous jugeons excessives nous font perdre de la production, pour un bénéfice éco-logique encore mal cerné. Les pouvoirs publics doivent trouver un équilibre entre leur volonté de disposer de centrales avec un impact limité et les capaci-tés d’investissement, qui doivent être sauvegardées. Il convient également de revoir les classements de cours d’eau, qui affectent le développement de 72 % des sites. Une révision de la loi sur l’eau permettrait notre développement.

Arnaud FLEURY : Quel est le problème actuel des concessions ? La profession et l’Europe s’impatientent.

Jean-Baptiste SEJOURNE : Nous avons identifié un potentiel important pour les années futures mais l’exercice de classement des rivières conduit en parallèle est venu remettre en cause plus de 70 % de ce potentiel. Les 3 TWh qui restent s’avèrent insuffisants pour atteindre l’objectif fixé. Or, il existe un lien entre le développement du potentiel et les concessions. Nous attendons les orientations du Gouvernement mais GDF Suez estime que les renouvelle-ments constitueraient une bonne opportunité.

Yves GIRAUD : Nous sommes parfaitement sereins vis-à-vis de l’ouverture des concessions à la concurrence. Si elles ouvrent, nous sommes bien placés pour les gagner. Si elles n’ouvrent pas, nous les conserverons.

Yves GIRAUD, Directeur Economie de la Production et Stratégie Industrielle, EDF

Anne PANALBA, Présidente FRANCE HYDRO ELECTRICITE

Jean-Baptiste SEJOURNE : Nous sommes aussi les exploitants d’une petite partie de la Dordogne.

Arnaud FLEURY : Quel est le potentiel de l’énergie hydroélectrique ?

Antoine PELLION : Nous avons expertisé ce potentiel à hauteur de 100 TWh pour les nouveaux sites mais il conviendrait d’exploiter en premier lieu le potentiel déjà disponible. Nous pourrons ensuite prévoir une clause de revoyure. La concession recouvre la gestion de l’eau, une gestion à laquelle les pouvoirs publics peuvent participer. Un courrier de trois ministres a été envoyé cet été précisant que l’orientation de la mise en concurrence était privilégiée.

Arnaud FLEURY : Les logiques de déclassement engendrent-elles un certain gâchis ?

Olivier SALA : Je partage les propos d’Anne Penalba. Notre pays se dote d’une ambition forte de développement et possède une industrie et des savoir-faire importants. Pourtant, il taxe l’hydroélectricité. Nous continuons notre exploi-tation mais les contreparties se révèlent considérables. Sur la cogénération, nous souffrons également du déclassement. Nous avons donc décidé de démanteler nos installations. Comme tous les autres acteurs, nous deman-dons une meilleure visibilité réglementaire. La cogénération qui alimente le réseau de chauffage urbain de Grenoble se trouve sur le marché depuis un an. Nous faisons payer la chaleur aux usagers à un prix raisonnable. Or, nous devons fermer et ce, malgré le dispositif de capacité. L’an prochain, les Greno-blois utiliseront donc plus de fioul et de charbon.

Arnaud FLEURY : Vous avez gelé trois cycles combinés qui représentaient un investissement d’un milliard d’euros. Faut-il rendre la semi-base plus rentable ?

Jean-Baptiste SEJOURNE : Aucun des mécanismes transitoires qui étaient prévus n’a vu le jour.

Arnaud FLEURY : Poursuivez-vous l’ambition de les relancer ?

Jean-Baptiste SEJOURNE : Cette problématique concerne tous les opérateurs de cycle combiné en Europe. Aucun nouvel investissement ne peut être envi-sagé dans ces conditions économiques. Nous pouvons seulement espérer que le marché de capacité et les signaux économiques permettront à ces centrales de fonctionner de nouveau.

Antoine PELLION : Nous sommes confrontés à un problème de volumes. La France possède des marges de sécurité significatives vis-à-vis du mécanisme de sécurisation de l’approvisionnement.

Arnaud FLEURY : Le succès de l’EPR se confirme. Fessenheim va fermer. A terme, il reste 50 % de nucléaire dans le mix. Quelles sont les opportunités pour la 3ème, voire la 4ème génération du nucléaire ?

Yves GIRAUD : Avant de s’occuper de la troisième, il convient de s’occuper la deuxième génération. C’est ce parc existant qui nous permet d’afficher un prix raisonnable et qui crée des emplois. Cela ne nous empêche pas pour autant de préparer l’avenir. Nous le faisons avec la troisième génération, comme le montre l’accord que nous venons de signer avec le Gouvernement britannique ou l’EPR de Flamanville. Nous travaillons également sur la troisième généra-tion du photovoltaïque.

Antoine PELLION, Chef du bureau de la production électrique, DGEC

Table ronde

Quels réseaux pour assurer la solidarité entre Europe et territoires ?

Plus de réseaux pour mieux optimiser les moyens de production au niveau européen

Participent à la table ronde :

Christophe CHAUVET, Président ADEef

Ana Aguado CORNAGO, CEO, Friends Of The Supergrid

François BLANQUET, Directeur réseaux, ERDF

Alexandre GRILLAT, Secrétaire national – Développement durable, Energies, Logement et RSE, CFE-CGC

Hervé MIGNON, Directeur de l’Economie, de la Prospective et de la Transparence, RTE

Les débats sont animés par Arnaud FLEURY, Journaliste économique.

Arnaud FLEURY : Les énergies renouvelables se développent de plus en plus, la volatilité croît, les distances se font plus grandes. Ces évolutions soulèvent des défis en termes de maillage et d’interconnexions. Quels sont-ils ?

Hervé MIGNON : Les défis et les paradoxes se révèlent effectivement nom-breux. La production décentralisée constitue le premier paradoxe, à l’heure où la France se montre de plus en plus exportatrice et où le développement des énergies renouvelables s’accompagne d’un renforcement des réseaux. Pro-duction décentralisée ne signifie pas système décentralisé. Nous demeurons dans un système où les influences locales dépassent le lieu de production. Le photovoltaïque a connu, en Allemagne, un développement considérable. Les 30 GW de puissance installée en Bavière profitent à l’ensemble de l’Europe. La dimension systémique des composantes du réseau électrique devient le fac-teur clé des évolutions à venir du réseau d’électricité. La solidarité nationale n’est pas un vain mot à l’heure où des difficultés majeures apparaissent. Elle se joue au quotidien.

Arnaud FLEURY : Quels investissements doit réaliser RTE dans ce contexte ?

Hervé MIGNON : Aujourd’hui RTE investit environ 1,5 milliard d’euros par an. Nous faisons appel à différents opérateurs leaders du marché. Ces milliards d’euros sont à mettre en perspective avec la valeur ajoutée apportée pour éviter des coupures d’électricité. La possibilité de maintenir un haut niveau de qualité vis-à-vis du secteur industriel et des pôles de compétitivité constitue un enjeu clé. Les bienfaits du réseau doivent être comparés aux coûts. Dans la facture du client domestique, la part du réseau représente aujourd’hui moins de 8 %.

Arnaud FLEURY : Friends of the Supergrid représente une association des entreprises du secteur énergétique visant à promouvoir un réseau de haute intensité. Quels sont vos défis en la matière ?

Ana AGUADO CORNAGO : Le réseau de haute intensité constitue un projet rassemblant 25 entreprises européennes, américaines et japonaises qui repré-sentent toutes les compagnies nécessaires pour construire un réseau d’un tel niveau. Le réseau transportera toute l’énergie disponible. Si nous nous can-tonnons aux énergies conventionnelles, il n’y a pas besoin d’un réseau euro-péen. En revanche, ce réseau s’avère nécessaire dès lors que nous souhaitons intégrer davantage les énergies renouvelables et diminuer les prix. La capa-cité de ce réseau correspondra aux besoins de l’Europe. Si nous connections quatre pays, l’investissement représenterait 28 milliards d’euros, payés par tous les utilisateurs du réseau, à hauteur de 400 euros le kWh, ou aux utilisa-teurs des quatre pays reliés seulement, soit un montant de 200 euros le kWh.

Arnaud FLEURY : Une volonté politique est-elle apparue pour promouvoir ce super réseau en Europe ?

Ana AGUADO CORNAGO : Voilà un mois, je vous aurais répondu par la néga-tive mais les Etats membres ont, depuis peu, marqué un fort intérêt à l’égard de ce projet.

Arnaud FLEURY : Quels sont les points positifs et négatifs de ce projet ?

Hervé MIGNON : Il existe de nombreux points de convergence. Nous conve-nons tous, notamment, du fait que les nouvelles formes d’énergie qui appa-raissent doivent être récupérées et réacheminées vers les lieux de production. Le réseau de transport conserve un défi dans les temporalités, le dynamisme avec lequel certaines évolutions peuvent apparaître du côté de la production ou de la consommation. Le réseau doit en effet pouvoir s’ajuster en perma-

Ana Aguado CORNAGO, CEO, Friends Of The Supergrid

Hervé MIGNON, Directeur de l’Economie, de la Prospective et de la Transparence, RTE

nence pour relier ces deux éléments. Les évolutions du réseau de transport exigent 8 à 10 ans alors que les énergies renouvelables apparaissent en 2 ou 3 ans. Derrière les moyens de production se cachent des questions de géogra-phie et de calendrier. Il convient de prendre en compte en amont les impacts sur le réseau, sous peine de se trouver dans des situations techniques difficiles à l’avenir.

Arnaud FLEURY : Quel est le rôle d’ERDF dans l’intégration de la production décentralisée ?

François BLANQUET : Cette production présente déjà une grande importance sur les réseaux de distribution. Aujourd’hui, en France, l’éolien terrestre et le photovoltaïque représentent 10,7 GW de puissance installée. L’immense majorité des installations est intégrée dans les réseaux de distribution. Le distributeur est donc confronté à un problème majeur puisqu’il accueille 95 % de la puissance des énergies renouvelables terrestres. Le développe-ment des énergies renouvelables exige un accroissement du réseau. Suivant les scénarios de l’UFE, 30 GW de puissance équivaudraient à 10 milliards d’euros d’investissement pour le distributeur quand ERDF réalise 3 milliards d’euros d’investissement par an, dédiés à part égale aux renouvellements et aux raccordements. Les énergies renouvelables s’avèrent inéluctables et les coûts de renforcement vont encore augmenter, les réseaux arrivant peu à peu à saturation. Il existe, face à cela, plusieurs solutions. La plus simple consiste-rait à procéder à des renforcements du réseau. Cette solution ne représente toutefois pas la moins onéreuse. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des défis technologiques et nous avons tous à gagner à développer de nouvelles technologies. ERDF participe déjà massivement à des projets européens. Il ne faut pas non plus négliger qu’un grand nombre d’installations sont raccordées sur la basse tension. Nous devrons donc traiter rapidement ce problème, en utilisant notamment Linky car aujourd’hui la basse tension ne constitue pas le domaine le mieux instrumenté du côté du distributeur.

Arnaud FLEURY : Quelle est votre grille de lecture ?

Christophe CHAUVET : Le réseau existe déjà aujourd’hui. L’ensemble des ges-tionnaires de réseau exercent leur métier. La sécurité d’approvisionnement est assurée et ne doit pas être dégradée. Le réseau s’apparente à une mutuelle. Il ne faut pas oublier que la production doit égaler la consommation à tout moment. Nous allons devoir gérer la smart production et la smart consomma-tion, des éléments par définition intermittents, ainsi que le problème du stoc-kage. Le fait que le réseau devienne smart ne le dispense pas de respecter les lois de la physique. Le réseau est construit aujourd’hui sur une puissance et doit durer un certain nombre d’années. Nous devons donc nous donner tous les moyens pour qu’à tous les niveaux (local, intermédiaire, national et inter-national) soit mis en place un réseau coordonné. A défaut, une incohérence pourrait survenir qui engendrerait des problèmes d’approvisionnement.

Arnaud FLEURY : Comment maintenir une solidarité nationale ?

Alexandre GRILLAT : Le débat sur la transition énergétique n’a pas fait interve-nir directement les acteurs. Les salariés souhaitent que les débats n’oublient pas la réalité systémique de l’électricité. Lorsque la transition énergétique est mal conçue, les salariés sont les premiers à en payer les frais. Pensons notam-ment à ceux qui travaillent dans les entreprises historiques en Allemagne.

Christophe CHAUVET, Président ADEef

François BLANQUET, Directeur réseaux, ERDF

Arnaud FLEURY : Les régions vont de plus en plus prendre en main la produc-tion décentralisée.

Alexandre GRILLAT : Il faut préserver le système électrique pour préserver la compétitivité et le service public. Au cœur de la question de la gouvernance se pose la question du coût et de celui qui le porte. Les collectivités locales ont émis le souhait de reprendre en main leur énergie. L’autarcie énergé-tique constitue un mythe encore bien ancré. Le système électrique exige toutefois une cohérence et une solidarité économique. La France a mis en place une péréquation et le tarif d’acheminement assure la solidarité entre les territoires. L’électricité se trouve au cœur de cette solidarité politique entre les territoires. Il fallait rappeler les trois leviers de la solidarité : tech-nique, politique et économique. Les représentants des collectivités locales ont pris conscience que le modèle qu’ils promouvaient ne constituait pas forcément le plus adéquat. Nous avons dégagé quelques pistes, proposant notamment une programmation pluriannuelle des investissements, qui serait le fruit d’une concertation locale. Les collectivités territoriales qui ont participé à ce débat ont avancé dans leur perception et nous sommes convaincus que nous parviendrons à établir un modèle français.

Arnaud FLEURY : Construire de gros ouvrages ne pose-t-il pas des problèmes d’autorisation, à l’instar de la ligne France-Espagne ?

Ana AGUADO CORNAGO : La production décentralisée ne s’oppose pas à la production à grande échelle. Nous aurons effectivement besoin de résoudre les problèmes d’autorisation. Construire une ligne coûte sans doute moins cher qu’une nouvelle centrale nucléaire. Avec les réseaux maritimes, nous devrions rencontrer moins de difficultés. Les problèmes résultent d’un manque d’explication. Le littoral méditerranéen est entièrement construit mais personne ne s’insurge. Les municipalités ont même gagné beaucoup d’argent grâce à cela. Construire une ligne à côté de la mer s’avère en re-vanche impossible alors que son impact se révèle bien moins fort. Nous pou-vons néanmoins construire des lignes souterraines à très longue distance.

Arnaud FLEURY : RTE représente la société qui réalise le plus grand nombre d’enquêtes publiques en France. Vous êtes aujourd’hui confrontés à un pro-blème d’acceptabilité.

Hervé MIGNON : Tout gestionnaire d’ouvrage linéaire, que ce soit RFF, le câble ou le gaz, est confronté aux mêmes problématiques. Il faut expliquer les apports de ces ouvrages. Nous parvenons à passer les montagnes par des tunnels mais nous devons faire face à un autre obstacle : les délais et les procédures administratives sont déconnectés du temps et de l’évolution de notre contexte. Derrière le problème d’harmonisation des règles entre les différents Etats, il existe dans certains pays une surabondance de procédures administratives qui toutes possèdent une justification mais qui conduisent à la situation actuelle. Cette année, nous avons déposé 90 dossiers contre 30 voilà seulement deux ans.

Arnaud FLEURY : Que faire ? Les Allemands parviennent-ils à réduire ces délais ?

Hervé MIGNON : Nous pouvons trouver des solutions innovantes mais certaines relèvent plus de la volonté politique. La Suisse et l’Allemagne ont adopté des règles très rapidement. En Italie, la construction d’une ligne exige deux ans de moins en procédure qu’en France, alors que les deux pays ont traduit la même directive européenne. Si nous souhaitons rationaliser les procédures, il faut d’abord en dresser un état exhaustif. Chaque pays a su

Alexandre GRILLAT, Secrétaire national – Développement durable, Energies, Logement et RSE, CFE-CGC

s’adapter, par choix, en réaction à des blackouts locaux ou tout simplement par la volonté de rationaliser. Il existe un contexte nouveau et des solutions technologiques nouvelles. Il faut rendre compatibles les procédures appli-cables. Or, il existe aujourd’hui un manque de cohérence globale, tant au niveau des Etats membres que de l’Union européenne. Cette dernière a tou-tefois demandé récemment une simplification des procédures. Une fenêtre semble donc s’ouvrir.

Arnaud FLEURY : Comment produire localement et envoyer la surproduction sur le territoire voisin ?

Christophe CHAUVET : Dans un certain nombre de constructions, nous devons également respecter des règles techniques et des schémas régionaux. Les réseaux ont été saturés et certaines régions ne peuvent plus raccorder les ouvrages sans effectuer des investissements considérables. Or, les schémas régionaux Climat-Energie ont occulté les problématiques de pertes. Il me paraît donc essentiel d’améliorer ce point. Le système électrique se révèle glo-bal. Il fonctionne comme une mutuelle et s’inscrit dans un système national voire international. Si nous expliquons tout cela, nous saurons faire transiter la puissance d’un territoire à l’autre sans difficulté.

Arnaud FLEURY : Quels changements le compteur Linky peut-il apporter ?

François BLANQUET : Linky va être déployé. Trois millions de compteurs sont installés d’ici 2016 et nous espérons en implémenter 30 millions d’ici 2020. Au niveau du réseau, le compteur Linky va permettre de maîtriser la demande d’énergie. Du point de vue du distributeur, il constitue un formidable outil, avec 35 millions de points de mesure communiquant des informations 24 heures sur 24. Leur analyse nous permettra de mieux détecter les fai-blesses et de gérer plus efficacement l’injection des énergies renouvelables.

Grand débat

Quels leviers pour un système électrique compétitif et sûr ?

Participent à ce débat :

Marie-Claire CAILLETAUD, Responsable de la politique énergétique et industrielle, FNME-CGT

Jean-François CIRELLI, Vice-Président, Directeur général délégué, GDF Suez

Ronan DANTEC, Sénateur de Loire-Atlantique

Andreas GOERGEN, Directeur de la division « Energie fossile », SIEMENS

Hervé MACHENAUD, Directeur exécutif Groupe, en charge de la production et de l’ingénierie, EDF

Dominique MAILLARD, Président du Directoire, RTE

Christian PIERRET, Président, VISTA

Les débats sont animés par Arnaud FLEURY, Journaliste économique.

Quels leviers pour un système électrique compétitif et sûr ?

Arnaud FLEURY : Où placez-vous la dimension européenne dans la stratégie énergétique de la France ?

Ronan DANTEC : Je la place au centre. Nous sortons actuellement d’un certain nombre de paradigmes. Nous connaissons désormais un vrai coût du nucléaire EPR. Le Gouvernement a confirmé l’objectif de baisse rapide du nucléaire à 50 %. De nouvelles données émergent. Il faut les rassembler pour parvenir à construire un système. Je suis convaincu que l’électricité se trouve au cœur de celui-ci. Il convient de sortir très rapidement du mécanisme fran-çais de capacité pour s’engager dans un mécanisme européen. Cela exige un exercice intellectuel comme nous n’en avons jamais réalisé depuis 60 ans. Des métiers vont peu à peu décliner, notamment dans le nucléaire, tandis que de nouveaux vont apparaître, dans le domaine des réseaux.

Arnaud FLEURY : La conférence environnementale a confirmé un certain nombre d’engagements. Cette logique respecte-t-elle vos enjeux ?

Hervé MACHENAUD : Tout dépend de l’horizon sur lequel nous nous plaçons. Nous portons une responsabilité d’industriel au quotidien. Nous devons pro-duire de l’électricité au niveau du besoin national. Or, nous vivons aujourd’hui une situation absurde où, plus le prix de revient augmente, plus le prix d’achat diminue. Nous nous plaçons ainsi dans une situation structurelle de surcapacité, augmentant constamment le coût de production alors que le prix de marché chute. En même temps, nous connaissons une situation de sous-capacité de pointe, en raison du développement des énergies renouvelables qui ne contribuent pas à la pointe.

Arnaud FLEURY : Pensez-vous que la transition énergétique duplique les erreurs de Bruxelles ?

Hervé MACHENAUD : Le problème ne résulte pas de la transition énergétique. S’orienter vers un réseau plus maillé, intégrant une certaine capacité d’éner-gies renouvelables se révèle profitable mais fixer un objectif chiffré conduit à une situation totalement absurde dans laquelle nous pouvons parfois atteindre des prix négatifs sur le marché. Les énergies renouvelables dans leur ensemble engendrent de la surcapacité et déstabilisent les installations conventionnelles. Cette politique créera un blackout un jour ou l’autre.

Arnaud FLEURY : Partagez-vous le même constat pessimiste ?

Dominique MAILLARD : L’urgence ne réside pas dans le traitement d’une situation qui se produira demain. Il s’agit plutôt d’éviter que la situation, qui surviendrait si nous n’agissions pas, se produise. Nous avons sans doute dû commettre collectivement une erreur en instaurant un marché régulé. Tant que la part des énergies renouvelables restait marginale, le système fonction-nait convenablement. Or, tel n’est plus le cas. Aujourd’hui, nous disposons d’un marché régulé qui ne présente plus de caractère marginal et d’un marché « normal ». Il convient de corriger cette situation.

Arnaud FLEURY : Pensez-vous que nous opérons aujourd’hui les bons choix pour disposer d’un système électrique plus sûr ?

Jean-François CIRELLI : Nous devons attendre le contenu de la loi. Nous nous trouvons aujourd’hui au cœur de la transition énergétique. Nous n’allons pas revenir au monde passé. Le système ne fonctionne plus. Nos politiques doivent le comprendre et s’attacher à remédier à cette situation. L’initiative de Gérard Mestrallet participe de cette démarche. Aujourd’hui, le problème ne provient pas de Bruxelles mais des Etats membres, qui développent des interprétations très différentes sur les actions à entreprendre. Les entre-

Ronan DANTEC, Sénateur de Loire-Atlantique

Hervé MACHENAUD, Directeur exécutif Groupe, en charge de la production et de l’ingénierie, EDF

prises que nous sommes ont décidé de ne plus investir en Europe car elles ne le peuvent plus et ignorent de quoi l’avenir sera fait. Les beaux discours politiques ne se déclinent pas en actes concrets. Sans décision rapide et sans vision européenne, nous nous dirigeons droit dans le mur.

Arnaud FLEURY : Vous militez pour un pôle public national autour de l’énergie.

Marie-Claire CAILLETAUD : Nous souhaitons plus d’Europe mais pas la même Europe. La première étape consiste à convenir d’une définition de la transition énergétique. Pour nous, la transition énergétique vient répondre aux besoins tout en veillant à limiter l’émission des gaz à effet de serre. Or, dans le grand débat sur la transition énergétique, le transport, pourtant gros émetteur, était absent. Il faut desserrer l’étau des directives européennes qui balaient l’optimisation du système, et bâtir une politique énergétique européenne en dressant, avant tout, un bilan des dispositifs en vigueur.

Arnaud FLEURY : Aujourd’hui, l’Europe ne choisirait donc pas le bon mix énergétique?

Marie-Claire CAILLETAUD : L’Europe n’a pas à choisir le mix énergétique mais elle se doit de veiller à la cohérence des mix choisis par les différents Etats membres.

Arnaud FLEURY : Quelle est votre appréciation sur la transition énergétique qui se dessine en France ?

Andreas GOERGEN : Siemens constitue un fournisseur idéologiquement neutre, qui cherche à offrir les produits répondant aux attentes futures. La France présente un grand avantage, en ayant lancé un débat sur la transition énergétique avant de la mettre en œuvre. En Allemagne, c’est la catastrophe de Tchernobyl qui a suscité les premiers débats sur la transition énergétique. Pour autant, l’Etat-nation constitue-t-il toujours un périmètre de réflexion pertinent ? Nous préférons examiner les erreurs de nos voisins alors que la question se pose moins à 500 qu’à 5 000 kilomètres.

Arnaud FLEURY : Commettons-nous une erreur sur la place du nucléaire dans la transition énergétique ?

Christian PIERRET : Je pense qu’il n’existe pas de transition énergétique. Il existe un tournant, une rupture énergétique avec le passé. Nous allons pro-duire de l’électricité lorsque nous n’en aurons pas besoin et l’électricité man-quera lorsque nous en aurons besoin. Notre think tank tente de balayer tout positionnement idéologique. Le nucléaire a donné à notre pays une avance technologique considérable, une capacité exportatrice, la possibilité de propo-ser un prix de l’énergie bien inférieur à celui de ses voisins et la capacité de ne pas s’appuyer à 42 % sur le charbon pour produire de l’électricité. Le nucléaire, énergie non productrice de carbone, doit être inséré dans une vision du « 3x20 ». Or, des décisions absurdes ont conduit à la construction de centrales à gaz pour assurer la pointe et au développement désordonné des énergies renouvelables.

Arnaud FLEURY : La solution passerait donc par l’allongement des durées de vie des centrales nucléaires?

Hervé MACHENAUD : Je ne connais pas la solution. Nous n’avons pas encore répondu à la question des alternatives. Or, les énergies renouvelables ne constituent pas une alternative à la production de base en Europe. Pour l’instant, le charbon n’est pas présent en France. Les énergies renouvelables représentent une nouvelle source d’énergie mais elles doivent être associées

Marie-Claire CAILLETAUD, Responsable de la politique énergétique et industrielle, FNME-CGT

Christian PIERRET, Président, VISTA

à des capacités de stockage. Le couple nucléaire-hydroélectricité répond aujourd’hui aux exigences. Nous devons assumer notre responsabilité d’indus-triel et maintenir le parc qui nous a été confié.

Ronan DANTEC : Je constate notre incapacité à discuter ensemble de manière rationnelle de la transition énergétique. Nous ne conserverons pas ce sys-tème. L’électricité sortie des centrales nucléaires prolongées coûte aujourd’hui 55 euros le MWh. L’éolien terrestre affiche un prix de 70-75 euros et l’EPR de 105 euros sur 35 ans. Le prix pour l’EPR ne baissera plus beaucoup. Le pho-tovoltaïque, dans le sud de la France, affiche aujourd’hui un prix de 90 euros et n’est pas arrivé au terme de son optimisation. Il pourrait ainsi atteindre 60 euros le MWh. Le nucléaire de nouvelle génération ne peut répondre à la problématique puisqu’il se révèle plus onéreux. La puissance en énergies renouvelables va croître. Or, le fonctionnement du marché exige une planifi-cation. Il manque un élément extrêmement important du puzzle : le coût de stockage. Si ce coût s’avérait inférieur au différentiel avec l’EPR, il en serait fini de ce dernier et l’énergie deviendrait totalement renouvelable. Il faut relever le coût de la tonne de CO2 pour éviter un report sur le charbon. Nous sommes néanmoins confrontés à une résistance du lobbying nucléaire sur le rythme de la transition.

Christian PIERRET : Pour l’instant, nous stockons uniquement de la chaleur, c’est-à-dire la forme la plus dégradée d’énergie.

Arnaud FLEURY : Faut-il fermer la centrale de Fessenheim ?

Marie-Claire CAILLETAUD : Non. Dans la transition énergétique, il ne faut surtout pas se montrer dogmatique mais définir une vision qui permette de dégager le bouquet énergétique répondant aux piliers social, environnemental et industriel. Le prix et la qualité de l’électricité constituent des facteurs de localisation industrielle. La stratégie que nous choisirons sur l’électricité aura forcément un impact sur l’avenir de l’industrie. La fermeture de Fessenheim n’est pas justifiée du point de vue social, environnemental et économique. En outre, nous ignorons toujours qui viendrait la remplacer.

Arnaud FLEURY : Pensez-vous que des réflexions rationnelles commencent à émerger sur les filières ?

Jean-François CIRELLI : Nous progressons. Il importe de développer une indus-trie française en ce domaine. Nous allons postuler dans les appels d’offres sur l’éolien offshore. Il paraît toutefois regrettable d’opposer sans cesse le nucléaire et les énergies renouvelables. Le mix énergétique est constitué de multiples sources. Les énergies renouvelables ont gagné en importance. Elles doivent dès lors être davantage responsabilisées. La compétitivité du prix de l’énergie, pour nos consommateurs, particuliers ou entreprises, doit désor-mais être mise au premier plan. Les énergies renouvelables doivent se déve-lopper en Europe mais elles doivent également assumer leur responsabilité dans le système.

Dominique MAILLARD : Nous aurons demain, encore plus qu’aujourd’hui, besoin d’instruments de flexibilité. Cette modulation est aujourd’hui assurée par l’énergie hydraulique. Nous possédons quatre instruments : le stockage, la maîtrise de la demande, le développement de moyens de compensation pour pallier l’intermittence des énergies renouvelables, et les réseaux. A cela s’ajoute une optimisation économique. La maîtrise de la demande prendra du temps. Construire de nouvelles lignes aussi. Nous soulignons le besoin accru d’instruments de marché. Le système actuel se révèle plutôt dissuasif pour la construction de nouvelles installations de pompage.

Jean-François CIRELLI, Vice-Président, Directeur général délégué, GDF Suez

Dominique MAILLARD, Président du Directoire, RTE

Arnaud FLEURY : Quelle ouverture la transition énergétique offre-t-elle aux entreprises étrangères ?

Andreas GOERGEN : Je me considère comme faisant partie d’un outil indus-triel en France. Le Gouvernement Jospin avait déjà tenté de bâtir un projet industriel commun avec l’Allemagne. Les objectifs du « 3x20 » sont nés d’une réflexion sur la compétitivité. Or, depuis, on ne parle que de compétition entre la France et l’Allemagne. Si nous conservons cette posture, nous ne changerons jamais l’économie.

Arnaud FLEURY : Commettons-nous une erreur vis-à-vis du gaz de schiste ?

Christian PIERRET : Le Parlement a voté un texte précisant que l’on ne peut ex-ploiter les huiles et gaz de schiste en l’état actuel des techniques. Aujourd’hui, les conditions d’exploitation de ces huiles et gaz ne répondent pas aux exi-gences de sécurité que nous avons définies. Notre balance commerciale exté-rieure affiche un déficit de 90 milliards d’euros qui provient pour 60 milliards d’euros de l’énergie. Nous pouvons légitimement nous poser la question. S’il existe des ressources en gaz de schiste que nous pouvons exploiter dans de bonnes conditions, pourquoi s’en priver ?

Arnaud FLEURY : Vous avez racheté des droits d’exploitation au Royaume-Uni. Pensez-vous que le gaz de schiste pourrait trouver sa place dans le mix éner-gétique ?

Jean-François CIRELLI : Le gaz et l’huile de schiste constituent une vraie révo-lution énergétique. Le Royaume-Uni nous ouvre les bras. Nous ne pouvons pas rester à l’écart. Nous devons utiliser cette technique.

Marie-Claire CAILLETAUD : La transition énergétique a pour priorité la réduc-tion de la consommation du pétrole et des énergies fossiles. Le charbon consti-tue aussi une énergie d’avenir. Nous tenons, sur le gaz de schiste, une position pragmatique, estimant qu’il conviendrait en premier lieu de connaître les gise-ments et de garantir l’exploration dans des conditions de sécurité adéquates.

Ronan DANTEC : Le débat sur le gaz de schiste constitue, en France, un leurre qui vise à nous dévier du débat que nous avons initié sur les objectifs pour 2025. La proposition de François Hollande me paraît raisonnable. En 2025, nous conserverons une part de nucléaire de 50 % mais nous produirons suf-fisamment d’énergies renouvelables pour assurer la mise en place de filières. Pourquoi ce pays se révélerait-il incapable de travailler sérieusement à partir d’un objectif rationnel porté par le Président de la République ? Telle était l’ambition du débat sur la transition énergétique mais la peur panique des acteurs du nucléaire d’une réduction nous a empêchés de franchir la dernière étape.

Andreas GOERGEN, Directeur de la division « Energie fossile », SIEMENS

Un grand groupe dans la tourmente européenne

Gérard MESTRALLET Président de GDF Suez

Monsieur le Ministre, Mesdames, Messieurs, je tiens d’abord à remercier le Président de l’UFE de me per-mettre de témoigner sur les enjeux de notre secteur et d’adresser quelques messages.

Cette journée s’inscrit dans une période charnière pour notre secteur, quelques semaines après la conférence environnementale qui a tiré les pre-mières conclusions des six mois de débat et alors que le Gouvernement œuvre à la future loi de transition énergétique. Cette transition, nous avons la convic-tion qu’elle s’avère nécessaire. Le monde a changé et se dirige vers un développement plus durable. Nous devons réinventer un modèle énergétique et rétablir l’équilibre entre les différents piliers de la politique énergétique en Europe : compétitivité, sécurité d’ap-provisionnement et protection de l’environnement.

Cette transition, GDF Suez a décidé de l’accompagner et même de l’anticiper. Présents dans 70 pays, notre groupe constitue un énergéticien de référence dans le monde émergent. Nous produisons aujourd’hui plus d’électricité en dehors d’Europe mais nous nous appuyons néanmoins sur des racines européennes extrêmement fortes que nous désirons encore ren-forcer. Nous défendons donc l’idée d’une transition énergétique fondée sur deux piliers. Nous avons por-té durant le débat deux propositions phares reprises par le Président de la République et le Premier mi-nistre lors de la conférence environnementale :

- l’accélération des politiques d’efficacité énergé-tique, en se concentrant sur la rénovation thermique des logements les plus énergivores par la création d’un « passeport rénovation » permettant de détec-ter ces logements et d’accompagner les ménages à chaque étape des travaux ;

- la nécessité d’utiliser toutes les énergies, en s’ap-puyant sur un mix diversifié pour répondre à la di-

versité des usages (chauffage, transport, industrie et usages spécifiques).

Nous craignions au départ que le débat se concentre sur l’électricité, qui représente 22 % de l’énergie, et oublie notamment la chaleur, qui en représente 40 %. Nous sommes heureux que le concept de cha-leur renouvelable soit apparu. Pour chaque besoin, il faut trouver la forme d’énergie la plus adaptée. Nous considérons en particulier que le biogaz issu de la fermentation des déchets urbains, industriels ou agricoles constitue une énergie tout à fait pertinente, bien qu’aujourd’hui marginale, pour le chauffage ou la production d’électricité tout comme pour la réin-jection dans le réseau de transport ou de distribu-tion de gaz. Il s’agit d’une énergie renouvelable pro-metteuse au plan environnemental et économique, en contribuant à la pérennité des filières agricoles. Nous souhaitons que la loi de transition énergétique constitue l’occasion de se donner un objectif ambi-tieux de développement du biogaz.

Le colloque d’aujourd’hui a replacé ces discussions françaises dans le contexte européen, une initiative qui me paraît tout à fait salutaire. Le modèle fran-çais ne saurait en effet se construire sans une solide assise européenne tant les politiques, les systèmes ou les réseaux s’avèrent désormais profondément interdépendants. La France a vocation à devenir l’un des acteurs de la refondation de la politique euro-péenne. Or, l’Europe traverse aujourd’hui une crise énergétique très sévère. C’est la raison pour laquelle j’ai pris l’initiative d’inviter plusieurs de mes homo-logues à Bruxelles – nous étions dix – pour lancer un cri d’alarme.

A dix nous représentons plus de la moitié des ca-pacités électriques européennes (210 millions de consommateurs, 600 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 600 000 salariés). Notre message, nous

l’avons porté devant le Parlement européen et les chefs d’Etat et de gouvernement ainsi que devant le grand public pour que tous comprennent l’ampleur de cette crise. Aujourd’hui, la sécurité d’approvision-nement énergétique n’est plus garantie, les actifs de production à gaz étant prématurément fermés alors qu’ils s’avèrent nécessaires pour assurer cet approvi-sionnement. Les dix groupes que nous représentons ont déjà fermé 50 000 MW de centrales à gaz, soit l’équivalent de la capacité de production électrique cumulée de la Belgique, de la République tchèque et du Portugal. GDF Suez a arrêté la production de cen-trales à gaz parfois neuves pour plus de 10 000 MW en Europe, soit 7 à 8 fois la puissance de Fessenheim, dont la fermeture cristallise les débats. Or, tout ceci s’est opéré dans la plus totale indifférence. Les émis-sions de CO2 sont reparties à la hausse en Allemagne ou au Royaume-Uni alors qu’elles baissent aux Etats-Unis du fait de l’élimination du charbon par le gaz. De la même manière, la facture énergétique se réduit aux Etats-Unis quand elle augmente en Europe.

In fine, ce triple constat ne peut que nous conduire à dresser un bilan négatif des objectifs de la politique européenne. Notre cri d’alarme a été écouté. Il faut désormais prendre des mesures. Nos dix groupes ont convenu d’une série de mesures très concrètes dépassant nos différences :

- Relancer le marché du carbone par des mesures im-médiates pour rééquilibrer l’offre et la demande, avec un objectif à la fois ambitieux et réaliste de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 ;

- Instaurer des mécanismes de rémunération des capacités en établissant des lignes directrices com-munes au niveau européen et, comme l’a proposé Johannes Teyssen ce matin, développer un axe fran-

co-allemand pour bâtir une architecture de marché rénovée ;

- Nos dix entreprises sont convaincues que les éner-gies renouvelables constituent un élément vital de la politique énergétique d’aujourd’hui et de demain mais nous pensons que le consommateur européen doit payer une facture de l’énergie raisonnable. Or, celle-ci a considérablement augmenté du fait du coût des énergies renouvelables et des subventions accor-dées à celles-ci. Il convient de s’appuyer sur les éner-gies renouvelables les plus compétitives et matures. Nous appelons ainsi de nos vœux la mise en concur-rence des concessions hydro-électriques et l’intégra-tion dans le marché des nouvelles installations, en ajustant les aides publiques au besoin du marché. En parallèle, les politiques et financements en recherche et développement doivent être renforcés et se foca-liser sur les technologies les moins émettrices de car-bone.

Telles sont nos trois grandes propositions. Nous nous trouvons tous dans des situations différentes ; nous ne demandons pas de l’aide car une partie des dé-gâts sont déjà survenus. Notre appel vise à sauver l’Europe de l’énergie. Nous avons surmonté nos dif-férences pour bâtir ce constat et trouver des pistes. Nous invitons les chefs d’Etat et de gouvernement à faire de même pour construire un véritable système énergétique européen.

Nous devons nous mobiliser autour des solutions à mettre en œuvre. Le Président de la République nous a fait part de sa détermination à ce que la France joue un rôle fort. Dans la refondation de la politique éner-gétique européenne.

Je vous remercie.

Mesdames et Messieurs les acteurs de l’électricité française, c’est un grand plaisir et un grand honneur de pouvoir m’exprimer aujourd’hui pour la première fois devant vous. Je tiens à apporter quelques élé-ments de réponse aux questions que vous avez sou-levées, qu’il s’agisse de l’évolution de notre mix ou du nouvel équilibre du système électrique. Ces ré-ponses participent d’un concept largement évoqué aujourd’hui, celui de la transition énergétique.Ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, j’ai pour mission principale de mettre en œuvre la feuille de route que m’a confiée le Président de la République, qui vise à faire de la France une na-tion de l’excellence environnementale. Le chemin se révèle clair, c’est celui de la transition écologique et, dans celui-ci, le chemin de la transition énergétique. Le chef de l’Etat l’a récemment répété, en ouvrant la deuxième conférence environnementale : notre pays ne comptera en Europe et dans le monde qu’à la condition de réussir ces deux transitions complé-mentaires. Il s’agit d’un enjeu industriel, d’emploi et climatique. A cet égard, le 1er volume du 5ème rap-port du GIEC nous a une nouvelle fois placés devant nos responsabilités. La mobilisation accrue de tous les pays en faveur de la lutte contre le changement climatique paraît plus que jamais urgente. La France accueillera d’ailleurs, fin 2015, le Sommet internatio-nal sur le climat.J’ai besoin de vous pour mener cette transition éner-gétique à bien et faire en sorte qu’elle constitue un atout supplémentaire pour notre pays. Il s’agit d’une chance, y compris pour nos entreprises. Le génie de nos cadres techniques, de nos ingénieurs doit servir notre transition énergétique. Nous nous trouvons à un moment clé sur l’évolution du système électrique. Des centrales à gaz ferment pour des raisons conjonc-turelles mais aussi pour des raisons structurelles. Le marché actuel de l’électricité et les modèles de

soutien ne sont plus adaptés au développement des énergies renouvelables en France. J’ai donc pour mis-sion de trouver, avec vous, des solutions durables, li-sibles, pour pallier les défaillances du système actuel mais aussi et surtout pour créer les conditions d’un développement massif des énergies renouvelables en France et en Europe. Ce développement s’avère impératif pour concilier nos objectifs de lutte contre le changement climatique et de sécurité d’approvi-sionnement. Je souhaite accomplir cet exercice avec vous, dans la concertation. Je serai d’ailleurs l’organi-sateur et le garant de ce travail.La deuxième conférence environnementale a permis au Président de la République de fixer un cap clair à cette transition, avec un objectif de réduction de 50 % de la consommation finale d’énergie à l’hori-zon 2050, de réduction de 30 % de nos consomma-tions d’hydrocarbures d’ici 2030 et la diversification du mix électrique par le passage à 50 % de nucléaire d’ici 2050. Ces objectifs obéissent à des principes qui doivent inspirer nos travaux. Ne perdons jamais de vue la sécurité d’approvisionnement de la France, la nécessité de protéger la compétitivité des entre-prises françaises et le pouvoir d’achat des ménages, l’ambition de cohésion sociale et territoriale qui impose d’assurer l’accès à tous et enfin les enjeux climatiques et environnementaux. La loi de transi-tion énergétique constituera le cadre dans lequel ces principes et objectifs trouveront leur traduction concrète. La loi représentera une loi de transfor-mation, de préparation de l’avenir. Elle identifiera les leviers dont nous avons besoin pour atteindre nos objectifs. Je compte bien, dans le droit fil du débat national qui s’est tenu durant près de huit mois, rester en liaison étroite avec vous pour faire en sorte que cette loi corresponde à vos attentes.

L’efficacité énergétique constitue la priorité et le moyen de réduire notre dépendance aux importations

Clôture

Philippe MARTIN Ministre du Redressement productif

énergétiques. Elle doit donc permettre de renfor-cer notre souveraineté. A cet enjeu de souveraineté s’ajoute un enjeu de compétitivité. La maîtrise de la demande en énergie représente une formidable opportunité pour améliorer la compétitivité de nos entreprises et favoriser le développement de filières industrielles. Le programme de rénovation énergé-tique de l’habitat lancé en septembre dernier illustre notre vision de la transition écologique et doit per-mettre de maintenir 75 000 emplois dans le domaine de la construction, auxquels s’ajoute la décision ré-cente de soumettre au taux réduit de TVA de 5,5 % les travaux de rénovation thermique. Enfin, réduire notre intensité énergétique permettra de limiter l’impact de nos activités sur les ressources naturelles et l’environnement.Sans attendre la loi de transition énergétique, nous disposons déjà d’un outil essentiel pour maîtriser la demande d’énergie, à savoir les certificats d’écono-mie d’énergie. Un rapport de la Cour des comptes analysant le dispositif a été publié la semaine der-nière. Ces certificats jouent un rôle important dans la réduction de la consommation des ménages. Les recommandations de la Cour reflètent le besoin ex-primé par l’ensemble des parties prenantes de faire évoluer un dispositif qui a pu s’avérer parfois un peu lourd sur le plan administratif. Mon Ministère produit de très nombreuses normes. J’attache à la simplifica-tion administrative une grande importance et j’y ai même dédié une chargée de mission au sein de mon cabinet. Nous conduisons actuellement des expéri-mentations, comme le permis unique pour l’éolien offshore en Bretagne ou en Champagne-Ardenne.La première évolution que j’entends mener tient à l’ambition du système. Pour atteindre nos objectifs européens, je souhaite passer à un niveau supé-rieur d’obligation en tenant compte des flexibilités offertes au titre de la directive européenne. Je pré-ciserai les modalités concrètes de cet objectif dans les prochaines semaines. Pour être soutenable, cette

démarche doit se doubler d’un effort de simplifica-tion (standardisation des outils permettant le calcul des économies d’énergie, contrôle a posteriori des dossiers).La deuxième évolution a pour objectif d’appuyer la politique du Gouvernement en faveur de la réno-vation énergétique des bâtiments. Les certificats d’économie d’énergie incluent déjà des programmes, comme la bonification des actions contre la précarité énergétique ou en faveur de la formation des arti-sans, qui doivent être maintenus. Ces actions seront élargies sous forme d’obligations ou de mesures al-ternatives par le financement de « passeports de la rénovation énergétique » et l’alimentation du Fonds de garantie annoncé à la conférence environnemen-tale de 2013. Enfin, il me semble important pour la crédibilité du système d’en accroître la transparence. La création d’un comité de pilotage réunissant les services de l’Etat, l’ADEME, les ONG environnemen-tales et les associations de consommateurs est à l’étude afin de faire entrer ce dispositif dans l’ère du dialogue environnemental.S’agissant des énergies renouvelables, leur dévelop-pement représente le deuxième levier de la transi-tion énergétique. Nous avons l’obligation de nous orienter vers ces énergies. Nous disposons d’un parc nucléaire historique extrêmement compétitif et per-formant mais il n’est pas éternel. L’ASN le rappelle d’ailleurs régulièrement. Nous devons donc prépa-rer l’avenir. Les énergies renouvelables électriques constituent une formidable opportunité, rendue possible par la mutation profonde du système élec-trique. Par le passé, la production devait s’adap-ter à une consommation électrique qui s’imposait. Aujourd’hui, les systèmes innovants permettront qu’une part croissante de la consommation s’adapte à une production qui s’impose. Les technologies et les acteurs existent. Encore faut-il une organisation de marché et des systèmes de soutien adaptés. Les mécanismes actuels de soutien ont été mis en place alors que les moyens de production restaient peu

développés. Ils avaient le mérite de la simplicité et ont permis le décollage indéniable de l’éolien et du solaire. Nous devons aujourd’hui mettre en cohé-rence les objectifs européens de développement des énergies renouvelables et l’organisation de marché, en cessant de nous renvoyer dos à dos entre la Com-mission et les Etats membres.J’en profite pour répondre très favorablement à l’invitation de Johannes Teyssen pour que la France et l’Allemagne construisent ensemble une solution commune qui réponde à des difficultés en partie différentes. Cette solution constituera sans doute le fondement d’une véritable politique européenne de l’énergie. Le Président de la République a d’ailleurs fait inscrire la question de l’Europe de l’énergie à l’ordre du jour d’un prochain Conseil européen, en mars 2014. Le mécanisme de capacité que la France met en place représente une première réponse. Un travail important est en cours avec l’Allemagne mais ce système pourrait s’élargir. Il permettra en particulier le développement de l’effacement, outil indispensable de la transition énergétique. Quant aux outils de soutien des énergies renouvelables, j’ai décidé de lancer dans les prochaines semaines une consultation large des acteurs. Ce travail devra éclai-rer les enjeux, les opportunités et les impacts d’une évolution du système actuel de soutien vers un dis-positif plus intégré au marché. Je tiens à vous rassu-rer. La réflexion qui s’engage ne fera pas disparaître les mécanismes actuels à court terme. La transition énergétique s’opérera nécessairement de manière progressive et concertée. Les tarifs d’achat cohabi-teront durant un certain temps avec les nouveaux mécanismes. La France a d’ailleurs engagé des procé-dures formelles de notification du tarif éolien auprès de la Commission européenne et poursuivra ses noti-fications sur l’ensemble des tarifs existants en 2014.

Une réflexion prospective doit également s’engager sur les défis et opportunités soulevés par la perspec-tive du développement de l’autoproduction. Celle-ci peut changer profondément le modèle économique et industriel de certaines technologies, notamment photovoltaïque, et faire naître des opportunités im-portantes dans la gestion des réseaux. Je souhaite également qu’une réflexion stratégique s’engage, tant au sein de l’Etat que des acteurs du secteur, sur l’ave-nir à moyen terme de la filière photovoltaïque. Ces deux chantiers seront lancés en parallèle du travail de concertation sur les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. L’action du Gouvernement ne se résume pas à cette réflexion de structuration de marché. La transition énergétique nécessite d’ac-tionner d’autres leviers. Des mesures concrètes d’ur-gence ont été lancées depuis mai 2012 sur l’éolien, le photovoltaïque et la méthanisation. Je souhaite que nous poursuivions ces travaux. Nous devons égale-ment intensifier les travaux sur les énergies marines avec les fermes hydroliennes et sur l’éolien offshore, pour lequel différents chantiers seront lancés afin d’offrir une visibilité sur la poursuite des actions en ce domaine. Le Comité national des énergies marines qui sera mis en place le 6 novembre prochain per-mettra de partager avec tous les acteurs les axes de la stratégie nationale. Enfin, un nouvel appel d’offres pour les installations d’une puissance supérieure à 250 kW sera lancé début 2014.Mesdames, Messieurs, je souhaite donner un élan nouveau et coordonné au système énergétique. J’ai beaucoup de plaisir à conduire cet exercice avec les professionnels que vous êtes. Cet élan s’incarnera bien sûr dans la loi de transition énergétique mais elle commence dès aujourd’hui avec vous.Je vous remercie.