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— Salut, Gage. - Créer un blog gratuitement - Eklablogekladata.com/P01XbpGRFgsBj59uoR-xohZAMtw/Coffret_special...Ils se sont contentés de t’acheter cette maison, de te trouver

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Lorsqu’onfrappaàlaporte,Coryeutl’impressionquesoncœurs’arrêtaitdebattre.Commeilétaitdifficile,parfois,desedébarrasserdecertainsréflexes!Maisaprèsuneannéepasséedanscecomté, lasituationluiparaissaitplusgérable.Commeàson

habitude,elles’approchaàpasfeutrésdumoniteurdiffusantlesimagesenregistréesparlacaméraduperron.Ellescrutal’écranavecappréhensionetfutsoulagéedereconnaîtrel’hommechargéd’assurersaprotection,Gage,avecsonvisagecouvertdecicatricesetsonuniformedeshérif.Elles’empressadedésactiverlesystèmed’alarme,luiouvritetl’accueillitavecunsourire,qu’elle

s’efforçaderendrenaturel.—Salut,Gage.Ilesquissaunsourirelégèrementdebiais,card’uncôtédesonvisage,lescicatricescauséespardes

brûluresrelevaientsensiblementlescommissuresdeseslèvres.—BonjourCory.Aurais-tuuneminuteàm’accorder?—Atoi,biensûr.Ellelefitentreretluiproposauncafé.—Nonmerci, lui répondit-il. J’ai abusé de celui deVelma, etmon estomac n’a pas tardé àme

rappelermaconditiondesimplemortel.Velmaoccupaitlepostederépartitriceaubureaudushérif.Cettefemmed’âgeincertainpréparaitun

breuvagesicorséqueraresétaientceuxquiparvenaientàfinirleurtasse.SeulslesadjointsdeGageenavalaientdeslitres.Coryl’invitaàs’asseoirdanssonsalonminuscule,etilpritplaceauborddufauteuilinclinable,son

Stetsoncouleursableentrelesmains.—Commentvas-tu?luidemanda-t-il.—Çava.Cen’était pas tout à fait vrai, et ne le serait probablement plus jamais,mais elle ne tenait pas à

évoqueràquelpointelleavaitl’impressionque,désormais,soncœuretsonâmeétaientaussiaridesqu’undésert.Coryn’étaitpasfemmeàs’épancher,avecpersonne.—Emmam’aglisséunmotàtonsujet.Emma,l’épousedeGage,maisaussilabibliothécaireducomté,étaitunefemmequeCoryappréciait

etadmirait.—Ellem’alaisséentendrequeturencontraisdesdifficultésfinancières.Corysentitlerougeluimonterauxjoues.—Cetteinformationn’avaitpasvocationàêtrerenduepublique.Gageluisourit.—Simpleconfidenceentreépoux.Celan’irapasplusloin,jet’assure.Elle fit de sonmieux pour lui rendre son sourire. Sa situation, en effet, était préoccupante. Son

salaired’employéedesupéretten’avaitjamaisétémirobolant,maiscommelestempsétaientdifficiles,lepatronavaitrevuàlabaisseleshorairesdetoutlemonde.Avecdesrevenusàlabaisse,ilarrivaitparfoisqu’unebriquedesoupeconstituesonseulrepasdelajournée.Gagesecoualatête.—Décidément, je ne comprendrai jamais la façon dont est géré le programmede protection des

témoins.Corysemorditlalèvre.Elledétestaitévoquercettepériodedesavie,aucoursdelaquellesonmari

procureur était devenu la cible des trafiquants de drogue dont il voulait démanteler le réseau. Unhommes’était introduitchezeuxenpleinenuitet l’avaitabattu.Parmesuredesécurité, lesfédérauxavaientconvaincuCorydechangerd’identité,etelleavaitdûabandonnersesprochesettoutcequ’elleaimait.—Ilsfontdeleurmieux,luiaffirma-t-elle.—Cen’estpassuffisant.Ilssesontcontentésdet’achetercettemaison,detetrouverunpetitboulot

et de te laisser quelques poignées de dollars avant de t’abandonner à ton sort. Après ce que tu asenduré…—N’oubliepaslaprimed’assurance.Primedontilnerestaitpresquerien,carlamaisonn’étaitpasneuve,etlesfraisoccasionnésparles

réparationsavaientconsidérablementgrignotésesmaigreséconomies.—Ilsontégalementprisencharged’autresaspects,cequ’ilsnefontpashabituellement.Ellepensait à l’interventiondechirurgie esthétiquequi avait totalementmodifié sonvisage, ainsi

qu’àl’installationd’unsystèmed’alarmederniercriquilaprotégeaitjouretnuit.—Jesuisvenupourteproposerquelquechose.—Jet’écoute.—L’amid’unamivientd’arriverenville.Ilchercheunendroitoùseloger,autrequ’unmotel,mais

ne souhaite pas s’engager dans un bail à long terme. Pourrais-tu envisager de le prendre commelocataire?Iloccuperaittachambred’amis,ettun’auraispasàtesoucierdesesrepas.Elle y réfléchit un instant.La chambre à l’étage était effectivement vacante.Un lit, une commode

ainsiqu’unfauteuils’ytrouvaientdéjàlorsqu’elleavaitemménagé.Saproprechambresetrouvantaurez-de-chaussée,ellen’auraitpasmêmeàsupporterlaprésenced’unvoisindepalier.Maisleschosesn’étaientpasaussisimples.—Gage…—Jesaisqu’ilestdifficiledefaireconfiance,aprèsunteltraumatisme.Jemesuisrenseignéàson

sujet.Ilapassévingtansdanslamarine.Toutestsoigneusementconsigné.Ilareçusuffisammentdemédaillespourdécorertoutunpandemur.TuasdéjàvuNateTate,n’est-cepas?—Biensûr.Elleavaitfaitlaconnaissancedel’ancienshérif.Nateavaitbeauêtreretraité,ilsefaisaitunpoint

d’honneur à tisser des liens avec tous les habitants du comté. Elle avait même plusieurs fois étéconviéeàdînerchezsonépouseetlui.—Ehbien,cetypeestunprochedesonfils.JenesaispassituasrencontréSethHardin.Ellefitnondelatête.

—Jegardecettehistoirepourunautremoment.MaisSethestunbongars,et il luia suggérédevenirdécompressericipourquelquetemps.—Décompresser?Ellen’étaitpaspersuadéequecettesituationallaitluiconvenir.—Ecoute,jenesaispastrop…— Je ne te demande pas de faire du baby-sitting, reprit-il avec un sourire. Il est parfaitement

capabledes’occuperdelui.Ilaseulementbesoindeprendreunpeuderecul.Dechangerd’air.Cen’estpasungrandbavard.Etlaplupartdutemps,tuneremarqueraspassaprésence.—Jevaisysonger.—Quedirais-tusijelefaisaisentreretquejeteleprésente?Elle sentit sa gorge se serrer sous le coupde l’appréhension.Chaquenouvelle tête constituait un

danger potentiel. Sans exception. Se fondre dans le paysage était devenu sa spécialité, et chaquenouvellerencontreravivaitdevieillesangoisses.—Jevaislechercher,poursuivit-ilavantqu’ellepuisseprotester.Ilestdanslavoiture.Elle voulait lui crier denepas le faire,mais elle resta vissée sur son siège. Instinctivement, ses

doigts vinrent se poser sur son côté, là où la cicatrice laissée par la balle la faisait encore parfoissouffrir.Qu’enétait-ildesonlibrearbitre?Desacapacitéàrefuserunesituationinconfortable?Ellelesavait toutbonnementperdus, lorsd’unenuiteffroyable,unanauparavant.Depuis,ellevoyait lesjours défiler, mais elle avait l’impression d’être une machine, effectuant soigneusement ce qu’onattendaitd’elle,etfeignantd’yattacherdel’importance.Envérité,leseulsentimentqu’elleéprouvaitencoreétaitlapeur.Lechagrin,aussi.Lacolère,parfois.Elleentenditdubruitsousleporche.EllereconnutleboitillementdeGage,accompagnécettefois

d’unpasbienpluslourd.Instinctivement,elleseleva,nonparcourtoisie,maispourêtreenmesuredefuirsinécessaire.LevisiteurquiaccompagnaitGageétaitlel’hommeplusimposantqu’illuiaitétédonnédevoir.Il

devaitmesurerauminimumdeuxmètres,étaitvêtud’unjeanetd’unechemiseclairsetsemblaittaillédansdelapierre.Alafoisfort,puissantetimposant.Maisleplusimpressionnantchezluiétaitsonvisagedurettotalementdénuéd’expression.Sesyeux

et sescheveuxcourtsavaient lanoirceurde l’obsidienne.Quantà sonâge, il semblait impossibleàdéterminer.Elletressaillitintérieurement,sesentantaussivulnérablequ’uneproiefaceàsonprédateur.L’hommepritlaparole.Savoixgrondaitcommeletonnerre.—Bonjour,madameFarland.Jem’appelleWadeKendrick.Ilneluitenditpaslamain.Ils’étaitexpriméavecunecertaineréticence,sembla-t-il,commes’ilrisquaitdelabrusquer.Corysesentitsoulagéedelevoiraussipeuconfiant.—Bonjour,répondit-elle.Asseyez-vous,jevousenprie.Ilregardaautourdelui,commes’ilcherchaitunsiègesusceptibled’accueillirsacorpulence.Ilfixa

sonchoixsurl’extrémitéducanapé.Coryserassitdanssonrocking-chair,tandisqueGageprenaitlefauteuilinclinable,plusconfortablepoursesdouleurschroniques,dontilévitaitdeparler.

—Trèsbien,commençaGage,voyantquelesilencepersistait.Wadechercheàlouerunechambre.Pourcombiendetemps,ill’ignoreencore.Raisonpourlaquelleilneveutpaslouerunappartement.Ilestprêtàpayeraumois,seulementpourlegîte.— Je prendrai mes repas à l’extérieur, précisa Wade. En aucun cas, je ne souhaite être trop

envahissant.Elleappréciasasollicitude,mêmesielleenfutquelquepeudéconcertée.Eneffet,Wadenesemblait

pasêtrehommeàsesoucierdecegenrededétails.—Cettechambren’ariend’exceptionnel,voussavez…,leprévint-elle.—Jenesuispastrèsdifficile.Pastrèsvolubilenonplus,songea-t-elle.Toutcommeelle.—Ehbien,sivouspensezquelachambrepourraitvousconvenir…,finit-ellepardire.Vousseriez

monpremierlocataire.—Madame,jenecherchequ’unendroitoùmereposer.PourCory,cetargentétaitlebienvenu,etelleavaittouteconfianceenGage.Elles’efforçadefaire

abstractiondelapeurquinelaquittaitjamaistotalement,pasmêmedanssesrêves.— Allez visiter la chambre, proposa-t-elle. Elle se trouve à l’étage. Il y a une salle de bains

attenante…quenousn’auronspasàpartager,carlamienneestenbas.L’homme se leva et se dirigea sans un mot vers l’escalier. Cory se sentait oppressée. Peur ?

Méfiance?Ellel’ignorait.—Toutsepasserabien,Cory,larassuraGage,tandisqu’ilspercevaientdespaspesantsau-dessus

d’eux.Aunmomentouunautre,toutlemondeabesoind’unhavredepaix.Corynelesavaitquetrop,mêmesi,poursapart,elleavaitparfoisl’impressiondeseterrer.Elle se raidit en entendant le bruit des bottes sur les marches. Elle fit un effort pour ne pas se

retourner, troublée par l’impact que cet étranger avait sur elle. Mais elle ne put se dérober bienlongtemps,carsonvisiteurvintseplanterenfaced’elle.—C’estexactementcequ’ilmefaut,luiannonça-t-il.Ilsortitsonportefeuilleetluitenditsixbillets

de cent dollars, flambant neufs, comme s’ils sortaient tout droit de la banque. Je vais cherchermesaffaires.Il quitta la pièce, etCory resta immobile, ne pouvant détacher son regard de l’argent. Elle avait

l’habitudedemanipulerdetellessommesautravail,maisellesneluiappartenaientpas.Samainsemitàtrembler.—C’estbeaucouptrop,murmura-t-elle.Cettesommecorrespondaitàsonsalairemensuel.Gagesecoualatête.—S’ilteproposecemontant,c’estqu’ilestimequecelalevaut.Uneminuteplustard,Waderéapparaissait,chargéd’unencombrantsacdepaquetage.Enl’espace

d’une demi-heure, elle avait accepté un pensionnaire dont toute la vie tenait, semblait-il, dans unballuchon.AprèsledépartdeGage,elleduts’habitueràentendrequelqu’unbougerau-dessusdesatête,une

premièredepuisqu’elleavaitemménagédanslamaison.Illuiétaitfacilededevinercequ’ilfaisait,

rienqu’entendantl’oreille:ilrangeaitsesaffairesdanslavieillecommode.Elle devrait lui confier une clé, songea-t-elle soudain, et son cœur tressaillit à cette pensée. Sa

sécurité reposait sur sa nouvelle identité, mais aussi sur des serrures qu’elle verrouillaitconsciencieusementetunsystèmed’alarmeinstalléparlesfédéraux.Al’idéed’avoiràfournirlacléetlecodedesécuritéàuninconnu,ellesentitl’angoisselagagner.Elle se rappela avec quelle facilité ces hommes étaient parvenus jusqu’à son mari. Elle avait

pleinement conscience du fait qu’aucun système de surveillance ne la protégerait si elle ouvrait saporteaumauvaismoment.«Parpitié,Cory,arrête!»s’admonesta-t-elle.Sielleseretrouvaitdanscetrouperdu,aufinfond

duWyoming, elle, une enseignante devenue employée de supérette, c’était pour éviter de passer lerestantdesesjoursàregarderpar-dessussonépaule,àl’affûtd’undangerhypothétique.Aujourd’hui,savien’avaitplusrienàvoiraveccellequ’ellemenaitauparavant.Nisontravailni

sonvisage.Ilsetrouvaitlà,levéritableprixdesatranquillité,etnondansdesverrousetlesboutonsd’urgence.ElleentenditWadedescendrel’escalier.Elles’obligeaàleregarder.Ellesentitunfrissondepeur

laparcourir.Mêmesisaforceluipermettaitdetuerquelqu’unàmainsnues,Gageavaitestiméqu’ilnereprésentaitaucundangerpourelle,etelleaccordaittoutesaconfianceaushérif.— Il faut que je vous donne une clé, et que je vous explique comment désactiver l’alarme,

monsieurKendrick.Elleavaitparléd’unevoixàpeineaudible,maissansangoisse.Illafixaduregard.—Etes-vouscertainequecelanevousdérangepas?Qu’avait-ilsentiaujuste?Sapeurselisaitsurellecommedansunlivreouvert?—Vousvivezici,désormais.Vousdevezpouvoiralleretveniràvotreguise,ycomprislorsqueje

travaille.—Non.—Jevousdemandepardon?—Jepeuxmedébrouiller.Cetteréponseladésarçonna.Ilpayaitunloyerqu’ellejugeaitexorbitantpourvivredansdeuxpièces

défraîchies,etilétaitprêtàseretrouverenfermédehorslorsqu’elles’absenterait?—J’aimeraisalleracheterdesserviettes,desdraps,etdeuxoutroisautreschoses,reprit-ilaubout

d’unmoment.Dansquelledirectionsetrouvelesupermarché?—Avez-vousunvéhicule?—Jepeuxmarcher.—Moiaussi,répliqua-t-elle,sentantsapersonnalitérenaîtresubrepticement.Sivousavezbeaucoup

d’articlesàtransporter,vouspourriezavoirbesoind’uncoupdemain.—Çaira.— Oui, je sais. Vous vous débrouillerez. Elle poussa un soupir, puis se leva. Je vais vous y

conduire.Jedoismoiaussifairequelquesemplettes.

Grâceàlui,ellepouvaitmaintenantselepermettre.Ellesesentitlégèrementcoupable.Elleallacherchersonsacàmain.Avantdequitterlamaison,elleinsistapourluidonnerundouble

de la clé et lui confier le codede l’alarme.S’il trouvait étrangequ’unemaison aussi délabrée soitéquipéed’unsystèmedeprotectionaussiélaboré,iln’enditriennin’enlaissarienparaître.Ilneposaqu’uneseulequestion.—Ya-t-ilaussidesdétecteursdemouvement?—Jenelesmetsenmarchequelanuit.Lecodeestidentique.Avez-vousremarquéleboîtierquise

trouvedansvotrechambre?—Oui.—Ehbien,sivousdescendezdurant lanuit,vouspouvezdésactiver lesystèmecomplet.Lepetit

panneaurégitlesdétecteursdemouvement,etlegrand,toutlereste.Elle se força à le regarder.Un autre frisson la parcourut à l’idéeque cet homme, s’il le voulait,

pouvaitlabriserendeux.Autrefois,cetypedepenséenel’auraitjamaiseffleurée.Aujourd’hui,ellenepouvaits’endéfaire.—Si,pouruneraisonquelconque,vousdevezpartir,etquejesuisabsenteouendormie,j’aimerais

quevousactiviezlesystèmecomplet.Ilacquiesça.Riensursonvisagen’indiquas’iltrouvaitcelaétrangeounon.Elleluimontralesboutonsd’urgence,reliésdirectementàlapolice,auxpompiers,ouauxurgences

médicales.L’existencemêmedecesystèmeluirappelaitsanscessecequis’étaitpassé.Maisaucundecesgadgets sophistiquésn’auraitpuchanger lecoursdesévénementsqui s’étaient

produitsquinzemoisplustôt.Ellemitl’alarmeenmarche.Cequineleurlaissaitquequarante-cinqsecondespourpasserlaporte

d’entréeetlarefermer.Duréeencorebeaucouptroplongue,songea-t-elle.Les marshals lui avaient également fourni un véhicule, des plus ordinaires, qui n’attirait pas

l’attention.Danslesfaits,onauraitditunchar!Etilconsommaittantd’essence!Maissesprotecteursavaient insistépourqu’elle legarde.Ce4x4avaitquatreans,mais lemoteurétaitneuf,unV-8bienpluspuissantqu’ellen’enavaitbesoin.Sijamaislesassassinsdesonmarilaretrouvaient,ilsneluilaisseraientpasleloisirdes’enfuiren

voiture.Elleenétaitconvaincue.Unjour,bientôt,sepromettait-elle,dèsqu’elleenauraitl’occasion,ellelaremplaceraitparunecitadine,pluspetite,maisplusfiable.Ellen’avaitpasbesoindececocond’acier.LeseulavantagedesonvéhiculeactuelétaitqueKendricknes’ysentiraitpasàl’étroit.Elledoutait

fortqu’ilpuisseseglisserdanslacompactequ’ellecomptaits’offrirunjour.Ilneprononçapasunmotdurant le trajet jusqu’aucentrecommercial. Ilpritalorscongéavecun

«Merci»laconique.—Aquelleheurevoulez-vousquejeviennevousprendre?Ilhaussalesépaules.—Ceneserapaslong.Jenesuispastrèsdifficile.Venezquandçavousarrange.Lalisted’articlesqu’elleavaitétabliementalementpourellen’étaitpasbienlonguenonplus.Même

lamanne inespérée que représentait le loyer versé parKendrick ne lui permettait pas de faire des

folies. Elle détestait cuisiner pour une personne, mais elle s’obligea à choisir des produits sains,comme des légumes, des préparations pour salade, et un peu de poulet. Elle retournerait faire lescoursesaprèssaprochainejournéedetravail,c’est-à-direaprèssestroisjoursdecongé.Troisjournéescomplètes,avec,par-dessuslemarché,uninconnudanssamaison.Lessoiréesétaientlonguesenété,d’autantquelesoleiln’embrasaitl’horizonqu’après21heures.Il

disparaissait lentement à l’ouest, mais l’air perdait rapidement sa chaleur. Lorsqu’elle sortit dumagasinavecsesdeuxsacsàprovisionsentoile,latempératureavaitdéjàchuté.EllerepritlarouteducentrecommercialettrouvaWadequil’attendaitsurletrottoir.Ilsemblaitavoirachetébienplusdedeuxoutroisbricoles,àenjugerparlenombredesacsplastiques,etellesefélicitadenepasl’avoirlaisséfairelecheminàpied.Lepauvreauraitdûsinoneffectuerplusieursvoyagespourtransportersesoreillers,draps,serviettesetautrescouvertures.Ce qu’il aurait certainement fait sans se plaindre. Dire que ce type parlait peu relevait de

l’euphémisme.Ellepatientapendantqu’ildéposaitsesachatssurlabanquettearrière,àcôtédessiens,puisilprit

placesurlesiègepassager.—Merci,répéta-t-il.—Jevousenprie.Ilneprononçapasunmotdeplus.C’étaitpresquecommes’ilcherchaitàserendreinvisible.Loindesyeux,silencieux,horsd’atteinte.S’ils’étaitagidel’undesesétudiants,elleenseraitarrivéeàlaconclusionquesonsilenceavait

pouroriginedeterriblessecrets,carrienenluinelaissaitsupposerqu’ilétaittimide.Maisiln’étaitpassonélève,maisunhommeadulte.Ils arrivèrent à lamaison.Elle s’engageadans la courte allée et coupa lemoteur.Elle n’utilisait

jamais legarage,nepouvant systématiquement envérifier tous les recoinsqui auraientpu servirdecachettes.Apeineavait-ellemislefreinàmainqueWadedescendaitdéjàduvéhicule.—Jevaism’occuperdevoscabas,déclara-t-il.Elle fut tentéede lui répliquerqu’ellepouvaitsedébrouiller,maisellecomprit instantanémentce

quilapoussaitàréagirdelasorte:unbesoindereprendrelecontrôle,mêmefugace,desavie.Cethomme faisait simplement preuve de courtoisie, et c’était sa manière de la remercier de l’avoiremmené.Elleavaitmieuxàfairequerabrouerlespersonnesquifaisaientpreuvedegentillesseenverselle,d’autantqu’ilnefaisaitqueluirendrelapareille.Ah,bonsang!Ellen’avaitpaspourhabitudedejurer,maiscettejournéecommençaitàluiendonner

l’envie.Avoiràaccueillirquelqu’undanssonrepairelacontrariaitauplushautpoint.Maisdécouvrirque l’enseignante existait toujours en elle, qu’elle vivait et respirait, bien qu’elle ait cherché àl’annihilertotalement,luicausauneindiciblesouffrance.Après l’annéequ’ellevenaitdevivre,ellepensaitqueseul sonmaripouvaitencore luimanquer.

Sonabsenceluicausaitunedouleurquinelaquitteraitjamais.Têtebaissée,ellegravitlesmarchesduperron,cherchantsaclé.Elletrouvacellesdumagasin,de

lavoiture,dugarage…tantdesésames,etuneviesiétriquée.Alorsqu’elledéverrouillait enfin la serrure, elle entendit la sonneriedu téléphone.Probablement

sonpatron,pensa-t-elle,quil’appelaitpourremplacerunecollèguemalade.Craignantdemanquercetappel, et surtout les heures supplémentaires à la clé, elle laissa la porte ouverte derrière elle pourWade, composa le code aussi rapidement qu’elle le put, et se précipita vers le combiné sans fil dusalon.Elledécrocha.—Jesaisoùtues,murmuraunevoixétouffée.Puis,riend’autrequelatonalitéd’unecommunicationcoupée.Ellelâchal’appareilettombaàgenoux.Ilsl’avaientretrouvée.

2

—Quesepasse-t-il?Ellerelevalatêteetregardalecolossequiétaitentrédanssaviedeuxheuresplustôtàpeine.Ilse

tenait sur le seuil, les bras chargés de paquets.Elle tenta de respirer,mais la panique lui nouait lagorge.Elleétaitincapabled’articulerlemoindreson.Dèsquesarespirationfutredevenueàpeuprèsnormale,deslarmessemirentàcoulersursesjoues.

Uneirrépressibleenviedefuirlasaisit.Uneenviedeprendresavoitureetdefileràtouteallure,aussilongtempsquesesmaigreséconomiesleluipermettraient.Elle se rendit compte ensuite que, s’ils avaient effectivement retrouvé sa trace, le simple fait de

passerlaported’entréepouvaitluicoûterlavie.—MadameFarland?Legéantlâchasessacsplastiquesetseprécipitaverselle.—Allongez-vouscomplètement.Puis, de sesmains étonnamment précautionneuses pour quelqu’und’aussi imposant, il l’aida à se

couchersurlesol,puisluirelevalesjambesqu’ilappuyasurlebordducanapé.Illuiprodiguaitlessoinsquel’onadministrehabituellementauxpersonnesenétatdechoc!—Quevousest-ilarrivé?luidemanda-t-il.Toutsebousculaitdanssatête.Quidevait-elleappeler?Lesmarshals?Ellesavaitquellesmesures

ilsprendraient,etellen’avaitaucuneenviedes’yplierunefoisencore.—Leshérif.IlfautquejeparleàGage.Ilneluiposaaucuneautrequestion,secontentantdesaisirlecombinéqu’elleavaitlaissétomber,

qu’ilposadanssamain.—Souhaitez-vousquejem’enaille?luiproposa-t-il.J’iraidéchargerlavoiture…Iln’étaitpascenséentendrelaconversationqu’ellecomptaitavoiravecGage,maisdanssesyeux

sombres,ellecrutreconnaîtrel’éclatd’uneinquiétudenonfeinte.Quelquechosedisantqu’ilferaitcequiseraitlemieuxpourelle,quoiquecefût.Sagorgeseserra.Ilyavaitsipeudepersonnesautourd’ellequisesouciaientdesavoirsielleétait

encoreenvie.Lesmarshalseux-mêmesnelaconsidéreraientquecommeunélémentstatistiquedansleursdiagrammesd’échecsetderéussites.—Je…Elle hésita, bien consciente du fait qu’elle ne pouvait révéler à quiconque sa véritable situation.

Maisqu’allait-elledirequ’ilnepuisseentendre?Riennel’obligeaitàfairementionduprogrammedeprotectiondestémoinsoudesonvrainom,puisqueGageétaitdéjàaucourant.—Toutvabien,luiassura-t-il.Nevousrelevezpasimmédiatement.Jem’occupedescourses.C’étaittoutbonnementincroyable!Il se levaet repartitvers lavoiture,commesicequivenaitdesepasser—soneffondrement, le

désirdeparleraushérif—n’avaitriend’extraordinaire.Lastupéfactionpassée,elleseditqu’ilvalaitmieuxnepaslaissersonvéhiculesanssurveillance.

Deplus,ellepréféraitnepaslaisserindéfinimentlaporteouvertenil’alarmedésactivée.Marmonnantunjuronqu’ellen’avaitpascoutumed’utiliser,ellefitapparaîtreàl’écranlenuméro

préenregistréduportablepersonneldeGage.Ildécrochainstantanément.—C’estCoryFarland,dit-elled’unevoixtremblante.—Cory?Est-cequeçava?—Gage,j’ai…reçuunappel.Letypeauboutdufilm’asimplementdit«Jesaisoùtues.»Gagejuraàsontour.—C’estprobablementuneblaguedemauvaisgoût.Tusaiscommentsont lesgosses,quandilsne

saventpascomments’occuper.Et,crois-moi,cescanularsnesontpaslespires.—Jem’endoute,mais…—Jesais.Fais-moiconfiance.Jem’enoccupe.Restecheztoi.Nemetspaslenezdehors,etpense

bienàactiverlesystèmed’alarme.Est-cequetontéléphoneaffichelesnumérosentrants?—Non.Ilétouffaunautrejuron.— Je vais y remédier dès que possible.Mais, Cory, ne te mets pas martel en tête. Il ne s’agit

probablementqued’unemauvaiseblague.Elle avait l’habitude de côtoyer des enfants. C’était probablement un canular, comme lorsqu’ils

appelaientdesnumérosauhasardpourannoncerdesgainsàlaloterie.Biensûr,ilnedevaits’agirqued’unemauvaiseblague.Gagerepritlaparole.—Penses-y,Cory.S’ilst’avaienteffectivementretrouvée,pourquoit’avertiraient-ils?Bonnequestion.—Tuasraison.Son raisonnement était logique. Elle prit une nouvelle inspiration tremblotante et sentit son cœur

retrouverprogressivementunrythmepratiquementnormal.—Jen’écarteaucunehypothèse,Cory, reprit-il.Mais je suis convaincuqu’ilne s’agitqued’une

blague.—D’accord.Elle le remercia puis raccrocha. Les yeux fixés au plafond, elle observa, songeuse, les taches

d’humidité qui dessinaient des formes, pareilles à des visages. Comme celui de l’homme qui avaitabattuJimetquiavaitfaillil’assassinerelleaussi.Elle entendit la porte d’entrée se refermer, le verrou qu’on pousse et l’activation du système

d’alarme.Lesignalsonoredéchiralesilence,cevideincommensurable.Ellesecoualatêtepourchassersespensées.ElletournalatêteendirectiondeWade.—Commentvoussentez-vous?—Jevaisbien,merci.

Certainement le plus gros mensonge de toute sa vie, qui lui vint néanmoins avec une étonnantefacilité.—Vousavezreprisquelquescouleurs.Avez-vousbesoind’aidepourvousasseoir?—Jevousremercie,jepeuxmedébrouiller.Elle en était parfaitement capable. Semettre debout, se rendre dans la cuisine pour y ranger ses

courses,etfairecommesitoutétaitnormal.Ellen’avaitpaslechoix.Toutessesalternativess’étaientvolatiliséesunanplustôt.Ellesoupira,retiralespiedsducoussin,etroulasurlecôtépourserelever.Asagrandesurprise,

elle sentit une main l’agripper par le coude, lui donnant un appui. Elle scruta le visage dur etimperturbabledeWadeetsedemandas’iln’étaitpasdouéd’uninstinctparticulierpourvenirenaideauxautres.Elleauraitdûlerabrouer.Maisaprèsuneannéepasséeàéviterlecontactaveclesautres,cegeste

simple,cettemainoffertepourassurersonéquilibre,luifitdubien.—Merci,murmura-t-ellelorsqu’ellefutdebout.Jevaisrangermescourses.Ilesquissacequipouvaits’apparenteràunlégersourire.Ilpritsontempspourrépondre,comme

s’ilpesaitlemoindredesesmots.— Je pense que vous feriezmieux de rester assise. Si vousm’expliquez, je peuxm’occuper du

rangement.Elle s’apprêtait à protester. Elle acceptaitmal qu’on fasse les choses à sa place.Mais avec ses

genouxencoreflageolantsetdesproduitsàrangeraucongélateursansplusattendre,ellen’avaitpastroplechoix.Elles’abstintderouspéter.Lesmontées d’adrénaline, lorsqu’elles se calmaient, la laissaient toujours épuisée. Cory escorta

Wadejusqu’àlacuisine,lepasmalassuré,ets’assitàlatabledeFormicapendantqu’ilsortaitunàunles articles et lui demandait où les ranger. Il accomplit samission avecune efficacité remarquable,économetoutàlafoisdesesmotsetdesesmouvements.Ellesesentaitmalàl’aise.Commentparlerdetoutetderien?Ellen’avaitplusdepassédontelle

pouvait parler, etmentir n’était pas son fort. Son interlocuteur, lui aussi, semblait peu porté sur laconversation.—Voilà,annonça-t-illorsquetoutfutrangé.Sivousvoussentezmieux,jevaismontermesaffaires.Elleauraitdûleremercieretenresterlà.Maisàcausedecetappeltéléphonique,elleredoutaitde

se retrouver seule. Elle qui s’était réfugiée depuis si longtemps dans la forteresse de sa solitude,pourquoiavait-ellesoudainenvied’enabattrelesmurailles?—Sijeprépareuncafé,lança-t-elle,enprendrez-vous?Ellecrutlevoirtrèslégèrementhausserlessourcils.Levisagedecethommeétaitinsondable.La

propositiondeCoryparutleperturberetilpritletempsdelaréflexion.—Avecplaisir,finit-ilparrépondre.Elle remarqua à cet instant qu’elle avait retenu sa respiration. Craignait-elle un rejet ? Mais

commentpouvait-elleprendreunéventuelrefus,sianodin,pourunehumiliation?Cette réactionétaitprobablementàmettresur lecompteduconfinementpresque totaldans lequel

ellevivait,songea-t-elle,oùseulssessouvenirsavaientdroitdecité.

Elleesquissauntimidesourire,auquelilréponditparunsignedetête.—Jemontemesaffairesetredescendsdansuneminute,ajouta-t-il.Elle l’observa attentivement tandis qu’il quittait la pièce… ses larges épaules, son bassin étroit.

Toutsoncorpssemouvaitaveclasouplessed’unathlète.MonDieu,soupira-t-elle,depuiscombiendetempsunhommen’avait-ilpasattirésonattention?DepuisJim.Maisencemoment,ellen’avaitnulleenviedesuccomberaudélicieuxappeldelasensualité.Ellesecoualatêteetseleva.Sesforcesétaientrevenues.Elleputseconsacreràcettetâchesimple

etautomatique—préparerlecafé—quioccupaitsesmainstandisquesatêtecontinuaitd’échafaudermillehypothèses.Gageavaitprobablementraison.Lestueursnel’avertiraientpass’ilsétaientsursestraces.Ildevait

doncbiens’agird’uncanularconcoctépardesjeunesdésœuvrés.Autrefois,elleseraitparvenueàlamêmeconclusionqueGage,sansavoiràconsulterquiquecesoit.Auneépoqueoùellen’étaitpasàfleurdepeau,ellepouvaitpenserdefaçonrationnelle.Cette femme qui sommeillait en elle devait se réveiller, si elle voulait survivre. Elle sentait sa

personnalitésedésagrégerparpansentiers.Combien de temps allait-elle attendre avant de réagir ? Avant d’être réduite à une condition de

robot, une carapace vide d’être humain.Elle devait trouver unmoyen de reprendre contact avec lemonderéel.Elleserappelalesproposd’unmarshal,lorsqu’elleluiavaitexpliquéqu’ellenevoulaitpasrompre

lesamarresavecsonpassé:«Imaginezlenombredepersonnesquidonneraientn’importequoipourcommencerunenouvellevie!»Acetteépoque,cetteremarqueluiavaitparudéplacée,maisaujourd’hui,elleenmesuraitmieuxla

portée.Unnouveaudépart.Finielaterreur.S’ilsavaientvoulularetrouver,ilsyseraientparvenusdepuis

longtemps.Waderéapparutdanslacuisine,àl’instantoùlecaféfinissaitdecouler.—Commentl’aimez-vous?luidemanda-t-elle.—Noircommelanuit.Elle plaça la cafetière sur la table et sortit deux tasses, qu’elle emplit généreusement. Elle avait

toujoursaiméajouterunegouttedelaitàsoncafé,l’unedesrareshabitudesauxquellesellen’avaitpaseuàrenoncer.Ellepouvaitencoredégustersesplatspréférés,boiresoncaféavecunnuagedelaitetapprécierlesmêmesfilmsetromans.Peut-êtreletempsétait-ilvenudefairelebilandecequ’ellen’avaitpasperdu.Elle s’assit en face deWade,mais s’efforça de ne pas l’observer demanière trop insistante.De

tempsàautre,ellelevaitlesyeuxversluietcroisaitimmanquablementsonregard.—Pourquoimeregardez-vousdelasorte?finit-ellepardemander.Quelquechosenevapas?—Vousêtesunvéritablemystère.Elleclignadesyeux,surprise.—Vousnemeconnaissezpas.—Celaycontribuecertainement, rétorqua-t-il.Savoixprofonde luiévoquacette foisunvelours

noir,sombreetépais.—Qu’insinuez-vouspar là ? insista-t-elle,même si elle sentait qu’ellepénétrait surun territoire

dangereux.—Ilyacertainsdétails…—Soyezplusprécis.Ilposasatasse.—C’estétrangederencontrerunefemmesemblantaussiterrifiéequevousdanscegenred’endroit.Elle eneut le souffle coupé. Il nedétournapasun instant lesyeuxetne semblait attendreaucune

réponse.—Jeconnaislapeur,poursuivit-il,jel’aivue,sentieetgoûtée.Elleémanedevous,dechaquepore

devotrepeau.Désarçonnée,ellenesutquerépondre…peut-êtresimplementparcequ’ilavaitraison.—Jesuisdésolé,s’excusa-t-il.Riennem’autoriseàvousdirecegenredechoses.Il n’y allait pasparquatre chemins,pensa-t-elle, et elle regrettapresquede lui avoirproposé ce

café. Elle aurait préféré ne pas avoir à partager samaison avec lui. Ses yeux sombres étaient tropperspicaces.Beaucouptrop.Ill’avaitmiseànu.Ellesentitlacolèremonterenelleetluiadressaunregardnoir.Commentosait-

il?Aprèstout,ellel’avaitbiencherché.L’espaced’uninstant,elleeutenviedequitterlatablesansunmotdeplus.Poursemettreàl’abri.

Maisquelquechosel’endissuada.—Est-cesivisiblequecela?demanda-t-elle,piquée.Ilsecoualatête.—Probablementpaspourceuxquin’ontpasmonexpérience.Vousdonniez lechangedemanière

assezconvaincante…jusqu’aucoupdefil.—Toutemavieestunemiseenscène,déclara-t-elle,elle-mêmesurprisedesondévoilement.Il hocha la tête. Lorsqu’il posa de nouveau les yeux sur elle, quelque chose dans son regard

l’accrocha,commes’ilcherchaitàl’attirerverslui.Elledétournarapidementlesyeux.Pasquestiondeprendrecegenrederisque.—Ecoutez, reprit-il, je n’avais nullement l’intention de vous blesser. J’aimerais simplement que

voussachiezque…Illaissasaphraseensuspens.—Quejesachequoi?insista-t-elle.—Jepeuxmerendreutile.Sivousavezbesoind’aide,jesuislà.Ilseversaunpeuplusdecafé,puisselevaenemportantsatasseaveclui.

***

Wadefaisaitsonlitavecuneaisanceacquiselorsdeseslonguesannéesdepratique,quandilétaitdans lamarine.Descoinsparfaitementcarréset lacouverture tendueaupointqu’onpouvaity fairerebondirunepiècedemonnaie.Sesvêtements étaientpliésde sorte à tenirdansuncasier, enpilesparfaitementcarrées.Lesvieilleshabitudesont laviedure, songea-t-il, et sixmoisde retraiten’enétaientpasvenusà

bout.Il s’assit dans le fauteuil disposé dans l’angle de la pièce.Cette femme, à l’étage inférieur, était

aussi effrayée qu’une nouvelle recrue de section de combat, se dit-il. Ou que les vieillards et lesenfantsqu’ilavaitcôtoyésdansdessituationsqu’ilpréféraitoublier.Cen’étaitpasceàquoiilaspiraitens’installantici.Ilétaitvenujusqu’ici,danscettebourgadeau

milieudenullepart,parcequeSethHardinluiavaitassuréqu’ilytrouveraitlapaixetlasolitude,etqu’ilpouvaitrompreavectoutcequilerattachaitàsonpassé.Manifestement,Sethneconnaissaitpascettefemme.CorinneFarland.Cory.Ilsepencha,saisitlatasseposéesurlacommodeetenvidalamoitiéd’unseultrait.Cecaféétait

délicieux.Il ressentit quelquespicotements auniveaude la nuque en repensant à ce qui s’était passé.Cette

sensationfugaceluiavaitplusd’unefoissauvélavie,etils’yfiait.PourquoiGageDaltonl’avait-ilinstalléchezelle?Danslecomté,leschambresàlouernedevaient

pasmanquer.Mais peut-être s’agissait-il véritablement d’une coïncidence. Il en doutait.Consciemment ou non,

Gageavaitpenséàcettefemme,àsaterreur,etàcettechambrevide.Cen’étaitpasanodin.Cette fois,un long frisson luiparcourut lacolonnevertébrale.Ledegréde

paniquedeCorysuggéraitunemenacelatentemaisdurable.Cequi le plongeait au cœurd’une situationqu’il avait cru laisser loinderrière lui.Qu’il voulait

oublier.Ildevaitreprendreunevienormale,neplusraisonnerenagentdesforcesspéciales,etredevenirun

citoyenordinaire.Arrêterdedormird’unœil,neplusêtreconstammentsurlequi-vive.Pour l’heure,ceprojetqui lui tenaitàcœursemblaitcompromis,parcequ’ilvenaitd’emménager

chezunefemmeterroriséeaprèsunappeltéléphonique.Quelquechoseclochait.Lespiècesdupuzzlenes’assemblaientpas.Sonintuitionluidisaitqu’illuifaudraitencorepatienteravantdedormirdusommeildujuste.Certes, il pouvait s’en aller, mais cette solution ne lui semblait pas acceptable. Il ne pouvait la

laissersedébattreseuleavecsonangoisse.Unepersonneterrifiéeavaitbesoind’êtreprotégée.Maispourunefois,décréta-t-il,ilseraitceluiquiprotège,etnonceluiquieffraie.Unsourireamerluitorditlabouche.Ceseraitunepremière.

***

Dieumerci,letéléphonen’avaitplussonné.Coryn’avaitavaléqu’unesaladepourtoutdîner,puisavaittentédesedétendredevantlatélévision.Ellesedoutaitqu’elleneparviendraitpasàconcentrerson attention sur l’un des livres empilés sur la petite table jouxtant le rocking-chair. Son espritbouillait,lesidéessebousculaientdanssatête.Illuisemblaplusfaciled’allumerlatélévision,pourladistractionsonoreetvisuelle.Plusaucunbruitneluiparvenaitdel’étage.Sonlocatairedormaitprobablement,maiscommetous

sessensétaientenalerte,ignorercequ’ilfaisaitlamettaitmalàl’aise.Lasolitudeétaitsonamie,saforteresse,sacompagnehabituelle.Elleavaitouvertsonrefugeàunenvahisseur,dontlecalmeluiparaissaitpirequelebruitqu’ilavait

faitens’installant.Ellepassarapidementdechaîneenchaîne,pourarriveraubulletinmétéorologique,maiselletomba

sur le journal télévisé et un reportage où une équipe de policiers pénétrait dans unemaison où lecadavred’unhommeavaitétédécouvert.Ils’agissaitcertesd’unereconstitution,quisuffitnéanmoinsàexhumerdessouvenirsqu’elles’efforçaittantbienquemaldegarderenfouisdanssamémoire.Jimgisantdansunemaredesang.Elle,blessée,essayantderamper jusqu’à luienmurmurantson

nom.Ellesavaitàcemoment-làqu’ellel’avaitperduàtoutjamais.Ellefermalesyeux,commepoureffacercesterriblesimagesquilatorturaient.Jimétaitunhomme

doux, mais déterminé, au large sourire et au cœur immense, et qui croyait fermement contribuer àrendrecemondemeilleur.Illuiparlaitavecdouceuretbienveillance,maisunefoisencourdejustice,oulorsdesdépositions,ilsetransformaitenvéritableprédateur.Unhommetalentueux,etadmirable.Ellel’aimaitdetoutsonêtre.Elleserappelaleurdernierdînerensemble.Jiml’avaitemmenéedansl’undesmeilleursrestaurants

deTampa, pour célébrer un test de grossesse positif. Ils avaient beaucoup ri en énumérant tous lesprénomsgrotesquesdontilsn’affubleraientjamaisleurenfant.Peuaprèsminuit,toutesavieavaitbasculé.Ledeuildesonbébén’avaitpasétéleplusdifficile,car

ellen’avaitpasencoreeuletempsdes’habitueràsaprésence.Letraitbleusurlebâtonnetnesuffisaitpasàrendreconcrètecettegrossesseàlaquelleuncoupdefeuvenaitdemettreunterme.MaisJim…Jimétaittoutpourelle.Lui,etsesélèves.Laviequ’ilss’étaientconstruiteendeuxansà

peine.Elleprituneprofondeinspiration,s’efforçantdesecalmeretderefoulersessanglots.Maislessouvenirsdecetteterriblenuitserappelaientconstammentàelle.Lescoupsfrappésàla

porte.Jim,selevant,somnolent,pourallerouvriràdespoliciers.—Onacertainementessayédevolermavoiture!Ce«tacot»,commeillequalifiait,achetéàl’époqueoùilétaitencoreétudiant.Lastéréodernier

criqu’ilyavaitinstalléevalaitplusquelevéhiculelui-même.Ellel’avaitentenduouvrirlaporte,puis…Non!Ellenes’infligeraitpastoutcelaunefoisdeplus.C’étaitfini,etsicescauchemarsrestaientà

jamaisgravésaufonddesamémoire,riennel’obligeaitàleslaisserremonteràlasurface.Le téléphone sonna, interrompant le flot de ses pensées.Cette fois, elle ne se précipita pas pour

décrocher, et elle n’imagina pas un instant qu’il s’agissait de son patron. Elle fut tentée de laissersonner,maiscommeellen’avaitpasderépondeur,ellecraignaitderaterunappeldeGage.Acontrecœur,elleattrapalecombiné.Elleétaitsitenduequetoussesmuscleslafaisaientsouffrir.—Allô?—Cory,c’estGage.Jevoulaisteprévenirqued’autresfemmesontreçulemêmegenred’appelque

toi.C’étaitsûrementuncanular.D’accord?Ellesoupira,soulagée.—Merci,répondit-elle.Mercibeaucoup.— J’ai pris contact avec ton fournisseur de services, pour activer l’affichage des numéros des

appels entrants. Cela devrait fonctionner d’ici quelques jours. Et ne t’inquiète pas pour le coût, lecommissariatleprendàsacharge.—Oh,Gage…Une fois de plus, les mots lui manquèrent. Jamais elle ne remercierait assez les marshals qui

l’avaientinstalléedanscetteville,oùelleybénéficiaitdusoutienindéfectibledeGageDalton.—Eh,dit-ildoucement.Nousprenonssoindesnôtres,parici.C’estnaturel.Avantqu’elleaiteuletempsdeleremercier,ilavaitraccroché.—Toutvabien?Surprise,ellefaillitpousseruncri.Ellen’avaitpasentenduWadearriver.Elleétaitprobablement

tropabsorbéeparsaconversation.Ellepritquelquesinspirationsprofondes,afindecalmersonrythmecardiaque.— Je suis désolé, ajouta-t-il. Je n’avais pas l’intention de vous faire sursauter. J’ai entendu la

sonnerie,etaprèsvotreréactiondetoutàl’heure…—Biensûr,jecomprends.Ellefermalesyeuxets’efforçadesedétendre.Maislesexercicesderelaxationnefonctionnaient

plustrèsbiensurelle.—Toutvabien.C’était…Gage.Quepouvait-elleluirévélerdecetappel?Mêmequelquesmotsrisquaientd’êtredesmotsdetrop.Comme il restait là, elle comprit que sa réponse ne le satisfaisait pas. Il patientait sans poser la

moindrequestion.Sonflegmelarassura.Elle-mêmen’ycomprenaitgoutte.—J’aireçuunappeleffrayant,cetaprès-midi,annonça-t-elle,pesantsesmots.Ilhochalatête.—C’estbiencequej’avaiscrucomprendre.—Effectivement.Elleseditqu’ildevaitlatrouverstupide.Elleseressaisitettentades’expliquer.—Gagevientdemeconfirmerquejen’étaispaslaseuleàavoirétéimportunée.Ilfronçalessourcils.—Vraiment?—Ilnes’agissaitqued’unemauvaiseblague.

—C’estunehypothèse.Ilnesemblaitpasconvaincu.—Pourquoidites-vouscela?—Ehbien,celadépend,n’est-cepas?—Dequoi?—Decequivousatantbouleverséeetdesautresvictimesdecesappels.—Oùvoulez-vousenvenir?Ilhaussalesépaules.—Laviem’arendusoupçonneux.—Oh,jevois.Elle semordit la lèvre inférieure. Rien ne l’avait préparée à cohabiter avec ce genre d’homme.

Contrairementàelle,ilsemblaittoutvoirvenirparlepetitboutdelalorgnette.Ilpivotasursestalons,prêtàquitterlesalon.—L’essentielestquevousalliezbien…Ilneluiavaitpasposédequestions.Elletrouvaitcelaétrange,étantdonnétoutcequ’ilavaitdeviné

à son sujet depuis qu’il avait emménagé. N’importe qui l’aurait bombardée de questions, mais cethommeacceptaitsonangoisse,pensantqu’elleavaitdebonnesraisonsd’êtreterrorisée,etquecelaneleconcernaitpas.Encetinstant,ellesongeaqu’ellepourraitmêmeenveniràappréciersadiscrétion.—Wade?Ils’arrêtanetetseretournaverselle.Ilneprononçapasunmot,secontentantdelaregarder.—Je…euh…Comment lui faire comprendre qu’elle ne voulait pas rester seule ? Qu’elle était lasse d’être

prisonnièredesespensées?Quesi sasolitudeavaitgaranti sasécurité,depuisunan,elleenavaitassezdésormais.Elle était si fatiguéede tout cela, qu’elle était prête àprendreun risque, s’il étaitminime.—Vousvoulezquejevousprépareuncafé?proposa-t-il.Ilavaitsaisisonmessage,mêmesielleignoraitcomment.Elleétaitsurlepointdeluiposermille

questionsoudetoutluiavouer.Incapabled’endireplus,ellesecontentad’un«Merci.»Elle éteignit la télévision,pour l’entendrebougerdans la cuisine.Tout cedont il avait besoin se

trouvait à côtéde la cafetière.Enoutre, ellepouvait désormais s’offrir le luxedeboireplusd’unetasseparjour.Etrerationnéeàunebriquedesoupeetunetassedecafé,quelmalheur!Evidemment, le monde était peuplé de personnes bien plus à plaindre qu’elle, mais elle n’avait

jamais été soumise à de telles restrictions.Elle avait toujours été chanceuse.Enfin, jusqu’à l’annéedernière.Waderevintavecdeuxtasses.Cellequ’ilavaitpréparéepourelleétaitcrémeuseàsouhait.Aucun

détailneluiéchappait,aussiinfimefût-il,sedit-elle.Ils’assitenfaced’elle,danslefauteuilinclinable,etsirotasoncafé,attentif,bienquesilencieux.

Finalement, son idée n’était peut-être pas si judicieuse. Comment engager la conversation avec uncolossedepierre?Ellenesavaitmêmepluscommententamerunediscussion!Cequiluiavaitautrefoissembléaussi

naturelquerespirerdevenaituneépreuve,aprèsuneannéepasséeàsoupeserchaquemotquipassaitlabarrièredeseslèvres.Wadebutuneautregorgéedesoncafé.Ilsemblaits’accommoderparfaitementdecesilence.Après

quelquesminutesunpeuembarrassantes,illasurpritenprenantlaparole.—Connaissez-vousSethHardin?Ellefitnondelatête.—J’airencontrésonpère,maispasSeth.—C’estunhommeformidable.J’aisouvent travailléavec lui.C’est luiquim’asuggérédevenir

ici.Toutàcoup,ildevenaittrèsvolubile.—Pourquoi?—Ilpensaitquej’ytrouveraislasérénité.Elleneputretenirunrirequifrisaitl’hystérie.— Excusez-moi. A peine êtes-vous arrivé, que vous avez affaire à une veuve folle à lier qui

s’effondreàcaused’uncanular.Jenequalifieraispascetenvironnementdepropiceàlasérénité.Sesyeuxd’obsidiennelascrutaient,sansjuger.—Unefrayeurtellequelavôtreestgénéralementjustifiée.Cette phrase aurait pu être une question, mais pas dans la bouche de Wade. Cet homme ne la

pousseraitpasàseconfier.Mêmesil’occasionseprésentait.Ellecherchaunmoyendepoursuivre.—Gagem’aditquevousétiezdanslamarine.Ilacquiesça.—J’yaipassélamoitiédemavie.—Impressionnant!Ellenesavaitpasquoiajouter.—Oui.Plutôtlaconiquecommeréponse.Auboutdequelquesinstants,ils’agitadanssonsiège.—Vousavezbesoindeparler.Ellesecrispainstantanément.Quecherchait-ilàdécouvrir?Ilrepritlaparole,levantsesinquiétudes.—Jenesuispastrèsbavard.Jenel’aijamaisété.Etl’artdemeneruneconversationfaitpartiedes

talentsquejenepossèdepas.—Toutcommemoi.Maiscen’étaitpaslecasautrefois.Ilhochalatête.—Certainesexpériencesrendentleschosesdifficiles.Pourmapart,jepensenejamaisavoireuce

don.

—Cen’enestpeut-êtrepasun.Laplupartdesdiscussionssontsansimportance,unsimplebruitdefond.—Celaasansdouteàvoiravecnotrerapportauxautres.J’aiarrêtédepuislongtempsdenouerdes

relations.—Pourquelleraison?Ilbaissalesyeuxverssatasse.Ellepatienta,pendantqu’ilsoupesaitcequ’ilallaitdireetcequ’il

allaitgarderpourlui.—Parcequ’ellespeuvents’avérercoûteusessurleplanpersonnel.Ellelesavaittropbien.C’étaitunedesraisonspourlesquelleselleétaitrestéesursaréservetoute

cetteannée,etpasuniquementparcequ’ellecraignaitdesedévoiler.Ellecraignaitprobablementdes’attacherdenouveau.—Jecomprends.Elle sentit sesmâchoires se contracter de nouveau, glissant irrémédiablement vers ses souvenirs.

Elles’efforçadeseraccrocherauprésent.Le téléphone retentit de nouveau. Elle sursauta, l’œil fixe. Gage avait déjà appelé. Etait-ce son

patron?Peut-être.—Voulez-vousquejedécroche?demandaWade.Sabienveillanceluifitchaudaucœur,maiscelanel’aideraitpasàaffronterlaréalité.Elleavaitété

protégéeaupointdeneplusexister.Al’abri,maisterrorisée.Elledevaitrecommenceràvivre,etnonplusseulementsurvivre.Elle tendit le bras vers le combiné, malgré son cœur qui battait à tout rompre et sa main qui

tremblait.—Allô?—Cory!Ellereconnutunevoixfamilière.Marsha!C’étaitsacollèguedetravail,aveclaquelleilluiarrivaitdepasserdutemps,parcequ’ellesavaient

despointscommunsdontellespouvaientparler.Maisellesn’étaientpasarrivéesàcestadeoù,amies,ellespouvaients’appelersansraisonparticulière.—Bonsoir,Marsha.Commentvas-tu?Sonrythmecardiaqueralentit,etsamaincessadetrembler.—JecroisqueJackm’aretrouvée!Onm’aappelée!Coryretintsarespiration.Ellen’avaitrienconfiédesonpasséàMarsha,maisaufildesmois,elle

enavaitapprisbeaucoupsurlaviedesonamie.—Qu’est-cequitelefaitcroire?—Cegarsaditqu’ilsavaitoùj’étais!—Marsha,j’aireçulemêmeappel.As-tuprévenuleshérif?—Poursipeu?réponditMarsha,dontlavoixtrahissaitlanervosité.Pourquoiprendrait-illapeine

dem’écouter?—Parcequenoussommesplusieursdanscecas.

Unsilencesefit.—Alorsjenesuispaslaseule?repritMarsha,avecespoir.—D’autresfemmesontcontactéGage.Ilpensequ’ils’agitd’uncanular.Denouveau,lesilencesefitauboutdelaligne,etCorysentitqueMarsharetrouvaitsoncalme.Elle

attenditquelarespirationdesacollèguereprenneunrythmenormal.—Est-cequetuveuxvenirchezmoi?demanda-t-elle.Elle ne le lui avait encore jamais proposé, même si elle s’était déjà rendue plusieurs fois au

domiciledesonamie.Comment,eneffet,expliquerlesystèmed’alarme?Ellerépugnaitàmentir.—Non,çavaaller.SiGagepensequecen’estriendesérieux,etsid’autresfemmesontreçule

mêmecoupdefil,iln’yapasderaisonsdes’affoler.—Çam’enatoutl’air.—Maisjevaisacheterunchien,ajoutaMarsha,avecunedéterminationsoudaine.Demain,j’iraien

choisirun.Ungros,quiaboiefort.Sonrirepritunaccentmétallique.—Siçatepermetdetesentirensécurité,c’estunebonneidée.—C’estlebutrecherché.Sijesuisencoreaussinerveuseaprèstoutcetemps,c’estquej’aibesoin

d’uncoupdepouce.Tuseraispartantepouruncafé,demainmatin?Celasignifiaitqu’elledevraitquitterlamaison,contrairementauxrecommandationsdeGage.Mais

c’étaitavantqu’ildécouvrequ’ils’agissaitd’uncanular.—Jepréfèreterappelerdemain,répondit-elleaprèsunmomentd’hésitation.—Trèsbien.Commeça,situesdisponible,tupourrasm’accompagnerauchenil.Ellesegardadeluidirequ’ellenes’yconnaissaitguèreenchiens.—Jetepasseraiuncoupdefilvers9heures,d’accord?—Parfait.Merci,Cory.Jemesensmieuxmaintenant.Lorsqu’elleraccrocha,ellepritconsciencequeWadeétait toujourslà,àboiresoncafé,attentifet

silencieuxcommeàsonhabitude.—C’étaitmonamieMarsha.Elleareçulemêmeappelquemoi.—Pourquoiétait-elleeffrayée?— Son ex n’était pas commode. Il était très violent, pour tout vous dire. Elle a peur qu’il la

recherche.Ilhochalentementlatête.—Doncelleaussisecacheici?—Elleaussi?Elle préféra ne pas chercher à imaginer pourquoi il s’était exprimé de la sorte ni ce qu’il avait

devinéàsonsujet.Aprèsunmomentdesilencepasséàdégustersoncafé,Wadereprit:—Queluiaditceluiquil’aappelée?—Seulement«Jesaisoùtues.»

Ilhochalatête.—Suffisantpourdéstabiliserunepersonnequitientàsasolitude,ajouta-t-elle.Elleenavaittropdit.Mais,curieusement,elleneselereprochapas.Mauvaiseblagueounon,deux

femmescesoiréprouveraientdesdifficultésàs’endormir,etcelal’exaspéra.—Quelimbécileferaitcela?reprit-elle,agacée.Jememoquequ’ils’agissed’enfants.Cen’estpas

drôle.Vraimentpas.—Jepartagevotreavis.Le fait qu’il soit d’accord avec elle la calma quelque peu. Après tout, elle connaissait les

adolescents:elleavaitenseignépendantplusieursannées.— A croire qu’ils n’ont rien dans la tête. Ils ont dû avoir cette idée en regardant un film, et

maintenantilsdoiventbienrired’avoirfichulafrousseàquelqu’un.—Certainement.—Ilsneserendentpascomptequecertainespersonnesontdebonnesraisonsd’avoirpeur.—Probablement.Elleluilançaunregardfurieux.—Vousarrive-t-ildeconstruiredesphrasescomprenantplusd’unmot?Cetteremarquelefitsourire.Commeunefissuredanssafaçadedemarbre.—Parfois,répondit-il.Quelnombredemotsvousconviendrait-il?—Contentez-vousdem’expliquerpourquoivosréponsessontsiévasives.—Jevousl’aidit,jesuissuspicieuxdenature.Racontez-moil’histoiredevotreamieMarsha.—Pourquoi?Jevousenaidéjàtracélesgrandeslignes.IlposasatassesurlapetitetableetsepenchaversCory,lescoudesplantéssurlesgenoux,mains

jointes.—Vivez-vous toutes lesdeux icidepuis longtempsouyavez-vousemménagérécemment?Avez-

vousàpeuprèslemêmeâge?Vousressemblez-vous?Alorsqu’ellecommençaitàcroirequ’ilétaitdevenufou,touts’éclaira.Durantquelquessecondes,

elleeneutlesoufflecoupé,aupointdeneplusêtreenmesuredeparler,etlorsqu’elletentadeprendrelaparole,savoixn’étaitplusqu’unmurmure.—Vouspensezquequelqu’unpourraitêtreàlarecherchedel’unedenousdeux?—Jel’ignore,dit-ilsansdétour.Jen’aiaucunepreuve,maismacuriositéaétépiquée.Acceptez-

vousdem’endireplus?Ellehésita,etfinitparacquiescer.—Marshaetmoisommesamiescarnous…avonsdespointscommuns.Nousavonsemménagéicià

deuxsemainesd’intervalle,ilyaenvironunan.Noustravaillonstouteslesdeuxàlasupérette.—Qu’enest-ildevotreapparence?Etdevotreâgerespectif?—Nousn’avonspasl’airdesœursjumelles.—Jem’endoutais,maispouvez-vousêtreplusprécise?—Noussommescommelejouretlanuit.

C’étaitvrai.Marshaavait lescheveuxroux,coupéscourt,unmentoncarré,desyeuxverts,etunepoitrinepour laquellenombrede femmesauraientétéprêtesàpayerune fortune.Elle,pour sapart,arboraitunecoupeaucarré,avaitlescheveuxauburn,colorationqu’elledétestaitquidissimulaitsonblondfoncénaturel.Sesyeuxbruns,sijolislorsqu’elleétaitblonde,luiparaissaientmaintenantbienfades.Elleavaitégalementsubiune légèrerhinoplastie,sur lesconseilsdesmarshals,etsonnezenboutonétaitaujourd’huipluslongetplusdroit.Onn’avaitcependantpastouchéàsonbuste,detaillemoyenne.—Vosdifférencessecantonnent-ellesàdescaractéristiquesfacilementmodifiables?Ellen’aimaitpasdutoutcequ’ilcommençaitàlaisserentendre.—Vousêtesréellementsuspicieux.Maispourdirevrai,elleaussi.Toutàcoup,cetappeldeGageluiparutbeaucoupmoinsrassurant.—Marthaetmoinenousressemblonspasdutout.Enétait-ellevraimentconvaincue?—Alors,jesuistropméfiant.Beaucouptrop.—Pourquoi?—Parcequej’aivécudansl’ombretoutemavie.Lasuspicionestmoncredo.Jeneprendsjamais

rienpourargent comptant.Neprêtezpas l’oreille àmesdivagations, ajouta-t-il avecunhaussementd’épaules.C’estcequ’elleauraitfait,sielleavaiteuunevieordinaire.Ellel’auraitprispourunparanoïaque.Maissasituationactuellen’avaitriend’ordinaire.—Pourquelleraisonappellerait-ilplusieurspersonnes?Siquelqu’uncherchaitàretrouver l’une

denous,quelintérêtaurait-ilàalarmertantdepersonnes?Ilhochalatête.—Jevouslerépète,n’yprêtezpasattention.Plusfacileàdirequ’àfaire,d’autantqu’ilsemblaitsuivreunraisonnementprécis.Maisiln’endit

pasplus.Quoiqu’ilensoit,unechoserestaitcertaine:l’hommequivoulaitlafairedisparaîtreneprendrait

paslapeinedetéléphoneràuneribambelledefemmespourleseffrayer.Ceseraitmêmeladernièredeschosesqu’ilferait.S’ill’appelait,elleseraitprévenue,etsielleétaitsuffisammentangoisséepourprendrecontactaveclesmarshals,cesderniersn’hésiteraientpasàlachangerdeville.Cedéménagementprendraitdutemps,elleseraitplusdifficileàapprocherpuisqu’ellebénéficierait

d’unesurveillanceaccrue,commecelaavaitétélecasdurantlestroismoisayantsuivil’assassinatdeJim.Ildevaits’agird’uncanular.Elles’accrochaitàcetteidéecommeàunfétudepailleaumilieud’un

ouragan.

3

Lelendemainmatin,Corydécidad’allerprendreuncaféavecMarsha.Elleavaitquelquessousenpoche,grâceàWade,etunetassedecaféchezMaudenecoûtaitpastrèscher,sil’onparvenaitàéviterlesmélangesplussophistiquésquelapatronneavaitcommencéàajouteràsacarte,copiantaupassagelesgrandeschaînesde torréfacteurs.Corypensaitque lemarchépour les« lattemokadécaféinés»resteraitmodestedanscetteville,mêmesiellelesadorait.Marshalaremerciadel’avoirrappelée.Savoixtrahissaitunetensionsemblableàlasienne.Elle

n’avaitpasbiendormilanuitprécédente,remuantsansarrêt,uncauchemarenchassantunautre.Lorsqu’elle avait finalement renoncé à chercher le sommeil, il était 5 h 30 dumatin. Elle avait

attrapéunromanposésursatabledenuit,serésignantàlireunpeu.Auboutdedeuxheures,elleeutlesentimentquelesmotsauraientaussibienpuêtredisséminésauhasarddespages,carqu’ellen’avaitrienretenudel’histoire,etelleenconclutqu’elleavaitdûsomnoler.Wadedormaitencore,s’était-elledit,lorsqu’elleavaitprogrammél’alarme,avantdesefaufilerpar

laported’entrée.Personnen’yavaittouchédepuisqu’elleétaitréveillée,puisqu’ellen’avaitpasperçulesignalsonore,etqu’ellen’avaitpasentenduWadesedéplacerdanslamaison.Elleauraitpenséqu’ilétaitplutôt lève-tôt.Parcequ’ilétaitunancienmilitaire?Ceshommes,en

effet, avaientparfoisun rythmespécial.Peut-êtreopérait-ildenuit ?Elle ignorait toutdesmissionsdont il se chargeait habituellement. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’il avait reçu suffisamment dedistinctionspourcouvrirtoutunmur.Illuisuffiraitdeposerlaquestion,sedit-elle.Maiselledoutaitfortqu’ilacceptedeluirépondre.Il

auraitétémalvenudesapartdes’enplaindre,ellequigardaitaussidesinombreuxsecrets.ElleauraitpumarcherjusquechezMaude—lajournéed’étés’annonçaitbelle—maisellechoisit

de prendre sa voiture, s’y sentant plus à l’abri. Par ailleurs, se dit-elle pour se justifier, siMarshasouhaitaitvraimentacheterungroschien,son4x4restait lemoyende transport lemieuxadaptéà lasituation.Marsha était déjà assise à une des tables, un café devant elle.A peine s’était-elle glissée sur la

banquettefaceàsonamiequeMaudefitsonapparition,posanténergiquementunetassesurleplateaudeFormica,qu’elleentrepritderemplir.Unpetitpaniercontenantdesdosettesdecrèmeétaitdéjàsurlatable.Coryesquissaunlégersourire.Enunan,ellen’avaitjamaisriencommandéd’autrequeducafé,et

Maude avait visiblement renoncé à lui proposer les spécialités du jour. De temps à autre, elle luiglissait une part de tarte, mais celle-ci n’apparaissait jamais sur l’addition. CetteMaude était unefemmegénéreuse.Marshaluisourit,sourirecontreditparl’éclatdesesyeux.Ellesemblaitépuisée.Elleaussiavaitdû

passerunemauvaisenuit.—Mercidem’avoirditqued’autresfemmesontellesaussiétéimportunées,luiconfiaMarsha.—Gagem’aparlédeplusieursfemmes,maissansm’enpréciserlenombre.Ilestconvaincuqu’il

s’agitd’uncanular.

—Cequitombesouslesens.Marshaouvrituneautredosettedecrème,etsoncaféprituneblancheurlaiteuse.— J’imagine que si quelques-unes ont signalé cet incident, poursuivit-elle, d’autres, commemoi,

n’ontpasjugéutiledelefaire.—Probablement,confirmaCory.J’ail’impressionquetanuitaétéaussireposantequelamienne.Marshalaissaéchapperunrirebref,peuconvaincant.—Onressembleàdeuxzombies,n’est-cepas?Jen’aicessédepenseràJack,etàtoutcedontil

m’amenacée. Presque une année s’est écoulée.En y réfléchissant, jeme dis qu’il ne cherchait pasvraimentàmeretrouver,maisseulementàm’effrayer.Marshaavaitdebonnesraisonsd’êtreterrifiée,comptetenudecequesonancienpetitamiluiavait

fait subir. Cory aurait aimé lui prodiguer des paroles rassurantes, mais elle en était incapable.Commentpouvait-ellelaréconforter,alorsqu’elleéprouvaituneangoissesimilaire?Sespoursuivantsavaient de meilleures raisons de remonter jusqu’à elle, étant donné qu’elle pouvait contribuer àidentifierl’und’eux,l’assassindesonmari.Celasignifiait-ilpourautantquel’ex-marideMarshasoitmoinsdéterminé?—Comptes-tutoujoursprendreunchien?Marshaacquiesça.—J’aiappelélevétérinaireavantdevenir.Ilaquelqueschienssusceptiblesdemeconvenir,d’un

natureltrèsprotecteur.—C’estunboncritère.—Jeluiaipréciséquejevoulaisungroschien,maisilnepartagepasmonavis.—Pourquelleraison?Marshaeutunrirequiexprimaitsafatigue.—Ilm’ademandécombiende temps jepourrais consacrer à sespromenades, et si jevoulais le

prendresurmesgenoux…Savoixsebrisa.—Excuse-moi,reprit-elle.C’estlafatigue.Maisaufond,l’idéedepouvoirleserrerdansmesbras

meplaîtbien,etpuis,avecmeshorairesdetravail,j’auraisétéincapabledelesortirtouslesjoursàlamêmeheure…Ellesoupira,etbaissalesyeuxverssatasse.Toutàcoup,Coryretrouvaunesensationqu’ellen’avaitplusressentiedepuislongtemps:l’enviede

protégerquelqu’und’autre.Ellesentitcedésirenflerdanssapoitrine,consumantunepartiedesapeur.Ces hommes lui avaient non seulement volé sa vie, mais ils l’avaient aussi dépouillée de sa

personnalité.Ellelesavaitlaisséslatransformerenrecluseapeurée,dontleseulbutétaitdesurvivre,unjouràlafois.Combien de temps allaient-ils encore exercer cette tyrannie sur elle ?Comment avait-elle pu les

laisser faire ? Elle n’était pas la seule personne sur cette planète à avoir peur et à éprouver desbesoins. Il suffisait de regarderMarsha.Qu’avait-elle fait demal, àpart choisir unmauvaismari ?Marsha,quielleaussiétaitvenueseterrerdanscetrouperdu.Corysentitl’exaspérationlagagner.Elleposaquelquesdollarssurlatable,pourréglerlescafés,et

seleva.—Allonschoisircechien.Celateredonneralesourire.Surprise,Marshaesquissaunfaiblesourire.—Tuasraison.Allons-y.—Leplusmignonetleplusaffectueuxpossible.Le comté affichait une faible densité de population, et ce déficit de contribuables obligeait

l’administrationàgérerlesdépensespubliquesdemanièredrastique.Ainsi,lacliniquevétérinaireetla fourrière animale partageaient les mêmes locaux, tandis que le vétérinaire percevait uneindemnisationpourlegardiennagedesanimauxabandonnés.Commedenombreuxconfrèresexerçantdansdepetitesbourgades,illuiarrivaitaussideprendresoindechevauxoudereptiles.Bel homme d’une trentaine d’années, il avait remplacé son prédécesseur cinq ans plus tôt, et

semblait apprécier sapatientèlevariée. Iln’avaitqu’unassistant,mêmeside l’aide supplémentaireauraitétébienvenue.—Vousavezbienchoisivotrejournée,fit-ilremarqueràMarshaetCory,aumomentoùtoustrois

traversaientsonbureaupourrejoindrelechenil.Jenesuispastrèsoccupé.Jepeuxdoncprendreletempsdebienvousconseiller.Lorsqu’ils arrivèrent près de la clôture métallique derrière laquelle s’alignaient les cages, les

aboiementsredoublèrentd’intensité.—Ilsnousontsentisarriver,expliqualevétérinaireensouriant.Maisavantquenousentrions,ilse

tournaversMarsha,j’aimeraissavoirpourquellesraisonsvousvoulezprendreunchien.Est-cepourvous protéger ? Ou bien cherchez-vous un compagnon ? De quel budget disposez-vous pour lanourriture?Marshasoupira.—J’enaiassezd’êtreseule,concéda-t-elle.Oui,j’aimeraisunchienquim’alertesiquelqu’unentre

chezmoi,maisjeveuxaussiunebouledepoilsàdorloter,aveclaquellejepourraijouer.Quantàsanourriture—elleplissalenez—ilvaudraitmieuxqu’iln’aitpasgrosappétit.CettedernièrephrasefitsourireMikeWindwalker.— Dans ce cas, j’ai quelques pensionnaires susceptibles de vous plaire. J’ai des compagnons

joueursetaffectueuxdanstouteslestailles!CoryrestaunpeuenretraitpendantqueMikeprésentaitàMarshaplusieurspetitschiens.Ellene

souhaitaitpas trop s’attacher à l’und’eux, car,une foisqueWade seraitparti, àmoinsd’obtenirunpostemieuxpayé, ou d’effectuer plus d’heures, elle n’aurait pas lesmoyens d’entretenir un animal.Sans compter qu’elle ne pourrait pas le laisser vagabonder la nuit, à cause des détecteurs demouvement.Commeilétaitdifficilederésisterauxyeuxemplisd’amourdecesboulesdepoils!Ellesentaitsa

déterminationfondre.Elledutserappeleràplusieursreprisesqu’ellenepouvaitpasselepermettre.Unepointed’envielapiqualorsqueMarshaarrêtasonchoixsurunlouloudePoméranie.—Laloyautésurquatrepattes,commentaMike.Ilvouspréviendradèsquequelqu’uns’approchera

dechezvous,etceschiensontlaréputationdedéfendreleurmaîtres’illefaut.Ilsecoualatête.Lesgens sous-estimentparfois le côtéprotecteurdeschiensdepetite taille.Onpeut toujours trouverunmoyendelesmettrehorsjeu,maiscespetitsbonshommesontdescœursdelion.

Marsha avait vraiment l’air d’être sous le charme. Elle était de tempérament joyeux,mais il luiarrivaitsouventd’êtreenproieàl’angoisse.Encemomentprécis,enrevanche,ellenesemblaitplustoucherterre.—Sachezquej’animedescoursdedressage,quisontgratuits.Jevouslesconseillesivousoptez

pourcetteracedechiens.—Avecplaisir.—Jedémarreunenouvellesessionsamedimatinà9heures.Marshaluiadressaunlargesourire.—Jeserailà.Ellevenaitd’accomplirunebonneaction,seditCorysurlecheminduretour.Elleétaitpersuadée

queMarshaneseseraitpasdécidéeaussivitesielleavaitétéseule,carvivredansl’angoisseavaittendanceàvousparalyser,desortequelesdécisionslesplusanodinesprenaientuneallured’affaired’Etat.Il était grand temps que cela s’arrête, songea-t-elle.Depuis trop longtemps, elle n’était plus que

l’ombred’elle-même.Wadeavaitdû l’entendre segarer,car il l’attendaitenbasde l’escalier. Ilvenaitde se réveiller,

semblait-il,carsescheveuxétaientenbataille,etsachemisebleueouvertepar-dessussonjean.Cefutplusfortqu’elle.Elles’arrêtanet,etadmiracetorseauxmuscleslissesetcettepeaubronzée

quisemblaientn’attendrequ’unecaresse.MonDieu,commesielleavaitbesoindeça!Ellelevalentementlesyeux,etleregrettaaussitôt,carellelutdanssesyeuxd’obsidiennequeson

troubleneluiavaitpaséchappé.Ilnefitaucuneremarque,maiss’abstintdeboutonnersachemise.—Marthaa-t-ellechoisisonchien?demanda-t-il,avantquelesilences’installetrop.—Oui.C’estunloulou.—Undemesamisenpossédaitun.Illesurnommaitsonpiranhadepoche.Coryéclataderire,pourlapremièrefoisdepuisbienlongtemps.UnsourirediscretilluminalevisagedeWade.—Iladoraitmemordillerleschevilles.Elletrouvacelaencoreplusdrôle.—Quelstupidecabot!lança-t-elle.—Absolumentpas!—Ildevaitl’êtrepourtant,pours’attaqueràquelqu’undevotregabarit!LesouriredeWades’élargit.—Ilsavaitquejeneluiferaispasdemal.Leschienslesentent.Quandsonhilaritésefutcalmée,CoryréalisasoudainqueWadel’attendaitpeut-être.—Avez-vousbesoindequelquechose?—Ehbien,àvraidire…Ilhésita.Ilétaitconvenuquejemangeàl’extérieur.Maisjemedemandais

sicelavousdérangeraitquej’utilisevotrecuisine?Jeremettraitoutenordre,etvousneremarquerezpasquejesuispasséparlà.

Sanssavoirpourquoi,elleétaitrassuréeàl’idéequ’ilnelalaisseraitpasseuletroisfoisparjourpourallerserestaurer.Incroyable,lecheminqu’elleavaitparcouruenunejournée.Laprésencedecethomme,quiluiparaissaitmenaçanteàpremièrevue,luiétaitdevenuerassurante.Non,ellenevoyaitpasenquoilefaitqu’ilutilisesacuisinepouvaitladéranger…—Celanemeposeaucunproblème.Elleétaitunpeusurprisequ’ilaitpréciséqu’elleneremarqueraitpassaprésence.Peudegensse

seraientpréoccupésdecegenrededétails.—Quelquechosenevapas?Cettequestionluifitreprendrepiedaveclaréalité.—Non,toutvabien.Monesprits’égareparfois.Jepensequejepassetropdetempsseule.Elleeutunpetitriregêné.—Jevaisallerfairequelquesachats,alors,conclut-il.Ellesecoualatête.—Celavapeut-êtreàl’encontredevosprincipesdedemanderdel’aide,maisriennevousobligeà

vous rendre à pied à la supérette, alors que je peux vous y conduire.Accordez-moi uneminute, letempsdeboireunverred’eau,etjevousyemmène.Elle crut qu’il allait protester. Quelque chose en lui montrait qu’il avait quelques réticences à

accepterdel’aide,dumoinssil’offren’émanaitpasdeproches.Ilfinitparaccepter,d’unsignedelatête.—Prenezvotretemps.Commevouslevoyez,jenesuispaspressé.«Waouh!pensa-t-elleensedirigeantverslacuisine.Acerythme-là,jenepourraibientôtplusle

faire taire.»Elleprit son tempspour sedésaltérer, carelle l’avaitentendu regagner sachambre. Ilétaitprobablementallésecoiffer,boutonnersachemiseetenfilerdeschaussures.Ilredescenditcinqminutesplustard.Elleposasonverreetsedirigeaverslevestibule.—Vousêtesprêt?luidemanda-t-elle,mêmesielleconnaissaitdéjàlaréponse.Ilavaitenfiléunepairedechaussuresbateau,plusconfortablesquesesbottes,etilavaitremisde

l’ordredanssatenueautantquedanssescheveux.—Sivousl’êtes,répondit-il.Elleattrapasonsacàmainetsesclés.—Enroute,alors.—Vousêtessûrequecelanevousimportunepas?Denouveaulacraintedegêner.Ellelefixaduregard,hésitantàsoulignercequisemblaitêtreun

traitdesoncaractère.Maiselles’enseraitvouludecommettreunfauxpas,etrisquerqu’ilsereferme.Ilnel’avaitpassubmergéedequestions,etlamoindredeschosesétaitdeluiretournercettepolitesse.—Celanemedérangepasdutout,luiassura-t-elle,avantdeluiadresserunsourire.Letrajetjusqu’aumagasins’effectuaensilence,maisellecommençaitàs’yhabituer,etellenese

sentitpasaussimalàl’aisequelaveille.Iln’ouvritlabouchequ’aumomentoùelles’engageasuruneplacedestationnement.—Vousn’êtespasobligéedem’attendre,luiprécisa-t-il.Sivousavezdeschosesàfaire…

Ellesecoualatête.—Jesuislibrecommel’air.Jevaisseulementpasservoirmacollègue,afindevérifierqu’ilsn’ont

pasd’heuressupplémentairesàproposer.Elle quitta son véhicule, puis le verrouilla. Une autre voiture se gara près de la sienne, et le

conducteur se mit à farfouiller dans une liasse de papiers. Sans doute cherche-t-il sa liste decommissions,seditCory,amusée.Wadel’attendait.Iltraversaleparkingàsoncôté,ajustantsonpasausien.—C’esticiquevoustravaillez?—Oui.Lepatronadiminuénotrevolumed’heuresilyaquelquessemaines.— J’imagine que cela doit être difficile pour vous. Pas étonnant que vous soyez contrainte de

prendreunlocataire.EtMarsha,comments’ensort-elle?—Unpeumieuxquemoi,carelletoucheunepensionalimentaire.Ils’arrêtanet,justeaprèsavoirpassélesportescoulissantes,etillascrutaduregard.—Alorssonexsaitoùellesetrouve.— En théorie, non. C’est son avocat qui lui envoie le chèque, et il a pour consigne de ne pas

dévoilersonadresse.Ilhochalatête.—C’estplusprudent.Ellesedirigeavers lebureaududirecteur,derrière lecomptoirduserviceà laclientèle,pendant

qu’ilprenaitunchariotetcommençaitàarpenterlesallées.Intéressantqu’ilexprimedel’inquiétudeenversMarsha,songea-t-elle.Souscettefaçadedemarbrebattaitfinalementuncœur.BetsyCorens,sasupérieure,l’accueillitavecsonéternelsourire.—Jesuisdésolée,Cory,maisjen’aipasd’heuresàteproposer.Dumoinspourlemoment.Maistu

esentêtedeliste,aucasoùnousdevrionsfaireappelàquelqu’un.Corysesentitpresquegênée.—Quemevautcethonneur?Beaucoupd’autrescollèguescomptentaussisurcesheures.— Nous en avons tous besoin. Mais tu vis seule, alors que beaucoup d’employés ont d’autres

sourcesderevenus.Corysentitlerougeluimonterauxjoues.—Mais…Betsyfitnondelatête.—Nousapprécionslaqualitédetontravail.Sijepeuxfairequelquechosepourtoi,jeleferai.Un client arriva pour une réclamation, aussi Cory prit-elle congé deBetsy avec un sourire. Elle

n’avait pas l’habitude de se promener dans les rayons sans rien à acheter ni à faire. Au bout dequelquesminutes,elleserenditcomptequ’elles’arrêtaitdetempsàautrepourremettreenordrelesarticlessurlesprésentoirs.Elle détestait rester oisive, ce qui lui était arrivé bien trop souvent durant l’année qui venait de

s’écouler. Entre Jim et son poste d’enseignante, elle n’avait autrefois pas une seconde d’inactivité.Aujourd’hui,ellejouissaitdebeaucoupdetempslibre,cequiéquivalaitpourelleàbientropd’heures

passéesàressasserdesombrespensées.Desjournéesentièrespourpenseràsaviepassée,àlaisserl’angoisseetlatensionprendretoutela

place.Ilsl’auraientdéjàretrouvée,sitelleavaitétéleurintention.Elle tomba sur Wade au détour d’une allée, et jeta un coup d’œil à son chariot. Il n’y avait

pratiquementrienmis.—Vousavezdumalàtrouvercequ’ilvousfaut?Ilesquissaunpetitsourire.—Onpeutdireçacommeça.—Quesepasse-t-il?—Pendantdesannées, j’aipris laplupartdemesrepasdansdesréfectoiresouavalédesrations

toutes prêtes. J’ai des connaissances basiques en cuisine, mais je n’imaginais pas qu’il serait sicompliquédefairedescoursespourunepersonne.Enuneminute,ilvenaitdeluidivulguerbeaucoupd’informations,cequilafitsourire,sansqu’elle

sachetroppourquoi.—J’aiuneidée.—Laquelle?— Je déteste cuisiner pourmoi seule. Cela vous dirait que nous cuisinions à tour de rôle ? lui

suggéra-t-elle.—Etes-vouscertainedevouloirprendrecegenrederisque?—Vousparlezdevostalentsdechef?—Dequoid’autrepourrait-ils’agir?—Vivonsdangereusement!Etsicelanemarchepas,ehbien,jepourraitoujoursvousdonnerdes

leçonsdecuisine.Oubienjeprendrailescommandesdesopérations.Ilsecoualatête.—Ilesthorsdequestionquevousfassiezàmangerpourmoi.Cen’estpascequiétaitconvenu.Elle levoyait se refermerpeuàpeu, commesi l’idéed’avoir àdépendred’elle lemettaitmal à

l’aise.—Trèsbien,jemecontenteraidoncdevousdonnerdesconseils,lecaséchéant.Cettepropositionparut lesatisfaire.Laperspectived’avoiràmitonnerdespetitsplatssembla lui

donnerdesailes,carsonchariots’emplitàvued’œil.—Jevaismoiaussifairequelquesachats,décida-t-ellesoudain.Jeviensdemerappelerquejen’ai

pasbeaucoupderéservesàlamaison.—Permettez-moidelefairepourvous.Celacompenseralescoursquevousdevrezprobablement

medispenser.Elleouvrit labouchepourprotester,maisseravisa.Cethommenesupportaitpasd’êtreunpoids

pour quelqu’un.Mieux valait donc le laisser faire, se dit-elle. Quand elle le vit déposer dans sonchariotdesarticlesqu’elleauraithabituellementignorésenraisondeleurprix,ellenesoufflamot.—Jen’aipaslamoindreidéedecequ’ilvousfautpourcuisiner,avoua-t-ilauboutd’uninstant.

Choisissezcequivousplaît.

Iln’eutpasbesoindeleluidiredeuxfois.Audétourd’uneallée,elleaperçutdenouveaul’hommequiavaitgarésonvéhiculeprèsdusien.Il

poussaitsonchariot,unmorceaudepapieràlamain,etlasaluadelatêteenlacroisant.Elleluirenditsonsourire.Detouteévidence,ilavaitretrouvésaliste.Deux autres personnes la saluèrent alors que Wade et elle continuaient leurs courses. Cela lui

paraissaitnaturel lorsqu’elleportait sa tenuedecaissière.Pour lapremière fois,elleseditquecespersonnesétaientpeut-êtrechaleureusesparnature.Ilétaitgrandtempsqu’ellefasseuneffort.Dès l’instantoùellequitta lemagasin, chargéedequatre sacsdeprovisions, il lui tardad’être à

l’heuredudîner.Depuiscombiendetempscelaneluiétait-ilpasarrivé?Aquoibonseposercegenredequestions,

sereprit-elle.Pasaujourd’hui,alorsqu’ellesesentaitsibien,presquenormale,pourlapremièrefoisenunan.Iln’yavaitaucunmalàêtreheureuse.Jimn’auraitpasaimélafemmequ’elleétaitdevenuecesderniersmois.Aumoins,elleavait leméritede faireuneffort,et le reculaidant,elle se réjouitquecesenfants

aientdécidédeluijouerunsaletour.Certes,cetappell’avaitmisedanstoussesétats—etilavaitaussi terrifiéMarsha—,mais devoir faire face l’avait poussée à aider son amie. Et elle pourraitdésormaisenseignerlacuisineàWade.Des détails insignifiants,mais qui avaient plus d’importance que tout ce qui s’était passé depuis

cetteeffroyablenuit.Iln’yavaitpasdepetitesvictoires.— A quelle heure dînez-vous habituellement ? lui demanda-t-elle une fois rentrés, tandis qu’ils

s’affairaienttousdeuxàrangerlescourses.Ellemarquaunepausepourregarderlecontenuduréfrigérateur.Jamaisiln’avaitétéaussirempli.Il

débordaitdevictuaillesentousgenres.Ils’arrêta,uneboîtedeféculedemaïsàlamain.—Madame,vousparlezàunagentdesforcesspéciales.J’aiapprisàmangerquandlanourriture

étaitdisponible.—Oh!Unagentdesforcesspéciales?—Oui.Cetaveulevaitlemystèresurcertainsaspectsdesapersonnalité.Voilàpourquoiilparaissaitsidur

etsidangereuxparmoments.Saréserve,aussi,etsonimpassibilité.—J’oseàpeineimaginercequevousavezdûvivre,dit-elled’unevoixhésitante.Ilsouritenguisederéponse.Affaireclassée.Dumoins,siellen’insistaitpas.Querisquait-elleàle

questionner,maintenantquelaglacesemblaitunpeubriséeentreeux.Maisellenetenaitpasnonplusàfranchirlalimitequ’ilvenaitd’établirparsonsilence.—J’aivubeaucoupdereportagessurcessections,dit-ellepourrelancerlaconversation.—Commelaplupartdesgens.Ilpliaitsoigneusementlessacsàprovisions.—L’entraînemental’airterrible.—Oui.

Décidément,ilétaitintarissable!Elleréprimaunsoupir.—J’aivuundocumentairedanslequellesagentsdevaientaborderunvaisseauenpleinemer,pour

enretirerunchargementdeplutoniumquiauraitpuserviràfabriquerunebombe,poursuivit-elle.—Oui.—C’estincroyablecequevousêtescapablesd’accomplir!—Lescivilsn’ontpaslamoindreidéedecequ’onnousdemandedefaire.Surcesmots,ilrassemblalessacsenunepileparfaiteetquittalacuisine.Ellel’entenditgravirlesmarches,etperçutlegrincementfamilierdelaportelorsqu’ilpénétradans

sachambre.Avecluis’envolalebonheurquiavaitilluminésajournée.

4

Corys’envoulait.Pourlapremièrefoisdepuisbienlongtemps,elles’étaitsentievivante,maiselleavaittoutfichuparterre.Elles’étaitmontrée indiscrèteenversWade,alorsqueson intuition l’avaitprévenuequ’elleallait

trop loin.Sesaptitudessociales semblaientavoir souffertdeson isolement.Autrefois,elle se seraitmontréebeaucoupplussubtile.Elle auraitmieux fait de se taire, d’autant qu’elle avait aimé accomplir ces tâches routinières en

compagniedeWade,endépitdufaitqu’elleleconnaissaitàpeine.En outre, elle ne s’était nullement montrée intrusive. Elle s’était abstenue de toute question

personnelleetnel’avaitpasnonplusinterrogésurlesopérationsauxquellesilavaitprispart.Elleavaitbeausedirequ’iln’yavaitpasdequoisetourmenter,ellen’yparvenaitpas.Commepour

l’appeltéléphoniquedelaveille.Danssonanciennevie,ellel’auraitinstantanémentchassédesonesprit.Son calvaire l’avait transformée.L’angoisse l’avait peu à peuminée, et chaquenouvelle épreuve

l’affectaitunpeuplusprofondément.Lesdétails lesplus insignifiants repassaientenboucledans satête.Maisaujourd’hui,grâceàMarsha,puisàWade,elleétaitparvenueàfaireabstractiondecetappel

saugrenuetàluiredonnersavéritableplace.Cependant,ellesentaitquecechangementétaitfragile,etqu’ilnefaudraitpasgrand-chosepourque

l’angoisseetlapeurréclamentdenouveauleurdû.Elle se leva, décidée à chasser ses ruminations en sortant prendre l’air. Elle avait passé trop

d’heuresterréedanscettemaison,cequin’avaitfaitqu’accroîtresonmal-être.Peut-êtresonincapacitéàretrouverunevienormaleétait-elledueàcetteterreurquil’avaitenvahie

aupointdelaparalyser.Oui,elleportaitencoreledeuildesonmari,maislechagrinetlapeurétaientsiintimementmêlés

qu’elleneparvenaitplusàfairededistinctionentrelesdeux.Aujourd’hui,illuisemblaitavoirfaitdeuxpetitspasdanslabonnedirection.Ilétaittempsdesortir

del’ombreetderecommenceràvivrecommetoutunchacun,sanscraindrelepireàchaqueinstant.Elleattrapasesclésetdécidadenepass’embarrasserdesonsacàmain.Elleenfilasesbasketset

éteignitl’alarme.Ellen’avaitpaslechoix,carlorsquelesystèmeétaitactivédepuisplusdequarantesecondes,ildevenaitimpossibled’ouvriroudefermerlaportesansdéclencherunesonneried’alerte.Ellenebénéficiaitquedecesprécieusessecondessiellenesouhaitaitpasquelapolicesoitprévenue.Ellecomposalecodeetentenditlesonstridentdevenufamilier.Ilneluirestaitplusqu’àremettrele

systèmeenmarcheetàquitterleslieuxsansattendre.Maisellen’eneutpasleloisir.—Oùallez-vous?Elle se retourna et aperçut Wade en haut de l’escalier. Elle sentit une pointe d’exaspération la

titiller,changementnotablepourelled’ordinairetaraudéeparlapeur.—Jesors.Est-cequecelavousintéresse?—Non.Sachemiseétaitdenouveauouverte,etelleaperçutdavantagequeson torsepuissant.Sonventre

était plat et sesmuscles abdominauxbien dessinés, sans être trop proéminents.Elle dut s’obliger àleverlesyeux,pourcroisersonregard.Ildescenditquelquesmarches.—Jevousaccompagne.Elleenrestabouchebée,maissonirritationnefitques’accroître.—Pourquoi?Jevaissimplementfaireletourduquartier.—Celameferaleplusgrandbien.Ellefaillitluirétorquer,assezsèchement,qu’ellen’avaitnulleenviedesacompagnieMaisellese

ravisa.L’angoissen’étaitpas très loin.Quefairesi lapeur lasubmergeaitdenouveauaucoindelarue?Neferait-ellepasmieuxd’acceptercettemaintendue?Abienysonger,ellen’étaitpastoutàfaitsûred’avoirlecouragenécessairepours’aventurerdehorsseule,surtoutaprèscecanular.—Nomdenom!grommela-t-elle.Ilavaitdescendul’escalierets’employaitàboutonnersachemise.Illevalesyeuxverselle.—Qu’ya-t-il?—Jenepeuxpluslesupporter!—Dequoiparlez-vous?Ellehésita.—Vousn’êtespasobligéedem’enparler.Marchervousaideraàvousdétendre.Elleneréponditpas.Pourlapremièrefois,ellepritlapeinedel’étudier,passantoutresacarrure

imposante,etremarquaqu’ilétaitvraimentbelhomme.Soudain,ellecompritimmédiatementquelefrissonqu’ilavaitprovoquéenellen’avaitrienàvoir

aveclapeur.Depuiscombiendetempsn’avait-elleplusressentidetroublefaceàunhomme?Wadelatiradesespensées.—Alors,onyva?—Onyva.Ellecomposalecodeetilssortirentdelamaison.Ellepritladirectionduparcsituéaucentre-ville.

Depuiscombiendetempsn’avait-ellepasregardédesenfantsjouer?Jusqu’àprésent,ellecraignaitdeselaisserenvahirparlanostalgiedesonancienmétier.Désormais,ellesesentaitprêteàassocierdenouveaulesenfantsauxbonsmomentsdesavie.Wadeajustasonpasausien,commesicelaluiétaitnaturel.Commeàsonhabitude,ilneprononça

pasunmot.C’étaitunechaudeaprès-midid’été,etlesoleilbrillaitdecetéclatpropreauxrégionsduNord.Se

laissant aller à unbien-être qu’elle n’avait plus ressenti depuis desmois,Cory se sentait d’humeurloquace.—Avant,j’habitais…plusausud.Presquesouslestropiques,àvraidire.Lesoleilparaîtdifférent

ici.—C’estvrai,confirma-t-il.—Les journéesd’étéontbeauêtreplus longues, le soleilnesemble jamaismonteraussihautou

brilleravecautantd’intensité.Etlesnuitsd’hiversontsilongues.—Oui.—Maisaumoinsjenecrainspluslescoupsdesoleil,ajouta-t-elleenriant.Là-bas,vouspouvez

parfairevotrebronzagerienqu’entraversantlarue.Ileutunrire,aussipeuconvaincantqueceluideCory.—J’aiconnupresquetoutesleslatitudes.Elleseditquesaréponseconstituaitunpremierpasencourageant.—Celanem’étonnepas.Ellepritsoindenepaslequestionneretpoursuivitsesconfidences.—J’aidûbeaucoupm’adapter,sanstoujoursbeaucoupdesuccès.Ilfitquelquespassansdireunmot.—Ilestdifficiled’allerdel’avantlorsquelapeurvoustétanise,constata-t-il.—Çasevoittantqueça?—Commejevousl’aidit,celuiquil’acôtoyéeauquotidiensaitlareconnaître.—Jenesaispassic’estuncomplimentouunecritique.—Nil’unnil’autre.Unesimpleobservation.—Vousarrive-t-ild’êtreeffrayé?Dès qu’elle eut prononcé cesmots, elle se dit qu’elle avait peut-être, une fois encore, franchi la

limite,mais ilétait trop tardpour fairemachinearrière.Elle retintsa respiration,sedemandants’ilallaitfairedemi-tourets’éloigner.Ellefutsurprisedel’entendrerépondre.—Jesuisunêtrehumain.Plutôtvague,commeréponse.Ellesedétenditetjetaunregardauxalentours,observantlesarbres

centenaires qui bordaient la rue, dont les feuilles bruissaient dans la brise estivale. Il n’y avaitpersonneàl’horizon,cequinelasurpritguère.Ici,commeailleurs,lesdeuxconjointsavaientbesoindetravailler.—Lesoir,lesgenss’installentsouventsousleurporche.Làoùjevivaisauparavant,c’étaitpresque

inconcevable. Mon ancienne maison était située dans une zone résidentielle récente, et le mustconsistaitàavoirunjardinclôturéderrièresapropriété,àl’abriduregarddesautres.—Dansnombredepaysoù j’aivécu, lamaisonest le lieuoù l’ondort,etquisertdeprotection

contre les éléments naturels. Les activités quotidiennes prennent place dans des espaces communs,danslarue,oudevantlelieud’habitation.Naturellement,certainespersonnes,quelquesoit lepays,tiennenttoujoursàresteràl’écartdesautres.Enrevanche,danscertainescultures,unjardinclosfaitpartiedestraditions,maiscommeplusieursgénérationscohabitentsousunmêmetoit,onnepeutpasvraimentparlerd’isolement.Danslabouchedecethomme,cesexplicationsprenaientdesalluresdecours.

—Vouspensezquenouspassonsàcôtédel’essentiel,ennousretranchantderrièrecesbarrières?—Toutdépenddecequevouscomptezfairedevotrevie.Maisunefoisquecemurestmonté,si

vousfaitesunbarbecue,vousavezpeudechancesd’avoirlavisited’unvoisind’humeurvolubile,quiarriveraitavecunpackdebières,etfiniraitparresterdîner.—C’estvrai.J’ignorequellessontlescoutumesdelarégion,concéda-t-elle.Généralement,lorsque

jequittemontravailpourrentreràlamaison,jecroisequantitédepersonnes,probablementamicales,maisjepoursuismonchemin,puisjemebarricadechezmoi.—Vousavezsûrementunebonneraison.—Eneffet.Ellesoupira.—Toutàl’heure,j’aieul’impressiondesortirdececerclevicieux.C’estcequim’apousséàaller

marcherquelquesinstants.—Mais?—J’aivitecomprisquecetétatnedureraitpas.Quel’angoisseétaitencoreprésente,àcausedecet

appeltéléphonique.Jeneparviensmêmepasàmel’expliquer.Ilsatteignirentleparcetaperçurentunbancenborduredetrottoir.Personnen’yétaitassis,cequi

réduisitànéantlesespérancesdeCory.Elles’attendaiteneffetàytrouveruneconnaissance,quiferaitofficedediversion.Pendantquelquesminutes,Wadelaissalesilencesemêleràlabrisequiflottaitentreeux.—Parfois,nousperdonsnosrepèresparcequ’unchangements’opèreennous.Elle se tourna vers lui et sentit de nouveau ce trouble qu’elle avait déjà ressenti à son contact.

Pourquoiavait-elletoutàcouptellementenviedeposerlatêtesurl’épauledecetinconnu?Desentirsesbrasl’enlacer?Elle se leva d’un bond et rebroussa chemin. Marcher lui sembla la solution tout indiquée pour

dissipercetrouble.—Ilfautallerpréparernotredîner,offrit-ellecommeseuleexplicationàsaréactionsoudaine.Impossibledeluiavouerquelessensationsqu’ilfaisaitnaîtreenelleluiparaissaientpresqueaussi

effrayantesquel’appeltéléphoniquedelaveille.Malgré sondépart inopiné, il la rattrapa avant qu’elle ait eu le tempsde faire deuxpas. Il ne la

quittaitpasd’unesemelle,cequil’irritaitetlarassuraittoutàlafois.Elleétaittotalementdéroutée.Aumoins,sonchagrincommesapeurétaientclairscommedel’eauderoche.Elleseforçaàralentirl’allurequandelleremarquaqu’ellecouraitpresque.—Quelquechosenevapas?luidemandaWadedoucement.Elles’arrêtanetetplantasonregarddanslesien.Elleeutl’impressiond’ylireunevéritéqu’elle

n’étaitpascertainedepouvoiraccepter.Aprèstout,quesavait-elledelui?—Unévénementvousa-t-ildéjàpousséàprendredurecul,afind’yvoirplusclair?—Oui.—Etsicequevousdécouvrezvousdéçoit?Elle n’attendait pas vraiment de réponse, aussi se remit-elle à marcher. Elle n’imaginait pas un

instant qu’il puisse lui donner son avis. Ce type de question à voix haute s’adressait généralementdavantageàsoi-même.Aussifut-ellesurprisedel’entendrerépondre.—Vousfaitesensortedechanger.—Plusfacileàdirequ’àfaire.—Commetoujours.Latensionqu’elleressentaitbaissad’uncran.Changer?Pourquoipas?Aprèstout,elleavaitlaissé

lavielaballottercommeunevictime.Etellen’enétaitpastrèsfière.—Parfois,poursuivit-elle,ilfautredevenirmaîtreàborddesonvaisseau.Cequ’ellen’avaitplusfaitdepuislafusillade.—Pasévident,lorsqu’onestprisenpleinetempête.Ellesetournaverslui.Ilparlaitd’expérience,ellel’auraitparié.Maisellen’osaitposerplusdequestions,depeur…qu’il

s’enaille.Pour une raison obscure, elle avait cessé de le considérer comme un envahisseur. Sa présence

suffisaitàluirappelerqu’elleétaittoujoursvivanteetsesattentionslafaisaientsesentirensécurité.Amoinsquecenesoitl’attirancequ’elleéprouvaitpourlui,quiauraitabattutouslesmursqu’elleavaitérigésautourd’elle.Cesmurs,ellenelesavaitpasmontésbriqueparbrique;ilss’apparentaientplutôtàdesbarrières

métalliquesérigéeslorsdecettefunestenuit.Barrièresquil’avaientaussicoupéed’elle-même,delapersonnequ’elleétait,unejeunefemmejoyeuseaimantlacompagnie.Elle lui jetauncoupd’œilfurtif.Elleauraitdûavoirpeurdelui,à lamanièredontellecraignait

toutechoseaujourd’hui.Pourtant,lespenséesquil’habitaientétaientd’unetoutautrenature.Labouchede Wade, aux contours parfois si durs, s’adoucirait-elle au contact de ses baisers ? Et ses braspuissants…Commeelleavaitenviedes’yblottir…MonDieu!Elleperdaitlatête.Tandisqu’ilstournaientàl’angledelaruemenantàlamaisondeCory,deuxvoituress’engagèrent

dansleurdirection.Ellelevalamainpoursaluerlesconducteurs,ayantdécidéqu’ilétaitgrandtempspourelledesemontrerplusamicale.Lafemmeauvolantdupremiervéhiculeluisouritetlasaluaenretour,contrairementauconducteurdusecondvéhicule,quinedaignapasmêmeluidécocherunseulregard.Unefoisentrésdanslamaison,ilsreprogrammèrentlesystèmed’alarme.Sansunmot, il lasuivit

dans la cuisine, visiblement disposé à prendre son premier cours de cuisine. Elle commença àrassemblerlesingrédients.Ellecomptaitréaliserunplatdepâtesauxlégumesetàlasaucissefumée.—Jeneme faisplusconfiance,marmonna-t-elle, sans se rendrecompte,dansunpremier temps,

qu’elleréfléchissaitàvoixhaute.Elleavaitpassétantdetempsseule,qu’iln’étaitpasrarequesespenséespassentlabarrièredeses

lèvres.—Toutvadetravers,poursuivit-elle.Maisquiditquej’étaispluslucideavant?Jevivaisdansune

sortedemondemerveilleux.Unpaysoùlemalheurn’existaitpas.Lepaquetdesaucissesàlamain,elleseretournaetsetrouvafaceàWade,quil’observait,lesbras

croisés.Acemoment-làseulement,ellecompritqu’elleavaitparlétouteseule.Lerougeluimontaaux

joues.—Excusez-moi.Ilm’arrivedepenseràvoixhaute.C’estunemauvaisehabitude.—Nefaitespasattentionàmoi.—Pourêtrefranche,cen’estpastrèsintéressant.Etjenesuispassûredevouloirquequelqu’un

entendemesélucubrations.—Jepeuxm’enaller,sivouspréférez.Ellesecoualatête.—Restez.Jevousaipromisdevousapprendreàcuisiner,etceplatestidéalpourundébutant—

elleluitenditlesachet—.Aumicro-ondes.Appuyezdeuxfoissurlebouton«Décongélation»,s’ilvousplaît.Il saisit le paquet et suivit ses instructions. Immédiatement, le bourdonnement familier dumicro-

ondesemplitlacuisine.Puiscefutletourdespoivronsvertsetdestomates,devéritablesproduitsdeluxeàcettepériodedel’année,qu’ellerinçadansl’évierets’apprêtaàcouper.—Vousaimezlesoignons?—Jelesadore.Elleenpritundanslepaniermétalliquequipendaitduplafondetl’épluchaavecdextéritéavantde

ledéposeràcôtédesautreslégumes.—Jesais trancheretcouperencubes,annonçaWadeen lavoyantprendreuncouteauàémincer.

Commentlesvoulez-vous?—Encarrésd’uncentimètredecôté.Elleluitenditlecouteau.Leursdoigtssefrôlèrent,etellesentitlachaleurdesamain.Ellefermales

yeux, pourmieux goûter le plaisir oublié du contact d’une peau. Elle ne laissait pratiquement pluspersonnel’approcherd’aussiprès,etsurtoutpasunhomme.Unevaguededésirlasubmergea,etelleinspiraprofondément.—Qu’ya-t-il?Il se trouvait si prèsd’ellequ’elle sentit son souffle sur sa joue.A la foisdouxet frais.Elle fut

parcourued’unfrissonetseforçaàouvrirlesyeux,prêteàimproviseruneexplicationbanale.Maisdèsquesonregardcroisalesien,ellesutqu’ellen’yparviendraitpas.Sesyeuxd’obsidienne

semblèrentdevenirplussombresencore,etelleentenditsonsouffleprofond.Lecouteauémitunbruitmétallique lorsqu’il atterrit sur leplande travail.L’instantd’après, elle se retrouvait dans sesbraspuissants.Il lasoulevadusolet la fitasseoirsur leplande travail,s’insinuantentreses jambes jusqu’àce

qu’ellesentesachaleuràcesendroitsrestésfroidsetvidesdepuisbientroplongtemps.Iln’étaitpaslegenred’hommeàhésiter.Il prit ses lèvres avec fougue, sa bouche se faisant tout à la fois douce et exigeante. Son torse

athlétiqueluiparutpluspuissantencorelorsqu’ilseplaquacontresesseins.Sesbras,aussidursquedel’acier,auraientdûl’intimider,toutcommeelleauraitpuredouterdeseretrouverainsiàlamercid’unhommeaussirésolu.Maiselleneressentaitplusqueledésir.Undésirquiparcouraitenondespuissantestoutsoncorps,

réclamantsondû.Peuàpeu,cequirestaitd’inhibitionsetutenelleetellepassalesbrasautourdela

nuquedeWade,commesielleseraccrochaitenfinàlavie.Alaréalité.Al’icietmaintenant.CommeuneBelleauboisdormants’éveillantdesoncauchemar,

ellerenouaitavecleplaisird’êtreenvieetdes’abandonneràsondésir.Leur langue se mêlèrent dans un ballet sensuel et exigeant. Entre deux baisers, Cory reprit son

souffle.ElleenroulasesjambesautourdeshanchesétroitesdeWade,plaquantsonbassincontresonsexedurci.Lepeudeluciditéquiluirestaitvolaitenéclats:soncorpsréclamaitplusdecaresses,descaressesplusintimes.Ellesesentaitredevenirunêtredechair,enfincapabledebrisercesbarrièresquin’existaientquedanssatête.Ilallaitetvenaitcontreelle, simulant l’étreintequibientôt lesembraserait. Il libérasaboucheet

promenaseslèvressursajoue,danssoncou,lafaisantfrissonnerdedésir.Ellepoussaunpetitcriets’arc-boutacontrelui.Ellefitglissersamaindanssondos,remontajusqu’àsanuque,etl’attiratoutcontreelle.Ellevoulaitprofiterpleinementdecetinstant.Soudain, lasonneriedumicro-ondessefitentendre.Commesi laréalité,danscequ’elleavaitde

plusbanal,reprenaitbrutalementsesdroits.Wades’écartad’elleetlafixadesesyeuxplussombresque la nuit. Elle le regarda à son tour, prenant soudain conscience de la façon dont elle s’étaitabandonnéeàlui.Commes’ilavaitpudéchiffrersonexpression,ilreculaunpeuplus.L’absencedepressionentreses

cuisses accentua sa souffrance, au point de lui donner envie de pleurer. Il ne s’écarta pascomplètement, réticent à rompreuncontact aussi délicieux.De samain, il commençaà lui caresserdoucementlescheveux.—Vousêtesdélicieuse,dit-ild’unevoixrauque.Vraiment ? Personne ne lui avait jamais dit cela. Elle resta sans voix, incapable d’articuler le

moindre son, consciente que son visage, ses yeux, et même sa respiration exprimaient une véritéqu’ellenesouhaitaitpasmettreenmots.Pasencore,etpeut-êtrejamais.—Jemesuislaisséaller,ajouta-t-il.Elle aussi s’était abandonnée. Elle ne savait quoi dire, se contentait de le dévorer du regard,

tirailléeentreledésirirrépressiblequ’elleressentaitetcequ’illuirestaitdebonsens.Ilsepenchaverselleetluiposaunbaiseraériensurleslèvres.—Jepensequejeferaismieuxdem’occuperdeceslégumes,dit-il.Elleparvintàhocher la tête,assailliede tantdesentimentscontradictoiresqu’elledoutait fortde

parveniràlesdémêlerunjour.Ilsetournapoursaisirlecouteauetentrepritd’émincerlespoivrons.—N’ayezpaspeurdemoi,commenta-t-il,unepointedegravitédanslavoix,jesauraimetenir.Quelétrangechoixdemots!Alorsqu’ellebataillaitintérieurementcontrelafrustrationdesdésirs

qu’ilavaitéveillésenelle,ellepritlepartidemettrecetteréflexiondecôté.Acemomentprécis,elleaspiraitseulementàrecouvrersesesprits.Elleyréfléchiraitàtêtereposée.Wade,quis’apprêtaitàdécouperlestomates,posasoncouteauetsetournaverselle.Illasaisitpar

latailleetladéposaàterre.—Jevouspriedem’excuser,commença-t-il.J’auraisdûypenser.Elle aurait très bien pu se laisser glisser seule du plan de travail,mais, encore sous le coup de

l’émotion,ellen’avaitpasbougé.Ellemarmonnaunmercietdétournaprécipitammentleregard,loindelui,cherchantàs’occuper.

Ellefinitparprendreunbol,afindemesurerlaquantitédepenne,puispassaderrièreWadepoursortirlessaucissesdumicro-ondes.Elles’évertuaàagircommesiriennec’étaitpassé.Maistoutsoncorpsluidisaitlecontraire.Ilavaitsuffidececontact,brefmaisfougueux,pourqu’un

instinctseréveilleenelle.Elleversaunfiletd’huiled’olivedansunepoêle,puisfitdorerlessaucissesàfeumoyen.Sesmains

tremblèrentlégèrementlorsqu’ellesortitlamarmitedontelleseservaitpourcuirelespâtes.Unfaitoutde mauvaise qualité, dont l’usage devait se restreindre à la cuisson de contenus majoritairementliquides.Ellesesurpritàmarquerunepause,soudainementprisonnièred’unsouvenirridicule,celuide son ancien cuiseur, unemarmite hors de prixmunie d’une passoire intégrée ainsi que d’un cuit-vapeurdanslequelelledéposaitleslégumes.Réminiscencecurieuse,quisemblaitsortiedenullepart.Depuisfortlongtemps,elleavaitcesséde

sepréoccuperdesobjetsqu’elleavaitdûabandonnerenchangeantdevie,maissanssavoirpourquoi,ellesentaitpresquelepoidsdecetustensileentresesmainsetceluidessouvenirs,cespetiteschosesbanales.Ces souvenirsn’étaientpas liés à Jimni à leurvie commune.Elle adorait cuisiner, et elleavaitpatiemmentéquipésacuisinedesmeilleursustensiles.Comptetenudesonsalaired’enseignante,elle avait dû économiser pour se les offrir.Désormais, elle utilisait un faitout en aluminium à cinqdollars,ainsiqu’uncouteauàdécouperqu’elleavaitachetéensoldeàlasupérette.Comme c’est étrange, pensa-t-elle, en observant sa casserole. Cela lui paraissait si important,

autrefois. Et finalement, maintenant qu’ils ne lui appartenaient plus, ces objets lui manquaient peu.Mêmesielleenavaiteulesmoyens,ellenelesauraitprobablementpasremplacés.Unlégersoupirluiéchappa,etelleplaçalefaitoutdansl’évierpourleremplird’eau.Descaprices,

des petites folies. Sa vie passée en débordait, alors que celle d’aujourd’hui en était totalementexempte.Aujourd’hui, elle avait l’impression d’ignorer celle qu’elle avait été et celle qu’elle étaitdevenue.Lorsqu’ellesoulevalalourdemarmiteemplied’eau,Wades’approchapourl’aider.—Nemetraitezpasdemacho.C’estmonéducation.Pourquoiunefemmedevrait-ellelefairesije

suislà?Unefoisencore,ellesedemandacommentprendresespropos,maisserisquacettefoisàposerla

question.—Quevoulez-vousdireexactement?Quejesuistropfaiblepourlefaire?Ilsecoualatête.—Non.Toujourscettemêmeréponselaconiquequinevoulaitriendire.—Pourriez-vousêtreplusexplicite?Ilposalefaitoutsurlaplaquedecuisson.—Est-cequevousvoussentiriezmieuxsinousnousdisputions?Sarépliquelacoupanetdanssonélan.Etait-cecequ’elleétaitentraindefaire?S’emporter,pour

chasserdesonespritlesautresémotionsprésentes?—Considérez-lesimplementcommeungestedecourtoisie,ajouta-t-il.—Vousêtesdifficileàcerner,secontenta-t-ellederépondre.Etvousnefaitesrienpourarranger

leschoses.—Jelereconnais.—Jevousremerciedem’avoiraidéeàsoulevercettecasserole.—Jevousenprie.Unpeugênée,ellerepritsapréparation.Ellen’auraitpeut-êtrejamaisdûacceptercemarchéconclu

autourdelacuisine.Ilauraitétéplusjudicieuxdeleteniràl’écart,commeunlocatairequ’ellecroisaitàpeine.Parcequ’àcemomentprécis,ellesesentaitbientropconfuse,tirailléeentrepeuretattirance.

5

Wade alla se terrer pour la nuit. Il n’avait aucune difficulté à rester à l’écart, au premier étage,jusqu’au petit matin. Son instinct particulièrement aiguisé le prévenait lorsqu’il était temps de sefondredansledécor.D’adopterlesteintesdupapierpeint.Dedevenirunarbredelaforêt.Cemomentétaitarrivé.Lesheuresdéfilaient,etillisaitunromanachetédurantsontrajetenautobus,maisqu’iln’avaitpas

encorecommencé.Denombreusespenséessebousculaientdanssatêtetandisquelesheuresglissaientdoucementversl’aurore.Unpasséaveclequeliln’avaitpasencorefaitlapaix,unavenirqu’ildevraitconstruirepiècepar

pièce, parce qu’il ne pouvait plus y échapper. Sans compter cette femme qui dormait au rez-de-chaussée.Deux jours à peine qu’il avait fait la connaissance deCoryFarland.Manifestement, cette femme

vivaitdansuneangoissepermanente,mêmes’ilenignoraitlesraisons.Entrèspeudetempspourtant,elleavaitessayédes’enlibérer,aupointqu’elleavaitfaillifairel’amouravecunparfaitinconnu.Wade savait reconnaître les symptômes d’un profond traumatisme émotionnel. Les actes et les

réactions de Cory n’étaient pas toujours très sensés ni adaptés à la situation, et il lui était aiséd’imaginerdansquelétatdeconfusionellesetrouvait,carill’avaitlui-mêmevécu.Ils’envoulaiténormémentd’avoircédéaudésirquiselisaitcommeàlivreouvertsurlevisagede

Cory,danslacuisine.Elleétaitsidésirable!Maisellen’étaitpaslegenredefemmeàrechercheruneliaison sans lendemain. S’il était allé plus loin, il aurait risqué d’ajouter une blessure à celles quisemblaientsecicatriseravecpeine.Lui-même avait été surpris par ses réactions. Généralement, il gardait la tête froide. Certes, sa

dernière liaison remontait à un certain temps, mais il avait, depuis plusieurs années, renoncé auxaventuressensuellessansintérêt.Pournombredefemmes,seretrouverdanslelitd’unagentdesforcesspécialesétaitterriblementexcitant,etilfutuntempsoùilétaittrèsheureuxdecomblerleursdésirs.Aujourd’hui, être idolâtré comme un héros et devenir un trophée de tableau de chasse ne le

satisfaisaientplus. Il recherchaitunevéritable relation,mêmes’ilétait incapabled’enétabliruneetqu’ilnepouvait se lepermettre.Commeil l’avaitexpliquéàCory, iln’avaitpascedon,et ilavaitcessé depuis longtemps de faire semblant. Il trouvait plus simple de garder le reste du monde àdistanceraisonnable.Il n’avait pu ne pas remarquer queCory avait besoin qu’il la protège.La peur qu’elle ressentait

laissaitpenserquelamenace,quellequ’ellesoit,étaittapiequelquepart.Elle lui avait raconté l’histoire deMarsha et de son mari violent, mais elle s’était bien gardée

d’expliquerlesraisonspourlesquellescetappeltéléphoniquel’avaitelleaussiterrifiée.Commeelles’étaittournéeversleshérifpourdemanderdel’aide,ilendéduisaitqu’ellen’étaitpasunefugitive.Quiétait-elle?Soudain,touteslespiècesdupuzzlesemirentenplace.Ilseredressalégèrementdanssonlit,aufur

et à mesure que les conclusions s’imposaient à lui. Elle s’était installée ici un an auparavant et

bannissait de son discours toutes les références précises à l’endroit où elle vivait autrefois. Sessilences en disaient plus long que ses paroles. Aucune comparaison entre sa situation et celle deMarsha.Unsystèmedesécuritéderniercri,alorsqu’elleneroulaitpassurl’or.Elles’étaiteffondréeparcequ’unevoixnonidentifiéeluiavaitsimplementmurmuré«Jesaisoùtues.»Leprogrammedeprotectiondestémoins.Il connaissait leurs procédures, ayant fait partie de leurs troupes à l’étranger. Généralement, la

personnedontilsavaientlachargebénéficiaitdecetteprotectioncarelleavaitacceptédetémoignercontreuncrimineldangereux.Ilétaitprêtàparier toutcequ’ilpossédaitsurlefaitquecettefemmen’avaitelle-mêmejamaisriencommisd’illégal,sicen’estroulerunpeuvitesurl’autoroute.Cequilemenait à la conclusion qu’elle avait été le témoin d’un crime, que sa vie était en danger et que lescoupablescouraient toujours.Riend’autrene luiauraitpermisdebénéficierduprogrammeniauraitinciterlesmarshalsàinvestirdansunsystèmed’alarmeaussisophistiqué.Ilnes’agissaitnullementdutraitementréservéaucrimineldebase,mêmerepenti.Iljuraàvoixbasseetdirigeasonregardverslaporte,close,desachambre.Chaqueréflexeacquis

durantsaformationrefaisaitsurface.Pasétonnantquecetappelaitpul’effrayer.Ellesemblaittoujoursêtresurdescharbonsardents.Il

se remémora alors un détail de leur promenade de l’après-midi, qui lui fit l’effet d’une déchargeélectrique.Sansplusattendre, ilsautadulit,enfiladesvêtementssombresetsesbottespréférées.Ildésactiva les détecteurs demouvement, en sedisant qu’il aurait aimé sedispenser de leur sonneriestridente,ets’engageadansl’escalier.Avantmêmequ’ilatteignelebasdesmarches,Coryétaitsortiedesachambre,lespaupièreslourdes

desommeil,enveloppéedansunpeignoirbleudontelletenaitlespansserréscontreelle.—Jem’excuse,luidit-il.J’avaisbesoindeprendrel’air.«Ouplutôtdesécuriserlepérimètre.»Je

mesuisditquejerisquaisdevousréveillerenfaisantlescentpasdansmachambre.Sesyeuxbrunsseposèrentsurlui.—Quelleheureest-il?finit-elleparluidemander,enréprimantunbâillement.Il jetauncoupd’œilverssamontredeplongéeultra-sophistiquée. Ilne l’avaitpasportéedepuis

desmois,maisill’avaitinstinctivementpasséeautourdesonpoignetcettenuit.Commesisoninstinctluidisaitquel’heureétaitvenuedereprendreduservice.—Unpeuplusde5heures.—Presquel’heureidéalepourfairecouleruncafé,commenta-t-elle,toutenbâillant.—Jepeuxm’enoccuper.Pourquoineretournez-vouspasvouscoucher?—Jefaispartiedecesgensqui,unefoisréveillés…Elleeutunhaussementd’épaulesetsedirigeaverslacuisine.—Jevaisfaireletourdupâtédemaisons,précisa-t-il.—C’estbien.Elleneseretournamêmepas,secontentantd’unsignedelamain.Il désactiva l’alarme, puis la remit en route. Il savait qu’il ne lui faudrait pas longtempspour en

veniràdétestercettealarme.Ellelegênaitdanssesmouvements.Ilauraitdûpouvoiragirsanslatirerdesonsommeil.

Dehors,lesoleilselevaitdéjà,baignantlemonded’unedélicatelumièrerosée.Ilfitletourdelamaison,avantd’entamersonjoggingdanslequartier.Soudain,ilserappelaqueleconducteurdusecondvéhiculeaperçudanslajournéecirculantdansla

ruedeCoryétaitlemêmequeceluiquiavaitgarésavoitureàcôtédeleur4x4àlasupérette,mêmes’ilconduisaituneautrevoiture.Manifestement,sesréflexess’étaientramolliscessixderniersmois!Lorsqu’ilétaitenservice,cegenrededétailneluiauraitjamaiséchappé.Maintenantqu’ilavaitétabliunlienentrelesdeuxsituations,ildevaitvérifiersiCoryétaittoujoursl’objetdecettesurveillance.Ilfallaitrattraperletempsperdu.Maisiln’aperçutnil’hommemystérieuxnil’undesesvéhicules.Cequineprouvaitrien.S’ilfilaiteffectivementCory,ilavaitdûconsidérerquesaproienetenterait

riendelanuit.Savérificationachevée,WaderetournachezCory,larespirationàpeineplusrapide.Ilentraets’affairaautourdel’alarme,puissedirigeaverslacuisine.Cory était assise à la table, le menton posé dans ses mains, les yeux mi-clos, attendant que la

cafetièreremplissesonoffice.—Vousarrive-t-ildedétestercettealarme?demanda-t-il,ensortantdeuxtassesduplacard.Ilen

posaunedevantelle.—Parfois,répondit-elleavecunsourirelas.—Jevaism’yhabituer.Ilsaisitlacafetièreetremplitlesdeuxtasses.Ilsortitensuitelabriquedelaitduréfrigérateurpour

elle.—Jevousremercie.Oui,jesuissûrequevousvousyferez.—Jesuisdésolédevousavoirréveillée,répéta-t-il.Jenetenaisplusenplace.Cen’étaitpasaussisimplequeça,maispresqueaussivrai.—Inutiledevousexcuser.Jenepourraipasmerendormirtoutdesuite,maisjem’accorderaiune

petitesiestecetaprès-midi,sic’estnécessaire.Toutvabien.Elleversaunedemi-cuillèredelaitdanssoncafé,portalatasseàseslèvresethumaleseffluvesqui

s’enéchappaient.—Commej’aimel’odeurducaféjustecoulé.—Moiaussi.Iltiralachaisequisetrouvaitfaceàelle,maislacherchaduregardavantdes’asseoir.—Vouspermettez?Unvoiled’inquiétudesemblapassersursonvisage,maisdisparutrapidement.—Jevousenprie.Ilfitpivoterlachaiseets’assitàcalifourchonenfacedeCory.—Lajournéeprometd’êtrebelle.—Certainement.Maislapluiememanque.—Pardon?Ellecouvritsabouche,pourétoufferunnouveaubâillement.—Quand je vivais à… enfin, là où j’habitais, à cette période de l’année, il y avait des orages

presquetouslesjours.Çamemanque.—C’estpareilici,non?—Parfois.Maisilsnesontpasaussifréquents,mêmes’ilssontplusbeaux.—Quevoulez-vousdire?—L’horizonestsidégagéquevouspouvezpratiquementlesvoirseformer.Iln’yaplusaucunarbre

pourvousboucherlavue,dèsquevousquittezlaville.—C’estvrai.—Maisiln’yapastantd’éclairs.J’aimaislesobserverlorsquej’étaisà…Ellelaissasaphraseensuspens,puissoupira.— Certaines nuits, nous les regardions, poursuivit-elle. Lors d’une de ces tempêtes, des éclairs

zébraientlecielpresqueencontinu.Lorsqu’ilsatteignaientlesol,ilseformaitcommeunhalovertquiirradiait aux alentours avant de s’élever vers le ciel. Je n’y ai assisté qu’une fois, mais cela m’afascinéeaupointquej’aieffectuédesrecherchespourcomprendrecephénomène.—Dequois’agissait-il?— De l’effet corona. C’est assez habituel au cours de décharges électriques, même si nous ne

l’observons pas souvent. L’air se charge d’ions pendant que la charge se dissipe. Ce n’esthabituellementpasdangereux,sauflorsqu’ils’agitd’éclairs.Ellesirotasoncafé,tenantsatasseentresesdeuxmains,lescoudesposéssurlatable.—Vousavezdûassisteràdestempêtesunpeupartoutdanslemonde.—Absolument.Lesmoussons,lesouragans,lestyphons,sanscompterlesdélugesoccasionnels,qui

peuventcauserdesacrésdégâts.—Eneffet.Unetempêtepeuts’avérerextrêmementpuissante.Lorsquej’ensei…Elles’arrêtanetetbaissalesyeux,semblantvouloirsedissimulerderrièresatasse.«Une enseignante ? » sedit-il. Il ne fit aucun commentaire.Ladernière chosequ’il voulait était

raviversescraintes.Cen’étaitpaslebonmoment.Ilnegagneraitrienàl’effrayerplusencore.Ilredevintsilencieux,goûtantsoncafé,toutenpensantàcequ’ildevaitfairepourlaprotéger.Une

des premières choses serait de s’entretenir avec le shérif. Mais connaissant les procédures duprogrammedeprotectiondesvictimes,ilyavaitpeudechancesqueDaltonpuisseluitransmettrelamoindreinformation.Ildevraitdoncjouercavalierseulsurcetteaffaire,dumoinstantqu’ilenrestaitaustadedeshypothèses.Restait à déterminer s’il devait ou non parler à Cory. Devait-il lui expliquer quels éléments lui

avaient permis de tout comprendre ? Ou valait-il mieux se taire, de manière à ne pas l’effrayerdavantage?Ils’agissaittoujoursd’unequestionépineuse.Ilétaitnécessairequelapersonneprotégéecoopèreautantquepossible,maisilétaitinutiledel’effrayeretderisquerainsidescomportementsdesapartsusceptiblesparfoisdefaireratertoutel’opération.Cory gardait la tête baissée, cachant son visage. Il l’observa longuement, s’efforçant de la voir

commel’objetd’unemissionetnoncommeunefemmequiavaitréveillédessentimentsenfouisaufonddeluidepuissilongtemps.Il devait gagner sa confiance, demanière à cequ’elle coopère.Mais commentyparvenir ? Il ne

s’agissait pas d’une affaire ordinaire, où le fait d’être armé jusqu’aux dents et engoncé dans un

uniformeàl’épreuvedesballessuffisait.Il ne pouvait lui avouer combien elle avait été trahie par ses silences. Elle ne pourrait alors

s’empêcherdesedemandersiellen’avaitpaslaisséderrièreelleunepistefacileàsuivreparceuxquilarecherchaient.C’étaitcequ’ilcraignait.Cetappeltéléphonique,ilenétaitdésormaispersuadé,n’avaitriend’un

canular innocent. Une personne prenait contact avec des femmes qui correspondaient à un profilparticulier. Puis observait les changements opérés suite à cet appel. C’était la seule explicationlogique.Quipréviendraitsacible,s’ilavaitl’assurancequec’étaitlabonne?LaoulespersonnesquipourchassaientCoryavaientpeut-êtreencoredesdoutes.Toutdépendraitde

laréactiondesautresfemmesayantreçulemêmeappel.Marshaavaitadoptéunchien,sansdissimulerlefaitquec’étaitpourseprotéger.Qu’enétait-ildeCory?Soudain, les dernières pièces du puzzle semirent en place.Elle avait pris un locataire, que l’on

pouvaitfacilementprendrepourungardeducorps.Bonsang!Serait-ilceluiquimèneraitsonpoursuivantjusqu’àelle?Pourdesraisonsdesécurité,il

devaitenvisagerlepire.Cetteperspectivelerendaitmalade.Faceàluisetrouvaitcettefemmedontildevaitgagnerlaconfiance,mêmesiellenesavaitriende

lui,etquinerisquaitpasd’enapprendredavantages’ilnesedécidaitpasàouvrirlescercueilsdesonpassé.Il jura intérieurement et se versa une autre tasse de café. Cette fois, il devait aller contre ses

instincts.Ets’exposercommejamaisauparavant.Cetteopérationn’avaitrienàvoiravectoutescellesqu’ilavaitaccomplies.Paroùcommencer?Il s’éclaircit lagorge, cherchant sesmots.Elle leva automatiquement lesyeuxvers lui, cequine

simplifiaitpasleschoses.Maisildevaitselancer,commes’ils’apprêtaitàsauterd’unhélicoptèreenpleinetempêtepourplongerdevingtmètresdansunemersemblableàunmurdebriques.Sesyeuxsemblèrentsubitementplusalertes,sesjolisyeuxmarron,naturellementdouxetchaleureux,

toutparticulièrementlorsquelapeurnelesenvahissaitpas.—Euh,jevousaidéjàditquejen’étaispastrèsdouépourlierconnaissance.Ellehochalatête,maisn’essayapasdeluirépondre.—Avraidire,j’ail’impressiond’êtreunextraterrestre.Ellehaussalessourcils,sansquesesyeuxneperdentdeleurdouceur.—Pourquelleraison?demanda-t-elle.Voilàquiétaitdifficileàexpliquer.Maisaprèstout,c’étaitluiquiavaitlancélesujet.—Parcequej’aivisitédeslieuxquepeudepersonnesconnaissent.Elleopinalentement.—J’imaginequevousneparlezpasdegéographie.—Non.S’ilenrestaitlà,samissionseraitloind’êtreremplie.

—J’aifait,vu,etsurvécuàdeschosesquelaplupartdesgenssontincapablesd’imaginer,reprit-il.Jesaisdequoijesuiscapable.Etjen’aipasledroitd’enparler.D’unepart,parcequecesfaitssontclasséssecret-défenseet,d’autrepart,parcequepersonnenecomprendrait.—J’imagine.—Lesseulsàcomprendresontceuxavecquij’aiservi.Etnouspartageonstouscesentimentd’être

différents.Certainsensontfiers.Ungrandnombred’entreeux.Maisilyaunprixàpayer.—C’estnormal.—C’estpourcelaquenousavonsdumalànouerdesrelations.Nousessayons.Maisnosfemmes

nousquittentparcequenousnoustaisons,nosenfantsnousconsidèrentcommedesétrangersquileurrendentvisitedetempsentemps.Mêmenosparentsnousregardentcommes’ilsnenousconnaissaientpas.Etilsn’ontpastort.Nousfaisonssemblant,noustentonsdeparaîtreordinaires,maisplusrienaufond de nous ne l’est. Et finalement, nous arrivons à la conclusion que les seules personnes aveclesquellesnouspouvonsnouslierd’amitiésontlesmembresdenotreéquipe.—Jepense,avança-t-elleprudemment,quejepeuxvaguementimaginercequevousressentez.Ilattendit,espérantqu’àsontourelleallaitluifairepartagersonexpérience,maisellen’enfitrien.

Ildécidadoncdepoursuivre.—Jenesuispasentraindem’apitoyersurmonsort.—Jenel’aipaspenséunseulinstant.—J’essaiesimplementdevousexpliquerpourquoiilestsidifficiledecommuniqueravecmoi.Au

fildesans,entrelessecretsquejedevaistaireetlesréalitésquejenepouvaispasaborder,j’ensuisarrivéaupointoùjeneparleplusbeaucoup.Denouveau,ellehochalatête.—Vousavezunefemme?Desenfants?—Non, et c’est une chance. J’ai vu trop demariages voler en éclats.Chezmoi, il n’y a pas de

squelettedansceplacard.—Etmaintenant,vousêtesprivédesmembresdevotreéquipe,quisontaussivosseulsamis.Iln’yavaitpassongésouscetangle,maisiladmitqu’elleavaitraison.—C’estunpeuça.—Etquefaites-vousencemoment?—J’essaiedemereprésenteràquoipourraressemblermaviehorsdececontexte,mais,pourêtre

honnête,j’aidumalàl’envisager.—J’ai…Jepenserencontrerlemêmegenredeproblème.Jenesaispasnonpluscequejecompte

fairedemavie.Ilpatienta,attendantqu’elleendiseplus,maisellen’ajoutarien,etsecontentadesirotersoncafé.Il

tentaalorsuneapprocheindirecte.—C’estsouvent lecas lorsqu’onsubitunchangement radical.Vousdevezpenserque j’auraispu

m’ypréparerplusefficacement,puisquejesavaisquej’allaisprendremaretraite.L’occasion parfaite pour Cory d’expliquer que, dans son cas, les changements avaient été

imprévisiblesetcontraints.Maisenvain.Wades’efforçadetrouveruneautrestratégie.

Pourlapremièrefois,ilseditque,pourlesautres,communiqueravecluidevaitêtreaussipéniblequelefaireavecCoryàcetinstantmême.Endépitdesraisonsquilepoussaientd’habitudeàrestersilencieux,ildevaitcettefoisfaireuneffort.S’ilavaitraison,etilsetrompaitrarementdanscegenredesituation,elleallaitdevoirapprendreàluifaireconfiance.Maisiln’avaitjamaiseuàmeneruntelbrasdeferjusqu’alors.Ils’étaitfaituneplaceauseinde

sonéquipedurant sa formation,puis au coursde leursmissions, et enfin, dansunecertainemesure,grâceàsaréputation.Maisilnedisposaitd’aucundecesoutils ici.Ici, ildevaitrecouriràunetoutautretechnique,maisiln’avaitpaslamoindreidéedecellequiconviendrait.Enoutre,letempsétaitcompté.Peut-êtredevait-ilcontinueràparler.Ilnevoyaitpasd’autremoyen.Leproblèmerésidaitdansle

faitquelesvingtdernièresannéesdesaviecontenaienttantd’informationsconfidentielleset tantdesouvenirs qu’il ne pouvait partager avec des néophytes, que sa mémoire elle-même aurait dû êtreestampillée secret-défense. Et sans expériences à partager, de quoi pouviez-vous bien parler, si cen’estdelapluieetdubeautemps?Coryorientaalorslaconversationsurunepartiedesaviequin’étaitpasconfidentielle,mêmes’il

avaitparfoissouhaitéqu’ellelefût.—Vousavezdelafamille?luidemanda-t-elle.S’ilvoulaitqu’elleselivre,ildevaitluiaussiselivrerunpeu.—Jenesuisplusencontactaveceux.—Pourquelleraison?—C’estdel’histoireancienne.Avantqu’ilaitpudécidercequ’ilallaitluiraconteretcequ’ilvalaitmieuxgardersoussilence,elle

poursuivit:—Ilsvousontfaitdumal,n’est-cepas?Peudechosesavaientlepouvoirdeledécontenancer,maiscettesimplephraseyparvint.—C’estaussivisiblequeça?Ellesecoualatête.—Jenevoudraispasparaîtreindiscrète.Maisvousavezditdeuxoutroischosesqui…ehbien,qui

merappelaientdes…personnesaveclesquellesjetravaillais.Elle contournait toujours les références à sonpassé, tout enposantdesquestions sur le sien.Les

rôles venaient de s’inverser, et il l’avait aidée à le faire. Ce qui ne voulait pas dire que cela luiplaisait.—Ehbien,oui,concéda-t-il.Quelleschosesai-jebienpudire?— Ce n’est pas important. Vous n’êtes plus cet enfant. Vos paroles m’en rappelaient d’autres,

entenduesilyalongtemps.Laplupartdesgensn’auraientrienremarqué.Toutcommeilsn’auraientpasrelevélesomissionsdeCory.Ellemontad’uncrandeplusdansson

estime.Asamanière,elleétaitaussiobservatricequelui.Ellesaisitlacafetièreplacéeentreeuxetseresservitducafé,auquelelleajoutaunsoupçondelait.—Ilmesembleparfoisquelessouvenirsnouscollentàlapeau,mêmelorsqu’onpenselesavoir

laissésloinderrièrenous,dansnotrepassé.

—Certainement.Commentaurait-ilpuprétendrelecontraire,alorsqu’ellevenaitdedéterrerunehistoirequ’ilavait

profondémentenfouiedanssamémoire?—C’estvrai,ilsm’ontfaitdumal.—Physiquementetpsychologiquement?—Oui.—Jesuisdésolée.Illutchaleuretcompassiondanssesyeuxmarron.—Celaa-t-iljouéunrôledansvotredécisiond’intégrerunebrigaded’élite?Ils’apprêtaitàrépondrepar lanégative,car ilavaitquitté ledomiciledesesparentsdepuisplus

d’unan lorsqu’il avait rejoint l’armée.Mais le lienentrecesdeuxévénements,qu’iln’avait jamaispressenti,luiapparutsoudain.—Oui,reconnut-il.D’unecertainemanière.—C’est-à-dire?—Lorsquej’aiquitté le lycée, jevoulais lesrayerdemavie.J’aiexercépleindepetitsboulots,

maisjen’allaisnullepart.J’étaisperdu.—Perdu?Elleavaitrépétélemot,etilauraitjuréqu’elleétablissaitunlienavecsapropresituation.Ilaurait

puattendrequ’elledéveloppesonpropos,maisilsedoutaqu’ellen’enferaitrien.—Totalementperdu.J’avaisvécutoutescesannéesavecunseulbutentête,survivreetéchapperà

leuremprise.Etunefoisquej’yétaisparvenu,jen’avaisplusdebut.Jemesentaiscommeétrangeràmoi-même.J’aicomprisquej’allaisàladérive,etquecelanememèneraitnullepart.Lelendemainmatin, je poussais la porte d’un bureau de recrutement. Je venais de trouver un nouvel objectif àatteindre,autrequesimplementsurvivre.L’arméem’enavaitdonnéun.Elleacquiesça.—Jevouscomprends.Commej’aimeraismoiaussiredonnerunsensàmavie!Ilpritunpari,enluifaisantunenouvelleconfidence.—Quandvousavezvécusi longtempsenayantunecertaineimagedevousetenimaginantlavie

d’unecertainemanière,siunévénementvienttoutbouleverser,c’estcommesilaterres’ouvraitsousvospieds.Toutevotreidentitépeutdisparaîtredanscegouffre.—C’estexactementcequejeressens.Sonvisageexprimaitdeladouleur.—Particulièrementlorsquetoutcequevouspensiezêtresereflétaitdanslaviequevousmeniez.Ill’entenditprendreuneprofondeinspiration.Ildécidad’allerplusloin,des’exposerdavantage.—Pendant toutce temps, jem’étais identifiéenoppositionàmesparents,enpartiepourprouver

quecequ’ilsdisaientàmonsujetétaitfaux,etaussienréactioncontreeuxetcequ’ilsfaisaient,ceenquoiilscroyaient.Et,toutàcoup,jen’avaisplusrienàquoim’opposer.Plusderaisondemebattre.J’ensuisunpeuaumêmepointàl’heureactuelle.Ellerelevasubitementlatêteetleregardadroitdanslesyeux.

—Parcequevousavezprisvotreretraite?Ilacquiesça.—Pendantvingtans,lamarinem’adonnéuneidentitéetdesbutsàatteindre.J’aidenouveautout

perdu.—Oh,Wade,dit-elledoucement.Jesaiscombienc’estdifficile.—Parfois,ajouta-t-ilavecinsistance,j’ailesentimentquevouslesavez,effectivement.Elleouvritplusgrandlesyeux.— J’étais…Monmari est décédé, il y a un peu plus d’un an.Avant que j’arrive ici. Tout s’est

effondrésousmespieds.Elleétaitrestéeévasive,maisellevenaitdeluifaireunepremièreconfidence.Ilattendit,espérant

qu’ellepoursuivrait,maiselles’étaitdenouveauréfugiéedanslesilence.Illuiavaitexposétoutcequ’ilpouvaitdécemmentraconterdelui.Etluiavaitavouébienplusque

cequ’ilavaitescompté.Ilavaitmisenmotslecombatqu’illivraitdepuissixmois.Ils’étaitmisànudevantelle.Lavieluiavaitapprisque,danscettesituation,celarevenaitàdonner

àl’autredesmunitionscontresoi.S’il s’était écouté, il serait immédiatement sorti courir. Dix kilomètres pour oublier. Mais il ne

pouvaitpas laisser seulecette femmequi semblait courirunvéritabledanger. Ilnepouvaitpasnonplussefuiréternellement.Ilcouraitdepuisbien trop longtemps.Depuis l’âgedequatreans. Ilcouraitdanssa tête,aprèssa

carrière,sanscesse.Ilfallaitqu’unjourils’arrête.Manifestement,cejourétaitvenu.

6

Wade quitta la cuisine pour aller prendre une douche.Cory replaça la cafetière sur son réchaud,rangea le lait et lava les tasses. Elle étouffa un nouveau bâillement, songea à aller s’habiller, puisrepoussacetteidée.Elleavaitbienletemps,d’autantqu’ellen’avaitaucunrendez-vousextérieur.Millepensées sebousculaientdans sa tête.Traînassantdans son salon, elle sepelotonnadansun

coinducanapé,recouvritsesjambesaveclespansdesonpeignoir,etposasonmentondanssamain,seremémoranttoutcequeWadeluiavaitconfiéunpeuplustôt.Elle aurait aimé deviner ce qui l’avait incité à s’ouvrir à elle, mais elle reconnut qu’elle était

satisfaited’ensavoirunpeuplussurlui.Ellen’avaitpasétédutoutsurprised’apprendrequ’ilavaitétémaltraitédansl’enfance.Niquela

marineluiavaitapportéunecertainesécurité.Lesenfantsvictimesd’abusavaientbesoind’ordredansleurvie,derèglesstrictes,aprèsavoirétésoumisauxcaprices imprévisiblesd’adultesviolents.Cestyledevietrèsstructuréfaisaitdisparaîtrelacraintedenejamaissavoirs’ilsavaientounonbienagiets’ilsallaientêtreréprimandés.Apparemment, il avait aussi ressenti le besoin d’assumer des responsabilités, sinon il n’aurait

jamaischoisid’intégrercettesectiond’élite.Ilyavaitcertainementdanssadécisionlavolontédeneplusjamaisêtremaltraité.Elle ne se considérait pas comme une experte, mais en huit années d’enseignement, elle avait

rencontrésuffisammentdejeunesmenantlesmêmescombats,etbienpeud’entreeuxétaientpromptsàenparler.Ilétaittristedeconstaterqu’ilsdevenaientcomplicesdeleursbourreaux,enlesprotégeantdeleursilenceouenproférantparfoisd’improbablesmensonges.Et souvent, si elle estimait avoir réuni suffisamment d’éléments pour procéder à un signalement

auprèsdesautorités,rienn’yfaisait.Sanspreuvedeviolencephysique,etaussilongtempsquel’enfantniaitlesfaits,personnenepouvaitrienfaire.Elle avait été bouleversée de mesurer l’incalculable dommage émotionnel qui résultait pour un

enfantdecesactesperpétréspardestiersdeconfiance.Elles’étaitposédenombreusesquestionsàcesujetetlaréponsesetrouvaitaujourd’huidevantelle.

Wade avait affirmé que son incapacité à nouer des relations avec d’autres personnes était laconséquence de son travail, et c’était probablement vrai dans une certaine mesure, mais ellesoupçonnaitquelesracinesduproblèmesetrouvaientdanssonenfance.Ellefermalesyeux, lementontoujoursposésursamain.Commeàsonhabitude,dansce typede

situation,sapremièreréactionconsistaitàvouloiroffrirsonaide,maisenl’occurrence,ellenevoyaitpasvraimentcomments’yprendre.Faceàcethommedetrente-huitoutrente-neufans,ellenepouvaitseposerenangesalvateur.Ilrefuseraittoutdego,ethonnêtement,ellen’ensavaitpasassezpourêtreenmesuredelesoutenir.

Lemieuxrestaitencoredeluiprêteruneoreilleattentivelorsqu’ilressentaitlebesoindeparler.Il constituait un exemple de choix pour l’adage « Il ne faut pas se fier aux apparences. » Si son

expérience ne lui avait pas appris à déceler ces fêlures dans le discours des autres, elle aurait

certainementconclud’embléequecethommeétaitduretsévère,qu’ilsesuffisaitàlui-même,etqu’iln’avaitbesoinderiennidepersonne.C’étaitprobablementcequ’ilavaittentédedeveniretl’imagequ’ils’évertuaitàperpétuer.Elle dut admettre qu’elle se sentait bien plus à l’aise à présent, sachant qu’il n’était pas ce bloc

monolithiquequ’ilparaissaitêtredeprimeabord.L’écouterl’avaitaussifaitpenseràsapropresituation,cequilamettaitmalàl’aise.Deterribles

choses lui étaient arrivées, et sa vie entière en avait été bouleversée, mais comment pouvait-ellejustifierletempsqu’elleavaitperducetteannée?Laterreuretletraumatismen’expliquaientpastout.Labattantequ’ellepensaitêtres’étaittransforméeentrouillardeinvétérée.Cettefois,horsdequestiondesecontenterd’excuses.Ellebénéficiaitdecirconstancesatténuantes,

mais cela ne justifiait pas tout.Après tout,Wade était parvenu à se dégager du traumatisme de sonenfance.Ils’étaitpeut-êtreégarépendantpresqu’unan,maisilavaitensuitedécidédesereprendreenmainetdesedonnerunbut.Cequ’ellen’avaitmêmepasenvisagé.Mais tandis qu’elle restait assise à battre sa coulpe, espérant que cela l’aiderait à reprendre les

rênesdesavie,l’épisodedelacuisine,laveille,lorsqu’ill’avaitsoulevéepourl’asseoirsurleplandetravailetqu’ill’avaitembrassée,luirevintsoudainàlamémoire.Lasimpleévocationdecemoment fugacesuffit à réveiller ledésir intensequ’elleavait ressenti.

Elleavaitcruquecettepartied’elle-mêmeétaitmorteàtoutjamais,etelledécouvrait,surprise,quedesimplescaressesavaientsuffiàlaranimer.Soncorpsréponditàcesouveniraveclamêmeintensitéqu’ilavaitéprouvéesouslacaresse.Elle

nepouvaitqu’imaginercequ’elleressentiraitàêtredésiréeparuntelhomme,sifort,sipuissant,etsiàl’aiseavecsespropresdésirs.Elleaimaitfairel’amouravecJim;c’étaitunactepleindetendresse,mais elle savait d’instinct que cette expérience serait totalement différente avec Wade, bien plusépicée.C’étaitprobablementcedontelleavaitbesoinencemoment,unhommequilapousseau-delàdes

limitesqu’elleavaittracéesautourd’elleetquilabousculedesorteàluifairequittersoncocon.Wade finit par redescendre et la tira de sa somnolence où les rêves de baisers passionnés se

mêlaientàdespeursirrépressibles.Rasédeprès, fleurantbon lesavon,mêmeàprèsd’unmètrededistance, ilpritplaceen facede

Cory.—Denouveau,jevousairéveillée.Jem’enexcuse.—Jen’avaispasl’intentiondem’endormir.Sivousenvoulez,lecafédoitêtreencorechaud.Le souvenir de son étrange rêverie lui fit monter le rose aux joues. Elle espérait qu’il ne

remarquerait rien.De fait, les rideauxétaientencore tirés,cequi laprotégeaitdespremières lueursmatinales.Ilétaittempsdesedécideràlesouvrir.Delaisserpénétrerlalumièredanscettemaison,cequ’elle

n’avaitencorejamaisfait.Elleselevasubitementets’apprêtaàtirersurlacordelette.Aumomentoùsamainallaitl’atteindre,

Wadehurla:—Non!

Decesimplemot,ilfitvolerenéclatstouteslesrésolutionsquiemplissaientsatêteetravivacettepeurtétanisante.Ellesefigeaetsentitsesgenouxflanchersouselle.Commeelleauraitaiméressentirdelacolère,

unecolèrequil’auraitaidéeàsetenirdebout.Elletenditlamainpours’appuyeraumuretfermalesyeux.Lorsquesavoixémergeaenfin,elleétaitfaible.—Pourquoi?—Jesuisdésolé.Commes’ilavaitsentilatempêtequivenaitdelasubmerger,lalaissantunefoisdeplusparalysée

par l’angoisse, il s’approcha d’elle, glissa son bras autour de sa taille et la raccompagna jusqu’aucanapé.—Jevouspriedem’excuser,murmura-t-il,toutenl’aidantàs’asseoir.Ils’installaàcôtéd’elle.Illuipritlamain,latintentrelessiennesetlacaressaavecuneétonnante

délicatesse.Il fautquecelacesse,pensaCory.D’unemanièreoud’uneautre,elledevait trouverunesolution

pour se débarrasser de cette frayeur. Autrement, comment pourrait-elle entreprendre de nouveauxprojets?—Jenepeuxpluscontinuer,avoua-t-elleàWade,d’unevoixépuisée.—Quevoulez-vousdire?—Jedoiscesserd’êtreconstammentterrorisée.Jecommençaisàpeineàréussirunpeuàtenircette

frayeur à l’écart.Commeaccepter devous laisser emménager, ou aiderMarsha.Ouvrir ces satanésrideaux,pourlapremièrefoisenunan!Etvousm’avezarrêtée.Pourquelleraison?Au moins, elle n’avait pas fondu en larmes, mais elle n’en était pas loin. Depuis cet appel

téléphonique,elleavaitl’impressiond’êtresurdesmontagnesrusses.Jusqu’alors,elleavaitconnuunecertainestabilité,mêmesielleétaitpeupléedechagrinetd’angoisse.Wadel’attiradanssesbrasetlatintserréecontrelui.—Excusez-moi,murmura-t-il.Lentement,ilfitglissersesdoigtsdanssescheveux.—Après…après…Soudain,ellecomprit.—Quesavez-vous?luidemanda-t-elledansunsouffle.Quesavez-vousquej’ignore?LamaindeWadesemblahésiter,puisrepritsonballetdanslacheveluredeCory.—Jenesuispassûrdequoiquecesoit.—Dites-le-moi!Derage,elleluiassénauncoupdepoingenpleinepoitrine.LetorsedeWaderésistaàsapression

commes’ilétaitfaitdeciment.Ilsoupiraetresserrasonétreinteautourd’elle.—Wade,pasdecejeu-làavecmoi,reprit-elle.Ouvousêtesaucourantdequelquechose,ouvous

nel’êtespas.

Lorsquesaréponsetardaàvenir,elleseraidit,prêteàs’écarterdelui.—Vousnepouvezpasmefaireça!s’écria-t-elle,lapeurlaissantplaceàlacolère,etlafaiblesseà

laforce.Vousnepouvezpasdébarquercommeçadansmavie,etfairedeschosesquimereplongentdanscetétatdepanique!Passansraison.Jen’ycroispasunseulinstant!—D’accord.Maisgardezàl’espritquec’estprobablementinsensé.—Jevousécoute.—Cethommequenousavonsrencontréaumagasinhieraprès-midi?Quenousavonsensuitecroisé

dansuneallée?—Oui?Etalors?—Vousrappelez-vouslafemmequivousafaitsigne,lorsquenousrentrionsàlamaison?Tôtce

matin,ilm’estapparuquecetypeconduisaitlevéhiculequisetrouvaitjustederrière.Se souvenantàpeinedecet épisode,elle fituneffortpour rappeler ses souvenirs.C’estvrai,un

hommeétaitauvolantde lasecondevoiture.Elle luiavaitfaitunsignedetêteetavaitcherchéà lereconnaître.—Cen’étaitpaslemêmevéhicule.—Eneffet,maisils’agissaitdumêmehomme.Ilpossèdepeut-êtredeuxvoitures.Elleavaitbeauseconcentrer,impossibledeseremémorerlevisagedecetindividu.—Commentpouvez-vousl’affirmer?Jenesaisplusàquoiilressemblait.—Fiez-vousàmonexpérience.Sijenem’étaispaslaisséallerdurantlessixderniersmois,jem’en

serais immédiatement aperçu. Il se peut parfaitement qu’il possède deux voitures. C’est le cas denombreusespersonnes.Ilbaissasesyeuxd’obsidiennedanssadirection.—Jenepeuxpasignorercedétail.Quecesoitounonunecoïncidence,jenepeuxpaspasseroutre.—C’estlaraisonpourlaquellevousêtesdescendusitôtcematin,etêtesallécourir,n’est-cepas?

Vousétiezàsarecherche.Ilacquiesça.—Jenel’aipastrouvé.—Ilpourraitdoncs’agird’unsimplehasard.—Peut-être.Ellesecoualégèrementlatête,essayantdedémêlerunnœuddepenséesconflictuelles.—Cetappeltéléphoniquen’aaucunrapportavecça,n’est-cepas?demanda-t-elle.Ellevoulaitsepersuaderqu’ilnes’agissaitqued’unecoïncidence,maiscecanular,qui,àsonavis,

n’enétaitpasun,revenaitsanscessedanssonesprit.—C’estinsensé.Pourquoim’appeler,s’ilsaitoùjemetrouve?— Parce que parmi cette poignée de femmes, il ignore probablement laquelle est réellement sa

cible.—Etqu’est-cequecelaprouve,aujuste?Il desserra son étreinte autourd’elle, lui accordantdavantaged’espace,mais elle nebougeapas.

Ellenevoulaitpas.Ilpritenfinlaparole.—Parfois, la seulemanière d’identifier une cible est de la provoquer, de façon à ce qu’elle se

dévoile.Ellescrutasonvisage,maissonexpressionrestaitindéchiffrable.—Vousest-ilarrivéd’employercestratagème?—Quelquesfois.—Çaamarché?—Pourmoi,oui.—Maisjen’airienfaitdeparticulierdepuiscetappel.Votresuggestionnefonctionnepasdansmon

cas.—Peut-être.—Arrêtezdevousmontrersiévasif.Dites-moicequevouspensezréellement.Jevousenprie!—J’aiemménagéchezvousjusteavantquevousreceviezcetappel.Imaginezuninstantlaréaction

delapersonnequichercheàvouslocaliser,siellem’avuaprèsseulementqu’elleaappelé?Ellesentitsonventreetsoncœurseserrer.—Ungardeducorps,murmura-t-elle.Puisuneautreidéeterrifianteluivintàl’esprit.—Marshaaadoptéunchien.—Aleurplace,jenem’intéresseraispasvraimentàunchien.Ellesesentaitdeplusenplusmalàchaquesecondequidéfilait.—Moinonplus.D’autantquesonpetitamipourraitremonterjusqu’àelle,s’illevoulait.—Enserait-ilcapable?Dans cette phrase, elle perçut l’écho desmillions de questions sans réponse qui constituaient sa

nouvellevie.Ellevenaitpratiquementderévélercequilataraudait.Etilenavaitdéjàdevinéunepartnonnégligeable.Quedevait-ellefaire?Luiavouerlavérité,oubiencontinueràmentir,perpétuerlessecretsetlesomissions?Elleeutuneautreidée.—Etsi…,commença-t-elle.Profondémentmalà l’aise,ellese libéradesonétreinte.Croisant lesbrassursapoitrinecomme

pourseprotéger,elleplantasonregarddanslesien.L’horreurlagagnaitpeuàpeu.Ilfinitlaquestionàsaplace.—Et si j’étais celui qui vous traque ?Appelez le shérif sans plus tarder.Dites-lui de venirme

chercheroucequevousvoulez.—Etensuite?—Jem’enirai.Dèsquemonpaquetageserafait,jequitteraicecomté.Etait-cevraimentcequ’ellevoulait?Non…pass’ilétaitceluiqu’ilétaitcenséêtre.—Vousensaveztropàmonsujet.

—Madame,jenevousconnaispas.J’aidevinécertaineschoses,maisvousnem’avezrienapprisdeplus.—Qu’avez-vousdeviné?Ilpassaunemainsursonvisage.—Celavouseffraierait-il,sijemelevaispourfairequelquespas?J’aitoujoursbeaucoupdemalà

tenirenplace.D’unsignedelamain,elleluisignifiasonaccord.Debout,ilsemblaitemplirtoutelapièce.Ilsemitàarpenterlapièce,lentement,prenantsoindenepass’approcherd’elle.—Voussavezquej’airemarquécombienvousavezpeur.—Oui.— Eh bien, j’ai observé d’autres choses également, et la nuit dernière, tout semble être devenu

beaucoup plus clair. Quand vous évoquez votre passé, vous hésitez et vous bannissez de laconversation toutélémentpouvant révéler le lieuoùvoushabitiezauparavant.Etpuis, lorsquevousavezétéeffrayéeparcecoupdetéléphone,vousvousêtestournéeversleshérif.—Quellesconclusionsentirez-vous?Ill’observa.—Quevousêtesterroriséeetquevousfuyezunemenacequivoushanteencore.Maisvousn’êtes

pasunecriminelle,sinonvotrepremierréflexen’auraitpasétédeprendrecontactavecGageDalton.Elleacquiesça,unpeuraidedanssonmouvement.—Etpuis,ilyacesystèmedesécurité,quiestau-dessusdevosmoyens.—Vousavezraison,concéda-t-elle.—Voussavez,j’aiprispartàdesopérationsdeprotectiondetémoinsàl’étranger.—MonDieu!Elleselaissatombersurlerocking-chair,lesbrasserrésplusfortementautourd’elle.—Touslesindicessontlà,pourunepersonnecapabledelesdéchiffrer.Cequin’estpaslecasde

toutlemonde.Ilm’afalluplusd’unejournéepourcomprendre,aussi,n’imaginezpasquetoutlecomtéa découvert votre secret. Vous ne leur avez rien révélé. Mais pour moi, c’était le seul scénarioenvisageable.Est-cequejemetrompe?Ellesecoualatête.—Etait-cesisimple?—En réalité, vousm’avez compliqué les choses.Comme je vous l’ai dit, ilm’a falludu temps.

Maisunefoisquej’aicommencéàrecoupercertainsfaits,cefutl’unedesdeuxexplicationsplausiblesquiseprésentaient,l’autreétantquevousétiezfolle.Maisj’aivitetirémaconclusion:vousn’êtespasfolle,Cory.Ellesesentaitengourdie,commesiletraumatismeluifaisaitquittersoncorps.Cethommel’avait

cernée si facilement, et pourtant, il affirmait que cela lui avait paru bien long. Comment y était-ilparvenu?Et s’il l’avait percée à jour, combien d’autres personnes y étaient-elles également parvenues ?

D’aprèslui,toutlemondeignoraitsonsecret.Maisétait-ilprudentdelecroire?

—Faites-moi confiance, répéta-t-il, une personne qui ignore tout de ce genre de procédure n’yverraitquedufeu.Vousnevousêtespastrahie.—J’ai…j’aipeineàlecroire.—C’est pourtant la vérité. Ce programme de protection n’est pas la première chose à laquelle

penseraituncivil.Ceseraitprobablementladernière.—Pourquoi?—Parcequepersonnenevous soupçonneraitd’êtreune repentie,mêmes’ildécouvraitquevous

dissimulezcertainssecrets.—Jenesuispasunecriminelle!—Jelesais.C’estévident.Etcommelesgenspensentqueseulslesmalfaiteursbénéficientdecette

protection,vousêtescouverte.Sesyeuxbrûlaient,etlorsqu’elleleregarda,ellesesentitvidéedesesforces.—Etmaintenant?demanda-t-elledansunmurmure.— Je n’ai que des soupçons.Mais le choix vous revient quant à la décision à prendre. Si vous

appelez leshérif, je luiexpliquerai toutceque j’ai relevéàproposdece type.Sivousappelez lesmarshals, ils vous déplaceront une fois de plus. Autrement, je peux essayer de vous protéger, enattendantquenousayonsdespreuvestangibles.Elle avait décrété qu’il était hors de question de déménager. Une fois était bien suffisante. Elle

refusaitdesacrifierlesquelquesrelations,siténuesqu’ellessoient,qu’elleavaitnouéesici.Ellenepouvait recommencer de zéro dans une ville inconnue.Après tout, elle avait Emma,Marsha,Gage,Nate etMargeTate à ses côtés.Même s’ils n’étaient pas des proches à proprement parler, elle lesconnaissaitunpeu.Etellevenaitsubitementdecomprendrequ’elleaimeraitlesconnaîtredavantage.Ellelevalesyeuxverslessiens,sarésolutionluiconférantdel’aplomb.—Jerefusedefuirdenouveau.Ilacquiesça.—Jemesuisfaitlamêmeréflexioncematin.Ellehochalatêteàsontour,lentement.—C’estcequej’aicrucomprendre.Maintenantquesadécisionétaitprise,sesmusclesserelâchaientunparun,progressivement.—Ilestsansdoutetempspourmoidevousracontermonhistoire.—Cory,riennevousyoblige.Jepeuxm’enaccommoder,sansensavoirplus.Vossecretspeuvent

resterlesvôtres.Maisj’endéduis,puisquevousn’avezpasreconnul’individudumagasin,qu’iln’estpasceluiquivousfaitsipeur.—Non.Enréalité,jen’aivuqu’unseulhomme.Celuiquiaabattumonmarietm’atirédessus.—Ilvousablessée?Ils’arrêtanet.Elle fitouide la tête, etpourune raisonqu’ellen’aurait suexpliquer, elleouvrit sonpeignoir et

relevalehautdesonpyjama,demanièreàdévoilerlacicatricesursonventre.—Ilaaussituémonbébé.

Il poussa un juron, un mot qu’elle n’avait pas l’habitude d’entendre, et l’instant d’après, il lasoulevait dans ses bras pour lamener jusqu’à sa chambre. Il la déposa sur son grand lit, avant des’allongeràcôtéd’elle.Sansunmotdeplus,ill’attiraverslui,commes’ilvoulaitquesoncorpsfasseofficedebouclieretqu’illaprotègedetoutcequipouvaitlaheurter.Mais rienn’yfaisait.Elleobservait lementondeWadesansvraiment levoir.Ellegardait la tête

poséesursonbras,commesileventvenaitdetoutbalayerenelle,laissantungrandvide,qu’ill’avaitdépossédéedesonpassé,desesespoirs,desesrêves,etdesessentiments.Quelquechosevenaitdemourirenelle,unefoisencore.Danscettesolitudequisemblalahapper,elleentenditsavoix,quisonnasomnolente,déconnectéeà

sesoreilles,commesielleappartenaitàquelqu’und’autreetqu’ellen’enavaitpaslecontrôle.Cequiétaitpeut-êtrevrai.—Jen’aipasvraimenteuàfaire ledeuildecebébé,s’entendit-elledire.Jevenaisd’apprendre

que j’étais enceinte.Cela ne faisait pas suffisamment longtemps pour que j’aie eu le temps dem’yhabituer.—Mmm.Cegrognementluiindiquaitqu’ill’écoutait.— C’est devenu plus concret lorsque, en me réveillant après l’opération, les médecins m’ont

annoncé que je venais aussi de perdre tout ce qu’il me restait de Jim. Le choc causé par sa mortm’avaitfaitfaireunefaussecouche.—Jesuisdésolépourvous.—C’était…C’étaitleplusbeaujourdemavie.Jen’avaisjamaisconnuunbonheursiparfait.Jim

etmoi,nousallionsavoirunenfant.Onn’apeut-êtrepasledroitd’êtreaussichanceux.—Toutlemondeyadroit.—Vraiment?Vousaussi?Ilneréponditpas,maissonsilenceparlaitpourlui.— Nous étions sortis dîner, pour célébrer cette bonne nouvelle, puis nous sommes rentrés à la

maisonet…nousavonsfaitl’amour.Puiscesalaudestentrécheznouset,d’uncoupdepistolet,m’atoutpris.Il murmura quelque chose qu’elle ne chercha pas à comprendre. Elle s’en moquait. Elle était

incapabledebouger,commesielleétaitenveloppéedansducoton.—J’aivucethomme.Maisilsnel’ontniretrouvéniidentifié.Nouspensions…Ilspensaientqu’il

travaillaitpourunréseaudetrafiquantsdedroguesqueJims’apprêtaitàdémanteler.Unmercenaire,certainement. Ilsm’ontplacée sousprotectiondès l’instantoù je suis arrivéeà l’hôpital. Ilsont étéjusqu’àrefuserquej’assisteauxfunéraillesdeJim.EllesentitlesbrasdeWadeseraidirlégèrement,maisilnefitaucuncommentaire.—Puis, après troismois passés dans une résidence surveillée, ilsm’ont annoncé qu’ils allaient

devoirmedéplacer.Larumeurcirculaitdanslemilieuqu’uncontratavaitétéplacésurmatête.Parcequej’étaisenmesured’identifierlemeurtrierdeJim.—Cen’étaientdoncpasdepetitsmalfrats.—Non.Parfois,jemedisqu’ilsétaientencoreplusdangereuxqueJiml’imaginait.

—C’estprobable.— Nous n’avions reçu aucune menace. Aucun avertissement, quel qu’il soit. Jim s’apprêtait à

présentersesconclusionsaugrandjury,afinqu’illancelesprocéduresdemiseenaccusation.Cequin’allaitguèretarder,unefoisquelesprotagonistesauraientétéarrêtés.Maisiladûyavoirunefuite,carpersonnen’étaitcenséêtreaucourant.Etjeneconnaîtraiprobablementjamaislavérité.—Donc,aprèstroismoispasséssoushauteprotection,cefutledébutd’unvoyageversl’inconnu.— D’abord, j’ai subi une petite intervention de chirurgie esthétique. Une rhinoplastie. Afin de

modifiermonapparence,aucasoùilsferaientcirculerunephotodemoi.Puismescheveux…Jesuisobligéedelescolorer.J’aiaussichangédecoiffure.Maispasdetransformationmajeure.—Cen’est pas anodin, cependant, en particulier le nez.Unemodificationminime,mais avec un

impactmaximal.—Cesontleurspropresmots.Sivousmodifiezlenez,voustransformezlevisagetoutentier.—Celaadûêtredifficilepourvous.—Encoreaujourd’hui,ilm’arrivedesursauterlorsquejemevoisdanslemiroir.Ilsm’ontdéplacée

dans trois villes différentes avant deme faire subir cette opération.Puis six villes de plus.Nousypassionsquelquetemps,puisilsmedisaientdeplierbagage,etilsm’emmenaientdenouveau.D’aprèseux,c’étaitpours’assurerquepersonnenemesuivait.—C’estvrai.—Vousavezprispartàcetyped’opérations?—DeAàZ.Dudéménagementàlarésidencesurveillée.Enrevanche,j’avaislatâcheingratede

protégerdeuxvraissalestypes.Parfois,jemedisaisquecelan’envalaitpaslapeine.—Maisc’étaitfaux,n’est-cepas?— S’ils détiennent suffisamment d’informations, cela me semble justifié. Mais pour quelqu’un

commevous,ç’auraitétéunhonneur.Elletenditunbrasetluitouchalementon.Immédiatement,ilbaissalatêtepourlaregarder.—Jedétestaisça,murmura-t-elle.—Jen’aipasdepeineàvouscroire.—Mais ils faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pourm’aider.Etmême si je haïssais cette

situation,jelacomprenais.Ilssesontmisenquatrepourmoi.—Parcequevousétiezinnocente.— Et parce que mon mari était procureur fédéral. Il était l’un des leurs. Je ne me berce pas

d’illusions;s’ilnes’agissaitpasdeJim,jen’auraisjamaisbénéficiédetoutecetteattention.L’hommequejepeuxfairemettrederrièrelesbarreauxaabattuunreprésentantdelaloi.Quelque chose dans ses yeux sombres sembla s’adoucir légèrement, mais il décida de ne pas

répliquer,probablementparcequ’ilsavaitqu’elleavaitraison.—Cesfonds,poursuivit-elle,nesontpasattribuésàn’importequi.Si j’avaisassistéàn’importe

quelautreassassinat,etmêmesij’avaisétéleseultémoincapabled’identifierlemeurtrier,j’auraisdûmedébrouillerseule.—Cequiestunpeuvotrecasencemoment.

—C’estleurmanièredeprocéder.Ilconfirma,d’unsignedetête.—Généralement.Celavousmet-ilencolère?— D’avoir voyagé en première plutôt qu’en classe économique ? Comment pourrais-je le leur

reprocher?Cequimemethorsdemoi,c’estdesavoirquetoutceàquoijetenaism’aétéarraché.Mafamille,mesamis,macarrière.Parfoisjem’enveuxdelesavoirlaissésmeprendretoutcela.—Soyezraisonnable.Enquoiauriez-vousétégagnantesivousvousétiezfaittuer,vousaussi?—Celam’auraitépargnédemenerunevieaussidénuéedesens.Ilsoupiraetposasamainchaudesursajoue.— Ne dites pas ce genre de choses. Nous allons mettre la main sur ce type, et vous pourrez

recommenceràvivrenormalement.—Vraiment ? Je n’en suis pas certaine. J’étais censéeme sentir en sécurité, depuis que je suis

arrivéeici,etjen’aicesséunseulinstantderegarderpar-dessusmonépaule.—Cequejepeuxvousassurer,c’estquel’épiloguedevotrecauchemarn’estpasloin,etquejesuis

forméàcegenredesituation.Quantàl’annéequivientdes’écouler…Cory,pensezuninstantàcequevousavezsubi.Ilestnormaldenepasêtreparvenueàprendrevosrepères,d’autantquevousaviezdebonnesraisonsd’êtreterrifiée.—Effectivement,puisqu’ilsemblequej’aieétéretrouvée.Ilsetutquelquesinstants.—Vousallezmedétesterenentendantcequejevaisvousdire,reprit-il,maisc’estpeut-êtreune

bonnechosequ’ilvousaitretrouvée.Celanousdonneuneoccasionderéglercetteaffaireunebonnefoispourtoutes.Nousallonsprobablementvousrendrevotrevie.—Jen’aipluspersonneversquimetourner.—Vouspourriezrentrerchezvousetreprendrevotrecarrière?—Jenesuispassûredevraimentlevouloir.Les regrets l’envahirent, parce que sa léthargie sembla disparaître au profit de sentiments qui se

réveillaientlentement.Etc’étaitune terreurplusprofondeque leGrandCanyonqui l’envahissaitpeuàpeu.Lorsqu’elle

fonditenlarmes,ill’attiraplusprèsdelui.Commesicelapouvaitl’apaiser.

7

Ilessuyalentementseslarmeslorsqu’ellesecalmaenfin.Pendantdelonguesminutes,ilsecontentadelatenirserréecontrelui.—Ilfautquenousdiscutionsdelastratégieàadopter,dit-ilenfin.—Quepouvons-nousfaire?—Ilfautquej’yréfléchisse,maisnousdevonsenparler. Il fautdéterminercequivousconvient,

ainsi qu’à moi, avant de prendre une décision. Je suis assez polyvalent, mais je ne travaillegénéralementpasseullorsquejedoismettreenplaceuneopération.—C’estuntravaild’équipe?—Oui, et vous êtesma partenaire pour celle-ci. Ainsi que le shérif. Il faut qu’il participe à la

discussion.—Horsdequestion!Ets’ilappelaitlesmarshals?Jeneveuxpluspasserparlà.—Ducalme.Jesuispersuadéquenouspouvonsleconvaincredenepaslefaire.Maismalgrémon

expérience,jenesuisqu’unhomme,Cory.Nousallonsavoirbesoinderenforts.Elleenfouitsonvisagecontrel’épauledeWade,détestantcettesituation,cettepeurquiluilongeait

lacolonnevertébrale,cettesensationd’êtrepriseaupiège.Nepouvait-elles’accorderuneheurederépit?Etait-cetropdemander?Illafitpivoterlégèrement,demanièreàcequ’ellesoitplusprochedelui.Illaissasamainglisser

sursondos,oùildessinadescerclesréguliersetapaisants.Dumoins,c’estcequ’ellepensaaudébut,avantquecesgestesluifassentuntoutautreeffet.Leurbaiserpassionnédelaveilleluiavaitrappeléqu’elleavaitaussidesbesoins,etilnefallutpaslongtempsàsoncorpspourluisuggérerqu’ilyavaitdebonsmomentsàpartagerdans lavie,etquecebonheurse trouvaitàportéedemain.Etqu’il luipermettraitd’oublier.Mais cette sensation céda bientôt la place à une chaleur grandissante. Si son cœur et son esprit

tressaillaient,soncorpsvoulaitrenaîtreàlavieets’endélecter.Elle laissaéchapper leplusdélicatdessoupirs,puisremuacontre lui,exprimantavecsapeauce

qu’elleétaitincapablededire.Wades’arrêta.Dèsqu’ellecompritqu’ilvenaitderecevoirsonmessagesilencieux,elleretintson

souffle,déchiréeentrel’enviedes’éloignerdeluietl’espoirinsoutenablequ’ilnelarejetteraitpas.Elle ferait mieux de prendre la fuite. Immédiatement. Parce qu’elle ne supporterait pas d’être

repoussée.Pasaprèstoutcequ’elleavaitpartagédesonhistoirepersonnelle.«Eloigne-toitoutdesuite,neluilaissepasletempsdetedirenon.»Mais son corps refusait d’obtempérer, il réclamait quelque chose de primal, d’élémentaire, une

affirmationdelaviequipassaitoutrelescircuitsendommagésdesoncerveau.Ilretirasamain.Coryseraidit,sepréparantàunrejet.Illasaisitalorsparlementonetlevason

visageverslui.Sesyeuxsombrescherchèrentlessiens,commes’ilycherchaituneréponse.Puis,soudain,ill’embrassaavecuneintensitéquilasidéra,luidonnantlesentimentqu’ilallaitlui

volersonâme.Oh, il savaitembrasser.Sa langues’accordaità la siennesuivantun rythmequiaccompagnait les

pulsationsqu’ilfaisaitnaîtredanssoncorps.Desdéchargesélectriquesparcouraientsesterminaisonsnerveuses,rendantchaquecentimètredesapeausisensiblequelesimplefrottementdesesvêtementsdevenaitirrésistiblementsensuel.Unsimplebaiseravaitprovoquécetembrasement.Ilserrasesjambesautourdessiennes,mettantentreeuxunpeudedistance.Alorsqu’elletentaitde

plaquer de nouveau son corps contre le sien pour retrouver ce contact qui l’avait électrisée, ellecomprit.Ilavaitenvied’elleautantqu’elledelui,maisillafaisaitpatienter,l’obligeaitàprendresontemps.Ellesedétendit,acceptantdesuivresonallure.Nulbesoindeseprécipiter.D’unemain,illamaintenaitserréecontrelui;del’autre,ilcommençaitàexplorerlagéographiede

soncorps.Illaglissasoussonpeignoir,etsondernierrempartfutceluidesonpyjama.Ill’effleuradesesdoigts,duseinjusqu’àlacuisse, làoùsajambeenserrait lessiennes,puis il les laissaremonterlentement…silentement.Il les faufila sous son haut de pyjama. Elle s’arc-bouta légèrement, mettant fin à leur baiser,

lorsqu’ellesentitsapaumerugueuseseposersursapeaunue.Ils’attardaàcetendroit,décrivantdepetits cercles nonchalants sur sonventre, tandis que sabouche réclamait denouveau celle deCory,cettefoisplusdélicatement,faisantéchoaumouvementdesesdoigts.Denouveau, elle sentit l’urgencedudésir.Ellemourait d’envie qu’il caresse ses seins, qu’il les

embrasse,etellefinitparcroirequeledésirallaitluifaireperdrel’esprit.Pourtant,ilpersistaitàlarefréner.Elledétachasabouchede lasienne, reprit sonsouffle,haletante,puis,d’unemain,déboutonna la

chemisedeWade.S’ilneluiendonnaitpasplus,elleviendraitseservir.Ilnel’arrêtapaslorsqu’elleenécartalespansetqu’elleposalamainsursontorse.Ellecrutmême

percevoir un grognement de plaisir, lorsqu’elle commença à dessiner les contours de ses musclessaillants, se délectant de la douceur de sa peau, des vaguelettes qui striaient son abdomen, et despointesdresséesdesestétons.Unegourmandisepourlesmains,toutautantquepourlesyeux.Puis,sanslaprévenir,illasaisitparlataille,lalibérantdelaprisondesesjambes,etl’installaà

califourchonsurseshanches.Elle poussa un gémissement lorsque, l’attirant contre lui, elle sentit leur sexe entrer en contact à

traverslescouchesdejeanetdecoton.Quefaisait-il?Elledevaitsedébarrasserdecesvêtementsquilesgênaient.Mais lorsqu’elle toucha leboutondesonpantalon, il lui saisit lamainet luimurmurad’unevoix

rauque:—Chevauche-moi,Cory.Ellenecompritpascequ’ilvoulait,jusqu’aumomentoùillasaisitparlatailleetlafitalleretvenir

contre lui.Toutàcoup,ce tissun’eutplusaucuneespèced’importance.Seshanchesondulèrentsanspouvoirs’arrêter,exigeantdelevoirétanchersondésir.Tandis qu’elle se frottait contre lui, il glissa sesmains sous sonpyjama et prit ses seins dans le

creuxdesesmains,titillantsestétonsduboutdupouce.

Elleeutl’impressionqu’illasoumettaitàuncourantélectrique.Desdéchargesluiparcouraientlecorps,l’embrasant,etconvergeantverssonintimité,aupointdeprovoquerunedouleurquiluifaisaitoubliertoutlereste,àl’exceptiondesondésir.—Continue…,souffla-t-ild’unevoixrauque.Ellesesentaitlibre.Libredefairecequ’ellevoulaittandisqu’elles’abandonnaitàcesondulations,

laissantlibrecoursàsondésir,sanspluspenseràrienniàpersonned’autrequ’elle-même.Libred’êtresoi.Dechevaucherlacrêtedecettevaguejusqu’àtourbillonnerfollementdansseseauxchaudes.Etderetrouverlapaixdel’âme.ElleseplaquacontreletorsedeWade,parcouruedesoubresauts,etill’entouradesesbras.Ellene

s’était jamais sentie aussi détendue, à l’abri du danger, depuis… la fusillade. Et pas le moindresentimentdeculpabiliténevintl’effleurer.Sicen’estqu’elle ignorait siWadeyavaitprisautantdeplaisirqu’elle,et s’ilelle l’avaitmené

jusqu’àl’orgasme.Il lui parut étrange de se sentir un peu gênée après ce qu’ils venaient de vivre, cette expérience

rendueencoreplusrenversanteparlamanièredontelleavaitétéprovoquée.Jamaisellen’aurait imaginéquefairel’amourtouthabilléepourraitdonnerdupiquantàlachose,

l’exciteràcepoint,etluioffrircettelibertéprimitive.Quec’étaitbon!IlcaressalanuquedeCorypuisenroulaunemèchedesescheveuxautourdesondoigt.—Çava?luidemanda-t-il,d’unevoixrauque.—Oui,murmura-t-elle.Ettoi?—Jesuisunpeuabasourdi,pourêtrefranc.Enentendantcesmots,ellelevalatêteetledévisagea.Sonexpressions’étaitadoucie,etmêmeses

yeuxd’obsidienneavaientperduleuraspectminéral.—Queveux-tudire?—Jeseraisincapabledel’expliquer.EllereposasajouesurlapoitrinedeWade.—Lesmotsnousmanquent,parfois,pourdécrirecequel’onressent.—Probablement.Illaissaretomberlaboucleet,desonindex,dessinalescontoursduvisagedeCory.—Est-cequetuenseignais,avant?demanda-t-il.Cet homme possédait un don pour assembler en un clin d’œil les différentes pièces d’un puzzle,

aussin’aurait-ellepasdûêtresurprisequ’ilaitdécouvertcequ’ellecachait.—Pourquoimeposes-tucettequestion?—Acaused’unephrasequetuasprononcée,ouplutôtamorcée,etquetun’asjamaisterminée.Tu

t’esarrêtéenetàlapremièresyllabedumot.—Ettuasdevinélafindecelui-ci.

—Çam’arrive,parfois.—Tuesincroyable.J’aiquelquefoislesentimentquetuescapabledelirecequisepassedansma

tête.—Jesuistrèsobservateur.Lesmotsnesontpastoujoursindispensables.—D’accord,c’estvrai.J’étaisprofesseur.Etjeleredeviendraipeut-êtreunjour.—Ya-t-iluneraisonpourlaquelletun’aspasfaitreconnaîtretesdiplômesici?—Lesmarshalscraignaientquecelanedevienneunepistetropévidentepourlesmalfaiteurs.Ladureréalitévenaitfaireintrusiondanscemomentdesérénité.Celaluidonnaitenviedefrapper

dupoingdanstoutcequiseprésenteraitsursonchemin.—Désolé,jesuisentraindegâchercemerveilleuxmoment.« J’ai dûme raidir », songea-t-elle.Et il avait perçu sa réaction.Cet hommeétait époustouflant.

Dansdenombreuxdomaines.Jimavaittoujoursétéattentionné,maispasàcepoint.—Non, ce n’est rien. Je ne peux pas me permettre de perdre pied avec la réalité. Surtout pas

maintenant,reprit-elle,alorsquejesuisprobablementconfrontéeàunevéritablemenace.—Non.Ilpartageaitsonavis.Ellesentitsonestomaccrierfamine.Lapauseétaitbeletbienfinie,pensa-t-elletristement.—Quedirais-tud’allerprendreunedouche,pendantquejenousprépareunpetitdéjeuner?—Tutesensprêtàcuisiner?—Commejetel’aidit,jeconnaismesclassiques.Jeseraisincapabledecopierleplatdepâtesque

tunousasconcoctéhiersoir,maisjesuislespécialistedesœufsbrouillés,etjepeuxlesprépareràpartirden’importequellesourcedechaleur,quecesoitunrayondesoleil,unréchaudpourrationdesurvie,unechandelle,oumêmeunegazinière.—Jetesuggèredechoisirladernièreoption.—Puisqu’elleestdisponible…Ellelevalatêteetscrutasonregard.—Commentcuisines-tuàpartird’unrayondesoleil?—Nousemportonstoujoursdesmiroirspourcommuniquerparsignauxlumineux.Ilfautsimplement

savoirlesorientercorrectement.Ellehochalatête.—J’espèreavoirdroitàunedémonstration,undecesjours.Ilroulasurlecôté,sibienqu’elleseretrouvaprécipitéesurlelit.Illuiadressaunsourire,unvrai,

lorsqu’ilserelevaetsecalasuruncoude.—Aladouche,répéta-t-il.Jem’occupedesœufs.Ilposaunbaiserappuyésurseslèvresavantdedisparaître.Pourlapremièrefoisdepuisbienlongtemps,Coryréfléchitàcequ’elleallaitporter.D’ordinaire,

elleattrapaitsatenuedecaissièreouunT-shirtetunjean,sansyprêterattention.Maiscematin,ellehésitaitentreunejupeenjean,sachemiseàcarreauxauliserégansé,ouunbanalpolo.

Ellefinitparsedirequ’elleétaitridicule,etarrêtasonchoixsurunchemisierjauneetunjean.EnFloride, les gens en portaient rarement, sauf lorsque les températures chutaient,mais ici, c’était latenuehabituelle,mêmes’il faisait très chaud.Ellemitun soupçonde rougeà lèvres etdemascara,qu’elleretrouvaparmilesrareseffetsqu’elleavaitemportésavecelle.Laconsigneavaitétéclaire:rienquinepuisseentrerdansunevalise.Dèsqu’elleouvritlaportedesachambre,dedélicieuxeffluvesvinrentluichatouillerlesnarines.

Apparemment,Wadeavaitajoutédubaconaumenu,etellereconnutégalementlabonneodeurdecaféfraîchementcoulé.Cen’étaitpaslasecondetasse,maislasecondecafetièredelajournée,etsicelan’avaitriend’extravagant,celafaisaitlongtempsqu’ellenes’étaitpasaccordécepetitplaisir.Lorsqu’elle pénétra dans la cuisine, le couvert était déjà mis. Le bacon était disposé dans une

assiette,surunefeuilledepapierabsorbant,etunepiledetranchesdepaingrillées,déjàbeurrées,setrouvaientsurleplandetravail.—Tusaiscuisiner!dit-elle,surprise.—Jetel’aidit.Quesepasse-t-il,d’aprèstoi,lorsquenoussommeslivrésànous-mêmes,dansun

campretranché?Nouscuisinonsàtourderôle,etmalheuràceluiquin’estpascapabledepréparerunpetitdéjeunerdignedecenom!Ellelaissaéchapperunpetitrire.—Ici,c’estbeaucoupplussimple.Tuasmêmeungrille-pain.Assieds-toi.Jetesersuncafé.Elleobtempéra.—Jecroyaisquevousaviezdesrationspréemballées,rétorqua-t-elle.Commentcelas’appelle-t-il,

déjà?— Les RCIR. Rations de Combat Individuelles Réchauffables. Je te fais grâce des surnoms

sympathiquesqu’onleurdonne.—Maisvouscuisiniezquandmême?—Quandon se déplace, il faut être rapide et léger.Nous faisons en sorte denous ravitailler en

produitslocaux.D’autantquecequetumangesaffectetonodeur.Ilestdoncpréférabledeconsommerlesmêmesalimentsqueleshabitantsducoin.Elleremarquasonemploisystématiquedutempsprésent,etsedemandas’ilétaitdouloureuxpour

luide tourner lapage, après ces annéespasséesdans les forces spéciales,ou si l’évocationdecessouvenirsl’avaitfaitbasculerdansunmodederéflexionparticulier,commes’iln’avaitjamaisquittésonposte.—Celanem’auraitpastraversél’esprit,commenta-t-elle,tandisqu’illarejoignaitàtable,etqu’il

ydéposaitcequ’ilvenaitdepréparer.Lesœufs étaient cuits à la perfection, ni trop, ni trop peu, en dépit du fait qu’il ne les avait pas

battus.Pasétonnant,pourquelqu’unquiavaitprincipalementcuisinéenextérieur.Illesavaitcependantrehaussésd’unepincéedepoivre,pourlesrendreplussavoureux.—C’estexcellent,lecomplimenta-t-elle.Ilesquissaunsourire.—Merci.Jedétestelorsqu’ilssonttropcuits.Pourunhommesoi-disant incapabled’alimenteruneconversation, ilsedébrouillaitplutôtbien.Il

commençaitprobablementàsortirdesaréserve,commecelaavaitétésoncasunpeuplustôt.Dèsquecettepenséeluitraversal’esprit,ilsemblaretrouversonmutisme.Ilsprirentleurdéjeuner

ensilence,etn’échangèrentquequelquesparolesenfaisantlavaisselle.Ilsregagnèrentensuitelesalonplongédansl’obscurité.—Jevaisappelerleshérif.Ladureréalitérepritsesdroits,unefoisencore.Wade conversa avec Gage, puis sortit pour aller courir. Il n’expliqua pas à Cory pourquoi il

s’absentait,maisellen’avaitpasbesoindeleluidemander:ilallaitvérifierquel’hommedelaveillene rôdaitpasdans lesparages.Elle fit semblantde remettrede l’ordredans lamaison,bienque laseule tâchenécessairesoitunlégerépoussetage.Elles’étaitacquittéedesonménagequelques joursauparavant,etmêmesitrèspeudepoussières’étaitaccumuléedepuis,celaluioffraituneexcusepours’affaireretd’essayerainsideconjurersapeur.Enpartie,dumoins.Gage, qui arriva en même temps que Wade, était habillé en civil. Les deux hommes entrèrent

ensemble,etGagerejoignitCorydanslesalon.Avantqu’elleaiteuletempsdesaluerleshérifoudeposersonplumeau,Wadeluifitsonrapport.—Jenel’aipasvu.Coryn’étaitpascertainededevoirs’enréjouir,étantdonnélessoupçonsdeWade.Elledéposason

ustensile sur la table et s’essuya les mains sur son pantalon, avant de serrer celle de Gage et del’inviteràprendreunsiège.—Uncafé?Ilfitnondelatête.—Jeteremercie,Cory.Allonsdroitaubut,situesd’accord.Waden’apasététrèsexplicite.Ilm’a

seulementexpliquéquetuavaisbesoindemevoir.Elleacquiesça,avantdes’enfoncerdanssonrocking-chair.Gage,commeàsonaccoutumée,choisit

le fauteuil inclinable, tandisqueWades’asseyait sur lecanapé, àproximitédeCory.Elle se tournaverslui.—Explique-lui,s’ilteplaît,demandaCory.—D’accord.Wadesepenchaenavant,coudessurlesgenoux.—Dès lespremiers instants, j’ai remarquéqueCoryétait terrorisée.J’étaisprésent lorsqu’ellea

reçucetappeltéléphonique,celuiausujetduquelellevousaappelé.Gagefitunpetitsignedelatête.Corynotaqu’ilnefitaucuncommentaire.Ilnedévoileraitrien,tant

qu’iln’auraitpascernécequeWadeavaitcompris,etcequ’ilpensaitdelasituation.«Ilprotègemessecrets»,songeaCory.—Quoiqu’ilensoit,repritWade,jenevaispasvousennuyeravecuneavalanchededétails,saufsi

vouspensezquecelapeutvousêtreutile.J’aiparticipéàdesopérationsdeprotectiondetémoins,etdepuiscematin,j’ailaconvictionqueCoryenbénéficie.Gageseraiditinstantanément.—Jenepensepas…,commença-t-il.—Détendez-vous,lerassuraWade.Personnen’auraitpudeviner.Jesuisparvenuàcetteconclusion

parce que j’ai eu l’occasion de l’observer, de sentir sa peur, sans compter ses omissions, qui meparaissaienttrèsrévélatrices.Gagepoussaunjuron,puislançaunregardàCory.—Jesuisdésolé.Jen’auraisjamaisfaitvenirWade,sij’avaisimaginéqu’ildécouvriraitlavérité.—Net’enfaispas,luiréponditCory.Celanemeposeaucunproblèmequ’ilsoitaucourant,bienau

contraire.Pourêtrehonnête, jepensequ’ila raisonenaffirmantquepersonned’autrenes’enseraitrenducompte.Ilatirélesbonnesconclusionsparcequesonexpérienceluipermettaitdelefaire.—J’espèrequetuasraison,ditGage,visiblementcontrarié.Sonairn’avaitplusriendesympathique.Wadenesemblapasdéconcertéparlaréactiondushérif.Amoinsqu’ilsesoitsimplementretranché

danssaforteresse,songeaCory,quisesurpritàespérerquecen’étaitpaslecas.Ellenevoulaitpasleperdre. Elle commençait à apprécier l’homme qui s’était révélé, même s’il restait encore bienmystérieuxàsesyeux.—J’aimapetiteidéequantàlaraisondecetappel,repritWade.Jemesuisrappeléundétailquine

m’auraitjamaiséchappé,sijen’avaispaspassélessixderniersmoisàtenterd’oubliertoutcequej’aiapprisdanslesforcesspéciales.—C’est-à-dire?— Laissez-moi tout d’abord vous expliquer une méthode que nous utilisons parfois lors de nos

opérations.Nousn’avonspastoujoursuneidéetrèsclairedenotrecible.Parfois,nousn’avonspasdephoto, ni de description précise. Dans ce cas, nous tentons de faire peur à un groupe de ciblespotentielles, puis nous les observons, afin de définir laquelle a effectué une action susceptible derévélersonstatut.Gagehochalentementlatête.—Vousêtesentraindemefairecomprendrequececanulartéléphoniquen’enétaitpasun.—C’estprobable.J’aidebonnesraisonsd’avoirdessoupçons:nousavonsvulemêmehommeà

deuxendroitsdifférentshier.Ilnousasuivissur leparkingdelasupérette,puisnousl’avonscroisédanslesalléesdumagasin.—Celaneprouverien.—Effectivement, si ce fait estpris isolément.Maishieraprès-midi, tandisquenous rentrionsde

notrepromenadeauparc,nousavonsdenouveauvucetype.AproximitédelamaisondeCory,etauvolantd’unautrevéhicule.—Nomdenom!Gagesegrattalefront,visiblementcontrarié.—Jegardeàl’espritquecertainespersonnespossèdentplusieursvéhicules.Etquececanularen

étaitpeut-êtreun.Maislorsquevousrassembleztousceséléments,etquevoussavezqueCoryestsousprotection,carelleestlaseulepersonnecapabled’identifierlemeurtrierdesonmari,ildevientrisquédesedirequecen’estqu’unecoïncidence.—Vousavezraison.MaisquelgestepourraitavoirtrahiCory?Ellen’arienfaitdeparticulier.—Apartmeprendrecommelocataire.Etcetypequilasurveillenem’aprobablementpasaperçu

avantl’appel.Entoutelogique,iln’adûmultipliersesrondesqu’aprèsavoircontactésesvictimes…

etjesuisarrivéjusteavant.Denouveau,Gagesecontentadehocherlatête.—Sinouspartonsduprincipe, repritWade,quece typeaà l’œil,disons,unedemi-douzainede

femmesquiontemménagéiciencoursd’année,ilvadevoirpasserdel’uneàl’autreafind’observerleurréaction.Or,peuaprèssonappel,ilremarquedeuxchoses:dansunpremiertemps,CoryetsonamieMarshaserendentàlafourrièrepourychoisirunchien.CelaauraitpusuffireàdésignerMarshacommecible,saufque,danslesheuresquisuivent,Coryrentrechezelle,puisquittesondomicileenmacompagniepourserendreausupermarché.—Etonpourraitfacilementvousprendrepourungardeducorps,soulignaGage.Corypritlaparole.—JepensequeWadearaison,Gage.Sionyregardedeplusprès,j’ainonseulementlaisséWade

s’installer dansmamaison,mais il est égalementvenu fairedes emplettes avecmoi.Généralement,seulesdespersonnesseconnaissantbienfontcegenredechosesensemble.Or,Waden’estentrédansmaviequ’hier.Etenysongeant,jemedisquelesgensquinousentouraientpouvaientcroirequejefaisaismescourses,etqueWadenefaisaitqu’actedeprésence.—Trèsbien,conclutGage.Vousavezrevucetypel’après-midi.Auvolantd’unautrevéhicule.—Etilnenousamêmepasjetéunregard,alorsquelaconductricedelavoitureprécédentenousa

sourietnousafaitunsigne.—Commelefontlaplupartdeshabitantsducomté,repritGage.Lespersonnesquinelefontpasne

sontsouventpasd’ici.Ilsecaressalementon,etregardaCory.—Maisilnes’agitpasdel’hommequiaassassinétonmari?—Non,ilneluiressemblepasdutout.Jel’auraisimmédiatementreconnu.GagefronçalessourcilsetregardaWadeetCorytouràtour.—Voussavezquec’estplutôtmince,commepiste?—Trèsmince,précisaWade.—Maisjenepeuxpaslaisserpasserça.Laissez-moiréfléchiruninstant.Corycrutsoudainentendrelamusiqued’unjeutélévisédanssatête.Ellese tournaversWade,et

découvrit un homme parfaitement capable d’attendre lorsque c’était nécessaire,même s’il préféraitêtredanslefeudel’action,etquipouvaitresteraussiimperturbablequ’unestatuelorsqu’illevoulait.Cequ’ilfaisaitd’ailleursencetinstantmême.Gagefinitparromprelesilence.—Tantquenousnesommessûrsderien,ilestprudentdeconsidérerqueWadeavujusteenparlant

d’actesrévélateurs.LetypequirechercheCorynesaitpeut-êtrepasquesonapparenceestdifférente.La chirurgie esthétique n’est pas courante pour le programme de protection.Mais, étant donné quepersonnenecorrespondprécisémentàladescriptionqu’ilapuavoir,cegenredeprovocationparaîtlogique.Aconditionqu’ilsacheoùla trouver.Et laseulemanièredont ilapu l’apprendre,c’estenrecevantcetteinformationdequelqu’unquitravaillepourlesmarshals.LecœurdeCorymanquaunbattement,puissemblas’emballer.—Jen’yaipassongéuneseconde,murmura-t-elled’unevoixéraillée.

Gagesetournaverselle.— Cela fait un an, Cory. De toute évidence, les marshals ont réussi à se débarrasser de tes

poursuivants. La seule manière d’obtenir des renseignements à ton sujet, c’est de faire parlerquelqu’un.Ilyadoncunefuitequelquepart.—MonDieu!s’écria-t-elle.Sonvisagesemblarefléterdenouveaulapeuretl’angoisse.—Quepeut-ilsavoird’autre?poursuivit-elle.Gagesecoualatête.—Jel’ignore,maissiWadearaison,iln’apasencoredécouverttanouvelleidentité.Celuiquit’a

trahienel’apasbeaucoupaidé,sinonilconnaîtraittonnomettonadresse.—C’estvrai.—Etquelquechosemeditquetun’aspassuivileprotocolehabituel,quiconsisteàchoisirunnom

defamillecommençantparlamêmeinitiale,etàconserverleprénomd’origine.Sinon,ilsauraitdéjàquituesetoùtuhabites.—Onm’aditquec’estcequefaisaientlaplupartdesgens,maisl’undesmarshals…,savoixse

brisa,puiselleseressaisit,…étaitunamidemonmari.Ilsemblaitplusinquietquelesautres,etilm’asuggérédechoisirunpatronymetotalementdifférent.—C’estcequetuasfait?luidemandaWade,brusquement.Maispeut-onétablirunlienentreton

nomactueletl’ancien?Corysemorditlalèvre.—LeprénomdemamèreétaitCory.Etsonnomdejeunefille,McFarland.WadescrutaGageduregard.—Ilpeutrassemblercesindices,maintenantqu’ilsaitoùlatrouver.Gageacquiesça.—Bientropfacilementàmongoût,maisàconditionqu’ilprennelapeinedelefaire.—Pourquelleraisons’enpriverait-il?interrogeaCory,dontlecœurbattaitencoreàtoutrompre.—Parceque,àsupposerquecetypesacheoùtues,ilimagineprobablementqu’ilpossèdetoutes

lesinformationsdontilabesoin.Jenepeuxpasliredanssespensées,Cory.Jesaissimplementqu’ilfautprendrecertainesmesures.—Dequoiparles-tu?Tucomptesprévenirlesmarshals?Ilsecoualatête.—Pourquoileferais-je?S’ilnes’agitpasd’unecoïncidence,nouscollaboronsavecunservicequi

a déjà communiqué des informations confidentielles à ton sujet. Ce sont bien les derniers quej’appellerais.Saufsic’estcequetuveux.Coryfitnondelatête.—Horsdequestion.Jeneveuxpluscourirdevilleenville.Jen’enaipluslaforce.Sonâmesemblaithurlerqu’uneautrefuiteenavantlabriseraitàtoutjamais.Elleserralespoings.LevisagedeGagesedétendit.

—Mêmepaspoursauvertavie?—Dequellevieparles-tu?Sijenemebatspasaujourd’hui,jeneleferaijamais.Jesuisépuisée

d’êtresanscesseeffrayéeetderegarderàchaquepaspar-dessusmonépaule.Cetypeestunmeurtrier,etjesuislaseuleàpouvoirlefairemettreenprison.S’ilm’aretrouvée,ehbien,qu’onenfinisse.Jenepeuxplus…vivredecettemanière.C’estassez.—Trèsbien.Gageseleva.— Je n’appellerai pas lesmarshals pour le portrait-robot du tueur. Je vais t’envoyer une artiste

localequis’enchargera.ElleferaaussiceluidutypequeWadearepéré.Celateconvient-il,Cory?—Absolument.Sonchoixétaitfait.Elleallaitsedéfendre.Contretouteattente,cettedécisionl’apaisa.Cetteséréniténedureraitprobablementpas,maiscela

luifitunbienfou.— Je ne supporte plus de laisser cet homme gâcherma vie, ajouta-t-elle, son regard passant de

WadeàGage.Ethonnêtement,jen’aipasvraimentvécu,cetteannée.Alorsfinissons-en,d’unemanièreoud’uneautre.LaportraitisteenvoyéeparGagenecorrespondaitpasàl’idéequeCorys’étaitfaited’elle.Esther

Nighthawkétaitunejolierousseaffectionnantlesjupeslonguesetquisedéplaçaitavecl’aided’unecanne,uncarnetàcroquissouslebras.—Voussavez,jefaisçapourrendreservice,expliqua-t-elleàCory,alorsquecelle-cil’invitaitàla

suivredanslacuisine,oùelleauraitunetablesurlaquelletravailler.Jesuisaquarellisteàtempsplein,reprit-elle,maisj’aimedonneruncoupdemainaushérifenréalisantcesesquisses.Elle s’assit en facedeCoryetouvrit soncarnet àunepagevierge.Elle tiraensuiteuneboîtede

crayonsàdessindugrandsacentissuqu’elleportait.—J’auraisaimévousrencontrerplustôt.Maismonmarietmoivivonsdansunranch,carilélève

desmoutons,etjenevaisenvillequedeuxfoisparmoispoureffectuerdesachats.Oulorsquel’undenosenfantsabesoindes’yrendre.—C’estlegenredeviequimeplairait,déclaraCory,rêveuse.—J’ensuissûre,réponditEsther,dont leregardsemblas’adoucir.Maviearadicalementchangé

depuismarencontreavecCraig.Autrefois,jepassaisleplusclairdemontempsàmecacher.—Aquoivouliez-voustantéchapper?—Alavie.J’étaispersuadéequemonartétaittoutcequicomptait,maisj’étaissurtouteffrayéepar

toutuntasdechoses.Névroséeseraitunqualificatifquimedécrivaitbienàcetteépoque.—Etmaintenant?—J’appréciechaqueminutedechaquejour.Estheravaitponctuésadernièrephrased’unsourire.—Alors,êtes-vousprêteàm’aider,pourdresserleportrait-robotdel’hommequisembleinquiéter

Gage?—Oui,enfin,jevaisessayer,réponditCory.

—Danscecas,vousparlez,etjedessine.Coryfermalesyeuxuninstant,tentantderaviverlesouvenirdel’hommequiavaittuéJim.—C’estdifficile.Sonvisagesembledevenirfloulorsquejemeconcentresurlui.—Jesais.C’est la raisonpour laquellevousnedevezpas insister.Commencezparundétail. Je

l’esquisserai,etvousmedonnerezvotreavis.Cequivousplaît,etcequinevousconvientpas.Çavaaller,faites-moiconfiance.C’estcequefitCory.Elledécrivitlaformeduvisagedumeurtrier,etaprèsquelquesrectifications,

elles parvinrent à un résultat satisfaisant. Elles passèrent ensuite au nez, pour lequel seules troiscorrections furentnécessaires.Petit àpetit, l’image seconstruisit, et comme l’avaitpréditEsther, ilétaitplusaisédepointercequin’allaitpasplutôtquededonnerunedescriptionexactedecedontellesesouvenait.Unedemi-heureplus tard,ellese trouvait faceàunvisageétrangementfamilier,qu’elleauraitété

incapabledefairesurgirdesamémoiredemanièreaussiexacte.—C’estbienlui,conclut-elle.Vousnepourriezpasêtreplusprochedelaréalité.Estheracquiesça,ensouriant.—Cen’estjamaisaussidifficilequelesgenslecroient.—C’estparcequevousêtesuneartistetalentueuse.Wade les rejoignit, et avec l’aide de Cory, ils parvinrent à esquisser le portrait de l’homme

rencontréausupermarché.— C’est incroyable, commenta Cory en scrutant le second dessin. Je croyais l’avoir totalement

oublié,maisc’estbienlui.—Vousêtestrèsdouée,ditWadeàEsther.Ellesemitàrire.—Continuezàflattermonego.Iln’enajamaisassez.Ellecommençaàrangersescrayons.—Pourquoineviendriez-vouspasdînerauranchunsoir?Celanouspermettraitdefaireplusample

connaissance,et,quisait,peut-êtreunjourpourrez-vousmemettredanslaconfidence,etmeraconterdequoiils’agit?—Ceseraitavecplaisir,réponditCory,aveclafermeintentiondetenirparole.Sonbesoindecréerdesliensdanscettevillesemblaitdevenirobsessionneldepuisquelquesjours.

Commesidessignauxd’alarmes’étaientdéclenchésdanssonesprit,luiindiquantquesiellecontinuaitsurlamêmelancée,elleferaittoutaussibiendemourir.Elleressentaitégalementundésirdesefairedenouveauxamis,etdereprendreunevienormale.Celarisquaitdel’obligeràaffronterdesdangers,telsceuxdontellesecachaitdepuisplusd’unan.Arrivée à la porte d’entrée, Cory salua Esther, avant de reculer pour laisser àWade le soin de

raccompagnerl’artistejusqu’àsavoiture.—Enferme-toi,etréactivel’alarmelorsquejeseraisorti,luimurmura-t-ilenpassant.Jevaisaller

inspecterlesenvirons.Elle suivit ses instructions, puis alla s’asseoir dans le salon, afindepatienter jusqu’à son retour.

Commentavait-ellepusurvivreunandansuntelétatdeprostration?Dansl’attented’uneapocalypsequi n’arrivait jamais, trop effrayée pourmener un semblant de vie normale, s’efforçant de devenirinvisible,mêmesursonlieudetravail.Avecuneinébranlablecertitude,ellecompritqu’ellenepourraitplusretourneràcegenredevie.

Elles’étaitlaisséemouriràpetitfeudepuisbientroplongtemps.Ellenelesupportaitplus.Sicelasupposaitqu’elledevaitrisquersavie,ehbien,c’estcequ’elleferait.Waderevintauboutd’unevingtainedeminutes.Ildésactival’alarme,puislaremitenmarcheavant

d’allerlarejoindresurlecanapé.—Tuvasdevenirfouàlier,luidit-elle,lorsqu’ils’assitprèsd’elle.—Vraiment?Pourquelleraison?—Parcequejeviensd’ouvrirlesyeux.—C’est-à-dire?Ellesecoualégèrementlatête.—Cettemaisonestunavant-goûtdel’enfer.J’yresteassisependantdesheures,àm’inquiéter,àme

lamenter,àtremblerdepeur.Tuvasperdrelaboule,enferméiciavecmoi.— Je vois. Ses doigts pianotèrent sur l’accoudoir du sofa. Ça va aller. J’ai passé des journées

entières,enfilature,àattendrequelebonmoment,ouquelacible,seprésente.Jetiendrailecoup.—Moi, jen’enpeuxplus. Jemedemandaiscomment jeparviendraisà rester inactivependantsi

longtemps.—Ah,Cory,luidit-ilplacidement.Nesoispassiexigeanteenverstoi-même.Tuasvécuunchoc

terrible,puistuasétéparachutéeenterraininconnu,oùpresqueriennet’étaitfamilier.Tuavaisbesoindetemps,ettul’aspris.—Tuestrèsindulgent.—Jene faisque t’exposermonpointdevue.Si tuavaisperdu tonmari,maisque tuavaiseu la

possibilité de rester auprès de tes amis et de ta famille, et de conserver ton emploi, tu aurais plusfacilement surmonté ton chagrin. De même que si tu n’avais pas perdu ton conjoint, mais avaisseulementétécontraintededéménager,tasituationauraitétéplusgérable.—Enes-tusisûr?— J’ai pu observer ta transformation au cours des deux derniers jours. Je suis catégorique. Par

ailleurs,jecroisréellementquetudevraistemontrerplusbienveillanteenverstoi-même.Tuasconnudeuxexpériencestraumatisantes.Sanscomptercetueurquicourttoujours.Plusd’unepersonneauraitbâtiuneforteresseautourd’elle,ets’yseraitenfermée.—C’estenquelquesortecequej’aifait.—Regarde-toi.Tuasatteintlestadeoùtuesprêteàallerdel’avant.Cequineveutpasdirequele

tempspasséàpansertesblessuresn’étaitpasjustifié.Elle n’aurait jamais imaginé que cet homme puisse être aussi compatissant. Ou qu’il puisse se

montrer aussi ouvert qu’il l’avait été aujourd’hui. Il lui avait paru si renfermé, si impénétrable, unvéritable roc.Etcependant, toutenressentantcette force incommensurablequi l’habitait, il luiavaitfaitlecadeaudepartageravecellesagentillesseetsabienveillance.Ilsepouvaitqu’ellesoitpasséeàcôtéd’autrespersonnesenquielleaurait trouvédesemblables

qualités,maiselleétait si terrifiéequ’elles’étaitenferméedanssonsilence.Sa frayeurétaitdueenpartie à ce meurtrier qui était probablement lancé à ses trousses, mais aussi liée aux contraintesimposéesparlesmarshals,àleursmisesengarde.Celapartaitd’unebonneintention,ellen’endoutaitpas,maiscommentretrouverunevienormalelorsquetousvosrepèresontétéannihilés?— J’ai eu le sentiment qu’on me dépossédait de ma personnalité, et qu’on m’imposait de

recommencerdezéro,commeunenfantquivientdenaître.Ilhochalatête.—De leur point de vue, c’était lameilleuremanière de procéder.Mais cela ne vous laisse pas

grand-choseàquoivousraccrocher.—D’autresysontpeut-êtreparvenuesplusaisémentquemoi.—Ellesn’ontcertainementpasperduleurmarietleurbébéenl’espaced’uneseconde.Labrutalitédesfaitsluifitbaisserlatête.Elleprituneprofondeinspirationpourtenterderefouler

seslarmes.Ilpassaunbrasautourdesesépaulesetlespressadélicatement.—Dis-toiquetuasfaitdumieuxquetupouvais.—Cen’estpassuffisant.—C’est ce que j’ai cru comprendre. Tu dois considérer l’année écoulée comme une période de

convalescence,ajouta-t-ilauboutdequelquesinstants.Cesblessuressontlonguesàcicatriser.Pendantquetuemployaistesforcesàguérir,toncorpsréagissaitauralenti.Ou,danstoncas,tonespritettesémotions.C’estcequ’onappelleunreposforcé.—Vivredanscetétatdefrayeurn’avaitpourtantriendereposant.—Qu’ensais-tu?Ellesetournaversluipourscrutersonvisage.—L’étatdepeurdans lequel tu t’étaismurée tepermettaitpeut-êtred’échapperàd’autreschoses

plusterrifiantesencore.Ellesesentittotalementdésarçonnée.Ellen’avaitjamaisvuleschosessouscetangle.—Probablement,finit-elleparadmettre.Maismonquotidienn’avaitrienderelaxant.—Aquoiressemblait-il?— J’avais l’impression d’être embourbée dans des émotions abominables, sans échappatoire

possible.—Etmaintenant?—Jevoisuneissue.Jeredoutecequipeutsetenirsurlaberge,celam’effraie.Mais,commejel’ai

dit,jedoism’extirperdecemaraisoujevaisymourir.—Jevaist’aideràregagnerlarive.Il semblait si sûr de lui. Elle aurait aimé pouvoir en faire autant. Mais la vie n’offrait aucune

garantie,et sielleavaitacceptécetétatde faitquelquesmoisplus tôt,elleauraitdéjàcommencéàconstruiresanouvellevie.Or,sielleavaitagidelasorte,elleseraittoutdemêmelà,assise,àcraindrequeletueurnel’ait

retrouvée.Sasituationaurait-elleétéplussimple,sielleavaitnouécesliensd’amitiédontelleavaitsi

enviedepuishier?Pasdutout.En réalité, cela aurait pu lui sembler encore plus angoissant. Et les choses allaient déjà être

suffisammentstressantes.

8

Elle tenta de faire passer le temps en lisant un livre. Wade inspectait la maison à intervallesréguliers,puisrevenaits’asseoirdanslesalon.Elleignoraits’ilregardaitparlesfenêtresous’ilétaitsimplementincapabledetenirenplace.Elle-même trouvait cette situation difficilement supportable. Elle finit par refermer son roman et

levalesyeuxverslui.—Allons-nouspasserlajournéelà,ànerienfaire?Wadeesquissaunsourire,puisvintlarejoindresurlecanapé.—Quefais-tupourt’occuper,d’habitude?—Riendeplusquecela,reconnut-elle.Maisaujourd’hui,j’ailabougeotte.—Jepensequenousdevonsnoustenirtranquilles,jusqu’àcequeGagenousconfirmequ’ilestprêt

àintervenir,sibesoinest.L’attenteesttoujourslapartielapluspénible.Coryfitlamoue,tentantd’imaginercequirisquaitdeseproduire.—Tusais,déclara-t-elle,cetueurn’apaseupeurdevenirànotreporteaubeaumilieudelanuit,

puisdefairefeusurtoutcequibougeait.—C’estcequej’aicrucomprendre.—Danscecas,qu’est-cequil’empêchedereproduirecescénarioici?— Rien, si ce n’est que je suis « l’inconnue » dans son équation. Cela ne le retiendra pas

indéfiniment,maisj’ailaconvictionquecelal’obligeàyréfléchiràdeuxfois.—Queveux-tudire?— Il doit se demander quel type de protection je peux t’assurer. S’il existe un moyen de nous

séparer,afindet’isoler.Maiscela,bienévidemment,n’estvalablequedans lamesureoù il t’auraiteffectivementretrouvée.Ellesoupira.—J’aimeraisenavoirlecœurnet.—Ilyadesmomentsoùilfautagir,etd’autresoùondoitsecontenterderéagir.Parcequenousne

sommessûrsderien.Elleeutunpetitsourire.—Ecoute,j’aipasséuneannéeàmelaisserballotterdanstouslessens,etmaintenant,contretoute

attente,j’aibesoindeprendreleschosesenmain.Quellesqu’ensoientlesconséquences.—Jeconnaisça.—J’ensuispersuadée.Ellebaissalesyeuxverslelivrequ’elletenaitencore.—Jenecomprendstoujourspascequ’ilsontcruaccomplirenassassinantJim.Cen’estpascomme

sicetacteleurpermettaitd’échapperàunprocèsoudevoirlespoursuitesabandonnées.

—Jel’ignore.Ilsontpeut-êtreestiméques’ilsabattaient leprocureur, legouvernementauraitdumalàluitrouverunremplaçant.L’intimidationestleseulmobilequimevientàl’esprit.—Jedoutequelasuiteleuraitdonnéraison.—Maistun’enaspaslacertitude?Ellesecoualatête.—Jimnemeparlaitpasdesesdossiers.Iln’enavaitpasledroit.Cequifaitque,mêmesijelisais

lapresseousijeconsultaislesregistresdestribunaux,jeseraisincapabledetrouverdequelleaffaireils’agissait.—Maistusaisqu’ilmenaituneenquêtesurunréseaudetrafiquantsdedrogues.—Oui,mais il n’était probablementpas le seul procureur à travailler surune affaired’une telle

envergure.Dansunsens,ilestrageantdenepastenirpouracquisquesonenquêteapermisdemettreces malfaiteurs derrière des barreaux, mais en même temps… Elle haussa les épaules. Quelledifférencecelaferait-il?Celanechangeraitrien,nipourmoi,nipourJim,nipournotrebébé.Il passa une main sur sa joue, l’obligeant à tourner son visage vers le sien et l’embrassa

délicatement.—Jesuissincèrementdésolé.Sicebaiseravaitpourbutde laréconforter,soneffets’avérabeaucouppluspuissant.Elleaurait

aiméluifairecomprendrequ’ilavaiteulafacultédechasserdesonesprittoutessespréoccupations.Etdirequ’iln’avaitpascherchéàlerendresensuel!Elleeutlesoufflecoupéenreconnaissantl’éclatquibrillaitdanssesyeuxsombres.Ellen’étaitpas

laseuleàressentirdudésir,loindelà.Cependant,ilnecherchapasàl’emmenersurcechemin.Cette attirance qu’elle ressentait pour lui lui faisait tourner la tête, au point où elle n’eut plus

consciencederien,misàpartcethomme,etlachaleurquilagagnaitdanstoutsonêtre.Ilyavaitquelquechosed’incroyableàémoustilleraussifacilement,etsirapidement,unhommeàla

foissipuissantetsiréservé.C’étaitpeut-êtreleseulmoyenqu’ilconnaissaitpourcréerunlienavecquelqu’un.Ilréagissaitprobablementdemanièresimilaireavectouteslesfemmes.Elles’enmoquait.Ellesavaitcequ’ellevoulaitetelle l’avaitàportéedemain.Ellelutdansses

yeuxqu’ilpartageaitsonenvie.Avantqu’elleserendecomptedesongeste,elleavaitcommencéàdéboutonnerlachemisedeWade.

Illalaissafaire,toutenladévisageantavecintensité.Lorsqu’elleenécartaenfinlespans,elleadmirasontorse.—Commetuesbeau!murmura-t-elle.Elle posa ses paumes sur sa peau douce et chaude, puis fit courir sesmains sur les creux et les

pleinsdessinésparsesmuscles,sedélectantdessensationsquil’envahissaient, toutautantquedelanonchalanceaveclaquelleillalaissaitexplorersoncorps.Jusqu’àcequesarespirationparaisseplussaccadée.—Est-cevraimentcequetuveux?luidemanda-t-il,lesoufflecourt.—Oui.Elleavaitàpeineprononcécemot,qu’illasoulevadanssesbraspuissantspourlamenerjusqu’àsa

chambre.

—Cettefois,jenem’arrêteraipas,laprévint-il.Pasdedemi-mesure.—Çameconvient.—Alors,pasdequartier,conclut-il.Ellen’étaitpascertainedesaisirlemessage,maiselleaussivoulaitallerjusqu’aubout.Illadéposasursonlit,danscettepièceplongéedanslasemi-pénombre,etsetintau-dessusd’elle,

commeunestatuegrecque,imposante,indestructible,etdotéed’uneforceetd’unepuissancepresqueirréelles.Ilabandonnasachemisepuisdéfitsaceinture.Elleregardait,avecunefascinationmêléededésir,lafermetureEclairqu’ilfaisaitdescendretrès

lentement.—Ilestencoretempsdereculer,luidit-il.Elleluirenvoyalemotqu’ilaffectionnaittant.—Non!Sonregard,jusque-làhypnotiséparlabraguettedeWade,remontajusqu’àsonvisage,surlequelse

dessinaitunsourireamusé.Ilavaitlesyeuxmi-clos,maissonexpressionsemblaits’êtredurciesouslecoupdudésir.Ilretiraseschaussures,puis,d’unmouvementleste,sedébarrassadesonpantalonetdesessous-

vêtements.Lorsqu’ilseredressa,ils’offraitnuauregarddeCory.Son corps était magnifique. MêmeMichel-Ange n’avait jamais sculpté un corps d’homme aussi

parfait, songea-t-elle. Elle n’avait pas non plus souvenir d’unApollon doté d’une telle érection. Sigrosse,sidure.Lavisiondecesexequiladésiraitaccrutplusencoresondésir.Sarespirationsefithaletanteetelle

sentitunechaleurextrêmel’envahir,entresescuisses.Wade ladéshabilla, avec impatiencecette fois, jetant sesvêtementsauxquatrecoinsde lapièce,

jusqu’àcequ’ellesoitcomplètementnue. Il ladévoradesyeux, luidonnant l’impressiond’êtreà lafois totalement vulnérable, mais diablement belle. Personne ne l’avait jamais regardée de cettemanière,pasmêmeJim,commesi elleétait la femme laplusdésirableaumonde.Son regard suffitpourqu’ellesentesestétonsdurciretsonsexevibreraupointd’endevenirpresquedouloureux.Acetinstant,sesinstinctsrefirentsurface.Toutlerestedisparut.Plusriennecomptait,misàpartcet

hommeetcemoment.Elleremarquaàpeinequ’ilavaitutilisécesquelquessecondespourenfilerunpréservatif,carelleétaittropenvoûtéeparsesyeux,quiparcouraientsoncorpscommeunecaresse.Ils’allongeasurelleetl’enveloppadesesbras,puissejetasursabouche,l’embrassantavecune

tellepassionquelamartèlementaufondd’elledoublad’intensité.Ilsemitàluipétrirlecorpsavecunmélangedechaleuretdedésirqui luifaisaitpresquemal.Chacundesesgestesmontraitcombienilavaitenvied’elleet,lecielenétaittémoin,elleenavaitterriblementbesoin.LeslèvresdeWadeserefermèrentsursonmamelon,envoyantdesvaguesdeplaisirjusqu’auplus

profond d’elle. Sa main se promena sur la peau satinée de sa hanche, avant de plonger entre sescuisses,enquêtedesachaleuretdesamoiteur.Elleétaitprisedansune tempêteà laquelleellenesouhaitaitpaséchapper.Cequ’iltouchaitdevenaitsien,entoutelégitimité.Ilrelevalatête,etmurmurad’unevoixrauquedesencouragements,tandisquedesesdoigts,illui

faisait atteindre des sommets de plaisir.Trop rapide, se dit-elle, en proie au vertige,mais ce légerreproches’estompatandisqu’elleapprochaitdel’abîme,qu’ellesentaitimminent.—Tuessidouce,chuchota-t-ilàsonoreille.Etellesentituneautrevagued’excitationlasubmerger.Lorsque,cherchantàs’agripperàquelquechose,ellelabouradesesongleslapeaudeWade,illui

saisitlesmainsetluienroulalesdoigtsautourdesvolutesmétalliquesdelatêtedelit.Il luiécarta lescuisses.Haletante,maisrésistantautantqu’elle lepouvait,elle levalesyeuxvers

lui.Sasilhouetteimmenseetimposantesedécoupaitdanslapénombre.Ellen’auraitjamaisimaginé,nimêmerêvé,qu’unechoseaussirenversantepuisseluiarriver.Chaquecelluledesoncorpslesuppliaitdelameneràl’extase,enréponseàl’élancementquis’étaitréveillédanssoncorps.Ileffleuradélicatementsonsexe,écartant les lèvrespouratteindresonclitorisqu’ilcaressaavec

milleprécautions,luifaisantatteindredesdegrésdeplaisirsuccessifs,jusqu’àlatenirsuspenduedanscetteexquisedouleuroùellecriaitpresquesonnom.Ilglissaunbrassousseshanches,l’attirajusqu’àluietlapénétra,semblantcomblerunvidedont

elleavaitoubliél’existence.Achaquemouvementdesonbassin,ellesesentitapprocherduprécipice.Ellelâchalatêtedelit,

enfonçantsesdoigtsdanssachairdouceetmusclée,etl’attiracontreelle.Ellevoulaitsentirsonpoidssurelle.—Laisse-toialler,murmura-t-ilàsonoreille.Puis,d’unpuissantcoupdereins,illafitbasculerdansl’abîme.Uninstantplustard,sonvisagese

contractaitalorsqu’illarejoignait.Corypensaquel’explosionquivenaitdeseproduireenellenefiniraitjamais.Ilsrestèrententremêlés,épuisés.Coryseditqu’elleétaittroplasseetrassasiéepourquelemoindre

soupçondepeurnepuisselasaisir.Ellevenaitdedécouvrirlemeilleurremèdeaumonde.LorsqueWadevouluts’écarterd’elle,ellel’attrapaparlesépaules,craignantqu’ill’abandonne.— Je reste là, dit-il. Il se glissa à côté d’elle et s’allongea sur le dos, la respiration encore

saccadée.L’airparaissait frais sur leurpeauchaudeetmoite,unautrecontrastedélicieux. Ilsavaientgrand

besoin de fraîcheur, mais elle supportait mal de ne plus sentir la peau deWade contre la sienne.Lorsqu’elle tendit une main dans sa direction, il la saisit immédiatement. Lorsqu’elle la pressalégèrementdesesdoigts,illaluiserraunpeuplusfermement.—Pourquoilavieneressemble-t-ellepastoujoursàça?demanda-t-elledoucement.Dèsquecesmotspassèrentseslèvres,ellecompritquelaréalitéreprenaitsesdroits,etqu’iln’y

avaitaucunmoyend’yéchapper.—Sic’étaitlecas,nousneferionsriend’autre.Ellefutsurprisedelanoted’humourdanssavoix.Ellesetournaversluietluisouritleplusnaturellementdumonde,commeellenel’avaitplusfait

depuiscesquinzederniersmois.—Serait-cesigrave?Ileutunpetitrire.

—Absolumentpas.Elletenditlebrasetparcourutdudoigtsontorse,avantdedescendrejusqu’àsonbassin.Sonsexe

réagitimmédiatement.—Jen’auraispasdemalàm’yfaire,déclara-t-elle.—Dequoiparles-tu?—Det’avoirtotalementàmamerci.—Ah!D’unmouvementpreste,sisubitqu’illapritparsurprise,illafitroulersurledoset,emprisonnant

sesjambesentrelessiennes,sesyeuxsombresplongèrentdanslessiens.—Quidomineraitqui?demanda-t-il.Corysentitunsourireamuséluimonterauxlèvres.—Peuimporte,d’unemanièreoud’uneautre,celameconvient.—Bien.D’undoigt, il traçadescerclesautourdesesseins,puislelaissaglissersursonventre,lafaisant

frissonnerdelatêteauxpieds.—Ceseraàtourderôle.—Bientôt?—Oui,luiassura-t-ilavecunsourire.Maispeut-êtrepastoutdesuite.Ellesoupira.—D’accord.Ilsepenchaverselleetbalayasabouched’unbaiser.—Jenedemanderaispasmieux,Cory.MaisGagevacertainementappelerd’icipeu.Ellen’avaitaucunargumentàluiopposer,endépitdufaitqu’elleauraitaimérepoussercesombres

auxconfinsdesonesprit.C’estvraiqu’il leur faudraitaffronterdesdangers,demanièresansdouteimminente, mais elle éprouva du ressentiment, une sensation qui lui était inconnue jusqu’alors.Auparavant,elleétaitsubmergéeparlapeuretlechagrin,nelaissantdeplaceàaucunautresentiment.—J’aidumalàl’accepter,annonça-t-elle.Puis,aussitôt,elleregrettasesparoles,lorsqu’ileutunmouvementderecul.Elleallaitdroitversun

malentendu.—Rienàvoiravectoi,précisa-t-ellehâtivement.Jemesensbienpourlapremièrefoisdepuisdes

lustres,etmaintenantjedoispenserà…à…—Jecomprends.Ilrevintverselleetposaunbaiserdélicatsurseslèvres.—C’étaitsiaffreuxqueça?luidemanda-t-elle,toutencaressantsescheveuxcourts,tandisquesa

jouereposaitsursapoitrine.—Dequoiparles-tu?—Detonenfance.Ilseraiditsubitementetneréponditrien.Elleretintsonsouffle,laissantlessecondess’égrenerune

àune,sedemandantsielles’étaitaventuréetroploin.Celanelaregardaitpas,etellelesoupçonnait

derechigneràavouersavulnérabilité,endépitdecequ’illuiavaitconfiéautourd’unetassedecaféauxpremièreslueursdujour.—Pisencore,finit-ilparrépondre.J’aipassépasmaldetempsenfermédansunplacard.Etmon

pèreprenaitgrandplaisiràmefouetteravecsaboucledeceinture.—Quellehorreur!—J’aisurvécu.—Mais…Ilposaundoigtsurseslèvres.—Jesuisencorelà,déclara-t-ild’untonferme.Cequinevoustuepasvousrendplusfort.—Tuycroisvraiment?—Oui.Probablement, songea-t-elle. Mais cela ne signifiait nullement que les cicatrices aient disparu,

qu’ellessoientphysiquesoupsychologiques.Cesdernièresétaientclairementperceptibles,neserait-cequedansl’habitudequ’ilavaitdesanscesses’excuser.Commes’ilressentaitlebesoindedevenirinvisible.Puisuneautrepenséeluitraversal’esprit.—Tesens-tucommeunpoissonhorsdel’eaumaintenant,jeveuxdire,sanstescollègues?Ilrelevalatête.—Jeunedame,sivousavez l’intentiondemettremonâmeànu,vous feriezmieuxdeme laisser

choisirlelieuetlemoment.Elle se sentit blessée. Ce n’était pas justifié, mais elle ne put s’empêcher d’être piquée par sa

réponse. Elle savait pourtant que les femmes ont plus tendance à se sentir liées à un homme parcequ’ellesontfaitl’amouraveclui,etelleserenditcomptequel’expériencequ’ilsvenaientdepartagerl’avaitplusmarquéeémotionnellementquelui.Ilsrestaientdesinconnus,aprèstout,dontlesdestinss’étaientcroisésàlasuited’unconcoursdecirconstance,etquin’étaientliésqueparunemenace.Ilavaitcertainementprévudedéménageraussitôtqu’ilauraitréglésespropresproblèmes.Et, denouveau, elle serait seule.Lebon sens lui intimait denepas s’attacher à cet homme.Elle

devaitconsidérer leur intermèdesexuelcommeunsimpleréflexefaceàundangermortel,etriendeplus.Elleauraitdûsemontrerpluscirconspecte.Sejetertêtebaisséedansuneaventureavecunhomme,

pourlaseuleraisonqu’ils’étaitmontrésuffisammentcourtoispournepaslalaissersombrerdanslechaos,étaitdangereux.Ellenesesentaitpascapabledesupporterunabandon,alorspourquoicréerunesituationquilarendaitvulnérable?Elletentadeluisourire,maissonvisagesemblaitnepasvouloircoopérer.—Jedoism’habiller.Gagepeutpasserd’uneminuteàl’autre.—Bonsang!grommela-t-ilenroulantsurledos.Elleluijetaunregardetremarquaqu’ilfixaitleplafond.—Qu’ya-t-il?—Jet’aivexée,etcen’étaitnullementmonintention.Elleressentitunnouveaupincementaucœur,maispourlui,cettefois.

—Non,cen’estrien.C’estunréflexetypiquementféminin,des’attendreàdesconfidencesaprèsunmomentcommecelui-ci.Jedevraislesavoir.Iltournalatêtedanssadirection.—Moiaussi,jedevraislesavoir.Jem’excuse.Ilsortitdulitetentrepritderassemblersesvêtements.IldéposaceuxdeCoryàcôtéd’elle,enfila

lessiensprestement,puisquittalapiècesansmêmeavoirprisletempsdeboutonnersachemise.UnelarmechaudecoulasurlajouedeCory.Elleavaitessayéd’établirunliendeconfianceavec

lui,maiselles’étaitmontréeplutôtmaladroite,etsemblaitavoirmalchoisisonmoment.D’ailleurs,pourquoiunhommes’attacherait-ilàelle?Ellen’étaitplusquel’ombreterrifiéedela

femmequ’elleavaitété,unecarapacevidedontpersonnenevoudrait.Elleauraitdûlesavoir.Danslacuisine,Wadeétaitfurieuxcontrelui-même.Ilpréparaitducafé,boissonquil’avaittoujours

revigoré lors des épreuves les plusmarquantesde sa vie, et qu’il avalait commepar réflexe, de lamême manière que certaines personnes réclameraient une tasse de thé ou une couverture pour seréconforter.Ill’avaitsiroté,brûlantetépais,àbordd’unnavire.Parfoisinstantané,mêléàuneeaupratiquement

insalubre.Oul’avaitbuclair,préparéàpartirdequelquesmarcsqu’ilavaitdûréutiliser.Peuimportaitlegoût,tantqu’ilpouvaittenirunetasseserréeentresesmainsetytrouverunpeuderéconfort.Ilavaiteubeausefixerdes limites, il lesavait finalementfranchies ; ilavait fait l’amouràcette

femme.Etmêmes’ilavaitclairementexposé,àlui-mêmetoutautantqu’àelle,qu’ilétaitincapabledetisserdevéritablesliens,ilavaitaccomplilegesteleplusàmêmed’encréerunentredeuxpersonnes.Ilavaitfaitcepasdetrop,avaitébauchéunerelationavecelle,toutensachantqu’ilseraitincapable

delanourrir.S’ilpossédaitungrammedebonsens,ilymettraitfinsanstarder,boucleraitsesvalisesets’eniraitavantdeluifairedavantagedemal.Maisilenétaitincapable,tantquecettemenaceplanaitsurelle.Oui,ilétaitpersuadéqueleshérif

etsabrigadegarderaientunœilsurelle.Et,non,iln’avaitpasunegohypertrophié.Malgrétout, ilgardaitàl’espritquemêmelefilet leplusserrédumondedemeuraitunepassoire,

carilétaitillusoiredechercheràenboucherchaqueinterstice.AmoinsqueGagenechargel’undesesagentsdesurveillerCoryvingt-quatreheuressurvingt-quatre,cequiétaitpeuprobable:eneffet,ils’agissaitd’unpetitcomté,etGagenedisposaitcertainementquedupersonnelluipermettantdefairefaceaux interventionsde routine. Il fallaitdoncquequelqu’und’autreassure laprotectiondeCory.Unepersonnecapablederéagiràcetypedemenace.Lui.Même si des agents locaux avaient suivi une formation similaire à la sienne, il craignait qu’ils

n’aientplusl’expérienceduterrain.Ilavaitpeineàimaginerqueleursréflexessoientrapidesaupointqu’uneombresemouvantdansleurchampdevisionprovoqueeneuxunepousséed’adrénaline.Cetentraînementnes’oubliaitpasfacilement,maislemanquedepratiquevousrendaitmoinsréactif.

N’était-ced’ailleurspasdanscebutqu’ilétaitvenuici?Cequi faisaitde lui lepluspromptet leplus impitoyabledes sales typesducoin. Iln’allaitpas

passersonchemin.Quedevait-ilfaireausujetdeCory?Elleavaitnaturellementconsidéréquefairel’amourensemble

lesavaitrapprochés,et,pourêtrefranc, ilavaitplusoumoinspartagécetteimpression.Rienàvoiraveccesfemmesquin’avaientpourobjectifquedecoucheravecunagentdesforcesspéciales.Coryétaitdifférente,toutcommel’expériencequ’ilsvenaientdevivre.Iln’étaitd’ailleurspastrèsfierdesamanièredefaire,ils’étaitmontrébrusqueetpressé,etétait

complètementpasséàcôtédesfiorituresromantiquesqu’elleméritaitamplement.Il s’était laissé submerger par le désir comme jamais auparavant, mais il avait voulu s’assurer

qu’elle avait la possibilité de lui dire non…et s’était laissé aller à son désir dès qu’elle lui avaitdonnélefeuvert.Ensuite,elleavaitessayédeserapprocherdelui.Certainementpourseprouverqu’elleétaitàses

yeuxdavantagequ’unfantastiqueobjetsexuel.Nomdenom!Ilappuyasonfrontcontrelafaçaded’unplacardmural,attendantquesoncafésoit

prêt,ensedemandantcommentilétaitparvenulà.Celaluiressemblaitbien.Ils’étaittoujoursplusoumoinssentihandicapéparrapportauxrelations

humaines.Lesseulslienssolidesqu’ilavaittissésluiavaientprisdesannées,étaientfondéssuruneexpérience commune et une confiance absolue, et avaient toujours été établis dans le cadre de sontravail.AvecCory,ilneconnaissaitpaslesrègles,étaitdépourvudemoded’emploi,etilavaitpourobjectifdelagarderenvieletempsdecomprendrequeldangerplanaitsurelle.Il ignorait comment s’y prendre. La seule chose dont il était sûr était que Cory, sur le plan

émotionnel,étaitaussifragilequ’uneporcelaine.Ilvenaitprobablementdeprovoquerunecraquelure.Ilméritaitunebonnegifle.—Wade?appelaCory,d’unevoixhésitante.Ellesetenaitsurleseuildelacuisine.Ilfermalesyeuxaussifortqu’ilput,cherchantàcontrôlerla

colèrequ’iléprouvaitcontrelui-même.—Oui?parvint-ilàrépondre.—Jetiensàm’excuser.Jen’auraispasdûteposercettequestion.Il se retourna vivement pour se retrouver face à elle. Elle était rhabillée, et son regard semblait

perdudanslevide,éteint.Elleluiprésentaitdesexcuses,alorsqu’àcausedelui,cetairaffligéétaitréapparusursonvisage.—Bonsang!s’écria-t-il.Ellesursauta.—Jevaistelaissertranquille.—Non!Ellehésita,etcroisa lesbrassursapoitrine,commesielle ressentait lebesoinde s’accrocherà

quelquechoseoupourêtresûredenepassebriserenmillemorceaux.—Pourquoi,non?—Assieds-toi.Resteavecmoi.Il lui fallut une éternité avant qu’elle se décide à faire un pas en direction de la table et qu’elle

s’assoieenfin,lesbrastoujoursserréautourd’elle.Illuitournaledos.

—Jesuisvraimentnul,déclara-t-il.Denouveau,ilappuyasonfrontcontreleplacard,soulagéquelecafénesoitpasencoreprêt,car

celaluifournissaituneexcusepouresquiverleregardquipesaitsurlui.—Dequoiparles-tu?—Jetel’aidit.Lesrelationshumaines,lacommunication.Jenesaispasquelestletermeàlamode

encemoment.Letypeassisaufonddubarpendantquelesautresplaisantentautourducomptoir,c’estmoi. Je ne parle pas pour le plaisir, seulement pour aborder les aspects techniques d’unemission.Personnenemeconnaîtréellement,etçamevabiencommeça.—Parcequeçat’évitelesmauvaiscoups.Ungrognementirritéluiéchappa.—Epargne-moilaséancedepsychothérapie.Mêmesituasraison.—D’accord.La cafetière était pleine, et son excusevenait de s’envoler. Il sortit deux tassesduplacard et les

remplitavantdelesposersur la table.Puis ilallachercher labouteilledelait,qu’ildéposadevantelle.Ils’assitàcalifourchonsurlachaiseenfaced’elle,enveillantbienàévitersonregard.Ilnevoulait

plusvoirsonexpressiondésespérée.— Je suis un champ de mines, confessa-t-il. Oui, j’ai subi des violences lorsque j’étais enfant,

commebeaucoupd’autrespersonnes, et celanemedonnepasdroit à un traitement spécial. J’ai fuiaussitôtquejel’aipu,etjemesuisjurédeneplusjamaismeretrouverdanscegenredesituation,oùje serais à la merci de quelqu’un. La marine m’a sorti de l’ornière, tout bonnement, m’a donnéconfianceenmoiainsiqu’unbut.Maisellen’apassudésamorcertoutescesbombes.J’aidoncapprisà les garder enfouies profondément, puisque de toute façon elles n’ont aucune utilité. A quoi bonressasserdesactescommisilyavingtoutrenteans,alorsqu’ilsontcessé?Ellearticulaunson,maisWaden’auraitsudires’ilsignifiaitqu’ellepartageaitsonopinion.—Ce qui compte, conclut-il, est qui je suis aujourd’hui. Combienmon expériencem’a façonné.

Malheureusement, je n’ai jamais côtoyé de personne avec laquelle je n’entretenais pas une relationd’ordreprofessionnel.C’estpourquoijesuisaussimaladroit.—Mmm.Elleneprenaitpasderisques.Maisaprèstout,quepouvait-ilespérer,alorsqu’illuiavaitintiméde

setairetandisqu’ils’épanchait?Ilfinitparleverlesyeuxverselle.Aumoins,ellen’étaitplussurlepointdecraquer.Sonvisage

paraissaitplusserein.— Je ne tiens pas à évoquermon enfance, la prévint-il. Je n’en ressens pas lebesoin. Çam’est

passélejouroùj’aicomprisquesimonpèreseprésentaitdevantmoi,jepourraislebriserd’uneseulemain.Elleopina.—J’aidépassélestadedelapeur,etceluidel’impuissance.Mêmesilacolèreestencoreenpartie

présente.—C’estundébut.

Ellelevasatasseetbutunepetitegorgée.—Toutlereste,c’estmoiquiensuisresponsable,paseux.—Vraiment?—Oui.Ilnelalaisseraitpasleconvaincreducontraire.—Lessouvenirsquimehantentnesontpasliésàmesparents,maisàdesexpériencesplusrécentes.—Dequois’agit-il?—Dechosesquej’aivues,quej’aifaites,ouquej’aichoisidenepasfaire.Sij’avaisuneleçonà

retenirdecesannéesde service, ce serait la suivante :quoiqu’il arrive,onest responsablede sesactes.Lepasséappartientaupassé,etsaseuleutilitéestdemeservird’exemplepourfairemieuxlaprochainefois.Elleinspiraprofondément.—Tuessérieux?—Biensûr.Et lorsquejeregardeenarrière,etquejevois toutcequej’aipréféréesquiver, j’en

accepte les conséquences. J’ai laissé ma vie professionnelle me dévorer, et je n’ai pas essayé dereprendreunevienormale.D’ailleurs,enobservantmesamis,j’ensuisarrivéàlaconclusionquecelan’envalaitpaslapeine.Dumoins,tantquej’étaisenservice.C’estdoncmafautesij’aichoisidenejamaisapprendreàentretenirunerelationquinesoitpasprofessionnelle.—Tuportesuntelfardeausurtesépaules?—Biensûr.C’estmoiquiaipriscesdécisions.—Celadoitt’accabler.Laplupartdesgensreconnaissentaumoinsqueleurpasséaparticipéàla

constructiondeleurpersonnalité.—Jenedispaslecontraire.Maisilmerevientdedéterminerquelrôleilajoué.Jeneprétendspas

nepasêtreleproduitdemonpassé.J’affirmeplutôtquejesuislerésultatdeschoixquej’aieffectuésautrefois.Elleacquiesçalentement,etilsentitsapoitrineseserrerlorsqu’ilvitlevisagedeCoryserefermer

denouveau.—Qu’ya-t-il?luidemanda-t-il.Qu’ai-jedit?Ellesemorditlalèvre.—Jeréfléchisàcequetuviensdedire.Tuesdoncconvaincuque,mêmeétantenfant,tun’étaispas

unevictime?Ilsecoualatêteavecimpatience.—Cen’estpasmonpropos.Acetteépoque,jegéraiscommejepouvaiscequelaviemettaitsur

monchemin,commen’importequelgamin.Etàcetâge,n’ayantpasl’expériencequel’onacquiertplustard,ilestfaciledesecroireunevictime.Maisunefoisadulte,c’estdifférent.Cequineveutpasdirequelesvictimesn’existentpas.Cen’estpascequejepense.—Quelleesttonopinion,danscecas?insista-t-elle,suruntonplusferme.—J’ai laconvictionquenoschoix,et les leçonsquenousen tirons,nousdonnent lecontrôlede

notre vie. Ilm’est arrivé de commettre des erreurs terribles, et j’ai certainement tiré demauvaises

conclusionsàcertainsmoments.Cequirevientàdirequejenepeuxpasenvouloiràcemômequej’aiété,alorsquelaplupartdesdécisionsimportantesquej’aiprisesappartiennentàmavied’adulte.Elleacquiesça,d’unsignedetêtenerveux.—Cory,quesepasse-t-il?T’ai-jeblessée?Cen’étaitpasmonintention.—Non,pasdutout.Cequetudism’amèneàréfléchir.Ilcompritàcetinstantcommentellerisquaitd’interprétersesparoles.—Ilnes’agitpasd’unecritiqueàtonencontre.Jenemepermettraisjamaisdepenserquetun’es

pasunevictime.—Jelesais.C’estseulement…Ilattendit,mais,lorsqu’ellegardalesilence,ill’incitaàs’exprimer.—Jet’écoute.—Jepartagetonavis.Cettepenséemehantedepuisquelquesjours.Cesalaudm’avolémonmari,

monbébé,monanciennevie.Maisjerespireencore.Etqu’ai-jechoisidefaire?Jemesuisenterréeaufondd’untrouetj’aicessédevivre.Jeluiaipermisdemedéposséderdemonespérance.—N’importequoi!Il ne pouvait en supporter davantage. Il se leva si brusquement qu’il en renversa sa chaise. Il

contournalatable,vintseplanterdevantelleetlasoulevadesonsiège,l’emportantdanslesalon,oùils’assit,ellesursesgenoux.—C’estfaux,luimurmura-t-il,enlaserrantdanssesbras.Tun’asrienfaitdemal.Toutlemondea

besoindetempspourpansersesblessuresavantderepartiraucombat.Cetempst’étaitnécessaire,jenecesseraijamaisdetelerépéter.Sitajambeavaitétéemportéeparunobus,tucroisquetuauraispuéchapper à la chirurgie et à la rééducation ? Certainement pas. J’essaie de t’expliquer que je suiscoupableden’avoir jamaisappris lesrèglesdelaviesociale.Denepassavoirparlerauxfemmes.D’êtreincapabledenouerdesliensaffectifs,oudem’ouvrirauxautres.—Aucontraire,répliqua-t-elled’unevoixbrisée,jetrouvequetutedébrouillestrèsbien.—J’aiencoredesprogrèsàfaire.Jet’aifaitdelapeineàdeuxreprises,enmoinsd’uneheure.J’ai

eulamainunpeulourde.Ellel’agrippaparlachemise.—Ecoute-toiparler.Tumetrouvestoutuntasd’excuses,maisaucunenes’appliquelorsqu’ils’agit

detoi.Réfléchisàcela,Wade.Ceuxquitefaisaientsouffrirsontsortisdetavie.Etcommentréagis-tu?Tuteflagellesàleurplace.Il devint subitement si silencieux, immobile, qu’elle sentit l’angoisse la gagner.Venait-elle de le

provoquerunefoisdeplus?Elle se raidit, s’attendant à ce qu’il s’emporte et la rejette, avant de boucler ses valises

définitivement.Ellelesentitsedétendrepeuàpeu.—Tuaspeut-êtreraison,finit-ilparadmettre,d’untonbourru.—Tuaffirmesn’êtrel’amidepersonne,maisas-tudéjàessayé?Tut’ensorstrèsbienavecmoi.—Maisjet’aiblessée.

—Etalors?Celafaitpartiedujeu.Lesgensseheurtent,maistantquecen’estpasintentionnel,çava.Jenepensepasquetucherchaisàmefairesouffrir,jemetrompe?—Biensûrquenon.—Alorstoutestréglé.Çaarrive.Ellesoupira.Crois-tuquemonmariageavecJimétaitparfait?Il

nousarrivaitdenousdisputer.Etdenousblesser.Leplusimportantestdesavoirpardonneretoublier.C’estainsiquel’onconstruitunerelation.Ilysongeaunlongmomentetseditqu’elleserévélaitparfoisbienplusmûrequelui.—Avecmoi,ilfaudraitavoirunepatienceàtouteépreuve.—Mêmechosepourmoi.Elleremuasursesgenouxetposasatêtecontresonépaule.—Nousavonstousnospointsfaibles,Wade.Lavieestainsifaite.Etlorsqu’ellenoussoumetàdes

épreuvesterribles,ildevientdifficiledevivrenormalement.—Pourmoi,leschosesontempirécesdernièresannées.Ilenconnaissaitpertinemmentlacause.—Lesancienscombattantssonttousàlamercidesouvenirsquileshantent,poursuivit-il.Unbruit,

uneodeur,unpaysage.Parfois,unsimplemotlesfaitresurgir.Jet’aiexpliquéquejenetenaispasenplace.Cen’estpasseulementdûàmonentraînement,maisplutôtàmonexpérienceduterrain.—C’est-à-dire?— Combien de temps doit-on se tenir au bord du gouffre avant que cette manière de vivre ne

deviennelaseulequiparaissenormale?Tucroispouvoirdécompresserparcequeturentrescheztoi,loinduchampdebataille?Beaucoupd’entrenousboivent,carc’estleurseulmoyendesedétendre.D’autresviventdansl’angoissepermanentequ’undésastreestsurlepointdeseproduire,etilssontincapablesdelaisserretomberlapression,neserait-cequ’uneminute.Elleacquiesçad’unpetitsignedetête.—J’aivécuunpeuplusd’unancommeça.Et toi, toute tavie.Dansl’insécurité,persuadéqu’un

malheurvatetomberdessus.—Oui,c’estcequimerendsiimpulsif.Ilsoupira,ignorantlesraisonsquilepoussaientàs’épancherdelasorte,etnesachantpasceque

cettediscussionluiapporterait.Ilespéraitqu’elleavaitsaisisonmessage,etqu’elles’éloigneraitdeluitantqu’ilenétaittemps.Aumoins,laprochainefoisqu’ilsemontreraitmaladroitdanssesgestesousesparoles,ellecomprendraitqu’ilnecherchaitpasàluifairedelapeine.Endépitdecela,ilsavaitqu’illablesseraittôtoutard.D’unemanièreoud’uneautre,ilpasseraiten

mode auto-défense, et une fois passé ce point, il risquait de considérer que l’attaque constituait lameilleuredéfense.—Tudoismecomprendre,dit-ilbrusquement.Illefaut.—Dequoiparles-tu?—Meprotégerestdevenuunautomatisme.Quellequesoitlanaturedelamenace.Elleinclinalégèrementlatête,etilcompritqu’elleétaitentraindel’observer.Ilrefusaitdecroiser

sonregard.Qu’ellelisecequ’ellepouvaitdanslafossettedesonmenton,ilneluiendévoileraitpasdavantage.Pasmaintenant,etpeut-êtrejamais.

—D’accord,conclut-elle.Tuteprotèges,etc’estlégitime.Illaissaéchapperungrognementd’irritation.—Tucomprendscequecelaimplique?—Probablementpasdanslesmoindresdétails,maisj’aisaisilesgrandeslignes.Il appréciait l’assurance qu’avait prise sa voix, même s’il n’y croyait pas trop. En dépit des

malheursqu’elleavaitsubis,etmêmesilerécitqu’elleluienavaitfaitfaisaitfroiddansledos,ilnepouvait imaginerqu’ellesoitpréparéeàaffrontercequirisquaitdeseproduiresouspeu.Etellenesoupçonnaitpasdequoiilétaitcapable.Mais lui le savait. C’était la malédiction des agents des forces spéciales. Vous connaissez vos

limites,etpireencore,vousvousrendezcomptequevousn’enavezpasbeaucoup.Lamissionavanttout.Etparfois,leseulobjetdelamissionétaitd’ensortirvivant.Celanesignifiaitpasqu’ilavaithontedelui-même,maisplutôtqu’ilseconnaissaitsousunangle

que laplupartdesgensn’explorent jamais, car rienne lesoblige à sonder lesprofondeurs lesplussombresdel’âmehumaine.Ets’ilsensontdispensés,c’estgrâceàdestypescommelui.Quantàceuxqui s’y aventurent, ils évoluent dans unmonde cauchemardesque, ayant perdu au passage toute leurinnocence.Ceuxquireviennentdeceslieuxmaudits,decestréfondsducœuretdel’âme,sont transformésà

toutjamais,carilsuffitdejeterunseulregarddanscetabyssepourqu’ilvousengloutisse.Ellepensait lecomprendre.Sansblague!Parcequ’elleavaitvucetueur,cettenuit terrible.Mais

elleétaitbienloinducompte,carvoirn’estpasfaire.Parfois,unepersonnecommeCorypercevaitlalueurlointainedecegouffre.Lesgarscommeluiypénétraient,s’yfondaient.Età leur retour, seuls leurscompagnonsdevoyage,quiavaient suivi lemêmeparcours,étaientà

mêmedesaisircequiavaitentraînéleurmétamorphose.Commentpouvait-onselibérerdesfantômesdupassé?

9

Gageappelaendébutd’après-midi.Coryallachercherlecombinémunid’unefonctionhaut-parleurdanssachambreafinqueWadepuisseprendrepartàleurconversation.—Bien,commençaGage,touslesagentsontprisconnaissancedesportraits-robots.Tonnomn’est

mentionnénullepart,Cory;j’aiseulementpréciséquecestypesdevaientêtreinterrogésdanslecadred’uneenquêteconcernantunhomicideetqu’ilssontconsidéréscommearmésetdangereux.Coryretintsonsouffleenentendantcettedescription,sanspouvoirexpliquerpourquoi.Commesi

ellenesavaitpasàquelpointilsétaientredoutables.Maislefaitdel’entendredelabouchedeGagerendaitlamenaceplusconcrète.Elleavaitcesséd’êtrepurespéculationetdevenaitréelle.Sentantsoncœurseserrerdanssapoitrine,elleserenditcomptequ’ellevivaitdepuisunandansun

dénicomplet.Oui, elleavait été terrorisée, àunpointqui frisaitparfois le ridicule,maiselleavaitsecrètement espéréque cette éventualité ne seprésenterait jamais.Etmêmeen cemoment, unepartd’ellepersistaitàpenser,«nousnesommessûrsderien».Cequin’étaitpasfaux.Ilsagissaientsurlabasedecoïncidences,etd’unfaisceaudeprésomptions.

Jimavaitcoutumedediredanscegenredecas,«çanetiendrajamaisdevantuntribunal».Gageenavaitcertainementconscience.Pourtant,ilallaitdel’avant,commesiunevéritablemenace

avaitétéproférée.Cequiavaitpeut-êtreétélecas,sil’onprenaitencomptecetappeltéléphonique.Etlefaitqu’unan

auparavantlesmarshalsavaientjugénécessairedelaplacersousprotectionpermanente.Après tout,ilsn’étaientpasdugenreparanoïaque,àinventerdesconspirations.Ellene suivait qued’uneoreille distraite la conversationdeWade etGage.Dès l’instant où elle

avaitsaisiqueledangerpouvaitêtreimminent,elleavaiteulesentimentqu’unesorted’interrupteuravaitétéactionnédanssonesprit.Elles’étaitsentiedenouveauanesthésiée,commevidée.Iln’yavaitcependantplusdeplacepour la peur, nimême la colère.En réalité, l’étincelled’espoir qui l’avaitaniméedepuiscesderniersjoursvenaitdes’éteindre.Iln’yavaitpasd’échappatoirepossible,ilfallaitqu’ellesedébarrasseunefoispourtoutesdecette

menacequiplanaitsurelle.Caléeaufondducanapé,écoutantvaguementcequedisaientlesdeuxhommes,ellepritconscience

dufaitquesavieresteraitaussiternetantquecetueurseraitàsestrousses.Il n’y avait pas de guérison possible, ni d’espoir, aucun avenir. Voilà ce que cet homme et sa

vendettaluiavaientfait.Ilauraitdûl’acheverd’uneballedanslatête.Ellerefusaitderedevenir lafemmequ’elleétaitquelques joursauparavant.Cardepuis,elleavait

reprisgoûtàlavie.Elleavaitconnul’illusiondubonheurentrelesbrasdeWade,etcelasuffisaitàluifairecomprendrequ’ilétaitexcludefairemachinearrière.Quelqu’ensoitleprix.Du fond de cet abîme surgissait une volonté de fer, qu’elle n’avait jamais connue. Lamort était

préférableaumodedeviequiavaitétélesien.Ellenepouvaitpas,etnevoulaitpas,reveniraupointdedépart.Elle n’envisageait pas non plus d’inclure Wade dans ses projets. Il était un homme complexe,

compliqué, torturé, qui était venu ici pour y trouver la sérénité,mais il lui faudrait accomplir cettequêteseul.Toutcommeelledevaittrouversaraisondevivre,parelle-même.Elle refuserait toutebéquille, si ellen’était pas temporaire, car ellesn’étaientpas fiables.Ainsi,

décida-t-elle,sesentantdésormaiscapabledegarderla têtefroide,qu’elleprendraitcesépreuvesàbras-le-corps. Puis elle deviendrait la femme qu’elle aurait dû être. Celle qui adorait son métierd’enseignanteetquimitonnaitdespetitsplatscommesisacuisineétaitcelled’unrestaurantdeluxe.Elledécouvriraitpeut-êtred’autresfacettesdesapersonnalitéenchemin,cellesqu’ellen’avaitpas

pris le temps d’explorer autrefois, parce qu’elle était trop occupée par les objectifs qu’elle s’étaitfixés,puisparJim.Ellepritlarésolutiond’apprendreàseconnaître.Lapremièreétapeconsisteraitàsedébarrasserdecettemenace.Et refuserqu’ellene luivoleun

jourdeviesupplémentaire.Elle ne fit plus l’effort de suivre la conversation qui se poursuivait entre les deux hommes. Les

détailsdeleurplandedéfensen’avaientaucuneimportanceàsesyeux.Cequicomptaitétaitqu’elleallaitaffronterlemeurtrierdesonmari,quitteàylaissersaproprevie.Ilne fallutpas longtempsàWadepour remarquer lechangementqui s’étaitopéré.Elle sentit son

regardpesersurelleaucoursdesheuressuivantes.Elles’enmoquait.Ilpouvaitlascruterautantqu’illesouhaitait.Sielleavaitcraquésurleplanpsychologique,lechangements’étaitavérébénéfique.Elleenavaitassez.Sicelaimpliquaitqu’elledevaits’enfermerdansunetourd’ivoirejusqu’àcequetoutsoitfini,elle

étaitprêteà le faire.Se rappelant soudainqu’elle s’était littéralementeffondréedeux joursplus tôt,après cet appel téléphonique, elle se dit que la froideur était infiniment préférable. Tout comme lamort.Celafaisaittroplongtempsqu’ellepayaitpourlescrimesdequelqu’und’autre.Elleprépara le repas à l’heurehabituelle.Wade la rejoignit,maisneprononçapasunmot.Elle-

mêmesecontentadeluidonnerdesdirectives,puisqu’ilsemblaitdécidéàlaseconder.Ellen’yajoutariendepersonnel,paslamoindreémotion.Desinstructionssèches,dénuéesdesentiment.Ellen’avaitpastrèsenviedemanger,etsafaimnemanifestaitqu’unbesoindereprendredesforces.

Ellenesepermitmêmepasdeprendreplaisiràcuisiner.Cen’étaitpaslemoment.Pasquestiondeselaisserdistraire.Elle ne voulait surtout pas regretter ce lien qu’elle venait de briser. Elle avait d’autres

préoccupationsplusinsistantes.—Quesepasse-t-il?finitparluidemanderWadeaucoursdudîner.—Dequoiparles-tu?—Tuasunregardhanté.Ilétaitenfinparvenuàattirersonattention.—Queveux-tudire?—Celuiqu’ontleshommesquirentrentduchampdebataille.Distant.Eteint.Ellepiquaune feuilledesaladeet laportaàsabouche, touten réfléchissantàcequ’ilvenaitde

dire.—C’estàpeuprèsjuste,reconnut-elle.

—Quet’est-ilarrivé?Elleleregardaàpeine.—J’enaiassez.C’esttout.Jeveuxquecelacesse.Jesuisprêteàluiréglersoncomptemoi-même,

s’illefaut.—Jevois.Ellen’endoutaitpasuninstant.Ellepoursuivitsonrepas.Ilenfitautant.—Ceregardm’inquiètetoujours,luiavoua-t-ilquelquesminutesplustard.—Ahbon?Etpourquoi?— Parce qu’il signifie qu’on a dépassé ses propres limites. Et que la seule façon de ne pas

totalementcraquerestd’allersemettreauvert.C’estunsymptômedestresspost-traumatique.—Hmm.Çamecorrespondbien,ondirait.—Probablement.Lesilences’installadenouveau.—Cory?—Quoi?—Cen’estpasunebonneidée.Ellelevalesyeuxdesonassiette.—Qu’est-ce qui te contrarie ?Que j’aie décrété que j’en avais assez ?Ou que j’aie décidé de

reprendremavieenmain,quellesqu’ensoientlesconséquences?Ilsecoualatête.—Cen’estpascequejeveuxdire.—Alorssoisplusprécis.—Ilestdangereuxdesecouperdesautresetdesepersuaderquerienn’ad’importance.J’aivudes

hommesagirdemanièrestupidelorsqu’ilsavaientceregard.Çaleuraparfoiscoûtélavie.Elle se contenta de l’observer, puis se remit à manger. Retrouver les sensations qui l’habitaient

auparavant?Pasquestion.Ilétaitbienplusconfortabled’êtreinsensible.Wade n’ajouta pas unmot de tout le dîner. Elle n’aurait su dire quel goût avait son plat, elle ne

faisait qu’emmagasiner de l’énergie. Wade l’aida ensuite à faire la vaisselle, ce qui ne prit pasbeaucoupdetemps.Aprèscela, ilsn’eurentqu’àpatienter.Cequ’ellenepouvaitaccepter.C’enétaitassez.L’épéede

Damoclèsnel’effrayaitplus,mêmesielleétaitencoresuspendueau-dessusdesatête.—Jevaismepromener,annonça-t-elle.—Passansmoi.—Jen’aipasditquej’iraisseule.—Trèsbien,répondit-il.Commeildétestaitcetteexpressiondanssesyeux!Ilchaussasesbottes,leslaçasoigneusement,se

préparantàpasseràl’action.Ilallajusqu’àfixerlefourreaudesonpoignardàsaceinture,dissimulésous les pans de sa chemise. Il pouvait lancer ce couteau sur une courte distance avec autant de

précisionques’iltiraitsurunecibleéloignéedeseptcentsmètres.Celafaisaitpartiedessavoir-fairequ’ilavaitacquis,utilisés,etaveclesquelsildevaitaccepterdevivre.Puisqu’iln’avaitpasledroitdesepromeneravecunfusil,unearmeblancheferaitl’affaire.Ainsi

quelegarrotqu’ilfourradanssapocheetlestroisliensenplastiquequiservaientdemenottes.Mêmes’ildevaitêtreemprisonnépourlerestedesesjours,ilnelaisseraitriendefâcheuxarriverà

Cory.Cettecertitudes’insinuaenluiavecunetropgrandefacilité.Cen’étaitpasunsentimentnouveau,etilnesavaitquetropbiendequoiilétaitcapablelorsqu’ilétaitdanscetétatd’esprit.Nuldoutequese lisaitdésormaissursonvisageceregardqu’il exécrait, songea-t-il. Il sentait le

calmeprécédantlecombatl’envahir.Cettesensation luiparaissait familière,semblableàcelleque l’onéprouveenenfilantunevieille

pairedebottes.Ilytrouvaituncertainconfort,mêmesileressentin’étaitpasforcémentagréable.Ilavait participé à suffisamment d’opérations pour le savoir.Même le succès laissait parfois un goûtamer…etuneconsciencepastoujourstranquille.Ilappréciaitencoremoinslesfrissonsquiluiparcouraientlacolonnevertébrale.Toutluirevenait,à

présent.Cequ’ilavaitpassésixmoisàdémêlerouàabandonnerdanssonsillageremontaitcommes’iln’étaitjamaisparvenuàs’endéfaire.L’hommequ’ilpensaitavoircesséd’êtrereprenait ledessus.Peuimporte :durantdesannées,cet

homme,ilavaitchoisidel’être.Aujourd’hui,ilavaitbesoinderedevenircethomme-là.PourlebiendeCory.Il était prêt à tout. Les objectifs de la mission passaient au premier plan et le reste devenait

secondaire.L’hommequ’ilespéraitdevenirattendraitsontour.Ilavaitbeauêtrepasséenmodecombat,ilauraitpréféréqueCorychanged’avisconcernantcette

promenade.Eneffet,elleseretrouvaitinutilementexposée.Ilauraitaimél’endissuader,maisilvoyaitqueriennel’arrêterait,saufs’ildécidaitd’enfreindrela

loietdelaséquestrerdanssapropremaison.Maisilsavaitpertinemmentqu’unepersonnehabitéepardetellespenséesétaitcapabled’agirdemanièredéraisonnable.Laseulechoseàfaireétaitd’appelerGagepourl’avertirdecequ’ilss’apprêtaientàfaire.—Etes-vousfousàlier?luihurla-t-il.—Jenepourraipasl’enempêcher,àmoinsdel’enfermer.Tupréfèresendiscuteravecelle?—Nomdenom ! J’ai compris…Je vais voir si je peux envoyer des hommesdans les environs

immédiatement.Après avoir raccroché, il rejoignitCoryà laported’entrée.Sesyeux semblaient toujoursdénués

d’expression,tandisqu’elles’agitaitimpatiemment.Unesensationqu’ilneconnaissaitquetrop.—J’imaginequejenepourraipastefairechangerd’avis?demanda-t-ildoucement.Elle se contenta de lui lancer un regard vague, puis désactiva l’alarme. Il dut se charger de

composerlecodeafindelaremettreenmarcheavantleurdépart.Celaneprésageaitriendebon.Surleperron,elles’arrêta,semblants’interrogersurl’itinéraireleplusindiqué.—Tudevraisprendreletempsd’yréfléchir,luisuggéra-t-il.—C’estcequejefais.

—Non,tuesentraindeprendreletaureauparlescornes,maissansaucunepréparation.Tudevraisresteràl’intérieur,letempsquej’ailleeffectuerunereconnaissance.—Jeveuxretrouvermavied’avant.Etj’enaiassezd’attendrequecesalaudsemanifeste.Il la comprenait et s’identifiait à ce qu’elle ressentait. Ce qui l’inquiétait était l’indifférence

perceptibledanssavoix.Sielleavaitétéencolère, ilauraitpuengagerunevéritableconversation.Maisdanssonétatd’espritactuel,ilétaitvaindechercheràlaraisonner.Elle se dirigea à l’opposé du parc. Elle mettait sa sécurité en jeu, mais, manifestement, elle ne

voulaitpascompromettrecelledesfamillesquisetrouvaientdansl’airedejeux.Elleavançaitàgrandesenjambées,commesielleconnaissaitladestination.Waden’eutaucunmalà

ajustersonpas.Sessensétaientenalertemaximaleetsonchampvisuels’étaitélargi,sibienquesavision périphérique devenait aussi importante pour son cerveau que les images apparaissant droitdevant sesyeux.Chez laplupartdesgens, celane seproduisaitqu’encasdepousséed’adrénaline.Chezlui,c’étaitlerésultatd’unlongentraînement.Lemêmephénomèneseproduisaitavecsonouïe.Lecerveau,d’ordinaire,filtrelaplupartdessons

et leur attribue un ordre de priorité, au point que les gens ne perçoivent généralement pas trèslongtempsunbruitdefond.MaisWadepouvaitanalyser tous lessonsavecune intensitéégale,sansqu’aucunnes’estompe.Il étaitdansunétatdeconscienceaccrue.Malheureusement,Coryn’avait pasbénéficiédumême

entraînement,etdanssonétatactuell’adrénalinenesuffiraitpasàaiguisersessens.Cequifaisaitd’elleunecibledechoix.Ilfallaitàtoutprixqu’ellesortedecettetorpeur.Ilnecherchaitpasàl’effrayer,maisuneoncede

prudenceauraitétélabienvenue.Personnenepouvaitprendredebonnesdécisionsencasdedangers’ilneressentaitpaslapeur.C’est cequ’il avait essayéde lui faire comprendreunpeuplus tôt.Et de toute évidence, elle ne

l’écoutaitpas.Mais après tout, ce n’était pas comme s’il n’avait jamais eu à gérer ce genre de situation. Cela

pouvait arriver à tout le monde, à tout instant : après un premier combat, un affrontementparticulièrement long ou sanglant, ou sans la moindre raison. Il suffisait d’un grain de sable dansl’engrenage,ettoutlesystèmesemettaitenveille.Il se doutait qu’il s’agissait d’un réflexe de protection utile, à condition qu’il ne dure pas trop

longtempsetqu’ilnesedéclenchepasàn’importequelinstant.Ce fut une promenademenée au pas de charge. Ils ne couraient pas à proprement parler,mais il

auraitétéimpossibledeparlerencoredemarches’ilsavaientadoptéunrythmeàpeineplussoutenu.IlregardaCoryàladérobéeetremarquaquesonvisagerestaitinexpressif,endépitdesperlesdesueurquidonnaientàsapeauungrainvelouté.Mais il ne passa pas trop de temps à la regarder. Ses sens en éveil l’obligeaient à analyser les

moindressons,odeursetimages.Ilmémorisaladispositiondesbâtimentsetdesespacesvertssurplusieurskilomètresautourdela

maisondeCory.Cespaysagesluiplaisaientautantquelesmontagnesd’Afghanistan.Ici,iln’yavaitnirochernigrottepouvantfaireofficed’abri,maislesmaisonsetleursgarages,lesarbresetlesarbustespouvaientremplirlamêmefonction,car,commedansdenombreusesvillesanciennes,leshabitations

étaienttrèsprocheslesunesdesautres.Lesgensquilesavaientbâtiespensaientêtreprotégésparlenombredevoisinsalentour,plutôtqueparl’étenduedelapelousequilesséparaitdesautres.Ilsedemandasielleavaitconsciencedufaitqu’elleselivraitdelasorteàunexcellentexercicede

reconnaissance.Probablementpas.Pourl’heure,cesconsidérationsn’avaientpasleurplacedanssonesprit.A mesure qu’ils progressaient, il aperçut un nombre de plus en plus important de voitures de

patrouille.Riendetrèsvisible,maispratiquementunedémonstrationdeforcepourunquartieraussitranquille.Il ignorait ce qu’il devait en penser. Exiger le départ de ces voitures ne ferait que repousser le

problème.Lorsqu’ils atteignirent enfin le porche de lamaisondeCory, il était sûr d’une chose : iln’avaitaperçunullepartl’hommequil’avaitmissurlequi-vive.Plusieurs explications se bousculaient dans sa tête, certaines encourageantes, d’autres beaucoup

moins.Lorsqu’il remit l’alarme en route, une fois à l’intérieur, il vit Cory longer le couloir jusqu’à sa

chambre,puisentenditlejetdeladouche.Cettemaisonétaitvraimentétouffante,dufaitdelachaleuraccumuléetoutaulongdelajournée.Il

nepouvaitimaginervivreainsipendantunan,enayantmêmepeurdeprovoqueruncourantd’air.Suruncoupdetête, ildécidadedésactiverl’alarmeetouvritunefenêtredanslesalon,ainsique

celledelacuisine,demanièreàlaisserlabrisevivifiantedusoirs’yengouffrer.Ilpouvaitsurveillerlesdeuxouvertures,etl’airfraispourraitenvahirtoutl’étageinférieurenquelquesminutes.Puis ilserenditcomptequ’enéteignant l’alarme,plusaucunepartiede lamaisonn’étaitprotégée

contrelesintrusions.Quelcasse-tête!Ilsoupira,irrité,etretournaprèsduboîtier,parcouranttoutelalistedesmisesen

garde,pourarriverenfinauxzonesd’exclusion.Iln’hésitaqu’uninstant,prenantletempsd’inspecterlacarteplastifiéeindiquantlespiècescouvertesparchaquesystème.Parfait.Ilpouvaitdésactiverlacuisineetlesalon,toutengardantlerestedel’habitationsoussurveillance.Il pressa le bouton d’exclusion des deux pièces, puis remit l’alarme en marche. Il lui fallait

cependant rester vigilant et attendredevoir qui émergerait de la cabinededouche.Une femmequivenaitdereprendresesesprits,ouuneautre,prisonnièredesonmutisme.Coryréapparutenfin,vêtued’unpetitdébardeuretd’unshort.Ilprituninstantpourapprécierses

joliesjambesetsesbrasgraciles.Elleneparutpasremarquerqu’ilavaitouvertlesfenêtres,maisellenetarderaitpasàs’enrendrecompte.L’airsecemportaitlachaleurdanssonsillage,etmaintenantquelesoleilsecouchait,labrisedevenaitdeplusenplusfrisquette.Corynesemblapasenêtregênée,carellesedirigeaverslesalonets’assitsurlecanapé,sansque

sonregardnesoitattiréversunendroitspécifique.Ilseditqu’ildevaitessayerdelafaireparler,lasortirdeceslimbesoùl’espritetlesémotionsse

trouvaientsubmergés.—Cory?Elleleregardaàpeine.—Ques’est-ilpassé?—Dequoiparles-tu?

Aumoins,ilétaitparvenuàobteniruneréponse.—Qu’est-cequit’afait…Ilhésitaitàemployerleverbecraquer,sachantqu’unepersonnedanssonétatpouvaitpasserdela

torpeuràlarageenuneseconde.—Qu’est-ce qui t’a fait basculer ? reprit-il, tout en se disant que sa formulation n’était pas très

subtile.—Tout.—D’accord.Ilavaitlesentimentdetraverserunterrainminé.—Maisunévénementprécist’abouleversée.Elleeutunmouvementd’épaulesàpeineperceptible.—TuparlaisavecGageautéléphone.J’aicomprisàcetinstantquejenevoulaisplusvivredecette

manière.Jem’yrefuse.C’estassez.Ellecommuniquait.C’étaitbonsigne.—C’estlégitime.—Iln’yaaucunintérêtàvivrecommejel’aifait.Jeneveuxplusyêtreassujettie.C’était là que résidait le danger. Dans ce type de situation, les envies suicidaires n’étaient pas

toujourstrèsloin.Ilcherchaunmoyendepercersacarapaced’indifférence.—Cettedécisionnedevraitpast’inciteràagirdemanièredéraisonnable.—Etpourquoipas?Sesyeuxlefixaientdésormais,sanscligner.—Pourquelleraisondevrais-jesupportercelaunjour,oumêmeuneheuredeplus?—Parcequ’unefoisqu’onauraréglécetteaffaire,tupourrasconstruireunenouvellevie.— Sur quelles bases ? Ce salaud a pris tout ce qui comptait à mes yeux, directement ou

indirectement.Jeneveuxpasmecontenterdesurvivre.—Alorsqueveux-tu?Ilaperçutenfinuneétincelledanssesyeux.Uneseule.—Jel’ignore,etcelanem’intéresseplus.—Biensûrquesi.Elledétournaleregardetreplongeadanslesilence.—Reconnais-le,Cory,poursuivitWadeauboutd’un instant,cesderniers jours, tuas réapprisce

qu’étaitl’espoir.Etleplaisir.Tut’esrappeléquelaviepouvaitêtreagréable.—Non!Elle lui fit face, et à présent, elle paraissait furieuse.Ce revirement était courant en cas de choc

post-traumatique,maisaussidifficileàgérerqueledétachement.— Crois-tu vraiment, rétorqua-t-elle, que faire l’amour avec toi suffit à me redonner envie de

vivre?Penses-tuquequelquesgalipettesm’aiderontàvoir lavieen rose?Sansblague,n’importequelautrehommesemontreraitplusperspicacequeça!

Ilnerépliquapas.Elleavaitraison,etsesremarqueslepiquèrentauvif.—Jevisdansuneprison!s’écria-t-elle,bondissantducanapé.Jen’aibénéficiéquededeuxheures

deliberté,riendeplus.Etaprès,jemesuisdemandépourquoijedevraisreprendreespoir.Qu’est-cequimeditque leschosesvonts’arranger?Etque je retrouveraimaplacedans lasociété,mêmesinousnousdébarrassonsdecesalaud?Ellesetournaverslui.—Lesmarshals ne sont pasparvenus à l’arrêter, alors qu’ils l’ont cherchépendant quinzemois,

avecl’aideduFBI.Enfait,jepariequesijemerenseigneauprèsd’eux,jedécouvriraiqu’ilnefaitpluspartiede leurspriorités, rétrogradébien loinderrièreunbraqueurouundétenuencavale.Uneaffaireàclasser.Ilgardalesilence,lalaissants’épancherautantqu’elleenressentaitlebesoin.—S’ils finissentpar l’épingler,ce seraparcequ’il s’enseraprisàmoi.Maintenant,Gageet toi

suspectezquequelqu’unauraitpuluirévéleroùjemetrouve.Cequiconstituaitmonuniqueprotection.Ils m’ont dépossédée de tout ce qu’il me restait. Ils auraient mieux fait deme renvoyer dansmonappartementmaculédesang.Aumoins,jen’auraispaseuàendureruneannéecommecelle-ci!Ellecroisalesbrasautourdesonbusteetcommençaàarpenterlesalon.—Ilssesontcontentésdem’enfermerencelluled’isolement.Tuprétendsque tues incapablede

nouerdesrelations?J’enaiétéempêchée,sousprétextequedevenirprochedequelqu’unaugmenteraitles risquesque jedivulgueune informationquipourraitme trahir.Et regardeavecquelle facilité tum’as percée à jour, rien qu’en analysant ce que jene disais pas. Ils ont affirmé que je serais ensécurité,unefoisquej’auraisdéménagé,maisjen’yaijamaiscru.Commentcelaaurait-ilétépossible,alors qu’ils ne parvenaient pas à arrêter ce tueur, et que j’étais la seule personne en mesure del’identifier?Etquecemonstrequiavaitassassinémonmariavaitplacéuncontratsurmatête?—Jel’ignore,répondit-ildoucement,cherchantsurtoutàluimontrerqu’ill’écoutaitattentivement.—Veux-tuconnaîtrelefonddemapensée?—Biensûr.—J’ai la convictionqu’ilsm’ont intégrée à ceprogrammeparceque j’allais devenir un fardeau

poureux.Ilsnepouvaientpasmettrelamainsurlecriminel,nimerenvoyeràmaviepassée,depeurque je ne fasse la une de tous les journaux si je finissais assassinée.Alors ilsm’ont exilée,m’ontenvoyéeleplusloinpossible.Unefoisquejemesuisretrouvéedanscettemaisondélabrée,avecunsalairedemisère,ilsm’ontlaisséquelquescartesdevisite,avantdeprendrelaroutesansseretourner.Affaireclassée.—C’estvraimentcequetupenses?—Que suis-je censée croire ?Me voici, un an après avoir été abandonnée à mon propre sort,

encoretraquéeparunassassin,quim’aprobablementretrouvéegrâceàeux!—Tun’ensaisrien.—Commentaurait-ilfait,autrement?Regardeautourdetoi,Wade!Est-celegenred’endroitoùtu

cacheraisun témoin?Les inconnusattirent l’attention ici.Alorspourquoiont-ilschoisicetteville?Pourquoipasunemétropole,danslaquellejepasseraisinaperçue?Saquestionsemblaitparfaitementjustifiée.Ilsel’étaitd’ailleursposéeauparavant.—Ilsimaginaientsûrementquepersonneneviendraittechercherici.

—Ilssesontmanifestementtrompés.Mevoicicomplètementlivréeàmoi-mêmepouraffronterlesdangersdontilsétaientcensésmeprotéger.LavoixdeWadesetransformaenmurmure.—Tun’espasseule.—Pasencemoment.Pourlasimpleraisonquetuasatterriici,encherchantunpeudetranquillité.

Ilsnecomptaientpaslà-dessus.Ilsentaitunesensationdemalaisel’envahirlentement.—Tuterendscomptedecequetudis?—Biensûr!—Ilyaunélémentquirendtonscénariopeuplausible:cetappeltéléphonique.Ellelevaunemainensigned’irritation.—Etalors?Commetul’assouligné,cetypen’avaitqu’àrepérerlesfemmesquiavaientemménagé

icidurantl’année,puisdéterminerlaquelleétaitsacible.Etsituasraisonàproposdecetappeletdugars que nous avons croisé, cela signifie qu’on l’a mis sur ma piste. Car, à part Gage, les seulespersonnesàconnaîtremonlieuderésidencesontlesmarshals.Ilpréféranerienrépliqueretanalysersesaffirmationsafind’enévaluerlacrédibilité.—Aprèstout,quimeditquec’esteffectivementSethHardinquit’aenvoyéici?ParcequeGageme

l’adit?Parcequ’ilaffirmequetuasreçusuffisammentdemédaillespourentapisserunpandemur?Cela ne signifie pas que tu n’es pas venu ici avec une autre idée en tête. Je ne peux pas te faireconfiance.Tuestoi-mêmeuntueur,etilnet’apasfallulongtempspourmecerner.Acetinstant,Wadesesentitredevenirimpassible,froidetsilencieux.Desonpointdevue,toutse

tenait.Maisils’agissaitd’unevisionfaussée,biaiséeparlapeur,letraumatismeetlaparanoïa.Cecidit, il ne laisserait jamais plus personne le traiter de cette façon. Il avait suffisamment de mal às’accepter telqu’ilétait. Ilne laisseraitpasCoryutilisercequ’ellesavaitsur luipourclamerqu’iln’étaitpasdignedeconfiance.Ilseleva.—Jem’envais.Elleneréponditpas.Ellesetenaittoujoursdebout,lesbrasautourducorps,sonregardrivéausien.—J’aimeraisqu’unechosesoitclaireentrenous.Jenesuispasunmenteur.Deshommesdevaleur,

dansdessituationsbienpluspérilleuses,m’ontaccordéleurconfiance.Etjenel’aijamaistrahie.Ilfitvolte-face,puispensaauxfenêtres.Sansunmot,ilclaquacelledusalonetlaverrouilla.Ilfitla

même chose avec celle de la cuisine, puis revint activer le système d’alarme. Cory apparut alorsderrièrelui.—Jeseraipartidanstrenteminutes,lança-t-ilsèchement.—Wade…—Non,Cory.Pasunmotdeplus.Personnenemeparlecommeça.Ilétaitaumilieudel’escalierlorsqu’ill’entenditfondreenlarmes.

10

Quevenait-elledefaire?Laléthargiequil’avaitenveloppéeunebonnepartiedel’après-midietdelasoiréevenaitdesedissiper,laplongeanttoutd’aborddanslacolèrequipeuàpeuavaitfaitplaceaudésespoir.Quandelleavaitéclatéensanglots,Wadenes’étaitpasmêmeretourné.Ellenepouvaitpasluien

vouloir,carelleétaitlaseuleresponsabledecequivenaitdeseproduire.Maisd’oùpouvaientdoncvenircessoupçons?Commentdetellesparolesavaient-ellespupasserseslèvres?Etparquelmoyende tellesaccusations luiavaient-elles traversé l’esprit,aprèscequ’elleavaitdécouvertdupassédeWade?Elle avait l’impression qu’unmauvais génie avait pris possession de son esprit,mettant dans sa

bouchedesproposcalomnieux.Auboutdequelquesinstants,elleavaitcomprisqu’ellenecroyaitpaselle-mêmeàcequ’ellevenait

dedire.CelaneressemblaitpasàWade.Maisilétaittroptardpourréparerlemalqu’ellevenaitdefaire.Elleretournadanslesalonetserecroquevillasurlecanapé,laissantlibrecoursàseslarmes.Tout

allaitdetravers.Sansexception.Elleétaitsitraumatiséepsychologiquementquelanormalitéqu’ellecherchaittantàretrouverdepuisquelquesjoursluiéchapperaitàtoutjamais.Siellesurvivaitàcetteépreuve.Etlepluseffrayantétaitqu’ellen’étaitplusvraimentcertained’y

accorderlamoindreimportance.Ellevoulaitjusteenfinir.Etqu’avait-elle fait ?Elle avait attaqué la seulepersonnequi lui avait redonné legoûtdevivre.

C’étaitd’ailleurslàquerésidaitlavéritablemenace:ill’avaitpousséeàchassersesvieuxfantômespour se construireunenouvellevie. Il l’avait obligée à se tournervers l’avenir et nonplusvers lepassé.Elle s’en était prise à lui en visant là où ce serait le plus douloureux : elle avait touché à son

honneur.Quelgenredepersonneétait-elledevenue?Ellenesesupportaitplus.Elleenfouitsonvisagedans

uncoussin.Elleétaitinutileetnerépandaitquelemal.Elleserappelasonpasséd’enseignante.Combiendefoisavait-elleaidésesélèvesàsortirgrandis

de leurs mauvaises expériences ? Combien de fois leur avait-elle expliqué que même la piremésaventurepouvaitleurapporterquelquechosedepositif?Lerésultatétaitédifiant.Elleétaitincapabledesuivresespropresrecommandations.Leslarmescessèrentenfindecouler,carleurflots’étaittari.Latempêtes’étaitéloignée,maiscette

fois,ellenesesentaitplusanesthésiée.Non,ellesouffraitvraiment,etellesetrouvaitméprisable.Ellen’avaitplusdroitauconfortdel’apathie.Lorsqu’elle se redressa enfin, elle trouva le salon plongé dans l’obscurité. Plus étonnant encore,

Wadeavaitprisplacedanslefauteuilinclinable,silhouettemassiveparmilesombres.—Jecroyaisquetupartais.

—Jen’abandonnejamaismonposte.Il avait adopté un ton résolument neutre. Il avait enfermé ses sentiments à l’abri d’un coffre-fort,

commeellel’avaitfait,plusieursheuresdurant,aujourd’hui.—Jesuisdésolée,déclara-t-elle.J’ignored’oùvientcetteméchanceté.—Celan’apasd’importance.Ilétaitindifférent,insondable.Semblableàl’imagequ’ildonnaitlorsqu’ilétaitarrivé.Elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle. Elle l’avait ramené en ces lieux où lesmurailles étaient

hautesetbiengardées.Enoutre,ellenepouvaitpasretirercequ’elleavaitdit.—Jeregrettevraiment,insista-t-elle.Cesparolesétaientparfaitementinutiles,puisquelesblessures

avaientdéjàétéinfligées.Jenelepensaispas.Jenesaispascequej’avaisentête.—Tun’aspasréfléchi.—C’estévident.J’airéagicommeunanimalquibonditsurtouteslesproiesqu’ilcroise.—C’estpossible.Ilrestaitcampésursespositionsetnesemblaitpasdisposéàfaireunpasverselle.Commentaurait-

ellepuleluireprocher?—J’avaissipeur.—Non,c’étaitdelacolère.—Leurorigineestcommune.—Mmm.Elleparlaitdenouveauàunmur.Etdésormais,cen’étaitplusseulementdérangeant,oufastidieux.

C’étaitdouloureux.Presquesuffisammentpourlarendrefurieuse,unefoisencore,àl’idéequ’ilpuisselafairesouffrir.Elle resta silencieuseun instant, frottant ses jouespoureneffacer les larmesquiyavaient séché.

Elleseditquelaseulemanièredefairetombercemurseraitd’abattrelesien.Sonrythmecardiaques’accéléra, lorsqu’ellesongeaaudangerauquelelles’exposait.Maiselle le luidevaitbien,pour lesimplefaitqu’ilétaitencorelà,aprèsleshorreursqu’elleavaitproféréesàsonencontre,etqu’ilétaitprêtàlaprotégeraupérildesaproprevie.Untelhommeneméritait-ilpaslavérité?—Je…Jet’aiattaquéparcequetum’asredonnéespoir.J’étaiseffrayée,parcequetudisaisqueje

pourraisretrouverunevienormale.Etquejen’ycroisplus.C’estimpossible.J’aiatteintlepointdenon-retour.Jeneseraijamaisplusnormale.—Trèsvraisemblablement.Bon sang ! Elle ne pouvait croire qu’elle l’avait blessé aussi profondément. Elle avait vraiment

perduuneoccasiondesetaire!Ilrepritenfinlaparole,souscouvertdel’obscurité,sibienqu’ellenepouvaitriendéchiffrersurson

visage.Sontonétaitmesuré,etilparlaitlentement.—Aucunepersonneayantvéculesexpériencesquisont les tiennesoulesmiennesnepourraêtre

considéréecommenormale.C’estinconcevable.—J’enaibienpeur.Unelarmechaudevints’égarersursajoue,qu’ellebalayad’undoigt.

—Lescicatricesseronttoujoursprésentes,continua-t-il.Leschosesn’aurontjamaispluslamêmeallurequ’avant,lorsquelaviolenceétaitétrangèreànosvies.—Jamais.Ellecommençaitàs’exprimercommelui.Quelquessecondess’écoulèrent.—Cen’estpasparcequenousavonssouffert,etquenousavonsconnudesépreuvesquelesautres

ignorent,quenoussommesanormaux.Ilyatantdepersonnesencemondequiontsubidesviolences,quenousreprésentonspeut-êtredavantagelanormequecellesquionteulachancedenejamaisyêtreconfrontées.—Quelleperspectiveeffrayante!Cetteidéelafittressaillir,nonseulementenimaginanttousceuxdontilparlait,maisparcequ’elle

avait passé tant de temps à s’apitoyer sur son sort, et qu’elle était encore en train de le faire.Ellesavait qu’il avait raison. Il suffisait de regarder le journal télévisé pour voir combien les autressouffraientauquotidien.—Peut-être,mais c’est la triste réalité. J’ai roulémabosseunpeupartout, et je t’assure que le

malheurestlelotdenombreusespersonnes.Jeneprétendspasquec’estjuste,maisçaexiste.—C’estvrai.Savoixsebrisalégèrement.J’enaiétépréservéetoutemavie.—C’estlecasdeceuxquiontlabonnefortunedenepasgrandirenzonedeguerreouparmiles

malfrats.Maisunemajoritéd’entrenousfinit,tôtoutard,paravoirunaperçudeszonesd’ombredelanature humaine.Malheureusement pour toi, tu n’avais pas de famille ou d’amis auprès de toi pourpartager ton expérience et te soutenir. C’est peut-être la pire épreuve que ce dispositif pouvaitt’infliger.Ilt’aprotégéephysiquement,maisnet’apasdonnélesmoyensdeguérirpsychologiquement.—C’estpossible,reconnut-elle.—Laplupartdesgenssontpluschanceuxquetoi,carilssontentourés.—Cen’étaitpastoncas,quandtuétaisenfant.—Non,mais engrandissant, les chosesont changé.Même si les cicatricesne s’effacent pas.En

revanche,j’aieudesdécenniespourremonterlapente,contrairementàtoi.Ettupeuxapprécierquelmagnifiqueexemplederésiliencejereprésente.—Arrêtedetedénigrer.Jem’ensuisdéjàchargée,etdemanièreinjuste.— J’essaie simplement de mettre certaines choses au point. Tu peux reconstruire ta vie. Il faut

seulementquetusachesqu’àcertainsmomentsceseradouloureux.—J’aicompris.—Avec le temps, ça s’estompe,mais ça ne disparaît jamais.Désolé, je n’ai rien demieux à te

proposer.—Çamesuffit.—C’esttavie.Atoid’enreprendrelesrênes.—Jecomptaislefaire.Etpuis…tuaspuadmirerlerésultat.—Oui.Ilgardalesilenceunmoment,puisajouta,nonsansunepointed’humour:

—Tuasessayédetereconstruireàcoupsdedynamite!Ellefitunegrimace,carsadescriptionétaittrèsjuste.Etqu’ilavaitétélavictimeinvolontairede

son explosion. Elle ne s’était jamais doutée qu’elle pouvait se montrer aussi odieuse, et cetteperspectivenelarassuraitpas.—Etjen’aipasobtenulesrésultatsescomptés!—Ne t’en fais pas, je te comprends, la rassura-t-il. J’en ai déjà été témoin plusieurs fois, et ça

m’estarrivé,àmoiaussi.J’yfaisaisallusion,lorsquejeteparlaisduchampdemines.Mêmelorsquetusaisoùellessetrouvent,etquetupensespouvoirlesdésamorcer,çanesepassejamaiscommeça.Bonsang,tudoisavoirdumalàcroirequetupourrasvivredenouveaunormalement!Elle n’avait pas envisagé les choses sous cet angle jusqu’alors,mais les nœuds qui lui tordirent

alorsl’estomactémoignaientdel’effetdesesparolessurelle.—Jen’ensuispasencorelà.—Probablement,maisçanetarderapas.Sanscompterlesyndromedeculpabilitédusurvivant,qui,

s’ilnet’apasencoreatteinte,finiraparsemanifesteràsontour.Sic’estlecas,etquejesuisencoredanslesparages,n’hésitepasàm’enparler.J’aiconnuçaaussi.«S’ilsetrouvaitencoreici.»L’éventualitéqu’ilpuisses’enallerlataraudadavantage.—Bonsang,jesuisàramasseràlapetitecuillère.—Pasplusquequiconqueayantsubicegenredetraumatisme.Essaied’ytrouveruneconsolation.—Jen’arrivepasàcroirequetucherchesàmeréconforter,aprèslamanièredontjet’aitraité.Tu

esbeaucouptropbienveillantenversmoi.Cethommeétaitabsolumentremarquable,àtouspointsdevue.—Cessedetetorturer.Son ton était plus doux et plus aimable qu’au début de leur conversation, ce qui exacerba son

sentimentdeculpabilité.—Aprèscequejet’aidit!—Jenet’enveuxpas.Monterdansmachambreetprendreletempsdemecalmerm’apermisde

comprendreque tu avais simplementmis lepied surunedecesmines.Aumoinsune. J’ai réagidemanièredisproportionnée.—Jenecroispas.Ellenesepardonnaitpasdes’êtremontréesiabjecte.—Tuasproposédemeprotéger,alorsqueriennet’yobligeait.Tuméritaismieuxdemapart.— Etant donné les circonstances, tu n’as rien dit de si affreux. Oublie cela. Pourmoi, c’est de

l’histoireancienne.Etait-cevrai?C’étaitcequ’ilaffirmait,maissaréactiontémoignaitdufaitquesesmotsl’avaient

profondémentblessé,d’autantqu’elleavaitvisésespointssensibles:sonsensdudevoir,sonamour-propre.Lesidéauxauxquels ilavaitdévouétoutesavied’adulte.Iln’étaitpeut-êtrepas trèsfierdecertainesmissionsqu’ilavaitdûaccomplir.Ellenepouvaitqu’imaginerletyped’opérationsquel’onattribuait aux agents des forces spéciales.Certaines pesaient probablement sur sa conscience.Maiselleétaitconvaincuequ’iln’avaitjamaistrahiaucundesescamaradesetn’avaitjamaismanquéàsondevoir.Etellel’avaitfaitpasserpourunvulgairemercenaire.

Commeelleauraitsouhaitépouvoireffacerlesouvenirdecesmots!—Allons,jeunefille,dit-ilensoupirant,cen’estpassigrave.Necrois-tupasavoirsuffisamment

devieuxdémonsàapprivoiser?—Certainement,maiscelanemeconfèrepasledroitdedéchaînerceuxdesautres.—Cen’étaitpaslecas.Findeladiscussion.Elle en conclut qu’elle ne comptait pas assez à ses yeux pour le blesser vraiment. Elle se sentit

soulagée de constater que ses talents de mégère ne l’avaient pas affecté tant que ça, mais, pluségoïstement, elle regretta d’avoir si peu d’importance pour lui. Mais comment en aurait-il pu êtreautrement?Deux joursne suffisaientpasà tisserune relation solide.Mêmeuneparfaitecomplicitésexuellenecompensaitpascemanquedetemps.Aenjugerparlamanièredontilavaittoutd’abordréagilorsqu’ellel’avaitaccusé,elleseditqu’il

n’étaitpassi intouchablequ’il leprétendait.Dumoinsàcemomentprécis,carellesemblait l’avoirprojetédansceslieuxoùilnelaissaitplusrienl’atteindre.Cependant, il y avait plus grave que de savoir si elle l’avait fait souffrir ou non. Elle s’était

comportéedemanièredéplorable.Ellefutsurprisedelevoirseleverettraverserlapiècepourvenirseplanterdevantelle.Ilfaisait

sombre,lesalonn’étantéclairéqueparlesquelquesraisdelumièredel’éclairagepublic,quiavaientréussiàs’immiscerdanslesintersticesdesrideaux.—J’aienviedetoi,luiannonça-t-ilsansdétour.Ellesentitsoncœurfaireunbonddanssapoitrine.Elleaimaitsonfranc-parler,lefaitqu’ilexprime

ses besoins simplement, sans hésitation. Et surtout, sans lamoindre gêne.Cela lui permettait de sesentirpluslibre,elleaussi.Elletenditunemainpoursaisirlasienne.—S’ilteplaît,nemeportepas.—Pourquoi?—Parceque,pourunefois,j’aimeraisgagnermonlitparmespropresmoyens.Iléclataderire.—Marchéconclu.Désolédet’avoirtantpromenée.—Celanes’estpasproduitsisouventqueça.Elleréponditàlapressionqu’ilexerçaitsursamainetseleva.—Pourquelleraisonfais-tucela?—Jel’ignore.Ilrestasilencieuxquelquessecondes,serranttoujourssamain.—Probablementparcequec’estleseulmoyenquejeconnaispourtegardercontremoi.Lorsqu’elleentenditcesmots,elleeneutpresquelecœurbrisé.C’étaitlegenrederévélationqui

devaitluidonnerl’impressiond’avoirmissessentimentscomplètementànu.C’étaitunechosededireàunefemmequevousaviezenvied’elle,maisunetoutautredeluiavouerquevousaviezbesoindelaserrercontrevous.Ellesentitsagorgesenouer,aupointoùelleseretrouvaincapabledeparler.Ilsétaienttousdeuxdesâmesensouffrance,essayanttantbienquemalderecréerdesliensavecles

autres,mêmes’ilss’endéfendaient.Ilrecherchaitlecontactphysique,carilnesavaitpascomments’yprendreautrement;ellerefusaittouterelationoùelleauraitdûs’impliquerémotionnellementparcequec’étaittropdouloureuxettrouvaitlamêmeconsolationqueluidanslecorpsàcorps.Etait-cemal ?Non, bien évidemment. Il s’agissait peut-être d’un premier pas sur le long chemin

qu’ilsdevraientparcourir, ensemble,ouchacunde soncôté.Elle serra sesdoigts,pour lui signifierqu’ellelecomprenait,puiss’éclaircitlagorge.—Tusais,tupeuxmeporter,situveux.Ileutunpetitrire.—C’estétrange,maisfinalement,jepensequej’aimeraisdavantagequetum’accompagnes.Viens

t’allongeravecmoi,mabelle.Il n’aurait pas pu choisir de mots plus appropriés pour éveiller son désir, même si elle était

incapable de l’expliquer. Une vague de chaleur sembla tourbillonner jusqu’au plus profond d’elle-même.Soncorpsréclamaitdéjàsescaresses,saforceenveloppante,laplénitudedelesentirenelle.Elleavaitdéjàconnuledésir,maisjamaisavecunetelleintensité,niaussirapidement.Desmotssimplesavaientsuffiàéveillercedésir.D’unecertainemanière,son«Viens t’allonger

avecmoi»latouchaitplusqu’un«Laisse-moitefairel’amour»,oun’importequelleautresuggestionaffectueuseoucoquinequ’elleavaitl’habituded’entendreavecJim.LesmotsdeWadeluimirentlesnerfsàfleurdepeau,etelleserefusaitàlesanalyserdavantage.

Elleenavaitassezdevivresouslalouped’unmicroscope.Illuioffraitlalibertéd’êtreelle-même,etelleétaitdécidéeàacceptercecadeauàbrasouverts.Iln’avaitcettefoisaucuneenvied’uneétreintebrusqueettumultueuse.Ilsetintdevantelle,àcôté

dulit,etcommençaàluiretirerlentementsesvêtements,commes’ilouvraitunprésent,etqu’ilvoulaitsavourerl’excitationdelasurpriseunpeupluslongtemps.Ileffectuaitchaquegestetrèslentement,mêmelorsqu’illuiretirasondébardeurenleglissantpar-

dessussatête.Illaissasesmainsglisserlelongdesescôtes,diffusantdesondesdedésirdanstoutsoncorps.Ilpoursuivitsesdélicatescaresses,balayantdesapaumelespartieslesplussensiblesdesesbras,

pourremonterjusqu’àl’extrémitédesesdoigts.Lorsqu’ilfinitparjeterauloinsoncorsage,elleeutlasensationqu’elleallaitêtretraitéecommeunereine.Ilne s’arrêtapas là. Il sedébarrassaà son tourde sonT-shirt, et lapénombrequi envahissait la

chambreaccentuaitlemystèredetoutcequiseproduisaitenelle.Lorsqu’ilplaçasesmainsfermementautour de sa taille pour l’attirer vers lui, elle découvrit la sensation exquise de sa peau contre sonventre,n’accordantgrâcequ’àsesseins,encoreàl’abridesonsoutien-gorge.Puisilsepenchapourlui donner unbaiser qui lui coupa le souffle et sembla la toucher jusqu’au tréfondsde son âme.Salanguesemêlaitdoucementàlasienne,tandisquesesdoigtsdessinaientdesensuellesarabesquessursondos,promessedeplaisirinfiniquin’exigeaitrienenretour.Puis ildétacha sabouchede la sienne,pourdescendre lentement le longde sagorge.Elle s’arc-

boutaetgémitdeplaisir.—Tuestellementdésirable,murmura-t-ildanslecreuxdesoncou.Ellesentitunfrissonlaparcourir.Avait-ellejamaisconnuexpérienceplusdélicieuse?—C’estgrâceàtoi,répondit-elle,haletante.

Ilpoursuivitlalenteexplorationdesoncorps,saboucheetseslèvresdessinantlescontoursdesonsoutien-gorge, prolongeant l’attente.Elle tressaillit de nouveau et passa ses bras autour de son cou,s’offrantàlui.Lorsqu’ellesentitsesmusclessecontractersoussespaumes,ellelescaressaetsuivitlesbossesetlesdénivellationsjusqu’aucreuxdesesreins.Ilfutsaisid’unfrisson.D’unmouvementrapide,ildéfitl’attachedesonsoutien-gorge.Ellesentaitlesondesquilaparcouraients’intensifier,pourconvergerverssonsexe,commesiplus

riend’autren’existait.L’airparutseraréfierdanslapièce,ellehaletait,àboutdesouffle,latêteenarrière,lesyeuxclos,

s’abandonnantàluicommeellenel’avaitjamaisfait:sansretenue,dansuntotalabandon.Icietmaintenant.Toutlerestes’étaitvolatilisé.Wadesentitlemomentoùelleperditpiedaveclaréalité,neseconcentrantplusquesurcequise

passaitenelle.Ilenétaitpresquearrivéaumêmepoint,maisilluttaitcontresoncorpstenducommeunarcetl’impériositédesondésir.Parcequ’ilvoulaits’assurerdetoutluidonner.Ilnepouvaitsel’expliquer.Ilsavaitseulementqu’il

voulaitmarquercettefemmedemanièreindélébile.Lorsqu’ellecherchaàdéboutonnersonjean,gémissantdoucement,ill’arrêta.Ilsaisitsonshortetsa

culotte, et les fit glisser d’unemain le long de ses cuisses, tandis que sa bouche se posait sur sonmamelondressé.Illesuçadoucement,puis,lasentantsepressercontreluiavecinsistance,ildécidad’intensifiersescaresses.Legrognementqu’elleémitl’excitadavantage,aupointderendrecetteattentedouloureuse.Sicette

femme ne devait se rappeler qu’une chose le concernant, ce serait la nuit qu’ils allaient passerensemble.Ilsesentaitmûparunbesoinplusanimalencorequesondésirinassouvi.Pourlapremièrefoisde

sa vie, il voulait qu’une femme lui appartienne. Et cela ajoutait encore à son excitation, le rendantpresqueaussidésespéréqu’insatiable.Il finit par envoyer valser son short et sa culotte, après les avoir libérés de l’emprise de ses

chevilles,enlasoulevantd’unbras.Seslèvresrestaientcolléesàsonsein,etchaquemouvementdesalangueoudeseslèvreslafaisaittressaillir.Elle s’agrippait à lui aussi fort qu’elle le pouvait, et la pression de ses mains sur son dos lui

semblaitêtrelasensationlaplusmerveilleuseaumonde.Peut-êtreencoremeilleurequecequiallaitsuivre.Il aurait préférémourir sur place plutôt que d’avouer combien de temps s’était écoulé depuis la

dernièrefoisqu’ilavaitsentidesmainslecaresser,combienc’étaitbon,etcombienilenavaitbesoin.Ilhésitaitpresqueàladéposersurlelit.MaissoncorpsavaitdéjàfaitdenombreusespromessesàceluideCory,et ilcomptaitbientenir

chacuned’elles.Il l’allongea sur les draps et se débarrassa de ses vêtements, ne s’arrêtant que pour extirper un

préservatifdelapochedesonjean.Iljetalapochettesurlatabledenuit,avantd’envelopperdesesbraslabeauténuequisetrouvait

souslui.Ilauraitpuresterainsijusqu’àlafindestemps.Leurscorps se rencontrèrent enfin, leurpeauchaudeetdoucecollée l’uneà l’autre, leurs jambes

entremêlées,poursesentirencoreplusprochel’undel’autre.Mais il avait des promesses à honorer. Il semit à l’explorer de sa bouche et de sesmains, lui

dérobanttoussessecretsàchaquecentimètreparcouru,lahissantjusqu’auxcimesdelapassion.Ses lèvres suivirent l’itinéraire emprunté par ses mains, sur son ventre, ses hanches, puis de

l’intérieurdesescuissesjusqu’àseschevilles.Ilnepouvaitsongeràuneplusbellemanièredelamenerauplaisirsuprême.Lespulsationsdesonbas-ventrerésonnaientmaintenantjusquedanssatête.Ilremontalelongdesa

jambe,et,enivréparleseffluvesmusquésdesonsexe,ilyplongealalangue.Elleétaitàlui.Illapossédait.Elle s’arc-bouta en criant lorsqu’il caressa de sa langue son clitoris. Il se laissait griser par son

parfum.C’étaitsibon.Iln’avaitquerarementpratiquécettecaressequiluiparaissaitsiintime,etiléprouvaunelégèrecrainteàl’idéequ’ils’yprenaitpeut-êtremaladroitement,maislecorpsdeCoryréponditinstantanément,commes’ilavaitentendusaquestion.Ilyprenaitautantdeplaisirqu’elle.Illaléchaavantdeplongersalangueplusprofondémentenelle,

etilneputréprimerunsourirelorsque,desesmains,elleluisaisitlatêteetl’attiraplusprèsencore,avantdeplantersesonglesdanssesépaules,commesicequ’illuiinfligeaitdevenaitinsoutenable.Il sentit les soubresautsqui laparcoururent alorsque l’orgasme la submergeait, et l’écoutagémir

sanspouvoirsecontrôler.Avantquelavaguedeplaisir laquitte, ilenfilalepréservatifetseglissaentre ses cuisses, lapossédant cette fois complètement alorsqu’il s’immisçaitdans sesprofondeurschaudesetaccueillantes.—Wade!Lemurmuresechangeaencri,etsonnomneluiavaitjamaissembléaussimélodieux.Ilsavourason

triomphe,carelleétaittouteàlui.Puis les élancementsde soncorps se firentpluspressants, etCory s’agrippaà lui, l’accompagna

danssonva-et-vient,etlorsqu’ilsefitplusinsistant,ellemurmurasonnomunenouvellefois,toutenenveloppantdesesbrassontorsepuissantetdesescuissesseshanchesminces.Elleletenait,l’enserraitdetoutsoncorps.Elleluifaisaitcomprendrequ’ellel’acceptaittotalement,

qu’ellel’accueillaitdanssoncœuretdanssoncorps,etl’emmenaavecellejusqu’auseptièmeciel.L’espaced’uninstant,ils’autorisaàcroirequ’ilétaitàsaplaceauprèsd’elle.

11

Ilsrestèrentallongéslongtemps,blottisl’uncontrel’autre.L’expérienceétaitnouvellepourWade.IlserésolutàenparleràCory,mêmes’ilcraignaitqu’ellenelejugedurementenapprenantque,jusqu’àprésent,coucheravecquelqu’unnereprésentaitrienàsesyeux.Enrevanche,ilpartageaitavecCorydes secrets qu’il n’avait jamais avoués à personne. Certainement parce qu’elle semblait lecomprendre.—C’estlapremièrefois,luidit-ildoucement.Elleremuasousluiet,lorsqu’ilscrutasonvisagedansl’obscuritéquasitotale,ilcrutydécelerun

sourire.—Qu’ya-t-ildesidrôle?—Eclaire-nous,luisuggéra-t-elle.Jeveuxtevoir.Ilallaitsetrouverexposé,unefoisdeplus.Lesconfidencesétaientplusfacilesdanslenoir,comme

ill’avaitapprisaucoursdesnombreusesheurespasséestapienplanque,dansdescontréesétrangères.Maisilobtempéra,etallumalalampedechevetposéesurlatabledenuit.Ilfaisaittoujourssombre,l’ampouledispensantjusteassezdelumièrepourlire.Elleluisouriait,leslèvresgonflées,lesyeuxlourdsdesommeil,etilseplutàconstaterqu’ellene

luiavaitjamaisparuaussiheureuse.—J’aidumalàcroirequetun’avaisjamaisfaitl’amouràunefemme.—Cen’estpascequejevoulaisdire.Ilregrettapresquedes’êtreexprimé.—Dequoiparlais-tu,alors?Sonsouriredisparut,etsonregardsefitplussérieux.Ilhésitaavantdeprendrelaparole.—C’estlapremièrefoisquejeresteblotticontreunefemmeaprès…Coryécarquillalesyeuxet,l’espaced’uninstant,ellesemblanepassaisirlaportéedesesparoles.

Maisaprès,sonvisageprituneexpressionquitouchalecœurdeWade.—OhWade!murmura-t-elle.Toutàcoup,ellel’entouradesesbras,etleserrafort,sifort,pourquecesentimentnedisparaisse

jamais.—OhWade!répéta-t-elle.Jepensequec’estlachoselaplustristequej’aieentendue.—Non,nemeplainspas.Soisheureuse,autantquejelesuis.Elleenfouitsonvisagedanslecreuxdesonépauleetydéposauntendrebaiser.—Tuesvraimentunêtreexceptionnel,contrairementàcequetupenses.—Toiaussi.Elleneréponditpas,secontentantdeletenirplusfortcontreelle.

Ilauraitaiméresterainsiindéfiniment,etpeut-êtreques’ilavaitétéuntypeordinaire,ilauraitpus’offrir ce luxe.Mais en tant qu’ancien agent des forces spéciales, le tic-tac scandant le compte àreboursdesamissionrefusaitdemarquerunepause.Ilnepouvaitfaireabstractiondelaréalitébienlongtemps,nioublierqu’unmeurtrier rôdaitprobablementdans lesparages. Il savaitparexpériencequelessystèmesd’alarmen’étaientqu’uneminceprotectioncontreunmalfratdéterminé.Malgrélecrève-cœurquecelareprésentait,illaissalaréalitéreprendresesdroits.—Allonsprendreunedouche,proposa-t-il.Unemanièredoucedereprendrepiedavecleprésent.Carresterdanslapositionoùilssetrouvaient

leslaissaientsansdéfense.Mêmenu,ilneseraitpasforcémentàsondésavantageencasdelutte,maisil ne pouvait en dire autant de Cory. Et s’il la laissait le distraire de nouveau, ce qui était uneéventualitéasseztentante,ilscouraienttousdeuxdesrisques.Adeuxsouslejetbrûlant,ilsinventèrentdesjeuxcoquins,commepourprolongerl’exquiseétreinte.Il l’aidaàsesécher,puiss’éclipsapendantqu’elleremettaitdel’ordredanssescheveux.Ilavait

baissélagardependanttroplongtemps.Il commençaparvérifier leboîtierde l’alarme.Tout semblaitnormal,mais ildécidamalgré tout

d’inspecterlamaison.Ilreplaçasonpoignardàsaceintureetchaussasesbottes.Ilsedispensadesont-shirt,carilfaisaitencorechauddanslamaison.Lorsqu’il eut la convictionque lepérimètre était sécurisé, il suivit le raide lumièrequi lemena

jusqu’àlacuisine,oùCorypréparaituncafé.Iljetaunregardàl’horlogemurale.—Cen’estpasunpeutardpourcegenredeboisson?Ouunpeutôt,envérité.Ellesecoualatête,etlorsqu’elleseretrouvafaceàlui,ilcompritquelaréalitéavaitaussireprisle

dessus chez elle. La douceur avait quitté son visage, à l’exception de ses yeux, lorsqu’elle lespromenaitsurlui.Dumoins,jusqu’àcequ’ilsseposentsursoncouteau.—Jevois,futtoutcequ’elleparvintàarticuler,avantdeluitournerledos,feignantd’attendreque

lecafésoitprêt.—Jemedoutaisquenousnedormirionspasbeaucoup,d’unemanièreoud’uneautre.—Tuascertainementraison,reconnut-il.Cory,jesuisdésolé.—Arrêtedeculpabiliser,pourl’amourduciel!Cequiarriven’estpastafaute.Nilefaitqueje

soisdécouragée.Nousavonsprisdubontemps,enfin,jeparlepourmoi.L’espaced’uninstant,j’aieul’impressiond’êtrenormale,etjen’aipasl’intentiondem’excuserpourcela.Maismaintenant,ilfautredescendresurterre.—Cory,tuesnormale.— Je t’en prie, souviens-toi de ce que j’ai fait aujourd’hui. J’ai carrément craqué, avant deme

refermersurmoi-même.Puisjem’ensuispriseàtoi.Elleseretourna,saisitdeuxtassesetlesposasurlatable,avantdes’emparerdelabouteilledelait.

Unjetdevapeurannonçaquelecaféétaitpratiquementprêt.Tandisqu’ill’observait,ilsentituneétrangedouleurdanslapoitrine.Ilsprirentplaceautourdela

table.—Cessedet’envouloiràcausedecequetum’asdit,dit-il.

—Etpourquoidonc?Jemesuismontréeabjecte.Jesuissurprisequetuaiespumefairel’amouraprèscela.Ce n’était pas bon signe. Il ne voulait pas faire naître ce genre de sentiment en elle. Jamais.

Commentluifairecomprendrequ’ilavaitvraimenteffacécetépisodedesamémoire?Ilchoisitsoigneusementsesmots.—J’ai eu tout le tempsdedévelopperuneplusgrandeconfianceenmoi.Lesnomsd’oiseauxne

m’affectentplus.J’aientendubienpire.Jeneprétendspasêtreparfait,loindelà.Maisaucoursdesvingt dernières années, j’ai eudesoccasionsdeme reconstruire.Pas toi.On t’a détruite, et tu doisapprendreàpatiemmentrecollerlespièces.Ilestlégitimedesesentirdépasséeparlesévénements,parfois.Maistuvast’ensortir.Tuvasmodelerunenouvelleversiondetoi-même.Etjetesouhaitedet’yprendremieuxquemoi.—Queveux-tudire?—Essaiedetedébarrasserdecertainesmines!Sonconseillafitrirejaune.—Jen’aiaucuneidéedel’endroitoùellessetrouvent.—Biensûrquesi.Tusaiscequitemetmalàl’aiseetcequit’effraie.Tum’asmêmeexpliquéce

quit’apparaissaitcommeunemenace.—Vraiment?—L’espoir,luirappela-t-il.C’estcequiteterrifie.De longues minutes s’écoulèrent, tandis que Cory réfléchissait à ce que venait d’énoncerWade.

Commesisesmotsvenaientdedéchirerlevoilequiluidissimulaitlaplusprofondedesesblessures.C’étaitdouloureux.Desamain,ellecouvritlebasdesonvisageetfermalesyeux.—C’estparcequejeleconsidéraiscommequelquechosed’acquis,auquelj’avaisdroit.—Jesais.Çareviendra.Ilparaissaitsisûrdelui,maiselleenavaitétéprivéedepuissilongtempsqu’elleavaitpeineàle

croire, tout en craignant paradoxalement qu’il ait raison. Car après tout, qu’avait-elle à espérer ?Qu’elleseréveilleraitunmatin,quesonquotidienseraitexemptde toutemenace,etqu’ellepourraitreprendresavied’antan?Elle ne serait plus jamais cette femme. Jamais. Du fait du chaos dans lequel elle se débattait

actuellement, elle ne pouvait imaginer qui elle deviendrait, si cette épée deDamoclès disparaissaiteffectivement.— Commence par de petites choses, dont les résultats semblent immédiats. De petites graines

d’espérance.—Est-cequetulefais,toi?—Biensûr.J’aspireàdenombreuxchangements.—Telsque…?—J’aimeraismefondredanslamassedescivils,justeassezpourneplusêtreunebombequirisque

àtoutmomentd’exploser.Jevoudraisarrêterdevoirledangerpartoutetdepenserquechaquerecoinsombre est une cachette potentielle. Je veux dormir sans me réveiller dans des sueurs froidesprovoquéesparmescauchemars.

—Çat’arrive,àtoiaussi?—Constamment.Moinsqu’ilyaquelquesmois,cependant.—Commemoi.Audébut,j’avaismêmepeurdem’endormir.—Celanem’étonnepas.—Pendantlongtemps,unsimplecoupfrappéàlaportememettaitdanstousmesétats.—Maisçavamieux,maintenant?—Oui.—Tu vois ? Il posa lesmains à plat sur la table. Ce sont de petits pas, Cory,mais tu as déjà

parcouruduchemin.Etmonexpérienceteditqu’ilt’arriveraaussidereculer,àcertainsmoments.—Commecefutlecasaujourd’hui.—Pasdutout.—Ahbon?Commentqualifierais-tucequej’aifait?Ceregard…hanté,commetulequalifiais.

Cettefuriequis’estemparéedemoi?Lafaçondontjet’aiinvectivé?—Tescrismontraientqueturevenaisparminous.J’aivudesgarssombrerbienplusprofondément

etyresterlongtemps.Jediraisquetuesviteremontéeàlasurface.—Tupensesquec’estencourageant?—Absolument.Tuespleinedevie,Cory.Tucommencesàruerpourtedébarrasserdecettepeuret

decedésespoir.Tuvasdevoirlutter,maisjesuispersuadéquetuensortirasvictorieuse.—Jel’espère,ellelaissaéchapperunpetitrire,tum’asentendueparler?—Tuessurlabonnevoie.Ilremuasursachaiseetsepenchalégèrementenavant,verselle.—Cette année semble t’avoirpermisde commencer àguérir. Jene suispaspsy,mais c’estmon

avis,d’aprèscequej’aivu,etcequej’aiapprispendantmacarrière.—J’enaiassezd’êtresanscesseterrorisée.— Sans blague ! Mais regarde-toi. Tu es encore là. Tu cherches à remonter la pente. D’autres

auraientdéjàabandonné.—Jenesaispas.—Jenesuispasjugeenlamatière.Maispose-toicettequestion:depuisquetut’esinstalléeici,

as-tuconstammentvécudansl’angoisse?Elles’apprêtaitàrépondre«oui»,puiselleseditquecen’étaitpasvrai.Cetteprisedeconscience

lasurpritaupointdesuspendreuninstantlesbattementsdesoncœur.Lavisionqu’elleavaitd’elle-mêmen’étaitpeut-êtrepasexacte.—Au début, oui.Mais ensuite, c’était uniquement lorsque quelque chose venaitme perturber. Il

seraitfauxd’affirmerquej’aiconnuuneannéed’angoisseirrépressible.— Je suis prêt à parier que la plupart du temps, tu n’en avais plus conscience. En absence de

menacedirecte,lorsquetutravaillais,parexemple.Elleacquiesçalentement.—C’estvrai.

—Ilestdoncexagérédedirequetuaspassétoutcetempsàangoisser.Ils’agitd’uneinterprétation,l’idéequetut’enesfaite,maispeut-êtredemanièrepastotalementobjective.—Tuasraison,dit-elleenseredressantimperceptiblement.Celamesortaitparfoisdelatête.Pas

pourtrèslongtemps,maiscelam’arrivait.C’étaitlaseulefaçonderespirerunpeu.—C’est évident.Accorde-toi aumoins cela,Cory.Dans ces circonstances terribles, après avoir

perdutoutcequicomptaità tesyeux, tuasréussiàallerdel’avant.Agarder tonposte,àrégler tesfactures,àlireetprobablementàalleraucinémaunefoisoudeux.Tuaspoursuivitonchemin.Tut’ensortaisbienmieuxquecequetupensais.—Non,non,pasvraiment.Ellenepouvaitquese rappelerses tropnombreuxéchecs,etdemanière tropprécise.Cequ’elle

n’étaitpasparvenueàfaire, lesmotsqu’ellen’avaitpasdits.Sielledécidaitd’endresseruneliste,ellefiniraitparsedétester.— En es-tu si certaine ? Tu n’as pas baissé les bras, alors que beaucoup l’auraient fait. Il faut

admettrequetuauraisguéribienplusfacilement,etplusrapidement,situn’avaispasététransplantéeloindecequit’étaitfamilier.Maiscelanerendtessuccèsqueplusadmirables.—Jen’aipasprogressé!—Lefaitd’avoirsurvécupendantunan,partespropresmoyens,estunevictoireensoi.Pourquoi

netereposes-tupassurtesforcesplutôtquedesoulignertespointsfaibles,histoiredechanger?Cetteremarqueladéconcerta.Quelsétaientsespointsforts?Celafaisaitunanqu’ellen’étaitàses

yeuxqu’unesourisrongéeparlapeur,incapablederépondreàlaportesansvérifierd’abordl’identitédesonvisiteur.—Tuesalléetravaillerchaquejour,tut’esrendueàlabanque,tuesalléefairetescourses.Tut’es

mêmefaitdesamis.—Pasréellement.J’étaisincapabledelaisserquiconquedevenirtropproche.—Maisaprèscequetuavaisvécu,s’agissait-ildeparanoïa,ouplutôtdesagesprécautions?Elle s’apprêtait àprotester, enarguantqu’ilne laconnaissaitpas suffisammentpourdevinerquel

avaitétésonétatd’esprit.Maisunesoudaineprisedeconsciencel’obligeaàsetaireetàanalysersesactionset soncomportement sousun journouveau.Oui, elleavaitvécudans la terreur,maispasaupointoùcelle-ci l’avaitempêchéedemeneruneviequotidiennepassablementnormale.Pasaupointd’êtrerestéeterréechezelle.Ellen’avaitjamaisappréhendéd’allertravailler,mêmesiellen’avaitjamaisbaissélagarde.Oui,

elle avait éprouvé des difficultés à ouvrir sa porte d’entrée à ceux qui s’y présentaient,mais étantdonnélascèneàlaquellecettesituationétaitassociéedanssonesprit,elledevaits’estimerheureused’êtrecapabledelefaire,mêmedifficilement.ElleavaitdînéàplusieursrepriseschezNateetMargeTate,ouchezGageetEmmaDalton.Ellese

rendait régulièrement à la bibliothèque et n’avait jamais redouté de le faire, au bout de quelquessemainesdumoins.End’autrestermes,peut-êtreavait-ellefaituneconfusionentreprudenceextrêmeetterreur.Ilétait

évidentqu’elleavaitététerrifiéeaprèslamortdeJim,lorsqu’elles’étaitretrouvéelivréeàelle-même.Pourlapremièrefoisdepuisdenombreuxmois,ellen’avaitpluslesmarshalsàsescôtés,elledevaits’habitueràcettenouvellevilleetreconstruireunsemblantdequotidien.

Elleyétaitparvenue.Lecœur lourd,brisé,aupointqu’il luisemblaitmêmedifficilederespirer,détestantetcraignanttoutàlafoisl’inconnuquereprésentaitl’aveniretlepasséquipouvaitêtretentédelapoursuivre.Maiselles’enétaitsortie.—Tuvois?insista-t-il,commes’ilavaitperçulechangementquivenaitdeseproduire.Cequit’est

arrivéaujourd’huiadûseproduireuncertainnombredefoisdepuis l’assassinatde tonmari.Tuascraqué parce que tu subissais trop de pression. Le passé et le présent, tous ces problèmess’accumulaient tandis que tu écoutais ma conversation avec Gage. Alors tu as déconnecté tous lessystèmes.C’estunfusibled’autoprotection,quiconstitueparfoisnotreseulrecours.—Celat’arrive,àtoiaussi?—Jetel’aidéjàdit.Etj’enaiététémoinrégulièrement.C’estlelotdeceuxquisurviventauchamp

de bataille ou aux catastrophes naturelles. Le cerveau accumule tant de tension qu’il finit par direassez.Iln’estpluscapabledegérerunesituation,alorsilcoupe.Cen’estpasunéchec,etceluiàquicelaarrivenedoitpassesentircoupable.Ils’agitd’unréflexedesurvie,quinedevientnéfasteques’ils’installedefaçondurable.—Tuasparlédesyndromedechocpost-traumatique.N’est-cepasunemaladie?—Cen’estpascequej’aivuaujourd’hui,Cory.TonSCPTétaitsalutaire.Cequejem’évertueà

t’expliquer est que, d’après ceque j’ai puobserver chez toi, tu n’espas aussi irrécupérableque tusembleslecroire.Elle soupira, laissant lesmots deWade faire leur chemin en elle, remettant de l’ordre dans ses

idées,afindesevoirsousunjourplusoptimiste.Cechangementlafitsesentirmalàl’aise.Puisunenouvellepenséeluitraversal’esprit.—Jecroisquetuasvujuste,enparlantdeculpabilitédusurvivant.—Queveux-tudire?—Lapeur et le chagrin…Ilsn’étaientpeut-êtreque les instrumentsque j’avais choisispourme

punir.Même si elle saisissait la logique de ce mécanisme, elle n’aimait pas cette idée. Elle espérait

presquequ’ilallaitlacontredire.—Celanemeparaîtpasdénuédesens.Maistutetransformesenpsyàlapetitesemaine,etmoi-

mêmejemesuisengagéunpeutroploinsurceterrain.Cequejeteraconten’estquelerécitdecequej’aiobservéetvécuaucoursdecesdernièresannées.Elle y réfléchit plus longuement, cependant, essayant de trouver un lien avec ses réactions. Les

marshalss’étaientefforcésderecréerunenvironnementpropiceàunnouveaudépart.Enyregardantdeplusprès,ilsavaientfaitdubontravail.C’estellequiavaitplusoumoinsrefusécetteopportunitéquiseprésentaitàelle.Ledeuilétaitunechose, toutcommesacraintedeseretrouverseule,surtoutaudébut.Maisavait-ellecommencéàutilisercettefrayeurcommeunmoyendeseflagelleretdelimiterseschoix,parcequ’elleétaitencoreenvie,alorsqueJimetleurbébéétaientmorts?Elleeutlesentimentquedesportess’ouvraientdanssonesprit,luidonnantunevisionplusglobale

quecellequ’ellepercevaitdel’intérieurdelaboîtedanslaquelleelles’étaitenferméependantunan.De nouvelles perspectives s’offraient à elle, mais enmême temps, elle ne se reconnaissait plus

vraiment.Quiétait-elle,réellement?Qu’avait-ellefaitdesaviel’annéedernière?Ellesedoutaitquecettenouvelleimaged’elle-mêmeétaitplusprochedelaréalitéquecelleplutôtrestreintequ’elleavait

euejusqu’alors.Lechagrinetl’angoissen’expliquaientpastout.Ellesoupira.—J’aibesoind’examinercela.Maisj’aimeraisquetuacceptesmesexcusespourcequejet’aidit

toutàl’heure.Jesuishorrifiéeparmoncomportement.—Jepensaisquel’affaireétaitclose.Maisj’acceptevolontierstesexcuses.—Tuesvraimentgentil.Ilneréponditrien,cequilapoussaàsedemandersiellel’avaitoffensé.—Ilfautquej’apprenneàaccepterlescompliments,ajouta-t-ilavecunepointed’humour.—Celatemet-ilmalàl’aise,lorsquejedisquetuesgentil?Elleespéraitquecen’étaitpaslecas,carils’étaitvraimentmontrébienveillantenverselle,bien

plusqu’ellen’étaitendroitdel’attendre.—Maconscienceessaiedemerappelertoutescesfoisoùjenel’aipasvraimentété,répondit-il,de

latristessedanslavoix.Elleeutunsourireunpeutriste.—Oui,toutcommelamienne,quimemontrequej’aigâchéunandemavie,avectouscesprojets

quej’auraispumeneràbien.—Jecroisqu’ilesttempsdelâcherunpeudelest.—D’accord.Maisenétait-ellecapable?Pouvait-ellepartagersonpointdevue?Ilavaitfaitsonpossiblepour

laconvaincrequ’aprèscequ’elleavaitvécu,sesréactionsétaientnaturellesetquelavisionqu’elleavaitd’elle-mêmeétaiterronée.Ellesedécidaàluiposerunequestionqui,ellelesavait,pouvaitavoirdelourdesconséquences.

Mais la réponse l’aiderait à faire grandir cet espoir en elle et lui donnerait une chose à laquelles’accrocher.—Wade?—Oui?—Dis-moiàquoituaspires,encemoment.Justeunepetitechose,pastesgrandsprojets.Ellevitsonvisagesefigerprogressivement,mais,avantqu’ilsesoitcomplètement transforméen

roc indestructible, elle le vit se détendre de nouveau, pratiquement muscle par muscle. Il restasilencieuxpendantuneminute.—Wade?—J’espèrequetumeserrerasencoredanstesbras,undecesjours,finit-ilparconfesser.Sesmots luiallèrentdroitaucœur.Elleeutmalpour lui,quisouffrait tantdesonisolementetsa

solitude.Elleseleva,fitletourdelatableetseglissasursesgenoux.Ellel’entouradesesbras.— Et moi, commença-t-elle, la voix empreinte d’émotion, que tu me laisseras te tenir ainsi de

nombreusesfois.Celamefaittantdebien!Ill’enlaçaàsontour.—Autantquetuleveux,Cory.

De nouveau, il sentit des frissons dans sa nuque, probablement parce qu’il avait baissé la gardedepuistroplongtemps.Ouparcequesonhorlogeinternevenaitbattrelerappeldestroupes,calculantlenombredejoursetd’heuresqu’ilfaudraitautueurpourentrerenaction,s’ilavaitidentifiéCory.Cettesensationl’avaittoujoursavertiencasdedangerimminentetilsavaitqu’ilpouvaits’yfier.Le soleil se lèverait dansmoins d’une heure.C’était lemoment idéal pour attaquer, lorsque l’on

pouvait encore s’envelopper du manteau de l’obscurité et que la plupart des gens étaient le plusvulnérables. C’était l’heure à laquelle les sentinelles perdaient de leur vivacité, où le sommeilembrumaitlessens.L’heurequiprécédaitl’aurore.Ilselivraàunrapidecalcul:toutd’abord,cetappeltéléphonique,puiscetinconnuquiconduisait

deuxvéhiculesdifférents. Il s’agissait peut-êtredu tueur enpersonne, àmoinsqu’il ne soit que songuetteur,unvisagenonidentifiéquivenaitrecueillirdesinformations,sansquepersonneneremarquesaprésence.Bonsang,commeilauraitaiméêtrefixé!IlavaitaumoinsréussiàconvaincreCorydesomnolersurlecanapé,luipromettantqu’ilmonterait

lagardeauprèsd’elle.Maisilauraitaimésefaufileràl’extérieurpourinspecterlesenvirons,parcequemêmesilesadjointsdushérifaccomplissaientleurtâcheaveczèle,ilétaitplusefficacequ’eux.Ilvérifial’alarmeàplusieursreprises,afindes’assurerqu’ellen’avaitpasétédéconnectée.Aucun

signeanormaln’apparaissaitsurl’écrandecontrôle.La sonnerie du téléphone retentit.Wade décrocha immédiatement, en espérant que la sonnerie ne

réveilleraitpasCory.Lajeunefemmerestaplongéedanslesommeil,manifestementépuisée,etayantprobablementplacétoutesaconfiancesurl’hommequiveillaitsurelle.Ilespéraits’enmontrerdigne.Ilemportalecombinédanslacuisine,aprèsavoirvaguementsaluésoninterlocuteur,etc’estlavoix

deGagequiluirépondit.Atraverslesrideaux,ildistinguaitlespremièreslueursdel’aube.—Onaidentifiéletypeauxdeuxvoitures,luiannonçaleshérif.Ilsemblaitàpeineéveillé.—Quiest-ce?—UndétectiveprivédeDenver.—Nomdenom!—JevaisdemanderauxcollèguesduColoradodel’appréhender,afindedéterminerquil’aengagé.

Ainsi,noussauronsquellesinformationsilarecueillies,etàquiillesatransmises.—Oui,etonpourraitseservirdelui.Wade passait en revue les scénarios possibles, tout en remplissant sa tasse de café. Plus il y

réfléchissait,etpluscetteidéeluiplaisait.—J’ysongeaisaussi,luiréponditGage.S’iln’estpastroptard.Maisilfautd’abordl’interroger.Il

devracoopérer,s’ilveutconserversalicence.—Combiendetempscelaprendra-t-il?—LorsquelesgarsdeDenverl’aurontarrêté,jemènerail’interrogatoireautéléphone.Jetetiendrai

aucourant.Maisnelalaissepasquitterlamaison.

—D’accord.Gage?—Oui?—J’aibesoindedormir.Quatreheures,pasplus.— Je vous envoie Sara Ironheart, en civil. Comme si elle venait prendre un café. Accorde-moi

uneheure.Jepeuxégalementmettredesgensenplanqueàproximité,maiscelaprendraplusdetemps,sionveutfaireleschosesdiscrètement.—Ilnefaudraitpaslefairefuir.Ilesttempsd’enfinir.—Jepartagetonavis.Peux-tuteniruneheuredeplus?—Jevaisbien.Maisjeseraisplusefficaceenm’étantreposéunpeu.Ilraccrochaetsefrottalesyeux.Unprivé?Quelqu’unquineconnaissaitriendel’histoire,àquion

pouvait faire avaler des couleuvres. Et comme il n’avait aucun lien direct avec lesmalfaiteurs, ilsl’avaientenvoyéretrouverCorysansattirerl’attentiondepersonne.Enthéorie,dumoins.Ce tueur savait ce qu’il faisait. Il ne s’agissait pas d’un débutant. Les paumes de Wade

commençaientàledémanger,enpensantautraitementqu’ilauraitaiméluiinfliger,maisqu’ildevraitoublier,carilétaitdésormaisuncitoyenordinaire.Il existait des centaines de façons demourir, et il avait appris que rares étaient celles à la fois

rapidesetmiséricordieuses.Il chassa ces pensées. Il avait cessé d’être cet homme. Il essayait de devenir quelqu’un d’autre,

dignederespirerlemêmeairqueCoryFarland.Enrevanche,unechoseétaitsûre:ilferaittoutpourlaprotéger.Mêmes’ildevaitpourcelapasser

lerestedesavieenenfer.

12

SaraIronhearts’annonçaenfrappantdiscrètementàlafenêtrejouxtantlaported’entrée.Elleportaitungrandpulletunjeansousunevesteunpeuépaisse,dontelleécartaunpanpourlaisserapparaîtresonbadge.Il remarquaaupassagele9mmsemi-automatiquesanglédansunholsterauniveaude lapoitrine.Acontrecœur,carilcraignaitquelesignalréveilleCory,Wadedésactival’alarmepourpermettreà

Sarad’entrer.Illaremitenrouteaussitôtaprès,maudissantle«bip»retentissant.—Wade?appelaCory,d’unevoixensommeillée.—Jesuislà,luirépondit-il.Toutvabien.Rendors-toi.Ellemarmonnaquelquechose,puis il lavitchangerdepositionsur lecanapé,avantde retomber

danslesbrasdeMorphée.Cettefemmen’avaitriendelasouristerroriséeàlaquelleellesecomparaitrégulièrement.Il fit signe à Sara de le suivre dans la cuisine et ferma la porte derrière eux afin que leur

conversationnedérangepasCory.—Mercid’êtrevenue.—Iln’yapasdequoi.Amontourdejouer,allezvousreposer,luiordonna-t-elleenesquissantun

sourire.—Lecaféestici,etlestassessetrouventdansleplacardau-dessus.—Merci.—Quatreheuresmaximum,luiprécisa-t-il.Elleacquiesça.—Jevousréveillerai.Une fois la sentinellepostée,Wade retournadans le salonet s’installa aussi confortablement que

possibledanslefauteuilinclinable.Unesoudainepousséed’adrénaline tentade legarderéveillé,maisc’étaitunebataillequ’ilavait

déjàgagnéemaintesfois.Danscemétier,unhommenepouvaitfairedevieuxoss’iln’apprenaitpasàdormirn’importeoù,n’importequand,mêmedebout.Cefauteuilétaitdoncunvéritableluxe.Quelquesminutesplus tard,soncorpss’était relâché,et ilavait laissé lesommeil,quoique léger,

l’envahir.Mêmeassoupi,sesoreillescontinuaientàfonctionner,analysantchaquesonqu’ellesrépertoriaient

commenormalouinquiétant.Unautredesesréflexesdesurvie.Coryseréveillapeuaprès,basculantenunefractiondeseconded’unrêvechaudetcotonneuxàla

panique.—Chut!luimurmuraunevoixféminine,etlorsqu’elleouvritlesyeux,elleaperçutSara,accroupie

àcôtéd’elle.

—Nevousinquiétezpas.J’aiprislarelèvedeWade.Coryrespiraavecdifficulté,maisréussitàluiadresserunsignedelatête,tandisquesoncœurse

calmaitpeuàpeu.—Voulez-vousuncafé?chuchotaSara.Coryacceptaets’assitsurlecanapé.Lorsqu’ellevitWadeendormidanslefauteuil,ellesesentitde

nouveauensécurité.Lesmotsdelanuitdernièresemblaientavoirprisracineenelle.Ellesesentaitbien,endépitdelamenacequelaprésencedeSaranecessaitdeluirappeler.ElleselevaaussidiscrètementquepossibleetsuivitSaradanslacuisine.— Il a le sommeil léger, lui fit remarquer celle-ci. Il me fait penser à mon chat. Ses oreilles

semblentréagiràchaquebruit,mêmesisesyeuxrestentclos.Corysourit.—Ilestincroyable.—Jemedoutaisquevousalliezvousréveiller,carvousvousagitiez.Jen’avaispasl’intentionde

vous effrayer, mais je ne voulais pas non plus que vous sentiez que quelqu’un était là, sans vousexpliquerimmédiatementquij’étais.—Mercid’yavoirpensé.Elle remplitsa tasseet resservitSara.Ellesprirentplaceautourde la

table.Quefaisons-nous,maintenant?—Wadeavaitbesoindesereposer,c’estlaraisonpourlaquelleGagem’aenvoyéeici.Jen’aipas

reçud’autresconsignes.—Iln’apasfermél’œildelanuit.Elle ne jugea pas utile de préciser en quoi elle y avait contribué,mais Sara l’avait certainement

deviné.Puisuneautrepenséeluitraversal’esprit.—S’iln’étaitpastranquilleàl’idéedes’endormirsanspersonnepourmonterlagarde,celasignifie

qu’iladûyavoirdunouveau.—Jen’aipasétémisedanslaconfidence,réponditSara,affichantunsourireunpeucontrit.Mon

beau-frère,Micah…Vousleconnaissezpeut-être?—Unpeu.—Ehbien, autrefois, il faisait partie des forces spéciales, et il lui arrive encore aujourd’hui de

devenirtrèsnerveuxparmoments,commes’ilappréhendaitquelquechose,maissanssavoirdequoiils’agit.Mêmeaprèstoutcetemps,ilretrouvesesvieuxréflexes,rienneluiéchappe.Nemedemandezpas de vous expliquer d’où ça vient,mais ondirait qu’ils sontmunis d’un radar leur permettant dedétecterlemoindreélémentinhabituel.—Luiarrive-t-ildesetromper?—Disonsquej’aieumaintesoccasionsd’apprécierdel’avoirpourcoéquipier,enplusd’êtreun

membredemafamille.Coryacquiesça,d’ungestelent.—Celanedoitpasêtrefacileàvivrepoureux.—Jenesaispas.Ilsonttendanceànepass’étalersurlesujet.

LesouriredeSarasemblasefiger.—C’estcommes’ilsseconnectaientàunsystèmed’informationsurnaturel.Parexemple, lorsque

monfilss’estcassélebras.Micah,dèslaveille,netenaitplusenplaceetaffirmaitquequelquechoseallaitseproduire.Lelendemain,Sagetombaitd’unarbre.—Impressionnant!commentaCory.—Parfois,lorsqu’onestenintervention,ilal’impressiond’êtreéquipéd’uneespèced’horlogequi

égrèneuncompteàrebours.Sixs’estproduitàtelleheure,alorsydevraitarriveràtelmoment.PuisSarahaussalesépaules.—Jen’aipasd’autreexplication.Etj’aibeaun’êtrequesous-officier,ilm’arriveaussid’avoirce

genredepressentiment.Çaressembleàdescourbaturesouàdespicotements iciet là.L’impressionquequelquechosenetournepasrond,expliqua-t-elleàCory.—C’estprobablementvotreintuition.—Peuimportelenomqu’onluidonne.Ellesetournaverslapendule.—Wadem’afaitpromettredeleréveillerauboutdequatreheures,pasuneminutedeplus,ajouta-t-

elle.Cequiveutdirevers10heures.—Cen’estpassuffisant,protestaCory.Ildoitsereposerdavantage.—Lorsqu’unhommecommeluiditquatreheures,onnediscutepas.Jenem’engageraipassurce

terrain.—Moinonplus,reconnutCory.Wadepouvaitsemontrerentêtésurcertainspoints,etelleavaitfaillileperdreàcausedeparoles

blessantes.Quipouvaitprévoircommentilréagiraitdanscecas?Ilrisquaitdevoirrougesiellenerespectaitpassesconsignes.En outre, il serait stupide de ne pas coopérer avec son garde du corps, même si à ses yeux il

s’agissaitdedétails.Elle soupira et éprouva un sentiment semblable à celui qui lui était familier à l’époque où les

marshals l’avaient placée en résidence surveillée pendant trois mois. Prise au piège, observée enpermanence, dénuée de toute volonté. Au moins, cette fois, elle avait accompli son deuil. Enfin,presque.Néanmoins,cesévénementsvenaientdefairerenaîtredevieuxsouvenirs,danslesquelselleseforça

àmettredel’ordre.Ladouleurd’avoirperduJimetleurbébéétaittoujoursprésente,maiss’apparentaitdésormaisplus

àcelled’unmembrefantômequ’àcelled’uneplaieouverte.Ellenedisparaîtraitprobablementjamais.Mais comme l’avait souligné Wade, cela ne l’empêcherait pas de vivre, si elle s’y employaitactivement.Siellefaisaitl’effortd’allerdel’avantetd’acceptercommetelslespetitsplaisirsquelavieluioffrait,aulieudesesentircoupable.Maisilluifallaitd’abordsedébarrasserdecetueur.Denouveau,elleseretrouvaitfaceàunchoix.Est-cequ’ellelaisseraitcethomme,quicherchaità

assurersapropre tranquillité, l’empêcherdevivrepleinement?Ouallait-elleprendresondestinenmain?

Carpersonne,absolumentpersonne,nepouvaitluipromettrequ’elleverraitunautrejourselever.Après tout,siellese trouvait làaujourd’hui,c’étaitparcequ’uncoupdefeuavait failli la tuer,elleaussi.Etait-cedu tempsqu’elleavaitvoléà lamort?Possible.Oupeut-êtreétait-ce toutsimplement la

vie,etilétaittempspourelled’yprendrepartdenouveau.A10heures,elleallaréveillerWade.Lespectaclequ’elleeusouslesyeuxlafascina.Wadeouvrit

brusquement les yeux et tout son corps se contracta, comme s’il s’apprêtait à bondir. Dès qu’ill’aperçut,sonvisagesedétendit.—Toutvabien?demanda-t-il.—Oui.Saras’apprêteàpartir.—D’accord.Ilsepassaunemainsurlevisageets’assit.Ilpassasesbrasautourdeshanchesde

Coryetpressasonvisagecontresonventre. Immédiatement,elle ressentitdedouxpicotementsdanssoncorps.Elleluicaressalescheveux.—Undecesjours…,murmura-t-il.—Quoi?Ilsoupira,puisbasculalatêteversl’arrière,etluisourit.—Undecesjours,nouspasseronsautantdetempsquenouslevoudrons,seuls,rienquenousdeux.Elleluisourit,charméeàcetteidée.—J’ycomptebien.—Tantmieux.Ilrelâchasonétreinte,etlegardeducorpsrefitsurface,sonvisageserefermantetsesyeuxprenant

unéclatmétallique.D’unepoussée,ilsedégageadufauteuiletaccompagnaCorydanslacuisine,oùSararemettaitsaveste,afindecamouflersonarme.Elleressemblaitàunefemmecommelesautres,etaucundétailn’auraitpulaisserpenserqu’elletravaillaitpourleshérif.—Ehbien,déclara-t-elleensouriant,ilesttempspourmoid’yaller.Soudain, quelqu’un frappa à la porte. Tous trois se figèrent sur place. Cory eut le sentiment de

recevoiruncoupdepoignardenpleincœur,commechaquefoisqu’elleentendaitcebruit.—Jem’encharge,déclaraWade.MaisSaraluiemboîtalepas,revolveraupoing.Ellesetenaitàl’écart,tenantl’armedesesdeux

mains,auxaguets,pendantqueWadejetaitunregardsurl’écrandecontrôledelacaméra.Cory tentade suivre la scènede la cuisine, agrippant lemontant de la porte si fortementque les

jointuresdesesdoigtsavaientblanchi.—C’estGage,annonçaWade.Ilouvritlaporteaushérif,etCoryfutsisurpriseenlevoyantqu’ellefaillitpousseruncri.Ellene

l’auraitjamaisreconnu.Ilauraitputravaillerdanslesquartierschauds,enfilaturepourlabrigadedesstups,comme il le faisaitautrefois. Ilavaitplutôtmauvaisealluredanssavestedecuirélimée,sonjeanmaculédetachesetlacasquettequiremplaçaitleStetsonqu’ilarboraitd’ordinaire.— Salut ! dit-il en entrant. Veuillez excusez ma tenue négligée, mais je ne voulais pas donner

l’impressionqueleshérifvenaitvousrendrevisite.

—Tudonnesvraimentbienlechange,lefélicitaCory.Ilricana.—C’estlebutrecherché.Bon,ilfautqu’ondiscute.—Est-cequetuveuxquejereste?demandaSara.—Oui.Nousdevonsmettreaupointunplan.Le salon étant la seule pièce dans laquelle ils pouvaient tous trouver un siège, Gage choisit le

fauteuilinclinableetSaralerocking-chair,laissantlecanapéàCoryetWade.LecœurdeCorysemitàbattre.Gageneseraitpaslàs’iln’avaitrienapprisdenouveau.—Bien.J’aiparléàWade,toutàl’heure,maisjenesaispass’ilaeuletempsdetefairepartde

notre conversation. Le type que nous soupçonnions de te filer est un détective privé qui vient deDenver.D’unedesespoches,ilsortituncarnetqu’ilsemitàfeuilleter.—Jevaisessayerdem’entenirauxélémentsessentiels.—D’accord.Elle crut que son cœur allait s’arrêter, mais les battements redoublèrent d’intensité. Sa bouche

devintsèche,souslecoupdelapeurqu’ellesentaitémerger.—Sonclient,quisefaitappelerVincentOrdano,l’aembauchépourteretrouver,enprétextantque

tu luidevaisunegrossesommed’argent.D’après lui, ilsavaitque turésidaisdanscecomté,que tusemblaisavoirchangédenometd’apparence,etqueleseulmoyendetecoincerétaitdetefairecroirequ’ont’avaitdémasquée.ExactementlastratégiesuggéréeparWade.Corysentitsonestomacsenouer,etellecouvritsabouchedesamain,commesicelapouvaitl’aider

àdissipersonmalaise.—Quoiqu’ilensoit,etconformémentauxsoupçonsdeWade,l’enquêteur,quis’appelleMoran,a

ciblédesfemmesd’uncertaingrouped’âge,ayantemménagéenvilleaucoursdel’annéepassée.Ilenarecenséhuit,etcommeOrdanoétaitincapabled’identifiercellequ’ilrecherchait,Moranapassécesappels téléphoniques et observé les réactions de chacune. Son choix s’est arrêté surMarsha et toi,comme l’avait devinéWade, une fois encore.Moran a remarquéqueMarsha avait adoptéun chien,mais lorsqueWadeasemblésurgirdenullepart, il s’estditqu’ilvenaitd’atteindresonbut.Carcechangementluiparaissaitbeaucoupplusparlant.Jeteprésentemesexcuses,Cory.—Cen’estpastafaute,Gage,luirépondit-elle.—Tuaspeut-êtreraison.Quiauraitcruquel’arrivéed’unlocatairepourraitmettreletueursurta

piste.Parailleurs,Moranavaitcommencéàenquêtersurtonamieettoi,afind’ensavoirplussurvotrepassé.PourMarshac’étaitsimple,ilestviteremontéjusqu’àlasource.Quantàtoi,ils’estrapidementtrouvédansuneimpasse,cequiadûleconforterdansl’idéequetudevaisêtrecellequ’ilrecherchait.Cory tenta d’étouffer un cri.Wade lui prit immédiatement lamain, ce qui, sur lemoment, ne lui

procuraqu’unemaigreconsolation.—Etait-ildoncsisimpledemeretrouver?— Seulement parce que quelqu’un, quelque part, a orienté les recherches d’Ordano, lui rappela

Gage.Etc’estunproblèmequenousnousefforceronsderégler,dèsquenousauronsmislamainsurlui.

—Commentallons-nousnousyprendre?—C’estcedontnousdevonsdiscuter.Maislaissez-moipoursuivre,caraumilieudecemarasme,je

suistoutdemêmeporteurd’unebonnenouvelle.Coryluifitsignedecontinuer,toutenserrantplusfortlamaindeWade.—Morann’apasencorefaitsonrapportàOrdano,quiignoredoncqu’ont’aretrouvée.Morann’a

bouclésonenquêteque tardhiersoir,etnous l’avons interpelléà lapremièreheurecematin,avantmêmequ’il se rende à sonbureau.Par ailleurs, il est tout à fait prêt à coopérer, et il est consternéd’apprendrelesconséquencesqu’auraientpuavoirlesrésultatsdesoninvestigation.—Maiss’ilsaitoùsetrouveOrdano…— Il l’ignore. Toutes leurs communications se sont effectuées par e-mail ou par téléphone, et le

paiementparcartedecrédit.Noussupposonsquelecommanditairedoitêtredanslesenvirons,maisnousnesavonspasoù.Nousattendonsderecevoirl’historiquecorrespondantàlacarteutiliséepourlatransaction,maislesinformationsneserontprobablementplusexploitablesefficacementaumomentoùnouslesrecevrons,ensupposantqu’ilyenait.Ilnel’utilisepeut-êtreplus,etrienneprouvequ’ilsoiteffectivementVincentOrdano.Desrecherchessontencours,maisellespeuvents’avérerinfructueuses.Coryessayadedéglutir,maissaboucheétaittropsèche.—Etilesthorsdequestion,j’insistesurcepoint,dedemanderlesoutiendesmarshals.Gagefronçaitlessourcilsdemanièremenaçante.—J’ignorequiatransmislesinformationsàtonsujet,Cory,maislafuiteestincontestable.Ettant

quejen’auraipasdémasquélecoupable,cesontmeshommesquiprendrontcetteaffaireencharge.—Jesuisdetonavis,déclaraWadesuruntonferme.Lamoindrebévuepourraittoutfairerater.Et

jerefusequeCoryviveunejournéedeplusdansl’angoisse.—Jene l’auraispasmieuxdit, confirmaGage. Ici,nousprenons soindesnôtres, etCoryabien

assezsouffert.Corysentitsagorgeseserrer.Ellefaisaitdoncpartiedecettecommunauté,ellequiavaittellement

cherchéàseteniràl’écartdesautres.Cetaccueilchaleureuxetinattendularasséréna.Oui,ellevoulaitresterici,etelleétaitprêteàtoutpouryparvenir.—Pourlemoment,poursuivitGage,nousbénéficionsd’unavantage.PourOrdano,Morann’apas

encoreidentifiésacible.Cequisignifiequenouspouvonsluitendreuneembuscade,ennousservantd’unleurresefaisantpasserpourCory.—Certainementpas!Lesmotsavaientpasséseslèvressansqu’elles’enrendecompte.Toustroissetournèrentverselle.—Personnenerisquerasaviepourmoi.Jerefuse.—Cory…,commençaWade.—Non.Sadéterminationparaissaitinébranlable.—Vous ne comprenez pas ? J’ai eumon compte de situations traumatisantes. Je ne pourrais pas

vivre en songeant que quelqu’un est mort ou a été blessé à ma place. Qui plus est, j’ai besoind’affrontercetype.Lapeurnemequitterajamaisplussijenelefaispas.

Pourelle,c’était leseulmoyend’exorciser lesdémonsqui la torturaient.Comment leurexpliquerqu’aprèsavoirfuisilongtemps,ilétaittempspourellederegardersaterreurenface?Ellen’eutpasàargumenter.Toussemblaientserangeràsonavis.—Trèsbien,réponditGage,tandisqueWadeacquiesçait,assezmollement.Nousallonsluitendre

unpiège.CommeilestimpératifqueCorysoitmunied’ungiletpare-balles,ilvautmieuxprévoiruneopérationdenuit,afinqu’ellepuisseporterunevestesanséveillerdesoupçons.Jepencheraispourleparkingdusupermarché.IlseraitplausibledevoirCoryquittersonlieudetravail,apparemmentseule,unedemi-heureaprèslafermeture.D’autantquecelieucomporteuneinfinitédeplanquespossibles:des bennes à ordures, des véhicules stationnéspour la nuit, quelques arbres, sansoublier le toit ducentre commercial. Il faudra seulement s’assurer qu’Ordano n’aura pas l’idée de choisir la mêmecachettequel’undenous!Wadepritlaparole.—Donne-moiunevuedégagée,aussiéloignéesoit-elle,etjenemanqueraipasmacible.Gagehochalatête.—Est-cequetumedemandesdet’accréditerpourcetteopération?—Sicelapeutsimplifierleschoses.Assure-toisimplementdemetrouveruneplacesurletoit,sans

obstacleentravantmalignedemire.Aucasoù.CoryneputréprimerunfrissonenentendantlasuggestiondeWade.Ellenevoulaitpasajouteruntel

fardeauàsaconscience.Ellenepourraitpaslesupporter.—Micahestuntireurd’élite,luiaussi,intervintSara.—Alorspositionne-nous tous lesdeuxsur le toit.Ça réduira lenombred’hommesque tudevras

posterausol,et,decefait,limiteraaussilerisquedebévue.Gageacquiesçalentement.— O.K. Ça me convient. Je vais tout mettre en place, et dicter à Moran l’histoire qu’il devra

raconteràOrdano.Jevaisfaireensortequ’ill’inciteàpasseràl’actionsanstarder.Nousnepouvonspasnouspermettredeluilaisserpeaufinersonpland’attaque.—Sicequic’estpassélanuitoùilaabattumonmaripeutvousdonneruneidéedesapersonnalité,

déclara Cory, on peut en déduire que la planification n’est pas son point fort. Il se montre plusconsciencieuxlorsqu’ils’agitdeprotégersonanonymat.Ilavaiteumaintesoccasionsd’approcherJimlorsqu’ilétaitseul…Savoixsebrisa.—Riennel’obligeaitàs’introduiredansnotreappartementlorsquenousnousytrouvionstousles

deux,ajouta-t-elle.—Bienvu,luiditWade,accentuantlapressionsursamain.Ildoits’agird’unopportuniste,quine

sesoucieguèredesdétails.Ilachoisiunmomentoùilétaitsûrdemettrelamainsurtonmari,etoùilserait facile de s’échapper, car les rues étaient désertes. Il n’y aurait donc pas de témoin. Maisvisiblement,ilsefichaitdesdommagescollatéraux.Ilmarquaunepause.—CetOrdanosembleseprendrepourunvrai tueur,poursuivit-ilauboutd’un instant,mais je le

trouveassezmédiocre.Jepensequ’ils’agitd’unpetitmalfratquiafaitçapourl’argent,maisqu’iln’a

pasbeaucoupd’expérienceenlamatière.Corysetournaverslui.—Commentlesais-tu?—Parcequej’auraistravailléplusproprement,etquetun’auraispasétédanslesparages.LesmotsdeWade luiglacèrent le sang.Plantant son regarddans le sien,elleyperçut ladouleur

qu’il ressentait, parcequ’on lui avaitordonnéde le faire autrefois.Elle souffraitpour lui,pour cesfardeauxqu’ilportaitensilence,pourledevoirqu’ilavaitaccompli,maisqui le laissaitcouvertdecicatrices.Elleneputquel’admirerdavantage,encomprenantqu’ilnesedébarrasseraitjamaisdecessouvenirsdontelleapercevaitlesfantômesaufonddesesyeux.—Trèsbien,conclut-elle,commesi toutétaitréglé.Dites-moioùjedoismerendre,quand,etce

quevousattendezdemoi.Maisj’insistesurlefaitquejenelaisseraipersonnecourirdesrisquesàmaplace.C’estau-delàdemesforces.Gagesoupira,puisfitunpetitsignedelatête.—Jetecomprends,Cory.Ilfautparfoisaffrontersesdémons.C’estleseulmoyendes’enlibérer.De ces quelquesmots, il avait résumé sa situation. Ce qui ne voulait pas dire qu’elle dormirait

mieuxdésormais,niquesoncœurarrêteraitdebattreàtoutrompre.Maiselledevaitlutterpourretrouversadignité.Maintenant.Cettefois-ci.Quelqu’ensoitleprix.GageetSaras’enallèrent,brasdessus,brasdessous,bavardantcommeuncoupletoutenremontant

larue,pourrejoindrelepick-upantédiluviendeSara.Ilscontinuaientàjouerleurrôle,aucasoù.Aucasoù.Coryeutl’impressionquelesmotss’attardaientdanssatête,commelafuméed’unfeudéjàéteint.

IlspartaientdupostulatqueMoranétait leseul informateurd’Ordano, toutengardantà l’espritquec’étaitpeut-êtreuneinformationerronée.Ilsnevoulaientprendreaucunrisque.Elleeutlasensationquelamaisonserefermaitsurelle,commecelaavaitétélecasunanplustôt,

danscesrésidencessurveillées.Maintenantqu’elleenétaitprivée,elleserenditcomptedelalibertédontelle jouissait,endépitdesesaccèsd’angoisse.Rienne l’empêchaitalorsdeserendresursonlieudetravailoudes’asseoirsursaterrasselorsqu’ilfaisaitchaudensoirée.Depetiteschoses,maisquiprenaientuneautredimensionlorsqu’onenétaitprivée.—Nousallonsréglertoutça,larassuraWade.Tousdeuxfaisaientlescentpas,commedesanimaux

encage,cequ’elleauraitcertainementtrouvécomiquedansd’autrescirconstances.—Ets’ilparvientànouséchapper?—Impossible.Elleluifitface.—Tunepeuxpasêtreaussicatégoriqueaveccegenredechoses.Ils’arrêta,sefigeantcommeunestatue.—Sicelaseproduit,jetefaislesermentquejeletraqueraiauxquatrecoinsdumonde.Ilnes’en

sortirapas.Ellesentitsapoitrineseserreretdevenirdouloureuse.ElletenditlamainpoursaisircelledeWade,

qu’ellepressafermement.

—Non,Wade.Promets-moidenepaslefaire.Jenelesupporteraipas.Jenepeuxpasaccepterquetutetransformesenprédateurpourmoi.LeregarddeWaderestaimpénétrable.—Celaneseraitpaslapremièrefois.—Probablement,maistuvoulaisenfiniraveccettepartiedetavie.Jure-moiquetunereviendras

passurtadécisionàcausedemoi.Tuasfaittontempsettuasaccomplitondevoir.Maintenant…ilfautsereconstruire,etnondétruire.Donne-moitaparole,jet’enprie.—C’estimpossible.Ils’écartad’elleetrecommençaàarpenterlapièce.Elle resta immobile, à l’observer, impuissante.Cet homme ferait ce qu’il considérait comme son

devoir,etriennipersonnenel’enempêcherait.Restait à savoir si elle accepterait cet état de fait. Si elle accueilleraitWade comme il était et

commeilrisquaitderedevenir.Aufondd’elle-même,elleconnaissaitdéjàlaréponse.

13

Wade estimait que tout serait réglé enmoins de deux jours. Son raisonnement était relativementsimple.SiOrdanosetrouvaitàproximité,ilréagiraitimmédiatement.ProbablementaprèslajournéedetravaildeCory.S’ilsetrouvaitàl’autreboutdupays,ilfaudraitcompterunjourdeplus.— Au maximum, ajouta-t-il. Ce type veut se débarrasser de cette menace le plus rapidement

possible.Gagepartageaitsonavis.Coryserenditàlasupéretteàlamêmeheurequed’habitude.Sonhoraireavaitétéprolongé.Gage

avait eu une conversation avec son patron, et il avait été convenu que Cory quitterait le centrecommercial seule, environ une demi-heure après la fermeture. Les autres employés resteraient àl’intérieur,àl’abridesregards.Mêmesi elle s’inquiétaitpour ses collègues,Coryétait soulagéedenepasdevoirpasser tantde

temps seule dans le magasin vide, même fermé à clé. Gage considérait que la présence d’autresemployésdissuaderaitOrdanodeforcerlaportepourattaquerCory.Ilsfaisaientleurpossiblepourquel’assautait lieusurleparking.Coryavaitpourconsignedese

rendredans la sallede reposdes employéspoury revêtir songilet pare-balles, avantd’enfileruneveste etdequitter lemagasin.Si elle croisait le chemind’Ordano, elledevait se jeter à terre et semettreenboule.Serecroquevilleretnepasresteràportéedemain,oud’arme.Elle s’étaitmuée en appât vivant, totalement exposé au danger. L’anxiété lui donnait la chair de

poule,et,tandisquel’heurefatidiqueapprochait,lerythmedesoncœurs’accélérait.Ellesentaitdespicotements à l’estomac. Elle avait fait des dizaines d’allers-retours à la fontaine pour calmer lasécheressedesabouche.Ellesavaitquelesinspecteursétaientlà.Wadesetrouvaitsurl’undestoits,accréditéparGagepour

quelquesjours.Lepireétaitqu’ils’étaitdenouveaurefermé,etqu’ilressemblaitàlastatuedepierrequ’elleavait

rencontrée quelques jours plus tôt. Pas de sourire pour illuminer ses yeux. Pas de phrase inutile. Ils’étaitéloignéd’elleaussisûrementques’ilavaitquittélaville.Cettedistanceluiétaitdouloureuse.Aunpointoù,siellesurvivait,elleauraitunnouveaufardeauà

porter:celuid’êtretombéeamoureused’unhommequipouvaitlamettreàl’écart,commes’ils’étaitretiréderrièreuneportequ’ilavaitensuiteferméeàdoubletour.Ellesouffraitpourlui,imaginantlessouvenirsdéchirantsqu’unetellesituationdevaitluirappeler,

etleslieuxqu’ilavaitcherchéàeffacerdesamémoire.Qu’ilaitraisonoutort,quecesoitsondevoirou non, aucun soldat ne s’en sortait indemne. Toutes ses anciennes blessures avaient dû se rouvrirlorsqu’ils’étaitglissédanslerôlequ’ilavaitchoisid’endosserpourlaprotéger:ilétaitredevenuuntireurd’élite,untueur,unprédateur.Elleenvenaitpresqueàregretterqu’Ordanonel’aitpasretrouvéeavantsarencontreavecWade.La

souffrancepsychologiquequ’ildevaitendurerluiétaitinsupportable.Lemomentarrivaenfin.Ellesentait lesbattementsdesoncœurjusquedanssagorge.Ellejetaun

regardàBetsy,sasupérieure.Celle-ciluifitunpetitsignedetête,maissonvisageexprimaitunepeurmêléedechagrin.—Soisprudente.Coryacquiesça.Ellegagnalasallederepos,enfilalegiletdeprotectionpuissaveste,etsedirigea

verslaporteprincipale.Betsy luiavaitprêtéunecléafinqu’ellepuisseverrouiller lemagasinensortant.Gagenevoulait

pasprendrelerisqued’exposerunemployé,enl’obligeantàsetenirprèsdupanneauvitré,carOrdanoavaiteul’occasiondemontrerqu’ilsefichaitdeblesserd’autrespersonnespouratteindresacible.Cory fut parcourue de frissons lorsqu’elle mit un pied à l’extérieur, et l’air lui semblait

particulièrement frais pour une nuit d’été. Tout son dos sembla la démanger lorsqu’elle se retournapours’occuperdelaserrure,carellesesentaitobservée.Ilyavait,aubasmot,unedizained’yeuxbraquéssurelleàcemomentprécis.WadeetMicahse

trouvaientquelquepartsurlestoits,etd’autresinspecteursétaientdissimulésdansdesvéhicules.Gagen’étaitpasentrédanslesdétails,etellen’avaitpasinsistépourensavoirdavantage.D’ailleurs, les deux hommes affalés contre la devanture de la pizzeria, à quelquesmètres d’elle,

mêmes’ilsétaientdépenaillésetpartageaientunecouvertureeffilochée,étaientpeut-êtredesagentsdeGage.Commentl’aurait-ellesu?Entoutcas,ilsparaissaientvraimentivresetsedisputaientpoursavoirquidesdeuxavaitbuplus

quel’autre,furieuxdeconstaterqueleurbouteilleétaitdéjàvide.Elleentrepritdetraverserleparking,sanssepresser.Onluiavaitsuggérédegarersonvéhiculele

plusloinpossible,afinquesonparcourssoitpluslong.CequidonneraitplusdetempsàOrdanopoursemettreenaction.Ilyavaitunedemi-douzainedevoitures stationnéesdevant lecentrecommercial.Mêmesi toutes

semblaientvides,certainesdevaientêtreoccupéespardesinspecteurs.Gage lui avait ordonné de rester visible et de se tenir à l’écart de tout ce qui pouvait servir de

cachette.Elle avançait pas à pas, les jambes aussi lourdesqueduplombet le cœurbattant si fort qu’elle

n’entendaitplusriend’autre.Ellefaisaitdesécartsafindecontournerlesvoitures,et,pourdonnerdutemps à son agresseur potentiel, décida de rassembler les chariots abandonnés. Elle s’efforçait del’obligeràquittersonvéhicule.S’ilétaitlà.Elle jetaunregardalentour,maisn’aperçutpersonne.Elle regardason4x4,qui représentaitaussi

unemenace,mêmesielleétaitconvaincuequ’ilavaitétésurveilléenpermanencedepuissonarrivée.Elledoutaitfortquequelqu’unsoitparvenuàs’yintroduire.Dumoins,c’estcequ’ellevoulaitcroire.Unpasdeplus.Ellesaisitunautrechariotetlepoussajusqu’àsonairederangement.«Enerve-le,

luiavaitsuggéréGage.Fais-luiperdrepatience.»Ilyavaitencoresuffisammentdechariotsorphelinspouryparvenirsanstropd’efforts.Ellesemitàfrissonner,mêmes’ilnefaisaitpasréellementfroid.Sesjambesdeplombsemblèrent

soudaindevenircaoutchouteuses,etellesedemandasielleauraitlaforced’atteindresavoiture.Unchariotdeplus.Ellefitdemi-touretleramenaàbonport,toutens’yagrippantpourconserverun

semblantd’équilibre.

CommentWadeavait-ilpuvivredecettemanièrependantsilongtemps?Ellenepensaitpasêtreenmesuredetenirdixminutesdeplus.Qui sait, son agresseur ne frapperait peut-être pas ce soir. Elle se dirigea vers son véhicule,

s’éloignantàchaquepasdesdeuxtypesassisdevantlerestaurant.—Tevoilàenfin!Elle ne reconnut pas sa voix. Elle se figea sur place, et sa peur se transforma en terreur

incontrôlable.Bienqu’engourdie,elleréussitàpivotersursestalons.C’étaitlui!Dèsqu’elleavaitvusonvisage,plusaucundouten’avaitétépermis.Ilpointaitsurelle

unearme,judicieusementcamoufléedanslesplisd’unevesteample.—Vous!Lemots’étrangladanssagorge,tandisqu’ellecontemplaitlevisagequiavaithantésescauchemars.—Onvaallerfaireunepetitepromenade,annonça-t-il.Unebaladebiensympathique,rienquetoiet

moi.Lepistoletétaitdirigéverssapoitrine.Uninstant,lapeurembrumasonesprit.Elleétaitparalysée,

aupointd’oubliercequ’elleétaitcenséefaire.—Avance,luiintima-t-ild’unevoixmenaçante.Elleétaitincapabledebouger,quandtoutàcoup,commelamajoritédespersonnesmenacéesd’une

arme,ellesemitàobéir,demanièrepresqueautomatique.«Non ! »Elle entendit sa propre voix hurler dans son crâne. « Jette-toi à terre !Eloigne-toi de

lui!»Elle ne pensait pas en avoir la force. C’était comme si son corps s’était statufié. Comble de

malchance, elle se trouvait dans la ligne de mire des tireurs. D’ailleurs, comment pourraient-ilsdevinerqu’ils’agissaitdel’assassin,siellenesecouchaitpas?C’étaitlesignalconvenu.Subitement, levisagedeWadeapparutdanssonesprit.Cettepensée lui rappelacedontelleétait

capable.«Plusjamaisjeneseraicettesouristerrorisée»,serappela-t-elle.Duhautdutoit,Wadeobservaitcequisepassait.L’attitudedeCoryneluipermettaitpasdesavoir

s’il s’agissait du tueur ou simplement d’un client qui lui demandait un renseignement.Elle se tenaitdebout,quoiquetrèsraide,maisn’agissaitpascommeconvenu.IlavaitbeauregarderàtraverslalunettedeviséedufusilqueGageluiavaitprêté,ilnevoyaitpas

grand-chose.Coryluibloquaitlavue.Etilnepouvaitpasfairefeusansêtresûrdesongeste.Nomd’unchien!Il retint sa respiration, craignant que Cory se fasse assassiner sous ses yeux à cause de ses

tergiversations.Maiscommeiln’avaitpasreçulesignal,ilétaithorsdequestiondetirer.Iljetauncoupd’œildel’autrecôtéduparking,endirectiondutoitsurlequelétaitpostéMicah.Il

semblaitaussihésitantquelui.Informations insuffisantes. Il reprit son observation, à l’affût d’un élément déterminant. Seule sa

longue expérience lui permettait de garder son calme, ainsi que des battements de cœur réguliers.«Oubliequ’ils’agitdeCory,serépétait-il.Nelaissepaslesémotionsprendreledessus.»«Gardetonsang-froid.Respirelentement,ledoigtsurladétente,patiente.»«Restedemarbre.»

Acet instant, lesdeuxagentsplacésdevant lapizzeria commencèrent à sequerellerbruyamment,éructantdesphrasesinarticulées.L’hommequifaisaitfaceàCoryseretournalégèrement,aussiCoryenprofita-t-ellepoursejeteràterre.C’étaitlui.Wade prit une inspiration et s’apprêta à appuyer sur la détente.Mais avant qu’il ait eu le temps

d’accomplirsongeste,ladétonationdel’armedeMicahtransperçalanuit.L’assassin s’effondra, comme une marionnette dont on avait sectionné les fils.Wade maintint sa

position,prêtàfairefeuaubesoin,tandisquelesdeuxivrognesabandonnaientcouvertureetbouteilleets’élançaientendirectiondeCory.Lorsqu’illesvitrepousserl’armedumalfaiteurpuissepencherpourlemenotter,ilretiraenfinson

doigtdeladétente.Un profond soupir de soulagement lui échappa, et il se laissa rouler sur le dos, enfin libre de

contemplerlefirmamentparseméd’étoiles.Dieumerci,toutétaitfini!Lecalmenocturnefutensuiteperturbépardeslumièresmulticoloresetlebruitdessirènes.Vidéde ses forces, il restait allongé, à remercier le ciel, jusqu’àcequ’unepousséed’adrénaline

l’obligeàselever.IldevaitrejoindreCory.Immédiatement.LorsqueWadearrivaàgrandesenjambées,ilretrouvaCorysecouéedetremblements,leregardrivé

sur l’hommequiavait tuésonmari. Ilparaissaitvivant,etellenesavaitpas trèsbiencequ’elleenpensait.MaislorsqueWaderefermasesbrasautourd’elle,elleseditqu’ellen’avaitjamaisconnumoment

plusmerveilleux.Ellesepelotonnacontreluietprononçasonnom,encoreetencore.—Çava?luidemanda-t-il,lamainposéesursanuque,luiplaquantlevisagecontresapoitrine.Elleparvintàesquisserunsignedetête.PuisellereconnutlavoixdeGage.—Raccompagne-lachezelle,Wade.Nousauronstoutletempsdediscuterquandjemeseraioccupé

decetordu.LapropositiondeGageluiconvenaitparfaitement,etelleneprotestapasnonpluslorsqueWadela

souleva et la porta jusqu’à son véhicule. Elle trouva plus embarrassant qu’il l’installe sur le siègepassageretqu’ilaillejusqu’àluibouclersaceinturedesécurité.Mais lorsqu’il eutprisplacederrière levolant,misen route lemoteuret enclenché lavitesse, il

tenditlebrasverselle,etluisaisitlamain,commes’ilcraignaitqu’ellepuissesevolatiliser.Il la prit de nouveau dans ses bras au moment de quitter le 4x4. Lorsqu’ils pénétrèrent dans la

maison, il désactiva l’alarme, mais ne prit pas la peine de la remettre en marche. Ce n’était plusnécessaire.Acettepensée,Coryneputs’empêcherdesourire.Ellenevivraitplusdanslapeur.Wadeladébarrassadesaveste,ainsiquedugiletpare-balles,puisenveloppasoncorpsfrissonnant

dansunecouvertureetl’installasurlecanapé.—Tuasbesoind’uneboissonchaude.Tuveuxuncafé?Est-cequetuasfaim?—Seulementuncafé,parvint-elleàarticuler.Ellesesentaitincapabled’avalerautrechose.Elleavaitl’impressiond’êtreencorelà-basetavait

dumalàreprendrepiedaveclaréalité.Ilpartitluipréparerlebreuvagechaud,maisrevintaussitôts’asseoiràsoncôté.Ill’entouradeses

braspuissantsetlafrictionnapourstimulersacirculation.—Tuaslatêtequitourne?Tutesensmal?Tuespeut-êtreenétatdechoc.—Jevaisbien.Lentement,maissûrement,ellecompritqu’ils’agissaitdelavérité.Lorsquelecaféfutprêtetqu’il

revintavecdeuxtasses,elleluisourit.—J’airéussi!s’exclama-t-elle.Il fallut unmoment àWade pour qu’il se détende lui aussi, laissant un sourire affleurer sur ses

lèvres.—Bravo!répondit-il.Iln’yavaitrienàajouter.Ilsrestèrentblottis l’uncontrel’autretoutelanuit.Toutd’abordsurlecanapé,puisdansle litde

Cory.Ilsnefirentpasl’amour,ilsavaientseulementbesoind’êtreserrésl’uncontrel’autre.Lesmotseux-mêmesétaientinutiles.Lorsquel’aubecommençaàpoindre,Coryavaitrenouéavecdesémotionsqu’elleavaitcruapparteniraupassé.Ellesesentaitfièreeteuphorique.Ellel’avaitfait!Elleavaitaffrontécetueuretcontribuéàson

arrestation.Elle s’était juréd’accomplircegeste,pourJimet leurbébé.C’était leplusbelhommagequ’elle

pouvaitleurrendre,maisaussisonpremierpasdanscettenouvellevie.Elle bondit hors du lit et se dirigea vers la cuisine, bien décidée à y prendre un petit déjeuner

pantagruélique.Elleavaitfaim,maissurtoutenviedecroquerlavieàpleinesdents.Wadeluiemboîtalepas,nonsansmarmonnerquelquechoseàproposd’unefemmequinesavaitpas

apprécierleconfortd’unlitdouillet,maissapointedemauvaisehumeurlafits’esclaffer,sibienqu’ilsemitàrireàsontour.C’étaitsibondel’entendrerireetdelesentirsiheureux.Ellepréparaunemontagned’œufsbrouillésetdepommesdeterrerôtiesetremplitdegrandsverres

dejusd’orange.—Jesuissifierdetoi!déclaraWadelorsqu’ilsprirentplaceautourdelatable.Venantdelui,ils’agissaitd’unsacrécompliment.—Moiaussi!répondit-elle.—Tuastouteslesraisonsdel’être.Elleluisouritetfutraviedelevoirluirendresonsourire.—Tespommesdeterrerôtiessontdivines,mabelle!—Atonservice!Elleprenaitduplaisiràcuisineretàpartagercerepasaveclui.Toutaufondd’elle,unepetitevoix

luirappelaitquecettesituationn’étaitquetransitoire,etqueWades’eniraitdèsqu’ilauraitfaitlapaixaveclui-même.Maisellenevoulaitpasypenser.Non,ellepréféraitprofiterdumomentprésent,quitteàenassumerlesconséquencesplustard,parce

qu’il était si bon de se sentir renaître, et que la vie n’avait pas de sens si l’on n’acceptait pas deprendrequelquesrisques.Uneleçonbienassimilée,depuispeu.Aprèsavoirrangélacuisine,ilsdécidèrentdepartirenpromenade,etCory,pourlapremièrefois

depuisbienlongtemps,selaissaséduireparlabeautédecequilesentourait,deschantsd’oiseauxàlabrisequifaisaitbruisserlesarbrescentenairesbordantletrottoir.Elleremarquaitenfinquetoutétaitvivantautourd’elle.Ensuite, ils somnolèrent sur le canapé, car ils n’avaient guère dormi la nuit précédente, jusqu’à

l’arrivéedeGage,quiapportaitdesélémentsderéponseàcertainesquestionsencoreensuspens.—Ordanoestàl’hôpital,sousbonnegarde.Lesmarshalssontarrivéscematin,etleFBInevapas

tarder à prendre les choses en main. Nous avons pu l’interroger dès qu’il s’est réveillé de sonanesthésie.Cory,noussavonsquil’aembauchépourassassinertonmarietquit’atrahie.—Dequis’agit-il?—D’unesecrétairetravaillantchezlesmarshals.Iln’asuffiquedequelquesmotsdouxetdedîners

envillepourqu’elletombeamoureusedecesaletype.Ellearéussiàdécouvriroùtutetrouvaisetluia transmis l’information.Maisriendeplus.Etantdonnéqu’ellen’étaitpascenséeavoiraccèsàcesdossiers,ellen’apaspuapprofondirsarecherche.—C’estincroyablecequelesgenssontprêtsàfaireparamour.—Oulorsqu’ilspensentêtreamoureux.Quoiqu’ilensoit,elleaétéarrêtée,etlesprocéduresde

confidentialité vont être modifiées, d’après ce qu’on m’a affirmé. Mais cela ne te concerne plus,désormais.—Non,etjen’ensuispasmécontente,rétorqua-t-elleavecunsourire.— Il te reste à faire ta déposition auprès des agents du FBI et à identifierOrdano comme étant

l’individuquiaassassinétonmari.D’autreschefsd’accusationvonts’ajouteràlaliste,étantdonnécequis’estpasséhiersoir.Maisunechoseestcertaine,tun’aurasplusjamaisàtepréoccuperdecetype.Ellenecessaitdesourire.—Quelsentimentmerveilleux!Jesuisincapabledevousledécrire!—Jepensequejepeuxl’imaginer.GagesetournaversWade.—Nousavonsunposted’adjointàteproposer,situdécidesdet’installerici.Réfléchis-y.Ilseleva,pritsonStetsonetlessaluatousdeuxd’unsignedelatête.— Je t’appellerai lorsqu’il sera temps de venir faire ta déposition.Ce sera probablement en fin

d’après-midioudemainmatin.—Peuimporte,jesuisdisponible.Elleétaitmêmelibrecommel’air,enfin.Etc’étaitsibon!Cependant,une foisGageparti,d’autrespensées l’envahirent.Elle se sentit soudainmalà l’aise.

Ellen’étaitpassûredevouloirconnaîtrelaréponseàlaquestionqu’elles’apprêtaitàposeràWade,maisenmêmetemps,elleavaitbesoindesavoiràquois’attendre.—Vas-tuaccepterlapropositiondushérif?demanda-t-elled’unevoixhésitante.—Jel’ignore,jedoisysonger.Çadépend…

Ellesentitsoncœursemettreàbattreàtouteallure.—Çadépenddequoi?Il se tourna vers elle. Il semblait avoir retrouvé cette expression lointaine.Ou était-ce une autre

émotionqu’elleapercevaitdanssesyeuxsombres?Del’embarras?Despréoccupationsqu’ilneluiavaitpasconfiées?Elleétaitincapabled’endéchiffrerlasignification.—Situasenviequejeresteounon.Elleeneut lesoufflecoupé. Incapabled’articuler lemoindremot,elleobservaitcevisagequise

durcissait aupointde ressembleràde lapierre.Non, ellenedevaitpas le laisser se refermer.Peuimportaitcombienellesouffraitdeserendreaussivulnérableauxblessuresqu’ilrisquaitd’infligeràsoncœur.—J’aienviequeturestes,parvint-elleàbredouiller.Sestraitssemblèrentseradoucir.—Tuessérieuse?Ellesaisitsoncourageàdeuxmains.—Jeveuxquetusoisprèsdemoiàtoutjamais.—Vraiment?C’estparcequetumeconnaisàpeine.—Jeteconnaissuffisammentpoursavoirquejeneveuxpasqueças’arrête.Tunecroispeut-être

pasaucoupdefoudre.C’étaitmoncas,autrefois.Ilm’afalludutempspourtomberamoureusedeJim.Mais avec toi… Elle marqua un temps d’hésitation. Wade, j’ai connu l’amour. Je sais à quoi çaressemble,etj’enconnaisleshautsetlesbas.Jesuisamoureusedetoi,enversetcontretout.Il resta parfaitement immobile. Elle sentit son cœur s’affoler, craignant d’avoir exigé de lui un

engagementauqueliln’étaitpasprêt.Aprèstout,ilnecessaitdeclamerqu’ilétaitincapabledenouerdesliensaffectifs.—Moiaussi,je…jecroisquejet’aime,luiavoua-t-il.Jen’aijamaisressenticela,c’estpourquoi

je n’ose pas me faire confiance, mais ce qui est sûr, c’est que… je veux rester près de toi. Pourtoujours.Personnenem’avaitjamaisfaitceteffet-là.J’ignoraisquelebien-êtredequelqu’und’autrepouvaitm’importer,aupointoùjescrutechaquemot,chaqueregard,chaquegeste.Jeveuxterendreheureuse, si tumemontrescommentm’yprendre. Jeneveuxpas te fairedemal. Jamais.Est-ceça,l’amour?Ellesepenchaversluietl’entouradesesbras.L’instantd’après,ill’enlaçaitàsontour.—Quecelanefinissejamais,murmura-t-elle.Illaissaéchapperunsoupirdecontentement.—Jeveuxt’épouser.Etsavoirquetuasenviededevenirmafemme.Jesuisprêtpourlesalliances

etlespromesses.Ettoi?Ellelevalevisagedanssadirection,espérantquesesyeuxparlaientpourelle.—Contrairementàcequejem’étaisimaginécesderniersmois,oui,jesuisprête.Sic’estavectoi.—Alors,tuacceptesdem’épouser?Ellevitsonvisages’illuminerlorsqu’elleluiréponditd’unsimple«Oui».Il laprit sur sesgenouxet l’embrassa, renforçant le lienqui lesunissait de lameilleuremanière

qu’ilconnaissait.

1

Quelqu’unl’observait.Hannah fitvolte-face.Autourd’elle tout semblaitnormal.Les trois femmeset levieilhommequi

faisaientlaqueuederrièreelleàlasupérettenesemblaientpass’impatienter.Ellenedécelachezeuxnipiétinementsrageurs,niregardsagacés.—MademoiselleMarks?l’interpellalejeunecaissier.Il avait les yeux braqués sur la carte de crédit d’Hannah tandis que ses courses étaient déjà

soigneusementemballéesdansdessacsdepapier.—Oh,désolée,Denis…Elleenfichasacartedanslelecteuravecprécipitation,bienrésolueàreprendrelecontrôledeses

émotions.Maiscettesensationd’êtreépiéepersistait.Tandisqu’elletraversaitleparking,ellejetadenombreuxregardsautourd’elle,espérantdécouvrirquil’observait.Pourquois’était-ellegaréesiloindu magasin ? Enfin, elle fut suffisamment proche de sa voiture pour déclencher à distance ledéverrouillagedesportes,puisouvrirlecoffre.Al’intérieur, lepneucrevéluirappeladefaireundétourparlastation-serviceafindeleréparer.

Elle disposa tant bien quemal ses achats autour du pneu qui occupait les deux tiers de l’espace etrefermalecoffred’ungestesec.Sonregardseperditauloinversl’unedesdeuxplagesd’Allota,uneétroitelanguedesablevolcaniquemenantaugrandbleudel’océanPacifique.L’eauétaitfroideaunorddeSanFrancisco;àpeinedixdegrésenpleinété.Alafindumoisdemai,

alorsquelesoleilétaitvoilépardehautsnuagesetqueleventsoufflaitfort,seulsquelquescourageuxavaientosébraverleséléments.Nonloind’elle,laported’unvéhiculeclaqua;Hannahsursauta.Ellen’étaitpaslaseulefemmedes

environs à être sur les nerfs ; deux assassinats non résolus de femmes seules, survenus dans leurvoiture,dansleurpropregarage,faisaientlaunedesjournauxdujour.Maislà,ellen’étaitniseule,niconfinéedansungarage,aussin’avait-elleaucuneexcuse.« Enervements et manque de sommeil », avait conclu Fran, son amie et collègue de travail,

lorsqu’elleluiavaitdécritcequ’elleressentait.Pasdedoute,Franétaitdanslevrai.Cefut toutdemêmeavecsoulagementqu’Hannahs’installadanssavoiture.Qu’avait-ellefaitdes

clés?Ellefouillasespochessanssuccès.Ellefinitparlesdénicheraufonddesonsacàmain.Tandis qu’elle se penchait pour enfoncer la clé dans le démarreur, la portière passager s’ouvrit

brusquementetunhommes’engouffraàcôtéd’elle.Unepeurintensel’envahit,luicoupantlesouffle.La peau mate, les cheveux noirs, le visage anguleux, l’individu avait un regard bleu acier quesurmontaientdessourcilsdroits.Unregardchargéd’unehainefarouche.Toutenessayantderouvrirsaportière,Hannahécrasaleklaxon.—Hannah!Arrête!s’exclamal’inconnud’unevoiximpérieuseenluisaisissantlamain.Enentendantsonprénom,ellereconnutaussitôtcettevoix.Cessantimmédiatementdelutter,ellese

tournaverslui,bouleversée.—Jack?Ilacquiesçasilencieusementtoutendesserrantdoucementsonétreinte.—Biensûr.Cenepeutêtretoi,marmonna-t-elle.Ilhaussalesépaulesavecimpuissanceetellesutalorspourquoiellenel’avaitpasaussitôtreconnu.

Il avait perdubeaucoupdepoidsdepuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus et donnait la sensationd’êtreplusvulnérable. Ilportait aussidenouvellescicatrices sur levisage ;uneprèsdunezetuneautre plus fine, le long de la joue. Ses cheveux, habituellement coupés très court, lui tombaient àprésentjusqu’auxépaulesendelonguesbouclesrebelles.Sonpremierréflexefutdesejeterdanssesbras.—Jack!Jetecroyaismort!Maisill’arrêtaaussitôtdanssonélanenlarepoussantavecfroideur.Peinée,elleretombasurson

siège,etunefoissastupeurpassée,murmura:—Quesepasse-t-il?—C’estàtoidemel’expliquer,répondit-il.—Jenecomprendspas…Ellenepouvaitrienluidire.Mêmesilenomd’Aubrielleluiétaitaussitôtvenuàl’esprit.Quesavait

Jackàproposd’elle?Etait-ellelaraisondesaprésence?—Jeveuxsavoirquit’amisesurcecoup,Hannah.C’estaussisimplequecela.Donne-moiunnom

etjedisparaîtrai.Maisellenel’écoutaitplus.Quelqu’unfrappaitàlavitre;unpetitvieillardavecd’énormessourcilstouffusladévisageait.Elle

baissalavitredequelquescentimètres.—Toutvabien?demanda-t-il,sonépaissemoustacheblancheluidissimulantlabouche.—Oui,oui,toutvabien,répondit-elle.Elle ne savait pas trop où Jack voulait en venir,mais en aucun cas la situation ne requérait une

quelconqueinterventionextérieure.—J’aiappuyésurleklaxonparmégarde.—Vousêtessûre?insistalevieilhommeenreportantsonregardsurJack.—Oui,merci,affirma-t-elleavecuneassurancefeinte.—Sivousledites,marmonnalevieilhommeenhaussantlesépaules.S’appuyantdetoutsonpoidssurunevieillecannedebois, ilfitdemi-touretsedirigealentement

versunevieilleberlinevertamande,sonlongpardessusraclantpresquelebitume.HannahseretournaversJack.—D’aprèstoi,j’auraisdûluidemanderd’appelerlapolice?—J’appellerailesflicsmoi-mêmedèsquej’auraidécouvertquit’aaidée.—Toi?Appelerlesflics?Pourquoiferais-tuunechosepareille?— J’ai eu du temps pour réfléchir, annonça-t-il avec calme. Des mois pour comprendre que tu

m’avaisdupé.Oh,jesaistrèsbienquetun’aspastoi-mêmecommisdemeurtre,maistuaslesangdeplusieursinnocentssurlesmainsettulesais.Bienquechoquéepar lesaccusationsdeJack,Hannahfutnéanmoinssoulagéedecomprendreque

toutcecin’avaitrienàvoiravecAubrielle.—TuveuxparlerdecetteembuscadeenTierraMontañosa?l’interrogea-t-elle,abasourdie.Es-tu

entraind’affirmerquej’ensuisresponsable?—Toutàfait,soutint-il.Elleôtalesclésdudémarreuret,sansvraiments’enrendrecompte,inséralesdoigtsdanslelevier

d’ouverturedelaportière.— J’ai entendu dire que tu étaismort, tué en compagnie d’autres hommes et jeté dans une fosse

commune.Commentes-tuarrivéjusqu’ici?—Jemesuiséchappé.Ilsontmassacré lesautres.Etpourqu’onmecroiemort, ilsontplacéma

montreparmilescadavresetyontmislefeu.Ildétournaleregard,semblareprendresonsouffle.Hannahelle-mêmeavaitdumalàrespirerrien

qu’àimaginerlascènequ’ilvenaitdeluidépeindre.—Jesuistellementdésolée,murmura-t-elle.Ilfitunpetitsignedetête.Elleneleconnaissaitpassibienquecela,enfait.Ellen’avaitpasséqu’unenuitdanssesbras,mais

cettenuit-là, il l’avait aidée,etcelabienplusqu’ilnepouvait l’imaginer.Aprésent, elle souhaitaitsincèrement lui offrir son aide en retour. Il donnait l’impression d’en avoir grand besoin,même si,apparemment,ilsemblaitplutôtrechercherauprèsd’ellelaconfirmationdesessoupçons.—Laisse-moit’expliquercequelegouvernementdelaTierraMontañosaarapportéàlaFondation

Starr,commença-t-elle.Legroupederebellesquiamenél’attaquesefaitappelerlesGuérillerosdelaTierra Montañosa, bien qu’ils réfutent toute implication dans cette histoire. Je pense qu’ils secomportent toujours ainsi. Leur leitmotiv est l’affranchissement de la tyrannie,mais, à la vérité, ilscherchent surtout à imposer leur propre loi. Jeme suis renseignée sur leur action depuis…eh biendepuislafameuseembuscade.Cesontdesgenshorribles,ils…D’unsignedelamain,Jackl’interrompit.—Tupensesquejeneconnaispasceshommes?Mamissionsurplaceétaitdeprotégerdesgens

comme toi de groupes extrémistes comme le GTM. Mon travail consistait à débusquer cesorganisations terroristes et identifier leurs meneurs, alors arrête de prétendre tout m’expliquer. JechercheàdécouvrirquileuracommuniquélesinformationsconfidentiellesleurpermettantderéussircetteembuscadeàCostadelRio.Ilsdevaientavoirunindicateurinfiltrépourmonteruncouppareil.Ils connaissaient parfaitement notre itinéraire ainsi que notre emploi du temps. Et c’est toi qui asorganisécetteexpédition…—Oui,c’estbienmoi.—Alors,quid’autreétaitaucourant?—Jusqu’audépartduconvoi,personneàparttoi.Desmenacesontétéproféréesmaisnousavons

ététenusdegardercetteinformationsecrète.—Etlefilsdufondateur,quelestsonnomdéjà,HugoCorrea?

—Oui,etalors?—Etait-ilinformédecesmenaces?—Non,biensûrquenon.Tuneprétendspasqu’HugoCorreaentretientdesliensaveclesrebelles,

n’est-cepas?—Quelmalyaurait-ilàcela?Est-cepolitiquementincorrectd’accuserunhommemort?—HugoCorrean’estpasmort…Jacklevalessourcilsdesurprise.—Quedis-tu?—Tun’espasaucourant?—Maisnon !Bonsang ! Jenesuis revenuauxEtats-Unisquedepuisdeuxpetites semaines.Ma

premièreidéeaétéderequérirl’aidedemasœur.Jel’aitrouvéeenpleinedépressionetc’estelleenfaitquiavaitbesoindemoi.Ensuite,j’aidécouvertqu’elleétaitenceinte.Ladernièrefoisquej’aivuHugoCorreaetseshommes,ilsétaientdansuncamionavecunetrentainedeguérillerosleurpointantlecanondeleursarmessurlatempe.Plustard,onm’aapprisqu’ilsavaientétéliquidés.Lafondationagardélamajoritédelaprimed’assurancepoursescadresetadûpayerunesommeastronomiqueauxrebellespourleurlibération.J’aiaussientendudirequetuallaisêtredésignéepournégocierlasortiedeprisondesmembresduGTM.Encequimeconcerne,jen’auraispaschoisicetteoption,ajouta-t-ildoucement.Correaetl’hommequil’accompagnaitontpassédessemainesàl’hôpital.Apparemment,Correaatentédes’enfuirensautantducamionetareçuuneballedanslajambe.Lablessureseseraitinfectée. L’autre homme, un type nommé Harrison Plumber, a attrapé une sorte de complicationgastrique.Dèsqu’Hugoestsortidel’hôpital,SantiCorrealuiaconfiélesclésdelafondation,plusoumoinsdebongré.Jacksefrottalesyeux.—Ah,monDieu,murmura-t-il.Puis,setournantverselle,ilajouta:—Dis-moijustequic’était.—Dequiparles-tu?—Avecquiétais-tudemèche?Etpourquoi?Tul’asfaitpourdel’argent?Jenevoispasd’autre

explication.Quepouvais-tuattendred’autredecesgens?—Evidemment que je ne l’ai pas fait pour de l’argent ! s’écria-t-elle tandis que lemot argent

résonnaitdanssatête.Jen’airienàvoiravectoutcela.—Lesgensfontparfoisdeschoseshorriblespourunbeaupaquetdefric,dit-il.Ellefrémitsousl’insulte.Sonregardseperditauloinversl’océan,del’autrecôtédelaroute.Ce

n’étaitpaspossible…—Hannah?Elletournalesyeuxversluisansvraimentlevoir.ElleseremémoraitlejouroùDavidétaitvenu

chezelleavecunjolimagotpourluidemanderdelecacher,toutenluifaisantjurerdegarderlesecret.Cette démarche l’avait surprise— leurs rapports étaient plutôt chaotiques— et tout à coup, il semettaitàparlermariageetluiproposaitdefuiràl’autreboutdumonde…Qu’est-ce que tout ceci avait à voir avec l’histoire de laTierraMontañosa ? Pourtant, à présent

qu’elleavaitreliélesfaitsentreeux,pourquoineparvenait-elleplusàendétachersonesprit?—Jen’aipasoubliéquec’estlanuitprécédantl’embuscadequetum’asséduit,repritJack.Toutce

quejetedemandeàprésent,c’estlenomdelapersonne,hommeoufemme,quit’aembringuéedanscettehistoire.MaisHannahnel’écoutaitplus.Elletâchaitdeseconcentrer.Commeinconsciente,ellesortitdela

voitureetattrapasonsacàmain.Soninstinctluidictaitdes’éloigner,defuir.Toutdesuite.Jack futprèsd’elleenun instantet luiagrippa fermement lebras.Uneseulequestion ravageaità

présentl’espritd’Hannah.Davidétait-ilmêléàtoutcela?Etsitelétaitlecas,qu’allait-ellefaire?Quepouvait-ellefaire?Ilstraversèrentlarouteàdeuxvoies,puissefrayèrentuncheminparmilesrochers,lesboismortset

lesalgues jonchant lagrève.Jack lui lâcha lebrascommeelle trébuchaitsurunvieux troncd’arbredéraciné.Elleseretournaverslui.Ilétaitimpressionnantdanssachemiseblancheclaquantauventcontresa

peaubronzée,tandisquesonregardbleuazurbrillaitd’unelueursauvage.—Tum’épiesdepuisdes jours,dessemainesmême, lança-t-elle,soulagéed’avoirenfin identifié

lescausesdesonmalaise.Mais cela n’arrangeait pas les choses pour autant. La présence de Jack dans le tableau pouvait

expliquer cette désagréable sensation d’être observée,mais ses terribles accusations et sa venue àAllotan’auguraientriendebon.—J’aisouventsentitonregardsurmoi,ajouta-t-elle.—Impossible,rétorqua-t-il.JenesuisarrivéenCaliforniequ’hiersoir.—Jenetecroispas.—Denousdeux,cen’estpasmoilementeur.Elle s’assit surunvieux troncmortet tentad’organiser sespensées. Il fallaitqu’elle rentre seule

chezelle.Aussidevait-elleconvaincreJackqu’ellen’avaitrienàvoiraveccettetragiqueembuscade.Ainsi, il irait chercher ailleurs. Elle le regarda à travers ses longuesmèches fouettées par le ventcapricieux.—Quetulecroiesounon,j’étaisvraimentsincèrelanuitoùnousnoussommesconnus,avança-t-

elle.J’étaisunefemmedésespérée,abattueparlamortdesoncompagnon.Abattue par la culpabilité, plutôt. Elle avait failli avouer àDavid qu’elle n’était pas amoureuse,

qu’ellevoulaitqu’ilreprennesonargentetdisparaissedesaviequandilavaittrouvélamortdansunstupideaccident.—Correaaproposédemedispenserdel’accompagnerenAmériqueduSudpourl’ouverturedela

nouvelleécole,histoiredemechangerlesidées,etj’aifailliaccepter.Lesgensmereprochaientmatristesse,maisj’avaisdumalàsupporterlamaladiedemongrand-pèreetlamortdeDavid.Aufinal,j’ysuis toutdemêmealléeetc’estainsiqueje t’airencontré.TuconnaissaisDavid; tu t’esmontrécompatissantettendre.Tum’asbeaucoupparlé,tum’asofferttonaide.C’estaussisimplequecela.—Disleschosessincèrement,Hannah,insistaJackens’agenouillantenfaced’elle.Il l’encadrade sesbraspuissants,prenant solidement appui sur levieil arbremort.Sonvisageà

quelquescentimètresdusien,ilmurmurad’unevoixtendue:

—N’essaiepasdem’embobiner,tuveuxbien?Tonpetitamiétaitmortdepuismoinsd’unmois.Onabuquelquesverres,tuaspleuré,puisons’estenvoyésenl’aircommedesfous.Cettenuit-là,jesuisrestédormiravectoi,chosequejenefaisjamais,maisj’avaisdumalàtequitter.Pourquoi?Jen’ensaisrien.Peut-êtreparcequejemesentaiscoupable,perturbéaussi.Jesuisd’ailleursarrivéenretardaurendez-vousavecCorreaetilafalluquelecortèges’ébranleenfinpourquejereprennepleinementmesesprits.Ensuite…ehbientuconnaislafindel’histoire.Tun’étaispaslà;pourquoi?Il avaitmartelécesmotsavecune telledéterminationqu’ils résonnaient sans relâchedans la tête

d’Hannah.Allait-elledevoirsefaireviolenceetluiavouersesdoutesàproposdeDavid?AumoinsJackdétournerait-ilsonattentiond’elleunmoment.Maisilétaittroptôt;ilyavaitd’autrespersonnesimpliquées.Elleluttapourrecouvrersoncalmeetreprit:—J’étaisdéjààl’école,jem’yétaisrenduedirectementdepuisl’hôtel.Jenefaisaispaspartiede

l’expédition.Jedevaisjusteêtrelàunpeuplustôtpourtoutorganiser.Ilacquiesçad’unmouvementdetête.—Donc,selontoi,tun’asabsolumentrienàvoiraveccequis’estpassé.—Pasplusquetoi,répondit-elleenrepensantàDavidetàladernièrefoisqu’ellel’avaitvu.Non, elle devait se tromper.David ne pouvait pas avoir été un traître.Adoucissant la voix, elle

ajouta:—Mêmesituavaisétédanslavoitured’HugoCorrea,celan’auraitrienchangé.—Lesdeuxhommesquiontprisplacedanscettevoituresontmorts,rétorqua-t-il.Deshommesqui

travaillaientpourmoi.J’auraisdûêtreaveceux.—J’aivulesphotosprisesaprèsl’embuscade.J’aivucequ’ilsontfait.Tunet’enseraispassorti,

Jack.C’estunmiraclequ’ilyaitdessurvivants.—Mamissionétaitdem’assurerquepersonnenemeure.—Jenetecomprendspas,répliqua-t-elleaveccolère.Lesseulsresponsablessontlesrebellesqui

n’hésitent pas à supprimer des vies innocentes pour parvenir à leurs fins. Tu connais bien leursméthodes, tu saisparfaitementdequoi ils sont capables. Ilsn’hésitentpasà enrôlerdesenfants. Ilssoutiennentdescartelsdedrogueafindefinancercequ’ilsosentappelerdupatriotisme.Ilstuentsanspitié ceux qui veulent les quitter.Moi, je travaille pour une organisation humanitaire fondée par unhommequisouhaiteaméliorerl’éducationdesenfantsenAmériqueduSud,lesaideràseconstruireunfuturmeilleur.Commentpeux-tupenserquej’aiequoiquecesoitencommunavecleGTM?Jacks’écartad’elleetdardasonregarddanslesien,à larecherchedelavérité.Ellecrutenfiny

décelerunelueurdedoutequantàsaculpabilité.Un an plus tôt, alors qu’il la rejoignait au bar de l’hôtel afin de préparer le programme du

lendemain,elleétaittoutdesuitetombéesoussoncharme.Grand,beauetténébreux,ilpossédaitundecesregardsbleuquifaitfondrelesfemmes.Leurattiranceavaitétéimmédiate,etilavaitraison:lesinstantspassésensembleétaientvraimentmémorables.Amaigri,àprésent,maisd’unecertainefaçonplusanimal,plusvirilaprèsdesmoisdeprivation,il

exhalaitencoreunpuissantsex-appealcapabledefaireflancher la femmelaplusfidèle.Sonregardn’étaitnidouxnichaleureux,songeaHannah,maisiléveillaitenelleunsentimentd’impuissancedontellen’étaitpasfière.—Jetelaisse,annonça-t-elle.Jedevraisêtreàlamaisondepuisunedemi-heure.Salut.

Elleselevaetfitquelquespasavantdeseretourner.—Jack?Tumecrois,n’est-cepas?—Jenesaisplus,avoua-t-il.—Jenecomprendspaspourquoic’estsiimportantpourmoi,maisilfautquetumecroies.Jet’en

prie,insista-t-elle.Ilpassalamaindansseslongscheveuxafindedégagersonvisage.—Lesfaitss’emboîtaientsibien,dit-il.J’étaistellementsûrquec’étaittoi!— Mais toi, comment as-tu pu t’échapper, Jack ? Je m’étonne qu’on n’en ait pas parlé aux

informations.—Personnenesaitquejesuisderetour.—Tunet’espasrenduauconsulat?Iltefallaitbienunnouveaupasseport,non?—Pasdelafaçondontjesuisrentrédanslepays.—Tuveuxdirequetuesrevenudefaçonillégale?Maispourquoi?Tuesunhéros…—J’aivouluréapparaîtrediscrètementafindedécouvrirlavérité,expliqua-t-ilenjetantunregard

auloin,versl’océan.Jen’avaispasenviedemeperdredansdestracasadministratifs.Jeverraicelaplus tard. J’ai le sentiment qu’il y a une bombe à retardement cachée quelque part et je ne peux latrouver.—Oh,Jack,jesuisdésolée.Illuilançauncoupd’œilfurtif.—Jepensaisquetuauraislesréponsesàmesinterrogations.Jen’ensuisplussisûràprésent…—Jesupposequejedoism’encontenter,commenta-t-elleavantdereprendresonchemin.—Retrouve-moicesoir,dit-ilsoudainenlaprenantparlebras.—Jenepeuxpas,murmura-t-elle.C’estimpossible.Les doigts de Jack glissèrent le long de son bras, puis s’attardèrent sur samain en une caresse

légère.—Maissi.ViensàFortBraggjustepouruneheure,murmura-t-ild’unevoixplusdouce.FortBragg, situé à quelques kilomètres au sud d’Allota, hébergeait la FondationStarr.Hannah y

étaitencoreuneheureauparavant.—Jesuisdésolée.— S’il te plaît, insista-t-il. J’ai besoin d’en savoir plus sur tes préparatifs à Costa del Rio. Le

moindresouvenirpeutêtreutile.Jedoisdécouvrircequis’yestpassé,Hannah.C’estbeaucoupplusimportantquetunelecrois,maisjenepeuxt’endireplus.C’estbienplusénormequel’embuscadeetsademi-douzainedemorts.Etiln’estpasseulementquestiondevengeance.Baissant lesyeux sur leursmainsenlacées, elle se remémoracommeelle s’était sentieperdueen

apprenantsadisparition,lelendemaindeleurnuitd’amour.Saperte,survenantjusteaprèsledécèsdeDavid,l’avaitréellementconvaincuequ’elleportaitmalheurauxhommesquientraientdanssavie.Avait-elle secrètement espéréquecettenuit torride allait semuer enune relation sérieuse ?A la

vérité,oui.CeJackStarling l’avait totalementséduite,depuis lepremier jouretaujourd’huiencore.Maislasituationavaitévoluéetilétaittroptardàprésentpours’impliquer.

—Cen’estpaspossible,Jack.—Moiaussijesuisdésolé,murmura-t-il.Marchantcôteàcôte,ilsparcoururentlecheminensensinverse.Duhautd’unedune,ilsaperçurent

surleparkingpresquedésertlavoitured’Hannah,àl’arrièredusupermarché.Ilsnes’étaientabsentésqu’unedemi-heure.Lescoursesdanslecoffrenedevaientpasavoirtropsouffert,àpartpeut-êtrelacrèmeglacée…L’explosion ne fut pas spectaculaire, mais si inattendue qu’elle projeta Hannah contre Jack. Il

l’entoura aussitôt de ses bras puissants afin de la protéger. Le garde du corps en lui s’étaitinstinctivementréveillé.Jetantunregardeffrayépar-dessussonépaule,Hannahvitunépaisnuagedefumées’échapperdesa

voitureenuntourbillondevolutesnoires.

2

Sur la demande des officiers de police, Jack présenta sa carte d’identité, priant pour qu’ils nedécouvrent pas qu’il s’agissait d’un faux. Le nomde famille qui y figurait étaitCarling, au lieu deStarling.Touts’étaitbienpassélorsduderniercontrôleet,apriori,iln’yavaitpasderaisonqu’ilenaille autrement aujourd’hui. Les policiers prirent quelques notes, lui rendirent ses documents etreportèrentleurattentionsurlevéhiculeendommagé.Hannah s’était éloignée afin de passer un appel en toute discrétion et revenait à présent dans sa

direction, affichant une mine désespérée. Jack se demanda alors si elle avait sa petite idée surl’identité du poseur de bombe, ou si l’un de ses proches, ayant appris les événements par lesinformations,luiavaitfaitpartdesoninquiétude.Ilignoraittantdechosesàsonsujet!Regroupés autour de la voiture encore fumante, les officiers de police, assistés des pompiers,

poursuivaient leur enquête et prenaient des notes en se concertant. Déjà, le crépuscule s’annonçaitalors que la brise s’accentuait, faisant danser les cheveux d’Hannah de façon désordonnée. Elle seplaça face au vent afin de remettre de l’ordre dans sa chevelure et débarrasser son visage de cesmèchesrebellesd’unblondcuivré.L’observantdiscrètement, Jack fut troubléde ladécouvrirplusconfiante,plus forte et assurément

moinsvulnérablequelorsdeleurpremièrerencontre.Elleétaittoutaussiattirante,c’étaitindéniable,voireplusexcitanteencore.Iladoraitpar-dessustoutsonpetitnezlégèrementretrousséetlesquelquestachesderousseuréparpilléessursespommettes.Maintenantqu’ils’étaitenfinrapprochéd’elle,qu’ilavaitpulavoir,luiparler,iln’étaitplusaussi

sûrdesonimplicationdanscetactehorriblequ’avaitétél’embuscadedelaTierraMontañosa.Ilavaitl’intimeconvictionqu’Hannahdisaitlavérité,maisqu’ellecachaitparailleursdesfaitsqu’ilsedevaitdedécouvriràtoutprix.—Qu’est-cequiabienputelaissercroirequejet’espionnais?interrogeaJack.—Cen’estpasimportant,répondit-elleavantdedétournersonattentionversunpointauloin,par-

dessussonépaule.Ilseretournaetvitquel’undespolicierss’étaitdétachédugroupeetsedirigeaitverseuxd’unpas

décidé.Hannahjetaunbrefcoupd’œilàJacketallarapidementàsarencontre.Jacknefutpaslongàcomprendre,àlafaçondontelletournaitlatêtepourparleravecl’officier,qu’elletenaitàgarderleurspropossecrets.Ilavaitusédecegenredestratagèmetoutaulongdesapropreexistence.Ilravalasonimpatienceet,lesyeuxclos,fitlevidedanssonesprit,s’employantàretrouverenlui

cettesérénitéquil’avaitaidéàendurerseslongsmoisdecaptivité.Pourunhommehabituéàmaîtriserla situation, il n’y avait riendeplus frustrant quede se retrouver à lamerci d’êtres sans scrupulescommecesguerriersduGTM.Maisilavait trèsviteacceptéquelaseulefaçondesurvivre, toutenpréservantsesfacultésmentales,étaitdes’adapteràlasituation.La tension logée dans lesmuscles de sa nuque disparut peu à peu, tandis que la brise venant de

l’océan jouait avec sa chevelure et fouettait l’étoffe de sa chemise contre son torse. Il se concentra

uniquementsurlecridesmouettesetletumultedesvaguessefracassantauloin.Lebruitenvironnants’estompaprogressivement.Ilsesentaitenfinlibre.Finislesbarreaux,leschaînesautourducou,laperpétuellesensationdefaiminassouvieet,surtout,

lescanonsdesmitraillettesluilabourantlescôtesàtoutmoment.Finisleshurlementsdedétresse,lesmenaces,laterreur.Maisilsubsistaitenluidenombreusesinterrogations.Unepartdelui-mêmerefusaitd’accepterque

les événements se soient déroulés commeHannah le prétendait.Quant à disparaître sur-le-champetreprendre le coursde savie comme si rienne s’était passé, il savait au fondde son cœurqu’il nepourrait jamais s’y résoudre. Son existence mouvementée l’avait endurci et fait de lui un hommeaccompli,aujourd’huibiendéterminéàdécouvrirlavérité.Ilrouvritlesyeux;Hannahl’observaitdeloin.Elleportaitunpetithautcouleursaumonenparfaite

harmonie avec le rosenaturelde ses lèvres.Acet instantprécis, il lui semblan’avoir jamaisprêtéattentionaudessindesabouche.Ilseressaisit;cen’étaitpaslemomentdeselaisserdistraireparlesouvenirdugoûtsuavedeseslèvresoudesdélicieusescourbesdesoncorpsoffert.Certes,ilavaiteurecours à ces images pour soulager les souffrances de sa captivité,mais à présent, il devait restermaîtredelui-même.HannahacquiesçadelatêteauxproposdupolicieretfitlechemininverseversJack,sapoitrinese

balançantdoucementaurythmedesespas.Ileutsoudaintrèsenvied’elle.—Jerentreàlamaison,Jack.L’officierLatimerproposedetedéposerquelquepartenville.IljetaunregardverssaHarley,garéeàl’extrémitéduparking.GrandmerciàEllaetSimond’avoir

veillésursamotodurantsonabsence.—Nonmerci,répondit-il.—Bien.Aurevoir,alors.Jesuissoulagéedetesavoirenvie.Prendssoindetoiettâched’oublier

lepassé.Tuméritesd’êtreheureuxàprésent.S’appuyantsurseslargesépaules,ellesehissasurlapointedespiedsetluidéposaunpetitbaiser

surlajoue.Lachevelured’Hannahsentaitbonlefrais.Illuipritlamainavantqu’ellenes’échappe.—Vas-tuenfinm’expliquercequetuentendaispartesentirobservée?—Jepensequejemefaisdesidées,répondit-elletandisqu’illarelâchait,àcontrecœur.—Enas-tuparléàlapolice?—Biensûr,répondit-elleendétournantleregardafindedissimulerceténormemensonge.Jacknefutpasdupeuneseconde.Pourquoin’avait-ellepasinformélesautorités?—Quelqu’unatoutdemêmemislefeuàtavoiture,chérie,dit-ildoucement.Tudevraispeut-être

prendrecetavertissementausérieux.—Lapolicem’aassuréquelabomben’étaitpasplacéedansl’intentiondemeblesser.Ilyaeudes

cassimilairesdanslarégion,ajouta-t-elle.Ilspensentqu’ils’agitd’unengindepetitetaillequel’onafixéaupotd’échappement.Tusais,mêmesijem’étaistrouvéeàl’intérieur,jem’enseraistiréesansaucuneégratignure.J’iraidéposerlavoitureaugaragedemainenespérantqu’ilspourrontlaréparerauplusvite.Voilà.Findel’histoire.—Oh,cen’estpassisimple,Hannah,rétorquaJack.—Si,Jack.Toutestdit.Jesuisdésoléequetu tesoisretrouvéimpliquédanscettehistoire,mais

c’estmieuxpournousdeux.Bonnechance,etpuisses-tutrouvercequetucherches!Jedoisyaller,àprésent.Tuvois,l’officierLatimermefaitsignedemedépêcher.Aurevoir,Jack.—Attends…,dit-il.Mais elle ne lui offrit qu’un vague sourire compatissant tout en s’éloignant. Il n’insista pas et se

contentad’observer,impuissant,levéhiculedémarrer.Jack demeura là quelques instants, perdu dans ses pensées, tandis que la dépanneuse, suivie du

camion de pompiers, quittait les lieux et que les quelques curieux, attirés par le spectacle, sedispersaientd’unpasnonchalant.Cependant,troispointsmajeursdemeuraient.Premièrement,Hannahavaitpeur.Maisdequi,aujuste?Deuxièmement,ellenevoulaitpasqu’ilsacheoùellehabitait.Pourquoi?Qu’avait-elleàcacher?Etenfin,troisièmement,avait-ellelanaïvetédepenserqueluicachersonadressesuffiraitàletenir

àdistance?

***

Lamaisonqu’Hannahpartageaitavecsagrand-mèresesituaitnonloindel’océan,nichéedansunpetit quartier boisé bien tranquille. Comme toujours, rentrer chez elle lui procura une profondesensationd’apaisement.Toutparticulièrementcesoir,oùellevenaitdeseconfronteràunhommeaussidéterminéqueJackStarling.Sagrand-mère,MimiMarks,étaitunevieilledamedesoixante-treizeansplutôtexcentrique.Elle

arrangeaitsescheveuxgrisendelonguestressesetavaitunfaiblepourlessalopettesenjean,amplesdepréférence,etleschaussuresdecouleursvives.Ilyavaitmaintenantbienlongtempsdecela,elleavait aidé sonmariàbâtir cettepetitemaison.Lesvendredis soir,onpouvait àcoupsûr la trouverbuvantdelabièreoujouantauxcartesavecsesamies,installéeschezl’uneoul’autre,selonl’humeurdumoment.ElleseprécipitapouraccueillirHannahsurlepasdelaporte.Cejour-là,elleportaitsimplement

une longue tunique verte qui se terminait par de fines rayures orange et brunes. AutantMimi étaitsimpleetpétillante,autant,parcomparaison,lamèred’Hannah,toutjusteremariée,étaitprétentieuseetsnob.Enfait,sesgrands-parentsl’avaientplusoumoinsélevée,samèreayantd’autresoccupationsplusimportantes.—Dis-moilavérité,commençaMimi.Tuessûrequeçava?—Çava,Mimi,toutvabien.Commejetel’aiditautéléphone,jen’étaismêmepasdanslavoiture.—Qui pourrait bien te faire une farce pareille ? demanda la vieille dame avant d’ajouter, sans

attendresaréponse:J’aireçudesdizainesdecoupsdefildetoutAllota.CertainsdisentquelapoliceimputelesfaitsàunebandedepetitsvoyousdeFortBragg.Hannahnefutpassurpriseoutremesure;lesragotsallaienttoujoursbontrainàAllota.—Tu vois ! Ce n’est donc pas la première fois que ce genre d’incident arrive, en conclut-elle.

CommentvaAubrielle?—Trèsbien.Elleabulelaitquetuavaistiré.Vavitelavoir; jesaisquetuenmeuresd’envie.

Bon,pourcesoir,ceseraundîneràlabonnefranquettepuisquelescoursessontpartiesenfumée.

—Nousironsremplirlefrigodemain,avectavoiture,réponditHannah.Ellepénétradanslamaison,traversalelongcouloirquidesservaitleurschambresrespectivespour

s’arrêterdevantcelled’Aubrielle.Tapisséedanslestonsroses,lejourmêmeoùl’échographieavaitrévélélesexedubébé,lapetitechambreaupapierpeintfleuriétaitcertainementunpeurococo,maisavaitledond’attendrirHannah.Mimi,quisouhaitaitàl’époqueunedécorationàbasedevertpommeetdejaunecanari,avaitcachésondépit.Aprèstout,lamamanavaittoujourslederniermot.Aprésent,cenourrissonâgédetroismoisreposantdanssonberceaucaptivaitl’attentiond’Hannah.

Elle entra dans la pièce, espérant que le bébé s’éveillerait au son de ses pas, souhaitant plus quejamaislaprendredanssesbras,lacouvrirdebaisersetpeut-êtrebienavoirlebonheurdeluidonnerlesein,silafaimsefaisaitsentir.Cependant,Aubrielleavaitdéjàlesyeuxgrandsouverts.Hannahlasoulevaetlanichaaucreuxde

sesbras,toutcontresapoitrine;lebébésemitàgazouilleretHannah,enproieàuneimmensevaguedetendresse,sentitsoncœurs’emballer.Ellepritunegrandeinspirationetmurmuraàl’oreilledesafille:—J’aivutonpapaaujourd’hui.Pourlapremièrefois,elles’entendaitprononcercettephraseàvoixhaute.JackStarlingétaitbienle

pèred’Aubrielle.Elleenétaitsûre.Ilavaitsuffid’uneseulenuitd’amourpourengendrerlaplusbellecréatureaumonde.—Jeveuxquetusachesquejenelelaisseraijamaisvenirbouleversertavie,monpetitamour.Je

t’enfaisleserment.Toietmoiformonsunefamille.Jenevaispasaccepterqu’unétranger,parcequ’ilesttongéniteur,aitdesdroitssurtoi.Net’inquiètepas,monange,toutirabien.C’estnotresecret.Elless’installèrentdanslerocking-chairquifaisaitfaceàlafenêtre.Hannah,repoussantleslarmes

quil’assaillaient,retrouvaunsemblantdeplénitudeenluioffrantlesein.Elledétestaitmentir.Deplus,ellesesavaittrèsmauvaiseàcepetitjeu.Jackméritaitlavérité,ça,elleenétaitpersuadée,maislasécuritéetlebien-êtred’Aubriellepassaientavanttout.Jackétaitungardeducorps,unduràcuire,etlepeuqu’Hannahsavaitdesavieluiprouvaitqu’ilétaittoutsaufunpèreresponsable.Lapreuveenétait son obsession actuelle. Sur de simples pressentiments, il se permettait d’accuser de pauvresinnocentsdespirescrimes.Deplus,ilsepromenaitdanslepayssanspasseport,danslapluscomplèteillégalité. Hannah se dit qu’une année de mauvais traitements au fin fond de la jungle avait trèscertainementaltérésesfacultés.ElleévitaitdesongeràDavid,àlaTierraMontañosaetàl’embuscadedeCostadelRio.L’espace

d’un instant,elle futconvaincuequeDavidn’étaitpas impliquédanscettehistoiresordide ; ilavaitd’ailleurs trouvé lamort plusieurs semaines avant la fameuse expédition. Il n’avait jamaismis lespiedsàCostadelRio,saresponsabilitéprofessionnelleselimitantauterritoiredesEtats-Unis.Mais alors, d’où provenait cette somme considérable ? Pourquoi lui avait-il demandé la plus

grandediscrétion?Soudain, elle se souvint queDavid lui avait remis l’argent dans un sac de sport.Où l’avait-elle

rangé?Dans sonbureauà lamaison?Non, elle l’avait emporté à son travail ; elle s’en souvenaitclairement. Elle avaitmême transvasé les billets du sac dans son porte-documents.Y avait-il autrechosedanslesac?Elletâchadeseremémorerlesévénements.Illuisemblaalorssesouvenirdelaprésence d’une note manuscrite accompagnant les billets, au fond du sac. Qu’avait-elle fait de cemaudit sac ? L’avait-elle simplement déposé dans son casier ou était-il sagement rangé dans le

compartimentverrouillédesonbureau?Secreuserainsilatêteneluiapportantaucuneréponse,elledécidaqu’illuisuffiraittoutsimplement

defairedesrecherchesdèssonarrivéeaubureau,lelendemainmatin.Ellefermalesyeux,etlapremièrepersonneàlaquelleellepensafutJack,etnonDavid.Leregard

de Jack.Labouchede Jack.Sa silhouette.Lorsqu’il l’appelait doucementchérie, tout son être s’entrouvait chamboulé, sans défense. Le souvenir de la nuit torride qu’ils avaient passée ensemble luiapparutendecrusdétailsimagésquiluiéchauffèrentlessens.Commeellereposaitsatêtesurlemontantdurocking-chairetqu’Aubriellesenourrissaitgoulûment

àsonsein,sonregards’égaraauloin,àtraverslecadredelafenêtre,verslecielparsemédepetitsnuagesquiviraitlentementducrépusculeàlapénombre.Elleavaitchoisicetemplacementprécispourlavueetsesvertusreposantes;maiscesoir,elleneparvenaitpasàtrouverunquelconqueapaisement.Elleavaitl’étrangesensationquequelqu’un,depuislejardin,étaitentraindel’espionner.L’éclairagede la chambre lui sembla soudainement trop cru, lui infligeant la désagréable impression d’êtreexposée,commesurledevantd’unescène.Y avait-il réellement une présence, là, dehors ?Cette idée était stupide, et absolument infondée,

maislemalaisen’enétaitpasmoinsprésent.Jackavaitcertainementraison.Elleauraitdûavertirlapolice.Mais,d’unautrecôté,l’évocationd’uneenquêteofficielle,avecJackStarlingdanslesparages,l’effrayait.Ellenesouhaitaitenfaitqu’unechose:qu’ilquittelaCaliforniepourdebon.Si,àlasuitede son départ, elle ressentait encore quelque appréhension, elle en toucherait un mot à l’officierLatimer.Lui,aumoins,semblaithumainetcompréhensif.Ellepouvaitavoirconfianceenlui.Bercéeparsamaman,Aubrielleserendormitrapidement.Perduedanssespensées,Hannahsereprit

soudain ; il lui fallait à toutprixdompter sesémotions.Elle se levaavecprécaution, sapetite fillesomnolantdanssesbras.ElledéposaunbaisertendredanssonpetitcoutoutdouxavantderecoucherAubrielledanssonberceau.Elles’assuraensuitequelafenêtreétaitbienverrouilléeettiralesrideauxavantd’éteindreetquitterlachambreenrefermantlaportederrièreelle.Laveilleuseorangéeenformede champignon nimbait la pièce d’une lueur douce et bienveillante. Aubrielle était en sécurité, etc’étaitlachoselaplusimportantepourHannah.EntraversantlecouloirpourrejoindreMimi,elleperçutunevoixd’hommevenantdusalon.Pensant

tout d’abord que celle-ci provenait de la télévision, elle fut surprise d’entendre sa grand-mère luirépondre. Encore sous l’emprise des péripéties de la journée, elle se précipita dans le salon avecappréhension.Mimiétaitassisesurlecanapé,etJacktranquillementinstallédanslefauteuilbleu,unverredevin

blancàlamain.IlsseturentdeconcertetdévisagèrentHannahlorsqu’ellefitirruptiondanslapièce.Jack posa son verre et se leva d’un bond. Avec sa chevelure désordonnée et son expression

orageuse,ilavaitl’aird’unmercenaireparachutéparerreuraubeaumilieud’unjardind’enfants.L’aird’unsalegosseeffronté.—Hannah.TonamiJackmeracontaitvotrevoyagedanslaTierraMontañosa,expliquaMimi.Tune

m’avais jamais parlé de lui ! Bon, toujours est-il que je l’ai invité à dîner ce soir, même si nousn’avonspasgrand-choseàluioffrir.Machérie,tuasunemineterrible;assieds-toi.Jetesersunverredevin,annonça-t-elleengagnantlacuisine.—Commentas-tudécouvertmamaison?demandaHannahd’unevoixsourde.—Jesuisallévoir lecaissierde la supérette, je luiaiditque tuavaisoublié tescourses sur le

parking et je lui ai proposé de te les ramener. Il n’a pas hésité une seule seconde àmedonner tonadresse. Il paraît que sa propre belle-mère joue souvent aux cartes avec ta grand-mère. C’estl’avantagedespetitesvilles;toutlemondeseconnaît!—Commenttepermets-tudet’inviterchezmoi?Quemeveux-tuencore?—Justem’assurerquetuvasbien,répondit-ilenseréinstallantconfortablementdanslefauteuil.—Arrêtedementir!lançaHannah.—Bon,j’avoue.Jesuisrevenucarjesensquetumecachesquelquechose…Luiprenantlesmains,ill’attiraàluietlafitasseoiràsoncôté,surlerebordducanapé.—Pourquoies-tusinerveuse?—Tun’étaispasobligéd’accepter.—Tagrand-mèrem’ainvité,répondit-ilavecaplomb.Mimiréapparutavecunverredevinqu’elletenditàHannah.Puis,arborantunlargesourire,ellese

plaçabienfaceàeux,lesmainssurleshanches.—Vousdeux,bavardeztranquillementdupassétandisquejemechargedudîner.Nousn’avonspas

grand-chosemais je vaisme débrouiller.Au fait, Jack, auriez-vous connu un Français travaillant àCostadelRio?—UnFrançais?—Oui,unexpatrié.—Non,désolé.Jenemesouviensd’aucunFrançais…—Jemedisaisquevousl’aviezpeut-êtreconnu…Hmm…Vousavezbienvécuplusieursannéeslà-

bas,n’est-cepas?Hannah,poursapart,n’yapasséquedecourtsséjoursetvousm’avezditquevousaviezpasséunesoiréetouslesdeuxetque…—Grand-mère,intervintHannahafind’évitercesujetbrûlant.Etcedîner?—Oh, jemedisais juste qu’il serait bien d’avoir des nouvelles du papa d’Aubrielle, se justifia

Mimi.Tunemeparlesjamaisdelui…Hannah encaissa le coup. Cela dut se lire instantanément sur son visage, car Mimi et Jack la

dévisagèrent,visiblementintrigués.—Jesaisbienquenousnedevonspasparlerdelui,insistaMimi,etquetuconsidèrescetteunion

commeuneénormeerreur,maisjemedisaissimplement…—Jackneleconnaîtpas,tranchaHannah.—Jenesavaispasquetuétaismaman,murmuraJack,surpris.— Mais je vous ai dit tout à l’heure qu’Hannah était occupée avec Aubrielle, avança Mimi,

perplexe.—J’aipenséqu’Aubrielleétaitunefemme.—Bon,jevaisvoircequejepeuxcuisiner,annonçaMimienfuyantverslacuisine.Dèsqu’ellefuthorsdelapièce,JacksetournaversHannah,leregardinquisiteur.—Toi,tuasunbébé?Hannahbutunegorgéedevinetsoupira.

—Oui,avoua-t-elle.—Quelâge?—Troismois.—C’estdrôle,jenemesouviensd’aucunexpatriéfrançaisvivantàCostadelRio.Puis,lalumièresefaisantdanssonesprit,ilmurmura:—OhmonDieu,Hannah,est-ce…monenfant?Ilavaitl’airterrifiéparl’ampleurdecetterévélation.Tantmieux,seditHannah.—Non,Jack.Aubriellen’estpastonenfant.—Pourtant,lesdates…—Non.—Est-ce…Davidlepère?Aprèsunmomentd’hésitation,Hannahapprouvad’unsignedetête.—Pourquoialorsnepasavoueràtagrand-mèrequec’estDavidlepère?demandaJack.—C’estcompliquéàexpliquer…—Essaietoujours;jesuistoutouïe.—Ehbien,ilestprécisédanslerèglementintérieurdelafondationquetouterelationintimeentre

sesmembresesttotalementinterdite,etnousavonsenfreintcetterègle,Davidetmoi.Iln’estpluslàaujourd’huietjen’aiaucunintérêtàremuerlepassé.Jepourraisbienyperdremontravail,alorsquej’enaiplusquebesoin.—Là,tuesentraindetejustifier,rétorquaJack.—Biensûrquejemejustifie!C’estuneréactionnaturellequandtoutvadetravers.Onfaitdeson

mieuxpourqueleschosess’arrangent,dit-elleavantdeprendreuneprofondeinspiration.Magrand-mèreconnaissaittrèspeuDavidetsurtoutpaslarelationquinousunissait.Commetuasput’enrendrecompte, elle n’est vraiment pas douée pour garder les secrets. Et puis, il fallait aussi prendre enconsidérationlafamilledeDavid.Sesparentsontdéjàprèsd’unedouzainedepetits-enfantsetviventàdesmilliersdekilomètres.Jenelesaijamaisconnus.J’aitoutsimplementdécidéderaconterquelepèred’AubrielleétaitunFrançaisquej’avaisrencontréenAmériqueduSud.Maistoutceciestbienloindenospréoccupations…—Donc,tuétaisenceintequandnousnoussommesconnus?Elleleregardadroitdanslesyeuxavantd’approuverd’unbattementdecils.—SiAubrielleaeffectivementtroismois,celanousramèneà…—ToutjusteavantqueDavidnedécède,toutàfaitM.l’inspecteur,tranchaHannah.—Reprends-moisijedivague,maistadécisionderompreavecDavidadûaffreusementtetorturer

etteculpabiliser,n’est-cepas?—Celanet’estjamaisarrivé,àtoi,decouchersansressentirlemoindresentiment?riposta-t-elle.—Touché.Dis-moi,ilestmortjustelelendemainmatin,enserendantautravail,n’est-cepas?—Oui. Il était sur son vélo. Le chauffeur du camion qui l’a percuté a déclaré queDavid avait

dérapésurdesgraviersetchutéaubeaumilieudelaroute,soussesroues.

Jackl’observaquelquesinstants,imaginantl’horribleaccident,avantdepoursuivre:—Tusais,j’aifinalementdécidédetecroire.Jenepeuxpasimaginerquetuaiestrempédanscette

histoired’embuscade.Ellefutsoulagéedesesentirenfininnocentéeet,surtout,dechangerdesujet.—Bien.Etpeut-onsavoircequit’afaitchangerd’avis?—Jenesaispastrop,àvraidire.Enfait,jepensequetuessuffisammentintelligenteetruséepour

avoirmontélecoup,maispasassezcruelle.—Jesuissoulagéedetel’entendredire,répondit-elle.—Maistusais,ouplutôt,tususpectesdeschoses.Quicherches-tudoncàprotéger?Hannahvidasonverred’untraitetlereposad’ungesteunpeubrusque.Ilétaittempsdemettreles

chosesaupoint.EllesepenchatoutprèsdeJacket,d’unevoixsévère,déclara:—Parlonspeu,parlonsbien.Tun’esqu’unétrangeravecquij’aipasséunenuitexceptionnelle,ily

aunpeuplusd’unan.C’estunfait indéniable.Commetume l’assibienrappelécetaprès-midi,etavecforcedétails,cen’étaitqu’uneaventuresexuelleetriend’autre.Jenevaispasmeconfondreenexcuses,maisterevoirestplutôtembarrassant;aujourd’hui,avectoutcequiestarrivé,onnepeutpasdirequejemesoismontréesousmonmeilleurjour.Suis-jebienclaire?—Toutàfait!Sijeneconnaissaispasencorelahonte,voilàquiestfait.Tuviensdemetaillerun

beaucostumepourl’hiver,ironisa-t-il.Ilmarquaunebrèvepause.—Unenuitexceptionnelle,as-tudit?Il affichait un sourire canaille tandis qu’elle le dévisageait, furieuse. Mimi provoqua une trêve,

annonçantdepuislacuisine:—J’aipréparédesgalettesdesojaaccompagnéesdelégumesfrais!—Magrand-mèreestpersuadéed’êtreuncordon-bleu,chuchotaHannah.Maisjepeuxt’assurerque

cen’estabsolumentpaslecas.—Jenesuispasdifficile.Jemangecequ’onmesert,rétorquaJackenhaussantlesépaules.Puis,voyantqu’ellenegoûtaitpaslecomiquedelasituation,ilajoutad’unetraite:—J’aimeraisbienvoirl’enfantdeDavidetjesuisréellementaffamé.Hannahselevad’unbond.C’enétaittrop.Jackreprésentaitunréeldangerpourelle,pourlebébé,

pourleuravenir.Ilfallaitqu’ilparteafinqu’ellepuissefairelepointsurlesdoutesquil’assaillaient.Peut-être,aufinal,accepterait-elleunjourdelespartageraveclui,maiscen’étaitpasenvisageablepourlemoment.Ilfallaitqu’elleparvienneàleconvaincrededisparaître,neserait-cequ’unesemaineoudeux,letempspourelledemenersapropreenquête.Fransavait-elledeschosesàproposdecetteexpédition ? En qualité de directrice des ressources humaines de la fondation, elle donnaitl’impressiond’avoirsonpetitdossiersurchacundesemployés.—Tevoilàsoudainàdesannées-lumièred’Allota,ditJackenvenantseplacerjustedevantelle.—Lajournéeaétérude,Jack,réponditHannahensepassantlamaindanslescheveux.Jemesens

traquée sans répit par une présence invisible, et toi, tu viens m’accuser d’être de mèche avec unmeurtrier. Laisse-moi tes coordonnées au cas où un fait importantme reviendrait à l’esprit, que jepuissetetenirinformé,dit-elleaveccynisme.Aprésent,jevaisprendreunebonnedoucheetpendant

monabsence,jetesauraigrédeprésentertesexcusesàmagrand-mèreetdet’éclipsergentiment.Est-cetroptedemander?—Beaucouptrop,affirma-t-il.Jen’aiquetropattendu.Letempsfile…—Cettehistoiredatemaintenantd’unan.Nousnesommesplusàquelquessemainesprès,argumenta

Hannah.—Cen’estpassisimple.Jet’aidéjàditqu’iln’estpassimplementquestiondevengeance.Ilssedévisagèrentquelquesinstants,tousdeuxdansuneimpasse.Lasituationétaitinsensée,songea

Hannah;elleétaitlà,chezelle,etJackavaituncertainculotderefuserdes’enaller.Lorsqu’il détourna son regard, elle crut qu’il s’absorbait dans la contemplation de leur propre

image,sereflétantdanslavitrederrièreelle.Laseconded’après,ilétaittoutprès.Illapritdanssesbrasetl’entraînaaveclui,laforçantàsejeteràterre.Elleeneutlesoufflecoupé.Soncorpsmusclélamaintenaitclouéeausoltandisquesesmainsencerclaientsonvisage.Ellerassemblatoutessesforcespourrepoussersontorsepuissant,maisillamaintenaitfermement.Unebrèveexplosion,suivid’uncriauloinetd’autresbruitsinintelligiblessemirentàbourdonner

dans les oreilles d’Hannah. Une pluie de petits morceaux de verre les inonda, rebondissant sur lemobilier,dansantsurtoutelasurfaceduparquet.Jackresserrasonétreinte;elleréfrénauncridedétresseenpensantàAubrielle.

3

—Qu’est-cequisepasseici,bonsang?s’écriaJackavantd’aiderHannahàserelever.—Jen’ensaisrien!répondit-elle,leregardaffolé.Mimirevintprécipitammentdelacuisine.—Regardez!Lafenêtre!s’écria-t-elle,horrifiée.HannahetJackvirentuntroubéantaubeaumilieudelavitrefracassée.—C’étaituncoupdefeu?demandalavieilledame.—Non.Jepenseplutôtàungroscaillou,réponditJack.Hannahs’employaitàôterlesmorceauxdeverredontelleétaitcouverte.Puiselles’élançaversle

couloirmenant à la chambred’Aubrielle, dontonentendait lespleurs s’éleverdepuis le fondde lamaison.Maissagrand-mèrel’interceptarudement.—Turisquesdelablesseravectoutceverre!Laisse-moiyaller,ordonna-t-elleenquittantlesalon

d’unpasdécidé.—Vas-tutedécideràmedirecequisepasse,Hannah?demandaJackd’untonexcédé.Ellesemblasurlepointdel’envoyerpromener,maisseravisa.—Jen’enaipaslamoindreidée,avoua-t-elle.—Allons, dis-moi ; tout ceci ne te surprendpas tantque cela. Il y a eud’autres incidentsde ce

genre,n’est-cepas?—Maisnon,répondit-elle.Peut-êtrebien…Oh,jenesaisplus!Riendecomparable,entoutcas.Il

y a bien eu le cambriolage, mais aucun objet de valeur n’a été dérobé. As-tu vu quelqu’un àl’extérieur?— J’ai aperçu une voiture ralentir, puis repartir en trombe, répondit Jack. De quel cambriolage

parles-tu?—Tuastoutdemêmedesacrésréflexes,admit-elletoutensedébarrassantdespetitsmorceauxde

verreprisdanssescheveux.—Quelcambriolage?—Oh,c’estarrivé justeavantque jeviennem’installerchezMimi.Quelqu’uns’est introduitpar

effractiondansmonancienappartement,enville.Lapoliceestvenuefairesonrapport,etcommeiln’yavaitpaseuvol,l’histoireenestrestéelà.Jackfronçalessourcils,tentantderelierentreeuxlesdifférentsévénements;onl’avaitcambriolée,

on avait fait exploser sa voiture, et à présent, on lapidait sa maison. Y avait-il un lien avecl’embuscadedelaTierraMontañosa?Aveclepeud’informationsqu’ilpossédaitsurlavied’Hannah,commentaurait-ilpuparveniràunetelleconclusion?Ilparcourutlapièceduregardetfinitpardénicherunpavéd’unetaillerespectablequiavaitterminé

sacoursesouslatablebasse.Ils’emparad’undespetitsnapperonsquidécoraientlesflancsducanapé

afindelesaisirsansydéposersesempreintes.Unmotyétaitattachéparuneficelledecotonblanc,disponibledansn’importequellequincailleriedupays.—Aurais-tudesgantsencaoutchouc?demanda-t-il.Hannah gesticulait pour faire tomber les derniersmorceaux de verre qui la recouvraient. Tandis

qu’elletentaitdeserecoiffer,sonsweat-shirtremontalégèrement,dévoilantunebandedepeauclaireàhauteurdunombril.Avecsescheveuxemmêlésetsesvêtementsfroissés,elledonnaitl’impressiondesortirdulitetJacksentitrenaîtresondésir.—Dans lacuisine,sous l’évier, répondit-elleenremettantde l’ordredanssa tenue.Jedoisaller

voirsiAubriellevabien.Tandisqu’ellequittaitlesalon,Jackobservaseshanchessebalancerdefaçonsuggestive.«Ressaisis-toi,Jack»,pensa-t-ilensedébarrassantàsontourdeséclatsdeverreaccrochésàses

vêtements.Déposantavecprécautionleprojectilesurledessusdelatélévision,ilgagnalacuisineoùuneforte

odeurdebrûlél’assaillit.Lapoêleavaitétéretiréedufeu,maissoncontenuétaittoutsaufappétissant.Celadit,ilavaitconnupire,notammentdurantsacaptivité.IltrouvaeffectivementlesgantsencaoutchouclàoùHannahleluiavaitindiquéetrejoignitlesdeux

femmesdanslesalon.—Dieumerci,elles’estaussitôtrendormie,annonçaHannah.Elles’étaitmunied’unepelleetd’unebalayetteets’employait,sous le regardattentifdeMimi,à

ramasser lesmorceaux de verre éparpillés dans toute la pièce.Dans un coin, l’aspirateur attendaitd’entrerenscène.IlfallutquelquesinstantsàJackpourcomprendrequ’Hannahparlaitdesonbébé.—Trèsbien,commenta-t-il.Aprésent, labrisenocturnepénétraitdans le salonpar le troubéantde lavitre. Jacksortitde la

maisonetgagnal’atelierdugrand-pèred’Hannah,oùMimiluiavaitassuréqu’iltrouveraitunrouleaude filmplastique ainsi qu’une agrafeuse. Il avait souhaité, en premier lieu, découvrir le contenu dumessage,maislebien-êtredubébéluidictaitd’observercertainespriorités.Ilavaitparailleurslecontrôledelasituationetpersonnen’étaitblessé.C’étaitleplusimportant.

De retour dans le salon, il vint se placer autour de la table oùHannah etMimi s’étaient installées.Hannahavaitinsistépourouvrirelle-mêmelemot,argumentantqu’illuiétaitassurémentdestiné.Parcequelesgantsétaientbeaucouptroppetitspourseslargesmains,Jackavaitfiniparaccepter.Lepapierutiliséprovenaitd’unbloc-notesclassiqueetlesmotsquicomposaientletexteavaientété

découpésdansplusieursmagazines.Lemessageétaitcourtetdirect;Hannahlelutàhautevoix.«Labomben’apasétéposéepardesjeunes.Laisseztomberetmêlez-vousdevosaffaires!»MimietJackdévisagèrentHannahet,ensemble,luidemandèrent:—Qu’est-cequeçasignifie,Hannah?—Maisjenesaispas!sedéfendit-elle.—Tuessûre?insistaJack.— Absolument sûre, répondit-elle sur un ton qui se voulait ferme, mais révélait néanmoins une

certainetension.

—Tout d’abord, on brûle ta voiture, etmaintenant on vient nous attaquer à lamaison,murmuraMimi,dépitée.—L’undenous,etjepensesurtoutàAubrielle,auraitpuêtreblessé.Etpourquellesraisons?Je

n’aifaitdemalàpersonne!s’écrialajeunefemme.—Apparemment,quelqu’unpenselecontraire,ditJack.—Qui,àlafin?demanda-t-elle.Maisiln’yavaitpourl’instantaucuneréponseàcettequestion.Toustroisétaientabsorbésdansla

contemplation du message, comme s’il allait spontanément révéler son auteur. Puis Jack reprit laparole.—Commentcettepersonnea-t-ellefaitlelienentrelabombeetlesjeunes?—Parceque lapoliceenaparlé touthautsur leparkingde lasupérette, rétorquaMimid’un ton

condescendant.ToutsesaittrèsviteàAllota.Puis, se dressant sur la pointe des pieds afin de se grandir, elle poursuivit avec une pointe

d’humeur:— Ecoutez-moi bien, vous deux ! Je meurs de faim et le petit plat que je vous ai concocté est

complètementbrûlé.Nouspourronsmieuxnousconcentrer leventreplein.JedescendsenvillenouschercherduchinoischezShangaiLo.Ellesaisitsesclésdevoitureetsonsacàmainavantdeseretournerverseux.—Toutlemondeaimelebœufauxbrocolis,jesuppose?Jeprendsaussiunesoupedecrabe?—C’estparfait,réponditJacktandisqu’Hannahsemblaitperduedanssespensées.DèsqueMimifutpartie,Hannahsemitàarpenterlesalon,enproieàuneprofonderéflexion.Elle

vintensuitesecamperjusteenfacedeJack.— Je dois prendre une douche et me débarrasser du moindre petit morceau de verre avant

d’approcherAubrielle.Pourrais-tutendrel’oreilleaucasoùelleseréveillerait?Ensuite,tupartiras.Ilauraitpréféréqu’ellel’inviteàpartagersadouche.—Biensûr.—Nelaprendspasdanstesbras,s’ilteplaît.Viensjustefrapperàlaportedelasalledebainss’il

yaquoiquecesoit.—Rassure-toi,jenelatoucheraipas,répondit-ild’unevoixsèche.Lorsqu’il entendit l’eau couler, Jack lutta intérieurement pour ne pas laisser vagabonder son

imagination,maislatentationétaitvraimenttropforte.Unanauparavant,Hannahetluiavaientprisunedouche,longueetsensuelle,aubeaumilieudelanuittropicale.Jackl’avaitsoulevéedanssesbrasetelleavaitenroulésesjambesautourdesatailletandisquel’eaufraîcheinondaitleurscorpsenlacés.Ilrevoyaitlespetitesgouttesd’eauquisinuaientlelongdesoncouetvenaientmourirdanslecreuxdesesseinsofferts.Lefeuquilesconsumaitsurpassaitdeloinledegréd’humiditéambiante,etlesparoisvitrées de la cabine s’étaient vite nimbées d’unebuéeopaque.Ce souvenir particulièrement torridel’avaithantédurantlespremierstempsdesacaptivité.Il entendit alors de petits gazouillis et, inspirant profondément, chassa de son esprit ces pensées

voluptueuses.Illuifallaitàprésentvérifiersil’enfantdeDavidétaiteffectivementéveillé.Jacks’immobilisasurlepasdelaporte;jamaisiln’avaitvuunetelledominantederose!Ilhésitait

àentrer,mais lebébésemanifestaenchouinant.Allumant leplafonnier, ils’approchaduberceauetdécouvrit Aubrielle. Elle était si menue ! Il l’observa quelques instants, paralysé devant une tellevulnérabilité. Il pouvait distinguer lesminuscules veines courir sous sa peau d’un blanc immaculé,légèrementtranslucide.Lesommetdesonpetitcrâneétaitcouvertd’unlégerduvetbrun.Ellenesemblaitpasfranchementréveillée,enfait.Elleremuaitparà-coups,émettantdespetitssons

etsouriantdanslevide,deminusculesbullesdesaliveéclosantsurseslèvres.C’étaitlapremièrefoisqu’ilapprochaitunbébéd’aussiprès.LebébédeDavid.Bonsang…Ils s’étaient connus dans les marines. David était pilote d’hélicoptère ; Jack, tireur d’élite. Ils

avaientconduitensemblequelquesmissionsàhautrisqueavantdeseperdredevue.Jackavaitdonceutoutloisirdel’étudier,etcertainstraitsdesapersonnalitéluiavaientfranchementdéplu.Davidétaitunêtreprofondémentégoïste,n’hésitantpasàdéguiserlavérité,àprendredesrisquessuperflus,quitteàmettre laviedesescompagnonsendanger.Deplus, ilétaitdugenreàaccepterunpetitdessousdetablequandl’occasionseprésentait.D’unecertainefaçon,lamortdeDavidétaitplutôtlabienvenue.Eneffet,Jacknepouvaitl’imaginer

en père responsable.Mais la vie lui avait récemment appris qu’avec du temps et de la volonté, larédemptionétaittoujourspossible.Lavieoffraitsouventunedeuxièmechance.Davidavait-ilsaisisachance?Jack,poursapart,avaitsugagnerlaconfianced’unefemmeaussi

belleetremarquablequ’Hannah;peut-êtreenavait-ilétédemêmepourDavid?—Est-elleréveillée?demandaHannahdepuisleseuildelachambre.Embarrassé,ilseretourna,unsourirecoupableauxlèvres.Ilétaitsurlepointdecaresserlajoue

d’Aubrielle,curieuxdevérifiersisapeauétaitaussidoucequ’ellelesemblait.—Jepensequeoui,répondit-ilens’écartantduberceaucommesicedernierrecélaitunebombesur

lepointd’exploser.Hannahlefrôlaens’approchantdesonenfant,répandantdanssonsillageunedoucesenteurfleurie.

Elle avait revêtu un pantalon et une tunique noirs, qui rehaussaient la blancheur de sa peau. Sachevelurerousse,encorehumide,ondulaitplusquedecoutume.Elleétaitsexyendiable.Ilfaillitenoublierderespirer.—J’imaginequetuasdestasdechosesàfaire,avança-t-elleensoulevantAubrielledanssesbras.

Mercipourtonaide,cesoir.—Changeonsdesujet.—Jack…—Jen’irainulleparttantquenousn’auronspaseuunepetiteconversationtouslesdeux.Hannahpoussaunprofondsoupir.—JedoisallaiterAubrielle;tupourraisallerm’attendredanslesalon…— Pas question. Ne t’occupe pas de moi. Je me retourne, si tu veux, mais il faut qu’on parle.

Maintenant.Jacks’exécutaetcroisalesbras.Aprèsuncourtmomentd’hésitation,Hannahreprit:—Jenevaispasm’adresseràtondos,Jack.Allez,retourne-toi.Illuiobéit,s’adossantcontrelechambranledelaporte.Hannahs’étaitchastementdrapéed’unchâle

roseentricot.Jacknepouvaitapercevoirquelepetitpiedd’Aubriellequiendépassait.Biendécidéàmettreleschosesaupoint,ilattaqua:—Tuasvraimentbesoind’aide,Hannah.—Non.—Tuesaucœurdelatourmente,quetuleveuillesounon.— Si tu entends par là que je ne sais absolument pas pourquoi on s’en prend à moi, là, tu as

parfaitementraison.—Sais-tucequejetrouveplutôtamusant?Elleledévisageaavecuneappréhensionvisible.—Non.Quoidonc?—Quetun’aiespasprévenulapolice,cesoir.—Qu’est-cequecelaauraitchangé?—Les policiers auraientmené leur enquête, cherché des indices, analysé lemessage, tenté d’en

retrouverl’auteur…—Apartird’unevulgairefeuilledepapier,demotsdécoupésdansdesjournauxetd’uncaillou?—Lesempreintesdigitales,tuconnais?Lestracesdepneussurlaroute?Etlesvoisins?Ilsont

peut-êtrevuquelquechose…—Et,d’aprèstoi,queferaientlespoliciers,enpremierlieu?Jackl’interrogeaduregard;ellepoursuivit:—Ilscommenceraientparenquêtersur toi,Jack.Tuesunétranger, ici.Quelleest laraisonde ta

présence?D’oùmeconnais-tu?Etsijamaisilsvenaientàdécouvrirquetespapierssontfaux?—Cesontmeshistoires,répondit-il.Celaneteconcernepas.—Apartirdumomentoùtutetrouveschezmoi,celameconcernetoutàfait.Etcequivautpour

moivautpourmonbébé.— Si tu ne portes pas plainte, ta grand-mère ne pourra réclamer aucun dédommagement aux

assurances,lasermonna-t-il.—Elleneferaaucuneréclamationcarelleapeurquel’assurancerésiliesapolice.J’aiunepetite

réserved’argentquejevaisutiliserpourluioffrirunenouvellefenêtre.Ilabandonnalalutte.—Jevaistefaireuneproposition,ajouta-t-elle.Situt’engagesàpartirsur-le-champ,jeprometsde

prévenir la police. Je leur exposerai les détails de l’incident ainsi quemon impression d’être sanscesseépiée.Je leurdonnerai lecaillouet lemessage.Jenesuispas tenued’informer lacompagnied’assurances, car ma grand-mère n’y tient pas, mais les autorités seront officiellement saisies. Aprésent,tupeuxreprendretaroute.Jackrefusad’unsignedetête.—Pastantquetumeraconterasdesmensonges.Jeveuxdécouvrirceluioucellequetucherchesà

protéger;cedoitêtreunmembredelaFondationStaar.—Oh,pitié!Tunevaspasrecommenceravecça,seplaignit-elle.—Jenet’aipasencoreracontécequej’aivulà-bas,danslajungle,annonçaJack.

Aubrielle se mit à pleurer. Hannah parvint à rectifier adroitement la position du bébé tout enréajustantsonchâle.—Retourne-toiquejerattachemonsoutien-gorge,luidit-elle.Ensouriant, ilobéit.C’étaitplutôtamusantde ladécouvrirsoudainaussipudique,ellequis’était

promenéenuedevantluisansaucuncomplexe.—D’accord,qu’as-tuvu?demandaHannahentapotantdoucementledosdubébé.Ilauraitaiméqu’elleserapproche,luipermettantainsidebaisserlavoix.Lagravitédesfaitsqu’il

sepréparaitàrelaterméritaitunpeuplusd’intimité.Hannahseréinstalladanslerocking-chair,Aubriellesomnolantdanssesbras,bienauchauddansle

châlerose.Jackparcourutlapièceduregard,àlarecherched’unsiège,etdénicha,dansuncoin,uncoffreàjouetsdebois.Ill’apportatoutprèsd’Hannahets’assitsursoncouvercle.—Toutd’abord,lesguérillerosconnaissaientmonhistoire.Ilssavaientquej’avaisétémercenaire

parlepassé.Ilsm’ontréservéuntraitementspécial,metenantàl’écartdesautres.Audébut,j’aipenséquec’étaitparcequejeparlaisespagnol,maisjemesuisrenducomptequ’ilssecomportaientcommes’ilscherchaientàmetester,espérantpeut-êtrequejechangedecampenleuroffrantmonaide.Hannahécarquillalesyeux,incrédule.—Etqu’as-tufait?— Je n’avais plus rien à attendre d’eux à partir dumoment où ils avaient commencé à tuer les

otages. Puis, je me suis dit que si je voulais un jour parvenir à m’échapper, je devais être pluscoopératif.J’aijouéauprisonnierbiensagetoutengardantmessensenéveil.—Mais…—Jevaisraccourcir l’histoire; jesuisconvaincuquelaFondationStarrestpartieprenantedans

l’actionduGTM,qu’ellesoutientcesterroristesetravitailleleurscampsdeguerre.Jedoisdécouvrirquiestimpliquéetdequellefaçon.—C’estcomplètementabsurde!s’exclama-t-elle.SantiCorreaetsonfilsHugoneferaientjamais

unechosepareille.—Qu’ensais-tu?Commentpeux-tuenêtreaussisûre?Elleobservauncourtmomentderéflexion.—Dans ce cas, ne pourrais-tu pas saisir nos autorités, ou celles de la TierraMontañosa, et les

laissermenerleurenquête?—Tupensesbienqu’àlaminuteoùj’airéussiàm’échapper,lescampsdanslesquelsj’aiséjourné

ont été déplacés vers d’autres positions. Je les sentais s’activer au montage d’une opérationd’envergure.Peude tempsavantmafuite, je lesvoyaiss’entraîneractivementàprendred’assautunbâtimentimaginaire.Çaressemblaitentoutpointàlapréparationd’uncoupd’Etat.—Soisplusprécis.—Jepensequ’ilssepréparentàattaquerdeslieuxpublics,desimmeublesparexemple,etqu’ils

n’hésiterontpasuneseulesecondeàmassacrerdesinnocents.Lesgouvernementssontbeaucouptroplents et s’embourbent dans de longues procédures. Il leur faudrait desmois pour vérifierma réelleidentité,lapertinencedemontémoignage,etcomprendrepourquoij’aipassélafrontièreavecdefauxpapiers.Entretemps,leGTMauralargementeuletempsdebouclersonopération.

—Jevaisêtretrèsclaire,annonça-t-elle.Jepeuxcomprendrequetusoisdirectementconcernépartoutecettehistoire,maiscelan’arienàvoiraveccequim’arriveaujourd’hui.—Vraiment?Enes-tusûre?Ilvitdanssonregardquecen’étaitabsolumentpaslecas.Illuipritdoucementlamain.—Hannah,mêmesicelanet’apparaîtpasclairement,tafamilleettoi-mêmen’enêtespasmoinsen

danger.Tudoisprendrecesmenacestrèsausérieux.Tantqu’ils’agissaitdepetitsincidents,cen’étaitpas grave, mais aujourd’hui, tu as de gros soucis et je te sens terrifiée. La bombe aurait pu fairebeaucoupplusdedégâts,voiretetuerainsiquequiconquesetrouvantsurleparking.Lepavéàtraverslafenêtreauraittrèsbienpuêtreuneballederevolver.Tantquetun’auraspasacceptél’idéequetureprésentesunemenacepourceluiquiteharcèleetqu’ilnevacertainementpasenresterlà,tucoursunréeldanger.—Sijevaisvoirlapolice,jedevrairacontertoutel’affaire,etilsvontsemettreàéplucherlesvies

detouteslespersonnesimpliquées.Situastort,nousauronsentachélacrédibilitéd’unemagnifiqueorganisationhumanitaire.Jenedoutepasquecescampsexistentréellement,maisdetesaffirmationssurleslienslesrattachantàlaFondationStarr.LeGTMdoitavoirdescontactsdanstouslepays.—Tunem’aspasbienécouté.—Aucontraire,Jack,rétorqua-t-elle.Jenesuistoutsimplementpasconvaincue.—Alors,pourlacentièmefois,quicherches-tuàprotéger?—Ohnon,pasencorecerefrain…Jackdodelinalatêtededépit.—Ecoute-moibien ; jesuis làetnebougeraipas tantque jen’auraipasdécouvert le finmotde

l’histoire.—C’est tonpointdevueet jenemesenspasconcernée.Cen’estpasparcequenousavonsété

amantsletempsd’unenuitilyabienlongtemps…—Justement!Laisse-moidevenirtongardeducorpspersonnel!Ainsi,onpourraunirnosforceset,

ensemble, tirer cette histoire au clair.Et je pourrai assurer ta protection. J’ai besoin dem’installerquelquepartletempsdemenermonenquête.—Horsdequestion!Jen’aipasbesoindeprotection.—Ahoui!Tupensesvraimentcequetudis?—J’ensuistoutàfaitconvaincue.Celanemarcherapasentrenous.Tudoispartir,Jack.—Tutetrompes,énonçaunevoixdansledosdeJack.Ilsdécouvrirent enmême tempsMimiqui se tenaitdans l’encadrementde laporte,visiblementà

l’écoutedeleursdernierspropos.—Grand-mère…,commençaHannah.— Tu te trompes totalement, Hannah Marie. Depuis l’époque où ton grand-père nous a quittés

jusqu’à ladécouvertede tagrossesse, tuas tentéde tout faire touteseule.Mais tuasbesoind’aide.Nousavonsbesoind’aide.—Peut-êtrebien,acquiesçaHannahàcontrecœurenjetantunregardsombreàJack.Maispasdela

partdecethomme!Mimi promena son regard tout autour d’elle dans une attitude volontairement comique avant de

rétorquer:—Bien.Quelautrehomme,alors?—Grand-mère…—Vousêtesembauché,Jack,tranchaMimienleregardantdroitdanslesyeux.—Maistuneleconnaismêmepas!argumentaHannah,visiblementoutréedevanttantd’aplomb.Lavieillefemmeapprouvad’unlargesignedetête.—Tuastoutàfaitraison;jeneleconnaispas.Maisjel’aimebien,ettoiaussi.—Parlepourtoi,maugréaHannah.—Peu importe. Si tu ne veux pas de lui en qualité de garde du corps,moi, je l’embauche pour

protégermapetite-fille adorée.Ce seraune trèsbonnechosed’avoirunhommedans laplacepourprendresoind’unpetitbébésansdéfense.Acceptez-vouslamission,M.Starling?—Avecplaisir,réponditJackdutacautacavantqu’Hannahn’aitpuprotester.

4

—Tudormirasici,ditHannahàJackplustarddanslasoirée,alorsquelamaisonavaitrecouvrésoncalme.Aubrielle dormait paisiblement dans son berceau qu’Hannah avait pris soin de déplacer dans sa

proprechambre. Iln’étaitpasquestionde laissersonbébéseul,dansunepiècemunied’unefenêtredonnantsurl’extérieur.Mimis’étaitéclipséedepuislongtempsdéjàetdevaitdormiràpoingsfermés.Jack,quiavaitcatégoriquementrefusédelaisserlesfemmesseulesletempsdeserendreaumoteldeFortBragg afin de récupérer ses effets personnels, avait finalement cessé de la tarabuster avec sesquestions.Se tenant près d’elle, il parcourait du regard la pièce qui avait été le refuge de son grand-père

jusqu’auxderniersjoursdesavie.Lesmursétaienttapissésdelivresanciensmaissonbureauavaitmigré dans une autre pièce et était désormais à la disposition d’Hannah lorsqu’elle travaillait à lamaison. Ainsi, cette pièce était devenue une chambre d’amis. Le placard était rempli de cartonsbeaucouptroplourdspourêtremontésaugrenier.Hannaheutuneétrangesensation,commesitroisâmesemplissaientàprésentlapetitepièce;elle,

Jack, et le spectre de leur première et unique nuit ensemble. Ce souvenir existait par lui-même,dépassant la simple addition de leurs deux êtres. Il était là, bien présent entre eux, et attendait lapremièreoccasionpourrenaître.—Chérie,prononçadoucementJack,sonregardluisantdanslapénombre.Hannah pouvait sentir son désir se propager en ondes puissantes auxquelles elle se promit de

résister.—Profitonsdecetinstantderépitpouravoirunebonnediscussion,proposa-t-elle.Illadépassa,luifrôlantnégligemmentlapoitrinedesonbras,ets’assitsurlefuton.Illuifitsignede

venirprendreplaceàsoncôtéenarborantunpetitsourirecoquin.—Jet’écoute.Elleallaouvrirlaporteduplacardetattrapaunsacdecouchageperchétoutenhautsurunepilede

cartons.Elleleluilançaetpritunoreiller.—Ils’estpassépasmaldechosesdepuisquenousnoussommesrencontrés,commença-t-elleen

gardantsesdistances.Ellelevaundoigtsentencieuxalorsqu’ilouvraitlabouchepourrépliquer.—Etjeveuxdire,àchacundenous.Toutestdifférentàprésent.Nousnesommespluslesmêmes.

Tuespeut-êtreparvenuàt’incrusterdanslamaisondemagrand-mère,mais…—Jenepourraipasm’incrusteraussidanstonlit?trancha-t-ilenfinissantsaphrase.Serrantl’oreillerdanssesbras,dansunréflexedeprotection,elleacquiesçad’unsignedetête.Ilposalesacdecouchageàcôtédeluisurlefuton,selevaetvinttoutprèsd’elle.—Jenem’invitejamaisdanslelitd’unefemme.J’attendsquecesoitellequilefasse,répondit-il

avecaplomb.

Hannah savait bien qu’il en avait été ainsi lors de leur première nuit. Elle soutint son regard etdéclara:—Ehbien,sachequejenet’inviteraipascesoir.—Queldommage…,luimurmura-t-ilàl’oreille.Puis,redevantsérieux,ilchangeadesujet:—Tagrand-mèrem’aapprisquetun’allaisàlafondationquedeuxfoisparsemaineetque,lereste

dutemps,tutravaillaischeztoi.Donctunet’yrendrasqu’après-demain,n’est-cepas?Sesouvenantquelanotequiaccompagnaitl’argentqueDavidluiavaitremisdevaitsetrouverdans

lesacdesport,ellerépondit:—Enfait,jedoisyfaireunsautdèsdemainmatin.Ilmefautrécupérerlacopied’undossierquia

brûlédansl’incendiedelavoiture.Enplusdecela,nousavonstousunechargedetravailbeaucoupplusimportanteàcausedelajournéeportesouvertesdelafondation,leweek-endprochain.Jacklaregardaavecscepticisme.—Jenepensepasque…—N’oubliepaslestermesdetoncontratdegardeducorps,luirappela-t-elle.Cessedemedirece

quej’aiàfaire!—Jenemelepermettraispas,rétorqua-t-il,unepointedemoqueriedanslavoix.—Parcequetuasconsciencequetaprioriténumérounestdeprotégermonbébé,oubienoserais-tu

revenirsurtaparole?—Biensûrqu’Aubrielleestmapriorité,maisconsidérantleproblèmedanssonensemble…—Alorssitudoisdemeurerici,chezmagrand-mère,acquitte-toidetamissionetconcentre-toisur

Aubrielle.—Fais-moiconfiance,répondit-il.Mais j’attendsde toiquetum’expliquesdèsdemaincequetu

t’emploiesàmecacher.Nousdevonsœuvrerensemble,Hannah,etdèsàprésent.Il était minuit passé, et les événements de la journée avaient eu raison des dernières forces

d’Hannah;aussidécida-t-elled’abandonnerlaluttepourlemoment.—As-tuunearme?demanda-t-elle.—Non.—Mongrand-pèrepossédaitunfusildechasseetunecarabine.—Jelesais.Tagrand-mèrem’aindiquéoùlestrouver.Ilplongealamaindanssapocheetenretiralapetiteclédoréequiouvraitl’armureriesituéedansle

salon.—Mais j’espèrebiennepasavoir àm’en servir, répondit-il enenfouissant lapetite clédans sa

poche.Hannahétait atterréeque sagrand-mèreaitpuconfiercettecléàunhommequ’elleconnaissait à

peine.—Etsilasituationt’yobligeait?—Jeleferaissanshésiter.Il posa ses mains sur les frêles épaules d’Hannah et la regarda intensément. Malgré les efforts

qu’elle déployait pour dompter ses émotions, sa respiration se fit soudain haletante.Elle s’absorbadans la contemplation des lèvres de Jack alors qu’un petit rictus amusé se dessinait au coin de labouchedecelui-ci.Elleseprépara…aupire.Pourquoirefusait-elled’accepterlavérité,lacertitudequecethommel’attiraitcommeaucunautreavantlui?Cen’étaitcertainementpasuneraisonpourselaisserséduire,maissementirainsin’étaitpasnonpluslasolution.—Vaaulit,murmura-t-il.Elles’échappa, l’honneuràpeuprèssauf,etdormitd’unsommeildeplomb,entrecoupéderêves

bizarres.Ens’éveillantlelendemainmatin,elleétaitsûrequ’Aubrielleavaitpleurépendantlanuit.Sapremièreoccupationdelajournéefutdeprendresoindesafille,puisellel’emmenadanslesalon.Lefilmplastiquetenduentraversdelavitreluirappelal’incidentdelaveilleet,defilenaiguille,

lamiseengardequ’onluiavaitadressée.JonglantentreAubrielleetl’annuairetéléphonique,ellenotalenumérodelaseuleentreprisedelavilleapteàréparerlesdégâtsetl’appelaafind’obtenirundevis.Quelles étaient les intentions de celui qui l’avait ainsi agressée ? Que s’imaginait-il à propos

d’elle ? C’était la questionmajeure qui lui était sans cesse revenue à l’esprit ces douze dernièresheures,maisbienqu’elleyaitconsacrétoutessesréflexions,ellen’avaittrouvéaucuneréponse.Elle s’occupa d’Aubrielle, mit de l’ordre dans ses dossiers et fit un peu de rangement, l’esprit

constammentassailliparlesderniersévénements.ElletrouvaJacklisantlejournal,installédanslacuisineavecsagrand-mère,tousdeuxgrignotant

destoastsàmoitiébrûlés.Onauraitditdeuxamisdelonguedatevenantdeseretrouver.Jackportaitles mêmes vêtements que la veille, certes un peu plus froissés puisqu’il avait dû les garder pourdormir. Mais cela n’enlevait rien à son charme ravageur. Qui plus est, sa barbe naissante luiassombrissaitlevisageetfaisaitressortirlebleuprofonddesesyeux.Pour sa part, elle portait une jupe de coupe très stricte surmontée d’une veste noire ; une tenue

appropriéepourserendreautravail.DèsqueMimilavit,elleselevad’unbondetvintluiprendreAubrielledesbrasenjetantdespetitsregardsencoinàJackquiavaitlevélesyeuxdesonjournal.—Qu’ya-t-ilentrevousdeux?demandaHannahenseservantunetassedecafé.—Riendutout,réponditMimidutacautac.—Enfait…,attaquaJackaprèss’êtreraclélagorge.—Mespartenairesdepokerserontlàdansunedemi-heure,annonçaMimienberçantAubrielle.Il

est bien trop tôt pour sortir les chips et la bière. Je vais faire du thé.Y a-t-il des gâteaux dans leréfrigérateur?—Jenesaispas, réponditHannah.Depuisquand joues-tuauxcartes lemardimatin?Bon,vous

deux,quemecachez-vous?demanda-t-elleenreportantsonregardsurJack.—Maisriendutout!réponditMimi.Barbet lesautresviennentmetenircompagniependantque

Jackettoiirezmenervotreenquête.Aufait,as-tuappelépourfaireréparerlafenêtre?Hannahavalaunegorgéedecaféet le trouvadeuxfois,non, troisfoisplusfortqued’habitude.Il

n’étaitpassorcierdedevinerquidesdeuxl’avaitpréparécematin.Hannahjetauncoupd’œilà lapendule.—Tesamiesarriventvers10heures,donc.Mais,qu’entends-tupar«enquête»?demanda-t-elle.—Jeviensavectoiàlafondation,luiréponditJack.—Jenepensepasquecelasoitunebonneidée.

—Je teconseilleparailleursd’appeler tonassuranceàproposdesréparationsde lavoiture.Demoncôté, jedoisquitter l’hôtelavant10heures.OnpourraitprendremaHarley,mais j’aipeurquecelanesoitpastrèsdiscret.Miminousproposegentimentsavoiture.—Etqu’est-cequecettehistoiredepokeraàvoirdanstoutcela?interrogeaHannah.—Jeneveuxpasquequiconqueresteseuldanscettemaisontantquenousn’auronspasdécouvert

cequisetrame.—Donc, tu comptes sur cinq femmes de plus de soixante-dix ans pour protégermon bébé ? Je

pensaisquec’étaittoilegardeducorps?—Lameilleure façondeprotégerAubrielleestde trouver lapersonnequis’enprendàsamère.

Pourcequiestdecematin,c’estcequej’aidemieuxàproposer.Celanouspermettrad’ailleursdeparleretmettreaupointnotrestratégie.Nousformonsuneéquipe;j’espèrequetunel’aspasoublié…Ilétait superflude luidemander le sujetqu’ilvoulaitaborder.Hannahne le savaitque trop.Elle

repensaà la fenêtre fracassée, à la lettre anonymeet auxmenacesquipesaient sur elle.Après tout,pourquoicherchait-elleàcouvrirDavid?Parailleurs,siJackdécouvraitlavérité,ils’eniraitenfinetcelalamotivaàacceptersaproposition.—D’accord, finit-elleparapprouverenregardant tourà tourJacketsagrand-mère.Maiscessez

vospetitescombinesdansmondos.—Bienentendu,machérie,réponditMimi.N’oubliepasdefaireuncrochetparlesupermarchéafin

defairelescoursespourledîner.Jet’aipréparéuneliste.—Surtout,n’hésitepasàm’appelersurmonportableencasdeproblème,ordonnaHannah.—Net’enfaispas.C’estpromis.Jackrepliasonjournaletselevaens’étirant.—Mimi, je suispersuadéquevous savezvous servirdu fusil, aussiprendrons-nous lacarabine.

Celavousva?—Pasdesouci!Personnen’approcheraAubrielletantquemesamiesetmoiserontlàpourveiller

surelle.

***

Hannah et Jack firent une courte pause au garage afin de régler lesmenus détails concernant lesréparations, et furent bientôt sur la routemenant à Fort Bragg. Celle-ci gravissait les collines à lasortied’Allotaensuivantlacôteverslesud.JackconduisaitlapetitevoitureblanchedeMimiavecaisance,lamenantdecourbeencourbed’unemainexperte.—CetteroutemerappellecellesdeTierraMontañosa,dit-ilpourlui-même.—Escarpéesetsinueuses,ajouta-t-elle.Ilsfirenttoutd’abordhalteaumoteldeJack.Hannahpréféraattendredanslevéhiculetandisqu’il

rassemblaitsesaffairesetréglaitlanote.IltraversaleparkingpourrejoindreHannah,ungrossacdecuir jeté sur son épaule et un blouson d’aviateur sous son bras. Le vent s’était soudainement levé,commesouventdanslesderniersjoursduprintemps,etsemaitledésordredanssachevelurebrune.Il

avaitpris le tempsde sechangeretportait àprésentunechemisenoire surun jeandélavé ; elle letrouva sincèrement irrésistible et, de ce fait, absolument dangereux. Dieu merci, pensa-t-elle, ilsemblaitnepasenavoirconscience.Apeineétait-ilinstalléàsoncôtéqu’ellel’interrogea:—Commentt’es-tuéchappéduGTM?—C’est une sale histoire, répondit-il en regardant au loin. Je ne crois pas que tu aies envie de

l’entendre.—J’aimeraispourtantquetumeracontes.Ilmarmonnaunevagueréponse.—S’ilteplaît,Jack.Jeveuxsavoir.Ilpritunegrandeinspirationmaisneréponditpas.Aumomentoùelleallaitlaissertomber,ilpritla

paroled’unevoixmonocorde:—Unenuit,jemesuisrenducomptequenotrecampétaittoutproched’unpetitvillage.Jem’étais

rapprochédel’undesgardesdepuisquelquesjoursetjepensequ’ilavaitfiniparm’avoiràlabonne.Ilavaitquelquepeurelâchésonattentionet,cesoir-là,quandilestvenupourm’apportermonrepas,j’aisaisimachance.Jel’aiterrasséetj’airetournésonarmecontrelui.Ilobservaunelonguepause,apparemmentperdudanssespensées.Hannahavaitdumalàrespirer.Il

étaitévidentquetromperainsilaconfiancedecethommeluiavaitdéplu,etcesouvenirlemettaitmalàl’aise.Hannahnepouvaitnéanmoinscomprendre.Aprèstout,savieétaitenjeuetilavaitagiparpurinstinct.Il l’interrogea du regard, attendant un éventuel commentaire de sa part. Elle ne savait que dire ;

quelleexpérienceavait-elledecegenredesituations?— Je n’ai pas hésité une seconde à tuer ceux qui se sontmis en travers dema route, ajouta-t-il

finalement.Jenesaiscombienontpéricartouts’estdérouléenunéclair.C’étaiteuxoumoi.Maisuneexpressiondeculpabilités’étaitpeintesursonvisage.—Jack,tun’espasobligédecontinuer…—Jemesuiscachédesjoursdurant,siprèsdeleurcampementqu’ilsauraientpumedécouvrirà

chaque instant. Finalement, ils ont abandonné les recherches et sont partis. J’ai eu la chance derencontrerunhommequiavaitperduunfilsàcauseduGTM.Grâceàlui,j’aipujoindreunamiquim’aaidéàpasserdefaçonillégaleenEquateur.Personnenedevaitsavoirquej’étaisenvie,niquej’avaisl’intentionderevenirparici.Detoutefaçon,c’estdupassé.Cequiestfaitestfait.Jenepeuxchangercequiestsurvenuetjedevraivivreavecpourlerestedemesjours.Elleressentitdeladouleurdanssavoix,desregretssurtout.Elleavaitenviedeletoucher,delui

offrirsonsoutien,maiselleseretint.—Voilà.Tuconnaistoutel’histoire.Nousdevonsallerdel’avant,àprésent.Elle ledévisagea, tâchantde liredanssespensées. Ilétaitclairqu’iln’enavaitpas finiaveccet

épisodedesavieetqu’iln’étaitpasprèsdel’oublier.Ellecomprenaitaisémentqu’ilpréférechangerdesujet.—Quevas-tufairependantquejeseraiaubureau?demanda-t-elle.—Jesaismedébrouillerseul,Hannah.Lafondationest-ellesituéeenville?

—Non,environàseptkilomètresdanslesterres.Tourneàdroiteaudeuxièmefeurouge,etensuiteprendstoutdroit.Jet’indiqueraiaufuretàmesure.Acetteheuredelajournée,ilyavaitpeudecirculationsurlagrandeavenuequis’élançaithorsde

FortBragg.Jacksuivitlesdirectivesd’Hannahetempruntalesraccourcisquilamenaientàsontravailenévitantlestraditionnelsembouteillagesdumatin.—Parle-moidelafondation,lança-t-iltandisqu’ilfranchissaitunevoieferrée.—SantiCorreaestnéauPérouet apassé sonenfancedansdifférentspaysd’Amérique latine,y

comprisenTierraMontañosa.Ilestalléàl’universitéauxEtats-Unisetaenseignéquelquetempsdansdivers établissements scolaires. Puis, las de tirer le diable par la queue, il a obtenu un poste àresponsabilitésdansuneentrepriseprivéequiluiapermisderapidementdémontrersescompétences,et surtout de gagner beaucoup d’argent. Enfin, cela ne l’amusant plus, il a monté une organisationhumanitairespécialiséedansledéveloppementd’écolesgratuitessurtoutlecontinentsud-américain.—Là,tuesentraindemeservirlebaratindelabrochuredeprésentation,rétorquaJackengarantla

voitureenhautd’unecôteoffrantunmagnifiquepointdevuesurlavallée.Onpouvaitdistinguer, au loin, lesbâtimentsde la fondation s’élevant aucentred’unepetite zone

d’affaires.—SantiatoujourspréféréinvestirdanssesécolesenAmériquelatineplutôtquedanssespropres

locaux, ici, aux Etats-Unis. Il est vrai que, de son temps, les locaux commençaient à se délabrersérieusement,maisdepuisqu’Hugoareprisleschosesenmain,lasociétéaunautrecachet.Delàoùilssetrouvaient,ilétaitmanifestequelesbâtimentsdelaFondationStarr,resplendissant

d’unblancimmaculé,sedistinguaientdesautresconstructions.— Il faut dire que cela fait partie de la remise en état générale à l’occasion du trentième

anniversaire de la fondation et de ses journéesportes ouvertes, poursuivit-elle.Legouverneur nousfera l’honneurdesaprésenceainsiquedeuxou troismembresducongrès.CommeHugoCorrea l’ajustementfaitremarquer,plusuneentrepriseparaîtprospère,plusellereçoitdedons.—Ainsi,SantiCorreaaconfiélesrênesdel’entrepriseàsonfilsjusteaprèsl’incidentdelaTierra

Montañosa,ajoutaJack,poursuivantleraisonnementd’Hannah.—L’enlèvementd’HugoacomplètementdésespérélepauvreSanti.Tunepeuximaginerdansquel

étatilétaitlejourdel’embuscade!Hugoavaitpersuadésonpèredenepasassisterauxfestivitésdudépartduconvoicar ilavaitétésouffrant lanuitprécédente.Santi s’est senti tellementcoupableden’avoir pu être là ! Nous nous sommes retrouvés tous deux seuls à l’hôtel, les autres l’ayant toutsimplementabandonnédanssonmalheur.IladémissionnélorsqueHugoetHarrisonontétélibérés,etleconseild’administrationadésignéHugopourluisuccéder.Santidonnaitalorsl’impressiond’avoirvieillidedixansenquelquessemaines.— Je l’ai croisé une fois et il m’a effectivement semblé bien âgé. Hugo doit approcher de la

cinquantaine,n’est-cepas?—JecroisqueSantiapresquequatre-vingtsans.Lepauvrehommeestsurledéclin.Hugodoiten

souffrir.Jackhochalatêted’unairpensif.—Qu’est-cequetumijotes?lequestionna-t-elle.—Moi?

—Ondiraitquetudoutesdemespropos.NemedispasquetusoupçonnestoujoursHugo…Jackl’interrompitenhaussantlesépaules;encoreunedesesdétestablesmanies,pensaHannah.—Peut-êtrenel’est-ilpas,chérie.Maiscecidit,c’estluilegrandpatronaujourd’hui,n’est-cepas?

Etdecefait,sonpèrenecontrôleplusdutoutlafondation.Hannahsoupira,excédée.—Tun’abandonnerasdoncjamais?—J’aimisdecôtél’idéequetupouvaisêtreimpliquéedanscettehistoire,luifit-ilremarquer.—Terends-tucomptequeturacontestoutetsoncontraire?—C’est-à-dire?—Examinonscelaendétail.Toutd’abord,tuaspenséquej’avaisprispartàl’embuscade.Ensuite,

quec’étaitl’œuvred’unmembredelafondation.Aprésent,tuprétendsqu’Hugos’estarrangépoursefairekidnapperetainsirécupérerladirectiondel’entreprise.—Eneffet,celafaitunpeu«cinglé»surlesbords,admit-ilensouriant.—Complètementcinglé,oui.—Maisimaginonsqu’HugoaitdesliensavecleGTM;prendrealorslecontrôledelafondationest

toutàfaitjudicieux.Celaluipermetdedétournerlesfondsdestinésauxécoles,parexemple.—Jenesaisplus,répondit-elleaveclassitude.HannahnepouvaitserésoudreàconsidérerHugocommeunhommeaussivil.Parailleurs,Jackne

savaitpasqueDavidluiavaitremisuneimportantesommed’argentàpeuprèsàlamêmepériode.Elledevaitéclaircircepointavantdeluienparler.Maispourcela,illuifallaitremettrelamainsurlesacdesportetvérifiersilafameusenotes’ytrouvaitencore.Mais en tout cas, Jack n’avait pas vu l’état dans lequel Hugo se trouvait à l’hôpital, après

l’embuscade…—Que fait-on, à présent ? demanda-t-elle. Tu veux pénétrer dans les locaux de la fondation et

fureterunpeupartout?C’estcelatonidée?—Biensûrquenon.Mêmesipersonnenemeconnaîtici,HugoetHarrisonPlumbersaventquije

suis.Si l’undes deux est le traître en question, il pourrait avoir appris que jeme suis échappé. Jepréfèreremettrecetteconfrontationàplustard.Pourlemoment,jemecontenteraidemefamiliariseravecl’endroit.C’estbienplusvastequejemel’imaginais.—C’est immense, tu veux dire. Par exemple, lorsque le brouillard se lève sur la côte, la piste

d’atterrissagel’empêched’arriverjusqu’ici,générantunmicroclimattrèsparticulier.—JecroyaisquelaFondationStarrnefaisaitpasdeprofits?—C’estlecas.—Moijetrouvequec’estplutôtchiccommesiègesocial.Hannahtâchadevoir l’ensembleducomplexeàtravers leregarddeJack.Elledevaitreconnaître

que, depuis leur point de vue, les bâtiments en imposaient. De plus près, il aurait pu distinguerl’érosiondutempssurlastructuremétalliqueetquelquesdégradationsçàetlà,maisilavaitraison;l’entrepriseétaitgéréed’unemaindemaître.— Ces terres appartenaient à une riche héritière que Santi a épousée il y a une cinquantaine

d’années.Elleenafaitdonàlafondationafind’yinstallerlesiègesocial.UnepetiteparcelleaétépréservéepourybâtirlademeurefamilialedesCorrea.LorsqueSantiadéménagépourSanFrancisco,Hugoaprispossessiondelamaison.—Santiestdoncunhommetrèsriche,conclutJack.—Plusoumoins.Mais,parconséquent,Hugoaussi;l’argentnepeutdoncpasêtresamotivation.— Il s’agit de l’argent de son père, pas du sien, rétorqua Jack. Et puis, je n’ai jamais prétendu

qu’Hugopouvaitêtredanslecouppourdel’argent.—Alorspourquelmotif,selontoi?—Comme je te l’ai déjà dit, peut-être a-t-il épousé la cause des guérilleros ?Combiende gens

travaillentici?— En ce moment, il y cinquante et un employés, y compris moi. Je suis chargée des relations

publiquesetdelacoordinationdel’événementiel.Nousavonsaussidespostesdédiésàlacollectedefonds, à la recherche appliquée, à la formation, à l’administratif et à la comptabilité. L’un de cesbâtimentsestréservéàl’hébergementdesvacataires.Ilyaaussiunecafétéria,unecantine,unatelierpourlesvéhiculesroutiersetunhangarpourlejetprivé.—Etunpilote?—Oui,maisc’estunpiloteintermittentcariln’estpassollicitétouslesjours.L’avionestsagement

garésouslehangarquetuvoislà-basetlorsqu’undéplacementestprogrammé,onfaitappelàlui.—Etcepilote,c’étaitleplussouventDavid,n’est-cepas?—Oui.Ilacommencéparpiloterl’hélicoptère,puisaobtenusalicencesurjetprivé.—Etlaroutequinousamenésjusqu’iciestcellequ’ilavaitl’habituded’emprunterpourserendre

autravailàvélo,poursuivitJack.—Cettemême route sur laquelle il avait rendez-vousavec lamort, c’est exact, Jack. Il avait été

appelécematin-làpouremmenerHarrisonPlumberenvilleassisteràuneréuniondepréparationdel’expéditionenTierraMontañosa.—AlorscommentHarrisons’yest-ilrendu?Hannahouvritlaboucheethésitauneseconde,cherchantsesmots.—Jen’ensaisrien.Ilacertainementdûannuler.Pourquoicettequestion?— Simple curiosité. Donc, l’accident est survenu à peu près un mois avant que nous fassions

connaissance,touslesdeux?—C’estcela.—Quesais-tuàproposdesotagesassassinés?Faisaient-ilstouspartiedelasociété?—L’un d’eux seulement. Les autres étaient des salariés locaux des deux écoles que nous avions

ouvertesprécédemment.—Laspersonasgastables,prononçaJackdansunsoupir.—Etcelaveutdire…?—Desgenssansimportance,noncouvertsparlesassurances,surtout.—LesassurancessonthorsdeprixdansdespayscommelaColombieoulaTierraMontañosa.Il

n’estpassurprenantquel’onn’assurequelescadressupérieurs.Etcessedecroirequecettetragédie

puisseêtreunevictoirepourquiquecesoit.Jackneput réprimerungrognementsourd.Hannahpouvaitvoirqu’ilétaitpersuadéducontraire ;

celuiquiavaitmanigancécecoupdiaboliquedevaitpleinementsavourersavictoire.— Es-tu sûr de ne pas vouloir m’accompagner ? Fran Baker est la responsable des ressources

humaines.Elleestdanslasociétédepuisunedizained’annéesetconnaîtàpeuprèstoutlemonde.Jepourraisteprésentersousunautrenom…—Jepréfèretelaissert’enoccuper.CorreaetPlumberontcertainementdûm’apercevoirdurantnos

déplacementsdanslajungle.Moi,entoutcas,jelesaivus.Jeneveuxpasrisquerdelesrencontreràcestadedemonenquête.Seremémorersacaptivitéétaitapparemment toujoursaussiperturbantetdouloureuxpourJack. Il

semblaitdenouveauperduaufinfonddelajungle.Hannahtentadelerameneràlaréalité.—Situestoujoursdanslesparageslasemaineprochaine,tupourrasterendreauxjournéesportes

ouvertes,parexempleentedéguisant.—Peut-êtrebien,répondit-ilévasivement.—Quandtum’aurasdéposéesurleparking,reviensteposteràcetendroit.Jetelaissemonportable

afindeteprévenirquandtupourrasvenirmerechercher.—Selonmonraisonnement,lapersonnequiajetéunepierredanstafenêtrehiersoirsetrouvelà,

dansl’undecesbâtiments.Celasignifiequequelqu’untesurveilledeprès.IlsortitduvéhiculeetHannahlesuivit.Laprenantparlesépaules,ill’attiraàluiavecdouceur.—Jesaistrèsbienpourquoituvaslà-basaujourd’hui.C’estécritsurtonvisage.Situasl’intention

d’ymenertapetiteenquête,fais-le,maisdis-toibienquelecoupableestparmieux.Est-cebienclair?—Jack…—Garde la voiture et ton portable. Je reste ici en attendant que tu reviennes. Pense surtout à te

comporternormalement.—MonDieu,Jack,quevas-tufairependantcetemps,perduenpleinenature?—Chérie,murmura-t-ilavantdeluidéposerunpetitbaisersurlefront.C’estbondesavoirquetu

t’inquiètespourmoi.—Cessedetejeterdesfleurs,répondit-elletandisqu’ils’éloignait.Ildisparutdanslessous-boissansseretourner.

5

L’emblème de la Fondation Starr représentait une étoile à sept branches entrecroisées, faites decuivre,demétaldoréetd’acierchromé.Iltrônaitdanslehalldel’entréeprincipale.Justeendessous,unjeuneréceptionnistesetenaitderrièreunimposantcomptoirenmarbregris.ReconnaissantHannah,illuifitunsigneamicaldelamaintoutenrépondantautéléphone.Ellefranchitunedoubleportedeverreets’engageadanslelongcouloirquidistribuaittroisbureaux

avantlesien.Ellepressalepas,espérantainsiéviterderencontreruncollègue,souhaitantjustemenersamissionetrepartiraussivitequepossible.LesmisesengardedeJackl’avaientagacéeetrenduenerveuse. Pour la première fois, depuis six ans qu’elle travaillait à la fondation, traverser ce longcouloirluisemblaitdangereuxetl’effrayait.EttoutceciétaitlafautedeJackStarling.—Hannah?Ellereconnutaussitôtlavoixquil’interpellait;ellerevintsursespasets’arrêtadevantlebureaude

FranBaker.Enqualitéderesponsabledesressourceshumaines,Fransemblaitenpermanenceavoirunœil sur chaque salarié de l’entreprise. Elle leva son visage aux traits délicats dans la directiond’Hannah.—Tun’estpascenséetravailleraujourd’hui.Toutvabien?—Oui,oui…,balbutiaHannah.—Nememenspas,HannahMarks,luiditFranensouriant.Maissonsouriredisparutrapidementendécouvrantl’expressionaffligéed’Hannah.Elledéposale

styloaveclequelellerédigeaitsesnotesetseleva.Fran avait cinq ou six ans de plus qu’Hannah. Petite et plutôt boulotte, elle était toujours tirée à

quatreépingles.Etsestenuessemblaientchaquejoursortirtoutdroitdupressing.—Tuasencorecrevéunpneu?demanda-t-elleencontournantsonbureau.Elle s’arrêta juste en faced’Hannah.Lehaut de sa coiffure sophistiquée lui arrivait tout juste au

niveaudel’épaule.AprèsavoirpassélamatinéeàregarderverslehautendirectiondeJack,celaluifittoutdrôled’avoiràbaisserleregardpours’adresseràFran.—Jesavaisquejedevaistesuivre,poursuivit-elle.Jen’auraisjamaisdûtelaisserpartiravecta

roue de secours à plat. Il est suffisamment dangereux pour une femme de se déplacer seule de nosjours.—Net’inquiètepas,larassuraHannah.Jen’aieuaucunproblèmeavecmespneusetpersonnene

m’a suivie. Ilm’est juste arrivée un petit incident.Des gosses ont posé un engin explosif dansmavoiture.—Quoi?s’exclamaFran.Hannahdutconsacrerenvirondixminutesàluiexpliquerendétailsl’incidentsurvenusurleparking

delasupérette.AuvudelacuriositéinsatiabledeFran,elledécidabienévidemmentdepassersoussilencelebrisdelafenêtreainsiquelalettreanonyme.—Jedoisphotocopierlesdocumentsquiontbrûlédansl’incendiedelavoitureetfileràlamaison

pourm’occuperd’Aubrielle.Magrand-mèreattendmonretouravecimpatience.Aplustard,Fran.Franluifitunpetitsigneenguised’aurevoirtandisqu’Hannahs’éloignait.Ilétaitévidentqu’elle

auraitaiméprolongercetteconversationafind’apprendrelesmoindresdétailsdetoutecettehistoire.Hannahparcourutladistancequilaséparaitdesonbureausansautreembûche,maislasensationd’êtreépiée était denouveauprésente.Elle se retournaetdécouvrit que le couloir était désert, excepté laprésenceduréceptionnistequipénétraitdanslebureaudeFran,unepilededossierssouslebras.—JackStarling,murmuraHannahpourelle-même.Tuasledondememettrehorsdemoi…Elleentradanssonbureauetenrefermaaussitôtlaportederrièreelle.Ellefarfouillaunbonmoment

dans son sac à main avant de dénicher la clé qui ouvrait le compartiment contenant ses dossiersconfidentiels. Le tiroir coulissa silencieusement. Sous une pile de documents composés de modesd’emploidesnouveauxfaxetimprimantesquelasociétévenaitd’acquérir,lapoignéedusacdesportapparut.L’extrairedutiroiretregarderàl’intérieurluipritmoinsd’uneseconde.Ainsiqu’elleenavaitsouvenir,ilrecelaitbienunpetitmorceaudepapier.Alors qu’elle s’apprêtait à le déplier pour en lire le contenu, la porte s’ouvrit brusquement et

Hannah,ensursautant,laissaéchapperlemot.HarrisonPlumbersetenaitdansl’encadrementdelaporte.—Excusez-moi, je ne savais pas que vous veniez aujourd’hui, dit-il en détachant son regard du

morceaudepapierpourlereportersurelle.Hannahfitdisparaître lesacdesportsouslebureau,conscientequ’ilépiaitchacundesesgestes.

Elleignoradélibérémentlaprésencedupetitcarréblancsursonbureauetluirépondit:—Jenefaisquepasser.Enquoipuis-jevousêtreutile,M.Plumber?Hannah avait toujours trouvé Harrison Plumber gauche, comme mal à l’aise dans ce corps qui

paraissaittropgrandpourlui.DepuissadétentionparleGTMenTierraMontañosa,ilsemblaitencoreplus désorienté et maladroit. L’infection intestinale qu’il avait contractée dans cette jungleinhospitalièrel’avaitencoreamoindri,leclouantaulitpourdelonguessemaines.—Jechercheuneenveloppe,répondit-il,etmasecrétaireestabsente.Ducoup,jesuisperdu.N’est-

cepaspathétique?Hannahritparpurepolitesse.—Dequelletaille,cetteenveloppe?—Tailleclassique,s’ilvousplaît.Enavez-vousàl’entêtedelafondation?Elleouvritl’undestiroirsdesonbureaupourenextraireuneliasse.—Biensûr.Tenez.Ils’avançadanslapièceafindelesrécupérer,marquaunecourtepausepourexaminerlemotsurle

bureauets’enallaprécipitamment.Ellevérifiaaussitôtsilapositiondupapierpermettaitd’enlirelecontenu;malheureusement,c’était

lecas.Al’encrenoire,ilétaitinscrit:9D1251-2.Celaneluifournit,surlecoup,aucunindicesurlasignificationdececodeétrange.Ellereplialepetitpapieretlemitdanssapocheavantderefermerson tiroir à clé.Suivant les consignesde Jack, elle se rendit à laphotocopieuseafinde justifier, sibesoinétait,savenueàlafondationetfitfonctionnerlamachineàvide.Ilfallaitsecomporteravecnaturel,luiavaitrecommandéJack.Elletraversalelongcouloirensensinverse,enlançantaupassageunvaguesalutàFran,etgagnalavoituredeMimiquil’attendaitsurl’immenseparkingdelafondation.

Une grosse boule dont elle était incapable d’expliquer l’origine s’était formée au creux de sonestomac.Toutbienconsidéré,ellel’expliquaittrèsbien.C’étaitàcausedeJack.

***

Hannahvenait de raccrocher sonportable après undeuxième appel sans succès à sa grand-mère,lorsque Jack revintducomptoir avecuneassiettedepoisson frit auxpommesde terrequ’ildéposadevanteux,surlatabledeformicableu.Hannahl’avaitobligéàvenirchezNoyoHarbor,prétendantqu’ildevaitêtreaffaméaprèsunpetitdéjeuneruniquementcomposédequelquestoastsàmoitiébrûlés.Ilsavaittrèsbienquec’étaitelleenfaitquimouraitdefaim,maisilavait,luiaussi,grandementbesoind’unepausedéjeuner.Situé sur les quais, non loin du petit port de pêche, leNoyoHarbor était un petit snack-bar qui

offrait de simples plats à emporter. Il proposait une unique table un peu bancale permettant de serestaurersurplace,faceàl’embouchuredelarivière.Unpeuplusàl’ouest,celle-cisedéversaitdansl’océan tandis que, vers l’est, en remontant son courant, elle menait à une petite île abritant unemodestemarina.Unpontdeteckreliaitlesrivessudetnordenenjambantsonfaiblecourant.Unelégèrebriseseleva,faisantdanserlachevelurebrunedeJack.Elleleurapportadeseffluves

marinschargésd’iodeetdevarechqu’ilsinhalèrentgoulûment.Untroupeaudephoques,seprélassantdans les eauxde la baie, poussaient leurs cris plaintifs par intermittence.L’atmosphère générale dumomentétaitbienloindecelledelaTierraMontañosa.La nourriture aussi. Un bon filet de morue fraîchement pêchée, une salade de crudités bien

assaisonnéeetdespommesallumettesdoréesàpoint;unrepassainpourlecorpsetl’esprit,songeaJack.Etpourcouronnerletout,ilétaitencompagnied’unefemmetrèsattirante.Il savourait l’instant. Il avait appris durant sa captivité à apprécier chaque moment de bonheur

commesic’étaitledernieretàlegraverpourtoujoursaufonddesamémoire.Ilsereprit;c’étaitlàdespenséesbienpoétiquespourunhommedesatrempe…Il fit couler quelques gouttes de jus de citron sur son plat et en avala une bouchée. Hannah le

regardaitavecunsouriremélancolique.—Ondiraitquetuesauparadis.Il approuva d’un signe de tête, trop occupé à déguster son plat pour parler. Hannah se décida à

goûtersonpoissonetentrempaunpetitmorceaudanslasaucetartare.Jack termina son déjeuner bien avant elle et, sous prétexte d’observer un petit canot à moteur

remontant larivière, ils’éloignaafind’observerdiscrètementcettefemmequi lefascinait.Elleétaitapparemmenttroptroubléepourappréciersonassiette,alorsqu’illuisemblaitsesouvenirque,lorsdeleurpremiertête-à-têtedansunrestauranthuppédelaTierraMontañosa,elleavaitdégustésonplatdefruitsdemeravecdélectation.Plustarddanslasoirée,elleavaittrinquéavecluiàlabièrelocale,etbienquecettedernièresoitassezchargéeenalcool,elleavaitbuunpeutrop.Ellenedevaitpassavoirqu’elleétaitdéjàenceinte.

Hannahterminasonrepasets’essuyadélicatement laboucheà l’aided’uneservietteenpapier. Ilrevintverselleets’installasurlebancàsoncôté.Ilressentitalorsuneviveattiranceetprialecielqu’ellesoitréciproque.—Es-tuenfindisposéeàmedirecommentcelas’estpasséaubureau?demanda-t-il.—Touts’estbiendéroulé,répondit-elleensepassantunemaindanslescheveux.Leplusdifficilea

étédegérerlapeurquetesmisesengardeontfaitnaîtreenmoi.Voilàpourquoielleétaitd’humeurmaussadedepuisqu’ellel’avaitrejoint,pensaJack.—Dis-moilavérité,Hannah;pourquoies-turéellementalléeaubureaucematin?—JesensquetuaimeraisbienquejeteparledeDavid,répondit-elleaprèsunecourtepause.—David?C’estluiquetucherchesàprotéger?Hannahledévisagead’unregardsombre.—Ilestmort,tusais…—Maisc’estlepèredetonenfant,coupa-t-il.Ses sentiments pour David étaient-ils plus forts que ce qu’il avait imaginé, ou bien était-ce la

réputationdupèrede sonenfantqu’ellevoulaitpréserver ?De toute façon, celan’avaitpasgrandeimportance,pensa-t-il.Iln’avaitpasàêtrejalouxd’unmort.—J’aimeraissimplementajouterqueDavidatoujoursniéêtrealléenTierraMontañosa.Iln’adonc

puséjourneràCostadelRio.—Belleentréeenmatière,ironisa-t-il,maisjesensun«mais»seprofileràl’horizon.—«Mais»ilaeffectivementvoyagépeudetempsavantsondécès.Pourdesvacances.—Oùcela?—IlditêtrealléenArizonapourrendrevisiteàsasœuretsabelle-famille.—Tun’aspasl’airconvaincue…Elle baissa le regard et il s’aperçut qu’elle avait noué ses mains au creux de ses genoux. En

s’asseyant,sajupeétaitremontéeetluidécouvraitpartiellementlescuisses.Lavisiondecettechairnueetofferteledéstabilisauninstant;illevalesyeuxetfitunsuprêmeeffortpourresterconcentrésurleurconversation.—Jen’avaisaucuneraisondedouterde lui jusqu’àceque tu introduises lanotiond’argentdans

l’histoire,admit-elle.Tesaccusationsm’ontremémorélanuitdesonretourdecongés.Davidestarrivéchezmoitoutexcité.Ilm’aconfiéunsacdesportdontlafermetureEclairétaitscelléeparunanneaudeplastique.Ilm’aalorsfaitjurerden’enparleràpersonne,cequej’aifaitjusqu’àprésent.Tueslapremièrepersonneàquijemeconfie.—Tunesavaispascequecontenaitlesac?—Jenel’aiouvertqu’aprèssamort.Ilétaitremplidebillets.—Combien?—Cinquantemilledollarsengrossescoupures.Jackémitunsifflementd’admiration.—Çafaitunbeaumagot!—Jenetelefaispasdire,surtoutpourDavidquiétaitunvraipanierpercé.

JacksesouvenaitdeDavidexactementtelqueledécrivaitHannah.Cetypeaimaittellementl’argentqu’ilétaitprêtàenfreindrelaloipours’enprocurer.Maisilétaittoujoursfauché.—Sais-tud’oùprovenaitcettesomme?Elle leva la tête et croisa son regard. Il remarqua que ses yeux se confondaient avec le vert de

l’océan.—Aucune idée. Il avait l’air vraiment bizarre, aussi l’ai-je prévenu que je ne voulais pas être

impliquéedansunecombineillégale.Ilajurésesgrandsdieuxqu’iln’enétaitrienetqu’ilrepasseraitdèslelendemainrécupérerlesac.Ildisaitquej’étaislaseuleenquiilpouvaitavoirconfiance.—Etlelendemain,iltrouvaitlamortsurlechemindubureau…—Exactement,approuvaHannah.—Tun’aspastrouvécelasuspect?—L’enquêtedepoliceadémontréquecelan’étaitqu’unstupideaccident.Lechauffeurducamion

était unmodeste père de famille. Il paraît qu’il était effondré et culpabilisait énormément.C’est cejour-làquej’aiouvertlesacetdécouvertl’argent.JeneparvenaispasàimagineroùDavidavaitputrouverunetellesomme,maisilyavaitcertainsélémentsquimelaissaientcroirequ’il l’avaitpeut-êtrevolée,oualorsextorquée.—Quelséléments?laquestionnaJack.—Toutd’abord,notrevoyage.Ilétaitquestionquel’ons’échappequelquesjoursloindeFortBragg

afindepasserdubontempsensemble.Maisilaannuléautoutderniermoment,prétextantdevoirserendreauprèsdesasœur,enArizona.Avraidire,j’enaiétésoulagéecarjecommençaisàenavoirassezdesoncomportementsecret,et jesentaisquenotrehistoire touchaitàsa fin.Le faitqu’il soitrevenu de ce séjour improvisé avec autant d’argent a commencé àme faire cogiter.De plus, je nevoyaispascommentrenvoyeràsafamilleunetellesommeenliquide.—Tul’asdépensée?Cettequestionluivalutunregardoutragé.—Biensûrquenon!—Alors,oùsetrouvet-il?—Al’abri,dansuneconsigne.—Hannah,permets-moidetedireleschosescommejelesvois.Tonpetitamit’amèneunpaquetde

fric,tedemandedelegarder,sefaittuerlejoursuivant.Ensuite,tonappartementestcambrioléettunereliespaslesfaitsentreeux?—Lesfaitsnesesontpassuccédédefaçonsiordonnée,répondit-elle,excédée.Elleseleva,fitquelquespaspourallers’adosseràlabalustradeetleregardaavecdéfi.—Ilm’aremisl’argentjusteavantdemourir.Jepensaisqu’àunmomentouàunautre,quelqu’uny

ferait allusion, mais apparemment, personne n’était au courant de l’existence de cette somme. J’aiemportélesacaubureau.Jel’aitoutd’abordenfermédansundemestiroirspuisj’aitransférél’argentdansmonattaché-caseetl’aidéposéàlaconsigne.C’estsuiteaprèsquejemesuisrendueenTierraMontañosaetquel’embuscadeaeulieu.Tunepeuximaginerdansquelétatjemetrouvais:HarrisonPlumberetHugoCorreakidnappés,etvousautresretenusenotage.Jevenaisjustedeterencontreretlelendemain,tudisparaissais.Toutceciétaitcomplètementfou.SansparlerdupauvreSantiCorrea.Il

m’avaitrecrutéedèsmasortiedel’université,m’avaittoujourstémoignélaplusgrandegentillesseetjeme retrouvais dans ce pays perdu, seule, à prendre soin de lui car il était persuadé que son filsuniqueallaitêtrefroidementexécuté.Hannahrepritsonsouffleenlefixantdroitdanslesyeux.—Ensuite,mongrand-pèreestmort,mamères’estremariée,HugoetHarrisonontété libéréset,

pour couronner le tout, j’avais des nausées chaque matin à cause de ma grossesse. Lorsqu’on acambriolémonappartement,j’étaisdansunétatd’anéantissementtotal.Commerienn’avaitétévolé,j’aipenséqu’ils’agissaitdesimplescasseurs,etdetoutefaçon,j’avaisprévud’allervivreavecmagrand-mère.Aussi,monsieur je-sais-tout,n’ai-jepas fait la relationentrecesévénements jusqu’àcequ’hier,tumedemandessij’avaisjouéunrôledanslaremisedelarançonauxguérilleros.Celam’arappelélescinquantemilledollars.Ducoup,jemesuisinterrogée:siDavidesteffectivementalléenTierraMontañosaplutôtqu’enArizona,qu’aurait-ilbienpuyvendrepourunetellesomme?Jackpritquelquesminutespouranalysersespropos;lesinformationsqu’ellevenaitdeluidélivrer

s’organisaientprogressivementdanssonesprit.—Davidétait-ilinformédel’itinéraireduconvoi?—Ilavaitaccèsàmesdossiers,répondit-elleenrechignant.Ilnemeseraitjamaisvenuàl’idéede

luicachercesinformations.Rienn’étaitencoreprouvé,mais,sileraisonnementd’Hannahétaitjuste,lepèredesonenfantavait

alorssapartderesponsabilitédanslamortd’unedizained’êtreshumains.«David,espèced’ordure,commentas-tupufaireunechosepareille?»—S’ilestsortidesEtats-Unis,sonpasseportdoitavoirététamponné,affirmaJack.— J’ai envoyé un colis à lamère deDavid contenant ses affaires après samort,mais je neme

souvienspassisonpasseports’ytrouvait.—As-tuparléavecsasœuràl’enterrement?T’a-t-elleconfirméqu’ilétaitvenuluirendrevisite?—Non.Ellen’yapasassisté.Ilyavaitseulementsamère,sonbeau-pèreetl’undesesfrères.—Peut-êtrepourrais-tul’appelereninventantunprétextequelconquepourévoquersonséjourchez

elle?Ainsinousserionsfixés.—Jenevoispascequejepourraisbieninvoquer,avouaHannah.Safamillemeconsidéraitcomme

sacollègue,pascommesapetiteamie.—Tupourraisfaireuneffort.Elleréfléchituninstant,maisellen’étaitpasemballéeparcetteidée.—Oui,jevaistâcherd’ysonger.Elle lui tourna ledos et seperdit dans la contemplationde l’océan. Il se levade table etvint la

rejoindre.—Unautremembrede la fondationest-il allé là-basavant lesévénements?Pour l’ouverturede

l’école,parexemple?—Tuesencoreentraind’essayerderelierl’embuscadeàl’undesemployés,avança-t-elle.—JeveuxbiencroirequeDavidsoit legenredegarsàvendredes informationsauxguérilleros,

mais je ne vois pas comment il s’y serait pris, vu qu’il ne se rendait pas régulièrement en TierraMontañosa.

—Entoutcas,ilavaitapprisl’espagnolparsonbeau-pèrequiestoriginairedeMexicoet,àvraidire, lecomprenaitmieuxqu’ilne leprétendait.De toute façon, siquelqu’unde la fondation s’étaitrendulà-bas,n’aurais-tupasétérecrutépourleprotéger?—Jenel’étaispassystématiquement…Elleacquiesçad’unairdépité;ellesemblaitsiaccabléepartoutecettehistoirequ’ilressentitune

immense compassion. Comment pouvait-il, encore vingt-quatre heures plus tôt, penser qu’elle avaittoutorganisé?Celaluiparaissaitàprésenttoutsimplementimpossible.—Jeneparvienspasàtrouverlelienentrelesévénements,dit-ilendétaillantseslongscilsourlés,

maisjesuissûrqu’ilexistebeletbien.Ilyadeuxquestionsmajeures.Lapremière:quiaorganisél’embuscade?Sijesuisdanslevrai,quelqu’unauseindelafondationdétournedesfondsauprofitduGTM,quilesutilisepourinstallerdescampsd’entraînementpourterroristes.Sic’estlecas,commentpouvons-nouslescontrer?Etquelestlelienaveclapersonnequiteharcèle?— Cela fait au moins trois questions. La réponse la plus probable à la dernière est que cette

personneestaucourantpourl’argent.—Celaexpliquelecambriolage,maispaslebrisdelafenêtrenilalettreanonyme.Ondiraitqu’ily

adeuxespritsdifférentscontretoi.TonpassageaubureaucematinavaitunrapportavecDavid,n’est-cepas?—J’avaiscomplètementoublié,répondit-elleensortantdesapochelemorceaudepapierqu’elle

luitendit.Jacklutàhautevoix:—9D1251-2.Qu’est-cequeçasignifie?—Jen’enaiaucuneidée.C’étaitdanslesacdesportavecl’argent.Çateditquelquechose?—Absolumentrien.Cepourraitêtrelacombinaisond’uncoffre,lescoordonnéesd’unlieu,uncode

secret…As-tugardélesacdesport?—Ilestdansmontiroir,aubureau.Ilestvideetneprésenteaucuneparticularité,réponditHannah.Illuitenditlepapiermaiselleluifitsignedeleconserver.—Jepréfèrequecesoittoiquilegardes,luidit-elle.Illepliaavecprécautionetlerangeadanssonportefeuille.Hannah respira profondément ; cela lui enlevait un sacré poids de la conscience d’avoir informé

Jackàproposdel’argent.Mais,sanslesecoursdeDavid,ilallaitêtrecompliquédefairelalumièresursaprovenance.Ilssetenaientcôteàcôte,appuyéscontrelabalustrade,leurscorpssetouchantpresque.Lorsqu’elle

tournalatêtedanssadirection,Jacks’aperçutqu’unelarmeperlaitauborddesescilsetl’attiraàlui,luientourantlesépaules.Hannahfrissonnaetselaissaaller.Ildéposaunbaiserdanssescheveuxetpuensentirledouxparfum.Ellelevaalorslesyeuxetluioffritunregardlégèrementsurpris.Ilsepenchaverselle,s’attendantàcequ’elletented’échapperàsonétreintemaisellen’enfitrien.

Aucontraire,elle s’approchadoucementet, tandisque levent faisaitdanser leurscheveuxde façondésordonnée,ilpritsonvisagedanslacoupedesesmainsetluioffritseslèvres,réclamantunbaiser.Elleeutunpetitmouvementderecul, le regardaprofondément,puis l’enlaçaenseblottissant tout

contre lui. Sa poitrine se pressait contre son torse puissant tandis que ses doigts jouaient avec les

longues boucles brunes dans sa nuque. Son regard était si intense qu’il se sentit vulnérable commejamaisauparavant.Lorsqueleurslèvresentrèrentencontact,cefutunvéritablesoulagement.Elleglissasalanguedans

saboucheetJacksentitalorstoutsonêtres’embraser.L’annéequis’étaitécouléedepuisqu’ilsavaientfaitl’amourvolaenéclats,etilluisemblaêtretransportédanslanuitmoitedeCostadelRio.Si seulement ils avaient éténus, peaucontrepeauà cet instantprécis…Bon sang, sedit Jack, il

devaitsereprendre;depuisquandunbaiserlemettait-ildansuntelétat?Il luiprit lespoignetset larepoussaavecdouceur.Ellebattitdespaupièreset luioffritunregard

teintéd’incompréhension.Ilfituneffortsurhumainpourdomptersespulsionsetrecouvrerlamaîtrisedelui-même.Ilnesutquoiluidire,saufpeut-êtrequ’ilétaittombédanssonproprepiègeetavaitsuccombéàses

charmes.Uneannéedanslajunglesanslemoindrerapportsexuelavaitendormisalibido,etcelle-ciseréveillaitinstantanémentchaquefoisqu’Hannahposaitlesyeuxsurlui.Jacksavaitnéanmoinsquecetteattirancedépassaitlesimpledésircharnel.—Jemesuisunpeulaisséaller,dit-ildansunsouffle.—Moiaussi.Ilyavraimentquelquechoseentrenous,avoua-t-elle.Jenesauraislenier.Ildéglutitavecpeinetoutencherchantsesmots.—Chérie,tuavaisraisonhiersoir.Tuaschangé.Nousavonschangé.Jesuislegardeducorpsde

tonbébé,pas tonamoureux.Il tefautunhommequisoitunbonpèrepourAubrielle,etnoussavonstousdeuxquecen’estpasmoi.—Effectivement,admit-elled’untonsiconvaincantqu’ilenfûtpeiné.Illuicaressalementon,puisglissalamaindanssachevelure.—Cettejournée,cerepasprisensemble,cettesensationdeliberté,toi…toutcelam’aembrouillé

l’esprit.JedoismeconcentrersurlasoudainerichessedeDavid,laFondationStarr,lesgensquisontaprèstoi,etaulieudecela,jenepensequ’àt’attirerdansmonlitchaquefoisquenoussommesseuls.Elleluicaressaaffectueusementlajoue,sesdoigtssuivantlespetitssillonsdesescicatrices.Jack

fermalesyeux;ilauraittoutdonnépourquecettehistoirenesoitjamaisarrivée,leurpermettantainsidevivreleuramourentoutequiétude.—Davidauraétéuneerreurdansmavie,dudébutàlafin,admit-elle.Tuasraison,jenepeuxplus

mepermettrelemoindrefauxpas.—Jesuisinquietdeconstaterquetuprendstoutcequit’arriveàlalégère.Tagrand-mère,elle,est

mortedepeur.—Jem’enrendscompte,àprésent.Jen’enavaispasconsciencejusqu’àaujourd’hui.ElleseblottittoutcontreluietJackenfutému.Celareprésentaitàsesyeuxunemarquedeconfiance

bienplusgrandequelebaisertorridequ’elleluiavaitaccordéquelquesinstantsplustôt.—Jevaistoutmettreenœuvreafindeprotégertonbébéettagrand-mère,annonça-t-il,passantsous

silencelefaitqu’ilétaitprêtàremuercieletterrepourlaprotéger,elle.JesaisquelaFondationStarrestimpliquéedansuntraficavecleGTMet…— Jack ?Oublie tout ce quim’est arrivé.Oublie tout ce qui concerne la Fondation Starr.Nous

n’avons aucune idée d’où provient l’argent que m’a remis David, ni à qui il était destiné. Es-tu

absolumentsûrquetesaccusationsnesontpasguidéesparundésirdevengeance?—Non, je n’en suis pas si sûr. Je vais être franc ; j’admets que je rêve de punir les salopards

responsables de ce massacre. Peut-être la haine emplit-elle mon cœur d’un profond désir devengeance.Maisj’aisurtoutapprisilyabienlongtempsàfaireconfianceàmonintuition.Elleapprouvadelatêtecarsesproposluisemblaientjustesetfondés.—Jack…Elles’interrompitaussitôt,commeunepetitemélodies’échappaitdesonsacàmainqu’elleavait

laissé sur la table.Elle s’élança, l’ouvrit fébrilementet en sortitunpetit téléphoneportablequ’elleportaàsonoreille.— On a raccroché, annonça-t-elle en consultant l’écran. C’est le numéro de la maison. Je me

demandepourquoigrand-mèrearaccrochésivite.Elleappuyasurlatouchedecompositionautomatiquedudernierappelreçu.Sonexpressionreflétait

unevivetension.Jacksentitsonestomacsenouer.—Pasderéponse.—Tuasduréseau?Ellejetauncoupd’œilàl’écrandutéléphone.—Oui.Çasonnemaisellenedécrochepas…Sonvisageétaitlivide.—Ilfautyaller,Jack!Ils’étaitdéjàélancéverslavoiture.

6

Hannahtentadejoindrelamaisonsansrelâche.Puiselleeutl’idéed’appelerunedesjoueusesdelapartiedepoker.Dèslasecondesonnerie,ondécrocha.—Barb?Dieumerci,lançaHannahenoffrantàJackunsouriredesoulagement.LetéléphonedelamaisonétaitcertainementendérangementetMimines’enétaitpasrenducompte.—Allo?Hannah?Toutvabien,trèschère?Jackvenaitd’entrerdansAllota,dépassantleparkingdusupermarchéoùlavoitured’Hannahavait

brûlélaveille.—Jeseraiàlamaisondansuninstant,dit-elleàBarb.Jem’inquiètequegrand-mèrenerépondepas

autéléphone.—Elledoitêtreàlamaison.Nousl’yavonslaisséeilyabienuneheuredecela.Ellen’avaitpas

prévudesortir.—Queveux-tudire?Tun’espasavecelle?—Non,réponditBarb.—Elleestseule?—Oui.Miminousamisesdehors.JackieetDarlène,lesdeuxsœurs,tusais,ehbienellessesont

disputéesetcelaaréveillélebébéet…—Excuse-moi,Barb,l’interrompitHannah,jeterappelle,d’accord?HannahraccrochaetsetournaversJack.—Grand-mèreestseuleàlamaisonavecAubrielle.—Bonsang!Onyseradansuneminute,annonça-t-ilenfaisantcrisserlespneusdanslevirage.Iln’yavait aucunevoituredevant lamaisonet laported’entréeétait entrouverte.SaHarleyétait

toujoursprèsdugarage.—Ne pénètre pas à l’intérieur, ordonna Jack alors qu’Hannah avait déjà sauté de la voiture et

s’élançaitverslamaison.Elleentenditsonavertissementmaispassaoutre,folled’inquiétude.—AttendsHannah!s’écriaJack.Mimiestsûrementàl’arrièredelamaisondanslejardin.Çadoit

êtreleventquiaouvertlaporte.Oupeut-êtreMimigisait-elleàl’intérieur,assommée?EtAubrielle?Hannahs’envoulaitd’avoir

laissésagrand-mèreseule,sansdéfense,avecunbébé.—Hannah!Elle entendit Jack l’appeler une dernière fois tandis qu’elle entrait dans lamaison. Elle s’arrêta

aussitôt,pétrifiée.Laporteavaitétéfracturéeetuncyclonesemblaitavoirtraversélesalon.—Grand-mère?appela-t-elledoucement.Aubrielle?Jackfutprèsd’elleenuninstant.

—Elles ne sont pas là,mais on va fouiller lamaison, dit-il en la dépassant pour entrer dans lacuisine.Ellejetaunregardpar-dessussonépauleetvitquetoutétaitenordre,contrairementausalonoùrégnait lechaos.Laportemenantaujardinétaitgrandeouverte.HannahseglissasouslebrasdeJackets’élançaàl’extérieur.Personnenonplusdanslepetitjardin.Hannahfitdemi-touretretrouvaJackdanslesalon.N’ytrouvantaucunindicedeleurprésence,ils

s’élancèrent dans le couloir, Jack inspectant la chambre de Mimi tandis qu’Hannah gagnait celled’Aubrielle.Elleneremarquariendeparticulierdanslapièce,exceptéletéléphonesansfilquigisaitsurlatable

àlanger.Elles’ensaisitetappuyasurlatouchedecompositiondudernierappel;sonportablesemitàsonner.—Rienici?demandaJackensurgissant.—Non.—Regardedansleplacard,luidemanda-t-il.Hannahvérifia,sanssuccès.—Oùa-t-ellebienpualler?Chezunvoisin?suggéraJack.—Peut-êtrechezlesHendricks,maistupensesbienqu’elleauraitlaisséunmot!Etpuis,comment

expliquer la pagaille qui règne dans le salon ? On a regardé partout et je ne vois pas où ellespourraientsecacher…Oh,lacave!—Ilyaunecavedanscettemaison?— Pas vraiment une cave. Une dénivellation du terrain sous les fondations. Grand-père y avait

aménagéunaccèsafind’yrangernotrefourbi.—Commentonyaccède?—Parici,réponditHannahentraversantlecouloir,maisgrand-mèreahorreurdecetendroitcarça

grouilled’araignéeslà-dedans.Elle ouvrit la porte d’un placard et vit que les deux valises habituellement rangées côte à côte

étaient empilées le longdumur.Elle souleva une trappe au sol, révélant une ouverture sombre.Onapercevaitdifficilementlapremièremarchedel’escalierdebois.Baissantlavoix,ellemurmura:—Ilss’enservaientprincipalementpourentreposerlesdécorationsdeNoël.Tudevraistrouverune

lampetorchesuspendueàuncrochet,surtadroite.—Iln’yapasdelampe,répondit-il.Enrevanche,j’enaivuunedanslachambred’amis.Attends-

moiici.Depuisquandlalampeavait-elledisparu?Ellecrutpercevoirunpetitbruitdanslesprofondeursde

lacave.Lecœurbattant,elleagrippalarambardeetcommençaàdescendrel’escalier.Sagrand-mèredevaitavoirprislatorche,toutsimplement.Toutàcoup,unfaisceaulumineuxl’aveugla.—J’aiunearmeetjen’hésiteraipasàm’enservir!crialavoixdeMimidepuislapénombre.Un

pasdeplusetjet’envoieenenfer!—C’estmoi,grand-mère.Hannah.—Hannah!OhmonDieu…

MimidétournalefaisceaudelatorcheetHannahputdévalerl’escaliersansrisquerdeseromprelesos.Commentsagrand-mèreavait-ellepuseréfugierlàavecAubrielledanslesbras?ElleparvintàladernièremarchealorsqueJacksurgissaitenhaut,unelampeàlamain.Mimi émergea d’un coin sombre et se fraya un chemin parmi les vieux cartons et les caisses

empilées çà et là. Elle tenaitAubrielle serrée dans ses bras. La lumière tremblait dans samain etprojetaitdesombresfantasquessur lesmurscouvertsdetoilesd’araignées.Ellesemblait totalementépuisée.Hannahl’enlaçaavecémotion.—Assieds-toi,dit-elleenaidantsagrand-mèreàseposersuruncartonpoussiéreux.Jacklesrejointaussitôtetvints’agenouillertoutprèsdeMimi,luiprenantlatorchedesmains.—Çava,Mimi?luidemanda-t-ildoucement.—Çavamieux, répondit-elle dans un soupir.Quand j’ai entendudes pas là-haut, j’ai cru qu’ils

étaientrevenus.—Maisdequiparles-tu,grand-mère?questionnaHannah.—Jenesaispas…—Sortonsd’ici,proposaJack,etvousnousraconterezcequis’estpassé.Il se saisit d’Aubrielle et fit une rapide inspection.Tout avait l’air normal chez la petite fille. Il

arrangealechâleroseautourdesonpetitcorpsdélicatetlatintserréecontrelui.Hannahressentitunedrôledesensationenvoyantcettepetiteformerosedanslesbrasdecethomme

imposant.Elleselaissatomberàcôtédesagrand-mère.—Tutesensbien?demandaMimienluitapotantlamain.Hannahfermalesyeuxetmarmonna:—Non.

***

—Racontez-nouscequis’estpasséavantquelapolicen’arrive,ditJack.Hannahavaitappelé lecommissariatavantdevenirs’installerdans lacuisineavecAubrielle. Ils

avaientdécidédelaisserlesalonenl’étatafinquelesenquêteurspuissentreleverd’éventuelsindices.JackavaitinstalléMimisurunechaiseetluiservaitunetassedethébienchaud.Hannahfutsurprise

delevoirprendresoindelavieilledame,cetélandecompassionluidévoilantunenouvellefacettedesapersonnalité.—Jackieavaitverséunpeudecognacdanssonthéets’estmiseànousraconterqueDarlèneallait

subiruneliposuccion,alorsDarlèneestdevenufollederage…Oh,chérie,n’enparleàpersonne,c’estsecret.Enfin,bref,jelesaimisesàlaportejusteaprèstoncoupdefilm’annonçantquevousétiezenchemin.Ensuite,jesuisalléedanslachambred’Aubriellepourlachanger.Jevenaisdeterminerquandj’aientendudubruit sur leperron.Quelqu’un tripatouillait laserrure.Medoutantquecenepouvaitêtrevous,carvousavezuneclé,j’aiprispeuretn’aipaseulecouraged’allervoir.Commej’avaisletéléphoneavecmoi,jevousaiappelés.Çasonnaitdanslevideetjemesuisditquesic’étaitvous,là

devantlamaison,tonportableauraitsonné.Puisj’aientenduungrincementetdesvoixinconnues;là,j’ai vraiment paniqué. Le téléphonem’a échappé desmains quand j’ai soulevéAubrielle dansmesbras.—Oh,grand-mère,laissatomberHannah,jesuistellementdésolée…—Non,chérie, toutestma faute. Jen’aurais jamaisdû renvoyer les filles. Jeneparvenaispasà

imagineroùnouscacher.Aubrielleétaitbienréveilléeetémettaitdespetitsgazouillis,cequipouvaitnousfaireremarquer.Jemesuisrisquéedanslecouloir,voulantsortirparlaportedederrière.Quandj’ai entendu un objet se fracasser dans le salon, je me suis souvenue de la cave. J’ai alors prisconsciencequej’avaisoubliéletéléphonedanslachambred’Aubriellemaisc’étaittroptard.—Tun’asvupersonne?demandaHannah.—Non.—Etlesvoix?Masculinesouféminines?Combiendepersonnes?questionnaJack.— Je ne sais pas exactement. On a demandé : « Il y a quelqu’un ? » Bien entendu, je n’ai pas

répondu.Peut-êtrequesij’avaisétéseule,j’auraisfaitpreuved’unpeuplusdecourage.Ducoup,jemesuiscachéeàlacaveavecAubrielle.Lesalonestdévasté,n’est-cepas?—Lesdégâtsmatérielsnesontriencomparésauxvieshumaines,rétorquaJackenjetantunregardà

Hannah.TandisqueMimiseplaignaitàhautevoixdesonmanqued’audaceets’accusaitdetousles torts,

HannahdonnaleseinàAubrielle.Soudain,elleentenditunevoitureapprocheretvitparlafenêtrelesgyropharesprojeterleurslueursbleuetrougesurlamaison.—Lapoliceestlà,annonça-t-elle.Aufait,grand-mère,jepensequ’ondevraittenirJackendehors

detoutceci.JackvoulutprotestermaisMimineluienlaissapasletemps.—Jesuisdetonavis,approuva-t-elleenallantouvrirauxpoliciers.—Hannah…,commençaJack.Ellelefittaireenapposantundoigtsurseslèvres,maiscenefutpasunebonneidée.Toutcontact

physiqueentreeuxrisquaitdedégénérer.Elleretirabrusquementsamain,commesielles’étaitbrûlée.—Tun’esenrienconcernéparcequivientd’arriveret,quiplusest,tuesensituationirrégulière,

déclara-t-elle.Silespoliciersvenaientàs’intéresseràtoi,ilspourraientbienfairelarelationaveclafondationettecollerlaresponsabilitédel’embuscadesurledos.Toiquivoulaisquejeprennetoutecettehistoireausérieux,tevoilàservi!—Hannah,dit-ilendégageantlechâleduvisaged’Aubrielle,jesuissongardeducorps.Jenevais

pasmecacher.— Sois raisonnable pour une fois, Jack. Agis dans son intérêt. La police sera là d’un instant à

l’autre.—MaHarleyestgaréejustedevantlamaison.Ettupensesbienqu’onadûmevoiralleretvenir

danslesparages.—Jeleurdiraiquetuesunamiquimerendvisite.C’estainsiquej’aiparlédetoi,hier,àLatimer.

Sorsparlaportedujardinetvafaireuntoursurlaplage.Laisse-moigérerlasituation.Jeviendraitechercher.

—Non,nelaissepasAubrielleettagrand-mèreseules.Jereviendraiquandilsserontpartis.Ildisparutaussitôtaprèsluiavoirdéposéunbaiserdanslescheveux.

***

Jackévitalespoliciersettraversalejardinenveillantànepasdétruireunindicequelesagresseursauraientpulaisser.Iln’étaitpasquestionpourluides’éloignerdelamaisonetilsemitenquêted’unpointd’observationàcouvert.Il trouvasonbonheurde l’autrecôtéde la rue.Uneépavedevoituregisait làdepuisdes lustres,

sous un hangar rafistolé qui menaçait de s’écrouler à tout moment. A travers le pare-brise sale etfissuré,ilpouvaitvoirlespolicierssansêtrevu.L’und’euxsetenaitsurlepasdelaporteetdiscutaitavec Hannah et Mimi. Puis cette dernière s’en fut avec Aubrielle dans les bras, laissant Hannahrépondreauxquestions.Lepolicierseretournaenfinetjetaunregardendirectiondesoncollègue.Nettementplusâgé,ce

derniers’étaitéloignéetrédigeaitsonrapport.Jackreconnutleplusjeunedesdeux:c’étaitluiavaitraccompagnéHannahlaveilleaprès l’incidentde lasupérette.Hannahluiserra longuement lamain,puisrentradanslamaison.Lepolicierrejoignitsoncollègue,unpetitsourireencoinauxlèvres.Lorsqueleurvéhiculefuthorsdevue,Jacksortitdesacachetteetregagnalamaison.Iltrouvales

deuxfemmesdanslesalon,occupéesàremettredel’ordredanscefatras.Tandisqu’elless’affairaient,ellesluifirentuncompterendudesobservationsdespoliciers.Maiscelan’apportaitaucunelumièresurl’incident.—L’officierLatimeraprislalettreanonymepourlaconfierauservicescientifiquedeFortBragg.

Leposted’Allotan’estpaséquipépourcetyped’investigation.—Ilssesontcomportéscommesinousleurcachionsdeschoses,luidéclaraMimienpoursuivant

sonménage.—Jenesuispasde tonavis, rétorquaHannah. Jepenseplutôtqu’ilsétaientaussiperplexesque

nous.—Ont-ilsrelevédesempreintes?demandaJack.—Quelques-unes,réponditHannah.Ilsontprislesmiennes,cellesdeMimietontdemandéquetu

passesdéposerlestiennesaupostedepolice.—J’auraisdûm’endouter,grommela-t-il.—Jeleuraiditquejen’étaispassûrequeturepasses,aussileurai-jedonnétonverreàdentsafin

qu’ilscollectenttesempreintesetrayentainsitonnomdeleurlistedesuspects.—Joliréflexe,approuvaJack.—C’estàcausedessériespolicièresqu’elleregardeàlatélévision,expliquaMimi.—Ilsn’onttrouvéniempreintedepasnitracedepneus,poursuivitHannah.Etunefoisdeplus,rien

n’adisparu.—Peut-êtrelescambrioleurscherchaient-ilsdel’argentliquide,avança-t-ilenluijetantunregard

lourddesignification.

—Ici?Danscettemaison?s’esclaffaMimi.Jepenseplutôtàdespetitsdroguésenmanque.—C’estpossible,admitHannah.Latimerm’apromisdemetenirinforméedel’avancementdeson

enquête.JackfuttentédeluidemandercequeLatimeravaitbienpuluiraconteravantdesedéciderenfinàla

quitter.Maisiln’enfitrien;aprèstout,celaneleregardaitpas.Hannahselevadebonneheurelelendemainmatin.Elleavaitpassél’après-mididelaveilleàtenter

de rattraper son retard sur les préparatifs de la journée portes ouvertes, mais certaines opérationsnécessitaientsaprésenceaubureau.Travailleràlamaisonoffraitcertainsavantages,lepremierétantdedemeurerauprèsd’Aubrielle.

Elletrouvaitpourtantqu’ellenepassaitpasassezdetempsavecsafille.Siellen’avaitpaseubesoind’argent,elleauraitbienprisuncongésabbatique.HeureusementqueMimiétaitlàpourlaseconder.Aprésent,elledevaitcomposeraveclaprésencedeJack.Ildevaitéviterlafondationdepeurd’être

reconnu. Du coup, il allait passer beaucoup de temps avec Mimi et Aubrielle, et cela contrariaitprofondémentHannah.Laseulefaçondesedébarrasserdeluiétaitdedécouvrirquilaharcelait.Ensuite,ilpourraitbien

alleroùbonluisemblerait.Sipossibleloind’Allota.Elles’habillarapidementaprèsavoirchangéAubrielleetladéposadanssonberceaupoursasieste

matinale.Elle se composaune expressionneutre avant depénétrer dans la cuisine.Elley trouva lamêmescènequelaveille;JacketMimi,bavardantentoutecomplicité.—Bébéestnourri,changé,etdortdanssonberceau,annonça-t-elleà sagrand-mèreavantde lui

déposerunbaisersurlajoue.EllefutrassuréedevoirqueMimiavaitreprisdescouleurs.Jack,poursapart,grignotaitsestoasts

brûlés accompagnés d’œufs au plat trop cuits. Levant les yeux vers Hannah, il remarqua sa tenueimpeccable.—Prêtepourletravail?Elleseservitunetassedecaféetpritunebarredecéréales.—Toutàfait.Jeseraideretourendébutd’après-midi.Untechnicienviendraversmidiremplacer

lavitredusalon.La veille au soir, Jack avait réparé le verrou de la porte d’entrée.Une fois la vitre changée, la

maisonseraitdenouveausécurisée.Ils’agissaittoutefoisd’unesécuritérelative;Hannahfinissaitparpenserquecemotnevoulaitpasdiregrand-chose.—J’aifaituntourdanslequartier,cematin,luiappritJack.Jen’airienremarquédespécial.—Grand-mère,jepensequejevaisencoret’empruntertavoiture,ditHannah.—Pasdesouci.Jevousprépareunbonrôtipourcesoir,annonçaMimi,etunecharlotteauxfraises.—Mondessertpréféré,ajoutaJacksanssedouterqueMimirisquaitfortdelemassacrer.HannahsortitparlaportearrièredelamaisonpourgagnerlavoituredeMimidanslegarage.Jack

avait insisté pour que celui-ci soit fermé à clé durant la nuit, empêchant quiconque d’approcher levéhicule.—Jepeuxappelerlegaragistepourtoi,proposaJack,quil’avaitsuivie.—Jeveuxbien,merci.

—Jen’aimepasdutouttevoirpartirseule.—Toutvabien.—N’oubliepas:évitedeposerdesquestionstropprécises,celapourraitmettrelapuceàl’oreille

dequelqu’unet…—Jack?Arrête!l’interrompit-elle.Toi,surveillerAubrielle,dit-elleenlepointantdudoigt.Moi,

allertravailler,ajouta-t-elleenseplaquantlamaincontrelapoitrine.—Pasdeconsignesparticulièresàproposdemes«clients»?demandaJackavechumour.—Aubrielleadorequ’onlaberceenluichantantdeschansons,maisnet’inquiètepas,grand-mère

saittrèsbienyfaire.Contente-toidesurveillerlesenvironsetsoisarméaucasoùlesagresseurssereprésenteraient.Jackluiadressaunepetitegrimaceenréponseàsessarcasmes.—Jeneplaisantepas,Jack,veillesimplementàlasécuritéd’Aubrielle.Ceseraparfait.

***

Visiblement,songeaHannahsurlechemindutravail,Jacksesentaitdeplusenplusimpliquédanssavie.Laseulefaçondesetirerdecettesituationétaitdedémêlertoutecettehistoireauplusvite.Tâchant de se faire discrète au bureau, elle fit de nombreuses recherches sur internet sur les

établissements scolaires en TierraMontañosa.Ainsi qu’elle en avait informé Jack, elle connaissaitbienl’historiquedelaFondationStarr.Ellesavait,parexemple,queSantiCorreas’étaitdémenésansrelâchepourmonteraumoins troisécolesdanscepetitpays,cecidans lebutd’enrayer lapauvretégrandissante et de lutter contre le vice qui l’accompagnait inévitablement. Il était donc impossibled’imaginerSantidemècheavecleGTM.Ilnerestaitdoncplusqu’HugoetHarrisonPlumber.Tousdeuxavaientlargementsouffertentreles

mainsdesguérilleros.PeuimportaitcequeJackprétendait;celalesmettaienthorsdecause.EtDavid?S’ilavaiteuuncompliceetquecelui-cicherchaitàrécupérerl’argent?Maispourquoi

s’enprendreàelle?Ilauraitétéplussimpledeluiréclamerdirectementlasomme.Onfrappaetlaportes’entrouvrit,laissantapparaîtrelevisagedeFran.Celle-cijetaunrapidecoup

d’œil dans le couloir avant de se glisser dans le bureau d’Hannah. Cette dernière ferma sa pageinternetparprudence.—Quelquechosenevapas?demanda-t-elletandisqueFrans’asseyaitenfaced’elle.—Tunevasjamaiscroirecequejeviensd’apprendre.Tuesconcernée,chérie.—Moi?—C’estàproposdetesamoursetc’estplutôtcroustillant,avançaFranenbaissantlavoix.Hannah pensa que quelqu’un avait découvert la véritable identité de Jack et le fait qu’elle

l’hébergeait.Croisantlesbras,ellesepréparaaupire.

7

LesyeuxdeFranpétillaientdemalice.—Jenesauraistedirequiestàlabasedecesragots,poursuivit-elleàvoixbasse.J’aientenduune

conversationàlacafétéria.Deuxfillesduserviceentretienpapotaient.L’uned’ellesaditàl’autrequetoietDavidLengellsortiezensemblejusteavantsondécès.Fran l’observait, attendant sa réaction. Jack était pourtant le seul à être informé de sa relation

amoureuse avec David, songea Hannah. Il n’avait pas eu le temps de bavarder. Ni un intérêtquelconqueàlefaire.Fransemépritsurlesilencedesacollègue,l’interprétantcommeunaveu.—Nememenspas,jesaisquec’estfaux.Quandjerecroiseraicesdeuxcommères,je…—Etmêmesic’étaitvrai?l’interrompitHannah.Qu’est-ceçachangerait?Davidestdécédé.—C’est grave, ce que tumedis là.SiHugoCorrea apprenait que tu as euune relation avecun

collègue,cequiestcontraireaurèglement,ilpourraitterenvoyer.Etjetesignalequejesuislaseuleaucourantquelepèred’AubrielleestunexpatriéfrançaisenposteàCostadelRio.Si jamaiscetterumeuràproposdeDavidvenaitàserépandre,onpourraitpenserquec’estluisonvraipère.« Tu es à présent dans de beaux draps, se dit Hannah. Voilà ce qu’il en coûte de raconter des

mensonges.»Maisilétaitunpeutardpourlesregrets.Silarumeursepropageait,ehbien,tantpis.Lesautrespourraientpensercequ’ilsvoulaient.Maiscelane risquait-ilpasdeparvenirauxparentsdeDavid?Ellenevoulaitpasqu’ilssouffrentdavantage.Aprésent,sonprincipalregretétaitd’avoirfautéavecDavid.Deplus,celan’avaitpasétéunesi

belleaventure.—S’ilteplaît,n’enparleàpersonne,demanda-t-elle.—Jenetesuispas.Pourquoitu…— Fran, l’interrompit Hannah. J’ai tellement de problèmes à régler en ce moment que tu n’en

imaginesmêmepaslequart.Cetterumeurestlecadetdemessoucis.LeregarddeFransefitplusinquisiteurquejamais.—Bien,mam’zelle,qu’est-cequisepasse?Dis-moitout.Il était horsdequestionqu’Hannah se confie àFran,mais il était possibleque l’officierLatimer

viennemener son enquête jusque dans les locaux de la fondation à propos du cambriolage et de lalettre anonyme. Aussi Hannah lui raconta-t-elle les tous derniers événements, se gardant bien dementionnerJack.Elleneparlapasnonplusdel’argentdeDavid,maisfaillitadmettrequ’ilsétaientsortisensemble.

Cependant,cetteinformationn’apportaitaucunepistesupplémentaireetrisquaitdeluicauserdutort.Aussitint-ellesalangue.—Jesuisstupéfaitequetuprennestoutceciàlalégère,ajoutaFranlorsqueHannaheutterminéson

récit.Tun’asaucuneidéedequiestaprèstoi?—Non.Toujoursest-ilquesisonintentionestdemerendremortedepeur,ilaatteintsonbut.

—Ondiraitquedeuxpersonnesdistinctesagissentdeconcertcontretoi,conclutFran.Jackavaitlamêmesensation.Unfrissonparcourutl’échined’Hannah.Unadversaireétaitdéjàbien

suffisant;nulbesoind’enrajouterunsecond.—Sij’apprendsquoiquecesoitdenouveau,jet’eninformeaussitôt,luiditFrand’unairsincère.—Ceseraitgénial.Maisn’enparleàpersonneetgardetonsang-froid,d’accord?—Promis.Tusais,cesontplutôtlesautresquimefontdesconfidences,ajouta-t-elleenarborantun

sourirefier.Maisjevaisêtrehonnêteavectoi;jenecroispasunesecondequetumediseslavérité.—Tunemecroispas?Tunecroispasque l’onaitvoulum’agresseren jetantunpavédansma

fenêtreetenforçantmaporte?—Si,làjeveuxbientecroire.MaisjesuissûrequetumensàproposdeDavid.—Jen’aipasparlédelui,sedéfenditHannah.—Evidemment.Tut’esbiengardéedementionnersonnom.Cependant,jemesouvienstrèsbiende

safaçondeloucherverstonbureautandisquenousbavardionsdanslehall.Etaussidelaprésencedesavoituredevantcheztoi,bienquetum’aiesjuré,àl’époque,quej’avaisdûrêver.Sansparlerdelapiècedethéâtrequevousêtesallésvoirensemble,l’annéedernièreàFortBragg.Plusçava,plusjemedisquelesragotsdesdeuxcommèresduserviceentretiensontfondés.Franétaittoutexcitéeàl’idéedetenirlàunscoop.Hannahsedemandaitnéanmoinscommentelle

n’avaitpassuspectéplustôtsarelationavecDavid.—Fran,veux-tubienlaissertomber?—J’aimequel’onsoitfrancavecmoi,réponditsacollègueensemordantlalèvre.Davidnet’a-t-il

rienoffert?—Aquoipenses-tu?rétorquaprudemmentHannah.—Tusaisbien.Sivousétiezaussiprochesqu’onledit,çaauraitpuêtretentantderecevoirunbeau

présentdesapart.MonDieu,songeaHannah;Franévoquait-ellesagrossesse?—Jenevoisabsolumentpasdequoituveuxparler.—Hum;sujetdélicat?demandaFranenéclatantderire.—Ecoute,Fran…—Oublietoutcela.Jesuistropcurieuse.Tumeconnais…Hannahcommençaitàendouter.

***

Jackn’avaitjamaiscruqu’ilauraitunjouràpasserautantdetempsencompagnied’unedameâgéeetd’unbébé.Ilsavaitqu’Hannahavaitcachéàsagrand-mèresesdoutesàproposd’unmembredelafondation,etcelaneluifacilitaitpaslatâchelorsqueMimil’assaillaitdequestions.Aubrielle,lepauvrepetitchou,n’avaitbienentenduaucunenotiondecequisetramaitautourd’elle

etJackytrouvaituncertainapaisement.Ellesecontentaitdevivrel’instantprésentetiladmiraitson

innocence.Enproposantdedevenirlegardeducorpsd’Aubrielle,ilnesedoutaitpasquecelaallaitfreinerses

facultésd’investigation.Mêmesesfameuxexercicesdeconcentrationneparvenaientplusàcombattrel’anxiété due à son inactivité.Mimi avait certainement deviné son impatience car elle lui proposad’allersepromeneravecAubrielle.Pasquestiond’êtrevuauxcommandesdelapoussetterosequ’elleluiprésenta.Mimiluioffritalorsunealternative:ungenredegiletpermettantdeporterl’enfantcontresoinomméporte-bébé.C’étaitbeaucoupmieux.JackinstallaAubriellecontresontorseetenfilasonblouson d’aviateur. Il convainquit Mimi de se rendre chez les voisins durant son absence, luipromettantderevenirlachercheraprèssabalade.Il se rendit à pied chez le garagiste qui lui apprit que la voiture d’Hannah serait prête le

surlendemain.Ilnégocial’échangedesaHarleycontreunpick-upqu’ilfitpromettreaugaragistedeluilivrerenfind’après-midi.Puisilmarquaunecourtepausedéjeunerdansunrestaurantgrecoùilavalaunsandwichaupaindesésamegarnideféta.Aubrielleleregardamangerdesesgrandsyeuxbleus.—Aubrielleestunbienvilainprénompourunesi joliepetitepuce, luidit-ildoucement. Jevais

t’appelerAbby,maismieuxvautnepasledireàtamaman.Il passa ensuite récupérerMimi et tous trois revinrent à lamaison juste à temps pour ouvrir au

vitrierquiétaitarrivéavecsonmatériel.Lavieilledame luidemandaalorsdedescendreà lacaverécupérer son chaudron à confitures. Jack s’exécuta, sachant qu’elle ne risquait pas grand-chose enprésencedutechnicien.Lescartonsempilésdans lacavecontenaientsuffisammentdedécorationsdeNoëlpour illuminer

toutlequartier,maispastraceduchaudron.IlmontaalorsaugrenieretfouillaitunpeupartoutlorsqueHannahapparutenhautdel’échelle.Un

rayondesoleill’éclairaitàcontre-jouretnimbaitsachevelurederefletscuivrés;onauraitditunangetombéduciel.Jackjuraensonforintérieur,conscientqu’illuifallaitàtoutprixfuircettemaisonetcesfemmes.—Tuastrouvélechaudron?demanda-t-elle.—Non.Jemedemandesitagrand-mèren’apasrêvé.—Pourtantjemesouviensl’avoirvulorsquej’aiemménagé.—Etàproposdelafondation?As-tudunouveau?Ellefronçalessourcilsetniad’unsignedetête.—Hannah,qu’est-cequetumecachesencore?—Riendutout.—Bon sang ! râla-t-il en s’approchant d’elle. Jeme suis retrouvé coincé ici toute la journée à

rongermonfrein.Dis-moicequis’estpassé.Elleréfléchituneseconde,puisluirépondit:—Riend’important.Maisnousavonsunnouveausouci.—Ohoui,biensûr,ironisa-t-il.Lagrandeénigmeduchaudronmagique.— Je parle d’un type nommé Hank Nebbins qui prétend que tu as échangé ta Harley contre un

horriblepick-upverdâtre;nemedispasquetuasfaitcela?—JenepeuxpasmedéplaceràmotoavecAubrielle,expliqua-t-il.

—Oùpenses-tuemmenerAubrielle?demanda-t-elleenfronçantlessourcils.Visiblement,cetteidéeneluiplaisaitguère.—Jen’ensaisencorerien,maisc’estjusteaucasoù.—IlesthorsdequestionquetuteséparesdetaHarleyàcausedemonbébé…—Hannah?Cen’estqu’unemoto.—Tavisiondeschosesabeaucoupévoluéenunejournée,Jack,répondit-elle.Elledescenditl’échelledevantluietJackenprofitapourplongerleregarddanssondécolleté.Illa

suivittoutensongeantàsesdernierspropos.Evoluer.Oui,c’étaitletermejuste.Ilseremémoraleurbaiserdelaveille,danslepetitport,ets’envoulutd’avoirrompulecharme.Pourquoicetteréservevis-à-visd’elle?Seprenait-ilpourunpreuxchevalier?Sil’occasionsereprésentait,elleallaitvoirdequellefaçonsessentimentsavaientévolué.Il estvraique la situationétait frustrante. Iln’avait rien faitde sa journée,àpart chouchouterun

bébéetcompterlesheures.Iln’enpouvaitplus.Unchangementdevaitsurvenir.Leplustôtpossible.

***

Certains jours, Aubrielle n’était pas de bonne humeur et le faisait savoir. En ce moment, parexemple,ellehurlait.Tandisquesagrand-mèretentaitdelacalmer,Hannahsesouvintquesapetitebalançoireavaitétérangéequelquessemainesplustôtdansleplacarddelachambred’amis.Uneidéeenamenantuneautre,ellerepensaauchaudrondeMimiquidevaitaussis’ytrouver.Ellemenaitdes recherchesdans leplacard lorsqueJack la rejoignitdans lapièce.Sa transaction

avecHankNebbinsdevaitêtreconclue.—Quefais-tu?luidemanda-t-il.—Jecherchelechaudrondegrand-mère.Jepensel’avoirvudansceplacardquandj’aiemménagé.Ilvints’asseoirsurlefuton.Puisilserelevaaussitôtetfitlescentpasdanslapièce.Ilcommençait

à s’énerver.Elle sortit unepetiteboîte ferméeparunebandede scotch afind’accéder àune caissenichéederrière.—Qu’est-cequec’est?laquestionnaJackensesaisissantdelapetiteboîte.—Jenesaispas.—C’estadresséàDonnaGonzales.Neserait-cepaslamèredeDavid?Illuimontral’étiquetteetHannahreconnutsapropreécriture.Ellel’avaittoutsimplementrapportée

chezsagrand-mèreaulieudelaposter.—Oui,ellen’apaslemêmenomdefamillequeDavid.Jepensaisl’avoirexpédiée.Pasétonnant

qu’ellenem’aitjamaisrépondu.Jeferaicelademain.— Il y a peut-être quelque chose d’important à l’intérieur ? On pourrait tout de même vérifier,

proposa-t-il.—Bonneidée.Entre sa grossesse, le cambriolage et l’enterrement de son grand-père, les événements s’étaient

succédédansunlapsdetempssicourtqu’ellen’avaitplusaucunsouvenirdecequ’elleavaitbienpurangerdanscetteboîte.Mimiapparutsurlepasdelaporte.—Aubriellefaitunepetitesieste.Oh,voilàmonchaudronàconfitures!—Oui,réponditHannahenleluitendant.Mimis’engageadanslapièce,puisreportasonattentionsurJack.—Jack,commentsefait-ilqu’Aubrielleaitdesgrainsdesésamedanslescheveux?—Desgrainsdesésame?répétaHannah.Jackpritunairpenaud.—J’aimangéunsandwichenvillependantnotrepromenade.Désolé.—Oh,cen’estpassigrave,ditMimiensouriant.—Tuesallétepromeneravecmonbébé?questionnaHannah.Quand?—Cematin.—Pourquelleraison?—Jetournaisenronddanslamaison.J’aipenséquecelaluiferaitdubiendesortirunpeu,avoua

Jack.Mimisemitàrire.Hannah,elle,frissonna.Ellen’appréciaitpasdutoutlefaitqueJacksesentede

plusenplusà l’aiseavecAubrielle.Enfait,cesdeux-làapprenaientàseconnaîtreet leurs liensseresserraientinévitablement.—Ceboutdechouvousaurarendugagaavantquevousnevousensoyezaperçu,commentaMimi

enluitapotantl’épaule.Pourriez-vousm’apporterlechaudronencuisine?—Biensûr.Jerevienstoutdesuite,dit-ilàHannah.Elle avait demoins enmoins le contrôlede la situation, songeaHannah. Jack avait renoncé à sa

Harley, s’était promenéavec sonbébé tout l’après-midi, avait déjeunéavecelledans lesbras, et àprésent,sagrand-mèrel’enrôlaitdansdestâchesménagères…Elledevaittrouverlemoyendeleficherdehors.Jackfutaussitôtderetouravecsoncouteaudepoche.Ildécoupaminutieusementlescotchscellantla

boîte.— Oh, je me souviens à présent ! s’exclama soudain Hannah. Son passeport est là, dans une

enveloppecontenantaussideslettresécritesparsamère.JacksortitunlotdecassettesetHannahsouritenlesapercevant.—Davidécoutaitdifférentsstylesdemusiqueenfonctiondesesoccupations.Durockmétalsursa

moto,duclassiqueauxcommandesdesonavion…—Pourquoilesas-tuconservées?—Ilmelesadonnéescarj’étaissaseuleconnaissancepossédantencoreunlecteurdecassettes.La boîte contenait aussi des cassettes VHS, dont une du premier atterrissage de David en solo

lorsqu’ilavaitpassésonbrevetdepilote,etuneautredumariagedel’undesescousins.C’est,entoutcas,cequeprétendaientlesétiquettes.

Une enveloppe de grand format se trouvait enfouie sous des papiers. Hannah en sortit un lot dephotographies,deuxlettresainsiquelefameuxpasseportqu’elletenditàJack.Ilsemitàenparcourirlespagesàlarecherched’indices.—Alors?s’enquit-elle.—Ilyaletampondesdouanesd’Equateur,annonça-t-il.—Aquelledate?—Ilyaunpeuplusd’unan,le28avril.—ExactementàlapériodeoùilaprétenduserendreenArizona,ajoutaHannah.—L’EquateuresttoutprochedelaTierraMontañosa.—Jelesaisbien.Ainsi,ilm’amenti.Etilauraitpufranchirlafrontièrefacilement.—Ouavoirrendez-vousenEquateuravecundesmembresduGTM.Maisilluifallaituncomplice

auseindelaFondationStarrpourtoutorganiser.Ellevoulutprotestermaisseravisa.Jackavaitraisonsurtoutelaligne.Davidavaitcertainementeu

recoursàuncomplicetravaillantàlafondation.Elleétaitconvaincuequesonex-petitamiavaittrahilessiensetquesesmainsétaientcouvertesde

sang.PartagercetterévélationavecJackl’aidaitàensupporterlepoids.

8

—Ilfautqu’onsachesiunautremembredelaStarrs’estrenduenEquateuràlamêmepériode.Jacks’étaitlevéetarpentaitdenouveaulapetitechambre,l’airvisiblementpréoccupé.—Comment ?D’aprèsmes souvenirs,David a été le seul à s’y rendre.Et tupensesbienque si

compliceilya,ilnevapaslecriersurlestoits.—Ilyacettefemmedonttum’asparléhier,tusais,cellequisaittoutàproposdetoutlemonde.—FranBaker?—Oui.Tupourraisluidemander?—Pasquestion,répondit-elle.—Pourquoipas?—Parcequej’aidéjàabordéavecelleaujourd’huiunsujet…plutôtdélicat.Jeneveuxpasqu’elle

s’immiscedavantagedansmavieprivée.—Tavieprivée?Hannah,ilestquestiondenombreusesautresvies!—Touscesgenssontmorts,Jack.Davidestmort.Ilseratoujourstempsdedécouvrirlescoupables

et les mener devant un tribunal, mais mes propres problèmes passent avant tout. Aubrielle est mapremièrepréoccupation.—Etquefais-tudespréparatifsauxquelsselivrentactuellementlesrebelles?—C’esttoiquiimaginesquedesinnocentssontendanger.LeregarddeJacksefitdesplusinquisiteur.—Dequoias-tuparléaveccettefemme?Hannahbaissaleregard.Pourquoileschosesétaient-ellessicompliquées?—Hannah?S’ilteplaît.—Ellem’aditqu’unerumeurcirculaitàproposdemaliaisonavecDavid.Puisellem’acarrément

demandés’ilétaitlepèred’Aubrielle.J’ainié,bienentendu.—Penses-tuavoirfaitlebonchoixenluimentant?—Jenesuisplussûrederien…En songeant à toute cette histoire, elle prit conscience que son plus grosmensonge était de faire

croireàJackqueDavidétaitlepèred’Aubrielle.—Ecoute,Hannah, sielleestvraimentmadame je-sais-tout,c’estàelleque tudevraisposer les

bonnesquestions,insistaJack.—Tum’avaisditd’êtreprudente.—Laprudencenedonneaucunrésultat.Jenepeuxtoutsimplementpasresterplanquécheztoi,jour

aprèsjour,enattendantquequelquechosesepasse.—Cen’estpascequejetedemande,répondit-elleavecunepointed’agressivité.C’étaittonidée.—Ehbien,c’étaituneidéestupide.

—C’est bien possible.D’ailleurs, j’en suis sûre à présent. Tu devrais sortir de cettemaison etpartir à la recherche d’informations, d’indices. De plus, comme il ne s’est rien passé depuis deuxjours,peut-êtrefaisons-nousfausseroute?Noscraintesnesontpeut-êtrepasfondées.—Attendsuneseconde;lapierreàtraverslafenêtreaveclalettreanonymenetesuffisentpas?Et

quediredel’enginexplosifposédanstavoiture?Elleleregardadroitdanslesyeux.Lesilencesefitpesanttandisqu’ilss’observaient.Lasonnerie

dutéléphonefixelesfitsursauter.Hannahdécrochaaussitôtpournepasqu’Aubrielleseréveille.—Oui?—C’estmoi,réponditunevoixféminine.HannahtournaledosàJack.—Fran?Quoideneuf?—M.Correaaimeraitquetusignesquelquesdocumentsavantledépôtducourrier,cesoir.C’esten

rapportaveclajournéeportesouvertes.—Ilmedemandedereveniràlafondationmaintenant?—Non.Jeproposedetelesapporter.Jevaisvoirdesamisnonloindecheztoi.JeseraiàAllota

dansquinzeminutesenviron. Je saisquec’estunpeucourtpour teprévenir,maismonportablen’aretrouvéleréseauqu’enhautdelacolline.Jepourraispasserdirectementcheztoi,maisceseraitpluspratiquesil’onseretrouvaitauparkingdelaplage.—D’accord.Pasdeproblème.—Jenemesouvienspasbiendeslieux.Disonslacôtenorddansquinzeminutes?—Parfait.ElleraccrochaetsetournaversJack.—J’aiunrendez-vousàlaplage.—Fran?—Commentl’as-tudeviné?—Tuasprononcésonnom.C’estparfait.Voicil’occasiondeluidemanderquis’estrenduenTierra

Montañosaenavrildernier.Ilnelaissaitjamaistomber,pensaHannah.Ellenonplus,d’ailleurs.—J’aviserai.—Bonsang,Hannah…Jackfitvisiblementunénormeeffortpournepasexploser.—Tuvasdevoir…—Jenedoisriendutout,Jack,trancha-t-elleensedirigeantverslaporte.Puisquelasituationnete

convient pas, pourquoi ne fais-tu pas tes valises pendantmon absence ? Peut-êtremême pourras-turécupérertaHarley?Arrêtelesfraistantqu’ilenestencoretemps,etsoisgentildemetenirhorsdetoutcela.—Alors queDavid t’amenti sur son voyage et a rapporté une telle somme en liquide, tu peux

encoreprétendreque…—Occupe-toi de cet aspect des choses,moi, je veille surma famille, d’accord ?Nouspouvons

éviterdedevenirdesennemis. Il est tempspour toidepartir.Grand-mèreprendra soind’Aubriellependantmonabsence.Dis-toibienquetuesviré.—Pourquoiai-jetoujoursl’impression,avectoi,qu’ilyaanguillesousroche?demanda-t-il,une

lueurdedoutedans le regard.Audébut, j’aipenséque tucherchaisàprotégerquelqu’un,et j’avaispleinementraisonpuisqu’ils’agissaitdeDavid.Ensuite,auvudesdistancesquetumettaisentrenous,j’aipenséquec’étaitunproblèmed’attirancesexuelle,etj’avaisencoreraison,carc’estbienlecas.—Adirevrai…—Maisc’estcertain;ilyaautrechose,conclut-il.—Tutelaissesguiderpartonimagination,ettulesaistrèsbien.—Enes-tuvraiment sûre,chérie?demanda-t-il tendrementens’approchant.Tupensesceque tu

dis?Il l’enlaça doucement et plongea son regard dans le sien.Hannahmourait d’envie de lui dire la

véritéàproposdeleurenfant,etdeluioffrirsaconfiance,aussi.—Cen’estpasletempsdesconfessions,murmura-t-elleavantd’échappergentimentàsonétreinte.Elleluitournaledosetsortitdelapièce,lesentantladéshabillerduregard.Aprèsavoirlaisséun

petitmot dans la cuisine à l’attentiondeMimi, elle attrapa son sac àmain ainsi que les clés de lavoiture et s’enfuit rapidement, refusant de se torturer l’esprit avec les arguments de Jack.Elle étaitnéanmoinsconscientedes risquesqu’elleprenait,dumanquede sagessede soncomportementetdel’attiranceindéniablequ’elleressentaitpourJack.Maiscespointspourraientêtreabordésplustard.Le parking de la plage était plutôt chargé pour une fin d’après-midi en semaine. De nombreux

touristess’yétaientgarés, tantôtdansdesvéhiculesde location, tantôtdans leurscamping-cars.Au-delàdupromontoiremenantàlaplagedesable,unamoncellementderochersressemblaitàunchâteaufort.Hannah, enfant, était souvent venue jouer là, accompagnée de ses grands-parents, alors que samère était soit en train de divorcer, soit en train d’organiser un nouveau mariage. Elle admira lepaysageavecnostalgie.Franavaitdûmalévaluerladistancequilaséparaitd’Allotacarelletardaitàarriver.Hannahsortit

delavoitureetfitunpetittourd’inspection.Laplupartdesvéhiculesétaientvides,exceptéquelquescamionnettesdontonnepouvaitvoirl’intérieur.Soudain,ellesesentitobservée.Ilyavaitdestoilettesàunetrentainedemètressurlagauche.Etpersonnesurlecheminymenant.

Afind’êtrerassurée,elles’enapprochaetvisitalapièceréservéeauxfemmes.Vide.Ellehésita,puisrenonçaàs’introduiredanscelledeshommes.Ellescrutalaplage,couvertedegrosrocherssombres.Uneescouadedecommandosauraitpus’y

dissimulersansqu’ellelesache.Cefutavecsoulagementqu’elleaperçutlavoituredeFrans’engagersurleparking.

***

Sionl’avaitsurprisdanslachambred’Aubrielleenluidemandantcequ’ilfaisaitlà,àcetinstant

précis, Jack n’aurait su quoi répondre. Il se tenait tout près du berceau, sentant sa colère et sesangoissesl’abandonnertandisqu’ilcontemplaitlepetitêtrequidormaitpaisiblement.Avecprécaution,illuicaressatendrementlajoue.—Aurevoir,Abby.Aundecesjours…Aprésent,illuifallaitaffronterMimi.Ellen’allaitcertainementpasapprécierqu’illesabandonne

ainsi.Quelques instants plus tard, il était au volant de sonpick-up, quittantAllota en direction deFort

Bragg,encoreémuparleslarmesdelavieilledame.Maisc’étaitplutôtàsapetite-filledelaconsoler.Iln’avaitpas,delui-même,décidédepartir.Par ailleurs, il espérait qu’Hannah savait ce qu’elle faisait en lui signifiant son congé. Peut-être

était-elle dans le vrai lorsqu’elle prétendait qu’il perdait un temps précieux à rester cloîtré à lamaison.De toute façon, il avait besoin de recouvrer une réelle liberté. Il venait de passer des mois en

captivité, des mois durant lesquels les autres décidaient pour lui. N’était-ce pas agréable d’avoirreprislarouteensolitaire,ainsiquelecontrôledesavie?SiHannahMarksdésiraitsevoilerlafaceetsepréoccuperuniquementdesafamille,dequeldroitpouvait-ilsemettreentraversdesonchemin?Ilavaitd’autreschatsàfouetter.Peut-êtrelaviolence,dontlavietranquilled’Hannahsenimbaitchaquejourunpeuplus,luifaisait-

ellepeuretl’empêchait-elledefairefaceàlaréalité?Peut-êtrel’angoissefaisait-ellepartiedesonquotidienets’enétait-elleaccommodée?«Bon.Jack,réfléchis»,sedit-il.David, un homme que, d’après lui, l’on pouvait acheter facilement, s’était rendu secrètement en

Equateur quelques semaines avant l’embuscade. Il en était revenu une nuit avec une grosse sommed’argentqu’ilavaitremiseàHannah,espérantlarécupérerlelendemainafindeladéposerenlieusûr.Ilavaitétéappeléàlafondationavantdepouvoirreprendrel’argent.Ilavaittrouvélamortdansunaccidentsursontrajet.Juste après cela, l’appartement d’Hannah avait été cambriolé et les incidents s’étaient enchaînés.

Lesmises en garde avaient redoublé de vigueur ces derniers temps et semblaient indiquer que l’oncherchaitàintimiderlajeunefemme.Maisellenecessaitdeclamersoninnocence.Mentait-elle,enfait?Ensavait-elleplusquecequ’ellevoulaitbienluiconfier?Decela,ilétaitabsolumentcertain.Yavait-ilun lienavec les journéesportesouverteset lavenuedugouverneur?Avec l’argentde

David ? Pouvait-on enfin imaginer un éventuel rapport entre cette histoire et les politiciens deCalifornie?Difficileàétablir…Enconclusion,ilfallaitdécouvrirlescirconstancesdel’accidentdeDavid,lenomdesoncomplice

etaussis’offrirunepetitevisiteàlafondation.Ilallaitimaginerunstratagème…«Faismarchertacervelle,Jack,s’exhorta-t-il.Pasdetempsàperdre!»

***

Hannah se doutait bien que l’anniversaire de la fondation approchant, la masse de travail allaits’accentuer,maislorsqu’onlafitmanderd’urgenceaubureaulelendemainmatin,elleauraitbienaimérefuser.Lasituationétaitdesplusconfuse.Mimiétaitenproieàuneviveanxiétéetnedormaitquasiment

plus la nuit. Aubrielle était plus grognon que jamais et Hannah souffrait d’une horrible migraine.Cependant, Harrison Plumber avait été très clair : il exigeait qu’elle s’occupe personnellement del’intégralité des fournisseurs, et comme leurs coordonnées se trouvaient au bureau, elle devaitfatalements’yrendre.Mimi invita ses amies pour une nouvelle partie de poker, et elle promit àHannah de garder ses

invitéesjusqu’àsonretour.Desqu’ellesfurenttouteslà,Hannahembrassasafilleetfitsesdernièresrecommandations à sa grand-mère avant de prendre le volant.Durant le trajet versFortBragg, ellerepensaavectristesseauxturpitudesqu’elleimposaitàsafamilleetàlamanièredontelleavaitchasséJack.Ellel’aimaitbien,aprèstout.Iln’étaitpaslegenred’hommesurlequelunefemmepouvaitcompter

toutesavie,mais ilyavaitquelquechosede fortetd’agréableémanantdesapersonne,au-delàdetoutenotiond’attirancesexuelle.SoncomportementavecAubriellelaperturbaitprofondément,maissadouceuretsabontévis-à-visdubébéluiallaitdroitaucœur.Jackétaitpartietc’étaitmieuxainsi.Mieuxpourlui,pourAubrielleetpourelle-même.Tout en garant sa voiture sur le parking de la fondation, elle remarqua que sa migraine s’était

accentuéeetsongeaavecsoulagementautubed’aspirinequisetrouvaitdansletiroirdesonbureau.Commeellepénétraitdanslehall,ellepercutaHugoCorreaquisortaitprécipitamment.Ilressemblaitbeaucoupàsonpère.Ilsétaienttousdeuxbienbâtis,plutôtimposants,avecdegrands

yeux d’un marron profond dans un visage rond. Alors que les cheveux de Santi étaient devenustotalementblancs,ceuxd’Hugo,pluslongs,viraientaupoivreetsel.Ilétaitpluscoquet,préférantlescostumescintrésauxtraditionnelscompletsdesonpère.Depuissalibération,ilboitaitlégèrement,àcausedelaballequ’ilavaitreçuedanslajambe.Cette

légèreinfirmitéseremarquaitplusoumoins,selonlesjours.Aujourd’hui,c’étaitflagrant.—M.Correa,dit-elleavecunsourirepoli,comment…Sonregardfroidluiôtalesmotsdelaboucheetluivrillal’estomac.Elleportainconsciemmentla

mainàsapoitrine.Détournantleregard,ilpoursuivitsoncheminsansluiadresserlaparole.Elleseretournaetleregardas’éloigner,sujetteàunvaguesentimentdemalaise.Puiselle fit le rapprochementavec la rumeurquicouraitàproposdeDavidetelle ; ildevaiten

avoir eu connaissance. Elle traversa le long couloir et venait juste de dépasser le bureau de Franlorsquecelle-cil’interpella.—Hannah?Qu’est-cequinevapas?—Riendespécial,répondit-elleenrevenantsursespas.UnhommesetenaitassisdedossurleborddubureaudeFran.Ilportaituncostumedelinnoiret

sescheveux,plusnoirsencore,étaientcoupéscourt.—Tuessûre?

—J’aijustelamigraine,avouaHannahendétaillantl’hommededos.—Tunesemblaispasdanstonassiettehiersoir,surleparkingdelaplage,poursuivitFran.Franchement,était-ilnécessairedeparlerdetoutceladevantunétranger?sedemandaHannah.Tout

cequ’ellesouhaitaitàprésent,c’étaitpréparerlesbonsdecommandedesfournisseursetrentreràlamaison,laissantàFranlesoindelesachemineràquidedroit.Ellenesesentaitpasaussiefficacequedecoutume.—Tuveuxquelquechosecontretonmaldetête?proposasacollègue.—Nonmerci.J’aidel’aspirinedansmonbureau.—Avantdetesauver,ajoutaFran,laisse-moiteprésenterJackCarling.Jack,voiciHannahMarks.L’hommeseretournaetluisourit.Elleauraitpusedouter,àl’énoncédesonnomàlaconsonance

familière,qu’il s’agissaitdeJack,maisdecroiser son regard,de le trouver làenchairetenos,encompagniedeFran,luifitunchoc.—Ravidefairevotreconnaissance,lançaJackavecunsourirecharmeur.—J’airencontréJackhiersoir,annonçaFran.Ilm’attendaitdevantchezmoi.Jack se leva et serra la main d’Hannah avant de lui tendre sa carte de visite. « Carling Agent

Immobilier»étaitinscritenlettresnoiressurfondbleu.Apparemment,ilavaittrouvésansproblèmelepetitimprimeurducentrecommercial.Ilsemblaitsidifférentavecsescheveuxcourts!Moinssauvage,plussociable,exceptélalueurde

téméritéquibrillaittoujoursaufonddesonregard.—Jeviensd’arriveràFortBragg,poursuivit-il.Jeroulaistranquillementhiersoirdanslequartier

àlarecherched’unepropriétéàvendreetj’aivulepanneaudevantlavilladeMmeBaker.C’estunetrès belle demeure. Je l’ai attendue afin de lui proposer mes services, au cas où elle souhaiteraitchangerd’agent.Hannah fut sur lepointde luidemander si de tellespratiques étaient conformesà l’éthiquede la

professionlorsqu’ellepritconsciencedelasituation.—Jenesavaispasquetuvendaistamaison,dit-elleàFran.Celle-cihaussalesépaules.—Jerecherchequelquechosedeplussympa.Cecidit,Jacketmoiavonspasséunbonmomentà

papoterduprixdesterrainsdanslarégion.Jevaisl’aideràs’implantercheznous.—Franm’aproposéunevisitedelafondation,déclaraJack.C’estunsacrésiègesocialquevous

avezlà.Franluilançaunpetitclind’œilaguicheur.Jackluiavait-iljouélasérénade«àlaCostadelRio»

hiersoir?Hannahétaitsurlepointdeperdresonsang-froid.—Etes-vouspropriétaire?luidemandaJack.—Euh…Non.Jevischezmagrand-mère.Ilfeignitladéception.—Ah.—Cefutunplaisir,M.Carling,conclutHannah.—Ilenvademêmepourmoi.Sivotregrand-mèredécidaitunjourdevendresamaison,j’espère

quevouspenserezàmoi.Jetantuncoupd’œilpar-dessussonépauleenquittant lebureaudeFran,Hannah levit reprendre

tranquillementsaposition.

***

Troiscachetsd’aspirineetdeuxheuresplustard,Hannahavaitterminésesdossiers,àdéfautd’avoirvaincusamigraine.ElleavaitdélibérémentfermélaportedesonbureaupournepasêtredistraiteparlavuedeJacketFranvisitantleslocaux.L’idéequ’ilspuissentavoircouchéensemblelanuitpasséelarongeaitintérieurement,bienquecelanelaregardâtpas.Leplusimportantétaitlecomportementdésagréabled’HugoCorreaàsonégard.Detouttemps,il

avaittoujoursétépolietagréableavecelle.Cetincidentétaitinquiétantetellesedemandaitcommentleréparer.Si seulement elle pouvait effacer cette liaison avecDavid, elle le ferait instantanément.Peut-être

aurait-elledûavouerspontanémentleurrelationaprèssondécès?Maisilluiavaitsembléqu’ilétaitunpeutard,etsurtoutqueleurhistoiren’étaitpassuffisammentsérieusepourqu’elleenfassecasaugrandjour.Ellenefaisaitquesejustifierlamentablement.Ellen’avaitpasjouélabonnecarteàtempsetilétait

presque inévitable qu’après les journées portes ouvertes, elle pourrait aller se chercher un emploiailleurs.Lorsqu’oncommetdeserreurs,ilfautenassumerlesconséquences,songea-t-elle.Elle semit enquêted’HarrisonPlumber afinde l’informerque tout était enordre et apprit qu’il

avaitterminésajournée.Aussiluienvoya-t-elleunemaildétaillantsonintervention.Franavaitquittésonbureau,certainementencompagniedeJack.Dehors, le soleil brillait tandis qu’un léger brouillard s’annonçait au loin.Manque de chance, il

allaitfairefrisquetetmocheàAllota.SapromenadeavecAubrielletombaitàl’eau.Elle venait de quitter le bâtiment quand Jack sortit de son pick-up et vint à sa rencontre.

Manifestement,c’étaitellequ’ilattendait.—Jevoulaisvousentreteniràproposdelapropriétédevotregrand-mère,dit-ilàvoixexagérément

haute,alorsquepersonnen’étaitdanslesparages.—Ellen’estpasàvendre,M.Carling,répondit-ellesurlemêmeton.—Toutestàvendre,MmeMarks.—YcomprisFranBaker?rétorqua-t-elleenbaissantlavoix.—J’aiprécisémentdeschosesàt’apprendreàproposdetonamieFranetjenesuispascertainque

tuveuilleslesentendre,dit-ildansunegrimace.—Laisse-moideviner:elletravaillesecrètementpourlecompteduGTM?—Trèsdrôle.—Jepensaisquetucraignaisqu’HarrisonouHugonetereconnaisse?—C’estexact.Maisjemesuisditqu’ilétaittempsdecourirlerisque.J’enavaisassezdefairedu

sur-place.Ilfautquetusachesunechoseimportante:Franaenfreintlerèglementdelacompagniesur

lemêmesujetquetoi,etquiplusest,àlamêmepériode.—Elleaussientretenaitunerelationavecquelqu’undelafondation?Ilhochalatête.Hannahpréférachangerdesujet.—Pourquoin’as-tupasrécupérétaHarley?—J’aimebienlepick-up.—Biensûr…—J’aichangé,tuasoublié?TuneveuxpassavoiravecquiFransortait?— Non. Je suis lasse de ces ragots. Et puis, je ne peux concevoir qu’elle t’ait fait une telle

confidence.Amoinsquecenesoitsurl’oreiller?—Bonsang!jura-t-ilenluiprenantlespoignets.Tun’aspasautrechoseentête,Hannah?—D’accord,dit-elleenfermantlesyeux.Jesuisdésolée.—Ilnes’agitpasd’unehistoiredefesses.Franmel’aditenface,expliqua-t-ilenmettantsesmains

danssespoches.Lesfemmesbavardentfacilement.Jesaisquecelavatefairedumal,maisjepréfèrequetul’apprennesdemoi.Ilprituneprofondeinspiration.—EllesortaitavecDavid.—MonDavid?—TonDavid.Iltetrompait.Elle semassa les tempes en tentant de rassembler ses esprits. Elle aurait dû être furieuse contre

David, etpeut-êtreaussi contreFran.Maisà lavérité, ellene ressentaitpasgrand-chose.SiDavidavaitsurvécu,Franl’auraitpeut-êtreeupourelleseule.Etait-ce la raisonpour laquelleFrancherchait àdécouvrirqui était lepèred’Aubrielle ?Si elle

aimaitsincèrementDavid,savoirqu’uneautrefemmeavaitportésonenfantluiauraitcausébeaucoupdepeine.—Etcen’estpastout,poursuivitJack.La listedes révélationsn’étaitpas finie?Bien, sedit-elleen reprenant sonchemin.Elledésirait

plusquejamaisrentrerchezelle.Jackcontournasonpick-upetluiemboîtalepas.— Fran m’a appris qu’un groupe de la fondation s’est rendu en Equateur quelque temps avant

l’embuscade. Le but de la mission était de rechercher des financements. Il y avait Santi, Hugo,HarrisonPlumberetuntypenomméJenkins.—AlamêmepériodequeDavid?Frana-t-elleparlédecela?—Non.QuiestJenkins?—C’estnotreexpert-comptable.Commentai-jepuoublierqu’ilsavaientfaitcevoyage?J’avais

tellementdesoucisàl’époque.Lamaladiedemongrand-père,lequatrièmemariagedemamère,marelationavecDavidquibattaitdel’aile…—JesuisallérendrevisiteautypequiatuéDavid,l’interrompit-il.—Lechauffeurducamion?—MitchReynolds. Il vit avec sa famille dans un véritable taudis, de l’autre côté du pont, juste

derrièreunecarrièreabandonnée.Samaisonsemblemenacerdes’écrouleràtoutmoment.

—Etalors?—Alors,devantlamaison,ilyaunmagnifique4x4rougeflambantneuf,etavantquetudisesqu’il

s’agissaitpeut-êtredeceluid’unvisiteur, je te signaleque j’aivérifié auprèsdu servicedescartesgrises.—Ilacertainementobtenuunprêt.—Non,ilarégléenunefois,etenespèces.Lesvendeursdelaconcessionenparlentencore.Ilya

aussi une berline neuve garée à côté du 4x4. Et, tiens-toi bien, l’un des vendeurs m’a appris queReynoldstravaillaitdetempsàautrepourlaStarr.—Nousemployonsbeaucoupdeprestatairesoccasionnels,rétorquaHannah.—C’estcertain.Maiscelalerelieànotrehistoire.Cethommeétaitdiablementplusefficaceenenquêtantsurleterrainqu’ensurveillantunbébé,sedit

Hannah.—Qu’est-cequecelaaàvoiraveclamortdeDavid?—Reynoldsachangédevéhicule tout justedeuxsemainesaprès l’accident.Levendeura tiquéà

l’époque,carilavaitlulerécitdanslesjournauxetvusaphoto.—Qu’essaies-tudemedire,aujuste?—ToutporteàcroirequeReynoldsaétésoudoyépourtuerDavid.Ilfautquejetrouveunprétexte

pour l’approcher, pour savoir s’il avait emprunté son itinéraire habituel ce jour-là. Nous savons àprésentqu’iltravaillaitparintermittenceàlaStarr.—Jenesaispasquoirépondre,Jack.—LecoupdefilàDavidcematin-làauraittrèsbienpuêtreunpiège.SiDavidaréellementmonté

l’embuscadeavecuncompliceets’ilagardétoutl’argentpourluiseul,alorscecompliceavaittoutintérêtàlesupprimer.Toutsetient.—Toutsaufl’avertissementqu’onm’aenvoyé,ajouta-t-elle.Etl’injonctiondememêlerdecequi

meregarde…—C’estexact.—Lesgensontparfoisdesrentréesd’argent inattendues.Reynoldss’estpeut-êtreoffertsonjouet

grâceàunhéritage.EllesetutenapercevantlavoituredeMimi.Elleétincelaitsouslesrayonsdusoleil,lecapotavant

commeparsemédemillepierresprécieuses.—Lepare-brise!hurla-t-elletandisquelasonneriedesonportableretentissait.Jacks’élançapouranalyserlesdégâts.—Hannah,c’estmoi.Grand-mère.—Grand-mère,tunevaspascroirecequivientd’arriver.Unlongsilencesefitsurlaligne.Hannahsentitsonestomacsenouer.—Grand-mère?Qu’ya-t-il?—Rentrevite.Aubrielleadisparu.

9

—Qu’est-cequis’estpassé?demandaJacktandisqu’Hannahprenaitplaceàsoncôtédanslepick-up.Ilavaitdémarréetgrimpaitdéjàlacollineavantqu’Hannaheûtclaquésaportière.Ellesetenaitraide,regardantauloindevantelle,lesbrascroisés.Ilpouvaitsentirtoutsoncorps

frissonner.Ilsétaientàunevingtainedeminutesderouted’AllotaetJackroulaitàtombeauouvert.—Hannah?Raconte-moicequeMimit’adit.Elletournaversluiunvisageconsterné.—Jen’aipasbiencompris.Elleaparléd’unfeu.—Qu’a-t-elleditquandtuasluidemandéd’appelerlapolice?—Ellem’arappeléquelalettreanonymedisaitdenepasprévenirlapolice.—Maisillefaut!argumenta-t-il.Hannahfitnondelatête.—Elleneveutpas.Elleaditquejecomprendraisetqu’ilfallaitquejefasseauplusvite.—Appelle-lestoi-même.—Pasquestion.—Mais…—Grand-mèreesttrèsinquièteàcausedelamiseengardeetpensequelavied’Aubrielleesten

danger.Rouleplusvite.Ilétaitdifficiled’augmenterlavitesseàlaquelleilsroulaientdéjà,maisJackécrasal’accélérateur,

espérant croiser une voiture de patrouille qui le prendrait en chasse.Ainsi, il pourrait expliquer lasituationauxpoliciersetréclamerdel’aide.Ils’envoulaitdes’êtrelaissémanipulerparHannahetd’avoirabandonnéunenfantendanger.Iljetaunregardverssapassagère.Ildevinaqu’elles’envoulaitd’avoirconfiésafilleàunegrand-

mèreetsescopinesdejeu.Mimidevaitêtreenproieàuneindicibleculpabilitédes’êtrefaitravirlebébésoussesyeux.Mais lamoralede l’histoire se résumait ainsi : si unebandedemalfaiteurs avait décidéde s’en

prendre à cette famille sans défense, il était impossible de les arrêter. N’était-ce pas la mêmeconclusionquis’imposaitaprèsl’embuscadedelaTierraMontañosa?—Il fait froidet ilya tellementdebrouillard,murmuraHannah tandisqu’ilsdévalaient lapente

menantaucentre-villed’Allota.—Noussommespresquearrivés,annonçaJackd’unevoixrassurante.Ilsn’échangèrentpasd’autresparolesjusqu’àdestination.Uncamiondepompiersétaitgaréprèsde

la maison et son équipage s’activait en tous sens, déroulant les tuyaux et aboyant des ordresincompréhensibles. Jack se demanda alors comment relier cette scène surréaliste à leur histoire.Hannahluimontralacarcassefumantedelavieillevoitureabandonnéedel’autrecôtédelarouteet

Jackreconnutlacachettequiluiavaitpermisd’observerl’interventiondelapolice.Levéhiculen’étaitplusqu’unamasdetôlescalcinéesetfumantes.Mimi s’élançait hors de lamaison avec deux de ses amies tandis que Jack stoppait son pick-up

devantlegarage.Hannahavaitdéjàsautéhorsduvéhiculeetcouraitverssagrand-mère.LorsqueJackpénétra à son tour dans lamaison, il rencontra les deux amies deMimi qui lui lancèrent un regarddépité.Poursuivant son chemin, le cœur battant la chamade, il fit halte devant la chambre d’Aubrielle.

Hannah etMimi s’y tenaient, la petite-fille tâchant de réconforter sa grand-mère tout en scrutant lapièceàlarecherchedesonbébédisparu.Ilressentitunevivetristessedevantcettescènetragique.Privéed’Aubrielle, lapièce semblait abandonnée, sansvie,malgré laprésencedes trois adultes.

Hannah, lesyeuxdébordantde larmes,croisa le regarddeJack.Elle tenaità lamainune feuilledepapieretJackvintseplacerdanssondosafindelirepar-dessussonépaule.Untexte,dansunepolicedecaractèresstandard,s’inscrivaitdanslamoitiésupérieuredelapage.«Ceciestnotredernieravertissement.Laprochainetentativedechantageentraîneradessanctions

immédiatesetirrévocablesàl’encontredevotrebébé.Neprévenezpaslapolice.Utilisezvotretête(cequiestbonpourvousl’estaussipourmoi)etvoussaurezoùellesetrouve.Lemoindrefauxpasetvousnereverrezjamaisplusvotreenfant.»—Qu’est-cequeçasignifie?s’écriaHannahenpleurant.Chantage?Jenefaischanterpersonne!—Onétudieracelaplustard,réponditJackenregardantleberceauvidepuislafenêtredétruite.—Jen’auraispasdûtecongédier,avouaHannahenrencontrantsonregardabattu.—Jen’auraisjamaisdûpartir,répondit-il.Il prit une grande inspiration et conduisit Mimi vers le rocking-chair dans lequel elle se laissa

tomberlourdement.—Allez,Mimi,racontez-nouscommentcelas’estpassé.Lapauvrefemmesemblaitperdueetavaitdumalàcontenirletremblementdesesmains.—J’étaisaveclesfillesdanslesalon,commença-t-elle.Aubrielleavaitbulelaitqu’Hannahavait

tiré et s’était endormie. Je l’ai alors placée dans son berceau. Tout à coup, Barb a remarqué uneagitationàl’extérieuretonavuquelavieilleépavedel’autrecôtédelarouteétaitenfeu.—Vousn’avezvupersonnetraînerdanslesparages?—Personne.Barb a appelé les pompiers qui sont arrivés dans lesminutes qui ont suivi.On est

restéeslààlesregarderluttercontrelefeu,puisj’aieuuneintuition;j’aivouluvérifierqu’Aubrielleseportaitbienetelleétait…Elleavaitdisparu.A ce stade de sa narration, les larmes refirent leur apparition dans ses grands yeux verts. Elle

s’essuyad’unreversdelamain.—Jen’auraispasdûmelaisserdistraire.J’auraisdûlagarderdansmesbras.—Cen’estpastafaute,luiditHannah.—Hannah,réfléchisunpeu,demandaJack.Penseàlaphraseduravisseuraffirmantquetusaisoù

se trouve Aubrielle, que ce qui est bon pour toi l’est aussi pour lui. Cela ne te donne aucuneinformation?—Non,rétorqua-t-elle.Jenefaischanterpersonne.Quelsenstoutcecipeut-ilbienavoir?

—Mets-toiàsaplace.Ilvafalloirsecreuserl’espritetsionneparvientpasàunrésultatauplusvite, on devra prévenir la police. Revoyons ensemble les différents acteurs concernés par cettehistoire.—Oùveux-tuenvenir?s’exclama-t-elle,àboutdenerfs.—Réfléchis,chérie,dit-ildoucementmaisavecfermeté.PenseàFran,parexemple.—Franétaitavectoicematin.—AquelleheureAubriellea-t-elledisparu?demanda-t-ilàMimi.—Oh,ilyaàpeuprèsuneheure,réponditunedesamiesquisetenaientsurlepasdelaporte.—Franaquittélafondationilyabienplusd’uneheure,avançaJack.Elleaditavoirunrendez-

vous.—Sivousn’avezplusbesoindeMimipourl’instant,jevaislaconduiredanslacuisineetluiservir

unthébienchaud,proposal’amiedeMimiens’exécutant.Hannahserrasagrand-mèredanssesbrasavantqu’ellenequittelapièce.— Je me suis conduite de façon totalement égoïste en la mêlant à tous mes problèmes, avoua

Hannah.Ilfautqu’onretrouveAubriellesaineetsauvesinongrand-mèreneselepardonnerajamais.Il approuva d’un signe de tête. Il savait que ni lui ni Hannah ne se pardonneraient jamais la

disparitiondecepetitêtreinnocent.—PourquoiFranserait-elle impliquéedans toutceci?demandaHannah.Pourquoipenserait-elle

quejeveuxlafairechanter?—Laissonscesinterrogationspourplustard.Examinonslesfaits.EtHugoCorrea?Franaditqu’il

étaitabsentaujourd’hui,avançaJack.—Ilpartaitquandjesuisarrivée.—EtHarrisonPlumber?—Lorsquej’aiquittélebureau,ilétaitdéjàparti.Jenesaispasàquelleheureilaterminé.—Quid’autre?—Jenevoispas…Celam’estimpossibled’imaginerquel’unedecespersonnessoit…—Continuederéfléchir,l’interrompit-il,enrepensantauxmomentsqu’ilavaitpartagésavecAbby,

la veille, lorsqu’il l’avait emmenée en ville.Concentre-toi sur chacune de ces personnes et sur lesproposquetuastenusenleurprésence.Unfait,uneidée.Surtout,évitedechercherunquelconquelienaveclesévénements.—Commequoi,parexemple?Illevalesmainsauciel.—Jenesaispas,moi!Unrestaurant,unfilmquetuauraissuggéréàquelqu’un.Unmagasin…Elleseconcentraquelquesinstants,lesyeuxrivésausol,fouillantsamémoireàlarecherched’un

indice.—J’aiproposéàHarrisonPlumberderécupérersesaffairesaupressing,ilyaquelquesjoursde

cela.Ilétaittrèsenretardpoursonvoletc’étaitsurmaroute.Deschosescommecela?—Oui.Quoid’autre?AproposdeFranettoi,parexemple.—C’estellequiaproposédenousretrouversurleparkingdelaplagehier,pourmefairevérifier

desdocumentsqu’Hugodevaitsignerauplustôt.Apartcela,etendehorsdutravail,jenevoispas.Attends!Jemesuisoccupéedesfleurslorsd’uneréceptionilyaplusieurssemaines.J’aisollicitéuneancienneamiefleuristeetFranm’afaitsescompliments.—D’accord.Nous avons un pressing, un fleuriste et le parking de la plage,mais rien surHugo

Correa.—Jen’aiplusd’idées,avoua-t-elleendétournantleregard.Illaconnaissaitàprésentsuffisammentpoursavoirqu’elleluicachaitquelquechose.—Dis-moiàquoitupenses.Vite.—Cen’estpeut-êtrerien.C’estjustequ’Hugos’estcomportédefaçonbizarrecematin.Jepense

qu’ilsaitàproposdeDavidetmoietqu’iln’estpascontent.Maiscelan’arienàvoir.Ondoitagir.Nousperdonsnotretemps.—Peut-êtreétait-ilfurieuxàproposd’autrechose,avançaJack.Cependant, il partageait l’avis d’Hannah ; il leur fallait agir au plus vite. Mais s’élancer dans

l’inconnusansunpland’actionn’étaitpasunebonneidée.—QuandjepenseàAubrielle,seule,peut-êtredehorsaveccebrouillard…—Biensûr!s’exclamaJack.Nousallonscommencerparl’endroitleplusexposé,leparkingdela

plage.Sielleestàl’intérieur,toutirabien,maissielleestdehors…Jack n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’Hannah traversait le couloir en courant, ses talons

résonnantbruyammentsurleparquet.IlrejoignitMimidanslacuisineafindesollicitersonaide.—Mimi,jevaisavoirbesoind’unecouvertureetdejumelles.Lorsqu’elleluiremitlesobjetsdemandés,ilpoursuivit:— Il y aune faible chanceque lapersonnequi akidnappéAubrielleveuillenous éloignerde la

maisonafindelaramenerentoutetranquillité.Sicelaseproduit,netentezrien.RécupérezAbbyetprévenez-nouspartéléphone,d’accord?Mimiacquiesçad’unpetitsignedetête,lesyeuxrougisdelarmes.IlrejointrapidementHannahquil’attendaitdanslepick-upetrangealacouvertureetlesjumelles

derrièresonsiège,ainsiquelacarabinedugrand-pèrequ’ilavaitprisedanslerâtelierdusalon.Leregard qu’Hannah lui adressa lui brisa le cœur, mais se maîtrisant, il tâcha de se concentrer surAubrielle.Bientôt,ilferaitpayerlecoupable.Cher.Trèscher.

***

Hannah aperçut la boutiqueLindyFleurs alors qu’ils tournaient dansMainStreet.Les trois lieuxqu’ilsavaientàvisitercomposaientunitinérairelogiquequidevaitlesmeneràl’extérieurd’Allota.Lefleuristeétaitenville,laplageverslesudetenfinlepressingdanslenorddeFortBragg.Ilétaitdoncdansleurintérêtdeprocéderdansl’ordreafindenepasperdredetemps.EtsiAubriellen’étaitnullepart?Quefairealors?Prendrelerisquedeprévenirlapolice?—Jerevienstoutdesuite,annonçaHannahquandJacks’arrêtaàunfeurouge.

Elledescenditdupick-upavecagilité,laissantJackàsesprotestations.Lafemmequi tenait laboutiqueLindyFleursétaitalléeà l’écoleavecsamère.Sadernièrefille,

Jill, était amie avecHannah. Dès que Lindy la vit pénétrer dans sa boutique, elle afficha un largesourire.— Hannah, je viens juste de recevoir une carte postale de ta mère. Imagine-la voguant sur la

Méditerranéeensoleilléetandisquenous,noussommesdansunbrouillard…—L’as-tuvue?l’interrompitHannah.—Tamaman?Pasdepuissonmariage…—Non,pasmamère.Mafille,Aubrielle.Personnen’estvenutelaconfier?—Biensûrquenon,réponditLindy,interloquée.Pourquoivoudrais-tu…Ce furent les derniers mots qu’Hannah perçut tandis qu’elle s’élançait hors du magasin. Elle

retrouvaJackquis’étaitgarédel’autrecôtédelarueetl’attendaitpatiemment.—Alors?demanda-t-ilenregagnantaussitôtleflotdelacirculation.—Riend’intéressant.Allonsàlaplage.Lesquelquesminutesqueleurpritletrajetjusqu’àlaplageleurparurentuneéternité.Jackralentit

enpénétrantdansl’enceinteduparking.Hannahsentaitsoncœurtambourinerdanssapoitrine.A proximité de l’océan, le brouillard était encore plus dense, en dépit du vent qui soufflait par

bourrasques.—Va vers l’extrémité nord, lui intima-t-elle afin de se rapprocher de là où elle s’était garée la

veille.Maisaujourd’hui, lepaysageétait totalementmétamorphosé.Labenneàorduressemblaituncube

d’unvert glauqueà sagaucheet les toilettes, à sadroite, unblocdebétond’ungrismenaçant.Lesvéhiculesstationnéseux-mêmesfaisaientpenseràdescorbillards,etlesrocherssombresauxpincesd’unénormemonstremarinpréhistorique.Sanss’êtreconcertés,ilssedirigèrentd’unmêmeélanverslabenneàordures,préférantinspecter

l’endroit le plus improbable enpremier lieu.Hannah sentit son estomac se révulser en reniflant leseffluvesmalodorantsqueleventtransportait.L’idéequ’onpuisseydéposerunbébédetroismoislarendaitfolledeterreur.D’unautrepointdevue,Aubrielleyseraitàl’abriduventglacialethumide.JackseplaçadevantHannahetlevalecouvercleavecprécaution.Sonintentionétaitdelaprotéger,

songea-t-elle,maissisonbébésetrouvaitbienàl’intérieur,iln’auraitrienpuchangeràlasituation.Aucuneparole,aucunepenséenepouvaitlaréconforter.Aubrielleétaitsachair,sonsang.LachairetlesangdeJackaussi…Cetteidéeluitraversal’espritenunéclairetellelachassaaussitôt.EllecontournaJackafindese

rendrecompteparelle-même.Apartquelquesrésidusdesandwichsetdescanettesdesoda,pasdetraced’Aubrielle.Ilsreprirentleurrespirationavecunénormesoulagement.—Lestoilettes.Ils empruntèrent le chemin longeant la côte et gagnèrent rapidement la petite construction. Jack

s’engouffra dans le quartier des hommes tandis qu’Hannah inspecta celui réservé aux femmes.Méthodiquement,ellevisitachaquecompartiment,deplusenplusinquiète.Eneffet,siAubriellenesetrouvaitnidanslabenneàorduresnidanscestoilettes,oùlachercherdanscetenvironnementhostile?

Ducoup,elledevaitêtrequelquepartàl’extérieur,exposéeaugrandair,livréeauxcapricesduvent,etcettepenséeétaitinsupportable.Lepressing!Elleavaitcomplètementoubliélepressing.—Hannah?criaJackdepuisl’extérieurdubâtiment.Elle prit alors consciencequ’elle s’était figée, dans cette horrible pièce vide, les yeuxpleins de

larmes.EntendantlavoixdeJack,ellesursautaetseprécipitaau-dehors.Peut-êtreavait-ilenfintrouvésonbébé?Ill’accueillitd’unsignedetêtenégatif,uneexpressiond’impuissancesursonvisage.Un crissement de freins annonça l’arrivée d’un nouveau véhicule et les fit se retourner. Son

conducteur, un homme d’une trentaine d’années à la chevelure d’un roux flamboyant, vint garer sonbreakàquelquesmètresd’euxetdemeuraassisauvolantquelquesinstants.Enfin la portière s’ouvrit et l’homme descendit. Il portait un large sweat-shirt blanc sur lequel

s’étalaitunefleurdelysnoiretor.Jacks’interposaentreHannahetl’homme.Ellepouvaitsentirlatensionquiémanaitdetoutsonêtre.—Salejournéepourunebaladesurlaplage,déclaral’hommeenlessaluantd’unpetitsignedela

mainavantdedisparaîtredanslestoilettes.Dès qu’il fut hors de vue, Jack et Hannah se précipitèrent vers son break pour en inspecter le

contenuàtraverslesvitres.Unattaché-case,unparapluiedémantibulé,unvieuxchapeauetunecannedeboisàmoitiédissimuléssousunimperméableusé…maispasdebébé.Ilss’écartèrentjusteàtempstandisquel’homme,d’unedémarchelourde,regagnaitsonvéhiculeen

sifflotant.Bienqu’Hannaheûtlesyeuxrivéssurlui,ill’ignoratotalementetrepritplaceauvolant.Ilfitdemi-tourets’éloignarapidement,letoutsansleuradresserlamoindreattention.Ilsdécidèrentensuitedefouillerlaplage,sedéplaçantchacundesoncôtéàtraverslesrochersaux

formesmenaçantes,àlarecherched’uneanfractuositéquiauraitpurecelerAubrielle.Lamaréeétaitbasseàprésentetlesvaguess’étaientcalmées.Ilsfirenthalteàquelquespasdel’eau,surlesableduret mouillé. L’océan était étrangement calme et semblait, tous comme eux, retenir son souffle, parcompassion.—Jenevoisrien,ditJackenscrutantlasurfacedesflots.Lesjumellessontrestéesdanslepick-up.—Nousdevrionsappelerlepressing,rétorquaHannahensesaisissantdesonportable.—Appelleplutôttagrand-mèreafindesavoirsionn’apasramenéAubrielleentretemps.CetespoirfutvitedéçulorsqueMimiexpliquaqu’elleavaitfaitletourdelamaisonplusieursfois

encompagniedesesamiesetqu’ellesn’avaientabsolumentaucunepiste.Barbannonçaqu’elleavaitprissurelled’appelerlepressingafindeleurdemandersipersonneneleuravaitdéposéunbébédetroismoisenviron.—Ilsontcruàuneblague,expliquaMimienrécupérantlecombiné.Oh,Hannah,qu’est-cequ’onva

faire?Hannah raccrocha. La silhouette imposante de Jack s’était éloignée d’elle et s’avançait vers les

flots.Soncostumenoircontrastaitavecl’étenduedesablegrisetlebleu-vertpasteldel’océan.Soudain,sonattitudealertaHannah;ils’étaitarrêtéetregardaitauloin,lecorpstendu.Ellecourut

lerejoindreetremarquaalorsunetacheroseflottantàlasurfacedel’eau.

Il s’élança tout habillé dans les vagues en direction de l’objet. Fendant l’écume de ses cuissespuissantes, ilparvintà l’intercepteret le tenditàboutdebrasdansladirectiond’Hannah.Elleétaitpétrifiéed’angoisse.Trempé jusqu’à la taille, Jack revint vers Hannah en tenant dans ses mains un paquet d’algues

entremêléesàunmorceaudetissurose.HannahfrissonnalorsqueJackdéposaletoutàsespieds,surlesable.Elles’agenouillaafindeprocéderàunerapideinspection.Etsijamaisils’agissaitduchâled’Aubrielle?Heureusement,iln’enétaitrien.Ils’agissaitenfaitd’unechemised’homme,rougeàl’origine,qui

avaitcertainementséjournéunelonguepériodedansl’eausalée,tantelleétaitdélavée.Ellelevalesyeuxversluicommeilluieffleuraitl’épaule.—On ne peut tout de même pas attendre que l’on veuille bien nous la ramener, dit-il d’un air

sombre.HannahéclataensanglotsetJack lapritdanssesbras, lapressantcontreson large torse.Ellese

laissaalleruninstant,puislerepoussagentiment.—Cet inspecteur de police que tu aimes bien, Latimer ? demanda-t-il en cherchant son regard.

Donnons-luirendez-vousquelquepart.Ceseraplusfaciledeluiexpliquerdevivevoixplutôtqu’autéléphone.Onvoussurveille.Neprévenezpaslapolice.Lemoindrefauxpasetvousnereverrezjamaisplus

votreenfant.Hannahvoulutprotester;Jackl’arrêta.—Jevaisêtredirect.Abbyesttropfragilepoursurvivreau-dehors.Nousn’avonsguèrelechoix.Il

nousfautdel’aideavantqu’ilnesoittroptard.Le ton déterminé de sa voix redonna courage à Hannah. Il avait raison. Il ne restait plus qu’à

prévenirlapolice.—Rentronsetappelons-ledepuislamaison,justeparprécaution.Hannah,réfléchisàunendroitoù

nouspourrionsnousrencontrer.Savoixs’estompadansunmurmure.Pensait-ilquesontéléphonepouvaitêtresurécoute?Illuiprit

lamain et l’entraîna vers le pick-up.Le parking était désert et le brouillard lui conférait un aspectlugubre.Jackouvritlaportièreetreculabrusquement.Hannahvit sur le siège avant le sweat-shirt vert deMimi.Elle ne se souvenait pas l’avoir vu là

auparavant, mais peut-être Jack l’avait-il emporté pour emmailloter Aubrielle au cas où ils laretrouveraient?Ilyavaitunmotaccrochédessus,utilisantlamêmepolicedecaractèresqueleprécédentmessage.

Hannahlutrapidementlapremièrephrase:Laprochainefois,ceseraletourdelavieillefemme.Unsentimentdefrustrationetdecolèrel’envahittoutentièreetelleplongealamainpoursesaisir

dusweat-shirtetdumotd’ungestebrutal.Jacks’interposajusteàtempsetluisaisitfermementlespoignets.—Non,Hannah!ordonna-t-il.Avait-ilremarquéquelquechosedesuspect?Unebombecachéedanslesreplisduvêtement?Tout

étaitenvisageable.

Puis, à son tour, elle vit le sweat-shirt bouger. Un petit cri se fit entendre tandis qu’un piedminusculeapparut.Le cœur battant,Hannah déplia l’étoffe et le visage tout rose d’Aubrielle apparut.Hannah sentit

alors un immense soulagement l’envahir. La tension nichée au creux de sa poitrine disparutinstantanément.Ellen’avaitjamaisressentiuntelbonheurdetenirsapetitefilledanssesbras.Jackdécrochalemot,leparcourutrapidementetl’enfouitdanssapoche.

10

—Grimpedanslepick-up,Hannah!Sentant l’urgence dans sa voix, elle serraAubrielle dans ses bras et obéit sans protester. Si elle

avaiteuletempsdelirelemot,seditJack,peut-êtreaurait-elledécouvertqu’ilsétaienttoujoursépiésetqueMimirisquaitsavies’ilsneregagnaientpasrapidementlamaison.Il juraensonfor intérieurenprenantplacedans lepick-up. Iln’auraitsuexpliquercomment tout

cela était arrivé, mais ces trois femmes étaient désormais sous son entière responsabilité, et ledemeureraientjusqu’àcequ’ilrésolveenfincetteaffaire.Jackpressentaitquedenombreusesautresvieshumaines,àl’autreboutdelaplanète,dépendaient

aussidelui.Il jetaun regardversHannah, sedemandantcequ’ellepouvaitbien luicacher. Ilyavaitquelque

chose;ilenétaitpersuadé.Toutétaitarrivésiviteaujourd’huiqu’iln’avaitpaseuunmomentderépitpourréfléchir.Hannah avait ôté le sweat-shirt deMimi et inspectait sa fille, s’assurant qu’elle était en parfaite

santé.Aubriellesupportaitdebonnegrâcelesinterminablespalpationsdesamaman,maisundébutdeprotestationlesprévintqu’elledevraitymettreuntermeauplusvite.EllesentitalorsqueJackladévisageaitetelleluifitfaceensouriant.—Elleal’aird’allerbien.Sacouchen’estpastrèsnette,maisceluiquil’aenlevéeneluiapasfait

demal.—Quelsoulagement!—As-tululemot?Pourrais-jelevoir?Jen’aipaseuletempsdelelireenentier.Ilétaitheureuxdelavoirredescendresurterreetremettredel’ordredanssesidées.Ilsortitlemot

desapocheetluitendit.BerçantAubrielledanssesbras,ellelelutsilencieusement.—Ilesttempsdefairelalumièresurtoutecettehistoire,conclut-elle,sespenséesrejoignantcelles

deJack.—Oui,grandtemps.Yavait-ilquelquechosedespécialàproposdel’argent?—L’argentdeDavid?Non,pasque jesache. Ildort toujoursà laconsigne,aussipourrons-nous

allervérifierdèsdemain.Ellemarquaunepause,puisajouta:—Fran.—Quoi,Fran?—C’était son idéedenous rencontrer sur le parkingde la plage, hier.Elle est sûrementdans le

coup.—Peut-êtrebien…—Commentpeux-tuendouter?s’indignaHannah.Soncostumeneufluicollaitàlapeauetseschaussuresendaimétaientfichues.Aprèsavoirvécude

longsmoisdanslachaleuretlamoiteur,ilseretrouvaitmaintenantàgrelotterdefroid.Ilrêvaitd’unebonnedouchechaude,songeaJack.Avecelle.Ildésiraitl’entraînersousladoucheavecluietluifairel’amoursauvagement,commeà

CostadelRio.Ilrêvaitd’eautrèschaude,desavonparfuméetdesexeavecelle.Elle,etaucuneautrefemme.«Monvieux,tuasdesérieuxproblèmes»,sedit-il.Ildevaitrésoudrecettehistoireauplusviteet

fuirAllota,Hannah,sonbébé,sagrand-mère,sansjamaisseretourner.—Jack?Illuifallutquelquessecondespourmettredel’ordredanssesidées.—Lemottrouvédanslachambred’Aubrielledisait:«Utilisezvotretêteetvoussaurezoùellese

trouve.»—Leparkingdelaplage,réponditHannah.—Maisc’estFranquiaproposécetendroit,n’est-cepas?Aubriellen’étaitpaslàànousattendre.

On l’y a amenée tandis que nous étions au bord de l’eau. Je suis sûr à présent que nous avons étésuivis.En fait, nous aurionspu aller n’importe où. Il a suffi quenousnous éloignions suffisammentpourquelebébéréapparaissecommeparenchantement,accompagnéd’unnouvelavertissement.—MaisFransaitdeschoses,persistaHannah.—Commentpeux-tuenêtresisûre?Elleprituneprofondeinspiration.—Monintuition,peut-être?Jackémitunpetitrire.—Jesuisraviquetuaiesdécidédesuivretoninstinctplutôtquedetetorturerl’esprit,parceque

celui-ci,cesdernierstemps,n’apasvraimentfonctionnéàmerveille…—Oùveux-tuenvenir?l’interrompit-elle.Avantdepouvoirpréparersesarguments,ilétaitdéjàstationnédevantlamaison,d’oùsurgissaient

Mimietsesamies.Ilpritalorsconsciencequ’ilsavaientoubliédelaprévenirqu’ilsavaientretrouvéAubrielleets’ensentittoutpenaud.—Penses-tuquenouspuissionslaconvaincredes’éloignerd’icipourquelquetemps?— Ta grand-mère ? C’est une très bonne idée. J’allais d’ailleurs te le proposer. As-tu une

destinationentête?—Oui.Jeferaismieuxdenepasluimontrerlemot.Çanepourraitquel’effrayerunpeuplus.—Toutàfaitd’accord.—Jack,j’insistepourquetunepréviennespaslapolice.Tuaslulemot.Celuiquinousmenacea

enpermanenceunebonnelongueurd’avanceetjeneveuxplusrisquerlaviedegrand-mère,nicelled’Aubrielle.Sielleparvenaitàconvaincresagrand-mèredes’éloignerquelquetemps,peut-êtreaccepterait-elle

delesuivreavecAubrielle?seditJack.L’expressiondeMimi lorsqu’elleaperçut lepetitbébénichédanssonsweat-shirt lui fitchaudau

cœur.MaisJacksereprit;ilseramollissait.

S’éloignant du petit comité d’accueil, il fit le tour de lamaison et s’arrêta sous la fenêtre de lachambredubébé.Ilvoulaitinspecterlaterredumassiffleurietespéraityreleverdestracesdepas.Ildécouvritenfaitquelekidnappeuryavaitplacél’unedeschaisesdejardinafindes’éleveràla

bonnehauteurpourfracturerlafenêtre.Jackn’avaitaucunementl’intentiondeprévenirlapoliceàl’insud’Hannah,maisildevaitserendre

à l’évidence ; il ne pouvait se substituer à un inspecteur chevronné. Il n’avait aucune idée sur lamanièredeprocédersurunescènedecrimenilematérielnécessaire.Parailleurs,ilyavaitl’incendiedel’autrecôtédelarue.Celaaussidevaitfairel’objetd’uneenquête,carilnes’agissaitcertainementpasd’unecoïncidence.Ilseditqu’ilallaitréunirlesdifférentespreuves,ycomprislesweat-shirtdeMimi,etbouclerla

chambred’Abby.Hannahlerejoignitàl’arrièredelamaison,serrantAubrielledanssesbras.—Commentseportetagrand-mère?luidemanda-t-il.— Elle est morte de peur. J’ai demandé à Barb si elle accepterait de l’emmener pour un petit

voyage.Elleestplutôtfavorableàcetteidée,maisgrand-mèrerenâcleunpeu.Jepensequ’ellevafinirparaccepter.—TupourraislesaccompagneravecAbby,suggéra-t-il,toutenespérantqu’ellerefuse.—Non, jedoispoursuivremonenquête. Jenecomprends toujourspasenquoi je suis impliquée

danscettehistoire.Jenevaispasmesauverenlaissantleschosesenl’état.Ildoitforcéments’agirdequelqu’unquejeconnais.Jenepeuxmecacherindéfiniment.—Danscecas,prendsunechambred’hôtelavecAbbysousmonnom.CommeHannahouvraitlabouchepourluirépondre,ilsepréparaàrecevoirunflotdeprotestations.

Au lieudecela,elle regardapar-dessus sonépaulevers la fenêtre fracturéeet resserra sonétreinteautourdesafille.— Je ne veux plus retourner dans cette maison, avoua-t-elle doucement. Je ne pourrai jamais

recoucherAubrielledanssonberceauetlalaisserseuledanssachambre.Unhôtelestunebonneidée,etpeut-êtrequeceladécideragrand-mèreàpartiravecBarb.— Tâche de la convaincre et profites-en pour prendre quelques affaires. Tu veux que je garde

Abby?Elleluijetaunbrefcoupd’œil.—Tues trempé.Commencepar techanger.Demandeàgrand-mèredemerejoindresur leperron

afinquejeluiparle…Enfin,elleprenaitlasituationausérieuxetfaisaitlesbonschoix.C’étaitunsoulagementdenepas

avoiràlaprieroulabousculerpourqu’elleagissecommeillesouhaitait.Il accompagna Mimi sur le perron, prit une rapide douche, se changea et emballa ses affaires.

Lorsqu’il revintdans lesalon, ilvitMimi trimballantdeuxgrossesvalisesvers laported’entrée. IlaperçutHannah,assiseau-dehors,berçantAubrielleenveloppéedansunchâlerose.—Jack,jevoulaisvousparler,luiditMimi.Jackdésignalesvalisessagementalignéesdevantlaporte.—Vousallezfaireunpetitvoyage?

Leslarmesmontèrentauxyeuxdelavieilledame.—Est-cequejefaislebonchoixenabandonnantHannah?—Absolument,assura-t-il.Pensezàlaisservotresweat-shirtaucasoùlapoliceleréclameraitpour

comparerdesfibresoud’autresindices.—Etmavoiture?Hannahm’aditqu’onavaitcassémonpare-brise.—J’aidéjàappelélegarage.Ilsvonts’enoccuper,nevousinquiétezpas.—Voussavez,poursuivit-elle,jenem’eniraispassivousn’étiezpaslàpourveillersurmapetite-

fille.Veiller surHannah. Ce n’étaient que de simples mots. Alors, pourquoi éveillaient-ils en lui un

étrangemalaise?—Jevouspaierai,quelquesoitvotretarif,pourvosservicesdegardeducorps.—Onverracelaplustard,luirépondit-il,sesurprenantàluidéposerunpetitbaisersurlajoue.Ilétait fierqu’elle lui rappellequ’ils’agissaitd’unesituationprofessionnelle. Ilétait legardedu

corpsd’Aubrielle,unpointc’esttout.Elleluitapotalajoue.—J’aimebienvotrenouvellecoupedecheveux,bienquejedoiveadmettrequevousétiezplussexy

avant.—Çarepoussera!Unegrosselimousinebleuevintsegarerdevantlamaison.—C’estBarb,annonçaMimiensesaisissantd’unevalise tandisqueJacksoulevait l’autre.Vous

prenezbiensoindemesfilles,d’accord?Mûparunélandetendresse,ilposalamainsursonépaule.—Mimi,n’oubliezpasdevousenregistrer sous lenomdeBarb.Ne restezpasplusd’unenuità

chaqueendroit.Sivousvous sentez suivieou si vous avez lemoindredoute, allezdirectement à lapolice.EtappelezHannahtouslessoirs.Elletrouvalecouragedeplaisanter.—Avousécouter,ondiraitquejesuisuntémoincrucialencavale.Jackl’aidaàchargersesaffairesdanslavoituredeBarbetsetintsilencieusementenretraittandis

quelesfemmessedisaientaurevoir.Ilregagnalamaisond’unpasrapide,fermementdécidéàquitterleslieuxauplusvite.Ilétaitplusqueprobablequequelqu’unlesobservaitdeloin.Hannah,quiavaitattenduquelavoituredisparaisseauboutdelarue,s’étaitfinalementdécidéeà

regagnerlamaison.Ildevinaitenelleunecertaineréticenceàdevoirl’accompagneravecAubrielleetenattribuaitlacauseàsoninstinctmaternel.Ilestvraiquelajournéeavaitétémouvementée,maisilétaittempsd’agir.ElleacceptatantbienquemaldeluiconfierAubrielle.—Faisbienattentionàsatête,recommanda-t-elle.—Vatepréparer.LebébéémitunpetitgrognementetHannahfutsurlepointdefairedemi-tour.—Hannah,luiintima-t-il,vatepréparer.Toutvabien.Elleserésignaàsuivresadirective.

—Tamamanestunpeucollante,dit-iltouthautens’adressantàAbby.Le son de sa voix calma aussitôt la petite fille. Elle le regardait droit dans les yeux et semblait

attendreuneréactiondesapart.Ils’assitdanslerocking-chairetcommençaàsebalancerdoucement,lebébébieninstallésursescuisses.L’aird’unechansonqu’ilavaitentendueenTierraMontañosaluitraversal’esprit.L’unedesfemmes

ducampvenaitparfoistravailleravecsonenfantetluichantaitcettedoucemélodie.Ilserenditcomptequ’ilenavaitinconsciemmentretenulesparoles.S’assurantquepersonnenepouvaitl’entendre,ilsemitàchantonner.—Duerme, niño chiquito, commença-t-il en tressaillant au propre son de sa voix.Duerme, mi

alma.Duermetelucerito.Delamañana…Abbynes’endormitpas,maiscontinuadelefixerdesesgrandsyeuxcurieux,etJackretrouval’un

decesmomentsdegrâce,depaixintérieureabsolue,commeilenavaitmaintesfoischerchéaucoursdesavie.—Lamusiqueadoucitlesmœurs,hein,Abby?Hannahrevint,l’airencoreplustourmentéquelorsqu’ellelesavaitlaissés.Elleavaitlesbraspleins

d’affairespourAubrielleetportaitunecouchenégligemmentjetéesurl’épaule.Ellelesregardaavecinquiétude.—Toutvabien,larassura-t-il.

***

—Unechambre?demanda-t-ellecommeilrevenaitdelaréceptionavecuneseulecléàlamain.—Unechambre.Jesuislegardeducorpsd’Abby,tun’aspasoublié?Celaimpliquequ’elledoit

demeurerauprèsdemoiettufaispartiedulot.Hannahfronçalessourcils.—Elles’appelleAubrielle.—Jeconnaissonnom,répondit-ildutacautac.Le ton de sa voix suggérait qu’il l’appellerait comme bon lui semblerait. Elle trouva stupide

d’engager le débat sur ce sujet car elle savait bien qu’elle était affreusement possessive avec sonenfant.Lorsqu’elle l’avait entendu,quelques instantsplus tôt, chanter cette comptine espagnole à safille,elles’étaitsentiespoliée.—Bon,bon,d’accord,accepta-t-elle.Ils conduisirent lepick-updans leparking souterrain. Jack avait insisté auprèsde la réception et

obtenuunechambreauquatrièmeétage,offrantunmaximumdesécurité.—Qu’insinuais-tuendisantquetuétaisraviquej’aiedécidédesuivremoninstinct?Jackluijetaunrapidecoupd’œil,puisgaralepick-upprèsdel’ascenseur.—Cequetumecachest’effraiebeaucoupplusqu’unindividuquipénètrepardeuxfoischeztoiau

grandjour,etkidnappetonenfant.Ilafalluqu’ilt’agresseavecsuffisammentdehargnepourquetoninstinctsemetteenmarcheetquetuchangesdecomportement.Etj’ensuisravi.

Pourtouteréponse,ellelevalesyeuxauciel.Tandisqu’ilstransféraientleursbagagesdansl’ascenseur,puiss’élevaientauquatrièmeétage,elle

luidemandadeluiexposersesintentions.—JevaisallervoirFran,répondit-il.—Pourquelleraison?Tuasunacheteurpoursamaison?Illuisourit,amusé.—Serais-tujalouse,chérie?—Hmm…—Après que tum’as renvoyé, hier, je suis parti à sa recherche. Lorsque j’ai vu l’écriteau « à

vendre » sur samaison, jeme suis rendu au centre commercial pour acheter un costume,me fairecouperlescheveuxetimprimerdescartesdevisite.Asonretourdutravail,j’étaislààl’attendre.Jeluiaifaitunpeudebonimentetsuisparvenuàmefaireinviterchezelle.J’aiacceptésoninvitationàdîner,luiairacontédestasdemensongesetj’airiàsesplaisanteries.Ellem’aparlédetouslesgensavec lesquels elle travaillait, principalementde toi etDavid. Jepenseque c’est ellequi a lancé lafameuserumeur.Jeneseraispassurprisqu’ellesachequec’étaitluilepèred’Abby.HannahseconcentraitsurAubrielleafindenepasavoiràreleversespropos.—Toujoursest-ilque,cesoir,jeconfessetousmespéchés.Lesfemmesadorentqu’onlesmetteen

valeur.Peut-êtrem’endira-t-elleplussi…—Maistudisquelerendez-vousàlaplagenel’impliquepasforcémentdanslesévénements.—C’estexact,maisjepariequ’elleensaitplusqu’elleneveutbienledire.Comme,parexemple,

levoyagedesquatremembresdelafondationenEquateur.Quelenétaitlevraimotif?C’eûtétéuneoccasionidéalepourDavidderencontrerlesmembresduGTM.Etsielleétaiteffectivementintimeaveclui,désolédereparlerdecela,peut-êtresait-elledequiils’agit?Danscecas,jemefaisfortdelui soutirer un nom. Et si je l’obtiens, je te promets de faire avouer à ce salopard pourquoi il tepersécute.—Tuvasunpeuloin,dit-elledoucement.—Queveux-tu,jemesenscommeenlisédansdessablesmouvantsetjedoisfairefonctionnerma

têtepourm’ensortir.—Aubrielleetmoit’accompagnonschezFran.—Horsdequestion.Jedemanderaiaugardedel’hôteldesurveillerlachambre.ToietAbbyrestez

cloîtréesici.—Tunepeuxt’enempêcher,n’est-cepas?Arrêtedem’imposertaloiàtoutboutdechamp!Fran

estmonamieetjeviensavectoi.Siellesaitquelquechoseàmonsujet,illuiseraplusnatureldemele dire directement plutôt qu’à toi. Surtout lorsqu’elle se rendra compte que tu lui as menti sur taprofession.—Tueslafemmelaplustêtuequej’aiejamaisrencontrée,maugréa-t-il.La chambre contenait une petite table et un fauteuil dans un coin, une penderie, une télévision

démodée ainsi que deux lits deux places occupant lamoitié de sa surface. Ils avaient entassé leursaffairessurlelitprèsdel’entrée.Hannahôtalecouvre-litduboutdesdoigtsetdéposaAubriellesurlesdrapspropres.Lorsqu’ellesereleva,elletrouvaJackquil’observaitavecunelueurintenseaufond

desyeux,etlesouvenirdeleurpremièrenuitd’amourdanscethôteldelaTierraMontañosaluirevintàl’esprit.D’ungesteferme,iltestalafermetédumatelas.Lavisiondesamainhâléepressantlecotonblanc

luisuggéradefollespenséeset,durantuninstant,ellefuttentéedesejetersurlui.—AllonsvoirFran,trancha-t-il.

***

Fran habitait dans une impasse, au fin fond d’une longue rue parsemée de nombreuses maisonsinhabitées,enattented’acquéreurs.Hannahn’yétaitvenuequederaresfois,àl’occasiond’unesoiréeoupourydéposersacollègue,alorsquesavoitureétaitenréparation.Lehayondesongarageétaitgrandouvertetlaissaitvoirsavoiture.AumoinsFranétait-ellechez

elle.Ilsn’avaientpasprévenuavantdevenir,préférantjouersurl’effetdesurprise.Aubrielle était endormie.Cette fois,Hannah détacha son siège-auto et l’emmena jusqu’à la porte

d’entrée. Jack luiproposa sonaidemais elledéclina.C’était lourdet encombrant,maismoins Jacks’occupaitd’Aubrielle,plusHannahétaitrassurée.Ilsonna,puisfrappaàlaporte.N’obtenantaucuneréponse,iltentad’ouvrir.—C’estferméàclé,annonça-t-il.—Vuqu’elleadéjàquittélebureau,elledoitêtreentraindejardiner.—Aveccetemps?rétorquaJackenfermantsonblouson.Ellem’aditqu’elleavaitunrendez-vous.

Ellen’apasparlédejardinage.—Tuasuneautreexplication?Ilsfranchirentunepetitebarrièrepourfaireletourdelamaison.Iln’yavaitaucunetracedeFran.

Unregardàtravers labaievitrée leurpermitdedécouvrir lesalonet lacuisine.LorsqueJacktentad’ouvrirlavitrecoulissante,Hannahsedemandas’ilavaitréellementl’intentiondepénétrerchezFransansyêtreinvité.—Verrouillée,commenta-t-il.Revenantsur ledevantdelamaison, ils inspectèrent legarage.Peut-êtreFranavait-elleemprunté

cettevoiepourallerfaireuntour;maiscelasemblaitétrangequ’elleaitlaissélegaragegrandouvertalorsqu’ilrecelaitdenombreuxbienspouvantattiserlaconvoitise.—Ilyauneporteaufondquimèneàl’intérieur,dit-ilens’engageant.—Elledébouchesurlabuanderie,murmuraHannah.Elle lesuivaitdans lapénombredugarage.Ellen’avaitpasdépassé lepare-chocarrièrequeses

cheveuxsedressèrentdanssanuque.—Jack,j’aiunétrangepressentiment…Ill’arrêtad’unsignedelamainetsepenchapourregarderàtraverslavitrepassager.—Resteenarrière,s’ilteplaît.JackeutunvifmouvementdereculetHannahsutàcetinstantqu’ilavaittrouvéFran.

Il luiadressaun regarddemiseengardeet,utilisant lamanchedesonblouson, tentad’ouvrir laportecommuniquantaveclamaison.Maiselleétaitferméeàclé.—Qu’est-ilarrivéàFran?demandaHannahenchuchotant.—Elleestmorte.—Comment?Lesiège-bébécontenantAubrielleseretrouvaentrelesmainsdeJackavantqu’ellelelaissechoir.

Illuifitrebrousserchemin.—Onluiatiréenpleinvisage,expliqua-t-il.Hannahneputréprimerunsanglot.—Appellelapolice,ajouta-t-il.Lesmainstremblantes,ellesesaisitdesonportableetfaillitlelaissertomber.Elleallaitcomposer

lenumérolorsqu’elleseravisa.—Ilfautquetuquittesleslieuxavant,dit-elle.—Jen’aipasl’intentiondevouslaisserseulesici…—Illefaut.Jediraiauxpoliciersquejesuisvenueluirendrevisite.Ilspeuventbienenquêtersur

moitantqu’ilsveulent.Maistoi,Jack,tutetrouvesmanifestementaubeaumilieud’unsacréimbroglio.Unebombe,deslettresanonymes,unkidnapping…etunmeurtre,àprésent.Celafaitbeaucouppourunseulhomme.—Mespapiersontpassétouslescontrôlesjusqu’àpreuveducontraire.Jenevaiscertainementpas

telaisserseuleaveclapolice.—Soisraisonnable.Commentpourras-tuveillersurAubrielledepuislefondd’unecellule?Tout

estchamboulé,maintenant.—Non,protesta-t-ilenlaregardantdroitdanslesyeux.Jenevaispast’abandonner.Necomprends-

tupaslasituation?OnatuéFran,etlemeurtrierpourraitencoresetrouverdanslesparages.—Maistu…—Non,Hannah.Ilnes’agitpasdemoi,cettefois.Appellelapolice.— Deux meurtres ont été commis dans les mêmes circonstances, ces derniers temps. Fran

s’inquiétaitquejemesenteobservée,car,biensûr,jeluienaiparlé.—Tucroisvraimentquec’estunecoïncidence?Elle l’aurait souhaité, mais, au regard des terribles événements de la journée, ç’aurait été de la

mauvaisefoi.— L’assassin a eu recours à une mise en scène afin que l’on fasse le lien avec les meurtres

précédents,concéda-t-elle.Ilsseréfugièrentdanslepick-upafindediscuteraucalmedeleurstratégie.Illeurfallaitsemettre

d’accordsurleursdépositions.— Pas unmot à propos du kidnapping, ordonna Hannah en faisant promettre à Jack de tenir sa

langue.Elleétaitterrifiéeàl’idéequeleravisseurpensequ’ilsavaientappelélapolicepourlesinformer

desesactesetinterprètecelacommeungestedeprovocation.Parailleurs,ellenevoyaitpasd’autre

option.Ils’agissaitd’unmeurtreetl’onnepouvaitraisonnablementlecacherbienlongtemps.Aprèssoncoupdefilàlapolice,l’endroit,habituellementsicalme,futbientôtsubmergédevoitures

officiellesfaisanthurlerleurssirènes.Onlesentendaitapprocherdepuislecentre-villed’Allota.JacketHannahfurentséparésafindedéposerleurstémoignagessurladécouverteducorpsdeFran.

Hannahleurlivratouslesdétailsdontellesesouvenait,expliquantqu’elleétaitvenueparlertravailavecFranetqueJackl’avaitaccompagnéecarsavoitureétaitenréparation.Tout le temps que dura cette procédure, son attention était partagée entre la scène de crime à

quelques mètres de là, Aubrielle grognant dans son siège-bébé et son inquiétude pour Jack. LesinspecteursallaientquestionnerchaquemembredelafondationetapprendrequeJackavaitpassé lamatinéeprécédenteavecFran.Sesempreintesdigitalessetrouvaientsurchaquepoignéedeportedesondomicilemaisaussiàl’intérieur,vuqu’ilsavaientdînéensemble.Ellesereprochaden’avoirsuleconvaincredequitterleslieux.Finalement,l’inspecteurremarquaquelebébén’enpouvaitplusetsemblaitprêtàsemettreàhurler.

Les cheveux blonds presque rasés, il accusait un surpoids d’une bonne dizaine de kilos. Une forteodeurdetabacsedégageaitdesesvêtementsetdesonhaleine.—Vouspouvezyaller,MmeMarks.Maisrestezdanslesenvirons.Nouspourrionsavoird’autres

questionsàvousposer.— Est-ce l’œuvre de l’assassin des garages ? demanda Hannah tandis que les ambulanciers

emmenaientlecorpsdeFran.Elle regarda s’éloigner lebrancard,neparvenantpasà se faireà l’idéeque sacollègue reposait

danscegrandsacnoir.L’inspecteurhaussalesépaules.—JackCarlinga-t-ilterminé?demanda-t-elle,manquantdeprononcersonvraipatronyme.IljetaunregardversJack.—Pasencore.Jevaisvousfaireraccompagneràlamaisonavecvotreenfant.—Jepréfèreappeleruntaxi.Hannahnesavait sielledevaitounonmentionner le faitqu’elleétaitdescenduedansunhôtelde

FortBraggencompagniedeJack.Elleétaitbouleverséededevoirmentir,ou,toutaumoins,déguiserlavérité,alorsquelamortdeFran,elle,étaitbienréelle.EllerencontraleregarddeJacktandisqu’elles’engouffraitdansletaxi.Elleputfacilementdeviner

sespensées:«Soisprudente.Ilyaunmeurtrierenlibertéettupourraisbienêtrelaprochainesursaliste…»

11

Jackavaitdonnél’hôteldeFortBraggcommeadresse,etenvironuneheureplustard,ilconduisaitpourrejoindreHannah,l’injonctiondelapolicededemeurerenvillerésonnantdanssatête.Ilétaitun«élémentcapital»danslemeurtredeFranBaker.Maistantquesonidentitédemeureraitsecrète, iln’auraitpasgrand-choseàcraindre.Ilavaitdûavouerauxinspecteursqu’ilavaitpassélasoiréeavecFranlaveilledesonassassinat,

mais avait passé sous silence sa visite à la fondation. Il n’avait aucune idée de là où cela allait lemener,maisilsedoutaitbienquesilespoliciersdécouvraientsacartedevisitedanslesaffairesdeFran,ilauraitàexpliquerpourquellesraisonsilavaitmenti.Laprison.Laperspectived’êtreenferméluifaisaitfroiddansledos.Saconscienceluidictaitde

poursuivre sa route jusqu’à l’autreboutdupays.Audiable laTerraMontañosa,Hannah,Aubrielle,Mimiettouslesautres.Découvrirlavéritéetpeut-êtreainsiempêcherunecatastrophevalait-illeprixdesaliberté?Ilregagnatoutdemêmel’hôtel,inquietdesavoirsiHannahetAubrielleétaientarrivéessaineset

sauves.S’ildécidaitdefuirpourdebon, ildevaits’assurerenpremier lieuqu’ellesétaienthorsdedanger.Enpénétrantdanslachambre,iltrouvaHannahsereposantdansunfauteuil,latêterenverséeetles

yeux clos. Elle avait dû prendre une douche car ses cheveux étaient humides. Elle avait enfilé unpantalondejogginggrissombreetunT-shirt.Seslèvresoffertesluifirentpenseràunepêchejuteuseetilseretintdelesembrasser.Abbydormait paisiblement sur ses cuisses et sonpetit visage aux joues roses affichait une totale

quiétude.Illescontemplaunlongmoment,depuisl’encadrementdelaporte,puissedécidaàentreretreferma

derrièrelui.LecliquetisdelaserrureéveillaHannah.—Jack,j’aieutellementpeurqu’ilst’emmènentpourt’interroger.—C’estcequirisquedeseproduirebientôt.Ilnenousrestequepeudetemps,Hannah.—Tupensesqu’ondevraitchangerd’hôtel?—Celaneferaitquenousrendreplussuspects.Non,celaneserviraità rien.Maisdemainest le

jourdevérité.Nousdevonsprovoquerlesévénements.Noussommestotalementhorsdélai.—Jelesaisbien.—J’aibesoind’unebonnedouche,admit-il.—J’appellelaréceptionetnouscommandeunbondîner.Unepetiteheureplustard,ilsétaientinstallésàtableetpartageaientunplatdepâtesaupoulet,trop

préoccupés par la mort de Fran pour tenir une conversation. Hannah fut la première à prendre laparole:—D’aprèstoi,lapolicenesuitpaslapistedutueurdesgarages?—Jenecroispas.Ilsnecommuniquentjamaistoutesleursinformationsauxjournaux,aussiest-ce

difficilededevinerleursdéductions.—Ont-ilsmentionnél’heuredudécès?—J’aientenduuninspecteurparlerde15heures.—Jack,jemedemandesiFrann’étaitpaslemaîtrechanteur.—Etlapersonnequ’ellefaisaitchanterauraitcruquec’étaittoi?—Ehbien,oui.—Sitelétaitlecas,pourquoiaurait-ellekidnappéAbby?Eteffrayétagrand-mère?L’assassinne

pouvaitêtreenplusieursendroitsaumêmemoment.SiFranfaisaitchanterquelqu’un,cettepersonneaurait dû tenter de récupérer l’objet du chantage en la conduisant à l’intérieur de lamaison pour yprocéder àune fouille.Si elle avait rendez-voushorsde chez elle, pourquoi lemeurtrier l’aurait-ilramenéedanssongaragepourl’exécuter?—Pourquesoncrimesoitattribuéautueurdesgarages.—Peut-êtrebien…Jenesaisplus.Maisj’ailesentimentquequelquechosenouséchappe.—LapoliceiraenquêteràlaStarr,n’est-cepas?demandasoudainHannah.—Ilyadegrandeschances.—CertainsdirontalorsqueFranétaitavectoihier,Jack.Ilssaventpeut-êtrequetut’esfaitpasser

pourunagentimmobilier.—Jelesaisbien,Hannah.Leportabledelajeunefemmesemitsoudainàvibrer.—Bonsoirgrand-mère,dit-elle.Tandisqu’Hannahprenaitdesesnouvelles,Jackfermalesyeuxets’assoupit.Hannahleréveillaen

luieffleurantlamain.—Grand-mèrevabien.Jesuissoulagée.Puisellesecouchadans l’undes litsavecAubrielleet Jackprit l’autre.C’étaitunbiengrand lit

pour un homme seul.Un rai de lumière filtrant à travers les rideaux lui permettait d’apercevoir lescourbesd’Hannah,pelotonnéesouslesdrapsblancs.Ilseretournafaceaumuretfermalesyeux.Maislesderniersévénementsletourmentaient.Ilrevoyait,flottantsurlesvagues,cetteformerosequiauraitpuêtrelapauvrepetiteAbbyetaussilevisagedéfigurédeFran.C’enétaittrop;presqueassezpourluifaireregretterlajungle.Plustarddanslanuit,ils’éveillaensursaut,sentantlelitbouger.Ilbandasesmusclesetallongeale

brasafindesaisirl’importunàlagorge.Sesdoigtsserefermèrentsurunepeaudouceetsoyeuseetilrelâchaaussitôtsonétreinteendéglutissant.Hannah…Elles’approchadoucementetluipritlamain,sonhaleinechaudeluicaressantlajoue.—Çanevapas?demanda-t-ild’unevoixdouce.Ellesoulevalesdrapsetseglissatoutcontrelui.Elleétaitnue,etlasensationdesoncorpsbrûlant

toutcontresapeauluifitl’effetd’unedéchargedecentmillevolts.Quesepassait-il?Lesmotsavaientdûluiéchappercarelleémitunpetitrirecoquin.—Jenepeuxpasêtreplusclaire,murmura-t-elledansl’obscurité.

Ilsentitsesseinssepressercontresontorseetseshanchesencouragersavirilité.—Bonsang,Hannah,cen’estpasdujeu.—Jesais,jesuisdésolée.Maissoncomportementindiquaitlecontraire.Ellesemitàjoueraveclatoisondesontorsetouten

lecouvrantdepetitsbaisers.—Celafaitplusd’unan,Hannah.Situt’attendsàcequejetejettedulitetjoueauprudechevalier,

tuastoutfaux.—Unan?Alors,depuisquetoietmoi…—Lesvisitesfémininesnesontpasvraimentautoriséesdansuncamprebelle.Encoremoinspource

genredechoses.Elle demeura silencieuse. Il changea délicatement de position, glissant un bras sous sa nuque,

enfouissantsonvisagedansledouxparfumdesescheveux.Sachairn’étaitquebraiseardente.—J’aicruquej’allaismourirquandj’aiappristacaptureàCostadelRio,murmura-t-elle.Ensuite,

ilsontditquetoncorpsavaitétéidentifié.J’aipenséquejenetereverraisjamais.Mais,Dieumerci,tueslà,prèsdemoi.Elledéposaunbaiseraucoindeseslèvres.SesmotsréchauffèrentlecœurdeJack,bienplusqu’il

ne l’aurait imaginé.Durantsacaptivité, ilavaitpenséàHannah tous les jours,espérantsecrètementqu’ellenel’oubliepas,qu’elleaccepteunjourdelerevoir.Etait-celavéritableraisondesonretour?—Tuneveuxtoutdemêmepasquejetesupplie?chuchota-t-elleenpromenantsesdoigtsautourde

sonsexe.Ilsallaientatteindrelepointdenon-retour.Illuiattrapalamain.—Jenesuispaslegenred’hommequ’iltefaut,chérie.—Tu es exactement l’homme qu’ilme faut, susurra-t-elle tandis qu’il retenait son souffle. Je te

veux,Jack.Maintenant…Savoixsefêlasursesdernièresparoles.—Tuasdequoiteprotéger?reprit-elle.—Non.Ettoi?—Nonplus.—Etsitutombaisenceinte?—Pasdesouci.Cen’estpasmapériode.Avecunegrandedouceur,ellefitglissersamainlelongdesonventreetl’amenalàoùill’attendait,

flattantimpudemmentsavirilité.Jackselaissaentraînerdanslaspiraledelavolupté.

***

Ils ne retrouvaient pas lesmêmes sensationsque lorsqu’ils avaient fait l’amour la toutepremièrefois. Le feu de leur désir n’avait pas été alimenté par une longue soirée de flirt, de préliminairesamoureux,letoutsaupoudrédequelquespetitsverresdetequila.L’ambiance,aussi,humideetlourde

danscettechambred’AmériqueduSud,étaittotalementdifférentedanscethôteldeFortBragg.Mais c’était meilleur, car moins précipité. Jack prit soin de faire monter l’envie d’Hannah,

s’attardantsurchaquepartie inexploréedesoncorps, luifaisantdécouvrirdeszonesdeplaisirdontellen’avaitjamaissoupçonnél’existence.Maisauparavant,elledutlerappeleràl’ordre,carils’étaitemporté,presséde laposséder totalement.Quand il laprit,ce futavecun teldésir,un telabandon,qu’elles’entrouvachaviréeauplusprofonddesonâme.Leursébatsfurentnécessairementplusdiscretsquelapremièrefois,vuqu’Aubrielledormaitdans

lelitjusteàcôté,etilsatteignirentrapidementl’orgasme.Aprèsunecourtepause,Jacksemitendevoirderallumerlaflammed’Hannah.Luiprodiguantde

coquines caresses sur tout le corps, de ses doigts experts, de sa bouche gourmande, il la menaprogressivementversl’extaseetl’yrejoignitdansunultimeélandevolupté.Ilss’endormirentenlacésetfurentréveillésparlespremièreslueursdujourfiltrantparlesrideaux

disjoints.Hannahsedemandasiellesedevaitsesentirgênée,s’ilenétaitdemêmepourJack,maissonregardlarassuraaussitôt,faisantrésonnerenellel’échodeleurmutuelleattraction.Ellevérifiaqu’AubrielledormaittoujoursdanslelitvoisinetsepelotonnatoutcontreJack.—Bonjour,susurra-t-elle.Illapritdanssesbras.—Bonjour.Tuveuxprendreunedoucheavantqu’onfasselepoint?—Oui,admit-elleenselovantencorepluscontrelui.Sesintentionsétaientclairesettoutsonêtrevibraitàl’idéederecommencerleursjeuxtorrides.Elle

l’embrassadanslecouetfitjouerseshanchescontrelessiennes,dansunsuggestifva-et-vient.Maistoutàcoup,ellesereprit.—Cen’estpaspossible.Aubriellenevapastarderàs’éveiller.Pourrais-tulasurveillerpendant

madouche?—Biensûr,machérie,répondit-ilenluidéposantunesériedepetitsbaiserssurlevisage.Latentationétaitgrande,maiselletrouvalavolontéd’échapperàsonétreinte.Ellesentitsonregardcontemplersoncorpsnutandisqu’ellegagnaitlasalledebains.Elle ne s’attarda pas sous la douche, lavant sa peau des derniers effluves de Jack Starling à

contrecœur.Lanuitqu’ilsvenaientdevivrenesereprésenteraitcertainementplus,etilseraitstupidedetenterlediableets’exposeràdenouvellespeinesdecœur.Maisellen’avaitsuluirésister.«Oh,Hannah,soishonnête,s’admonesta-t-elleenenfilantsonjean.Ildormaitprofondément.»Envérité,elles’étaitéveilléebienavantluietavaithésitéavantdesedécideràlerejoindre.Elle

reposaitdansl’obscurité,tâchantdedénouerlasituation,sonespritressassantenbouclelecauchemardelaveille, lorsqu’uneidéeavaitprisformepeuàpeu.Ellesavaitqu’elledevaiteninformerJack,aussi s’était-elle approchée, s’asseyant sur le bord de son lit avec précaution. Elle apercevait lescontoursdesoncorpsendormiets’étaitmiseendevoirdechoisirsesmotsavantdeleréveiller.Maisil luiétaitbienviteapparuqu’ellen’enauraitpaslecourage, tantsonplanétaitmédiocre.Pourtant,ellevoulaitplusquetoutaumondeletirerdesonsommeil.Allait-elleoser?Elleavaittoutd’abordvérifiéqu’Aubrielledormaitprofondément,puisavaitôtésachemisedenuit

et s’était lentement approchée, sans faire debruit.La suite, ehbien la suite avait été telle qu’ils ladésiraienttouslesdeuxsecrètement…Ilestvraiqu’ilsnes’attendaientpasàceque leurunionsoitaussi forte,bouleversante,àceque

cettenuitravivelessouvenirsdupasséavectantd’intensité.Elle termina sa toilette en se faisant un chignon et se prépara à une nouvelle journée qu’elle

pressentaitparticulièrementricheenrebondissements.Fran était morte, sauvagement assassinée, et Hannah était persuadée qu’elle connaissait son

meurtrier.HarrisonPlumber,gauchedeprimeabord,maiscertainementruséenréalité.SantiCorrea,dégoûtéparlacapturedesonfils.HugoCorrea,relâchédecaptivitéavecunejambeatrophiée.GaryJenkins,untypeplutôtrangéavecunepetitefamille…Elledevaitsûrementconnaîtrel’assassindeFran;ellenepouvaitcependantl’identifierclairement.

Pasencore.Maiscelanesauraittarder.Letoutétaitdesurvivreàcettedécouverte.

***

Hannahrevintsurlesujetd’unevoixcontenue:—L’idéalseraitd’attirerleurattention.Jackavaitdûserésoudreàl’écouterpatiemment.Ils’attendaitàcequelapoliceviennefrapperàla

porteàtoutmoment.Ilnesouhaitaitqu’unechose:quittercethôtelauplustôt.—Tuveuxdire leurmontrerqu’onensaitsuffisammentpour les inquiéteretainsi lesforceràse

démasquer?demanda-t-ilavecironie.—Plusoumoins.Monidéeestdeleurenvoyeràchacununemail.J’écrisquejedétienscequ’ils

veulent,qu’ilsuffitd’ymettreleprix,etlesinviteàmerejoindrelàoùilsm’ontramenéAubrielle;àlaplage.Celan’auradesensquepourl’und’entreeux,celuiquisemontrera.—Etc’esttoiquisersd’appât.—C’estjuste,maistoi,tuesletypearmécenséprotégerl’appât.Tuasunemeilleureidée?—Meilleure?Non,maisdifférente.JeveuxparleraugarsquiatuéDavidetinspecterlasomme

qu’ilt’alaissée.Monseulsouciestdevousprotéger,Abbyettoi,durantmamission.—Jetel’aidéjàdit;elles’appelleAubrielle,rétorquaHannahavecunepointed’agacement.—Pourquoiest-cesiimportantpourtoi?Dansquelquesjours,jeneseraipluslà.Il semordit la lèvre, regrettant aussitôt ses paroles. Après la nuit passionnée qu’ils venaient de

partager,ellessemblaientduresetcruelles.Injustessurtout,auregarddessentimentsqu’Hannahavaitfaitrenaîtreenlui.Asadécharge,letempsfilaitsansleurapporterlamoindrepisteetcelalerendaitfou.Ellel’observauninstantavantdedéclarer:—C’estsonnom,unpointc’esttout.—D’accord.Elles’appelleAubrielle.Queferez-vouspendantmonabsence?—Conduis-nousàAllota.Mavoitureestprêteetjeveuxlarécupérer.

—Nousrestonsensembletantquetoutcecin’estpasterminé.Jesuislegardeducorpsdetafille.—Vraiment?Ehbien,c’estmoisamamanet j’aibesoindemavoiture.Vade toncôté, j’iraidu

mien.—Mais…— Jack, je ne vais certainement pas rester les bras croisés à attendre qu’on vienneme prendre

Aubrielleunesecondefois.—SiFranétaitlaresponsable,tun’asplusrienàcraindre.—Tusaistrèsbienquec’estpluscompliquéquecela.Quepouvait-ilfaire?L’enfantn’étaitpaslesien.Iltentait,tantbienquemal,d’assurersaprotection

augrédesesembauchesetlicenciementsàrépétition.—Noussommesprêtes,dit-elleenvenantseposterdevantlui.Vêtuedenoirdela têteauxpieds,elleétaitdiablementsexy.Seuls lapetite touchederoselovée

dans ses bras et le sac d’un orangé éclatant suspendu à son épaule détonnaient, à son goût, avecl’ensemble.Dehors,lebrouillarddelaveilleavaitlaisséplaceàunefortepluie.Illeurfallutpresqueunedemi-

heure pour rejoindre le garage d’Allota et récupérer la voiture d’Hannah refaite à neuf. Jack luidemandadelesuivrejusqu’àFortBragg,maisellerefusa,expliquantqu’ellesouhaitaitprésentersesexcusesàLindy,lafleuriste.—Alorspromets-moidemeretrouveràlaposte,disonsdansdeuxheures.Ellesehissasurlapointedespiedspourluidéposerunbaiseraucoindeslèvres.—Jetelepromets.Arrêtedet’enfaire.—Nefaisrien…d’irraisonné.Ellenepritpaslapeinedeluirépondre.

12

Laversionfinaleétaitbrève.

Jesaistout.J’aidespreuves.Retrouvez-moià15h30aujourd’huilàoù,hier,vousavezdéposéquelquechoseauqueljetiensparticulièrement.Venezavecdesespèces.Etseul.Hannahn’apposaévidemmentpassasignature.L’undesdestinatairessaurait;ellenesouhaitaitpas

afficher son identité, car la plupart d’entre eux penseraient qu’il s’agissait d’unemauvaise blague.Utilisantuneadresseemailqu’elleavaitcrééeplusieursmoisauparavant,elleenvoyasonmessageentoutanonymat.Son raisonnement était clair ; soit lemeurtrier deFran avait aussi enlevéAubrielle et visité son

appartement, soit il n’avait rien à voir avec tout cela. Dans tous les cas, son message devraitl’inquiéter.Ilchercheraitalorsàdécouvrircequ’ellesavaitetquellespreuveselledétenait.Dumoinsespérait-ellequ’ilsecomporteraitainsi.L’emailavaitétéenvoyésuffisammenttôtpourquel’hommeait largementletempsdeserendreà

Allota, y compris Santi Correa, qui demeurait au sud de la baie, à trois heures de route. Il seraitcertainementtropsecouépourprendrelui-mêmelevolant,maisilavaitunchauffeur.Sic’étaitbienluil’intéressé,ilsauraithonorerlerendez-vous.EtJack?Ilseraitfâchéden’avoirpasétéconsulté,maisils’enremettrait.Lepointdontelleétait

absolumentsûre,c’estqu’iln’auraitjamaisacceptédel’impliquerdansuntelarrangement.Alorsque,misaupieddumur,iln’auraitpluslechoix.Ellecliquaquatrefois,pourenvoyersonemailàquatredestinatairesprécis,puissesaisitdusiège-

autodanslequelAubrielledormaitetsortitsouslapluie.Prochainedestination:chezMimi.La maison lui sembla abandonnée, bien qu’en pénétrant à l’intérieur, elle eut la sensation que

quelqu’un était venu récemment. On avait procédé à des recherches parmi les étagères de labibliothèque;lesplacardsetlestiroirs,auparavantfermés,étaientgrandsouverts.LemeurtrierdeFranavait-ilvisitéleslieux?Ellesavaitbienqu’elleauraitdûrebroussercheminetfuircetendroitauplusvite,maislatentation

était trop forte. De toute façon, le visiteur était reparti. Elle l’aurait juré. Elle fit au plus vite,récupérantçàetlàleseffetsdontelleavaitbesoin.Jackayantprislesjumelles,ellesecontentadelalunettedeprécisionde lacarabine.Celle-ci ferait l’affaire.Elle sechangea rapidement, troquant satenuenoirecontreunjogginggris,etsecoiffad’unbonnetdelaine.Elleverrouilla laported’entréeavec soulagementet regagna savoiture, avecAubrielledans ses

bras.ElleserenditchezLindyFleursetgarasavoituresurleparkingàl’arrièredumagasin,prèsd’une

camionnettede livraison.Attendantqu’iln’yaitpluspersonnealentour,ellepritAubrielledanssonfauteuil,lepaquetdecouches,ets’élançaàl’intérieurparlaportedeservice.EllesetrouvanezànezavecLindy,occupéeàlaconfectiond’unesuperbecompositionflorale.

Sonexpressionapeuréeviraaussitôtausoulagementlorsqu’ellereconnutHannah.—Hannah!Toutvabien?Tuétaistellementbizarre,hier.J’aitentédet’appelersanssuccès.Hannahrefermalaporteetpritunelongueinspiration.—Pourrais-tuappelerJillpourluidemanderdenousretrouverici?Jedoisvousparler.J’aibesoin

devotreaide.

***

—Rappelez-moivotrenom?Lajeunefemmequiluiposaitcettequestionfitpassersonenfantd’unehancheàl’autre.—JackCarling,répondit-ilenluimontrantsesfauxpapiers.—Etqu’est-cequevousvoulezexactementàMitch?—Je travaillepour leconcessionnairequi luiavenduson4x4 l’annéedernière.Nouseffectuons

uneenquêtedesatisfaction.—Ehbien,iln’estpaslà.L’enfant qu’elle portait était plutôt costaud, tandis que l’épouse deMitch semblait avoir besoin

d’unebonnedosedevitamines.Bienqu’elleoffrîtuneimpressiondefragilité,ellen’étaitpaspourautantprivéedesenspratique.

Ellefronçalessourcilsendemandant:—Est-cequ’ontoucheraquelquechoseenparticipantàvotreenquête?—Undéfraiementdevingtdollars,annonçaJackdansunsourirequ’iltentaderendrechaleureux.

Bienentendu,cen’estpasunegrossesommepourdesgenscommevousetvotremari.—Qu’est-cequevousinsinuez?répliqua-t-elledutacautac.Juste au-dessus d’eux, la toiture de la véranda s’affaissait sous le poids des eaux de pluie. Les

Reynoldsvivaienteffectivementdansuneimpasse,etcela,danstouslessensduterme.Jackfitunsigneverslagrosseberlinestationnéelelongdelamaison.—Ehbien,desgenscommevous,avecdebellesvoitures…Elle émit un vague grognement. L’enfant lui faisait visiblement mal à la hanche et cherchait

désespérément à descendre. Lorsqu’elle le déposa enfin sur ses pieds, il partit en courant dans lamaisonenhurlantàpleinspoumons.—Nevousytrompezpas,répondit-elleens’appuyantcontrelechambranle.Celacoûteunefortune

defairelepleindecejoujou.Ons’enestservisqu’unefoisetpuislacriseestarrivée,etonn’apluseulesmoyensderoulerdedans.Mitchlavoulait;ill’aeue.C’esttout.D’accordmonsieur,jerépondsàvotreenquête.—Jesuisdésolé,maisc’estàMitchenpersonnederépondre,carc’estluiquiasignélacartegrise.

Savez-vousàquelleheureildoitrentrer?—Ilestpartihiermatinpourunecourseetjenel’aipasrevudepuis.J’espèrequ’ilnetraînepas

avecdesmauvaistypes,commetoujours.

Elleobservaunelonguepause,détaillantJack,puisreprit:—Vousvoulezentrerprendreunetassedecafé,monsieurCarling?Jackfitdesonmieuxpouravoirl’airsincère.— Je n’ai pas le temps.Désolé.Avez-vous lamoindre idée d’où je pourrais le trouver ? C’est

normalqu’ils’absentetouteunenuit?Vousn’êtespasinquiète?—Ouais,iln’apasl’habitudededécoucher,maisiladûêtreretenu…Maisaufait,qu’est-ceque

çapeutbienvousfairequemonmaridécouche?Quiêtes-vous,àlafin?—Jetâcheraideletrouverautravail,déclaraJackens’enallant.TransportsAce,n’est-cepas?Elleleregardasilencieusement,puiséclatad’unpetitrireaigrelet.—Foutaises !Vousmefaitesdesblagues,n’est-cepas? Ilvousdoitde l’argent,c’estça,hein?

C’estpourçaquevouslecherchez.Ehbien,ilaétéviréilyadeuxmoisetn’apastravailléunseuljourdepuis;alorsnecomptezpastropsurlui.Surce,elleclaqualaporte.Jackdémarraetquittaleslieux,extrêmementcontrarié.Etait-ceunecoïncidencesiMitchReynolds

disparaissait le jour oùFranBaker était assassinée ?Probablement.Rienne les reliait, excepté lescirconstances.FransortaitavecDavidetDavidavaitététuéparMitch.Soitc’étaitunaccident,commeilleprétendait,soitc’étaitunmeurtre,maisriennepermettaitencoredeleprouver.ToutcecileramenaitinévitablementàlafondationStarr.IlavaitencoredutempsavantderetrouverHannahetAbby,maissoninstinctluidictaitdefairevite.

Ilvoulaitlessavoirensécurité.Rienneleurarriveraittantqu’ilseraitprésentauprèsd’elles,etnonsur la route, à la recherched’informationsaléatoires.L’indépendanced’Hannah le tourmentait,maisd’unpointdevuepurementprofessionnel,c’étaitAubriellequ’ildevaitsurveiller,passamaman,aussidélicieusefût-elle.Les pneus usagés du pick-up avaient du mal avec les routes défoncées qui distribuaient cette

banlieue. S’éloignant de la carrière, il ralentit l’allure suite à un petit dérapage sur une aire degraviers.Quelquesinstantsplustard,ilcroisaunvéhiculedepolice.Sesgyropharestournoyaient,projetant

deviveslueursbleuetrouge,maissasirèneétaitmuette.Jackgarasonpick-uplelongdelarouteetobservalespoliciersfilerdansladirectiondesReynolds,curieuxdesavoirs’ilsserendaientounonchezeux.Lesonstridentd’unesirènelefitsursauter;ilseretournasursonsiègepourapercevoiruneautrevoituredepolicesuivied’uneambulance,toutesdeuxroulantàtombeauouvertàcontresens.Lestroisvéhiculestournèrentàgaucheetdisparurentauloin.RienàvoirdoncaveclafamilleReynolds.«Bouged’ici,espècedecrétin»,s’admonesta-t-ilenrepensantàFran,HannahetAbby.Illuifallait

découvrircequisetramait.Ilfitunecentainedemètres,dégotaunendroitassezlargepouryeffectuerundemi-tourets’élançaà

lapoursuitedesvéhiculesdepolice.Unvieuxpanneauaubordde la routeannonçaitunecarrièreàdeuxkilomètres.Ilsavaitqu’ilauraitdûrebrousserchemin,etpourtantcelaluiétaitimpossible.Ilpénétradansuneforêtdenseparunepistedelaquellepartaientdenombreuxcheminsbarrésde

chaînes rouillées et d’écriteaux « défense d’entrer » qui disparaissaient sous un enchevêtrement deplantes.Lorsqu’ils’aperçutquelarouteprenaitfinàlacarrière,ilralentit.Nichéeenpleinevégétation

luxuriante,lecratèrederochesgrisesévoquaitunpaysagelunaire.Jackpritunchemin longeant lacarrièrequedissimulaitun rideaudesapins.Unpeuplus loin,un

petit dégagement offrait un poste d’observation parfait. Il tenta de regarder à travers le pare-briseconstellédegouttesdepluielorsqu’ilsesouvintdelaprésencedesjumellesderrièresonsiège.La carrière était manifestement abandonnée depuis des lustres. Le matériel semblait figé par le

tempsetsedégradaitchaquejourunpeuplussouslesintempéries.Lesquelquesconstructionsencoredeboutpenchaientdangereusement.Làoùlarocheavaitétécreuséeseformaientd’immensespochesd’eauàl’aspectinquiétant.Perdus au milieu de ce lieu sinistre, les différents véhicules et l’agitation de leurs occupants

apportaient une note de gaieté inespérée et lui redonnaient vie. Jack découvrit une voituresupplémentaire,decouleurblanche,delaquellesurgitunjeunecouple.Lafemmedéployaunparapluierouge tandisque l’undespolicierss’avançaitverselle. Ilprenaitdesnotes touten luiparlant. Jackreconnutl’officierLatimer.Intéressant.Lesjeunesnepouvaientdétacherleregarddubassin,situéàunetrentainedemètresd’eux.Delàoù

ilsetrouvait,Jacknepouvaitapercevoircequiattiraitleurattention,maisilneluienfallaitpaspluspourdevinerquelasituationétaittragique.Deuxautresvéhiculesfirentleurapparitiondanslesminutesquisuivirent.L’unétaitunedépanneuse

et l’autre,unecamionnettedepoliceremorquantunebarque.Deséquipementsdeplongéefirent leurapparitiontandisquelesambulancierspréparaientleurmatériel.D’autres voitures arrivèrent encore, avec toujours plus d’intervenants. Une bonne demi-heure fut

nécessaireàl’undesplongeurspoursemettreàl’eauetrevenirdesapremièreinspectionlesmainsvides.Jacksortitdupick-up.Uneaccalmiedans l’averse luipermitdesedétendre les jambesetdecalmerlatensionquiluinouaitl’estomac.Leplongeurretournadansl’eau,cettefoisenemportantlecâbledeladépanneuse.Quelquesinstantsplustard,lasurfacedel’eausetroublaetunelongueberlinevertamandeémergeadesprofondeursdubassin.Jackétaitabsorbéparlascène,lesyeuxrivésàsesjumelles.Lesambulancierssemirentenbranle

etsesaisirentdubrancardavecdesgestesassurés.Cependant,unsilencedemortrégnaitalentourettouslesregardsétaientfocaliséssurl’épaverecrachantsontrop-pleind’eauparsesvitresfracassées.Ils’agissaitd’unmodèledeluxedesannées1960,fabriquéàl’époqueauxEtats-Unis.Jackétaitsûr

del’avoirvurécemment.Les équipesparvinrent finalement àouvrir laportière et découvrirent un corps à l’intérieur. Jack

abaissalesjumelles,malàl’aise.Iljetaunautrecoupd’œil.Descheveuxrouxplaquéssurlecrâne,unsweat-shirtblancavecunefleurdelysnoireetor,untrou

aumilieudufrontluidessinantuntroisièmeœil.L’œildelamort.Jackdéglutitavecpeine;ilvenaitdereconnaîtrelavictime.C’étaitletypequ’ilsavaientcroiséla

veilleàlaplage.Maiscen’étaitpaslavoitureaveclaquelleilétaitarrivé.Lemêmehommedansunevoituredifférente…Ilétaittempsdeprendrelelarge.Parchance,lapluiequis’étaitremiseàtombercouvriraitlebruit

desonmoteur.

Ilseprojetamentalementlesévénementscommeonrembobineunfilm.Oùavait-ilvucetteberlinevertamande?Pourquoi,en l’apercevant,avait-il immédiatementpenséàunhommeâgé,marchantàl’aided’unecanne?—Creuse-toilesméninges,Jack!»dit-iltouthautenfrappantlevolantdesespoings.Celaeutpoureffetderaviversamémoire.LeparkingdelasupéretteoùilavaitretrouvéHannah!Elle avait appuyé parmégarde sur le klaxon et un vieil homme était venu frapper à sa vitre, lui

demandantsitoutallaitbienavantdes’enaller,s’appuyantsursacanne.Il revit alors le contenu du break qu’ils avaient inspecté à la plage et réalisa que la canne s’y

trouvait,ainsiquel’imperméableusé.Oùtoutcelamenait-il?Quiétaitcethomme,etquellienlereliaitàHannah?Ilenexistaitun,incontestablement,puisquecet

hommeétait làquandHannahs’étaitsentieobservée.Quiplusest, ilétaitvêtud’unaccoutrement lefaisant passer pour un homme âgé. Puis, il était venu sur le parking de la plage, tandis qu’ilscherchaientAubrielle…Bien.MaisquevenaitfaireMitchReynoldsdansletableau?Etait-ceparpurecoïncidencequ’ilne

rentrait pas chez lui le jour où Fran Baker était assassinée ? Le même jour où l’on retrouvait uncadavreàmoinsdetroiskilomètresdesamaison?Lamêmearmeavait-elleservipourlesdeuxmeurtres?UnfiletdesueurfroidecoulalelongdestempesdeJack.Ilseforçaàconduirelentement,soulagé

dedécouvrirque lecheminmenaità la routeprincipaleparun itinéraire luiépargnantdecroiser lapolice.Lesinspecteursallaientrapidementidentifierlecadavreetretracerlesagissementsdesesdernières

heures.IlsallaientenquêteràlafondationetleréceptionnistenemanqueraitpasdesignalerqueFranétait venue accompagnée d’un homme nommé Jack Carling, le jour même de sa mort. Si MitchReynolds était impliqué dans l’affaire, ils allaient aussi questionner son épouse et elle citerait denouveau sonnom.De fil enaiguille, ils feraient le rapprochementavecHannah, surtout l’inspecteurLatimer. Ce dernier ne manquerait pas de se souvenir qu’elle était en compagnie d’un homme,propriétaired’uneHarley,surleparkingdelasupéretteetqu’ilsenommaitJackCarling.Etpuis,n’était-cepasencoreceJackCarlingquiavaitdécouvertlecorpssansviedeFranBaker,

aprèsavoirpartagéavecellelasoiréedelaveille?Jack se dit qu’il ne lui restait plus que cette journée pour tout résoudre. La probabilité de se

retrouverdansunecelluledusystèmecarcéralcalifornienn’étaitpasplusagréablequederéintégrerlescampsduGTM.Danslerétroviseur,ilvitleslueursdesgyropharesapprocheretentenditlessirènessedéchaîner…Il fit halte sur le bord de la route, priant le ciel pour que la police passe son chemin, mais le

véhiculenoiretblancvintsegarerjustederrièrelui.Jacks’efforçadegardersoncalme,luttantavecsonintentiond’écraserl’accélérateurets’échapper.

Ilpritunegrande inspirationetpensaàHannah. Ildevait rester librepour laprotéger.Elleétait sapriorité,aumoinspouraujourd’hui.Ilcachasalampetorcheàsespieds.Concernantlefusil,ilétaitàl’abridesregards,derrièreson

siège. Il est vrai qu’il se trouvait à moins d’un kilomètre d’une scène de crime, mais il n’y avaitcommis aucune infraction. Son plus grand souci était Hannah, car elle n’était pas informée de ladécouvertedecedeuxièmemeurtre.Aubrielleétaitsansdéfense;ildevaitéviterdesefaireprendresouspeinedeneplusêtreenmesuredeveillersurelle.Ilgarderaitsonsang-froid.Cecidit,ceseraitunvéritablemiracles’ilnefinissaitpaslajournéederrièrelesbarreaux.

***

Hannaharrivaà laposteavecunpeuderetard. Iln’yavaitpas tracedeJack.Aubrielledans lesbras,elleattenditsousl’auventavecimpatience,jetantunregardàsamontreàchaqueinstant.Oùpouvait-ilbienêtre?CertainementpluschezlesReynolds.Elleavaitbesoindesaprésence,elle

comptaitsurlui.Aprésentquesonplanétaitengagé,illeurfallaitagirenconséquence.Iln’étaitpasquestiondesetournerlespouces.Cen’étaitpassonhabituded’êtreenretard.Unedésagréableappréhensionluitraversal’esprit.S’était-ilmisdansdesalesdraps?Lesavait-il

abandonnées?Cetteabsencenefaisaitpassonaffairecarelleavaitbesoindelui,ettoutdesuite.Bienentendu,il

allait la féliciter d’avoir conçu cet email. C’était une bonne tactique. Pas très fine, mais efficace.Même la pluie jouait en sa faveur en obscurcissant légèrement la luminosité ambiante. Elle auraitpresquepusedissimulerderrièrelesgouttesdepluie.Maisceladissimuleraitaussilapersonnequiavaitravisonbébé,ettuéunefemmesansdéfense…Elle s’aperçut alors qu’elle avait inconsciemment séparéFran, son amie et collègue, deFran, ce

corpssansvie.Peut-êtreaurait-elleacceptéladureréalitéendécouvrantlebureaudeFranvide,lesdernierseffluvesdesonparfumflottantdansl’air.Franavaitétébrutalementassassinée,etHannahvenaitdeproposerunrendez-vousàsonassassin.

Décidément, cela ne pouvait être une bonne initiative. Jack avait raison ; c’était beaucoup tropdangereux.«Réfléchis. »Comment ferait-elle si sonplan s’avérait irréalisable ?Fuir comme l’avait fait sa

grand-mère?Non, elle ne pouvait se laisser gagner par la peur. Elle devait s’en sortir seule. Jack avait beau

s’inquiéter pour de pauvres innocents en TierraMontañosa, et elle partageait ses sentiments sur cepoint,elles’inquiétaitplus,àdirevrai,desapropreexistence.Aprèsunlongmomentàpiétinersurplaceenmaugréant,elle regagnasavoitureetdémarra.Elle se rendità l’hôtelafindesignaler leurdépart etvérifier si Jackn’yétaitpas repassépourune raisonouuneautre.Elle trouva lachambredans l’état où ils l’avaient laissée. Leménage n’avait pas encore été fait et les serviettes de bainhumidestraînaientçàetlà.HannahchangeaAubrielleetluidonnalesein,espérantvoirJackarriveràtoutmoment, les yeux rivés sur la porte.Finalement, elle détourna la tête et son regard seposa surl’empreintede leurscorps sur lesdraps froissés.Le souvenirde lanuitpassée lui traversaaussitôtl’esprit.Cessouvenirssuffiraient-ilsàmeublersaviefutureaucasoùJackviendraitàdisparaître?Lefutur.Elleétait là,àsongeraufutur,alorsqu’elleauraitdûconcentrer toutesonénergiesur le

présent.Utilisantlepapieràlettredel’hôtel,ellerédigeaunmotàl’attentiondeJackluiintimantdesetenir éloigné du parking de la plage, puis quitta la chambre. Quelques minutes plus tard, pour lasecondefoisdelajournée,ellesegaraàl’arrièredelaboutiquedeLindy.Détachant le siège d’Aubrielle, elle le recouvrit d’un plaid pour protéger sa fille de la pluie et

courutverslaportedeservice.Jill,lagrandefilledeLindy,lacroisadanslecouloir.Elleétaitdedeuxanssonaînée,maisavait

déjàtroisenfants, tousâgésdemoinsdecinqans.Aprèsluiavoirfait labise,ellesoulevasapetitefilledusiège-auto.Aubrielle,quihurlait,setutaussitôt,commeparenchantement.—Désolée,maisjenepouvaismelibérerplustôt,expliquaJillenembrassantAubrielle.J’aijuste

euletempsdedéposerlesenfantsàleurpère,àlacasernedespompiers.Ilestdereposaujourd’hui,maisilsontorganiséunbanquet.Mamanm’aexpliquéautéléphone.TuviendrasrécupérerAubrielleàlamaison?—Oui,réponditHannahenluicommuniquantsonnuméroainsiqueceluideMimi.Grand-mèreest

envoyageetmasonnerieseracoupéepourunmoment,maisjeconservelevibreur.Ducoup,jemettraicertainementunpeudetempspourterappeler,d’accord?— Pas de souci. Souviens-toi ; j’ai été infirmière avant d’être mère au foyer et mon mari est

pompier. Il ne peut pas nous arriver grand-chose.De toute façon, nous serons un bonmoment à lacaserne.Toi,tuteconcentressurtonentretiend’embauche.—Mercibeaucoup,ditHannah,soulagéedenepasavoireuàluiraconterdemensonges.Jillbaissalavoix.—Tonnouvelemploia-t-ilàvoiraveclemeurtredecettefemme?—Meurtre?—Oui,cettefemme,FranBaker,quitravaillaitaussiàlafondationStarr.Lesjournauxontdéclaré

qu’ils’agissaitdel’assassindesgarages,maismonmariestpersuadéquec’esttotalementfaux.—Non,celan’arienàvoir,réponditHannahenluttantcontresonenviedeluiarracherAubrielleet

fuiràl’autreboutdupays.—Ahbon.—Avez-vousentenduparlerdel’autremeurtre?demandaLindy.—Quelautremeurtre?—On l’aannoncéà la radio, ilyaquelquesminutes.BraceTysonaété trouvémortà lavieille

carrière.Uncoupledejeunesavusavoitureimmergéedansunbassin.—Brace?Tuessûre?demandaJill,choquée.Es-tusûrequ’ilaétéassassiné,maman?—Ilsontparléde«circonstancessuspectes».—QuiestBraceTyson?demandaHannah.—Ilavaitdeuxclassesd’avancesurmoiàl’école,aussinel’as-tucertainementpasconnu,raconta

Jill. IladéménagépourLosAngelesaprèsavoirobtenusesdiplômesetn’estrevenudanslarégionquel’annéedernièrepourymontersasociété,TysonEnquêtes&Filatures.Tuaspeut-êtreremarquésonbureaudanslepetitcentrecommercialausuddelaville?C’étaitunchictype.Ainsi, un détective privé avait été retrouvé mort dans la vieille carrière, non loin de chez les

Reynolds,alorsqueJacks’yétaitrendupourinterrogerMitch?Etàprésent,Jackétaitinjoignable?

MonDieu!Lapolicel’avait-ellearrêté?Hannahsentitsonestomacsenouercommeelle jetaituncoupd’œilàsamontre. Iln’yavait rien

d’autreàfairequedeserendreàlaplageetseprépareràrecevoirlemystérieuxvisiteur.Jackallaitdevoir sedébrouiller seul.Cecidit, il n’existait aucunepreuvede son implicationdanscenouveaurebondissement.Peut-êtresonpick-upavait-ilfiniparrendrel’âme,toutsimplement.Ellecaressaitmachinalementlespetitesmainsdesafille.Jilllaregardaavecdouceur.—Net’inquiètepas,Hannah.Tout irabien.Jeprendraibiensoind’elle.Onaimelesbébésdans

notrefoyer,tulesaisbien.Hannahseforçaàsourire,mais lerésultatn’étaitpas trèsconvaincant.Ellevit lamèreet lafille

échanger un bref coup d’œil et se dit qu’elles ne devaient pas croire un instant à cette histoired’entretiend’embauche.Déposantundernierbaisersurlefrontd’Aubrielle,elles’enallarapidement.Sonpremierarrêtfutaucybercafé.Elleseconnectaetconsultalecomptequ’elleavaitutilisépour

envoyersonemail.Ellen’avaitreçuqu’uneseuleréponse,maiscelle-ciétaitd’uneimportancecapitale.Envoyée,elle

aussi,depuisuncompteanonyme,elledisait:

Jeserailà.Toutcecidoitprendrefin.

13

Jackparlaitvite,suruntonpassablementagacé.Lepolicierneprêtaitqu’uneattentiondistraiteàsespropostandisqu’ilexpliquaitqu’ils’étaitégaréententantderegagnerlarouteprincipale.—Jemesuisperdusurcespetitesroutesdecampagne.Ellesseressemblenttoutessouslapluie.

J’aivulesvéhiculesdesécurité,alorsjemesuisarrêtéquelquesminutespourregarder.Quelqu’unaétéblessé?Lepolicier,quinesemblaitpasprêterlamoindreattentionaufaitquetousdeuxétaienttrempéset

frigorifiés,neréponditpas.Ilpréféraitétudiersonpasseportetsonpermisdeconduire,qu’ilfinitparluirendredansungrognement.—Vous devez continuer sur cette route environ un kilomètre et tourner à droite.Allez tout droit

pendantquatrekilomètres,prenezencoreàdroite,puistoutdroitjusqu’àFortBragg.Tâchezd’évitercespetitesroutes,àl’avenir.—Merci.Jack suivit ses conseils et rejoignit la route principale avec la sensation d’avoir évité de peu

l’échafaud.Hannah n’était pas à la poste et cela lui déplut. Où pouvait-elle être ? Souhaitant éviter de se

montreràl’hôteloùlapolicenemanqueraitpasdelerechercher,ilfithalteàunecabinepublique.Ilappela tout d’abord Hannah, mais n’obtint pas de réponse. Puis il joignit l’hôtel et demanda leurchambre.Personnenerépondit.Aufinal,ilappelalaboutiquedefleursd’Allota.—LindyFleurs.Bonjour,réponditunevoixféminine.Jackseprésentaetajouta:—Jesuisunamid’HannahMarks.Nousavionsrendez-vous,maisjesuisarrivéenretard.Auriez-

vouslamoindred’idéed’oùellesetrouve?—Ellem’aparlédevous,M.Carling,m’assurantquevousétiezlaseulepersonneavecsagrand-

mèreàquijepouvaisparlerd’Aubrielle.Ellenousaquittéesilyaunpetitmomentpourserendreàunentretiend’embauche.—Unentretiend’embauche?A-t-elleprisAbbyavecelle?Enfin,jeveuxdireAubrielle?— A vrai dire, ma fille Jill surveille le bébé. Ils sont tous à une petite fête à la caserne des

pompiers.Ellem’achargéedevousdemanderdevousteniréloignéduparkingdelaplagesijamaisvousappeliezaprès14h30.Etcommeilestpresque15heures,jevouspasselemessage.—Jevousremercie.Deretourdanssonpick-up, ilprit lechemind’Allota.Abbyavaitbeauêtreen lieusûr, il sentait

qu’Hannahétaitendanger.Iln’allaitpasresterlesbrascroisés.

***

Toutcecidoitprendrefin.Ces quelques mots trottaient dans l’esprit d’Hannah. Elle se les répétait en boucle depuis la

découvertedel’email.Ilsluiétaientdestinés,certainementécritsparunassassin.Sapremièreintentionavaitétédelerencontrerfaceàface,Jackprotégeantsesarrières,dissimulé

derrièreunrocher.MaisJackayantdisparu,ceplanétaitdevenuobsolète.Ellenepouvaitrisquersavieetfaired’Aubrielleuneorpheline.L’hommequiviendraitaurendez-vousavaitprobablementtuéFran,peut-être aussiDavid, etpourquoipas ledétectiveprivédont le corps avait été retrouvéà lacarrière.Elleneseraitpassaprochainevictime.Ellevoulaitseulementl’identifier,carpourcequiétaitdespreuves,elleendétenaitsuffisamment.

Ellelelivreraitàlapoliceetexpliqueraittoutel’histoire.Ettoutseraitenfinterminé.Elledépassal’entréeduparkingetavançajusqu’auxdunesadjacentes,cherchantlapistequimenait

au promontoire, et l’emprunta pour se dénicher un poste d’observation. Elle l’avait parcourue denombreuses fois à vélo, lorsqu’elle était enfant, pour se rendre à son château imaginaire. La pluierendaitsesrecherchesdifficiles,maisellefinitparlaretrouver.Ellegarasavoitureenretraitdesdunesetfitleresteducheminàpied,lacarabinedesongrand-

pèrebienassuréedanssamainfroideetmouilléeparlapluie.Elleavaitprisl’armepourlalunettequil’équipait,luipermettantd’observerlesenvironssansêtrevue.Songrand-pèreluienavaitexpliquélemaniement alors qu’elle était encore adolescente et, en l’absence de Jack, celle-ci lui procurait unsentimentdesécurité.Aurait-ellelecrandetirersicelas’avéraitnécessaire?Plutôtdeuxfoisqu’une.L’armeétaitchargéeetn’attendaitquecela.Nésd’unepousséephénoménaledepuis lesentraillesde laTerre,desmillénairesauparavant, les

rochers s’élevaient au-delà du sommet des dunes en de majestueux remparts. Ils recelaient unemultitudedecachettesdisponibles,tantpourl’imaginairedesenfantsquepourunefemmeenproieàuneréelleinquiétude.Hannahdénichaunemplacementsouslesrochersoffrantunevuedégagéesurleparkingdelaplage.

Plusieursvoituresyétaientgarées,éparpilléesçàetlà.Hannahsentitquel’hommes’ytrouvaitdéjàetdevaitl’attendre.Elledétaillachaquevéhicule,gardantentêtelaCadillacblanched’HugoCorrea,laVolvorougede

GaryJenkins,le4x4bleud’HarissonPlumberetlaMercedesbleuazurdeSantiCorrea.Aucuned’entreellesn’étaitprésente.Durantunebonnevingtainedeminutes,iln’yeutaucunmouvementsurleparking.Hannahnefaisait

qu’interrogersamontre.Letempss’étiraitpluslentementquejamais.Unecrampesedéclaradanssajambedroite.Uneanfractuositédans la roche, justeau-dessus, faisait s’écoulerun filetd’eau froidedanssanuque,sinuantlelongdesondos.Enfin, un fourgon noir aux vitres teintées fit irruption sur le parking. Hannah frissonna. Cela ne

concordait pas avec sa liste de suspects. Peut-être était-ce un touriste supplémentaire, attiré par larenomméedupaysage.Oubienl’hommequ’elleattendaitavaittoutsimplementchangédevéhicule…Le fourgon alla se garer près des toilettes, face à l’entrée.Hannah retint son souffle comme une

silhouette endescendait,mais laportière conducteur étantducôtéopposé, elleneputdiscerner sestraits.L’inconnufitletourdesonvéhicule,sedéplaçantlentementmalgrélapluie.Hannahregardaàtraverslalunettecommeils’éloignaitdedosendirectiondestoilettes.Ellenotaun imperméablegrisacier,unchapeaunoirà largesbords,des lunettesdesoleil etdes

gants. Un pantalon noir avec un large ourlet et des bottines noires. Démarche prudente. Cheveuxdissimulés.Soncomportementétaitdetouteévidencesuspect.L’inconnupénétradanslasectionréservéeauxfemmes,enressortitparcelledeshommes,puisse

tint à l’extérieur, s’accordant manifestement une pause à l’abri de la pluie sous l’auvent du petitbâtiment.Hannahn’était pas convaincueque cette personne soit son agresseur.Elle avait seulementl’intuitionqu’il s’agissaitd’unepersonnede sexemasculin,bienqu’avec ladistance et lapluiequifaisaitécran,satailleneluidonnâtpasd’indicationsprécises.Soudain, unmouvement au loin vers l’est attira son attention. Hannah fit lamise au point de sa

lunetteetvitunvieuxpick-upfranchirlabarrièred’entrée.Jack.Bonsang…Ellevisadenouveauverslestoilettes.Leconducteurdufourgonnoiravaitdisparu.Oùétait-ilpassé?Jack descendit de son pick-up, fouilla derrière son siège et en extirpa le fusil. Il demeura là un

moment,étudiantlesalentours.Ellevitseslèvresremueretsutqu’ill’appelait.Ellefutsurlepointdesortirdesacachetteetluifairesignelorsqu’elleaperçutdumouvementverslestoilettes.Réajustantsalunette,elleobservalascène.L’individuavaitfaitletourdubâtimentetsetenaithorsdevuedeJack.Celan’étaitpascontraireà

laloi,maispourquoisecomporterdelasortesil’onn’avaitrienàsereprocher?ElleétaitsurlepointdereportersonattentionsurJacklorsquel’hommevêtudenoirplongeasamaingantéedanssapocheetlaressortit,prolongéed’unpetitautomatiqueargenté.OùétaitJack?Désespérément,ellelecherchaduregardetlevitsedirigerverslebâtiment.Depuis

saposition,ilnepouvaitvoirlamenace.S’ilfaisaitunfauxmouvement,lapersonnepaniquerait-elleetoserait-ellefairefeusurlui?Quedevait-ellefaire?Aprèsavoirjetéunregarddanslesdeuxtoilettes,Jacksepostaàl’extérieuretscrutalesenvirons.L’hommearméapprochait,lerevolveràlamain.Hannahcriadansleurdirection.Soncrineparvintpasjusqu’àeux.Elleétaitbeaucouptroploin,etlefracasdelapluiesurl’auvent

métalliquecouvraittout.L’hommes’avançaencore,plusmenaçantquejamais.Unéclatdelumièrefitbrillerlecanondesonarme;elleétaitpointéeendirectiondeJack.Hannaharma la carabine.N’ayantpas tirédepuisbien longtemps, ellemanquait deprécision.La

distance séparant Jack de son agresseur était demoins de deuxmètres. Si elle ratait sa cible, ellerisquaitd’atteindreJack.Elle décida de viser le fourgon. Faire voler une vitre en éclats nemanquerait pas d’attirer leur

attention.Laballeratalacibleetatteignitlavitrearrièredupick-up,maiscelaproduisitsoneffet.Jackse réfugiaaussitôtdans l’ombredubâtimentetempoignasonfusild’ungestemenaçant.Elle

pouvaitlirel’indécisionsursonvisagebienqu’ellenepûtenvoirlestraitsavecprécision.Ilétaitprêtaucombat.Cependant, son tirn’avaitpasproduit l’effetescompté ; en focalisant l’attentionde Jackdanssadirection,Hannahluiavaitfaittournerledosauvéritabledanger.L’hommeréapparutetplantasonrevolverdansledosdeJack.Cedernierfutcontraintdedéposer

lentementsonfusilàterre.Ellelesvitéchangerquelquesparolesetdevinaquel’hommeforçaitJackà

regarderdroitdevantlui.IlnedutpasapprécierlamanièredontJackrépondaitàsesquestions,carils’agitanerveusement.Hannahpressa ladétenteunenouvelle fois,endirectionde labenneàordures.Lecoupseperdit

dans lanature,maisdétourna suffisamment l’attentionde l’hommepour lui faireperdre sesmoyens.Tandis qu’il s’échappait en courant, une rafale fit s’envoler son chapeau. Hannah tressaillit en lereconnaissant. Il s’engouffra dans son fourgon au moment où Jack ramassait son fusil. Hannah tiraencoreunefoismaislevéhicule,indemne,pritlafuite.Jackavaitregagnésonpick-uppours’élanceràsapoursuite.Maisilneputallerbienloincarl’un

desespneusavaitététouchédanslafusillade.Ilsautaduvéhicule,découvritsonpneuàplatetjuraenlevantlespoings.Enfin,Hannahnel’entenditpasjurer,mais,leconnaissant,elleenfutpersuadée.Illevalatêteetregardaverslesdunes.Hannahsortitdesacachetteetsesignala,levantsacarabineàboutdebrasetfaisantdegrandsgestes.Elleregagnasavoitureetfitauplusvitepourlerejoindresurleparking.Jack,trempéjusqu’auxos,avaitenmainslechapeaudufuyard.—Est-cequeçava?demanda-t-elleenbaissantsavitre.Ils’installaàsoncôté.—Jevaisbien.Ettoi?— Oui, Jack. Je sais qui c’était. Hugo Correa. J’ai vu son visage quand le vent a chassé son

chapeau,etj’aireconnusadémarched’estropié.Jeneparvienspasàycroire.Jenesaispascequ’ilnousveut,mais…—Moi, j’ai reconnu sa voix. Il veut une cassette.C’est ce qu’ilm’a dit enmemenaçant de son

arme.«OùestHannah?Oùestlacassette?»—Quellecassette?interrogeaHannah.—Jen’ensaisrien.—Lesseulescassettes…—LesseulescassettesentapossessionsontcellesqueDavidt’alaissées.Illaregardaavecinsistance.—Enroute!

***

EnpénétrantchezMimi,Jacksutaussitôtquequelqu’unétaitpasséavanteux.—Ilestpeut-êtretroptard,annonça-t-ilendécouvrantlamaisonsensdessusdessous.— Je ne crois pas. Lamaison était déjà dans cet état quand je suis venue cematin récupérer la

carabinedegrand-père.SiHugoavaittrouvécequ’ilcherchait,pourquoiserait-ilvenuàlaplage?Ilgarda lesilence.Elleavaitbeau luiavoirsauvé lavie,elleavait toutdemêmemissonplanà

exécutionsansmêmeleconsulter.Ilavaitbiendumalàexercersonrôledegardeducorps.Laboîteétaitrangéedansleplacard,exactementlàoùilsl’avaientlaissée.Siellenecontenaitpas

labonnecassette,ilsnesauraientalorsoùmenerleursrecherches.—J’avaisoubliélesVHS,dit-elleeninspectantlecontenu.Grand-mèreaunvieuxmagnétoscope

danssachambre;allons-y.Jackémettaitdepetitsgargouillisenmarchant,tantsesvêtementsetseschaussuresétaienttrempés,

maisiln’allaitpasperdreunprécieuxtempsàsechanger.Silapolicedécidaitdelesretrouver,cettemaisonseraitleurpremièredestination,aprèsl’hôtel.EtsiHugoCorreavoulaitsevenger,ilsavaitoùHannahhabitait…Hannahinséralacassettedumariageetmitenmodelecturetandisqu’elledisparaissaitpourallerse

changer.Ellerevintquelquesinstantsplustard,portantsatenuenoiredumatin.—C’esttoutcequejepeuxfairepourtoi,dit-elleenluitendantunepairedechaussettesdelaine.—C’estmieuxquerien.Pour l’instant, lacassettenecontientquedesimples imagesdemariage,

ajouta-t-ilenôtantseschaussurespourchangerdechaussettes.—Onpeutlireenaccéléré,non?—Pourquoipas?Illuitenditlatélécommandeetfouillalaboîtepourenextraireuntasdecassettesaudio.—Ilfaudraitdesheurespourécoutertoutcela,maiscommençonstoutdemême.Tuasunlecteurde

cassettes,Hannah?—Dansmavoiture.Onpouvaitcomptercinqcassettesdemusiqueclassique,deuxou troisdemusiquepop,duheavy

métaletunopéra.CertainesavaientétéenregistréesparDavidlui-mêmeetellereconnutsonécrituresurlesjaquettes.Ilfallaitprobablementcommencerparcelles-ci.Malheureusement,aucuneneportaitlamention«K7chantage».HannahéchangealaVHSdumariageaveccelledescoursd’aviation.Jacks’impatientait.Lorsque leportabled’Hannahsonna, ilenprofitapourprendre lecontrôledu

magnétoscope. Sur l’écran de télévision, un Cessna bleu et blanc venait d’atterrir et approchait ducameraman.Atraverslavitreducockpit,Davidfitunsignedelamain.L’écranseremplitdeneige.Jackfitdéfilerlabandeenmodelectureaccélérée,aucasoùunautre

programmesetrouveraitàlasuite.—Grand-mère est dans une ville nommée Ferndale et son amie et elle sont descendues dans un

motel,annonçaHannahenraccrochant.—Nousdevonspartird’icileplustôtpossible.—Laisse-moiappelerJill.Celaneprendraqu’uneminute.Effectivement,leurconversationfutonnepeutplusconcise.—Jillditqu’Aubrielleestéveilléeetpassesontempsàdévisagersafilleâgéededeuxans.Elleest

prêteàlagarderpourtoujours.—Ettuluiasrépondu«non,merci»,ironisaJack.—Jeluiaiditqu’ilsepourraitquejeluilaisseAubrielleunpeupluslongtempsqueprévu.Ellen’y

voitaucuninconvénient.—Ceneserapasnécessaire.Jevoudraisquetuailleschezellemaintenant,etyrestesletempsque

jedémêlecettehistoire.— Il n’en est pas question, répondit Hannah. Ma famille est menacée par une personne que je

pensaisêtremonami.Jen’imaginetoujourspasHugoCorreacambriolantmonappartementetenlevantmafille.C’esttoutsimplementincroyable.Jackcomprenaitsontrouble.IlneconnaissaitpasbienHugo,maisavaittoutdemêmeétésongarde

ducorps,quelquesjours,enTierraMontañosa.Correaluiavaitdonnél’impressiond’unhommeunpeufaiblevivantdansl’ombredesonpère.Ill’avaitrevudanslecampdesguérilleros.Ungardel’avaittabassé à coups de crosse de revolver devant ses yeux. Difficile d’imaginer qu’un homme puissesurvivreàcesmauvaistraitementspourseretrouveràjoueraveclaviedesautres.IlenlaçaHannahetl’attiraàlui.— Hannah, écoute-moi bien. Abby a besoin de sa maman. Tu es tout pour elle. Moi, je n’ai

personne.Sijevenaisàmourir,ceseraitdansmonrôledegardeducorps,envousprotégeanttouteslesdeux.Maiss’ilvousarrivait…Ilneputcontinuercarelleavaitécraséseslèvressursabouche.Ilgoûtasonbaiseravecdélice.Il

prialecieldeluidonnerletemps,lapaix,lachancedevivreunenouvellevie.Ellemitfinàleurbaiseretluimurmura:—Quechantais-tuàAubrielle,l’autrejour?—Lacomptine?Elles’appelle«Duerme,NiñoChiquito».—Queracontentlesparoles?—Laisse-moiréfléchir…Dors,monpetitbébé,commença-t-ildoucement.Dors,monpetitamour,

dorsmapetiteâme,jecroisquec’estça.Dorsjusqu’aupetitmatin,mapetiteétoile.Elle l’écouta calmement, sous le charme de sa voix, puis revint soudainement à leur sujet de

préoccupation.—J’aioubliédetedirequelapoliceatrouvéundétectiveprivémortàlacarrière.—Jesuisaucourant.J’étaislàquandilsl’ontsortidel’eau.J’aiapprissonidentitéàlaradio.Je

mesuisfaitarrêterenquittantleslieux,etmaprésenceaévidemmentfaitl’objetd’unedéposition.—Ilétaitpeut-êtreàlasolded’Hugo?Cedevaitêtrelui,l’hommequimesurveillaitsanscesse.—Celanemesurprendraitpas,avouaJack.Allonsécoutercescassettes.

***

Ilss’installèrentdanssavoiture,Hannahs’asseyantd’autoritéauvolant.—Eloigne-nousdecettemaison,luiditJack.Ellesortitduquartieretvintsegarerdevantunterraindésert.—Commençons par le heavymétal, proposa Jack. Elle fait partie des cassettes enregistrées par

David.Onlesécouteratoutesenvitesseaccéléréeetonpasseraenmodelecturedetempsàautrepourvérifiers’iln’apasinséréautrechosequedelamusique.Sionnedécouvrerienaveccetteméthode,ondevratoutécouter,dudébutàlafin.

Hannah soupira.Ces cassettes contenaient des heures et des heures demusique.Elle se demandas’ilsneferaientpasmieuxd’allertoutraconteràlapolice.Elleregardadenouveaudans laboîteet fixasonattentionsur lescassettesdemusiqueclassique.

Tandis que Black Sabbath vociférait dans l’autoradio, elle lut les étiquettes. Mozart, Chopin,Beethoven.—Jack?luidit-elleenbaissantlevolume.As-tutoujourslemotquejet’aidonné?Celuiquiétait

danslesacdesportcontenantl’argent?—Dansmonportefeuille,répondit-ilenlesortantdesapoche.9,D,125,1,2,lut-ilàhautevoix.Ellesuivaitsurlajaquettedelacassette.—Symphonienuméro9enDMineur,Opus125,Mouvements1et2deBeethoven, lut-elleàson

tour.UnlargesourireapparutsurlevisagedeJack.—C’estcelle-là.IléjectaBlackSabbathet inséra lacassettedeclassiqueenaugmentant levolume.Unquatuorde

violons emplit la voiture.Hannah pressa la commande d’avance rapide puis remit sur lecture.Destrompettes,desflûtesetdespercussions.Ellerefitdeuxfoislamêmeopérationavantdetombersurunpassage où des voix d’hommes remplaçaient la musique. Ils parlaient en espagnol, trop vite pourHannah,etl’arrière-plansonoreétaitfortementbruité.Elle retrouva lemoment où lamusique disparaissait brutalement et la conversation débutait.Une

voixd’hommemurmurait:«30avril,11h20dumatin,CorreaetHurtado,àlafrontièredelaTierraMontañosa,àbordduBellN480,E,X».Hannahsentitun frisson laparcourir.Cela lui faisait toutdrôled’entendredenouveau lavoixde

David, et bien que la conversation en espagnol devînt son centre d’intérêt, elle pouvait sentirl’exaltationdanssarespirationhaletante.—Reconnais-tulavoixd’Hugooucelledel’hommequeDavidnommeHurtado?demandaJack.—Non.JeneconnaisaucunHurtado.Ilsparlentespagnol,etleursvoixsontétouffées.—Ilsdoiventsetrouveràborddel’hélicoptère.ElleimaginaDavidauxcommandesduBell.Peut-êtreavait-ilétéenrôléenqualitédepilotepour

lesemmenersecrètementenEquateur?Peut-êtreécoutait-il lasymphonie lorsqu’ilavaitsurprisuneconversation intéressante ?David comprenait bien l’espagnol. Il s’était sûrement dit qu’il tenait ungroscoups’ilparvenaitàenregistrerleursproposdanslebutdelesfairechanter.Jack monta le volume et concentra toute son attention sur la conversation. La symphonie reprit

brusquement.Iléteignitl’autoradio.Ilavaitl’airsombreetpréoccupé.—Qu’ya-t-il?Dequoiparlaient-ils?demanda-t-elle.—JepensequeDavidlesasurprisenpleincomplot.Ilspréparaientl’embuscadeetontmêmeparlé

demedroguer.Bonsang,tutesouvienscommenoussommestombésdesommeilcettenuit-là?Hugoétaitdescendudanslemêmehôtel.Ilasûrementdemandéàuncomplicedeverserunsomnifèredansnotrevin.Ellesesouvenaitbiendes’êtreéveilléevaseuselelendemainmatin.

—Oui,Hugoétaitbienlà,aveclesautres.Nousétionstouslogésaumêmeétage.—JenepenseplusqueleGTMaitvraimentétéimpliquédansl’embuscade.J’aicrucomprendreen

écoutantlacassettequecetype,Hurtado,étaitchargédemonterungroupearméquidevaitprétendreappartenirauGTM.—Pourquoiauraient-ilsfaitcela?Dansquelbut?—Pourrécupérerl’argentdesassurancestoutenreportantlestortssurleGTM.—Hugos’estlui-mêmetiréuneballedanslajambe?—Non, je ne pense pas. Il n’avait certainement pas prévu d’être blessé. Il a dû se produire un

incidentlorsdelamiseenscènedeleurlibération.Oualorsl’autretype,HarrisonPlumber,asuspectéunearnaqueetHugos’estdévouépoursefairetirerdessus,pourchassersesdoutes.Tul’asdit toi-même l’autre jour : la fondation n’assure que les cadres supérieurs. Ils avaient donc besoin de laprésencedesdeux,CorreaetPlumber.—Ducoup,celaprouvequelafondationStarrnefinancepaslesforcesduGTM.—Non.Ilsontaussiévoquéun«plandutrentièmeanniversaire»surlabande.—C’estprévupouraprès-demain,complétaHannah.Nousdevonsprévenirlesautorités,Jack.— Nous avons encore deux jours devant nous. Tu penses que la police nous écoutera ? Qu’ils

prendrontausérieuxcetenregistrement?Qu’ilstransmettrontledossierauxfédérauxàtemps?«OubienilsmettrontJackenprisonentantquesuspectnuméro1dansdeuxaffairesdemeurtre!»—SantiCorrea,dit-elle.—Quoidonc?—Ila toutes lesconnectionsnécessaires. Ilpeutannuler la réceptiond’unseulcoupde fil.Mon

Dieu, le gouverneur et des sénateurs doivent y assister. Pour quelle raison voudraient-ils attenter àleursvies?—Aucuneidée,avoua-t-il.Peut-êtrepourréclamerunenouvellerançon?—Santiviendradèsdemainaprès-midipourpréparerlacérémoniededimanche,maisceseratrop

tard.Onpourraitl’appeler…—Tunepeuxpasannonceràunhommepartéléphonequesonfilsaprévuderuinerl’œuvredesa

vie.Combiendetempscelaprend-ilpourserendrechezlui?—Troisheures.Peut-êtrequatre.—J’yvais,décida-t-il.—Jet’accompagne.—EtAubrielle?—C’esttropdangereuxdel’emmener.—Jet’enprie,resteavecelle.JepeuxtrèsbienimaginertadéceptionenapprenantqueDavidait

préférésefairedel’argentaveccettehistoireplutôtquededénoncerlescoupables.Iln’apashésitéàsalir le nomd’Abby avec sesmagouilles. Je connais deux, trois cas de pères ayant fait des chosesterribleset laissantleursenfantsenassumerlesconséquences.Laisse-moiagirpour lebiend’Abby.Toi,turestesàl’écart.Hannah sentit les larmes lui monter aux yeux. Le vrai père d’Aubrielle était un homme loyal et

courageux,etnonunpeureux,commeDavidl’avaitété.Ellen’avaitjamaiseuautantenvied’avouerlavéritéàJack.—Fais-moiconfiance,luidemanda-t-il.—J’aitouteconfianceentoi,lerassura-t-elleenluimentant.Ellerechignaitencoreàluiconfiersafille,bienquecesoitaussilasienne.—Celadépasselecercled’Aubrielleetmoi,Jack.Santinet’écouteracertainementpas,sitoutefois

ilacceptedeterecevoir.Ilm’écoutera,moi.C’estnotreseulechance.—AlorsAbbynousaccompagne.—Jenesuispaspour,Jack.—Jesuissongardeducorps.Lesproblèmessurgissentchaquefoisquenoussommesséparés.Soit

nousyallonsensemble,soitj’yvaisseul.Sonultimatumfitmouche.Ilavaitraison.Lesproblèmessurgissaientdèsqu’ilsseséparaient.Maisparfois,ilssurgissaientaussiquandilsétaientensemble.

14

Laprioritéétaitdes’assurerqueSantiCorreaétaitbienchezlui.Ilyavaitfortàparierqu’ilavaitdéjàprislaroutepourserendreàlafondationetcommencerlespréparatifs,surtoutquesonemployée,FranBaker,avaitététuéelaveille.Comptetenudesasantéfragile,ilpouvaitavoirprisdel’avancesursonvoyage.Lapolicel’avait-elledéjàinterrogéàproposdeFran?Hugoavait-ileuletempsdeparleràson

père?Hannahnesavaitàquois’attendre.Santi n’avait pas particulièrement paru soucieux au téléphone et n’avait mentionné aucun des

tragiquesévénementssurvenuscesvingt-quatredernièresheures.Cequiamenaitlaquestionsuivante:leurserait-ild’unequelconqueaide?D’unautrecôté,ilsn’avaientpasd’alternative.«Jeseraisravidevousrecevoir»,avaitdéclaréSantiselonsonstyleformeletbienparticulier.IlsrécupérèrentAubriellequelquesinstantsplustard.Jillavaitprissoindelalaveretdeluidonner

sonrepas.MaislapetiteAbbynesemblaitpasprêtepourunesieste.Jackpritlevolantafinqu’Hannahs’occupedesafille,l’amusantavecsesjouetsetluichantantdetendresrefrains.ElledevaitsanscesseseretournerafindesurveillerAubrielle,etcettepetitegymnastiqueluidonnaitmalaucœur.—Davidétaitaucourantdetout,dit-elleens’installantfinalementfaceàlaroute.Ilsavaitquedes

gensdevaientpériretiln’arienfaitpourl’empêcher.Jen’arrivepasàycroire.—Si,ilafaitquelquechose,réponditJack.IlaprévenuCorreaqu’ilétaitaucourantquequelque

chosesetramaitetCorreaaachetésonsilence,avecl’argentqu’ilt’aremis.Celaadûsepasserainsi.—EtHugoapayéMitchpourletueretdéguisercelaenaccident.—EtFrandevaitsedouterdequelquechose.Lespiècesdupuzzles’assemblentenfin.—Toutporteàcroirequ’ellefaisaitchanterHugo;sanouvellevoiture,sadécisiondedéménager…

Si David entretenait vraiment une liaison avec Fran, il y a des chances qu’il lui ait raconté toutel’histoire.EtFrandesemettreenrecherchedel’argent,voiredecambriolermonappartement.—Oupeut-êtrecherchait-elleàmettrelamainsurlafameusecassette?EnadmettantqueDavidlui

enaitrévélél’existence.— Fran et David étaient complices. Ils étaient prêts à fermer les yeux sur un massacre pour

s’enrichir.Jen’aipasvraimentétéperspicace,n’est-cepas?—Oh,cen’étaitpassiévident,répondit-ilenéchangeantunbrefcoupd’œilavecelle.Quedireà

monsujet,alors?Elleeutunsourireteintéd’amertume.Cematin,aprèsqu’ilsavaientfaitl’amourunebonnepartiede

lanuit,neluiavait-ilpasannoncéqu’ils’eniraitquandtoutseraitfini?Ellenepourraitcomptersurluiindéfiniment;ill’enavaitprévenueàdenombreusesreprises.—Prendslaprochaineàgauche,indiqua-t-ellealorsqu’ilapprochaitd’unepetiteroutes’enfonçant

danslesterres.DepuisWillets,onavaitaccèsàunpetitquartieraunorddeSanFranciscoappeléHighlandHillsoù

Santis’étaitinstalléquelquesmoisauparavant.Lapluiecessaenfincommeilss’engageaientsurunpontenjambantunpetittorrent.Lespharesdu

pick-up leur révélèrent ses eaux tumultueuses tandisquedesnuages sombres couraient dans le ciel,jouantàcache-cacheaveclalune.Ils dépassèrent un panneau indiquant qu’ils étaient à quarante kilomètres de l’embranchement de

l’autoroute.Letraficétaitplutôtlégeretconcentrésurlesensinverse.Jackétaitsilencieux,concentrésurlaroute,etHannahsentaitsespaupièreslourdesdefatigues’abaisserinéluctablement.Lafaimfitsonapparitionuncourtmoment,maisneputluttercontresonépuisementbienlongtemps.Elles’éveilladansunsursaut,lecœurbattant.—Qu’ya-t-il?demanda-t-elleenregardantJack.L’éclairagedutableaudebordluiconféraituneétrangeexpression.—Noussommessuivisparunfourgonnoir,annonça-t-ilenluijetantuncoupd’œil.Ilserapproche,

puiss’éloignedenous,régulièrement.Accroche-toi.Ellecompritquec’étaitlarudessedesaconduitequil’avaitréveillée.Ilsroulaientvite,enchaînant

lesviragesserrés,tantlaroutesuivaitlesméandresdutorrent.Lorsqu’elleseretournapourregardercomment Aubrielle supportait les embardées du véhicule, les phares du fourgon illuminèrentl’habitacle.—C’estlefourgonduparkingdelaplage?Hugo?—Quid’autrecelapourrait-ilbienêtre?réponditJack.Acet instant, levéhicules’approchajusqu’àvenir taper lepare-chocarrièrede lavoiture,quifit

uneembardée.—Tuasbienattachétaceinture?demandaJackd’unevoixempreinted’unevivetension.Le fourgon les heurta de nouveau.Hannah étaitmuette de terreur.En fait, sa ceinture de sécurité

n’étaitplusattachée.Ellel’avaitenlevéepours’occuperd’Aubrielleets’étaitassoupieenoubliantdelareboucler.Ellepensaalorsàsapetitefille;était-ellebienarriméeàsonsiège?Ellesepenchaverslabanquettearrière,tâtonnantdansl’obscuritépoursesaisirdelafixation.Lefourgonlesdépassaentrombe.—Attention!Jack cria comme l’autre véhicule leur coupait la route.Venant percuter la portière conducteur, il

projetalapetitevoitured’Hannahhorsdelachaussée.Ilsdévalèrentunesérieusepenteàtraverslesarbres,lelongdelaroute.Jackluttaitaveclevolanttandisquelesbranchesgiflaientlesflancsdelacarrosserie.Hannahaperçutauloinlasurfacedel’eaubrillantsouslesrefletsargentésdelalune.Lavoituresemitàdéraperdebiaislelongdelariveetperditdelavitesse.Aubrielle.Silavoituretombaitdansletorrent,ellenesurvivraitpasàceseauxfroidesetsombres.

HannahpoussaunhurlementdedétressetandisqueJackluttaittoujoursavecladirection.Saportières’ouvritd’elle-mêmeetelle s’accrochaàsonsiège.Aubrielle semitàpleurer sous levacarmedestôlesheurtantlesarbresetlesrochers.Enfin,lavoitures’immobilisa.Hannahselaissatomberparsaportièreouverte.Jacklançasonbras

etl’attrapaparlamain.—Accroche-toiàmoi,cria-t-iltandisquelevéhiculeseremettaitàglisserdansungrondementde

métal.Lemoteur était heureusement coupé.Hannah avait une jambe qui pendait dans le vide, juste au-

dessusdeseauxtumultueuses.Lavoitureglissaencoreunpeu,s’approchantinexorablementdutorrent.—IlfautsauverAubrielle,Jack.—Jenetelaisseraipas.—Illefaut,Jack.C’estsaseulechancedes’ensortir.—Tiensbon.La voiture fit une embardée ; le pied d’Hannah entra dans l’eau et le courant voulut l’entraîner.

L’intérieurdelavoitureétaitsisombrequ’ellen’apercevaitdeJackqueleblancdesesyeuxetdesesdents.—Jevais…Elleluicoupalaparole.— Ecoute-moi bien. Tu dois sauver Aubrielle. Tu dois la sortir de cette maudite voiture avant

qu’ellenetombedanslarivière,sinononlareverrajamaisvivante.—Tuestoutpourelle,luidit-ilfermement.Jepeuxvous…—Non,tunepourraspas!Lecourantlatiraitdeplusenplusfortetleursmainsseséparaientinexorablement.—Ellen’apasquemoidanssavie,avoua-t-elledansunsanglot.Elleasonpère,Jack,etc’esttoi!Son annonce provoqua un grand silence, comme si l’homme et le bébé avaient suspendu leurs

respirations.Dansungrincement, la voitureglissaunpeuplusvers l’ondemenaçantede la rivière.Hannahtentades’accrocheraumontantdelaportière,maislecourantétaitvraimenttroppuissant.Ellefut happée par les eaux bouillonnantes, le froid tétanisant ses muscles alors qu’elle tentaitdésespérémentdesemainteniràlasurface.

***

Durantunmomentquiluiparutinterminable,Jackdemeuralààobserverleremousàlasurfacedeseaux,àl’endroitoùHannahvenaitdedisparaître.Ilperçutalorsunpetitcriderrièreluietrevintàlaréalité.Ilsedéplaçaavecprécaution,espérant

quecettemauditevoituretienneencorequelquesinstantssurlarive.Sefaufilantàl’arrière,ilparvintàouvrirlaboucledelaceintureretenantlesiège-bébéetpritAubrielledanssesbrasavecsoulagement.Le sac de couches était pris dans la poignée de la porte et il le décrocha avec force. Au derniermoment, il se souvint de la cassette dans l’autoradio et la récupéra pour la placer dans le sac decouches.La voiture d’Hannah émit un grognement sinistre et glissa légèrement vers le torrent. Cette eau

glacéedanslaquelleHannahvenaitdedisparaître…Non,ilnefallaitpaspenseràHannah,ildevaitavanttoutsortirsonbébédecettevoiture.Sonbébé.Leurbébé.Ils’enétaittoujoursdouté.Quelquepartaufonddesonêtre,aufonddeson

cœur.Aprésent,ilcomprenaitpourquoiilavaiteul’étrangesensationqu’Hannahluicachaitquelque

chosedepuis ledébut.Ellen’avait jamaiseu l’intentionde luidévoiler lavérité jusqu’àceque lesévénementsl’ycontraignent.Elleneluifaisaitpasconfiance,enfait.Ilserrasafilledanssesbrasaussifortqu’ilputet,retenantsonsouffle,appuyadetoutsonpoidssur

laportièrecabosséeafindelafairecéder.ToutenpriantlecielpourquecettetentativenelesexpédiepasrejoindreHannah,ilparvintenfinàfaireployerlemétalrécalcitrant.Avecprécaution,ilsortitunejambehorsdelavoitureetputposerunpiedsurlarive.Basculantlepoidsdesoncorpssurcetappui,ils’arrachadelacarcassemenaçantetoutenveillantàprotégerlafragiletêted’Abby.Enfinlibre,ilremontapéniblementlariveens’éloignantlepluspossibleduvéhicule.Dansungémissementlugubre,lavoitureserapprochadequelquescentimètresdutorrent,sesphares

illuminantsasurfacetumultueuse.—Hé!criaunevoixau-dessusdelui.Ilyaquelqu’unenbas?Jack se sentit à la fois soulagé et sur le qui-vive. Etait-ceHugoCorrea qui revenait afin de les

achever ? Il cherchaHannah du regard, sachant par ailleurs qu’il était quasiment impossible de larepérerdanssesvêtementsnoirs,enadmettantqu’elleaitpusortirdel’eau.—C’estbienunbébé,commentaunevoixdefemme.Une femme. Jack se mit à escalader la rive qu’éclairaient des faisceaux de lumière. Lorsqu’il

parvintàsonsommet,ilsetrouvafaceàuncoupleâgé.Leurénormeberlinerougeétaitgaréelelongdelarouteettousdeuxtenaientenmainunelampetorche.—Oh,monDieu,s’écrialafemme,c’estunbébé.J’enétaissûre!Est-cequ’ilvabien?—Çava,maisj’aibesoindevotreaide,réponditJack.—Jem’appelleJimFranklin,etvoicimafemme,Caroline.Enquoipouvons-nousvousaider?—Lamamandecebébéest tombéeà l’eau.Prenez soind’Aubrielle,gardez-labienauchaudet

prêtez-moiunedevostorches.—Biensûr,pasdesouci,ditl’hommetandisquesafemmeéchangeaitsalampecontrelebébéetle

sacdecouches.—Nosportablesnecaptentpasderéseauparici,ajoutaJim.Jeviensavecvous.—Non.Restezavecvotrefemme,insistaJack.Déjà il s’éloignait. Il ne voulait pas qu’Aubrielle et la femme demeurent seules au cas oùHugo

reviendrait.Ilselaissaglisserlelongdelarive,lalumièredesatorcheprojetantdesombresfantasquesparmi

lessapins.—Hannah!hurla-t-ildanslanuit.Hannah!Aplusieurs reprises, ilcrutvoirsasilhouetteéchouéesur la riveet seprécipitaenvain,glissant

danslaboue,pourdécouvrirqu’ils’agissaitd’unquelconqueamasderochers.Ilparcourutlarivedelongenlargeencriantsonnomdésespérément,luttantcontrelesbranchesdesarbresquiluicinglaientlevisageetluiécorchaientlesmains.Lorsqu’iln’avaitpasd’alternative,ilpénétraitmêmedansl’eauafindecontournerunobstacle.Le faisceau de sa lampe attrapa un gros rocher planté au milieu du courant. Sa forme escarpée

pouvaitenfaciliterl’escaladeetlecœurdeJacksemitàtambourinerenimaginantqu’Hannahauraitpus’yréfugier.Maislelitdutorrents’éloignaitradicalementdutracédelarouteàcetendroitpréciset

rendaitl’approchepérilleuse.Illuifallaitdel’aide.Cette aide impliquait de prévenir la police. Ce qui le conduirait probablement en prison. Cela

supposaituntempsdemiseenœuvreinacceptabledanslasituationprésente.Celaimpliquaitaussi,aucas oùHannah soitmorte, de se séparer à jamais d’Abby. Il se retrouvait pris entre lemarteau etl’enclume,etsaprioritéétaitdetenterdesauverHannah,quoiqu’ilpuisseluiencoûter.Dirigeantsa lampevers larivefaisantfaceaurocher, ilaperçutuneformenoire.Ilcompritalors

quelecoudequeformaitlecourantàcetendroitpermettait,àquiconqueenavaitladétermination,denager afin de regagner la berge. Il s’élança de nouveau dans cette direction en appelantHannah detoutessesforces.Le faisceau de sa lampe révéla des cheveux blonds et une vive émotion le submergea. L’instant

d’après,iltombaitàgenouxàcôtédelajeunefemme.—Mapetitechérie,murmura-t-ilenlaretournant,espérantqu’ilnesoitpastroptard.Sapeauétaitlivideetfroideautoucher.Iltâtasagorgeàlarecherchedesonpoulsetelletoussa.Il

l’aidaàsepencherenavantafinqu’elleexpulsel’eauqu’elleavaitavaléetpritsonvisageentresesmains.—Commenttesens-tu?demanda-t-ilenôtantsavestepourl’enenvelopper.—Aubrielle?—Toutvabien.Elleestsauve.Ilembrassaseslèvresglacéestoutenluifrictionnantlesmains.—Jesuisépuisée.Frigorifiée.Trempée…—Quandj’aicruquejet’avaisperdue…Ilneputpoursuivre.Ilyavaittantàdire,maiscen’étaitnilelieunilemoment.Ilvoulaitéviterde

s’engagervis-à-visd’unefemmequiavaitattendulederniermomentpourluifaireunerévélationaussicruciale.Unbruitau-dessusd’euxlesfitsursauter.—Nebougepas,ordonnaJackenéteignantsalampe.Unefoisdeplus,ils’imaginaHugo,unrevolveràlamain,lesmenaçant.Hannahétaittoujourssous

lechoc;ellen’auraitpufuiretJacknel’auraitabandonnéepourrienaumonde.Ilsformaientuneproiefacile.Ilplaçasoncorpsenbouclier.—Vousl’aveztrouvée?demandaunevoixd’hommequeJackreconnutpourêtrecelledeJim.Levieilhommes’approchad’eux,leséclairantavecsatorchequ’iltenaitd’unemainmalassurée.—Ellevabien?—Oui,annonçaJack.—Carolineetmoiavonssuivilefaisceaudevotrelampe.Notrevoitureestjusteau-dessus.—Quisontcesgens?demandaHannahtandisqueJackl’aidaitàseremettresurpieds.—Nosangesgardiens.Allons-y.

***

Hannahavaitpasséunjeanetungrandsweat-shirtqueCarolineluiavaitprêtésetberçaitAubrielledanssesbras.Aprèscettedureépreuve,êtretoutprèsdesafilleetdeJackluifaisaitunbienfou.Elle avait été à deux doigts de tout perdre, ce soir. Dans un dernier sursaut combatif, elle avait

profitéd’uneaccalmiedanslecourantdelarivièrepournagerverslabergeetescaladerlesrochers,nesachantalorssielleévoluaitdanslaréalitéousielleavaitdéjàbasculédansl’autremonde.PuisJackl’avaitsecourue.—Alors,quandonavulapluiequis’annonçaitsurlacôte,onadécidéd’allerdanslesterrespour

rendrevisiteànotrefils,expliquaitCaroline.IlvitàSanRafael.Tandisqu’ilsapprochaientdeWillets,Jimannonçaàhautevoix:—Ilyaunpanneauquisignaleuncontrôledepoliceplus loin.C’est làque jeproposedevous

déposer,àmoinsquevousnepréfériezallerdirectementàl’hôpital.Hannahjetauncoupd’œilàJackquisemblaittenducommeunarc.—Vouspensezpouvoirnousamenerjusqu’àHighlandHills?demandaHannah.—Qu’est-cequ’onfaitdevotrevoiture?réponditJim.Etpuis,vousdevezvoirunmédecin.—Non.Pasdemédecin.NousdevonsimpérativementnousrendreauplusviteàHighlandHills.On

s’occuperadelavoituredemain.Il y aurait bien d’autres sujets à traiter le lendemain, songea-t-elle, comme par exemple le fait

d’avoiravouéàJackqu’ilétait lepèred’Aubrielle. Iln’yavaitqu’àvoircomment ils’employaitàévitersonregard.—Onpeutfairecelapourvous,acceptaCaroline.C’estpilesurlecheminnousamenantcheznotre

fils.—Vouspourreznousdéposern’importeoùenville.Onprendrauntaxi,ajoutaJack.—Nesoyezpasstupide,rétorquaJim.Onvousdéposeralàoùvousallez.Iln’yaaucunproblème.

***

Hannahn’étaitjamaisalléechezSantiCorrea,maiselleluienvoyaitsuffisammentdecourrierpourconnaîtresonadresseparcœur.AlorsquelesFranklinlesdéposaientdevantlagrillefermantl’alléequimenaitàl’imposantedemeure,Jackleurdemandadepatienterquelquesinstants.—AppelleSantiàl’Interphone,ordonnaJackàHannah,etassure-toiqu’Hugon’estpasdéjàarrivé.—Aprèscequ’ilafait,sonpèreestladernièrepersonneversquiilsetournerait.—Lesarmessontrestéesdanslecoffredetavoiture;tusuismonraisonnement?Aubrielledanslesbras,Hannahactionnaleboutondel’Interphone.Santiréponditaussitôt.—Vousvoilàenfin,dit-ild’unevoixrassurée.Jem’inquiétais.—Noussommesdésolésd’arriversitard,ditHannah.Jack avait repéré la caméra de surveillance et se tenait à l’écart de son champ de vision, dans

l’ombre.—Serons-nousseuls?ajoutaHannah.

Santiémitunpetitrire.—Ilestpresqueminuit, trèschère.Ma femmedortet lesemployéssont rentréschezeux.Oùest

votrevoiture?—Jevousexpliquerai.Pouvons-nousentrer?—Oui,oui.Biensûr.Unbruitmagnétiquesuivid’unclaquementdéverouillalaserruredelaporte.IlsremercièrentlesFranklinets’engagèrentdansl’allée.HannahsesentaitàboutdenerfsetJackne

vintpasarrangerleschoseslorsqu’ilvintluimurmureràl’oreille:—Hugopeutsurveniràtoutmomentetleschosesmaltourner.Restesurtesgardes.

15

Santivintouvrirlaported’entrée.—Hannah,machère,dit-ilenarborantunlargesourire.SessourcilspoivreetselselevèrentdesurpriseenapercevantJack.— Voici mon ami, Jack Starling, annonça Hannah. Vous avez fait sa connaissance en Tierra

Montañosa,ilyaunanenviron.Jack lui tendit unemain que Santi serra avec une énergie surprenante pour un homme, aux dires

d’Hannah,faibleetabattu.Ilestvraiqu’ilvieillissait—soncorpss’affaissaitinexorablementetsescheveuxblanchissaient—,maisilyavaittoujourscettelueurcombativeaufonddesesyeux.—Diasbueni,miamigo,lançaSanti.Quelestcemiracle?Nouspensionstousquevousaviezpéri

danslajungle.—J’aieudelachance,monsieur.Maiscesoir,nousvenonsavecdesinformationstrèsalarmantesà

proposdelaTierraMontañosa.—Entrez,entrez, les invitaSantienrefermantderrièreeux.Veuillezexcusermespropos,mais je

vous trouve l’air de personnes qui ont traversé de rudes épreuves. Venez dans mon bureau, on vaprendreunverre.Il les conduisit dansunegrandepièce luxueuse comportantungrandbureaudeverre et, à l’autre

extrémité,uneimposantecheminéedemarbrerose.Santirefermaleslourdesportesisolantlapiècedurestedelademeure.—Jen’ai pas encorevuvotrebébé,Hannah, dit le vieil hommedansun sourire amical.Elle se

prénommeAubrielle,n’est-cepas?HannahsoulevaAubrielleafindeluimontrersonpetitminois.—Elleestaussibellequesamaman,commentaSanti.Puis-jelaprendredansmesbras?Hannahpesalepouretlecontreavantd’accéderàsarequête.—Biensûr.—Laissez-moim’installerdanscefauteuilaupréalable.Jesuisunvieilhommeet jenevoudrais

paslafairetomber.HannahdéposaAubrielleavecprécautionsurlesgenouxdeSanti.Ilsouritavecbonheur.—Jack?Voulez-vousfaireleservice,s’ilvousplaît?Jeprendraiunwhiskyàl’eaugazeuse.—Lamêmechosepourmoi,ajoutaHannah.Jacks’exécutadebonnegrâce,seservitunwhiskybientasséetleurtenditlesdeuxautresverres.

Choisissant une chaise en face de Santi, il réfléchit à lameilleure façon d’aborder le sujet qui lesamenait.Paruneexplicationcomplète?Parlacassetteaudio?Hannahregardasuccessivementsonvisage,sesmainspuisSantiavantdedéclarer:—Noussommesvenusvousparlerd’Hugo.—Hugo?Qu’est-cequ’Hugoa àvoir avec laTierraMontañosa?Lesécolesy sontouvertes et

fonctionnentbien.LafondationtravailleàprésentsurlaColombie.—Justement,c’estàproposdesécoles,rétorquaHannahenjetantunregarddedétresseàJack.Et

aussidel’embuscade,duGTM…—Monsieur,avez-vousunlecteurdecassettes?l’interrompitJack.Celapourraitnousfairegagner

beaucoupdetemps.Santisemontrafortsurprisdecettedemande,puisémitunpetitriremoqueur.— Dans ce meuble. J’ai un vieux système hi-fi que j’aime beaucoup trop pour le remplacer,

répondit-ilenmontrantunesorted’armoireenacajou.JackfouilladanslesacdecouchesetensortitlacassettedeDavid.Ill’inséradanslelecteuretsa

voixemplitbientôtlapièce:«30avril,11h20dumatin,CorreaetHurtado,àlafrontièredelaTierraMontañosa,àbordduBellN480,E,X».—Qu’est-cequeçasignifie?demandaSanti.Quiestcethomme,Hurtado?—Attendezlasuite,déclaraJack.Laconversationsedéroulantenespagnolcaptivaittoutel’attentiondeSanti.ToutenberçantAbby,il

tendait l’oreille. Une fois encore, Jack entendit Correa et Hurtado comploter pour le droguer etorganisersereinementl’embuscade.—Vousavezétédrogué?demandaSantilorsquelabandeparvintàsafin.—C’estexact,réponditJackenreprenantlacassettequidistillaitàprésentlaneuvièmesymphonie

deBeethoven.C’estpourquoijen’étaispasdanslavoiturequiouvraitleconvoi.Jenedevaismêmepasêtreprésent,etsij’aifinalementpulesrejoindre,çaaétépourmefairecapturerquelquesheuresplustard.— Mais vous n’êtes pas mort. Ils ont dit qu’ils tueraient toute personne de la compagnie

suffisammentimportantepourquelesassurancesacceptentdepayerunerançon.—Oui,maisjepensequ’ilsontcrupouvoirm’enrôleràterme.Ilsentraînaientdestireursd’élite,et

j’aidescompétencescertainesdanscedomaine.Hugoavaitdûentendreparlerdemoi.Jepensequen’importequiàlafondationavaitaccèsàmondossier.Santiseleva,tenantAbbynichéedanssesbras.Ilalladroitàsonbureauetsesaisitdutéléphone.

Jackfutsoulagédelevoirs’impliqueraussipromptement,mais,aprèsunesecondederéflexion,Santireposalecombiné,fitquelquespasdanslapièceetleurfitface.—Vousêtesentraind’accusermonfilsdemeurtre.Pire,deterrorisme.—Etcen’estpastout,ajoutaJack.N’oubliezpasqu’ilsontévoquéletrentièmeanniversaire.—Vouspensezqu’ilsparlaientdesjournéesportesouvertesdelafondation?—Quoid’autre?—Hmm…—Ecoutez ; je lesaivusà l’entraînement là-bas,simulerdesopérationsdegrandeenvergure.Je

n’aiaucuneidéedecommentilscomptents’yprendrepoursefondredanslapopulationdeFortBragg,maisilsontcertainementunplanbienpréparéavecl’aidedevotrefils.Pourcequenousensavons,ilspourraientavoirdescomplicesauseindelafondation…—Toutceciparaîtvraimentincroyable,etvouslesavezbien,interrompitSantid’unevoixpuissante

enseredressant.

—Peut-êtrebien,maisvousnesavezpascequiestarrivédurantvotreabsence,surtoutcesderniersjours.Santibalayacesaffirmationsd’ungestelarge.—Quid’autreestaucourantausujetdecettecassette?—Votre fils, répondit Hannah. L’homme qui l’a enregistrée était David Lengell, et comme vous

devezlesavoir,ilestmortaussitôtaprès.IlfaisaitchanterHugo.Santitressaillit.—Jesaisquecelafaitbeaucoupàdigérerd’uncoup,ajoutaHannah.Nousvousexpliqueronstout

endétailplustard.Pourl’instant,s’ilvousplaît,contentez-vousd’annulerlacérémoniededimanche.Vousêtesleseulàenavoirlepouvoir.Votrefilsatentédenoustuercesoir.Ilfautl’arrêter.Onfrappaàlaporte.SantiallaouvriretHugoentra,visiblementsecouéendécouvrantlesvisiteurs

desonpère.—Ah,Hugo,mercid’avoirréponduàmonappel.Nousavonsdesinvités.Hugoavaitl’airtotalementdérangé,bienplusencorequedanslescampsdesguérillerosdesmois

auparavant.Son regard s’illuminait d’une lueur de folie et sonvisagebrillait d’une sueurmalsaine.Pénétrantdanslapièce,iloffritàHannahunregardempreintdemalice.Ainsi,Santiavaitmentiàproposdel’absencedesonfils.Peut-êtreessayait-ildeleprotéger?Jack

pouvaitcomprendresamotivationbienlégitime,maisilétaittroptardpoursevoilerlaface.LorsqueSantis’étaitapprochédutéléphone,ilavaitdûutiliseruneligneinternepouravertirHugo.Aprésent,ilsétaienttouslesdeuxlàetlasituationétaitdélicate.Hannahsembla s’effondrerdans son fauteuil.Son regardpassadeSantià sa fille,quecedernier

tenaittoujoursdanssesbras.—Vous, lançaHugo en pointantHannah du doigt, pourquoi nem’avez-vous pas tout simplement

donnécettecassette?—Pourquoil’aurais-jefait?rétorqua-t-elleavecdéfi.Vousm’avezterrorisée.Vousauriezputuer

monenfant.— Ce qui est arrivé il y a longtemps ne compte plus aujourd’hui. Pourquoi vouloir ruiner la

fondationàcausedecela?Combiend’argent…—Jenevoispasdequoivousparlez,coupaHannah.—Biensûr,ditHugoavecironie.—Qu’est-cequevousracontez?demandaJackàHugoenselevant,lespoingsserrés.Santipouvaitbiensecontenterderesterlààécoutersansagir,maispaslui.—Vousfaisiezchantermonpère,poursuivitHugo.Vousluiavezretournélespochesetbienqu’ilait

payé,vous l’avezmenacéde toutrévéleraugrandjour.Avez-vousaussi tuéFran?Avait-ellepercévotreplan?—Jenecomprendsplusrien,avouaHannah.Jen’aijamaisfaitchanterquiquecesoit!—Vousniezm’avoirenvoyéunemailcetaprès-midi?Etunaussiàmonpère?Santitraversalapièceetvintseposterdevantlacheminée.—Non,jeneniepas,maisc’étaitjustepourvouspousseràsortirdel’ombrecarvousaviezpris

monbébéetmenacédelatuer,ainsiquemagrand-mère.—Jamaisdelavie,réponditHugoenapposantlamaincontresontorse.Letroubleleplussincèreselisaitdanssesyeux.—Vousnousavezprojetéshorsdelaroute,cesoir,lançaJack.—Oui,c’estvrai.J’avaispeurquevouslivriezàlapresselabandedesébatssexuelsdemonpère

aveccetteavocate. J’ai suquevousprojetiezd’organiseruneconférencedepressequin’auraitpasmanquédedébouchersuruneenquêtenationale.Ilnesavaitpasquecettefemmevoulaitseservirdeluienleplaçantdansunesituationdélicate.Jen’auraisjamaisdûêtrearmésurleparkingdelaplage,jel’admets.J’étaishorsdemoi.—VousavezfaillituerHannahetAbby,intervintJack,lamâchoirecontractée.—Attendezuneseconde, intervintHannah.Jenesuisaucourantd’aucunebandecompromettante.

Vousvousêtesintroduitchezmoi,vousavezpiégémavoiture,vousavezsoudoyédesterroristespourfairetuervospropresemployés.Hugolevalesmainsensignedeprotestation.—Là,c’estvousquimentez.Jen’airienfaitdetoutcela.J’aiembauchéundétectiveprivé,certes,

maisilaététrèsclairsurlefaitqu’ilnetransgresseraitaucuneloi.Iln’afaitquevoussurveiller.—Etes-vous en train d’affirmer que vous n’avez pas organisé l’embuscade avec un type nommé

Hurtado, que vous n’avez pas tué David et Fran et que vous ne préparez pas un attentat pour lesjournéesportesouvertes?Hugoenétaitbouchebée.—Qu’est-cequecettehistoired’attentat?— Il est prévu d’y faire sauter une bombe et de reporter les responsabilités sur un groupe de

terroristes,expliquaHannah.Commesivousnelesaviezpas!— Ils vont venir jusqu’ici ?C’est stupide. S’ils avaient vraiment prévuune telle action, ils s’en

prendraientà leurspropresécoles. Ilyaaussiunecérémoniedeprévuelà-bas,avecuntasdegensimportantsdugouvernement.Ceseraitplusfacileàmettreenplacequ’àcinqmillekilomètres.Quelseraitalorslebut?Commentferaient-ils,neserait-cequepourpénétrerauxEtats-Unis?Unlourdsilences’installasurlepetitgroupeetJacklemitàprofitpouranalysercetimbroglio.CorreaetHurtado.Oui,maislequeldesCorrea?Il dévisagea Santi qui tenait Abby à bout de bras devant lui. Son châle était tombé et elle

apparaissaitsivulnérable,àmoitiéendormiedanslesmainsduvieilhomme.Sonenfant.Sonavenir.—Celasuffit,ditSanti.Hannahselevad’unbond,mueparlesmêmessentimentsqueJackàproposd’Aubrielle.—C’est incroyable commeunbébé sembledélicat, poursuivitSanti en regardantAbby.Tous les

enfants,d’ailleurs,passeulementlesbébés.Etnousenavonstantperdus,decesenfants.—M.Correa?murmuraHannahens’avançantverslui.Jevoudraisrécupérermonbébé.—Restezoùvousêtes,trèschère.Vousaveztoutfaux.Monfilsn’apaslestripespourfairecedont

vousl’accusez.C’estmêmesurprenantqu’ilaiteulecouragedevousbalancerhorsdelaroutecettenuit.Iln’estpeut-êtrepasperdu,aprèstout.—Jenevouscomprendspas,réponditHannah.JackfitunpasversSantietpritlaparole:—Cen’étaitpasHugosurlacassette,c’étaitSanti.Jenem’ensuispasrenducomptecarelleest

endommagée.—Quellecassette?demandaHugo.Lacassettedemonpèreaveccetteavocate?—Cette cassette n’existe probablement pas, rétorqua Jack.Votre père vous amenti,Hugo.Celle

qu’ilvoulaitquevousrécupériezavaitétéenregistréeenTierraMontañosaparDavidLengell.Alors,Santi,oùestMitchReynolds?Vous l’avezembauchépour tuerDavidaprèsqu’ilvousasoutiré lespremierscinquantemilledollars.Ensuite,Mitchs’enestprisàHannahparcequeFranavaitreprislechantagedeDavidàvotreégardetqu’elleluiavaittoutmissurledos.Est-cequeMitchaaussituéFranàvotredemande?— Elle était devenue trop gourmande. Elle a eu la bêtise de dévoiler son identité. Concernant

Hannah,j’aihésité.C’étaitunejeunemaman,aprèstout.MaisFran…AprèsqueMitchs’estoccupédeceratédedétectiveprivéquifourraitsonnezdanscequineleregardaitpas,j’aijugéutiledeluioffrirdesvacancesdéfinitives.— Je ne comprends rien, intervint Hugo. Pourquoi racontent-ils toutes ces insanités à ton sujet,

papa?JackobservaitSantiquiavaittoujoursAbbydanssesbras.— Ce sont les écoles, expliqua Jack. Ce n’est pas la fondation, la cible, mais une école en

particulier,commevousl’avezsuggéré,Hugo.—Bravo,s’exclamaSantidansunlargesourire.Maisvousvoyeztroppetit.—Alors,ils’agitdetouteslesécoles.—JustecellesinstalléesenTierraMontañosa.—MaispourquoimonterungroupusculeseréclamantduGTM?demandaHugoàsonpère.Pour

quelles raisons voudrais-tu détruire ce que tu as mis une vie à construire ? Ces écoles sontmagnifiques.—Lesécolesnesontquedesbâtiments,rétorquaSanti.Celanem’intéressepas.Jackrepensaauxentraînementsdontilavaitététémoindanslajungleetrevitlebusscolairequ’il

avait aperçunon loinducamp.Une sectiondeguérilleros l’avait empruntéun jour etn’était jamaisrevenue.Ilavaitalorspenséàdesimplesmouvementsdetroupes,maisàprésent,ilyvoyaituneautreraison.HannahfitunnouveaupasversSanti.—Rendez-moimonenfant,ordonna-t-elle.Jack en profita pour se rapprocher de lui discrètement. Santi plaqua Aubrielle contre son torse.

L’enfants’éveillaetémitunpetitcriplaintif.—Unpasdeplusetjelajettesurladalledemarbre.Sonpetitcrâneexploseracommeunmelon

tropmûr,Hannah.Cen’estqu’uneenfant,guèreplusimportantequelescentainesd’autresquimourrontdemain.

Hannahs’immobilisa.—Vousalleztuerdesenfantsinnocents?demandaJack,choqué.—Tunepeuxpasfaireça,avançaHugo,bienquel’horreurquiselisaitdanssesyeuxtémoignaitdu

contraire.— Année après année nous construisons des écoles que les enfants fréquentent avec joie, mais

finalementleGTMoud’autresfactionsterroristesfinissentparlesrécupérer,expliquaSanti.Quecesoientdesfillesoudesgarçons,ilssontdéportésdanslajungleetentraînésàtuerouàtransporterdeladrogue,cettedroguequi finance toutes leshorreursquenoussommes incapablesd’enrayer.C’estsansfin.—Alorsvousavezcrééungroupefacticepourperpétrerunhorribleattentat?Qu’est-cequecelava

changer?demandaJack.— Le massacre de milliers d’enfants, d’enseignants et de dirigeants, imputé au GTM, va enfin

réveillerlesconsciences.Lepeupleexigeradugouvernementqu’ilengageuneluttefarouchecontreleGTMetlescartelsdedroguequipourrissentlasociétéàtousseséchelons.Lalibertédetousvautbienquelquessacrifices.—Cegenred’idéologienepaiejamais,tranchaJack.Desfêléscommevousagissentdelasorteaux

quatrecoinsdumonde,maiscelanemarchejamais.—Maismoi,jesuissûrd’avoirraison,argumentaSanti.Jevaisécrireunepagedel’histoireence

jour qui va libérer la Tierra Montañosa. Personne ne saura jamais que je suis derrière cettemachinationetcelamevatrèsbien.Celaseramonlegsàl’humanité.Hugos’approchadesonpère.—C’esttoiquiasorganisél’embuscade?—Oui,bienentendu.MoietHurtado.SiJackavaitétéarmé,ilauraitdescenduSantiàlasecondemême.Levieilhommen’auraitjamais

sucequil’avaitrayédumondedesvivants.LedangerauraitétédeblesserAbby,biensûr.Elleétaitbien trop fragile pour survivre à une chute sur le marbre de la cheminée. Ses doigts cherchaientinconsciemmentlagâchettequiluiauraitpermisdemettrefinàcettehorriblescène.Lesquatre adultes se tenaient en cercle, se faisant face, enproie àune indicible tension. Jack se

creusaitl’espritafindetrouverunesolutionradicaleàcestatuquo.—Tun’étaispasmaladecettenuit-lààl’hôtel,ditHugo.Tum’asracontédeshistoiresafinquejete

place en fin de cortège. Tu savais qu’on allait être attaqués et tu nous as envoyés à la mort sanssourciller.—Çat’aexcité,n’est-cepas?réponditlevieilhomme.—J’aidûpasserdesmoisencompagniedecesmonstres.J’aicruquej’allaismourir.Ilsm’onttiré

dessus!—C’était nécessaire, répondit Santi avec suffisance, afin que personne ne suspecte la fondation.

J’avaisprévudetefairelibérer.—Ilétaitprêtàvoussacrifier,ditJackàHugoentâchantdelerallieràsacause.Asesyeux,vous

n’étiezpasplusimportantquen’importequelautreêtrehumain.—Cen’estpasvrai,criaSanti.Monfilsvautplusquedesmillionsdedollars.

HannahtenditlamainversSanti.—M.Correa,toutestterminé.Donnez-moimafille.Iln’yaplusd’issuepossible.Tropdegenssont

impliqués.Rendez-moimonbébé,s’ilvousplaît.—Jevaisvousdirecequel’onvafaire,annonçaSanti.Nousallonstousattendrebiensagement.La

cérémonieenTierraMontañosaalieucesamedi.Dimancheestunjoursainetjesaisqu’ilsvonttoutfairepourreculerd’unjourlesfestivités.Lesattaquesaurontlieusimultanémentdanslestroisécolesà9heuresdumatin.Ilsonttroisheuresd’avancesurnouslà-bas,aussitoutcommencera-t-ilà6heuresici.Jevousrendraivotreenfantà6h30.—Ensuitenouspréviendronslesmédiasdecequevousavezfaitetlafauten’enincomberapasau

GTM.Tousvosplansdélirantspartirontenfumée,expliquaJack.—Là,vousavezraison,réponditSanti.J’aiquelquepeuignorécetaspectdeschoses.Votresurvie

entraîneraitlaruinedemonaction.Puis,s’adressantàHannah:— Vous avez ma parole que je confierai votre enfant à votre grand-mère afin qu’elle l’élève

dignement.Avantqu’Hannahaitpuesquisserunmouvementverscemonstre,Hugofitapparaîtreungroscalibre

danssamain.Santilevitetsourit.—Jenem’attendaispasàcequetutecomportesenhommecesoir,fils.Tun’aspasàtirersurqui

quecesoit.Mitchafait lesaleboulotàmaplace,maisjenerechigneraipasàenvoyercesdeux-làmoi-mêmeenenfer.—Cen’estpaseuxquejevise,criaHugo.C’esttoi!Santiaccusalecoupsuperbement.—Mêmesituétaiscapabledemetuer,cedontjedouteparfaitement,tutueraisaussiprobablement

cettepauvrepetitefille.—Tuesprêtàtoutsacrifierpourtafolie,répliquaHugo.Peut-êtresuis-jeprêtàTEsacrifierpour

arrêtertoutcela.—Non!VousalleztuerAubrielle!hurlaHannahcommeSantiserraitlebébéencoreplusfort.—N’ayezcrainte,Hannah,claironnaSanti,iln’enapaslecourage.L’espaced’uninstant,JackcruqueSantidisaitvrai,maisunelueursauvagenaquitdansleregard

d’Hugo.ProjetantHannahsurlesol,ils’élançaversSanticommelerevolveraboyaitfurieusement.

16

Hannahroulasurelle-mêmeetrampasurleluxueuxtapispersantandisqueladétonationrésonnaitdanssatête.EllelevalesyeuxetaperçutAubriellechuterdansladirectionopposéeàcelledeSanti,tandisqueJacks’élançaitlesbrastenduspourrecevoirsonbébé.Lascènesedéroulacommeauralenti.Abbys’approchaitdusolmillimètreparmillimètretandisque

lesmains de Jack parvenaient lentement à se placer sous elle.Hannah cessa alors de respirer, sonattentionfocaliséesurlesdeuxêtresqu’elleaimaitleplusaumonde.Ellen’eutpasunregardpourlecorpsdeSantiquis’effondraitsurladalledemarbre,telunpantindésarticulé.JackréceptionnaAubrielledanssesmainspuissanteset le filmrepritaussitôt savitessenormale.

HannahserelevaenuninstantetpritsafilledesbrasdeJack,mueparunirrésistibleinstinctmaternel.Jackluioffritunsourirerayonnant.Hugoalladirectementaubureaudesonpèreets’assitlourdementdanssonfauteuilendéposantle

revolversurleplateaudeverre.Jack se releva d’un bond et s’approcha d’Hannah qui serrait sa fille dans ses bras, la berçant

gentiment afin de la calmer.Des taches de sang se voyaient çà et là sur le vêtement du bébé,maisaucunetracesursapeau.JackallasepenchersurlecorpsdeSantipourprendresonpoulsettournalatêteversHannahavec

unregardexplicite.—J’aituémonpère,balbutiaHugoendécrochantletéléphone.—Prévenezlecomitéd’organisationenTierraMontañosaavantlapolice,ordonnaJack.—Jenepeuxpas,jedoisavanttoutavertirlapolice…Jackfonditsurlui.— Si vous alertez la police en premier, vous ne pourrez certainement pas appeler la Tierra

Montañosaàtemps.Passezcetappelcrucialavanttoutechoseetinsistezpourqu’ilsagissentaussitôt.Il fautqu’ilspréviennent lesmédias, lesforcesde l’ordreetqu’ilsmettentun termeàcettehorriblemachination.Donnez-leurlenomd’Hurtado.Ilneleurrestequequelquesheures.—Maislaloidit…—Hugo?Votrepèreestmortetvousavezfaitcequevousdeviezfaire.Nousnesommesplusà

quelquesminutesprès.Terminezcequevousavezcommencé.Hugodéglutitdifficilementetapprouvad’unsignedetête.Tandisqu’ilfouillaitlesaffairesdeson

pèreàlarecherched’unagendatéléphonique,Jackretournaauprèsd’Hannah.ElleétaitenfinparvenueàcalmerAubrielledontlespleurss’étaienttransformésenpetitshoquetsplaintifs.Jack passa son bras autour de ses épaules et l’embrassa tendrement avant de déposer un chaste

baisersurlefrontdesafille.Hannahsentitleslarmesluimonterauxyeux.—Tuluiassauvélavie,murmura-t-elle.—Jesuissongardeducorps.—Etsonpère.

—Acepropos…—Jack,jetedemandepardonpourmesmensonges.Desoncôté,Hugos’exprimaitenespagnolautéléphoneetletondelaconversationdevenaitdeplus

enplusprécipité.—Jet’ensupplie,nevapascroirequej’attendsdetoiquetuchangesradicalementtavieàcause

d’unenuitd’amouretdubébéquenousavonsconçuensemble.Jesouhaitebiensûrquetufassespartiedesavie,mais…—Tais-toi,l’interrompit-ildoucementenplongeantsonregardaufonddesesyeuxverts.—Tais-toi?—Tuasattenduladernièresecondepourm’avouerquej’étaissonpèrecartuascruquetuallais

disparaîtreàjamais.Tunemefaisaispasconfiance,enfait.Tum’asmentitoutcetemps.Situn’avaispasfrôlélamort,tunem’auraisriendit.Qu’aurait-ellepurépondretantsesparolesétaientjustes?Illadétestaitàprésentetenavaitbienle

droit.—Jevoulaistelediremaisj’avaispeur,avoua-t-elle.—Peurdequoi?—Quetuneveuillespasd’elle…Ouquetuveuillesmelaprendre.—Hannah,dequoiavais-turéellementpeur?Saquestionl’ébranla.Ellebattitdespaupièresetravalaseslarmes.—J’avaispeurquetuneveuillespas…denous,murmura-t-elleenfin.Ilseserratoutcontreelleetenfouitsonvisagedanssescheveux.—Tumeconnaisbienmal,répondit-il.—Maisjet’aime.Cetaveuréveillalestamboursdesoncœuretilssemirentàbattreensonseinlerythmeendiabléde

l’amour.Maisc’étaitlavéritéetelledevaitlaluidireenface.Ilpritsonvisagedélicatemententresesmains.—C’estaussilaraisonpourlaquellejesuisrevenuverstoi,madouce,parcequej’étaisamoureux

detoi.Elleseblottittoutcontreluietlatensionaccumuléecesderniersjourss’évaporacommeparmagie.

Ellesesentitàlafoisépuiséeetsoulagée.Ainsi,Jackl’aimait.—TunechevaucherasdoncplusjamaistaHarley?—Qui?Moi?Jen’aiplusdeHarley.Jepossèdejusteunvieuxpick-upquetuasfaillimassacrer

cetaprès-midi.Ceciétant, j’aimaintenantdesresponsabilitésàassumer.Jesuispèredefamille.Enfait,ilesttempsquejeteposeunequestion.Hannah,veux-tum’épouser?Enluioffrantsonplusbeausourire,elleaccepta.

Epilogue

Sixmoisplustard.

LaneigetombaitàgrosfloconstandisqueJackengageaitlavoituredansl’alléemenantchezSimonet Ella. Il n’était venu qu’une fois à BlueMountain, plusieursmois auparavant. A cette époque, ilrentraittoutjustedelajungledeTierraMontañosaetroulaitsurcetterouteinterminable,sedemandantdequellelafaçonHannahMarkspouvaitêtreimpliquéedanstoutecettehistoire,intimementpersuadéqu’elleyjouaitunrôledécisif.Aprésent,elleétaitsonépouse,l’amourdesavie.—J’espèrequ’ilsvontm’apprécier,avançaHannah.Illuipritlamainetydéposaunlégerbaiser.—Commentpourraient-ilsnepast’apprécier?—Tun’espasobjectif,monchéri.—Ça,c’estsûr.Unpetitcrivenantdel’arrièreduvéhiculeleurannonçaqu’Abbyenavaitassezdedemeurerassise

danssonsiège.Heureusement,ilsétaientarrivés.Hannahappuyasurlasonnette,Jackàsoncôté,lesbraschargésdeprésents.Illuiavaitfalludesmoispoursemettreenrèglevis-à-visdesautoritésaméricainesquinevoyaient

pasd’unbonœiluneentrée illégalesur le territoire.Cettepériodeavaitaussivu la fondationStarrpéricliter.Ilss’étaientmariéssansgrandeeffusion,aprèsquetoutfutrentrédansl’ordre.Ilsvenaientdedéménagerpours’installerdansunevilleplusgrandeetJackattendaitsa licenceafindepouvoirouvrirsoncabinetdedétectiveprivé.IlsavaientpassébeaucoupdetempsavecMimi,et,àdirevrai,lavien’avaitjamaisétéaussidouce.Laportes’ouvritsuruneEllaquelquepeuchangée,sescheveuxayantpoussédepuisleurdernière

rencontre.Sesyeuxs’illuminèrentlorsqu’elleaperçutlepetitêtredanslesbrasd’Hannah.—Alors,c’estcelavotresurprise?ditEllaenéclatantderireavantdeprendreHannahdansses

bras.—Jeteprésentemafemme,Hannah.—Entrez,entrez.Simon,dépêche-toi!TuvasvoirlasurprisedeJack.Enpénétrantdanslamaison,ilssentirent lefumetdélicieuxd’unedindequirôtissaitencuisineet

virent lesdécorationsdeNoëlqui clignotaientunpeupartout.Cettedouceambiance familiale émutJackplusqu’ilnel’auraitsupposé.Cetteravissantefemme,confortablementinstalléeavecsafamilledanscettecharmantemaison,était-elleréellementsapropresœur?Avait-elleréussiàs’échapperdesondouloureuxpasséetconstruirecettenouvellevie?Etpourquoipas?Ill’avaitbienfait,lui.Simon apparut avec leur petit dernier dans les bras. Il leur offrit un véritable sourire d’amitié

sincèreenvenantàleurrencontre.

—Je suis si heureux de vous rencontrer, dit-il àHannah. Jack, espèce de vaurien, tu as osémecachertesdeuxtrésors!Ilvafalloirtefairepardonner,monvieux.—Onvoulaitvousfairelasurprise,s’excusaJack.Onatellementdechosesàvousraconter.—Jevaisdéboucherlevin,annonçaSimonenenlaçantElla.Aufait,quelestlenomdevotrepetit

ange?—Abby,réponditsanshésiterHannah.Aumêmeinstant,Jackrépondait«Aubrielle».Ilsseregardèrentetsesourirenttendrement.

Prologue

«Unefichuefaçondeseretrouveràlatêtedequelquescentainesdemillionsdedollars»,seditValerie Beaufort, les yeux baissés sur le cercueil de son père. Elle aurait tout donné pour ne pas setrouverlà.C’étaientsesmillionsàlui,paslessiens.Del’argentqu’ellen’avaitjamaisdésiré,etencoremoinsmaintenant.

—S’ilyaquoiquecesoitquenouspuissionsfaireValerie,machérie,ditPorterJohnsonenluiprenantlamainetenlatapotantdoucement,dis-le-nous.TusaisqueBetsyetmoit’aimonsautantquenospropresfilles.

LegestedePortersortitValeriedesespenséesmorbidesetluifitprendreconsciencequelacourtecérémoniefunèbreétaitterminée.LesgensréunispouraccompagnerCharlesValentineBeaufortjusqu’àsadernièredemeurecommençaientàrefluerversleursvoituresgaréesauxabordsduvastecimetière.

Sansdouteaurait-elledûécoutercequeleprêtreavaitditàproposdesonpère,maisellen’avaitnulbesoind’unquelconquepanégyriquepourserappelerlafaçondontcedernieravaitmenésavie,oucombienellel’avaitaimé.

—Iln’yavaitpasmeilleurhommeaumondequeCharlieBeaufort,ditdoucementPorter. Jen’aijamaiseudemeilleuramiquelui.

Touchéeparlasincéritédesavoix,Valeriesepenchaenavantpourdéposerunbaisersursajoue.Sapeauétaitdoucecommeduvelourspatiné,etamollieparl’âge.EllesongeasoudainquePorterétaitencoreplusâgéquesonpère.

Defait,ellesesouvintquec’étaitledoyendesfondateursd’Av-TechAéronautique.Sonpèreetluin’auraientpusedouteràl’époquequelapetitesociétélancéeàpeudefraisaulendemaindelaguerredeCorée deviendrait un géant de l’industrie. Peut-être même que les choses auraient été différentes siç’avaitétélecas.

—Jesuistellementdésolépourtonpapa,majolie,ditEmoryHunterdèsquePorteretsonépousesefurentéloignés.

Emoryluitapotalajoue,toutcommeilavaitl’habitudedelefairedepuisqu’elleétaitpetitefille.— Charlie était un homme foncièrement bon. Peut-être le meilleur que j’aie jamais connu. Ça

devrait temettreunpeudebaumeaucœur, tout commedevoir l’ampleurde la foulequi s’est réunieaujourd’hui.

Ilpointadudoigtlescentainesdepersonneséparpilléessurlapelouse.—Oui,çamemetdubaumeaucœur,acquiesça-t-elle,parvenantàsourireàcetautreassociéde

sonpère.Etçam’aidedesavoirqu’ilavaitdesamiscommetoi.PorteretEmoryétaientdeshommesqu’elleavaitconnustoutesavie.

— Appelle-moi dans quelques jours, et on parlera de ton sacré vieux papa. Je connais desanecdotesdontjeseraisprêtàparierqu’ilnet’ajamaisparlé.Ilnevoulaitsûrementpasquetusachesquelgenredefêtardilétaitréellement,ditEmorydansunéclatderire,avantderetrouversonexpressiondecirconstance.

Aprèsquelquessecondesdesilence,ilajouta:—Çafaitdubiendeparlerdesgensqu’onaimeaprèsleurmort.C’estsaindeserappelerlesbons

moments.Onal’impressiondegardercesgensenvieunpeupluslongtemps.Emoryn’avait jamaisperdusonaccentduSud,bienqu’ilaitvécudenombreusesannéesdans le

Colorado.Vuqu’ilapprochaitlessoixante-dixans,ilneleperdraitsansdoutejamais.—Jet’appellerai,jetelepromets,ditValerieenluisouriant.EtmerciEmory,tonamitiésignifiait

beaucouppourpapa.Ils’éloignaetellesetournaverslafiledepersonnesquiattendaientpourluiparler.Trèsvite,les

visagesetlescondoléancessemélangèrent,etelleeutl’impressionderépéterlesmêmesparolesencoreetencore,l’espritàdesmilliersdekilomètresdelà,toutcommeaucoursdelacérémonie.

Toutcequ’ellevoulait,c’étaitenfiniretrentrerchezelle.Sedébarrasserdesesvêtementsdedeuilet enfiler un jean. Aller faire une balade à cheval pour évacuer la tension qui s’était transformée endouleurentresesépaules.Oublierleparfumdesfleurscultivéessousserre,etsesortirdelatêtelebruitdetoutescesvoixetdeleursparolesderéconfort.

Cen’étaitpasunmanquederespectenverssonpère.Ilauraitétélepremieràdirequ’allergaloperdanscespaysagesaridesqu’ilsaimaienttousdeuxétaitunemeilleureidéequesetenirau-dessusdesatombe.CharlieBeaufortavaitaimélehautdésertetlesmontagnesavecunepassionviscérale.Toutautantque le ranch situé dans une petite vallée, qu’il avait acheté quarante ans plus tôt. Il avait construit lebâtimentd’habitationetlaplupartdesdépendancesdesespropresmains.

Toutefois,cesdixouquinzedernièresannées,aucoursdesquellesAv-Techavaitvraimentprissonessor,iln’avaitpaseuletemps—ouplutôtpasprisletemps,corrigeaValerie—des’échapperetdeserendreauranch.Quandelleétaitenfant,ilsyallaientpresquechaqueweek-end.Entassésdansunvieuxbreak,samère,sonpèreetellepassaient lasoiréeduvendrediàserendre là-bas,arrivantbienaprèsminuit.

Certains desmeilleurs souvenirs qu’elle avait de son père étaient associés à cet endroit.C’étaitaveccesmoments-làqu’ellevoulaitrenouer.C’étaitcesannées-làqu’ellevoulaitserappeler.

—Val,machérie,situasuneminute…,luichuchotaHarperSpringfieldàl’oreille.—Letempsqu’ilsterminentici…HarperSpringfield,unautredesfondateursd’Av-Tech,lasaisitfermementparlecoudeetlaforçaà

sedirigerà l’écartde la tombedesonpère,oùunefiledegensattendaitencorede leurprésentersescondoléances,àelleetàsabelle-mère.

Le beau visage de Constance Beaufort et ses cheveux blonds impeccablement coiffés étaientrecouvertsd’unvoilenoir,sasilhouetteélancéeétaitvêtued’untailleurnoir;elleportaitdesbasnoirségalement et des escarpins en chevreau noirs. Pas une touche de couleur ou un bijou— hormis sonallianceenorévidemment—nevenaitgâcherl’imagequeConnievoulaitdonner.

Celledelaveuveéplorée,pensaValerieensedétournant.Uneveuveréellementéploréelorsqu’elleavaitapprislestermesdutestamentdesonépouxdéfunt.CharlieBeaufortavaitétéassezstupide,seditValavecregret,pourépouserunefemmeplusjeunequesaproprefille.Maisheureusementsesavocatss’étaientmontrésassezintelligentspourleconvaincredeluifairesigneruncontratprénuptial.

Conniebénéficieraitd’uneclausegénéreusequiluiprocureraitassezd’argentpourvivreàl’abridubesoinpendantplusieursannées,maisellen’hériteraitd’aucunepartd’Av-Tech,etc’estbiensûrlàquerésidaitlamajeurepartiedelafortunedeCharlieBeaufort.

Ce n’est que quand Valerie parvint à détacher son regard de la performance d’actricequ’accomplissait sa belle-mère qu’elle comprit où Harp la menait. Les associés de son père étaientréunisenarcdecercleausommetd’unepetitebuttequidominaitlatombe,etHarplaconduisaitjusqu’àeux.

Elleavaitd’abordpenséquelaforceaveclaquelleHarpl’avaitsaisieetemmenéeétaitdéplacée,maiscettebrutalitésemblaitenfaitétudiée.Mêmesiellepréféraitseconvaincredecettedernièreidée,elleneparvenaitpasàcomprendrepourquoilesassociésdesonpèrepensaientqu’ondevaitlabrusquerpourqu’elleacceptedevenirlesvoir.Laplupartd’entreeuxl’avaientfaitsautersurleursgenouxquandelleétaitencorebébé.

Ils avaient l’air nerveux cependant, alors qu’elle et Harp s’avançaient. Etait-ce parce qu’elledevenaitl’actionnairemajoritairedelasociétéquileuravaittoutapportépendanttantd’années?C’estvraiqu’ilsappartenaientàuneautregénération.Peut-êtreétaient-ilsperturbésparlaperspectivedevoirunefemmeprendre la têted’unemultinationale.Quiévoluait,quiplusest,dansunsecteuraussipointuquelessystèmesdeguidagedemissilesetlatechnologiederniercrienmatièredesatellites.

Valerieserésolutàleurdirequ’ellen’avaitpasl’intentiondetoutdiriger.Mêmesitelavaitétésonsouhait,ellen’enavaitpaslescompétences.Etellen’enavaitbiensûrpasledésir.Celafaisaitplusdedixansqu’ellesetenaitàl’écartdel’argentdesonpère,cen’étaitdoncpaspourreveniràcegenredevieaujourd’hui.Peuluiimportaitlestermesdutestament.

—Noussommestoustombésd’accordpourparlerdecequivasepassermaintenant,déclaraBillClemensaumomentoùelleetHarparrivaientàlahauteurdugroupe.

«Faites confiance à Billy pour aller droit au but », se dit Val. Parmi les quatre hommes quiavaientétélesassociésdesonpèredepuisplusdequaranteans,Billétaitceluidontonparlaitlemoins,et aussi celui que Valerie aimait le moins, sans vraiment savoir pourquoi. Bill adorait dire qu’il seconduisait tel qu’on le voyait. Il avait raison, etVal n’appréciait pas particulièrement ni sesmanièresd’agir,nisonapparence.

Peut-êtrequesonpèrenonplusd’ailleurs,mêmes’iln’avaitjamaisouvertementdénigréClemens.Pourtant,siCharlieBeaufortavaitfaitensortequesespartssoientpartagéesentresesassociésàsamortaulieudefaireprendreàsafillelatêtedelasociété,Billyseraitdevenul’actionnairemajoritaire,etlesresponsabilitésquiendécoulaientluiseraientrevenuesàluietnonàelle.

—Cequivasepassermaintenant?répéta-t-elle,mêmesiellevoyaitvaguementoù ilvoulaitenvenir.

—Ilyabeaucoupdeprojetsencoursencemoment.Beaucoupdecontratsattendentd’êtrehonoréssouspeinedelourdespénalités.Etjemedemandecequevouscomptezfaireàcesujet.

—J’ail’intentiondefaireensortequecescontratssoienthonorés,etquelasociéténepayeaucunepénalité,réponditVal.

—Tucomptest’installerdanslefauteuildetonpère?demandaHarpSpringfielddebutenblanc.—Voussaveztoustrèsbienquenuln’enestcapable,ditlajeunefemmeenlesregardanttouràtour.

MonpèreadédiésavieàAv-Tech.Sij’essaiedem’enmêler,jevaistoutficherenl’air.—Tuesl’actionnairemajoritaire,Val,luirappelaPorterJohnson.Ilfautquequelqu’unprennela

barredunavire.—Est-ceunactedecandidature,Porter?demanda-t-elledoucement.Tous savaient bien quelle serait la réponse du vieux monsieur. Johnson avait un cancer de la

prostate,etnesouhaitaitpasplusqu’elleprendrelatêtedelasociété.HormisBillClemens,Valpensaitqu’aucunparmileshommesregroupésautourd’ellenechercheraitàprendrelepouvoir.

—Tusaismieuxquenousquetonpèreétaitlecœuretl’âmedecettesociété,ditPorter.Maiscesdeuxdernièresannées…mêmeCharlien’arrivaitplusàtoutmenerdefront.

Elle fut reconnaissante à Porter d’avoir exprimé cela avec mesure. La santé de son père avaitcommencé àdécliner longtemps auparavant, et elle détestait admettre nepas s’en être rendu compte àtemps.Dumoinspasavantsapremièreattaque,deuxansplustôt.

—C’estpourquoinousallonstrouverquelqu’unquivanousdirecequenousdevonsfaireausujetdelasociété,dit-elle,sevoulantrassurante.

—Vousn’avezpasl’intentiondevendre?demandaClemens.Vousnepouvezpasfaireça.— Pour le moment, mon intention est d’engager un conseiller en direction d’entreprise, dit Val.

Quelqu’un qui observera nos méthodes de travail, regardera les livres de comptes, examinera noscontratset feradessuggestions.Jepensequec’estcequemonpèreauraitdûfaire lorsqu’ilest tombémalade.Ill’auraitfaits’ilavaitétéenpleinepossessiondesescapacitésderaisonnement.

Unsilencesuivitmaispersonnenecontestasespropos.Ellepoursuivitdonc,reconnaissantequ’ilsluilaissentaumoinsl’occasiondeleurexposersonpointdevue.

—J’aidéjàdemandéànosavocatsdechercherunepersonnequipossèdeunesolideexpérienceendirectiond’entreprise,avecunprofiladaptéàlaparticularitédenotredomained’activité.

Elle fut surprise de la facilité avec laquelle les mots lui venaient.Nos avocats. Expérience endirectiond’entrepriseavecunprofiladaptéà laparticularitédenotredomained’activité. Pour unefillequiavaitpassédesannéesàclamerqu’ellenes’intéressaitpasàtoutça,nideprèsnideloin,ellefaisaitillusion.Peut-êtretenait-elleplusdesonpèrequ’ellenelepensait,finalement.

—Tonpèrenefaisaitpasconfianceauxconseillers,ditPorter.—Monpèreestmort,Porter.Etjusqu’àilyadeuxans,ilsavaittrèsbiencequ’ilfaisaitquandil

s’agissaitd’Av-Tech.Pasmoi.Maisen tantqu’actionnairemajoritaire, jedoisdescomptesauxautresactionnaires—c’est-à-direàvous—ainsiqu’auxgensquitravaillentpournous.Jevaisdoncchercherdel’aidepourmefaireuneidéedecequiest lemieuxpour lasociété.Jenemeseraispas impliquéedanstoutcelaavant,maisaujourd’hui,c’estmaresponsabilité.JesuislafilledeCharlieBeaufort,tint-elleàleurrappeler.

Aprèsquelquessecondesdesilence,elleajouta:—Jenelaisseraipaslasociétéqu’ilaimaitpar-dessustouts’effondrer.Jeveuxquequelqu’unqui

sait quoi faire soit en place dès que possible, et j’espère que vous coopérerez avec lui sans arrière-pensées.

Ellejetaunregardcirculairepourinspecterchaquevisageetn’ydécelaaucunedésapprobation.PasmêmesurceluideBillClemens.

—Tonpèreauraitétéfierde toi,machérie,ditEmoryHunter.Çameva toutàfait.Etpourêtrefranc,jesuissoulagédesavoirquel’œuvrequenousavonscommencéevaseretrouverentredebonnesmains.

Hunterayantbrisélaglace,ilyeutunmurmured’approbation.Iln’yavaitpersonnepourprotester,dumoinsouvertement.Çan’auraitpaschangégrand-chosedetoutefaçon,songeaValerie,carsespartsluidonnaientassezdepouvoirpourfairecequ’ellevoulait.Maisçafaisaitdubiendenepasdéclencherdefrondeàlapremièredesesdécisions.

— Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai une longue route à faire pour rentrer, etj’aimeraisêtreàlamaisonavantlanuit,dit-elle.

Elleneleurlaissapasletempsdeprotester.Elletournalestalonsetredescenditlabutte.Songenoucommençaitàluifairemaletl’obligeaitàboiterfortement.C’étaittoujourscommeçaquandellesavaitqu’onlaregardait.

Lorsqu’ellepassaprèsdelatente,ellevitquesabelle-mèreétaittoujoursoccupéeàentretenirsacour.Deuxemployésdespompesfunèbrescommençaientàenleverlesfleursposéessurlecercueil,afinqu’il soit descendu en terre. Tu es poussière, pensa-t-elle, détournant hâtivement ses yeux qui

s’emplissaientde larmespourregarder lepaysagedesgrandespelousesvertesàpertedevue,barréesd’arbresetdecroix.

Etturedeviendraspoussière.Adieupapa,chuchotasoncœur.Ellechassavolontairementlascèneducimetièredesonespritpourseremémorersonpèreinstalléauvolantdesonvieuxbreakcabossé,lesemmenant au ranch pour leweek-end. Toujours jeune et heureux, avec toute la vie devant lui : voilàcommentellevoulaitselerappeler.

Danssondos,elleentenditlegrincementdelamanivellequifaisaitdescendrelecercueil,etlavoixdesabelle-mèrequiclamaitàquivoulaitl’entendrecombiengrandeétaitsadouleur.

Quatrejoursplustard

—Ungarde du corps ? répétaGreySellers, incrédule.Qu’est-ce qui peut bien leur faire penserqu’onpourraitavoirbesoind’ungardeducorpsdansuncoinpareil?

—C’estcequejetedis,lançaJoeWallace,ens’installantenfacedelui,c’estdugâteau.Jevaisengagerungarspoursatisfairecesbravesgens,alorspourquoiceneseraitpastoi?Prendsleurargent,règlequelquesdettesetprofitedupaysage.

L’allusion à ses ennuis financier était le bon bouton sur lequel appuyer, reconnut Grey, et il sedemandasiWallaceenétaitconscient.Desfacturesempiléessursonbureau,ilyenavaitplusd’uneencemoment.

Cen’estpasqu’ilseplaignait,envérité.Dumoinspasavantqu’iln’aitcommencéàrecevoirdesavisdenon-paiement.Des lettresqui commençaientpar«Très cher client» et se terminaientparunemenaced’actionenjustice.

—Jenesuispasgardeducorps,déclaraGrey,quirésistaitàlatentation.Cetteaffirmationn’étaitpasentièrement fausse.Certes, il avait lescompétences requisespource

métier, car il avait reçu l’entraînement adéquat, tout cela aux frais du gouvernement. Il avait apprisbeaucoup de choses au cours des quinze années qu’il avait passées à la CIA, mais rien qui puisseréellements’apparenteràlafonctiondegardeducorps.Cequis’enétaitleplusrapproché,c’était…

Ilcensurace souvenir, commed’habitude.C’était cequi l’avait faitquitter laCIAet sonéquipe.Quitter les seuls amis qu’il avait,même si après ce qu’il avait fait, il n’était pas sûr qu’il puisse enconsidérerencorebeaucoupparmieuxcommesesamis.

—Etalors?demandaJoeens’agitant.Tun’aspasbesoind’êtreunspécialisteenlamatière,vuquela jeune femmedont je t’aiparlén’apasvraimentbesoind’ungardeducorps.Cen’estqu’uncontratcouché sur le papier. Si quelqu’un venait à kidnapper Valerie Beaufort, la compagnie d’assurancepourraitseretrouversurlapaille,ilsontdoncplutôtintérêtàcouvrirleursarrières.Maistoietmoi,onsaitqu’ilnevarienluiarriver.Onn’ajamaisvuunP.-D.G.sefaireenlevercommeça.Déjàqu’onn’apasbeaucoupdeP.-D.G.ici,ajoutaWallaceavecunsourireironique.IlsontdûnousconfondreaveclaCalifornie.C’estdugâteau,jetedis,etquelqu’unvadécrochercejob,alorsautantquecesoittoi.Jamaistun’aurasgagnédel’argentaussifacilement.

—Tusaiscequ’onditdel’argentfacile,réponditGreyenhaussantlessourcils.Ilfutsurprisdeserendrecomptequelapropositionl’intéressait.Bonsang,quiconquechercherait

cetteValerieBeaufortseperdraitprobablementavantdetrouverleranchoùellevivait.D’aprèscequeluiavaitdécritJoe,ilsetrouvaitaumilieudenullepart.

Ilôtasesbottesdesonbureauet laissasachaise retomberausol,puisse levaets’étirapourseremettre ledoset lesépaulesenplace. Il avaitpassé tropde tempscematinpenchésur sonbureauàchercherunesolutionpourgarderàflotsoncabinetd’investigations.

Cabinet d’investigations, se dit-il amèrement. Ça sonnait sûrement mieux que « service desurveillanced’épousesinfidèlesetd’escrocsauxassurances».

—Pasvraiment,réponditJoeàsaremarque,sic’estuneblague,jenel’aijamaisentendue.Qu’est-cequ’onditdel’argentfacile,alors?

Grey alla à l’endroit où le climatiseur ventilait mollement un air qui n’était pas plus frais qu’àl’extérieur.Iljouaquelquesinstantsaveclesboutonsderéglagepuisseretourna,laissantlecourantd’airtièdeparcourirsondos.Lefrissonprovoquéluidonnauneimpressiondefraîcheur.

—Quelaplupartdutemps,onnelegagnepassifacilementquecela.— Tu as besoin d’un appareil neuf, dit Joe en guise de conseil, sans même relever la banale

remarquesurl’argent.—Ilyabeaucoupdechosesdontj’aibesoin,ditGrey.«Acommencerparunverre, sedit-il. Il

fauttraiterlemalparlemal.»Comme il n’était que 10 heures, un jour de semaine ordinaire, il n’exprima pas ce besoin à son

clientpotentiel.CeneseraitpaslameilleurechoseàfairequedemontrersadépendanceàWallace,etluidirequ’ilétaitenmanque.

Quandilavaitouvertsoncabinet,unanplustôt,Greys’étaitdoutéquelesaffairesdémarreraientlentement,dumoinspendantunmoment.Mais ilavaitsous-estimécette lenteur.EtvuqueJoeWallaceétaitundesesraresclientsréguliers,ilnevoulaitpasperdresaconfiance.WallacesemblaitpenserqueGreysavaitcequ’ilfaisaitetilnepouvaitpassepermettredeneplustravailleraveclui.

Wallacereprésentaitplusieursgrossescompagniesd’assuranceau-delàdesfrontièresdel’Etat.Cesderniersmois, il avait chargéGreyde s’occuper de la plupart desmissions de surveillance qu’on luiavaitconfiées.Lesmissionsenquestion,principalementdesplaintesd’arnaqueàl’assuranceetquelquesappelsdegensducoinquidemandaient àGreyd’espionnerunconjoint infidèle, constituaient la largemajoritédesaffairesclasséesdanssonmeubledebureau. Il s’agissaitdeboulotsennuyeux,sans réelsenjeux,maisils’yattelaitavecuneconstancetenace,mêmepardesjourscommecelui-ci.Mêmequandilétaitenmanqueetavaitenviedeboireàenavoirmal.Ilfaisaitsontravailaussibienquepossible,GriffCabot l’avaitentraînécommeça.Anerien laisserauhasard,à toutvérifier,mêmelesdétails lesplusinsignifiants.

Il le faisaitaussiparcequeça luipermettaitdemanger,d’avoirun toitetdes’offrirde tempsentempsunebouteilledebourbon.Cesdernierstemps,c’étaitdevenuplusqu’unebouteilleoccasionnelle,ildevaitbienl’admettre.GreySellersnesementaitpasàlui-même.Jamais.

Au cours de l’année précédente, il s’étaitmis en tête qu’il aimait les boulots ennuyeux, ou qu’ilapprendraitàaimerça.Aprèstout,ilavaitdéjàconnuassezdesensationspourremplirdeuxvies,sedit-il,amer,alorsque lui revenaitdenouveauen tête,malgré lui, ladernièremissioneffectuéepourGriffCabotetl’élitedelaCIA,l’équipetrèsclandestined’ExternalSecurity.

—Accepteceboulotetpaie-toideuxoutroistrucsdonttuasbesoin,suggéraWallace.Greyserra les lèvresalorsqu’ilcherchaitunebonneraisonde refuser,endehorsdu faitqu’ilne

souhaitaitpassetrouverdenouveaudanslapositiondel’angegardien.Lefantômequilepoussaitàavoirenviedeboiresitôtlematinétaitliéàl’idéedeprotégerquelqu’un,ouplutôtàl’échec,àlapeurdenepouvoirassurercetteprotection;etcetéchecétaitlesien.

—De l’argent facile, et un gars va le récolter, répéta Joe, qui savait décidément jouer la cordesensible.

—Quedevrais-jefaireaujuste?demandaGrey,toutensachantaufonddeluiqu’ilcommettaituneerreur,commechaquefoisqu’ilselaissaitguiderparsespulsions…

—Jeterunœilauxenvirons.Donnerdeuxoutroisconseilsdesécuritéclassiquesenfonctiondelaconfiguration des lieux. Assurer la surveillance de la personne concernée le temps qu’ils aient misquelquechoseenplace.Remplirlespapiers.

Joefitunsignedetêteendirectiond’unpaquetdedocumentsjetéssurlebureauendésordre.Greynelesavaitmêmepasregardés.Lapaperasseluiétaitfamilière.Çanepouvaitpasêtretrès

différentdecelledugouvernement,àlaquelleilavaiteuaffairependantdesannées.Griffenavaitprislamajeurepartieencharge,maischaquemembredel’équipeavaitdetempsentempsundebriefingàtapersurpapier.

Ilrepoussaencoreunefoissessouvenirsdansuncoindesamémoire,etessayadeseconcentrersurl’affaireencours,malgréletumultequiagitaitsespensées.

—LecontratneconcernemêmepasdirectementcetteValerieBeaufort?demanda-t-il,essayantdeseremémorerlesdétailsexposésparJoeavantcetteallusionauxfacturesquiavaitattirésonattention.

— La police d’assurance, telle qu’elle est rédigée, répéta Joe avec patience, couvre le P.-D.G.d’Av-TechAéronautique, qui est aujourd’huiValerie Beaufort, suite au décès de son père la semainedernière.Doncons’estmisentêtechezBeneficialLifequec’estellequisetrouvecouverteaujourd’hui.C’estassezclassique, toutes lesgrandessociétéssouscriventcegenredecontratpour leursdirigeants.Lesassureursacceptentdepayerlarançonencasd’enlèvementduP.-D.G.Cegenredetrucs.

— Mais il n’y a aucune raison de penser qu’elle pourrait effectivement avoir besoin d’uneprotectionrapprochée.

Joeéclataderire.— Les assureurs se couvrent. Tout comme moi. Ils lui feront installer un système de sécurité

infaillibledanssonranch.D’iciàcequelananalefasse, ilsveulentungarspour lasurveiller,à titretemporaire.C’estçalemarché,commejetel’aidit:dugâteau.

—O.K.,ditGrey,toujoursaussipeuenthousiaste,mêmequandils’entenditdonnersonaccord.Iln’étaitpascertaindecequilefaisaithésiteràcepoint.Sûrementd’autresmessagesquivenaient

desestripes.— Il faut que je leur fournisse un rapport sur toi. Tes références. Si tu as un papier avec ça, je

n’auraiplusqu’àleleurfaxer.Greyquittaleclimatiseuretsedirigeaverslemeubleàdossiers,situédansuncoindupetitbureau.

Ilouvritletiroirsupérieur,leseulquicontîntquelquechose,etfitglisserdupoucelesclasseurs,videspourlaplupart.Ilfinitpartrouverceluioùétaientrenferméeslesinformationsqu’ilavaitinséréesdanslesencartspublicitaireséditéslorsdulancementducabinet.

IltenditunedesfeuillesàJoe,puisserassitderrièresonbureau,tandisqu’illisaitledocument.Illeparcourut quelques instants puis releva les yeux. L’agent d’assurances sortit un stylo de sa poche dechemiseetposalafeuillesurlebureaudeGrey,prêtàécrire.

—Desréférencessupplémentaires?«Qu’est-cequetudiraisd’unanciendéputé,directeurdelaCIAetprésumémort»,pensaGrey,

quelque peu amusé à l’idée de donner le nom deGriff. Cabot se porterait garant pour lui siGrey levoulait,maisiln’avaitpasl’intentiondedemanderunefaveurquelconque,niàGriffniàquiquecesoitd’autre.Surtoutpaspourobtenirunboulotqu’ilavaitd’abordpensérefuser.Sicesgensn’appréciaientpassesréférences,ilsn’avaientqu’àengagerunautretype.

—Jesuisunancienmilitaire,ditGrey.Toutestlà.—Jeveuxdirequelqu’unquipourraitattesterdetesqualifications,insistaJoe.—Cequetuvoislàesttoutcequetuauras,ditdoucementGrey.Siçaneleurplaîtpas,ilsn’ont

qu’àsedénicherunautregardeducorpspourveillersurleurpetitehéritière.Cellequin’apasvraimentbesoind’ungardecorps,commetudisais.

Joe leva de nouveau les yeux sur lui et contempla un instant son visage. Il avait l’air d’avoird’autresquestionsàposer,maisaprèsquelquessecondes,peut-êtreàcausedecequ’illutdansleregarddesoninterlocuteur,ilremitsonstylodanssapochedechemise.Puisilseleva,plialafeuilleetlaglissadanslamêmepoche.

—Iln’yapersonned’autresurlecoup,ditGreyavecunsourire,sabonnehumeursoudainrevenue.—Tu lesaisaussibienquemoi.Deplus ilsnevontpaschicanerpourun rapport.Ceboulotne

dureraquequelquesjoursauplus.Mêmesionleurdonnaitunnom,ilsneprendraientprobablementpasletempsdevérifier.Alorspourquois’embêter,hein?Jemeporteraigarantpourtoi.

Grey acquiesça, se demandant encore pourquoi il acceptait ce travail. Son instinct lui disait quec’étaitunemauvaiseidée.

LorsqueJoeatteignitlaporte,ilhésitaavantdel’ouvrir,etregardapar-dessussonépaule.—Ceseraitmieuxsiturestaislà-basseptjourssurseptetvingt-quatreheuressurvingt-quatre.Tu

comprends,aucasoùilsepasseraitquelquechose,ilsnepourraientpasseretournercontrenousetdire«çaneseraitpasarrivésicecicela…».Tucomprends?répéta-t-il.

—TuveuxquejerestechezBeaufortenpermanence?—Ceseraitmieux.Jusqu’àcequelesystèmedesécuritésoitinstallé.C’estjusteuneprécaution.—J’aiuncabinetàfairetourner,protestaGrey,quisavaitàquelpointcetteexcuseétaitridicule,

mêmesiJoen’étaitpascensélesavoir.—Ouaisben…c’estjusteparprécaution,tucomprends.Etpuistuasunrépondeurdetoutefaçon.—Jecroyaisquetuavaisdit…Joecoupacourtàsesprotestations.—J’avaispresqueoublié.Voilàlepremierversement,dit-il,revenantdanslapiècepourposerun

chèquesurlebureau.Lapremièresemaineplusuneavance.Greybaissalesyeuxetregardalasommerondeletteinscritesurlechèque.Millecinqcentsdollars

couvriraientlaplupartdesesfactures,dumoinscellesquiportaientlamention«troisièmerelance».—Milledollarslasemainepluslesfrais,déclaraJoe.Ilsvontdemanderdesreçuspourça,ilssont

prèsdeleurssous,ajouta-t-ilsuruntonsansappel.Grey entendit la porte se fermer avant d’avoir levé les yeux. Joe Wallace était parti et il se

retrouvait seul avec un chèque sur son bureau et un boulot qu’il ne voulait pas faire,mais qu’il avaitcependantaccepté.

—Quelimbécile!Encolèrecontrelui-même,ilouvritletiroirinférieurdesonbureauetseversaunwhiskydansle

petitverrequ’ilgardaitlà.Ilrenversalatêteenarrièreetavalalebreuvageambréenunegorgée,sentantlefeudel’alcooldescendrejusqu’àsonestomacvideetproduireunepetitebrûluresalvatrice.Ilreplaçaleverredansletiroiretrebouchalabouteilledesesdoigtstremblants.

Cetremblementsignificatifledérangeait.Ilavaiteularéputationd’êtreceluiquiarrivaitlemieuxàgarder la tête froide au sein de l’équipe. Seul Hawk avait des mains plus sûres que les siennes.Evidemment,reconnut-ilavecunlégersourirecrispé.

« Il n’avait pas bu directement au goulot, c’était déjà ça », se dit-il avec ironie. Ça viendraitsûrement.AprèssapremièrerencontreavecMlleValerieBeaufortetsesmillions.

1

Valeriefuttoutdesuitecertainededeuxchoses:lepick-upcabosségarédevantsamaisonn’étaitpas là quand elle était partie deux heures plus tôt, et il n’appartenait à personne de sa connaissance.Commeellenerecevaitquepeudevisiteurs,encoremoinsdesinconnus,cesdeuxélémentslafirentsetenir sur ses gardes. Il n’était pas facile de sortir des sentiers battus et de se retrouver là. Elle mitHarvardaupastouteninspectantduregardlevéhiculeinsolite,puissedirigealentementversleranch.

LevéhiculearboraitdesplaquesduColoradoainsiqu’unedemi-douzained’impactsetdebosses.Lapoussièrequicouvraitsapeintureneprovenaitpasseulementduchemindifficilequimenaitjusqu’ici.Çafaisaitunbailqu’ilavaitbesoind’unbonnettoyage.

Elle inspecta la véranda, la balayant rapidement des yeux, et découvrit une forme étrangère. Unhomme,quelesombresdelafind’après-mididissimulaientpresque,étaitassisdansundesfauteuilsàbasculedesamère,sesjambesbottéescroiséesauniveaudeschevilles,lespiedsposéssurlabalustradedeboisdelavéranda.

L’homme avait ramené unStetson noir sur son visage, comme s’il dormait,maisVal aurait pariéqu’iln’enétaitrien.

Elle remarqua l’usuredesbottes tandisqu’elle évaluait les jambes longilignesetmusculeusesdel’homme,vêtud’unjeandélavé.Unechemisechamoiscouvraitsonbustelarge,etsesmanchesrelevéeslaissaientvoirdesavant-brasbronzés,croiséssurunventreplat.Sesmainsauxlongsdoigtsreposaient,totalement relâchées, de chaque côté de sa taille. Tandis qu’elle le regardait, il releva du pouce sonStetson.

Sesyeuxétaientgris.Grisocéan.Gristempête.Ungrisdenuageetdepluie.Valerieeutletempsdeselivrerencoreàuneoudeuxdecescomparaisonsineptesavantqu’ilneseredressedanslefauteuilàbascule,poselespiedsausoletrejettecomplètementsonchapeauenarrière.

Ses cheveux étaient d’un noir de jais, et légèrement plus longs que Valerie ne l’appréciaitgénéralementchezunhomme.Ellen’auraitpudiresic’étaitungenrequ’ilsedonnaitous’ilavait toutsimplementbesoind’unebonnecoupedecheveux.Elleposadenouveausonregardsursonvisagemaiseutdumalàs’attacheràautrechosequ’àsesyeuxirrésistibles.

Ilsétaientcouleurargentmaintenant,opaquesdanslalumièretamisée,etencadréspardescilsépaisetnoirs.Leurcouleurétait l’unique touchededouceurdansunvisageaussidurque lepaysageautourd’eux. Ses traits étaient anguleux et profondémentmarqués. Son nez busqué était planté avec défi au-dessusdelèvresmincesetdureset,detouteévidence,ilavaitétécasséaumoinsunefois,sinonplus.

—Madame,dit-il,touchantsonchapeauenungestehabituelderespect.Maissonregard,lui,étaitdénuédetoutrespectetétudiaitsonvisageavecunecuriositéaumoins

égaleàlasienne.

—Quiêtesvous?demanda-t-ellesuruntoninquisiteuretlégèrementarrogant.C’étaitunefaçade,untonqu’elles’étaithabituéeàprendreilya longtempsafindedissimuler la

nervositéquil’étreignaitchaquefoisqu’ellerencontraitunétranger.—Jem’appelleGreySellers,madame.C’estBeneficialLifequim’envoie.Ilyeutunsilencequiduraletempsdedeuxlentsbattementsdecœur.—Ahbon,etonvousenvoiepourquoi?s’enquitValerie.Ellen’enavaitpaslamoindreidée,maiselleétaitsûrequecethommen’avaitenrienl’alluredes

agentsd’assurancequ’elleavaitdéjàrencontrés.—Pourêtrevotregardeducorps,répondit-il.L’espace d’un instant, quelque chose était passé derrière ce regard si dur à percer. Etait-ce de

l’amusement?sedemandaVal.Cettealtérationavaitdisparutropvitepourêtreidentifiableetavaitcédéàlamêmepolitessemielleusequesespropos.

—Mon…gardeducorps?Est-ceuneplaisanterie?—Pasquejesache.Lechèquequ’onm’adonnén’étaitpasdebois.Cettefoislasituationl’amusait,çanefaisaitplusdedoute.—Laissez-moidireleschosesclairement,ditVal.Quelqu’unvousapayépourveniricietdevenir

mongardeducorps?Un garde du corps : cette expression lui semblait tellement absurde qu’elle eut du mal à se

convaincre de la prononcer. Il s’agissait demots que l’on n’entendait qu’au cinéma, ou bien dans lesmauvaises émissions de télévision. Les gens qu’elle fréquentait n’avaient pas de garde du corps, pasmêmelesplusriches.

—C’estBeneficialLifequim’apayé,répondit-il.—Jen’aipassouscritdecontratavecBeneficialLife,dit-elle.Alorssivouspouviezquitterma

véranda,monsieur…?— Sellers, s’empressa-t-il de répondre sur un ton docile, le coin de ses lèvres se relevant

légèrement.—MonsieurSellers,répéta-t-elle.Sivouspouviezquittermavérandaetmapropriété,jevousen

seraisreconnaissante.Elleavaitdéjàcommencéàguidersonchevalverssonécurielorsqu’ils’adressadenouveauàelle.—Ilsavaientétabliuncontratavecvotrepère,madame.Cesmotslastoppèrentdanssonélan.Lacicatricedelamortdesonpèreétaitencoreviveettoute

allusionàluilasaisissait.Lorsqu’elleseretourna,Sellersluitendituneliassedepapiers.Elledemandad’untonsarcastique,etsanstendrelamainpours’ensaisir:—Etc’estvousqu’ilsontenvoyépourrécupérerleurargent?Personneavecunbrindebonsensneseseraitaventuréàconfierdel’argentàunhommecommelui,

tantilavaitl’airlouche,etilslesavaienttouslesdeux.—Nonmadame,dit-il avecunamusement toujoursaussi évident, je croispasque les termes du

contratauraientétélesmêmessivousn’aviezplusd’argentpourlesrembourser.Elleinspirapourgardersoncalme.Elleserenditcompteàsagrandesurprisequ’ellenesesentait

enaucune façonendanger.Même laméfiancenéedu faitde trouverun inconnusous savérandaavaitcommencéàs’atténuerpourlaisserplaceauscepticisme.

—Dans ce cas, quels étaient les termes du contrat,monsieur Sellers ? demanda-t-elle avec unepondérationétudiée,commesielles’adressaitàunindividupeuvifd’esprit.

—Vouspouvezregarderlespapiers,répondit-ilenposantlaliassesurlabalustrade.Maisàcequejecomprends,lecontratassuraitlesautresassociésqueriendefâcheuxn’allaitarriverauP.-D.G.d’Av-TechAéronautique.

—Riende…fâcheux,répéta-t-elle.Cemotétaitaussiincongrudanssabouchequelaprésencedecegrandéchalasaumilieudesavéranda.

—Acequejecomprends.—Jevois.Vousêteslàpourveilleràcequeriendefâcheuxnem’arrive.—Ouimadame,dit-il avec solennité,maisdenouveauquelquechosepassabrièvementdans les

profondeursdesesyeuxgris.—Jenecroispasqu’ilyaitquoiquecesoitdefâcheuxtapidansl’ombreparici.Etvous?Ellehaussalessourcilsetattendit.Le regard de l’homme fit le tour de la cour bien tenue puis se posa sur lesmontagnes, dont on

devinait le relief au-dessus de la vallée étroite où se nichaient le ranch et la source qui l’alimentait.C’étaitgrâceàcettesourcequeleranchpouvaitexisteraumilieudecettearidité.

— J’ai encaissé leur chèque, annonça-t-il, son regard semblant contempler la clôture quis’estompaitendirectiondel’écurie.

Elle attendit un instant afin de savoir s’il lui expliquerait pourquoi cette révélation était censéel’intéresser.

—Etalors?finit-ellepardemander.—Ehbienfranchement,çameferaitmalderendrecetargent,dit-ilenluifaisantdenouveauface.Lepliaucoindesaboucheseretroussaencoreunpeuplusetformauneébauchedesourire.Ses

yeux,enrevanche,restaienttoujoursaussiopaquesetneutres.—Ehbien,jecroisquecettequestionvadevoirseréglerentreeuxetvous,monsieurSellers.Ça

m’atoutl’aird’êtreunaspectquinemeconcerneenrien.Jeveuxquevousayezquittéleslieuxdans….deuxminutes?dit-elle,leregardtournéverslacamionnettecabossée.

—Jepourraisfaireçamadame,àconditionquemonvéhiculedémarre,évidemment,etc’est loind’êtresûr.Maisjecroisqueçaneleurplairaitpastrop.AuxgensdeBeneficialLife,jeveuxdire.

—Je n’en ai rien à faire que ça leur plaise ounon, voyez-vous, répliquaVal. Je veuxquevouspartiez.

Ellenehaussapasletonmaisavaitprononcécederniermotavecunaplombtranchantetdéfinitif.— Je voudrais bien vous faire plaisir, mademoiselle Beaufort, croyez-moi.Mais j’ai un devoir

professionnel à accomplir. Je suis sûr qu’en tant que P.-D.G. d’une grande société vous pouvezcomprendreça.

Ilavaitdétachécestroislettresavecemphase,etlesavaitprononcéessuruntontraînantetmoqueur.— J’ai accepté leur argent, alors je dois faire le boulot, que ça nous plaise à tous deuxou non,

ajouta-t-il.—Vousavezl’intentiond’assurermaprotection,dit-elle,sentantlacolèremonterenelle,quejele

veuilleounon.Est-celàcequevousessayezdemedire,monsieurSellers?—C’estcequejeveuxdire,madame,approuva-t-il,laconique.—N’avez-vouspaslesentimentquesansmacoopération,çarisqued’êtrecompliqué?demanda-t-

elle,feignantladouceur.—Ehbienceseraitcertainementplusfacileavecvotrecoopération,mais jepensepouvoirm’en

passer,répondit-il.Ellepoussaun long soupir et sentitHarvard s’agiter sous elle. Il devait percevoir la tensionqui

l’habitait.Elle était furieuse sans savoir vraiment contre qui elle l’était le plus.BeneficialLife ?Lesavocatsd’Av-Techquineluiavaientpasparlédececontrat,sitantestqu’ilexistâtvraiment?Oucontreceparasitesuffisantassissoussavéranda?

Elles’approchadelabalustradeettenditlebraspourenôterlaliassededocumentspliésentroisqu’ilyavaitposée.Ellefitreculersonchevalquandelleeutlesdocumentsenmain.

—Partez,dit-elledoucement.

—Ilsenverrontquelqu’und’autre,réponditSellers,cettefoissansironie.Ilsnevouslaisserontpasseuleicisanssystèmedesécurité,etj’aicommel’impressionquevousn’enavezpas.

Valerien’avait jamaisressenti lebesoind’assurersasécurité.Quandonvivaitaumilieudenullepart,onn’avaitpaslesoucidecambriolagesintempestifs.D’autantmoinsquandonnepossédaitrienquipuissejustifieruncambriolage.

—Qu’est-cequivousfaitcroireça?demanda-t-elle,canalisantl’impatiencedesamontureavecladextéritéd’unecavalièreconfirmée.

GreySellers soutint son regardun instantpuis se levadu fauteuil àbascule etmarcha jusqu’à laported’entrée. Il l’ouvritpuis attendit.Bien sûr, il ne sepassa rien. Iln’yavaitpasd’alarme.Pasdesystème qui alertait directement le bureau du shérif. Vu l’état des routes qui menaient au ranch et ladistancequileséparaitdelavillelaplusproche,toutforfaitsusceptibledeseproduireseraitdetoutefaçonterminélongtempsavantl’arrivéed’unhommedeloi.

PuisSellersentraetpoussalafenêtresituéederrièrelefauteuilàbasculedanslequelils’étaitassis.Ellen’étaitpasfermée.Valnégligeaitaussideverrouillerlesfenêtres,çaallaitdesoi.

Illaregarda,sonvisagecachéparl’ombredesonchapeau.—Ondiraitquevotresystèmed’alarmenemarchepas,mademoiselleBeaufort.—Iln’yenapas,vouslesavezbien.—Euxaussilesavent,dit-il.Jeparledelacompagnied’assurance.Siquelquechosevousarrive,il

leurfaudracracherunpaquetdefricàAv-Tech.Orilsn’aimentpastropcetteidée.Jedoisdirequejelescomprends,d’ailleurs.

—Maisquecroyez-voussusceptibledem’arriverici?—Rien,dit-il.Puisilajoutad’unevoixdenouveauamusée:—Pastantquejesuisdanslesparages.Il revint à la balustrade, la toisant de son regard presque caché par le bord de son chapeau

poussiéreux.«Toutàfaitdecirconstance»,pensa-t-elle.Iln’étaitàcoupsûrpasmembredelabrigadeduchapeaublanc,cesyeuxdissimulésparl’ombreavaientvutropdechoses.

« Mais comment puis-je affirmer cela simplement en regardant ses yeux, bon sang ? », sedemanda-t-elleavecdégoût.Elleavaitl’impressiond’avoirdéveloppéuneobsessionpourcethommeaucoursdesdernièresminutes.

Harvards’ébroua.Serapprochantducheval,Sellersposalamainsursonchanfrein,etlecaressadufrontauxnaseaux.Puisilsepenchaenavantetsouffladessus,unvieuxtrucdecavalier.

—Toutdouxmonbeau,dit-il.Surveilletesmanières.Cesmotsapaisantsfurentprononcésdoucement,aveclavoixdequelqu’unquiaimaitleschevaux.«Ilsenverrontquelqu’und’autre,avait-ildit. Ilsnevous laisserontpasseule icisanssystèmede

sécurité.»Ilavaitprobablementraison.Ellen’étaitplusValerieBeaufort,ancienentraîneuretéleveurdechevaux.ElleétaitdésormaisP.-

D.G. d’Av-TechAéronautique, et que ça lui plaise ou non, des inconvénients allaient de pair avec lafonction.Desinconvénientscontrelesquelsellenepouvaitpasgrand-chose.

Elleallaityremédier,c’étaitsonintention.Pasquestiondepassersavieenchaînéeàcettefichuesociété,commesonpère.Enchaînéeauxmigrainesquecedévouemententraînait.Ilsenverrontquelqu’und’autre.C’étaitcertain.Etelleallaits’occuperdeluiquandilarriverait.

—Dites-leurquejeferaiinstallerunsystèmedesécuritédèsquepossible,dit-elle.—Sivousnelefaitespas,ilss’enchargeront.—Dansmamaison?Jecroisqu’onappellecelauneviolationdedomicile.—EtmoijecroisquelecontratauquelAv-Techasouscritleurdonneledroitdeprendretoutesles

mesuresadéquatespourprotéger leur investissement.BeneficialLifene l’auraitpasmisnoirsurblanc

sanscela.—Jerésoudrailaquestionauplusvite,monsieurSellers,dit-elle,aveclesentimentqueluiavait

raisonetelletort.Unsentimentdésagréable.— Merci de m’avoir informée des termes du contrat, ajouta-t-elle. Maintenant si vous vouliez

bien…Elleseretournaetdésignadenouveaulacamionnetteduregard.—Ilsenverrontquelqu’und’autre, réitéra-t-il.Çaprendraquelques joursavantqu’unsystèmede

sécuritésoitinstallé,etilsnevouslaisserontpassansprotectiondansl’intervalle.—Alorsjesupposequejerecevraiunenouvellevisitedemain.Celadit,ilyaunboutdecheminà

faireavantderetrouverlacivilisation,et ilfaitpresquenuit,aucasoùvousnel’auriezpasremarqué.Lesroutespeuventserévélertortueusesquandilfaitnoir.

Ses yeux la fixèrent un longmoment. Il finit par la saluer en touchant de nouveau son chapeau,traversalavérandaetdescenditlesquelquesmarches.Lestalonsdesesbottesrésonnèrentsurleslattes.Ilmontadanssonpick-upetfermalaportière.Valnebougeapas,commesiellepouvaitprédirecequiallaitsepasser.

Ellenefutpasdéçue.Lemoteurtoussaplusieursfoismaisnedémarrapas.Il l’avaitprévenueenévoquantlafiabilitéaléatoiredesonvéhicule.Ilavaitprobablementdébranchélescâblesd’allumageouautrechosedanslegenreafinquelacamionnettenedémarrepas.

Ellepouvaitdescendredechevaletessayerelle-mêmedefairedémarrerlevéhicule;oubienluidemanderde soulever le capot et la laisser jeter unœil aumoteur.Mais s’il avait habilementbricolécelui-ci, elle finirait par passer pour une idiote, et elle voulait éviter ça par-dessus tout. Elle s’yconnaissaitbeaucoupplusenchevauxqu’encombustioninterne.

Ellerepensasoudainàl’interventiondeceSellersauprèsd’Harvard.Maisellenepouvaitpasleconsidérer comme non dangereux pour la simple raison qu’il aimait les chevaux. Elle inspira pourdissimulersondépit.

Elledéplialespapiersramasséssurlabalustradetandisqu’ilfaisaitdenouveautoussersonmoteur.L’en-têteportaitlelogodeBeneficialLife,lesdocumentsavaientuneallureofficielle.

«Ilsenverrontquelqu’und’autre.»Aumoins,ilsavaitfaireladifférenceentrel’avantetl’arrièred’uncheval,çaplaidaitensafaveur.Pourelledumoins.EtValn’avaitpaspeurdelui,endépitdecequ’elleavaitcruliredanssonregard.

— Je sais ce que vous devez penser, dit-il, impuissant. Je peux vous donner le numéro de JoeWallace.Vouspouvezl’appeleretvérifierqu’ilm’abienenvoyéici,siçapeutvousrassurer.Jenesaispass’ilseraencoreàsonbureauàcetteheure-ci,mais…

—Ilyauneannexelà-bas,lecoupaVal.Vouspouvezydormircettenuit.J’appelleraiBeneficialLifedemainmatin.

—C’estgentildevotrepart,dit-il.—MonsieurSellers?—Madame?—Jen’aipasdesystèmedesécuritémais jepossèdeenrevancheunSmithetWesson,et jesais

m’enservir.—Çamesoulagebeaucoup,madame,répondit-il.Savoixavaitretrouvéuneintonationamusée,bienquesonexpressionn’aitpaschangé.Iln’yavait

pas de rictus au coin de sa bouche, pas une once de malice dans ses yeux. Juste une bonne dosed’amusementdanssavoixavantqu’ilneseretournepourattraperunsacdesportenNylonposésurlabanquettearrièredupick-up.

Elle le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse derrière l’écurie. Puis, tout en prenantconsciencedecequ’ellevenaitdefaire,elletouchalesflancsd’Harvarddestalonsetluifitprendreunedirectionquasi-similaire.

***

GreySellersréprimaitencoreunsouriretandisqu’ilapprochaitdel’annexeindiquée.Ellesemblaitaussibientenuequelerestedelapropriété.IlsedemandadequelleaideValerieBeaufortdisposaitpourentretenirleslieux,carjusqu’àprésent,iln’avaitpasvuâmequiviveendehorsdelajeunefemmeelle-même.

Aprèsêtrearrivécetaprès-midietavoircomprisqu’ellen’étaitpaschezelle,ilavaitfaitunpetittourdesbâtiments.«Pourétablirundiagnosticsurlasécuritédeslieux»,s’était-ilditafindejustifiersoncoupd’œildiscret.

Il s’était immédiatement senti chez lui,même s’il ne vivait plus dansun ranch en activité depuislongtemps. Ilavait lesentimentderetrouver lemêmecadrerudimentairequeceluidans lequel ilavaitgrandi,lesvachesenmoins.Etpourtant,àpeinequelquesminutesplustôt,ils’enétaitfalludepeuqu’ilpasseàcôtédel’opportunitédegoûterdenouveauàcettevie-là.

Juchée sur ce bon vieux cheval,ValerieBeaufort semblait assez frêle pour qu’une bourrasque ladésarçonne,maiselleavaitdelarepartie,etsavaitcequ’ellevoulait,ounevoulaitpasenl’occurrence.

Greyn’étaitpas sûrdecequi l’avaitdécidéeà l’autoriser à rester.Peut-être toutbonnement soncharme,pensa-t-il,réprimantencoreunefoisuneenviedesourire.Oubiensavivacitéd’esprit.Cars’ils’étaitraséavantdeprendrelarouteets’étaitbienregardédanslemiroir,ilavaitdumalàseconvaincrequesonapparencephysiqueaitpulaséduire.Ilavaituneallurebrutededécoffrage,unpeucommesionl’avaitlavéàfroidetmisàséchersurunecordeàlinge.C’étaitd’ailleursàpeuprèsl’étatdanslequelilsesentait.

L’effetdel’aspirinepriseavantdequittersonbureausedissipait.Conduiresurcesroutesétroitesaveclesoleildel’après-midienpermanencedefacen’avaitfaitqu’augmenterlamigrainecauséeparsagueuledeboisdumatin.

Ilauraitbienbuunverre,àvraidire.Ilavaitvolontairementlaissélabouteilledebourbondansletiroirde sonbureau. Ilnebuvaitpaspendant le travail ; ilne l’avait jamais fait.Griffne l’auraitpaslaissé faire de toute façon, ni lui ni aucunmembre de l’équipe, car trop de vies dépendaient de leurcapacitéàaccomplir leurdevoir.L’alcooln’avaitpasconstituéunproblèmeàcetteépoque.Toutavaitbasculélejouroù…

Il entendit grincer la double porte, à l’avant de l’écurie. Lemême bruit s’était produit lorsqu’ill’avaitpousséecet après-midipour inspecter l’intérieur. Il leva lesyeux, et s’aperçutque l’arrièredel’écurieétaitgrandouvert,luirendantl’ensembledubâtimentvisible.

ValerieBeaufortmenaitsonchevalàl’intérieur.Ilsefitlaréflexionqu’ilnes’étaitpastrompésurson allure fragile, car le jean étroit et la chemise de coton qu’elle portait laissaient deviner sa frêlesilhouette. Elle était trop mince pour lui. Des seins menus et des hanches de petite fille. Elle avaitrepoussésonchapeauenarrière,laissantapparaîtredescheveuxcouleurfeuillesd’automne.Elleavaitdutempérament,çanefaisaitaucundoute.

Illuifallutquelquessecondespourprendreconscienced’autrechosequiauraitdéjàdûlefrapper.Sadémarcheétaitanormale.Çasevoyait.Unfrissond’émotioninattenduparcourutsonestomac,frissondontileutdumalàcernerlanature.

La tête basse, les yeux au sol, elle n’avait pas remarqué qu’il la regardait traverser l’écurie enboitant,songrandchevallasuivant,docile.Greynepouvaitserésoudreàdétournersonregard,même

s’il se faisait l’effetd’êtreunvoyeur,etcemêmefrissonqui luiavaitparcouru lesentraillesquand ils’étaitrenducomptedesonhandicaprevintlechatouiller.

ValerieBeauforts’étaitmontréetrophargneuseavecluipourqu’ilsesentedésolépourelle.Maisc’était peut-être aussi pour cette raison qu’elle se montrait si hautaine, pensa-t-il en la revoyant, lementonportéfièrementenavant,quandellel’avaitprévenuqu’ellepossédaitunearme.C’étaitpeut-êtreàcausedecelaetpasdesonargent,commeill’avaitd’abordpensé.

Acetinstantellelevalesyeuxetcroisasonregard.Greysesentitgênédes’êtrefaitsurprendreentrain de l’observer.Mais il se refusa néanmoins à baisser les yeux. Il savait très bien comment ellepourraitinterpréterlefaitqu’ildétournesonregard.

Ellepinçaleslèvresavantd’ouvrirlabouchepourdemander:—Aviez-vousbesoind’autrechose,monsieurSellers?—Nonmadame.Ils restèrent tous deux immobiles. Le cheval derrière elle s’agita, mais elle l’ignora. Ses yeux

marron,presquetropgrandspoursonpetitvisageovale,défiaientGrey.—Vouspouvezutiliser le lit devotre choixdans l’annexe, finit-ellepardire.Ledîner seraprêt

à21heures.C’estpeut-êtreplus tardquevousn’enavez l’habitudemais jen’aimepasdîneravant lecoucherdusoleil.

—Vousm’invitezàdîner,mademoiselleBeaufort?—Les règlesde l’hospitalitém’interdisentde laisserundemes invités leventrevide,monsieur

Sellers,mêmeuninviténondésiré.Maisnevoyezriend’autredanscetteinvitation.Ilestplussimpleàmonavisquevousveniezàlamaisonqued’apporterunplateaujusqu’ici,dit-elle,enpointantdumentonlebâtimentderrièrelui.

—Oui,madame,réponditGrey.Ilpritconsciencequelaregardertraverserl’écurieenboitantavaitdétruitleplaisirunpeupervers

qu’ilavaitpuprendreà la tourmenter.Seconduirecommeçamaintenant luiauraitdonné l’impressiond’êtremesquin,dedonnerdescoupsgratuitsàquelqu’unincapabledesedéfendre.

Certes,çan’avaitpassembléluiposerproblèmed’avoiràaffrontersessarcasmes,ilsavaitquecen’étaient que des états d’âme — et il savait d’où ils venaient. Savoir ces état d’âme installés luidéplaisait,etilsavaitégalementqu’ellel’enverraitpaîtres’illesexprimait.Ellen’étaitsûrementpasdugenreàapprécierqu’onluitémoignedelapitié,mêmetravestieenunautresentiment.

—Nevoyezpasautrechosederrièrecetteinvitation,monsieurSellers,répéta-t-elle,etcettephrasehostile le sortit de ses pensées. Je ne veux pas devenir votre amie, je ne souhaite pas mieux vousconnaître.Jenesouhaitaispasnonplusêtrevotrehôte,neserait-cequepourunenuit,maisapparemmentonnem’enlaissepaslechoix.Alors…ledîner,c’esttout.

—Grey,sehasarda-t-il.Onnem’appellepasassezsouvent«monsieurSellers»pourquejesoisàl’aisequandons’adresseàmoiainsi.

Illuisourit,dugentilpetitsourirepoliqu’ilréservaitauxvieillesdames,auxprêteurssurgagesetauxofficiersdepolicequiportaientuncarnetàsouche.

Ellepinçaleslèvres.—21heures,monsieurSellers.Inutiledevousmettresurvotretrenteetun.Elleseretournaetcommençaàdessellersoncheval.Larapiditédesesgestesprouvaitàcoupsûrsonexpérienceetsonhabitudeàlesexécuterdepuisde

nombreuses années. Il avait déjà intégré que c’était une femme fière et pugnace,mais cependantGreyposasonsacetentradansl’écurie.C’étaitdéjàlecrépuscule,lalumièredusoleilbientôtcouchébaissaittrèsvite.

L’obscuritébienplus importante à l’intérieurde l’écuriequ’audehors le surprit. Il fut égalementsaisiparlesodeurssifamilièresquiluirappelaienttantdechoses.Ilinspiraprofondément,inhalantun

parfummêlédefoin,defumierdechevaletdecuirpatiné.Dessenteursquiluiévoqueraienttoujourssonfoyer.

Il s’avança en direction du cheval et de sa cavalière, regarda ses petites mains travailler avecdextérité.Dèsqu’elleeutdétachétouteslessangles,Greyavançaetpassadevantellesansprévenir.Ilôtalaselleetlaposaenhautdelagrilledelastallelaplusproche.

Lorsqu’ilseretourna,ValerieBeaufortledévisageait.Elleavaitlerougeauxjouesetellepinçaitleslèvrestellementfortquecelles-cin’étaientplusqu’uneligneblafarde.

—Nerefaitesjamaisquoiquecesoitdecegenre,luiordonna-t-elle.Pluselleétaitencolèreetplussavoixétaitcalme.Ilavaitdéjàremarquécelasouslavéranda.Ce

quisignifiaitqu’àl’instantelleétaitfurieuse.—Jenesaispasquelgenred’hommesvousavezl’habituded’avoirautourdevous,mademoiselle

Beaufort,maismoi, j’ai étéélevécommeungentleman. J’auraisagide la sorteavecn’importequelleautrefemme.

—Vousêtesunmenteur,dit-elle.Vousvousêtesditquevousalliezdonneruncoupdemainà lapauvrepetiteéclopée,qu’elleaitbesoind’aideounon,etpeut-êtreentrerdanssesbonnesgrâcesenvouscomportantengentleman.Oualorssoulagervotreconscienceenaccomplissantvotrebonneactiondelajournée.Jemefichedesavoirpourquoivousavezfaitça,maissi j’aibesoindevotreaide,jevousleferaisavoir.Sijenedemanderien,vousmefichezlapaix,monsieurSellers.

Une colère identiquemonta en lui lorsqu’elle déversa cesmots. Peut-être lamigraine lancinanteaffrontéetoutelajournéelerendait-elleplusirritable,oubienlebesoindeboireunverre,besoinqu’ildétestaitadmettre.Oubienencoreétait-ceunsentimentdeculpabilité,carelles’étaitapprochéetropprèsdelavérité.Quellequesoitlaraison,sacolèrepassaoutresacapacitéhabituelleàgardersoncalme.

Il lui saisit les bras, les serrant assez fort pour la faire tressaillir. Ses pupilles se dilatèrent desurprise.MlleBeaufortlapetitefillerichen’avaitcertainementjamaisététouchéeparunhomme,sedit-il,quecesoitsousl’effetdelacolèreoupourautrechose.Quienauraitenvied’ailleurs,étantdonnélafaçondontelletraitaitlesautres?Bienqu’ileûtdéjàconscienced’avoircommisunegraveerreur,illasecoua.Pasfort,cependant.

Ilsentaitlesosmaigresdesesbrassoussesmains,desosaussisemblablesàceuxd’uneenfantquelerestedesoncorps.Elleétaittellementvulnérable!Sentircettevulnérabilitéauraitdûmettrefinàsacolère.Ilauraitdûavoirhontedetraitercommeunhommequelqu’undetellementpluspetitquelui.

Unepersonnequiétaitdeplusune…éclopée.C’estletermequ’elleavaitemployé.Avoircemotdanslatêteleperturbait.

— Je ne sais pas quel est votre problème, petite demoiselle, dit-il d’une voix basse etvolontairementmenaçante, alors qu’il continuait de la serrer. Je suis venu ici parcequ’onm’a engagépourfaireuntravail,etparcequej’aibesoind’argent.Jen’aipasplusenviequevousdedevenirvotreami,croyez-moi.Etsivouspensezquemeproposerdemedonneràmangervousdonneledroitd’êtredésagréable,alorsilfautrevoirvotreconceptiondel’hospitalité.J’auraisaidén’importequellefemmeàportercetteselle.Onm’aélevéainsi.Toutefoisvouspouvezêtresûrequ’êtresympathiqueavecvousestuneerreurquejenecommettraiplus.

Illalâchasibrusquementqu’ellechancela.Ilrésistaàlatentationdeluiattraperlecoudeetdelaretenirpourluipermettrederetrouversonéquilibre.Adéfaut,ilsefrayaunpassageentreelleetleflancducheval,traversal’écurieàgrandesenjambées,furieux,etallajusqu’àl’endroitoùilavaitlaissésonsac.Ill’attrapaaupassagesansjeterunregardenarrière,entradansl’annexeetclaqualaportederrièrelui.

Lebruitdelaporten’arrangeapassamigraine,pasplusquelesangquiluibattaitauxtempes.Ilyavaitbienlongtempsqu’iln’étaitpassortidesesgonds.Bienlongtempsquequelqu’unouquelquechose

nel’avaittirédelabrumed’apathiequil’entouraitdepuissondépartdel’équiped’ExternalSecurity.Iln’avaitpasmêmeundébutd’explicationsurcequivenaitdeluifaireperdresoncalme.

Maisilsesentaithonteuxetmisànu.C’étaitcommes’ils’étaitouvertetavaitmontréàcettefemmeque les mécanismes censés tourner harmonieusement dans sa tête s’étaient un peu emballés. Voirebeaucoup.

Il jetasonsacsurle litdecampleplusprochedelaporteetregardalepetitnuagedepoussièresoulevéparsongeste.Elleallaitsûrementporterplainte.IlespéraitqueceseraitauprèsdeBeneficialLifeplutôtqu’auprèsdeJoeWallace.DanscecasilpourraitduperWallaceavecunehistoirequelconquepourexpliquerpourquoiçan’avaitpasmarché.

Illuifaudraitrembourserl’argent,d’unemanièreoud’uneautre.Iln’avaitaucuneidéedecommentilallaitarrangerça.Ils’assitsurlebordd’unautrelitetpritsatêtedouloureuseentresesmains.

«Bienjoué»,sedit-il,tandisquelesproposqu’ilavaittenusàlajeunefemmerepassaientdanssatête.Unebonnefaçondesefairedesamis.

—«Jeneveuxpasêtrevotreamie»,avaitditValerieBeaufort.Poursûr,ilnepouvaitpasluienvouloir.

2

Valeriepiquasafourchettedanssacôtelettedeporc,yfaisantunerangéesupplémentairedepetitstrous nets. Grey Sellers ne s’était pas présenté pour le dîner, elle s’était donc mise à table peuaprès21heures,avecunsentimentd’indignation.Puiselles’étaitsentieécœurée.

«Jesuisalléegalopertroploincetaprès-midiparcettechaleur»,sedit-elle.Tut’escomportéecommeuneimbécile,luidisaitunepetitevoixdanssatête.Toutçaparcequ’un

hommeaeul’audacedet’aideràdessellertoncheval.«Ill’afaitpourdemauvaisesraisons.»Espècedeféministebornée!semorigéna-t-elle.Enquoiétait-ceuncrimepourunhommed’aider

unefemme?«C’enestunquandillefaitpourdemauvaisprétextes.»Tusaisliredansl’espritdesautres?sedemanda-t-ellesoudain.Tuescertainedecequil’apoussé

àfairecegestequetutrouvessiinfâmant?Fatiguéepar ce conflit intérieur, et par l’effort qu’elle devait produire pour tenter de répondre à

cette dernière question,Val repoussa sa chaise et, son assiette enmain, alla jusqu’à la poubelle. Ellepressa la pédale d’ouverture et y jeta la côtelettemaltraitée, le petit pain et les haricots verts qu’elleavaitpréparés.Puiselleposasonassiettedansl’évieretseretournapourcontemplerlessaladierssurlatabledelacuisine.«Quellehontedegâchertoutecettenourriture.»

Etce,alorsqu’ilyadansl’annexeunhommequin’apasmangéetseraitàcoupsûrravideluifaireun sort.Unhommeque tu as invité à dîner par respect prétendudes règles d’hospitalité.Et que tu asensuiteenvoyépaîtreparcequ’ilaeulemalheurd’avoirungestequin’étaitpeut-êtreriend’autrequel’expressiondesagratitude.

« L’expression de sa gratitude. Il m’a agrippé les épaules assez fort pour que j’en ai desbleus ! », se dit-elle, déterminée à se convaincre du bien-fondé de sa colère. Sans quoi elle devraitadmettres’êtremalcomportée.

Elleallaà la table, ramassa lesplats, lesposasur lecomptoir,ouvrit lapoubellemaisneputserésoudreàjeterl’ensembledelanourriture.

Aucontraire, elle sortit unenouvelle assiette duplacard, la posabrusquement sur le comptoir, ydéposadeuxcôtelettes,troispetitspainsetlerestedeharicotsverts.Puisellelamit,ainsiquelasaladedefruitsetdescouverts,surunplateauetprotégealetoutd’uneserviettepropre.

Ellecontemplasonœuvrequelquesinstants,tenditlebraspouratteindrel’interrupteurau-dessusdel’évier et éclairer la cour. Elle prit le plateau avant d’avoir le temps de changer d’avis et sortit,repoussantlevantaildelahanche.

Lorsqu’elletournaaucoindel’écurie,ellevitunfaibleraidelumièresouslaportedel’annexe.Lalumière des bâtiments n’atteignait pas la zone où elle se trouvait. «Je suis en sécurité », se dit-elle,reconnaissanteenverslesombresquiladissimulaient.«Maisensécuritécontrequoi?»luidemandasavoixintérieure.Elleressentaitdeplusenplusdeméprispourl’absurditédesesraisonnements.

Valerie dut se forcer à avancer jusqu’à la porte et à frapper, le plateau en équilibre, car ellerechignaitencoreàseretrouverfaceàl’hommeaprèsquielleavaitcriécetaprès-midi.Aucunbruitnesortaitdel’annexe,etiln’yeutpasderéponseaucoupqu’elleavaitdonnéàlaporte.Ellelaissapasserquelquesinstants,frappadenouveau,plusfortcettefois,puistournalapoignéeetouvrit.

—MonsieurSellers?Pas de réponse. Elle se décida à entrer. L’annexe semblait vide. Peut-être faisait-il d’autres

contrôlesdesécurité,sedit-elle.Ellel’avaitvucontrôlerl’ensembledesportesetdesfenêtrespendantqu’ellefaisaitlacuisine.Ellelesavaittoutesverrouilléesdèsqu’elleétaitrentréedanslamaison,afindeneluidonneraucuneraisondeseplaindredelasécurité.

Elle déposa le plateau devant le poêle ventru et s’apprêta à repartir. Son regard fit le tour dubâtimentconstruitparsonpère.Ilétaitplutôtrudimentaireparrapportauxnormesdeconfortactuelles.Sixlitsdecamp—troisdechaquecôté—,latableoùelleavaitdéposéleplateauetquatrechaises,lepoêle, et des bibliothèques qui contenaient toutes sortes de puzzles, jeux et livres, constituaient lemobilier.

L’ensembleétaitrecouvertd’unefinecouchedepoussièredéposéepar leventdudésert.Ellen’yavaitpasfaitleménagedepuislongtemps,carpersonnen’avaitvécudansl’annexedepuisdesannées,etc’estbiencequ’ellevoulait.

Sonpèrel’avaitaccuséedevivrecommeunerecluse,etc’étaitpeut-êtrevrai.Maisl’altercationdecetaprès-midiavecGreySellersluiavaitrappelécombienelleneregrettaitpassonchoixdevie.Ellen’avaitpasbesoindecegenredebouleversement,surtoutpasmaintenant.

« Ce genre de bouleversement. » Elle se répéta la phrase, se demandant pourquoi elle l’avaitutilisée àproposdeGreySellers. Il n’y avait riende communentre cette situation et cequ’elle avaitéprouvéavant.

Ellelevalesyeux,parsimpleréflexe,etlevitlaregarderdepuislepasdelaportedelasalledebains. Ses cheveux noirs étaient mouillés et prenaient des teintes bleutées sous la lumière crue etoscillantedel’ampouleélectrique.Apparemmentilsortaitdeladouche,cequiexpliquaitqu’iln’aitpasréponduquandelleavaitfrappéetappelé.

Il portait lemême jeanquedans l’après-midi,mais il était piedsnus, et reboutonnait sa chemisechamois.Sesyeuxgris,quil’avaientinterpelléel’après-midimême,étaientrivéssursonvisage,avecunairinquisiteur.

Seslongsdoigtsfinscontinuaientderefermerchaquebouton,unparun,sanshâte.Lespansdesachemiseencoreouvertelaissaientapparaîtreunventrebrunetplat,parcourud’unesombrepilosité.Duregard,elleeutletempsdesuivrecetteombrejusqu’àlaceinturedesonjean,oùelledisparaissait,avantqu’iln’aitreferméledernierboutondesachemiseetmisfinàcettefugacevision.

—Jevousaiapportévotredîner,dit-elleens’efforçantdeleverdenouveaulesyeux.Elleavait labouchesèche,eteutdumalàarticuler.Elleespéraitqu’ilneserendraitpascompte

que le bref regard qu’elle avait porté sur son corps avait altéré son comportement, lequel ne laissaithabituellementpastransparaîtresesémotions.

LesyeuxdeGreyallèrentduplateauposésurlatableàelle.—Merci,madame.—Jevoulaisaussim’excuserpour…vousavoirclaquélaporteaunezcetaprès-midi,dit-elle,se

forçantàprononcercesmots,conscientedutonfroidetsecqu’elleemployait.

Sesexcusessonnaientfaux,maisavecletemps,sasociabilités’étaitunpeurouillée.Deplus,cethommeavait lepouvoirde ladéstabiliserd’unregard,d’unsimplemouvementauxcommissuresdesabouche,etillefaisaitdenouveau.

Ildonnaitl’impressiondenerienvouloirpartageraveclesautres.Etderireintérieurement.Est-cequ’il semoquait d’elle ? se demanda-t-elle. Paranoïa, lui répondit sa voix intérieure sur le ton de laréprimande,tandisqu’elles’efforçaitdeneplusregarderseslèvres.

— Je n’aime pas que les gens se mettent en tête que je ne suis pas capable de faire ce quej’entreprends,reprit-elleavecobstination,déterminéeàenfinir,etàexpliquerpourquoielleavaitréagisivivementdansl’après-midi.

Sanspourautants’approchertropprèsdelavéritéquiluifaisaitsimal,etquiétaitqu’elledétestaitêtretraitéecommeunehandicapée.

—Jeneme suis pasmisquoi que ce soit en tête à proposde cequevouspouvez faireoupas,mademoiselleBeaufort,répondit-ild’unevoixnette,sansaltération.Onm’aélevécommeungentleman,jevousl’aidit.C’estpeut-êtredémodé.Maisétantdonnéquejevousaioffensée,jevousprésentemesexcuses.Pour…tout,finit-ildoucement.Jevousprometsqueçan’arriveraplus.

Ilgardait le regard fixé sur sonvisage, et sesyeuxendisaientplusque sesparoles. Il exprimaitcertainementdecettefaçonsesregretspouravoirportélamainsurelle.Maisiln’yavaitmêmepasfaitallusion.Ilneluiavaitprésentéaucuneexcusepourl’avoirrudoyéecommeunhomme.

C’estvraiqu’iln’étaitpasseulànepastoutdire.D’habitude,Valeriemettaitunpointd’honneuràignorerceuxquifocalisaientsursonhandicap.Aveclui,elleenavaitfaittouteuneaffaire.Etelledevaitadmettre,sielleétaithonnête,qu’ellesavaitpourquoi.

C’était le premier homme qui l’attirait depuis des lustres — depuis plus longtemps qu’elle nevoulaitselerappeler.Lepremierquiréveillaituneexcitationd’ordresexueldepuisqu’elleavaitrompusesfiançaillesavecBartonCarruthers.

«Çan’arriveraplus»,avaitpromisGreySellers.Ilavaitprissoindenepasprécisercequiétaitcenséneplusarriver.Etellenesouhaitaitpasnonplusreparlerdecetincident.Cethommeseraitpartidèslelendemainmatin.Elleyveillerait,mêmes’illuifallaitleconduireelle-mêmeenvilleetenvoyerquelqu’unremorquersonpick-up.

Ensuite, elle appelleraitWallace, ou la compagnie d’assurance, et c’en serait fini de toutes cesabsurdités.Saréactiondel’après-midiavaitpeut-êtreétéexagérée—elleenconvenait—maisilétaitinutiledecontinuerainsi.GreySellersavaitchoisidenepasfaireallusionaufaitqu’ill’avaitmolestée,elleenferaitdemême.

—Mercid’avoirapportéleplateaujusqu’ici,dit-iltoutbas.Jepensaisquevousaviezrésiliévotreinvitationàdîner.

Résilié.Lechoixdecemotétaitaussiétrangepourcetyped’hommequefâcheuxl’avaitété.Maisla sincérité qui émanait de sa voix lui rappela qu’elle ne le considérait pas commedangereux.Mêmequand il l’avait saisie et secouée, elle ne s’était pas sentie en danger. Il n’avait fait que réagirinstinctivementàsacolèreetàsesaccusations.

—Bonnenuit,dit-elle,brisantàdesseinleliennouveauquis’établissaitentreeux.EllenevoulaitpasensavoirplussurGreySellers,ellenesouhaitaitpaspenseràluiplusqu’ellene

l’avaitdéjàfait.Elletraversalapièceenboitant,conscientedel’échoirrégulierdesespassurlesvieillesplanches,

et du regard deGrey posé sur elle, même si elle lui tournait le dos. «Laisse-le regarder. Laisse-leprofiterduspectacle»,sedit-elle,soudainirritée,sanstropsavoirpourquoi.

Demain, les choses reprendraient leur cours normal. Du moins aussi normal que possible, tantqu’ellenes’étaitpasdébarrasséed’Av-Tech,cebouletqu’elletraînait.

Refermant sèchement la porte de l’annexe derrière elle, elle se dit que plus tôt elle en seraitdébarrassée,mieuxceserait.Maisjusqu’àsonretouràlamaison,elleeutlesentimentdesentirdesyeuxgrisargentfixéssurelle.

***

—Toutvabien,ditValerieàl’étalon,d’unevoixdouceetapaisante.Calme,maintenant,toutdoux,monbeau.Toutvabien,espècedegrandcoquin.

«Riennepeut remplacerça», pensa-t-elle.Elle sentait refluer de son cou et de ses épaules latensionqu’elleavaitcombattuelanuitprécédente,aucoursdelaquelleellen’avaitpresquepasdormi.

C’étaitcertesunebonnechosed’êtretenduquandonavaitaffaireàunchevaleffrayé.Malgréseseffortspermanentspourlerassurer,l’étalonmontraittoujoursdessignesdepanique,latêteenl’airetlesoreillesenavant.

Elle avait choisi Kronus comme premier étalon à cause de son tempérament. Il étaitremarquablement bien élevé pour un cheval de sa trempe. Elle l’avait regardé travailler, et sonpropriétaire précédent s’était porté garant de lui. Et depuis qu’elle était devenue sa propriétaire, lechevals’étaittoujoursmontréàlahauteurdesaréputation.

Jusqu’àaujourd’hui.Dèsqu’elleétaitsortiedelamaisonlematin,peuaprèsleleverdusoleil,ellel’avaitentendus’agiterbruyammentdanssastalle.Ilavaitmêmefaitunéclatdansunebarrière.Ellenesouhaitaitdoncpaslelaisserdanssonpetitenclostantquelabarrièreneseraitpasréparée.

Ilseraitcertainementmieuxdanslecorral.Lesautreschevauxétaienttousdanslepréautourdelasource,iln’yauraitdoncrienpourledéranger;riendeplusquecequil’avaitrendusiénervé,entoutcas.

Ilseraitdansunespacemoinsconfinéetnerisqueraitpasdeseblesser.Ellelequittadesyeuxetinspectalastalled’oùellevenaitdelefairesortir.Ellesetrouvaitàl’intérieurdel’enclosqu’elleavaitmontéelle-mêmelorsqu’elleavaitdécidéd’acquérirsonpropreétalon.Lebâtimentallouéétaittrèspetit,maisapparemmentparfaitementsûr,etassezéloignédel’écuriepourqu’ilnecausepasdeproblèmesauxautreschevaux.

Ellenevitriendanslastallequipuisseexpliquerl’agitationdel’animal.Maisbeaucoupdechosespouvaienteffrayeruncheval,unbruitnonfamilierouinattendu,oumêmeunmorceaudeplastiqueausol.

Peut-êtrequeKronusavaitsentiqu’ilyavaitunétrangerdansleranch.Lorsqu’ellepassaavecsonétalonapeuréàcôtédel’annexe,ellejetaunbrefregardsurlaporte,toujoursferméedanslalumièredujourquimontait.Ellepritconsciencequ’elleavaitfaitattentionàlaportetoutletempsoùelleavaitétédanslacour.

Est-cequ’elledevançaitlemomentoùsoninvitéindésirablel’ouvrirait?C’estlaquestionqu’elleseposaittoutenmenantsonchevaldanslecorral.Sic’étaitça,alorsc’étaituneattentequ’ellenevoulaitpaséprouver.Maismalgrésarésolution,ellenepouvaits’empêcherdeseremémorerl’impactduregarddeGreySellers.Ainsiquecepetitplid’amusementauxcommissuresdesabouche.

Elle avait été momentanément distraite par ce souvenir, mais elle ramena toute son attention àKronus,làoùellen’auraitjamaisdûcesserd’être.Ils’étaitmontrénerveuxlelongducourttrajet,etilsemettaitmaintenantàencenser,tirantbrusquementsursabrideetpiaffant.

Elle raccourcit la corde de Nylon en changeant la position de sa main, afin de canaliser lesmouvementsducheval.Elle se tenaitàcôtédesonépaule,exactementoùelledevait se trouver.Maismême comme cela, elle le sentait bander les muscles de son arrière-train puissant ; elle eut mêmel’impression,pendantuninstant,qu’ilétaitparvenuàdécollerlessabots.

Valcomprenaitqu’ildésiraits’échapper,partirloindecequil’effrayait.Cetinstinctdefuiteétaittrèsdéveloppéchezleschevaux.Kronusvoulaitdétalerleplusvitepossible.

Elle lui parlait sans arrêt,mais elle sentaitmalgré cela la tension quimontait en lui. Et elle necomprenaitpaspourquoi:iln’yavaitrien…

Ilencensaencore,tirantfortsurlabride,laissantapparaîtreleblancdesesyeux.Ellerestaàcôtéde lui, luttantpour lemaintenir. Ils étaient toutprèsde l’enclos, si elleparvenait à lui fairepasser labarrièreetentrer,ilsseraientensécurité.

Elle tendit sa main libre pour ouvrir la barrière mais Kronus recula brutalement, tentant de selibérer et s’éloignant de quelques pas de la clôture avant qu’elle ne soit parvenue à lui faire courberl’échine.

Songenoufaiblecommençaitàtrembler,commechaquefoissouslecoupd’uneffort.Ellen’entintpas compte, serrant les dents pour résister à la douleur, et s’accrocha avec acharnement tandis quel’étalonfaisaitunnouveaubonddecôté.

C’aurait été dangereux de le lâcher, tant sesmouvements étaient fous.Même si la propriété étaitclôturée,ilyavaittropd’endroitsoùilpouvaitseblesser.

Larobed’ébènedeKronusluisaitauxendroitsoùellen’étaitpasmaculéedepoussière,etsesyeuxétaientrévulsés.Ilsecabradenouveau,etelles’accrochadetoutessesforces,soulagéedeporterdesgantsdecuirquiluiévitaientd’avoirlesmainsbrûléesparlacordedeNylon.

Lorsquel’animalretombaausol,elledutreculerpourl’esquiver.Maissongenoulâcha,lafaisantbasculer. Comme elle tentait de retrouver l’équilibre, le cheval vacilla lui aussi. Déséquilibrée, ettoujoursaccrochéeàlabride,elletombaet,danssachute,satêteheurtaunedesbarrièresducorral.

Malgré le choc de son crâne contre le piquet de bois, elle ne perdit pas connaissance. Elle euttoutefois l’impression que l’air se raréfiait et que tout s’assombrissait autour d’elle, et tandis qu’elles’efforçaitderesterconsciente,ellesentitqu’elletenaittoujourslacorde.Unréflexed’instinct,unpeuabsurdevul’étatdepaniqueducheval.

Sesmusclesétaienttétanisés:impossibledelaisserKronuss’échapper.Saseulepenséeétaitqu’ilrisquaitdeseblessersurceterrainaccidentéetrocailleux.

Elle-mêmerisquaitdesefaireencoreplusmal,étenduelà,souslessabots.Ellepivotasurlecôtédroit,voûtant sonépaule, alorsque le cheval secabraitune fois encore,parvenantpresqueà lui fairelâcherprise.Soudain,delonguesjambesenvahirentsonchampdevision.

— Lâchez la corde, ordonna Grey Sellers, alors que le cheval se cabrait une fois de plus,complètementpaniqué.

Comprenant qu’elle n’avait pas le choix, elle lâcha tout. Grey avait déjà passé son bras autourd’elleetlarelevait.Vivement,illadégageaaumomentoùlechevalretombait,etlessabotsbattirentlesoltoutprèsdel’endroitoùellesetrouvaituninstantauparavant.

Alorsqu’ilsétaientencoreàterre, lechevaltournoyaets’enfuit.Valeriemitquelquessecondesàprendreconsciencedudangerauquelelles’étaitexposée.Etunedepluspourcomprendrequ’elleétaitpourainsidireassisesurlesgenouxdeGreySellers,ledosplaquécontresapoitrinemusclée.Ilavaitencorelesbraspassésautourd’elle,justeendessousdesesseins.

Il la serrait si fort qu’elle avait du mal à respirer. Ou alors sa difficulté à respirer était uneconséquencedecequivenaitdesepasser,ellenesavaitpastrop.Enquelquessecondes,elleavaitperdulecontrôle.

Elleétaitfatiguéeetdésorientée.Elleappuyasatêtecontrel’épauledeGrey,luttantcontrelanauséequi l’avaitbrusquementenvahie.Elle leva lesyeuxvers lecielbleu turquoise,etcherchaàaspirerdel’air.

—Çava?demandaGrey,savoixtouteproche,seslèvressiprèsdesonoreillequ’ellesentaitsonsoufflesursajoue.

Ellefitsignequeoui,et tourna la têtepour le regarder.Sabarbematinalefrottacontresa tempe.Aprèsquelquesinstants,ilregardadansladirectionoùdisparaissaitl’étalon,sessabotsclaquantsurle

solsec.Valerie savait qu’il pouvait courir surplusieurskilomètres sans rencontrerde clôtures.Mais il y

avaitd’autresobstaclesredoutablesdanscetteplainedehautdésertoùtoutpouvaitarriver.Ellerécitaunecourteprièreprotectrice,leregardantgaloperverslelointaindesmontagnes.

Lorsque l’étalon ne fut plus qu’un point sombre à l’horizon, Grey s’adressa à elle, d’une voixaffectéeparlamêmehumeurqu’elleyavaitdéceléelaveille.

—Ilesttoutletempscommeça?Parcequesic’estlecas,vousavezunsacrétempéramentpourvousenoccuper.

—C’estlapremièrefoisqu’ilsecomporteainsi,répondit-elle,sincère.—Vousavezuneidéedecequil’amisdanscetétat?demandaSellers,faisantéchoauxquestions

qu’elleseposaitelle-même.Ellefitsignequenon,cherchantcequipouvaitavoirénervéKronusàcepoint.Riendanslastalle.

Riennonplus le longdutrajet jusqu’aucorral.Ellenepouvaitfournir lamoindreexplicationsurcetteagitationincohérenteetinhabituelledel’animal.

—Toutceque jesais,c’estqu’ilvafinirparseblesser,dit-elle,sedébattantpourse libérerdel’étreintedeGrey.

Cedernieravaittoujourslebrasautourdesonbuste,effleurantsesseins.Ilrelâchasonétreintedèsqu’ellebougea,etelletentadeserelevermaladroitement,poussantsur

sesgenoux,gênéeparlapositionintimedeleurscorps.«Alerte»,sedit-elle,déterminéeànepasavoiruneréactiondémesurée,commelaveille.

Ildevait laprendrepourune sortedenévrosée, effrayéepar leshommesà l’idéede toutcontactaveceux.

Elle tentade se lever,mais lorsqu’ellepoussa sur ses jambes,unedouleur fulgurante se réveilladans son genou blessé. Elle fut de nouveau prise de vertige. Lorsqu’elle retrouva complètement sesesprits, quelques secondes après, elle fut soulagée de constater qu’elle n’était pas tombée. Elle étaitdebout,maiss’appuyaitcomplètementcontreGrey.Ilavaitrepassélebrasautourd’elle,etlasoutenaitconsciencieusement,sansriendedéplacédanssongeste.

—Jemesuisblesséeàlatête,dit-elleenlevantlesyeuxverslui.Dans la lumière du matin, ses yeux étaient d’un gris transparent, moins opaque que la nuit

précédente.Soudain,illuipritlementonetluifitpivoterlatête.Priseparsurprise,ellenerésistapas,malgrél’agitationintérieurequecegesteprovoquaenelle.

MaisellecompritqueGreynecontemplaitpassonvisage:ilexaminaitl’étatdesatempequiavaitheurté le piquet quandKronus l’avait fait chuter.Elle regarda sesyeux s’agrandir unpeupuis revenircroisersonregard.

—Ondiraitquevousallezavoirbesoindequelquespointsdesuture.Elleparcourutsablessureduboutdesdoigts.Ellegrimaçalorsqu’elleappuyasurl’entaille.Ellesentitlevertigerevenir,maisdécidéeànepass’évanouirunefoisencore,commeunestupide

héroïnevictorienne,ellemorditl’intérieurdesajoueassezfortpourcontrerladouleurquesatempeetsongenoublessésprovoquaient.Elleressentitunmaldechien,maisçaluipermitderetrouvertoussesesprits.

—Cen’estrien,dit-elle,bienplusinquiètepoursonchevalquepourelle-même.—Vousrisquezdegarderunecicatricesivousnefaitespasrecoudrevotreblessure.Elle semit à rire, ce qui eut pour effet de lui faire écarquiller les yeux. Est-ce que cet homme

pensait que ça lui importait un tant soit peudegarderune cicatrice ?Certes, il nepouvait pas savoirqu’elleenavaitdéjàquelques-unes.Etcen’estpasunepetitecoupurequiallaitladécideràprendresavoiturepourallersefairerecoudreenville.Elleavaitplusimportantàfaire,àcommencerparveillerà

cequ’iln’arriverienàl’étalondanslequelelleavaitinvesti.Encemomentmême,ilcouraitdesérieuxrisquesàgalopercommeunfouaumilieudecetteplainehostile.

—Ilfautquejelerattrape,dit-elle,selibérantdel’étreintedeGrey.Parchance,cettefois,ellenefutpasprisedevertige.Ellealla jusqu’à laclôture touteproche,enboitant fortement, chaquepas se révélantune torture.

Ellecompritqu’elleneseraitpascapabledeselanceràlapoursuitedesonétalon.Ellepouvaitàpeinemarcher,etencoremoinsfairelenécessairepourretrouversonchevaletleramener.

—Ilauradisparuavantquevousayezletempsdevousmettreenselle,etvousn’arriverezpasàsuivresapistesurunterraincommecelui-là,ditGrey.

Peut-êtrequesonexpériencedecavalièreluipermettraitdemonteràchevaletdejugulerladouleur,maispourlereste,ilavaitraison.MêmesiceterrainrocheuxpermettaitdesuivrelapistedeKronus,illuifaudraitcertainementdescendreetremonterdecheval,etellen’enétaitpascapable.

—Jenepeuxpaslelaissergalopercommeça.—Commencezd’abordparallervousfairesoigner,ditGrey.—Maisc’estmoncheval.C’estmondevoird’allerlechercher,protesta-t-elle.— C’est mon devoir à moi de veiller sur vous, mademoiselle Beaufort, dit-il tranquillement.

L’auriez-vousoublié?Eneffet,illuiétaitsortidelatêtequ’onl’avaitenvoyépourêtresongardeducorps.Ungardedu

corps,sedit-elle,tournantl’idéeendérision.Ellen’avaitjamaisappréciéqu’onluidisequ’ellen’étaitpascapabledefairetelleoutellechose.Dumoinsdepuissonaccident.

—Çan’arienàvoir,dit-elle,lesyeuxtournésverslatraînéedepoussièrequis’estompaitauloin.—Selonlestermesdemamission,iln’yariendontjenedoivevousprotéger.Celaconcerneaussi

les risques de commotion cérébrale et d’hémorragie interne.Et de toute façon je vous ai déjà dit quej’avaisencaissél’acompte.Alorsjevaischercherlavoiture.

Ellecherchaàattrapersonbras,maislemouvementréveillaladouleurdanssongenouetelleneparvintqu’àsaisirsamanche.

—Jenepeuxpaslaisserlechevalcommeçasansrienfaire.—Jenecroispasquevousayezlechoix,ditGrey.Ilavaitraison.Iln’étaitpasquestionpourelledemontersurunchevaletdeselanceràlapoursuite

deKronus.Maisrienn’empêchaitGreydefaireçaàsaplace.Iln’étaitcertespaspayépours’occuperdesoncheval.BeneficialLifene luiavaitpasversécet

acomptepour cela.Mais qu’est-cequi l’empêchait de lui demander cette faveur, hormis peut-être sonorgueil?Etsonorgueil,elleétaitprêteàlemettredecôtépourvoirKronussainetsauf.

—Vous,vouspourriezallerlechercher,suggéra-t-elledoucement.—Ouijepourrais,maisseulementsijenedevaispasm’occuperdevousd’abord.—Nevousoccupezpasdemoi.Jenecoursaucundanger.C’estluiquipourraitseretrouverblessé.

Et, ajouta-t-elle, pensant que cet argument pourrait le toucher, c’est un cheval d’une valeurexceptionnelle.

Elledisaitlavérité.Elledevaitàsonétalonl’ensembledesprofitsqu’elleavaitaccumulésl’annéeprécédente.Cen’étaitpaslaraisonpremièrequifaisaitqu’ellevoulaitqueGreyselanceàsapoursuite,évidemment.Ellevoulaitpar-dessustoutéviterquelechevalneseblessegravement.Peut-êtrequ’ilsecalmeraitaprèss’êtreépuiséàgaloper,etalors…

—Ilestdemaresponsabilitédefaireletravailpourlequelonm’apayé,ditGrey.—Çasignifiequevousvoulezquejevouspayepourramenerlecheval?demanda-t-elle.Jecrois

qu’onpeutarrangerça.Vousacceptezleschèques?Jecrainsdenepasavoirbeaucoupdeliquidesouslamain.Maisjen’auraipeut-êtrepasassezsurmoncompteenbanque.Çavamecoûtercombien,monsieurSellers,pourquevousalliezcherchermoncheval?

Ilyeutunsilencequiduraquelquessecondes,avantqu’ilnedéclare:—Çadoitêtredurd’êtreaussicynique.—Pascynique,expérimentéeplutôt.L’argentaparfoisuneinfluencequasimystiquesurlesgens.—Passurmoi,mademoiselleBeaufort,désolédevousdécevoir.Maintenant,plusvitenousserons

partis vous faire soigner, plus vite nous serons revenus, et je pourraime lancer sur la piste de votrecheval.

—Acemoment-làilserapeut-êtredéjàtroptard.—C’est àprendreouà laisser,dit-il, sebaissantpour ramasser sonStetsonnoir et l’épousseter

contresajambe.—J’auraisdûmedouterqu’unchevalnesignifiaitpasgrand-chosepourquelqu’uncommevous,

dit-elle,brusquementencolère.Ellenesavaitmêmepascequ’elleentendaitparlà,maisportercetteaccusationlasoulagea.Ellepartitendirectiondupré,boitanttoujoursfortementets’appuyantsurlaclôturepouravancer.

Sajambedevenaitplusraideetdouloureuseàchaquepas.—Vousavezsûrementlesmoyensdevouspayerunautrecheval,mademoiselleBeaufort,maispas

uneautrevie.Danscedomaine,noussommestouségaux.Ellesentaitlesarcasmepoindrederrièresespropos,commeellel’avaitsentilorsqu’illuiavaitdit

êtredésoléque lapoliced’assurancedesonpèrenesoitpasdecellesqu’onsoldaitd’une traite.Cesdeuxallusionssous-entendaient«espècederiche»tellementfortqu’iln’avaitpasbesoindeledire;Valavaiteudroitàcegenredesarcasmestoutesavie,dumoinsjusqu’àcequ’elleviennes’installerici,àl’abridescritiques.Furieuse,ellesetournaverslui.

—Pourvotregouverne,monsieurSellers,c’estàKronusquejedoisl’ensembledemesgainsdel’andernier,dit-elle.Maiscen’estpasqu’unequestiond’argent.L’argentn’estpastout,voussavez.

Elle regretta immédiatement cette dernière phrase.Tout comme la veille, elle ne parvenait pas àmesurersesproposquandelleétaitaveclui.Toutaufondd’elle-même,ellesavaitpourquoi,maispourlemoment,ellerefusaitd’affrontercepourquoi.

—Jeveuxallerexaminersastalle,alorspeut-êtrevaudrait-ilmieuxquevousveniezavecmoi,dit-ellesuruntonsarcastique,afindedissimulerlavéritableémotionquil’étreignait.SiparhasardlachosequiaeffrayéKronusyestencore,vousserezlàpourm’enprotéger.

***

Ilsnetrouvèrentriendanslastallequipuisseexpliquerlecomportementducheval.Greyn’enfutpassurpris.Sic’étaitunserpentouquelquechosecommeçaquiavaitfaitpeuràKronus, ilétaitpartidepuislongtemps.Maisilavaitlesentimentquel’étalonneseseraitpasmisdansuntelétat.Lechevalauraitpeut-êtreétéperturbé,maisilneseraitpasdevenufouàcepointunefoiséloignédudanger.

Ilexaminaitlaplanchebriséeparlechevallorsqu’ils’aperçutqueValerieétaitassiseparterredansl’enclos,ledosappuyécontrelaparoidebois,lesyeuxclos.Tandisqu’illaregardait,elleposalatêtesursongenoureplié.

Elle nebougeapas,mêmequand il vint se poster en faced’elle, et bienqu’elle ait certainemententendulebruitdesespas.

—Çava?demanda-t-il.Elle levala tête, lesyeuxgrandsouvertset trèssombres.Avait-elle lespupillesdilatées,oubien

était-celecontrasteavecsonvisagetrèspâlequileurdonnaitcetaspect?Oubienétait-cedûàunétatdechoc,àunecommotioncérébrale?L’entaillesursatempesaignaitencoreunpeu.Lesangcollaitàsescheveuxautourdelablessure,etsachemiseétaittâchéeàl’épaule.

—Jemesensunpeuétourdie,dit-elle,reposantlefrontsursongenou.

Elleavaitétendusajambevalide.—Venez,dit-il,luitendantlamain.Ellelevalesyeuxpourregardercettemain,sanslasaisir.Ellesecoualatêteensignededénégation

etreposalefrontsursongenou.—Ilfautquequelqu’unexaminecetteblessure.Ilsepeutquevousayezunecommotion,dit-il.—Jesuisseulementunpeuétourdie.—Raisondepluspour…—Jevousaidéjàditquejen’iraipasenvillepouruneégratignure,dit-elle,résistantàlatentation

defairecequ’ildisait.Illacontemplaencoreuninstant,réfléchissantàcequ’ilpouvaitfaire.Ils’yconnaissaitplutôtbien

pouradministrerlespremierssoins.Mêmesielleavaitunecommotion,unhôpitalneferaitquelagarderenobservationpourlanuit.Ça,ilpouvaittrèsbienlefairelui-même.

Mais passer la nuit à veiller sur Valerie Beaufort n’était pas exactement une perspective quil’enchantait.Chaquefoisqu’illaregardait,ilsentaitsonestomacsenouer,sanscomprendrepourquoi.

Celavenaitpeut-êtredelavulnérabilitéquiémanaitd’elle,desonapparencedepetitefilleperdue.Oualorselleavaitvujuste,c’étaitparcequ’elleboitait,mêmesil’idéeneluiplaisaitpasplusàluiqu’àelle.Cequ’ilsavaitenrevanche,c’étaitquel’inquiétudedelavoirblesséeouendangeravaitprisuntourbeaucouppluspersonnelqueprofessionnel.

—Soitvousmarchez,soitjevousporte,dit-ilsèchement.Avousdevoir.Ellelevaimmédiatementlesyeux,d’abordsurprisequ’iloseluiparlerainsi,ensuiteempreintede

défi.Carilétaitprêtàfairecequ’ilvenaitdedire,etquelquechosedanssonregardousavoixdutleluifairecomprendre.Ellepinçaleslèvres,maissoutenantsonregard,ellefinitparluitendrelamain.

Ilsentitdenouveauunfrissond’émotionincongruluititillerl’estomaclorsqu’ilserrasamainautourdelasienne.Peut-êtreparcequ’ildevaitlaprotégeretquesavieavaitétéendangercematinmême.Oubien, pensa-t-il amèrement, parce qu’il savait qu’il n’était plus assez fort pour gérer ce type deresponsabilitéavecaplombetsang-froid.

3

—Alorsont’yprendàtetaperlatêtecontreunmurdebriques,hein?demandaHalleyBurgessensouriant.

Sesgrosdoigtstravaillaientdoucement,tandisqu’ilnettoyaitlesangcoagulésurl’entaille.Mêmes’ils’étaitmontrébrusque,Valn’auraitsûrementpassentigrand-chose,tantsamigraineétaitforte.

Grey l’avait conduite jusqu’ici, et chaque fois qu’il était passédansuneornière, ç’avait eupoureffetd’accentuer ladouleur.Aprèsqu’il luieut fait comprendrequ’il l’emmèneraitdegréoude forcechezunmédecin,ellen’avaitpluscherchéàdiscuter.ElleluiavaitdonnélesclésdesajeepetindiquéladirectiondelacliniqueoùexerçaitHalley,danslesenvironsdeRainsville.

Halleyétait sonmédecindepuis son installationau ranch,dixansauparavant,mais lenombredevisitesqu’elleluiavaitrenduespouvaientsecomptersurlesdoigtsd’unemain.Endépitdesonaspectfrêleetdesonhandicap,elleavaitunesantédefer.

—Contreunpiquetdebarrière,enfait,dit-elle.Elleétaitassiseauboutdelatabled’examen,contenteden’avoirpaseuàs’allonger.Assise,elle

sesentaitmoinsinvalide—etbeaucoupmoinsstupide.—Commentest-cearrivé?demandaHalley.—L’étalonquej’aiachetéàKirbyGillsestdevenucomplètementfoucematin.Ilm’arenversée,et

entombant,jemesuiscognélatêtecontrelabarrière.—Ilestdevenufou?repritHalley.—Ils’est…affolé,sansraison.Ilétaitcomplètementeffrayé.Jenesaistoujourspaspourquoi.Halley ne répondit rien. Il avait suffisamment nettoyé la plaie pour pouvoir l’examiner ; il se

retournaetjetaletampondegazetâchédesang.Valerietournadoucementlatêteetleregarda.—Alors,quelestvotreverdict?Vais-jesurvivre?—J’ycomptebien,maistonamiavaitraison.Ilvafalloirquelquespointsdesuture,carlapeauest

fragileàcetendroit.Quatreoucinqdevraientfairel’affaire.Aprèstuserascommeneuve.—Pasdecommotion?demanda-t-elle.—Tesyeuxontl’airnormaux.Tuasmalàlatête?Valhésitaàrépondre.Elleétaithabituéeàvivreavecsesmauxetdouleurs,etdétestaitseplaindre.

Maisilauraitétéstupidedenepastoutdireaumédecin.Ellen’étaitpasvenuedesapropreinitiative,etGreydemanderaitcertainementsiellesouffraitd’un

traumatismecrânien.C’estpourquoielleavaitposélaquestion.Etpuis,lorsqu’onsubitunchocàlatête,ilyatoujoursunrisqued’hémorragieinterne—etellesouhaitaitl’éviter.

— J’ai l’impression d’avoir un forgeron qui tape à l’intérieur de mon crâne, lui dit-elle avecsincérité.

—Jepeuxtedonnerquelquechosecontrelamigraine.Çafaitunpeusomnoler,maiscen’estpasgrave,vuquetuneconduispas.Cetypequit’aamenée,c’estunnouvelemployé?

Il laquittadesyeuxet leva lessourcils,unsigneà l’intentionde l’infirmièrequi l’assistaitet setenait de l’autre côté de la table d’examen. Halley devait signaler par là qu’il était prêt à pratiquerl’anesthésie localepourdévitaliser lazoneautourde lablessureavantde recoudre.Uneseulepiqûre,plutôtqueplusieurs.

—Oubienquelqu’und’autre?repritlemédecin,laregardantdenouveau,tandisquel’infirmièresedéplaçaitdanslapièce.

—Oui,quelqu’und’autre.—Unpetitami?—Oh,docteur,pitié,dit-elled’untonmoqueurpourcoupercourtàsesallusions.—Niunemployéduranch,nitonpetitami!Alors,Valerie,oncachequelquechoseàsonbonvieux

DrBurgess?—Jedevraispeut-être.Lavéritéestunpeutiréeparlescheveux.Enfait,c’estmêmefranchement

ridicule,etjen’aipasenviededevenirlariséedelarégion.L’infirmièretendituninstrumentàHalleydansledosdeVal,quineputs’empêcherdesouriretant

lamanœuvreétaitvisible.—J’aimeraisbienentendrecetteplaisanterie,ditHalleyenpréparantlaseringue.Lapiqûrelafitgrimacer.EllenesavaitpassiHalleyétaitvexéouintrigué.Peuimportait.Detoute

façon,ilarriveraitàsesfins:luifairedirelavérité.—C’estmongardeducorps.Halleymarquauninstantd’hésitation,lesmainsensuspensau-dessusdelatempedeValerie.—Tuasditton…gardeducorps?Elle voulut acquiescer de la tête mais le médecin lui avait déjà maintenu le visage en position

adéquate.Ilpiquaàl’autreextrémitédelablessure.L’anesthésiedevaitdéjàfaireeffetcarcefutmoinspénible.

— Vous voyez que c’est ridicule, dit-elle. Tout ça à cause d’une police d’assurances qu’unecompagnie a souscrite avec papa. En tant qu’héritière de ses parts d’Av-Tech, j’ai aussi hérité de lapoliced’assurances.Etlestermesducontratexigentquej’aieunsystèmedesécuritéauranch.Or,commejen’enaipas,lacompagnieaenvoyéquelqu’unpourmeprotégerjusqu’àl’installationduditsystème.

—Ehbien,ilal’aird’avoirlacarrurepourassurertouttypedeprotection,ditHalley.Ungardeducorps,hein?

Ellesurpritunpetitriretandisqu’ilprenaitl’aiguilleàsuturequel’infirmièreluitendait.Letempsquel’anesthésiefassecomplètementeffet,elledevraittoutraconteràHalley.

—S’ilestcenséteprotéger,commentsefait-ilqu’ilaitlaissécechevalterenverser?—C’estluiquim’asortiededessouslecheval,réponditValerie.Ellemarqua une hésitation, sachant que ce qu’elle allait dire était la vérité,même si ça lui était

pénibledel’avouer.—Enfait,s’iln’avaitpasétélà,j’auraispuêtregravementblessée.—Est-ceàcetteoccasionquetut’esdenouveaufaitmalaugenou?demandaHalley.Reconnaissante envers le médecin qui n’avait pas fait de commentaire sur sa claudication plus

forte—sa jambes’était raidiedemanièrespectaculaireaucoursdu trajet,à telpointquesortirde lajeeps’étaitrévéléunevéritableépreuve—ellerepensaaufaitqu’elleavaitdûaccepterlamaintenduedeGrey,ets’appuyersursonbraspourallerjusqu’aucabinet.

Elleavaitencorelesouvenirducontactdesesmainssursapeau.Desmainsdetravailleur,fermesetrugueuses.

—J’aidûme fairemalaugenouen tombant,dit-elleaumédecin. Il s’estpeut-être tordudans lachute.Honnêtement,touts’estpassésivitequejenem’ensouviensplus.

—Jevaisyjeterunœilaussi.—Mercidocteur,maisjepeuxvousassurerquejesaisdéjàtoutcequejedoisfairepourprendre

soindemajambe,assura-t-elle.Asoninsu,sesproposs’étaientteintésd’amertume.Elles’étaitdéchirélegenoudansunaccidentde

chevalquandelleavaittreizeans.Impossibledes’ensortirsansdommageslorsqu’unchevalaussigrandqueKronusavaitécraséson

genoudetoutsonpoids.Nonseulementsesoss’étaientbrisés,maislesligamentsetlesnerfsavaientététouchés.Mêmelesmeilleursorthopédistess’étaientmontrésimpuissantsfaceàl’ampleurdesdégâts.

Pour reconstruire son genou, elle avait subi plusieurs opérations qui n’avaient apporté que desaméliorationsminimes.Etmalgrél’insistancedesonpère,elleavaitfiniparsecontenterdesonétat.

Çafaisaitvingtansqu’ellevivaitavecunejambediminuée.Ellesesavaitchanceused’avoirgardéautantdemobilité.Çanel’empêchaitpasdemonteràcheval,etd’habitudeellenesepréoccupaitguèredeslimitesquesongenouluiimposait.D’habitude.

—Amon avis, prendre soin de ta jambe signifie rester allongée quelques jours, déclaraHalley.Penses-tuquetongardeducorpssoitcapabledes’occuperdetesbêtes?

—Jeneluiaipasposélaquestion.—On va te trouver une paire de béquilles et aller lui en parler. S’il n’en est pas capable, on

essaieradedénicherquelqu’unquipuisset’aiderpendantunmoment.Ilmesemblequetun’espasàcourtd’argent,alorsautantl’utiliserpourdel’aidequandtuenasbesoin.

Valnediscutapas.Trouverdel’aiden’étaitpasleproblème.Pourelle,aujourd’huicommehier,leplusdurétaitd’admettreenavoirbesoin.

Une foisqu’il eut terminé lespointsde suture,Halley insistapour l’aider à choisir unepairedebéquilles adaptées— des béquilles qu’il gardait de côté pour ses patients qui en avaient besoin demanière temporaire,déclara-t-il.Valenavaitunepaireauranch,quidevaitse trouverdans l’écurieetqu’elle n’avait pas utilisée depuis des années. La dernière fois qu’elle s’en était servie, c’étaitlorsqu’elles’étaittordulegenouensautantlepetitruisseauquitraversaitsapropriété.

—Qu’est-ce que tu sais de ce prétendu garde du corps, au juste ? demandaHalley, alors qu’ilréglaitlahauteurdelasecondebéquille.

— Pas grand-chose, admit-elle. La compagnie d’assurance l’a engagé jusqu’à ce que je trouvequelqu’unpourm’installerun systèmede sécurité.Oubien jusqu’àceque jeme soisdébarrasséedespartsdelasociétéquejedétiens,ajouta-t-elledansunsouffle,mêmesicetteallusionétaitstupide.Elleétait P.-D.G. de la société, et le sens des responsabilités était quelque chose que son père lui avaitinculqué.

Halleylevalatête.—Tuvasvendretespartsd’Av-Tech?releva-t-il,visiblementsceptique.—Jenepeuxpasvraimentfaireçacomptetenudesstatuts,maismescompétencesenmatièrede

directiond’unesociétécommecelle-làsontpourainsidirenulles,réponditValenhaussantlesépaules.—Bien,faisquelquespas,ditHalley,revenantàsonmétier.Voyonscommenttut’ensors.Vals’exécuta,faisantunaller-retourdanslapièce,heureusedechangerdesujet.Sedéplaceravec

desbéquillesn’étaitpasunsoucipourelle.C’étaitcommefaireduvélo,quelquechosequ’onn’oubliejamais.

—Tupeuxengagerquelqu’unpourdirigerlasociétéàtaplace,suggéraHalley,quiobservaitsesdéplacements.

—Noussommesàlarecherched’unconseillerendirectiond’entreprise,justement.—Qu’enpensentlesautres?Jeveuxdirelesassociésdetonpère?—Ilssonttousaussivieuxquelui,sinonplus.Plusvieuxqu’ilnel’était,corrigea-t-elle.Lamortdesonpèreétaitencoretroprécentepoursemblerréelle.Auranch,elleavaitfaitcommesi

de rienn’était, sonpère et sa nouvelle épousevivant leur propre vie àBoulder.Et au lieu de cela…Aprèsuninstant,ellerepritd’untonferme.

—Amaconnaissance,aucund’euxnesongeàdirigerlasociété.Oun’enestcapable.Jecroisqueje leur dois, à eux et à papa, de faire en sorte que la direction de la société arrive entre desmainscompétentes.D’autantplusqu’Av-Techemploiebeaucoupdemonde.

— Toujours beaucoup de travail dans le domaine de la défense ? Des contrats avec legouvernement?

—Enmajoritédansledomainedessystèmesdeguidagedesatellites.—Onaarrêtéd’envoyerdesbombessurlatêtedesgenspourlesabreuverdesitcoms.Jenesais

pascequiestlepiredesdeux,réponditHalleyenluisouriant.Valéclataderire.—Moinonplus.Lemédecinsemblaitensavoirautantqu’ellesurAv-Tech,c’est-à-direpasgrand-chose.Elleavait

faitlechoixdesetenirloindesactivitésdesonpèreetdesessuccès,etcedepuislongtemps.Presquedixans,sedit-elle,unpeusurprisedeserendrecomptedutempsécoulé.

—J’aigarélajeepdevantlaporte.Valse retourna tropviteausondecettevoixetdut faireunpetitpasdecôtépournepasperdre

l’équilibre.GreySellerssetenaitprèsdel’infirmière,àl’entréedelasalled’examen.Dessituationscommecelle-cinepouvaientseproduirequedansunepetitecliniquedecampagne,et

çane luiplaisaitpas.LaprésencedeGreydanscettepièce—quiun instantplus tôt luiavait sembléparfaitementintimeetsûre—ladéconcerta.

Halleyseredressaenpoussantungrognementd’effortexagéré.—HalleyBurgess,seprésenta-t-ilentendantlamain.—GreySellers.—J’aiapprisquevousétiezlegardeducorpsdeValerie,ditlemédecind’unevoixamusée.Greylançaunrapideregardàlajeunefemme,puisaumédecin.Ilavaitàcoupsûrcomprisquesice

dernierprenaitçaà laplaisanterie,c’estqueValenavait faitdemême.Elleavaitdûsemoquerde lasituation,voiredelui.

—Pourlemoment,répondit-ilsèchement.—C’estcequeValm’adit.Vousvousyconnaissezunpeuenchevaux?—Pasmalmême,ditGreyenreportantsonregardsurValerie.Celle-ciregrettaqu’Halleynesesoitpasmontréplusdiscret,mêmes’ilnepouvaitsavoiràquel

pointlesrelationsentreelleetson«gardeducorps»étaienttendues.Maistoutdemême,sonattituden’arrangeaitrien.

—Valauraitbesoindequelqu’unpourprendresoindesesbêtespendantsaconvalescence.Peut-êtrepourriez-vousl’aider,étantdonnéquevoushabitezdéjàsurplace.

—Jepeuxlefaire,oui,ditGrey.—Etaussi vousoccuperdeVal?Parceque jeveuxqu’elle resteallongéequelques jours.Vous

avezmapermissionpourl’attachersinécessaire.IlyeutunpetitmomentdesilencegênédurantlequelGreynelaregardapas.—Jepeuxfairelesdeux,pasdeproblème,finit-ilpardire.Valsedemandasielleavaitétélaseuleàremarquerletempsqu’illuiavaitfallupourdonnerson

accord.Ellen’avaitpasaiméqu’Halley formulecette requête, et çan’avaitpasdûplairedavantageà

Grey. D’emblée, une certaine animosité s’était installée entre eux, et maintenant voilà qu’Halley luidemandaitdejouerlesgardes-malades.

—Çaneserapaslapeine,dit-elleenregardantGrey,etconscientequ’elleemployaituntonsec.Ilyapleindegensdanslesenvironsquicherchentdutravail.NousironsconsulterlesannonceschezHank.

—JemedisaissimplementquelesemployeursdeM.Sellersrisquaientdenepasapprécierqu’unétranger vive au ranch en ce moment. On n’est jamais trop prudent de nos jours. Est-ce que je metrompe?demandaHalleyàGrey.

—Jesuispersuadéqu’onpeutsedébrouillerseulspendantunjouroudeux,ditGrey,sansrépondredirectementàHalley.

«Onestjamaistropprudentdenosjours.»CesmotsrésonnèrentdanslatêtedeVal.GreySellersétait lui aussiunétranger, après tout.Halleyétait en traind’arranger les chosesafinqu’ilprenne soind’elle,maisiln’avaitpasétéengagépourcelaaudépart.Etellenesavaittoujoursriendelui.

Certes, ilavaitprésentédespapiersenbonneetdue forme,maisquesavait-ellevraiment de cethomme?Cematinmême, elle avait l’intentiond’appelerBeneficialLife, ainsique JoeWallace,maisKronusavaitbouleversésesprojets.

Illuifallaitabsolumentpassercescoupsdefil.Laveille,elles’étaitretrouvéecoincéeavecGreysousprétextequesonvéhiculenedémarraitpas.D’unautrecôté,s’ilnes’étaitpastrouvélà,leschosesauraientputrèsmaltourner.

Çanesignifiaitpasqu’elledevait feindred’ignorer lesdangerspotentielsque représentait le faitd’hébergerunétranger.Mêmesisoninterventiondecematinavait,pouruntemps,calmésessoupçons.

—Eneffet,jevousencroiscapable,commentaHalley.Letondesavoixlaissaitpenserqu’ilenétaiteffectivementconvaincu.—Appelle-moi,Val, si jamais lesmédicaments ne calment pas tesmaux de tête, ou si d’autres

symptômesapparaissent,ajouta-t-il.Etnet’appuiepassurtajambe.Quoiquetuaiesàfairecheztoi,çapeutattendreunjouroudeux.

—J’aipourhabitudedenourrirmeschevauxàintervallesréguliers.—AlorslaisseM.Sellerss’enoccuper.Hormispourtesortirdetempsentempsdespattesdecet

étalonexcité,tun’aspasbesoind’uneprotectionrapprochéeàchaqueinstant,àmonavis,ditHalleyensouriant.Qu’est-cequiapuprovoquerl’affolementducheval,selonvous,monsieurSellers?

La question d’Halley avait été posée sur un ton totalement désinvolte, comme s’il cherchaituniquementàfairelaconversation.Enrevanche,Valétaitvivementintéresséeparl’opiniondeGrey,etellesedemandapourquoielleneluiavaitpasposéelle-mêmelaquestionavant.

«Parcequ’ilm’avaittraitéedepetitefilleriche,etquejenel’avaispasdigéré»,songea-t-elle.Enréalité,ilneluiavaitpasdirectementtenucepropos.C’estcequ’elleavaitludansletondesavoix.

—S’il ne s’était pas trouvé dans sa stalle quand ça a commencé, j’aurais dit qu’il avait ingéréquelquechose,ditGrey.

—Ingéré?Quelquechosecommedesmauvaisesherbes,vousvoulezdire?—Peut-être,ditGreyenhaussantlesépaules.—Saufqu’ilétaitbiendanssastalle,intervintVal.—Peut-êtrequelachaleurafaitfermentersonavoine,suggéraHalley,unpeumoqueur.—Oubienc’estjusteunétalonquiaprispeur.Ilsuffitparfoisdepeudechoses,ditGrey.— Je suis sûr que vous finirez par trouver, dit Halley. Prenez bien soin de notre Val,monsieur

Sellers.Elleabesoindeserefaireunpeu.Empêchez-ladesemettredebout,etfaitesensortequ’ilneluiarriverien,vousm’avezbiencompris?

—C’estpourçaqu’onmepaye,ditGrey.Cettefois-ci,illaregarda,etilyavaitcommeunairdedéfidanssesyeuxgris.

***

—Iln’apasparléd’uneordonnanceàallerchercher?demandaGreyenremontantdanslajeep.Suiteàl’insistancedeVal,ils’étaitarrêtépourconsulterlesannonceschezHank.Elleétaitrestée

danslavoiture,maiselleavaitquandmêmepuvoirqu’iln’yavaitquequelquesfeuillescolléessurlepanneaudeliège.EtGreyluiavaitditqu’aucuneneconcernaitunedemanded’emploi.

L’ordonnanced’Halleyétaitdanslapochedesonchemisier,maisellen’avaitpasl’intentiond’allerchercherlesmédicamentsprescrits.Elleprendraitdeuxaspirinesenrentrant.Ellerefusaitd’avalerquoique ce soit de plus fort depuis longtemps. Elle en avait assez de combattre la douleur à coups demédicaments.

—J’aidéjàtoutcequ’ilfautàlamaison,mentit-elle.Greyacquiesçaetdémarra. Ils roulèrentunmomentensilence.Auboutdequelquesminutes,Val

ferma les yeux pour apaiser son mal de tête, se demandant si son entêtement à ne pas vouloir allerchercher ces cachets n’était pas une erreur. Se soigner après une blessure, ce n’était pas comme êtredépendantedesmédicaments,cequiavaitétésoncasaprèssonaccident.

—Çava?demandaGrey.—Jevaisbien,dit-ellesuruntonferme.Ilavaitquitté laroutedesyeuxpourlaregarder,maisellenetournapasla tête.Par lavitre,elle

regardaitdéfilerlepaysage.Greyroulaitplusvitequ’elle,donnantl’impressiond’avoirpratiquétoutesaviecesroutesétroites

etsinueuses.Sonstyledeconduiteétaitàl’imagedureste.Depuisqu’ellel’avaitrencontré,ellel’avaitvuréalisertoutcequ’ilentreprenaitavecuneaisancenaturelleetbeaucoupdeconfianceenlui.

Etait-ce un ancien flic ? Ou un militaire ? Quelque chose en lui le suggérait. Puisqu’ils étaientcoincés ensemble pendant deux heures dans cette voiture, c’était lemoment idéal pour chercher à ensavoirplussurlui,sedit-elle.Ensuite,ellepourraitvérifiersesdires.Celaéviteraitparailleursquelaconversationenvienneàs’attardersurelle,sasantéousessentiments.

—Alors,commentêtes-vousdevenugardeducorps?demanda-t-elle,lesyeuxtoujoursfixéssurlepaysage.

Ilneréponditpastoutdesuite,sibienqu’àcontrecœur,ellefinitpartournerlatête.Ellelevoyaitdeprofil.Sesyeuxregardaientlaroute,etseslèvresétaientserrées.

Grey,luinonplus,n’aimaitvisiblementpasparlerdelui.—Jetiensuncabinetd’investigationsàDeFarge,dit-il.Elleattendit,maisiln’ajoutariendeplus.— Un cabinet d’investigations ? Et sur quoi enquêtez-vous ? Je veux dire, vous faites quoi

exactement?—Principalementdes filatures.Des enquêtes surdepossibles arnaques auxassurancespourdes

compagnies situées hors des frontières, qui ont des doutes sur certaines déclarations faites par desrésidentsdel’Etat.

BeneficialLifeavaitdû trouversonnomparcebiais, songeaValerie. Ilétaitde la région,autantqu’onpeutl’êtredansceszonesisolées,etileffectuaitd’autresmissionspoureux.Toutçaétaitlogique.

—Vousnevousvoyezpasconfierdemissionsdeprotectionrapprochéeentempsnormal?chercha-t-elleàsavoir.

Seslèvressecrispèrentdavantageencore.—D’habitude,non,eneffet,avoua-t-il.—Etvoscompétencesvousrendentqualifiépourcegenredetravail?Lesilencequisuivitétaitchargéde tension.Ilnedevaitpasapprécierqu’ellemetteendouteses

compétences.Oualorsilnel’aimaitpas,elle.

Elleavaitcependantledroitd’ensavoirplussursescapacités,mêmesiellenedoutaitpasdesoncourage:ilenavaitfaitpreuvelematinmême.

—Jeveuxdireparlà,est-cequevousaveztravaillédansunorganismequelconquedemaintiendelaloi?demanda-t-ellepournepaslaissers’installerunsilencepesant.LeFBI?Lesservicessecrets?

Ellelâchamalgréellecettequestionsuruntonmoqueur.—IldoitbienyavoiruneraisonpourqueBeneficialLifeaitfaitappelàvous,monsieurSellers.

Autrequelefaitquevoussoyezinstallédanslesecteur.Elle lefixa. Il finitpar lui jeterunregardrapide,car ildevait regarder laroute.Maiselleeut le

tempsd’ypercevoirdelacolère.—C’estpeut-êtreparcequ’ilsmeconsidèrentcompétent, suggéra-t-ildoucement.Sivousavezà

vous plaindre de quelque chose, voyez avecBeneficial Life,mademoiselleBeaufort. Ce sont eux quim’ontengagé.Maisc’estvraiqu’ilsne l’ontpas fait seulementparceque jevisdans la région.Alorspourquoineleurdemandez-vouspasdirectement?

—J’enaibienl’intention,croyez-moi,monsieurSellers.Satisfaite des renseignements qu’elle avait glanés, elle feignit de s’intéresser de nouveau au

paysage.Commeilsentraientdanslacour,ilsaperçurentKronus,têtebassedanslecorral.—Dieumerci,ditValerieensoupirantdesoulagement.Greysavaitqu’ellevoudraitimmédiatements’assurerquel’étalonn’étaitpasblessé.Ilnepouvaitle

luireprocher,carill’auraitfaitspontanément.Lajeunefemmeavaitdétachésaceintureetouvertlaportièreavantmêmel’arrêtcompletdelajeep.

Pourluiéviterdeparcourirunedistancetropgrandesursesbéquilles,ils’étaitgaréleplusprèspossibledesmarchesdel’entrée.Pouravoirdéjàeulepiedcassé,ilsavaitcombienilétaitpénibledemarcheraveccesinstrumentsdetorture.

Elles’appuyadelamaingauchesurlecapotdelajeepetsedirigearésolumentverslecorral.Greyouvritlaportièrearrièreetsortitlesbéquillesposéessurlabanquette,puispassadel’autrecôtédelavoiturepourlesluiapporter.

—Tenez,dit-il.Il se doutait qu’elle ne l’écouterait pas s’il lui conseillait d’entrer d’abord dans lamaison. Elle

détachasesyeuxduchevaletleregarda,commesielleavaitoubliésaprésence,toutcommeelleavaitapparemmentoubliél’existencedesbéquilles.Ellelescontempla,puisleregardadenouveau.

—Merci,dit-elled’unairabsent.Ellelespritetlesajustaens’appuyantsurlajeep.Puiselleavançaendirectiondel’enclos.Elle

s’arrêtaàlabarrière,regardantlechevalépuisépar-dessuslaclôture.—Alorsmonbeau,appela-t-elledoucement.Lechevalnelevapaslatête,pasmêmelorsqu’ellesifflaunpetitairpourattirersonattention.Les

oreillesde l’étalonne frémirentmêmepas.Grey se tenait à sescôtés.Elle le regarda, sesyeuxbrunspleinsd’inquiétude.

—Ilestépuisé,ditGrey.Rienneditqu’ilestblessé.Elle acquiesça, désireuse de le croire, puis passa derrière lui et contourna la barrière restée

ouverte.Greylasuivit,observantlemouvementharmonieuxdesmusclesdesondos,desesfessesetdesescuissesquiluipermettaientd’avanceravecaisance.L’aisancedequelqu’unhabituéàmarcheravecdesbéquilles.

Une foisencore il sentituneémotion l’étreindre.CedevaitêtrenormaldesedemanderpourquoiValerieBeaufortboitait,aprèstout.Iln’avaitpaspourhabitudedemettresonnezdanslesaffairesdesautres,mais dans ce cas précis, il était curieux de savoir.Bien sûr, il était hors de question qu’il lui

demandedirectementcequiluiétaitarrivé.Siellevoulaitqu’ilfassecommes’iln’avaitpasremarquésonhandicap,alorspoursûr,ils’yemploierait.

Ellearrivaàhauteurduchevalet,libérantsamaingauche,luicaressaledos.Lechevalneréagitpas, il y eut à peine un frémissement sur sa peau.Valerie saisit les béquilles de lamain droite, plialentementlegenoudesajambevalide,sebaissaetposalesbéquillesausol.

Elletenditalorslamainpoursaisirlabride:lechevalfitunpasdecôtéavecdifficulté.Lajeunefemme s’immobilisa. Puis ignorant la corde qui se balançait, elle allongea le bras et commença àinspecter la jambe avant à sa portée, passant sa main le long de celle-ci, afin d’y déceler une zonechaude,enflée,ouuneécorchure.

Greysedisaitqu’ilyréfléchiraitàdeuxfoisavantdesebaissersouscecheval,comptetenudesoncomportementdumatin.Maisl’animalparaissaittropépuisépourbougerousemontrermenaçant.

Tandisqu’illaregardaitfaire,Valerietentadesaisirlajambearrièreduchevalpourenexaminerlesabot.L’animalreculaetValtombasurlesfessesdanslapoussièreducorral.Greyl’entendithaleter.Lesoln’étantpasassezdurnisachuteassezlourdepourqu’ellesesoitfaitmal, ilcompritquesajambeblesséel’avaitfaitsouffrir.

Ilseretenaitd’entrerdanslecorralpourl’aideràserelever.Carsesparolesdelaveilleavaientétéexplicites:«Si j’aibesoindevotreaide, jevousleferaisavoir.Si jenedemanderien,vousmefichezlapaix,monsieurSellers.»

Ilserésolutdoncàseplieràcetterègle.Pourtant,illuiétaitpéniblederestersansrienfaire.Elles’avançaenposantlesmainsàplat,appuyéesursajambevalide.Elletenditencoreunefoisla

mainendirectionducheval.Cettefois,l’étalonsedérobaets’éloigna.AssezloinpourqueValnepuissepasl’atteindre,comprit

Grey. Il regardait la scène avec une vive attention et ne s’était pas rendu compte qu’il avait posé lesmainssurlaclôture.Illaserraitsifortqu’ilsentitdeséchardespénétrersapeau.Ilseforçaàdesserrersonétreinte.

Çaluiprendraittrentesecondespourdécelersilechevalétaitblesséounon,carilsesavaitaussicompétent que Valerie Beaufort. « Si je ne vous demande rien, vous me fichez la paix, monsieurSellers»,serépéta-t-il.Justement,elleneluidemandaitrien.

Au lieu de ça, elle se remit debout en ramassant les béquilles et, toujours en équilibre sur unejambe, les ajusta sous ses bras. Elle s’avança vers le cheval qui se tenait tête basse, sa robe noirefrémissant.

Toutenchantonnantd’unevoixdouceetcajoleuse,ellesebaissaenpliantsajambevalide,posadenouveaulesbéquillesettenditlebraspourattraperlabride.

Lecheval réitéraunpasdecôté, s’éloignapuiss’arrêta.Onpouvait se rendrecomptenéanmoinsqu’ilprenaitappuisursajambeavantgauche.

UnefoisencoreValerieramassasesbéquillesetseleva.Greyavaitl’estomacnoué.Depeurpourelle,decolère,defrustration,oubienunpeudestrois,iln’auraitsudire.

Peut-êtreressentait-ilbienmalgréluidel’admirationpourlajeunefemme?ValerieBeaufortétaitpeut-être bornée et sacrément orgueilleuse,mais elle avait du courage. Il devait bien l’admettre. Il ensavaitlongsurlesgensquiavaientducourageetsurceuxquin’enavaientpas.

Une fois de plus, Valerie s’approcha du cheval. Il avait un peu levé la tête et la regardait. Dèsqu’elles’approchaitdelui,avecsesbéquillesquigrinçaient, ilsedéplaçait, laissanttoujourslamêmedistanceentreeuxdeux,neluipermettantjamaisderegarder,moinsencoredetoucher,sajambeblessée.

—Etmerde,finit-ellepardire,aprèsl’avoirvainementpoursuivi.Elle avait continué de parler au cheval avec douceur et patience, tout en tentant de l’approcher.

Cettesoudaineexclamationtranchaitavecceton,etexprimaitsondépit.

Elles’arrêtaaumilieudel’enclos,comprenantqu’ellenegagneraitpaslabataille.Greys’agrippaittoujoursàlaclôture,serrantpuisrelâchantsonétreinte,suivantlesprogrèsdesaproprefrustration.

Elle se tourna vers lui. Grey croisa son regard, s’efforçant de dissimuler les émotionscontradictoires qui l’avaient étreint. Elle détourna les yeux, les posant brièvement sur l’étalon.Aprèsquelquessecondes,sautillantsurunejambe,ellefitfaceàGrey.

—Croyez-vousquevouspourriez examiner sa jambe?Etpeut-être le ramenerdans l’écurie. Jeseraisplusrassuréedelesavoirlà-bas.

Ilsavaitcombiencettedemanded’aidecoûtaitàValerie.Ilpouvaitleliredanssesyeux,danssonmaintien.Etsursabouchecrispée.

«Sijenedemanderien,monsieurSellers,vousmefichezlapaix.»Comptetenudelavoléedeboisvertqu’ilavaitreçuelorsqu’ilavaitvoulul’aider,ilauraitdûressentirdelasatisfaction.Célébrersacapitulation.

Maisilnesesentaitpaslecœuràlafête.Ilétait impossibledetriompherenvoyantcettefemmeréduiteàuneimpuissancequ’elledétestait,illecomprenaitd’instinct.Lui-mêmeauraitdétestéça.Loinde se réjouir de cette défaite, tout ce qu’il voulait était la prendre dans ses bras, l’emmener dans lamaisonetlamettreaulit.

Cettedernièrepenséerésonnadanssatête.D’habitude,lorsqueGreySellersassociaitl’idéed’unefemmeàunlit, letermeappropriéétaitplutôt«lacoucherdanssonlit».Ladifférencedeconnotationaveccequ’ilressentaitencemomentprécisétaitimportante.

Toutàcoup,ilsedemandacequ’ellevaudraitaulit.Est-cequesontempéramentderoussefièreetbornées’exprimerait?Etdanscecas…

Danscecas,sedit-ilavecdégoût,ilneseraitpasl’hommequipourraitrépondreàcettequestion.Ilétaitlàpouraccomplirunemission.Etiln’avaitpasbesoindanssaviedescomplicationsqu’apporteraitunefemmecommeValerieBeaufort.

Iln’avaitpasbesoindequelquecomplicationquecesoit,d’ailleurs.C’estpourquoiilétaitlàoùilse trouvaitquand JoeWallaceétaitvenu le solliciterpourceboulot.Etoù il se trouverait encore s’iln’avaitpasagicommeunidiot,àreboursdesoninstinct,etacceptécettemission.

—MonsieurSellers?insista-t-elle.—Jeserairavid’examinervotrecheval,répondit-il.Illâchalaclôture,etremarquaquesesmainsétaientdouloureusestantil l’avaitserrée.Puisilse

dirigea vers la barrière ouverte. Il savait que Valerie ne le regardait pas : son regard était fixé surl’étalon.

Ellen’avaitsollicitésonaidequepour lecheval.Pourelle-même,biende l’eauauraitpucoulersouslespontsavantqu’elleneformuleunedemande.Greylesavait,etpourlapremièrefoisdepuisledébutdecetaffrontementd’egosetdepersonnalités,ildesserraleslèvres.

«Vousavezducourage,petitedemoiselle.Jedoisbienl’admettre»,pensa-t-il.Ilaffichaunpetitsourire admiratif. C’est vrai qu’il était allé à bonne école pour savoir combien cette qualité étaitimportante.Etcombienelleétaitrare.

4

—S-e-l-l-e-r-s,épelalentementValautéléphone.Prénom:Grey.Jenesaispassiças’écritavecuna ouune,mais commece n’est pas très courant, il ne peut y en avoir qu’un.Attends une secondeAutry,dit-elle,serappelantqu’elleavaitpeut-êtrelenomdeGreymarquéquelquepart.

Elle tendit lamain au-dessusde la table situéeprèsdu fauteuil où elle s’était effondréeune foisdéshabillée.LepaquetdedocumentsqueGreyavaitprésentéàsonarrivéeauranchétaitposélà,presquehorsdesaportée.

Elleparvinttoutefoisàletirerjusqu’àelle,enprenantsoindenepasbougersajambeblessée.Elleleposaenéquilibreà l’aidededeuxoreillersempiléssur lachaisecapitonnéed’ottoman.Ladouleurétait supportable si elle restait tranquille. Bouger, plier le genou ou s’appuyer dessus était une autreaffaire.

—J’aidesdocumentsdeBeneficialLifesouslamain…,dit-elledanslecombiné,enfaisantdéfilerlesfeuillesdupouce.PasdementiondeGreySellers.Çaneconcernaitquelestermesducontrat.Non,désolée.Jen’aipassonnomécrit.Tucroisqueçasignifiequecetypementendisantquec’estBeneficialquil’aenvoyé?

Autry Carmichael, qui était un peu plus jeune que les fondateurs d’Av-Tech, était le chef de lasécuritédel’entreprise.IlavaitservienCoréesouslesordresdupèredeVal.Aprèslaguerre,ilétaittropjeuneetsanslesoupourinvestirdanslasociétéd’aviationnaissante—c’estdumoinslaversionqu’ildonnaitquandonluiposait laquestion—etnecomptaitdoncpasparmilesassociésfondateurs.MaispourValeriecommepoursonpère,Autryavaittoujoursfaitpartied’Av-Techaumêmetitrequelesautres.

—Non,cesontbieneuxqui l’ontenvoyé,précisa-t-elle. J’aiappelé lacompagniepourvérifier.Maisilsn’ontriensurlui.Ilaétérecrutéparunagentindépendantquis’occupedeleursdossiersdanscettepartiedel’Etat.PourlescompétencesdeSellers,ilssesontfiésauxgarantiesdonnées.

—Jenetrouvepasçatrèssolide,déclaraAutryàl’autreboutdufil.Valsourit.Autryn’aimaitpasleschosesquin’étaientpassolides.Etonnepouvaitpasl’accuserde

nepasfaireuntravailsolidechezAv-Tech.SonpèreavaittoujoursditqueCarmichaelétaitlemeilleurqu’ilaitjamaisrecruté.C’estpourquoielleavaitchoisides’adresseràlui.Etaussiparcequec’étaitunamienquielleavaitconfiance,presqueunmembredesafamille,commelesassociésd’Av-Tech.

—Iln’estlàqu’àtitretemporaire,expliquaVal.Jedoisfaireinstallerunsystèmedesécurité.Lapolice d’assurances contractée par papa m’y oblige. Une fois le système posé, il partira. Au fait,pourrais-tumerecommanderquelqu’unpourl’installer?

—Tuveuxquejem’enoccupe?Quej’envoiequelqu’undelasociété?

—Passûrquelesassureursapprécientqu’ontraitecetteaffaireeninterne.Çarisquedeviderlapoliced’assurancesdesonsens.Jenesaisd’ailleurspaspourquoicecontrataétésouscrit.Ilfautquejemerenseigneàcesujet.Maisavantquetoutçanesoitfait,peux-tumedonnerlenomdequelqu’underéputédansledomainedelasécurité,quejepourraisfairevenir?Jen’ainibesoinnienvied’avoirungardeducorps.

—Biensûr.Jepeuxmêmeappelercertainesdemesconnaissancespourréglerça.Faireensortequ’ils envoient quelqu’un pour étudier les lieux et te donner des conseils, t’expliquer ce qui vaut lemieux.Maisçaprendracertainementquelquesjoursavantquelestechniciensviennentposerlematériel,dit-ilens’excusant.

—Queldélaienvisages-tu?—Unesemaine,peut-êtreunpeuplus…Letempsquejelesappelle.Çateva?Unesemaine!pensaValavecdésarroi,seremémorantlatensionquiavaitenvahilajeepquandelle

avaitinterrogéGrey.C’avaitétéunmomentpesantetdésagréable,etildevaitbienyavoiruneraisonquiexpliquaitsaréticenceàrépondre.

MaiselleseremémoraitaussiavecquelledouceurilavaitexaminéKronusdesesmainspuissanteset expertes.Elle avait éprouvéun soulagement immense lorsqu’il avait découvertqu’il boitait à caused’uncailloucoincésousleferd’unsabot.

Greyavaitensuiteentièrementpalpél’animal,enluiparlantdoucement.Unefoisl’examenterminé,Kronusavaitparusoulagéd’êtreramenéàl’écurie,ensécurité.Aussisoulagéqu’elle.

Aprèsça,Greyl’avaitaidéeàrentrerdanslamaison,étaitpartivoirlesautresanimauxdanslepré,et s’y trouvait encore, sansqu’elle le lui ait demandé.Mais ellene savait toujours rien sur lui,mêmeaprèsavoirparléàBeneficialLife.Ilpouvaittoutaussibienêtreunassassinquiattaquaitsesvictimesàlahache.Ellecontractaleslèvres,réprimantunsourire.Danscecas,ils’étaitjusqu’icimontrétrèsfortpourcanalisersespulsions.

—Vapourunesemaine.Maisdis-leurdefairevite,s’ilteplaît.—Cesgarsmesontredevables.Onlesasouventfaittravailler.Cesonteuxquiontmisauxnormes

lesystèmedesécuritédans lanouvellemaisonde tonpèreetde tabelle-mère,doncçadevraitcolleravecBeneficialLife.Jen’avaispascomprisàl’époquequeCharlievoulaitfairerevoirsonsystèmepourêtreenaccordaveclestermesdesapoliced’assurances,maisçadevaitêtreça,non?

—Probablement,réponditVal,seremémorantsabelle-mèredevantlatombedesonpère.Connieetelleneseraientjamaisproches,maisellesavaitqu’elledevaitl’appeler,neserait-ceque

pour prendre de ses nouvelles. C’est ce que son père aurait voulu. Elle avait aussi promis à EmoryHunterdel’appeler.

—Alorstuveuxtoujoursquejecherchedesrenseignementssurcetype?Parceques’iln’estlàquepourunesemaine,etvuquetusaisquec’estbienBeneficialLifequil’aenvoyé…

Autrysemblaittrouvertoutecettehistoireanodine.«Onn’estjamaistropprudent,denosjours»,avaitditHalley.Valpensaitqu’ilavaitraison.

—Cherche des renseignements de routine, comme si c’était quelqu’un que tu souhaitais engager,Autry.Riendeplus.Tupeuxfaireçapourmoi?

—Bien sûr.Ce serait plus facile si j’avais sonnumérode sécurité sociale,mais tun’aspas ça,n’est-cepas?demandaAutrysurletondequelqu’unquisavaitqu’ilendemandaitbeaucoup.

—Sonnom,c’esttoutcequej’ai.Jenecroispasquel’agentindépendantaitenvoyéautrechoseàBeneficialLife.J’aiessayéde le joindremais iln’estpasàsonbureau,et jen’aimepasdemandercegenrederenseignementsàunesecrétaire.

—Etsitudemandaisdirectementàcetype?suggèraAutry.—J’aidéjàconnudesgensplusdiserts.—Ilneselivrepasfacilement?

—Ilnelâcherien,dit-elle,choisissantsesmots.—Pour un enquêteur, ce n’est pas un défaut. Çame dérangerait plus que ce soit un type qui la

ramènetoutletemps.—Çapoursûr,cen’estpaslecas,ditValensouriant,tantcetteimageétaitloindeGrey.Faisdeton

mieuxettiens-moiaucourantsurcequetuastrouvé.Cetypevitchezmoi,etvuquel’endroitestisolé…Ellelaissasaphraseensuspens.Endépitdesonbonsens,delamiseengarded’Halleyetdece

qu’ellevenaitdedireàAutry,ellenesesentaitnullementendangeràl’idéedesavoirGreyauranch.Aaucunmomentellen’avaiteupeur.Uneaurademystèreetdetéméritéémanaitdelui,maisellene

sentaitpasd’ondesnégativesnidemenacesplanerau-dessusd’elle.—Tuveuxquejepassetevoir,machérie?Valerieéclataderire,maisellesegardabiendedireàAutryqu’elles’étaitdenouveaufaitmalàla

jambe,sansquoiilviendraitpourdebon.Ill’avaittoujoursunpeusurprotégée,toutcommelesassociésdesonpère.

—Etqu’adviendrait-ild’Av-Techpendantcetemps-là?Jevaisbien,jet’assure.C’estjustequejejugeplussûrdansuncascommecelui-làd’ensavoirplussurlesgensqu’onemploie.Mêmesicen’estpasmoiquil’aiemployédirectement.

—Jechercheraiunpeu,etjetetiendraiaucourantdesrésultats.MaisjenedisposepasdesmoyensdelaCIA,tusais.

Ilsrirentdeconcert,puisilyeutunlégerblancavantqu’Autrynereprenne.—Jeveuxquetusachescombienjesuisdésolépourtonpère.C’étaitunvéritableami,etunhomme

bon.—MerciAutry.Çametouchebeaucoup,venantdetoi.Ilt’aimaitbeaucoup,tusais.Ilyeutencoreunblanc,puislevieuxmonsieurditd’unairbourru:—Prendssoindetoi,petite.Autry semblaitheureuxd’avoirprésenté ses condoléances.Valerienedoutaitpasde sa sincérité.

Leshommesdesagénération—celledesonpère—nedévoilaientpasfacilementleurssentiments.Ilenallait peut-être de même pour les hommes de sa génération à elle, pensa-t-elle, revoyant les lèvresferméesdeGreylorsqu’elleavaitcherchéàensavoirplussurlui.

—D’accord,luidit-elle.—Jet’appelledèsquej’aidesnouvelles,bonnesoumauvaises.—Merci,jeterevaudraiça,Autry.Elleraccrocha,levalesyeuxetvitGreyàl’entréedelapièce,quilaregardait.«Décidément,ça

devientunehabitude»,pensa-t-elle,soudainconscientequ’elleportaitunenuisetteencotontrèscourte.Songenouavaitenflé,sonjeanlaserrait,etcommeilfaisaitchauddanslamaison,elleavaitmis

quelque chose de frais et confortable, sans penser qu’un homme pourrait faire irruption devant elle.Habituéeàêtreseule,ellen’avaitpasfaitattentionàsatenue.

—Jevoulais vous épargnerd’avoir à vous leverpourouvrir la porte, ditGrey, comprenant sonembarras.Alorsjen’aipasfrappé.

—Commentvontleschevaux?demandaVal,feignantd’ignorersapropregêne.Ellesesentaitnéanmoinsrougir.Quandonavaitunepeaucommelasienne,c’étaitunproblème.On

nepouvaitpasdissimulersesémotions.Encoremoinsquandonportaitunenuisettelégère.Certes, Grey faisait semblant de ne s’apercevoir de rien. De ne pas prêter attention à sa jambe

marquéedecicatrices,étenduedanslefauteuilottoman,etexposéeàsonregard.— Ils vont bien. Je ne sais pas quelle mouche a piqué votre étalon, mais elle n’a pas répandu

d’épidémie,dit-ilenplaisantant.Vousavezdebienbeauxchevaux,mademoiselleBeaufort.—Merci,ditVal,quisesentitfière,endépitdesagêne.—Ondiraitquevousavezlàunélevagedetoutpremierchoix.

—C’est ce que jem’emploie à faire, oui. Et j’apprends aussi à seller un cheval, surtout à desjeunes.Jefaistoutçaàpetiteéchelle,maisçamepermetderéglermesfacturesàlafindumois.

Ilacquiesçad’unairmoqueur.Ellecompritl’absurditédesespropos,ellequivenaitd’hériterd’unesociétéquipesaitplusieurscentainesdemillionsdedollars.

C’étaitpourtantvraiquesonélevageluiavaitpermisdevivrependantlongtemps.Elleavaitfiniparseforgeruneréputationdans lemicrocosmedeséleveurs.Aprèsavoir luttédesannéespourgardersapetiteexploitationà flot,c’étaitdifficilepourelledesesentir riche.MaisGreySellers savaitqu’ellel’était.

Le silence s’abattit sur la pièce. Ils avaient tous deux épuisé leur stockd’échanges courtois.Lesjourssuivantsrisquaientdesemblerbien longss’ilsneparvenaientpasàparlerd’autrechosequedeschevaux.Certes,unefoisqueGreyauraitprissesmarquessurcequ’ilavaitàfaire,elleneleverraitplusguèreaucoursdelasemainesuivante.

Greyposasonregardsurlespapiersétaléssurlatable,etellesesentitcoupable.Elletentadeserassurerensedisantqu’ilnesavaitpascequ’ellevenaitdefaire.Aprèstout,cen’étaitriend’autrequelecontratrédigéparBeneficialLife,etildevaitbiens’attendreàcequ’ellelelise.

—Qu’aimeriez-vousmangeràmidi?demanda-t-il.Saquestionlapritdecourt,etelleledévisagea.Aaucunmomentellen’avaitsongéàmanger,toute

préoccupéequ’elleétaitparKronus.EttoutepresséedepassersescoupsdefilpendantqueGreyétaitoccupéailleurs.

Avantdesortircematin,elleavaitdéjeunéd’unboldefloconsd’avoine.Maisiln’yavaitpasdeprovisions dans l’annexe. Laisser de la nourriture là-bas n’aurait fait qu’attirer des rats et d’autresenvahisseursindésirables.Ilyavaitbienlongtempsquepersonnen’avaithabitédanslebâtiment.Maisilétaitplusde14heures,etGreydevaitmourirdefaim.

—Jenesuispasuncordon-bleu,reprit-il,maisjepeuxmedébrouillerpourbricolerquelquechosequinouspermetteaumoinsdesurvivre.Vousvoulezdessandwichs,delasoupe,unplatsurgelé?

Valavaittoutceladanslacuisine,soitdanslegarde-manger,soitdanslevolumineuxréfrigérateurde la véranda, à l’arrière de la maison.Mais rien ne lui mettait l’eau à la bouche. Elle n’avait pasparticulièrementfaim,maisGreysi.

Elledevaitsemontrerdignedel’hôtequ’elleétait.EllenepouvaitpaslaisserGreyvivreicisansluidonneràmanger,siloindetoutecivilisation,quiplusest.Elleeutleréflexed’attrapersesbéquillesposéesàcôtédufauteuil.

—Vousdevezéviterdevouslever,ditGrey.Dites-moiseulementoùsetrouventleschosesetcequevoussouhaitezmanger.

—Lacuisinesetrouvelà-bas,dit-elleenpivotantpourluiindiquerlecouloirderrièreelle.Ce mouvement fit remonter la nuisette sur ses cuisses dénudées. Elle tira dessus, tout en se

retournantverslui.— Vous y trouverez tout ce que vous avez cité dans votre menu, dit-elle, se sentant rougir de

nouveau, et parlant surtout pour dissimuler sonmalaise. Il y a tout un choix de plats surgelés dans leréfrigérateurdelavérandaarrière.Jenesaispastrèsbiencuisineràpartirderien.

—Unpeucommetoutlemondeaujourd’hui,non?Alors…qu’est-cequivousferaitplaisir?

***

Elle hésita, se disant que siGrey était résolu à préparer le déjeuner,mieuxvalait qu’ellemangequelquechose,neserait-cequeparpolitesse.MêmesiHalleyetGreys’étaientmisd’accordpourquecedernierjouelesgardes-malades,fairelacuisinenerentraitpasdanssesattributions.Cen’étaitdoncquepargentillessequ’ilseproposaitdeluipréparerquelquechose.

***

Oubienétait-ceparpitié?interrogeasaconscienceperverse.C’estvraiquedanslecorral,Greyl’avaitregardéetomberplusieursfoissurlesfesses—humiliationsuprême—sansesquisserungeste.Peut-êtrequ’ilsesentait toutsimplementdésolépourelle.Biendesannéesplustôt,elleavaitapprisàsesdépensquecertainshommes réagissaientdecette façon faceà sonhandicap. Ilsvoulaientprendresoind’elle.Maisellen’avaitpasbesoin,ninevoulaitqu’onprennesoind’elle.

***

OubienGreyfaisaitensortequ’elleserétablisseleplusvitepossiblepourpouvoirseremettreàfaire,danslesmeilleursdélais,cepourquoionl’avaitinitialementengagé.Iln’avaitpasétéembauchépourpallierlamoindredesesfaiblesses.S’ils’yattelait,Valerieconsidéraitqu’elledevaitlepayerencontrepartie.

—Jenevousaipasoffertunchoix immense,dit-il, afinde soulignerqu’ellemettait du tempsàrépondre.Jenesaiscuisinerquedeschosessimples.Delasoupe,dessandwichsouunplatsurgelé.

—Ilvafalloirquejevousaugmentesivousdevenezlecuisinieretlabonneàtoutfaire.Elleavaitessayédeprononcercesmotsavechumour.Maisuninstant, lesyeuxdeGreyfixéssur

elledirentlecontraire.Sesyeuxd’ungrisardoise,commelaplaineduhautdésertavantlaneige.—Toutestliéàl’argentpourvous,hein,mademoiselleBeaufort?Valsoupira,àlafoisembarrasséeetencolère.—En fait, jeme fiche de l’argent,monsieur Sellers. Je sais bien que vous pensez le contraire,

mais…jen’aimesimplementpasquelesgenssoientobligésdefairedeschosespourmoi.— Ce que vous n’aimez pas, c’est accepter l’aide des autres, dit-il, quelles que soient les

circonstances.Savoiximitaitlasienne.Ellenepouvaitpasnierqu’elledétestaitdemanderdel’aide.Oudevoiradmettresonincapacitéà

fairequelquechose.C’étaitliéàsonhandicap.Ellenesel’avouaitqu’àelle-même.Mêmeavecsonpère,ellen’enavaitjamaisparlé.Etellen’allaitpascommencermaintenant.

—C’estvrai,admit-elle.Jenepensepasquebeaucoupdegensdansma…situationaimentça.Ilacquiesça,etsonregardsefitmoinsdur.—Quevoussouhaitiezêtrecapabledevoustenirsurvosdeuxjambesetvousdébrouillerseule,je

lecomprends,et jevousadmirepourça.Mais ilyadesmomentsoù il fautaussisavoirdemanderdel’aide,oudumoinsl’accepterquandonvousenproposedebonnegrâceetquevousenavezbesoin.

—Jesais,répondit-elle.Ellen’auraitpaspus’occuperdeschevauxavecsesbéquilles.SurtoutpasdeKronus.L’étalonlelui

avaitdéjàfaitcomprendre.Elleavaitbesoind’aide,Greys’étaitproposé—depleingré,sansattendredecontrepartie—,etelle…Elleavaittoutfichuenl’airenproposantdelerémunérer.Elles’étaitencorecomportéecommeune«petitefilleriche».

—Jeprendraiunpeudesoupe,dit-elleenseforçantàleverlesyeux.Ellelesavaitbaisséssanss’enrendrecompte.LesermondeGreyavaitviséjuste.—Vousavezunepréférence?L’incidentsemblaitclos:elleluienfutreconnaissante.—Non,prenezcequevoustrouverezsurl’étagère.Jevisseule,doncjen’achètequedeschoses

quimeplaisent.—Çameva.

Ils’avançad’unpasoudeux,ets’arrêtatoutprèsdesonfauteuil.Ilcontemplasongenouquelquesinstants.

—Bellecollectiondeblessuresdeguerrequevousavezlà,dit-il.Elleavaitlecœurquibattait lachamade,maisunefoisencoreelleseforçaàleregarder.C’était

pénible.Sic’étaituntest,alorsbonsang,elleallaitencoreéchouer.— J’espère bien qu’elles sont belles, j’ai mis des années à les acquérir, dit-elle, soulagée de

constaterquesavoixétaitclaire,bienqu’ellesesentîtlesoufflecourt.—Undecesjours,oncompareranoscicatricesrespectives.Surcesmotsils’éloigna,passantàcôtédesonfauteuiletempruntantlecouloirquimenaitdansla

cuisine.Valerieinspiraetfermalesyeux,soulagée.«Undecesjours,oncompareranoscicatrices.»Etantdonnéque,pasplusqu’elle,iln’avaitdecicatricesapparentes,ellesedemandasielleavaitbiencompriscequeçasous-entendait.

Sesjambesàluidévêtuesetexposéesàsonregard.Alesvoirbougerdanssonjeandélavé,ellelesimaginaitaussibellesquesesmains:longues,musclées,parcouruesd’unesombrepilosité.

Elle repensa auventreplat et brunqu’elle avait aperçuquand il avait tranquillement refermé lespansdesachemise,lanuitprécédente.Ellen’avaitpasvudecicatricessursapeaubronzée.

ToutenpensantaucorpsdeGrey,ellesentitunechaleurnouvellel’envahir.Pasàcausedesagêne.C’était une sensation qu’elle n’avait pas ressentie depuis des années, qu’elle ne s’attendait plus àéprouveretqu’ellen’avaitpassollicitée.

Etcelapourunebonneraison.Unetrèsbonneraisonmême.Elleregardasongenou,vulnérableetexposéà lavuede tous, avec toutes seshorribles cicatrices.Ses jambesétaient tropblanches, jamaiscaresséesparlesrayonsdusoleil.Jamaiscaresséesdutout.

Elle connaissait la situation par cœur. Les hommes ne s’intéressaient à elle que pour une seuleraison.Etlamortdesonpèrenepouvaitqu’aggraverleschoses.

AlorsmieuxvalaitéviterdefantasmersurlecorpsdeGreySellers.Oudecherchercequ’ilavaitvoulu dire par ses allusions. Jamais ils ne « compareraient leurs cicatrices ». Jamais elle n’aurait denouveauunhommedanslapeau.Elleneselaisseraitpassurprendre.

Ellen’étaitpluscellequ’elleétaitdixansplustôt,vulnérableetenmanqued’affection.Elleregardadenouveausongenou,serécitantlesparolesdeBartonCarruthers.Sonex-fiancéluiavaitinculquéunedouloureuseleçon,maiscelle-cis’étaitrévéléeprécieuse,etellenel’oublieraitjamais.Pastantqu’elleseraitvivante.

***

«Unfichupetitsermonquetuasrécitélà,monvieux»,seditGreyavecsarcasme,enouvrantlegarde-mangereteneninspectantlecontenu.«C’estçamongars,continuecommeçaetdisauxautrescommentilsdoiventmenerleurbarque.Toiquiastellementbienmenélatienne.»

Ilavaitpeineàcroirequ’ilavaitosédébitertoutescesâneries.Maisdequisemoquait-il?Commes’ilavaitécritunlivresurl’incapacitéàaccepterl’idéed’avoirbesoind’aide.

Et pourtant, beaucoup de gens avaient essayé de l’aider.Griff. EtHawk aussi.Mais il les avaitenvoyéspaître.Pire,ilavaitfeintl’indifférence.

Ilcensuracessouvenirssursoncomportementetpritunebriquedesoupeauhasard.Ilouvrit lesportes des placards, à la recherche d’un récipient qui allait aumicro-ondes. Il remarqua que samaintremblaitquandilserraitlespoignéesdeportes.Sansdouteparcequ’iln’avaitrienmangédelajournée,pasmêmeavaléunetassedecafé,alorsqu’ilenbuvaithabituellementcinqousix.

Unemigrainesemblableàcelledontilavaitsouffertlaveillecommençaitàs’installer:était-celemanquedenourriture?Oulebesoindecaféine?Peut-êtrelesdeux.

Ouvrantunautreplacard,ilmarquauntempsd’hésitation.Iln’yavaitpasderécipientadapté,maisunebouteilledewhiskynonentaméetrônaitsurl’étagèredumilieu.

C’étaitsacrémenttentantaprèsla journéequ’ilavaitpassée.Aussi tentantqueleslonguesjambesgalbéesdeValerieBeaufort,quelacourtenuisetteluiavaitpermisdecontempler.

Ilenavaitvuplusd’ailleurs.Elleneportaitpasdesoutien-gorge,etsesmamelonspointaientsouslefintissu,rendantcettevisioncruellementtentante.

Ilavaiteudumalàdétachersonregardd’ellelorsqu’ilavaitouvertlaporte.Maisdèsqu’elleavaitreposéletéléphone,elles’étaitrenducomptedesaprésence.Il luiavaitfallumobilisertoutsonsang-froidpourgarderlesyeuxfixéssursonvisage.

« Sang-froid », pensa-t-il. « Maîtrise de soi. Tu te rappelles ça, vieux ? C’est la capacité àréprimersesenvieslesplusprimaires.»

Il referma le placard, et ferma les yeux en même temps. Il les maintint fermés aussi fort quepossible. La femme qui se tenait dans la pièce d’à côté était son employeur. Elle était sous saresponsabilité.Etsespenséesdivaguaient,entotalecontradictionaveclesexigencesdesontravail.

Lentement,ilouvritlesyeuxettournaledosauplacard.Ilyavaitungrosplatcreuxenterrecuitedansl’égouttoir.Soulagédenepasavoiràchercherpluslongtemps,ils’ensaisit,pritlaboîtedesoupeetl’emportaprèsdel’ouvre-boîte.

Cen’étaitpasparcequ’ilavaitfaitéchouerunemissionqu’iln’étaitpluscapabledebienfaireuntravail de bout en bout, se dit-il avec obstination. C’est ce qu’il s’était déjà dit deux ans plus tôt. Ilcommençaitàpeineàs’enconvaincre.

UnefoisledéjeunerapportéàMlleBeaufort,ilreviendraitsefaireunsandwich.Etducafé,pourcalmer samigraine. Il réchauffa la soupeà la tomatedans lemicro-ondes.Pendantqu’il attendait, sesyeuxrevinrentseposersurcemauditplacard.

«Lavoiede la facilité.Etaprès tuvasallerdireauxautrescommentvivre.Tuasunboulotàfaireici,alorstut’ytiens,sinontuvasreplonger.»

Ilregardalerécipienttournerdanslemicro-ondes,ens’avouantqu’ilnesavaitpastropàquoiildevait«setenir».Ilsavaitqueçaavaitunlienaveccequ’ilavaitressentienregardantValerieBeaufortsedébattreavecl’étalon,sansqu’elleéprouvelamoindrepeur.Puisenlavoyantsuivrecemêmeétalonquil’avaitmisesurdesbéquilles,quandelletentaitdevérifierqu’ilneluiétaitrienarrivé.Cequ’ilavaitressentiaussienexaminantsongenouenfléetsescicatrices.

Mais toutçan’était rienàcôtédecequ’il avait éprouvéà lavueérotiquedumouvementde sesseinsàtraverssanuisette,àchaquerespiration.

Jamaisiln’auraitdûavoirdetellespensées.CarValerieBeaufortn’étaitenrienlegenredefemmeauquelildevait,oupouvaitsepermettre,des’intéresser.Surtoutpasdecettefaçon.

5

—Ai-jeréussiàrendrelasoupemangeable?demandaGrey.Valbaissalesyeuxverssonboldesoupeàpeineentamé.—Lasoupeestbonne,maisjen’aivraimentpasfaim,répondit-elleenhaussantlesépaules.C’est

peut-êtreàcausedelachaleuroudel’agitationdecematin.—Oualorsçavientdemacuisine,dit-il,retirantleplateauposésurlesgenouxdeVal.C’estvrai

qu’ellen’apasunaspecttrèsappétissant.Une écume s’était formée à la surface du potage refroidi qui avait pourtant bel aspect quand il

l’avaitapporté.MaisValerien’avaitpuserésoudreàmanger.—Non,vraiment…—Quediriez-vousd’unsandwich?Ellesecoualatêteensignededénégation.—Jevousjurequejen’aitoutsimplementpasfaim.Illafixadroitdanslesyeux.—Avez-vousprisvosmédicaments?Vousvoulezquejevouslesapporte?Valavaitprisdeuxantidouleur toutdesuiteaprèss’être installéedans le fauteuil.Le flaconétait

encoreposésurlatableàcôtéd’elle.Ilsn’avaientenrienatténuéladouleur,etdetoutefaçonilétaittroptôtpourenreprendred’autres.

—Çava,jesuisjusteunpeuflapie.Il continuait de contempler sonvisage.Lemiroirbienéclairéde la salledebainsoùelle s’était

déshabilléeluiavaitfidèlementrenvoyésonapparence:lespointsdesuturestyleFrankensteinposésparHalleyétaientsoignés,maisnecontribuaientpasàlarendreséduisante.Ellenes’étaitpasmaquilléecematin,etç’avaitétélecadetdesessoucisunefoisrentrée.

Elle avait essayé de nettoyer avec un lingemouillé le sang séché dans ses cheveux,mais il luifaudraitunshampooingpourenveniràbout.Etvusamigraineetsongenoudouloureux,cen’étaitpassapriorité.

Elleregrettanéanmoinsdenepasavoirfaitdavantaged’effortspourparaîtrepluspimpantedevantle regardappréciatifdeGrey.Elle sedemandaitpourquoielleéprouvaitcesentiment, surtoutaprès ladiatribeintérieurequ’elleavaitlancéecontreleshommes.

Grey finit par acquiescer, faisant un peu lamoue, puis emporta le plateau sans dire unmot.Valreposalatêtesurledossierdufauteuiletfermalesyeux,écoutantlebruitdesespasquis’éloignaient.

Puisrevenaient.Ellel’entendits’arrêteràcôtéd’elle.Elleouvritlesyeux,sansreleverlatête.Ilnelaregardaitpas,cettefois.Ilavaitprisleflacond’antidouleuretlisaitl’étiquette.

—C’estçaquevousavezpris?

«Qu’est-cequeçapeutvousfaire?»,pensa-t-elle.Maisellenecontestapas.—Jecroyaisquevousaviezuneordonnance.—J’enavaisune.«Ilyaàpeuprèsquinzeans»,ajouta-t-elleensonforintérieur.—Alorspourquoivousprenezçaàlaplace?Cette fois c’est elle qui fit la moue. Les comprimés n’avaient pas eu d’effet sur la douleur, la

questionétaitdoncpertinente.Maisellesedemandaits’ilsétaientassezprochespourqu’ellesejustifie.«Etpourquoipas?»,pensa-t-elle.Ellen’avaitpasàavoirhontedelabataillequ’elleavaitmenée

etgagnée,etnesouhaitaitpasimpressionnerGreySellers.Oualorspeut-êtrequesi?—Parcequej’aipassélamajoritédemonadolescencesousladépendancedesantidouleur,àvivre

dans la torpeur qu’ils provoquaient, dit-elle sans détour. Une fois sevrée, j’ai juré que ça nerecommenceraitjamais.Alors…

Ellepointad’unsignedetêteleflaconqu’iltenait.Un changement subtil apparut dans les yeux deGrey.Néanmoins, ilmaîtrisait tellement bien ses

émotionsqu’ellen’auraitsudirecequ’ilsexprimaient.—D’autresquestions?demanda-t-elledoucement,s’attendantàlevoirgêné.Laplupartdesgensétaientdéconcertésd’apprendrequequelqu’uncommeelleavaitétédépendante.

Ellen’enavaitpasleprofil.—Voulez-vousquejevousaidepourvousrendreàlasalledebains?demanda-t-il.Ilavaitposésaquestionsuruntonsibanal,tellementdécaléaveccequ’ellevenaitd’avouer,qu’il

fallutàValerieunmomentpourcomprendrecequ’ilvenaitdedire.Cequiluidonnaenviederire.Cette révélation n’avait en rien fait naître la gêne qu’elle attendait. Elle en déduit deux choses :

premièrementqu’ilenfallaitbeaucouppourchoquerGreySellers,etdeuxièmementqu’ilétaitdécidéàprendresonrôledegarde-maladeàcœur.

—Merci,maisçaira,dit-elleenréprimantunsourire.Décidément,ilavaitl’artdedédramatiserlessituations.—N’hésitezpasàm’appelersibesoin.Ah,aufait,j’aipréparéducafé.D’habitude,j’enboisune

cafetièreentièrechaquematin.Vousenvoulezunetasse?Elleréfléchituninstant.Peut-êtrequelecaféstimulerait l’effetdesmédicaments.Mais il risquait

aussidelateniréveillée.Orellesedoutaitqu’elleseraitsuffisammentassailliededouleursetd’imagesdésagréablesdanslanuitpournepasenrajouter.

Ellefitnondelatête,etilacquiesçadenouveau.—Jeseraidanslacuisine.Appelez-moisivousavezbesoindequelquechose.—Jesaiscequ’aditHalleycematin,mais…Jeveuxdire,jevoussuisreconnaissantedetoutce

quevousfaitespourmoi,maisvousn’avezpasbesoindeveillerà toutenpermanence.Jenesuispasimpotente.

Seslèvresbougèrent,etlepetitpliretrousséqu’elleavaitremarquéauxcommissuresdesabouchependantleuraltercationsouslavérandaréapparut.

—Jenevousconsidèrepascommeuneimpotente,mademoiselleBeaufort,croyez-moi,dit-il.C’estunjeud’enfantsd’évolueravecdesbéquillespourquelqu’unquiestcapabledesefrotterauquotidienàunétalondecettetrempe.

Elleneréponditrien.Elleleprenaitcommeuncompliment.C’étaitvraiqu’elleavaitl’habitudedesbéquilles.

— Je savais en acceptant ce travail que je n’aurais pas beaucoup de protection rapprochée àassurer.MaisBeneficialLifemepayepourêtrelà,alorsautantquejemerendeutile.

—Etvousavezdel’expériencepourcequiestde…Ellehésita,cherchantunefaçonappropriéedeluidemanders’ilavaitdéjàjouélesgardes-malades.

—D’êtreutile?suggéra-t-il,commeellehésitait.Puisiléclataderire,cequifitapparaîtredefinesridesaucoindesesyeuxetaucreuxdesesjoues.

C’étaitlapremièrefoisqu’ellelevoyaitrire,ettoutcommepourlepetitpliaucoindesabouche,ellefutfascinéeparl’effetdubonheursursestraitssévèresetsonvisageanguleux.

—Jesuistoujoursprêtpourdenouvellesexpériences.CettedéclarationcréaenValerieuneimagementalehorscontexte,commelorsqu’ilavaitparléde

comparerleurscicatrices.«Toujoursprêtpourdenouvellesexpériences.»Ellesavaitqu’iln’yavaitriendesexueldanssespropos,ellesedemandaitdoncpourquoielleleprenaitcommetel.Ellen’avaitpourtantpasl’espritmaltourné,d’habitude.

—Tantmieux,vuquelescirconstancesontévoluédepuisquevousavezacceptécetravail.—Çaira,tantquenous…—Nousnenousvolonspasdanslesplumes?—J’allaisdire tantquenousseronshonnêtes l’unenvers l’autre.Mais je tenteraidenepasvous

volerdans lesplumes,commevousdites.Appelez-moisivousavezbesoin.Sansquoi jeconsidéreraiquevousvousdébrouilleztouteseule.

Elleeutencoreunepenséesansrapportavecsespropos,etne trouvapasderéponseà formuler.Elledécidadoncdel’imiter,enapprouvantsimplementdelatête.

Ilrestaimmobilequelquessecondes,leregardposésurelle.Elleeutl’idéeidiotequ’ilpensaitàsepenchersurellepourl’embrasser.Elleeneuttellementfortlepressentimentqu’elleouvritlégèrementleslèvres.Maisaulieudeça,ilquittalapièceettraversalecouloir,lestalonsdesesbottesmartelantlesol.

Valeriefutsoudainenvahieparunétatdefrustration,presqued’abandon.Deuxsentimentsabsurdes.Elle aurait dû interrogerHalley sur les effets secondaires possibles d’une commotion cérébrale. Elles’étaitsansdoutecognélatêteplusfortqu’ellenelecroyait.Assezfortpourluifaireoublierqu’ellenes’intéressaitpasauxhommes?Etpoursemettreàfantasmersurunétranger,unhommedontellenesavaitrien?Elleinspiraprofondémentetfermalabouche.

Encore deux jours, et les choses reprendraient leur cours normal. Elle serait sur pieds et ne sesentirait pas si vulnérable. Si dépendante. Elle n’avait aucune raison d’éprouver ces deux sentiments.Elleavaittoutcedontelleavaitbesoin.Elleétaitheureusedelaviequ’ellemenaitdepuisdixansdansceranch.Etriennereviendraitremettreencausecela.Absolumentrien.

***

Les trois jours suivants semblèrent durer une éternité. Valerie ne pouvait pas faire grand-chose,hormisresterassiseetsefairedusouci.Aproposdeseschevaux.D’Av-Tech.Etsurtoutàproposdespensées qui l’assaillaient chaque fois queGrey Sellers lui apportait un repas ou venait l’informer dequelquechose.

Kronusnes’étaitpaseffrayédenouveau,Dieumerci.EtselonGrey,toutallaitbienauranch.Luietuntypedelasociétédesécuritéavaientpassédeuxheuresàfaireletourdelapropriété,puisdeuxautrespenchéssurunplan,danslavéranda.

Ilsétaientapparemmentd’accordsurletypedesystèmedesécuritéqu’ilfallait installer.Lorsquel’agent commercial lui avait montré le projet, elle n’avait pas cherché à discuter. Autry Carmichaell’avait assurée qu’il avait fait appel auxmeilleurs, etGrey était le représentant officiel deBeneficialLife.C’étaitàeuxdepeaufinerlesdétailspourêtreenaccordaveclestermesducontrat.

Avant lamortdesonpère, lecoûtdecette installation l’aurait faitpaniquer.Maiscette fois,elleavaitsimplementavisé lereprésentantde lasociétédesécuritéd’envoyer lafactureàAv-Tech.Aprèstout,siçan’avaitpasétépoursemettreenconformitéaveccettepoliced’assurances,ellen’auraitjamais

faitinstallercesystème.Lasociétépouvaitprendreçaencharge,àdéfautdeluiverserlesalaireauquelelleavaitdroit—bienqueP.-D.G.depuispeu.

Elles’attendaitàcequ’Autryl’appellepourluilivrerlesrésultatsdesapetiteenquêteets’informerdelavisitedelasociétédesécurité.Maisausoirdecetroisièmejour,iln’avaitpasdonnésignedevie.Elle avait déjà abandonné ses béquilles et se déplaçait en clopinant avec de plus en plus d’aisance,s’appuyantsurunmurouunmeublelorsquecelas’avéraitnécessaire.

Cesoir-là,elleavaitmêmeréussiàprendreunedouche.Elles’étaitrisquéeàselaverlescheveuxmalgrélespointsdesuture,parvenantàsedébarrassertotalementdusangséchécolléàsoncrâne.Ellesesentaitbeaucoupmieuxainsi.

Sousladoucherevigorante,elleavaitdécidéquecettejournéeseraitladernièrepasséesanssortirdelamaison.Certeselleneseraitpasenétatdetravailler,maiselleseraitaumoinsdehors,aubonairetausoleil,àregarderGreyvaquerauxtâchesauxquelleselles’attelaitentempsnormal.Elleattendaitcemoment avec une impatience exagérée tandis qu’elle se séchait vigoureusement les cheveux avec saserviette.

Pendantcestroisjourselles’étaitsentiedeplusenplusattiréeparGreySellers.Ilnel’aidaitquequandc’étaitnécessaire,sanslafairesesentirinvalide.Illatenaitinforméedelasantédeschevauxetdetout ce qui se passait au ranch. Et petit à petit, la tension qui avait empoisonné leurs rapports s’étaitestompée.

Cependant,uneautreformedetensionétaitnéeenValerie.Decellesquis’installententreunhommeetunefemmequidoiventpartagerunecertaineintimité.

Cette pensée lui fit suspendre son geste. Elle se pencha pour se regarder de près dans lemiroirembué,cequ’ellefaisaitpourlapremièrefoisdepuisbienlongtemps.Endépitdespointsdesutureetdel’écorchurequ’elleavaitàlatempe,sonvisageavaitplutôtbelaspect.Mêmecommeça,ellen’avaitpasunetêteàfairepeur.

Sonvisageétaitunpeuétroit,cequifaisaitparaîtresesyeuxtropgrands,etsabouchetroplarge.Les taches de rousseur sur ses pommettes ressortaient un peu plus, car c’était l’été, et elle négligeaitparfoisdeseprotégeravecunecrèmesolaire.

Ellen’avaitpasunvilainvisage,serépéta-t-elle,maispasnonplusunvisageàfairesepâmerlesfoules. Ou qui arrêterait un homme dans la rue. Sans la fortune des Beaufort, rien ne la rendaitremarquable.

Cet argent lui avait toujours permis d’avoir un chevalier servant durant son adolescence.Mêmeaprèssonaccident.Elleavaitcontinuéd’alleràdesfêtesetàdesconcerts,sanssedouterqu’elleneseretrouvaitjamaistouteseuleparcequ’elles’appelaitValerieBeaufort,etnonValerieDupont.

EllepouvaitremercierBartCarruthersdeluiavoirouvertlesyeux.Elledevaitvraimentluienêtrereconnaissante.Etelleleseraitsiannulerleurmariageàladernièreminuteneluiavaitpasfaitsimal.Lepire avait été d’expliquer à son père pourquoi elle annulait son mariage. Pire que de surprendre laréflexiondeBart.Pirequederenvoyertoussescadeauxdenoces.

Son père s’était senti responsable de ce fiasco, peut-être parce que habituellement, tout luiréussissait.Maiscen’étaitpassafaute,évidemment.Valavaitmêmefinipardécréterquecen’étaitlafautedepersonne.Lemondeallaitainsi,voilàtout.

Uncoupinattendufrappéàlaportedelasalledebainslafitsursauter,laramenantbrutalementdansleprésent.

—Oui?dit-elle,passantsaservietteautourd’elle.—Jereparsàl’annexepourlanuit,ditGrey,lavoixétoufféeparl’épaisseurdelaporte.Jevoulais

justem’assurerquevousn’aviezbesoinderienavantd’yaller.Lorsqu’elle avait décidé de prendre une douche, il faisait la vaisselle.Bien qu’il lui ait posé la

mêmequestion chaque soir, elle ne s’attendait pas à ce qu’il vienne frapper à la porte de la salle de

bains.—Nonmerci,toutvabien,répondit-elle.Elle avait envie d’ouvrir la porte et de le regarder avant qu’il ne parte et disparaisse dans

l’obscurité. Peut-être parce qu’elle savait qu’elle allait faire changer la nature de leur relation dès lelendemain. Si elle était debout et capable de sortir, alors il n’aurait plus à lui apporter ses repas etdonc…

Etdonc,elleleverraitcertainementmoinssouvent.Elleregardadanslemiroirseslèvresseserreràcettepensée,etseforçaàlesdétendre.

—Au fait, j’allais oublier, ajoutaGrey. Il y a eu un coup de téléphone pour vous.UndénomméAutry.

Sansréfléchir,elleposalaserviettesurlacuvettedestoilettesetclopinajusqu’àlaporte.Elleposalamainsurlapoignée,hésitauneseconde,puisouvrit.Surpris,ilposasonregardsurelle.

Puis sesyeux tombèrent sur ledécolletéde sa finenuisetteblanche.Cettenuisetteétaitbienplusféminine que les chemises de nuit qu’elle portait habituellement, et elle n’aurait su dire pourquoi ellel’avaitchoisiecesoir.Pasplusqu’ellen’auraitsuexpliquerpourquoielleavaitouvertlaporte.

—A-t-ilditqu’ilallaitrappeler?demanda-t-elle.Les yeux deGrey remontèrent lentement jusqu’à son visage, ce visage banal qu’elle avait étudié

quelquessecondesplustôtdanslemiroirembuédelasalledebains.Unvisagemaigre,marquédetâchesderousseur,etencadrédemècheshumidesdecheveuxroux.Maiscen’étaitpascesdétailsqu’ilvoyait.Ilyavaitautrechosedanssesyeuxgris.

Comme… de l’excitation, découvrit-elle avec surprise. Etat vite réprimé qu’elle n’avait faitqu’entrevoiruneseulefoisauparavant.Elleleconnaissaitmaintenantsuffisammentpoursavoirqu’ilneluiauraitpasdévoilécequ’ilressentaits’ilnel’avaitpassouhaité.Cequ’ellelisaitdanssesyeuxétaittellementpuissantqu’ellesentitunesortedebrûlurelaparcourirjusqu’aucreuxdel’estomac.

—Jecroisquec’estvousquidevezlerappeler,ditGrey.Elleapprouva,lagorgeserrée,etlabouchesoudainsèche.—C’estvotrepetitami?demanda-t-il.Endépitdel’intenseattirancesexuellequis’étaitinstalléeentreeux,elleéclataderire.Etregarda

denouveaucepetitpliauxcommissuresdeseslèvres.Ilavaittoujourslesyeuxsombres,presquegrisfumé.

—C’estundesamisdemonpère.Apeuprèsdumêmeâgequelui.Asontourilhochalatête,sesyeuxtoujoursrivéssurlessiens.—Jepensequejenefaisqu’anticiperlemomentoù…quelqu’unvavenirvousrendrevisite.—Quelqu’unquiseraitmonpetitami?Ilhochalatête.Ilavaitbrièvementregardéseslèvreslorsqu’elleavaitprononcécesmots.—Jen’enaipas.Vivreici…Elles’interrompit,conscientequ’ellen’avaitpasàluidonnerd’explicationssurlefaitqu’elleétait

seule.—Restreintvotreviesociale,suggéra-t-il.—C’estàpeuprèsça.Il luiprit lementonentre lepouceet l’indexet fit tourner sa tête.Ellenecherchapasà résister.

Sentirsesdoigtssursapeaulafitpresquevaciller,maisellecompritvitequ’ilnefaisaitquejeterunœilàsespointsdesuture.

—Vousnelesavezpasmouillés,n’est-cepas?—J’ai faitensortequenon.Jen’enpouvaisplusd’avoirdusangséchédans lescheveux.Eten

plus…

Ellemarquaunepause,craignantpresquedeluiannoncerqu’elleallaitmieux.Craignantdedétruirele lienquis’étaitnouéentreeux.Ellenepouvaitnierque lesdoutesqu’elleavaitàsonégardavaientdisparu.Commentnepassentirdesympathieenversl’hommequis’occupaitdeseschevaux,luiapportaitàmanger,etluiavaitpourainsidiresauvélavie?

Maisilétaitpayépourça,serappela-t-elle,luttantcontreladouleuragréabledanssonbas-ventre,tandisqu’elleregardaitsesyeuxgris.

Iln’avaitrienfaitdeplusquesonboulot.Elleavaitbesoindeseconvaincrequeçan’avaitpasétéuneattentionpersonnelle.

—Jesuiscapabledemetenirdeboutetdemarchermaintenant,seforça-t-elleàdire.Ilfautquejebougeunpeumongenou,pourlerééduquer.

—Vousêtessûre?—Oui,j’ensuissûre.J’aibeaucoupd’expérience.Danscedomainedumoins.Cette précision fit naître au coin de la bouche deGreyunpli amusé.«Comment ne le serait-il

pas?»,sedit-elle.Gênée,ellebaissalesyeux.Ellenesavaitpaspourquoielleavaitditça.Iln’yavaitaucuneraison,àmoinsd’essayerdesemontrerprovocante,cequiauraitétédéplacévusonallure.

—Etpasdans…d’autresdomaines?demanda-t-il,lamaintoujoursposéesursonmenton.Ilsseregardaientdenouveaudroitdanslesyeux.Valerieneréponditpas,carcequ’ellevoyaitdans

lesyeuxdesonpartenairel’empêchaitdeprononcerlamoindreparole.Ilbougealatête,l’inclinantlégèrementpourplacerseslèvresfaceauxsiennes.Ellelesavaitdéjà

entrouvertes,commeellel’avaitfaitlesoiroùils’étaittenulongtempsàcôtédesonfauteuil.Elleavaitcrualorsqu’ilallait l’embrasser,maiselles’était trompée.Cettefois,elleretenaitson

souffle,pournepasbriser le charme. Il nequittapas lapièce. Il continuad’approcher ses lèvresdessiennes,luirelevantdoucementlatête.

Quandellen’eutplusdedoutesursonintention,ellefermalesyeux,commepourchasserlaréalité,etbasculantdanslemondedefantasmesqu’elleavaitbâtiaucoursdecestroisderniersjours.Mondeoùelle avait imaginéqueGrey l’embrassait, que ses bras l’entouraient pour la serrer sur son torse viril,contrelequelelles’étaitappuyéelorsqu’ill’avaitsortiedesouslessabotsdeKronus.

Il lâcha sonmenton et posa doucement ses lèvres sur les siennes.Des lèvres sèches, chaudes etincroyablement agréables.Elle eut vaguement conscience qu’il la saisissait par les épaules, comme ill’avaitfaitlejourdesonarrivée.

Maiscesoir,sonintentionétaittoutautre.Iln’yavaitpasdecolèredanslamanièredontillatenait,niquandilglissadoucementsalangueau-delàdeseslèvres,rencontrantlasienne.

Elleledésirait.Ellel’avaitdésirédèslemomentoùellel’avaitvu,maisl’avaitniéjusque-là.Plusmaintenant.

Sonbaisersefitplusprofond,illaserracontrelui,etsesmainsdescendirentlelongdesondos.Les seins de Valerie effleurèrent son torse musclé, puis se plaquèrent contre lui. La brûlure qu’elleressentaitentrelesjambesseraviva.

Cette sensation était infiniment agréable, réveillant une attente qu’elle avait tellement cachée etrefoulée qu’elle en devenait presque douloureuse. Elle tenta de soulager cette douleur en se serrantencorepluscontrelui,collantsonbas-ventrecontrelesien,cherchantàapaiserl’appelincontrôlabledesessens.

Lafineétoffedesanuisetteconstituaitunebarrièredérisoireentreleursdeuxcorps.Enréponseàcemouvement,Greyplialesgenouxpuislesresserra,pressantl’expressiondesavirilitécontrelapartielaplussensibledesonanatomie.

Le gémissement qu’elle émit en retour fut sans ambiguïté, mais peu importait. Tout ce qu’ellevoulait,c’étaitserapprocherdelui.Sentirlaforcedesoncorpscontrelesien,lesentir,lui.

Cegémissementluifitdétachersabouchedelasienne.Greytournalégèrementlatêteetposaleslèvressursajoue.Ellesentaitsoncœurbattrelachamadecontresesseins,etcelal’excitaitaussi.

—Jenevoulaispastefairemal,chuchota-t-il.—Tunem’aspasfaitmal,répondit-elledansunsouffle,replaçantsabouchejustesouslasienne.Elletrouval’audacedepassersalangueautourdeseslèvres,etillaserraplusfortcontrelui,d’une

pressiondelamainsursondos,etl’embrassadenouveau.Salangueexplorasaboucheavecunsavoir-faireauquelellenes’attendaitpas.Illaissaglissersamainautourdeseshanchesetlaserradefaçonàcequ’ellesentedenouveausonérection.

C’étaitcequ’elledésirait.Elleavaitobservélemoindredesgestesdecethommeaucoursdestroisderniers jours.Elleavaitobservélemouvementdesesmusclessoussesvêtements.Celuidesesyeux.Celuidupliaucoindesabouche,quiévoluaitselonsonhumeur.Ellel’avaitdanslapeau.

Etpourtant elle était toujours ingénue.Sansvouloir l’admettre, elle avait tellementenviequ’il latouchequec’enétaitdouloureux.Elleavaitatteintlepointdenon-retour.Pourlapremièrefoisaucoursdecesdixdernièresannées,elleavaitréussiàadmettrequ’elleavaitbesoindeça.Qu’ellevoulaitsentirleslèvresd’unhommesurlessiennes,etsesmainssursoncorps.

Detousleshommesrencontrésaucoursdecesdixannéesdedénuementaffectif,ilfallutqueleseulquil’attirâtétaitceluidontellenesavaitrien.Unétranger,aussisecretqu’ellesursavie.

Succomber à ce désir lui faisait risquer la pire des blessures.Bienpire que toutes les blessuresphysiquesqu’elleavaitconnues.Elleneparvenaitpasàcomprendrepourquoielleavaitsuccombé.Maisil était trop tard.Et à cet instantprécis, alorsqueGrey la tenaitdans sesbras, si fortque seuls leursvêtementslesempêchaientdenefaireplusqu’un,elleneregrettaitrien.

Leur baiser se prolongea encore et encore, leurs langues s’entremêlant pour le faire durer, pours’explorermutuellement.Greyposalamaindroitesoussesfesses,ettoutenpliantlesgenoux,laserraencoreplusfortcontrelaturgescencedesonbas-ventre.

Sa respirationétait irrégulière,etelleaimait sentirqu’elle lui faisaitceteffet-là.Ellesentaitdeseffluvesdedésirs’échapperdesoncorpsenréponseaumouvementdeseshanches,desalangueetdesesmains.

Ilsecontractasoudain,détachantsoncorpsdusien.Ilrelâchasonétreinteetposalesmainssursesépaules,reculantd’unpas.Elleouvritlesyeux,aveclemêmesentimentd’abandon,defrustrationetdepertequel’autresoir.

Illaregardait,laboucheclose,sansaucunmouvement.Ellevoulaitrevoircemouvementaucoindeseslèvres,cettepetitemarqued’amusement,demoquerie.Mêmesic’étaitpoursemoquerdecequisepassaitentredeuxpersonnesquis’étaientd’abordaffrontées.

—Grey,dit-elle,netrouvantpasd’autresmots.—Nousnesavonspluscequenousfaisons,dit-ildoucement.Elle évalua ses propos. Ils n’étaient pas déplacés. Ils décrivaient demanière juste ce qui s’était

passé, du moins pour elle. Elle avait perdu son sang-froid. C’est lui qui avait fait voler en éclat lecontrôleimplacablequ’elleexerçaitsursesémotionsdepuisplusdedixans.

Elleacquiesça,soutenanttoujourssonregard,etcherchantàliresespensées.—Jenevoulaispasquecelaarrive,dit-ildoucement.Elleacquiesçadenouveau,sentantladélicieuseexcitationquil’habitaitàpeinequelquessecondes

plus tôts’enaller.Sansqu’ellesachepourquoi. Iln’yavait riendechoquantdans lesproposdeGrey.Ellenonplusnepensaitpasqueçaarriverait.

—Jeferaismieuxdepartir,jepense.Lesmotsrestèrentsuspendusdanslevide.Est-cequ’ilespéraitqu’elleluiproposeraitdepasserla

nuitici?sedemandaValerie.Danssonlit?

Toutenformulantcespensées,ellesavaitqueceseraituneerreur.Pourelle,poureux.C’étaittroptôt, tropsoudain.Trop…dangereux.Ellene leconnaissaitpas.Ellenesavait riende lui,hormisqu’ilétaitcapabledelafaireredevenircequ’ellen’avaitplusétédepuisdesannées:unefemme.Vulnérable,pleinededésiretdebesoins.

Ellen’étaitpasconvaincued’êtreprêteà l’assumer.Elleétait capablede seposer lucidement laquestiontantqu’ellenesentaitpassalanguejoueraveclasienne,savirilitéplaquéecontresoncorpsluitransmettantsonexcitationetsaforce.

«Troptôt.Tropsoudain.»—Çavaudraitpeut-êtremieux,répondit-elleavecdouceur.—Vousallezbien?demanda-t-ilenlaregardant.Elle fit signe que oui, sentant les larmes poindre sous ses paupières,malgré l’assurance qu’elle

affichait.Elleluttapournepasleslaisservenir.Ellesoutintsonregardenmobilisanttoutesavolonté,cettedéterminationbornéequiluiavaitpermisdetraversertantd’épreuves.

—Jevaisbien,chuchota-t-elle.Maissavoixetsonvisagedémentaientsespropos.Delamain,Greyécartadesatempeblesséeune

mèchedecheveuxhumides.Puisildéposaunbaisersurlespointsdesuture.—Sûr?demanda-t-il,sonsoufflechaudparcourantsapeau.—Oui,nevousinquiétezpas.Ilfinitparacquiescer.—Verrouillezvotreporte,onseverrademainmatin.Il relâcha sonétreinteetpartit, s’éloignantdans lecouloir, sansun regard.Valerie rentradans la

salle de bains et s’appuya doucement contre le lavabo. Puis elle ouvrit les yeux et se retourna pourobserversonrefletdanslemiroir.

Quelque chose avait changé dans son image.Une altération dans les yeux, peut-être. Sombres etgrands ouverts. Comme sous l’effet d’une immense surprise. Et légèrement voilés par des larmesretenues.

Oualorsunchangementsursabouche,meurtrieparlesbaisersfougueuxd’unhomme.Oubiensursesjouescolorées,marquéesparlecontactdecelles,rugueuses,d’unhomme.

Elleétaitdifférente.Vulnérable.Pleinededésiretdel’enviepressantederetrouverlessensationséprouvéesautrefois.Maisc’étaittroptôt.Tropsoudain.Etbeaucouptropdangereux.

***

Ilfaisaitnoirdanslacuisine,carilavaitéteintlalumièreaprèsavoirfinilavaisselleetprogrammélacafetière.Enquittantlasalledebains,ilavaitl’intentiondesortirparlaportededevant,maisilavaitéchouélà,remarquaGrey.Apparemment,c’étaitlanuitdetouteslestentations.Ilavaitdéjàcédéunefoisetgoûtéàunplaisirinterdit.

Pendantpresquequatrejours, ilavaitrésistéàlatentationd’embrasserValerieBeaufort.Joursaucoursdesquelsilavaitadmirélecouragedelajeunefemme,nonseulementavecl’étalon,maisaussiencomprenant pourquoi elle n’avait pas voulu aller chercher lesmédicaments que sonmédecin lui avaitprescrits.Ill’avaitvues’accommoderdeladouleursansseplaindre,etluidemanderdel’aidedebonnegrâce,malgrésesréticences.

Ce soir, lorsqu’elle était apparuedans cette nuisette si finequ’elle en était immatérielle, il avaitsuccombé.Et il succombait une fois de plus en saisissant la bouteille dewhisky. Il se tint là un longmoment,passantenrevuetouteslesraisonspourlesquellesilnedevaitpasl’ouvrir.

Ilétaitenmission,mêmesic’étaitdelafoutaise.Onlepayaitpourceboulot,etilnebuvaitjamaisautravail.C’étaitunerègled’or.Desviesétaientenjeu.

Maisdesgensétaientmortsdetoutefaçon,pensa-t-ilamèrement,etquandc’étaitarrivé,iln’avaitpasbu.Ils’étaitmontréincompétent.

«Etc’estenbuvantquetuvasredevenircompétent?»luiassénasaconscience.«Boireunverrevam’aideràdormir,aprèscequivientdesepasser»,sedit-ilenretour.Malgré

la douleur dans son bas-ventre, et sa désaccoutumance au désir d’être en compagnie d’une femme àlaquelleiltenait.

IlvoulaitêtreavecValerie.Ilavaitcessédesedemanderpourquoi.Ellen’étaitpasvraimentbelle.Pasaupointd’êtreirrésistible.Etaudépart,ellenepouvaitpaslevoirenpeinture.

Ilinspira,etlâchalabouteille.Pourtant, elle ne l’avait pas embrassé comme quelqu’un qu’elle ne pouvait pas voir. Elle avait

répondu à ses baisers avec fougue. Comme si elle avait voulu qu’il lui fasse l’amour, autant qu’il ledésiraitlui-même.

Etait-ceparsolitude?Quisait.Entoutcaselleavaitréagiavecpassion,cequinerendaitpasleschosesplusfaciles.Aucontraire.

Ilsaisitdenouveaulabouteilleetl’emportaaveclui,sortantparlaportearrière.Ilhésitauninstant,lamainsurlapoignée.S’ilvoulaitboirepours’endormir,illuifallaitunverre.Questiond’honneur.Leseulquiluirestât.Iln’enétaitpasencorearrivéàboiredirectementaugoulot.

Uninstant,l’imagedeValerieBeaufortapparutdanssatête,aussiclairementquelorsqu’illuiavaitsaisileshanchespourlaserrercontrelui,commes’ilenavaitledroit.Commesicen’étaitpaslaP.-D.G.d’unedesplusgrossesentreprisesdel’Etat.Dupays,même.

Commes’ilétaitceluiqu’ellevoulaitsentircontreelle.«C’étaitlecas»,luirappelasonego.«C’estparcequ’ellenesaitpas…»Ilinterrompitcettepenséeavantqueneseformentlesimagesquiaccompagnaientcesmots.Iltourna

lapoignéede laporte, en colère, sachantquece soir, il viderait cettebouteille.Ce serait toujoursunproblèmemoinslourddeconséquencesqueceluiqu’illaissaitderrièreluidanscettemaisonsilencieuse.

6

La sonnerie du téléphone déchira le calme de la nuit, brutale car inattendue. Beaucoup de gensavaientappeléaucoursdelasemaineoùsonpèreétaitmort,d’autresaudébutdecettesemaine-ci,maiscesderniersjours, lesappelss’étaientraréfiés.Letéléphonen’avaitmêmepassonnédutoutdepuislaveille.Pasdepuisqu’elleavaitexpliquéaureprésentantdelasociétédesécuritécommentvenirauranch.

Valerieressentitcetappelcommeuneintrusiondontelleseseraitbienpassée.Elleavaitd’autreschosesentêtedepuisledépartdeGrey.Elleétaitassisedanslefauteuiloùelleavaitpassélamajeurepartiedesontempscesderniersjours,ressassantcequis’étaitpassé,etsurtoutcequecelasignifiait.

Ellefinitpardécrocheràcontrecœur.«Faitesquecesoitn’importequisaufConnie»,souhaita-t-elle.—Tupeuxparlerlibrement?C’étaitAutry.ElleavaitoubliéqueGreyl’avaitavertiedesonappel.Elleavaitdumoinsrelégué

l’informationdansuncoindesamémoirepourseconcentrersurd’autreschoses.Bienplusimportantes,selonelle.

Avant d’entendre cette voix familière, elle n’avaitmême pas envisagé que ça puisse être lui. Saquestion—«Tupeuxparler librement ? »— la prit donc de cour.Elle sonnait commedans un filmd’espionnage,maisc’étaitbiendanslestyled’Autry.

—Biensûrquejepeuxparlerlibrement,répondit-elle,amusée.—Oùesttongardeducorps?—Dansl’annexe.Acemoment,sonespritengourdiparvintàsaisirlemotifdecetappel.ElleavaitdemandéàAutry

deserenseignersurGrey.Mais leschosesavaientchangédepuis,ellen’éprouvaitplus lebesoind’ensavoirplussurl’hommequivivaitdanssonranch.Etaprèscequis’étaitpassécesoir…

—Tuessûrequ’ilnepeutpast’entendre?insistaAutry.—Oui,j’ensuissûre.Qu’est-cequisepasse,Autry?—TuvoulaisquejemerenseignesurSellers.Après cette soirée, cette demande lui paraissait être une trahison, songeaValerie.Unmanque de

confiance.«Saufquej’aidesraisonspournepasavoirconfianceenn’importequi»,serappela-t-elle,amère.

Enoutre,elleavaitbeletbiendemandéàAutrydeserenseigner,etapparemmentils’étaitatteléàlatâche.Ils’étaitpeut-êtremêmedonnébeaucoupdemal,vuletempsécoulédepuiscetterequête.Ellesedevaitdoncauminimumd’écoutercequ’ilavaitàluidire.

Le ton méfiant qu’employait Autry donnait l’impression qu’il avait découvert quelque chose dedésagréabledanslepassédeGrey,cequilafaisaitcependanthésiteràl’écouter.«Maisbiensûrquesi,

ilfautl’entendre»,luidisaitsonespritrationnel.«Tuasdéjàsouffertunefoisd’avoirfaitconfianceàunhommequin’enétaitpasdigne.Alorsgrandis.»

—Qu’est-cequetuastrouvé?seforça-t-elleàdemander,retenantsonsouffle.—Rienderien,ditlevieuxmonsieur.Letondesavoixn’étaitpourtantpasrassurant.—Tantmieux.Non?ajouta-t-elle,devantlesilencedesonami.—Cequejeveuxdire,c’estquejen’airientrouvédutout.Cetypen’apasdepassé,Val.Iln’yen

apasdetraces,dumoins.—Toutlemondeaunpassé.—C’estvrai.C’estpourquoiquandonnetrouveriensurceluidequelqu’un,ons’inquiète.—Jenetesuispas,là.—Toutcequinousarrivedansnotrevielaissedestraces.Notrenaissance,notremort,lesécoles

qu’on a fréquentées, le fait d’avoir appartenu à l’armée, les emplois qu’on a occupés. Toutes cesinformationssetrouventstockéesdansunordinateur,quelquepart.Dansdesregistresdupersonnel,desimpôts,oudansceuxdelaSécuritésociale.Généralement,ilyaunetrace.

—Ettun’asrientrouvédetoutçasurGreySellers?Val n’avait pas envie d’entendre ça,mais Autry avait cependant attiré son attention. Parce qu’il

n’avaitrientrouvédutout.Ellecomprenaitcequecelaavaitd’étrange.C’étaitmêmeimpossible.—Pasdetraces,confirmaAutry.Pasd’adresseavantqu’ilnes’installedansl’Etat.Riensurdes

emploisqu’ilauraitoccupés,rienderien.—Qu’est-cequeçasignifie,selontoi?—Quequelquesoitlesecteurdanslequelilatravaillé,iln’yaaucunmoyendelesavoir.Peut-être

qu’ilpourrait citerdesnomsde sociétésqui l’auraient employé.Etmême trouverquelqu’unquidirait«oui,oui, il a travaillécheznousde telledateà telledate».Mais le fait estqu’onne trouvepasdetraces d’employeurs qui auraient payé des charges sociales pour lui. Pas de documents W2, pas devolets401K.Rienderien.

—Jepensequ’ilétaitmilitaire,ditVal,sanssavoircequiluifaisaitcroireça.—Cen’estpasinscritdanslesfichiersdugouvernement.—C’estabsurde.—Amoinsqu’onaitnettoyélesfichiersoùilapparaît.—Nettoyélesfichiers?—EffacétouteslesdonnéesserapportantàundénomméGreySellers.—Oualorscen’estpassonvrainom,suggéraVal.—Peut-être,maisc’esttoutcequenousavons.Uncertificatdenaissance,rédigéilyatrente-huit

ans,ici,dansleColorado.EtcecertificatcomporteunnumérodeSécuritésociale.—Etiln’yariend’autre?demandaVal,incrédule.—Rien qu’on puisse consulter. Dumoins pas avant qu’il s’installe dans la région, au début de

l’annéedernière.—Alors…qu’est-cequeçasignifie,aujuste?Ilyeutunnouveausilence.—Jen’ensuispassûr,finitparavouerAutry.Ellel’entenditsoupireràl’autreboutdufil.—Entoutcas,faireça,cen’estpasuntravaild’amateur.Cen’estpasquelquechosequisefaiten

untourdemain,surtoutquandc’estfaitaussiconsciencieusement.Quelqu’unquialebraslonganettoyétoutcequiconcernaitnotrehomme,c’estpourquoij’aimissilongtempsàterappeler.

—Est-cequeçaveutdire…qu’ilatrempédansdesactivitéscriminelles?

Valsentaitl’effroiluinouerl’estomac.Ellenevoulaitpasentendreça.C’étaitdéjàassezdurpourelledeseconvaincrequ’elleétaitentraindetomberdenouveauamoureuse.

Or, tomber amoureuse d’un homme qu’elle connaissait à peine était bien la dernière de sesintentions.Etvoilàqu’Autryétait en trainde luidirequeGreySellersétaitpotentiellementdangereuxpourelle,poursessentimentsetsonintégritéphysique.

—Pasforcémentcriminelles,ditlevieilhomme.CesmotsapaisèrentlégèrementVal.—Enfait,çaressembleplutôtàunecouverture.Auboutdequaranteansdanscemétier,onfinitpar

flairerleschoses.—Unecouverture?—C’estpeut-êtreuntémoinqu’onprotège,ouquelquechosecommeça.Quirentredansuncadre

officiel en tout cas. Je cherche encore à en savoir plus,mais jeme suis dit qu’il valaitmieux que tusachescequ’ilenétait,machérie,d’autantplusqu’ilhabiteavectoi.

— Comment devient-on un témoin protégé ? Est-ce que ça ne concerne pas les criminels quiacceptentdetémoignercontred’autresmalfrats?

—Ça peut aussi concerner les témoins de crimes.Ou bien des flics infiltrés qui ont perdu leurcouverture.Ilyapleindecaspossibles,enfait.Çapeutconcernerquiconqueabesoind’êtreprotégéetconsidérécommeayantassezd’importanceparlegouvernementpourqu’onluiaccordecetteprotection.

Unnouveausilences’installatandisqueValerieréfléchissaitàcequ’Autryvenaitdedire.— Si Grey Sellers avait besoin d’être protégé, est-ce qu’il dirigerait un cabinet de protection

rapprochée?demanda-t-elle.Çanecollaitpasavecl’hommequ’elleavaitcôtoyédetrèsprèscesderniersjours.Pourtant,elleétaitsûrequ’Autryluidisaitlavérité,carilavaittropd’expériencepoursetromper.

Dèsledépart,elleavaitsentiqu’uneaurademystèreflottaitautourdeGrey.Maiscommel’avaitditsonami, s’il bénéficiait d’une protection, ça ne voulait pas forcément dire qu’il avait commis un acterépréhensible.

Elle se souvint de s’être demandé si Grey avait appartenu à un service de sûreté. Peut-être quec’était quelqu’un dont la couverture avait sauté et qui avait dû « devenir » un autre. Il n’était pasforcémentdumauvaiscôtédelaloi.

—Dirigeruneagencedesécuritépourraitêtrelacouvertureparfaite,déclaraAutry.Aprèstout,quisoupçonneraitquequelqu’unquitravailledanscesecteurbénéficied’uneprotectionlui-même?

—Ceseraitunex-flic?demanda-t-elle.C’étaitl’explicationqu’ellepréférait.—C’estunepossibilité,réponditAutry,visiblementsceptique.—Maistun’ycroispas.—Jen’aipasassezd’élémentsàdispositionpourcroirequoiquecesoit.—Quefaire,alors?—Jecontinuedechercher.Ettoi,turestestrèsprudente.Jen’aimepaslesgensquinesontpasce

qu’ilsprétendentêtre.Cetypeestunbaratineur.PourAutryetlepèredeVal,lesbaratineursétaientcequ’ilyavaitdepire.Sonex-fiancéenétait

un.Val pensait que sa belle-mère en était également une, raison pour laquelle elle s’en était toujoursméfiée.EtmaintenantGrey…

Ellesoupira.—MerciAutry.Jeseraiprudente,jetelepromets.Detoutefaçon,ilserapartidèsquelesystème

desécuritéserainstallé.—Est-cequetuasparléàcetagentindépendant?Cetypequil’aenvoyé?—Pasencore,ditVal.

Ellen’avouapasqu’ellen’avaitpascherchéàlerappeler.IlsepouvaittrèsbienqueJoeWallacesoitrevenudanssesbureauxetaitétédisponibleaucoursdestroisderniersjours.

—Essaiedel’avoir.Interroge-le.Chercheàsavoirs’ilsepeutqu’ilssoientensemblesurlecoup.—Surquelcoup,Autry?Qu’est-cequetucroisqu’ilspourraienttenterdefaire?demanda-t-elle,

suruntonexaspéré,carellenecomprenaitrienàcequisepassait.Or,elledétestaitêtredansleflou.Jen’aipasd’objetsdevaleur,jen’aiquemeschevaux.Sionvoulaitlesvoler,onn’auraitqu’àleschargerdans un camionpendant la nuit et s’enfuir.Onne se donnerait pas lemal d’envoyer un fauxgarde ducorps.

—Jen’aiaucuneidéedeleursintentions,machérie.Jen’ensaispasassez,mêmepourrisquerunehypothèse.Peut-êtrequejemefaisdesidées,queleprofildecetypen’apasderapportdirectavectoi.Mais il te faut garder en tête que tu es devenueune femme riche.Cequi signifie que toutes sortes devautours risquent de te tourner autour, avec toutes sortes d’idées malsaines, et l’espoir de te sentirvulnérable.Afindes’emparerd’unepartdugâteau.

—Jesais,dit-elledoucement.«Avec l’espoir de te sentir vulnérable… » Ces mots avaient fait mouche. Elle s’était montrée

vulnérablequandGreySellers—ouquelquesoitsonnom—l’avaitembrassée.Rienn’avaitchangé,sedit-elle,amère,saufqu’ellenepouvaitplusdissimulerqu’elleétaitlafille

deCharlieBeaufort et ne se tenait plus à l’écart de l’argent de celui-ci.C’étaient sesmillions à ellemaintenant, et elle avait été bien naïve de croire qu’elle allait échapper à la convoitise en venants’installerici.

Dixansauparavant,elleavaitespérés’êtreéloignéedetouscestracas.Maisledécèsdesonpèrel’avait ramenée au centre de la scène. Grey Sellers était-il le premier à se rendre compte qu’elleconstituaitungibierdechoix?Lepremieràfomenterunplan?

—Sijamais…,repritAutry,sansfinirsaphrase.Ellel’entenditdenouveausoupirer.—Sijamaisilt’arrivaitquelquechose,Val,qu’adviendrait-ildetesparts?Sijamaisilt’arrivaitquelquechose…Ellen’avaitjamaispenséàça.Carellen’avaitjamaiseude

raisonsd’ypenser.Ellen’avaitquetrente-troisans,bonsang!MaisAutryn’avaitpastort:désormais,elle était riche. La question de son vieil ami était donc pertinente, d’autant plus qu’elle venait dequelqu’und’expérience.

— Mes parts seraient réparties entre les différents associés, en proportion de la part qu’ilspossèdentdéjàrespectivement.C’estunaccordclassiqueentreassociés.Selonnosavocats,dumoins.

—Enfaitjemedemandaissi,comptetenudufaitquetuavaishéritédespartsdetonpère…Bienqu’ellesachequesurletestamentelleapparaissaitcommel’héritièredesonpère,ellepensait

obtenirseulementleranch.Desannéesplustôt,peuaprèsavoirrompusesfiançailles,elleavaitimploréson père de faire en sorte qu’à sa mort ses parts soient divisées entre les autres associés. Ni latechnologiedanslaquelleexcellaitAv-Tech,nilafortunequ’avaitapportéelasociétéàCharlieBeaufortnel’intéressaient.Elleavaittoujoursconsidérécetargentcommelaracinedetouslesmaux.

Puis,àlalecturedutestament,elleavaitdécouvertquesonpèreavaitfaitlecontrairedecequ’ellelui avait demandé. Il lui avait transmis ses parts de la société, avec toutes les responsabilitéscontraignantesquiendécoulaient.

—Jepourraistransmettremespartsàunhéritier.Chaqueassociélepeut—quecesoitàsafemmeouàsesenfants.Maissil’und’eux…Sil’und’euxvientàmourirsanshéritier,sespartssontpartagéesentrelesassociésrestants.

—Etdanstontestament…,repritAutry.—Jen’aipasrédigédetestament,lecoupaVal.Jen’envoyaispasl’utilité,nepossédantquemes

chevaux.

—Maintenanttupossèdesbienplus.Ilavaitraison,biensûr.Etendépitdel’accord,elleignoraitcombiendetempsçaprendraitpour

quesesparts,àsondécès,soientdiviséesentrelesautresassociés.Ilsétaienttousâgés,certainsétaientenmauvaisesanté, ilsavaientdoncbesoindeladisponibilitédeleurscapitaux,ycomprisceuxplacésdanslasociété.Lecaséchéant,illeurseraitplusfaciled’obtenirsespartssielleécrivaitnoirsurblancdansuntestamentlamêmeclausequecellefigurantdansl’accordentreassociés.

—J’appellerailesavocatsdemainmatin,dit-elle.Jeteprometsdeleursoumettrelaquestiondèsquepossible.Jemedemandepourquoiilsnem’ontpaspresséederédigeruntestament.Detoutefaçon,ilfautquejevoieaveceuxoùilsensontdeleursrecherchesd’unconseillerendirection.Ilfaudrapeut-êtrequejelessecoueunpeu.

—Tuferasbien,machérie,maiscen’estpaspourçaquejeteposaiscettequestion.Tucherchaiscequepourraitavoiràgagneruntypequit’envoieungarsquin’estpas…vraimentceluiqu’ilprétendêtre.

—Quecherches-tuàmedire?—Sicetypearriveàt’influencer…,commençaAutry.Valeriesentituncourantfroidparcourirlapartieinférieuredesoncorps,àl’endroitmêmeoùelle

brûlaitdedésirquelquesminutesplustôt.Elleseremémoralasalledebainshumide,leslèvresdeGreysurlessiennes,lasensationdesesmainsposéessursesfessespourl’attireràlui.

—Ouàavoirquelqueeffetsurtoi,continuaAutry,maladroit.Enfin,tuvoiscequejeveuxdire.Jeveux simplement que tu sois consciente que s’il tente quelque chose de ce genre, il se peut que sesintentionsnesoientpascequ’ellesparaissentêtre.

—Tusous-entendsquecethommepourraitenvouloiràmonargent,etnerienavoiràfairedemoi?Quelleidéechoquante,ditVal.

Elle pensait avoir dit ça sur un ton très étudié,maisAutry n’était apparemment pas dupe de sonsarcasme.

—Désolé,machérie,jesaisque…Ilhésita.AutryCarmichaelétaitundesraresàsavoirpourquoielleavaitrompusesfiançailles,elle

sedoutaitdoncqu’ilchoisissaitsesmotsavecsoin.—Ecoute,jenecherchequ’àfairecequ’auraitattenduCharliedemoi.Entantqu’ami.Entantque

sonamietletien.Mamiseengardeétaitamicale.Unrappel.Jesaisquetuestropintelligentepourtelaisserbernerparunenfoiréquin’envoudraitqu’àtonargent.

—Unefemmeavertieenvautdeux,c’estça?—Val…—Çava,Autry,toutça,c’estderrièremoimaintenant.Jen’yrepensejamais.Jenerepensejamaisà

lui.Etjetejurequejesuisbienplusmaturequ’àcetteépoque-là.—Donc,cetypenet’apasfaitd’avances?—Ilm’afaitlacuisine,ditValsuruntonvolontairementléger,réprimantsonancienneamertume,

oulanouvellequicommençaitàpoindre.Ils’estaussioccupédeschevaux.Maisiln’apasessayédememettredanssonlit,sic’estcequitetracasse.

—Passerquaranteansdanslasécuritérendsuspicieux,ditAutry,quisemblaitsoulagé.J’imaginequec’estplutôt idiotdemapartdepenserqu’ilpourraitavoirdemauvaises intentionspour lasimpleraisonqu’onnetrouveriensursonpassé.

—Etantdonné…—Quoimachérie?—Rien. Ecoute, j’appellerai les avocats demainmatin, et je ferai en sorte que tout soitmis en

ordre.Jemedemandepourquoijen’aipaspenséàrédigeruntestamentavant.Tropdechosesenmême

temps,jecrois.Etjen’aijamaisvouludecesparts,enplus.J’aiessayédelefairecomprendreàpapa.Jepensaisqu’aprèscequis’étaitpasséavecBart,ilavaitcompris.

Autryéclataderire.—QuandCharlies’étaitmisune idéeen tête, ilétaitdifficilede lui fairechangerd’avis.Jesuis

contentqu’àcetégardturessemblesàtamère.C’étaitétonnantd’entendreAutrylacompareràsamère,etnonàsonpère.—Jeterappelleraiaprèsavoircontactélesavocats,dit-elleencoreunefois.—Dorsbien,machérie,ditAutry,etnet’inquiètepas,toutvabien.«Maisbiensûr,seditVal,toutvabien,saufmoi.»

***

Greyseréveillaensursaut,laboucheouverteetsèche,lecœurbattantcommes’ilallaitéclater.Ilhaletaitaussifortques’ilavaitcouru.

Il avait fait un cauchemar. «Un rêve», se dit-il en s’efforçant de s’éveiller complètement,« cen’estqu’unrêve».

Ilétaitassisdansson lit, lesdrapsserrésdans lespoings. Il fermalesyeux,cherchantà respirerpluscalmement,àralentirsonrythmecardiaque.

Il ne pouvait plus revenir sur ce qui s’était passé. Il avait deux ans de retard. Une décharged’adrénalinequivenaitletirerdesonsommeilalcoolisénepouvaitrienychanger.

Ilsemitàrespirerplusnormalement.Ilfermalabouche,passantlalanguesurseslèvressèches.Ilsavaitoùilétait.DansleranchdeValerieBeaufort,dansleColorado.Iln’étaitpaslà-bas.

«On ne peut pas revenir en arrière », lui avait ditGriff. Griff ne devait cependant pas savoirgrand-chosesurlescauchemars.Cardanslescauchemars,onrevenaitsanscesseenarrière.

Il ouvrit lesyeux, sentit lamigrainequi l’étreignait, et fut surpris de l’obscuritéqui régnait dansl’annexe.Plustôtdanslanuit,ilavaitperçul’éclatdelaluneetuneodeurdepluie.Ilétaitrestésurlepasdelaporte,inspirantprofondément,pourtenterd’oublierleparfumdeValerieetpourquesonimageluisortedelatête.

Il parcourut la pièce des yeux, à la recherche de la bouteille qu’il avait bue au clair de lune,cherchantàoubliersesactes.IlavaitfranchilaligneblancheentouchantValerieBeaufort.Iln’arrivaitplusàmaîtrisersesémotions.Iln’avaitplusdesang-froid.L’hommeentraînéparGriffCabotn’existaitplus.

Perdudanssesregrets,ilfinitparpercevoirunbruitquiavaitdûservirdefondsonoreàsonaffreuxcauchemar.C’étaitpeut-êtremêmeçaquil’avaitréveillé.

C’étaitunclaquementrégulierassezlointain.Unvoletquibattaitdanslevent?Uneported’écurie?Par association d’idées, il devina ce qui provoquait ce bruit : l’étalon essayait une nouvelle fois des’échapperdesastalle.

Greyrepoussasesdrapsetseleva.Tropvite:lapiècesemitàtourbillonner.Ilserassitsurleborddulitdecamp,etsepritlatêteentrelesmains,respirantlaboucheouverte.Aprèsquelquesinstants,ilouvritlesyeux.

Son jean était par terre, là où il l’avait jeté lorsqu’il s’était effondré dans son lit. Il se penchalentement pour le ramasser, prenant soin d’éviter d’être de nouveau pris de vertige. Apparemment, iln’avaitpasdormiassezlongtempspourqueleseffetsdel’alcoolsesoientcomplètementdissipés.

Ilenfilasonpantalon,toujoursassis,etunemainposéesurlelit,semitdoucementdebout.Soulagédeconstaterque leschosesavaientcesséde tournerdans lapièce, il remontasonpantalon,maisne lefermapas.

Puisilchaussasesbottes,négligeantdechercherseschaussettesdansl’obscurité.Ilnetrouvapassachemise,etn’allumapas,carlaseulepenséedelalumièreblafardedel’ampouleluidonnaitmalàlatête.Iltraversalapiècetoutenboutonnantsonjean.Lorsqu’ilouvritlaporte,ilfutheureuxdesentirleventfraisquis’engouffraitdanslapièce.Çaluipermettraitderecouvrersesesprits.

Ilpleuvait:degrossesgouttess’écrasaientsurlesolmeubleetsecdelacouretrésonnaientcommedesgrêlonssurletoitenfer-blancdel’annexe.L’airétaitchargéd’électricitéàl’approchedel’orageetc’estcequiexcitaitl’étalon,évidemment.

Greyposalamainsurlarampepourdescendrelestroismarchesetgardersonéquilibre.Lewhiskyqu’ilavaitabsorbéluibrouillaitencoreunpeulesidées,maisl’airquiluifouettaitlevisageluifaisaitdubien.Unéclairdéchiralecieltandisqu’ilsedirigeaitversl’écurie,puisleroulementdutonnerresefitentendre.Etenfondsonorerésonnaittoujourslebruitrégulierquil’avaitréveillé.

Des nuages de poussière soulevés par le vent volaient devant lui. Il jeta un regard à lamaison,plongéedansl’obscurité,portesetvoletsclos.Maissilebruitprovoquéparlechevall’avaitréveillé,lui,ilrisquaitégalementderéveillerVal.

Ilsedemandaits’illesouhaitaitounon.Cen’étaitpastroplemomentdesetrouverdenouveaufaceàValerieBeaufort. Il s’étaitmontré incapabledegarder sesdistances avec elleunpeuplus tôt, alorsqu’iln’avaitpasbuunegoutte.

Ilouvrit ladoubleportesur ledevantde l’écurieetentendit toutdesuitecemêmebruit régulier,plusfort.Ilentraetattenditquelquessecondes,laissantsesyeuxs’habitueràl’obscurité,puissedirigeaverslastalle.

Ilcompritquelebruitnevenaitpasdelà.Levoletsupérieurdelaportearrièredel’écurie,cetteporteàtraverslaquelleilavaitregardéValàsoninsupourlapremièrefois,s’étaitdétaché.

Leventlefaisaitbattreetclaquersansarrêtcontrelemurdel’écurie.Grey se dirigea hâtivement vers les stalles, à l’endroit où l’ouverture de la double porte laissait

filtrerlalumière.Aupassage,iljetaunœilàl’étalon.Kronusétaitagité,àcausedel’orageapprochantetdubruitdelaporte,maisplutôtcalmecomptetenudescirconstances.

Greyattrapalevoletaumomentoùilallaitclaquerdenouveau.Illuttacontreleventetparvintàlefermeretàbloquerlabutée.Ilrestaimmobilequelquessecondesdanslecalmerevenu,prêtantl’oreilleauxbruitsdudehors.Ilpleuvaitplusfort,lesgouttesmartelaientletoitdel’écurie.

Lesodeurssi familièresdesa jeunessesemblaientencoreplus intensesdans l’obscurité.La terresèchequiabsorbaitl’humidité.Lefoinmouilléquidéveloppaitsesparfums.L’odeurdeschevauxetdessellesdecuirpatiné.

Parsimpleprécaution,ilserenditàlastalledel’étalon,carsilebattementdelaportenel’avaitpaseffrayé,lapluienel’inquiéteraitpasd’avantage.

—Tuesunbongarçon,hein?chuchotaGreysuruntonapaisant.Ilnecaressapaslecheval.Ilétaitunétrangeretnevoulaitpasrisquerdel’effrayer.—Cen’estrien,justeunpeudeventetdepluie.Riendegrave.—Ilvabien?Ilseretournad’unblocetvitValeriedansl’entrebâillementdeladoubleporte.Sachemisedenuit

blancheluisaitdansl’obscurité,maisilnevoyaitpassonvisage.—Ilvabien,oui.Unvoletdelaportes’étaitdécroché.C’estçaquifaisaitcebruit.Elleneréponditpas.Ellevérifiaitpeut-êtrequelaporteétaitbienraccrochée.Ilnevoyaitqu’une

silhouettefantomatique.Soudain,unautreéclairzébralecieletl’éclaira.Pour se protéger de la pluie,Valerie tenait au-dessus d’elle une sorte de poncho. La lumière de

l’éclairlaissaentrevoirlapartieinférieuredesoncorpsàtraverslefintissu,presquecommeunrayonX.Unevisionfugace,puisl’écuriereplongeadansl’obscurité.

Greysentit lesangluimonteràlatête, tellementfortqu’iln’entendaitpluslapluie.Commesiuncônedesilences’étaitforméautourdelui,nelaissantfiltrerquel’imagedeValerieavecsachemisedenuitcolléeparlapluie.Unevisionencoreplusexcitantequesielleavaitéténue.

—Commentcelaa-t-ilpuarriver?demanda-t-elle,d’untonétrange.—Acauseduvent,ditGrey,dontl’espritétaitailleurs.Ilseremémoraitlasoiréequ’ilsavaientpassée;soncorpscontrelesien,lafaçondontelleavait

réponduàsonbaiser,commesielleavaitattenducemomentdepuisplusieursjours.Elle entra dans l’écurie et referma les portes derrière elle.L’obscurité était presque totale,mais

Greypercevaitnéanmoinsqu’elles’approchaitdelui.Peut-êtrepourallerinspecterlaportearrière,cequisignifiaitqu’ellepasseraittoutprèsdelui.Siprèsqu’ilpourraitlatoucher.

«Latoucher.»Cesmotsrésonnèrentdanssatêteetilluttacontreeux.C’estparcequejesuisivre,sedit-il,quel’idéedelatoucherm’atraversél’esprit.

Ilnedevaitplusriensepasserentreeux.Iltravaillaitpourelle,ilnedevaitpluslatoucher.Déjàunepremièrefoisiln’avaitpasréussiàsemaîtriseretcettefois…

Cettefois, toutauraitétémieuxs’iln’avaitpasétésiprèsdelafemmequ’ilétaitcenséprotéger.Maisn’était-cepascontradictoirepuisqu’ilétaitsongardeducorps?

Sesyeuxs’habituèrentàl’obscurité,etildistingualescontoursdesoncorps,commesielleprenaitsoudainforme,siprochequ’ilpouvaitsentirleparfumdesonshampooing,évocationimpalpabledecequis’étaitpassédanslasalledebains.

—Vraiment, il va bien ? répéta-t-elle d’un ton dubitatif. Lorsque j’ai entendu du bruit, j’auraisjuré…

Ellerepliasonponcho,enprenantsoindenepaslefroisser.—Jesais,ditGrey,quis’efforçaitdenepasrespirersonparfum,denepaspenseràelle.Jel’aicru

aussi,maismêmelebruitdelaportenel’apaseffrayé.—Vouscroyezquequelqu’unluia…faitquelquechose?Jeveuxdire,cematin.—Quoiparexemple?—Jenesaispas.Faitmal,oudonnéquelquechose.Halleyaparlédemauvaisesherbes.—Vousvoulezdirequequelqu’unluiauraitfaitmangerquelquechose?Çaluisemblaitpeuvraisemblable.Lesétalonsétaientparnatureinstables,etendépitdecequ’il

avaitditaumédecin,ilattribuaitlecomportementduchevalàcetteinstabilité.—Oul’auraitdrogué,ditdoucementValerie.Greycompritqu’elleavaitcette idéeen têtedepuisunmoment. Il sedemandapourquoiellen’en

avaitpasparléplustôt.—Avecquoi?C’étaitun sujet sur lequel iln’étaitpas très calé,mais ildevaitbienexisterdes substancespour

rendreunchevalfou,toutcommeilyenavaitpourrendrelesgenspsychotiques.—Jenesaispas.Jepensaisappelermonvétérinaireetluiposerlaquestion.—Vouscroyezvraimentqu’onauraitpuprovoquerçademanièredélibérée?Ellehésitaavantderépondre.—AutryCarmichaelarappeléaprèsvotredépart.—C’estl’Autryquin’estpasvotrepetitami?—C’estlechefdelasécuritéd’Av-Tech.—Etilpensequequelqu’unaputoucheràl’étalon?—Non,pasvraiment.Nousn’avonspasexactementparlédeça.Ilattendit,maisellenesemblaitpasdécidéeàcontinuer.Elleposadoucementleponchoausolet

allajusqu’àlastalle.L’étalontenditlatêteverselle,etelleluicaressadoucementlechanfrein.

LeseffluvesdeshampooingetdesavonenveloppaientGrey, tantValerieétaitprochede lui. Ilsedemandasiellesentaitsonhaleinealcoolisée.Detoutefaçon,ilétaittroptardpours’ensoucier.

—Vousattendezquejevousdisedequoinousavonsparlé?Elle le regardade facepour lapremière fois. Ilauraitpuprendresonmentondanssamain.Elle

étaitàunpasdelui.Siprèsque…—Nousavonsparlédevous,dit-elle.Il espérait que c’était bon signe, mais le ton qu’elle avait employé pour prononcer ces mots

indiquaitlecontraire.—Dequoi,exactement?demanda-t-il.SiCarmichaels’étaitrenseignésurlui,Greysavaitqu’iln’avaitpastrouvégrand-chose.C’étaitune

des clauses de sa « démission ».LaCIAne souhaitait pas que l’on puisse établir un lien entre lui etl’agence,plusexactementavecl’équiped’ExternalSecurity,quiexistaittoujours.

—Depeudechose,àvraidire.—Peut-êtreparcequ’ilyapeudechoseàdire.—C’estexactementcequ’aditAutryetcequil’arendususpicieux.Qu’iln’yaitpasgrand-choseà

dire,vuqu’onnetrouveriensurvous.Pourriez-vousm’expliquerpourquoi?—Jecrainsdenepascomprendre.Trèsmauvaiserepartie,songeaGrey.Comptetenudel’entraînementqu’ilavaitreçu,ilauraitdûse

montrercapabledefairemieux.—Vouscompreneztrèsbien,aucontraire.Onnetrouveriensurvous,nullepart.Commesivous

n’existiezpasavantd’ouvrirvotrecabinetd’investigations.Etj’aimeraisbiensavoircequevousfaisiezavant,justement.

—Carmichaelnesavaitpasoùchercher,c’esttout.Greytentaitdegagnerdutemps,évaluantcequ’ilpouvaitluidireoupas.—Ilconnaîtsontravail,maistoutetracedevousaétéeffacée.Demanièreprofessionnelle,ajouta-

t-elle.—Carmichaelvousaditça?—Jevousenprie,nejouezpasavecmoi.Riendecequejevousdisnevoussurprend.Laseule

chosequivousétonne,c’estqueCarmichaelaitpuledécouvrir,maisc’estunautresujet.—Jenesaispasdequoivousparlez.Ilnepouvaitrienavouersansbriserlestermesdesonaccordavecl’agence.Orilmettaitunpoint

d’honneuràrespectersaparole.Pourtant,avant,iln’auraitjamaisbuenmission,nieudeliaisonavecunefemmequ’ilétaitcensé

protéger.Touslesprincipessurlesquelsilavaitvécus’effondraientlesunsaprèslesautres,sansqu’ilcomprennepourquoi.

Ce qu’il ressentait pourValerieBeaufort, depuis lemoment où il l’avait vue poursuivre l’étalonavecsesbéquillesmalgrésablessure,enétaitpeut-êtrelacause.

—Pourquoibénéficiez-vousd’unecouverture?demanda-t-ellesoudain.—Jenebénéficied’aucunecouverture,dit-il,cherchantàfaireparaîtrecetteidéeridicule.Jesuisà

moncompte,jefaisdelapublicitépourmonaffaire,monnuméroestdansl’annuaire.VérifiezauprèsdeJoeWallace.

—OudeBeneficialLife,oui, je sais.MaisBeneficialLifen’en saitpasplusquemoi survous,Wallaces’étantportégarantdevous.EtWallacesembleavoirdisparu.Alors…jenesuisplustrèssûredesavoirpourquoivousêteslàaujuste,monsieurSellers.

—Jesuislàparcequ’onmepayepourfaireunboulot…—Etessayerdememettredansvotrelit,çafaisaitpartiedevotreboulot?Oubienétait-cejuste

une…compensationquevousvouliezvousoctroyer?demanda-t-elledoucement.

Greynecompritpastoutdesuitesaquestion,peut-êtreàcausedeseffetsdel’alcool.Ouparcequeles recherches de Carmichael l’inquiétaient. Il n’avait pas imaginé que Val puisse penser que ce quis’étaitpasséentreeuxpouvaitavoirunlienaveccequeCarmichaelavaitdécouvert.

—Non,répondit-il.C’étaitlavérité,biensûr.Iln’yavaitaucunrapportentresamissionetcequis’étaitpasséentreeux.—Alorstoutças’estproduitparcequejesuisunebombesexuelle?Unefemmetellementattirante

quevousn’avezpaspurésister?demanda-t-elleavecironie.—Iln’yariende…Ils’interrompit,comprenantqu’ellen’étaitpasprêteàrecevoirquelqueexplicationquecesoit.Et

d’ailleurs,lui-mêmeavaitétélepremiersurprisdesesentirattiréparelle.—Jen’aipasd’agendacachésurlequelfigurevotrenom,dit-ilaulieudechercheràs’expliquer.Elleéclatad’unrirevindicatif.—Tout ce qui vous concerne est caché d’une manière ou d’une autre. J’essaye simplement de

comprendrepourquoi.Etdecomprendrecequevousfaitesici.—Onm’aengagépourvousprotéger.—Contrequoi?—Contre…n’importequoi.—Contreceuxquicherchentàs’emparerdelafortunedesautres?—Pastantqu’ilsnecherchentpasàvousfairedemal.—Pourtant ilmesemblequec’est lecas.Pasphysiquement.Maisquisait?L’argentpeutrendre

fou.Est-cevotrecas,monsieurSellers?L’argentpeut-ilvousfairefairedeschosesaussiabsurdesquedetenterdecoucheravecunefemmequevousconnaissezàpeine?

Greyneréponditpas.Iln’arriveraitpasàlafairechangerd’avis.Elleavaitfaitunlienentrecequis’étaitpasséentreeuxetcequeCarmichaelluiavaitdit,etelleenavaittirédesconclusionserronées.

—Jeveuxquevousayezquittémapropriétédemainmatinauplustard,asséna-t-ellebrusquement.Sesparolesétaienttranchantes,pleinesdecolère.Elletournalestalonsetpartit,maisilluisaisitle

poignet:elleseretournaetcroisasonregard,sanschercheràselibérer.Ilnedécelaitaucunetracedepeursursonvisage.

—Cen’estpasvousquim’avezengagé,jenecroispasquevouspuissiezmevirer.—Vousnefaitesquevouscacheretmesurveiller,dit-ellefroidement.—LesgensdeBeneficialLife…—Risquentdenepasapprécierdesavoirquevousbuvezpendantvosheuresdetravail.Ilrestainterdit,cequiétaitapparemmentl’effetqu’ellerecherchait.— Ils apprécieraient encoremoins que je vous laisse ici sans protection, répliqua-t-il après un

moment.—Vousnetrouvezpasbizarrequeriendedangereuxnemesoitarrivéavantquevousn’arriviez?

Euxtrouveraientçabizarre.— Vous croyez que j’ai fait quelque chose à votre étalon ? demanda-t-il avec indignation,

comprenantoùellevoulaitenvenir.— Je trouve simplement étrange que cela se soit passé le matin suivant votre arrivée. Avec un

chevalquin’ajamaiseucetypedecomportementavant,quiplusest.—Vouscroyezquejechercheàvousfairedumal?—Non,pasvraiment,sansquoij’auraisétéstupidedeveniricicesoir,n’est-cepas?Jenesuis

pasidiote,monsieurSellers.—Qu’aurais-jeeuàgagneràprovoquerlapaniqueducheval?—L’occasiondefairepreuved’héroïsme.L’opportunitédevousproposerpourmedorloter,etainsi

nousfairenousrapprocherl’undel’autreaufildesjours.Vousespériezquejefiniraispartomberdans

vosbras.C’étaitça lescénario?Ethistoiredefinir le jeucommencéunpeuplus tôtdans lasalledebains, faire battre une porte et provoquer une rencontre impromptue dans l’écurie.Vous saviez que lebruitmeferaitvenir.Vousaviezprévuquenousnousétreignionsdanslapaille?Ondiraitquevousvousétiezmême habillé pour l’occasion, lui lança-t-elle, faisant allusion à son torse dénudé. J’ai déjà puadmirervosatours,jen’aipasbesoinqu’onmerejouelefilm.

—Cequis’estpassécesoir…— Aviez-vous besoin d’être ivre pour trouver le courage de jouer la scène de la séduction ?

Dommagequevousn’ayezpuconvaincreWallacedejouerlerôledugardeducorps.Ilapeut-êtreplusdecouragequevous.

—Quelestvotreproblème,bonsang?Malgréleveninqu’elleluicrachaitàlafigure,jusqu’àcetinstant,iln’avaitpasvraimentcompris

dequoielleparlait.—Jesuisvenue,j’aifaitcequej’avaisàfaire.Jeveuxquevoussoyezpartiquandjemeréveillerai

demainmatin.—Jen’enaipasaprèsvotreargent,pasplusqueJoeWallace.BeneficialLifem’aengagésursa

parole.Çasepassecommeçapourcetypedeboulot.Iln’yariend’étrangeàça.—Et chercher à faire l’amour avecmoi vous est venu commeça, sansquevousy ayez réfléchi

avant,biensûr.—Pascomplètement.— La vérité va-t-elle enfin surgir, monsieur Sellers ? ironisa Valerie. Se confesser est toujours

bénéfique.Il y avait bien longtemps qu’il ne s’était pas confié à quelqu’un.Mais il lui devait la vérité, au

moinsàcesujet,quellesqu’ensoientlesconséquences.Derrièreletonironiquequ’elleavaitemployé,ilsentaitpoindreunedouleurqueseulelavéritépouvaitguérir.

—Vousm’attirez,cen’estpasuncrime.Etçan’arienàvoiravecvotreargent.Elleéclataderireetilsentitlacolèrel’envahir,unecolèrecommeiln’enavaitpaséprouvédepuis

longtemps.—Vousnemecroyezpas?—Jenesuispasnaïveàcepoint.Jesaisquijesuisetcequejesuis.Jenemefaispasdefausses

idées.—Etvousêtesquoi,aujuste?—Unefemmetrèsbanale.Avecunvisagecommun,etuncorpscommun.Jenesuispasunefemme

attirante au premier coup d’œil. Pas pour quelqu’un comme vous dumoins.Vous ne feriezmême pasattentionàmoisivousmecroisiezdanslarue.Jelesaistrèsbien.

Lepire,c’estquec’étaitvrai,songeaGrey.Lui-mêmen’arrivaitpasàs’expliquercequil’attiraittantchezcettefemme.Çavenaitpeut-êtredesoncourage,desapugnacité.Ouencoredelavulnérabilitéquiaffleuraitderrièrelaforcequ’elleaffichait.

—Jen’aipascherchéàcequ’ilarrivequoiquecesoitentrenous,croyez-moi.—Jevousaifaitperdrelatêtealors,c’estça?dit-elle,railleuse.Ilpritsonvisageentrelesmainsetl’attiraàlui.Ill’embrassa,sedisantqueçalaferaitaumoins

taire.Ilnesavaitpascequ’ilcherchaitàprouver.Ilnefaisaitqueréagiràladouleurprovoquéeparses

railleries.Elleneréponditpasàsonbaiser.Aprèsunlongmoment,ildécollaseslèvresdessiennesetilla

regarda.Lafroideurqu’illutsursonvisageluitransperçalecœur.—Jeveuxquevoussoyezpartidemainàmonréveil.Jeveuxquevousnesoyezplusqu’unmauvais

rêvequ’onoublieaumatin.

Elle tentade se libérer de son étreinte. Il nevoulait pas la laisser partir avec toutes ces faussesidéesentête,maisilnesavaitpasquoidire,etilfinitparlalâcher.

Iln’auraitjamaisdûtomberamoureuxdeValerieBeaufort.C’étaitsansissue.Alorsqu’est-cequeçapouvaitbienfaire,cequ’ellepensaitdelui?

Ellerestafaceàluiàledévisageruninstant,puiss’enalla,sefondantdansl’obscurité.«Jeveuxquevoussoyezpartiàmonréveil.»Ehbien,ils’enirait.

7

Grey savait qu’il allait réveillerWallace quand il composa son numéro sur son portable, et quecelui-cineseraitpasravid’entendrecequeGreyavaitàluidire,encoremoinsàcetteheure-là.

Après ce fiasco, JoeWallace ne lui confierait plus aucune mission. Valerie Beaufort et l’agentd’assurancesseparleraient,etl’affaireseraitpliée.

—Jeparsparcequ’ellem’afichudehors,réponditGreyàunJoevisiblementébahi.Sans détours et sans explications, il avait asséné à Wallace qu’il fallait qu’il lui trouve un

remplaçant.— Je resterai dans le secteur le temps que tu trouves quelqu’un,mais je te conseille de ne pas

traîner.—Etcommentvais-je fairepourdénicherquelqu’unà…5heuresdumatin?DemandaJoeavec

colère.Qu’est-cequetucroisque…—Lesystèmedesécuritéserainstallédansdeuxjoursauplustard,lecoupaGrey.Alorsd’icilà,

envoien’importequi,levigiledel’épicerieducoin,unflicàsoncompte,oualorsvienstoi-mêmejouerlesbaby-sitterspourMlleBeaufort,jem’enfiche.Trouvequelqu’un,c’esttout.

—Commentt’es-tudébrouillépourqu’elletefichedehors?— J’ai irrité la demoiselle, ce qui n’est pas très difficile car elle traîne un certain nombre de

complexes.Grey regretta instantanément ses paroles.Quelque part, il trahissaitValerie,même si ses propos

n’étaientpasdénuésdevérité.Maisluiaussiavaitdescomplexes,dontilnefaisaitpasétatauprèsdeJoeWallace.

—Quelgenredecomplexes?demandaJoe,intéressé.—Elleadumalàseconvaincrequ’onpuissenepasenvouloiràsonargent,parexemple.Cetteexplicationsuffisait,iln’endiraitpasplus.—Vul’ampleurdesafortune,jelacomprendsunpeu,remarquaJoe.—Trouvequelqu’und’autre,c’esttout.—Tuesencorelà-bas?Tun’asquandmêmepasdécampéenlalaissanttouteseule?L’inquiétudedeJoeétaitperceptible.—Jesuissurlacornichequidomineleranch.Ellem’ademandédequittersapropriété,jel’aifait.

Je vais rester là unmoment,mais quand le soleil va semettre à taper, je vaisme retrouver dans unesituationdifficile.

—Jepeuxpasinventermoi-mêmeuntypequivienneteremplaceraupiedlevé,ilfautquetumelaissesunpeudetemps.

—C’estexactementcequejetedis.Tuasunpeudetemps.SituveuxquetaValerieBeaufortsoitsousprotection,alorsbouge-toilesfessespourtrouverquelqu’unavantquejenegrillesurplace.

Il raccrocha, coupant court aux protestations de Joe. Il savait qu’il le mettait dans une situationdélicate, mais il n’y pouvait rien. Joe lui avait dit que cette mission serait du gâteau. S’il en étaiteffectivementconvaincu,iln’auraitpasdemalàluitrouverunremplaçant.

«Et si Joe se trompe?»ValerieBeaufort était très riche.Ce qui ne signifiait pas qu’elle étaitforcémentendanger.SelonWallace,ilyavaitpeuderisquesqu’onchercheàl’enlever.EtGreynevoyaitpasderaisonspourqu’onveuilleluifairedumal.

Wallace avait besoin que quelqu’un soit auprès d’elle pour respecter les termes de la policed’assurancesetcouvrirsesarrières.Etjusqu’àcequ’iltrouvequelqu’un…

Greyréglases jumelleset lespointaendirectionduranch.Dans la lumièredusoleil levant, toutsemblaitd’uncalmeparfait. Iln’yavaitpasde lumièresalluméesdans lamaison,Valeriedevaitdoncdormir.

Ilposasesjumellesets’appuyacontreunrocher.Ils’étaitdéjàarrêtésurcettecornichelejourdesonarrivée,carilsedoutaitqu’elleoffraitunebellevuesurleranch.Cependantiln’avaitalorspaseuàgrimperdansl’obscurité,commeilavaitdûlefairecettefois-ci.

Cette corniche était aussi un bon endroit pour réfléchir, s’éclaircir les idées. Il avait pris uneaspirineetespéraitqu’elleallaitfaireeffet.Etcontrairementàcequ’ilavaitditàJoe,ilétaitàl’abridusoleiletdesregards.

Ilavaittoutfaitcapoter.Ilavaitlaissépasserl’occasiondegagnerassezd’argentpourépongersesdettesetmaintenirsoncabinetàflot.Toutçaparcequ’iln’avaitpasétécapabledeseretenirdeposerlesmainssurValerie.Lafemmequ’ildevaitprotéger.Ilfermalesyeuxpourapaisersamigraine,repensantauxjoursprécédents,àelle,etàtoutesseserreurs.

LesproposdeValerieàproposdeKronus le taraudaient.Est-cequequelqu’unavait faitensorted’exciter l’étalon?Sioui,pourquoi?Siquelqu’unvoulaits’enprendreà la jeunefemme,ceprocédésemblaitunpeucomplexe.Pourtant…

Il se saisit demanière impulsive de son portable, et composa un nouveau numéro, qu’il n’avaitencorejamaisutilisé.Unnumérolaissésursonrépondeurdepuissixouseptmoisenviron.

Le numéro de quelqu’un qui se croyait redevable envers lui, et qui savait renvoyer l’ascenseur.Tandisqueletéléphonesonnait,ilcherchaàévaluerledécalagehoraireentreluietsondestinataire.Ildevaitêtretrèstôtdansl’Est,maispeuimportaitlorsqu’onappelaitLucasHawkins.

Lorsquecelui-cidécrocha,savoixétaitalerte,pascelledequelqu’unqu’ontiraitdulit,commeJoeWallace.

—Hawkins.Cette voix familière toucha Grey au cœur. C’était comme s’il lui avait parlé la veille et qu’ils

travaillaientencoreensemble.—Tuaslaissétonnumérosurmonrépondeur,ditGrey.Il n’était pas sûr depouvoir parler sans s’effondrer, s’il disait quelque chosedeplus intime.Un

courtsilencesuivit.—Contentquetuaiesfiniparl’utiliser,réponditHawkins.—Cen’estpascequetucrois.J’aisimplementbesoindedeuxinformations.Greynevoulaitpasqu’ilyaitdemalentendusurlebutdesonappel.—Laisse-moiletempsdeprendredequoinoter.Greysavaitquesarequêtenerencontreraitpasd’obstacles.Nidequestionssur l’endroitoùilse

trouvaitoularaisonpourlaquelleilavaitbesoindecesinformations.—Vas-y,jet’écoute,ditHawkins.

—Situcherchaisàrendreunchevalfou,queltypededrogueutiliserais-tu,etcommentlaluiferais-tuprendre?

—D’accord,jevois.Greyattendit,sachantqueHawkinsnotaittout.—Secondequestion?— Je voudrais que tu te renseignes sur une société nommée Av-Tech, spécialisée dans la

technologiepoursatellitesetmissiles.Etpeut-êtreencoredansd’autresdomaines,maisjen’ensuispassûr.

—Çamarche,ditHawkins.Tucherchesquelquechoseenparticulier?—L’organigramme de la société, un point précis sur leurs activités et sur les gens pour qui ils

travaillent,lesrumeurséventuelles,toutcequipeutparaîtrelouche,ettoutcequiattireratonattention.Despleursdebébérésonnèrentsoudaindansletéléphone.Greyrapprochal’appareildesonoreille,

sedemandantsic’étaituneinterférence.Cemoyendecommunicationn’étaitpasleplussûr,maisc’esttoutcequ’ilavaitsouslamain.

—Désolépourlebruit,ditHawkinsd’untonamusé.—Ondiraitdespleursdebébé.—Oui,c’estmonbébé.—Ton…bébé?—GreysonCabotHawkins,deuxmois.Jecroisqu’ilafaim,maisjenesuispasencoretrèsdoué

pourdécrypterlelangagedesenfants.«GreysonCabotHawkins.»Greysentitsagorgeseserrer.—Tun’étaispasobligédel’appelercommemoi,tusais.Hawkins éclata de rire. C’est du moins ce que Grey crut percevoir. Il n’avait pas souvenir de

l’avoirjamaisentendurire.—Sanstoi,jen’auraispasétélàpourdonnerunprénomàmonfils.Alorsc’étaitlamoindredes

chosesquejepouvaisfaire.Greynetrouvarienàrépondre.Aucunsonnesortaitdesagorgenouée.Ilsedemandapourquoiil

avait attendu si longtemps pour l’appeler. SiValerie n’avait pas été impliquée, peut-être en danger, iln’auraitjamaiscomposélenumérodesonex-collègue.

— Tu travailles toujours avec Griff ? demanda-t-il, plutôt que de commenter la gratitude deHawkinsenverslui,etd’exprimersessentiments.

—GriffetJordan.Lesportesdel’équipetesonttoujoursouvertes,tusais,ditHawkinsd’unevoixlégère,presqueamusée.

—D’autrespersonnesquejeconnaisvousontrejoints?—Deuxseulement.Noussommestrèssélectifs.—Pastantqueça,ditGrey.Hawkins lui avait proposéde les rejoindre, c’est pourquoi il l’avait appelé. Il avait parlé d’une

agence de protection montée par trois ex-agents de la CIA. Hawkins avait insisté pour qu’il intègrel’équipemalgrécequis’étaitpasséaucoursdeladernièremissionqu’ilsavaienteffectuéeensemble.

Grey n’avait jamais donné suite, car il savait qu’il n’avait plus le profil. D’autres membres del’équipepouvaientbienretournertravaillerpourGriff,maisluinefaisaitpluspartiedesleurs.Etcequis’étaitpassélaveilleausoirvenaitdeleconfirmer.

Venantdeperdre toutechancedesauvegarder soncabinet, il auraitdûse sentir rassuréqu’on luiréitèreuneoffred’emploi.Maisnon.

IlsedoutaitqueGriffetlesautressavaientcequ’ilfaisaitdepuisqu’ilavaitquittél’équipe.Tout.Même ce qu’il aurait aimé leur cacher.Griff Cabot ne serait jamais resté sans s’informer sur ce que

devenaientlesmembresdesonéquipe.C’étaientseshommes,c’estluiquilesavaitentraînés,etGriffsesentiraittoujoursresponsabled’eux.

Dans soncas, luiproposerde rejoindrecettenouvelle agencen’était riendeplusqu’ungestedecharité.EtGreyn’étaitpasprêtàaccepterça,mêmedelapartdeGriff.

—Sijamaistuchangesd’avis…,ditHawkins.—Jenechangeraipasd’avis,maismerciquandmême.Bienque tousdeuxnefussentpasbavards, iln’yavait jamaiseuentreeuxdesilencegêné.Cette

fois,si.—Oùpuis-jetejoindrelorsquej’aurai lesinformationsquetum’asdemandées?finitparlâcher

Hawkins.Grey ne savait pas où il serait dans les jours à venir. Toujours là, sur sa corniche, àmoins que

Wallacenetrouvequelqu’unrapidement.Illuidonnasonnumérodeportableetceluidesonbureau.—Jesaisquejet’endemandebeaucoup,maisplustôttupourrasmerappeler,mieuxcesera.—Çamarche.—Merci…Hawk.—Tumeremercierasquandj’auraitrouvécequ’iltefaut.—Jeneparlaispasdeça,jevoulaisdire…pourlebébé.Ilyeutunnouveausilence.Cesmotsétaientsortistoutseulsmalgrélaforteetinhabituelleémotion

quil’étreignait.—Unenfantabesoindeprendreunbondépartdanslavie,réponditHawkins.C’estlemeilleurque

je pouvais lui donner. Et je n’attends rien en retour, rassure-toi, ça ne me viendrait pas à l’idéed’encombrerunenfantavecunprénomcommelemien.

Greyéclataderire.—Çafaisaitunboutdetempsquejenet’avaispasentendurire,ditHawkins.—Etlamèredubébé,commentest-elle?Grey etHawk ne s’étaient jamais rien confié sur leur vie privée.Mais jamaisGrey ne se serait

imaginéLucasHawkinsinstallédansuneviedefamille.Avecunbébé,bonsang!—Elleaducran.—C’estlapremièrechosequetuasremarquée?demandaGreyavecunsourire.—Non,pasvraiment.Maisaufinalc’estcequicompte,plusquetoutlereste.— J’aimerais bien rencontrer la femme qui a accepté de vivre avec toi, dit Grey, conscient de

prononcerunephrasedetrop.C’étaittroppersonneletçadonnaitl’impressionqu’ilsouhaitaitrenoueravecHawkins.—Çapourraits’arranger,ditcelui-ci.—Pasdanscettevie, j’enaipeur, réponditGreydemanièreabrupte.Appelle-moidèsque tuas

quelquechose,oumêmesitunetrouvesrien.J’aibesoindesavoir.—Entendu.Est-cequeçatedérangesijedisàGriffquetum’asappelé?Greyréfléchituninstant.Aprèstout,commeilcherchaitdesrenseignements,Griffpourraitpenser

qu’ilfaisaitencorequelquechosedevalable,cequiseraitunepetiteconsolation.—Dis-luiquejesuisheureuxqu’ilaitsurebondir.Quand laCIAavaitdémantelé l’équiped’ExternalSecurity, elle avait enmême temps«détruit»

l’hommequi l’avait créée.Mais tel le phoenix,GriffCabot était parvenu à renaître de ses cendres etavait réuni lesanciensmembresde sonéquipeau seind’unenouvelleorganisation, avecunenouvellemission:protégerceuxquiavaientbesoindescompétencesparticulièresqu’ilsavaientdéveloppéesaucoursdeleurcarrièreàlaCIA.Greyauraitaiméenfairepartie,maiscetteépoqueétaitpourluirévolue.Lanuitdernièreétaitlàpourleluirappeler.

—Jeleluidirai,assuraHawk.

—Merci,ditGrey,lagorgeserrée.Ilraccrochabrutalementetjetaletéléphoneàcôtédelui.Ilajustasesjumellesetbalayalesecteur.IlvitValeriesortirdelavérandaensetenantàlarampe.

Ilgardalesjumellespointéessurelle,commeelletraversaitlacourendirectiondel’écurie.Ellenejetapasmêmeunregardversl’endroitoùsonpick-upavaitétégaré:elleluiavaitdonnéun

ordre, ilavaitobtempéré.Asa façon,biensûr. Ilne lui restaitplusqu’àattendresonremplaçant,et ilsortiraitdéfinitivementdelaviedeValerieBeaufort.Lameilleuredeschosespoureuxdeux,sansdoute.

***

GreyavaitsuggéréàWallaced’engagerlevigiledel’épicerieducoinsanspenserquecedernierpourraitleprendreausérieux.Cetypeportaitunesorted’uniformedeflic,constata-t-il,incrédule.

GreyregardalenouveaugardeducorpséchangerunepoignéedemainavecValerie.Ilétaitpetitettrapu, sonventre passait par-dessus la ceinture de sonpantalon et il avait des cheveuxgrisonnants degrand-père.Mais ilétaitarmé,c’étaitdéjàça.Greypointases jumellessursonarmeet,à la tailledel’étui,enconclutquecedevaitêtreungroscalibre.

Valerie,dudoigt,luiindiqual’annexe.Greysedemandabrièvementcequ’ellepensaitàcetinstantprécis,sielleregrettaitdel’avoirrenvoyé.«Maispourquoileregretterait-elle?Tuasprouvéquetun’étaispascapabled’adopteruneattitudeprofessionnelle.»

Ils’étaitfaitvirer,alorsqu’est-cequ’ilfaisaitencorelà,àtranspirersouslesoleil?Ilnepouvaitrien faire de plus.ValerieBeaufort avait un nouveau garde du corps, il n’avait officiellement plus detravail,alorsilétaittempsdemettrelesvoiles.

Avecsesjumellesillaregardaunedernièrefois,gravantsonimagedanssonespritavantqu’ellenetourneles talonsetparteaveclegardeendirectiondel’annexe.Elleboitaitplusfortquele jouroùill’avaitrencontrée.

Unfrissond’émotionleparcourutalorsqu’illaregardaits’éloigner.Maiscettefois,ilsavaitqueçan’avaitrienàvoiravecdelapitié.

Il était bientôtminuit. Grey avait rangé toutes ses affaires à l’arrière de son pick-up, dans deuxvalisesetunsacdevoyage.Ilavaitpresquefinidedébarrassersonbureau,quid’ailleursnecontenaitpasgrand-chose.

IlposaledossierdeladernièreaffairetraitéepourJoedansuncoin,au-dessusd’unepile.Ilavaitl’intentiondetoutdéposerchezWallaceenquittantlaville,lelendemainmatin.

Toutenvidantsestiroirs,ils’étaitatteléàdiversestâches.Ilavaitparcourusesrelevésbancaires,vérifiantcequ’ilrestaitdel’avancequ’ilavaitreçue.BeneficialLifeavaitsûrementledroitderéclamerunremboursementpartiel,étantdonnéqu’ilavaitoccupésonpostemoinsd’unesemaine.

Il parcourut une dernière fois la pièce des yeux avant de s’asseoir et d’ouvrir le classeur quicontenaitlesnotesdudossierBeaufort.Ill’avaitdéjàfaitl’autrejouraprèsledépartdeJoe.Ilyavaitpeuàlire.

Ilpritunstyloetcommençaàrédigerlesconclusionsdel’affaire,cequ’ilfaisaittoujourslorsqu’ilclôturaitundossier.Samainhésita,ensuspensau-dessusdesnotesqu’ilavaitprisesquelquesjoursplustôt. Il ne savait pas quoi écrire. Viré pour cause de conduite inappropriée et manque deprofessionnalisme?

C’étaitcequiserapprochaitleplusdelavérité,maisilnel’écrivitpas.Ilreposalestyloetfermaledossier.Joeenferaitcequ’ilvoulait.Ilposaledossiersurlapile.

Letéléphonesonnaetilsedemandaquipouvaitbienl’appeler.Wallace,quiavaitvudelalumièreàlafenêtredesonbureauenrentrantchezlui?Hawkins?Oualors…

Non,Valerien’avaitpassonnuméro.Et ilsavaitqu’ellene l’appelleraitpasde toutefaçon.Ilsefaisaitdesillusions.Ildécrochaàlasecondesonnerie,s’attendantàentendrelavoixdeJoe.Maisc’étaitHawkins.

—J’aiunepartiedesrenseignementsquetum’asdemandés,dit-il.Av-Tech, pensa Grey. Il n’avait pas fallu longtemps à cet ex-agent de la CIA pour trouver des

renseignementssurlasociété.S’ilavaitfaitcorrectementsontravail,ilauraitcherchécesrenseignementslui-mêmeavantdeserendreauranch,aulieudes’enteniràl’avisdeJoeWallace,quivoyaitceboulotcommeunebagatelle.

—O.K.,dit-ilenprenantunstylo.IlouvritledossierBeaufortdel’autremain.— En fait, plusieurs drogues peuvent exciter un cheval. La plupart agissent rapidement après

injection.Deuxautrespeuventêtremélangéesà lanourritureducheval,mais sansqu’onpuissedireàquel délai elles sont ensuite susceptibles d’agir. Ça dépend du temps qu’il fait, de la constitution ducheval,delaquantitédedrogueabsorbée.

—Donclemoyenleplussûrpourqueladroguefasseeffetàunmomentdonnéestdepratiqueruneinjectionintraveineuse.

—C’estàpeuprèsça.Tuveuxlenomdesdrogues?—C’estsurtoutleurseffetsquim’intéressent.—Est-cepourcompareràunévénementquiadéjàeulieu?—Enfaitj’avaisjustebesoindesavoirs’ilyavaiteffectivementdesdroguessusceptiblesdefaire

devenirunchevalfou.TuasquelquechosesurAv-Tech?—Griff travaille encore dessus. Ce nom lui dit quelque chose, mais il cherche quoi. Il voulait

vérifier. Il a encore des contacts à l’agence. Moi, je suis persona non grata. Ou non persona, toutsimplement,ditHawkinssurletondelaplaisanterie.

GreyauraitpréféréqueGriffnes’enmêlepas,maisilsavaitquesonancienpatronétaitleplusàmêmededécouvrirs’ilyavaitdessecretscachésauseindelasociétédeValerie.

— Je comprends ce que tu ressens, dit Grey. La personne qui s’est occupée d’effacer mesrenseignementspersonnelsaeulamainlourde.

—C’estleursméthodesaujourd’hui.Surtoutpournous.Jeterappelledèsquej’aidesnouvellesdeGriff.

—Merci,ditGrey.Il raccrocha, les yeux posés sur les notes qu’il venait de prendre. Il savait qu’au moins deux

substancespouvaientrendreunchevalfou.Unedrogueadministréeparinjectionsiquelqu’unvoulaitêtresûrqu’ellefasseeffetaumomentoùValeriesortiraitdelamaison.Quelqu’unquidevaitforcémentbienconnaîtreleranchouavoirsurveillédeprèsleshabitudesdelajeunefemmepoursavoiràquelleheureelle semettait au travail. Peut-être que quelqu’un avait surveillé le ranch depuis une corniche qui lesurplombait,commeluicematin.Ilyenavaitplusieurstoutautour.

Danscettehypothèse,celuiouceuxsusceptiblesd’avoirfaitçadevaientsetrouverauranchl’autrenuit,etn’auraientpujustifierleurprésences’ilsavaientétésurpris.Maisqu’auraiteuàgagnerquelqu’unàrendrel’étalonfou?Greyreposalestyloetcontemplalanuitau-dehors.

Avoirlemalpartout,ilcommençaitàsesentirparanoïaque.L’étalonavaittrèsbienpus’affoleràcausedesanatureinstable.Maisdanscecas,Greyn’étaitpas

plusavancé.Il sentait un vague sentiment d’inquiétude au creux de son estomac.Le sentiment qu’il se passait

quelquechosetandisqu’ilétaitlààrangeretclassersesdossiers,àfairel’étatdesescomptes.EtcependantqueValerie…

Ilinspiraprofondément,sentantl’anxiétémonterenlui.PendantqueValerieétaitlà-basentraindedormir,protégéeparcevigiled’épicerie,sedit-il.

Cetypeavaitunearme,maisiln’avaitpasuneallureàsavoirs’enserviravecdextérité.Maiss’enservir contre quoi ? se demanda Grey, irrité. Contre les ombres ? Les chevaux ? Les théories ducomplot?

Ne demeurait que cette terrible intuition qu’il se passait quelque chose de grave là-bas, dedangereux.UnesituationàlaquelleleguignolenvoyéparJoenesauraitpasfaireface.

C’étaitluiquiétaitcenséprotégerValerie.Etaulieudecela,ill’avaitabandonnée.S’iln’agissaitpas,unautrefantômeviendraithantersesnuits.Etcettefois,iln’ysurvivraitpas.

8

GreymitmoinsdedeuxheuresàparcourirlesroutessinueusesquimenaientchezValerie.Unefoisqu’il fut sur la corniche, ses jumelles à infrarouge lui permirent de constater que tout paraissait aussicalmequelaveilleàl’aube.

Pourtant,ilavaittoujoursl’intuitionqu’ilsepassaitquelquechosed’anormal.EtlesannéespasséesàlaCIAluiavaientapprisqu’ilfallaittoujoursécoutersoninstinct.

Ils’étaitretenud’allerjusqu’auranch.OnétaitenpleinenuitetValerie,ainsiquelevigile,étaientarmés ; ç’aurait donc été lameilleure façon de se faire tirer dessus parce qu’on l’avait surpris à sefaufilerdanslapropriétéalorsqu’ilétaitsupposéneplusrienavoiràyfaire.

Ilétaitdoncremontésurlacornichedansl’espoirdevérifierquesoninquiétude,quiluiavaitfaitfermersonbureaueteffectuercetrajetinfernal,n’étaitpasjustifiée.Ilavaitconduitbeaucouptropvitesurcesroutesdemontagnepérilleuses,sefiantàsessouvenirsetàsoninstinctpournégocierlesviragesenépingleàcheveux.

Tout laissait croire qu’il avait fait cela pour rien, se dit-il, balayant de ses jumelles les lieuxpaisibles.C’étaittantmieux,aprèstout.Ilneluirestaitqu’àpasserlanuitici,etdemain…

Ilmarqua un temps d’hésitation. Le souffle court, il pointa ses jumelles à l’endroit où il pensaitavoirvuuneformetapiedansl’ombre,entrel’écurieetl’annexe.

Bonsang.Ilnevoyaitplusrien.C’étaitl’endroitleplussombreduranch,etmêmesesjumellesàvisionnocturneneluipermettaientpasd’identifiernettementcequ’ilavaitvu.

Uneformeplusclairequisedétachaitsurl’obscurité?Quelquechosequiavaitbougé?Cepouvaitêtreuncoyote,unpuma,ouunprédateurbienplusdangereux:unhumain.

Ilbalayadenouveau lacourdeses jumelles,maisnevit rien.Laseule façondes’assurerdecequ’ilavaitcruvoirétaitdedescendre,d’allerinspecterleslieux.

Ledangerdecetteentreprisenel’arrêtapas.Ildescenditdelacornicheetremontadanssonpick-up.Valerieétaitlà-bas,etuneformerôdaitautourduranchdansl’obscurité.

Ildesserralefreinàmainaveclesentimentd’agircommeunidiot.Lacamionnettedévalalapenteenrouelibre.

***

UnsilencedemortentouraitGreytandisqu’ilévoluaitdecoinsombreencoinsombre,évitantleszonesexposéesauclairdelune.Riennebougeait.

Toutcequ’ilentendaitétaitlebruitdesespassurlescaillouxdelacour.L’airlui-mêmesemblaitensuspens.

Ilavaitlaissésesjumellesdanslepick-uppournepass’encombrer,negardantquesonarmesurlui.Cela faisait bien longtempsqu’il n’avait plus porté d’arme,mais la sentir dans sa paume lui semblaitaussi familier que de serrer la main d’un ami. C’était la même sensation que d’entendre la voix deHawkinsautéléphone.

Il contourna lamaison. Il voulait inspecter l’arrièrepuis sedirigervers la zone entre l’écurie etl’annexe,làoùilavaitcruvoirbougeruneombre.

Ilnes’attendaitpasà trouverquoiquecesoit, car il luiavait falluprèsd’unquartd’heurepourdescendredelacorniche.Laformequ’ilavaitaperçueavaitdonceutoutletempsdedisparaître.

Et pourtant, un sentiment de malaise grandissant s’emparait de lui, son instinct lui criait d’êtreprudent.Ilsedéplaçaitcommes’iltraversaitunchampdeminesouunmilieuhostile,entouréd’ennemisinvisibles.

Iltournaaucoindelamaison,rasalesmursdelavérandaarrière,etsedirigeaversl’endroitoùsetrouvaitlegroscongélateur.Iljetaunregardendirectiondelamaisonetcompritqu’ilyavaitquelquechosed’anormal:levantailqueValeriegardaittoujoursferméétaitdétaché,grandouvert.

Laporteelle-même,quisedétachaitfaiblementàlalumièredelalune,semblaitfermée.Etait-elleverrouillée?

Pourvérifierlaporte,ilposalepiedsurlapremièremarchedelavéranda,dontleboisgrinça.Ilsoulevalepiedengrimaçantetleposaavecprécautionsurlasecondemarche.

Aumomentoùilpénétraitdanslavéranda,ilaperçutuneformequisedéplaçaitàl’autreextrémitédelamaison.Ileutl’impressiond’uneprésence,aussitôtdisparue.Cettevisionavaitétésifugacequ’ilsedemandasielleétaitbienréelle.

D’unbond,ilseplaquadansl’ombre,derrièrelecongélateur.Ildistinguadesvêtementssombres.C’étaitlevigile.Greyavaitréagiassezvitepournepassefaire

tirerdessus.Malgréunefortepousséed’adrénalinequiattisasoninquiétudepourlafemmequidormaitdansla

maison,ilrésistaàl’enviedesereleverpourjeterunnouveaucoupd’œil.Ilavaitsous-estimélevigileenvoyéparJoe.Commelui,letypeeffectuaitdesrondes,vérifiaitles

accès. Lui, il l’avait surtout fait parce qu’il ne parvenait pas à trouver le sommeil, et ces insomniesn’avaientpasgrand-choseàvoiravecdessoucisdesécurité.

Ilnesavaitplusoùétaitpassélevigile.Celui-ciattendaitpeut-êtrequeGreybougepourluitirerdessus.Oubien il était retourné à l’annexe appeler le bureaudu shérif. Il avait sûrement unportable,commetoutlemonde.Greyvoulutl’appeler,direquiilétait.Qu’avait-ilàperdremaintenantqu’ilavaitétérepéré?

Mais il luiseraitdifficilede trouverunmotifvalablepourexpliquer lefaitqu’ilsoit retournéauranchaubeaumilieudelanuit.Ilnesevoyaitpasdire:«J’aieuunepulsionquimedisaitqueValerieétaitendanger.»

Toutefois, il ne pouvait pas passer la nuit recroquevillé derrière le congélateur. La situationl’amusaitpresque:deuxtypesjouaientaugendarmeetauvoleuravecdevraiesarmes.Greynepouvaitpastirersurlevigile,maiscederniern’auraitpaslesmêmesétatsd’âme.

Pourlui,Greyn’étaitriend’autrequ’unintrusquin’avaitrienàfairelà.Soitilétaitpartiappelerdel’aide,soitilattendaitqueGreybouge.EtcommeGreysavaitàprésentquelaformequ’ilavaitaperçuen’étaitriend’autrequelevigilequifaisaitsaronde,iln’avaitriendemieuxàfairequededétaleravantdesefairetrouerlapeau.

Il se demanda ce que penserait Valerie en découvrant son cadavre dans la véranda. Et ce quepenseraitJoeWallace.Tousdeuxsediraientqu’ilavaitmaltournéetavaitdesprojetsdouteux,surtoutquandValerieauraitracontécequ’ellesavaitsursonpassé,ouplutôtsonabsencedepassé.

Sansbruit,lesyeuxfermés,ilsepencha,sentantlemétalfroidducongélateurcontresonépaule.Ilseconcentraquelquessecondes.Puisilsepenchadenouveaupourjeteruncoupd’œilendirectiondel’endroitoùilavaitvulasilhouette.

Apparemment iln’yavaitpluspersonne. Il laissadépasserducongélateur samain,puis sonbrasentier.Toujoursrien.Pasunbruit,pasunmouvement.

Il s’avançaaccroupi.Pasde réaction. Il fit deuxpas enavant, toujourspenché, sur lapointedespieds,s’efforçantdenepasfairedebruit.

Une planche grinça. Il s’immobilisa pendant quelques secondes qui lui parurent une éternité,attendantuneréaction.Iln’yeneutpas.

Lameilleure chose à faire était de remonter dans son pick-up, pourtant il fit tout le contraire. Ilsavaitpourquoi.

Acausedecefichuvantail.Greyavaitpeut-êtreinterrompulevigiledanssarondeaumomentoùilcontrôlaitlaportearrière,oubienluiaussiavaittrouvéanormalquelevantailsoitouvert.

Quoiqu’il en soit,Greyvoulaitvérifierque laporte étaitbel etbienverrouillée. Il avaitbesoind’enêtresûr.

Il tendit l’oreille pour vérifier s’il y avait quelqu’un de l’autre côté de la véranda. Tout étaitsilencieux.Pasunsouffle.

Il se releva complètement et d’un pas se plaqua contre le mur de la maison. Puis il attendit,dissimulédansl’ombre.Iltâtonnalelongdumuretatteignitlapoignée,qu’iltourna.Laportes’ouvrit.

Greyfermalesyeux,effrayéàl’idéededécouvrirqueValerieétaitendangercarlamaisonoùelledormaitn’étaitpassûre.

Plus question de partir. Il fit quelques pas de côté et se glissa dans la maison. La cuisine étaitplongéedansl’obscurité.Onnepouvaitluitirerdessus.

IlseméfiaitautantduSmith&WessondeValeriequedel’armeduvigile.Ilfermaleverroudesamainlibre.

Ilnotaqu’ilyavaitune tracesombresur laporte,à lahauteurdesyeux.A l’endroitoù il l’avaitsaisiepourlarefermer.Etait-celuiquiavaitfaitcettetrace?Ilretournasamain,frottasonpoucecontresesautresdoigtsetsentitunesubstancehumide,sombreetcollante.

Il comprit immédiatement : il avait du sang sur la main et il n’avait rien touché d’autre que lapoignéedelaporte.

Lapeurs’emparade lui, si fortqu’elle lui fit tourner la tête. Ilnepensaitqu’àValerie,etaufaitqu’ill’avaitlaisséelàsansprotection.

Cen’étaitpeut-êtrepaslevigilequ’ilavaitaperçudanslavéranda,finalement.Lapropriétéétaittout entière dans l’obscurité.Est-ce que le vigile n’aurait pas laissé une lampe alluméedans l’annexependantsaronde?Surtouts’ill’effectuaitsanslampedepoche.

Greys’essuyalesdoigtssursonjeanettraversalacuisineavecprécipitation,sansprêterattentionaubruitqu’il faisait. Ilétaitaumilieudelapiècelorsquelafenêtreau-dessusdel’évierexplosa.Deséclatsdeverreentaillèrentsapeau.Ilsecouchaausol,rampantparmilesbrisdeverreendirectiondeschambres.

Ilnesavaitpassilaballel’avaiteffleuré,sielleavaitététiréeauhasardousionl’avaitvuetvisé.Peuluiimportait.Iltraversalacuisineetlecouloiraumomentoùunelampes’allumaitdanslachambredeValerie.

—Baissez-vous!cria-t-ilenvoyantlalumière.Il continua d’avancer à quatre pattes, ses bottes dérapant sur le plancher quand il essaya de se

relever pour courir. Un second tir retentit et fit éclater une autre vitre, cette fois dans la chambre deValerie.LebruitretentissaitencorequandGreyypénétra.

Elleluiavaitobéiets’étaitrecroquevilléeàcôtédesonlit.Elletenaitsonpistoletdesdeuxmains,pointéendirectiondelaporte.Ileutletempsd’apercevoirsesyeuxagrandisparlapeur.

—Nebougezpasetfermezlesyeux,dit-il,sansmêmepenserqu’elleauraitpuluitirerdessus.Ilbranditsonarmeetfitéclaterenmillemorceauxlalampedechevetenporcelaine.Uncoupdefeu

venantdel’extérieurréponditausienetfitvolerenéclatsunautrecarreau.Greypointasonarme.Sesyeuxs’habituèrentàl’obscuritéetilvitbougerlesfinsrideauxdansl’air

que lescarreauxbrisés laissaientpasser.Aucune formederrière,personnequi regardaitdans lapièce,pasd’armepointéesurlui.

Il chercha Valerie du regard. Elle avait un bras levé en guise de protection contre le verre desfenêtres. Dans ses cheveux, il aperçut des éclats qui scintillaient dans le clair de lune. Comme lesdiamantsd’unetiarefunéraire.

Ce n’était pas son sang sur la porte, se dit-il, soulagé. Il regarda de nouveau en direction desfenêtres.Ilentendaitsoncœurbattre,maisçaallaitmieuxmaintenantqu’ilsavaitquelajeunefemmeétaitvivanteetenbonnesanté.

Il avait été tellement terrifié de découvrir du sang sur la poignée de la porte qu’il savourait cemoment.Maissicen’étaitpaslesangdeValerie…

—M.Davis,c’estM.Davis,dehors,ditdoucementlajeunefemme.—Levigile?C’estsonnom?—Davis.HaroldDavis.Greyacquiesça,mêmes’ilsavaitqu’ellenepouvaitpaslevoir,carilsetenaitdansuncoinsombre

de la pièce. Il s’approcha des fenêtres, restant le plus possible plaqué au sol. Lorsqu’il se déplaçait,Valerieserraitsonarmedesdeuxmains,etlapointaitsurlui.Ilnepouvaitpasluienvouloir,mêmes’ilétaitclairqueledangervenaitdel’extérieur.

Carilsavaitqu’ellesetrompaitsurl’identitédeceluiquiétaitdehors.PourquoiDavisprendrait-illerisquedetirerdanssachambre?Ilsavaitqueletirdanslacuisinel’auraitréveilléeetquec’étaitellequiavaitallumélalumière,pasunintrus.Çan’avaitpasdesens.

Greyauraitpucroirequec’étaitDavissionavaitviséàtraverslaportearrière,maispasici.Pasàl’aveugledanslachambredeValerie.

—Qu’allez-vousfaire?chuchota-t-elle.—Jenesaispasencore,ditGrey.Ilseredressa,lamainsurl’appuidelafenêtreetdosaumur.Iljetauncoupd’œilentrelerideauet

lemontantdelafenêtre.Ilnevoyaitpasgrand-chose.Unboutde lacour,endirectionde l’écurie.Riennebougeait.Grey

rampasouslafenêtre.Puisilregardadehorsdansladirectionopposée.—Laissez-moil’appeler,luidirequevousêtesunami,ditVal.Ellesetenaitàcôtédelui,sonarmeàlamain.Ellelevalatête,commesiellevoulaitregarderàla

fenêtre.Greylasaisitàlataille,latiraenarrièreetsejetasurellepourlaprotégerlorsqu’unautrecarreau

explosa.Illatenaittoujours,soncorpssurlesien,quandlesmorceauxdeverreleurtombèrentdessus.Etillatenaitencorelorsquelesilences’abattitdenouveausurleranch.

Ellelevalatêteàsahauteur.Ilpouvaitàprésentsentirleparfumdesescheveux.—Cen’estpasDavis,chuchota-t-il.—Commentlesavez-vous?—Davisn’auraitpastirédecoupsdefeudansvotrechambre.Par-dessus son épaule, il jeta un regard aux fenêtres. Toujours rien de visible. Rassuré, il se

retournapourlaregarder.—Maisalorsoùest-il?demanda-t-elle.S’ilaentendulescoupsdefeu…

Ellene terminapassaphrase.Endépitde l’obscurité,elle lisait sespenséessur sonvisage. Ilyavaitdusangsurlapoignée.PasceluideValerie,celuidequelqu’und’autre.

—Quefait-on?demanda-t-elle.—Oùestletéléphone?—Surlatabledenuit.Il se levaavecsoin,ens’appuyantsursamainqui tenait toujourssonarme. Il tâtonnade l’autre,

parmileséclatsdeverre.Iltiralecombinéàlui,leportantàsonoreille.Commeils’endoutait,laligneétaitcoupée.

—Vousavezunportable?—Dansmonsac,aumilieudesaffaires.Jenesaisplus.Greyessayaderéfléchir.Ilsavaientchacununearme,etilsétaientensécurité,ici.Dumoinspourle

moment.Maisçaneluiplaisaitpasdenepassavoircequisepassaitdehors.Denepassavoirquiétaitl’agresseur,nioùilsetrouvait.Etencoremoinsdenepassavoircequ’iltramait,là,danslenoir.

—Pourquoiêtes-vousrevenu?demandasoudainValerie.Ils’assit,s’écartantunpeud’elle,etsedemandantcommentrépondre.—J’aieul’intuitionqu’ilsepassaitquelquechose.—L’intuition?Elles’assit,dosappuyécontrelelit.—J’aieul’intuitionquequelqu’unallaitchercheràvousfairedumal.—Pourquoiquelqu’unvoudrait-ilmefairedumal?—Peut-êtremême…plusquevousfairedumal.Iljetaunnouveaucoupd’œilàlafenêtre.Elleluiagrippalementonpourqu’illaregarde.—Est-cequequelqu’unessaiedemetuer?Est-cecequevouspensez?Vouscroyezqueceluiqui

setientlàdehorsveutm’assassiner?Ilacquiesça,etvitsesyeuxs’agrandirtandisqu’elleprenaitconsciencedecequecelasignifiait.—Mais…pourquoi?—Jeparieraisqueçaaunrapportaveclasociétédontvousvenezd’hériter,dit-ilavecsarcasme.Ellesecoualatêtelentement.— Je sais que les gens qui pourraient tirer parti de… ma mort ne feraient jamais ça. Ils sont

comme…mafamille,dit-elleenlevantlesyeuxverslesfenêtresauxcarreauxbrisés.Iléclatad’unrirecynique.—Parcequevouscroyezquelesmembresd’unemêmefamillenepeuventpass’entretuerquandily

aautantd’argentenjeu?Personnen’estnaïfàcepoint,vouslesavezbien.—Alorspourquoin’ont-ilspascherchéàtuermonpère?Greyavaitdéjàpenséàcela.Aprèstout,sonpèreétaitbeletbienmort.—Non,dit-elle,refusantdecroirecequ’ellelisaitdanssesyeux,monpèreestmortd’uneattaque.—Vousavezfaitpratiqueruneautopsie?—Non,mais…Jesaisbiencequi l’a tué.Çafaisait longtempsqu’ilétaitenmauvaisesanté.Sa

mortn’avaitriend’étrange.Onpensaitqu’ilallaitserétablirmais…Encoreune fois elleneput achever saphrase,puis jetaunbref regard aux fenêtres. Il suivit son

regard.—Quefait-on?demanda-t-elledenouveau.—Onattendjusqu’àl’aube.Grey prit cette décision au moment même où il prononçait ces mots. Sortir maintenant dans

l’obscuritéétaithorsdequestion. Il lui faudrait soitemmenerValerieavec lui, soit la laisser seule,etaucunedecessolutionsneluiplaisait.

Aumoins,s’ilsrestaientlà,ilpourraitlaprotéger.

—EtM.Davis,nedevrions-nouspas…—Davisestunprofessionneletilestarmé.C’étaitvrai,maisGreyluttaitcontresapropreculpabilité.C’estluiquiavaitditàJoed’envoyerle

premiervenu. Ilnepensaitpasque l’assureur leprendraitausérieuxet il sesentait responsablede laprésencedecevigilequin’étaitpasapteàaffrontercegenredesituation.

C’étaitsontravailàlui.ValerieBeaufortétaitsoussaresponsabilité,ilavaittoutfaitcapoter.—Vouslecroyezmort,ditsoudainValerie,laconique.—J’enaibienpeur.—Vousn’enêtespassûr?Ilsecoualatête.—Alorsondevraittenterdes’enassurer.S’ilestblessé…Ellesoutintsonregard,presqueimplorante.LesmotsdeHawkinsàproposdesafemmerevinrentà

lamémoiredeGrey.«Elleaducran.»Valerieaussi.Ill’avaitcomprisl’autrematin,enlavoyantauxprisesavecl’étalon.

Cette fois elle s’inquiétait pour le vigile. Il aurait dû s’inquiéter aussi, mais il était certain queHaroldDavisétaitdéjàmort.Iln’allaitpasrisquerlaviedeValeriepours’enassurer.

—Onresteicijusqu’auleverdujour.Acemoment-là,l’agresseurserasûrementparti.—Etsicen’estpaslecas?Il n’avait pas de réponse. Un bruit se fit entendre au-dehors. Grey rampa jusqu’à la fenêtre, et

observalepetitcoindecourqu’ilapercevait.Ilnevoyaitrien,maislemêmebruitretentitdenouveau.Etait-cequelquechosequ’ontraînait?Çaressemblaitàunbruitdeboiss’entrechoquant.Ilattendit,

retenantsarespiration,maisçaneserépétapas.Ilyeutdeuxautresbruitssourds,maisquibizarrementsemblèrentvenirdeplusloin.

—Grey,chuchotaValeriederrièrelui.Ilneseretournapas,neditrien,maislevalamaingauche,pourdemanderlesilence.Ellerespectasademande,pendantdixsecondespeut-être.—Grey,répéta-t-elle,etilfinitpartournerlatête.Elleavaitleregardrivésurlaplusbassedesfenêtresbrisées.Ils’enapprocha,maisnecomprenait

pascequ’ellevoyait.—Qu’est-cequ’ilya?demanda-t-il.Elleinspira,etparvintàchuchoter:—Delafumée.

9

—Nousallonspasserparlaportearrière,ditGrey.—Pourquoipas…—Çanousprendraittropdetempsdepasserparlafenêtre,lacoupa-t-il.Onconstitueraitunecible

dechoix.Deplus, le tueur s’attendà cequenous fassions ça,ouquenous sortionspardevant.Alorssortonsparoùjesuisentré.Onparviendrapeut-êtreàlesurprendre.

Val savait que sa maison était en pin, et les bouffées de fumée qui pénétraient par les fenêtresbriséesl’écœuraient.Lefeuluifaisaitbienpluspeurquelaprésenced’uninconnudehors.

Toutlemondeasesphobies.Lefeuétaitlasienne.Ellefaisaitrégulièrementdescauchemarsdanslesquelsl’écurieétaitenfeu.Ellepensaàseschevaux:Kronusétaittoutseuldansl’écurie.Lesautresétaientdanslepré.

Ils étaient en sécurité, pensa-t-elle en suivant Grey d’aussi près que possible. Le fait de resterrecroquevilléelafaisaitsouffrir,auniveaudesongenou.Maisçavalaitmieuxquedeprendreuneballedanslatête,etelleserralesdentspourconjurerladouleur.

Greys’arrêtaà l’entréede lacuisineet se redressa.Ensuivant sonmouvementdesyeux,elle serenditcomptequ’illuitendaitlamain.Elleavaitsimalaugenouqu’ellesavaitqu’elleauraitbesoindeluipourserelever.Ellepassasonarmedanslamaingaucheetsaisitsamaintendue,afinqu’ill’aideàseredresser.Ellegémitlorsqu’elles’appuyasursongenou,maisillaserraplusfortetsefitrassurant.

—Çava?demanda-t-il.Ill’installaàl’abriderrièrelui,ledoscolléaumur.—J’aiunetrouillepaspossible,est-cequ’onpeutdirequeçavaquandmême?dit-elle.—Jel’espère,sinononestdansdesalesdraps.Malgré les circonstances, sa voix retrouvait une intonation amusée. Et il émanait de lui une

impressiond’assuranceetdesang-froid,malgrélecommentairequ’ilavaitfaitsurlapeur.Elleavaitbesoindesdeux.Elleavaitbesoindesavoirqu’ilavaitpeurluiaussietqu’ilétaitnormal

qu’elleaitpeur.Elleavaitaussibesoindesentirqu’ilsavaitquoifaire,endépitdecettepeur.Sentirsoncalmeapaisaitsapanique.

—Restezderrièremoi,chuchota-t-il.Etsoyezprudente,ilyaduverrebriséparterre.En cet instant précis, il n’y avait plus d’amusement dans sa voix, il était concentré sur ce qu’il

faisait.Elleavaitsentiquelquechosesoussespiedsnussanssavoircequec’était.Elleauraitdûpenserà

mettredeschaussures,maisellen’avaitjamaisétéconfrontéeàcettesituationauparavant.Ils traversèrent lacuisineen rasant lesmurs.Elles’aperçutque leverrequi se trouvaitpar terre

venaitd’unefenêtrebriséeparletirquil’avaitréveillée.

—Jevaisouvrirlaporteetsortirparlavéranda,annonçaGrey.Restezderrièremoi.Nousallonscontourner le congélateur, sauter depuis le coin de la véranda et courir en direction de la route.D’accord?

D’accord,saufpoursauteretcourir,répondit-elleensonforintérieur.Commentpensait-ilqu’elleallaitfaireça?Ilavaitdûoublierl’étatdesongenou.Entempsnormal,ellen’auraitrientrouvéàredire.Maislà…

—S’ilm’arrivequoiquecesoit,nevousarrêtezpas.Resteztapiedansl’ombre.Monpick-upestgaréaupieddelacorniche,àl’entréeduviragequimèneàvotrepropriété.Lescléssontsurlecontact,dit-ildoucement.

—Etilvadémarrer?demanda-t-elle,cherchantàafficherlemêmetoncalmeetamuséquelui.Ellesecramponnaitaupeudecouragequiluirestait.L’odeurdefuméedevenaitplusforte,etelle

avait le sentimentqu’ils étaientdansune impasse : soit ils sortaient et s’exposaient àdes tirs, soit ilsrestaientàl’intérieuretrisquaientdebrûlervifs.

—Jesuissûrqueoui,ditGrey,avecunsourire.Valerie se sentit physiquement réagir à ce sourire. Que Grey soit capable de sourire dans cette

situationréveillal’attirancesexuellequ’elleavaitpourlui,attirancequ’elleavaitcherchéàrefouler.ElleétaitamoureusedeGreySellers,s’avoua-t-elle.

—Jevaisvousralentir.Ilfautquevouspartiezsansmoi,dit-elle,auborddeslarmes.Ellenevoulaitpasqu’ilse fasse tuerenessayantde luiportersecours.SiDavisétaitbienmort,

commeillepensait,alorsceluiquiétaitdehorsn’hésiteraitpasàtirer.Sanselle,Greypouvaits’enfuir.Maisavecelle…

—Allez-vous-en,dit-elledansunmurmure.Illaregardapar-dessussonépaule.Sesyeuxavaientdesrefletsargentés,chaudsetlumineux.—Vous deviez aimer les films avec JohnWayne quand vous étiez petite, dit-il avec amusement.

Ceuxoùlehérossesacrifie.Maisleshérosmortsnevalentpasunclou.C’estceuxquirestentenviequisontlesmeilleurs.Jevousprometsqu’ilnevarienvousarriver,Valerie,niàmoinonplus.Onaquelquechoseàfinir,touslesdeux.

Ces mots résonnèrent en elle, créant une émotion aussi puissante que le ton sur lequel il avaitprononcécesparoles.

C’estvraiqu’ilsavaientbeaucoupdechosesàfinirtouslesdeux,maiscen’étaitnil’endroitnilemoment.Ellenefitqu’acquiescer,incapabledeprononcerunmot.

—Vousêtesprête?Ellefitsignequeouietilseretournafaceàlaporte.Dèsqu’ildétournasonregard,ellesesentit

commeabandonnée,etdenouveaulapeurs’emparad’elle.—Maintenant,dit-il.Iltournaleverroupuislapoignée.Laportes’ouvrit.Ilsortit,etellelesuivit.Ladouleurdesongenouluiremitlesidéesenplaceettoutcequivenaitdesepasserluirevintàla

mémoire.Ellesentitlapaniquel’envahir,malgrélesmotsdeGrey.«Jevousprometsqu’ilnevarienvousarriver.Niàmoinonplus.»Maiselleétaitincapabledecourir.Ellen’avançaitpasassezvite.Elleallaittombersurcesolaccidenté.Greyreviendraitenarrièrepourl’aideret…

Elletraînaitderrièrelui,avecl’impressiondevivresonpirecauchemar.Illasaisitfermementparl’avant-brasetlatirabrutalementderrièrelui,pourlaplaquerentresoncorpsetquelquechosedefroid.C’étaitlecongélateur.Çasignifiaitqu’ilsétaientsouslavéranda.

Puis il la tiraderrière luipourcontourner l’appareil.Elle regarda lacourpar-dessus l’épauledeGrey : tout luisemblaitparfaitementcalmesous leclairde lune.Ellenevoyaitdeflammesnullepart,malgrélafuméeâcreetdésagréablequiluiirritaitlesnarines.

Ellevitlecontourdesmursdel’écurie.Toutsemblaitpaisible.Ellenevoyaitpasl’annexe.Peut-êtrequelafuméevenaitdelà-bas.Siquelqu’unavaittuéM.Davis,lefeuétaitpeut-êtreunmoyend’eneffacerlespreuves.

Ilsavaientàprésentpresqueatteintl’extrémitédelavéranda.L’endroitd’où,selonleplandeGrey,ilsdevraientsauterpuiscourirendirectiondupick-up.D’unœilanxieux,elleestimaladistancequilesséparaitdelaroute.Ilsseraientcomplètementàdécouvert,exposésaufeud’untireurembusquédansuncoinsombre.

«VousdeviezaimerlesfilmsavecJohnWaynequandvousétiezpetite.»Ellevoulaitluidirequ’ilsetrompait,ellen’aimaitpascetypedescénario.

—Prête?murmura-t-il.Elleregardalecoindelavéranda,àpeuprèsàdeuxmètresau-dessusdusol,etau-delàleterrain

rocailleuxenvahidemauvaisesherbesparendroits.—Jen’yarriveraipas,dit-elle,soudainprisedepanique.—Si,vousyarriverez,réponditGreysuruntonféroce.—Qu’est-cequibrûle?dit-ellepourgagnerdutemps.Kronusestdansl’écurie.—Cen’estpasl’écurie.Il lui saisit le poignet pour la décider à se placer tout au bout de la véranda.Ensuite il faudrait

sauter,iln’yavaitpasd’autreissue.—Grey,l’implora-t-elle.Illalâchaetsauta,seréceptionnantsursespieds,lesbrasécartéspournepasperdrel’équilibre.

Elle s’attendait à entendre claquer un coup de feu, mais rien ne se produisit. Dans une parfaitecoordination,ilseredressaetseretourna.

—Sautez,luiordonna-t-ildansunsouffle.Il la regardait avecdes yeux sévères.Elle s’aperçut qu’il avait glissé son armedans sa ceinture

pourluitendrelesmains.Ilétaitlà,désarmé,àl’attendre.Maiselleétaitparalysée,tétanisée.—Sautez,répéta-t-ilplusfort.LesyeuxdeValeriesevoilèrentdelarmes.Elleessayades’éclaircirleregard,encherchantsurla

routel’endroitoùilavaitgarésonpick-up.Etquelquechoseattirasoudainsonattention,quelquechosed’important.

—Ecoutez,dit-elle,scrutantl’obscurité.Unevoituremontaitlaroutequimenaitàlacorniche.Valpercevaitlevrombissementdumoteursur

ladéclivité.Levéhiculenedescendaitpasdanslavalléeendirectionduranch,maislequittait.ElleregardaGrey,maisluiregardaitailleurs.Endirectiondelaroute.—C’estvotrecamionnette?demanda-t-elle.—Non.Quelsalaud,dit-ilcommesilemotluiavaitéchappé.—Ils’enva.Elleexultait,c’étaittoutcequ’elleressentait.—Mettez-vouslàettirezsurtoutcequibouge.Jeprononceraivotrenomavantdetourneraucoin

delamaison.Siquoiquecesoitd’autrebouge,tirez.Illaregardapar-dessussonépaule,attendantqu’elleacquiesce.—Quoiquecesoitd’autre.Vousm’avezbiencompris,Valerie?Sivousvoyezquelqu’unetqu’il

n’apasprononcévotrenomavant,vousluitirezdessus.Peuimportedequiils’agit.Puisilpartitverslecôtéopposédelamaison,nonducôtédelaroutecommeelles’yattendait.Elleserecroquevillacontrelecongélateur,tenantlepistoletàdeuxmains,commeleluiavaitappris

son père. «Tu pointes et tu tires.Ne cherche pas à viser », lui avait-il enseigné. Toutes ces leçonsapprisesdesannéesplustôtluirevinrentàlamémoire.Elleétaitunebonnetireuse.Illuiavaitapprisàledevenir.

Lemomentdepaniqueétaitpassé.Ellen’auraitpaspucourir,quoiqu’endiseGrey,maisellesavaittirer.Appuyersurunegâchette.Ellen’hésiteraitpasàtirersurceluiquilesavaitagressés.

Maiselleétaitpersuadéequel’assaillantétaitparti.C’étaitluiquiétaitdanscettevoiturequ’elleavaitentendues’éloigner.Greylesavait,c’estpourquoiill’avaitlaisséeseule.

—Valerie,c’estmoiquitourneaucoindelamaison.—D’accord,répondit-elle,toujoursprêteàseservirdesonarme.EllereconnaissaitlavoixdeGrey,maisnevoulaitcouriraucunrisque.Ilsortitdel’ombreetposa

sonarmesurleplancherdelavéranda.Puisilsehissajusqu’àelle.—J’aiéteintlefeu.Apparemmentiln’yapasdegrosdégâtspourlamaison.—Pourquoiest-cequ’il…—Rentrezetappelezleshérif.Dites-leurdevenirauplusvite.Jevaisàl’annexe.Ilvoulaitallervoircequ’ilétaitadvenudeDavis.—Netouchezàrien,lemit-elleengarde.Ellel’entenditriredansl’obscurité.Ilsepenchasurl’armequ’elletenaitencoreàboutdebraset

l’embrassa.Çan’avaitrienàvoiraveclebaiserqu’illuiavaitdonnédanslasalledebains.C’étaitunbaiser furtif, comme ceux que son père donnait à samère en guise de remerciement, ou pour lui direbonjour.

—Nevousinquiétezpas,dit-il.—Vosempreintesnesontpasrépertoriéesoùquecesoit,n’est-cepas?—Pasdanslesdossiersauxquelslesautoritésontaccès.Il partit, cette fois-ci en empruntant lesmarchesde lavéranda.Elle le rattrapapar lamanche. Il

s’arrêta.Leursregardssecroisèrent.Ilposasamainsurlasienne.Sesdoigtsétaientrugueuxetchauds,réconfortantspoursesmainsglacées.

—Onéclairciratoutça.—Jesais.Allezprévenirlesflics.Illâchasamainets’éloigna.Elleauraitvoululeretenirencore,legarderprèsd’elle.Maisilavaitdeschosesàfaire,toutcommeelle.Lorsqu’ellecomposalenumérodushérifetprit

consciencequ’ilsétaienttousdeuxhorsdedanger,sesmainssemirentàtrembler.Ellepréféraitqu’ilnesoitpaslàpourlevoir.

***

Leshommesdushérifétaientarrivéstrèsviteetdesvéhiculesemplissaientlacour,tousgyropharesallumés.Lespolicierssetenaientparpetitsgroupesdansl’airenfumédelanuitetparlaientsibasentreeuxqueValerieneparvenaitpasàentendrecequ’ilssedisaient.

Ilsluiavaientdemandéderacontercequis’étaitpassé.EllelesavaitvusparleràGrey.Ilsavaientcherchépartoutdanslacour,inspectantchaquecentimètredusol.Ilsavaientpassél’annexeaupeignefin.Inspectélavéranda,oùleboisdechauffeencorehumidedel’oragedelanuitprécédenteavaitétéempilépêle-mêlecontrelemurdelamaisonetallumé.

Enfin, elle les avaitvusemmener le corpsdeHaroldDavis.On l’avaitpoignardé, ellene savaitplusquileluiavaitdit.Leshérif,peut-être.Greys’étaitrenduàl’annexeaveceux.Greyetellen’avaientpaseul’occasiond’échangerdeuxmotsdepuisl’arrivéedesforcesdepolice.

Parmoments,dansl’agitationgénérale,ellelevaitlesyeuxetcroisaitsonregard.IlluiétaitplusdifficilederegarderGreydanslalumièreartificielleetblafarde.C’étaitplusfacile

pourellederévélersessentimentsdansl’obscurité.Ellesedemandaitsic’étaitpareilpourlui.Ils’étaitpassétantdechosesaucoursdecesquelquesminutesdeterreur!Poureuxmaisaussientre

eux.Des choses importantes pour sa vie, qu’elle neparvenait pas àmettre enordre, pas avec tout ce

mondeautour.Lespoliciersétaientpartisbienaprèsleleverdusoleil.Greyavaitparléaushériflongtempsaprès

ledépartdetoutlemonde,ycomprisdel’ambulancequitransportaitlecorpsdeDavis.Valétait restéeappuyéecontre l’évierde lacuisine,à les regarderà travers la fenêtrebrisée, se

demandantcequ’ilspouvaientbiensedire.SeremémorantcequeluiavaitapprisAutryetcherchantàsavoirquipouvaitbienêtreexactementGreySellers.

Unhommequiluiavaitsauvélavie.Quiétaitrevenuauranch,malgrélesaccusationsqu’elleavaitportées contre lui et malgré sa mise en demeure de quitter les lieux. L’avait-elle fait à cause de cequ’avaitditAutry,ouparcequeGreyl’avaitembrasséeetqu’elleavaitaiméça?

Elleluiavaitdemandédepartirparcequ’elleavaitpeur,c’étaitlaseulechosedontelleétaitsûre.Peurdefaireconfianceetd’êtreblessée,denejamaissavoirs’ils’intéressaitàelleouàl’argentdontelleavaithérité.Cebouletquesonpèreluiavaitmisaupied.

Leclaquementd’uneportièrelatiradesarêverie.Leshérifmontaitenvoiture.Greyposalamainsurletoitensigned’aurevoiretreculapourlelaisserfairedemi-tour.Puisilsuivitlavoituredesyeuxjusqu’àcequ’elleempruntelechemindelacorniche.

D’oùelleétait,Valerieentendaitlebruitdumoteurdurementsollicité.Celafaisaitdixansqu’elleentendaitcebruitchaquefoisqu’unevoiturequittaitleranch.Pourtant,hiersoir,elleavaitfaillinepasl’identifier.

Grey gravit lesmarches de la véranda. Son regard croisa le sien à travers la fenêtre.Elle sentitl’émotion l’étreindre. Elle était peut-être anxieuse à l’idée de se retrouver face à lui,mais elle avaitattenducemoment.Ilouvritlaporte,ethésitaavantd’entrer.Ellesedemandas’ilsesentaitdanslemêmeétatqu’elle.

—J’aifaitducafé,vousenvoulez?—Aumoinstroislitres,répondit-ilenscrutantsonvisage.—Jedoutequeleshommesdushérifenaientlaisséautant.Ilenresteenvironunetasseoudeux.—Prenez-enunetasseavecmoi.Il franchit le seuil et referma la porte derrière lui. Il se tint un moment immobile, la regardant

toujours.—Ilfautqu’onparle.—Jesais.Elle détacha son regard du sien, feignant d’avoir à servir le café. Il le buvait noir, ce qui ne

demandait pas beaucoup de préparation. Elle prenait du lait, ce qui lui laissa quelques secondessupplémentairesavantd’avoiràaffronterdenouveaucesyeuxgrisquiensavaienttrop.

Lorsqu’elleseretourna,unetassedanschaquemain,ilétaitdéjàattablé.Elletraversalacuisineettiralachaiseàcôtédelasienne.Elleposalesdeuxtassessurlatableetpréféras’asseoirdel’autrecôtédelatable.

Il lui serait plus facile de réfléchir à cette place. Si elle était trop près de lui, elle perdrait sesmoyensetoublieraitdeposerdesquestionsvitales.

Greyrestasansbouger,mêmequandellemitlesmainsautourdesatasseenlaportantàseslèvres.Ellefinitparleverlesyeux.Lepetitpliauxcommissuresdeslèvresétaitlà.Unepointed’amusement.

Ellebaissalesyeuxsursoncafé,unpeuembarrassée.Gênée,même.Illisaitenellecommedansunlivreouvert.Elleinspira,labouchecrispée.

—Cen’estpasaussigravequevouslepensez,dit-il.Elle leva les yeux de surprise. Il tira sa tasse à lui,mais ne but pas. Il la tenait comme s’il se

réchauffaitlesmains,leregardrivésurelle.— Comment est-ce que ça peut ne pas être aussi grave ? Un homme est mort. Et je le serais

égalementsi…

Elles’interrompit,luttantcontrelechevrotementquis’installaitdanssavoix.—Jeseraismorteégalementsivousn’étiezpasrevenu.Commentfallait-ilexprimersagratitudedansuncascommecelui-là?Elleétaitsiheureused’être

envie.Aussiheureusequ’elleétaitdésoléepourHaroldDavis.Tellementheureusequ’onnesoitpasentraindetrierlesdécombresdesamaisoncalcinée,àlarecherchedesoncorps.Commentest-cequ’onremerciaitquelqu’unpourça?

—Cen’estpascequejevoulaisdire.Jeparlaisdecequevousaditvotreamisurmoncompte.—Autry?Il fallait égalementqu’elle sache lavéritéàce sujet,maisaprèsavoirvuGreydiscuteravec les

autorités cematin, elle pensait que c’est elle qui avait vu juste.C’était un témoin sous protection.Unancienpolicierdontonavaiteffacélestracespoursapropresécurité.Quelquechosecommeça.

CarGreyn’avaitpasadoptédecomportementsournois.S’ilavaitétéhors-la-loi,témoignerausujetd’unmeurtreauraitététropdangereux.Orellenel’avaitpassentimalàl’aise.Elleavaitplutôtperçudelacompétenceetdel’assuranceémanerdelui,commelanuitprécédente.

—Ilvousaditqu’onavaiteffacétoutetracedemonpassé.Elle acquiesça. Elle attendait ses explications. Elle se savait désormais trop attachée à lui pour

rejouer la scène de l’écurie, lui ordonner de sortir de sa vie. A présent, c’était impossible. Ça luibriseraitlecœur.Lesouvenirdel’annulationdesonmariageluisemblaitunebroutilleencomparaisondecequ’elleressentaitpourGrey.

—Ilavaitraison,ç’aétéfaitdemanièreprofessionnelle,maispaspourlesraisonsqu’iladûvoussuggérer.

—Vousêtesuntémoinsousprotection,dit-elledoucement,leregardfixésurlui,persuadéequ’ellesauraitdécelers’ildisaitlavéritéounon.

Ilposa lesyeux sur sa tasse,puis sur laportequidonnait sous lavéranda.Puis il la regardadenouveau.

—Cen’estpasaussisimplequeça.Ellesentitsoncœurs’arrêterdebattre.Elleavaitentenducetteexpressiontoutesavie.Elleattendit

sansriendireetsanslequitterdesyeux.—Jesuisunancienmembred’uneunitéspécialedelaCIA.Sanstropvousdonnerdedétails,cette

unitéétaitspécialiséedanslalutteanti-terroristeetagissaitclandestinement.Peudegens,auseinmêmedelaCIA,connaissaientnotreexistence.

Ilmarquaunepause,lesyeuxendirectiondelafenêtrebriséeau-dessusdel’évier.Maisellesavaitqu’illaregardaitsanslavoir.Ilrevoyaitsonpassé,cespansdesaviequ’onavaiteffacés.

—J’aifaitéchouerladernièremissionqu’onm’aconfiée.Seslèvressecrispèrent.—Undenosagentsavaitétéfaitprisonnierparuncarteldeladroguequiopéraitsouslaprotection

d’undictateurd’Amériquecentrale.Nousétionsdeuxàdevoir retrouvernotreagentpour le récupérer.J’ai…mal compris les informations dont nous disposions et nous ne nous sommes pas rendus au bonendroit.Etpendantqu’oncouraitdanslevide,legarsqu’ondevaitdélivrersefaisaittortureràmort.

Ildéglutitpourcontenirl’émotionquil’étreignait.—Aumomentoùnousavonscomprisoùnousaurionsdûaller,ilétaitdéjàtroptard.Etc’étaitma

faute.—Etonvousa…Ellehésita,nesachantquelstermesemployer.—Onvousamisàpiedpourça?Illaregarda,ouvrantgrandlesyeux,peut-êtredesurprise.—Ilsn’ontpaseuàlefaire.

—Vousavezdémissionné.Ilnepouvaitenêtreautrement,étantdonnélafaçondontilavaitditcela.—J’aitoutfaitrateretunhommeestmort.Etunautre,unami,afailliypasseraussi,aucoursde

l’opérationdesauvetagequej’aivoulutenter,mêmesijesavaisaufonddemoiqu’ilétaittroptard.Toutatournéaufiascoàcausedemoi.Etunhommedevaleurestmort.Presquedeux.

Ellesecoualatête.—Toutlemondefaitdeserreurs.Elleserendaitcompteenprononçantcesmotsqu’ilsétaientinutilesetplats.Iléclatad’unrireamer.—Peut-être,maisçan’aboutitpastoujoursàlamortdequelqu’un.—Quelqu’unestmortàcausedemonerreuràmoi,ditValerie.LesyeuxdeGreyseplissèrent,maisilneditrien.Valeriereprit.—Sijenevousavaispasdemandédepartir,M.Davisneseseraitpastrouvélà.—VousnevoussenteztoutdemêmepascoupabledelamortdeDavis?—Etpourquoineledevrais-jepas?—Parcequecen’estpasvousquil’aveztué.—Est-cevousquiaveztuél’hommequiestmortaucoursdecettemission?Sabouchesecrispa.—Pouruntasderaisons,jen’étaispasàl’endroitoùj’auraisdûmetrouver,pasàtempsentout

cas,etilestmort.C’étaitmonboulotde…Elleattendit,etaprèsunmoment,ilreprit.—C’étaitmonboulotdeleretrouver.Jen’aipasfaitmontravailcorrectement,etparconséquentil

estmort.—Jepenseplutôt…Ellevitsonvisagesefermer.Ilnevoulaitpasentendrecequ’ellepensait.Çafaisaitlongtempsqu’il

s’étaitmisentêtequec’étaitsafaute,bienavantsarencontreavecelle.—Ypenser,c’estcequej’évitelepluspossibledefaire.Ainsiqu’enparler.Jevoulaissimplement

quevous,voussachiezlavérité.C’estimportant,carlaraisonpourlaquellevotreamin’arientrouvésurmonpassén’arienàvoiravecnousdeux.

Cetteexpressionluiparaissaitdéplacée.CombiendefoisGreySellersavait-ildit«nousdeux»enparlantàunefemme?Endépitdesdoutesinitiauxqu’elleavaiteusàsonégard,elleavaitl’intuitionqueçan’étaitpasarrivésouvent.

—Jen’enveuxpasàvotreargent.Çan’aaucunrapportaveccequis’estpassé.S’ildisaitvrai,alors…alorsquoi?Pourquoidevrait-ellecroirequec’étaitvrai,pourlapremière

foisdesavie?—Mêmesilesgensontdumalàl’admettre,touteslesrelationsavecmoisontliéesàl’argentd’une

manièreoud’uneautre,dit-elle,cherchantàluifairecomprendrequesesdoutesvenaientd’unelongueexpérience. Personne n’arrive à en faire abstraction,même si certains prétendent le contraire. Ça faitpartiedemoi,etçaatoujoursétécommeça.

Ilbaissalesyeuxsursoncafé.—Etdonc,qu’est-cequeçasignifie?demanda-t-il.—Jenecomprendspas.—Vouspensiezquejevoulaiscoucheravecvousàcausedevotreargent.Jevousaiditquel’argent

n’avaitrienàvoirlà-dedans,maisvousnemecroyezpas,alors…qu’est-cequeçasignifiepournous?Il n’avait pasdit : « Jevoulais vous faire l’amour. »En fait, il n’avait fait que répéter lesmots

qu’elleavaitprononcésdansl’écurie.Ilneparaitpassessentimentsd’atoursromantiques.Cen’étaitpassonstyle.Iln’étaitpasdugenreàfairedespromesses.

—Pourquoiavez-vousfaitçaalors?demanda-t-elle.Illevalesyeux,lesposasursonvisage,avecunaird’interrogation.—Pourquoiavez-vousessayédecoucheravecmoi?reformula-t-elle.Sabouches’anima,commes’ilréprimaitunsourire.—Pourlesraisonshabituelles,jesuppose.—Parcequevousêtesamoureuxdemoi?demanda-t-elleenseforçantàsoutenirsonregard.Il fallaitqu’ilsaillentauboutdeschoses,qu’iln’yaitpasdemalentendusentreeux.C’était trop

important.—Jen’aijamaisditçaàunefemmedemavie.J’aitoujourssuquesijelefaisais,je…Elleattenditqu’ilpoursuive.Ellen’étaitpourtantpassûredevouloirentendrecequ’ilallaitdire.— Je vous veux, vous. J’ai très envie de vous faire l’amour.Ne vousméprenez pas à ce sujet,

articula-t-ilfinalement.Son regard était limpide, sincère. Elle sentit des sensations s’éveiller en elle. Il la désirait

vraiment.Maiscomptetenude…Encolèrecontreelle-même,ellecoupacourtà l’idéequi luivenait :est-cequ’ellecroyaitqu’un

hommetelqueGreySellersnepouvaitpasladésirerphysiquementparcequ’ellen’étaitpas…toutàfaitcommelesautres?Sioui,ellen’avaitplusàdemanderàêtretraitéecommelesautresfemmes.

C’est pourtant comme une femme à part entière qu’il la considérait, et il essayait de semontrerhonnêtesursessentiments.Assezhonnêtepournepasluipromettreunamouréternel.

—Valerie?—Etpuisaprès?demanda-t-elletoutbas.Ilneréponditpastoutdesuite.—Jecroisquec’estàvousdedécider.Quoiqu’ilsepasse,ladécisionvousappartient.Ellesavaitqu’ilétaitsincère.Pasdepromesses,pasdemensonges.Amoinsquetoutnesoitquemensonges,commeavecBart.—Maisilfautquevousfassiezquelquechoseàproposdel’autre,dit-il.—Quelautre?demanda-t-ellesanscomprendre.—Celuiquivousenveut.Celuiquiétaitlàlanuitdernière.Iln’avaitriendeplusàajouteràproposd’euxdeux.Ilparlaitmaintenantdel’hommequiavaittué

M.Davisetmislefeuàlamaison.—Peut-êtrequesijecomprenaiscequisepasse…—Quelqu’unessayedevoustuer.Outentedevouslefairecroire,dumoins.—Tentedemelefairecroire?releva-t-elle.—Soitc’estça,soitc’estleplusincompétentdesassassinsquej’aiejamaisvu.Desassassins,ellesedemandacombienilavaitpuencroiseretcequ’ilavaitfaitexactementàla

CIA.—Iln’apasétéaussiincompétentqueçaavecDavis,dit-elle.—Lui,ilvoulaitbeletbienletuer.—Etpasmoi?C’estabsurde!—Jesais.Ilportasoncaféàseslèvres.Illuijetaunregardenreposantsatasse.—Quiauraitintérêtàvousvoirmorte?Elleavaitdéjàpenséàça.Etelleluiavaitdéjàditavecsincéritéqu’ellenecroyaitpascapablesde

luifairedumalceuxquitireraientbénéficedesamort.—Quoiquevousenpensiez,çan’arienàvoiraveclasociété,dit-elle.—Commentpouvez-vousenêtresisûre?

—Jeconnaistropbienlesgensquihériteraientdemespartspourcroirequ’ilspourraientattenteràmavie.Çavientd’ailleurs,dit-elle,obstinée.

—Voushéritezdespartsd’unesociétéd’unevaleurde…plusieursmillionsdedollars.Au ton de sa voix, elle comprit qu’il annonçait une somme au hasard,maismême si lemontant

annoncéétaittrèsendessousdelaréalité,ellenelerepritpas.—Etvouspersistez à croireque çan’apasde rapport avec le fait qu’on cherche àvous tuer ?

Alorsmêmequ’aucunautrechangementn’estsurvenudansvotrevie?—Aucundeceshommes…—Quesepasserait-ilaprèsvotremort?lacoupa-t-ild’untonsévère.Elle savait qu’il avait raison,mais admettre qu’un des associés de son père, qu’elle considérait

commeses«grands-pères»,puisseêtreàl’originedecequis’étaitpasséfaisaits’effondrerlemondedesonenfance,uncoconconfortableoùrégnaientamouretconfiance.

—Mespartsseraientrépartiesentrelesautresassociés,dit-ellesèchement.—Pourquoicelanes’est-ilpasfaitàlamortdevotrepère?—Parcequ’ilm’adésignéecommehéritière.Chaqueassociéalepouvoirdetransmettresespartsà

unhéritier. Sansquoi les parts sont divisées entre les différents associés restants en proportion de cequ’ilspossèdentdéjà.

—Cetaccordaétérédigédèsledépart?Elleacquiesça.—Ilsonttouscontribuéàhauteurdeleursmoyensrespectifsauxcoûtsdedémarrage,etreçudes

partséquivalentesàlasommequ’ilsavaientinvestie.C’estàcemomentqu’ilsontétabliunaccordentreassociéspoursavoircequ’iladviendraitdeleurspartssil’und’euxvenaitàdisparaître.Autantquejesache, c’est un accord classique, sauf qu’il n’y a pas d’autres options possibles. Chaque associédéterminecequ’iladviendradesespartsàsamort,etlesautresnepeuventpasrevenirdessus.

—Quidétientlesplusgrossesparts,aprèsvous?Ellerechignaitàprononcerlenomqu’il luidemandait.Çaferait immédiatementdecethommeun

suspect.Orellenelecroyaitpascoupabledecequis’étaitpassé,endépitdelalogiquedeGrey.Etellelecroyaitencoremoinscoupabledemeurtre.

—BillClemens,dit-elle.—Alorsoncommenceparlui.—Billyn’arienàvoiraveccemeurtre.—Cen’estpastrèsdifficile,denosjours,detrouverquelqu’unpourcommettreunmeurtreàvotre

place.Etc’estpluslégerpourlaconscience.JesuispersuadéqueClemensaassezd’argentpourengagerunhommedemain.

—Maisilneleferaitpas.Etilne…Ellen’arrivapasàprononcerd’autresmots.«Etilnechercheraitpasàmetuer.»C’étaitridicule.

Maisellen’étaitpasprêteàavalerlathéoriedeGreynonplus.Çaluisemblaitencoreplusridicule.Celui qui avait tué Harold Davis avait probablement voulu les tuer tous les deux. Bill

Clemens— elle en avait la conviction—n’avait rien à voir là-dedans. Elle était contente queGreyignorel’ampleurdecequ’ilpourraitempocheràsamort.

Ilpinçaleslèvres,baissalesyeux,puislesrelevaavecfroideur.—Alorsquelleestlacausedecesévénements,selonvous?Ellen’enavaitaucuneidée.Contesterl’hypothèsedeGreysemblaitdoncvain.Etpourtant…—Billestdéjàassezrichecommeça.Lepliaucoindesaboucheréapparut,maisilseretint.—Etilneseraitpasplusrichesivousdisparaissiez?—Si.

—Alorsilauneraisondevouloirvotremort.—Ilsont touslesquatreuneraisondevouloirmamort.Ilssontpeut-êtretouslesquatredansle

coup.L’organisationdemonassassinatétaitinscritàl’ordredujourdudernierconseild’administration,non?dit-elleavecsarcasme.

—Quanda-t-ileulieu?—Iln’apaseulieu,c’étaitcenséêtreuneplaisanterie.—Ehbienalors,quanddoitavoirlieuleprochain?—Aladatequejedéciderai,jepense.—Fixezunedatealors.—Etaprèsjefaisquoi?—Vousleurditesquevousnommezunhéritier.—Mais…jen’aipersonnequejepeuxnommercommehéritier,répondit-elle,désemparée.—Nommezuneœuvrecaritative.Créez-enune.Toutlemondefaitça.—Etcommeça,aucundesassociésnepourraittirerprofitdemamort.C’étaitcrédible.Sisesennuisvenaientbiendelà.Etmêmesicen’étaitpaslecasaussi.—Jedevraismedébarrasserunebonnefoispourtoutesdecesparts,dit-elledoucement.—Etlescéderauxautres?Cen’étaitpascequ’elleavaitvouludire.Ellevoulaitlescéderàuneœuvrecaritative,commeille

lui avait suggéré. Elle aurait pu céder ses parts aux autres associés, mais ça n’était pas la dernièrevolontédesonpère.

—JenecroispasquemonpèrevoulaitqueBillprennelecontrôledelasociété.—Pourquoi?—Jen’ensuispassûre,mais…sic’étaitcequ’ilavaitvoulu,ilauraitléguésespartsauxautres.

C’estd’ailleurscequejeluiavaisdemandédefaire.Moi,jen’enaijamaisvoulu.— Alors débarrassez-vous-en. Convoquez un conseil d’administration et rendez votre décision

publique.Lasociétéétaitl’héritagedesonpère.Ellesefaisaitundevoirmoraldelaplacerentredebonnes

mains.—Cen’estpasaussisimplequecela.—Aucontraire,çal’est.Nommezunhéritieretmettezfinàtoutrisquequ’undeceshommespuisse

tirerprofitdevotremort.Oualorscédez-leurvospartsetdésintéressez-vousdecequ’iladviendra.C’esttrèssimple.Sinon…

Ilétaitinutilequ’ilprécisecequ’ilvoulaitdire.L’avertissementétaitclair.Sinon,elleseraittoujoursmenacée.EllelisaitdansleregarddeGreyqu’ilenétaitconvaincu.Etsa

solutionétaitsimple:renonceràcetargentqu’elleavaittoujoursdétesté.Ça,çaluiseraitfacile.Maisalors,elleneseraitplusprotégéeparl’hommequ’elleaimait.Etça,

c’étaituntoutautretypedesacrifice.

10

Vingt-quatre heures. C’était selon les avocats le délai minimum pour convoquer un conseild’administration.

Val l’avait donc planifié pour le lendemain après-midi et demandé aux avocats d’en avertir lesautresassociés.Lesavertirparcebiaisleurferaitcomprendrequ’ellen’étaitpluslapetiteValeriequ’ilsavaientfaitsautersurleursgenoux,maisValerieBeaufort,P.-D.G.d’Av-Tech.

P.-D.G., jusqu’à ce qu’elle trouve unmoyen de se dessaisir de ses parts, se disait-elle pour serassurer.Selonlesavocats,mettresurpiedlafondationcaritativequ’ellepensaitcréerettransférersesparts entre les mains d’un groupe de gestion d’actifs prendrait du temps. Ils lui avaient égalementvivementconseilléderédigeruntestament.

Une fois ses volontés inscrites noir sur blanc, il serait difficile à quiconque, sa belle-mère parexemple, de contester ces dispositions. Lemoyen le plus sûr était de nommer un héritier temporaire,jusqu’àcequelafondationexistebeletbien.

Maisellen’avaitpasd’héritier.Pasdeproches.SaufsielleconsidéraitConniecommeunmembredesafamille,maiselleneparvenaitpasàs’yrésoudre.Cequil’avaitramenéeauxassociésdesonpère,qu’elleavaittoujoursvuscommesafamille.

EllenevoulaitpasdonnertropdecréditauxsoupçonsdeGrey,maisonavaitbeletbienpoignardéHaroldDavisetessayédelatuer,elleaussi.

Or,leseulchangementquis’étaitproduitdanssavieétaitl’héritagedespartsd’Av-Tech.L’argentdesonpère:laracinedetouslesmaux.

Craignantqu’AutryCarmichaelneliselecompterendudesévénementsdelanuitdanslapresse,nes’inquièteetnedébarqueauranch,Valavaitprislesdevantsetl’avaitappelédèslematin.ElleluiavaitparlédecequeGreyluiavaitracontédesonpassé,pourcequ’ellepouvaitendivulguer.

Autrys’étaitmontrérassurédesavoirquelemystèreGreySellersétaitrésoluetqu’ellenecouraitaucundangeraveclui.—Avez-voustoutpréparépourleconseild’administration?

Elle leva les yeux :Grey se tenait à l’entrée de la cuisine.Après leur conversation, il était alléclouer des planches sur les fenêtres brisées. Ça lui avait permis de passer ses coups de fil en toutetranquillité.

— Les avocats se chargent de l’organiser et de prévenir tout le monde. Je me suis dit que çasembleraitplusprofessionneldelefaireparleurintermédiaire.

—Vousvousattendezàdesdésistements?— Non, car les associés s’attendent à ce qu’un conseil soit convoqué. Ils savent que nous

recherchonsunconseillerendirection.—Celaveut-ildirequevousn’avezencoretrouvépersonne?

—Non,pas encore. Jevoulaisque ce soit les avocatsqui le recrutent,mais il semblerait qu’ilssouhaitentquejerencontremoi-mêmelescandidats.Jemedemandepourquoi.

—ParcequevousêtesleP.-D.G.,non?—J’aiessayédeleurfairecomprendrequepourmoicen’estqu’untitrehonorifique.Jeneveuxpas

dirigerlasociété.—Av-Technevousajamaisintéressée?Auneépoque,elles’était intéresséedeprèsauxactivitésde lasociété.Elleavaitgrandidans le

milieu de l’aviation, assistant dans sa jeunesse à des essais d’avions expérimentaux, top secrets pourcertains.Elleavaitensuiteessayédesuivrelesévolutionstechnologiquesquiavaienttransformélapetitesociétéaéronautiqueengéantdel’industrie.

C’étaitavantqu’ellenetourneledosàlafortunedesonpèreetparconséquentàlasociétéquienétaitl’origine.Av-Techévoluaitaujourd’huidansunesphèretechnologiquequidépassaitamplementsesconnaissances basiques. Les projets les plus récents, qui concernaient les systèmes de guidage demissilesetdesatellites,étaientbeaucouptroppointuspourelle.

—Auneépoquesi.Monpèrevoulaitquejeconnaisselesecteur,etj’aitentédelefaire,dit-elle,légèrementsurladéfensive.Maisdepuisquej’aiprismesdistancesavectoutça…

—Acausedel’argent?Lemomentétaitpeut-êtrevenupourelledetoutluiraconter.Greyavaitbesoindesavoircommentet

pourquoielleétaitdevenuecellequ’elleétait,autantqu’elleavaiteubesoind’ensavoirplussurlui.Illuiavaitavouécequilerendaitsimystérieux.Ellesedevaitdeluirendrelapareille.Ellenecherchapasàcomprendrepourquoiellesentaitquec’étaitsiimportant.

—Parcequej’aidécouvertlaveilledemonmariagequel’argentdemonpèreétaitlaseulechosequiintéressaitmonfiancé.Cetteexpériencefutextrêmementdésagréableet,àtortouàraison,dansmonesprit,elleatoujoursétéassociéeàAv-Tech.

Elles’attendaitàcequ’ilréagisse,qu’illuitémoignedelasympathieaumoins.MaisGreyneditrien.Ilfinitparsedirigerverslacafetièreetremplitunetasse.

—Çaadûêtredur.Illuitournaitledos,etavaitditcelad’untonparfaitementneutre.«Dur » était très en deçà de ce qu’elle avait éprouvé.Mais au bout de dix ans, elle devrait se

montrercapabled’enparleravecdétachement.—Au cours de cette soirée, quelqu’un a demandé àmon fiancé pourquoi nous ne dansions pas

ensemble.Elleneputempêchersavoixdetrembler.EllepensaitavoiroubliélesmotsdeBartcesoir-là,mais

ilsluirevinrentsoudainemententête,commesiças’étaitpassélaveille.Penseràcelaluifaisaittoujoursaussimal.Dixans,cen’étaitpeut-êtrepastantqueça,toutcomptefait.Pasassezentoutcaspourqu’elleenparleavecrecul.

Elle trouvait son comportement stupide et immature. Ce n’était que desmots, après tout, et BartCarruthersétaitunpauvretype.L’annulationdesonmariageétaitcequiluiétaitarrivédemieuxdanslavie.Alorspourquoicesouvenirétait-ilsidouloureux?

Ilsassistaientàunbaldansunclubde loisirs,unedecesnombreusessoiréesorganiséespendantleurs fiançailles par les amisde sonpère, etVal était allée se repoudrer le nez.Elle revenait vers lecercled’amisoùsetrouvaitsonfiancé,lequelluitournaitledos,lorsquequelqu’unavaitdemandéàBartpourquoiiln’avaitpasinvitéValerieàdanserpendantlasoirée.Elleserappelaitmêmeletonsurlequelcettequestionluiavaitétéposée:suffisant,légèrementmoqueur.

—Ila réponduque tout cequ’on luidemandait était de coucher avecmoi, et quepour tout cetargent,ilétaitprêtàrecevoirdanssonlitlafiancéedeFrankenstein,dumomentqueçasefaisaitdansl’obscurité,dit-ellesoudain,lesyeuxbaisséssursesdoigtscroisés.

Ilyeutunsilence.PuisGreyéclataderire.Elleauraitétémoinschoquées’il l’avaitgiflée.Ellelevalesyeuxetleregarda.Ilétaitappuyécontrelecomptoir.

—Bravetype,dit-il,sourianttoujours.Puisilportasatasseàseslèvres.Maiscequ’ilvitdanssonregardstoppasongeste.—Vousn’avezpaspenséquececommentairevousétaitdestiné,toutdemême?Elle se força à déglutir, malgré la boule qui lui obstruait la gorge, mais elle n’arrivait pas à

prononcerlemoindremot.Ellenecomprenaitpassaquestion.Biensûrqueçaluiétaitdestiné.C’étaitàproposd’elle,deleurrelation.

—Ildevaitenavoirplusquemarred’entendreparlerdel’argentdevotrepère.Iln’avaitpaslesépaulesassezlargespours’opposerauxrailleriesetexpliquerpourquoiilvoulaitvousépouser,alorsiln’afaitquedirecequ’onattendaitdelui.

—Ensemoquantdemoi?—Illuiauraitsûrementfallusedonnerbeaucoupdepeinepourconvaincrelesautresqu’ilnevous

épousaitpaspourl’argent.—Maisiln’étaitpasquestiond’argentdanscetteconversation,maisdemoi.—Vousl’avezprispourvous,plutôt.—Jenevoispascommentj’auraispufaireautrement.Elleluiavaitfaitcetteconfidencepourqu’ilcomprennepourquoielleseméfiaitdeshommes.Mais

Greysemblaitinsinuerquecelan’avaitrienàvoiravecl’argent.CelaluifaisaitpresqueaussimalquelesproposdeBart.

—Peut-êtrequevousauriezdûprendrecetteremarquecommelaréponsemaladroited’unabrutiquiessayaitdesedéfendrecontreundesesamisenvieux.Maisçan’avaitpasderapportdirectavecvous.C’estimpossible.

«C’estimpossible.»EllerepassalesparolesdeBartdanssatête.«Toutcequ’onmedemande,c’est de coucher avec elle. Je pense que je peux le faire. Bon sang, pour tout cet argent, je seraiscapabledecoucheraveclafiancéedeFrankenstein.Tantqueçasepassedanslenoir.»

—Maissi,ilparlaitdemoi,dit-elle.—Nonilparlaitdelui.Desestravers,pasdesvôtres.Cen’estpaspareil,ditGrey.Ellesecouadoucementlatête,enungestededénégation.—Vouspensiezqu’ilnevoustrouvaitpasattirantephysiquement?Elleinspiraprofondément,carellesavaitquec’étaitlàlenœudduproblème.Bartnelatrouvaitpas

séduisante.Ellel’avaittoujourssu.—Non,ilnemetrouvaitpasattirante.—Ilnevousajamaisfaitl’amour?Al’époque,elleavaitpenséquelemanqued’intimitédansleurrelationvenaitd’elle.Jusqu’àcette

soiréefatidique,elleavaitpenséqueBartsemontraitchevaleresqueetromantique,qu’ilrespectaitsonchoix.Etaulieudecela…MonDieu,qu’est-cequej’aipumemontrerstupide!Ellesesentithonteused’avoirétéaussinaïve.

— Il est évident qu’il n’en avait pas envie. Une fois que tout aurait été signé, qu’il auraitdéfinitivementmis lamain surmoi—ou plutôt, devrais-je dire, sur l’argent demonpère—alors ilauraitconsentiàfairecesacrifice,dit-ellesèchement.

—Etpendanttoutescesannées,vousn’avez…Ilnefinitpassaphrase,maisunsentimentqu’elleavaitdéjàvupassadanssonregard.Delapitié?MonDieu,faitesquecenesoitpasça.Elledétesteraitqu’ilaitpitiéd’elle.Surtoutà

cetégard.—Toutescesannéesjen’aipasquoi?demanda-t-elle,commelesilenceseprolongeait.Plutôtquederépondre,illuidemanda:

—Combiend’hommesavez-vouseusdansvotreviedepuiscesoir-là?Elleneréponditpas.Peuimportaitcequ’elleressentaitpourGrey,çaneleregardaitpas.Elle,elle

neluiposaitpasdequestionssursavieprivée.—MonDieu,etc’estarrivéilyacombiendetemps?demanda-t-ilsanslaquitterdesyeux.—Assez longtemps pour que ce soit de l’histoire ancienne. Je ne saismême pas pourquoi nous

parlonsdeça.Elleavaitpenséqu’ildevaitsavoirpourquoiellenevoulaitpasentendreparlerdel’argentdeson

père,pourquoielleavaitportédesaccusationscontreluil’autrenuitdansl’écurie.Queçal’intéresseraitdesavoirpourquoielleétaitsiméfianteàcesujet.Maisaulieudeça…

—C’étaituneerreur,quelquechosequin’auraitjamaisdûseproduire.—Ilestdifficiledesavoirenquionpeutavoirconfiance.Maisça,jepensequevouslesavezdéjà.—Oui,répondit-elle,amère.Greyposasoncafésurladesserteets’avançaverselle.Ilsetintquelquessecondesàcôtédelatable,lesyeuxsurelle,puissepencha.Sonvisageétaittout

prèsdusien.—Moi,jeneveuxpasdevotreargent,mademoiselleBeaufort,maisjevousveux,vous.Plusque

tout.Jeveuxdanseravecvousetvousfairel’amour.Etvouspouvezêtresûrequeçanesepasserapasdanslenoir.

Unlongmoment,ilsoutintsonregard.Ellesentitlesangrefluerverssonvisage.Ellenesavaitpasquoidire.Greys’étaitemparédesparolesdouloureusesincrustéesenelledepuisdixansetlesluiavaitrenvoyéesàlafigure.

Aprèsunmomentquiluiparutuneéternité,ilfinitparseredresser.Iltraversalacuisine,ouvritlaporteetsortit.

Par la véranda arrière. Là où il l’avait protégée la nuit précédente, en offrant son corps commebouclier.

C’étaitsongardeducorps,évidemment,etc’étaitsonboulot.Maisça,c’étaittoutautrechose.Ellevoulaitêtresûred’avoirbiencompriscequ’ilvoulaitdire.L’heureétaittropgravepoursetromper.

***

EllerestaimmobilelongtempsaprèsledépartdeGrey,àserepassersesparolesenboucledanssatête.«Jevousveuxvous.Plusquetout.Jeveuxdanseravecvousetvousfairel’amour.Etvouspouvezêtresûrequeçanesepasserapasdanslenoir.»

Au fondd’elle-même, elle avait la certitudeque si elle trouvait le couraged’allervers lui, dansl’obscuritéoudanslalumière,elleneseraitpasdéçue.

Depuisqu’elles’étaitmiseaulit,Valerieétaitagitée.Ellesavaitpourquoi.Ilyavaitd’abordeulaconversation de ce matin et l’allusion à l’éventualité qu’un des associés de son père essaie de lasupprimer. Cette idée s’était transformée en terreur à l’approche du conseil d’administration dulendemainaprès-midi.Etaumilieudetoutcela,ilyavaitsarelationavecGreyetledéfiqu’illuiavaitlancé.

«Etvouspouvezêtresûrequeçanesepasserapasdanslenoir.»Avait-il dit cela pour la provoquer ?Dans ce cas, çamarchait. Elle avait lutté toute la journée

contreledésird’allerletrouver,avecl’espoirqu’ilsepassequelquechose.Etcedésirnelalâchaitpas.CarGreyluiavaitditque,pourmonterlagardeetveillersurelle,ilrestaitdanslamaison,plutôtqued’allerdormirdansl’annexe.

C’estsontravail,sedit-elleens’agitantsursonoreiller.Ilnefaitquesonboulot…Elleroulasurledos,lesyeuxfixésauplafond.

ElleneparvenaitpasàsesortirGreydelatête.Peut-êtrequedeuxcomprimésl’aideraientàtrouverlesommeilouapaiseraientaumoinssadouleur

augenou.C’étaitpeut-êtrecettedouleurquilatenaitéveilléeetpassespensées?Maisoui,biensûr,sedit-elle,conscientequ’ellecherchaitàsementir.

Elle repoussa ses draps et s’assit au bord du lit. Elle ouvrit le tiroir où se trouvait le flacon decomprimés.Elle le cherchadans l’obscurité, avantde se rappelerqu’elle l’avait laissé sur la table, àcôtédufauteuiloùelleavaitpassélaplupartdesontempsaucoursdesaconvalescence.

Il fallait qu’elle aille le chercher. Il fallait qu’elle dormepour avoir les idées claires lors de laréuniondulendemain,d’autantqu’ellen’avaitdéjàpasbeaucoupdormilanuitprécédente.Ilétaitplusdedeuxheuresdumatin,ellenepouvaitsepermettredeveillercommeçapluslongtemps.Ellen’avaitqu’àseglisserdanslebureau,récupérerlescomprimés,passeràlasalledebainsetenprendredeux.Greynes’apercevraitmêmepasqu’elles’étaitlevée.

Lorsqu’elleétaitalléesecoucher,ilbuvaitducafé,assisàlavieilletabledeboissurlaquellesamèreluiavaitapprisàconfectionnerunepâteàtarte.C’étaitl’undesacquisdesonenfancedontelleétaitla plus fière, se dit-elle dans un sourire.Elle se revoyait encore, présentant à son père—pour qu’ildonnesonavis—lapremière tarteauxpommesqu’elleavait faiteelle-même.Cela faisaitdesannéesqu’ellen’avaitplusfaitdetartes.Cariln’yavaiteupersonnepourqui…

Ellerefermabrutalementletiroir,chassantcettepensée,agacéeparlaperversitédesamémoire.Acetteépoque, toutcequ’ellevoulait était ressemblerà samère,avoir lamêmeviequ’elle.Semarier,avoirdesamis.Etunepetitefilleàquitransmettresonsavoir-faire,serréecontreelledansunecuisined’été,embaumantleparfumd’unpetitplatmitonné.

Qu’était-il advenu de ces rêves ? Avait-elle laissé Bart Carruthers les détruire ? Les avait-elledétruitselle-mêmeparpeur,lâchetéouapitoiement?

Encetinstantprécis,ellesutdequoielleavaitenvie:allertrouverGreyetlelaisserrebâtircesrêvesquetoutescesannéesn’avaientpasexaucés.Quecesoitdansl’obscuritéouenpleinelumière.Elles’enmoquait.

CommeellesemoquaitdesavoirpourquoiGreyavaitenviedefairel’amouravecelle.C’étaitladernièredesespeurs,ladernièrebarrièreàfranchir.Ettantpissic’étaitàcausedesonargent,ettantpissic’étaitlaseuleraisonpourlaquelleGreyvoulaitd’elle.

Ellenesavaitpassicetterésolutionétaitunevictoireouunedéfaite,maisellel’avaitprise.

***

—Grey?appela-t-elledoucementàl’entréeducouloir.Lalumièreétaittoujoursalluméedanslacuisine.Elle se souvenait des recommandations queGrey lui avait données la veille.Elle ne voulait pas

risquerdese faire tirerdessuspar sonpropregardeducorps. Ilapparut sur le seuilde lacuisine, sacarrureremplissantl’encadrementdelaporte.Elleavaitdumalàdistinguersestraits.

—Qu’est-cequinevapas?Faceàlui,ellen’arrivaitpasàjustifiersaprésence.Elleavaitespéréqu’ils’endouterait.—Valerie?—Toutvabien.Il attendit, puis commeelle n’ajoutait rien, il tendit le bras et alluma la lumière du couloir. Elle

clignadesyeuxetlevalamainpourseprotéger.Ellelevitlaregarderfixement.Danssonregard,elleretrouvalamêmeexcitationquel’autresoir.Ceregardétaitsiintensequ’elleeutpresquepeurdecequ’ilsignifiait.

Mais c’était bien pour ça qu’elle était là, après tout. Pour cette excitation. Elle n’avait rien àcraindre.Pasça,nilui.Ellen’avaitjamaiseupeurdelui.Soninstinctétaitaussibonquelesien.

—Cen’estpasunebonneidée,dit-ildoucement.Cette remarquepouvait être interprétéedediverses façons.Elle inspira, s’efforçantdenepas se

tromper sur ce qu’il voulait dire, de ne pas laisser revenir ses vieux démons et détruire ce qu’elleressentait.Etcequ’ilressentaitlui,elleenavaitlaconviction.

—Pourquoipas?demanda-t-elle,heureused’entendresavoixassuréemalgrésoncœurbattant.—Parcequ’onaessayédevous tuer lanuitdernièreetquemon travail, c’estdevousprotéger.

Pas…defaireça.Cettepetitehésitationétaitunevraieprovocation.Ellevoulaitqu’ilprononcelesvraismots.Tous,

même les plus crus. L’idée d’entendre ces mots dans sa bouche en sachant qu’il les prononcerait enparlantd’ellel’excitait.

—Vous avez dit que vous vouliezme faire l’amour.Que ça se passe dans le noir ou en pleinelumière…

Ellelevitprendreuneprofondeinspirationquifitsesouleverlalignedesesépaules.L’hésitationqu’ellemarquaitétaitpeut-êtreaussiprovocantequelasienne.Etaussidélibérée.

—Lesdeuxmevont,finit-elledoucement.—Vousnecraignezpasquequelqu’un…—Non,dit-ellesansluidonnerletempsdeterminersaphrase.Pourlapremièrefoisendixans,ellen’avaitpeurderiennidepersonne.NideGrey,niduridicule,

nidesevoirrejetée.Ellen’avaitmêmepaspeurdecauserunedéception.Elleavaitunbienprécieux,quin’appartenaitqu’àelle,dontelleétaitlibrededisposer,etcesoir

ellevoulaitleluioffrir,c’estpourquoiellel’avaitappelé.—Nepassemontrerattentifpeutserévélerdangereux,dit-il.Elleeutunpetitsourired’amusement.Tropsoudain.Troptôt.Tropdangereux.—Est-cevotreintuition?Avez-vouslesentimentqu’ilyaquelqu’unquisecachedehors?—Cen’estquedubonsens,pasde l’intuition. Jene ressens rienà l’intérieur.Enfin…pasàce

sujet,dumoins.Savoixs’étaitfaiteplusdouceetaguicheuse,commel’étaitparfoissonregard.—Votre instinct avait vu juste à propos d’hier soir, alors il n’y a peut-être effectivement aucun

dangercesoir.Etmêmes’ilyenavait,vousseriezplusprèsdemoiquevousnel’êtesenrestantassisdanslacuisine.

Elleemployaituntonlégèrementprovocant,séducteurmême,etelleaimaitça,mêmesic’étaittrèséloignédesanature.

—L’essencemêmedelaprotectionrapprochéeestlaproximitéaveclesujetàprotéger,dit-il,avecunpetitpliaucoindeslèvres.

Proximité.Elleprenaitsoudainconsciencedelaconnotationsexuellequepouvaitprendrecemot.Quiimpliquaitdel’intimité,àcausedelamenacequiplanaitsureux.Aprèstoutescesannées,cethommeavaitfaitvolerenéclatslesbarrièresdesesémotions.

—Ehbienalors…C’étaituneavance.Ellen’enrevenaitpasd’avoireulecouragedelaformuler.Dansl’attentequ’il

l’accepte,elleretintsonsouffle.—Dites-moi,dites-moicequevousvoulez,murmura-t-il.Ellen’avaittoujourspaspeur.Elleneressentaitquedudésiretdel’amour.—Jeveuxquevousm’aimiez.Enpleinelumière.

11

Lejourdel’arrivéedeGrey,Valerieavaitsuenleregardantcaresserlechanfreind’Harvarddesesbelles mains bronzées qu’il était un homme qui connaissait les chevaux. Ce soir-là, elle apprit qu’ilconnaissaitégalementtoutdesfemmes.

Elleavait trèsvitecompriscombien ilétaithabile,patientetmaîtredechacundesesgestes,carchaquefoisqu’illatouchait,soncorpsfrissonnaitdedésir.

« En pleine lumière », avait-elle dit. Mais lorsqu’ils étaient entrés dans la chambre, il l’avaitsimplementmenéejusqu’aulit,baignédelaclartédelalune.Puisils’étaitdéshabillésobrement.Ilavaitd’abord déboutonné sa chemise, suffisamment pour la passer par-dessus sa tête.Chacun de ses gestessemblaitdétachéetdégageaitunmélangedeforceetdegrâce.

Lorsqu’il s’assit au bord du lit pour ôter bottes et chaussettes,Val prit conscience qu’elle allaitlaisserunhommequ’elleconnaissaitàpeineluifairel’amour.MaislaperspectivequeGreypartagesamaisonetsonlitluiparaissaitallerdesoi.

Perduedanssespensées,ellefutlégèrementsurpriselorsqu’ilseleva.Ildéboutonnasonjeanenlaregardant,lefitglisserets’enlibéra.

Ilneportaitriendessous.Deboutdevantelle,entièrementnu,ilémanaitdeluilamêmeforcequedel’oragedel’autrenuit.Uneforceélémentaireetprimitive.

—Avousmaintenant,dit-ildoucement.Elleinspiraprofondément,malassurée.Elleportaitunechemisedenuitàmancheslonguesetcol

haut.Cen’étaitpasexactementunetenuedeséductrice.Maisellemanquaitunpeudepratiqueentermesde séduction.Elle porta des doigts tremblants à la boutonnière en perles de sa chemise de nuit. Il luisaisitlesmainsavantqu’elleaiteuletempsdedétacherdeuxboutons.

—Jen’aipasditquec’étaitàvousdelefaire.Elleauraitpumontrerdel’embarrasetdel’incompréhension,maisilluisouriait.Ellesecontenta

doncd’acquiescer,lagorgetropserréepourpouvoirprononcerlemoindremot.—C’estàmoidefaireça,pasàvous.Vousn’avezrienàfaire,cesoir.Ilnetouchapastoutdesuiteauxboutons.Ilposalesmainssursesépaulesetdoucement,fitglisser

sabouchelelongdesoncou.D’instinct,elleinclinalatête,cequiprolongealacaresse.Ellesentittoutetensionl’abandonner,commesielledevenaitliquide,malléableetpleinededésir.Sabouchelaissaunetraced’humiditélelongdesagorgeetcommeilposaitseslèvressurlabase

desoncou,ellesentitquesesmainss’affairaientsurlesboutonsdesachemisedenuit.Unefoislesboutonsdéfaits,ilfitpasserlachemisedenuitau-dessusdesesépaules,accompagnant

desabouchelemouvementquidévoilaitchaqueparcelledesapeaujusqu’àsesseins.Lafraîcheurdel’airrencontral’humiditélaisséeparsaboucheetellefrissonnaencore.

Elle sentit un désir brûlant, presque douloureux, prendre forme dans son bas-ventre. Un besoinprimitifetélémentaire.

Greyluiôtaentièrementsachemisedenuitet lefrottementducotonsurlapointedesesseinsfutpresqueaussiérotiquequelacaressedesabouche.Maiscettesensationfutencoreplusfortelorsqu’ilpassasalanguesursesseins,etlafitglisserautourdesestétons,l’unaprèsl’autre.Ellelessentitdurciret sedresser sous lachaleurde sabouche.Un légergémissementdeplaisir lui échappaet toute forcel’abandonna.

LabouchedeGreyserefermasurlapointed’undesesseinsetcesoudainmouvementlasurprit.Uncrisortitdesagorge,incontrôlable.

Valerien’avait plusdevolontépropre.Elle était perduedans lebonheurde ces sensations, et laboucheavidedeGreycontinuaitdelaparcouriretdelacaresser.Sesmainsbougeaientsursoncorpsenharmonieaveclemouvementdeseslèvres.Sesdoigtscaressaientouenfermaientsesseins,lesportaientàsaboucheetàsalangue.Ilcontinuajusqu’àcequ’ellen’enpuisseplus.

Assez,cria-t-elleintérieurement.Assez.Maisellesavaitqu’ilsenvoulaientencoreplustousdeux,quecen’étaitqu’unprélude.Ilavaittellementplusàluiapprendre!

Aprèsunlongmomentoùellecrutdéfaillir,ilsepenchaau-dessusd’elle,seslèvresglissantentreses seins, etdescendant jusqu’à sonnombril.Elle laissa sa langue laparcourir, l’excitantencoreplus,explorantchaquepartiedesoncorps.Apprenantàleconnaître.

LespoucesdeGreyétaientposéssurseshanches, leboutdesesdoigtssursesfesses.Sesmainsl’attiraientàlui,àsaboucheavide.

Seslèvresdescendirentplusbas,etValeriesentitsonventreréagirencomprenantquellepartiedesoncorpsellesallaientexplorer.

Ellefermalesyeux,latêterejetéeenarrière,leslèvresouvertes.Unepartied’ellevoulaitprotester,maisc’estpourtantbiencequ’elleavaitvoulu,cesoir,tandisqu’elleavaitétéseuleàs’agiterdanssonlit.

Uncri,dontellen’auraitsudéfinirlanature,s’échappadeseslèvresaupremiermouvementdelalanguedeGrey,etelleempoignacompulsivementsescheveux.

Ilneprêtapasattentionàsoncri,niàsesmains.Ilnes’intéressaitqu’audésirbrûlantqu’ilavaitéveilléetattisait,jusqu’àcequ’ilemplissechaqueparcelledesoncorps.

Valerien’avait jamais rien ressentidesemblable.Soncorps luiétait livré telun territoireviergedontilprenaitpossessionenluirévélantsasexualité.

Ce n’était qu’un début, un prélude. Tous deux en voulaient encore plus. Et pourtant elle nes’imaginaitpasressentirunplaisirplusintense,niyrésister.

—Asseyez-vous,dit-il.Elleobéitpromptement,s’aidantdesesmainstremblantes,tandisqu’ilcontinuaitdelacaresser.Ellelerevitsoufflerdoucementsurlesnaseauxd’Harvard:elleressentaitlamêmecaressedesa

respiration.Celled’unhommequiconnaissaitlesfemmes.Elleretombaenarrière,défaillante,etenunmouvement, ilseretrouvaàgenouxentresesjambes

qu’elleavaitouvertespresqueinstinctivement,commesielleavaitvouluqu’ils’ytrouve.Elleétaitàsamerci,vulnérable,maisnullementeffrayée.

—Allongez-vous,dit-il.Savoixn’étaitqu’unmurmurecharmeur.Mêmesielleavaitvoulurésister,ellen’enauraitpaseula

force.Elleavaitperdutoutcontrôledesessensàl’instantoùilavaitposéseslèvressursoncorps.Elles’allongea,enappuisurlescoudes.Illuiplaçalesjambesdanslapositionlaplusconfortable

possible,légèrementfléchies.Puisilrepritlacaressedesabouche.Elle pensait être prête pour la suite. Chaque nouvelle caresse se révélait plus forte que la

précédente.

Il passa doucement la pointe de la langue sur son intimité, déclenchant des éclairs de plaisir àtravers tout son corps, aussi violents que ceux de cette nuit d’orage où elle l’avait découvert dansl’écurie.

Elles’emparaàpleinesmainsdesescheveux,serrantpuisdesserrantsonétreinteparintermittence.Ellen’étaitplusmaîtressed’uncorpsquivenaitàlarencontredesabouchepourenintensifierlacaresse.

Toutcequ’ellesavait,c’estqu’ellevoulaitêtretoutprèsdelui.Neplusfairequ’unaveclui.Iln’yavait pas demots assez forts pour exprimer ce qu’elle ressentait. Elle ne parvenait plus àmettre del’ordredanslechaosdesespensées.

Soncorpss’arquadenouveau,etl’airluimanqua.Elleéprouvaituneémotionnouvelle,au-delàdetoutcontrôle.

Elle ne comprenait plus ce qui se passait, la bouche de Grey était toujours sur son corps et untremblement se déclencha au fondd’elle-même, parcourant chaque atomede son corps.Elle se noyaitdansunocéandesensations,dansunplaisirsiintensequec’enétaiteffrayant.

Acemomentprécis,Greyarrêtasacaresse.Lesentimentd’abandonqueValerieressentitfutsifortqu’ellecria,maisalorsquel’échodececrirésonnaitencore,ils’allongeasurelleetlapénétra.

Elle ressentit une brève douleur, comme si quelque chose en elle se déchirait. Grey suspenditl’espaced’unesecondelemouvementqu’ilavaitengagé.Etquandillereprit,ladouleuravaitdisparu.Un sentiment d’accomplissement la remplaçait, alors qu’il entrait complètement en elle, comme si soncorpsavaitétéconçupourl’accueillir.

Elle attendit, le souffle coupé, apprenant ce que son corps venait de comprendre.Grey semit àbougerenelle,d’unmouvementpuissantetgracieuxdeshanches.Iltenaitsonvisageentresesmains.Elleouvrit les yeux, regarda les siens, gris argenté, et y lut une douceur qu’elle n’y avait jamais vueauparavant.

Voilàcommentilregarderaitunefemmequ’ilaime.Cettepensée,qu’ellen’auraitjamaiscruavoir,luirappeladerespirer.Sarespirationétaitsaccadée,haletante,commesielleavaitmanquéd’airpendanttroplongtemps.Enréponse,ilcontinuadebougerplusfortenelle,sansquittersonregard.

De ses pouces, il chassa les larmes qui se formaient au coin de ses paupières et posa un baiserdélicatsursescils.

Lorsqu’elleouvritdenouveaulesyeux,illuisouriaittoutenbougeantenelle.Iln’yavaitplusdedouleur.Soncorpsaccueillaitavecaisancel’expressiondelavirilitéquis’étaitfrayéuncheminenelle,avecuneinfiniedouceur,avecuneinfiniepatience.

Denouvellesvaguesdeplaisirlasubmergèrent,encoreplusfortes.Unplaisirtellementintensequ’ilenétaitindicible.

Cettenouvellevaguedeplaisirlapritcomplètementdecourt,carriennel’yavaitpréparée.Soncorpss’arquaencoreetencore,jusqu’àrencontrerleshanchesdeGrey.Elleagrippasesfesses

et sentit la puissance de sesmuscles. Soudain, il tressaillit, comme pris de convulsions, alors que sasemence se répandait en elle. Puis son corps retomba de tout son poids sur le sien.Tout près de sonoreille,ellel’entendithaleter,etsentitlecontactdesabarbesursajoue.Leurssueurssemêlèrent.

Ellelevadoucementsesmainstremblantes,etcaressasondospuissant.Ilsnefaisaientplusqu’un.C’étaitledésirqu’ellen’avaitpuformuler.Nefaireplusqu’unaveclui.Peuimportecequisepasserait,jamaiselleneregretteraitcesinstants.

Elle s’était donnée à lui librement, sans conditions, sans arrière-pensées, pensait-elle tout en lecaressantdoucement.Ilseredressapourlaregarder.

—Pourquoinemel’as-tupasdit?chuchota-t-il.Elle chassa ses vieux démons. Sa question n’était pas une accusation. Et même si elle était

inexpérimentée,rienenellenel’avaitinsatisfait.—J’avaispeur,dit-elle,sincère.

—Demoi?—Quetuneveuillesplusdemoisitusavais.Lemêmepetitsourireapparutsurseslèvres,qui—ellelesavaitmaintenant—n’étaientniduresni

pincées.Niriendecequ’elleavaitpenséauparavant.—Çanemarchepascommeça.Ellesecoualatêteavecunregardinterrogateur.—L’inexpériencene…freinepasledésir.—Jecroyaisquesij’enavaissuunpeuplussurlesujet,ç’auraitétémieuxpourtoi.Elleinspiraprofondément,carmalgrécequ’ilavaitdit,ellehésitaitencoreàfairecetteconfession.—Enfait,jen’avaispaslamoindreidéedecequejedevaisfaire.Ilsouritdenouveau,vraimentamusécettefois,etellesentitensonforintérieurunbouleversement

égalàceluiqu’ilavaitprovoquédanssoncorps.—Tun’avaisrienàfaire.Riendeplusquecequetuasfait.—Maisjen’airienfaitdutout,dit-elle,esquissantuntimidesourireenréponseàcequ’ellelisait

danssonregardetdanssavoix.PourtantcetamusementquittabientôtlevisagedeGrey.Sesyeuxs’assombrirent,etsonairredevint

sérieux.—Pourquoies-tuvenue?Ellenesavaitpastrèsbiencequ’ilvoulaitdireparlà.Ellen’étaitjamaissûrederienaveclui.Elle

luiditdonclavérité,sansdétour.—Parcequej’avaisenviedecequis’estpassé.J’avaisenviedetoi.—Riend’autre?Pasdepromesses,sedit-elle.Iln’yenavaitpaseu.Depuisledébut.Pasdeconditions.—Seulementcequetuveuxdonner.—Qu’est-cequetuesprêteàdonner,toi?L’espace d’une seconde, les anciennes peurs deValerie resurgirent. Elle venait de lui donner ce

qu’elleavaitdeplusprécieux.Quepouvait-ilvouloirdeplus?—Etsi…,commença-t-il.—Etsiquoi?Latensionrevenait,c’étaitdésagréable.—Tusaisquejenesuispasuncadeau,jet’aidéjàditpourquoi,mais…ilyaautrechosedontjene

t’aipasparlé.Il serra les lèvres, comme s’il voulait empêcher les mots de sortir. Elle ne le pressa pas de

questions.Ellesavaitquec’étaitenrapportaveccettemissionratéeetlesentimentdeculpabilitéqu’iléprouvaitpourlamortdecethomme.

—J’aidécouvertquesijebuvais,çam’empêchaitdepenserà…cequej’avaisfait,finit-ilpardireaprèsunlongmoment.

Lesmotsrestèrentcommesuspendusdansl’obscurité.Elleattendit,carellesavaitqu’il luifallaittoutdire.ToutcommeelleavaitéprouvélebesoindetoutluidiresurBart.

—L’autre nuit, dans l’écurie… j’avais bu parce que je savais que je n’avais pas le droit de tetoucher.J’étaislàpourteprotégeretaulieudeça…

—Tum’asprotégée,dit-ellepourapaisersadouleur.Ileutunpetitrirebref.—Parceque j’aiunbon instinctetque j’aieubeaucoupdechance.Nousavonseubeaucoupde

chance.—Monpèrem’a toujoursditques’ildevaitchoisirentreêtrequelqu’undebonouquelqu’unde

chanceux,ilchoisiraitsanshésiterd’êtrequelqu’undechanceux.

Ilritdenouveau,demanièremoinscaustique.—Tuauraisaimémonpère,etilt’auraitaimé,chuchota-t-elle,lagorgeserrée.C’étaitlavérité.Elles’étaitpeut-êtretrompéeavant,maispascettefois.Greyétaitunhommebon.

Unhommequilaprotégeraittoujoursdudanger,commelanuitprécédente.Quecesoitsontravailoupas.—Maintenant,comptetenudetoutcequetusaisdemoi…Ellelecoupanet.— T’aurait-il accueilli les bras ouverts ? Ce n’était pas son style. Les pères sont par nature

circonspects.Mais…jecroisqu’ilauraitfinipart’apprécier.Malheureusement,situcherchesàavoirsabénédiction,tuarrivesquelquesjourstroptard.

Doucement,ilpassalepoucesursalèvreinférieure,quitremblait.L’émotionl’avaitsubmergéeparsurprise.

—Jeregrettedenepasl’avoirconnu.—Moiaussijeregrettequetunel’aiespasconnu.Ellepassalamainsursonvisage,effleurantduboutdesdoigtssabarbenaissante.Ilnes’étaitpasrasécarlajournéeavaitétélongue.Ilavaitencoremoinsdormiqu’elle.Unpeuplus

tôt,elleavaitdéjàremarquélafatiguedanssonregard.Pourlapremièrefoisdepuisqu’elleleconnaissait,ilsemblaitvulnérable.Peut-êtreparcequ’illui

avait fait partde ses faiblesses etde sespeurs. «Jene suis pasun cadeau»,avait-ilavoué, évitantd’aborderlavéritablequestion,commeellel’avaitfaitavantlui.

S’ils continuaient à contourner le sujet, sans aller au-delà de l’intimité physique qu’ils avaientpartagée,ellesavaitqu’ilsortirait trèsvitedesavie,dèsqu’elleneseraitplusendanger.Unefoisdeplus,elleseretrouveraitseule.

Illuiavaitdemandécequ’ellevoulait,elleavaiteupeurdeleluidire.—Jeveuxtout,dit-elle.Cesmotssortirentdesabouchespontanément,aveclamêmeémotionquelorsqu’elleavaitévoqué

lamortdesonpère.C’étaitlavérité,ellenecherchadoncpasàlesretenir.Ellen’avaitpasoubliélesrêvesdelapetitefillequifaisaitdelacuisineavecsamaman.Aucentre

decesrêvessetenaitunhomme,àlafoisfortetbon.Etc’étaitlui.Grey.—Jeteveuxtoi.Le silence s’installa, puis il finit par acquiescer. Unmouvement à peine perceptible avant qu’il

n’abaissesonvisageversellepourl’embrasser.

12

—Jevoulaisquevoussachieztouscequisepasse,afinquevouscompreniezpourquoij’agisainsi,déclaraValerie,dontleregardallaitdel’unàl’autredesprotagonistesassisautourdelatable.

Ilsétaientencoresouslechoc.Cequ’ellevenaitdeleurraconterressemblaitàunthriller.Ellejetaunregardversl’endroitoùsetenaitGrey,sousunecaméradesurveillance,aussidiscret

quepossible.Ellenel’avaitjamaisvuainsi,etcen’étaitpasseulementdûàl’onéreuxcostumedesoiegrisequ’il

portait,niàlachemiseetàlacravateassorties.Ilparaissaitparfaitementàsaplacedanscettesalledeconseild’administration.Et,pourcombled’ironie,bienplusqu’elle.

—Laissez-moireformulerleschosesclairement.Vousêtesentraindenousinformerquevouscédezvospartsdelasociétéàunestupidefondationcaritative.C’estçaValerie?demandaBillClemensavecagressivité.

—Lemotclé,c’estquecesont«mes»parts,Bill,luirappelaValqui,pourlapremièrefoisdepuislamortdesonpère,sesentaitsûredecequ’ellefaisait,malgréletondelaquestiondeClemens.Papame les a cédées sans condition. Je ne souhaite pas diriger la société. Je ne veuxpas nonplus de sonargent,encoremoinsaveccequisepassedepuisquej’aihérité.Lafondationdétiendramespartsparlebiais d’un groupe de gestion d’intérêts. Les profits générés par mes parts seront utilisés pour desopérationscaritatives.Etlagestionauquotidiendelasociétéseraassuréeparuneéquipededirection.

—Que tuneveuillespas t’impliquer,machérie, jecroisquenous lecomprenons tous trèsbien,surtout après les événements que tu viens de nous décrire, ditHarp Springfield en caressant du doigtl’arête de son nez aristocratique, comme si ses lunettes lui faisaient mal. Mais pourquoi donner lecontrôledelasociétéàuneentitéextérieurequiauraunpoidsplusimportantquenous,sesfondateurs?Pourquoinepasdivisercespartsentrenous,commelestipulel’accordinitial?

Valeriesavaitquecetteexplicationpourraitserévélerdouloureuseetellenesouhaitaitfairedemalàpersonne.

—Sic’est cequemonpèreavaitvoulu, il l’aurait fait,Harp.Maisc’est àmoiqu’il a cédé sesparts,malgrémesdemandesréitéréespourqu’ilnelefassepas.

—Maiss’ilavaitvouluquesespartssoientcédéesàquelqu’und’extérieuràlasociété,ill’auraitfait,ditPorterJohnson.Laissersespartsàquelqu’und’extérieur,c’estautantallercontresavolontéquedepartagersespartsentrenous.

—Jenecèderien,jeplacemesintérêtsdanslesmainsdequelqu’und’autretantquejesuisvivante.Techniquement, je reste propriétaire de ces parts. Mon héritier, et la fondation, n’en deviendrontpropriétairesquesiquelquechosem’arrive.

—Celavaàl’encontredesprincipesdel’accordd’origine,Valerie,ditEmoryHunter.

—Unetentativedemeurtreaussi.Labrutalitédecesmotslesfittaireuninstant.Unhommeétaitmort,etonavaittentédelatuerelle.

S’ilsespéraientladissuaderd’agircommeellelevoulaitenlaculpabilisant,ilsallaientêtredéçus.—Est-cequecette…fondationadéjàétécréée?demandaBilly.—Pasencore,admit-elle,levantlesyeuxversGreypourserassurer.C’estencours,etjusqu’àce

que ce soit fait, j’ai nomméun héritier provisoire.C’est une sorte d’assurance. S’ilm’arrive quelquechose avant que la fondation ne soit mise en place, mes parts iront à cet héritier et ne seront pasredistribuéesentrevous.

—Maisquiestcethéritier?demandaHarp.Ilyavaitdelacolèredanssavoix.—Aucundevous,nilafemmedemonpère,aucasoùvousvousposeriezlaquestion.Jenevousen

diraipasplus.Jenesouhaitepasmettreunevieendanger,commelamiennel’aété.—Tucroisvraimentàcette…absurdité?Tucroisvraimentquequelqu’unessayedetetuerpour

récupérertespartsd’Av-Tech?demandaEmory,quisecouaitlatête,incrédule.—Jen’arrivepasàtrouverd’autreraison,dit-elle.Ellen’essayapasdeleurdirecombienelleavaitsouhaitéarriveràuneconclusiondifférente.—Tutetrompes,ditEmory,quisoutintsonregardavantdeleposersurchacundesautresassociés

assis autourde la table. Je connais ceshommesdepuis toujours.Plusdequarante ansd’amitié. Je lesconnaisaussibienquejeconnaissaistonpère.Jet’assurequetutemetsledoigtdansl’œilsitupensesquel’und’entrenouspourraitavoirunrapportquelconqueaveclamortdecethomme.Ouaveclefaitd’attenteràtavie.

Ellelutdelasincéritédanssonregardetsavaitqu’Hunterétaitconvaincudedirelavérité.Cedernierreprit.—Cequisignifiequesiquelqu’un tenteeffectivementde te tuer, tucherchesaumauvaisendroit,

pourdemauvaisesraisons.Alorsfaisattention,machérie.Faistrèsattention.Hunter se levaet fitunedemi-révérenceendirectiondeValerie.Puis il traversa lapiècevers la

sortie.Avantd’ouvrirlaporte,ilsetintimmobileunlongmoment,lamainsurlapoignée,lesyeuxfixéssurl’étrangerquiétaitlà,tranquillementappuyécontrelemur.

Greyhaussalessourcilssousleregardd’Hunter.CedernierfinitpardétournersonregardpourleposersurValerie.Incrédule,ilsecouadenouveaulatête,avantdedisparaîtredanslecouloir,tandisquelalourdeporteserefermaitderrièreluiavecunbruitsourd.

Valerie balaya du regard les associés encore présents. Hormis Bill Clemens, qui tapotaitnerveusementsonbloc-notesavecsonstylo,aucunnecherchaitàl’éviter.

—Quelqu’unaquelquechoseàajouter?HarperSpringfieldpritlaparole.—Cen’estpasjuste,Valerie,ettulesais.Lasociétéestànous.Nousavonsversésang,sueuret

larmespourlacréer,autantquetonpère.Lefaitquetuendonneslesrênesàquelqu’und’autre…—Harp,reprit-elle,avantqu’illacoupedenouveau.—Charlien’auraitpasvouluça.Peuimportelamanièredonttuprésentesleschoses.Nousétions

sesassociésetsesamis.Etreassociéssignifieavoirconfiance,Valerie.Personneicin’essaiedetetuer.Jecroisquequelqu’unamontéçadetoutespiècespourtefairepeur.Jetecroyaisplusperspicace.

Ses mots pesèrent sur sa conscience. Quoi qu’elle dise, elle ne parviendrait pas à leur fairecomprendrequ’ellenefaisaitqueprendredesmesuresfaceàunemenaceréelle.Mêmepourelle,cefaitavait été difficile à admettre,mais elle était sur place cette nuit-là.Elle avaitvu le corps inanimé deHaroldDavispartirdansuneambulance.Elleavaitvulesfenêtresbriséesparlescoupsdefeu,elleavaitvuleboiscarboniséàl’endroitoùonavaittentédemettrelefeuàsamaison,avecelleàl’intérieur.

Ilfallaitdoncdesmesuresdeprotection.SonregardcroisaceluideGrey,quiétaitaussiferméquelesoiroùellel’avaittrouvéassissouslavéranda,sonStetsonnoirramenésursesyeux.

—Ehbien,jepensequenouspouvonsenresterlàalors.Jetetiendraiinformé.Dèsquelesavocatsauronttrouvéuneéquipededirection…

Harpseleva.—Netedonnepaslapeinedem’appeler.Jeleurdonnerailenumérodemespropresavocats.Nous

n’avons qu’à communiquer par avocats interposés. Je ne pensais pas vivre une telle situation demonvivant,conclut-ilavecfroideur.

Valneflanchapasdevantsacolère.Ellen’avait rienfaitdemal.Ellenevolait rienàcesquatrehommes.Leurcolèreétaitdavantagemotivéeparl’accusationimplicitequ’elleavaitformuléequeparlacréationdecettefondationquidétiendraitsesparts.Elleenétaitdésolée,maisagircommeellelefaisaitluisemblaitparfaitementsensé.

Harpquittalapièce,suiviparPorteretBill.Aucunneditunmotdeplus.Unefoislapiècevide,àl’exceptiondeGrey, elle leva les yeuxde ses papiers.Elle dut battre des paupières pour chasser seslarmes.

—Jenesaispaspourquoi,maisjenem’attendaispasàcequeçasepassesimal.J’auraisdûmieuxmepréparer,dit-elledoucement.

—Toninstinctt’aditquelquechose?Elle secoua la tête, cherchant à se remémorer ce que les associés de son père avaient dit, les

expressionsqu’ilsavaientemployées,letondeleurvoix.—Riendutout,hormisquejemesensdésolée.Mais…cen’estpasEmoryentoutcas.C’estcequi

m’afaitleplusmal.Ledécevoir.—Ilyenaunquiestimpliqué,ditGrey,quivintseposterderrièrelachaiseoùClemensétaitassis

précédemment.C’estforcé.Iln’yapasd’autreexplication.Ilfitletourdelatable,regardantlesbloc-notes.Apparemment,iln’yavaitriend’écritdessus,pas

mêmesurceluideBill,maisValn’auraitjamaispenséàvérifier.Voilà pourquoi c’est lui l’agent de la CIA et pas moi.Ex-agent de la CIA, corrigea-t-elle au

momentoùilcroisaitsonregard.Ilsn’avaientpasreparlédelanuitdernière.MêmesiGreyn’étaitpasloquace,ilavaitencoremoins

parléqued’habitudecematin.—Tuesprête?demanda-t-il.Plusvitenousseronspartis,mieuxcesera.— Je ne vois pas pourquoi, dit-elle en rassemblant ses papiers pour les ranger dans son porte-

documents.Aucund’euxn’aplusrienàgagneràmemettresurlatouche.Jecroyaisquec’étaitlebutdecetteréunion.Annihilertoutevelléitédetentativedemeurtre.C’estcequej’aifait,ilmesemble.Maisenfaisantça,jemesuismisàdostouteslespersonnesquitenaientencoreàmoi.

—Pastoutes,ditGrey.Ilfitletourdelatableetladirigeaverslasortie,unemainenbasdesondos.—Tuas réellementnomméunhéritierouc’était justeunemanœuvrepour teprotéger jusqu’à la

miseenplacedelafondation?EllesavaitqueGreyluiposeraitlaquestionaumomentmêmeoùellel’avaitannoncéauxassociés.

Elleavaiteuletempsdepréparersaréponse,dumoinsdepuisqu’elleavaitrédigéson«testament».TandisqueGreyétaitsortidanslamatinéepourallervoirleschevaux,elles’étaitinstalléedevant

sonordinateuretavaitrecopiéaumotprès,àl’exceptiondunomdel’héritier,leparagraphedutestamentde son père, dans lequel il la nommait comme seule héritière.Elle en avait imprimédeux copies, lesavaientsignéestoutesdeuxetrangéesdanssonporte-documentsoùellessetrouvaientencore.

Ellesavaitdéjàquielleprendraitcommetémoin.Quelqu’unquin’auraitrienàgagneràsamort,enquielleavaitconfianceetquicomprendraitlanécessitédecequ’elleavaitfait,mêmesiçasemblaitun

actedeparanoïapourlesautres.Quelqu’unquicomprendraitsonbesoindediscrétion.«Jenesouhaitepasmettreunevieendanger»,avait-elledit.Ellecompritcombienc’étaitvraien

regardantl’hommequisetenaitàsescôtés.—Cen’étaitpasunemanœuvre,dit-elle,inquièteàl’idéed’avouerlavérité.Greyavaitcontrôlélecouloirdésert.Acetteheure-là,unvendrediaprès-midi,lamajeurepartiedu

personnelavaitdéjàquittél’immeuble.Peut-êtreàcausedutondesavoix,ouparcequesoninstinctétaitaussiaffûtéqu’illeprétendait,ils’arrêta,lamaintoujoursaubasdesondos.Illaregardadroitdanslesyeux.

—J’aiinscrittonnomsurmontestament,dit-elle.Elle avait cru comprendre toutes les implications de ce qu’elle faisait, car elle y avait pensé

longuement, la nuit précédente, alors qu’il dormait à côté d’elle. Mais en voyant le regard de Greychangeraumomentoùelleprononçaitcesparoles,ellecompritquec’étaitunebévue.

—Monnom?—Jenevoyaispersonned’autreenquijepourraisavoirconfiance.—C’estinsensé.—C’estaucontrairelachoselaplusraisonnablequej’aiejamaisfaite.—Tunepeuxpasfairedemoitonhéritier.—Selonlesavocats,jepeuxnommerquijeveuxcommehéritier.Tantquejesuissained’esprit.—Jecommenceàendouter.Est-cequetuasparléauxavocatsdecette…idiotie?Sic’estlecas,

tupeuxlesrappeleretleurdonnerunautrenom.—Jen’aipersonned’autre.« Personne sauf toi », ajouta-t-elle intérieurement. C’était encore plus vrai à l’issue du conseil

d’administration. Elle ne comprenait pas les protestations de Grey. Elle croyait avoir bien suivi sesconseils,etlecouchersursontestamentluiavaitsemblésensé.Uneévolutionnaturelledeleurrelation.Elles’étaitpeut-êtreméprisesurlesintentionsdeGrey.Elles’étaitdéjàtrompéeunefois.

—Est-cequec’estunesortedemiseàl’épreuve,Valerie?demanda-t-ildoucement.—Unemiseàl’épreuve?reprit-elle,ébahie.—Tuastellementlaissécetargentenvahirtaviequ’ilaffectetoustessentiments.Situn’yprends

pasgarde,ilvafinirpardétruireentièrementtonaptitudeàfaireconfianceauxautres.—Maiscegesteprouvejustementàquelpointj’aiconfianceentoi.Sije…—Jenesuispastonfiancé,etjen’enairienàfoutredetonargent,lacoupa-t-il,encouvrantses

paroles.—Jelesais,c’estpourquoi…—Sijelaissequelquechoset’arriver,jedeviensmultimillionnaire,c’estça?Son regardétaitdurcommede lapierre.Ellenecomprenaitpasoù ilvoulaitenvenir.Une telle

éventualiténeluiavaitjamaistraversél’esprit.—Ilnevarienm’arriver,tuyveilleras.Parailleurs…—Si je fais en sorte qu’il ne t’arrive rien, tu auras la certitude que je tiens plus à toi qu’à ton

argent,c’estçal’idée?«C’est ça l’idée?»Etait-ilpossiblequ’elleait eucette arrière-penséepourmettreà l’épreuve

l’amour qu’il lui portait ?Ça n’avait pas de sens. En désignant un héritier, elle avait neutralisé toutevelléitédelasupprimer.Ilneluiarriveraitdoncrien.Personne,exceptéGrey,n’auraitdebénéficeàentirer,etelleavaituneentièreconfianceenlui.

—Commentpourrait-ceêtreunemiseàl’épreuve?Pluspersonnen’aderaisondechercheràmefairedumal,maintenant.

—Personnesaufmoi,dit-il,amer.

—J’aifaitcequetum’asdit!Jenesaispascequitemetsiencolère,dit-elle,deplusenplusirritée.

—Jenet’aijamaisdemandédemettremonnomdanstontestament.Bonsang,non,jen’aijamaisdemandéça!

—Tuétaisleseulàquijepouvaisfaireentièrementconfiance.Ausilencequecesmotsprovoquèrentsuccédalasonneried’untéléphone.Pasceluidelaréception,

auboutducouloir.Unesonnerieétouffée.—Bonsang,ditGrey,encolère,encherchantdanslapocheintérieuredesoncostume.Ilensortitunpetittéléphoneportablequ’ilouvritd’ungestesec.—Sellers,dit-il.Puisilécouta,sanslaquitterdesyeux.Valrésistaàlatentationdepartir.Certes,elles’étaitattendueàcequ’ilnesoitpasenthousiasteà

l’idée de devenir son héritier— elle le connaissait assez maintenant pour s’y attendre—mais ellen’auraitjamaisimaginéqu’ilsemontreaussisoupçonneux.

—Dèsquejepeux,ditGrey.Ilrefermaletéléphone,leremitdanssapocheetluisaisitlebras,assezfortpourluifairemal.—Viens,ordonna-t-il.Ellecherchaàselibérer,maisilnelalâchapas.—Tumefaismal.—Tantmieux!—Tuneparlespassérieusement.—Si!—Grey…—Onreparleradeçaplustard.Ilfautquejetrouveunecabinetéléphonique.—Pourquoi?demanda-t-elle,sentantl’urgencedansletondesavoix.—Parcequec’estplussûr.Elle leva lesyeuxvers lui,mais il regardait ailleurs.Son regardparcourait le couloir, et il était

apparemmentpluspréoccupéparcequ’onvenaitdeluidireautéléphonequeparleurconversation.—Del’autrecôtéduvestibule.Ilyaunebatteriedetéléphonesdansunesalleàgauche.C’està

quelsujet?demanda-t-elletandisqu’illatiraitendirectionduvestibule.—Jen’ensuispassûr.Ilsnevoulaientpasmeparlersurunportable.Onpeuttropfacilementen

capterlafréquence.—Ils?Illaregarda.—Devieuxamis.Desgensavecquijetravaillais.Jeleuravaisdemandédefairedesrecherches

surAv-Tech.Ilsonttrouvéquelquechose.«Desgensavecquijetravaillais.»LaCIA,comprit-elle.—Ilsnet’ontdonnéaucunindice?—Cen’estpasleurfaçondefaire,répondit-ilsèchement.Ilsétaientarrivésprèsdestéléphonesqu’elleluiavaitindiqués,dansunegrandesalleenmarbre.

Greylapoussaderrièrelui,ledoscontrelemur,soncorpsentrelesienetlesportesvitréesdel’entrée.Ilsemblaitsurveillerlesalentourstoutenmettantunepiècedansletéléphoneetencomposantlenuméro.Ellesedisaitquelesvieilleshabitudesavaientlaviedure.

Elleattendit,imaginantunesonneriequ’ellen’entendaitpas.Greyneprononçaqu’unmot:«O.K.»Puisilécoutadenouveautandisquesonregardinspectaitparintermittencelevestibuleetlesportes.Auboutdedeuxminutes,Valerieposasonlourdporte-documents.

Pluslaconversationdurait,etplussonangoissemontait.EllefinitpardétournerlatêtedelanuquedeGrey.

AutryCarmichaelsetenaitàl’autreboutdelapièceetlesregardait.Cen’étaitpassurprenant.Cettepartiedubâtiment abritait également lesbureauxde la sécurité.Autryavaitdû sortirde sonbureauetremarquersaprésence.Ilavaittrèsvitecomprisquiétaitavecelle.

EtcommeCarmichaeln’avait jamais rencontréGrey,Val savaitqu’ilprofitaitde l’occasionpourjaugersongardeducorps,commel’auraitfaitsonpère.Aprèsl’animositéqu’elleavaitessuyéeaucoursduconseild’administration,voirAutryadopteruneattitudepaternelleétaitréconfortant.

Val se rappela soudain qu’elle avait eu l’intention de demander àAutry d’être le témoin de sontestament.Elle luisourit,et lui fit signed’approcher.Elle le regardas’avancerverseux,sansfairedebruit.EllesetournapourvoirsiGreyavaitterminésaconversation,maisilluitournaittoujoursledos,têtebaissée,letéléphonecolléàl’oreille.

Alors,toutsepassatrèsvite:Autryseprécipitasureux,lacrossedesonsemi-automatiquebrandie.IlfrappaGreyàlatête,cequilefitvaciller,puiss’effondrer.

Stupéfaite,Valnepoussapasuncri.Ellecherchaitàcomprendre.EllelevalesyeuxversAutryetvit qu’il pointait maintenant son arme sur la tête de Grey. Il la dévisagea tandis qu’il raccrochait lecombinédutéléphonedesamainlibre.

—Nedisrien,nefaispasdebruitetjeneteferaipasdemal,jetelepromets,mabelle.Tufaiscequejetedisetjeneluiferaipasdemalàluinonplus.Maintenantavance.

De la tête, il lui fit signed’avancerendirectionducouloird’oùelle l’avaitvuvenir.Elle suivitcettedirectiondesyeuxavantderevenirposersonregardsurlui,lesyeuxpleinsdequestions.PuiselleregardalecorpsinanimédeGrey,carellenepouvaits’enempêchermalgrélamenacedel’arme.

Unemaredesangserépandaitsoussatête,tachantlamoquetteclaire.Valregardaendirectiondel’accueil,dans l’espoird’apercevoirquelqu’unquiviendraitàsonsecours.Maisellenevoyaitque lebureauenacajoudansl’angleduvestibule.Cequisignifiaitquepersonnenepouvaitlesvoir.

—Dépêche-toi,Valerie,ordonnaAutryd’unevoixquise faisaitmenaçante.Si tu fais lemoindrebruit,jedevraivoustuertouslesdeux,jen’aiplusrienàperdre.Faiscequejetedis,onsortd’icisansêtrevus,etiln’arriverarienàpersonne.

Suivresonagresseurn’étaitpaslachoseàfaire,Valerielesavaitpertinemment.Elleauraitmieuxfaitd’appeleràl’aide.C’estcequetoutlemondepréconisaitdanscegenredesituation.Mais«toutlemonde»nesetrouvaitpasforcémentdanscecasdefigure.

AutryCarmichaelavaitdéjàtuéunhomme.Lestuertouslesdeuxn’aggraveraitpassoncass’ilsefaisaitprendre.«Rienàperdre»:cesmotsrésonnaientencoredanssonespritalorsquelessecondess’égrenaient.

Ellevoyaitdansleregardd’Autryqu’ilétaitdéterminé,prêtàappuyersurlagâchettesielleouvraitlabouche.

Siellelesuivait,ilneferaitplusdemalàGrey.Quelqu’unfiniraitparletrouveretlesoigner.Oualorsilreprendraitconnaissancetoutseuletappelleraitdel’aide.

Unepaniquenouvelles’emparad’elle :siGreyreprenaitconnaissancealorsqu’ilsétaientencorelà,ilferaitsonpossiblepourempêcherCarmichaeldel’emmener.MaisGreyétaittoujoursinconscient,Valerienedevaitdoncpascomptersurlui.

Ellenevoulaitpasqu’il risque saviepourelle.Elle finitdoncparobtempérer, tandisqu’Autry,avec son arme, lui faisait de nouveau signe d’avancer.Elle espérait qu’il tiendrait sa promesse de neblesserpersonne.

Valsemitenmarche,lesjambeschancelantes,laissantGreyinconscientderrièreelle.

13

Grey connaissait maintenant la vérité sur Av-Tech. Mais les battements sourds dans son crânel’empêchaientdeseconcentrerpourcomprendrequisecachaitderrièrecequ’avaitdécouvertGriff. IlétaitobnubiléparladisparitiondeValerie,dontlasécuritédépendaitdelui.

ProtégerValétaitdevenuplusqu’uneresponsabilitéprofessionnelle.S’iléchouaitàlaretrouveràtemps,commeilavaitdéjàéchouéunefoispourquelqu’und’autre,iln’ysurvivraitpas.

Personnen’avaitassistéàl’enlèvementdeValerie;ilneconnaissaitnilenomnilesmotivationsdeson ou de ses ravisseurs. Ce qu’il savait, c’est que celui ou ceux qui l’avaient enlevée avaient déjàessayédelatuerunefoisetqu’ilsavaientassassinéHaroldDavisdesang-froid.

Greyfermalesyeuxpournepasselaissersubmergerparledésespoir.Qu’ilsoitdéjàarrivétroptardunefoisnesignifiaitpas…

—Çadevraitfairel’affaire,ditlemédecin,quiletiradesesangoissesetdesespenséesd’auto-dénigrement.Ceseraitplussûrquevouspassiezunscanner.Avecuneblessurecommecelle-là,ilpeutyavoirtoutuntasdecomplicationsqu’onnepeutdécelersurl’instant.

«Toutuntasdecomplications…»Cetypeavaitraison.Ilselevatropviteetdutprendreappuicontrelemurpourgarderl’équilibre.S’ilnefaisaitpasattention,ilslemettraientdansuneambulanceetl’emmèneraientàl’hôpital,malgrésesprotestations.

Orilavaituncontratàhonorer.Avantdelaisserlesmédecinssoignersablessureàlatête,ilavaitdéjàfaitlepointpoursavoiroùValpouvaitsetrouver.

Lesflicsfouillaient l’ensembledubâtimentetdessous-sols,mais iln’avaitguèred’espoirqu’ilstrouventunindicequelconque.Greyavaitdemandéqu’onfassevenirlesassociésdeValainsiqu’AutryCarmichael, le chef de la sécurité. Si quelqu’un pouvait répondre aux questions soulevées par Griff,c’étaitbiencescinqhommes.Sinon…

Grey chassa de nouveau cette idée. Ce qu’il devait faire, c’était découvrir qui était derrière lesmalversations au sein d’Av-Tech et la raison pour laquelle ils avaient enlevé Val.Mais aussi où ilsl’avaientemmenée.Ensuite,ildevraitserendrelà-basavantque…

Ilinspiraprofondémenttandisqu’ilprenaitconsciencedel’énormitédelatâchequil’attendait.Ilnedevaitrienlaisserentraversacapacitéàraisonnerdefaçonclaireetlogique.

Ildevaitappliqueràcetteenquêtetoutcequ’ilavaitapprisàlaCIA,mobilisertouteslesforcesdel’instinctdontils’étaitvantéauprèsdeVal.Etsurtout,illuifallaitavoirdelachance.

«Jepréféreraisêtrequelqu’undechanceuxplutôtquequelqu’undebon»,avaitdit lepèredeVal.Greydevaitêtreàlafoisbonetchanceux.Trèsbonettrèschanceux.

***

—Lorsquelesfuitesontétédécouvertesl’annéedernière,ilyavaitplusieurshypothèses,ditGrey.Plusieurssociétéstravaillentdanslesecteurdestechnologiesconcernées.Maisladernièrefuiteendateprovient directement d’Av-Tech. Il n’y a pas de doute possible, car seule Av-Tech maîtrise cettetechnologieparticulière.

—DesfuiteschezAv-Tech?C’estimpossible,ditHarperSpringfield.—PasselonlaCIAquinepeutpassetrompersurunsujetaussiimportant.Ilestétabliqu’ausein

de la société, quelqu’un qui a accès aux contrats les plus sensibles passés avec laDéfense nationalerevendlessecretstechnologiquesàdespaysennemis.

Springfieldenperditdesasuperbe.Cependant,Greylisaitencoredel’incrédulitédanslesyeuxduvieilhomme.MaisselonCabot,iln’yavaitaucundoutepossible.

—Il fautquevousenparliezàAutry.AutryCarmichaelestenchargede lasécurité.Depuisdesannées,ditSpringfield.

— Mais c’est votre société, dit Grey qui se remémora les paroles acerbes lancées à Val parSpringfieldaucoursdel’après-midi.Vousyavezconsacré«sang,sueuretlarmes»,ilmesemble.Vousaviez donc tous l’obligation de faire en sorte que cette technologie ne tombe pas dans des mainsennemies.Uneobligationenversl’ensembledesAméricains,qui,àtraverslescontratsquevoussignezaveclaDéfensenationale,versentunsacrépaquetd’argentàAv-Techdepuisquaranteans.

—Vousn’avezaucundroitdeportercesaccusations,protestaBillClemens.LorsqueCarmichaelarrivera, il vous dira tout sur notre sécurité. C’est lameilleure dans le secteur. Le gouvernement n’ajamaiseuàs’enplaindre.

—SelonlaCIA,çafaitdeuxmoisqu’Av-Techaétéprévenuedecequisepassait.—Aquiont-ilsparlé?demandaClemens,toujoursagressif.— L’habitude est d’en référer directement au P.-D.G. Etant donné les états de service de M.

Beaufortetl’implicationdelonguedatedelasociétédanslescontratsmilitaires,c’estcequis’estpassé.—Charlien’enapasditunmot,ditClemens.—Parce queCharlie avait l’habitude de se tourner immédiatement versAutry pour ce genre de

problème.Ilnel’auraitjamaistraitélui-même.Lasécurité,c’estledomainedeCarmichael,ditHarperSpringfield.

—Etilatoujoursbienfaitsonboulot.Jenecroispasuninstantqu’ilyaiteuunefailledansnotresystèmedesécurité,ajoutaClemens.

—Bonsang,Billy, legouvernementn’arrivemêmepasàsécuriserses laboratoiresde recherchenucléaire! intervintPorterJohnson.Tunepeuxpasaffirmerquecethommese trompesurcequis’estpassé.Est-cequetucontrôlescequefaitCarmichael?Luias-tudéjàdemandés’ilabienverrouillélesystèmedesécurité?Jepariequenon.

—EtlefaitqueCharlieluiaitfaitconfianceduranttoutescesannéesnesignifiepasqu’Autrysoitcapabledecontrecarrerlesprocédésd’espionnageutilisésaujourd’hui.Etnousencoremoins.Aucundenousneconnaîtquoiquecesoitauxsystèmesinformatiquesqu’ilsutilisent.Commentpouvons-nousêtresûrs d’être hermétiques au piratage informatique hypersophistiqué d’aujourd’hui ? ajouta HarperSpringfield.

— Et il a également raison lorsqu’il dit que ce qui se passe au sein de la société est de notreresponsabilitéàtous,ditPorterendésignantGreydumenton.AutantdenotreresponsabilitéquecelledeCharlieoudeCarmichael.Valaessayédenousdirequ’undangernousguettait.Nousn’avonspasvoulul’écouter de peur que le contexte change autour de nous, que quelqu’un vienne nous dire que nousprélevonstropd’argentsurlasociétéoujenesaisquoid’autre.Quequelqu’unviennefairetanguernotreconfortablepetitnavire.

—Ehbien,sic’estvrai,lenaviretanguefort,maintenant.Harpsecoualatête,leslèvrespincées.

—MaisoùestAutry,bonsang?—Lapolicelecherche,ditGrey.Savoituren’estpassurleparkingetçanerépondpaschezlui.—Evidemment,c’estleweek-end,ditEmoryHunter.—Quevoulez-vousdire?demandaGrey.—Carmichaelpossèdeunpetitchaletdanslamontagne.Parbeautemps,ilvapasserleweek-end

là-bas.Vousdevriezappelersonassistant,ditHunter.—C’estdéjàfait,maisilnem’apasparléd’unchalet.—Carmichaelneparlepasbeaucoupdesesactivités.LuietCharlieétaientproches.Maisnous…PorterJohnsonhésita,peudésireuxd’allerauboutdesonpropos.—Autryn’estpasundesnôtres,ditHarp.Charliel’avaitengagéparcequ’ilavaitservisousses

ordresenCorée,maisAutryn’apasinvestid’argentdanslelancementdelasociété.CequePorterhésiteà vous dire, c’est que nous n’avons jamais fait d’efforts pour nous lier d’amitié avec lui. Pour nous,Carmichaeln’estqu’unemployéparmid’autres.Nousévoluonsdansdescerclessociauxdifférents.Nousavonsdesviesdifférentes.Un…statutdifférent,pourrions-nousdire.

Greyacquiesça.Ilencomprenaitplusqu’ilsneluiendisaientsurlarelationentreCarmichaeletceshommes.Autryétaitl’outsider.Iln’avaitpaspartagélesuccèsfulgurantdelasociétéfondéeparCharlieBeaufortavecl’argentinvestiparcesquatrehommes.

Poureux,Carmichaeln’étaitqu’unhommeengagépourlesaider.Engagépourprotégerdesprojetstechnologiques hypersensibles. Des informations qui se revendraient très cher sur le marché noirinternational.Etsi,aprèstoutescesannéespasséesàregardertoutceladubordduterrain,Carmichaelavaitdécidédes’arrogerunepartdugâteauquelesautress’étaientpartagédepuislongtemps?

Ça se tient, pensaGrey, qui pour la première fois depuis qu’il avait repris connaissance, sentaitl’espoirrenaîtreenlui.Carmichaelasaisiuneoccasion.Etilaleplusvieuxmobiledumonde:l’appâtdugain.

SoninstinctsoufflaitàGreydes’accrocheràcefil ténu.Deplus,Autrymanquaitàl’appel,alorsqu’onavaitcherchéàlejoindre.

—Quelqu’unsaitoùsetrouvecechaletdeweek-end?demandaGrey.Illesregardaunàunsecouerlatêtenégativement.

***

—Nouspouvonsréglercelaensemble,ditVal,quisavaitqu’elledevaitêtretrèsprudentesurtouslesmotsqu’elleprononçait.

Elle devait convaincre Autry qu’il ne s’en sortirait pas après cet enlèvement, qu’on finirait pardécouvriroù il l’avaitemmenée.Ellenepouvaitnéanmoinspaséluder lapossibilitéqu’ilparvienneàsesfins.

—Jeferaitoutmonpossiblepourt’aider,jesaisquec’estcequepapaauraitsouhaité,dit-elle.—Charlie est le seulparmices enfoirésquim’ait traité avec respect.Commesi j’étaismembre

d’Av-Techàpartentière,quelqu’undevalable.Lesautresonttoujoursagicommes’ilsétaientmeilleursquemoi.J’aiconsacréautantdetempsdemaviequ’euxàcettesociétéetj’aitravailléplusdur,dit-il,tandisqu’illuisaisissaitlecoudepourl’empêcherdesedébattre,surlecheminaccidentéquilesmenaitauchalet.

—Jesais,ditValsuruntonapaisant.ElleavaitlespoignetsattachésavecunecordedeNylonsiserréequ’elleentamaitsachair.Autry

l’avait ligotée dès qu’ils étaient entrés dans son bureau. Puis il l’avait conduite au parking souterraindésertetforcéeàentrerdanslecoffredesavoiture.Ilnel’avaitlaisséesortirqu’unefoisqu’ilsétaientarrivésauchalet.

Elleétaitàl’airlibre,c’étaitdéjàça.Ellesavouraitcemomentaprèss’êtresentieclaustrophobe,enferméedanscecoffrependantplusieursheures.Ellenesentaitplusl’extrémitédesesdoigtsengourdis.Danscettesituation,sesoucierdesesmains,c’étaitcommes’inquiéterdessourisàbordduTitanic.

—Tonpèreauraitpuarrangerleschoseslui-mêmes’ilavaitvoulu,ditAutry.Illaserraplusfortpourlatenird’aplombtandisqu’ilsmontaientl’escalier.—Aucoursdetoutescesannées,j’aivraimentcruqu’illeferait.Maisilaeucetteattaque,s’est

marié avec Connie et j’ai compris qu’il ne ferait rien pour moi. Elle ne l’aurait pas laissé faire. Jecroyaisquec’étaitellequihériteraitdesespartsetquejemeretrouveraissansrien.Maisaulieudeça,ilt’atoutlégué.

—Situmediscequejedoisfaire,jeleferai,Autry.S’illalaissaitpartir,ilobtiendraittoutl’argentqu’ilvoulait.Laracinedetouslesmaux,sedit-elle

unefoisdeplus.Elle examina l’intérieur du chalet. Elle savait qu’Autry possédait une retraite dans lamontagne,

maisellen’yétaitjamaisvenue.EllesavaitaussiqueCarmichaelavaitconstruitcechaletdesespropresmains, travaillant chaque week-end, comme lorsque son père avait construit le ranch. Etait-ce parmimétisme?

—C’esttroptard,tusaisbienquej’aituéunhomme.Jecroyaisquec’étaitluilegarsdelaCIA.Jecroyaisqu’ilsl’avaientenvoyépourenquêter.

—Enquêtersurquoi?demandaVal,interloquée.—Onnem’ajamaispermisd’obtenirmapartdelasociété.Cesvieuxenfoirésavaientl’intention

detrairelavachejusqu’àleurmortetensuitedetouttransmettreàleursgosses.Mêmetonpapan’apascompriscequisepassait. Ilyaplusd’unefaçondemettrede l’argentdecôté,machérie.J’aiapprisdeuxoutroischosesaucoursdecesquarantedernièresannées.

—Commelafaçondet’octroyertapartparexemple?demandaVal,quicherchaitsurtoutàsetirerdecemauvaispas.

Car personne ne viendrait à son secours, pensa-t-elle, en se remémorant l’état dans lequel ilsavaientlaisséGrey.

Elletentadechasserl’imagedusangdeGreysurlamoquette.Greyneseraitpasenétatdeveniràsonsecours,mêmes’ilparvenaitàcomprendrecequisepassait.D’ailleurs,ellenevoyaitpascommentilpourraitcomprendre,elle-mêmen’yvoyantpasencorecomplètementclair.

—Onpeut se faireunpaquet de fric, quandon sait ceque je sais, ditCarmichael, qui attira denouveausonattentionsurlui.

— De quoi parles-tu au juste, Autry ? Qu’est-ce que tu sais ? demanda-t-elle, comme si sesdivagationsl’intéressaientréellement.

—QuebeaucoupdegenssontprêtsàpayertrèscherpourposséderlessecretstechnologiquesquedétientAv-Tech.

Valmitquelques instantsàétablirun lienentrecette révélationetunprétenduenvoyéde laCIA.Maintenant, c’était clair.C’est pour ça qu’il était venu au ranch l’autre nuit : il voulait éliminerGreySellers.AlaplaceilavaittuélepauvreHaroldDavis.

—Tuasrevendunossecretstechnologiques.L’espace d’une seconde, elle se demanda si Grey avait été envoyé au ranch pour démasquer un

traître.Mais elle se rappela vite à quel point ils s’étaient trompés sur lesmotivations de l’agressionqu’ilsavaientsubie.C’étaituneautreformedeconvoitisequianimaitAutry.Cellequipoussaitunhommeàtrahirnonseulementsesamis,maisaussisapatrie.

Elleétaitsoulagéequesonpèren’aitpasvécuassezlongtempspourassisteràça.Ilétaitaniméd’unpatriotismefortetsincère,etl’idéequelesavoir-fairedesasociétépuisseunjourêtreutilisécontrelesEtats-Unisl’auraitrendumalade.Surtoutvenantd’unamienquiilavaituneconfiancetotale.

—Jeméritaisquequelquechosemerevienneaprèstoutescesannées,ditAutry.Illaforçaàs’asseoirsurunechaisedelacuisine.Cen’étaitpasunevéritablecuisine.L’ensemble

n’étaitqu’unegrandepièceavecuneimmensecheminéeaucentreetunemezzaninepourdormir.—Jenecomprendstoujourspaspourquoitum’asamenéeici.Peut-êtrequesiellearrivaitàcomprendrecequ’ilvoulait…—Tuvasmedireoùsetrouvecetestament,ditAutry.—Cesontlesavocatsquil’ont,mentit-elle.—Çasepourrait,ditAutry,serrantlamâchoirealorsqu’ilcontemplaitsonvisage.Maisenfaitje

netecroispas,machérie.Tun’aspaseuletempsdeleleurtransmettre.Tuleurasparlémaistunet’espasrendueàleurbureau.Etautéléphone,tuneleuraspasdonnélenomdel’héritier.

—Commentlesais-tu?—Lasécurité,c’estmonboulot,rappelle-toi,dit-ild’untonnarquois.—Tum’asmisesurécoute.— Je n’ai écouté que lorsque j’en avais besoin, dit Autry, comme si ça rendait les choses

acceptables.Aprèsquej’aidécouvertqu’ilsavaientenvoyéquelqu’unpournousespionner.Nousespionner?CommesitoutlemondeàAv-Techétaitimpliqué.—GreySellersnefaitpluspartiedelaCIA.Carmichaeléclataderire.Ilnelacroyaitpas.—Tuauraismieuxfaitderesterdanstoncoin,Val.Tunevoulaispasdecetargent.Tuauraismieux

faitdecédertespartsauxautresetdeprendrelelarge.Aulieudeça…Ilsecoualatête,leslèvresserrées,lesyeuxposéssurelle.—Tuavais l’intentiond’engagerquelqu’unquiexamine la situationde la société.Quelqu’unqui

auraitposébeaucouptropdequestionssurnosactivités.C’étaitçalecœurduproblème,compritVal.CequieffrayaittantCarmichael.Ilnevoulaitpasque

quiconqueviennemettresonnezdanslesaffairesd’Av-Tech.—Tucraignaisquel’équipededirectionquejesouhaitaisengagerdécouvrecequetumanigançais.—LorsquelaCIAapriscontactavectonpère,ilestvenumevoirtoutdesuite.Jeluiaiditqueje

m’enoccupais, et ilm’acru.Peut-êtreparcequ’il avait enviedemecroire.Charlie était déjàmal enpointetlorsqu’ilestdécédé…

—Personned’autren’étaitaucourantdecequ’avaitdécouvertlaCIA,finitVal,quiassemblaitlespiècesdupuzzleuneparune.Tuvoulaiséviter toutrisquequ’ondécouvrequelquechose.Combiendetempscrois-tuquetuauraispucontinuercommeça,Autry?

—Assezlongtempspourrécupérercequim’étaitdû.Puistut’enesmêlée.—Tuasvoulumefairepeur.Si quelqu’un avait bel et bien drogué son étalon, c’étaitAutry.Ensuite, il était venu au ranch au

milieu de la nuit. C’étaitGrey sa cible, compte tenu de ce qu’il avait découvert quand elle lui avaitdemandédefairedesrecherchessurlui.

—Tunevoulaispasdirigerlasociété.Nouslesavionstousdeux.Jemesuisditquesileclimatdevenait vraiment trop inquiétant, tu lâcherais tout, tu céderais tes parts aux autres et tu te retirerais,commetul’avaisdéjàfaitauparavant.

C’étaituneallusionàsafuiteaprèslesévénementsavecBart.Lorsqu’elleavaitfuilaréalitédelavie.Autryavaitraison.C’estexactementcequ’elleavaitfait.

—Maisjen’aijamaiseul’intentiondeteblesser,machérie,dit-ildoucement.C’était peut-êtrevrai.Comme l’avait ditGrey, ses attaquesn’étaient pas cellesdequelqu’unqui

voulaittuer.Ilavaittiréàtraverslesvitresdesachambre,maishorsdesaportée,etleboisauquelilavaitmislefeuétaittropmouillépourproduireautrechosequedelafumée.

CependantAutryvoulait tuerGrey ce soir-là.Dans l’annexe, il était juste tombé sur lemauvaishomme.C’estellequi luiavaitditautéléphonequesongardeducorpsdormaitdansl’annexe.Acettepensée,Valeriefutprisedenausée.

Lorsqu’ilavaitfouillédanslepassédeGrey,Autryavaitdûendécouvrirpluslongqu’iln’enavaitdit.AssezpourlemettresursesgardesetimaginerquelaCIAavaitenvoyéGreypourdécouvrirquiétaitàl’originedesfuites.

—Situneveuxpasmefairedemal…,ditVal,hésitante.—Jeveuxcetestament.Elle était peut-être lente à comprendre mais elle ne voyait toujours pas… Oh mon Dieu.

Comprendresesintentionsluiglaçalesang.Autryvoulaitdétruireletestamentdanslequelelledésignaitunhéritier.Ensuiteillatueraitetcommelegroupedegestiond’intérêtsàquiellevoulaittransmettreladirectiond’Av-Techn’étaitpasencorelégalementconstitué,sespartsseraientpartagéesentrelesautresassociés.Onenreviendraitàlasituationinitiale.

En tant qu’actionnairemajoritaire,Bill deviendrait P.-D.G.Comme toujours, il passerait plus detempsàjoueraugolfqu’àtravailleràAv-Tech.Lesautresassociésn’aimaientpaslechangement,Autrypensaitdoncjuste:Clemenslelaisseraitenchargedelasécurité,cequiétaittoutcequ’ilvoulait.

—Situneveuxpasmefairedemal,pourquoineprends-tupaslafuiteavectoutcequetuasdéjàamassé,ditVal,quicherchaitunargumentpourlefairechangerd’avis.ParsauMexique,parexemple,oun’importeoùailleurs.

— Je ne le fais pas à cause d’un petit détail qu’on appelle extradition. Et si la procédure nemarchaitpas, laCIAenverraitunagentàmes trousses.Comme tonami,parexemple.Etpuis, jeveuxavoirtoutcequimerevient,jusqu’auderniercentime,pourcesquaranteannées.J’aidéjàtuéunhomme,alorsjenevaispasm’enfuiretlaissercequimerevientàcettebanded’idiots.

—Etsijetedisoùsetrouveletestament,qu’est-cequisepassera?demandaValàvoixbasse,carelleconnaissaitdéjàlaréponse.

—Jen’ai jamaisvoulu te fairedemal,machérie. Jevoulaisque tu restesendehorsde toutça.Pourquoia-t-ilfalluquetut’enmêles?

Ilavaitposécettequestionsuruntonplaintif.Commesic’étaitluiquiavaitététrahi.Etc’estbiencequ’ilpensait.Sonregardendisaitassezlong.Ilsesentaitdanslapeaudeceluiàquionavaitfaitdumal.

—Jepeuxlefairedèsmaintenant.Jepeuxleurcéderlespartsdepapa,dit-elle.Ilsouritetellesentitdenouveausonsangseglacerdanssesveines.—C’esttroptard,mapetite.Jeteconnais.Bonsang,jet’aiàmoitiéélevée.TuescommeCharlie.

Tunemelaisseraispaspartiraprèscequej’aifait,quoiquetuendises.Maisjeteprometsquesitumedisoùsetrouvele testament, jeneteferaipassouffrir.Je leveuxautantquetoi,mapetite,crois-moi.Sinon,tusaiscequ’ilfaudraquejefasse.Etceseraterriblepournousdeux.

Sonregardétaitposésurelle,commes’ilattendaitqu’elleluirévèlel’endroitoùelleavaitlaissélepapier.Unepartied’elle-mêmeétaitprêteàcéder,carelleenconnaissaitunrayonsurladouleur.Maisellesavaitaussicequ’iladviendraitunefoisqu’elleauraitlâchélemorceau.

Autrylatuerait.PuisiltueraitGrey.Ilnepourraitpascourirlerisquedelelaisserenvie.Maisplusellegagnaitdetemps…

L’espoirestunechoseformidable.Ellelesentitgonflersoncœur,luiredonnerducourage,commesionluienavaitfaituneinjection.Tantqu’ilyadelavie,ilyadel’espoir,ditleproverbe.QueGreylaretrouve. Que quelqu’un, les amis de Grey membres de la CIA peut-être, découvrent la vérité etretrouventlapisted’Autry.

Del’espoir…Dévisageantunhommequ’elleavaitconnutoutesavie,sans leconnaîtrevraiment,ValerieBeaufortfitlentementsignequenon,ellenediraitrien.

***

IlavaitfallumoinsdedeuxheuresàGriffCabotpourtrouverunetraceduterrainacquisparAutryCarmichaelprèsdequaranteansplustôt.Greyauraitpulefairelui-même,plusvitemême,siçan’avaitpas été leweek-end.Les bureaux du cadastre étant fermés,Griff avait donc utilisé les ordinateurs del’agenceetlesdonnéessatellitepourluitransmettreunplanprécisdel’endroitoùsesituaitlechalet.

Ilnel’auraitjamaistrouvésansceplan,pensaGrey,alorsqu’ilexaminaitlechaletetsesenvironsàtraverssalunettedevueinfrarouge.Lesrideauxétaienttirés,maisilyavaitdelalumièreàl’intérieur.Pasunmouvement.Pasunbruit,hormisceuxdesanimauxnocturnes.

Grey réprimait la peurde s’être trompé.Lapenséequ’il était là, en trainde surveiller un chaletvide,pendantqueCarmichaelétaitailleursentraindetorturerVal,letraversa.

Mais ce n’était qu’un vestige de cauchemar. Il n’y avait pas de raison que Carmichael tortureValerie.Greychassacettepensée.Iln’yavaitpasdeplacepourlapeur.Ilavaitunboulotàfaire.Unenouvellechance.Unechancedeseracheter.

SelonGriff,Hawkins était en chemin.Dèsqu’il aurait atterri,Griff lui faxerait lemêmeplan.EtquandHawkinsarriverait…

QuandHawkinsarrivera,ilseratroptard.D’oùluivenaitcettecertitude?Greyn’ensavaitrien.Mais l’idée s’imposa, avec une conviction tellement forte qu’il était inutile de lui résister. Vas-ymaintenant,oubienceseratroptard.

Aumomentoùilselevait,lesrèglesqu’onluiavaitinculquéesluiintimaientl’ordred’attendredesrenforts.L’anxiétéqu’ilressentaitn’étaitqu’unautrevestigedesonéchecpassé.TenterseulcesauvetageaugmentaitlesrisquesqueValeriesoitblessée,lesrisquesqueCarmichaellemettehorsd’étatd’agiretemmène Val dans un lieu où ils ne la retrouveraient pas. Alors qu’il pesait le pour et le contre, ilprogressaitverslechalet,dominéparsoninstinct,balayantsesprincipesetsaraison.Valétaitendangerets’ilnevoulaitpasrevivrecequis’étaitpassédeuxansplustôt…

Un son perçant l’arrêta dans son mouvement, paralysant ses muscles. Jamais il n’avait entenduValeriecrierdeterreur,maisilétaitsûrquec’étaitcequ’ilvenaitd’entendre.Etcecrifitvolerenéclatstoutcequisubsistaitdesesprincipes.

Greyn’avaitjamaisaimélesscènesdefilmsoùlehérosfaitirruptiondansunepièceenenfonçantlaporte.Onluiavaitapprisàlefaire;ilsavaitpourtantquelaplupartdutemps,çanemarchaitpas.Maislà,nesachantpasoùValsesituaitdanslapièce,ilnepouvaitsepermettredefairesauterlaserrure.

Surcecheminaccidentéquimenaitauchalet,sespenséesdéfilaientplusvitequesesjambesneleportaient.Ilforçal’entréedelavéranda,épauleenavant,puis,lajambegauchelevée,propulsaletalondesabottejusteau-dessusdelapoignéedelaported’entrée.

Asagrandesurprise,elles’ouvritcomplètement.Ellen’étaitmêmepasverrouillée.Ilseretrouvaàl’intérieur, penché en avant, les genoux fléchis pour ne pas perdre l’équilibre. Il tenait son semi-automatiquedesdeuxmains,enpositiondetireuraguerri.

Lespectaclequis’offritàluisortaittoutdroitdesespirescauchemars.Toutsepassaitdelamêmefaçon:soncœurbattait,ilavaitlesoufflecourt,etcequ’ilvoyaitl’horrifiait.Saufquec’estValeriequiétaitlà,etnonPaul,l’agentqu’iln’avaitpusauver.

Unfeuvacillantdanslacheminéeproduisaitunefaiblelueur.Sachaleuroppressantetransformaitlechaletenantreinfernal.

L’homme qui se tenait à côté de la chaise de cuisine sur laquelle était assise Valerie tenait uncouteauà la lamechaufféeàblanc. Il s’était tournéendirectionde laporte lorsqu’elle s’étaitouverteavecfracas.Lasueurcoulaitsursonvisageenrigolesépaissesetsesyeuxs’étaientagrandisdesurprise.Greyn’avaitjamaisvuAutryCarmichael,maislevisageridéetlescheveuxgriscollaientavecl’imagequ’ilsefaisaitdelui.Sonapparencedegrand-pèrerendaitlascèneencoreplusobscène.

Malgréledanger,Greyneputs’empêcherdejeterunregardàVal.Satêtetombaitsursapoitrine,etilnedistinguaitpassonvisage.L’adrénalinequ’ilavaitsentie leparcouriren l’entendantcriersemblarefluerdesonsang,etilsentitsesgenouxsedérober,sesmusclesdevenirliquides.

Val,pensa-t-il,désespéré.MonDieu, faitesque jene soispasarrivé trop tard.Pasencoreunefois.

L’hommebougea etGrey fixa de nouveau son attention sur lui.Tout sembla se passer au ralenti.GreycompritcequeCarmichaelfaisaitetréagit.Etpourtant,ilavaitl’espritengourdiparlaterreuretlesmusclestétanisés.

Carmichaelavaitrefermésamainsurl’armeposéesurlatable.Iltentaitdelapointersurlui.Acemoment-là,Vallevalatête,lesyeuxgrandsouvertsdesurprise,commeceuxdesonravisseurunpeuplustôt.

Elle était vivante. Grey n’eut que le temps de former cette pensée, puis il pressa la détente,plusieursfois,commes’ilétaitsurunchampdetir:pasdetremblement,pasd’erreur.

L’uniqueballequeCarmichaeleutletempsdetirerbrisaunevitre,del’autrecôtédelapièce.Greylasentitsiffleràunmillimètredesatête.Lesdeuxtirsclaquèrentaumêmemoment.Carmichaelavaitratésacibled’uncheveu,tandisqueGreyavaitfaitmouche,commetoujours.Lesmainsduchefdelasécuritébrassèrentl’air,etsonarmeluiéchappatandisqu’ilbasculaitenavant.

GreyneserappelajamaislebruitducorpsdeCarmichaelquis’effondrait.Acemoment-là,ilétaitdéjàagenouilléauxpiedsdeVal.Depuisqu’elleavaitredressélatête,ellenel’avaitpasquittédesyeux.

—C’estfini,dit-il.Elle était d’une pâleur effrayante. Même dans l’obscurité, ses tâches de rousseur légères se

détachaientsursonvisagecouleurdecraie.Sespupillesétaientdilatées.Ilnesavaitpassic’étaitàcausedecequ’ellel’avaitvufaire,dumanquedelumière,oudelapeurqu’elleressentait.Oubienencoredeladouleur.

—Ilestmort?demanda-t-elle.Elletentadesetournerpourapercevoirlecorpsd’AutryquigisaitderrièreelleetGreys’aperçut

qu’elleétaittoujoursattachéeàlachaise.IltrouvalecouteaudeCarmichaeletcoupalesliens.—Ilestmort,l’assuraGrey.Ill’avaitatteintlàoùilavaitvisé,entrelesdeuxyeux.Iln’avaitdoncaucundoutesursonétat.Apeinelibérée,Valsejetadanssesbras.Ilss’agenouillèrenttousdeuxsurlesolets’étreignirent.

Valnepleuraitpas,maiscen’étaitpasforcémentbonsigne.—C’estfini,chuchota-t-il,seslèvressurlespointsdesuturedesatempe.Il avait l’impressionque son accident avait eu lieu des années plus tôt, et pourtant c’était arrivé

seulementquelquesjoursauparavant.Troppeudetempspourexpliquerlaforcedecequ’ilressentait.—J’aipriépourquetuviennes,jesavaisbienquesituétaisencoreenvie,tumeretrouverais.Ilfermalesyeux,tentantdechasserdesatêtel’horreurdelascène.S’ilnel’avaitpasretrouvée…—Sortonsd’ici.Peux-tumarcher?—Aussibienqu’ilm’estpossibledelefaire,dit-elled’untonlégèrementrieur.Unecrisedenerfs?sedemanda-t-il,préoccupé.Elleavaittraverséassezd’épreuvespourrésister,

maisçal’inquiétait.ÇaneressemblaitpasàVal.—Est-cequetuétaissérieux?demanda-t-ellecommeill’aidaitàselever.—Aquelsujet?—Jet’aiditquejevoulaistoutettuasacquiescé.C’étaitvrai,Grey.Maintenantjelesais.Jen’ai

pascessédepenseràça,àmeforceràypenser,aulieudepenseràce…qu’Autryfaisait.Jerepensaisàmamèredanslacuisine.Etauxpetitesfilles.

—Etauxpetitesfilles?Afairedespetitesfilles?

Ilcherchaitàcomprendrecequ’ellevoulaitdire,sedemandanttoujourssiellefaisaitunecrisedenerfs.

Alorselleéclataderireetlamusiquedesavoix,sacapacitéàêtrejoyeuseaprèscequ’ellevenaitd’endurervinttouchersonâmemeurtrieparcesdeuxdernièresannées.Sonrirel’apaisait,leguérissait.

—Cen’estpascequejevoulaisdire,mais…Ellepoussaunlongsoupir.—Enfaitoui,c’estpeut-êtrecequejevoulaisdire.Parcequeçamesembleunebonneidée.Jesais

quetuasbesoindetempspouryréfléchir,maisjetepréviens:jenefuiraipas.Niloindelavie,niloindetoi.Jenem’enfuisjamaisquandjeveuxvraimentquelquechose.

— Je ne comprends rien à ce que tu racontes, dit-il, sincère, tandis qu’il se penchait pourl’embrasser.

—Marions-nous,ditVal.—Qu’onsemarie?Ce n’est pas qu’il n’y avait pas pensé. Car en fait si. Beaucoupmême.Mais il n’arrivait pas à

comprendrepourquoiValvoulaitsemarieraveclui.Quandilpensaitàquielleétait…Ilchassacedoute,carilsavaitquielleétait.Etçan’avaitrienàvoiravecAv-Tech,niavecl’argent.

—Amoinsquetuneveuillespas,dit-elle.Elles’écartalégèrementdeluipourcontemplersonvisage.Elleattendaitqu’illuiréponde.«Elleaducran,avaitditHawkins,etaufinal,c’estçaquicompteleplus.Plusquelereste.»

Beaucoupplusimportantquetoutlereste,Greyenétaitconvaincu.Saufl’amour.—Jeleveux,dit-il.—Ettuveuxfairedespetitesfilles?demanda-t-elledansunsourirequiilluminaitsonvisage.—Unepour toi,dit-ilendéposantunbaisersursonfront.Etunepourmoi,dit-ilendéposantun

baiserauboutdesonnez.—Etunpetitgarçon,dit-elle,seserrantdenouveaucontrelui.Unelarmeluiavaitéchappé,maisellesouriaittoujours.Sesyeuxétaientdouxetprofondsdansla

lumièredufeu,etellecherchaitsonregard.C’est comme ça qu’elle regarderait quelqu’un qu’elle aime, se dit-il, toujours surpris que ce

quelqu’unsoitlui.—Jepensequ’ondevraitpouvoirarrangerça.—Vitealors,j’aibeaucoupdetempsàrattraper.Greyacquiesça,réprimantdeslarmesd’émotion.—Moiaussi,dit-ildoucement.Luiaussi,toutcommeVal,avaitfui.Maisiln’avaitplusàfuirloindeseséchecs,désormais.Etily

avaitdesgensàquiilleferaitsavoir.Etàquiildiraitmerci,aussi.—Rentronsàlamaison,ditVal.

Épilogue

—Jecroisbienquec’estmadanse,ditGrey.Surprise,ValinterrompitsaconversationavecClaireCabotpourluifaireface.Toutcommel’autre

jourdanslasalledeconférences,ellesesentitchavireràsavue.Entenuedesoirée,Greydégageaituncharmeterriblementmasculin;trèsmâle.Etmaintenant,ilétaitàelle.C’étaitsonmari.

La noce avait été simple et discrète,mais presque tous les gens qu’elle connaissait étaient là, ycomprislesassociésdesonpère.Al’église,EmoryHunteravaitremplacéCharliepourluiprêterlebraset lui faireparcourir l’allée, lentement,d’unpasdélicatement ajusté au sien.Radieux, il avaitposé lamaindeValdanscelledeGrey,unefoisqu’ilsétaientarrivésdevantl’autel.

Tous les amis de Grey étaient également présents. L’homme grand et calme qu’ils appelaientHawkinsetquiluirappelaitGreyétaitsontémoin.GriffCabot,sonancienpatronàlaCIA,étaitlà,luiaussi.Ainsiqu’unhommeélégant,quiparlaitavecunbelaccentduSudetquis’appelaitJordanCross.

Ilsétaienttousaccompagnésdeleursépousesquisemblaientêtrelesparfaitespartenairespourceshommesvigoureux.Parfaites,sedit-elleencore.Toutestellementparfaites.

Cetteréflexionlatraversaàsoninsu.Ellenevoulaitpasypenser,c’étaitunéchoamerdupassé,quelquechosequ’ellevoulait chasserdesamémoire.Son regard tombasur lamaindeGrey,qu’il luitendaitpourl’inviteràdanser.

—Jetel’aidéjàdit,repritGrey,tandisqu’ellelevaitunregardinterrogateurverslui.Ilsouriait,decepetitsouriresecretqu’elleluiconnaissaitdanslesmomentslesplusintimes.—Tunepeuxpasdirequejenet’aipasprévenue.Etsoudain, lesmotsqu’ilavaitprononcésun jour,penchéau-dessusde la tablede lacuisine,en

soutenantsonregardcommeillefaisaitencemoment,luirevinrent:«Jeveuxdanseravecvousetvousfairel’amour.Etquandçaarrivera,soyezsûrequeçanesepasserapasdanslenoir.»

Ellen’avait jamaiscruqu’il luidemanderaitdedanser.Elleétait incapablededanser.Elleauraitpeut-êtrepus’ilsavaientétéseuls,dansl’intimité.Maisdevanttouscesgens,ellen’yarriveraitpas.Pasdevanttoussesamisetleursépouses…

Parfaitesrésonnaitdanssatête.Etçaluifaisaitmal.Etalors,commesiçadevaitluiservirdeleçon,lesmotsd’Autryluirevinrent.Ilavaitcruqu’elle

prendraitlafuitedèslespremierssoucis.Qu’ellecéderaitsespartsetretourneraitàl’isolementqu’elleavaittoujourscherché.Elles’étaitjurédeneplusagircommeça.

Si Grey avait trouvé le courage de retourner travailler avec Griff Cabot au sein de PhoenixBrotherhood, malgré ce qui s’était passé deux ans plus tôt, alors elle, elle parviendrait à trouver lecouraged’allertrébuchersurunepistededanse,sitelétaitsondésir.

Laisse-lesregarder,sedit-elle,serecroquevillantderrièresonhabituellefaçadedecellequin’enarien à faire.Peu importe ce qu’ils pensent, et elle donna la main à Grey, une main incroyablementassurée comparée à la sienne qui ne faisait que trembler. Il était tellement fort. Assez fort pour laprotéger, se dit-elle, les yeux plongés dans les siens. Et elle se rendit compte avec surprise que sonregardbrillaitdefierté.Defiertéd’êtreavecelle?

LorsqueGreylamenadansladanse,ellenepensaàriend’autrequ’àladouceurqu’exprimaientsesyeuxgris.Ellenesentaitquesesbrasrassurantstandisqu’illaguidaitdoucementsurlapiste.Commesielleétaitfragile.Ouinfinimentprécieuse.

Et lorsque les applaudissements retentirent, car de toutesparts, leurs amis les applaudissaient ensouriant,Valeriesouritaveceux.

1

Mac se précipita vers l’écurie d’où venait le cri. A cause d’un accident qui avait ralenti lacirculationàlahauteurdeLouisville,ilarrivaitavecdeuxheuresderetard.Etait-ceEmmaClarebornquiavaithurlé?Celasignifieraitqu’ilavaitd’oresetdéjàéchouédanssa

mission.Ilpoussalalourdeportedubâtimentets’yengouffra,prêtàsebattre.Cela faisait des années qu’il souhaitait revenir à Firehill Farm, mais pas dans ce genre de

circonstances. L’odeur familière du foin fraîchement coupé fit remonter en lui des souvenirs qu’ilrepoussa.Cen’étaitpaslemomentdeselaisserdistraire.Apartlafaiblelumièrequiprovenaitdelaporteentrouvertedelasellerie,unpeuplusloinsurla

droite,l’écurieétaitplongéedansl’obscurité.Yavait-ilquelqu’unàl’intérieur?Ils’apprêtaitàyallervoirlorsqu’ilperçutunmouvementderrièrelui.Unhommeportantunbandanaquiluicouvraitlebasduvisageetunecasquetteenfoncéejusqu’aux

yeuxémergeadel’ombreetfonçaverslasortie.Macsejetasurluietleplaquaauxjambes.Ilsroulèrentàterremaisl’autreréagitrapidementenlui

envoyantunepoignéedepoussièredanslesyeux.Bienqu’aveuglé,Macparvintàlerattraperparlachevilleavantqu’ilneserelève.L’hommesedébattitet,desabotte,lefrappaauvisage.Macsentitdusangcoulersursajoue.Illâchapriseetserelevaenmêmetempsquesonadversaire.L’intrusparalecrochetdudroitqu’il

luidestinaitetpritlafuitesansdemandersonreste,disparaissantdanslanuit.Un instant,Mac fut terriblement vexé de n’être pas parvenu à neutraliser cet homme. Puis il se

rappela pourquoi il était là : parce qu’il était encore convalescent et avait besoin de reprendre sesmarques.Ilessuyasajoueensanglantéedureversdelamainetsetournadenouveauversl’écurie.—MademoiselleClareborn?Ilavança,cherchantàs’habitueràl’obscurité.—EmmaClareborn?Dansunestalletouteproche,unchevals’agitaitnerveusement.Macs’approchaettenditlamainàtraverslagrillepourcaresserlechanfreindel’animal.—Ecartez-vousdelui!Mac fit volte-face, prêt à subir un nouvel assaut, mais il s’immobilisa aussitôt au contact d’une

fourchecontresonventre.Malgrésasituationpourlemoinshumiliante,ilneputs’empêcherd’admirerladéterminationdela

femmequisetenaitdevantlui,lesyeuxplissés.—Quiêtes-vous?—MacTitus,del’agenceSolberg.C’estmoilegardeducorpsenvoyépourvousprotégercontre

ceuxquis’enprennentàvotreranch.Ellepoussaunsoupirdesoulagementetsedétenditunpeu,sanspourautantbaissersagarde.—Vousavezdespapiersd’identité?—Dansmonportefeuille.—Sortez-leetposez-leàvospieds.Macsortitsonportefeuilledelapochedejeanets’exécuta.Ellesepenchapourleramasser,sanslequitterdesyeux,etl’ouvrit.—Vousavezmeilleureallurequandvousn’avezpas levisageensanglanté, remarqua-t-elleaprès

l’avoircomparéaveclaphotodesacarted’identité.—Etvous,commentallez-vous?—Çava.Ellebaissasafourche,refermaleportefeuilleetleluitendit.—C’est ladeuxièmefoiscettesemainequ’onessaiedes’enprendreàmonpur-sang.Ce typeau

bandanam’aréveilléeenforçantleverroudel’écurie.Commes’ilavaitcomprisqu’onparlaitdelui, lechevalpassala têteà travers lagrilleet l’agita

plusieursfoisdehautenbas.—D’ailleurs,monsieurTitus,votremissionneconsistepasàmeprotégermoi,maisNavigator.Elledésignalechevalderrièrelui.Macsepassalamainsurlevisage,pours’assurerqu’ilnesaignaitplus.—Monboulotc’estdeprotégerlesgens,pasleschevaux.—Solbergm’a assuré que vous sauriez d’autantmieux remplir cettemission que vous avez une

grandeexpériencedeschevauxdecourse.Denouveau,Navigatorhochalatête,commepouracquiescer.Macs’apprêtaitàprotesterlorsqu’ilremarqualescernesdefatiguesurlevisaged’Emmaetlelitde

fortuneinstalléàproximitédelastalledupur-sang.—Vousdormezici?—Oui.Depuisquej’aireçuunappelanonymelelendemaindelavictoiredeNavigatoraugrand

prixdeChurchillDowns,ilyadeuxsemaines.—J’avoueêtreimpressionné,mademoiselleClareborn,maisc’estuncheval.Entempsnormal,mes

clientsmarchentsurdeuxjambes.Ill’avaitmanifestementvexée,carsonregardsedurcitettoutsoncorpsparutseraidir.—Cen’estpasn’importequelcheval!Jel’entraînepourqu’ilgagnelederbyduKentuckyainsique

ceuxdePreaknessetdeBelmontStakes.Autrementdit,laTripleCouronne,monsieurTitus.Navigatorhochadenouveaulatête.CetteapparentecomplicitéentrelechevaletsapropriétaireamusaMac,quisedétenditunpeu.De

toutefaçon,ilétaitinutiledevouloirs’opposeràEmmaClareborn.L’éclatdesesyeuxsombresetladétermination de son expression révélaient qu’elle était certaine de ce qu’elle avançait. Pour avoirdéjàobservécetyped’obsession, ilsavaitquelseffetsdestructeursellepouvaitengendrer.Lesgensquiselaissaientàcepointdominerparleurpassionfinissaientgénéralemententhérapie.—Avez-vousuneidéedequichercheàs’enprendreàlui?— Non. Je n’ai pas reconnu la voix au téléphone et, évidemment, l’identité de l’appelant était

masquée.Enoutre,cepourraitêtrelamoitiédespropriétairesderanchesdeFayetteCounty,tousceuxqui élèvent des chevaux et ont l’ambition de remporter les derbys.Dès cet automne, plusieurs sontvenus espionnerNavigator à l’entraînement et l’ont chronométré sur la piste. Ils savent tous à quelpointilestrapideetn’ontaucuneenvied’alignerunchevalfaceàlui.Ellefitunpasenavantpourvenirpasserlamainsurlechanfreinimmaculédupur-sang.Lechevalbaissadoucementlatêteetfermalesyeux,confiantetsatisfait.N’importequiauraitétécapabledecomprendreàquelpointelleaimaitcechevaletcroyaitenlui.

MaisMacn’étaitpasunnovice,etilsavaitqueplacerautantd’espoirssurunanimalétaituneerreur.—Ilyaunetroussedepremierssecoursdanslasellerie.Venez,jevaisnettoyervotreplaie.Ellesedirigeaverslaportedanslecoindel’écurieenajoutant:—J’aimeraisaussisavoirquelgenred’hommeonm’aenvoyé.Mac la suivit, notant au passage l’élégant balancement de ses hanches, qui ne le laissa pas de

marbre.EmmaClarebornavaitbiengrandi!Ladernièrefoisqu’ill’avaitvue,vingt-cinqansplustôt,c’était

une gamine avec des taches de rousseur et des couettes. Elle était devenue une femme aux courbesgénéreusesquilemettaitdanstoussesétats.—Depuisquanddirigez-vousFirehillFarm?—Depuis que mon père a eu une attaque qui l’a diminué, peu de temps après la naissance de

Navigator.Macfuttroublé.Ainsidonc,ThadeousClareborn,l’ancienennemidesonpère,étaitencorevivant?—Cetteattaquel’aclouédansunfauteuilroulant.

***

Sespenséestournéesversl’hommequilasuivait,Emmaentradanslasellerie.Ilavaitbeauavoiruneentailleàlajoueetêtrecouvertdepoussière,ellel’avaittrouvéséduisantdèslepremierregard.Physiquement,ilcorrespondaitparfaitementàcequ’elleavaitdemandéàSolberg,avecsescheveux

mi-longsetsonvisagemarqué.Restaitàdéterminers’ilseraitcapabledeprotégersoncheval.—Asseyez-vous,dit-elleendésignantuntabouretposécontrelemur.Macletiraets’installa,brascroisés.Emmaseretournapourprendrelatroussedesecours.Lorsqu’elleluifitdenouveauface,Macfut

surprisparlesouriresatisfaitqu’elleluiadressa.

—Solbergabienfaitdevousenvoyer.Vousavezexactementleprofilquej’avaisdemandé;vousn’aurez aucunmal à vous faire passer pour un employé de ranch.A vrai dire, je craignais de voirdébarquerunhommeencostumeavecdesRay-Ban.Danslesfilms, lesgardesducorpsressemblentsouventàcela.—Jesuisheureuxderépondreàvosattentes.Celanel’empêcheraitcependantpasdefairesavoiràWinslowSolbergquelefaitdeseretrouverà

devoirprotégerunchevalsansavoirétéprévenuneluiplaisaitguère.IlcontemplaEmmaquipréparaitdequoinettoyersablessure.—Pourêtrefranche,Mac…JepeuxvousappelerMac,n’est-cepas?Ilétaittellementsouslecharmeque,lorsqu’elletenditlamainpourluireleverlementon,ilfaillit

tomberdutabouret.—Vouspouvezm’appelercommebonvoussemble,mademoiselleClareborn.Aprèstout,c’estvous

quipayez.Ellefronçalégèrementlessourcilsavantdereprendreuneexpressionplusdétendue.—Jevousenprie,appelez-moiEmma.Oh!votreagresseurnevousapasraté!Samainétaitàlafoisfermeetdouce,etlasentirsursapeauprocuraitàMacdessensationsqu’il

duts’évertueràcontenir.Enfin,elleretirasamainetcherchadanssatroussedesecours.—Laplaieestnette.Jevaispouvoirlarecoller.—Larecoller?—Oui,c’estuntrucquem’aapprismonpère.Pourfaireserefermeruneplaienette,iln’yariende

mieuxquelacolle.Vousn’aurezmêmepasdecicatrice.Ilneréponditrien.EmmaClarebornapprendraitbienasseztôtqu’unecicatricedeplusoudemoins

étaitlecadetdesessoucis.Tandis qu’elle déroulait une bande de gaze puis ouvrait un flacon de désinfectant, il observa ses

mainsdélicates.Lorsqu’elleeutreposéleflacon,illuisaisitlepoignetetluifittournerlamainpourexaminerles

callositésaucreuxdesapaume.—J’aicommel’impressionquevousneménagezpasvotrepeine.L’airconfus,ellebaissalesyeuxetretirasamain.—Ilfautbienquequelqu’uns’assurequeNavigatordonneralemeilleurdelui-mêmesurlapiste.Denouveau,ilfutirritédedécelerunetelleobstinationchezelle,maisn’enlaissarienparaître.—Puisquejeseraisurplacevingt-quatreheuressurvingt-quatre,vouspourrezsoufflerunpeu.Elleledévisageapendantplusieurssecondesd’unairméfiant.—Nevousinquiétezpas,reprit-il.Jevousprometsdeveillersurvotrechevalautantquesurvous.Unbrefinstant,illutdusoulagementdanssonregard.Ilcompritnéanmoinsqu’ilauraitfortàfaire

pourlarassurertoutàfait.—J’espèrequevousréussirezàprotégerNavigator,ditEmmaensoupirant.Depuisl’accidentde

monpère,leschosesnesontpluscommeavant.«Pluscommeavant»étaituneuphémisme,voireunmensonge,dontellen’étaitpasfière.Quoiqu’il

en soit, elle ne tenait pas à ce qu’il sache qu’elle avait dû revoir le fonctionnement du ranch pourfinancerl’engagementd’ungardeducorps.Fairetournerunranch,éleverunchevalcapabledegagnerles derbys et payer une infirmière à plein temps pour son père n’était pas rien. Il avait bien fallutrouverdesfondsquelquepart.Tousdeuxse turent,etEmmaseconcentrasursa tâche.Ellenettoya lesangséchéet lapoussière

autourdelaplaie.LorsquesesyeuxseposèrentsurlamâchoireinférieuredeMac,elleretirasamain,gênée.—Vousvoyez,unecicatricedeplusnevapaschangergrand-chose, remarqua-t-ild’un tondénué

d’émotion.Emmaexpira lentement et se remit au travail, incapablededétacher son regardde labalafrequi

s’étendaitdesonoreillegaucheàlabasedumenton.Elle se redressa légèrement pour croiser son regard bleu acier. Cette cicatrice était récente et,

d’aprèssonaspect,iln’étaitpasdifficiled’imaginerqu’ilavaitfailliperdrelavie.—Jesaisqueçanemeregardepas,mais…comment…—Commentai-jerécoltécettecicatrice?Il baissa les yeux une seconde et Emma vit son expression s’adoucir. D’instinct, elle se pencha

davantageverslui,commesielles’apprêtaitàrecevoirsaconfession.Ellefutcependantdéçue,carilseredressabrusquement.—Pourvous,mademoiselleClareborn,cequicompte,c’estdesavoirquejesuislàetquejeferai

toutmonpossiblepourassurerlasécuritédevotrecheval.Lereste,commevousvenezdeledire,nevousregardepas.Emma l’observa,afinde jaugeràquelpoint ilétait sérieux.Sonexpressionétaitgrave,mais ily

avaitautrechose.Deladouleur?Unbruitdepaslatiradesespensées.VictorDagopassalatêteàlaportedelasellerie.—Meschevauxsonttrèsagités.Toutvabien,ici?MacvitEmmajeteraunouveauvenuunregardpleind’hostilité.Elleneleportaitmanifestementpas

danssoncœur.— Victor, je vous présente mon nouvel employé, Mac Titus. Il a fait une mauvaise chute dans

l’écurie et a effrayéNavigator.Voschevauxontdû l’entendrehennir, cequi explique leur agitation.J’ensuisdésolée.LenomméVictorentradanslasellerieets’avançaversMac,maintendue.— Heureux de vous connaître. Je suis content que Mlle Clareborn se soit décidée à engager

quelqu’unpourl’épauler.Macluiserralamainetcherchaàdevineràsonaccentd’oùilétaitoriginaire.—Vousavezdeschevauxici?demanda-t-il.—Oui,unedemi-douzaine.Enfin,pour lemoment.DeuxsontencoreàFrontRoyal. Ilsdoiventy

resterdeuxsemaines,enquarantaine.—Ilssontmalades?

—Non,pasdutout.C’estlaprocédureclassiquequanddesanimauxentrentsurleterritoire.Nousironsleschercherdèsquepossible.Emmacroisalesbrasetserapprochadelui,commesiellecraignaitVictor.—Désolépourledérangement,repritMac.Laprochainefois,jeferaiplusattentionoùjemetsles

pieds.Victoracquiesça.—Trèsbien.Alors,bonsoir,dit-ilavantdes’enaller.Emmapoussaunsoupirdesoulagement:Victorétaitparti.—Qui est-ce ? demandaMac après avoir attendu quelques secondes pour être sûr que l’homme

avaitbienquittél’écurie.—VictorDago.Ilentraînedeschevauxpourlecompted’unémirquejen’aijamaisrencontréetà

quijen’aimêmejamaisparlé.Jeleurlouel’écuriequiestdel’autrecôtédelapisted’entraînement.Saréponsen’expliquaitpascequ’ellesemblaitavoircontrecethomme.—J’aieulesentimentquevousnel’aimiezpasbeaucoup.—Disonsque jeneme senspas à l’aise avec lui, c’est tout, répliqua-t-elle avantdeprendreun

cotonpourfinirdesoignersablessureà la joue.Fermez lesyeux, lacolle risquedevousbrûlerunpeu.Obéissant,ilfermalesyeuxetlesrouvritquelquessecondesplustard.Iln’avaitressentiqu’unléger

picotement.Enlavoyantdevantlui,attentive,ilsongeaqu’elleavaitdécidémentunvisagemagnifique.—Jolitravail,docteur,dit-ild’untonlégerenpassantdoucementleboutdesdoigtssursaplaie.Elleluisouritetileutenviedelaserrercontreluipourchasserlafatiguedesestraits.— Pourquoi n’allez-vous pas vous reposer ? Je vais vous relayer auprès de Navigator, et nous

continueronsàdiscuterdemainmatin.Emma acquiesça et sortit de la sellerie. Pour la première fois depuis plus d’unmois, elle sentit

l’espoir renaître.Mac était là, et elle était certaine qu’il ferait tout pour l’aider. Alors qu’elle sedirigeaitverslaportedel’écurie,ellevitbrillerquelquechosesurlesol,àl’endroitoùMacs’étaitbattuavecl’intrus.Une seringue !Elle sebaissapour la ramasser,maisMac,qui l’avait suivie, lui saisit lepoignet

pourl’enempêcher.—N’ytouchezpas.Sijamaiselleappartientàl’hommequis’estintroduitici,ilyapeut-êtrelaissé

sesempreintes.—Entoutcas,ellen’estpasàmoi.Toutlematérielmédicaleststockédansunearmoireferméeà

clé.—Avez-vousuntissuquelconquedanslequelnouspourrionsl’envelopper?—Jevaisallervoir.Elleretournadanslasellerieetill’entenditouvriretrefermerdestiroirs.Soudaininquiet,ilscrutal’obscuritéautourdelui.Soninstinctluidisaitquequelquepart,là,dans

l’ombre,onlesobservait.Iln’auraitpassul’expliquer,maisillesentait.Ilenétaitpersuadé.

Emmarevintprèsdelui.—J’aitrouvéungantenlatex.Pensez-vousqueçaferal’affaire?—Oui,trèsbien.Illeluipritdesmainsetlepassa.Ilsebaissa,ramassalaseringueparlepistonetlalevadansla

lumièredelasellerie.Apparemment,ellen’avaitpasservi.—Ilfautdéterminercequ’ellecontient.Ilobservaleliquidejaunepâle.—Letypequenousavonssurprisavaitsansdoutel’intentiondel’administreràvotrecheval.Macôtalegantavecprécautionetl’enroulaautourdelaseringue.—Nousavonségalementunautreproblème.IlsetournaversEmma,quifronçalessourcils.—Jecroisquenousnesommespasseuls,reprit-iltoutbas.Allezmettreçaàlasellerie.Jevous

attendsici.Elleneprotestapasetneperditpassonsang-froid,cequiétaitbonsigne.Siellesavaitgarderson

calmeetlelaissaitprendreleschosesenmain,ceseraitplusfaciled’assurersaprotection.Pendantqu’elles’occupaitdelaseringue,ildéboutonnasavesteetsortitsonarme.—Restezprèsdemoi,dit-illorsqu’ellefutrevenue.Elle acquiesçade la tête et saisit aupassage la fourchequ’elle avait laisséeprèsde la stallede

Navigator.Lentement,ilsavancèrentverslefonddel’écurie.Macouvraitchaquestalled’uncoupdebotteet

vérifiaitquepersonnenes’ycachait.Derrièrelui,Emmatournaitlatêteàdroiteetàgauche,safourchebrandie,telunguerriermédiéval.Ils’arrêtadevantladernièrestalle,despicotementssurlanuque.Illevalajambeetrepoussaviolemmentlagrilleavantdeserueràl’intérieur,l’armeaupoing.Personne.Toutjustevit-ilunesourisfilerentresesjambesetdisparaîtredansleboxvoisin.—Toutvabien,dit-ilenregardantautourdelui.Ilabaissasonpistoletetcherchaàsedétendre.Pourtant,lasensationd’êtreobservéétaittoujours

présente;iln’arrivaitpasàlachasser.Le soulagementqu’il lut sur levisaged’Emma le convainquitqu’il fallait qu’iloublie ses soucis

pourlanuit.Iln’yavaitpersonne.—Jevousraccompagnejusqu’àvotremaison.Elleluisourit.—Merci.Avant,jevaisvousfairerapidementvisiterl’annexe.Leréfrigérateurestplein,etilya

égalementtoutcequ’ilfautpourlatoilette.

***

—Passezsurlacaméra1etzoomezsursonvisage.—Compris.L’hommes’affairasurletableaudecommandesdanslecamiondesurveillance.Uneimageapparut

brièvementsurunmoniteurpuisl’écrandevintneigeux.—Onaencoreperdulaliaisonavecla1!Ilvadenouveaufalloirallerlaréparer.RennDonahue,unagentdelaNSA,fixalemoniteur.—Repassezsurlacaméra2.Unautremoniteurs’allumaetoffrituneimagenette.L’agent Donahue observa l’homme qui se tenait à côté d’Emma Clareborn. Ainsi, un nouveau

protagonisteétaitentréenscène.Quelrôlejouait-ildanscettehistoire?—Tirez-moisonportraitetfaiteslesrecherchesd’usage.Jeveuxsavoirquiestcetypeetcequ’il

faitàFirehillFarm.Enoutre,ilestarmé.Considérez-ledonccommepotentiellementdangereux.

2

AprèsavoirnettoyélastalledeNavigator,Macallaviderunedernièrebrouettéedefumieretôtasesgantsdetravailencuir.Onétait endécembre, et le jour se levait àpeine. Il contempla lespremiers rayonsdu soleilqui

tentaientdepercerlabrumeau-dessusdescollinesduKentucky.Ilavaitpresqueoubliéàquelpointilaimaitcesmoments.Lefroid,lasérénitéquiimprégnaitl’air

avantqu’unenouvellejournéenedémarre…Toutcelaluiavaittoujoursfaitdubien.—Bonjour.La voix d’Emma derrière lui le fit sursauter. Il se retourna et posa d’instinct le regard sur ses

courbessensuelles.Laveille,ilnes’étaitpastrompé;elleétaitvraimentcraquante.Ilserenditcomptequ’ill’observaitdemanièreunpeutropappuyéeenlavoyantrougir.—Jeconstatequevousm’avezdispenséedemescorvéesmatinales.Ellepassaprèsdeluietentradansl’écurie.—Mercibeaucoup,ajouta-t-elle.Il lasuivit,charmépar lebalancementdeseshanchesetdesa longuenattequivenaitcaresser la

ceinturedesonjean.Oui,décidément,ilaimaitbeaucouplesmatins,etcelui-ciplusquetoutautre.—Moncavalierd’entraînementseralàà7heurespourfairetravaillerNavigator.Elleallachercherunlicou,unmorsetunebrossedanslasellerie.—Ilabesoind’êtrebienéchauffé,dit-elleenrevenant.Cematin,ilvacourirpendantlongtempset

nousallonslechronométrer.Macs’avançapourouvrirlagrilledelastalle.Elleentradanslepetitespaceetposasabrosse.Lepur-sangpoussaunhennissementguttural etbaissadocilement la tête lorsqueEmma luimit le

morsetlelicou.Puiselleramassalabrosse.Maclaregardabrosseraffectueusementledosetlesflancsdel’animal.—QuelestsoncoefficientBeyer?Sanss’interrompre,elleluijetauncoupd’œilpar-dessusl’épaule.— Vous utilisez un jargon de spécialiste. Vous vous y connaissez vraiment bien en chevaux de

course.—Mmm.Il ne souhaitait pas révéler comment il connaissait si bien l’univers des chevaux de course et le

systèmeBeyer,quiconsistaitàprendreencomptelavitessenaturelled’unepiste,letempsdepassaged’unchevalsurcettemêmepisteet,delà,àentireruncoefficientquiexprimaitlaréellerapiditédel’animal.—C’estcentvingt-six.Maclaissaéchapperunsifflementd’admiration.Ilsemitàétudierlepur-sangendétail:ilavaitle

chanfreinbiendessiné,unlargepoitrail,delonguesjambesetunecroupepuissante.—Cen’estpasmaldutout!Oùa-t-ilcourupourladernièrefois?—AChurchill Downs, lors d’une course d’obstacles. Il l’a remportée avec plusieurs longueurs

d’avance.Ilsentitunfrissond’excitationleparcourirmaissefittrèsvitelaleçonetsereprit.Ilconnaissaitcet

étatetsavaitcequecelafaisaitquandonplaçaittropd’espoirsdansunchevaletqu’onfinissaitdéçuaprèsavoirconnulavictoire.Ilavaitvutropd’hommesselaissergriser,tomberdehautpuissombrerdansladépression.Ledernierd’entreeuxétaitsonproprepère.—Ilprogresserégulièrement.C’estsûr,iladupotentiel,poursuivitEmma.Macsortitduboxets’appuyacontrelemur,leurtournantledos,àelleetaucheval.—Sonaïeulagagnélederbyen1987.Al’énoncéde ladate,Macdutcontenir lavaguedecolèrequi l’envahit. Ilseretournaetsaisità

deuxmainslesbarreauxdelagrille.—Alysheba?—Absolument!LechevalquiaengendréSmoothSailing,lequelaengendréNauticalMile,lepère

deNavigator,expliqua-t-elletoutensellantsoncheval.Mac avait l’impression d’étouffer tant il avait le cœur serré. Smooth Sailing était le cheval que

ThadeousClarebornavaitvoléàsonpèreaucoursd’uneventeauxenchères.Etvoilàquec’étaitaussil’aïeul d’un pur-sang qu’on entraînait pour gagner le derby ? Le coefficient Beyer était un bonindicateur,etcelasignifiaitqueNavigatoravaiteneffet toutesseschancesderemporterlederbyduKentuckyetlaTripleCouronne.

***

Emmamit lepiedàl’étrier,attrapalepommeaudelaselleetmontasurOliver,sonpoulain.Elletendit lamain pour prendre les rênes queMac lui donna. Il recula après lui avoir adressé un brefregard.Unregardtellementintensequ’elleeneutlesoufflecoupé.—Ilfaitàpeinecinqdegrés,cematin,Emma.EchauffezbienNavigator.Elleacquiesça.—Jevaisluifairefaireunpetittrot,etjevousretrouveauportiquededépart.EllefittournerOliververslapisteenespérantqueMacn’avaitpasremarquéàquelpointelleavait

rougi.En fait, elle était intimidée.Elle avait bien euquelques petits amis,maisMacTitus avait uncharmebrut,presqueanimal.Ilétaitterriblementsexyet,chaquefoisqu’illaregardait,ellesesentaitdéfaillir.ElleattrapalesguidesdeNavigatoretletiraderrièreelle,verslapistedecourse.Le brouillard limitait la visibilité,mais elle connaissait par cœur cette piste ovale ; elle l’avait

parcouruedesmilliersdefois,mêmedenuit.

EllefitavancerOliveraupetittrotet,aupremiervirage,seconcentrasurlarampepouroptimisersatrajectoire.Maclaregardadisparaîtredanslabrume,lessensenalerte.Iltournalégèrementlatêteàdroiteet

perçutleclaquementdessabotssurlesolhumide.Ilfermalesyeuxafindeseconcentrerdavantagesurceson.Iln’auraitsudirepourquoifermerles

yeuxaiguisaitsonaudition,maisçamarchaittoujours.Toutefois,jusqu’àcequ’ilsefassetirerdessusenservice,iln’avaitjamaisbeaucoupprêtéattentionàsescapacitésauditives.Désormais,l’auditiondesonoreillegaucheétaitirrémédiablement…Commeonluiposaitlamainsurl’épaule,ilfitbrusquementvolte-face.D’instinct,ilsaisitl’hommequisetrouvaitderrièreluiparlecoletleplaquacontrelabarrière.—Hé!Doucement!Lejeunegarsqu’ilvenaitd’immobiliserlecontemplaitavecdesyeuxagrandisdefrayeur,lesmains

levéesensigned’apaisement.Macrecouvrasoncalme.L’inconnuportaituncasqueetunetenuedejockey.—Oh!pardon!Jesuisdésolé!Jenevousavaispasentenduapprocher.Illelâchaetreculad’unpas.—J’aivraimentréagicommeun imbécile.JesuisMac, lenouveaupalefrenierd’Emma.Etvous,

vousêteslecavalierd’entraînementdeNavigator,c’estça?—Eneffet.Jem’appelleJoshDuncan.Ilremitsacasaqued’aplomb.—Je suis en avance.Mongalopd’entraînement chezMcCluskie a été annulé, alors je suis venu

directementici.—ChesterMcCluskiedirigetoujoursRamblingFarm?—Oui,etluiaussi,iladegrandesambitionspourlederby.Ouplutôtilavait,devrais-jedire,parce

queOpheliaMine, sa pouliche, a disparu unmoment hier soir et, quandon l’a retrouvée, elle étaitblessée.Apparemment,c’estsérieux.Levétérinaireestd’ailleurssurplace.Macfutprisd’undoute.Etait-ilpossiblequeNavigatorn’aitpasétélaseulecibledutypemasqué

qu’ilavaitsurprislaveilleausoir?Ilfallaitqu’iltransmettesanstarderlaseringuedécouvertedansl’écurieàlapolice,afinqu’ondéterminecequ’ellecontenait.— Emma est partie échauffer Navigator en le tirant derrière elle. Elle ne devrait pas tarder à

revenir.Ilsetournadenouveauverslapisteetécoutalebruitdessabotssurlesol.—Alors,qu’enpensez-vous?VouscroyezqueNavigatoralesmoyensderemporterlederby?—Iladevéritablesaptitudes.Personnellement, jepenseque jesuis loinde luiavoir faitdonner

toutesamesure.Avecunjockeyperformant,jesuispersuadéqu’ilpeutgagnerlaTripleCouronne.Génial!Encoreunquiplaçaittoussesespoirsdanscecheval.Macserralabarrièrepoursecalmer

tandisqu’Emma,OliveretNavigatorémergeaientdubrouillard.Cettefois,ilobservad’unœilcritiquela démarche de l’étalon. Il avançait la tête haute, le regard clair, déterminé. Il paraissait à la foissauvageetconfiantenlui.Selonlarumeur,seulslestrèsgrandsavaientcegenred’allure.

Ilsentitsoncœurbattreplusfort.Voilà…maintenant,luiaussisemettaitàêtreanimédel’espoirdevoircechevalréussirdegrandesperformances.Quandondécelaituntelpotentielchezuncheval,onétaitprêtàremuercieletterrepourenfaireunchampion.Ilauraitmieuxfaitdedétournerlatêteetdepenser à autre chose avant qu’il ne soit trop tard, car il n’avait rien à gagner dans cette histoire…EmmaClareborn,si.Alalumièredujour,ilavaitpuserendrecomptequelesbâtimentsdeFirehillFarmavaientbesoin

d’être rafraîchis et les terres entretenues. Si le cheval ne répondait pas à ses attentes, elle auraitcertainementbeaucoupdemalàmaintenirl’exploitationàflot.Intérieurement,ilsefitlapromessedetoutmettreenœuvrepourqu’ellenesoitpasdéçue.Emmaattachasonchevalàlabarrièreetmitpiedàterre.—Voilà,ilestchaud,Josh.Neleménagezpas,cematin.—Entendu!Joshprit les rênes tandis qu’Emma retirait àNavigator le licou qu’elle avait utilisé pour le tirer

derrièreelleetvérifiaquelaselleétaitbiensanglée.— Faites-lui travailler ses trajectoires intérieures et extérieures. Ainsi, la prochaine fois qu’il

courra,silesviragesdelapistesontmaldélimités,ilseraprêtàréagir.Macs’avançasurlapisteets’approchadeJosh.—Allez,enselle!dit-ilenaidantlejeunehommeàmonter.—J’aimeraisbienquelebrouillardselèveunpeu,remarquaEmma.Elletirasonpoulainjusqu’àl’enclosetl’yfitentrer.Maclaregardafaire.—Aimeriez-vousvousencharger?luidemanda-t-elleenrevenantverslui.Elleluitendaitunchronomètreargenté.L’instrumentdesillusionsdetouslesentraîneursdechevaux

decourse…Déciders’ilvoulaitounonsechargerdechronométrer lechevalauraitdûêtrefacile.Pourtant, il

hésitait.Letempsdepassagedupur-sangallaitluidireunebonnefoispourtoutescequ’ilavaitdansleventre.—Oui,biensûr,répondit-ilfinalementenprenantlechronomètre.Emmaeutunpetitsourire.—Jejureraisquevousavezpassébeaucoupdetempsavecdeschevauxdecourse.Macsentitqu’ildevaitêtreprudent.Quelâgeavait-elleàl’époqueoùleurspèresétaientdevenus

rivaux?—Oui,maisc’étaitilyalongtempsetjen’étaisqu’ungamin.Çadoitêtredansmesgènes,etçane

s’oubliepas.—Donc,Solberg avait raison.Vous êtes l’homme idéal pour cettemission. Je suis heureuse que

voussoyezlà.Mac la contempla et fut ému par la sincérité de son ton et l’éclat de ses yeux noisette. Il devait

vraimentseméfier,carilnefaudraitpasgrand-chosepourqu’ilsuccombeàsoncharme.Enentendantlebruitdesabotsaugalopserapprocherrapidement,ilsetournabrusquementversla

piste.

Lebrouillardl’empêchaitdevoirbienloin,maislechevaletsoncavalierétaientbienlà.Illevalechronomètreetposaledoigtsurleboutonenretenantsonsouffle.Soudain,lepur-sangjaillitdubrouillard.Macenclenchalechronomètrelorsqu’ilpassaàhauteurdu

portiquededépartpuisl’écoutagaloperdanslalignedroiteavantd’attaquerlepremiervirage.Emmaluiposalamainsurl’avant-brasetleserra.—Jevousavaisbienditqu’ilétaitrapide!Jesaisqu’ilpeutréussir.Macselaissagagnerparsonenthousiasmeetéprouvadel’exaltation.Aubruit,ilsutqueNavigator

avaitdéjàparcouruundemi-tourdepiste.Il n’osa même pas consulter le chronomètre. D’instinct, il savait que le temps était hallucinant.

Mieuxvalaitattendrequelechevalrepasse.Là,aumoins,enl’ayantsouslesyeux,ilauraitmoinsdemalàycroire.Toutàcoup,ilfronçalessourcils.Lerythmedugalopvenaitdechanger.Cen’étaitpasnormal.Une

secondeplustard,uncridedouleurdéchiralabrume.—Ilyaunproblème!s’exclamaEmmadontlamains’étaitcrispéesursonbras.Navigatorsurgitpeuaprèsdubrouillardsanssoncavalier.Parréflexe,Macpressaleboutonduchronomètrepuislemitdanssapoche.—PrenezOliveretallezchercherJosh!Moijem’occupedeNavigator!criaEmmaquis’élançait

déjàsurlapiste.Tandisqu’ilcouraitversl’enclos,MacentenditEmmasifflerpourrappelerNavigator.Ilsaisitlesrênesdupoulain,mitlepiedàl’étrieretsehissaenselle.Celafaisaitdesannéesqu’il

n’avaitplusmonté,maisc’étaitcommelevélo,çanes’oubliaitjamais.Lançant l’animal au trot, il s’engagea sur la piste. Josh devait être quelque part après le virage

lorsquelerythmedecoursedeNavigatoravaitchangé.Auboutd’unecentainedemètres,lebrouillardunpeumoinsdenseluipermitdevoirdevantlui.Joshgisaitrecroquevillétoutprèsdelarampeintérieuredelapiste.Ilnebougeaitpas.Inquiet,Macfitaccélérersamontureetgalopajusqu’àl’endroitoùgisaitJosh.—Josh!Tum’entends,petit?demanda-t-ilenmettantpiedàterre.Ils’agenouillaetposalamainsurl’épauledujockey.Josh gémit, roula un peu sur le flanc et tenta de se redresser. Mac l’en empêcha d’un geste

bienveillant.—Non,non,nebougepas.Macserralesdents,préoccupéparl’airhagarddujeunehommedontlevisageétaitmaculédeboue.

Mais, plus encore, c’était la positionde son avant-brasdroit, anormalement tordu, qui lui avait faitcomprendre qu’il ne devait surtout pas bouger. Il fallait qu’il soit pris en charge et transporté àl’hôpitalrapidement.—Ilfautquejerattrapelecheval,ditJoshencherchantencoreàseredresser.Macl’immobilisaenluiposantdoucementlamainsurlapoitrine.—Détends-toi,Emmas’encharge.Ellevalerattraper.Jecroisquetuaslebrascassé,alorsreste

tranquille.

Joshbaissalesyeuxsursonbrasetgrimaça.— Que s’est-il passé ? demanda Mac qui souhaitait faire parler Josh pour éviter qu’il perde

connaissance.— Je ne sais pas. Je n’avais pas de visibilité, et tout à coup j’ai fait un écart et j’ai heurté la

barrière.—Acausedubrouillard?—Unelumièrerougeestvenuemefrapperdansl’œilet…—Unlaser?—Possible.MaisjecroisqueNavigatorétaitviséaussiparcequ’ils’estsubitementexcité.Ils’est

déportéetatapélarampe.Jen’airienpufaire.J’espèrequ’iln’estpasblessé.Alorsqu’ilregardaitautourdelui,MacvitEmmaetNavigatorsortirdubrouillard.—Est-cequeJoshvabien?criaEmma.Macserelevaetattenditqu’ellesoitassezprèsets’arrête,cherchantàcalmerNavigator.—Ilalebrascassé.Ilfautappeleruneambulanceetleshérif.Cen’étaitpasunaccident.Quelqu’un

leuraenvoyéunraysonlaserdanslesyeuxpourlesaveugler.Jesupposequeceluiquiafaitçaétaitdanslesboisderrièrelapiste.Il se tournavers les arbres et soupira, frustré.Labrumeempêchait devoir si quelqu’un s’y était

dissimulé,etilnepouvaitpaslaisserJoshetEmmatoutseulspouralleryjeteruncoupd’œil.Emmasortitsontéléphoneportabled’unemaintremblanteetcomposale911.Ellen’avaitpasprévu

que ses ennuisprendraient ce tour-là.Ceuxqui lui avaient envoyédesmenacesparaissaientprêts às’enprendreàsonentourage,passeulementàsesbiensouàsesanimaux.Plusquejamais,elleavaitbesoindeMacTitus.

***

—Après avoir surpris un intrus dans l’écurie, nous avons découvert ceci près de la stalle deNavigator.Ilestpossiblequelesempreintesdel’inconnusoientdessus.MactenditaushérifRayWilkeslegantcontenantlaseringue.—Ças’estpassélanuitdernière?—Oui,peuaprèsmonarrivée,auxenvironsde22heures.J’aientenduMlleClareborncrier,jeme

suis précipité dans l’écurie et me suis retrouvé nez à nez avec un type qui s’enfuyait. Nous noussommesbattus,maisilaréussiàs’échapper.Amonavis,ilavaitl’intentiond’administreràNavigatorcequ’ilyadanscetteseringue.Macregardas’éloignerl’ambulancequiemmenaitJoshetrepensaàcequelejockeyluiavaitappris

surlapoulichedeMcCluskie.—Joshm’aparlédecequis’estpasséàRamblingFarmhiersoir. Ilsembleraitqu’unchevaldu

ranchaitluiaussieudesennuis.Ilpourraityavoirunlienentrelesdeuxincidents.— Je vais emporter la seringue au labo et j’irai parler à Chester. Depuis deux semaines, les

incidentssemultiplientdanslesranchesdesenvirons.Leséleveurssontinquiets.Macvoulutensavoirplus.—D’autreschevauxont-ilsétéaveuglésaulasersurlapisted’entraînement?—Pasquejesache.Maiscequejepeuxvousdire,c’estquedeuxautresincidentsonteulieudans

des ranches où Victor Dago a loué une écurie. Je suis heureux que vous soyez là pour épauler etprotégerMlleClareborn.Soyeztrèsprudent,et,aumoindreproblème,appelez-moiimmédiatement.Macpritlacartequeleshérifluitendait.—Jen’ymanqueraipas.Denotrecôté,nousaimerionsconnaître les résultatsdesanalysessur la

seringuedèsquepossible.—Jeferaiensortequ’onprocèdeauxexamenssanstarder.Maclevalatêteversl’enclosetobservaEmma,appuyéecontrelabarrière,quiregardaitNavigator

secalmerentournantenrond.Lorsqueleshériffutparti,ils’approchad’elleetsepostatoutàcôté.—LeshérifWilkesvaemporterlaseringueaulaboratoire.—Quipeutbienvouloirluifairedumal?Macsuivitsonregardetcontemplalepur-sang.—J’aimeraisbienledécouvrir.Ilsuivitdeprèslesévolutionsdel’animalpourdéterminersisadémarcherévélaituneblessure.—Ilal’airenforme.—Oui, iln’apasuneégratignure.Maispourquoinenous laisse-t-onpas tranquilles?C’estdéjà

assezdifficiledesefaireuneplacedanscemétiersansqu’onnousmettedesbâtonsdanslesroues!Illuidonnaunpetitcoupdecoude.—N’ayezcrainte,Emma,jem’opposeraiàtousceuxquiveulentluifairedumal.Ellesetournaverslui,avecuneexpressionindécise,entreespoiretscepticisme.— Nous sommes tellement près d’atteindre les minima requis pour le derby ! Il faut que nous

gagnions laHolidayClassic afinqu’en janvier jepuisse l’inscrire etquenousayonsunechancederemporterlaTripleCouronne.J’enaibesoin,Mac;Firehillenabesoin.—Lasituationduranchest-ellesiprécaire?Ellehaussalesépaulesetsoupira.—Elleestsuffisammentgravepourquej’aiedûignorerlesrumeursquicouraientsurVictorDago

et son équipe et accepter de lui louer une de nos écuries. Sans cela, je n’aurais pas eu lesmoyensd’inscrireNavigatoràlacoursed’obstaclesdeClark.—Dagovousa-t-ilcausédutort?Mac se crispa, prêt à aller trouver ce type si par malheur Emma lui apprenait qu’il s’était mal

comporté.— Non. A part quelques commentaires déplacés et le fait que je me sente mal à l’aise en sa

présence,jen’airienàluireprocher.Quiplusest,l’émirpourquiiltravaillem’envoieunchèqueendébutdemois,sansfaute.Seshommeset luirespectentmapropriétéetsemontrentdiscrets.Encoreunefois,jen’airienàleurreprocheretjedevraismêmeêtreheureusequ’ilscontribuentàredresser

mesfinances,mais…—Quelquechosevousdérange,sansquevoussachiezquoi?—Exactement.Lesoleilavaitfinipardissiperlebrouillardetdonnaitdesrefletscuivrésauxcheveuxd’Emma.Ilseretintdeprendreunemècherebelleentresesdoigtspourlareplacerderrièresonoreille.—QuellesortederumeurscirculentsurlecomptedeDago?Ellebaissalesyeuxuninstant.—Onditqueseshommesetluisontdesrôdeurs,qu’ilscirculentbeaucouplanuit.Janet,uneamie

quitientleranchdeLoomisFarm,m’aracontéqu’unsoir,alorsqu’elleétaitsortiepourrappelersonchien,elleavuunhommevêtudenoirquiportaitunecagouledeskisortirdeleurécurieetdisparaîtredans lesbois.Lematinsuivant,ellea retrouvésonchienattachéàunpiquetdebarrière, lemuseauscotchéausparadrappourqu’iln’aboiepas.Macenregistratoutescesinformations.—LoomisFarmentraîneaussiunchevalpourlederby?—Non. On peut même dire qu’ils constituent une exception dans la région, car ils élèvent des

quarterhorses.Aprèscetincident,JanetadécidéderésilierlebaildeDago,quiestensuitevenumevoir.J’avaisdésespérémentbesoind’argent,alorsj’aiacceptédeluiloueruneécurie.Macluipassaunemaindansledospourlaréconforter,maisiléprouvadetelsfrissonsàsoncontact

qu’ils’empressaderetirersamain.—Jeseraivigilant.Riennevousarrivera.Niàvotrechevalniàvous.—Merci.Elleluisouritpuisentradansl’enclosetsedirigeaversNavigator,quiétaitmaintenantcalme.Macmitlamaindanssapocheetsentitlechronomètrequ’ilavaitcomplètementoublié.Illesortitet

regardaletempsqu’ilaffichait.Ileneutlesoufflecoupéetapprochal’appareiltoutprèsdesesyeux,commes’ilavaitmalvu.Uneminuteetcinquante-sixsecondes!C’étaittroissecondesdemieuxqueSecretariat,lechevalqui

détenaitlerecordduderbydepuis1973.Avecunteltemps,Navigatorpouvaitàcoupsûrremportercettecourse.Ilneluirestaitdoncplusqu’às’assurerqu’iln’arriveraitrienaupur-sang.

3

Mac sursauta et se demanda ce qui l’avait réveillé. Il consulta sa montre aux chiffresphosphorescents:4h35.Seredressantdanssonlitdefortune,ilfouillal’obscuritéduregard.Dansl’écurie,toutsemblaitnormal.LeseulbruitperceptibleétaitlarespirationrégulièredeNavigatorquidormaitdanssastalle.Lentement,ilrecouvraitsonauditiondel’oreillegauche.Depuislecoupdefeuquilaluiavaitfait

perdremomentanément,ellerevenaitpeuàpeu.Selonlespécialistequil’avaitexaminé,iln’entendraitplusjamaisaussibienqu’avantdecetteoreille,maisiln’étaitpasprêtàserésigneràcediagnostic.Ils’allongeadenouveau,lesmainscroiséesderrièrelatête,lesyeuxfixésauplafond.Peut-êtres’était-ilréveilléàcausedecettesensationd’êtreobservéqu’iléprouvaitenpermanence

lorsqu’ilsetrouvaitdansl’écurie.Pourtant,laveilleausoir,ilavaitnettoyétouteslesstallesetfouillépartout,sansrésultat.Soudain,unbourdonnementélectriqueattirasonattention.Il se redressa dans son sac de couchage aumoment où quelqu’un ouvrait doucement la porte de

l’écurie.Grâce à la lumière du jour qui commençait tout juste à se lever, il distingua à contre-jour la

silhouetted’unhommeenfauteuilroulant:ThadeousClareborn,lepèred’Emma.Macs’éclaircit lagorge tandisque levieilhommes’approchaitde lui.Certes, ilavaitchangéde

nom,maisClareborn,quil’avaitvuquelquesfoislorsqu’ilétaitenfant,reconnaîtrait-ilsonvisage?Ilsepassa lamaindans lescheveuxpour les remettreenplaceetprit le chapeauposéprèsde lui. Ilsortitdesonsacdecouchage,selevaetsepréparaàlarencontreavecl’hommequi,selonsonpère,avaitruinétoutessesambitionsdanslavie.Thadeousarrêtasonfauteuil.—Comment…t’appelles-tu…fiston?Ilparlaitlentement,chaquemotsemblantluidemanderuneffort.—Mac.MacTitus.Levieilhommeréponditparungrognementetapprochadelastalle.—Emmat’a…engagé?—Oui.Thadeousposalamainsurlagrilledelastalleetseredressadequelquescentimètrespourvoirle

pur-sang.—C’estunboncheval?demanda-t-il.—Plusqueça,monsieurClareborn.C’estuncrack.Levieilhommeesquissaunpetitsourire.—Est-cequejeteconnais?Embarrassé, Mac secoua la tête en signe de dénégation. Ce n’était pourtant pas réellement un

mensonge. Il avait toujours observé de loin les discussions entre son père et Clareborn. Il ne leconnaissait pas personnellement, ne lui avait jamais été présenté. La dernière fois qu’il l’avait vu,c’étaitlejouroùsonpèreetluiavaientamenéSmoothSailing,leurétalon,àFirehillFarm,uneveilledeNoël. Après cela, en rentrant, Paul Calliway, son père, avait descendu une bouteille entière debourbonavantdesombrerdansladépression.Soudain,Macremarquaqu’ilsepassaitquelquechosed’étrange.D’habitude,lorsqu’unvisiteurse

présentaitdevant sa stalle,Navigatorvenait toujourspasser la têtepour recevoirunecaresse.Cettefois,ilétaitrestédanslecoinetreniflaitnerveusement.MaccontournaThadeousClarebornetouvritlagrille.Ilentradansleboxets’approchadel’animal.

Il lui passa doucement la main sous l’encolure, là où il avait heurté la barrière de la pisted’entraînement.—Ilauneclaviculeenflée.Nousferionsmieuxd’appelerlevétérinaire.MacpensaàEmmaetàl’effetqu’auraitcettenouvellesurelle.UneblessuredeNavigatorpourrait

avoirraisondesonmoraletaccroîtrelesdifficultésdeFirehillFarm.—Jevais…yaller,ditThadeousClareborn,quifittournersonfauteuilpourressortirdel’écurie.—Restetranquille,murmuraMacaupur-sangenluicaressantlechanfrein.

***

LeDrRemingtonsetenaitàcôtéd’EmmadevantlastalledeNavigator.—Troissemaines,unmoisaumaximum.Veillezàlefairebougertouslesjourspouréviterqu’ilse

raidisse.Maispasd’entraînementintensif,pasd’exercicesviolents.L’hématomeestimportant.Al’expressiond’Emma,Maccompritquechaqueparoleduvétérinaireluifaisaitmal.LaHoliday

Classic avait lieudans trois semaines et, sans entraînement, leniveaudeperformancedeNavigatordéclineraitinéluctablement.Seschancesdepouvoirs’alignerpourlederbys’amenuisaientd’autant.—Des cataplasmes à lamoutardepourraient-ils lui faire dubien ?demanda-t-il, se rappelant le

remèdequ’utilisaitsonpèreetqui,plusd’unefois,s’étaitrévéléefficace.Levétérinaireplissalefront,dubitatif.—C’estunvieuxremèdedebonnefemmedont jenesauraisgarantir l’efficacité,mais jenevois

aucuneraisondevousempêcherd’essayer.Aumoins,leregardpleind’espoirqueluiadressaEmmaétaitdéjàuneconsolation.

***

Macôtaunnouveaucarrédetissudelabouilloireetleposasurlaplanchequ’ilsutilisaientcommeplandetravail.Il étendit soigneusement dessus une couche de moutarde puis le replia en deux pour former un

cataplasme.

Emmaleluipritdesmainsensouriant,etallal’appliquersurl’épauledeNavigator.Ils’avançaverslastalleetlaregardafaire.—Çava,voustenezlecoup?—J’ailesépaulesenfeuetj’aiunecrampe,maispasquestiond’arrêter.Macétaitdeplusenplus impressionnéparson tempérament.Laplupartdesfemmesnormalement

constituées auraient été sur les rotules après avoir passé autant de temps auprès d’un cheval, àrenouvelerrégulièrementsescataplasmesetàlefairebouger.PasEmmaClareborn.Ellen’avaitriendel’enfantgâtéeetcapricieusequ’ils’étaitattenduàrencontrerenacceptantcettemissionàFirehillFarm.Elleavaitdelapersonnalitéetducourage;elleméritaitsonrespect.Ils’approchad’elle,luiposalamaindansledosetsentitàquelpointsesmusclesétaienttenduspar

larépétitiondesefforts.Illamassalentement.Ellesedétenditpeuàpeu.—Çavamieux?—Oui,merci,çafaitdubien,répondit-elle,encoresouslecharmedesoncontact.Il recula d’un pas et songea que, chaque fois qu’il l’effleurait, il n’était plus le même. Un peu

perturbé,ilquittalastallepourallerpréparerunautrecataplasme.—Après la pose de celui-ci, nous devrions le fairemarcher un peu pour voir si l’hématome a

diminuéets’ilestmoinsraide.—D’oùtenez-vousceremèdedesorcière,aufait?—Demonpère.Quandnepeutpassepermettred’appelerlevétérinairechaquefoisqu’unanimal

estblessé,ilfautsavoirimproviser.—Ilétaitdelavieilleécole,ondirait.—Ouais.Il lui tourna ledoset sortit unnouveau tissumouilléde labouilloire.Avecunpeudechance, le

traitementréussirait.Ilvoulaitentoutcasycroiredetoutessesforces.Une ombre s’étira sur le sol lorsque le shérifWilkes entra dans l’écurie en ôtant ses lunettes de

soleil.—Bonjour.—Bonjour,shérif,réponditMacenluitendantlamain.WilkesadressaunpetitsalutdelatêteàEmma.—Vousaviezraison.Leproduitdanslaseringuequevousavezdécouverteétaitlemêmequecelui

retrouvédanslesangdelapoulichedeMcCluskie.C’estunesubstancehallucinogène,cequiexpliquequelapoulichesoitdevenuefolle.Ilvaluifalloirunpetitmomentpours’enremettre,etelleestd’oresetdéjàforfaitpourlaHolidayClassic.Emmasortitdelastalleetposalecataplasmefroidqu’elleavaitàlamain.—C’est terrible ! Je saisqueChesterplaçaitdegrandsespoirsenelle.Elle faisaitde trèsbons

temps.—Qu’enest-ildesempreintes?— Le technicien n’a rien trouvé. J’aurais aimé vous apporter de meilleures nouvelles.

Malheureusement,àpartvous recommanderunenouvelle foisde restervigilants, jenepeux riende

pluspourlemoment.Apartirdecesoir,jevaisdemanderqu’unevoituredepatrouillefasseletourduranch deux fois par nuit. On ne sait jamais, peut-être mes hommes réussiront-ils à coincer leresponsable.—Merci,shérif.—Maisderien,répondit-ilavantderemettreseslunettesetdes’enaller.—Peut-êtredevrions-nouséquiper l’écuriededétecteursdemouvement,pourque tout s’illumine

brusquementcommeunsapindeNoëlencasd’intrusion.Emmahaussalessourcilspuissourit.—Pourquoipas?— Un à l’entrée et un autre au fond devraient faire l’affaire. Nous pourrions aussi installer un

systèmed’ouvertureélectroniquesurlagrilledelastalle.—Vousêtessérieux?—Biensûr.Illaregardadroitdanslesyeux,afinqu’ellecomprennebienqu’iljugeaitabsolumentnécessairede

prendretouteslesprécautions.—Pluslescourseshippiquesserapprochent,plusladéterminationdeceluiquichercheàéliminer

desconcurrentspotentielsvaserenforcer.—Vousmefaitespeur.—C’estmon intention. Il faut toutmettre enœuvre pour assurer votre sécurité et celle de votre

cheval,etnesurtoutpassous-estimervotreadversaire.Ilrepliaunnouveaucataplasmequ’Emmapritetallaappliquersurl’hématomeducheval.—Dèsdemain,j’appellerailemagasindematérielélectriquepourqu’onnouslivredesprojecteurs

ainsiqueleserrurierpourqu’ilvienneinstalleruneserrureélectronique,dit-elleens’asseyantsurunebottedepaille.Vouspouvezvouschargerd’installerlesprojecteurs,n’est-cepas?—Biensûr.Macs’assitluiaussietilsattendirentquelquesminutesensilence,chacunperdudanssespensées.

PuisMacserelevaetallavoirNavigator.—Lederniercataplasmearefroidi.Voyonssiçaamarché.Emma, qui s’était approchée de lui, sentit l’espoir renaître, car l’hématome semblait presque

entièrementrésorbé.Dansquelquesinstants,ilsseraientfixés.Macsaisitunlicouetleluitendit.—Non, faites-le vous-même, lui dit-elle.C’est grâce à vous que je peux encore croire quemes

rêvesnesontpasanéantis.Avecunvisagegrave,MacpassalelicouàNavigatoretlefitlentementsortirdesastalle.Emmasetenaitàl’entrée,lesoufflecourt.Elleobservalecomportementetladémarchedesonpur-

sang.Sonpasétaitrégulier;aucunedouleur,aucuneraideurnesemblaientl’affecter.Unimmensesoulagementl’envahit.—Ilvabien!Vousavezréussi!ElleseprécipitaversMacetlepritdanssesbras,sansréfléchir.

Toutaussispontanément, ilpassalesbrasautourdesatailleet lasoulevadusol,sanseffort.Sonbusteétaitvigoureux,chaudetferme.Lorsqu’illareposaausol,ilsseregardèrentunmoment,puisMacbaissalesyeuxsursabouche.Troublée,ellesepassalalanguesurleslèvres.Ilbaissadoucementlatêteets’arrêtaàquelquescentimètresdesabouche,tandisque,derrièreeux,

Navigatorhennissaitetsoufflaitdoucement,lesoreillesenarrière.Impulsivement,Emmasemitsurlapointedespiedsetluidonnaunpetitbaiser.Cebrefcontactluiprocuraunesensationtellementintensequ’ellerecula,abasourdie,necomprenant

rienàcequ’elleressentait.Macs’écartaetpartit,surpris,verslaportedel’écurieavecNavigator.Quediables’était-ilpassé?

Ou,plusexactement,pourquoiavait-illaissécelaarriver?PlusilpassaitdetempsàFirehill,plusilsesentaits’attacherauxlieuxetàleurpropriétaire.DelààembrasserEmma…mêmesienfaitc’étaitelle qui l’avait embrassé…Peu importe, c’était une erreur, se dit-il, conscient que son corpsdisaitexactementlecontraireetréclamaitdavantage.IlmenaNavigatoraupetitenclosdetrot,attachalelicouaupiquetcentral,laissalechevalévoluer

tout seul.Cherchant à reprendre le contrôle de lui-même, il alla se poster derrière la barrière pourl’observer.Commeils’yattendait,Emmanetardapasàvenirlerejoindre.—Ilal’airenpleineforme,Mac.Mercibeaucoup.—Derien.Ilnefaudrapasoublierdeluipasserdulinimentsurl’épauletouteslesdemi-heures,et

aussicesoiravantquelatempératurecommenceàchuter.Etil luifaudraunecouverture,aussi.Sonmuscledoitresterbienchaudetsouple.—D’accord.Allezdoncprendreunedoucheàl’annexe.Jeveilleraisurluipendantcetemps.—Est-ceunefaçondemefairecomprendrequejesensmauvais?Emma lui jeta un coup d’œil et s’aperçut qu’il souriaitmalicieusement. Elle eut envie de goûter

encoreunefoisàseslèvres,deseserrercontresontorsevigoureuxetpuissant.—Unpeu.En fait, l’odeur de lamoutarde vous colle auxvêtements.Comme c’est parti, je vais

avoircetteodeurdanslenezpendantunmois.—Oui,moiaussi.Ilseredressaetluifitface.Denouveau,ellesentituneboufféededésirl’envahir.—Nousl’avonsremissurpied,Emma.Ilvaréussir.—Oui,j’ensuissûre.Allez-y,dit-elleendésignantl’annexedelamain.Elleleregardas’éloignerdesadémarcheassuréeetsoupleetsoupira.—Respire,Emma,respire,murmura-t-elle.EllereportasonattentionsurNavigator,quicontinuaitàtournercalmement,etfitdesonmieuxpour

recouvrersonétatnormal.Sic’étaitpossible.

***

Ilétaitplusdeminuit,etMacétaittoujourséveillé,allongédanssonsacdecouchage,lesyeuxauplafond.Emmaavaitpréparéledîneretétaitvenuelepartageravecluidansl’écurie.Commeprévu,toutes

lestrenteminutes,ilss’étaientoccupésdeNavigator.Ilauraitdûrefuserqu’elleresteaveclui,aprèscettejournéeharassante,maisiln’avaitpaseulaforcedelarenvoyerchezelleetd’écourterletempspasséensacompagnie.Il était conscient qu’il était déjà très attaché à elle. Voilà vingt-cinq ans qu’il nourrissait une

animosité envers Thadeous Clareborn et le monde des éleveurs de chevaux de course en général,animositéquesonpèreluiavaittransmise.Enmoinsdevingt-quatreheures,elleavaitvoléenéclats.Pourtant,cetterancœuravaitguidéseschoixdevieetfaitdeluicequ’ilétaitetcequ’ildésirait.Alors qu’il était perdu dans ses pensées et que rien n’avait attiré son attention, il sentit la lame

froided’uncouteaucontresagorge.D’instinct,àlavitessedel’éclair,ilfrappadutranchantdelamainlepoignetdesonagresseurpour

écarterlalame.L’instantd’après,ilenvoyasonpoingenavant,atteignantsonadversaireaufront.L’hommebasculaenarrièreets’effondra.Macroulasurleventreetl’attrapaparleschevillesaumomentoùiltentaitdeserelever.Ilserrafortettiraenarrière.Denouveau,l’hommes’effondraenpoussantungrognement.Mac se redressa et voulut se saisir de son arme lorsqu’il entendit un bruit de pas derrière lui et

reconnutlegrésillementcaractéristiqued’untirdeTaser.Ilsentitunimpactauniveaududos,futimmédiatementparalyséetperditconnaissance.

4

Emmas’agitaitdanssonlit,àmoitiéendormie.Ellejetauncoupd’œilàsonréveil:3heures.Une bouffée d’air frais entra par sa fenêtre qui donnait sur l’écurie.C’était une habitude qu’elle

avait depuis son enfance : elle laissait sa fenêtre entrouverte pour entendre ce qui se passait dansl’écurie,entendreleschevaux.Toutàcoup,unlonghennissementrésonnaquiluifitouvrirgrandslesyeux,puisunautre.Complètementréveillée,ellesedressabrusquementsursonséant,l’oreilletendue.De nouveaux hennissements lui firent courir un frisson dans le dos. Ce n’était pas normal. Il se

passaitquelquechose.Elleselevad’unbondetattrapasarobedechambrequ’ellepassaàlahâte.Danslecouloir,elle

s’arrêta pour glisser ses pieds nus dans ses bottes en caoutchouc et allumer la lumière du porched’entrée.Alors qu’elle se dirigeait vers l’écurie, Navigator hennit de nouveau longuement. Elle se mit à

courir.Devantl’écurie,ellesaisitunepelleetentraenlabrandissantcommeunearme.D’unemainfébrile,

elleactionnal’interrupteur,prêteàsebattre.Navigatorpassalatêteàtraverslagrilledesonboxpoursemanifester.EmmaluijetaunrapideregardpuisposalesyeuxsurlelitrenversédeMac,aupieddelastalle,et

lesacdecouchageàcôté,surlesol.—Mac!Laissant tomber sa pelle, elle se précipita vers lui. Elle tomba à genoux, balaya de la main la

poussièreetlapaillesurlesacdecouchageetcherchalafermetureEclairpourl’ouvrir.Ellelatrouvaetladescenditprestement.

***

Del’air!Macinspiraunelonguegouléeparlenez,ouvritlesyeuxetcontemplaEmma,impuissant.Emmaluiôtalesparadrapquiluicouvraitlabouche.—Ques’est-ilpassé?demanda-t-elleens’attaquantaux liensqui luientravaient lespoignets, si

serrésquelesangnecirculaitplusdanssesmains.—Lecheval?Commentva-t-il?—Avotreavis,quim’aréveillée?Ellecontinuadedéfairesesliensetfinitparluilibérerlesmains.—JesaisqueNavigatorabeaucoupde talents,mais jemedoutequecen’estpas luiquivousa

ligoté.Ques’est-ilpassé?Macseredressa,sefrotta lesmainspourrétablir lacirculationets’occupa lui-mêmededétacher

seschevilles.—J’aiétéattaquéparuntypehabilléennoir.Ilavaituncomplicequim’aneutraliséavecunTaser.IldéfitlederniernœudpuisselevaetincitaEmmaàenfairedemême.—NousdevonsnousassurerqueNavigatorn’arien.Ilouvritlagrille,passalamainsurlechanfreinduchevaletexaminasesjambes.—Nouspouvonslefairemarcherunpeupourvérifierquetoutestnormal.—Oui,allons-y.J’aidûpasserunedemi-heureàsuffoquerdanscesacdecouchage.Mesagresseurs

onteutoutletempsnécessairepours’enprendreàNavigator.Ilétaitterriblementinquiet.Ildevaitbienadmettreque,malgrésonentraînement,iln’avaitpasété

detailleàs’opposeràdeuxhommesarmésd’unTaser.Quiplusest,sonauditiondiminuéeneluiavaitpaspermisdelesentendrearriver.Ilpritunlicou,entradanslastalleetlepassaàNavigator,qu’ilfitensuitesortir,marcherjusqu’au

centredel’écurieettourner,sousleregardd’Emma.—Ilal’airenpleineforme,Mac.Nousavonseudelachance.—S’ilsnel’ontpastouché,alorsquesontvenusfairecesdeuxtypes?demandaMac,agacédene

pascomprendrecequis’étaitpassé.Tenez-le,ajouta-t-il.Jevaisexaminerlebox.—Ilestvraiquec’estbizarrequ’ilsaientprissoindevousligoteretdes’enallersanss’enprendre

àlui.Mac était bien d’accord avec elle. Il passa le box en revue à la recherche dumoindre élément

suspect,sansriendécouvrir.—Toutestenordre.—Tantmieux.EmmafitentrerNavigatordanssastalleetdéfitlelicou.—Votredescriptiondecesdeuxhommes ressemblebeaucoupàcellequ’enavait faitemonamie

Janetlorsqu’elleavaitsurprisdesintrusàLoomisFarm.Ellelessoupçonnaitd’êtredesemployésdeDago.IlssortirentdelastalleetMacrefermalagrille.—Dagoa-t-ildesambitionspourlederby?— Il n’en a rien dit, mais il entraîne un étalon de trois ans, Dragon’s Soul, qui a de vraies

prédispositions.Ilfaitdebonstempsetilaremportésapremièrecourse.Macseditqueledangerquimenaçaitleranchprovenaitpeut-êtreduranchlui-même.Ildevaitagir

vite.—J’aiuncontactàLexington.Jevaisl’appeleretluidemanderdeserenseignersurVictorDago.—Bonneidée.Alorsvousétiezdanslapoliceavantdedevenirgardeducorps?—Jefaisaispartiedesservicessecrets.J’avaispourmissiondeprotégerdesdignitairesétrangers

envisiteauxEtats-Unis.Emmalecontemplaquelquesinstants,lesyeuxplissés.

—C’estcommeçaquevousavezétéblessé?Illuiretournasonregardetcompritqu’ellesouhaitaitqu’illuiracontecequiluiétaitarrivé,enlui

donnantdesdétails,cequ’iln’étaitpasprêtàfaire.— Oui, répondit-il simplement avant de s’éloigner pour ramasser son sac de couchage, qu’il

époussetaetreposasursonlit.Ilfautquejedormeunpeu,ajouta-t-il.—Bien,danscecas,jevouslaisse.Macserenditalorscomptequ’elleportaitdesbottesencaoutchoucavecunerobedechambre.Cette

visionluiarrachaunpetitsourire.Puisils’attarda,subjugué,surseslongscheveuxnoirsetbrillantsquidescendaientjusqu’àsataille.—Merciencoredem’avoirlibérédecesacdecouchage.Unpetitsouriresedessinasurseslèvrespulpeuses.—J’aientenduNavigatorm’appeler,c’esttout.C’estluiquevousdevezremercier.Aplustard.—Bonnenuit.Il la suivit lorsqu’elle sortit de l’écurie et s’appuya contre lemontant de la porte pour attendre

qu’ellesoitrentréedanslamaison,oùelleétaitensécurité.Lorsquelalumièreduporches’éteignit,ilfitdemi-touretregardaautourdelui.L’écurieétaitfacile

d’accès.Sesagresseursn’avaienteuaucunmalàs’yintroduireentoutediscrétion.Ildevraitfaireensorte d’en limiter les entrées et peut-être envisager d’installer son couchage dans le fenil, quisurplombaitlastalledeNavigator.On ne pouvait y accéder qu’avec une échelle ou par une lourde porte de chargement, difficile à

bouger.C’étaitleposted’observationidéal.Ilavançalentement,àlarecherched’empreintesquiauraientrévélécequ’avaientpufairelesdeux

intrus. Dans la paille, c’était presque mission impossible. Pourtant, il remarqua des traces quisemblaientindiquerqu’ilss’étaientrendusdanslefonddel’écurieetétaientsortisparlaportearrière.Lesdeuxhommesavaientcherchéàleneutraliser,pasàletuer,apparemmentpourgagnerdutemps.

Maisdutempspourquoifaire?Il examina chaque stalle jusqu’à la porte arrière puis son regard se posa sur l’échelle du second

fenil.Ilremarquadesrésidusdesciuresurlescinqpremierséchelons.Biensûr,Emmaavaitpuymonterpourallerchercheruneballedeluzerne,mais,encemoment,on

utilisait les réserves dupremier fenil, à l’avant, pour nourrirNavigator.Emmaavait cependant trèsbienpuutiliserl’échelle.Illuiposeraitlaquestiondemain.Ilfermalaportearrièreetinstallalabarrederenfort.Pourlemoment,lepur-sangétaitsainetsauf,c’étaitleplusimportant.

***

EmmaregardaitMacfinirdefixerledernierdesdétecteursdemouvementqu’ilsvenaientd’installerà l’avantetà l’arrièrede l’écurie.Siunchaterrantvenait rôderenquêtedesouris,cela suffirait àilluminerl’ensembledel’écurie.Elle poussa un soupir de soulagement tandis qu’il descendait de l’échelle. Elle était vraiment

heureusede l’avoir àFirehill ; elle appréciait ses capacités à atténuer ses soucis.Avec lui, elle sesentaitplussereine.—LeserrurierviendrademainposerunverrouélectroniquesurlastalledeNavigator.—Parfait.Illuitenditletournevisqu’iltenaitet,unbrefinstant,leursdoigtss’effleurèrent.Troublée,elleretiravivementsamain.—Lanuitdernière,aprèsvotredépart,j’aipassél’écurieenrevueetj’airemarquéqu’ilyavaitde

lasciuresurlesbarreauxdel’échelledufenilarrière.Yêtes-vousmontée?—Non.Pasdepuislalivraisondeluzerne,enoctobre.Jenecomptaisd’ailleurspaspuiserdansces

réservesavantjanvier.—Jemedemandesilesdeuxtypesquim’ontattaquénesesontpascachéslà-haut.Acetteidée,Emmafrissonna.Firehillregorgeaitdecoinsoùl’onpouvaitsecacher.S’ilsdevaient

lespassertousenrevue,ilsn’étaientpasprèsd’avoirfini.Toutcelan’avaitrienderassurant.— N’ayez crainte, à partir d’aujourd’hui, je veillerai à ce que la porte arrière soit fermée en

permanence.Illuiadressaunpetitsourireconfiantquilarassuraunpeu.—D’autrestâchesàaccomplir?demanda-t-il.Emmaauraitvouluprendreunairmalicieuxetfaireminederéfléchiràlaquestion,maisellen’avait

jamaissusecomporterautrementqu’avecfranchiseethonnêteté.—Ehbien,àdirevrai,jecroisqu’ilesttempsd’installerlesguirlandeslumineusessurlamaisonen

prévisiondeNoël.Sivouspouviezm’aider,çamerendraitungrandservice.LesouriredeMacs’effaçaetsestraitssedurcirent.—Çanefaitpaspartiedemesattributions.—Avez-vousunedentcontreNoël?Ildétournauninstantlesyeuxpuislaregardadenouveau.—Disonsquejen’aipasquedebonssouvenirsliésàcettepériodedel’année.—Jesuisdésolée,dit-elle,àlafoisennuyéeetcurieusedesavoircequipouvaitbienlemettredans

cetétat.Danscecas,faisonscommesinousajoutionsdeslampesdesécuritésupplémentaires.Celles-ciserontpluscolorées,voilàtout.LesouriredeMacréapparut.—Vousn’aimezvraimentpasmonterauxéchelles,ondirait.—Non,c’estvrai.Allez,venez, j’ai laissé lesguirlandesdevant lamaisonet il faut lesdémêler

avantdelesinstaller.Elle tourna les talons et partit vers lamaison tandis qu’elle entendait derrière elleMac prendre

l’échelleetlasuivre.—Sitoutvabien,ceserafaitavantlatombéedelanuit.Cen’étaitpasparcequ’elleadoraitNoëletlesheureuxsouvenirsquiyétaientliésqu’ildevaiten

êtredemêmepour tout lemonde.Pourtant,elleauraitvraimentvoulusavoirpourquoiMacn’aimaitpascettefête.

MacsuivaitEmma,l’échellesurl’épaule.IlserappelaitclairementcetteveilledeNoëloùilétaitvenu à Firehill Farm avec son père pour livrer Smooth Sailing, leur étalon fétiche. Le bâtimentd’habitationétaitdéjàparédeguirlandeslumineuses.C’estàpartirdecejour-làquesavieavaitprisuntoursinistreetquesonpèreavaitsombrédansla

dépressionetl’alcoolisme.Lesdentsserrées,ilfitdesonmieuxpourrepoussercesouveniréprouvantetcalal’échellecontrele

murdelamaison.Emmacommençaàdémêleruneguirlandeetl’enroulaautourdesonbras.—Les crochets pour les fixer ainsi que les prolongateurs sont toujours en place, dit-elle en lui

tendantlaprise.Ilsavaientdécorélamoitiédelafaçade,lorsqueMaccommençaàsedétendreetàseprendreau

jeu.Nonseulementilavaittoujoursaiméfairedel’exercice,maisaccomplircettetâcheencompagnied’Emma, qui lui souriait avec chaleur chaque fois qu’il terminait une installation, lui procurait unplaisirindéniable.Elledémêlaunenouvelleguirlandeetluitenditlaprise.Lapriseenmain,ilremontasurl’échelle.Une ampoule éclata non loin de lui.Dans la seconde qui suivit, une autre explosa, projetant des

éclatsdeverre,etunimpactdeballeapparutsurlemur.L’instantd’après, ilyeutunnouveauclaquementet lemursemarqua toutprèsde l’endroitoùse

tenaitEmma.—Baissez-vous!Macsautadel’échelle,attrapaEmmaparlamainetlatiraàl’abriderrièrelui.Il la plaqua au sol, lui faisant un rempart de son corps, et regarda endirectiondes arbres, àune

cinquantainedemètresdelamaison.Parmilesbranches,ilrepéralasilhouetted’unhomme.Ildégainasonarme.—Avez-vousvotreportablesurvous?—Non.Lesienétaitrestédanslasellerie.Unnouveautirretentitetuneballesifflaau-dessusd’eux.Ilsétaientprisaupiège,dansl’impossibilitédebougersansrisquerd’êtretouchés.Toutétaitallétrèsvite.Emmaavaitencoredumalàcomprendrecequisepassait,alorsqu’ellese

trouvaitcouchéeparterre,lecorpsdeMaccontrelesien,telunbouclier.Quelqu’unleurtiraitdessus?Quelqu’unvoulaitlestuer?Lapeurs’emparad’elle.Ellefermales

yeuxets’accrochaàlasensationdusouffledeMacsursescheveuxpournepascéderàlapanique.Macétaitlà,illaprotégeait.— Je vais riposter pour créer une diversion, dit-il.Quand je le ferai, je veux que vous rampiez

jusqu’àlaportearrière,enprenantsoindenesurtoutpasleverlatête.Unefoisàl’intérieur,appelezle911.—D’accord.Ilseredressalégèrementpourlalaissersedégager.Elleglissasurlecôtépuiscommençaàramper

lorsqueMacsemitàtirer.Unefoisqu’elleeuttournéaucoindelamaison,ellesemitàquatrepattesetfilajusqu’àlaporte.Arrivéedanslecouloir,ellesereleva,courutverslesalonsurleseuilduquelellefaillitentreren

collisionavecsonpèredanssonfauteuil.—J’aiappelé…leshérif,luidit-il.Quiestdehors?—Jenesaispasquinousatirédessus,maisMacesttoujoursendanger.Inquiète,elleprêtal’oreillepourentendrecequisepassaitàl’extérieur.Lestirsavaientcesséetlesilencerégnait.Ellen’osaitpasimaginercequecelapouvaitsignifier.Soitletireuravaitététouché,soitMac…Elles’approchadelafenêtre,enprenantsoindenepassemontrer,etrisquaunregardàl’extérieur.La nuit commençait à tomber, mais elle aperçut Mac qui courait pour se réfugier à l’abri d’un

châtaignier.Dieumerci,iln’étaitpasblessé.Dumoinspaspourlemoment.Elles’écartaavecprécautiondela

fenêtreensedemandantcombiendetempsilfaudraitaushérifpourarriver.LacicatricequeMacportaitauvisageétaitcertainementdueàuneblessureparballe.Ilavaitdit

avoir travaillé au sein des services secrets. Sans doute s’était-il sacrifié pour la personne qu’ilprotégeaitetavait-il reçuuneballeàsaplace.Toutcomme ilavaitétéprêtàsesacrifierpourellequelquesinstantsplustôt.Elle déglutit et ferma les yeux, cherchant à imaginer ce qu’il avait dû endurer, mais c’était

impossible.Auloin,elleentenditunesirène.Ellerouvritlesyeux,jetaunnouveaucoupd’œildehors,etaperçut

l’éclatbleud’ungyropharedepolice.—Emma!l’appelasonpère.—Oui?Elles’approchadelui.Ilavaitlevisagegraveetserraitunpapierdanssamain.—DonneçaàWilkes…C’estaussipourça…quejedevaisl’appeler.Ellepritlepapieretlutletexteécritàl’aidedelettresdécoupéesdansunjournal.«Nefaitespascourirvotrecheval,sinon,laprochainefois,jenelerateraipas.»—D’oùcelavient-il,papa?—C’estarrivéaucourrier…cetaprès-midi.Samanthame l’aapporté…justeavantdepartir. Je

venaisdel’ouvrir…quandj’aientendulescoupsdefeu…C’estunemenace…contreNavigator.Ilfaisaitdegroseffortspourparler,leregardpleind’effroi.Elleluipassaunbrasautourdesépaules.—Net’inquiètepas.Macetmoi,nousveilleronsàcequ’ilneluiarriverien.Sesparolessemblèrentl’apaiserunpeu.Elleserenditdanslacuisine,ypritunsacdecongélation

etyglissalalettredemenaceavantderetournerdanslesalon.—Oùestl’enveloppequicontenaitcemot?—Surlebuffet.Iln’yapas…d’adressed’expéditeur.

Ellesedirigeaverslemeuble,repéral’enveloppeblancheàcôtédelapiledecourrieretlaglissadanslesacplastique.—Jevaisdonnerçaaushérif.Sonpèreacquiesça.Elletraversalecouloir,allumalalumièreduporcheetentrebâillalaportepour

s’assurerqu’ellepouvaitsortirsansrisques.LeshérifWilkesetMacsetenaientàquelquesmètresduporche,enpleineconversation.Macsetournaverselle.—Emma!Votrepèreetvous,çava?—Oui, ça va, répondit-elle avant de s’adresser àWilkes. J’ai ici un mot que nous avons reçu

aujourd’hui.C’estmonpèrequil’aouvert.Leshérifpritlesacetlelevaàlalumièrepourenexaminerlecontenu.—C’estleseconddelajournée.BradNelson,deCramerStables,enareçuuncematin.—Ilcompteengagerunchevalpourlederby?s’enquitMac.—Oui.Ilal’intentiond’alignerWhiskeyFever,sonmeilleurélément.—A-t-il luiaussiessuyédescoupsdefeu?continuaMac,quisavaitqu’ils’enétaitfalludepeu

qu’Emmaouluinesoienttouchés.—Non.Maisavecunpeudechance,vousavezeffrayéletireuretiln’oserapasallers’enprendre

àNelson.Avez-vousunsignalementàmedonner?—Non.Letireuradétalédèsquej’aipuriposterdemanièreplusprécise.MaisBradNelsonserait

néanmoinsbieninspirédeprendredesmesurespourprotégersoncheval.Celuiquiestàl’originedecesattaquesneplaisantepas.Tôtoutard,ilvayavoirunblesséoupireencore.—Jepartagevotrepointdevue,répliqualeshérif.Enplus,c’estl’escalade.Plusieurspropriétaires

de la région se sont groupés pour proposer une récompense à qui permettra la capture de celui quimenaceleurschevaux.—Vraiment?—Oui.Laprimes’élèvedéjààvingt-cinqmilledollars,etcen’estpasfini.Jevaisallerrédiger

monrapportetdonnercette lettreauxspécialistesde labalistiquequisonten trainderécupérer lesdouilles. Ils emmèneront le tout au labo. Je passerai demain matin pour vous tenir au courant desrésultats.—Merci,shérif.Ilfautquej’aillevoirnotrepur-sang.Macpartitendirectiondel’écuriepours’assurerqueNavigatorallaitbien.Lesévénementsdela

soiréeavaientpermisd’établirqu’iln’étaitpasleseulchevalvisé.Maisquellienpouvait-ilyavoirentrecesattaquesetlesagissementsdesdeuxintrusdelaveille?Ilentenditdespasderrièreluietralentit.Emmalerejoignit.—Hé!Oùallez-vous?Cenesontpascestirsquivontnousempêcherdeterminerl’installationdes

guirlandes,toutdemême!—Certainementpas!dit-ilens’arrêtantpourlaregarder.Jeveuxjustem’assurerqueNavigatorva

bienetpasseraunenuitcalme.Ensuite,jereviendraivousaider.—D’accord.

Mac reprit sa marche, Emma à côté de lui. Devant la porte de l’écurie secondaire, il distinguaplusieurshommesrassemblés,entraindediscuter.—Arrive-t-ilàDagoetàseshommesdefairetravaillerleurschevaux?—Oui.Unjoursurdeux,ilsoccupentlapisted’entraînementlematin,etmoil’après-midi.Ilpritnotedecetteinformation.Ilsentrèrentdansl’écuriequi,immédiatement,s’illumina.MacapprochadelastalleetNavigator,commeàsonhabitude,passalatêtepoursefairecaresser.—Ilvousaimebien,voussavez.Mactapotaaffectueusementlatêteduchevaletjetauncoupd’œilàEmma,quil’observait.—C’estuncheval,Emma.Ilapprécietousceuxquis’occupentdeluietluidonnentàmanger.C’est

unerelationsommetouteassezbasique.Navigatorsecoualatêteetrenifla,commepourcontestersespropos.Emmaéclataderire.—Navigatoradoreleschallenges.Mêmeceluiquiconsisteàvousprouverqu’iladessentimentset

quevousnedevezpasleconsidérercommepurementintéresséàvotreégard!Ilyeutunsilencedurantlequelelleleregardaattentivement.—Cesoir,reprit-elleenfin,j’aicompriscommentvousavezécopédevotrecicatrice.Macluiretournasonregardsansrépondre.Elleavaitreprissonsérieux,etilredoutaitladirection

queprenaitlaconversation.Emmas’approchadeluietcontemplalalonguebalafrequis’étendaitdesamâchoireàsonoreille

gauche.Ilnereculapas,n’esquissapasungeste,secontentantdesoutenirsonregard.—Vousavezsauvélavieàquelqu’unetfailliperdrelavôtredumêmecoup,n’est-cepas?—Oui.Elletenditlebrasetposalamainsursonmenton,lecœurbattant,puislaretiratrèsvite.—Quandest-cearrivé?—Ilyasixmois.—Voustravailliezencorepourlesservicessecrets?—Oui.—Pouvez-vousmeracontercequis’estpassé?—Non.—Ah!D’accord…Elleavaituntasdequestionsentête.Quiluiavaittirédessus?Pourquoi?Quiprotégeait-il?Mais

le tondéfinitifavec lequel ilavait répondudisaitclairementqu’ilétait inutiled’insister.C’étaitsonsecret;ellen’yavaitpasaccès.Elledevait se contenterde savoir qu’il ferait tout pour lesprotéger, son cheval et elle,mêmeau

périldesavie.

5

—MacTitus estunex-agent secret. Il aquitté le servicepour raisonsmédicales après avoir étégrièvement blessé par balle il y a six mois lors d’une mission à Louisville, où il protégeait undignitaireétranger.L’agentRennDonahuese laissa retomberau fonddeson fauteuil, songeantàcequevenaitde lui

apprendrel’agentConner.—Maisalors,quefait-ilàFirehillFarm?—Disonsqu’ilchercheàseremettredanslecircuit.IlaétérecommandéparSolberg,uneagence

desécuritéprivéedeLouisville.Leur spécialité, c’estde recruter temporairementdesmembresdesservicessecretsconvalescentssuiteàunaccidentprofessionnel.Ilsleurconfientquelquesmissions,letempsquecesagentsrécupèrentetpuissentréintégrerlesservicessecrets.Selontouteprobabilité,ilaétéenvoyéàFirehillpourprotégerunchevaldecompétition.—Dites-m’enplussursonétatmédical.—Enfait,ilaeuuntympanendommagéetestpresquesourddel’oreillegauche.Laballel’aatteint

justeendessousdel’oreille,luiatraversélamâchoireetestressortieauniveaudumenton.Ilasauvélavieàl’hommedontilavaitlachargeenleprotégeantdesoncorpsdèsquelafusilladeaéclaté.Ilaététouchéàboutportant.DonahuenotacesinformationssouslaphotodeMacqu’ilavaitobtenueparlebiaisdelabasede

données des services secrets. Sur ce cliché, les cheveux courts et rasé de près, il était très loin del’hommeàlabarbedetroisjoursetauxcheveuxlongsquefilmaitlacaméradesurveillanceinstalléedans l’écurie de Firehill. Apparemment, il était en pleine crise d’identité, ce qui arrivait assezfréquemmentlorsqu’onétaitpassésiprèsdelamort.—Ya-t-ilunechancequ’ilretrouvesonposteauseindesservicessecrets?—Jenesaispas,jenesuispasmédecin.Maisunagentdoitêtreenpossessiondecentpourcentde

sescapacitéssensorielles.Or,luinerecouvrerajamaistotalementsonaudition.—Lesstatistiquessemblentdoncjouercontrelui.Autrechose,agentConner?—Non, je n’ai pas eu accès à plus d’informations.Les détails de l’agression à l’origine de ses

problèmessontcryptés.Etrange.Donahueeutlacertitudequecen’étaitpasunhasard.—Cesoir,jeprendrailederniertourdegardedanslecamion.Profitez-enpourpasserunpeude

tempsavecvotreépouse.—Merci,monsieur,réponditConnerquiluiadressaunpetitsourireavantdequitterlebureau.Donahuereportasonattentionsurlesdocumentsdevantlui,àlarecherchedunomdel’hommeque

Macavaitprotégé.L’émirAhmedAbadar…Il tiqua.LaNSAenquêtaitdepuisdesmoissursoncompte,etc’était indirectementàcausede lui

qu’ilssurveillaientFirehillFarm.

La présence de Mac Titus au ranch était-elle une coïncidence ? un simple concours decirconstances?Ouautrechose?

***

Macs’appuyaà labarrièreetobserva lesabordsde lapisted’entraînement,prêtantuneattentionparticulièreauxbois justederrière levirage,avantdeposer leregardsurEmma,quifaisaitgaloperNavigator.Cela ne lui plaisait pas de la voir lemonter elle-même. Plus tôt ils trouveraient un jockey pour

remplacerJosh,mieuxceserait.Enattendant,Emmaétaitdéterminéeàentraînersonchevalmalgréledanger.Ilinspiraunegrandegouléed’airfroidpoursedétendre.Iltenaitvraimentauchevalquigalopaitsur

lapiste…etplusencoreàsacavalière.Navigatorévoluaitavecaisance,sessabotsmartelantlesolavecrégularité.Macseconcentrasurl’assietted’Emmaetneputretenirunpetitsifflementd’admiration.C’étaitune

sacréecavalière!En voyantVictorDago venir vers lui, il lui adressa un petit signe de tête en guise de salut puis

reportasonattentionsurEmma.—Ilestrapide!remarquaDago.Jesuissûrqu’ilvagagnerlaclassique.—Ouais.Sitoutefois,d’icilà,nousréussissonsàlemaintenirenétatdes’aligneraudépart.MacavaitobservéDagoafindejaugersaréaction;iln’avaitpascillé.—Ques’est-ilpassé,hiersoir?Meschevauxétaienttrèsagités.—Onnousatirédessus.SurMlleClarebornetmoi.Cettefois,Dagomanifestasasurprise.—J’aientendudesrumeursquifontétatdechevauxquiseraienttombésmaladesetd’éleveursqui

auraientreçudeslettresdemenace.—D’oùtenez-vouscela?—Une fois par semaine, je passe acheter le petit déjeuner demon personnel au coffee shop de

KeenelandPark.Lesemployésdesranchesquis’yretrouventdiscutententreeux.Etmoi,j’écoute.—Ont-ilscitédesnoms?—Non.MacregardaEmmaetNavigatorpasseràsahauteurpuissetournapourfairefaceàVictorDago.— Si jamais vous entendez un nom, j’aimerais bien que vous m’en fassiez part. Il se passe

d’étrangesévénementsdans les ranchesquientraînentdeschevauxsusceptiblesde s’alignerpour lederby.Detouteévidence,quelqu’unchercheàfairelevideparmisesconcurrentsafind’augmenterseschancesdevictoire.Vous-même,avez-vousdesambitionspourlederby?Dagofronçauninstantlessourcils.

—J’aiunchevalcompétitif,Dragon’sSoul,maisjenesuispasencorecertainqu’ilseraprêtcetteannée.—Faitesattentionàvotrecheval.Etparlezàvoshommesdecequisepasse.LeshérifWilkesmène

l’enquête;undecesjours,ilpourraitavoirbesoindelesinterroger.—Pasdeproblème,réponditDagoenseredressant.DitesàMlleClarebornque,siellesouhaite

avoirrecoursauxservicesdeRodriguez,monjockeyd’entraînement,lorsdesesjoursderepos,ellen’aqu’àmeledemander.—Merci,jen’ymanqueraipas.Mac le regarda s’éloigner, sans trop savoir que penser de lui. S’il était derrière ces attaques, il

n’avaitlaisséparaîtreaucuntroubleàl’évocationd’uneenquête.Pendantqu’EmmafaisaitralentirNavigatorpourundernier tourdepisteaupetit trot, ilsortitson

portableetcomposalenumérodesoncontactaubureauduFBIàLexington.Tous les entraîneurs duKentucky devaient disposer d’une licence délivrée par la commission de

supervisiondescourseshippiques.Pour l’obtenir, il fallaitsesoumettreàuneenquêtederoutineduFBI,etilétaitcurieuxdesavoircequecontenaitledossierdeVictorDago.IlrangeaitsontéléphonelorsqueEmmaarrivaenvueduderniervirage.Malgré la séance poussée qu’il venait de subir,Navigator transpirait à peine et était encore très

alerte.Ilétaitdansuneconditionphysiqueexceptionnelle.Prêtàcourir,prêtàgagner.La Holiday Classic devait avoir lieu dans deux semaines et demie, ce qui, compte tenu des

circonstances,semblaittrèsloin.Emmaramenaitsonchevalverslaligned’arrivéelorsqu’ellevituneformebougerdanslesbuissons

àsadroite.Navigatorperçutégalementdumouvementetfitunécart.Soudain,plusieurscolombess’envolèrentdesbuissonsetpassèrentjusteau-dessusdesatête.Navigatorencensaetpartitaugalop.Elleserralesjambesautourdesamontureettintfermementlesrênes.—Doucement,doucement…Cenesontquedesoiseaux.Quandilralentitlerythme,elletenditlebrasetluitapotaaffectueusementl’encolurepourl’apaiser

puisleramenaverslabarrièred’accèsàlapiste.Maclesrejoignit,inquiet.—Ques’est-ilpassé?—Descolombessesontenvoléesetluiontfaitpeur.—Vousavezjolimentrétablilasituation,maisilauraitpuvousfairetomber.Vousauriezpuvous

blesser!—Jesais.Macpritlesguidesetlesemmenajusqu’àl’enclos,oùEmmamitpiedàterre.—Ilal’airenpleineforme,remarqua-t-il.—Ilestprêtàcourir.J’auraisfacilementpuluifairefairequelquestoursdeplusàpleingalop.—C’étaitdéjàbien.C’estenpréservantlaconditionphysiqued’unchevalqu’onlefaitgagnerle

jourvenu.

Toutendiscutant,MacpassalelicouauchevaletlefixaaupiquetcentralpourqueNavigatorpuissetournertranquillementpoursedétendreaprèscetteséance.Emmas’occupadedessellerlepur-sanget,satisfaitedutravailaccompli,sedirigeaversl’écurie

avecl’équipement.Quelquesinstantsplustard,Maclarejoignitdanslasellerieetsemitàastiquerlaselleetlesrênes

avecunchiffonimprégnédecire.—Oùavez-vousapprisàmonter?luidemanda-t-il.—Jemontedepuisma toutepetite enfance.Dèsque j’ai eu l’âge,monpèrem’a installée surun

cheval.— Victor Dago vous propose d’utiliser les services de son jockey d’entraînement, si vous le

souhaitez.Emmaluijetauncoupd’œilensongeantqu’ellesesentaitbienquandelleétaitaveclui,àtravailler

etàdiscuter.—Jen’ytienspas.Rodriguezsesertbeaucoupdesacravachepourmenersamonture,etNavigator

n’aime pas ça du tout. J’ai appelé SamMcCall, l’entraîneur du ranch de Rambling Farm, pour luidemanders’ilsauraientunhommedisponible,étantdonnéqu’encemomentOpheliaMine,leurchevalfavori,estaureposforcé.Ilm’aréponduqu’ilenverraitGradyStevens,undeleursjockeys,jeudi.J’aientendubeaucoupdebiende lui. Jesonged’ailleursà luidemanderdemonterNavigator lorsde laHolidayClassic.Macfinitdenettoyerlaselleetlareposasursonsupport.—Voilàunebonnenouvelle,car,aprèscequis’estpassécesderniers jours, jecrainspourvotre

sécurité.Ellerencontrasonregardd’unbleuprofondetsesentitrougir.Poursedonnerunecontenance,elle

ramassaleseauànourriture.— J’ai confiance en Navigator, dit-elle en remplissant le seau. C’est un bon cheval, avec un

caractèreexceptionnel.Iln’apasuneoncedeméchanceté.Jamaisilnemeferaitdemal.— Ce n’est pas lui qui m’inquiète, mais plutôt ceux qui semblent déterminés à l’empêcher de

prendreledépartdesprochainescourses.Faires’envolerdesoiseauxpourl’effrayer,c’estfacile.Sivousn’aviezpasréagiavecautantd’autorité,celaauraitpumalfinir.Ilvoyaitjuste,Emmaenavaitconscience.Boncaractèreoupas,Navigatorrestaitunanimalpuissant

qui,sanslevouloir,pouvaitfairebeaucoupdemalàsoncavaliers’ilétaitprisdepanique.—Vousavez raison. J’ai tendanceà lui attribuerdesqualitéshumaines, alorsquecen’estqu’un

cheval.EllepritleseauquicontenaitlarationmatinaledeNavigator.—Attendez!dittoutàcoupMac.Laissez-moiexaminerça…Iltenditlebraspourluiprendreleseaudesmains.Ellelelaissafaire,sanscomprendre.Macpassalesdoigtsdanslesalimentsetserralesdentsdecolère.Ilpritunepoignéedumélangeet

levalamain,paumeouverte,devantlesyeuxd’Emma.— Vous voyez ces petits cristaux transparents ? lui demanda-t-il en en plaçant quelques-uns en

évidenceauboutdesonindex.

—Oui.—C’estdelabutazolidine.Leregardd’Emma,fixésursamain,s’agranditd’effroi.—Delabutazolidine?—Oui.Depuisquandnourrissez-vousvotrechevalaveccemélange?—Onmel’alivrélaveilledevotrearrivée.Celafaitdoncprèsd’unesemainequejeluiendonne.

Savez-vouscequeçasignifie?Macsentitsoncœurseserrer.Impuissant,ilvitlesyeuxd’Emmaseremplirdelarmes.Sonrêvede

qualifierNavigatorpourlederbys’évanouissait,etilnepouvaitrienyfaire.Illaissatombercequ’ilavaitdanslamainetouvritlesbras.Elleavançad’unpasetsepelotonnacontrelui.Illaserraforttandisqu’elleéclataitensanglots.Mac ferma lesyeuxet retourna leproblèmedans sa tête, luttantpar lamêmeoccasioncontre les

sensations que lui procurait le contact d’Emma. La butazolidine était un produit considéré commedopantetdoncinterditdanslemilieudescourseshippiques.Toutchevaldontuncontrôlerévélaitlaprésencedecettesubstancedanssonorganismeunjourdecourseétaitautomatiquementdisqualifié,etpouvaitmêmeêtreinterditdecompétitionsurleterritoire.Lorsquesessanglotss’apaisèrent,illarepoussadoucement.—Appelez le vétérinaire pourqu’il vienneprocéder à des analyses.Nousne savonspasdepuis

quandcettesaletéaétémélangéeauxaliments.Ilresteunechancequenousl’ayonsdécouvertàtempsetque,d’icilejourdelaclassique,Navigatorpuisseéliminercedopantdesonorganisme.Emma se frotta les yeux et sécha ses larmes. Mac avait raison : elle ne devait pas céder au

découragement.—D’accord. J’y vais tout de suite. Nous devrions aussi prévenir le shérifWilkes, car d’autres

ranchespourraientêtrevisésparcettenouvelletentative.—Jel’appelle,ditMacensortantsonportabledesapoche.Emmatournalestalonsetcourutverslamaison.

***

MacetEmmaregardaientleDrRemingtonextrairedepetitscristauxduseauetlesmélangeràunliquideclairdansuntubeàessais.Illebouchadupouce,l’agitapuislelevaàlalumière.Auboutdequelquessecondes,leliquidedevintjaune.—Pasdedoute,c’estbiendelabutazolidine.Voulez-vousquejeprocèdeàuntestsurvotrecheval,

Emma?—Est-ilpossiblededéterminerlaquantitédeproduitingéréegrâceàunéchantillonsanguin?—Oui,toutcommeilserapossiblededéterminercombiendetempsilluifaudrapourl’éliminer.—Silerésultatdesanalysesestpositif,pourrions-nousaccélérerleprocessusd’éliminationenlui

donnant des purées diurétiques, du thé vert et de l’herbe sauvage ? demandaMac, qui espérait seremémorertouslesingrédientsdelamixturequ’ilavaitautrefoisvuconcocter.—Que comptez-vousmettre dans les purées ? s’enquit leDrRemington qui observaitMac par-

dessusseslunettes.—De l’avoine, du chou, des carottes, de la laitue, des asperges et un peu demélasse. Et nous

pourrionsajouterduthévertàsesrationsd’eau.—Ehbien,encoreunefois,iln’yaaucuneraisonqueçanemarchepas.Cemélangeluiactiverales

reinset,eneffet,ilélimineraplusvite.Enoutre,faites-luifairebeaucoupd’exercice.Maisd’oùdiabletenez-vouscetterecette?Mac se crispa. La discussion basculait vers un terrain mouvant où il n’avait guère envie de

s’aventurer.—Oh!jemerappelleenavoirentenduparlerquandj’étaisgamin!LeDrRemingtonhochalatêteetramassasamallette.—Amenezlechevaljusqu’àmonvéhicule,jevaisluifaireuneprisedesang.Ilsedirigeaverssacamionnette,etMacluiemboîtalepas.—Enfait,reprit levétérinaire, jen’aijamaisconnuqu’unseulhommequimettaitenpratiqueles

techniquesquevousavezmentionnées.C’étaitPaulCalliway,unentraîneurdechevaux, si jenemetrompepas.C’étaitundesmeilleursprofessionnelsde la région.Jenesaispascequ’ilestdevenu,mais toujours est-il qu’il avait recours à des remèdes de bonne femme. Et le mieux, c’est que çamarchait.Deplusenplusmalàl’aise,Macsecontentad’opinerduchef,etvérifiasiEmmaavaitpuentendre

lesproposduvétérinaire.Heureusement,elleétaittroploinpourcela.Celafaisaitdesannéesqu’iln’avaitplusentenduprononcerlenomdesonpère.Unnomqu’ilavait

abandonnésansregretpourprendreceluidesonbeau-pèrelorsquesamères’étaitremariée.—Nousvoustiendronsaucourantdel’évolutiondesonétat.Emmaespèrelevoirprendreledépart

delaHolidayClassic.Quelleschancesa-t-ild’êtreprêtàtemps?—Difficileàdire…Maisjepenseque,d’icilà,ilpeutêtrepropre.Pendant qu’ils attendaient Emma, la voiture du shérifWilkes vint se garer à côté du pick-up du

vétérinaire.—Bonjour,messieurs,lessaluaWilkes.J’aivraimenthâtequenouscoincionsceuxquisèmentla

paniquedanslesecteur.Vossoupçonsont-ilétéconfirmés?Macserralamaindushérif.— Oui. Quelqu’un a bien mis de la butazolidine dans la nourriture de Navigator. Nous allons

essayerdelaluifaireélimineravantlejourdelaclassique.— Je souhaite sincèrement que vous réussissiez, ne serait-ce que pourEmma.Demon côté, j’ai

envoyémes hommes faire le tour de tous les ranches pour avertir les propriétaires qu’ils ont toutintérêtàexaminerleursréservesdefourrage.—Avez-vousavancésurlafusilladed’hiersoir?—Lesdouillesretrouvéesnousontapprisqueletireurautiliséducalibre.22,detypetoutàfait

standard, sans caractéristiques particulières.Quant à la lettre demenace, en dehors des empreintes

d’Emma,desonpèreetdesoninfirmière,quiaapportélecourrier,nousn’avonsriendécelé.MêmeconstatpourlalettrereçueparBradNelson.Emmasortitdel’écurieavecNavigatoretlemenaàl’arrièredupick-upduvétérinaire.—Aunmomentouàunautre,quelqu’uncommettrauneerreur,etnouslecoincerons,ditMac.— Je le souhaite de tout cœur.AFayetteCounty, les chevaux sont sacrés, dans tous les sens du

terme,réponditleshérifavantderejoindresavoiture.Macétaitbiend’accord,maissonvéritablesouci,c’étaitNavigatoretsapropriétaire.Ilcontourna

lepick-uppourapprocherd’Emma,alorsqueleDrRemingtonrangeaitsaseringue.—Jefileexaminerl’échantillonetjevousrappelledansuneheureoudeuxpourvouscommuniquer

lesrésultats,Emma.—Merci,docteur.Elle se tourna vers Mac et lui adressa un sourire plein d’espoir. Puis elle reprit les guides de

Navigatorpourleramenerdansl’enclosdedétente.Après le départ du vétérinaire, Mac retourna vers l’écurie, l’esprit en ébullition. Ainsi, le

DrRemingtonavaitconnusonpèreet,mêmeaprèstoutescesannées,sesouvenaitencoredelui.Ilétaittroublé par le fait que le vétérinaire ait gardé une image aussi positive de son père, alors que lui,c’étaittoutlecontraire.Acemoment-là,sontéléphonesonna.Illesortitetconsultal’écran;c’étaitleFBI.—Salut,Doug.Tuasfaitvite,disdonc.Alors,tuasdesinfospourmoi?—Enfait,jen’airetrouvéaucunetracedetonhommedansnotrebasededonnées.Cequisignifie

que,s’ilaunelicenced’entraîneur,cepourraitêtreunfaux.Macs’arrêtanet.—Querisque-t-onenutilisantunefausselicence?—Uneamende,de laprison ferme, et éventuellementune interdictionàviede travaillerdans le

mondehippique.—D’accord,merci.—Derien.Abientôt,réponditDougavantderaccrocher.Unnouveauproblèmevenaitd’apparaître.Unproblèmequi risquaitdecauserdu tort àEmma,et

qu’iln’étaitpassûrdepouvoirrégler.

6

Macrangeasontéléphoneetfitlepointsurcequ’ilvenaitd’apprendre.VictorDagoavait-ilbeletbienutiliséunefausselicencepourlouerl’écuried’Emma?Etait-cepour

celaqueseshommessemblaientlesuivrepartout?Etaient-ilslàavanttoutpours’assurerquelesecretdeleurpatronneseraitpasdécouvert?Avraidire,ilavaitdumalàseconvaincrequel’onpouvaitalleraussiloindansl’illégalitépour

unecoursehippique.Cependant,ilexistaitdeshommesprêtsàtout,ilpouvaitenattester.AlorsVictorDagoétait-ilderrièrelesattaquescontreNavigatoretlesautreschevauxenlicepourlederby?—Mac?L’appeld’Emmaletiradesespensées.Illavitluifairesignedepuisl’enclos.Inquiet,ilsedirigeaverselle,sonregardallantd’Emmaaucheval.—Qu’est-cequinevapas?— Rien, rien, détendez-vous. Je vous ai simplement vu vous immobiliser devant l’écurie et je

voulaisvoussortirdevospréoccupations.Jecroisquenousallonsréussir,jesensqueNavigatorseraprêtàtemps.—Commentvontsesjambes?demanda-t-ilenobservantladémarchedupur-sang.—Ellessontfraîchesautoucher.— Tant mieux. Il va falloir le surveiller de près jusqu’à ce qu’il se soit débarrassé de la

butazolidine.Aucoursdecettepériode,ilvaêtreplusfragile.Touteblessureoudouleurpeutprendredesproportionsplusimportantesqu’entempsnormal.—Quoiqu’ilensoit,jevoussuistrèsreconnaissanted’avoirrepérécettecochonnerie.Sansvous,

je l’aurais inscrità laHolidayClassicet ilauraitétépiégéaucontrôleantidopage.Quiplusest,ceseraitarrivéaprèslacourse.S’ill’avaitremportée,ilauraitfallurembourserlesdroitsd’inscriptionet laprimedevictoire.Par-dessus lemarché,monchevalauraitétébannide toutecompétitionet laréputationduranchternieàjamais.Commeelle l’observait aveccuriosité, il envisageaun instantde luiparlerducoupde téléphone

qu’il venait de recevoir. Or, il n’avait pour le moment aucune certitude. Il devait d’abord menerl’enquêteavantdeseprononcer,carcequerapportaitlalocationdel’écuriesecondaireétaitvitalàlasantéfinancièreduranch.SiparmalheurDagovenaitàapprendrequesonsecretrisquaitdevolerenéclats, ilpourraitdéciderdeplierbagagesans tarder,etEmmaseretrouverait faceàdesdifficultéssupplémentaires.—Vousêtesdenouveauperdudansvospensées…Macrevintàlaréalité,laregarda,etdutseretenirpournepaslaprendredanssesbras.Elledevait

lutter au jour le jour pourmaintenir son ranch à flot, un ranch en butte à des attaques incessantes.Pourtant,elleétaittoujourssouriante.—Quediriez-vousdesellerdeuxchevauxetd’emmenerNavigatorbrouterprèsduruisseaupendant

unepetiteheure?

—C’estunetrèsbonneidée!s’exclamaEmma.Enoutre,j’avaisl’intentiond’allercouperunsapindeNoëlpourlamaison,mais,avectoutcequis’estpassé,jen’enaipaseuletemps.Mac serra les dents mais ne protesta pas. Si elle voulait couper un sapin pour le décorer, il

l’aiderait.Auminimum, il resterait àproximitépour s’assurerqu’unnouvel incidentne surviendraitpas.—JevaissellerOliver,dit-il.—Ramenezégalementlehongre,jevaislemonter.Ils’appelleDandy.Mac tourna les talons et aperçut alors de l’agitation devant l’écurie de Dago. Cinq hommes se

débattaientavecunchevalnoirauquelilsessayaientdepasserlabride.—Bonsang!marmonna-t-ilenregardantundeshommesessayerdeneutraliserl’animalavecune

corde.Lechevalsecabraetbattitl’airdesessabotsavantderetomberlourdementausol.EmmaregardaMacsedirigerverslegroupeetseretintdeluidiredefaireattention.Ils’avançait

d’unpasrésolu,commes’ilétaitenmission.Ellelesuivitetretintsonsoufflelorsqu’ils’approchaducheval.Unparun,leshommesdeDagoreculèrent.LechevalfitfaceàMac,lesoreillesenavant,lesflancsluisantsdesueur.InquiètepourMac,Emmas’immobilisa. Iln’étaitpasde tailleàaffronter l’étalon.Dragon’sSoul

étaitconnupoursoncaractèreimpétueuxet,lorsqu’ilétaitencolère,ilfrappaitavecsessabotsavant.DepuisqueDagoetseshommesl’avaientamenéauranch,elle lesavaitvusmaintesfoisauxprisesavecl’animal.SiparmalheurilarrivaitquelquechoseàMac…—Doucement.Toutdoux.Mactendit lebrasendirectiondel’animalapeuré,seremémorant lesmouvementsquefaisaitson

pèrepourgagnerlaconfianced’uncheval.Il joignit les mains et plia les coudes pour les ramener vers lui. C’était ce que son père avait

coutumed’appelerlelangagedeschevaux.«Situveuxétablirlecontactavecuncheval,tudoist’adresseràluiavectonlangagecorporel.»Lentement,Dragon’sSoulfitunpasenavant,puisunautre.Enfin,ilfutjustedevantMac.Mac tendit lamain et caressa le chanfrein du cheval, jusqu’à ce que ce dernier soit de nouveau

calme.—Secomporte-t-ilainsichaquefoisquevousvoulezluimettrelemors?demanda-t-ilàDago.—Oui,chaquefois.Ilglissal’indexdesamainlibrelelongdelamâchoiresupérieurepuisinférieureduchevaletsentit

au passage qu’il avait plusieurs dents coupantes comme des lames de rasoir. La morphologie del’étalon,quiavaitvisiblementperdudupoids, finitde lui fairecomprendrequ’ilétaitsous-alimentéparcequ’iln’arrivaitpasàmâchercorrectementsanourriture.—Faitesvenir levétérinaireetdemandez-luid’examiner lesdentsdevotrecheval,Victor.Elles

sonttellementaiguiséesquelemorslefaitsouffrir.Mâcherdoitluiêtretoutaussipénible.D’ailleurs,

ilcommenceàmaigrir.—Rahul,vaappelerlacliniquevétérinairedeLexingtonetdemande-leurd’envoyerquelqu’undès

quepossible.Lepalefrenierlâchalacordequ’iltenaitets’éloigna.—Merci,ditDagoàMacavantderamenerDragon’sSoulversl’écurie.MacregardaleshommesunparunetmémorisaleurstraitspuisvitEmma,quiavaitsuivilascèneà

distance.Ilsrepartirentensemble.—Ça, c’est ce que j’appellerais la patte Titus.Où avez-vous appris àmurmurer à l’oreille des

chevaux?—Est-ceainsiquel’ondit?demandaMac— Oui, c’est devenu la formule consacrée. Entraîner les chevaux en utilisant leur langage, en

cherchantàcomprendreleurpsychologie,c’esttrèspopulairedanslemilieu.Danslasellerie,ilpritdeuxharnais.—Nousenreparleronsplustard,sivouslevoulezbien.—Biensûr,réponditEmmaenprenantlelicouqu’illuitendait.Elleleregardaitavecuneintensitéquilemettaitunpeumalàl’aise.Ilavaitl’impressionqu’elle

lisaitsespenséeset,pourlemoment,iln’étaitpasprêtàparlerdelui.—Netrouvez-vouspasétrangequeDagon’aitpascomprisquelétaitleproblèmeavecsoncheval?

Toutepersonnequipasseunpeudetempsavecdeschevauxsaitqu’ilfautfairesurveillerleurdenturerégulièrement,déclara-t-il,avanttoutpourchangerdesujetdeconversation.—Avraidire,beaucoupd’aspectsdesoncomportementnecadrentpasavecceluid’unentraîneur

professionnel.Maisaprèstout,chacunasaméthode.Ilsressortirentdel’écurieetsedirigèrentversl’enclos.Etantdonnécequ’ilavaitapprissurVictorDago,mieuxvalaitéviterdefairetropsouventallusionà

cethommes’ilnevoulaitpaséveiller lessoupçonsd’Emma.Tantqu’iln’auraitpaslacertitudequeDagorisquaitdemettreenpérilFirehillFarm,ildevaitêtrediscret.Il devait aussi rester en permanence en alerte et trouver le moyen d’obtenir des réponses à ses

interrogations,etcerapidement.

***

Emma chevaucha jusqu’à l’orée d’un bosquet et fit s’arrêterDandydans de hautes herbes que labrisefaisaitonduler.ElledescenditdechevaletpritlesguidesdeNavigatordesmainsdeMac,quil’avaittiréderrière

lui.—Lesentravessontdansmasacochedeselle,dit-elle.Macmitpiedàterreetsortitlesentravesqu’Emmaavaitconfectionnéeselle-même.Ilsuffisaitde

lespasserauxbouletsavantdeschevauxpourleurpermettredebroutertranquillementtoutenévitantqu’ilss’éloignent.—C’estdujolitravail,cesentravessontparfaites,remarqua-t-ilenlevantlatêteverselle.Elleluisourit,touchéeparleregardpleind’admirationqu’illuiadressait.Lesrefletsdusoleildel’après-midiéclairaientlamoitiédesonvisage,l’autreétantdansl’ombre.

Celarésumaitbienlafaçondontilsecomportaitavecelle,songea-t-elle.Soucieusedenepass’attardersurcequ’elleéprouvait,Emmaobservalebosquetdeconifèresque

sonpèreavaitfaitplantervingt-cinqansplustôt.Sespensées revinrent cependant surMacTitus. Il l’intriguait et lui faisait unpeupeur, et elle se

demandaitsi,unjour,elleréussiraitàl’inciteràs’ouvrirtotalementàelle.—Nousallonsavoirbesoindececi,déclara-t-ilensortantunepetitesciedesasacochedeselle.

Avez-vousdéjàrepéréunarbrequivousplairait?—Patience.J’aimeprendremontemps,etlesplusbeauxsontaumilieudubosquet.Illuisouritettousdeuxterminèrentd’entraverleschevauxetleurôtèrentlesbrides,afinqu’ilsne

soientpasgênéspourbrouter.—Cetendroitestvraimentsuperbe,Emma.Elle désigna du doigt un petit sentier et tous deux le suivirent, s’enfonçant parmi les pins et les

sapins.—C’estvraiquej’aimebeaucoupcecoinduranch.Jevenaissouventmepromenericiàcheval.—Vousnelefaitesplus?—Moinsfréquemmentdepuisquemonpèreaeusonattaque.Jen’aiplusautantdetempslibre…

C’estunechancequ’ilyaituneinfirmièrequivienttouslesjourss’occuperdelui,masjesuistoujoursinquièteetjen’aimepasrestertroplongtempsloindelamaison.Macsepenchapourpassersousunebranchetombanteet la tintenl’airpourdégagerlecheminà

Emma.—Voyez-vousunsapinquivousplairait?—Encoreunpeudepatience,Mac.Noussommespresquearrivés.Excitée,ellehâta inconsciemment lepas.Jamaisellen’étaitvenue iciencompagnied’unhomme.

C’étaitsonjardinsecret,maiselleavaitenviedepartagerlamagiedeslieuxaveclui.Macétaittenduetregardaitsanscesseàdroiteetàgauche.Iln’aimaitpassesentiraussiexposé.Ceneseraitpasdifficilepouruntireurdelesprendrepour

cible,etilauraitbiendumalàleurtrouverunabri.Le terrain s’élevait régulièrement, et il se détendit un peu en s’apercevant qu’ils allaient bientôt

déboucherdansuneclairière.Lorsqu’ilsyarrivèrent,ilregardad’instinctautourd’eux,àl’affûtd’undangerpotentiel.—Alors,qu’endites-vous? luidemandaEmmaenallantseposteraumilieudel’espacedégagé.

N’est-cepassuperbe?Macfituntourcompletsurlui-mêmepuislarejoignit.—C’estvotrepèreetvousquiavezplantétouscesarbres?

—Oui.Nousavonscommencéaucoursduprintempsdemescinqans,soitunanaprèslamortdemamère.Ensuite,chaqueprintempsjusqu’àl’accidentdemonpère,nousenavonsplantéunenouvellerangée.Mac fitunnouveau tour sur lui-même, ébahi, et contemplaces arbresmajestueuxdont la cime se

balançaitdoucementdansleventetquifaisaientressemblerlapetiteclairièreàunearène.—C’estàcouperlesouffle,Em’.—Commentm’avez-vousappelée?Ilsetournaverselleetpritconscienceque,danssonémerveillement,illuiavaitdonnéundiminutif

affectueux.—Em’,jevousaiappeléeEm’.Excusez-moi.—Non,non,nevousexcusezpas,dit-elleens’approchantdelui.Seulmonpèrem’appelleainsi,

mais,dansvotrebouche,çameplaîtbeaucoup.Emu,Macposaleregardsurseslèvres,puisplongeadanssesbeauxyeuxnoisette.Letempsparut

sesuspendre.Lentement,ilavançalamainet,desesdoigts,relevalatêtedelajeunefemmeavantdevenirrencontrerseslèvres.Il faisait frais,mais saboucheétait chaudeetdouce. Il ferma lesyeux, intensifia sonbaiseret la

serracontrelui,brûlantdedésir.UndésirquiexplosalorsqueEmmaluipassalesbrasautourducouetsepressadavantagecontre

lui.Macinterrompitleurbaiseretrouladansl’herbeavecelle.Emmaledévisagea,lesoufflecourt.—Jesavaisquecetendroitétaitspécial,maisça,c’était…Ill’interrompitd’unnouveaubaiser.Elleréponditàsonardeur,selaissantguiderparsesémotions,malgrésoninexpérience.Ilmitfinàleurbaiser,ets’écartalégèrement.—Jen’auraispasdûvousembrassersansvousdemandersivousenaviezenvie.Emmaseredressasuruncoudeettenditlamainpourluicaresserlevisage.—Jenemeplainspas.Jeconnaismeslimites,etsivouslesaviezfranchies,jevousl’auraisfait

savoir.Elledéglutit,émueparl’intensitédessentimentsqu’ellesentaitsenouerentreeux.Elle avait envie de l’embrasser de nouveau, encore et encore, d’explorer toutes les sensations

qu’elleéprouvait,etquejamaisencoreellen’avaitexploréesavecunhomme.Soudain,auloin,levrombissementd’unmoteurattirasonattention.—Vousentendez?EllevitMactournerlatêteàdroitecommesi,ainsi,ilpouvaitmieuxentendre.—Non.Qu’est-cequec’est?—Ondiraitunmoteur.Lesonsemblevenirdel’est.Macselevaetl’aidaàfairedemême.

Subrepticement,Emmafitclaquersesdoigtstoutprèsdesonoreillegauche.Iln’eutaucuneréaction.—Pourquoinem’avez-vous riendit,Mac?Pourquoinem’avez-vouspasditquevotreblessure

avaitendommagévotreaudition?—Çareviendra,assura-t-ilavecconvictionenlaregardantintensément.Emmacomprenaitmieuxmaintenantpourquoiilnefaisaitpluspartiedesservicessecrets.Lebruitdemoteurserapprochaetcouvraitmaintenantceluiduventdanslesarbres.—Venez,dit-elleenprenantMacparlamain.Aprésent,ilentendaitluiaussinettementcebruit.—Quelqu’unest-ilcensésetrouverdanscettezoneduranch?—Non.Ils traversèrent les rangées de sapins. A chaque pas, Mac redoublait de prudence. Soudain, il

s’arrêta et prit Emma par les épaules pour l’attirer contre lui. Devant eux, au-delà de la ligne desarbres,unpick-uppassasurlechemindeterrequilongeaitunpetitruisseau.—Oùmènecechemin?—Ilsetermineencul-de-sacàlabarrièrequidonnesurlespâturages.Monpèrelesafaitclôturer

de barbelés il y a des années parce que, le long du ruisseau, le sol est très calcaire et de petitescavernesnaturelles se sont creusées. Il voulait éviter qu’un cheval seblesse endérapant sur ce solfriable.Ilafaitfermeràladynamitel’entréedelaplusgrandedescavernes.—Reconnaissez-vouscevéhicule?—Oui.IlestàVictorDago.MacpritEmmaparlamainetlatiradavantageàl’abridesarbres.—QuelleraisonDagopourrait-ilavoirdevenirparici?—Aucune.Soncontratdelocationnestipuleaucunaccèsauxterresduranch.Iln’adroitqu’àsix

stalles,àunaccèsàl’enclosetàlapisted’entraînement.Ilsmontèrent surunpetitmonticulequioffraitunpointdevuedégagé sur l’endroitoù lepick-up

s’étaitarrêté,prèsdelabarrièredespâturages.MacetEmmasemirentàplatventreetvirentunhommedescendredupick-up,regarderautourde

luipuisallerjusqu’àlabarrière.—C’estundespalefreniersdeVictor,ditEmma.—Oui,ledénomméRahul.C’estluiqueVictoraenvoyéappelerlevétérinaire,cematin.—EtendehorsdeVictor,c’estleseulquiparleanglais.Macfutinquietdevoirl’hommes’arrêter,seretournerbrusquementetregarderdansleurdirection,

commes’ilsesentaitobservé.—Nebougezsurtoutpas,Emma,l’avertit-il.Rahul remonta en voiture, redémarra et fit demi-tour. Mais au lieu de repartir, il s’arrêta

brusquementdansunnuagedepoussièreauboutdequelquesmètres.—Quefait-il?chuchotaEmma.—Ilsepourraitqu’ilnousaitrepérés.

Macobservalesarbresautourd’eux,envisageantlesdiversscénariospossibles.SiRahulpénétraitàpieddanslebosquet,iln’auraitpasdemalàleprendreparsurpriseetàleneutraliser.Enrevanche,s’iltrouvaitunmoyend’yentreraveclepick-up,ilsétaientendanger.Levéhiculeredémarraetmontalechemindansleurdirection.Macleregardaavecappréhensionserapprocherpuisralentir.Ilfouillaàtâtonssoussavesteetsortitsonarme.Ilcherchaunbonangledevuesurlepick-up,qui

passadevanteuxetcontinuasoncheminsanss’arrêter.Emmapoussaunsoupirdesoulagementetroulasurledos.—Ques’est-ilpassé?Macjetaunregardenarrière,tandisquelebruitdumoteurs’éloignait.Ilrengainasonarme.—Jenesaispas.—C’estàsedemandersiRahuln’apprendpasàconduire.Avez-vousentenduavecquelledifficulté

ilpasselesvitesses?—Oui,c’estpossible.Macréfléchitàcettehypothèse.Rahuls’entraînait-ilseulementàlaconduite?Avued’œil,ilavait

àpeineplusd’unevingtained’années.Aprèstout,puisqueVictorutilisaitpeut-êtreunefausselicenced’entraîneur,ilétaitpossiblequesonpalefrenieraitunfauxpermisdeconduire.—Allez,venez,nousferionsmieuxdenepastraînerpourchoisirunsapindeNoëlet leramener

chezvous.Emmaseleva.—Çaneprendrapaslongtemps,jesaislequeljeveux.Maclasuivitdanslaclairièreetramassalasciequ’ilavaitlaisséeparterre,àl’endroitprécisoùil

avaitembrasséEmma.Acettepensée,soncœurbattitplusfort.Emmadésignaunsapin.—C’estcelui-ci,déclara-t-elle.—Vousêtessûre?—Absolumentsûre.Illaregardasourireetsefrotterlesmainsdesatisfaction.Sonenthousiasmeenfantinlebouleversa;

elleétaitirrésistible.Ilneluifallutquequelquesminutespourscierletroncdel’arbreetletirerjusqu’àlapâtureoùles

chevauxbroutaienttranquillement.Dès qu’il le pourrait, il reviendrait dans le secteur et irait voir ce qu’il y avait derrière cette

barrièrefermée.IltenaitàsefaireuneidéedecequeRahulétaitvenufaireparici.Etait-ilvenulàpours’entraîneràconduireoupourcacherquelquechose?

7

Leportabled’EmmasonnaaumomentoùMacmettaitpiedàterre,àl’entréedel’enclosprincipalduranch.Ellesortitl’appareildesapoche,consultal’identitédel’appelantetsentitl’appréhensionlagagner.—Allô!—Emma?—Oui,docteur,répondit-elle,lesyeuxtournésversMacquilaregardaitluiaussiavecanxiété.—J’ailesrésultatsdestestssanguinsdeNavigator.—Est-cegrave?Le vétérinaire mit un moment à répondre, ce qui ne présageait rien de bon. Emma attendit son

diagnostic avec l’impression que lesmots allaient tomber commeun couperet quimettrait fin à sesrêves.—Jenevaispasvousmentir,Emma,letauxdebutazolidinedanslesangdevotrechevalestélevé.

Ilenaingéréenvironhuitcentsmicrogrammesparjourdepuisunesemaine.Cequisignifieque,mêmeaprèstraitement,ilrisqued’enresterencoredestracesdurablesdanssonorganisme.Emmapassa lesdoigtsdans lacrinièredeDandypoursecalmer,maiscegesten’atténuapasson

chagrin.—Quesepassera-t-ils’ilsubituncontrôleantidopageàKeeneland?Serons-nousdisqualifiés?—Lejourdelacourse,letestserévéleraitnégatif,maisl’examendusecondéchantillonluiserait

fatal.Leseulespoir,c’estdeluifaireuneinjectiond’hormonespourstimulersathyroïdeetdetenterletraitementdiurétiquedeMac.Maissansgarantiedesuccès.Emmasepassalamainsurlefrontetfitdesonmieuxpourdigérerlanouvelleavecaplomb.—Quandfaut-illuifairecetteinjectiond’hormones?—Leplustôtpossible,sansquoisaconditionphysiquerisquedesedégrader,sicen’estpasdéjàle

cas.Alafindutraitement,ilseraitsagedeluifaireunesecondeinjection.—Bien.Aumoins,noussavonscommentprocéder.Pourriez-vousvenirdemainaprès-midi?—Jepeuxpasserà15heures.—Trèsbien.Ademain,alors.Ilssesaluèrent,puisEmmaraccrochaetrangeasontéléphone.—Çavamal,Mac.Enquelquespas,ilfutprèsd’elle,l’aidaàdescendredechevaletlaserradanssesbras.Elleselaissaallercontreluietfermalesyeuxpourretenirseslarmes.IlsétaientsiprèsderéussiràalignerNavigatorpourlederby!Commentaurait-ellepuimaginerque

quelqu’unchercheraitàréduireànéanttoutletravailaccompli?—N’abandonnezpas,Em’,chuchotaMactoutcontresonoreille.Toutespoirn’estpasperdu.Ilfaut

continueràvousaccrocher.Elleavaitplusquetoutenviedelecroire.Ellepoussaunlongsoupiretreculalégèrementpourle

regarder.Lacicatricequimarquaitsonbeauvisageluirappelaitqueluiaussiavaitsouffertetauraitpucéderaudécouragement,serésigneràl’idéed’êtredéfinitivementdiminué.Pourtant,iln’enétaitrien.—Vousavezraison.Vousvoulezcroireàtoutprixquevousrécupérerezvotreoreillegauche,alors

moi,jedoiscroirequ’ilestencorepossiblequeNavigatorremportelederby.Ellelevalamainetluicaressalajoue.Ilfermauninstantlesyeuxpuislesrouvrit.—Nousallonsleremettreenconditionàtemps,grâceauxpuréesetauthévert.Çavamarcher,j’en

suissûr.Emma acquiesça, distraite.Elle était tout contre lui et avait envie de l’embrasser, de revivre les

sensationsqu’elleavaitéprouvéesdanslaclairière.—Emma,articula-t-ild’unevoixincertaine,commes’ilavaitdumalàcontenirsonémotion.Elleétaitlààlecontempleret,danssonregard,Maclisaituneinvitationàlaquelleilneputrésister.Ill’embrassaet,immédiatement,uneondededésirmontaenlui.Derrièrelui,Oliverreniflaetlepoussadoucement,leramenantàlaréalité.Ilmitfinàleurbaiseret

regardaEmmabattredespaupièresetrespirerboucheouverte,lesoufflecourt,toutcommelui.—Venez,nousavonsdutravail,dit-ilencontournantOliver.Ildénoualacordequ’ilavaitfixéeàl’arrièredesasellepourtirerlesapin.Ildépassaitvraimentlesbornes,songea-t-il.EmbrasserEmmaClarebornnefaisaitpaspartiedeson

contrat.Même s’il avait dumal à s’en empêcher et y prenait un plaisir plus que certain, il devaitcesser.Déterminé,ilseconcentrasursatâchedansl’espoird’oublierunpeucequ’iléprouvait.Ilpritles

guidesd’Oliveretl’emmenadevantl’écurie,oùill’attachaàunpiquetletempsdeledesseller.EmmaattachaDandyàcôtédeluietfitentrerNavigatordansl’écurie.Mac ôta la selle et la couverture d’Oliver et allait s’occuper de Dandy lorsqu’il aperçut une

silhouetteàl’autreboutdel’enclos.Rahul se tenait justederrière labarrière et l’observait.Lorsque leurs regards se rencontrèrent, il

tournaprestementlestalonsetpartitendirectiondel’écuriesecondaire.Macl’observajusqu’àcequ’ilentredanslebâtimentetdisparaisse.—Hé!Çava?Queregardez-vous?Lavoixd’Emmalepritparsurprise.Ilseremitàsatâchetandisqu’ellebouchonnaitOliver.—Rahulétaitdel’autrecôtédel’enclos.Jecroisqu’ilattendaitdevoirquiallaitsortirdubosquet.Maclavittressailliravantdereprendresontravail.—C’estplutôtinquiétant.—Oui,maisçaconfirmenosdoutes.Ilsaitquequelqu’unl’avutoutàl’heure.—Et,d’aprèsvous,ilsaitquec’étaitnous?—J’enaipeur.C’étaitunsoucideplus.Si,commeilsl’avaientenvisagéunpeuplustôt,Rahulétaitallédanscette

zonepours’entraîneràconduire,iln’auraiteuaucuneraisondechercheràsavoirquil’avaitrepéré.—Lorsquenousauronsterminéavecleschevaux,m’aiderez-vousàtirerlesapinàl’arrièredela

maisonetàlemettreenpot?—Oui,biensûr.Illaregardapasserdélicatementlabrossesurledosdesonchevaletrepensaàleurbaiser.C’était

vraimentlaplusjoliefemmequ’ilaitjamaisembrassée.Pourtant,plusencore,c’étaitlecrandontellefaisaitpreuvequil’attirait.Ilallaitavoirbiendumalàgardersesdistances.Ceseraitmêmeuneterribleépreuve.

***

SurleplandetravailimproviséqueMacavaitinstalléprèsdelastalledeNavigator,Emmacoupaitdes carottes en rondelles. Lorsqu’elle eut terminé, elle les mit dans le seau qu’ils utilisaient pourmélangerlesaliments.Macplongealamaindansleseaupourremuerletout.—JesuiscontentequecesoitNavigatorquimangecettemixture,ditEmmaentordantlenez.—C’estàcausedelamélasse,réponditMacensouriant.Maislui,çavaluiplaire.Ellen’endoutaitpas.Leschevauxadoraientcettesubstancesucréericheenfer.—J’espèrequeçavamarcher.C’estunautredesremèdesdunomméCalliway?Macsursauta.—VousavezentenduleDrRemingtonlementionner?—Oui,etvotreréactionlorsqu’ill’afaitnem’apaséchappénonplus.Vousleconnaissiezbien?—J’enaientenduparler,commetoutlemonde.Jevaisallerfaireunpeudeménagedansl’annexe

et,ensuite,nousluiredonneronsàmanger.—D’accord.Il la regarda ouvrir une botte d’asperges, les poser sur la planche et se mettre à les couper en

morceaux.Puisiltournalestalonsetquittal’écurie.Entendreprononcerdeuxfoislenomdesonpèreensipeudetemps,c’étaitunpeutroppourlui.Jusqu’à samort, le nomdePaulCalliwayavait été associé aumalheur.Aumoins, lorsqu’il était

décédé,samèreetluiavaientétélibérésdecefardeau.Ilpoussalaportedel’annexe,entraets’arrêtanet.La pièce avait été retournée. Tous les tiroirs étaient ouverts, ses vêtements éparpillés au sol. Le

matelasavaitétédéplacé,lecoincuisinemisàsac.Consterné,ilapprochadel’évierenprenantsoindeneriendéplacer.LeshérifWilkesnetrouverait

certainement aucun élément qui lui permettrait d’identifier le responsable de ce désordre, mais luiavaitsonidéesurlaquestion.Ilouvritlerobinetetlavasesmainspoisseusesdemélasse.Ilrefermal’eau,prituneserviettepour

s’essuyerpuisseretournaetdécouvritEmmaquisetenaitdansl’encadrementdelaporte,bouchebée.

—MonDieu!—Ças’estpassépendantquenousétionspartis.NousallonsappelerWilkes,maisjeparieraisque

leresponsabledecebazarportaitdesgants.Emmaavançaetfermalaportederrièreelle.—Manque-t-ilquelquechose?Macregardaautourdeluipuisreportasonattentionsurelle.—Jeprésumequeceluiquiafaitçacherchaitdesinformationsàmonsujet.Fortheureusement,je

nesuispas icidepuis longtempset jegarde toujoursmespapiersd’identité surmoi.NousdevrionssongeràinterrogerDagoetlesmembresdesonéquipe.—VouspensezàRahul?—Lefaitestqu’iladûarrivericiaumoinsunedemi-heureavantnous,cequiluilaissaitletemps

devenirfouiller.—Eneffet.Jevousaideraiàtoutremettreenordre.—Merci,maisceserapourplustard.Lapriorité,c’estNavigator.Emmasetournaverslaporte,posalamainsurlapoignéepuisinterrompitsongeste.—SivousallezinterrogerDagoetseshommes,faitestrèsattentionàvous,Mac.—Promis.Illasuivitettousdeuxrepartirentversl’écurie.—Enfait,cematin,j’aireçudesinformationsd’unamideLexington.—Alafaçondontvousditescela,jecrainslepire.Macluiposalamainsurlebraspourl’inciteràs’arrêterpuislapritparlesépaules.Illasentait

tremblerdenervositéetsedemandas’ilprenaitlabonnedécisionenluifaisantpartdecequ’ilavaitappris.Finalement,ildécidaquemieuxvalaitparler.Elleavaitledroitdeconnaîtrelavéritéet,vulatournurequeprenaientlesévénements,attendredavantagepourlaluidireneseraitpassage.—MonamitravailleauFBI.JeluiavaisdemandédeserenseignersurDago.—Etqu’avez-vousappris?Quec’estunescroc?Dès ledépart,quand j’aiacceptéde lui louer

l’écurie,j’aisentiqu’iln’étaitpasclair.— J’aimerais que ce soit aussi simple… Si ça l’était, nous n’aurions qu’à appelerWilkes, qui

viendraitl’arrêter,ettoutseraitterminé.Cequej’aiappris,c’estqu’ilesttrèsprobablequ’ilutiliseunefausselicenced’entraîneur.—Quoi?Lalicencequ’ilm’aprésentéepourlouermonécurieseraitunfaux?—C’estfortpossible,oui.—Maisçanetientpasdebout!Quelintérêtya-t-ilàsefabriquerunefausseidentitéafindelouer

uneécuriedesecondemainpourlecompted’unémirquivitàl’autreboutdumonde?Saremarqueétaittoutàfaitpertinente,songeaMac.—Venez,dit-il.Retournonsàl’écurie,nouscontinueronsdediscuterlà-bas.L’esprit en ébullition, il regarda autour de lui pour s’assurer que personne n’avait surpris leur

conversation. Emma avait soulevé un point crucial : quel intérêt Victor Dago avait-il à agir de lasorte?

***

Macajustasonoreillerdefaçonàavoirunevueplongeantesur lastalledeNavigatordepuissonposted’observationdanslefeniloùilavaitinstallésoncouchage.C’étaitl’endroitparfait.Personnenepourraitpénétrerdansl’écurieoutenterdeleneutralisersansqu’ils’enaperçoive.Quiplusest,leserrurierétaitpasséendébutdesoiréeetavaitposéunverrouélectroniquesurlastalledupur-sang.Il ferma les yeux et écouta les bruits de la nuit. Il percevait les stridulations des criquets, le

crissementdelapailledéplacéeparNavigatordanssonbox.Ilyavaitaussiunlégerbourdonnementrégulier,dontilnecompritpasl’origine.Ilouvritlesyeux,sedressasursonséant,inclinalatêtesurladroiteetprêtadenouveaul’oreille.

Celasemblaitvenirdufenil.Enalerte,ilsortitdesonsacdecouchage,approchasonoreilledroitedusoletretintsarespiration.

Ilpercevaitlebruitplusnettement,àprésent.Desesmains,ilbalayalapoussièreetlesrésidusdepaillequijonchaientleplancheretsentitun

intersticeentredeuxplanches.Ilsortitdesapocheuneminilampetorcheetl’alluma.—Bonsang!s’exclama-t-ilendécouvrantunboîtierminiatureglissédansl’intervalle,reliéàun

câblequicouraitentredeuxplancheslégèrementdisjointes.Alalueurdesalampe,ilsuivitlecâblejusqu’aufonddufeniletàunnouvelintersticetaillédansle

bois.C’étaituntravaildeprofessionnel.Ils’approcha,maisseulementpourconfirmercequ’ilavaitdéjàcompris:quelqu’unavaitinstallé

unecaméraminiaturedansl’écuriedeFirehillFarm.PourespionnerNavigator?Entoutcas,voilàquiexpliquaitcettesensationd’êtreperpétuellement

observéqu’ilavaitdepuislepremiersoir.Maisquidiablesurveillaitl’écurie?Etpourquoi?Ilpritsonsacdecouchage,leroulaetlecoinçaentredeuxpoutres,obstruantlechampdelacaméra.—Finduspectacle.Lesdeuxhommesennoirquil’avaientneutraliséauTaserétaientcertainementvenuspourmettrela

caméraenservice.Sonregardseposasurlefenilàl’extrémitéopposéedel’écurie.Yenavait-iluneautrelà-bas?Celapourraitexpliquerlaprésencedesciuresurlesbarreauxdel’échelle…Encemomentmême,ilétaitprobablementobservé.Il éteignit sa lampe et la remit dans sa poche.A tâtons, il se dirigea vers l’échelle et descendit.

Grâce à cette caméra, les espions n’ignoraient rien de la routine quotidienne de Navigator : seshorairesd’entraînement,sesheuresderepas.Ilspouvaientaussisavoirquandilyavaitquelqu’undansl’écurieoupas.Dans l’obscurité, il longea les stalles jusqu’au fond de l’écurie et cala l’échelle pourmonter au

secondfenil.Unefoisenhaut,ilressortitsalampeetl’alluma.Sursadroite,derrièrelesballesdeluzerne,ily

avaitunefentedansunepoutre.Agauche,lesréservesdefourrageoccupaienttoutl’espace.

Il seglissadans le fonddu fenil àdroite et, àgenoux, semit àbalayer lapaille et lapoussière,révélantunpetitsillondanslebois.—Bingo!murmura-t-il.Il suivit lecâbleavecsa lampeetcompritcequis’étaitpassé l’autresoir.Dessourisavaientdû

endommager lecâblequi,àunendroit,avaitété réparé.Lesdeux typesqui l’avaientattaquéétaientdoncsûrementvenuspourcela.Désormais,ilcomptaitbienleurdonnerdavantagedefilàretordre.Iléteignitsalampeetsortitsoncanif.Ilenglissalalamesouslecâblepourledégagerdusillon,puiscreusaunpeulaballedeluzernelaplusproche.A tâtons il suivit le fil jusqu’à la caméra. Il la délogea et la fourra dans la balle de luzerne. La

prochainefoisquecestypesviendraientremettreleurmatérielenplace,ilseraitprêtàlesrecevoir.

***

Emma ferma la porte arrière de la maison et sortit aux premières lueurs de l’aube. Elle étaitimpatientedeconstaterleseffetsdutraitementdeMacsurNavigatoret,plusencore,devoirMaclui-même.Après avoir dégagé sa natte de son col, elle remonta la fermetureEclair de sonblousonpour se

protégerdufroidmatinal.Lesherbesauborddel’alléeétaientblanchesdegivre.Cematin,elleallaitdevoirpasserletracteursurlapisted’entraînementpourretournerlaterreetéviterquelegelnecauseunaccidentquandNavigatorferaitsestoursd’entraînementavecGradyStevens,sonnouveaujockey.Elle leva les yeux et, en voyantMac appuyé au montant de la porte de l’écurie, songea que sa

présencelàparaissaittoutàfaitnaturelle.Enfait,dansleranch,ilsemblaittoujoursparfaitementàsaplace.Riendanssonattitudenepermettaitdepenserqu’iln’étaitpaslàpourentraînerNavigatormaispourassurersaprotection.Ilétaitàl’aise,compétent.Cesréflexionscontribuèrentàl’apaiser.—Bonjour,luidit-elle.Lanuitaétédure?ajouta-t-elleens’apercevantqu’ilavaitlesyeuxcernés

etl’airfatigué.—Vousn’imaginezpasàquelpoint,répondit-ilenseredressant.Cettenuit,j’aifaitunedécouverte

quipourraitbienexpliquercommentetpourquoiquelqu’uns’estintroduitdansl’écurie.—Vraiment?demanda-t-elleenlesuivantàl’intérieur.—Oui. J’ai trouvé deux caméras dissimulées entre les poutres des fenils.Mais je ne sais pas à

quandremonteleurinstallation.Emmaleregardaavecdesyeuxébahis.Ellefrottanerveusementsesmainsl’unecontrel’autrepour

dissiperlasensationqueluiprocuraitcettenouvelle.—J’espèrequevouslesavezdétruites.—Non,surtoutpas.J’enaiobstruéuneetj’aiplacél’autredansuneballedeluzerne.J’imagineque

ceuxquilesontinstalléesvontrevenirpourvoircequisepasseet…—Vousespérezlessurprendre?—Oui,sitoutsedéroulecommeprévu.Elle le contempla avec inquiétude à la perspective de le voir affronter celui ou ceux qui leur

voulaientdumal.Pourtant,siellel’avaitengagé,c’étaitjustementpourprotégersonpur-sang.— Je pense que nous devrions prévenir le shérif. Il pourrait réussir à remonter jusqu’aux

responsables.—Possible.Maisjepréféreraislesprendresurlefait.—C’estbiencequim’inquiète,Mac.Avez-vousoubliéqu’onnousatirédessus?Ets’ilsessaient

encore,commeilsmenaçaientdelefairedanslalettreanonymequemonpèreareçue?—Détendez-vous,Emma,dit-ild’untoncalmeenluiposantunemainsurlebras.Jeseraiprudent.—Bien.JevaisfairesortirNavigatoretlelaissers’échaufferdansl’enclospendantquejepassele

tracteursurlapistepourlaretourner.Sonnouveaujockeyseralàà8heures.—Jem’occupedeNavigator,sivousvoulez.—D’accord.Merci,réponditEmmaavantdetournerlestalons.Mac ne semblait pas particulièrement inquiet à l’idée d’affronter des hommes armés, et cela la

perturbait.Arrivéeàl’angledel’écurie,elleregardapar-dessussonépaule.Il n’avait pas bougé et la contemplait, souriant, les mains sur les hanches. Elle secoua la tête.

Décidément,ellenecomprendraitjamaiscequirendaitleshommesaussisûrsd’eux.Maisc’étaitpeut-êtreaussicequirendaitMacsisexyetsiattirant.

***

Macpritlematérieldontilavaitbesoinetcomposalecodesurleboîtierélectroniquedelastalle.Leverrousedébloqua.Iltiralagrilleetentradanslebox.—Alors,prêtàcourir,monbeau?demanda-t-ilencaressant lechanfreinet l’encolureducheval

avantdelefairesortir.Dehors, le froid était vif, la température très basse.Avec ce type de temps, les blessures étaient

courantes.IldevaitveilleràcequeNavigatorsoitparfaitementéchaufféavantdecommenceràtournersurlapiste.Il l’emmena dans l’enclos et fixa les guides au tourniquet d’échauffement.Au loin, il entendit le

tracteurdémarrer. Il alla seposter derrière la barrièrepour regarderEmma faire ses toursdepisteavec la herse derrière son engin. Il fallait absolument retourner la terre en profondeur pour queNavigatornecourepassurunsolgelédangereux.Enlavoyantarriver,ilsongeaqu’elleallaitbeaucouptropvite.—Ralentissez,Emma,dit-ilàvoixhautepourlui-même.Vousalleztropvite.Pourtant, elle ne ralentit pas, bien au contraire, et négocia le premier virage en faisant une large

embardéeàgauche.Macfutimmédiatementenalerte.Cen’étaitpasnormal.Ilsautapar-dessuslabarrièreets’élançasurlapiste.—Emma!

Auboutduvirage,letracteurallaheurterlarampeextérieure.Ilyeutungrincementmétalliqueetlarampecéda.Maccourutàperdrehaleineetvitavechorreurletracteurfoudisparaîtredesonchampdevision

tandisquelescrisd’Emmadéchiraientl’airglacé.

8

Danslevirage,Emmasentitlapaniquelagagnertandisquelevolantentresesmainsnerépondaitplus.Alorsqueletracteurdéfonçaitlabarrière,ellegardalesyeuxrivéssurl’imposantpeuplierquise

dressaitunpeuplusloinencontrebassurlatrajectoiredesonenginfoulancéàtouteallure.Ilfallaitqu’ellesaute!Mais,avantqu’ellepuissesedégagerdesonsiège,letracteuravaitcommencéàdévalerlapenteet

fonçaitdroitsurl’arbre.Ellesepréparaàl’impact.Lorsqueletracteurheurtalepeuplier,ellefutprojetéeenavantcommeunvulgairesacdesableet

atterritlourdementàplatventre.L’instantd’après,ilyeutungrandcraquementsuivid’unfracasquandl’arbres’abattitsurlesol.Lesoufflecoupé,désorientée,ellevoulutsavoiroùellesetrouvaitparrapportàl’engindontelle

entendaittoujoursgronderlemoteur.Enredressantlatête,elleserenditcomptequel’extrémitédesatresseétaitprisesousunegrosse

pierrequi avait roulé.Elle tira sèchementdessuspour ladégager, arrachant le rubanqui la retenaitainsiqu’unemèchedecheveux,puiss’aperçutquesonpieddroitétaitcoincéentredeuxbranches.Asagauche,letracteur,freinéparlahersedontlespointess’étaientprisesdansdesrochesetdes

racines,glissaitlentementverselle,menaçantdel’écraser.Affolée,elleessayadedégagersajambe.Mac?OùétaitMac?Justeavantdepercuterlarampe,ellel’avaitvucourirsurlapiste.

***

Foud’inquiétude,Macdévalalapenteaussivitequepossible.OùétaitEmma?Enfinillavit,entraindesedébattreentreletracteurquirugissaitetlepeuplierdéraciné.Ilbonditsurlemarchepiedetpoussa le bouton de démarrage pour arrêter lemoteur, sans résultat. La scène était digne d’un filmd’horreur:lespneusarrièrecontinuaientdetourneretl’enginserapprochaitdelatêted’Emma.Sautantàbasdutracteur,ilseprécipitaversEmma.Ilsaisitlabranchequilaretenaitetlasouleva

tandisqu’elle tiraitde toutesses forcessursa jambe.Enfin,elleparvintà se libéreret roulasur lecôté.Macl’attrapaparlesbrasetlatiraàl’écart.Puis, s’agenouillant près d’elle il la serra contre lui et lui caressa les cheveux en un geste

d’apaisement.—Çava?Aprèsquelquesinstants,ellecessadetrembleretseremitàrespirernormalement.—Oui,jecrois.

Elleavaitdelaterresurlevisage,lesyeuxpleinsdelarmesetuneégratignuresurlefront.Pourtant,jamaiselleneluiavaitparuaussibelle.—Expliquez-moicequis’estpassé.—Ilestdevenufou,iln’yapasd’autrefaçondedire.J’aiessayédecouperlecontact,depresserle

boutond’arrêtd’urgence,mais ilnes’est rienpassé.Quand j’aiabordé levirage, levolantn’apasréponduetletracteuracontinuéd’allertoutdroitetd’accélérer.Elleinspiraetessuyaseslarmesdureversdelamain.Macétaitsubmergéparl’émotion,àlafoisbouleversé,encolèreetinquiet.SamissionàFirehillFarmnepouvaitdéfinitivementplusserésumeràlaprotectiond’unpur-sang.

Les tracteurs ne devenaient pas incontrôlables tout seuls.Ce qui s’était passé ne pouvait qu’être laconséquence d’un sabotage.Un sabotage commis par quelqu’un qui savait que, tous les deux jours,Emma,etpersonned’autre,utilisaitletracteurpourpasserlahersesurlapiste.—Nebougezpas,jevaisallercouperl’arrivéed’essencepourstopperlemoteur.Il se dirigea vers le tracteur qui s’était immobilisé, mais dont les roues arrière continuaient de

tourneretdecreuserdessillonsdeplusenplusprofonds.Qui pouvait bien connaître la mécanique au point de savoir comment faire tourner un tracteur à

pleinepuissancesansqu’onnepuisseplusl’arrêter?Ilsoulevalecapot,sortitletuyaud’alimentationdesonlogementetletorditpourbloquerl’arrivée

d’essence.Lemoteurtoussaquelquesinstants,puiss’arrêta.Ilrelâchaletuyaudecaoutchoucetétudialemoteur.C’étaitunvieuxtracteur,semblableàceluique

possédaitsonpère.Untracteurqu’ilavaitapprisàtrafiquerpourpouvoirlefairedémarrersansclédecontact.Ilexaminalescâblesreliésaustarteretpoussaunjuron.Rienn’avaitétélaisséauhasard.Du coin de l’œil, il vit Emma se relever et s’épousseter avant de s’approcher de lui, le regard

inquiet.—Avez-vousrepéréuneanomalie?luidemanda-t-elle.—Lescâblesdustarterontétésectionnés,répondit-il.Jepensequ’onaaussitouchéaucarburateur

etdévissélacolonnededirectionafind’augmenterleschancesdeprovoquerunaccident.—Çadevientdeplusenplusinquiétant,Mac.—Jedécouvriraileresponsable,assura-t-ilavecgravité.Personnenevousferademal,Emma.Espérantdetoutessesforcespouvoirtenirlapromessequ’ilvenaitdeluifaire,illapritdansses

bras.—Venez, allons nous occuper de Navigator. Ensuite, nous appellerons le shérifWilkes et nous

porteronsplainte.—D’accord.—Jevoisquevoscheveuxontsouffertdansvotrechute,repritMacenremarquantsatressequise

défaisaitetdontl’extrémitésemblaitavoirétéarrachée.Vousm’envoyezdésolé.—Ilsétaientcoincéssousunepierre.Cen’estpasgrave…Detoutefaçon,jesongeaisàlesfaire

couper.

—Sivousm’yautorisez,jeseraisheureuxdem’encharger.—Vraiment?Vousleferiez?—Oui.D’ailleursmoi aussi j’auraisbesoind’unebonnecoupe, ajouta-t-il en sepassant lamain

danslescheveux.Iln’étaitplusalléchezlecoiffeurdepuislejouroùils’étaitfait tirerdessus.Ilavaitnégligéson

apparenceparcequ’ilavaitprisuncoupaumoral,mais,depuissarencontreavecEmma,ilsesentaitaniméd’uneforcenouvelle.Ilétaitdonctempsqu’ilsereprenneenmain.—Danscecas,jerectifievotrecoupe,etvousvouschargezdelamienne.—Marchéconclu,répliqua-t-ilavecbonnehumeur.Unmouvementattirasonattention,etilvitDago,Rahuletunautredeseshommesquivenaientvers

euxaupasdecourse.—MademoiselleClareborn,nousavonsentendulebruitdel’accident.Toutvabien?—Moiçava,maisletracteurestenpiteuxétat,réponditEmmaenfaisantdesonmieuxpournepas

laisserparaître lemalaisequ’elle éprouvait chaque fois enprésencedeVictorDago.Pourriez-vousvouschargerderetournerlapistecematinavecvotreengin?—Oui, bien sûr, répondit-il en se tournant versRahul qui, à son tour, donna des instructions en

arabeautroisièmehomme.Cedernierremontalabutte.—Merci, reprit Emma. Il faudra sans doute quelques jours avant que mon tracteur puisse être

ramenéauhangaretréparé.—Jecomprends,ditDagoenjetantuncoupd’œilversletracteur.—Peut-êtreRahul pourrait-il se charger de passer la herse ces prochains jours ? intervintMac,

voyant làuneopportunitéd’ensavoirplussur lesaptitudesauvolantde l’hommedeDago.Nous lepaierons,biensûr.— En fait, Rahul vient tout juste d’avoir son permis. C’est encore trop tôt pour lui confier un

tracteur.Maissoyeztranquille,jedemanderaiàKarifdepasserlahersetouslesdeuxjoursjusqu’àcequevotreenginsoitréparé.—Mercibeaucoup,réponditEmma.Vousmerendezungrandservice.—Jecroisquenousdevrionsremonter,Emma,ditMacen l’incitantàsemettreenmarched’une

légèrepousséedansledos.Votrechevaldoitêtreprêt,maintenant,etvousavezbesoind’allerprendreunedoucheavantl’arrivéedesonjockey.

***

Ilsentrèrentdansl’enclosetMacdétachalesguidesdeNavigatordutourniquetcentral.—Cettepetiteconversationvousa-t-elleapprisquelquechose?luidemandaEmma.—Oui.Rahulestunconducteurdébutant.—Donc,vouspensezqu’hierilnefaisaitbeletbienques’entraîneràmaîtriserunvéhicule?

—Jen’aipasditcela,précisa-t-ilens’interrogeantsurlamanièredontilpourraits’yprendrepourendécouvrirplussurlesconnaissancesdeRahulenmécaniquesanséveillerlessoupçons.

***

Il étaitunpeuplusde8h30 lorsqueMacpressa leboutonduchronomètre, alorsqueNavigatorbouclaitsonpremiertourdepistelancé.Emmaluiposalamainsurl’avant-braspourconnaîtreletemps.—Ilestrapidecematin,Emma.—Moi je dirais plutôt qu’il est rapide tous les matins, répliqua-t-elle en lui adressant un petit

regardsignificatifavantdereportersonattentionsurlechevalquiétaitdéjàauboutdelalignedroite.Macfermalesyeuxetinclinalatêteàdroitepourécouterlesondessabotssurlapisteetdéterminer

sacadence.Ilrouvritlesyeux,excitéparcequ’ilvenaitd’entendre.LorsqueNavigator négocia le dernier virage avant de débouler sur la ligne d’arrivée, il posa le

pouce sur le chronomètre, prêt à presser le bouton. Le pur-sang passa devant eux à la vitesse del’éclair.Mac brandit le chronomètre pour consulter le temps affiché : une minute cinquante-quatresecondes.—Incroyable!Ilvientdepulvérisersonrecorddedeuxsecondes!Emmaluiadressaunlargesourire.Ilsecomportaitcommeungaminémerveillé,souriantjusqu’aux

oreilles.Jamaisellenel’avaitvuainsi.—Lasemaineavantvotrearrivée,ilacouruenunecinquante-trois,Mac.Elle l’observa pour jauger sa réaction à cette annonce, sans parvenir vraiment à savoir ce qu’il

éprouvait.MacTitusn’étaitdécidémentpasunhommefacileàcerner.—J’avouequ’audépartj’étaissceptiquesurleséellescapacitésdevotrecheval,admit-il.Maisje

doisreconnaîtrequevousn’avezenrienexagéré.Iladucœur.Emmadétourna lesyeuxetobservaGradyqui faisait ralentirNavigatorpour le laisser récupérer.

Elleconnaissaitquelqu’und’autrequiavaitducœur,mêmes’iln’enavaitpaspleinementconscience.—Si vous vous occupez de le desseller et de l’emmener à l’enclos de relaxation, je vais aller

préparersapurée.—D’accord,réponditMacquilaregardasedirigerversl’écurie,unsourireauxlèvres.Lorsqu’elleeutdisparuàl’intérieur,ilseretournaverslapistepuisbaissaencoreunefoislesyeux

surletempsaffichéparlechronomètre.Pour la première fois de sa vie, il comprenait réellement la passion qui avait animé son père,

jusqu’àledévorer.Etcettepassionétaitcontagieuse.

***

EmmapassalepeignedanslescheveuxdeMacetrectifialalongueurdedeuxmèchesquiavaientéchappéàsavigilance.—Voilà!Jecroisquecen’estpastropmal.Ellereculapourlelaisserseleveretôterlaserviettequ’ilavaitsurlesépaules.Sontorsenus’offritàsavue,letempsqu’ilrécupèresachemiseposéesurundossierdechaise,et

ellesentitimmédiatementsonpoulss’emballer.Ellesemitàjoueraveclesciseauxqu’elleavaitencoreàlamainpoursedonnerunecontenance

tandis qu’il finissait de boutonner sa chemise. Elle avait les joues en feu et était persuadée que saréactionneluiavaitpaséchappé.Macluiadressaunsourireespièglequinefitrienpourarrangerleschoses.—Avous,maintenant,dit-elle.Vousavezpromisdelescouperdroitdansledos,mêmesiçavous

obligeàraccourcirnettementlalongueur,luirappela-t-elle.Elles’installasurletabourettandisqu’ilsepostaitderrièreelle.Illuipassalepeignedanslescheveuxd’ungested’abordhésitantpuiscommençaàlesdémêler.Emma ferma les yeux et s’abandonna à la sensationde ses doigts qui devenaient de plus enplus

assurés. Lorsqu’il eut fini de les peigner, il prit les ciseaux, et elle l’entendit inspirer puis expirerprofondément.—Nevousinquiétezpas,Mac,jen’attendspasdevousuntravaildeprofessionnel.Justeunecoupe

décentequimepermettedepatienterjusqu’aujouroùj’aurail’opportunitéd’allerdansunsalon.Maccontemplasesbeauxcheveuxsoyeuxauxrefletscuivréssouslalumièreélectrique.—C’esttoutdemêmeplusdifficilequepourlacrinièreoulaqueued’uncheval.—Nevousposezpasdequestions.Faites-le,c’esttout.Macobservalalignedesescheveuxetrepéralesirrégularités.—Lescôtéssontdéjàdroits.Avec précaution, il commença à prendre des mèches entre ses doigts et les coupa. Au bout de

quelquesminutes,ilreculad’unpasetobservalerésultat.—Terminé.Elleseretournaetluisourit.—Merci.Bien,jevaisallerattendreleDrRemingtonetdonneràmangeràNavigator.Pendantce

temps,allezdonccontemplervotrecoupedecheveuxdansunmiroir.—J’yvaisdecepas,réponditMacavantdepartirpourl’annexe.Ilavaitlasensationd’êtreunhommeneuf,etcomptaitbienterminersatransformation.

***

—Ilal’airenforme,Emma.Continuezàluidonnercespuréesetàluifairefairedel’exercice.Jevaisanalysercenouveléchantillonsanguinetvoustransmettrailesrésultatslundi.

—Trèsbien.Merci,docteur.ElleaperçutMacquientraitdansl’écurie.Ouplutôtc’étaitunhommequiressemblaitàMac,mais

totalementdifférentdeceluiquiavaitquittélasellerieunedemi-heureplustôt.Ilétaitrasédeprèsetplussexyquejamais.—Bonjour,docteur,dit-ilens’approchant.Commentvavotrepatient?Levétérinaireseretournaetneputdissimulersasurprise.—Mac!Sansvoscheveuxlongsetvotrebarbedetroisjours,jenevousavaispasreconnu.Macluisourit,révélantdesdentsd’uneblancheuréclatante.Emmasentitdesfourmillementsluiparcourirtoutlecorps.—C’estvraiqu’ils’estsurpassé.EllecroisaleregardbleuprofonddeMacetsentitl’émotionl’étreindre,tantl’attiranceentreeuxlui

parutforte.—Comment se comporteNavigator sur la piste ?demanda leDrRemington en fouillant dans sa

mallette.— Ce matin, il a encore amélioré son temps, répondit Mac qui s’approcha pour observer le

vétérinaire.—Çanevousdérangepassijedonnelarecettedevospuréesàd’autresranchesdusecteur,n’est-

cepas?—Desranchesquientraînentdeschevauxpourlederby?—Oui, il y a Sundance Farm qui a des ambitions, ainsi que Calumet. Dans ces deux endroits,

quelqu’unamélangédelabutazolidineàlanourrituredeleursbêtes.—Allez-y,donnez-leurletuyau.Detoutefaçon,aucuncheval,dopéoupas,nepourrarivaliseravec

notreNavigator,ditMacenregardantEmma,quiluisourit.—CebonvieuxCalliwayseraitfier,répliqualevétérinairequiadministraunedosed’hormonesà

Navigatoravantdenettoyersaseringueetdelaranger.Macdissimulaletroublequeluicausal’allusionduvétérinaireàsonpère.— Il aurabesoind’unedose supplémentaire lorsqu’il aura complètement éliminé labutazolidine.

Mais,d’abord,ilfautquejesacheoùilenestduprocessusenanalysantceprélèvementsanguin.—Merci,docteur,ditEmmaquifitmarcherNavigatorquelquesinstantsavantdelereconduireàsa

stalle.Elle referma la grille et regarda la température sur le thermomètre mural, avant de sortir en

compagnie de Mac et du vétérinaire dans la douceur de l’après-midi ; le temps s’étaitconsidérablementréchauffé,etelleespéraitqu’ilresteraitainsijusqu’àlaHolidayClassic.IlssaluèrentleDrRemingtonetleregardèrentmonterenvoitureets’éloigner.—C’estgentildevotrepartd’avoiracceptéqu’iltransmettevotreremèdeauxautresranches.— Pour l’instant, il faut rester prudent. Nous n’avons pas encore la certitude que ce régime va

réussir,répliquaMacenluiadressantunsourireravageur.Emmadutfaireappelàtoutessesforcespourrésisteràl’enviedepasserlamainsursonvisagerasé

deprès.

Le ronronnement d’un véhicule en approche attira leur attention. Peu après, la voiture du shérifWilkes remonta l’allée. Le gravier crissa sous ses pneus lorsqu’il s’arrêta. Il coupa le contact etdescenditdevoiture.—Bonjour,Emma,bonjour,Mac,lessalua-t-ilenportantlamainàsonchapeau.Lestandardm’a

transmisvotreappelausujetdel’accidentdecematin.Oùestletracteur?J’aimeraisbienyjeterunœil.— Il est toujours en bas de la pente derrière le premier virage de la piste d’entraînement. Cet

accidentafaillicoûterlavieàEmma.SespropresparolesrappelèrentàMacàquelpointEmmaétaitvulnérable,àquelpointilsétaient

tousexposésaudangertantqueleresponsabledecesforfaitsn’auraitpasétéarrêté.—Venez,jevousemmène,proposa-t-ilaushérif.—Jeresteicipourm’occuperdeNavigator,intervintEmma.Jevaislebouchonneretluipanserles

jambes.Ellen’avaitaucuneenviede revoir lascènede l’accidentpour lemoment.Ellen’étaitmêmepas

sûrequ’elleoseraitunjourremontersanscraintesurletracteur.

***

—Vousavezraison,lescâblesdustarterontétévolontairementsectionnés.Jevaisenvoyerundemes hommesprendre quelques photos et je rédigerai un rapport.Mais évidemment, si personne n’aassistéausabotagedutracteur,l’enquêtevaencorepiétiner.—Etdanslesautresranches,çasecalmeunpeu?— Non. Nous avons demandé aux propriétaires de surveiller la nourriture de leurs chevaux, et

plusieursontrappelépournousinformerqu’ilsavaientlemêmeproblèmequevous.Meshommesfontletourdesranchesdelarégionpourinterrogertoutlemonde,mais,jusqu’àmaintenant,personnen’aconstatéd’agissementssuspects.Silesincidentscontinuent,tenez-moiaucourant.Tousdeuxremontèrentlabutte.—Etqu’enest-ildelasécurité?demandaMac.D’autresranchesont-ilengagédesvigiles?—Pourlemoment,deuxl’ontfaitetn’ontpluseud’incidentsàdéplorer.—Bien.Çanousapprendaumoinsquelesresponsablesdetoutcelasetiennentinformésdecequi

sepassedanslarégionetsaventoùlesmesuresdesécuritéontétérenforcées.Peut-êtredevrais-jemepromener sur le ranch en laissant mon arme visible en permanence. Il se pourrait que ces typescomprennentlemessageetdécidentdenouslaissertranquilles.—Vouspouveztoujoursessayer,Mac.Ilsatteignirentlavoituredushérif.—Entoutcas,cematin,larécompensepourleurcaptureestpasséeàcinquantemilledollars.Macémitunsifflementtandisqueleshérifmontaitenvoiture.—Voilàquimodifieunpeuladonne.

— Les propriétaires de chevaux sont inquiets. Certains commencent même à paniquer. Leursanimauxsontextrêmementprécieuxàleursyeuxetilsveulentqueleresponsabledecesattaquessoitstoppéauplusvite.Pourcela,ilsnerechignentpasàmettrelamainauportefeuille.Macacquiesça.LeshérifWilkesfermasaportière,démarraets’enalla.Pourlemoment,parchance,personnen’avaitététué,mêmesi,cematin,Emmaavaitfrôlélepire.Iltournalestalonset,ducoindel’œil,vitRahuls’empresserderentrerdanslasecondeécurie,de

l’autrecôtédelapiste.Simplecoïncidenceoulesavait-ilespionnés?

***

Macseréveillaensursaut,seredressaetrepoussalesacdecouchage.Iltournalatêteàdroiteetcherchaàdéterminerl’originedubruitquil’avaittirédusommeil.En-dessousdelui,Navigatorétaitagitéettournaitenronddanssonbox.Macenfilasesbottes,descenditdufenilparl’échelleet,arrivéenbas,s’immobilisapourprêterde

nouveaul’oreille.Ilfermalesyeux,seconcentraetperçutungrincementenprovenancedufonddel’écurie.Etait-ceunanimal?Unratonlaveuràlarecherchedenourriture?Unputoisquiavaitréussiàse

glissersouslaporte?NavigatorpassalatêteàtraverslagrilleetMaclecaressaaffectueusement.Leschevauxétaienttrès

sensiblesaudanger,plusencorequeleshumains.—Quesepasse-t-il,mongrand?Pourquoies-tusiagité?Il se rendit dans la sellerie et neutralisa les détecteurs de mouvement. Si quelqu’un cherchait à

s’introduiredansl’écuriecesoir,l’effetdesurpriseseraitpourlui.Il approcha lentement de la porte d’entrée, l’ouvrit, se glissa à l’extérieur et se plaqua dos à la

paroi.L’airétaitfroidetpiquant.Soudain,dansl’enclosattenantàl’écurie,ilvituneformesedéplacer.S’ilvoulaitsurprendrel’intrus,ildevaittraverserl’écurieetressortirparlaportedederrière.Ilretournaàl’intérieur,sortitsonportableetcomposale911.Lorsquelastandardisterépondit, il

expliquaàvoixbasselasituationetraccrocha.Ilallajusqu’àlaportedederrièreetl’entrouvritlentement,prêtàsejetersurl’individuavantqu’il

puisses’enfuir.Soudain,ils’immobilisaethumal’air.Ilinspiraàfond,afind’êtrecertaindenepassetromper.Delafumée?Oui,c’étaitbiencequ’ilsentait.Uneodeurdefumée.

9

Macsentitsoncœurs’emballer.Lefeu.PasétonnantqueNavigatorsoitagité!Ilpassalatêteparl’entrebâillementdelaporteetaperçutdumouvementainsiquelerougeoiement

d’uneflammeaucoindel’écurie.Il sortit silencieusement et se dirigea à pas de loup vers un homme au visage dissimulé par un

bandana,unbrûleuraupropaneàlamain.Sentantsoudainuneprésencederrièrelui,l’hommefitvolte-face,surpris.Macluienvoyaundirectauvisage.L’hommevacillaetbranditsonbrûleurdontlaflammeeffleuralavestedeMac.IlyeutuneodeurdetissubrûléetMactapotavivementsavestepouréviteraufeudeprendreavant

desejeterdenouveausursonadversaire,sesforcesdécupléesparlacolère.Lepyromanebascula en arrière et laissa tomber sonbrûleur.Macydonnaun coupdepiedpour

l’éloignerdel’écurieetfrappaencoreunefoisl’intrus.Cederniern’étaitplusenmesuredesedéfendre.Uncrépitementattiratoutàcoupl’attentiondeMac,quiseretourna.Impuissant,ilconstataquelefeuavaitprisauxparoisdel’écurieàdeuxendroitsdifférents.Ildevait

agirsanstarder.Ilsaisitl’incendiaireparlecoletleforçaàserelever.—Allez,enavant!ordonna-t-ilenletirantverslaporte.—Non,jenerentrepaslà-dedans,ilyalefeu!s’écriasonadversaireensedébattant.LaprioritéétaitdefairesortirNavigatoravantquelefeulemetteendanger,maisMacn’avaitpas

pourautantl’intentiondelaisserfilersonprisonnier.— Tant pis, tu l’auras cherché, rétorqua-t-il avant de saisir l’inconnu derrière la tête et de

l’assommercontrelemontantdelaporte.L’hommes’effondra.Maclesoulevaetlejetasursonépaulecommeunsacdegrain.Ilentradansl’écurieetallumatoutesleslumières.Lafuméecommençaitàs’immisceràl’intérieur.

Ildevaitfairevite,trèsvite.S’approchantde la stalle deNavigator, il sedébarrassade son fardeau et composa le codepour

déverrouillerlagrille.Ilnesepassarien.Illecomposadenouveau,nerveusement.Cettefois,leverrourépondit,etMacs’empressad’ouvrir

la grille et de pénétrer dans le box. Ses yeux commençaient à le piquer à mesure que la fuméeenvahissaitl’écurie.Les lampes vacillèrent puis s’éteignirent complètement, plongeant de nouveau les lieux dans

l’obscurité.SeulelaguirlandelumineuseextérieureinstalléeparEmmaprocuraitunpeudelumière.—Toutdoux,ditMacàNavigatorenluipassantsonharnaisàtâtons.

Al’entréedubox,ilperçutunmouvementmaisn’eutpasletempsderéagir.Ilreçutuncoupviolentaufront,sansdouteportéavecunepelle,etsentitunliquidechaudcoulersur

sonvisage.Etourdi,ilfaillitlâcherlesguidesdeNavigatorpuis,dansunéclairdelucidité,serralamainets’y

accrocha.Navigatorbondit.Desessabotsavant,ilfrappal’agresseurdeMac.L’hommetombaets’éloignaun

peuàquatrepattesavantdesereleveretdes’enfuirencourant.—Toutdoux,toutdoux…,ditMacàNavigatorpourtenterdelecalmer.IlsecoualatêteetselançaàlapoursuitedufuyardentirantNavigatorderrièrelui.Quelquesinstantsplustard,ilentenditlaported’entrées’ouvrirpuisserefermer.Ilatteignitlaporte,poussalebattantetsortitdanslanuit,inspirantunebonnegouléed’air.—Mac!IltournalatêteetvitalorsEmmaqui,àl’aided’unefourche,tenaitlepyromaneenrespectcontrela

paroi.—J’aiappelélespompiersdèsquej’aisentilafumée.Ilsserontlàd’uneminuteàl’autre.Macsesentitsoulagé.Ilsétaientsainsetsaufsetavaientstoppél’hommequisouhaitaitleurperte.—Jevouséchangeunchevald’exceptioncontrecetype,dit-ilàEmma.L’unvaremporterlederby

etsecouvrirdegloire,l’autrevaallermoisirenprisonetauratoutletempsderéfléchiràsesactes.—Marchéconclu,réponditEmmaquilâchasafourcheetpritlesguidesdeNavigatoravantdele

tireràl’écart.Mac saisit l’incendiaire par le col et lui ôta le bandana qui couvrait la partie inférieure de son

visage.Ilseretrouvafaceàungaminquidevaitavoiràpeineplusdedix-huitans.—Leshérifvaarriverd’uneminuteàl’autre.Tuesbonpouruneinculpationpourtripletentativede

meurtreetincendievolontaire.—Jenesaispasdequoivousparlez,répliqualegarçon.Jen’aitentédetuerpersonne!Lebruitdesirènesquiserapprochaientperçalesilence.— Et mettre le feu à une écurie alors que j’étais à l’intérieur, tu appelles ça comment ? Un

barbecue?Tunousastirédessusàlacarabine,tuassabotéletracteurpourprovoquersciemmentunaccident.Donc,çafaitbientroistentativesdemeurtre.—Jen’aipastouchéàvotretracteur!Macletiraaucoindelamaisonetlefitasseoir.Pensait-ilquecegaminavoueraitspontanémentsesforfaits?Cependant,iln’avaitpasniéleuravoir

tirédessusniavoirmislefeu.Ilavaitseulementditn’êtrepourriendanslesabotagedutracteur.Macs’accroupitàcôtédelui.—Commentt’yes-tupris?Est-cetoiquiasinstallélescamérasdanslesfenilspoursavoircequi

sepassaitdansl’écurie,déterminerquandtupourraist’yintroduire,etmélangerdelabutazolidineàlanourrituredenotrepur-sang?—Tuperdslatête,mec!Jenecomprendsrienàcettehistoiredecaméras.Macserelevaetregardalegamincroiserlesbrasetprendreunairblasé,commesicequirisquait

deluiarriverluiétaitindifférent.Disait-illavéritéausujetdutracteuretdescaméras?sedemandaMac,songeur.Apremièrevue,

mentirnesemblaitpasêtresonfort,maisilfallaitqu’ilenaitlecœurnet.—Quelâgeas-tu?—L’âgequej’ai.—L’âged’un adulte ?En tout cas, c’est commeun adulte responsable que tu seras jugé.Tu vas

passerdesmomentsdifficiles.Encoreplussiturefusesdemedirepourquitutravailles.Lejeunehommelevalatêteverslui,malàl’aise.—BradNelson.—BradNelsondeCramerStables?—Ouais.Macsetutetcontemplalejeunehommequi,secondeaprèsseconde,semblaitprendreconsciencede

lagravitédelasituationetperdretoutearrogance.IlvitEmmaquirevenaitverslui,tandisqu’uncamiondepompierss’engageaitdansl’allée.—Navigators’est-ilcalmé?— Oui. Je l’ai mis dans l’enclos du fond, près de l’écurie de Victor. Ses hommes sont tous

rassembléslà-bas,àregardercequisepasse.Illuientouralesépaulesdesonbras.—Etvous,çava?Voustenezlecoup?—Maintenant que je sais que nous sommes tous sains et saufs, ça vamieux. Une écurie, ça se

remplace,maispas…Elles’interrompitetleregardaavecuneexpressioninquiète.—Votrenezestpeut-êtrecassé.Ques’est-ilpassé?—Legaminm’afrappéavecunepelle.—Aïe!Ellebaissalesyeuxetregardalejeunehomme.Elleétaitsûredel’avoirdéjàvu.—Ehbien,désormais,ilal’airmoinsfier.Vousa-t-ilditpourquiiltravaillait?—BradNelson.—Maisn’est-cepasluiquiétaitcenséavoirreçuunelettredemenacesemblableàlanôtre?—Si.Cequisignifieque,si legaminditvrai, ilautilisécette lettrepourapparaîtrecommeune

victimeetéloignerlessoupçons.Derrièreeux,lespompiersdéroulaientlalanceàincendieets’attaquaientaufeu.Macobservale jeunehomme,quise tenait levisageentre lesmains.Ilespéraitsincèrementqu’il

sauraittirerlaleçondesesactes.Le shérifWilkesdéboulaà son tourdans l’allée, suiviparun secondcamiondepompiers etune

ambulance.Ilbonditdesavoiture,lesrepéraetcourutverseux.—Onm’atransmisvotreappel,Mac.C’estluilecoupable?—C’estbienlui,oui.IlprétendagirpourlecomptedeBradNelson.

Lejeunehommerelevalatête.Ilavaitunœilquicommençaitàenfler.—Debout, lui ordonna le shérif en portant lamain auxmenottes fixées à sa ceinture. Comment

t’appelles-tu,mongarçon?—CraigMcFarlane.—BradNelsont’a-t-ilengagépourmettrelefeuàl’écuriedeMlleClareborn?—Oui,monsieur.Emmaéprouvadusoulagementmêlédetristesseàlavuedushérifquipoussaitlejeunehommevers

savoiturepourl’emmenerlàoùilnepourraitplusleurcauserd’ennuis.Elles’appuyacontreMacquipassadenouveaulebrasautourdesesépaules.—Queva-t-ilarriveràcegamin?demanda-t-elle.—S’ilaplusdedix-huitans,ilvapasserunbailderrièrelesbarreaux.Mettrevolontairementlefeu

estungravedélit.Pourcequiestdestirsquenousavonsessuyés,leshérifdevratrouverdesélémentssolides pour prouver que c’est bien lui qui en est à l’origine.Mais si par malheur on retrouve lacarabine lors de la perquisitionde sondomicile, il risque carrément l’inculpationpour tentativedemeurtre.—Etletracteur?A-t-ilavouél’avoirsaboté?—Non.Etilaégalementprétendunepasêtreaucourantpourlescamérasdesurveillance.IlsentitEmmafrissonneretserenditcomptequ’ellen’étaitvêtuequed’unesimplerobedechambre.—Rentrezvousréchaufferchezvous.Jepeuxm’occuperdesformalitéset,sinécessaire,nousirons

aupostedepolicedemainmatin.— Je vais aller passer des vêtements chauds, mais je reviens. Nous ne pouvons pas laisser

Navigatordehorstoutelanuit;ilfaittropfroid.Ilfauttrouverunesolution.Mac la regarda partir vers lamaison. Elle avait raison. Ils ne pouvaient pas laisser le pur-sang

dormiràlabelleétoile.Latempératureavaitdenouveaubrutalementchuté,et ilrisquaitdeprendrefroid.Ilsongeaauxoptionspossiblesetcompritvitequelechoixétaitlimité.Il repéra le capitaine des pompiers et se dirigea vers lui pour s’enquérir de l’étendue des

dommages.S’ilsétaienttropimportants,ilneleurresteraitplusqu’unesolution,etelleneluiplaisaitguère:ilsdevraientprovisoirementinstallerNavigatordansl’écuriedeVictorDago.

***

—Non,ditEmmad’untonrésoluensecouantlatête.Ildoitbienyavoirunautreendroitoùnouspouvonsl’installerquelquetemps.Ellerelevasamanchedemanteaupourregarderl’heureàsamontre.Ilétait3h22.L’incendieavait

étémaîtrisédepuislongtempsetlespompiersavaientdéblayédumieuxpossible.LeshérifWilkesétaitsans doute déjà à la porte de Brad Nelson, et Craig McFarlane avait entamé sa première nuit endétention.

—Bonsang,Mac,voussavezquejen’aiaucuneconfianceenVictor!Laseuleperspectivedemeretrouverprèsdeluimehérisse.—Ilfautprendreunedécision,Em’.Navigatornesupporterapasdepasserlanuitdehorsavecune

couverturesurledos.Latempératureavoisinezérodegré.Epuisée,incapabledetrouveruneautresolution,Emmafinitparcéder.—D’accord,maisseulementpourcettenuit.Demain,nousnousdébrouilleronsautrement.—Siçapeutvousrassurer,jedormiraiàcôtédesonbox.Ellelevalesyeuxverslui.— Nous formons une sacrée paire, dites-moi. Moi avec mon front écorché et vous avec votre

entaillesurlenez.—Oui,mais le jeu en valait la chandelle.Wilkes a l’intention de presserMcFarlane comme un

citronpourenapprendrelepluspossible.Nousfinironspeut-êtreparsavoircequ’ilafaitexactementàFirehilletdanslesautresranchesdelarégion.—Ets’ils’obstineànieravoirsabotéletracteuretinstallélescaméras?— Eh bien ça signifiera que nos ennuis ne sont pas terminés. Allez, venez, occupons-nous

d’emmenerNavigatordansl’écuriedeVictor.Nousferonslepointsurlasituationdemainmatin.—C’estdéjàlematin,Mac…

***

Maclevalamainetfrappadoucementàlaportedel’annexe.Al’intérieur,ilyeutunbruitsourd,puislaportes’ouvrit.UndeshommesdeVictorapparutensefrottantlesyeuxetledévisageacommes’ilvoyaitlediable.—IlfautquejeparleàVictor.L’hommesecoua la têteets’adressaenarabeàsescomparses. Ilyeutunnouveaubruitsourd,et

Rahulfitàsontoursonapparition.—Puis-jevousaider?—Désolédevousdérangeràcetteheure,Rahul,maisjedoisabsolumentparleràVictor.Acause

de l’incendie,Navigator n’a plus d’abri pour la nuit, et nous aurions besoin de l’installer quelquesjoursdansvotreécurie,letempsquel’autresoitremiseenétat.Rahulditquelquesmotsàsescompagnons,obtintuneréponsepuissetournadenouveauverslui.—Victorn’estpas là,sacouchetteestvide.Jesaisque, toutà l’heure, ilestalléà l’écuriepour

calmerDragon’sSoulquelebruitdessirènesaexcité.Ildoittoujoursêtrelà-bas.—Bien,merci.Jevaisvoirsijeletrouve,ditMacquientenditlaporteserefermerderrièreluidès

qu’ileuttournélestalons.IlrejoignitEmmaquil’attendaitauboutdel’alléeencompagniedeNavigator.Ilétaitpersuadéque,

derrièrelesrideauxdelapetitefenêtredel’annexe,quelqu’unl’observait.—Qu’a-t-ildit?

—Victorn’étaitpaslà.Rahulm’aapprisqu’ilestalléàl’écuriepours’occuperdeDragon’sSoulquelebruitdessirènesaénervé.—Ilenfauttrèspeupourénervercecheval,detoutefaçon.Tous deux se dirigèrent vers l’écurie secondaire. Mac n’aurait pas su expliquer pourquoi il se

sentaitsoudainnerveux.L’écurie,devanteux,étaitéclairée.—Nousdevrionsveiller à installerNavigator aussi loinquepossibledeDragon’sSoul,déclara

Emma.Macétaitbiend’accord.Silesdeuxchevauxvenaientàseretrouverfaceàface,ilsrisquaientdese

battreetpourraientseblesser.—Nouslaisseronssagrilledestallebienferméeetnousleferonssortirparl’enclos,pourqu’ilsne

secroisentjamais.—Oui,bonneidée.Ilsentrèrentdansl’écurie.Emmaouvritlagrilledelapremièrestallesurlagauche,l’inspectapuis

ouvritlerobinetd’eaupourremplirleseaudenettoyage.Mac leva les yeux et cherchaVictor du regard.Où était-il ? Il entendit un petit hennissement en

provenancedelastalledufond.Etait-ceDragon’sSoul?—Victordoitêtreaufond.Jevaisallerluiexpliquercequisepasse.—D’accord,merci,réponditEmmaavecunregardindiquantqu’elleluiétaitreconnaissantedes’en

charger.Alavued’Emma,Macsentitsoncœurseserrer.SamissionàFirehillprendraitpeut-êtrefintrès

prochainement.Sil’enquêtedéterminaitquelesresponsablesdesattaquescontreleranchavaienttousétémishorsd’étatdenuire, saprésencen’auraitplusde justification.Danssonboulot, çamarchaitcommeça.Ilallaitoùonluidisaitd’alleretpliaitbagageaussivite.L’attachementauxlieuxouauxpersonnesn’étaitpascompatibleavecsontravail…Ilseretournaetsemitàremonterlatravéecentrale.Au fur et àmesurequ’il approchait,Dragon’sSoul s’agitait de plus enplus. Il poussait depetits

hennissementsquiressemblaientàdesappelsdedétresse.Machâtalepas.Ilpassadevanttroisautresboxesetsefitlaréflexionqueleursoccupantsn’avaientenrienl’alluredechevauxdecourse,cequiétaitpourlemoinsétrange.Quediablesepassait-ilici?Entre-temps,EmmaavaitdéfaitlelicoudeNavigator.Ellesortitdubox,fermalagrilleets’assura

dubonétatduverrou.—Emma!L’appeldeMac,lanoted’urgencedanssavoixlamirentimmédiatementenalerte.Ellejetauncoup

d’œildanslatravéecentralemaisnelevitpas.Ildevaitêtredansl’undesboxes.—Mac?—JesuisdanslastalledeDragon’sSoul.Elletraversal’écurieaupasdecourseets’arrêtanetàl’entréeduboxdel’étalon,aussitôtprisede

tremblementsnerveux.—Appelezuneambulance,ilrespireencore.

Ellecherchadanssapochedemanteaud’unemainmalassuréeetsortitsonportable.Ellecomposale911,leregardrivésurlecorpsensanglantédeVictorDago.Ilétaitaffalédanslefonddelastalle,lecrâneàmoitiédéfoncé.

10

MacsepenchasurVictoretluiposalamainsurl’épaule.Saplaieaufrontavaitplusoumoinslecontourd’unsabotdecheval.Dragon’sSoulavaitprobablementpaniquéetfrappéVictord’uneruadelorsqu’ilétaitentrédanssa

stallepourlecalmer.Etantdonnélapuissancedel’animal,iln’étaitpassurprenantqueVictoraitperduconnaissance.Ilémitunfaiblegémissement.Macsepenchadavantage.—Victor,c’estMacTitus.VousavezétéblesséparDragon’sSoul.Emmaaappeléuneambulance,

lessecoursserontbientôtlà,tenezbon.Victorgémitdenouveau,plusfort,ettentadeparler.DerrièreMac,Dragon’sSoultournaitnerveusementenrond.Macseméfiait,mêmes’ilnes’estimait

pasendanger.Ilsentaitquelegrandétalonexprimaitdel’inquiétude,pasdel’agressivité.—Lessecoursarrivent,Mac.Quepuis-jefaire?demandaEmma,revenueàl’entréedubox.—Attrapezlechevaletinstallez-ledansuneautrestalle.Lesmédecinsnepourrontpastravailler,

s’ilrestelà.—Vousplaisantez?IlvientdefrapperVictor.JevaisallerchercherRahul.Ildoitsavoircomment

s’yprendreaveclui.—D’accord,acquiesça-t-il,comprenanttrèsbienqu’Emmaneveuillepass’approcherdel’étalon.Soudain,Victorluisaisitlepoignetetleserraavectoutelaforcedontilétaitencorecapable.Surpris,Mactournalatêteetsepenchapourêtretoutprèsdelui.—Accrochez-vous,Dago.Lessecoursarrivent.Dagoentrouvritlesyeuxetbattitdespaupières.Sonregardétaitvague,maisilparutlereconnaître

etessayerdeseconcentrersurlui.—Uneval…,chercha-t-ilàarticuler,lesoufflecourt.Perplexe,Macinclinalatêteàdroite,l’oreilleàquelquescentimètresdelabouchedeDago.—Quevoulez-vousmedire,Dago?—V…ise,reprit-ild’unevoixàpeineaudible.—Valise,c’estça?—Dansuneval…Derrièrelui,Macentenditdesbruitsdepas.—Dansunevalise,est-cecequevousessayezdemedire,Victor?Qu’ya-t-ildansunevalise?

Desinformationssurvotrepatron?L’étreintesursonpoignetserelâcha,etVictorexhalaunfaiblesoupir.

MactournalatêteetvitRahuletEmma,essoufflésd’avoircourupourrevenirleplusvitepossible.IlposalamainsurlecoudeVictor,àlarecherched’unpouls,sanssuccès.—Mac,faitesquelquechose!l’imploraEmma.Hélas ! iln’yavait sansdouteplusgrand-choseà fairepourVictorDago.Saplaieaucrâneétait

profondeetilsaignaitabondamment.Maiss’ilrestaitunepetitechance…—Jevaistenterunmassagecardiaque.

***

Emmasetenaitàl’extérieurdelastalleetregardaitMactournerautourdeDragon’sSoul,inquiète.—Faitesattention,Mac.—Ilnevapasmefairedemal,Emma.—C’estaussicequeVictorcroyait.L’imagedeVictor, levisageensanglanté, lahantait.Quelquesminutesplus tôt, ilavaitété installé

dansl’ambulance,quifonçaitmaintenantversl’hôpital.Rahulétaitavecluietlesmédecinsfaisaientleurpossiblepourlesauver,mêmesiseschancesdesurvieétaientminces.—Regardezcetteentaille,ditMac,quipassa lamainsur lepoitrailduchevalavantde lever les

yeuxverselle.Commenta-t-ilpuselafaire?Certes,elleestsuperficielle,maisjen’airienremarquédecoupantdanslastalle.—Jenesaispas.C’estpeut-êtreVictorquilaluiafaiteenessayantdesedéfendre.—Peut-être.EmmacontinuaàregarderMacquis’étaitmisàsouleverl’uneaprèsl’autrelesjambesdel’étalon

pourexaminersessabots.Ilgrattalaterresurlesfersetlesobservadeprès.Emmasoupira.Cequis’étaitpassécesoirétaitdramatique.Lefaitquecetaccidentaiteulieudans

uneécuriedeFirehillFarmluifaisaitencoreplusmal.Elle contempla pendant quelques secondes le magnifique étalon noir, qui semblait parfaitement

inoffensif,etfrissonna.—Jevaisallerdormirunpeuavantdem’effondrer.— Patientez une minute, je vais vous raccompagner jusqu’à la maison. Ensuite, je reviendrai

m’occuperdelacoupuredecetanimal.Iltapotaaffectueusementl’encolureducheval,ouvritlagrilledelastalleetlarefermaderrièrelui

avecprécaution.Ils traversèrent l’écuriecôteàcôtesansunmot, jetantaupassageuncoupd’œilàNavigator,qui

dormaitpaisiblement.Macsentaitqu’illuifaudraitplusieursheuresavantquesontauxd’adrénalinecommenceàbaisser.

Acemoment-là,leshérifWilkespasseraitexaminerlelieudelatragédieetconcluraitsansdouteàunregrettableaccident.Unanimalterrifiéavaitmortellementblessésonmaître.Dieusaitquel’incendieavait fait paniquer tout lemonde et que les circonstances étaient donc réunies pour qu’un accident

survienne.Pourtant,Macavaitdesdoutes.— Demain, je veux que vous preniez votre journée pour vous reposer, Mac, dit Emma. C’est

dimanche, et comme Craig McFarlane a été arrêté, Navigator n’est plus autant en danger. Jem’occuperaideluipréparersespuréesdemainmatin.Macposaunemainsursonavant-bras.—Emma,c’estdéjàdemainmatin…Saplaisanterieenretouràcellequ’elleavaitfaiteunpeuplustôtluiarrachaunpâlesourire.Macla

pritdanssesbrasetlaserracontrelui.—Çavaaller,Emma,luimurmura-t-ilensentantsoncorpssoudainsecouédesanglots.Personnene

s’attendàunetelletragédie.Tousceuxquiviventavecleschevauxlesaimentetontdumalàadmettrequ’ilspuissentcauserunaccidentaussiviolent.Maiscen’ensontpasmoinsdesanimauxattachants,Emma,etDragon’sSoulestunboncheval.Ellereculad’unpaspourledévisager.—Commentpouvez-vousdirecelaalorsqu’ilvientdefracasserlecrânedeVictor?—Jen’aipasvudesangsursessabots,nisursesfers.—Etes-vousentraindedirequecen’étaitpasunaccident?—Jedissimplementque,quandleshérifseralà,jeluidemanderaidefairedesprélèvementssur

lessabotsdeDragon’sSoulpourquenousenayonslecœurnet.Illuipassadoucementlamainsurlajoueetelleinclinalatêtepours’abandonneràsacaresse.Il

sentitledésirmonterenluimaissecontentadeluidéposerunbaisersurlefront,avantdelaprendreparlamain.Tousdeuxrepartirentverslamaisonalorsquelejourcommençaitàselever.

***

EmmaremplitdepuréeleseaudeNavigatoretleregardaplongerlatêtededansavecentrain.—Tuadoresça,toi,hein?luidit-elleenlecaressant.Pofites-en,car,lasemaineprochaine,tuseras

officiellementcomplètementremis.—Vousparlezàvotrecheval?Etquevousraconte-t-il?EllelevalesyeuxetvitMacquil’observaitpar-dessuslagrilledelastalle,lesourireauxlèvres.—Ilmedemandes’ilpeutenavoirencore.—C’estbiencequejepensais.Illuiouvritlagrillepourlalaissersortir.—LeshérifWilkesvientd’arriver.Ils’estrenduàl’annexeavecRahulpourapprendreaurestede

l’équipequeVictorasuccombéàsesblessures.—Oh!non…

Emmasentitsoncœurseserrer.—A-t-onprévenusafamille?—Jenesaispas.Vousenavait-ilparlé?—Non.Maisjen’aijamaisprisletempsnonplusdeluiposerdesquestionsàcesujet.Elleressentaitdelaculpabilitéetétaitauborddeslarmes.—J’auraisdûlefaire,etjemesensdésoléepoursesproches.Lafamilleestunedeschoseslesplus

importantesquisoient.Perdreunproche,c’estcequ’ilyadepire.LevisagedeMacsecrispa.Emmaeutlacertitudequ’ilavaitétésurlepointdedirequelquechose

àcesujet,maiss’étaitravisé.Ilsecontentadepincerleslèvres.—Wilkesvaveniricipourexaminerlascènedudrame.Souhaitez-vousresterdanslesparages?—Non,j’aid’autresprojets.Detoutefaçon,jecroisquejenesupporteraispasd’entendrerelater

avectouslesdétailscequis’estpassécettenuit.—Jecomprends.Elleluiadressaunfaiblesourireavantdequitterl’écurieetsentitsonregardposésurellejusqu’à

cequ’ellesoitsortie.Mac reporta son attention sur la stalle de Dragon’s Soul. L’étalon noir l’accueillit avec un petit

hennissementets’approchadelagrillepourpasserlatêteetsefairecaresser.Peuaprès,leshérifentradanslebâtiment.—C’estvraimentterrible,cequis’estpassé,dit-ilenrejoignantMac.Jesuisvraimentdésoléque

cesoitarrivéàFirehill.LeshommesdeDagoprétendentqueDragon’sSoulesttrèsagressifetapourhabitudedechercheràfrapperdesessabotsceuxquis’approchentdelui,depréférenceparsurprise.Jesupposequec’estcequiestarrivéàDago.Macsegardad’exprimersonopinion.Ilavaitobservélechevaldeprèsetnecroiraitqueleschoses

s’étaientdérouléesainsiquelorsqu’ilenauraitlapreuveirréfutable.—Venez,jevaisvousmontreroùaeulieul’accident,dit-ilavantdeprécéderleshérifjusqu’àla

stalle. J’ai trouvéVictor ici, expliqua-t-ilendésignantprécisément l’endroitoù ilgisait.Lorsque jesuisarrivé,ilétaitdéjààmoitiéinconscientettrèsfaible.—Qu’avez-vousfaitaprèsl’avoirdécouvert?—J’ai tentéde le réconforterpendantqu’Emmaappelaituneambulance. Ilamarmonnéquelques

parolesincohérentes,et,ensuite,ilacesséderespirer.J’aicherchésonpoulsetjen’enaipastrouvé.Emmam’aimplorédelesauver,alorsj’aitentéunmassagecardiaque,mêmesijesavaisque,danssonétat,c’étaitsansdouteperdud’avance.—Quevousa-t-ilditexactement?— Il a parlé de valise. Il a dit : «Dans une valise. » J’ai pensé qu’ilm’expliquait peut-être où

trouverlescoordonnéesdesonpatronoudesafamille.Jenesaispas.—J’aidemandéàseshommesderassemblersesaffairespersonnellesetdemelesapporter.Ily

avait bien une valise, dont j’ai inspecté le contenu, mais je n’ai trouvé aucune information sur safamille ou autre. Selon ses hommes, ses proches vivent enCalifornie. Par ailleurs, le personnel del’hôpitalm’aremissonportefeuille,quicontenaitsonpermisdeconduireetsalicenced’entraîneur.MacsedemandaquelsenspouvaientavoirlesdernièresparolesdeVictor.

—Au fait, il y a un détail que vous ignorez peut-être au sujet de Victor Dago. J’ai un ami quitravailleaubureaulocalduFBIàLexington,etquiadoncaccèsà labasededonnéesrelativesauxpersonnes détentrices d’une licence d’entraîneur de chevaux au Kentucky. Comme je craignais queVictor et ses hommes soient à l’origine des attaques contre Navigator, je lui avais demandé de serenseigner sur lui. C’est ainsi que j’ai appris qu’il n’y avait aucun Victor Dago enregistré commeentraîneurdansleKentucky.—Salicenceétaitdoncunfaux?—Çam’en a tout l’air, réponditMac qui observa la mine perplexe du shérif. Et en parlant de

falsification,cettenuit,aprèsl’accident,j’aiinspectélessabotsdeDragon’sSoul.Jen’yairemarquéaucune trace de sang. Pourtant, la plaie au front de Victor était profonde. Et vous remarquerezégalementqu’iln’yaaucuneéclaboussuresanglantesurlesparois.Wilkess’approchapourobserver lascènedeplusprès,puissortitunpetitappareilnumériquede

l’unedesespochesetpritunesériedeclichés.—J’aiunkitdeprélèvementsdansmavoiture.Jevaisallerlechercher.Leshérifquittalebox.Désireuxderespirerunpeud’airfrais,Maclesuivit.Lemanquedesommeil

commençaitàsefairesentiretilavaitdeplusenplusenviedeprofiterdel’offred’Emmadeprendresajournée.IlvitRahulsortirdel’annexe,suivid’unautrehomme,etsedirigerdroitverslui.—MonsieurTitus, l’appela-t-il alors qu’il était encore à plusieursmètres. Je viens de parler au

téléphone avec mon employeur au sujet de la mort tragique de Victor. Il m’a demandé de dirigerl’équipejusqu’àlanominationd’unnouvelentraîneur.Nousallonsavoirbesoindeplusdeplacedansl’écurieet,àceteffet, ilm’aautoriséàproposerunloyerplusélevéàMlleClareborn.Mais il fautqu’elledéplacesanstardersonpur-sangdel’écuriequenousutilisons.Macsentitsespoilssehérisser.— Pour le moment, votre contrat de location vous autorise à occuper six stalles. Votre patron

souhaite-t-ildoublercettecapacité?—Oui.Deux chevaux supplémentairesvont terminer leur quarantaine àFrontRoyal, enVirginie,

demainmatin.D’ailleurs,jedoispartirdansquelquesheurespourallerleschercher.Jedevraisêtrederetour aveceuxdans lanuit de lundi àmardi.Si vouspouviezparler àMlleClareborn etme fairesavoirsic’estd’accordàcemoment-là,jevousenseraisreconnaissant.—Trèsbien,jem’encharge,réponditMac,quiregardaRahulrepartirendirectiondel’annexeet

passerdevantleshérifWilkessansmêmeluiadresserunregard.Dagon’étaitmêmepasencoreenterré, etvoilàquece typeprenait les chosesenmain.Certes, il

fallaitbienquel’écuriecontinuedetourner,maisl’attitudedeRahuln’enétaitpasmoinsdérangeante.—SinousneretrouvonspasdetracesdesangsurlessabotsdeDragon’sSoul,vousêtesconscient

decequecelaimpliquera,jesuppose,ditleshérifWilkesquirevenaitavecsonmatériel.—Oui,biensûr.IlsepourraitqueDagoaitétéassassinéetlemeurtremaquilléenaccident.—Oui,maisencorefaudra-t-illeprouver.—Jevousl’accorde.Ceserad’autantplusdifficilequeDragon’sSouln’apaslaréputationd’être

unanimaldocile.Enoutre,hiersoir,aveclefeuetlafumée,toutlemonde,hommesetbêtes,étaitsurles nerfs.MêmeEmma avait peur de s’approcher de lui. Pourtant, ce n’est pas unmauvais cheval,

shérif.Jediraisquec’estleboucémissaireidéal.Deretourdevantlastalle,Macouvritlagrilleetypénétra.Dragon’sSouls’approchadoucementdelui.Illuipassalelicousansdifficulté.—Jevais le tenir pendantquevous ferez lesprélèvements.Vous savez commentvousyprendre

pourluifaireleverlesjambes,n’est-cepas?—Oui,oui.Wilkesouvritsamalletteetensortitlenécessaire.—Quefaites-vous?MactournalatêteetdécouvritRahulàl’entréedelastalle.—LeshérifabesoindefairedesprélèvementssurlessabotsdeDragon’sSoulafindedéterminer

s’ilsportentdestracesdesang.Wilkesseredressaetseretournapourfairefaceaunouveauvenu.—C’estlaprocédure.Etantdonnéqu’iln’yapasdetémoins,jedoisrechercherdespreuvesavant

detirerdesconclusionsdéfinitives.— Je connais la loi. Avant de rechercher des preuves, vous devez obtenir unmandat. Faute de

mandat, vous devez avoir au minimum l’autorisation du propriétaire du cheval pour effectuer desprélèvementssurlui.Jemetrompe?rétorquaRahulendévisageantleshérifavecunregardnoir.Macsesentitmalàl’aise.— Non, vous ne vous trompez pas, répliquaWilkes. Dragon’s Soul n’ayant pas la capacité de

donner lui-même son consentement, je dois en effet obtenir celui de son propriétaire. Faute de cetaccord,jedevraiattendrequelebureauduprocureurmedélivreunmandat.Macserralesdentsenvoyantl’expressiondesatisfactionquisepeignitsurlevisagedeRahul.—Eh bien, en tant que fondé de pouvoir du propriétaire deDragon’s Soul, je vous donnemon

accord,shérif.Maisjedoisvousavertirque,cematin,j’aidemandéàKarifdenettoyerlessabotsdel’étalonavecune solution antiseptiquepour éviter la formationdemycoses. Je crainsdoncquedespreuveséventuellessesoientévaporées,ditRahul,quitournalestalonssansattendrederéponse.—Jesuisdésolé,shérif,déclaraMac,dépité.— Ce n’est pas votre faute. Mais il dit vrai ; il n’y a aucune chance de découvrir des traces

éventuelles,réponditleshérifquis’agenouillapourrangersonmatériel.Tiens,qu’est-cequec’estqueça?ajouta-t-ilenapercevantlablessuresurlepoitraildeDragon’sSoul.— J’ai remarqué cette coupure cette nuit. Je ne sais pas comment il s’est blessé, mais c’est

superficiel.—C’estbizarre,ondiraitqu’elle a été faite avecuncouteau, remarqua le shérif.Lesbords sont

nets,iln’yapasdepeauarrachée.Avez-vouspassésonboxenrevue?—Pasdansledétail,maisj’airegardés’ilavaitpuseblessertoutseul,sansrienvoir.J’aipensé

quec’étaitpeut-êtreVictorquil’avaitcoupéenessayantdesedéfendre.— Mais alors, pourquoi ne serait-il pas tout simplement sorti de la stalle ? Quand un cheval

s’énerve,lapremièrechoseàfaire,c’estdedétaler,réponditWilkes.ParmilesaffairesdeVictor,iln’yavaitpasdecouteau.Peut-êtreest-iltoujoursdanslebox.

—Avons-nous besoin d’unmandat pour vérifier ? demandaMac, peu désireux de formuler unenouvellerequêteauprèsdeRahul.—L’écurieestlapropriétéd’Emma.Unsimpleaccordverbaldesapartsuffira.—Bien.Jevaislachercher,ditMacenpartantverslamaison.

***

EmmaregardaitMacfouillerméticuleusementdans lapailleduboxà l’aided’unefourche, tandisqueleshérifWilkesprenaitdesphotosdetouslesrecoins.Ils avaient déjà sorti la paillemaculée du sang deVictor,mais un simple regard du côté où ils

l’avaienttrouvésuffisaitàluiretournerl’estomac.Soudain, ily eutunpetitbruitmétallique, etMac s’immobilisapourvoir cequ’il avait accroché

avecsafourche.Emmas’approchapourvoirégalement.—Tiensdonc!s’exclamaleshérifquis’étaitagenouilléàcôtédeMac.C’étaitunpetitcanifdontlalameétaitouverte.Etelleétaitcouvertedesang.Wilkespritunephotopuisrangeasonappareildanssapoche.—Jesuiscurieuxdesavoircequelelabopourranousapprendresurcecanif,déclara-t-il.Ilya

beaucoupdesangsurlalame,alorsquelablessuredeDragon’sSoulestbénigne.C’estassezétrange.Macsefaisaitlamêmeréflexion,maissetut.Cequi,quelquesheuresplustôt,avaittouslesaspects

d’un dramatique accident se transformait peu à peu en crime,mais il n’avait pas envie d’inquiéterdavantageEmmapour lemoment.Même s’il était certainqu’elle enviendrait aux conclusions touteseule.Wilkessortitungantencaoutchoucainsiqu’unsachetplastique.Ilpassalegantetramassalecanif

qu’ilplaçadanslesachetavantdelerefermer.—JevaisdemanderuneautopsieducorpsdeVictor.Plusieurspointsontbesoind’êtreéclaircis,

l’enquêtenefaitdoncquedébuter.Macpoussaunsoupir,sortitdelastalleetposasafourchecontrelaparoi.Ilétaitinquiet.—Quepouvons-nousfairepourvousaider?—Faitesattentionàvous,c’esttoutcequejevousdemande,réponditleshérif.Appelez-moisivous

repérezlemoindreagissementsuspectousivousvoussentezendanger.Jedevraisavoirlesrésultatsd’analysesd’iciàlafindelasemaineprochaine.Emmaavaitlevisagefermé.Sonfrontplissérévélaitsoninquiétudeàelleaussi.Macs’approchad’elleetluipassadoucementlamaindansledospourlaréconforter.L’idéequ’un

assassinrôdaitpeut-êtresurlesterresdeFirehilln’avaitrienderassurant.—J’ai été engagépourveiller surNavigator et,maintenantqueMcFarlanea été arrêté, jepense

qu’ilnecraintplusrien.Quoiqu’ilensoit,jeresteraiaussilongtempsqu’Emmaaurabesoindemoi.—Jesuisheureuxdel’entendre.Demoncôté,jedemanderaiqu’unepatrouillecontinuedepasser

chaquenuitsurledomaineduranch.

—Merci, shérif,ditEmma.Au fait…j’ai finiparme rappeleràquelleoccasion j’avaisdéjàvuCraigMcFarlane.C’estluiquiconduisaitletracteurquiestvenulivrerlesréservesdefourragepourNavigator.— Voilà qui expliquerait comment la butazolidine s’est retrouvée mélangée à la nourriture de

plusieurs ranches du secteur. Je vaisme renseigner demanière plus approfondie sur lui.Oh !maisj’oubliaisdevousannoncerquevousallezrecevoirchacunlamoitiédelarécompensepromisepourlacapture du saboteur ! Suite à l’arrestation de McFarlane, à ses aveux et à ceux de Brad Nelson,l’affaireestofficiellementclose,déclaraleshérif.—Vingt-cinqmilledollarschacun?demandaMacenprenantEmmaparlamain.—Mince,nemeditespasque j’aioubliédevousavertirque lemontantde la récompenseavait

encoreétédoublé?—Maissi,nousl’ignorions,réponditMacavecungrandsourire.—Ehbien jem’enexcuse.Donc,vousvousverrezchacunremettreunchèquedecinquantemille

dollars.Passezleprendreàmonbureauquandvousvoudrez,àpartirdemardi.Al’annoncedelasomme,Emmasesentitdéfaillir.Maclarattrapa.Leshérifleursouritpuispartitverssavoiture.

11

Le lendemain, dès le lever du jour, Emma se rendit à l’écurie afin d’avoir une idée précise desdégâtscausésaubâtiment,etécoutaMacluifaireuncompterendu.—D’aprèslecapitainedespompiers,lastructureestintacte,etlatoituren’apasétéendommagée.

Seulelaparoiextérieurelatéraledevraêtreremplacéeet,biensûr,ilfaudranettoyerl’intérieuràfondpour chasser l’odeur de fumée. Je vais donc appeler sans tarder une entreprise de nettoyage.Nousavonsdelachancequelefeun’aitpasprisdanslesfenils,sansquoil’ensembledubâtimentauraitététouché.—J’aisurtouteudelachancequevousayezétélàpourarrêterMcFarlaneetfairesortirNavigator

à temps.Etiez-voussérieux,hier, lorsquevousparliezderester? luidemanda-t-elleavecunregardgrave.—Absolument. Tout danger est loin d’être écarté. Nous ne savons toujours pas qui a saboté le

tracteurniqui a installédes camérasdans l’écurie.Et si le shérifWilkesdétermineque lamortdeVictorn’étaitpasunaccident…Ils’avançaverselleetlapritparlesépaules.—Jen’aiaucuneintentiondepartirtantquejeneseraipascertainquevousnerisquezplusrien.LecontactdesmainsdeMacsursesépaulesluifitdubien.— Je ne veux pas que vous partiez,Mac, dit-elle en le regardant droit dans les yeux. Firehill a

besoindevous…J’aibesoindevous.Elle posa brièvement le regard sur ses lèvres, semit sur la pointe des pieds, ferma les yeux et

l’embrassa.Mac sentit le désir s’emparer de lui avec une force dévastatrice. D’instinct, il referma les bras

autour d’elle et la serra contre lui. Il rendit leur baiser plus intense et laissa sa langue explorer sabouche,luiarrachantungémissementdeplaisir.Ilavaitterriblementenvied’elle.Chaquefoisqu’ilétaitavecelle,ilsesentaitapaisé,saprésence

étaitpareilleàunbaumesursonâme.Pourtant,ils’efforçademettrefinàleurbaisersanspourautantdesserrersonétreinte.Illuicaressalescheveux,inhalantsondouxparfum.—Jen’aipasledroitdevousdésireràcepoint.Emmalevalatêteetlefixadesesyeuxnoisette.—Pasledroit?Aucontraire,vousaveztouslesdroits,Mac.Elletenditlamainetlapassasurlacicatricelelongdesajoue.—Jememoquequevousayezétéblesséouquevousayezperduunepartiedevotreaudition.Macserralesdentsetluttacontrel’enviedes’enfuirencourant.L’entendreparlerdesonaccident

luidonnaitlesentimentd’êtremisànu.—Ça ne change rien, poursuivit-elle.Quoi qu’il vous soit arrivé, vous êtes toujours lemême à

l’intérieur,n’est-cepas?Vousêtesquelqu’undebien,vousêteshonnête.Vousprotégezlesgens,vousleursauvezlavie.Peud’hommessontcapablesdetelssacrifices,etvousméritezbiend’êtreheureux.Ellemettaitàmaltouslesprincipesdeviequ’ils’était imposés:accepterunemission, toutfaire

pourlameneràbien,puisrepartir,sansjamaiss’attacher.Ilouvritlesyeux,pritsamaindanslasienneetlaserra.Lentement,ilramenasamainlelongdeson

corps,sanslaquitterduregard.Illalâcha,maiscegestenesemblapasl’avoirdécouragée.Unsourireterriblementsexyauxlèvres,elledéclara:— Ce soir, je compte organiser un petit dîner à la maison pour fêter la fin des attaques contre

Navigator.J’aimeraisquevousypreniezpart.C’estgrâceàvousqu’ilestsainetsauf.Reposez-vous.Jevousattendsà19heures.Incapable de formuler unequelconqueprotestation,Mac la regarda s’éloigner.Comment pouvait-

ellel’avoirenvoûtéàcepoint?Ilpritalorsconsciencequ’ilportaitunfardeau trop lourdpour luidepuisbien longtemps.Depuis

sonenfance,peut-être.C’estpourquoiildevaitàEmmadetoutluiavoueràsonsujet.IldevaitluidirequePaulCalliway,unhommequidétestaitThadeousClareborn,quiavaitjurédesevengerdeFirehillFarm,étaitsonpère.Il sortit de l’écurie et se dirigea vers l’annexe en se demandant commentEmma réagirait à cette

révélation. Il se sentait mal. Emma était d’une franchise totale, alors que lui n’avait pas étécomplètementhonnêteavecelle.Enarrivantà laportede l’annexe, ilse rappelaqu’iln’avaitpasencoreeu le tempsd’yremettre

vraimentdel’ordredepuisqu’ilavaitdécouvertqu’onl’avaitfouillée.Ilpoussaunsoupird’exaspérationetouvrit.Il futaccueillipar leparfumd’Emmaqui flottaitdans lapièce impeccablement rangée.Elleavait

trouvéletempsdevenirtoutnettoyersansqu’ilaitàs’enoccuper.Ilposaleregardsurlacouetteenpatchworkquirecouvraitlelitetsesentitextrêmementredevable.Commentdiablefaisait-ellepourtoujoursdevinercedontilavaitenvie,mêmequandiln’endisait

rien?

***

Emma plaça la dernière assiette dans le lave-vaisselle, mit l’appareil en marche et éteignit lalumièredelacuisineavantd’allerrejoindreMacetsonpèrequidiscutaientdecequidistinguaitunbonchevald’ungrandcheval.—Amon avis, ce qui fait la réussite d’un cheval, c’est le tempérament, Thadeous. Prenez deux

chevaux aux capacités physiques identiques, entraînez-les de la même façon, et vous verrez ladifférence.Celuiquialeplusdetempéramentdonneratoutlorsd’unecourse,etlaremporteramêmesi,apriori,iln’estpasleplusfort.PensezparexempleàSeabiscuitouàCanoneroIIquiaremportélederbyen1971,alorsqu’auxdeuxtiersdelacourseilétaittrèsenretard.Questiondetempérament.Emma s’installa sur le canapé, face àMac, et observa ses yeuxbleus qui pétillaient d’excitation

tandisqu’ilconfrontaitsonpointdevueàceluidesonpère.

—Moijecroisquerien…neremplacel’élevage.Jen’aijamaisachetéunchevalàcausedeson…tempérament. On peut toujours… leur apprendre à courir, mais mieux vaut avoir… un cheval quidescend…d’unegrandelignée.Maclaregardaetluiadressaunpetitsourireavantdereportersonattentionsursonpère.Ilsemblait

sincèrement prendreplaisir à la conversation, et elle se demanda comment il avait appris à si bienconnaîtreleschevaux.Ilétaitbienplusqu’unamateuréclairé.—Jevousl’accorde.Siunchevaladebonsascendants,c’estunplus.Maisc’estsontempérament

quiferadeluiunchampionoupas.—Quelqu’unreprenddudessert?intervintEmma.Sonpèreeutunpetitrireetsecoualatêteensignederefus.—Non,merci…machérie.Jevaisallerregarder…unpeulatélévision…dansmachambreavant

dedormir.Macselevaets’avançaverslevieilhomme.Tousdeuxseserrèrentchaleureusementlamain.—Revenezunde…cessoirs,Mac.Çafait longtempsqueje…n’avaispaspassé…unaussibon

moment.—Avecplaisir,réponditMac,quileregardaactionnersonfauteuilpours’engagerdanslecouloir.ThadeousClareborn était quelqu’un d’attachant. Il avait toujours l’esprit vif, et en connaissait un

rayon sur les chevaux. Il avait même contribué à écrire quelques-unes des plus belles pages descourseshippiquesduKentucky.—Ilrestedel’applepieetdelaglaceàlavanille,ditEmma.Envoulez-vous?—Vousmegâtez,Em’,maisnonmerci.Jesuisrepu.—Peut-êtreplustard,alors,aprèsquevousm’aurezaidéeàdécorerlesapindeNoël.Iljetauncoupd’œilverslescartonsempilésdansuncoindusalonetsurlesquels«DécoNoël»

était inscritaufeutre. Il fallaitqu’il laissesesréticencesconcernantNoëldecôté,aumoinscesoir.Etantdonnéqu’ill’avaitdéjàaidéeàcouperetàtransporterlesapin,ilétaitnormalqu’ill’aideàledécorer.—Dites-moicequejedoisfaire.—Jevaissortir lesdécorationsaufuretàmesureetfaire le tri.Unefoisquetoutseraenplace,

nousinstalleronslesapindevantlafenêtre.Unedemi-heureplustard,MacregardaitEmmafinirdedisposeruneguirlandelumineuseautourde

l’arbre.Elledescenditdutabouretsur lequelelleétait juchéeetfouilladansuncartondontellesortitune

étoilequ’elleluitendit.—Aimeriez-vousposerladernièretoucheausommetdusapin?Il la prit et ne put refouler l’émotion qu’il avait tenue à distance toute la soirée. Les Clareborn

étaientdesgensextrêmementchaleureuxet,chezeux,onsesentaitchezsoi.—Jelametstoutenhaut?demanda-t-il,sesentantmaladroit.—Oui,réponditEmmaquil’observait.

Ilavaitlesyeuxposéssurl’étoileetlaregardaitcommesic’étaitlapremièrefoisqu’ilenvoyaitune.—Sivousnetenezpasàlefaire,nevousforcezpas,ajouta-t-elleenluiposantlamainsurl’avant-

bras.Leursregardssecroisèrentetellesedemandacequilefaisaithésiteràcepoint.—Si,jeveuxlefaire,répondit-ilenmontantàsontoursurletabouret.Commeça,çava?—Unpeuplussurlagauche,dit-elleensemettantdansl’axedusapin.Voilà,parfait!Mac descendit du tabouret et chercha à se détendre et à profiter de ce moment qu’il passait en

compagnied’Emma.Lefaitque,danssajeunesse,Noëlaittoujoursétéunepériodeéprouvanten’avaitplusd’importance.Ilétaittempsdetireruntraitsurlepasséetdeprendreunnouveaudépart.—Qu’ya-t-ild’autreàfaire?Jesuisprêt.Ilsrectifièrentensembleladispositiondequelquesguirlandesjusqu’àceque,enfin,lesapinbrille

demillefeux.Emmasouriaitcommeunegamine.Macsesentitsoudainlecœurserré.Pourelle,Noëlétaitimportant,c’étaitunepériodejoyeuse.—IlfautquejepassevoirNavigator,annonça-t-iltoutàcoup.—Non.Pasavantd’avoirsacrifiéàunetraditiondelafamilleClareborn.—C’est-à-dire?—Boireunetassedechocolatchaudàlamenthedanslabalancelledevantlafenêtre,àlalumière

desguirlandesdusapin.—Ehbien,jem’yprêteraiavecplaisir.Ellepartitverslacuisineetenrevintdixminutesplustardavecdeuxmugsfumants.—Vousvoulezbienbrancherlaguirlande?Ilsefaufiladerrièrelesapin,pritlecordonélectriqueetlebrancha.Puisilseredressaetcontempla

lespectacle.—C’estmagnifique,Mac!s’exclamaEmma,ravie.Merci.—C’estplutôtmoiquidevraisvousremercierpouravoirremisl’annexeenordre.—Derien.Jesavaisquevousétiezépuisé,alorsc’étaitlamoindredeschoses.Ilsmirentleursmanteaux,aprèsquoiMacpritlestassesetilssortirent.Emmas’installasurlabalancelle.Illuitenditunmugavantdes’asseoiràsontour.—Jedoisvousparler,Emma.—Meparler?Ehbien,jevousécoute.—Cematin,Rahulm’aannoncéquec’étaitluiquiprenaitprovisoirementlasuccessiondeVictor.—Ahoui?Personnellement,jen’yvoispasd’inconvénient.—Ilm’aaussidemandédevousdirequesonpatronsouhaiterait augmenter lenombredestalles

qu’il vous loue. Mais le problème, c’est que ça signifie qu’il faut trouver une autre place pourNavigator.—Mais c’est absurde !Rahul sait pertinemment que, tant que l’écurie principale n’aura pas été

remiseenétat,jen’aipasd’autreendroitoùlelaisser.JenepeuxpaslemettreavecDandyetOliver,

danslepetitbâtimentprèsduhangar.C’estdéjàjustepoureuxdeux…Detoutefaçon,jenelesavaismis là que pour que Navigator soit seul pendant sa dernière phase d’entraînement. Normalement,j’auraisdûlesinstallerdansl’écuriesecondaire.—Apartirdelundisoir,ilsaurontbesoindedeuxstallessupplémentaires,carRahulvachercher

deschevauxàFrontRoyal.Ilvousalaisséjusqu’àsonretourpourluidonneruneréponse.—Bien.Mardi,jevaisrecevoirunchèquedecinquantemilledollars.Danscesconditions,jeferais

peut-êtremieuxde répondreàRahul et à l’émirque jene souhaitepas renouveler leurbail.Si j’aiaccepté de leur louer une partie de l’écurie, c’est parce que j’étais aux abois.Mais la situation achangé.—Jesais,ditMac,quin’enétaitpasmoinspréoccupé.SiRahulsevoyaitsignifiersoncongé,chercherait-ilàsevengerd’Emmaouquitterait-il le ranch

sansfaired’histoires?—LeDrRemingtonvousa-t-ilrappeléepourvousdonnerlesrésultatsdesdernièresanalysesde

Navigator?—Non,ildoitlefairedemainmatin.—Nousdevronscontinuerlerégimejusqu’aumilieudelasemaineprochaine.Acemoment-là, il

aurasansdoutetotalementéliminélabutazolïdine.—Jel’espère.Aufait,mercid’avoirdiscutéavecmonpèrecesoir.Celafaisaitlongtempsquejene

l’avaispasvuaussienthousiaste.—J’aibeaucoupappréciémaconversationaveclui.Mac but une dernière gorgée de son chocolat, puis inhala une bouffée d’air frais. Il était bien.

Rarementils’étaitsentiaussibien.—Jevaispasservoirnotrechevalavantd’alleraulit,déclara-t-ilensepenchantversEmmapour

observerlerefletdelaguirlandedanssonregard.J’aibeaucouprepenséàcequevousm’avezditcematin,etçam’arappeléautrechosequevousm’avezditilyaquelquesjours,ajouta-t-il.—Çaal’airsérieux,sij’enjugeàvotreton.—Oui,entoutcasçal’était.Ilyaquelquesjours,vousavezfaitunecomparaisonentremavolonté

derecouvrermonauditionetvotreespoirdevoirNavigatordevenirungrandchampion.Depuis,j’aiévolué.Jenerécupéreraijamaistotalementmonoreillegauche,etj’enprendsmonparti.Enrevanche,votrechevalpeutremporterlederby,etc’estçaleplusimportant.Illuidéposaunpetitbaisersurleslèvres,puisselevaetluitenditsonmugvide.—Bonnenuit,Emma.—Bonnenuit,Mac.Elleécoutalebruitdesesbottessurlesmarchesduperronpuisleregardas’éloigner,jusqu’àceque

lanuitledissimulecomplètementàsavue.Jouraprèsjour,elleétaitdeplusenpluséprisedelui.Elleselevaetallarincerlesmugsdanslacuisine.

***

Macfourralesmainsdanslespochesdesonmanteauetsedirigeaversl’écurie,leregardfixésurlafaiblelueuràl’intérieur,maislespenséestoujourstournéesversEmma.Lorsque des éclats de voix étouffés lui parvinrent, il s’arrêta pour écouter et déterminer d’où ils

venaient.Danslatravéecentrale,deuxdespalefreniersdeDagodiscutaientenarabeavecanimation.D’instinct,Macseméfia.Retournantquelquespasenarrière,ilsemitàl’abridelahaieetattendit.

Dèsquelesdeuxhommesseraientpartis,iliraitvoircommentallaitlepur-sangpuisiraitsecoucher.Ilperçutalorsdumouvementsurlagauchedel’écurie.Qu’était-ce ? Une ombre ? Quelqu’un qui se déplaçait ? Il n’en était pas sûr. Enfin, il discerna

clairementlasilhouetted’unhommehabilléennoirquis’approchalentementdel’entréeavantdeseplaquercontrelaparoi.Ecoutait-illuiaussilesdeuxpalefreniersquidiscutaientàl’intérieur?L’esprit en ébullition, Mac resta immobile. Jamais il n’avait envisagé que quelqu’un pouvait

espionner également l’écurie de Dago. Cela signifiait-il que, là aussi, il y avait des caméras desurveillance?Lesdeuxpalefreniersfinirentparquitterl’écurieetsedirigèrentversl’annexetoutencontinuantà

parlervivement.Macrestaconcentrésurl’hommeennoir.Sur sa droite, il entendit la porte de l’annexe se refermer, mais n’y prêta pas attention. Il était

déterminéàsavoircequefaisaitcetype.Cedernierpritladirectiondel’annexe.Mac se recroquevilla le plus possible derrière la haie. L’homme passa tout près de lui avant de

bifurqueretderemonterl’alléemenanthorsduranch.Lentement,Macseredressaetsortitdesacachette.Arrivéàsontourdansl’allée,ilsemitàplat

ventredansl’herbeetvitl’hommeatteindrelaroute.Ilentenditalorsunbruitdemoteuretaperçut lecontourd’unecamionnettedecouleursombrequi

arrivait,tousphareséteints.Elles’arrêtaàlahauteurdel’allée.Ilperçutlecoulissementd’uneportelatéralequ’onouvraitpuisrefermait.Lacamionnetterepartitet,

quelquesinstantsplustard,lesilenceretomba.Macserelevaetfitdemi-tourversl’écurie.S’ilavaitvujuste,ilneluifaudraitpaslongtempspour

trouvercequ’ilcherchait.Ilentradansl’écurie,s’assuraqu’ilétaitseul,puisrefermalaportederrièrelui.Cetteécurieétaitnettementpluspetitequel’autreetnedisposaitqued’unfenil.IlapprochadelastalledeNavigatoretobserval’animal.Ildormaittranquillement.Rassuré,Macgrimpaàl’échelledufenilquiétaitremplidepaille.Ilnerestaitqu’unpetitespace

surladroiteoùilétaitpossibledeseglisser,cequ’ilfit.Delàoùilétait,ilavaitunevued’ensemblesurlesstalles.Aquatrepattes,ilcommençaàbalayerlapaille.Trèsvite,iltombasurcequ’ilcherchait:unpetit

boîtiernoirglisséentredeuxplanches,reliéàuncâble.L’écuriedeDago,devenuel’écuriedeRahul,étaitelleaussisoussurveillance.Ilsentitl’appréhensionrevenir.Ceuxquiétaientàl’autreboutdelacaméraavaientcertainementété

témoins du meurtre de Victor. Que diable se passait-il ici ? Et pourquoi espionnaient-ils FirehillFarm?—Hé!Macrelevabrusquementlatêteets’aperçutqu’undesdeuxpalefreniersqu’ilavaitsurprisunpeu

plustôtentraindediscutersetenaitaupieddel’échelleetledévisageaitd’unregardnoir.—Descendez!ordonnal’hommeàgrandrenfortdegestes.Maclevalesmainsensigned’apaisementpuisdésignaunebottedepaille.—Ducalme,ducalme…J’aiseulementbesoindedescendreunebotte,dit-ilenmontrantdudoigtla

stalledeNavigator.Lepalefreniersemblaalorscomprendreàquiilavaitaffaire.Ilacquiesçadelatêteetrecula.Macpoussaunebottedefoindupiedpourlafairetomberetrecouvritdiscrètementlecâbledela

caméra.L’hommeenbasdel’échellesaisitlabotteparlesficellesetlatirajusqu’àlastalledeNavigator.Toujourssursesgardes,Macdescenditdufenil.Postéfaceaubox,brascroisés,l’hommel’observaitcommes’ilcherchaitàlireenlui.Avecleplus

denaturelpossible,Macsortitsoncanifetcoupalesficellesdelabotte.IlouvritlagrilledelastalledeNavigatoretcommençaàydéposerdelapaille.Lepalefrenierleregardafaire,impassible.Macrefermaensuitelagrilleetsetournaversl’homme.—Merci,dit-ilendésignantlabottedepaille.L’hommeacquiesçamaisnebougeapas,commes’ilrestaitenfactionpourprotégerunquelconque

secret.Tandisqu’ils’enallait,Macsentitleregarddel’hommesurluijusqu’àcequ’ilsoitsorti.Cen’étaitpasnormal.Ilsepassaitquelquechose,etc’étaitsérieux.

***

Emmadébranchalaguirlandelumineuseetsedirigeaverslachambredesonpère,l’esprittoujourstournéversMac.Elleentendit le sonde la télévisionet songeaqu’elleallait sansdoute trouver sonpèredans son

fauteuil,endormidevantleposte.C’étaitdevenuunesortederoutinepourelled’éteindrelatélévisionetd’aidersonpèreàsemettreaulit.—Papa,ilestprèsde23heures,dit-elleenentrantdanslapiècepourallerfermerlesrideaux.—Emma.Viensici.Jevoudraiste…montrerquelquechose.

Ellemit lesplisdu rideauenplacepuis s’approchade lui. Il avaitunephotoencadréeentre sesmains.—Jen’étaispassûr…maiscesoir…messoupçonssesont…confirmés.Inquiète,Emmas’agenouillaàcôtédesonpère.—Dessoupçons?Aproposdequoi?—Displutôt…àproposdequi.Illevalaphotoqu’iltenaitetellelaluipritpourlaregarder.Ellereprésentaitunchevalquivenaitderecevoirsacouronnedevainqueurd’unecoursehippique.—C’estSmoothSailingaprèssavictoireauClarkHandicapdeLouisville,non?Sonpèreacquiesçapuistapotalecadreavecvigueur.—Lui…Regarde-le.Emmaapprochaleclichédelalampeetobserval’hommedésignéparsonpère.—Quiest-ce?—Paul…Calliway.—Incroyable!PaulCalliwayaentraînéSmoothSailing?—C’étaitsonpropriétaire…Ilagagnélacourse…et,ensuite,jeluiai…achetésoncheval…aux

enchères.Lui,ilajuré…qu’unjouril…détruiraitFirehill.Emmaexaminal’hommesurlaphoto.IltenaitlesrênesdeSmoothSailinget,àcôtédelui,unpetit

garçonsouriaitfièrement.Ilavaitunairfamilier…Elleseconcentrasurluietcompritenfinpourquoisonpèreavaitinsistépourqu’elleregardelaphoto.Lepetitgarçonn’étaitautrequeMac.Ellelevalesyeuxverssonpère,lagorgeserrée,auborddeslarmes.—MacTitusestlefilsdePaulCalliway?—Etl’ennemide…Firehill.

12

Emmaseretournadanssonlitpourlaénièmefoisetfinitparseredresser.Elletenditlebraspourallumersalampedechevetetpritlaphotoencadréeposéesurlatabledenuit.Commentavait-ilosé?CommentMacavait-ilpuluimentir?SonpèreluiavaitracontéquePaul

Calliway,ayanteulesentimentd’êtretrahi,avaitjurédesevenger.Depuis,ellenecessaitderetournercettehistoiredanssatête.Macétait-ilvenuàFirehilldanslebutd’accomplirlapromessedesonpère?Etpourquoiportait-il

unnomdefamilledifférent?Pouréviterd’éveillerlessoupçons?Ellepassaledoigtsurlaphotoetcontemplalesouriredupetitgarçon.Uneseulepersonnepouvait

larenseignersurlesintentionsquil’animaient,etellen’allaitpasattendrepluslongtempspourtirerleschosesauclair.Repoussantlescouverturesd’ungestedécidé,elleselevaetmitsarobedechambre.Il était 2 heures dumatin, mais elle s’enmoquait. Il avait trahi sa confiance, et maintenant elle

voulaitlavérité.Ellepritlaphotoetpartitpourl’annexe.

***

TroiscoupssecsfrappésàlaportetirèrentMacdesonsommeil.Ilseredressabrusquementetconsultal’heureàsonréveildigital:2h11.Ilalluma,inquiet.Yavait-ilunproblèmeàl’écurie?Ilselevaets’enroulaunecouvertureautourde

lataille.—J’arrive,dit-ilennouantlacouvertureavantd’allerouvrirlaporte.IlseretrouvafaceàEmma,enrobedechambre,quiluiadressaunlongregardsévère.Troplong,et

tropsévère.—Emma?Quefaites-vouslà?Navigatorvabien?Elleentradanslapiècesansattendrequ’ill’yinvite.—Lechevalvabien.Maisnousavonsdeschosesànousdire,Mac.Ilrefermalaporteetlaregardaposerunephotoencadréesurlatablepuissefrotterlesmainspour

seréchauffer.—Ilfaitfroid,cettenuit,dit-elled’unevoixfaible.Macneputs’empêcherdeposerlesyeuxsursesseinsqu’ilvoyaitpointersouslafineétoffedesa

robedechambre.Ils’efforçadedétournerleregardetsemitenquêtedesonjean,posésurundossierdechaise.—Laissez-moiuneminutepourm’habilleretvouspourrezm’expliquercequivoustracasse,Em’.

—Nem’appelezpasainsi,s’ilvousplaît,répliqua-t-elle,lesyeuxhumides.—Vousai-jecausédutort?demanda-t-ilens’approchantd’elle.Sonregardseposaalorssurlaphotoqu’elleavaitapportée.IlsentitsoncœurmanquerunbattementLamalédictionétaitderetour.Ilpritsonjeanetsedirigea

verslasalledebains.Emma le regarda s’éloigner et se délecta malgré elle du spectacle de son torse musclé. S’il ne

mettaitpaségalementunechemise,jamaiselleneparviendraitàseconcentreretàluidiresesquatrevérités,commeellecomptaitlefaire.Elleinspiralonguementpours’armerdecourageetpritlaphotoqu’elleserracontreellecommeun

bouclier.Macsortitdelasalledebainsetpassadansl’espacecuisine.—Voulez-vousboirequelquechose?—Non,merci.Detoutefaçon,nousn’enavonspaspourlongtemps.Ilhochalatêteetluifitface.Emma déglutit et tenta de ne pas s’attarder sur ses abdominaux bien dessinés et terriblement

attirants.—Cesoir,aprèsvotredépart,monpèrem’amontréceci,commença-t-elled’unevoixmalassurée

enregardantlaphoto.Pourquoi,Mac?Jevousfaisaisconfiance.Pourquoinepasm’avoirditquevousétiezlefilsdePaulCalliway?— Parce que je savais que cela occasionnerait une scène comme celle-ci, répondit-il d’un ton

fataliste.Lenomdemonpèreatoujoursétésynonymedeproblèmes.—Voussavezqu’ilavaitjurédesevengerdeFirehill?—Oh ! que oui ! Je ne sais combien de fois j’ai dû l’écouter ruminer ses projets de vengeance

contrevotrepèreparcequ’il luiavaitvoléSmoothSailing.C’estdumoinsainsiqu’ilprésentait leschoses.Ildésignalaphotoets’approchad’Emmapour la luiprendredesmainset lacontemplerd’unair

mélancolique.—Cecheval,c’étaittoutelafiertédemonpère,Emma.Aprèsl’avoirperdu,iln’aplusjamaisété

lemême.LaveilledeNoël,cetteannée-là,ilabujusqu’ànepluspouvoirtenirdebout.Jenesavaispluscommentfairepourleconvaincredequitterlebar.Ilestmortquelquesmoisplustard,rongéparl’alcooletlarancœur.IlposalaphotosurlatableetregardaEmmadroitdanslesyeux.Ellecherchaitsanssuccèsàretenir

seslarmes.—J’aitraînécefardeautrèslongtempsavantdecomprendrequemonpèreétaitunhommeamer,et

que je ne devais en aucun cas suivre ses traces. Sa rancœur était la sienne, Emma, pas lamienne,continua-t-ild’unevoixétrangléeparl’émotion.Jamaisjenevousferaisdemal,niàvousniàvotreranch.Pourtoutvousdire,jamaisjenemesuissentiautantchezmoiqu’ici.Unelarmeroulasurlajoued’Emma.Déterminéàen finiraveccemalentenduetàexprimer toutcequ’il avait sur lecœur, il tendit la

mainpourluiessuyerlajoue.

—Dites quelque chose, Emma, je vous en supplie ! Demandez-moi de partir, demandez-moi derester,peuimporte,maisnerestezpassilencieuse.—Vousavezchangédenom…—Mamères’estremariéecinqansaprèslamortdemonpère.J’aiprislenomdemonbeau-père

pour me débarrasser de tout ce qui était associé à celui de mon père.Mais on ne peut jamais sedébarrassertotalementdesonpassé…—Avecmoi,vousn’avezrienàcraindre,votresecretserabiengardé,ditEmmaens’approchantde

lui,émuelorsqu’illapritdanssesbrasetlaserracontrelui.Toussesdoutessedissipèrentetelleselaissaalleràinhalerleparfumdesapeau,àabsorbersa

chaleuràmesurequ’ellesentait ledésirnaîtreenelle.Elleseserradavantagecontre luiet lesentitrespirerplusvite.—Vousdevriezpartir,maintenant,chuchota-t-ilcontresonoreille.Ellefermalesyeuxetcaressasondos,savouralasensationdesesmusclessoussesdoigts.Plusd’unhommeavaittentédelaséduireet,chaquefois,ellel’avaitrepousséenluisuggérantde

s’enaller.Or,cesoir,c’estellequin’avaitpasenviedepartir.Ellevoulaitrester;ellelevoulait,lui.Ellerouvritlesyeuxetleregarda.Detouteévidence,ilavaitdumalàcontenirsesémotions.Ellese

mitsur lapointedespiedset l’embrassadoucement.Asagrandesatisfaction,Macglissa lesdoigtsdanssescheveuxetattirasonvisageverslesien.Illuirenditsonbaiseravecfouguepuis,toutàcoup,détachaseslèvresdessiennesetlascruta.Ce

qu’illutdanssesyeuxfinitdeleconvaincrequ’ilsavaientatteintlepointdenon-retour.Que,cesoir,ceseraittrèsdifficiled’enresterlà.Elleavaitlesjouesenfeu,etilsentaitsesseins,durcisparledésir,presséscontresontorse.Lui-

même n’était plus capable demettre de l’ordre dans ses pensées. Il avait envie de la raisonner et,l’instantd’après,souhaitaitl’entendrehurlerdeplaisir.—Nevousarrêtezpas,Mac,dit-elled’untonpresquesuppliantenpassantlamainsursontorse.— Emma, vous ne comprenez pas… Si nous n’arrêtons pas maintenant, nous ne pourrons plus

revenirenarrière.—Mais je n’ai pas envie de revenir en arrière ! Je veux que vous me fassiez l’amour, ici et

maintenant.EllelaissadescendresamainsurleventredeMacjusqu’àatteindrel’expressiondesavirilitéetfut

subjuguéeparledésirqu’elleavaitsuscitéenlui.Elleeutunsourireabsolumentirrésistible.Commesi sesdoigtsne luiobéissaientplus,Maccommençaàdéfaire lenœuddeceinturede sa

robedechambre.—Vousêtesvraimentcertainequec’estcequevousvoulez,Em’?Unseulmotdevotrepartetje

m’arrête.—N’ysongezmêmepas.Inclinantlatête,elleluitenditsoncouàlapeaulaiteuseetdouce.Lentement,ilécartalespansdesa

robedechambre,dénudasesépaulespuislaissalevêtementglisserausol.Ilattrapaensuitelebasdesacourtenuisetteetlasoulevapourlaluiôterégalement.Complètementnuesoussonregard,Emmafrissonna,intimidée.

—Vousêtesbelle,Em’,murmura-t-ilenluicaressantlajoue.Ellepritsamainetdéposaunbaiserdanssapaume.—Vousêtesvraimentcertaine?Elleacquiesçaetleregardasedébarrasserdesonjeanavantqu’illaprenneparlamainetlatire

doucementverslelitpourl’inviteràs’allongersurlesdrapsfrais.Emmafermalesyeuxetseconcentrasursescaresses.Il semitàeffleurersesseinspuisà lesprendredanssabouche, tandisqu’ellecrispait lesdoigts

danssescheveuxengémissant.Lorsqu’ilglissasamainlelongdesonventreetatteignitsonintimité,elleneputretenirunhalètementetsutalorsqu’elleétaitprêteàlerecevoir.Ilvintsurelleetluiécartadélicatement les jambes. Pendant un instant, Emma eut peur, mais se reprit très vite et sourit denouveau.—Qu’ya-t-il?luidemandaMacquiavaitnotélefugacechangementd’expressiondesonvisage.—C’estlapremièrefoispourmoi,Mac.Jeveuxquevoussoyezlepremier.Bouleversé,illaregardaavectendresse,puisluidéposadepetitsbaiserssurl’épaule.—Jevaisallertoutdoucement,alors,dit-ildansunsouffle.Emma ferma de nouveau les yeux et s’abandonna totalement à l’homme dont elle était tombée

amoureuseetauquelelleavaitdécidédes’offrir.

***

—Que se passe-t-il ? demanda l’agent Conner, le regard fixé sur le seul moniteur qui, dans lacamionnette,recevaitencoredesimagesendirect.L’agentDonahuefitpivotersonsiègeetseleva.Ils’approchadel’écranetfronçalessourcils.—Çan’annonceriendebon.Al’image,troishommesétaientrassemblésdansl’écurieetsemblaientavoirentamédesrecherches.—L’agentRyana-t-ilsurprisuneconversation,cesoir?—Oui.IlaentenduunequerelleentreKarifetJavas.Latraductiondeleursproposaététranscrite

surlebloc-notesquiestsurlesiège.L’agentDonahueallaprendrelebloc-notesetlutlecontenudelaconversation,àlarecherched’un

indicequileurendiraitplussurlesprojetsdecestrafiquants.«L’émirAbadardoitarriveràl’hippodromedeKeenelandle24,peuavantledépartdelacourse,à

laquelleDragon’sSoulprendrapart.S’ensuitunéchangedejurons.Illeurmanqueuncheval.Sanslesneufchevaux,ilsnepeuventpas

menerl’opérationàterme.Karif est en colère car Victor n’a pas rempli correctement les papiers pour que le cheval soit

acheminédeDubaiàFrontRoyal.IlrisquederesterentransitauportdeLaNouvelle-Orléans.Karif demande à Javas de garder unœil surMlle Clareborn et son employé. Il ne leur fait pas

confianceetleséliminerasinécessaire.»

Quediablecomptaient-ilsentreprendreexactement?sedemandaRenn.Depuislasemainedernière,ilsn’utilisaientplusletéléphonesatelliteniinternetpourcommuniquer.Lesujetdecettediscussionn’étaitsansdoutepasunesimplecoursehippiquecenséesedéroulerla

veilledeNoël.Oualorscettecourseseraitlethéâtred’autrechose.Etqu’enétait-ildeMacTitusetEmmaClareborn?Audépart,ilavaitnourridessoupçonsausujetdeMac,aprèsavoirdécouvertqu’ilavaittravailléauseindesservicessecretsetprotégél’émirAbadar.MaislemeurtredeVictoravaitdissipé ses soupçons.Macn’yétaitpasmêlé.Aucontraire,désormais, il représentaitpeut-être leurmeilleurechanced’aboutir.Rennsoupira.—Tudevraisjeterunœil,Renn,ditl’agentConnerquiajustaitl’objectifdelacaméra.Jecroisque

noussommesrepérés.—Bonsang!Ilvitengrosplansurl’écranlevisagedeKarifdéforméparlacolère,puisplusrien.— Il est hors de question d’aller réinstaller une caméra, c’est trop dangereux,maintenant. Il faut

passerauplanB.

***

MacpressaleboutonduchronomètreaumomentoùNavigatorpassadevantluiàpleinevitesse.—Bonnenouvelle!s’exclamaEmmaenlerejoignant.LeDrRemingtonvientd’appeler.Letauxde

butazolidinedanslesangdeNavigatoresttombéendessousdes23%.PourlaHolidayClassic,ilserapropre.Macpassaunbrasautourdesesépaulesetlaserracontrelui.—C’estgénial!répondit-il,leregardtoujoursposésurlepur-sangquidisparaissaitdanslevirage.

Moiaussij’aiunebonnenouvelle.—Vraiment?Dis-moicequec’est.—Legaragisteseralààmidipours’occuperdutracteur.Et lasociétédenettoyagecommencela

réhabilitationde l’écuriedès cematin.Lenettoyagedevraitprendrequatre jours, etmêmemoins sinousnousoccuponsnous-mêmesdelasellerie.—Ça,c’estlameilleurenouvelle.Dansquatrejours,nousn’auronsplusànousrendreàl’écuriede

Rahul.Mactournalatêteverselle.—Toinonplustun’espasàl’aiseaveccestypes,n’est-cepas?—Non,c’estlemoinsqu’onpuissedire.—Cematin,quandjesuisallépréparerNavigatorpoursaséanced’entraînement,ilsontsurveillé

mesmoindresfaitsetgestes.Enoutre,hiersoir,j’aidécouvertunecaméradanslefenil.—Dumêmetypequecellesquetuavaisrepéréesdansnotreécurie?—Exactement.

Navigatorsortitduderniervirageetattaqualalignedroite.Lorsqu’ilpassaàsahauteur,MacarrêtalechronomètrepuissetournadenouveauversEmma.—J’aimeraisqueturestesàl’écartdel’écuriedeRahul.Situasbesoind’yaller,viensd’abordme

chercher.—Jenesuispasunepauvrefemmesansdéfense,Mac.Jesaismanierunefourche.Illuiretournaunregardgrave.—Cequisepasselà-basn’estpasnormal,Emma,etjecrainspourtasécurité.C’estpeut-êtreunde

cestypesquiasabotétontracteur.Sic’estlecas,ilsrisquentdetenterautrechose.Alorspromets-moidefairecequejetedemande.—D’accord.Situlesredoutesàcepoint,jen’iraiplussanstoi.Macsesentitunpeusoulagé.Ilsepenchaverselleetl’embrassa.Touslesdétailsdelanuitprécédenteluirevinrent.Lesouvenirdélicieuxdeluiavoirfaitl’amour

étaitgravéàjamaisdanssamémoire.—As-tuparléàtonpère?—Oui,pasplustardquecematin.Ilm’afalluunpeudetemps,maisj’aifiniparleconvaincreque

tun’étaispaslàpourruinerFirehillàlamémoiredePaulCalliway.Ileutunpetitriremais,aufonddelui,illuiétaitextrêmementreconnaissant.—NousallonsfairerécupérerNavigatoretpréparersespurées.Apartirdevendredi,jepensequ’il

pourrareprendresonrégimealimentaireclassique.—Ouf ! Jecommenceàenavoirassezdesentir lechouenpermanence, répliquaEmmaavecun

sourire,avantd’enjamberlarampepourentrersurlapisteetsedirigerversGradyStevens.MacremarquaquedeuxhommesdeRahullesobservaientdeloin.Ilsesentitgagnéparlanervosité.Ilnefaisaitpasconfianceàcestypes,etn’aimaitpaslessavoir

prèsd’Emma.Ilfallaitqu’ilensacheplussurleursmanigancesauplusvite.Il reportasonattentionsurEmmaet la regardacaresser lechanfreindeNavigator,unsourireaux

lèvres,tandisqueGradyStevensluifaisaitpartdesprogrèsducheval.Uneétrangeémotions’emparadelui.Pourlapremièrefois,ilavaitlesentimentderéellementtenir

àunefemme.

***

Emmas’activaitsurleplandetravailqueMacavaitinstallédevantl’annexe.Leseauétaitàmoitiéplein,lorsqu’elleposasoncouteauetsefrottalesmains.Macfitdemême.—Jevaisallernouspréparerducafé.Viensteréchaufferàl’intérieur.—Bonneidée,j’ailesdoigtsgelés,réponditEmmaensedemandants’illisaitdanssespensées.Elle leva la têteetobserva lesnuagesbasquis’étaientaccumulés.Achaqueexpiration,depetits

nuagesdebuée se formaient devant sonvisage.Elle espérait qu’il neneigerait pas, en tout caspas

avantlaHolidayClassic.EllesuivitMac,entradansl’annexeetrefermalaporte,laissantlefroiddehors.Ilssedébarrassèrentdeleursmanteauxetellelerejoignitdanslecoincuisineoùils’occupaitdéjà

demettredel’eaudanslacafetièreetd’installerunfiltre.Elle se campa juste derrière lui, passa les bras autour de sa taille et se pressa contre son dos,

appréciantsachaleur.—Oh!c’estbond’êtrecontretoi!Macseretournapourluifaireface,lasoulevadusolsanseffortetlaportajusqu’àsonlit.—As-tupluschaud,maintenant?—Jesuisenfeu,chuchota-t-elletoutprèsdesonoreille.Ellelelaissafairecourirseslèvreslelongdesoncou,tandisquesesmainss’activaientdéjàsurla

fermeturedesonjean.Unnouveaumomentd’extasel’attendait.

***

Une heure plus tard, Emma n’était pas encore complètement redescendue sur terre. Elle finit decoupersescarottesetlesversadansleseauoùMacmélangeaitletout.Le crépitement du gravier sous les pneus d’une voiture leur fit lever les yeux. C’était le shérif

Wilkes.—J’espèrequ’ilnousapportedesnouvellesausujetdeVictor,ditMacquicontinuaàmélangerles

légumes.Plustôtnoussauronscequis’estvraimentpassél’autresoir,mieuxceserapournous.Les paroles deMac donnèrent des frissons à Emma. Si les conclusions du shérif prouvaient que

Victoravaitbienétéassassiné,alorslemeurtrierétaittoujoursenliberté.—Bonjour,shérif.DunouveausurlamortdeVictor?demandaMacdèsqueWilkeslesrejoignit.—Avraidire,c’estunehistoiredefous.J’avaisdemandéuneautopsie,etonm’aréponduqu’on

étaitvenuchercherlecorpstrèspeudetempsaprèssonarrivéeàlamorgue.—Quelqu’undesafamille?s’enquitMac,méfiant.—Aucuneidée.Entoutcas,cen’étaitpasquelqu’unquiportaitlemêmenomquelui.L’employéde

lamorguem’amontréleregistre.C’estunnomméR.Donahuequiasigné.J’aidemandéuneenquêtepourqu’onl’identifie.Sinousneleretrouvonspas,toutepreuvematérielleauradisparu.—Etavez-vouspulocaliserlesprochesdeDago?—Làencore,c’est l’impasse totale. Impossiblededéterminercomment ils’estprocurésafausse

licenced’entraîneur.Parailleurs,sonpermisdeconduireétaitégalementunfaux.Enfait,jesuisvenupourposerquelquesquestionssupplémentairesàsonéquipe.—Amoinsquevousneparliezarabe,jecrainsqu’ilvousfailleattendreleretourdeRahulcesoir.

IlestpartiàFortRoyal,etilestleseulàmanierl’anglaiscorrectement.—Jevois…Mercidem’avoirprévenu.Jerepasseraidemain.Jevoustiensaucourant,conclutle

shérifenlessaluantd’ungeste.—C’estvraimentétrange,ditEmmaquiregardaitleshérifWilkesrepartir.Onnevientpaschercher

uncorpsaussirapidement,àmoinsdevouloirlesoustraireàlajustice…J’avaisoubliéquec’étaitcesoirqueRahulrevenaitetquejedevaisluidonneruneréponseausujetdel’extensiondubail,ajouta-t-elle.Etilvaamenerdeschevauxsupplémentaires…—Oui,deux,confirmaMac.—Jepenseluidirequejerésilielebailetluilaisserdeuxsemainespourviderl’écurie.Ainsi,ils

pourront alignerDragon’s Soul à laHolidayClassic et devront quitter les lieux seulement après lacourse.Macsemblaitperdudanssespensées.—Mac,tum’asentendue?— Oui, je t’ai entendue, et je pense que c’est une bonne décision. Mais ces types ne sont pas

commodes.Tuveuxbienmelaissermechargerd’annoncerlanouvelleàRahul?— Avec grand plaisir. Bien, je vais aller me laver les mains et préparer à manger. Tu

m’accompagnes?—Je te rejoins dans une demi-heure. Je vais d’abord débarrasser ici et aller donner sa ration à

Navigator.Emmasedirigeaverslamaison.Aujourd’hui,ellenesentaitpaslechou,maislacarotte.

***

Macselavalesmainspuissortitsonportabledesapoche.Emmaavaitraison,cen’étaitpasnormalqu’onsoitvenuchercher lecorpsdeVictoraussirapidement.Peut-êtreque,d’unemanièreoud’uneautre,l’activitéclandestinedansl’écurieétaitliéeàVictor.IlcomposalenumérodeDougCahillauFBIettombasurlamessagerie.—SalutDoug,c’estMacTitus.Pourrais-tumerendreunserviceetfairedenouvellesrecherchesau

sujetdeVictorDagosurlabasededonnéesdelacommissiondescoursesdeCalifornie?Iladelafamillelà-bas,alorspeut-êtrequ’ilsontdesrenseignementssurlui.Mercid’avance.Abientôt.Ilrefermasontéléphoneetlerangea,leregardtournéversl’écuriedel’autrecôtédel’enclos.PlustôtRahuletseshommesseraientpartis,mieuxceserait.Lasociétédenettoyageavançaitvite

et,d’iciàlafindelasemaine,ilspourraientréinstallerNavigatordanssonanciennestalle.Leschosesreprendraientalorsuncoursnormal.Ilramassaleseauetpartitversl’écurie.Deuxhommessemblaientmonterlagardedevantlaported’entrée.Macdécidadefairecommeside

rienn’était.Asonarrivée,lesdeuxhommesfirentunpasenavantetluibloquèrentlepassageenluiadressantun regardnoir.LavoixdeKarif retentit à l’intérieur et, immédiatement, lesdeuxhommess’écartèrent.Macentradansl’écurie.C’étaitdel’intimidationpureetsimple.Raisondepluspournepaslaisser

Emmaapprocherdecestypes.

Aufonddelatravéecentrale,ilrepéraKarif,uncarnetetunstyloenmain.Illevabrièvementlesyeuxpuislesreportasurcequ’ilfaisait.Macserenditàlastalledupur-sang,etl’ouvrit.Ilcaressalechevalpuisdéversalecontenuduseau

danssamangeoire.D’uneautrestalleluiprovenaitunbruitdevoix.—Thah-la-ta…Sit-ah…Quelqu’unquicomptait?Il ne connaissait pas un traître mot d’arabe, mais savait reconnaître le rythme particulier qu’on

emploiequandonénumèredeschiffres.Iltapotal’encoluredeNavigator,sortitsansbruitduboxetremontalentementl’allée.KarifnotaitdanssoncarnetdeschiffresqueluidictaitJavas.Deschiffresqu’illisaitsurl’intérieur

delalèvredeschevaux.Iln’yavaitriend’étrangeàcequedeschevauxdecourseaientunnumérod’identificationtatouéà

l’intérieurdelalèvre.C’étaitmêmecourant.Cependant, cesbêtesn’étaientpas toutesdeschevauxdecourse, loinde là.Alorsàquoipouvait

bienserviruntatouage?

13

Parlafenêtredelamaison,Emmavitlespharesducamionquis’engageaitdansl’alléeduranch.—IlsembleraitqueRahulsoitderetouravecseschevaux.Assissurlecanapé,Macfittournernerveusementsonverreentresesdoigts.—Jevaisyaller.—Tupourraisattendredemainmatin.—Etraterl’occasiondevoiràquoiressemblentlesnouveauxchevaux?Netrouves-tupasétrange

quetroisdeleursbêtesnesoientpasdeschevauxdecourse?—Si,maisj’enavaisconcluqu’ilsdevaientêtrelàpourtenircompagnieauxautresetcontribuerà

leuréquilibre.—J’aivuKarifnoterdansuncarnetdesnumérosdetatouagequeJavasluidictait.—Ça,c’esteffectivementplusqu’étrange,ditEmma.Peut-êtredevrais-jeleurdemanderdepartir

sansdélai…—Ouimaisdeuxsemaines,c’estraisonnable,ditMacenselevant.—Pourrai-jetevoirplustard?demanda-t-elleenselevantàsontour.—Leplustôtpossible,j’espère,répondit-ilavecunsourirecomplice.Illuitenditsonverrevideets’enalla.

***

Macpritsonmanteauetsortitdansl’airfroiddelanuit.Dansl’écurie,toutesleslumièresétaientallumées et il entendait le bruit des sabots sur le gravier.Le bâtiment était le théâtre d’une étrangeactivité,etilauraitbienaiméenconnaîtrelanature.L’hommevêtudenoirqu’ilavaitaperçuentraind’espionner les hommes deRahul aurait très bien pu appartenir au FBI ou à toute autre agence desécuritéintérieure…Pour le moment, sa principale préoccupation était que les agissements de tous ces individus

pouvaientcauserdutortàEmma.Ilétaitd’autantplusdéterminéàs’opposeràtoutcequipourraitluifairedumalqu’ilsesentaitdeplusenplusattachéàelle.Ilcontournalahaiedevantl’écurieetalladroitversl’entrée.Danssapoche,ilsentitsonportablevibrer.Ils’arrêtapourrépondre,àquelquesmètresdelaporte.—Allô!— Salut, Mac, c’est Doug. Désolé de ne pas t’avoir rappelé plus tôt, mais j’ai eu toutes les

difficultésdumondeàobtenirlesrenseignementsdonttuavaisbesoin.—Etqu’as-tudécouvert?

—IlyabienunVictorDagodanslabasededonnéesdelaCalifornie.Mactapotasespoches,àlarecherched’unpapieretd’unstylo.—Uninstant,jecherchedequoinoter.—Cen’estpaslapeinedetetracasseràcesujet.VictorDagoestmort.—Jesais.Ças’estpasséavant-hier.Ilyeutunlongsilencesurlaligne.—Doug?—Selonlabasededonnées,VictorDagoestmortilyadeuxans,Mac.Macfronçalessourcils.—Tuasditavoireudesdifficultésàobtenircesrenseignements?—Oui.Jevenaisàpeined’ouvrirlabasededonnéesquequelqu’uns’estmisàeffacerledossierde

Victor Dago. Fais très attention à toi, Mac, tout ça semble porter la marque d’une agencegouvernementale.—Mercidetonavertissement,Doug,j’entiendraicompte.Abientôt.Ilrangeasontéléphoneetlevalatête.Aufonddel’écurie,ilvitRahulquirefermaitlagrilledela

stalleattenanteàcelledeNavigator.Cestypesétaientdécidémentmystérieux.S’ils’agissaitdecontrebandiers,ilétaitpossiblequeleur

marchandisesoitcachéequelquepartsur ledomaineduranch, làoù ilavaitsurprisRahulquelquesjoursplustôt,parexemple.Peut-êtrel’élevagedechevauxdecourseétait-ilunecouverturepourleursvéritablesaffaires.MaissilevraietlefauxVictorDagoétaientmorts,lequeldesdeuxétaitl’hommequ’ilavaittentédesecourir?Aumomentoùilentraitdansl’écurie,Rahullerepéraets’avançaverslui.—MonsieurTitus, je constatequevotrepur-sangest toujours là. J’espèrequevousavezparlé à

MlleClareborn.—Eneffet.Lestravauxderéparationdel’écurieprincipaleavancentbien.D’icijeudiouvendredi

auplustard,nouspourronsyréinstallerNavigator.Rahulacquiesça.—Bien.Donc,elleaaccédéànotrerequête?—Pas exactement.Ellevous laissedeux semaines, c’est-à-dire jusqu’à laHolidayClassic, pour

continueràoccuperl’écurie.Ensuite,voshommesetvous,vousdevrezquitterleslieux.IlétudialaréactiondeRahul,s’attendantàdelacolèreouauminimumàdelacontrariété.Aulieu

decela,ileutunsouriresuffisant.—Jecomprends.DitesàMlleClarebornquenousnousplieronsàsesexigences.Maisjenesais

passi,dansdeuxsemaines,ilyauradesécurieslibresdanslarégion.— Ça, c’est un problème que votre employeur et vous devez résoudre. Peut-être devriez-vous

acquérirvotrepropreranch.Bonsoir.Iltournalestalonsetquittal’écurieenjetantaupassageunregardàNavigator.Comptetenudeleur

réputation,Rahuletseshommesauraientpeut-êtredumalà trouverunnouvelhébergeur.Mais,dansdeuxsemaines,ilsauraientquittéFirehill,etceneseraitplusleproblèmed’Emma.

Il inspira longuement puis repensa aux dernières paroles de Rahul. Que sous-entendait-ilexactement?

***

Emmasouleva lescouvertures, seglissadans le lit,puis seblottit toutcontre ledosdeMac.Aucontactdesapeaunuecontrelasienne,ellesentitimmédiatementunevaguedechaleurl’envahir.—Oh!tuestoutefraîche!—Jeneleresteraipaslongtemps.Elle l’embrassa à labaseducouet commençaà le caresserdoucement, sentant sondésirmonter

rapidementdanssamain.Ilpoussaungémissementdeplaisir,seretournaetlafitvenirsurlui.—Vousêtesunemauvaisefille,mademoiselleClareborn.Vousvousglissezhorsdelamaisonàla

nuittombéepourvousrendreàunrendez-voussecret.—Sortir la nuit, ce n’est pas difficile. Je le faisais souvent, quand j’étais ado et quemon père

m’interdisait d’aller chevaucher pendant la journée.Moi je prenais ça comme un challenge. Alorsj’allaissellerunchevaletgalopersurlapisteenpleinenuit.—Mais là, il s’agit d’un tout autre typede chevauchée,Em’, dit-il en lui caressant les cheveux.

C’estbeaucouppluscompliqué.—Oh!jenetrouvepas!répliqua-t-elled’untonmalicieuxensemettantàbougerleshanches.Macsentitmonterenluidesvaguesdeplaisirdeplusenplusintensestandisqu’Emmasemettaità

alleretàveniràunrythmeplusrapide,totalementconcentréesurleplaisirqu’elleluidonnait.Enfin,aprèsunlongmomentd’extase,elleseserracontreluiettousdeuxatteignirentlajouissanceenmêmetemps.EllerestadelonguesminuteslajoueposéesurlapoitrinedeMac,àécouterlesbattementsdeson

cœur.Elleétaitamoureusedelui;ellelesentaitdanssachairetdanssonesprit.Cependant,elleseretint

del’exprimeràhautevoix.

***

MacgardaEmmadanssesbraslongtempsaprèsqu’ellesefutendormie.Ilcaressaitdoucementsescheveuxdansl’obscurité,songeantàcequ’ilressentaitpourelle.Etre près d’elle en permanence, lui faire l’amour, tout cela remettait profondément en cause les

principesauxquelsils’étaittenujusque-là,etauxquelsiln’étaitpascertaind’êtrecapablederevenir.Pourtant,elleméritaitbeaucoupmieuxqu’ungardeducorpsbalafréquin’avaitrienàluioffrir.Ilfermalesyeuxetfinitpars’endormitàsontour,lecœurgros.

***

Macmit son clignotant et tourna àgauchepourprendre la routedeLexington. Il jeta un regard àEmma,quicontemplaitlepaysageparlavitre.Depuisqu’ilsavaientquittéleranch,ellen’avaitpasdittroismots.Alorsqu’elleauraitdûêtreheureused’allerchercher lechèquequi luipermettraitdecontinuerà

fairevivreFirehill,elleétaitd’humeurmaussade,etilcommençaitàs’enressentirégalement.—Qu’est-cequinevapas,Em’?Grâceàcetterécompense, lessoucisfinanciersdeFirehillsont

terminés,dumoinsjusqu’auderby,aumoisdemai.Au-delà,sic’estnécessaire,jetedonneraimapartdelarécompense.—Non,c’esthorsdequestion.Tul’asméritée.Ettuasraison,toutvapourlemieux.Jen’aiplusà

medébattreaveclessoucisd’argentet,lorsqueNavigatorauraremportélaTripleCouronne,jen’auraiplusqu’àproposerdesdroitsdesailliepourêtredéfinitivementtranquille.Elleseredressadanssonsiègeetprituneprofondeinspiration.Elleavaitétécapabledevivresans

Macavantsonarrivée,ellesurvivraitàsondépart.Mêmesielleavaitlecœurenlambeaux.—LepostedepoliceestsurEastMainStreet,dit-elled’unevoixatone.Sais-tucommentyaller?

ajouta-t-elleens’efforçantdeprendreuntonplusassuré.—Oui,jesais,pasdeproblème.

***

MacdévisagealeshérifWilkes.—Qu’essayez-vousdemedire?—J’essaiedevous fairecomprendrequevousdevriez laisser tomber l’affaireDago, répondit le

shérifen parcourant les papiers devant lui.Disons qu’onm’a conseillé de conclure que lamort deVictor Dago était la conséquence d’un accident et de boucler le dossier. Plus de questions, plusd’enquête,marmonna-t-ilenseréinstallantaufonddesonfauteuil.—Donc,lefaitquej’aieapprisquelevéritableVictorDagoestmortenCalifornieilyadeuxans

n’aaucuneimportance,c’estbiencela?Emmatenditlamainetluiserralebras.—Quandas-tuappriscela?—Hiersoir.MonamiquitravailleauFBIm’aappeléjusteavantquejeparleàRahul.—Laisseztomber,Mac,repritleshérifensecouantlatête.Continueràenquêterneferaquecauser

desremouset,tôtoutard,ilyauradesdégâts.Mac fit de sonmieux pour garder son calme. Il était plus que jamais convaincu que l’équipe de

Rahul était impliquéedansune sombrehistoire et que c’était unde ses hommesqui avait assassinéVictorDagoenfaisantcroireàunaccident.—Bien,voilàvoschèques,continuaWilkesenouvrantuntiroirdesonbureau.Tâchezdenepas

toutdépenserenunefois.

Emmaregardalonguementleschiffresinscritssursonchèque,commepours’assurerqu’iln’yavaitpasd’erreur,puistournalatêteversMac,quipliaitdéjàlesienpourlerangerdanssonportefeuille.—Merci, shérif. En fait,ma plus grande satisfaction, c’est de savoir que plus personne ne s’en

prendraauxchevaux.—Oui,mercibeaucoup,ditEmmaenselevant.Macserralamainaushérif,puisilsquittèrentlebureau.Emmaattenditqu’ilssoientremontésenvoiturepourparler.—Peux-tumedéposeràl’agencedelaCentralBank?—Biensûr,réponditMacendémarrant.—Tuauraisdûmedire,pourVictor.—Jenevoulaispast’inquiéter.Enoutre,hiersoir,nousavonsététropoccupéspourparlerdeça.Ellesesentitrougiràl’évocationdelanuitprécédenteetfitdesonmieuxpourchasserlesimages

érotiquesquiluivenaiententête.—Promets-moidesuivrelesconseilsdeWilkes,decesserdesurveillerRahuletseshommesetde

poserdesquestions.Ilneréponditpas,cequieutledondel’inquiéter.—Mac!—Jenepeuxpas,Em’.Jesensquecestypessontengagésdansuneaffaireillégaleetqu’ilsonttué

pourqu’onnelesarrêtepas.L’impactsurleranchetsurtoipourraitêtreterrible,alorsjenepeuxpasleslaisserfaireetresterlesbrascroisés.Jedoisaumoinstirertoutçaauclairavantdepartir.Emma n’aimait pas savoir qu’il risquait de courir de graves dangers, mais il avait néanmoins

marquéunpoint.Onnepouvaitpassoupçonnerqu’unhommeavaitétéassassinéetdéciderdujouraulendemaindeneplusrechercherlemeurtrier.Macmitsonclignotant,tournapuissegaradevantlabanque.—Cequejeveuxsavoir,c’estcequeRahulfaisaitl’autrejoursurledomaineduranch.—Iln’yariendanscecoin,àpartdesgrottesquirisquentdes’effondreràtoutmoment.—Justement.C’estl’endroitidéalpourcacherunemarchandisequelconque.Personnenevajamais

par là. Si je parviens à découvrir ce qu’ils manigancent, je préviendrai mon ami du FBI, et sescollèguesetluipourrontintervenir.Pendantqu’il parlait,Emmaavait rempli sonbordereaude remisede chèqueet endossécelui-ci.

Aprèsavoirmisletoutdansuneenveloppe,elledescenditdevoiture,etallaglisserl’enveloppedanslafentededépôtsurlafaçadedel’agence.—Quecrois-tuqu’ilsfassent?Delacontrebande?demanda-t-elleenseréinstallantsur lesiège

passager.—Jenesaispas…Ilest17heuresetjemeursdefaim,remarquaMacenredémarrant.Çatedirait

d’allermangerunmorceau?—Oui,allons-y,d’autantque,maintenant,noussommesriches!—Bienvu.—Etpuisquenoussommesenville,jevaisenprofiterpourfairequelquescoursesdeNoël.

***

Appuyécontrelabarrièredelapiste,MacregardaitNavigatordéboucherduvirage.Toutsourires,il jetauncoupd’œilauchronomètre.S’il continuait surce rythme, lepur-sangallaitpulvériser sonmeilleurtemps.Il releva les yeux et pressa le bouton aumoment où le cheval passait devant lui puis consulta le

temps:uneminuteetcinquante-deuxsecondes.—Incroyable!—Bonjour,ditEmma,quiétaitvenueseposteràcôtédelui.Unpeugêné,illuiadressaunregardenbiais.—Tuasbiendormi?—Commeunbébé.J’aiemballétouslescadeauxachetéshieretjelesaimissouslesapin.Ensuite

seulementjesuisalléemecoucher.—Heureusementquej’aiunpick-up,sinonnousn’aurionspaseuassezdeplacepourtoutramener.Elle tendit la main pour lui prendre le poignet et le retourner afin de voir le temps sur le

chronomètre.—MonDieu,cequ’ilestrapidecematin!s’exclama-t-elleavecunlargesourire.Macposaleregardsurseslèvresetvitsonsourires’estomperimmédiatement.Ilétaitdéçuetavaitlecœurserré.Lanuitdernière,Emman’étaitpasvenueleretrouver.Ellen’était

pasvenueseblottircontreluisouslescouvertures.D’une certainemanière, il lui en était reconnaissant. Il lui avait déjà pris sa virginité alors qu’il

n’avaitrienàluioffrirenretour.Malgrétout,sonattitudeluifaisaitmal.Des éclats de voix le tirèrent de ses réflexions. Devant l’écurie secondaire, Karif et Rahul

discutaientavecanimation ;Rahulavait lesmainssur leshanches tandisqueKarif faisaitdegrandsgestes,commepourexprimersonimpuissance.— J’aimerais bien savoir ce que ces deux-là se racontent, bougonna-t-il. Peut-être que je

comprendraismieuxcequ’ilsontl’intentiondefaire.—De toute façon, dansunpeuplus d’une semaine, ça n’auraplus d’importance,Mac. Ils seront

partis,ettoiaussi.Iltournalatêteverselleetluicaressaaffectueusementlajoue.Ellefermalesyeuxuninstantpuisrepoussasamain.—Emma…,dit-ild’unevoixétranglée.—Economisetasalive,Mac.Jesuisunegrandefille,j’aidéjàcompriscommentçadevaitfinir.Sansattendrederéponse,elleenjambalabarrièreetsedirigeaversNavigatoretsoncavalier.Mac soupira puis ramassa les couvertures destinées à réchauffer le pur-sang. Tant mieux si elle

savaitcommentceladevaitfinir,carluin’enavaitplusaucuneidée.

***

EmmasuivitMacetNavigatordans l’écurie et remarqua aupassagequeDragon’sSoul avait étéréinstallédanslastalleoùilsavaientdécouvertVictor.Enoutre,deuxnouveauxchevauxoccupaientlesboxesdechaquecôtédeceluideNavigator.Elleeutlachairdepoule.Commentavait-ellepulaisserunteldramearriver?Pourquoiavait-elle

autoriséunhommecommeVictor—ouquelquesoitsonvéritablenom—àlouersonécurie?Ellesefitlapromessequeplusjamaisellenelaisseraitsafaiblesseetlebesoinguidersesactions.—MademoiselleClareborn?Rahulvenaitverselle.—J’aimeraissavoiravecprécisionquandvouscomptezretirervotrechevaldel’écurie.Rahuls’arrêtatoutprèsd’elleet,denouveau,elleeneutlachairdepoule.—Mac?appela-t-elle,soulagéedelevoirressortirdelastalleets’approcheràsontour.— Le nettoyage de l’écurie principale est presque terminé, dit-il. Nous le réinstallerons là-bas

vendredimatin,aprèssongalopd’entraînement.—Parfait.Maisjedoisvousavertirque,maintenantquej’aiinstallédeuxchevauxsupplémentaires

etquejedoisallerenchercherunautreàLaNouvelle-Orléansprochainement,vousdevrezattendrel’arrivéedemonemployeurlasemaineprochainepourrecevoirvotrechèquedeloyer.—Cen’estpasunproblème,assuraEmma.L’émirvientpourassisteràlaHolidayClassic?—Oui.Ilarriverale24.—Alorsjeseraiheureusedefairesaconnaissance.Rahulacquiesça.—Bien,jevouspriedem’excuser,maisjedoisallerfixerlaremorqueàmacamionnetteavantde

partir.—Soyezprudentsurlaroute,réponditEmmaavantdequitterl’écurieencompagniedeMac.L’inquiétuded’Emmaétaitrevenue,etilfallaitqu’ellel’exprimesansattendre.—Tuvasprofiterdesonabsencepouralleràlalimitedudomaine,n’est-cepas?demanda-t-elle,

leregardfixésurMacpourchercheruneconfirmationsursonvisage.—Oui,c’estlemomentoujamais.Çat’ennuiesijeprendsOliver?—Tunepeuxpasyallerseul,Mac.—Jesuisungrandgarçon,etjesuisarmé,Emma.—Jem’enfiche.SelleégalementDandy.Jeviensavectoi.

14

Macfixasonharnaisetregardad’unœilinquietEmmasemettreenselle.—Jepeuxm’enchargerseul,Em’.Tun’aspasbesoindevenir.—Jenedoutepasquetuensoiscapable,maisjen’aitoutsimplementpasenviedetelaissertout

seul.Nousnesavonspascequenousrisquonsdedécouvrir.Non seulement elle avait raison, mais elle avait aussi du courage et du bon sens. Sans compter

qu’ellel’attiraitdeplusenplusetmettaitàmalsescertitudesconcernantlavieàdeux.Iltirasamonturepourlafairesortirdel’enclos.Danscettehistoire,Emmaavaitcependantplusàredouterquelui.Commeilétaittoujoursencharge

desasécurité,iln’avaitpasmanquédeprendredesmunitionssupplémentairesaucasoùilsferaientunemauvaiserencontre.Emmasortitàsontourdel’enclos.Macrefermalabarrièrederrièreellepuismontaàcheval.Emma

jetauncoupd’œilunpeuinquietversl’écuriesecondaire,maisnevitpersonne.—Ilssonttouspartisdéjeuner,ditMacquiavaitsuivisonregard.C’estlebonmomentpouraller

fouinerunpeu.Tousdeuxpartirentautrot,côteàcôte.Lorsqu’ilsfurentloindel’écurie,Emmasedétenditunpeuet

tenta de profiter de la sensation de l’air vif sur ses joues, du soleil qui lui chauffait le dos tandisqu’ellechevauchaitàcôtéd’unhommequicomptaitbeaucouppourelle.—TuveuxsavoircommentlechapeauquetuportesestarrivéàFirehill?demanda-t-elle.—Oui,dis-moi.—Ehbien,selonmonpère,lesoiroùtonpèreàtoiestvenuluilivrerSmoothSailing,ilsonteuune

violentequerelle.Enfait,ilsétaienttousdeuxpropriétairesduchevalàpartségales.—Oui,jesais,ditMacsanstournerlatête.—MonpèreavaitdemandéautiendenepasinscrireSmoothSailingàlaventeauxenchères,mais

ilnel’apasécouté,carilétaitcertainderéussirunebelleplus-value.Mais,finalement,c’estmonpèrequiestdevenupropriétaireàpartentièredel’étalon.—Etquelestlerapportaveccevieuxchapeaupoussiéreux?—Ehbien,tonpèreestretournéàsonpick-up,adémarré,puisilaôtésonchapeauetl’ajetédans

l’allée.—End’autrestermes,ilafaitcommedansl’ancientemps,lorsqu’onjetaitsongantpoursignifierà

unadversairequ’onluilançaitundéfi.Enmêmetempsqu’ilparlait,lesouvenirdugestedesonpèreluirevint.Mais,àl’époque,ilétait

enfantetn’enavaitcomprisnilaportéenilasignification.—Allez,augalop!s’exclama-t-ilenfaisantaccélérersamontureaumomentoùilsapprochaientdu

bosquetdepins.Plusviteilsseraientsouslesarbres,plusviteilsseraientcertainsquepersonnenelesverrait.

Ilsgalopèrentjusqu’àlacrête,oùilss’arrêtèrent.—Crois-tuqueleshommesdeRahulsaventquenoussommeslà?—Non, je ne pense pas, réponditMac quimit pied à terre.Mais nous ferionsmieux de rester

vigilants.—Laissons les chevaux ici. Ils pourront tranquillement brouter l’herbe pendant que nous serons

partiset,depuislaroute,personnenepourralesvoir.—As-tuapportélesentraves?—Oui,jelesai.Emmadescenditàsontourdechevaletmenasamontureparlabride.Pourelle,cetendroitavaittoujoursétéunsanctuaire.Etcestypesyauraientdissimuléleproduitde

leursmalversations ?Ce qui la consolait, c’était d’être là avecMac et de ne pas avoir à protégerFirehilltouteseule.Unefoisarrivéeaucentredubosquet,elleouvritsasacochedeselleetensortitdeuxentraves.Elle

entendituneàMacetinstallal’autreautourdesbouletsdesonchevalavantdeluiôterlemorsafinqu’ilpuissebroutersansgêne.—Essayonsderesterlepluspossibleàl’abridesarbres.Sinoustombonssurundecestypes,soit

nousnouscachons,soitnousdétalons.Incapablederéprimerunfrissond’excitation,elleluiemboîtalepas.Ilsslalomèrententrelessapins

jusqu’àl’endroitdepuislequel,quelquesjoursplustôt,ilsavaientaperçuRahul.Macs’agenouillaetouvritsonsacàdospouryprendredepetitesjumelles.Illesportaàsesyeuxet

zoomaaumaximum,balayantlesecteur,sansrienremarquerdesuspect.Pourtant,soninstinctluidisaitqu’ildevaitpersévérer.—Tudevraisretournerauprèsdeschevauxetmelaissermenerl’inspectiontoutseulEmma,dit-il

aprèsavoirabaissésesjumelles.—Horsdequestion.Detoutefaçon,jesuisplusensécuritéenrestantavectoi.Enimaginantqueles

hommesdeRahularrivent,quecesoitàpiedouenvoiture,nouslesverrionsapprocheretnousaurionsletempsdenouséloigner.Décidément,iladoraitsonbonsensetsontempérament.—D’accord.Alorssuis-moi,maisveilleàresterbaissée.Ilremitsonsacsurl’épauleetavançajusqu’àlaclôture.Le soleil était haut dans le ciel, mais l’air était piquant et froid. Soudain, de l’autre côté de la

clôture,entrelesarbres,ilperçutunmouvement.Ils’immobilisaetposaundoigtsurseslèvrespourintimerlesilenceàEmma.Elle sentit son cœur s’affoler en entendant tout à coup des brindilles craquer sous les pas de

quelqu’unquidevaitavancerverseux.Macportalesjumellesàsesyeuxet,aprèsquelquesinstants,souritlargement.Illuitenditlesjumelles.Ellelesajustaetvitalorsundaimquidescendaitdoucementverslepetit

coursd’eauencontrebas.—Ilestmignon,dit-elleàvoixbasse,soulagée.

Jouerlesespionnesn’étaitvraimentpassontruc,songeaEmma.Ellepréféraitdeloinl’adrénalinequeluiprocuraientlescourseshippiquesoulacompagniedel’hommequ’elleaimait.—Viens.Nousallonstraverserlaclôturepuisrejoindrelesentier.S’ilsontpourhabitudedevenir

icienvoiture,nousrepéreronsleurstracesetellesnousmènerontdroitaulieudeleursopérations.Macécartalesbarbeléspourqu’ellepuissesefaufiler.Unefoisdel’autrecôté,Emmaluirenditla

pareille.Il se redressa, prit samain et tous deux descendirent vers la barrière.Mac regardait sans cesse

autourdelui,àl’affûtd’unemenacequelconque.—Tum’asbienditquec’esttonpèrequil’afaitposer?demanda-t-illorsqu’ilsfurentàlabarrière.—Oui.Ilvoulaitêtresûrquepersonnen’iraits’aventurerau-delà.Lesecteurestdangereux.Lesyeuxfixéssur lesol,Maccherchades tracesetrepéradesempreintesdebottes.Il lessuivit.

Elles menaient vers un sentier envahi par de hautes herbes qui disparaissait parmi les arbres unecinquantainedemètresplusloin.Nerveux,ilserraplusfortlamaind’Emma.Ilsétaientàdécouvert,etsiunhommelesavaitrepérés

etdécidaitdeleurtirerdessus,ilsnepourraientrienfaire.Ilaccéléralepas,semettantpresqueàcourirjusqu’àcequ’ilssoientàl’abridelavégétation.—Regarde,ditEmma.C’estl’entréedelagrottequemonpèreafaitfermeràladynamiteilyades

années.Macregardal’ouverturesombreàlabasedelacollinequiplongeaitversleruisseau.—Ilsembleraitqu’ellenesoitplusfermée…Il repéra d’autres traces de pas. Près de la grotte, les herbes étaient couchées, indiquant que

quelqu’unyétaitpasséplusieursfoisrécemment.—Tesouviens-tudedétailsparticuliersausujetdecettegrotte?—Enfait,c’estàcausedemoiquemonpèrel’afaitfermer.Mesamisetmoi,nousvenionsàcheval

jusqu’ici. Il craignait que quelqu’un soit blessé si la grotte venait à s’effondrer.Alors il a pris lesdevants.Elleesttrèsprofonde,aupointquenousn’enavonsjamaisvulefond.Ellerepensaàlapremièrefoisqu’elleavaitpénétrédanslagrotteetdérangédeschauves-souris.—L’entrée est étroite,mais ensuite la grotte s’élargit. Au bout d’une cinquantaine demètres, le

conduitserétrécitdenouveau.Situveuxallerplusloin,ilfautavanceràquatrepattes.Evidemment,nousnel’avonsjamaisfait.C’étaittropeffrayant.—SiRahuletseshommessontvenusdéposerunemarchandisequelconqueici,ilsn’ontpasdûaller

trèsloinnonplus.EmmaregardaavecappréhensionMacouvrirsonsacàdos,ensortirunelampetorcheetprendre

sonarmedanssamainlibre.—Resteprèsdemoi.Sonavertissementétaitinutile.Ellecomptaitbiennepass’éloignerdelui.Prêtàuneéventuelleattaque,Macallumasalampetorcheetavançaverslagrotte.—Mince !dit-ilune foisà l’intérieur, tandisqu’ilbalayait les lieuxdu faisceaude sa lampe. Je

crainsqu’ilsn’aientfaitplacenette.

Ausol,ilyavaitdenombreusestracesdepasquimenaientplusloin,làoùleconduitserétrécissait,commeleluiavaitapprisEmma.Ilavança,toujoursprudent,maisiln’yavaitrien.—Regarde!s’exclamaEmmaenpassantdevantlui.Ilyaquelquechose,là-bas.Macvoulut l’attraperpar lamanchepour lareteniret luiexpliquerqu’ildevaitd’abords’assurer

qu’iln’yavaitpasdedangeravantd’allerplusloin.Alorsqu’iltendaitlebras,lefaisceaudesalampeseposasurunfildecuivretenduàrasdusol.Troptard!Emmas’étaitprislepieddanslefilettombaitenavant.Derrièrelui,Macentenditledéclicd’undétonateur.IlplongeapourprotégerEmmadesoncorps.Ilyeutuneexplosionet,enl’espacedequelquessecondes,unéboulisderochesrefermal’entréede

lagrotte.Aplatventreparterre,Emmaavaladelapoussière.Autourd’elle,l’obscuritéétaitcomplète.Elleseretournapourseredresser.OùétaitMac?Oùétaitlalumière?Oùétaitl’air?Ellesemitàtousseretàcracherpourchasserlapoussièrequiluicollaitlabouche.Puis elle tendit la main et effleura une paroi rocheuse. Elle s’y accrocha et se redressa sur les

genoux.—Mac!cria-t-elle,toussanttoujours,lagorgeirritée.Ques’était-ilpassé?C’étaituneexplosion?Ilsétaientprisaupiègedanslagrotteàcaused’uneexplosion.La panique monta en elle, mais elle s’efforça de la contenir. Elle devait garder son calme et

retrouverMac.Ils’étaitjetésurellepourlaprotégerdel’éboulis.Ilnepouvaitpasêtreloin.Ellesemitàavancer

àquatrepattes.—Mac,oùes-tu?Tum’entends?Jet’ensupplie!Soudain, elle entendit un gémissement puis une quinte de toux, et tourna la tête de tous côtés,

désorientéeparl’obscuritétotale.—Emma,jesuislà!Elle se tourna du côté d’où venait la voix. Au même moment, un faisceau de lumière troua

l’obscurité,l’éblouissantl’espacedequelquessecondes.Macavaitétéprojetélelongdelaparoiàplusieursmètresd’elleparlesouffledel’explosion.—Çava?luidemanda-t-elleencrapahutantjusqu’àlui.—Riendecassé,maisj’aiunejambecoincéesousl’éboulis.Elleneputs’empêcherdesedemandersielleallaitmourir là,priseaupiège,àcôtédel’homme

qu’elleaimait.—Donne-moilalampe,luiordonna-t-elleunefoisprèsdelui.Ellebraqualefaisceausursesjambesetcompritcequis’étaitpassé.Desrocherss’étaientdétachés

etl’und’euxavaitatterrisurlebasdujeandeMac.Aquelquescentimètresprès,illuiauraitécrasélajambe.—Jen’aipasassezd’espacepourbougerlerocher,ilvafalloirtirerpourdégagertonpantalon.A

trois,ontireensemble,continua-t-elleensaisissantsajambeau-dessusdugenou.Un,deux,trois!Ilseurentbeautirerdetoutesleursforces,ilnesepassarien.—Mince,ilvafalloirqueturetirestonjeanpourtelibérer.—Pourtoijeferaisn’importequoi,maisçanevapasêtrefacile.Peux-tum’enlevermabotte?Emmaavançaàquatrepattesjusqu’àsespieds,pritsabotteettira.Elleladégageasansproblème.MacdéfitlaceinturedesonjeanetdescenditaumaximumlafermetureEclair.Ilfitunepausepour

reprendresonsouffle.—Ilvafalloirquetum’enlèvesmonautrebotteetquetutienneslebasdemonjeanpendantqueje

m’enextirpe.—D’accord,réponditEmmaens’exécutant.Macsetortillaquelquessecondesetréussitàselibérer.Ilseleva.Emmaramassalalampetorcheetlabraquasursescuissesnues.—Hé!Regardezunpeucequej’aidécouvert:unhommedescavernesàmoitiénu.Mac secoua la tête, plus pour chasser la poussière qu’en réaction à sa plaisanterie. Il ne put

cependant s’empêcherd’admirerune foisdeplus lecaractèred’Emma.Etantdonné lagravitéde lasituation,l’humourn’étaitpasloind’êtretoutcequileurrestait.Iltenditlamainpourreprendrelalampe.Ilsavaientdesérieuxennuis.Personnenesavaitqu’ilsétaientlàetildevaityavoirplusieursmètres

degravatsentrel’entréedelagrotteeteux.—MonDieu,jesuisdésolé,Em’.Jamaisjen’auraisdût’autoriseràm’accompagnerici.—Ne dis pas de bêtises ! Tu voulais savoir ce qui se tramait ici pour protéger Firehill et me

protégermoi.Etjeterappellequej’aiinsistépourvenir.—Sinoussurvivons,nouspourronstoujoursdiscuterdeça.Pourlemoment,nousdevonstrouverun

moyendesortir.Ilregardaavecdépitautourd’eux,àlarecherchedequelquechosequiauraitpuleurpermettrede

creuseroudedéplacerlesrochers.—Quecrois-tuavoirvujusteavantl’explosion?demanda-t-ilenbraquantlalampesurlefondde

lacaverne.—Jenesaispas:descaisses,dumatériel…Jen’aipaseuletempsdebienvoir.—Cettefois,laisse-moipasserdevant.—D’accord,maistunepeuxpasyallercommeça.Joignantlegesteàlaparole,ellesesaisitdesonjeanetsemitàtirerpouressayerdeledégager.

Macvintlarejoindreettousdeuxtirèrentdetoutesleursforces.Enfin,letissucéda.—Auncentimètreprès,c’esttajambequiauraitétésouscerocher.Ellelaissaéchapperunsoupirnerveuxetramassasesbottespendantqu’ilremettaitsonjean.

—Merci, ditMac lorsqu’il fut rhabillé. J’ai de l’eau dansmon sac à dos. Nous pourrons nousnettoyerunpeu.Ilouvritlesbrasetlaserracontrelui.—Nousallonssortird’ici,jetelepromets,ajouta-t-il.Viens,allonsvoircequ’ilyaaufonddela

grotte.Ilpointalefaisceaudesalampedevanteux,laprécédaaprèsavoirrécupéréaupassagesonsacà

dosetsonarmequiparbonheurn’avaientpasétéensevelis.Enfin,ilrepéracequ’Emmaavaitaperçu.—C’estuntéléphonesatellite,dit-ilens’agenouillantprèsdelaboîtemétalliquedontilsoulevale

couvercle.Tiens,reprit-ilendonnantlalampeàEmma.Eclaire-moi.Ilsortitlecombinéetappuyasurleboutondemiseenmarche.Ilnesepassarien.Ilessayaencore,

sanssuccès.—Ainsi,ceseraitcequeRahulvenaitfaireici.Utilisercetéléphonesatellite.—C’estabsurde.Pourquoiprendretantderisquesetnepasutiliseruntéléphoneclassique?—Cequejesais,c’estque,surcetyped’appareil,lessignauxd’émissionetderéceptionpeuvent

êtrebrouillés.Sionneveutpasrisquerqu’uneconversationsoitinterceptée,c’estl’outilidéal.—Untéléphonedecegenrepourparlerdestratégiedecourseavecl’émir?—Jedoutequelesujetdeleursdiscussionsaitétéaussianodin.Macavaitbeaucoupd’interrogationsentête,mais,pourlemoment,laprioritéétaitdesortirdelà.—J’aimonportablesurmoi,ditEmma.Crois-tuqu’ilfonctionnera?demanda-t-elleenletirantde

sapoche.Non,jen’aipasderéseau,marmonna-t-elleuninstantplustard,dépitée.Macouvritsonsacàdos,ensortitlagourded’eauetlaluitendit.—Tiens,boisunpeu,maispastrop.Nousdevonsessayerdefairedurernotremaigreréserveaussi

longtempsquepossible.Ellebutunegorgéetandisqu’ilouvraitsoncanif.Ilretournalaboîtedutéléphoneetendévissale

fond.—Pasétonnantqu’ilnefonctionnepas.Labatterieaétéenlevée.Ilserelevaetgardaenmainlaplaquemétalliquequ’ilvenaitd’enlever.—Çapourranousservirdepelle.Il retourna sur ses pas et, sans attendre, s’attaqua avec son outil de fortune à l’éboulis qui les

emprisonnait.

***

Emmaregardal’heureàsamontre:20h30.—Repose-toiunpeu,Mac,c’estmontourdecreuser.Celafaisaitprèsdeseptheuresqu’ilsserelayaientpourdégagerlaterreavecleurpelleimprovisée

ettenterderetrouverlalumière.Macseredressaetdéversaderrièreluiunenouvellepelletéedeterre.—Nousprogressons.Ilpritlagourdeetbutunegorgée.—D’iciàdemain,nousauronspeut-êtreréussiàcréerunebrèchesuffisantepourpouvoirpasserun

appel.—Jel’espère,maisilnenousrestepresqueplusd’eaunidebarresdecéréales.Sinousn’avons

plusrienàmangerniàboire,ceseraplusdurdetravailler.Elle posa le regard sur son torse nu et luisant, sur ses muscles parfaitement dessinés et ne put

s’empêcherd’espérerqu’ilgarderaitassezdeforcespourluifaireunedernièrefoisl’amour.Elle détourna la tête, luttant contre les larmes qui lui piquaient les yeux. Il fallait qu’elle se

reprenne;ellen’étaitplusunegamine,etn’avaitjamaiscédéàlapanique.Pasquestiondepasserpourunefaiblefemmeendétresse.Pourtant,jamaisellen’avaiteuaussipeurdesavie.—Em’,çava?demandaMacenlaserrantcontrelui.Nousallonsréussir.Mêmesijedoisylaisser

mesdernièresforces,jeréussiraiàcreuseruneouvertureetàtefairesortir.—Jesais,Mac,etc’estpourçaquejet’aime.Tuesunhommedévoué,unhommedeparole.Elleprit consciencequec’était lapremière foisqu’elle luidisait cequ’elle ressentait réellement

pourlui.C’étaitlapremièrefoisqu’elleluiparlaitd’amour.—Peum’importe si tu ne ressens pas lamême chose, reprit-elle,mais je voulais que tu saches

que…Incapable de finir sa phrase, elle lui prit la pelle desmains et semit à creuser. Elle se sentait

libérée.Sielledevaitmourir,elleauraitaumoinsavouésessentimentsàl’hommequ’elleaimait.Immobile,Maclaregardalonguement.Lesmotsqu’elleavaitprononcésrésonnaientdanssatête.—Emma,attends…Arrête-toi.Soudain,ilcrutentendredubruitettenditl’oreille.Despellesquiretournaientlaterre?Emmas’immobilisa,interdite.—Tuentends?luidemanda-t-il,désireuxdes’assurerqu’ilnes’étaitpastrompé.—Oui.Ondiraitquequelqu’uncreusedansnotredirection.Aufuretàmesure,lebruitserapprochait.D’instinct,MacsortitsonarmeetordonnaàEmmadeseposterderrièrelui.Puisilbraqualalampe

endirectiondel’endroit,où,quelquesminutesplustard,unpointlumineuxapparut.

15

Emmaregardal’ouvertures’agrandirprogressivementenretenantsonsouffle.Quiétaitlà,dehors?Laréponselaplusplausiblen’étaitguèrerassurante.—Netirezpas!criasoudainquelqu’un.Jeviensàvotrerencontre.Lapersonnequis’étaitexpriméen’avaitaucunaccent.Cen’étaitdoncpasundessbiresdeRahul.Ellevitunhommevêtudenoirsefaufilerparl’ouverturepuisseredresser,lesmainslevées.—Nousaurionsaimévenirvoussecourirplusvite,maisnousdevionsattendrelatombéedelanuit

aucasoùlagrotteauraitétéplacéesoussurveillance.L’armebraquéesurlenouveauvenu,Macreculad’unpas,protégeanttoujoursEmmadesoncorps.—Ôtezvotrecagoule,ordonna-t-il.L’hommes’exécuta,dévoilantsonvisage.Ilétaitrasédeprèsetavaitunecoupedecheveuxmilitaire.—Quiêtes-vous?demandaMacsansbaissersonarme.—AgentRennDonahue,delaNSA.Ilfautquenousparlions,monsieurTitus.—Jevousécoute.Macrengainasonpistolettandisqu’unsecondhommesefaufilaitparlabrèche.L’hommeserelevaetsortitdeuxbouteillesd’eaudesonsac.Illesleurtendit.—Merci,ditMacsanslesquitterduregard.—Nous avons surveillé ce site jusqu’à il y a une semaine, lorsqu’ils ont cessé d’y venir pour

appelerleurscomplices.—VictorDagoetseshommes?—Seulementsonéquipe,Mac,pasVictor.VictorDagoétaitenvéritél’agentVictorCoronado.—IlfaisaitpartiedelaNSA?demandaMac,ébahi.—Eneffet.Lentement, les pièces du puzzle se mettaient en place. Mac but une longue gorgée d’eau puis

dévisageaDonahue.—C’estvousquiêtesallérécupérersoncorpsàlamorgue?—Oui.Victorétaitmonami.Ilavaituneépouseettroisenfants.—Jesuisdésolé.Mais j’aidécouvertunecaméradesurveillancedans l’écuriesecondaire.Vous

devezdoncsavoirquil’atué.—Karif.KarifetJavas,pourêtreprécis.Ilsl’ontfrappéàlatêteavecuncricetl’ontjetédansla

stalledeDragon’sSoulpourfairecroireàunaccident.—Pourquoinelesavez-vouspasappréhendéspourmeurtre?

—Parcequenousneconnaissonspasencoreavecprécisionlesintentionsducartel.—Ducartel?répétaMac,quisoupesaitlaportéedecemot.Destrafiquants?—Cela fait deuxmois que nous les surveillons, mais tout ce dont ils parlent, c’est la Holiday

Classicle24décembreetdevictoirequ’ilsvontremporter.—Etquecomptez-vousfaire?L’agentDonahuejetaunregardàsoncollègueavantdereportersonattentionsurMac.—Sinousnenous sommespas trompés, laHolidayClassic sera l’occasionpour le cartelde se

faireremettreunefortesommed’argentdelapartdeleursrevendeurspourscellerlanouvellefilièrequ’ilscherchentàmettreenplace.Etcequenoussouhaiterions,c’estquevousrepreniezleschoseslàoùVictorCoronadolesalaissées.Inquiète,Emmas’agrippaaubrasdeMac.—Dis-luinon,Mac.Refuse!s’exclama-t-elleavantdesecamperentreluietlesdeuxagents.Vous

n’avezpasledroitdeluidemanderça.Vousnepouvezpasluipromettrequ’ilneseferapastuerluiaussi.L’agentDonahueeutunregardcompréhensif.—Vousavezraison,mademoiselleClareborn.Jenepeuxpasluipromettrequec’estsansdanger.

Malheureusement,nousn’avonspas le tempsdemettreunautredenosagentssur lecoup.Le tempspresseetl’opérationrisquedetourneraufiasco.Macal’avantaged’êtredéjàconnudeceshommes.Toutcequenousluidemandons,c’estdegarderlesyeuxouvertsetdenousteniraucourantdecequ’ilpourraitapprendre.—Bien.Danscecas,c’està luideprendresadécision,ditEmma,quin’endemeuraitpasmoins

inquiète.Elletournalestalonsets’éloignaverslefonddelagrotte.Macsoupira.Avait-illechoix?—Ilyadeuxjours,quandj’aiannoncéàRahulqu’Emmanevoulaitpasrenouveler leurbailau-

delàdesdeuxprochainessemaines,ilm’afaituneréponseétrange.—Qu’a-t-ildit?— Que, dans deux semaines, il n’y aurait peut-être pas d’écuries libres dans le secteur. Sur le

moment, j’ai pensé qu’il voulait dire qu’il serait difficile pour eux de trouver un endroit où aller.Maintenant, je me demande si ce n’était pas une manière de me faire savoir qu’après la HolidayClassicilsavaientd’autresprojets.Donahueregardasoncollègueavecanxiété.Macs’approchad’Emmaetluipassaunbrasautourdesépaules.Elleluiretournaunpetitsourire

triste.—Donahuearaison, luidit-il.Jamaisundeleursagentsneréussiraàs’infiltrerrapidementpour

approcherRahuletsessbires.Ilslerepéreraientvite.Moi,jeneferaiquecequejefaisd’habitude,jeseraijusteplusvigilant.Elleacquiesçadoucement.Macjetauncoupd’œilàDonahueetsentitquecedernierneluiavaitpastoutdit.—Enfait,audépart,jenesavaispastropdequelcôtévousétiez,Mac.Quandjevousaivutenter

desauverlavieàVictor,j’aisuquevousétiezdignedeconfiance.Cependant,jedoisvousapprendrequelecontactdeRahulauMoyen-Orientn’estautrequel’émirAbadar.Maceutl’impressionderecevoiruncoupàl’estomac.L’émirAbadar,l’hommeàquiilavaitsauvé

lavieauprixd’uneblessureparballeetdelaperted’unepartiedesonaudition…Avait-ilsauvélavieàuntrafiquantdedrogue?—Vouspouvezcomptersurmonentièrecoopération,dit-ilàDonahue.—Parfait.Maintenant,sortonsd’ici.

***

MacétaitappuyéàlabarrièreetregardaitNavigatorquigalopaitàunrythmesoutenu.Iln’arrivaitpasàsedébarrasserdupointdetensionquiluinouaitlesépaules.Laprocédured’inscriptionpourlaHolidayClassicdevaitcommencerlelendemainàLexington.Il

avaitl’intentiond’yaccompagnerEmma.Quatrejoursplustard,Navigatorprendraitpartàlacourse.LeDrRemington,quiavaiteffectuéunultimetestsanguin,l’avaitdéclaréapte.Lechevalavaitété réinstallédans l’écurieprincipale,pour laplusgrande joied’Emmaquiavait

retrouvélesourire.Etça,c’étaitplusimportantquetout.Depuisleurmésaventuredanslagrotte,elleétaitdenouveauvenueleretrouverchaquenuit,cequi

luifaisaitàlafoisénormémentplaisiretletracassait.Ilsesentaitunpeucoupable.Biensûr,ilnel’avaitpasrepoussée,ilenauraitétéincapable,maisil

sesentaitaussiincapabledeluipromettrequ’ilsavaientunavenirensemble.Derrièrelui,ilentenditunbruitdepasetseretourna.Emmavenaitversluiavecdeuxtassesdecafé

fumant.Ilpritlatassequ’elleluitendait.Tousdeuxs’appuyèrentàlarampepourregarderNavigatorévoluersurlapiste.—Commentsecomporte-t-il,cematin?demanda-t-elleenseserrantcontrelui.—Gradysemblen’avoiraucunmalàluifairetenirunecadenceélevée.—Tantmieux.Ceseraitterribles’ilavaituncoupdefatiguejusteavantlacourse.—Tu as fait un boulot fantastique, Em’. Tu as tout fait pour qu’il s’épanouisse et lui, en retour,

donnelemeilleurdelui-même.Etillefaitpourtoi.—N’est-cepastoiqui,ilyamoinsd’unmois,disaitquecen’étaitqu’uncheval?—Si.Jereconnaisavoireutort.Cen’estpasn’importequelcheval.C’estletien.—Rahulestcensérevenirenmilieudematinéeavecunnouveaucheval.Leneuvième…—Jevaissurveillerettenterdevoircequ’ilsfontlorsqu’ilserarevenu.Emmacalasatassesurlehautdelabarrièreetluiposalamainsurl’avant-bras.—Fais attention.Promets-moidenepas rester àproximité si tu sensqu’ilsontdesdoutes à ton

sujet.

—Jetelepromets.MaistusaisqueDonahuesurveillel’écuriecommeunaigle.—Oui,mais ça neme rassure pas pour autant. Il a vuVictor se faire assassiner sans intervenir.

Crois-tuqu’ilagiraitautrementpourtoi?—Détends-toi,Emma.Jeconnaislesrisquesetj’aiprisdesprécautions.Ilavaitbeautoutfairepourlacalmer,celaneréduisaitenriensoninquiétude.—Passeras-tuNoëlavecnous,aprèslaHolidayClassic?luidemanda-t-ellepourchangerdesujet

etoublierlessombresdesseinsdecestrafiquants.Ellesouhaitaitdetoutcœurqu’illaissedecôtésespréjugéscontreNoëletaccepte.—Ehbien, jesupposequ’ilfaudraquejeprofitedenotrepassageàLexingtondemainpourfaire

quelquesemplettes…Emue,Emmalevalesyeuxversluietluisourit.—Monpèrem’aditqu’ilavaitunegrossesurprisepourmoi,etqu’ilnepouvaitpas l’emballer.

D’habitude,nousouvronsnoscadeauxlaveilledeNoël.Avais-tutoiaussidesrituels,àNoël?—Oui.Avecmamère,nousfaisionstoujoursdupop-corn.Jemesouviensencoredel’odeurdansla

cuisine.—Situveux,nouspourronsenfaireensemble.Illacontemplalonguement.—Oui,çameplairaitbeaucoup.IlluitenditsatassevidepuisenjambalabarrièrepourserendreauprèsdeGrady.IlpritlemorsdeNavigatoretluicaressalechanfrein.TandisqueGradymettaitpiedàterre.Macseretournaverselleetluisouritd’unairentenduquilui

échauffalessens.Cethommeavaittransformésesnuitsenunrefugecontrelemondeextérieuret,dèslesoirvenu,elle

avaitenviedelui.Et,àl’instantmêmeaussi,elleavaitenviedelui.Emmasentitsagorgeseserrer,etsongeaqu’ellenepourraitpascontenirsonémotions’ilcontinuait

àlaregarderainsi.Ellesecoualatête,tournalestalonsetsedirigeaversl’écurie.Ilyavaitdumatérielànettoyer,etil

fallaitaussisongeràlatenuequeGradyporteraitlejourdelacourse.Pourtant,malgrétoutcequ’elleavaitàfaire,ellen’arrivaitpasàoublierqu’àtoutmomentundramepouvaitsurvenir.

***

MacpassalamainlelongdelajambegauchedeNavigator,àlarecherched’uneéventuelleraideurouzonedouloureuse.Lechevalnebronchapas.—Ilestenpleineforme.Iln’apasdeligamentsdouloureuxnid’articulationssensibles.—Posons-luisesbandagesetallonsdéjeuner.—D’accord.

Macsesaisitdesbandelettesdecoton,lesdéroulapuisenveloppalesjambesdeNavigator.—Voilà,commeçailserabienetneprendrapasfroid.Ilse relevaaumomentoùRahulbifurquaitdans l’alléeduranchetallait segarerdevant l’écurie

secondaire.—Tiens,levoilà.Emmasentitimmédiatementl’appréhensionlagagner.—Vas-y.Jem’occupederamenerNavigatoretensuitejetecouvrirai.—Tuferaiscela?luidemanda-t-ilensouriant,l’œilbrillant.Ellenesavaitpastropcommentinterprétersaréaction.—Tusais,sic’étaitnécessaire,jeseraisprêteàbotterletrainàcestrafiquants.—C’estbiencequim’inquiète,répliqua-t-ilavantdepartirversl’écuriesecondaire.Elle le regarda s’éloigner, puis ramenaNavigator à sa stalle et la referma.Dans la sellerie, elle

récupéradesbridesànettoyerpuisressortitetallas’installerprèsdel’enclosdedétente.Delà,elleavaitunevuedégagéesurl’écuriedeRahul.Depuis que Mac et elle avaient retiré Navigator de l’écurie secondaire, il n’y avait plus en

permanence deux sbires postés à l’entrée, ce qui semblait confirmer qu’ils avaient été là seulementpoursurveillerleursfaitsetgestes.Tandisqu’ilapprochaitdel’écurie,Macralentitetinclinalatêteàdroite,cherchantàdiscernerles

proposquiluiparvenaient,maisleshommesparlaientenarabe.Prudemment,ilentradansl’écurieetrepéraRahulquisetenaitdevantlastalledeDragon’sSoulet

parlaitàquelqu’unàl’intérieur.Rahultournalatêteetledévisagea.Macluiadressaunsalutdelamainetluisourit.—Bonjour,Rahul.Vousavezfaitbonneroute?—Oui,touts’estbienpassé.Danslastalle,JavasetKarifs’échinaientàpasserlemorsàDragon’sSoul,quisedébattait.Chaque

foisquel’und’euxs’approchaitdelui,ilsecabraitdemanièremenaçante.—Cechevalnouscausetropdesoucis.Jecompteincitermonemployeuràlevendreouàl’envoyer

àl’abattoir.—AprèslaHolidayClassic?—Oui,biensûr.—Voulez-vousquej’essaiedeluipasserlemors?Rahulfitungestedelamainetlançaquelquesmotsenarabeauxdeuxhommes.Macentradanslastalle,soudainassailliparunmauvaispressentiment.Etait-ceainsiqu’ilsavaientattiréVictordansleboxpourl’éliminer?JavasetKarifleregardèrentcommes’ilavaitperdulatête.Karifluitenditlabridepuissortitavec

soncomparse.Derrière lui, Mac entendit la grille se refermer, mais garda son calme. Espéraient-ils que le

fougueuxétalonallaitfaireleboulotàleurplace?Illevalamain,commeilavaitvusonpèrelefaire.Avecdesgestestranquilles,ilrassuralecheval

effrayédontlesnaseauxfrémissaient.Aprèsquelquesinstants,Dragon’sSoulbaissalatêteets’avançalentementversluid’unairdocile.Macluicaressal’encolure.Soudain,ilentenditlavoixd’Emmaquil’appelait.—Mac!Mac!Ellearrivaitencourant,paniquée.—Quesepasse-t-il?luidemanda-t-il,soudaininquiet.—C’estNavigator.Ils’esteffondrédanssonbox!Il tapota une dernière fois l’encolure de Dragon’s Soul et emboîta le pas à Emma, donnant au

passagelabrideàRahul,dontl’expressionétaitindéchiffrable.Emmarepartitaupasdecourse,etillasuivit.Il remarqua deux palefreniers qui installaient le cheval queRahul venait de ramener. L’un d’eux

tenaituncarnetàlamain.Encoredesnuméros…Ilstraversèrentl’enclosetseprécipitèrentdansl’écurieprincipale.Une fois à l’intérieur,Emmas’arrêtamaisMaccontinua,déterminéà savoir cequi était arrivé à

Navigator.Ilatteignitlastalledanslaquellelepur-sangmangeaitpaisiblementdanssoncoin.—Emma,qu’est-ceque…—Chut!Ellejetaunregardderrièreellepuisentradanslastalle.—Parleàvoixbasse,ilspourraientnousespionner.Asonattitude,ilcompritqu’elleétaitterrorisée.—Dis-moicequ’ilya,dit-ilenpassantunbrasautourdesesépaules.—J’aivuKarifetJavassortirdel’écurieetallerchercheruncricdanslecoffredelacamionnette.

Quandjelesaivusretourneràl’intérieuravec,jemesuisprécipitéeetjet’aiappelé…Elletremblaitdetoussesmembres.Illaserracontrelui.—Ilsvoulaienttetueraveccecric,Mac!ExactementcommeilsonttuéVictor.Etlui,ilétaittombédanslepanneau.S’iln’avaitpascalmél’étalon,etsiEmman’avaitpasmonté

lagarde,c’enauraitétéfinidelui.Illaserraplusfortpourqu’ellecessedetrembler.

16

Le cœur battant, les documents légaux pourNavigator enmain, Emma faisait la queue devant leguichetd’inscription.Autourd’elle,l’atmosphèrebruissaitdeconversations.Elle sourit timidement à d’autres propriétaires qu’elle connaissait. Deux guichets plus loin, elle

repéraRahul,quiinscrivaitDragon’sSoulàlaHolidayClassic.Avecunfrisson,elletournalatêtepournepasavoiràcroisersonregard.Depuisqu’elleétaitparvenueàempêcherqueseshommess’enprennentàMac,elleavaittoutfait

pouréviterRahuletsonéquipe,carellecraignaitd’êtreincapablededissimulersahaineàleurégard.—MademoiselleClareborn,ditsoudainRahulquis’étaitfrayéuncheminparmilesfilesd’attente

pour venir se poster près d’elle, je vous souhaite bonne chance. Je suis sûr que Navigator peutremporterlacourse.—Merci,Rahul,etbonnechanceàDragon’sSoul.Rahul acquiesça et lui adressaunpetit sourire,mais son regard sombre était froid.Dèsqu’il eut

tournélestalons,ellepoussaunsoupirpourreprendrelecontrôledesesémotions.Elleseraitheureuselorsquetoutecettehistoireseraitterminéeetquecetypeseraitenprison.Enfin,l’hommedevantelleterminasaprocédured’inscriptionetluilaissalaplace.Elles’avançaettenditsespapiersàl’employéeauguichet.—FirehillFarm,OldLemonRoadàLexington.L’employée consulta les documents : le certificat médical du Dr Remington, sa licence de

propriétaire-entraîneur,soncertificatd’assurance.—Puis-jeavoirvotrerèglement,mademoiselleClareborn?Emmacherchadanssapocheetensortitunchèque.—Merci. Je crois que tout est en ordre. Je fais procéder à l’enregistrement des documents. Le

secrétariatvavousdonnerlenumérodel’emplacementréservéàvotrechevaldansl’écurieainsiquelesaccréditations.Votrechevaldevraêtredansl’enclosà15heuresauplustard.Ileffectuerauntourdeprésentationavecunjockeydeparadeunefoisquevotrejockeypersonnelseraenregistré.Et,bienentendu, en tant quepropriétaire, vousdisposerezd’un siège réservé en tribune.Votre cheval devraêtredans leboxdedépartà15h20auplus tard, sansquoi il risque ladisqualification,etvousnepourrezalorsplusvousfairerembourservosfraisd’inscription.Emmaenfrissonnaitd’excitation.Enfin,toutceladevenaitréel!Ellequittalafileetsedirigeaverslebureauoùunesecrétaires’activasursonordinateurpourlui

fournirlesdocumentsnécessaires.—Commentçasepasse?demandaMacquivenaitdelarejoindre.Ausondesavoix,ellesesentitimmédiatementapaisée.—TuasvuRahul?

—Oui.—Ilm’asouhaitébonnechanceetaaffirméqueNavigatorpouvaitgagner.—Vraiment?Lasecrétairesetournaverssonimprimanteetcommençaàrassemblerlesfeuillesquiensortaient.D’unemain tremblante,Emmaprit lespapiersqu’elle lui tendit. Jusqu’àprésent, sonpère s’était

occupédesprocéduresd’inscription.Lemomentétaitvenupourelledeprendrelarelève.—Détends-toi,luiconseillaMac.Jet’apprendraiàtefamiliariseraveclapaperasse.Tuasdéjàfait

quelquechosedebeaucoupplusdifficile,àsavoirentraînerunchampion.Alorsça,c’estdugâteau.Heureusedel’avoiràsescôtés,elleselaissaallercontrelui.—Voilà, tout y est,mademoiselleClareborn.Passez unebonne journée, et bonne chancepour la

course.Emma glissa les documents dans son sac puis tourna les talons pour partir.MaisMac, lui, avait

encoreunerequête.— Excusez-moi, dit-il à la secrétaire. Savez-vous par hasard dans quelle écurie sera Dragon’s

Soul?—Oui,biensûr,réponditl’employéeentapotantsursonclavier.Ecurie5,stallen°20.—Merci,ditMacavantd’allerrejoindreEmma.Enarrivantdansleparking,illapritparlecoudepourl’inciteràs’arrêteretregardaautourd’eux,

méfiant.Rahullesavaitprécédésdeplusieursminutes,maisilavaitlesentimentqu’ilétaitencorelà,quelquepart,àlesattendre.—Nousl’avonsfait,Mac!Cettefois,c’estvraimentparti.Il lapritpar lamainetsedirigeaverssonpick-up.Cen’estqu’unefoisqu’ilsfurent tousdeuxà

l’intérieurqu’ilcommençaàsedétendre.—Oui,c’estunsoulagementd’enavoir terminéavec lesprocédures.Maintenant, ilnenousreste

plusqu’àgagner.—AvecunchevalcommeNavigator,nousgagnerons,j’ensuissûre.Ildémarraettraversaleparking,unœilsursonrétroviseur.— Ilme faut un chapeau pour le jour de la course,Mac. Peut-on faire un crochet parVictorian

Square?—Biensûr,acquiesça-t-ilen tournantàgauche, tandisqu’ilsurveillaitunevoiturenoirequiétait

sortieduparkingjusteaprèseux.—C’estauboutdeMainStreet,c’estbiença?—Oui.Ilsesouvenaitduvieuxcentrecommercialquiexistaitdéjàavantsanaissance.C’étaitsansdoutelà-

basquesonpèresefournissaitluiaussienchapeaux.Danssonrétroviseur,ilvitlavoiturenoirebifurquerpuisdisparaîtreetsesentitunpeumieux.C’étaitunebonneidéed’alleràVictorianSquare.IlavaitdescoursesdeNoëlàfaire.

***

Mac repéra les phares de la voiture dans son rétroviseur alors qu’il venait de quitterNewZionRoad.Il reconnut immédiatement le coupé noir qui les avait suivis quelques instants lorsqu’ils avaient

quittélechampdecoursesetfutimmédiatementenalerte.Lavoitureroulaitvite.Ellelesrattrapaetlesdépassaàgrandevitesse.—Bonsang!Cetyperoulebeaucouptropvite.Emmaregardalesfeuxarrièreduvéhicules’éloigner.—Cettevoiturenousasuiviscetaprès-midiquandnousavonsquittéleparkingdel’hippodrome,

mais elle a ensuite bifurqué assez rapidement. Jeme suis demandé si c’était une coïncidence ou sic’étaitintentionnel.—Ehbien,tuastaréponse.Maisqu’est-cequ’ilfait?sedemanda-t-elleàhautevoixtandisqu’elle

voyaitlesfeuxstopdelavoitures’allumer.—Tuasbienattachétaceinture?—Oui,commed’habitude,répondit-elle,inquiète.S’attendait-ilàcequ’ilsaientdesennuis?Ellevitlesfeuxarrièredisparaîtredevanteuxetsesentitsoulagée.Quelquesinstantsplustard,des

pharesapparurentfaceàeux.—Ondiraitqu’ilafaitdemi-touretrevientversnous,ditMac.Emmasentitlapeurl’envahir.Mentalement,ellesereprésentalaroutesurlaquelleilscirculaient.—Entreluietnous,ilyalepontquienjambeElkhornCreek.Macregardalecompteur,ralentitetcherchaàvisualiserlazonedontelleparlait.A cet endroit, le cours d’eau était large ; le pont était long de près de cinquante mètres et

surplombaitleseauxd’unequinzainedemètres.Etait-ce un piège ? Il savait pertinemment que son pick-up était beaucoup plus lourd que cette

voiturenoireetque,s’ildevaitfaireunemanœuvrebrutalesurlepont,ilsrisquaientdebasculerdanslevide.Alalumièredesesphares,ilvitlepanneauindiquantlepont,àunevingtainedemètresdevanteux.

Iln’avaitaucuneenviedes’yretrouverenmêmetempsquelecoupé.Ilenfonçalapédaledefrein.Aumêmeinstant,ilyeutunbruitd’explosion,semblableàceluid’un

pétard.Unpneuavaitéclaté.Lepick-upfituneembardéeetdelafuméemontadelaroueavantgauche.Macfitdesonmieuxpourgarderlecontrôleduvéhicule,maisneput l’empêcherdesemettreen

travers.Emmahurla.Comprenantqu’ilnepourraitpaséviterlasortiederoute,Mactentadelimiterl’impact,maisc’était

troptard.

Les roues avant glissèrent sur le gravier. Le pick-up bascula et dévala le talus en faisant destonneaux.Lesairbagssegonflèrent.Aprèsdeuxtours,lepick-ups’immobilisasurletoit.Têteenbas,saceinturetoujoursattachée,Macregardaàtraverslepare-brisecasséoùilsétaient.

Unphare,quiavaitrésistéauchoc,luipermitdeconstaterqu’ilss’étaientarrêtésàquelquesmètresdel’eau.—Emma?appela-t-ilendétachantsaceinture.Ilsetortillapourseremettreàl’endroitetsetournaverslesiègepassager.—Emma,tum’entends?répéta-t-il,maintendue,sentantlecontactdesescheveux.—Emma!Atâtons,ildétachasaceintureetlaretintpourqu’ellenetombepas.Elleétaitinconscientemaisenvie.Ilentenditunbruitdemoteurquisemêlaitàceluidupick-upquitournaittoujours.Soudain,uneodeurcaractéristiqueluiparvintetilcompritquelasituationsecompliquait.Del’essence.Leréservoirdevaitêtreentraindefuir.Ilfallaitqu’ilsorteEmmadelavoiture.Vite!Ilpassaunbrasautourdesatailleetlatintcontrelui.Puisilseplaçafaceàlavitrecôtéconducteur

et,dupied,frappadetoutessesforcespourlabriser.De sa botte, il déblaya les éclats de verre pour qu’ils ne risquent pas de se blesser lorsqu’ils

sortiraient.Ilpassaunejambeparl’ouverture,puisl’autre.Aplatventre,iltiraEmmaàsasuiteenespérantque

l’ouvertureseraitassezlargepourqu’ilpuissepasserlesépaules.Sinon…

***

Ademi-consciente,Emmasentitqu’onlatirait.LasensationdubrasdeMacautourdesataillelaramenalentementàlaréalité.Unaccident.Ilsavaienteuunaccident.Elleserappelalebruitd’uneexplosion,suivid’unfracasde

ferraille.Soudain,elleeutl’impressionqueMaclalâchait.Pourquoi?Lapeurluifitcomplètementreprendreconscience.Elleouvritlesyeuxettentad’inspirerunegouléed’air.Elleserenditcomptequelavoitureétaitsur

letoit.

Dansunmouvementdepanique,ellecherchaàseretourner,maiselleétaitcoincée.—Mac!cria-t-elle.Jenepeuxpasrespirer!—Accroche-toi,Emma.Jevaistefairesortirparlavitre,maistudoisleverlesbrasau-dessusde

tatête.Elles’exécutaetlesentitlasaisirparlespoignetspuislatirer.Ilparvintàl’extirpersanstropde

difficultéduvéhiculeetladéposadoucementsurlesol.—Gardelatêtebaissée.Ilyadeshommesauborddelarouteau-dessusdenous.Mieuxvautleur

laissercroirequenousnenousensommespassortis.Elleacquiesçasilencieusement.Hélas!Ilsavaientsansdoutedéjàfaittropdebruit,etleshommesavaientcomprisqu’ilsétaienten

vie.Untirretentitdepuislarouteetuneballevintselogeràl’arrièredupick-up.MacdégainasonarmeetpritEmmaparlamain.—Leréservoirfuit.S’ilsletouchent,çavaexploser.Ilfautabsolumentquenousnouséloignions.Elleserrafortsamain,commepourluisignifierqu’ilétaitsonseulespoir.Macregardaautourd’eux.Ilyavaitdesarbresàunevingtainedemètresdel’endroitoùilsétaient

venuss’échouer.S’ilsparvenaientà lesatteindreetà s’ydissimuler, ilsavaientunechancedes’entirer.Unenouvelleballesifflaprèsd’eux.—Tupeuxcourir?—Oui.Jemesensunpeufaible,maisj’aiencoreassezdeforce.—Tuvoiscesarbres,là-bas?reprit-ilendésignantlebosquetdudoigt.Jevaisriposteràleurstirs

etensuitenousfonceronsdroitdessus.Ilsnesontqu’àvingtmètres,machérie,pasplus.Denouveau,elleacquiesçasansprotester.Maclevasonarmeettira.L’hommesurlarouteripostaaussitôt.—Vas-y,Emma,cours!Elledétalasansdemandersonreste.Maclasuivitenseplaçantjustederrièreellepourluiservirdebouclier.Ilsatteignirentlesarbresetplongèrentausol,àl’abri.Macseretourna,visalavoiturenoireetfitfeu.Depuislaroute,l’hommeripostaentirantsurlepick-up.Ilyeutunbruitsourdetunebouledefeumontaversleciel,embrasantlanuit.Cettesoudainesourcede lumièrepermitàMacde repérerunhommedeboutàcôtéd’unevoiture

noire,maisilnelereconnutpas.L’inconnus’empressaderemonterdanslavoiturequidémarraentrombe.—Mac,tacamionnette!s’exclamaEmma.Illapritdanssesbras,laserracontreluietluidéposaunbaisersurlefront.

—Unevoiture,çaseremplace.Netetracassepaspourça.Ilcherchadanssapoche,sortitsonportableetcomposale911.IldemandaleshérifWilkesetqu’on

envoieuneambulanceetlespompiers.Aprèsavoirmisfinàlacommunication,ilserradenouveauEmmacontreluietregardalesflammes

finir de transformer sonpick-upenune carcassedemétal rougeoyant. Il frissonnaen songeantqu’ilavaitétéàdeuxdoigtsdeperdreEmma.Cettepenséeluiétaitinsupportable,carlafemmequ’ilserraitdanssesbrasétaitirremplaçable.Ilfermalesyeuxets’autorisaàsedireunevéritéqu’ilrefoulaitdepuisdesjours:ill’aimaitplus

quetout.

***

Assiseàl’arrièredel’ambulance,EmmaregardaitMacetleshérifquidiscutaientsurleborddelaroute.Elleavaitsubiunchocàlatêteetsesoreillessifflaientatrocement.—Fixezlalumière,mademoiselle,luiditunambulancierenbraquantunepetitelampesursonœil

droit,puissurlegauche.Ladilatationdevospupillesestnormale,iln’yapasdetraumatisme.—J’aimeraisrentrerchezmoi.Monranchn’estqu’àquelqueskilomètres.—Nousvous laisserons repartirdèsquepossible,maisvoussouffrez toutdemêmed’une légère

commotion.—Jesaiscequec’est.Jevousprometsd’êtreprudenteetd’appelerunmédecinsijemesensmal.L’ambulancierpritunformulaireetleluitendit.— Dans ce cas, vous devez signer cette décharge qui certifie que vous ne souhaitez pas être

transportéeàl’hôpital.Elle prit le stylo que lui présentait l’ambulancier et signa sans hésiter, puis elle descendit du

véhicule.—Merci.EllesedirigeaversMacetleshérif,quidiscutaienttoujours.—Cen’était pasun accident.Quelqu’unadéposéuneminicharge explosive surmavoiturepour

faireéclatermonpneuavantgauche.Onvoulaitnousfairetomberàl’eau.—Avez-vouspureleverlaplaqued’immatriculationdevotreagresseur?—Non,maisjesuiscertainquec’étaituneLexusnoire.EmmaseserracontreMacpourseréchauffer.—Jevaisfaireprocéderàunerecherchesurcettevoiture,mêmesic’estunmodèlecourant,ditle

shérif.— Je l’ai touchée aumoins une fois au niveau de l’aile arrière gauche.Une Lexus qui porte un

impactdeballe,celaconstitueunsignedistinctif.Wilkesacquiesça.

—Pouvez-vousnousrameneràlamaison,shérif?—Oui,biensûr,allez-y,montezenvoiture.«Alamaison.»CesmotsétaientdouxauxoreillesdeMacquiétaitheureuxdesentirEmmatout

contrelui.Cequ’ilaimaitmoins,c’étaitl’idéequeRahulavaitpeut-êtreengagéunnouvelhommequin’auraitaucunscrupuleàlesabattre.

17

Mac ferma la porte du van et alla s’appuyer contre la portière conducteur de la camionnette deFirehillpourattendrel’arrivéed’Emmaafinqu’ilspuissentpartirpourKeeneland.Ilétaittendu;l’atmosphèreétaitélectrique.Devantl’écuriesecondaire,KarifetRahulluttaientpour

fairemonterDragon’sSouldansleurremorque.Troisjourss’étaientécoulésdepuisl’accidentsurLemonsMillsPike,etuneLexusnoireportantun

impactdeballe avait été retrouvéedans le fossé àquelques centainesdemètresde l’endroit où ilsavaientquitté la route.UncoupledeLexingtonavaitportéplaintepourvoldevéhicule—laLexusnoire enquestion— le jourde l’inscriptionpour laHolidayClassic.L’enquêteétaitdoncdansuneimpasse.Ce soir, heureusement, tout serait terminé.Dumoins selonDonahue, qui avait fixé rendez-vous à

Macavant le leverdusoleilpour luiposerunmicroespion.L’intentionde laNSAétaitdeprendreRahulettoutesabandesurlefaitetderéussirainsiunmagistralcoupdefilet.LebruitdelaportedederrièredelamaisonquiserefermaittiraMacdesespensées.IlvitEmmas’avancerverslui,vêtued’unpantalonnoiretdebottesdecow-boy.—Hé!Tuessuperbe!Elleluiadressaunpetitsourirecrispé.Sansdouten’avait-ellepasdormibeaucoupplusquelui.—Voilà,lejourdelacourseestenfinarrivé,dit-elle,nerveuse.Ducoindel’œil,elleaperçutRahulmaiselles’efforçadenepasregarderdanssadirection.Ilétait

bienledernierqu’elleavaitenviedevoircematin.—Onyva?—C’estparti.Maccontournalacamionnettepourluiouvrirlaportière.Lorsqu’ellefutinstallée,ilallas’asseoir

auvolantetmitlecontact.—Oùesttonpère?—Ilm’aditqu’ilregarderaitlacourseàlatélé.Ildémarra.Emmaboucla sa ceinture et serra contre sapoitrine l’enveloppecontenant lesdocumentsdont ils

avaientbesoin.Dansmoinsd’unedemi-heure,ilsseraientàdestination.

***

Al’entréeduchampdecourses,Mactenditlesaccréditationsaugardeenuniforme.Cedernier lespassaen revue, les lui renditpuis lui fit signed’avancer tandisque labarrière se

levait. Ilpénétra sur leparkinget roulavers l’écurie. Il segara leplusprèspossiblede l’entréeet

coupalecontact.—Voilà,nousysommes.—Désormais,lesdéssontjetés,répliquaEmmaenluiprenantlamainpourlaserrer.—LeshommesdeDonahueontencerclél’hippodrome.Toutsepasserabien,luiassura-t-il.—Commentlesais-tu?—Ilm’aexpliquéleurpland’actioncematin.Emmas’efforçadenepasselaissersubmergerparlestress.—Sait-ilcequ’ilscomptentfaireexactement?—Disonsqu’il ade forts soupçons sur leurs intentions,maisqu’ilne saitpascommentçava se

passer.Resteenpermanencesurtesgardes,Emma,etsituvoisquoiquecesoitquitesemblesuspect,préviens-moiimmédiatement.—Jeferaimonpossible,répondit-elleavantd’ouvrirsaportière.Macdescenditégalementdevoiture.IlentenditNavigatorhennirdanslevan.—Allonsd’abordvérifierl’étatdelastalle.Ensuite,jeleferaisortir.Normalement,c’esttoutau

boutdel’écurie.Ilss’yrendirenttousdeux.Leboxétaitimpeccableettapissédepaillefraîche.—Bien,toutestenordre.Jevaischerchernotrechampion.Emmarestaàl’entréedelastalleetregardaMacfairedescendreNavigatorduvan.Le pur-sang était excité. Il encensa et poussa un long hennissement, auquel répondirent ses

congénères.Ellesesentaitàpeuprèsdanslemêmeétatquesoncheval.LalumièrerasantefaisaitluirelarobedeNavigatoretflattaitsaligneparfaiteetathlétique.Emma

sentitsonpoulss’accélérer.Aujourd’hui,Navigatorallaitgagner.Sonexcitationcédacependantvitelaplaceàl’anxiétélorsqu’ellevitRahuletKarifgarerleurcamionnonloinduleur.Ils descendirent et ouvrirent immédiatement la remorque. Dragon’s Soul en bondit et, comme

d’habitude,lesdeuxhommesdurentlutterpourlemaîtriser.Emmas’efforçaderegarderailleursetdepenseràcequ’elleavaitàfaire.Illeurrestaitdeuxheures

avantqueNavigatorn’entredanssonboxdedépart.

***

A l’affût du moindre comportement suspect, Mac observait les entraîneurs qui amenaient leurschevaux.Del’autrecôtéde l’enclos,RahuletKarifbataillaient toujourspourattacherDragon’sSoulàson

piquetd’échauffement.Macsefitlaréflexionquel’étalonrendaitbienàcesdeuxtypestoutleméprisqu’ilsluiportaient.

Aumoins,l’animalavaituninstinctsûr.

—Gradydevraitarriverd’uneminuteà l’autre,ditEmmaenconsultantsamontrepourlaénièmefois.Navigatorestprêt.—Ducalme,Emma,luiréponditMacd’untonapaisant.Elleseserracontrelui,cherchantàabsorberunpeudesasérénité.Sonregardseportadel’autre

côtédel’enclos.—Regarde,Mac,jecroisquel’émirAbadarvientd’arriver.Macsentitsescheveuxsedressersursanuque.Abadarallait-illereconnaître?Ilsortitseslunettes

desoleildelapochedesavesteetlesmit.Donahueleuravaitexpliqué,àEmmaetàlui,commentsecomporters’ils le rencontraient.Si l’émir reconnaissaitMac, ilpourraitavoirdessoupçonset toutel’opérationrisquaitdetomberàl’eau.Iljetaunregarddiscretversl’endroitoùsetenaitl’émir.Rahulluiparlaitenlesdésignantdudoigt.

L’émir,vêtud’uncostumetraditionnel,seretournaets’avançaverseux.—Dis-luipolimentbonjour,Emma.Tun’asrienàfairedeplus.Il s’affairaautourdeNavigator, ledos tourné, faisantminede l’inspectersous toutes lescoutures

pourparfairesonéchauffement.—MademoiselleClareborn?Emmarassemblasesforcesetfitfacesanscilleràl’émirquil’observaitd’unairsuffisant,lesyeux

plissés.EllesedemandapourquoiMacavaitrisquésaviepoursauvercelled’unhommeàl’airaussiméprisant.—Vousdevezêtrel’émirAbadar.Heureusedefaireenfinvotreconnaissance.—Rahulm’aapprisquevousluiaviezdemandédequittervotreécurie.J’espèrequenousnevous

avonspascausédetort.ElleserappelalesinstructionsdeDonahue,quiluiavaitdemandédeprendregardeànepasfaire

d’éclat.—Non,pasdutout.D’ailleurs,jevousfaiscadeaudelasommequ’ilvousrestaitàréglerpourla

locationdesstallesjusqu’àaprès-demain,dateàlaquellevousdevrezquittermonécurie.—C’estentendu.Après-demain,nousauronslibéréleslieux.Mac contourna le pur-sang et lui passa lesmains sur les articulations des jambes. Troublé, il se

concentrasurlavoixd’Abadar.—Bonnechancepourlacourse,mademoiselleClareborn.Votrechevalestvraimentmagnifique.L’émir s’exprimait avecunevoixplus aiguë, et sans lapointed’accentqueMac lui avait connue

lorsqu’ilavaitétéenchargedesaprotection.—Merci.Bonnechanceàvousaussi.Macse redressapourvoir levisagede l’émir justeavantqu’ilnes’éloigne. Il ressemblait fortà

AhmedAbadar,maiscen’étaitpaslui.Enrevanche,ilavaitdéjàvucethomme.C’étaitluiqui,lesoirdel’accident,setenaitauborddelaroute,àcôtédelaLexusnoire.Macattenditencoreunpeupuiss’approchadelabarrièredel’enclos.Del’autrecôté,l’hommequi

sefaisaitpasserpourl’émiravaitmaintenantunevaliseenmétalargenté.L’imposteurrejoignitKarifaumomentoùlesjockeysdecourseetceuxquidevaienteffectuerletour

deparades’approchaientdeleursmontures.—Cen’estpasAhmedAbadar,ditMacassezfort,enespérantqueDonahue,àl’autreboutdumicro

qu’ilportaitdissimulésoussachemise,l’entendrait.C’estunimposteur.EmmaluijetaunregardperplexepuissetournaversGradyStevens,quis’approchaitd’eux.—Voilà,ilestprêt.Jevousleconfie,Grady,dit-elleaujockeyenluitendantlesrênes.—Allez,enpiste!ajoutaMacenaidantlejockeyàsemettreenselle.GradyfitsortirNavigatordel’enclosencompagniedujockeydeparade,quimarchaitàcôtéd’eux.MacreportasonattentionsurlefauxAbadaretlevitremettresavaliseàKarif.Unevalise?Peuavantdemourir,Victoravaitparléd’unevalise…—Mac,quesepasse-t-il?luidemandaEmmaenluivoyantl’airsoudainsoucieux.—Vaprendreplaceentribune,Emma,etn’enbougeplus.Promets-le-moi.L’expressiondeMacluifitpeur.Ellehochalatête.—Jet’aime,Emma,reprit-il.J’auraisdûteledirebeaucoupplustôtetdansd’autrescirconstances.Sansluilaisserletempsderépondre,ilpritsonvisageentresesmainsetl’embrassa,fort,avantde

lalâcheretdes’éloigneràgrandesenjambées.La gorge nouée par l’émotion, Emma resta interdite quelques secondes. Elle le regarda slalomer

parmilesentraîneursetsuivreKarifquis’éloignaitenportantunevalise.MaisoùdiableétaitDonahue?

***

MacemboîtadiscrètementlepasàKarif.IldevaitserendreàlastalledeDragon’sSoul.Etait-cedeladroguequ’ilavaitdanssavalise?Macn’enavaitpaslacertitude,maisilétaitsûrque

lemomentcrucialétaitarrivé.—J’espèrequevousêtesàl’écoute,Donahue,carçarisquedechaufferbientôt.Ecurien°5,stalle

20.Ilcroisadeuxpalefreniersquileregardèrentcommes’ilavaitperdulatête.Lentement,ilremonta

l’allée.Ildégainasonarmeetlatintlelongdesoncorpspourqu’ellesoitinvisible.Toutàcoup,ilaperçut

lehautdelatêtedeKarifquidépassaitau-dessusdelacloisondelastalleetsebaissa.Aprèsavoirprisunelongueinspiration,ilseremitàavancerenrestantaccroupi.Arrivétoutprèsdelastallen°20,ilseplaquacontrelaparoiettenditl’oreille.—Khamm-sah…sit-ah…Denouveau,Karifcomptait,commedansl’écuriedeFirehill.Macs’approchadavantageetrisquaunregardparunpetitespaceentredeuxboxes.Karifétaitagenouillédevantlavaliseouverteetsemblaitfairel’inventaireducontenu.Dessachets

blancs.—Ilvérifielamarchandise,chuchotaMacdanssonmicro,priantpourqueDonahueetseshommes

interviennentsur-le-champ.Ilbranditsonarmeetseruadanslastalle.Kariffitvolte-faceetleregardaavecuneexpressionébahie.—Ecarte-toi!ordonnaMacenluifaisantsigneavecsonarmedereculerdanslecoindubox.Karifselevaetfitunpasdecôté.—Donahue,ramenez-vous!cria-t-ilsansquitterKarifdesyeux,sonrevolverbraquésurlui.Il entendit du bruit et des éclats de voix en provenance de la travée de l’écurie et s’attendit à

découvrirDonahueetseshommes,armésjusqu’auxdents.CefutEmma,leregardagrandideterreur,souslamenacedeRahulquiluiserraitunbrasautourducou,quientradanslastalle.—Karif,finisdecompter,ordonnaRahul.Macbraquasonpistoletsurlui,prêtàfairefeus’illefallait,maisEmmaétaittropprès.Karifsepenchadenouveausurlavaliseetrecommençaàcompterlessachets.Malgrésapeur,Emmadécidadeserévolter.Elleinspiraàfondetdonnaunviolentcoupdetalon

dansletibiadeRahul.Cedernierlaissaéchapperuncridedouleur.Sansattendre,Emmaenchaînaparuncoupdecoudeaumenton,detoutessesforces.Rahullâchaprise,etiln’enfallutpasplusàEmmapourselibérerdesonétreinteetseruersurla

fourcheposéecontrelaparoidelastalle.Deuxcoupsdefeuretentirentalors.Macavaittiré.Karifs’effondrasurlavalise.Emmasaisitlafourche,seretournaetimmobilisaRahulcontrelaparoiopposée.—Allez !Allez !Allez ! cria alors la voix deDonahue tandis que ses hommes se ruaient dans

l’écurie,armeaupoing.MacrengainasonrevolveretpritEmmadanssesbras.Donahues’occupaitdéjàdemenotterRahul

etunspécialistedesnarcotiquesrepoussaitlecadavredeKarifpourexaminerlecontenudelavalise.IllevalatêteversDonahue.—Ilyabienlongtempsquejen’avaispasvuuneaussibelleprise.IlpritlecarnetoùKarifavaitconsignédeschiffresetajouta:—Si jeme fie à ça, il y en a pour près d’unmillion de dollars en valeurmarchande dans ces

sachets.Emmatremblaitdetoussesmembres,maisMaclaserraitfort.—Etlesrevendeursquidevaientleurremettrel’argent,quesont-ildevenus?—Nouslesavonsinterceptésensuivantl’hommequisefaisaitpasserpourAbadar,c’estpourquoi

nousnesommespasarrivésplusvite ici.Parailleurs, j’aiappris ilyadixminutesquelecorpsduvéritableémirAbadaravaitétéretrouvéàBahreïnilyaunesemaine.Ilsembleraitqu’ilavaitcomprisquelecartelcomptaitusurpersonidentitéetseservirdesonimmunitédiplomatiqueetdeseschevauxde course pour introduire de la drogue sur le sol américain. C’est lui qui a alerté nos services desécuritéintérieure,etill’apayédesavie.

Celaexpliquaitlesvéritablesraisonsdelavisitedel’émirauxEtats-Unisetpourquoionavaitdéjàtentédel’assassineràl’époque,songeaMac.—Donc, ils faisaiententrer ladrogueenmêmetempsque leschevaux,et lesquantités importées

étaienttatouéessurl’intérieurdelalèvredesanimaux.C’estça?—Ilsemblerait,eneffet.—Etquevontdevenirleschevauxdel’émir?—Nous ne sommes pas certains qu’ils lui appartenaient réellement.Alors, si vous le souhaitez,

vous aurez neuf bêtes supplémentaires à Firehill, répondit Donahue avec un sourire.Mac, si vousvoulezintégrerlaNSA,vousêteslebienvenu.Jesuissûrqu’onpourraitvoustrouverunjob.—Merci,maisj’aidéjàunjob.VeillersurFirehillFarm.Sidumoinsonm’autoriseàyrester.Auloin,ilsentendirentunhaut-parleurappelerlesjockeysàrejoindreleurboxdedépart.—Excusez-nous,Donahue,maisnousavonsunchevalquiparticipeàlacourse.Sivousn’yvoyez

pasd’inconvénient,nousferonsnotredépositionaprèsl’arrivée.Donahueacquiesça.—Allez-y,etj’espèrevousrevoirsurlepodium.MacpritEmmaparlamainettousdeuxpartirentencourant.

***

Letopdedépartretentitetlesgrillesdesboxess’ouvrirent.—Etilssontpartis!s’exclamalecommentateurdanssonmicro.Emma etMac étaient appuyés contre la rambarde. Ils regardèrent Navigator partir en milieu de

pelotonpuisprendrel’intérieur.Emmaavaitlecœurquibattaitàtoutrompre,sanssavoirsic’étaitàcausedelacourse,decequi

venaitdesepasserouparcequeMacluiavaitditqu’ill’aimait.Mac lui prit la main et l’invita à se rapprocher de la ligne d’arrivée. Son regard se posa sur

Dragon’sSoul,quiétaitendernièreposition.—Allez,Dragon,murmura-t-ilentresesdents.— Polly’s Day est en tête, Joker’s Rules suit à une longueur, Texas Two Step est en troisième

positionalorsqueseterminelepremiertour,annonçalecommentateur.MacetEmmatrouvèrentuneplaceaupremierrang,faceàlaligned’arrivée,etseconcentrèrentsur

lacourse.Macretintsonsoufflealorsqueleschevauxsortaientduderniervirageavantlalignedroite.— Polly’s Day a rétrogradé à la troisième place, Joker’s Rules prend la tête. Dragon’s Soul à

l’extérieuretNavigatoràlacordefontuneremontéespectaculaire!Emmaluiserralebras.—Allez,Navigator,tupeuxlefaire!Allez!

—Lepelotoncommenceàs’étirer,c’estmaintenantNavigatorquiprendlatêtemaisDragon’sSoulsuitlerythmeetestsecondàmoinsd’unelongueur!Macgardaleregardrivésurlaligned’arrivée.NavigatoretDragon’sSoulétaientquasimentàla

mêmeallure.Auderniermoment,Navigatordonnauncoupdereinsformidable,jetalatêteenavantetcoupalaligned’arrivée.—Etc’estlenuméro5,Navigator,quiremportelacourse!Dragon’sSouléchoued’unsouffleen

secondeposition,etJoker’sRulescomplètelepodium!MacpritEmmadanssesbrasetl’embrassaavecfougue,foudejoie,foud’amour.Puisils’écartaun

peud’elleetlaregardadanslesyeux.—Jet’aime,Em’.Leslarmesauxyeux,lecœurserréparl’émotion,Emmasemitsurlapointedespiedsetl’embrassa

àsontour.—J’élèvedeschevauxdegrandevaleur,tusais,etj’aimeraisbienqu’unhommemerveilleuxveille

sur eux en permanence. Pourrai-je te convaincre de rester à vie ? lui demanda-t-elle, le rouge auxjoues.—Jecommençaisàdésespérerde t’entendreme ledemander, répondit-ilen la tirantpar lamain

verslepodium.

***

Macattenditqu’Emmas’installedanslabalancellepuisluitenditunedesdeuxtassesdechocolatchaudàlamenthequ’iltenaitavantdes’asseoirprèsd’elle.— Tu te rends compte ? Depuis des semaines, Samantha, l’infirmière de mon père, l’a aidé à

réapprendreàmarcherpourqu’ilpuissemefairelasurpriselaveilledeNoël!Etmaintenantilmeditqued’iciaumoisdemai,pourlederby,ilaurareprislejogging.Mactenditlamainpourreplacerunemèchedecheveuxderrièresonoreille.—C’étaittrèsémouvantdelevoirseleverettraverserlesalon,Em’.Ilvaréussir,j’ensuissûr.Macposasatassesurlarampeduperronetfitdemêmeaveccelled’Emma.—Aujourd’hui,nousavonstousaccompliquelquechose.Tonpèreamarché,nousavonssurvécuà

cettejournée,etNavigatoraremportélacourse.C’estunvéritablemiracle.—Moi je suis surtout heureuse que tout soit terminé ; j’ai besoin quema vie reprenne un cours

normal.ElleregardaMacluisourireavecmalice.Jamaiselleneluiavaitvucetteexpression.—J’aiuncadeaupourtoi,annonça-t-il.—Vraiment?Moiaussij’aiuncadeaupourtoi.Ellecherchadanssapochedemanteauetensortitunpapierrouléceintd’unrubanrouge.—Tul’asplusquemérité.JoyeuxNoël,Mac!Mac prit le rouleau et contempla les yeux d’Emmaqui pétillaient d’impatience. Il défit le nœud,

déplialepapier,etenoubliapresquederespirer.—Avecmonpère,nousenavonsparlélasemainedernière.Ilavaittoujourseul’intentionderendre

àPaulCalliwaysapartdeSmoothSailing,maisiln’enajamaiseul’occasion.Alors,commetuessonfils,ilestnormalquetuhéritesdecequiterevientdedroit.Macétaitémucommeilnel’avaitjamaisété.—Jenesaispasquoirépondre.DevenirpourmoitiépropriétairedeNavigator,c’esttrop,Em’.Je

nepeuxpas…Ellel’interrompitd’unbaiser.Ilselaissafaireetlapritdanssesbras.Aprèsquelquesinstants,ils’écartalégèrementettiradesapochelecadeauqu’ilavaitpourelle.—Ehbien,sijedoisaccepter,faisonsensortequ’ilresteentièrementdanslafamille,déclara-t-il

enouvrant l’écrinqu’ilavaitenmain, révélant labaguequ’ilcontenait. Jeveuxvivreavec toipourtoujours,EmmaClareborn.Ettoi,veux-tudemoi?—Jecommençaisàcroirequetunemeledemanderaisjamais,répondit-elle,leslarmesauxyeux.

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estunemarquedéposéeparleGroupeHarlequin

BLACKROSE®

estunemarquedéposéeparHarlequin

Réalisationcouverture:C.ESCARBELT(Harlequin)

HARLEQUINBOOKSS.A.

Uninconnupourgardeducorps

TITREORIGINAL:ASOLDIER’SREDEMPTION

TraductionfrançaisedeESTELLEBELHIS

©2010,SusanCivilBrown.©2011,HarlequinS.A.

Retrouvaillessousprotection

TITREORIGINAL:THEBABY’SBODYGUARD

TraductionfrançaisedePHILIPPEDOUMENG

©2010,AliceSharpe.©2011,HarlequinS.A.

Undangereuxhéritage

TITREORIGINAL:HERPRIVATEBODYGUARD

TraductionfrançaisedeHERVÉPERNETTE

©2010,MonaGayThomas.©2008,HarlequinS.A.

Untroublantprotecteur

TITREORIGINAL:CHRISTMASCOUNTDOWN

TraductionfrançaisedeHERVÉPERNETTE

©2010,M.JanHambright.©2011,HarlequinS.A.

ISBN978-2-2803-6055-5

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